B98735210105_227.pdf
- Texte
-
BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCEKNIENNES
N° 227
TOME XIX
—
N° 4 / Juin 1984
Société des Etudes Océaniennes
Société des
Études Océaniennes
Fondée
Rue
Lagarde
-
en
1917.
Papeete, Tahiti.
Polynésie Française.
B.P. 110
-
Tél. 2 00 64.
Banque Indosuez 21-120-22 T
—
C.C.P. 34-85 PAPEETE
CONSEIL D'ADMINISTRATION
M. Paul MOORTGAT
Président
Me Eric
Vice-Président
LEQUERRE
Mlle Jeanine LAGUESSE
Secrétaire
M.
Trésorier
Raymond PIETRI
assesseurs
M. Yvonnic ALLAIN
M. Robert KOENIG
Mme Flora DEVATINE
M. Roland SUE
MEMBRES D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
R.P. O'REILLY
M. Yves MALARDE
Société des
Études Océaniennes
BULLETIN
DE LA SOCIÉTÉ
DES
ÉTUDES
UDES OCÉANIENNE
OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
N° 227
-
TOME XIX
-
N° 4 JUIN 1984
SOMMAIRE
Le
peuplement du Pacifique :
évaluation linguistique : D.T. Tryon
1545
une
préhistoriques dans l'arc insulindien : une base
la compréhension du peuplement de l'Océanie : J. Garanger
Les recherches
pour
Du
1561
coprah à l'atome. Synthèse du système traditionnel : C. Robineau 1574
Analyse critique
C. Geslin
:
Vanaa
ou
1585
la loi des ancêtres
Comptes rendus
1592
Les canons de Faana
J. Josselin
:
B. Nantet
Gauguin et le rêve tahitien
:
:
Carte
R. Jamet
:
Le titane dans les sols de Tahiti
D.T.
1594
1595
pédologique de la Polynésie Française
R. Jamet
1596
Holyok et J.C. Thibault : Contribution à l'étude
Polynésie orientale
1597
des oiseaux de
M. Petit et M. Kulbicki ; Radiométrie aérienne et prospection
dans la zone économique exclusive de Polynésie Française
lntes(A )-Charpy(L )-Morize(E )-Harmelin-Vivien(M)-Faure( G)& Laboute(P)-Peyrot-Clausade(M) : L'atoll de Tikehau
Société des
Études
Océaniennes
thonière
1597
1598
Société des
Études
Océaniennes
1545
PACIFIQUE :
ÉVALUATION LINGUISTIQUE*
LE PEUPLEMENT DU
UNE
Au
cours
des
vingt dernières années, beaucoup de progrès a
quelques 1800 langues
été fait dans l'étude et la classification des
présentes dans le Pacifique (1). Bien que ces progrès aient été
rapides, il existe encore de très sérieuses lacunes dans notre
connaissance de ces langues, lacunes qui empêcheront pour
quelques années encqre la formulation d'exposés définitifs, surtout
pour ce
qui est d'évaluations détaillées.
modestie, à la pensée que des quelques 200
langues australiennes (2) nous n'avons de renseignements détaillés
que sur environ la moitié ; sur les 741 langues papoues (3) nous
sommes raisonnablement certains d'un grand groupe génétique, le
phylum Trans-Nouvelle-Guinée, mais pas vraiment certains des
affinités génétiques des langues assez nombreuses, qui restent. En
effet moins d'un tiers de toutes les langues papoues ont été étudiées
en
profondeur. Sur la scène austronésienne, il semble que nous
nous dirigeons vers un consensus de sous-groupements de première
catégorie. Toutefois, un des plus importants sous-groupes austronésiens, le sous-groupe océanique avec plus de 400 langues
apparentées est encore très aléatoire. Pour l'instant nous n'avons
qu'une collection de langues non stratifiée, sommairement divisée
On est enclin à la
(*) D'après un papier présenté au symposium : Le peuplement du Pacifique, Xlème
Congrès ICAES, Vancouver, août 1983.
( 1 ) Pour ce qui est de ce papier, la région du Pacifique couvre tous les territoires situés dans
l'Océan Pacifique ; toutes les îles du Sud Est Asiatique, l'Australie, la Papouasie
Nouvelle-Guinée et les très nombreuses îles qui constituent la Mélanésie, la Micronésie
et la Polynésie.
(2) R.M.W. Dixon, Les Langues d'Australie, Cambridge U.P., 1980.
(3) S.A. Wurm, Les langues papoues
d'Océanie, Gunter Narr Verlag, Tubingen, 1982 a : 13.
Société des
Études
Océaniennes
1546
20 sous-groupes
(4). Pour les quelques 400 ou plus, des langues
n'avons que des données extrêmement fragmen¬
taires sur un peu plus de la moitié. Même en Polynésie, où les sousgroupements se présentent de manière assez solide depuis quelque
temps, il y a encore un bon nombre de problèmes à résoudre (5).
en
océaniques
Bien
nous
qu'il
y ait
qu'il
grand nombre de problèmes qui demeurent
ait intérêt à éviter des généralisations sans
fondement, le travail des savants dans le domaine linguistique
permet de faire quelques déclarations et évaluations avec
confiance, sur les relations entre les langues dans la région du
Pacifique, surtout depuis quelques dizaines d'années.
Il y a 3 catégories de langues -sans relations entre elles- ou
"familles" dans la région du Pacifique (6). Ce sont :
1° Les langues aborigènes australiennes.
2° Les langues papoues de la région
Papouasie-Nouvelle-Guinée.
3° Les langues austronésiennes ou
malayo-polynésiennes.
Les langues aborigènes australiennes sont estimées au nombre
de 200 ou 300 suivant les critères utilisés (7) avec environ 200
langues distinctes à l'époque des premiers contacts européens.
Dans leur principale classification publiée en 1966,
O'Grady et
C.F. et F.M. Voegelin reconnaissaient 228 langues différentes
(8).
Tout à fait récemment Dixon (9) concluait qu'il y avait environ 600
tribus distinctes en Australie parlant entre elles environ 200
langues différentes. Que savons-nous de ces langues et quels
rapports ont-elles avec les autres langues du Pacifique ?
Les langues d'Australie sont considérées par la
plupart des
observateurs pour être en définitive, reliées génétiquement entre
elles (10). Toutefois Dixon considère qu'à présent 2 des
langues, le
Tiwi, des îles Bathurst et Melville, le Djingili du plateau Barkly,
échappent à la démonstration d'un lien génétique avec les autres
à résoudre et
un
y
(4) G.W. Grace, "Sous groupement de Malayo-Polynésien : un compte-rendu d'essais de
recherches". American Anthropologist 57 : 337-339, 1955.
(5) Voir, par exemple, Samuel H. Elbert, "Diffusion lexicale en Polynésie et la relation
Marquises-Hawaii", Journal of the Polynesian Society 91/4 : 499-517, 1982 ; et Robert
Langdon & Darrell Tryon, La langue de l'île de Pâques, Institute for Polynesian
Studies, Laie, 1983.
(6) S.A. Wurm, "Langues du Pacifique", Scientific Australian, avril 1980 : 26-33.
(7) R.M.W. Dixon, Op. Cit :
Mouton, The Hague, 1972
1
p.
:
;
S.A. Wurm, Langues d'Australie et de Tasmanie,
9.
(8) O'Grady, G.N., Voegelin, C.F. & F.M., Langues du Monde : Fasicule 6 Indo Pacifique.
Linguistique Anthropologique 8 (2), 1966 : 28.
(9) R.M.W. Dixon, op. cit., p. 18.
(10) R.M.W. Dixon,
op.
cit.,
p.
228.
Société des
Études
Océaniennes
1547
langues australiennes (11). Les langues aborigènes de Tasmanie,
qui toutes disparurent au 19ème siècle, n'ont pas été classées, car la
documentation disponible sur ces langues est trop fragmentaire
pour permettre une démonstration satisfaisante de leur
en relation avec les langues du continent australien.
similitude
D'après ce qui a été découvert, il n'existe aucune parenté entre
langues australiennes et les autres familles de langues, du
Pacifique, ni encore d'aucune autre région du monde (12).
les
Certains observateurs pensent que les langues australiennes
comprennent environ 25 "familles", ou sous-groupes de première
catégorie (13). L'une de ces familles appelée Pama-Nyungan
presque les 7/8 du continent, alors que toutes
familles restantes sont confinées dans le nord, dans la
couvre
les autres
région de
Kimberley/Arnhem Land.
Les langues du Nord sont caractérisées, entre autres, par des
préfixes accolés au radical du substantif ou du verbe, tandis que le
groupe Pama-Nyungan ainsi qu'un groupe isolé au N.Ë. de
Arnhem Land (14), sont caractérisés par un système de suffixe très
fréquent. Capell (15), parmi d'autres, soutient que les typologies à
suffixes et à préfixes ont la même origine, la différence du système
résidant dans l'établissement à l'origine d'un ordre élastique des
mots dans une phrase, de sorte que certains éléments se placèrent
dans des positions fixes, avec pour résultat, la classification en
"langues à préfixe" dans une partie de l'Australie et en "langues à
suffixe" dans le reste du pays. On pense que les "langues à suffixe"
furent les premières à apparaître. Capell donne comme exemple du
système le plus primitif, les langues du désert de l'Ouest car dans
ces langues la "flexibilité originelle de l'ordre des mots est
préservée" (16). L'affirmation de Capell concernant l'origine
commune des systèmes à préfixe et à suffixe fut confirmée par
Haie, lorsque au cours de la campagne de 1959-60 sur les plateaux
Barkly, il découvrit une famille de langues dans laquelle des
langues voisines à préfixe et à suffixe, utilisaient les mêmes
morphèmes.
(11) R.M.W. Dixon,
(12) R.M.W. Dixon,
(13) S.A. Wurm,
p.
(14) Le
op.
cit., p. 225.
cit., p. 467 ; également S.A. Wurm, op. cit., p. 152.
cit (1972), pp. 95-151 ; G.N. O'Grady, C.F. & F.M. Voegelin, op. cit.,
op.
op.
28.
groupe
Murngic, voir S.A. Wurm, op. cit., p. 147 (1972).
(15) A. Capell, Une nouvelle approche de la linguistique Australienne,
Monographs, n° 1, Univ. de Sydney, Sydney, 1956.
(16) A. Capell,
op.
cit.,
pp.
9-10.
Société des
Études
Océaniennes
Oceania Linguistic,
1548
Capell signala également des "vocabulaires régionaux" (17),
particuliers à certaines régions géographiques. Ce sont des
mots qui ont survécu régionalement mais non universellement. Il
y
a souvent des accords lexicaux sur de
longues distances qui ne
peuvent être expliqués par une coïncidence ; par exemple entre
l'extrême nord et l'extrême sud du continent, mais sans formes
cognatiques dans les régions intermédiaires. On les considère
comme des vestiges de langues très
anciennes repoussées aux
limites du pays par des arrivées plus récentes (18). En effet, il est
généralement admis que l'une des langues ou "familles de langues"
qui se serait développée dans le Nord, se serait répandue à travers
le continent se superposant au point de ne plus laisser
que des
vestiges de la langue originelle (19).
mots
Plus récemment Dixon (20) a émis des doutes sur un certain
nombre de points qui avaient été généralement
acceptés jus¬
qu'alors. Il indique par exemple qu'il ne faut pas conclure que
Pama-Nyungan soit en aucun sens, une unité génétique, déclarant
que le "groupement" a probablement été fortement influencé par le
phénomène de diffusion régionale (21). En même temps il constate
que les méthodes linguistiques comparatives classiques n'ont pas
été utilisées pour le Pama-Nyungan, et que des innovations de
diagnostic pour l'établissement d'un sous-groupe n'ont pas été
établies.
En fait, Dixon estime que nos connaissances actuelles des
relations entre les langues australiennes sont insuffisantes pour
justifier l'établissement d'un modèle d'"arbre généalogique"
entièrement structuré (22). Les langues modernes peuvent être
classées en sous-groupes génétiques inférieurs comprenant chacune
8 ou 9 membres, mais peu de travail a été
accompli sur les sousgroupes supérieurs en termes d'innovations communes. En fait
bien que l'on présume que toutes les langues australiennes se sont
développées à partir d'une seule proto-langue, aucune preuve
linguistique formelle n'a été fournie, en termes de méthodes
traditionnelles de comparaison historique. Ce qui est urgent en
effet, c'est de découvrir si les sous-groupes inférieurs actuellement
identifiés, peuvent être rassemblés pour former des groupes
génétiques plus importants.
(17) A. Capell,
(18)
(19)
(20)
(21)
(22)
op. cit., et A. Capell, Quelques types linguistiques en Australie, Oceania
Linguistic Monographs, N° 7, Univ. de Sydney, Sydney 1962 : 12.
Capell, op. cit., (1962) : 12.
Capell, op. cit., (1962) : 12.
R.M.W. Dixon, op. cit., p. 226.
R.M.W. Dixon, op. cit., p. 226.
R.M.W. Dixon, op. cit., pp. 264-5.
Société des
Études
Océaniennes
1549
On pense que
les langues australiennes seraient venues de la
Papouasie Nouvelle-Guinée, par la bande de terre qui reliait les 2
pays, il y a environ 10.000 ans (23). D'où et comment sont-elles
venues antérieurement à cette époque ? On l'ignore et
c'est proba¬
blement hors de portée de la méthodologie linguistique.
Les langues papoues constituent la seconde catégorie
importante dans le Pacifique. Elles occupent la quasi totalité de
l'Irian/Papouasie Nouvelle-Guinée, le nord de l'île de Halmahera,
une partie de Timor, une partie de la Nouvelle-Bretagne, de la
Nouvelle-Irlande, Bougainville, et certaines régions dispersées des
îles Salomon jusque dans le sud-est à Santa Cruz (24).
Très récemment (25) Wurm a signalé qu'il y a 741 langues
papoues connues dont 507, représentant à peu près 80% des
locuteurs papous, appartiennent à un groupe linguistique unique,
le phylum Trans-Nouvelle-Guinée.
Wurm dresse la liste des groupes Papous ainsi :
Nombre de
langues
Nombre de
locuteurs
507
2.307.000
24
217.000
98
194.000
48
80.000
27
69.000
-
8
6.600
-
5
3.300
-
6
1.600
-
2
300
3
17.000
5
12.000
8
5.000
Groupe linguistique
Phylum Trans-Nouvelle Guinée
Phylum Papou Ouest
Phylum Sepik-Ramu
Phylum Torricelli
Phylum Papou Est
Phyla mineurs :
Phylum Sko
Phylum Kwomtari
Phylum Arai
Phylum Amto-Musian
Phylum Birds Head Est
Phylum Baie Geelvink
-
-
-
Isolés
Les langues papoues sont de loin les plus complexes, morpho¬
logiquement parlant, de toutes les langues du Pacifique qui nous
(23) S.A. Wurm,
op.
cit., (1972), p. 166 ; R.M.W. Dixon, op. cit., p. 468.
(24) S.A. Wurm, D.C. Laycock, C.L. Voorhoeve & T.E. Dutton, Préhistoire linguistique et
migrations passées de langues dans la région de la Nouvelle-Guinée dans S.A. Wurm,
étude, Vol. 1 : Langues Papoues et Tableau
linguistique de la Nouvelle-Guinée ; Pacific linguistics, C38, Canberra, pp. 935-960,
ed, Langues de la Nouvelle-Guinée et leur
1975.
(25) S.A. Wurm,
op.
cit., (1982 a),
p.
Société des
13.
Études
Océaniennes
1550
Bien qu'étant
beaucoup mieux connues qu'il y a
seulement 10 ans, il faut constater
que moins de la moitié d'entre
elles ont fait l'objet d'une étude et
que les techniques linguistiques
n'ont pas été appliquées aux
langues papoues comme elles l'ont été
aux
langues austronésiennes ou même les langues aborigènes
australiennes.
Il va sans dire que les
remarques faites sur le sous-groupement
détaillé et/ou les migrations des
groupes de langue papoue sont de
concernent.
nature
provisoire. Bien qu'un schéma global ait été obtenu princi¬
palement par Wurm et ses collaborateurs (26), les détails et les
révisions dureront encore
faire un exposé définitif.
une ou
deux décades avant de
pouvoir
On estime que les premiers
immigrants vers l'île de NouvelleGuinée étaient probablement des Australoïdes au
temps où la
Nouvelle-Guinée et l'Australie n'étaient encore
qu'un seul
continent, probablement il y a environ 60.000 ans (27). Ils
continuèrent à se répandre vers l'Est et le Sud et en Australie
jusqu'à
par
la
la Nouvelle-Guinée et l'Australie fussent séparées
il y a environ 10 000 ans (28).
ce que
mer
Les premiers
Papous pénétrèrent
en
Nouvelle-Guinée
beaucoup plus tard, venant également de l'Ouest et infiltrèrent les
Australoïdes, qui s'y trouvaient encore. Il existe des liens
génétiques entre les populations papoues et les groupes aborigènes
d'Australie (29). Kirk (30) émet
l'opinion que l'immigration des
premiers Papous en Nouvelle-Guinée eut lieu soit peu
après soit
peu de temps avant la séparation de l'Australie d'avec la Nouvelle-
Guinée et pour étayer cette
opinion signale que les Papous ne
pénétrèrent ce Continent Australien qu'en très petit nombre. Cela
signifie que la première pénétration papoue en Nouvelle-Guinée
eut lieu au minimum il
y a 10 000 ans et au maximum il y a
15 000 ans. Wurm estime
que certaines des langues isolées
survivantes.pourraient être des vestiges de cette migration (31).
Quelques millénaires plus tard, il semblerait qu'il y ait eu une
(26) S.A. Wurm, ed, Langues de la Nouvelle-Guinée
et
tableau
linguistique de la
Nouvelle-Guinée
935-960, 1975.
(27) S.A. Wurm, op. cit., (1982 a),
pp.
p.
et
;
leur étude, vol. 1
:
Langues Papoues
Pacific linguistics C 38, Canberra,
261.
(28) Ibid.
(29) Ibid.
(30) R.L. Kirk, "Mouvements de population dans le Sud Ouest du
Pacifique : l'évidence
génétique", papier présenté dans le cadre de Collège de Recherches et d'Études du
Pacifique, Université Nationale Australienne, Série du Séminaire La
Connection
Indonésienne, 2 nov. 1979.
(31) S.A. Wurm, op. cit. (1982),
p.
262.
Société (tes
Études
Océaniennes
1551
deuxième
migration
papoue
qui recouvrit la première. Les
migration qui a des caracté¬
descendants survivants de la deuxième
ristiques structurelles faciles à identifier
se trouvent dans l'extrême
Ouest de la Nouvelle-Guinée et des traces de leur
présence passée
existent dans plusieurs endroits de Nouvelle-Guinée sous forme
d'éléments de substrat (32).
La
principale migration
situe à environ 3000 ans
pense-t-on - dans une région
immédiatement à l'Ouest de la Nouvelle-Guinée traversa entiè¬
papoue se
A.J.C., lorsqu'un groupe vivant
-
l'île (33). Les langues comprises dans cette
migration
appartiennent à l'immense Phylum Trans-Nouvelle-Guinée
mentionné plus haut. La date approximative de 3000 ans A.J.C.
pour la migration principale est déduite du fait de la présence de
mots austronésiens empruntés que les
Papous recueillirent à
rement
l'Ouest de la Nouvelle-Guinée avant le
commencement
de la
migration. Ce qui signifie que les formes ancestrales des langues du
Phylum Trans-Nouvelle-Guinée avaient eu un contact étroit avec
des Austronésiens parlant une forme ancienne d'Austronésien.
Étant donné que les Austronésiens auraient atteint la région à
l'Ouest de la Nouvelle-Guinée il y a environ 5000-5500 ans
(34) la
date de 3000 ans A.J.C. pour le début de la
migration du Phylum
Trans-Nouvelle-Guinée paraît raisonnable.
Ainsi les langues du Phylum Trans-Nouvelle-Guinée recou¬
vrirent, chemin faisant, les langues plus anciennes, laissant des
traces de ces langues sous forme d'éléments de substrat. Pourtant
la culture maternelle ancienne et les autres
caractéristiques
culturelles n'en furent pas affectées (35). La
migration principale
Papoue atteignait également Timor depuis le territoire de la
Nouvelle-Guinée. On pense qu'elle prit environ 1000 ans pour
couvrir entièrement la grande île (36).
Wurm pense également que la migration
principale du
Phylum Trans-Nouvelle-Guinée a peut-être déplacé un groupe de
langues plus ancien situé à la pointe Sud Est de la PapouasieNouvelle-Guinée. Il pense que ce groupe de langues se déplaça vers
(32) Ibid.
(33) S.A. Wurm, "Langues Papoues", dans R.J. May & Hank Nelson, eds. Mélanésie : Au
delà de la diversité, Collège de Recherches et d'études du Pacifique, ANU, 1982 b :
225-240.
(34) P. Bellwood, "Le peuplement du Pacifique", Scientific American, vol. 243/5
1980.
(35) S.A. Wurm,
(36) Ibid.
op.
cit., (1982 b),
p.
Société des
235.
Études
Océaniennes
:
143,
1552
l'île Rossel laissant derrière lui un substrat lexical et structural
(37).
Au même moment les langues papoues
déplacées de la Papouasie
du Sud-Est auraient atteint la
Nouvelle-Bretagne et la NouvelleIrlande, déplaçant là à leur tour des langues plus anciennes (38).
De l'île Rossel, il semble que les locuteurs de
langue papoue se
déplacèrent jusqu'aux Salomon de l'Ouest et du Centre, peut-être
après avoir appris des techniques de navigation maritime des
Austronésiens, et s'étendant aussi loin que Santa Cruz. L'existence
de langues papoues au Sud Est de Santa Cruz n'a
pas été
démontrée bien que la possibilité de leur déplacement
jusqu'au Sud
du Vanuatu et jusqu'en Nouvelle-Calédonie ait été
envisagée (39).
Une migration rétrograde d'Est en Ouest semble avoir eu lieu
à l'intérieur des langues papoues vers les années 2000-1500
A.J.C.,
après que les Austronésiens eurent atteint la Nouvelle-Bretagne et
la Nouvelle-Irlande. Wurm
pense que la migration partit de la
vallée Markham et répandit ce qu'il
appelle des "emprunts
austronésiens de l'Est relativement récents" dans
importante du Phylum Trans-Nouvelle-Guinée (40).
une
partie
Une dernière note sur les langues
papoues concerne la région
de Sepik-Ramu, hors du Phylum Trans-Nouvelle-Guinée mais
constituant à elle seule un
sous-groupe important. Ce groupe
linguistique semble partager un certain nombre de caractéristiques
culturelles et génétiques avec les Aborigènes australiens
(41), par
exemple l'usage de lance-épieux, leur technique de peintures sur
surfaces plates (semblable aux peintures
aborigènes sur écorce) et
le fait que leurs gongs fendus utilisés
par paires soient accordés à
un intervalle
identique à celui surventé du "didgeridoo" (42)
australien. Laycock a lui aussi
indiqué quelques similitudes
lexicales entre les deux groupes (43). Il est tentant de considérer les
usagers de la langue du Phylum Sepik-Ramu comme
vestiges de la
migration originelle des Aborigènes australiens, qui traversa la
Papouasie-Nouvelle-Guinée à une époque beaucoup plus reculée.
La Famille
linguistique austronésienne (Malayo-Polynésienne) avec environ 800 langues et 120.000.000 de locuteurs
s'étend de Madagascar dans l'Ouest à l'île de
Pâques dans l'Est.
(37) S.A. Wurm,
(38) S.A. Wurm,
(39) S.A. Wurm,
(40) S.A. Wurm,
(41) S.A. Wurm,
op.
op.
op.
op.
op.
cit., (1982 b),
cit., (1982 a),
cit., (1982 a),
p.
236.
p.
266.
p.
2, et communication personnelle.
cit., (1980), p. 31.
cit., (1982 b), p. 237.
(42) Ibid.
(43) D.C. Laycock, "Trois langues
Lamalamiques du Nord Queensland", Pacific
Linguistics,
A 17
:
71-97.
Société des
Études
Océaniennes
1553
Les langues austronésiennes sont couramment parlées à
Madagascar, dans la péninsule malaise, le Sud du Vietnam,
l'Indonésie et les Philippines et sont également parlées par les
populations aborigènes de Taiwan qui, jusqu'à il y a environ
500 ans y constituaient pratiquement toute la population (44).
L'origine de la famille âustronésienne daterait environ de 7000 ans,
d'après ce que l'on s'accorde à penser (45).
En dehors du fait qu'il existe encore beaucoup d'inconnues,
tout particulièrement au niveau inférieur de "l'arbre généalogique",
le sous groupement au niveau plus élevé des langues austro¬
nésiennes et les implications qui en résultent en termes de théorie
de migration, a fait ces dernières années, beaucoup de progrès. Les
relations au niveau plus élevé entre les langues austronésiennes
peuvent être représentées de la façon suivante :
Austronésien (46)
Atayalic
Tsouic
[947]
(47)
Malayo-Polynésien [933]
aiwanic
Occidental'
Oriental-Central
[348]
[585]
Central-
Oriental
[87]
[498]
S. Halmahera-
Océanique
[447]
W. Nlle-Guinée
[42]
Fig. 1
:
Langues austronésiennes.
(44) D.T. Tryon, "Langues Austronésiennes", dans R.J. May & Hank Nelson, eds,
Mélanésie : Au-delà de la diversité, Collège de Recherches et d'Études du Pacifique,
ANU, 1982 : 241-248.
(45) P. Bellwood,
op.
cit.,
p.
143
;
W.A. Foley, "Histoire des migrations en Indonésie vues
par un linguiste", papier présenté dans le cadre du Collège de Recherches et
du Pacifique, ANU série Séminaire La Connection Indonésienne, 2 nov.
d'Études
1979.
(46) R.A. Blust, "Malayo-Polynésien de l'Est : une discussion de sous groupement", Déli¬
bérations de la deuxième conférence internationale sur la linguistique Austronésienne,
Fasicule 1 : 181-234, Pacific linguistics, C 61, Canberra, 1978 a.
(47) Les chiffres entre crochets représentent des "communautés de langage" c'est-à-dire des
communautés reconnaissant que leqr langue diffère de celle de leurs voisins aussi bien
au niveau de la langue que sur le plan dialectal ; Ruhlen, M. "Austronésien",
Polycopié, 1982.
Sôciété des
Études
Océaniennes
1554
Sommairement,
on
estime que les langues aborigènes de
Taiwan constituent 3 des 4 sous groupes de première
catégorie des
Austronésiennes reconnues par la plupart des linguistes aujour¬
d'hui. En fait, Taiwan (et avant elle la région Sud de la
Chine) est
considérée par la plupart comme la patrie la plus probable des
langues austronésiennes (48).
Il a été démontré que toutes les langues
austronésiennes,
Taiwan mis à part, constituent un sous groupe de première
catégorie appelé Malayo-Polynésiçn (49). Cet énorme sous-groupe,
dorénavant qualifié simplement d'Austronésien se déplaça
de
Taiwan vers les Philippines et les traversant éventuellement dans
leur totalité. Des Philippines, un
groupe apparemment se dirigea
vers le Sud Ouest, traversant Bornéo et ensuite Sumatra et
Java,
avec certains rameaux de cette
migration pénétrant la péninsule
malaise et l'Est de l'Indo Chine (50).
Cette migration correspond au sous-groupe malayo-Polynésien Occidental (Fig. 1). Les autres principales migrations depuis
les Philippines amenèrent les Austronésiens tout d'abord au Nord
du Sulawesi. De là on pense qu'elles suivirent deux chemins : l'un
traversant le Sulawesi vers le Sud
jusqu'à la région de CeramAmbon et Timor, correspondant au sous
groupe MalayoPolynésien Central (Fig. 1) ; l'autre traversa Halmahera vers le Sud
jusqu'au N.E. du Continent de la Nouvelle-Guinée, correspondant
au sous
groupe Malayo-Polynésien Oriental (Fig. 1). On pense
couramment que les Austronésiens arrivèrent dans l'Ouest de la
Nouvelle-Guinée environ 3500 ans A.J.C. (51). Blust a démontré de
manière convaincante la validité du sous groupe MalayoPolynésien Oriental et sa division en sous groupe du Sud
Halmahera-Nouvelle-Guinée Ouest et en sous groupe océa¬
nique (52). Ce sous groupe renferme toutes les langues austro¬
nésiennes de Mélanésie, Polynésie et Micronésie (53). Blust ne fut
pas le premier à reconnaître l'existence du sous groupe océanique
des Austronésiens. Le mérite de cette découverte revient à
Dempwolff (54).
(48) D.T. Tryon, op. cit., p. 242.
(49) R.A. Blust, "La valeur linguistique de la ligne. Wallace",
Bijdragen Tot de Taal, Land
en Volkenkunde, Deel
38, S-Gravenhage, pp. 231-250. 1982.
(50) D.T. Tryon,. op. cit., p. 242 ; S.A. Wurm, op. cit., (1980),
p. 34.
(51) P. Bellwood, op. cit., p. 146.
(52) R.A. Blust, op. cit., 1978 a.
(53) D.T. Tryon, op. cit., p. 242.
(54) O. Dempwolff, Vergleichende Lautlehre des Austronesischen
Wortschatzes, Zeitschrift
fur
Eingeborenen-Sprachen, Supplements 15(1934), 17(1937), 19(1938), Reimer,
Berlin.
Société ctes
Études
Océaniennes
1555
Avant de
à discuter le
sous groupe océanique, il
des
qu'en plus
migrations énumérées précé¬
demment il y eut apparemment de nombreuses migrations plus
petites qui s'entrecroisèrent sur toute la surface de langue
austronésienne à l'Ouest de la Nouvelle-Guinée particulièrement
aux Philippines et dans l'Ouest de l'Indonésie. Dans ces régions,
des migrations relativement récentes semblent avoir recouvert et
étouffé la diversité de langues, produisant ainsi une homogénéité
régionale qui ne correspond pas avec l'âge présumé de l'établis¬
sement connu des Austronésiens dans la région. En même temps,
les langues de ces régions semblent avoir changé beaucoup plus
lentement que les langues appartenant au sous groupe MalayoPolynésien Oriental (55).
Dans une note finale sur la région non-océanique, Dahl a
montré que Madagascar avait été peuplé par une migration
austronésienne venant de Bornéo il y a environ 2500 ans,
postérieurement aux migrations premières signalées ci-dessus (56).
Les langues océaniques se déplacèrent probablement de la
région de Halmahera/Nouvelle-Guinée de l'Ouest, certainement de
l'Est de l'Indonésie, passèrent le long de la Côte Nord de la
Nouvelle-Guinée et s'installèrent dans la région de NouvelleBretagne/ Nouvelle-Irlande environ 3000 ans A.J.C. (57). Là il
semble qu'ils soient restés quelque temps sans être trop dérangés, à
en juger par les inhovations phonologiques et
morpho-syntaxiques
partagées par le sous groupe océanique austronésien. C'est dans
cette région qu'ils vinrent en contact avec les langues papoues dont
l'influence linguistique sera discutée plus tard dans ce papier.
Partant de la région de Nouvelle-Bretagne/Nouvelle-Irlande,
les migrations se dispersèrent en plusieurs directions vers l'Ouest en
commencer
est bon d'observer
direction de la Côte Nord et Nord-Ouest du Continent de
Papouasie-Nouvelle-Guinée (côte difficile d'accès pour la plus
grande partie de l'année) et en direction du Sud vers plusieurs
endroits de la côte de cette île immense (58). D'autres migrations se
déplacèrent vers le Sud-Est filtrant à travers toute la chaîne
mélanésienne par les Salomon, le Vanuatu et la NouvelleCalédonie et atteignant les Fidji aux environs de 1500 A.J.C. (59).
(55) R.A. Blust, "Variations dans le taux de rétention dans les langues Austronésiennes",
polycopié, 1981.
(56) O.C. Dahl, Malgache et Maanjan : une comparaison linguistique, Études, Institut
Egede, Oslo, 1951.
(57) P. Bellwood, op. cit., p. 144.
(58) D.T. Tryon, op. cit., p. 243.
(59) A. Pawley & R.C. Green, "Datage de la dispersion des langues Océaniques", Oceanic
linguistics, XII, 1/2 : 1-68.
Sbciété des
Études
Océaniennes
1556
près à cette époque l'on croit qu'une série de migrations
dans la région du Centre et du Nord du Vanuatu, l'une
se dirigeant vers le Nord répandant les langues austronésiennes à
travers la Micronésie (on possède les preuves d'une dissémination
d'Est en Ouest) (60) ; une autre se dirigeant vers le Sud-Est jusqu'à
l'archipel des Fidji et de là, après une période de consolidation, les
langues polynésiennes se développèrent quittant la zone TongaNiue aux environs de 1000 ans A.J.C. (61).
A peu
commença
Les
langues de Polynésie ont été sérieusement étudiées au
ou 30 dernières années et l'histoire de leurs migrations
assez nettement établie. Depuis la zone Tonga-Niue elles se
répandirent d'abord dans le groupe des Samoa et des Tokelau vers
500 A.J.C. Un peu plus tard, une partie des Polynésiens refluèrent
vers les parties de la Mélanésie et de la Micronésie, depuis un
certain nombre de groupes d'îles près et autour des Samoa (62),
laissant quelques langues dites "polynésiennes marginales"
dispersées, dans les îles de Mélanésie et de Micronésie (63). A
partir des Samoa, les langues polynésiennes se répandirent
également vers l'Est, vers les îles de la Polynésie Orientale, à savoir
les Marquises, l'île de Pâques, la Société, les Tuamotu, les Gambier
et Hawaii. A partir des Iles de la Société, les Polynésiens et leurs
langues/dialectes se déplacèrent en direction des Iles Cook et de là
vers la lointaine Nouvelle-Zéande. Cette expansion des Polyné¬
siens vers l'Est à partir des Samoa se situe entre 100 (date de
l'établissement aux Marquises) et 900 ans de notre ère (lorsque la
Nouvelle-Zélande fut peuplée) (64). L'île de Pâques a constitué un
problème particulier car s'il est généralement admis que Rapanui,
langue de l'île de Pâques fut la première à se séparer des
langues/dialectes polynésiens à l'Est des Samoa, les détails de
développement à l'intérieur de la langue polynésienne ne sont pas
encore très clairs (65).
On peut dire qu'en termes de langues austronésiennes le
schéma des migrations basé sur les preuves linguistiques semble
être sans controverse et réglé. Sous certains aspects c'est vrai.
cours
des 20
(60) R. Shutler & J.C. Marck, "Sur la dispersion des cultivateurs de jardins Austronésiens",
Archaeology & Physical Anthropology in Oceania, Vol. X, n° 2 : 81-113, 1975.
(61) A. Pawley & R.C. Green, op. cit., p. 42.
(62) A. Pawley, "Les relations des langues marginales Polynésiennes", Journal of the
Polynesian Society, 76 : 259-296, 1967.
(63) Ibid.
(64) P. Bellwood, op. cit., p. 147 ; S.A. Wurm, op. cit., (1980), p. 33.
(65) Voir R. Langdon & D.T. Tryon, op. cit. ; également R.C. Green, "Sous groupement
linguistique à l'intérieur de la Polynésie : les implications dans le peuplement préhis¬
torique", Journal of the Polynesian Society, 75 : 6-38, 1966.
Société des
Études
Océaniennes
1557
Toutefois
l'énorme
un
problème important qui n'a pas été réglé concerne
groupe
de langues austronésiennes appelé
sous
océanique.
Il y a d'abord le grand nombre de langues, près de 450 en tout, •
à l'intérieur du sous groupe océanique. Plusieurs raisons ont été
données pour le développement d'un si grand nombre de langues
différentes. Tout récemment, Pawley avait dit que le degré
d'évolution linguistique en Océanie est fonction du temps plus que
l'isolement et autres facteurs géographiques (66). Un autre
problème n'est pas tellement le nombre, mais le caractère
hétérogène des types de langues en Mélanésie. Lynch prétend, et
avec succès je pense, que la diversité type "plusieurs groupes par
région" caractéristique de la zone mélanésienne est due dans une
grande mesure à des contacts extérieurs, en particulier avec des
langues papoues (67).
Il y a toutefois un problème central à résoudre avant de
pouvoir discuter du peuplement du Pacifique en général et de la
Mélanésie en particulier. Ce problème concerne le sousgroupement du groupe océanique à l'intérieur des langues
austronésiennes.
Grace divisa les
langues océaniques en 20 sous groupes, que
pratiquement tout le monde suppose être des sous groupes
d'Océanique de première catégorie (68), comme suit :
Nouvelle-Calédonie
-
Iles
-
-
Nouvelle-Irlande et Tolai
-
Loyauté
Buka et
-
Santa Cruz
-
-
Province Centrale (PNG)
Polynésien
-
Baie Milne et Provinces du Nord
Fidjien
-
Vanuatu Sud
-
PROTO
Rotuma
Baie de l'Astrolabe
-
Vanuatu Centre et Nord Ouest
Vanuatu Nord-Est et Iles
Banks
Micronésien
-
-
Fig. 2
:
-
-
-
Salomon du Sud Est
-
Iles Manam et Schouten
Provinces du
Baie de
Sepik (PNG)
Jayapura
Côte de Sarmi
Nouvelle-Georgie
-
Iles de l'Ouest et de
Choiseul
-
Wuvulu et Aua
Sous groupe océanique
(PNG)
Province de Morobe (PNG)
OCEANIC
-
Bougainville
Nouvelle-Bretagne du Sud-Ouest
l'Amirauté
de l'Austronésien
l'homogénéité Polynésienne : une explication
dans J. Hollyman & A. Pawley, eds, Etudes sur les langues et
hommage à Bruce Biggs, Linguistic Society of NZ, Auckland,
(66) A. Pawley, "La diversité Mélanésienne et
unifiée pour la langue",
cultures du Pacifique en
pp.
269-309.
Mélanésienne et homogénéité Polynésienne : réponse à
Pawley", Séminaire Départementale, Section, linguistique, Collège de Recherches et
d'Études du Pacifique, ANU, 4 nov. 1982.
(67) J.D. Lynch, "Diversité
(68) G.W. Grace,
op.
cit.
Société des
Études Océaniennes
1558
Le fait que de nombreux savants aient
supposé que les
subdivisions de Grace étaient des sous-groupes océaniques de
première catégorie a d'importantes implications pour toute
sur les migrations. En effet,
Pawley considère que le
Proto-océanique, forme ancestrale des langues océaniques
d'aujourd'hui était parlé sur une vaste étendue, opinion basée sur la
distribution géographique très étendue de sous-groupes océaniques
de première catégorie telle qu'on la trouve dans "l'arbre
généalo¬
gique" de Grace (69). La question est de savoir jusqu'à quel point
"l'arbre" est une représentation exacte des hypothèses courantes de
sous groupements. De nombreux savants,
(dont Pawley) ont
considéré l'arbre de Grace comme étant largement non stratifié et
que les embranchements sur cet arbre représentent des branches
primaires d'Océanique. On sait maintenant que telle n'était pas
l'intention de Grace (70).
discussion
Grace considérait que les corrélations entre les
sous-groupes
devaient faire l'objet d'investigations ultérieures. En effet des
recherches récentes
montré que le caractère non stratifié de ce
appelerons "l'arbre océanique" faute d'un meilleur terme,
ne peut plus être admis
beaucoup plus longtemps. Un certain
nombre de combinaisons de sous-groupes ou de
parties de sousgroupes inscrites dans l'arbre de Grace ont été avancées ces
ont
que nous
dernières années et certaines d'entre elles sont considérées comme
assez solides par bon nombre de
linguistes. Elles comprennent
:
a)
de l'extrémité papoue (du Sud-Est) comprenant les
langues de la baie de Milne et la Province Centrale de
Papouasie Nouvelle-Guinée (71).
b)
Siassi représenté par les langues de la Côte Nord de
Papouasie Nouvelle-Guinée en même temps que les îles côtières
depuis la frontière de Papouasie Nouvelle-Guinée jusqu'à la
Péninsule de Huon, de plus, le groupe Bariai de
l'Ouest de la
Nouvelle-Bretagne et les langues des Détroits de Viotiaz (72).
un groupe
un groupe
(69) Ibid.
(70) J.D. Lynch,
op.
cit.,
p.
12.
(71) M.D. Ross, "Les langues Austronésiennes de Papouasie
polycopié, 1979.
(72) M.D. Ross, "Relations des langues Austronésiennes du
.
vers un
arbre généalogique",
Sépik et de la Côte Ouest de
Nouvelle-Guinée", polycopié, 1977 ; P.C. Lincoln, "Étude de la côte Rai" :
premier compte-rendu", papier présenté au Congrès Annuel de la Société linguistique
de la Papouasie Nouvelle-Guinée, 1976
; P.C. Lincoln, "Sous groupement à travers un
isoglosse syntactique", polycopié, 1977 ; J. Bradshaw, "Convergence et divergence dans
les langues du Golfe de
Huon, polycopié, 1977.
Madang
en
Sociétéiles
Études
Océaniennes
1559
c)
un groupe
et
avec
de l'Amirauté (73), les langues des Iles de l'Amirauté
Wuvulu et Aua ensemble.
des Salomon de l'Ouest, consistant en langues de
Choiseul, Nouvelle-Georgie et toute l'île de Santa Isabel, sauf
Bugotu (74).
d)
un groupe
e)
un sous-groupe de l'Ouest océanique comprenant les langues
des Salomon du Sud Est, du Centre et Nord Vanuatu, Fidjien et
f)
un sous-groupe du
du sous-groupe
Polynésien (75).
Centre Océanique, représenté par les langues
océanique de l'Est tels que les définit
Pawley (76) ensemble avec les langues des îles du Sud-Est,
autour de Santa-Cruz ; dans les Salomon et les langues du Sud
du Vanuatu (77).
Bien qu'il n'y ait peut-être pas
de tous les sous-groupes indiqués
soit possible de stratifier l'arbre
d'accord unanime sur la validité
ci-dessus, il paraît certain qu'il
océanique. Et il ne serait pas
surprenant que l'on puisse établir que les langues austronésiennes
de Nouvelle-Irlande, Bougainville et des Salomon de l'Ouest
fassent partie d'un seul sous-groupe de langues océaniques (78).
Le Proto-océanique tel qu'il est maintenant reconstitué l'a été
sur la base de ces langues qui sont bien connues, plutôt que sur une
hypothèse de sous groupement bien définie. Ce qui est particuliè¬
rement nécessaire, tandis que nous nous acheminons vers une
image plus détaillée des migrations océaniques, c'est la reconsti¬
tution et la comparaison des états successifs des langues à travers
les sous-groupes.
Bien qu'un consensus
ait été largement atteint pour ce qui
de niveau plus important, en termes de
langues austronésiennes nous sommes encore relativement loin
concerne
les sous-groupes
(73) R.A. Blust, "Étude de la langue Manus : compte-rendu définitif', polycopié, 1975 ;
R.A. Blust, "Les Consonnes alvéo-palatales Proto-Océaniques, Polynesian Society,
Mémoire 43,
Wellington, 1978 b
;
A. Healy, "Langues Austronésiennes
:
les îles de
l'Amirauté", dans S.A. Wurm, ed, langues de la région de Nouvelle-Guinée et leur
étude, vol. 2, langues Austronésiennes, Pacific Linguistics, C 39 : 349-364, 1976.
(74) D.T. Tryon & B.D. Hackman, "Langues des Iles Salomon : une
Pacific
classification interne",
Linguistics, C 72, Canberra, 1983.
(75) A. Pawley, "Relations internes entre les langues océaniques de l'Est'', dans R.C. Green
& M. Kelly, eds, Etudes d'histoire de la culture océanique, vol. 3, Archives anthropo¬
logiques du Pacifique, n° 13, B.P. Bishop Museum, Honolulu, pp. 1-142, 1972.
(76) A. Pawley,
op.
cit., (1972).
(77) J.D. Lynch & D.T. Tryon, "Océanique central : une
hypothèse de
sous
groupement",
papier présenté au XVème Congrès des Sciences du Pacifique, Dunedin, 1983.
(78) M.D. Ross (communication personnelle).
Sbciété des
Études
Océaniennes
1560
d'avoir présenté une
image généralement acceptable de la
préhistoire linguistique océanique. Bien que l'on soit d'accord sur
ce fait
que Proto-Océanique s'est développé et consolidé dans la
région de Nouvelle-Bretagne/Nouvelle-Irlande, tout compte-renda
d'une migration ultérieure doit être considéré comme
sujet à
révision, particulièrement en ce qui concerne le monde des Iles
mélanésiennes.
Ce qui émerge de la documentation
linguistique dans la région
Pacifique, bien que nos connaissances collectives des langues du
Pacifique se soient améliorées de façon saisissante au cours des
dernières années, c'est qu'il existe encore de grands vides
qui
du
devront être comblés avant que nous ne soyons en mesure
de faire
des exposés définitifs sur la préhistoire
linguistique de cette vaste
étendue.
(traduit
par
B. Jaunez).
D.T. TRYON
Section
linguistique
École de Recherches
du Pacific
Univ. Nationale Australienne
Canberra.
Société des
Études
Océaniennes
1561
LES RECHERCHES PRÉHISTORIQUES
DANS L'ARC INSULINDIEN :
UNE BASE POUR LA COMPRÉHENSION
DU PEUPLEMENT DE
L'OCÉANIE
Le monde océanien a ses origines en Asie orientale, il est donc
bien évident que la connaissance de la préhistoire
asiatique ne peut
qu'aider à mieux comprendre les problèmes encore irrésolus en
Océanie et, notamment, ses processus de peuplement. Deux
domaines sont, ici, à considérer : celui de l'Australie et de ses deux
îles
annexes,
toutes
trois réunies pendarit la régression
wiirmienne (1), et que l'homme atteignit il y a de cela quelques
dizaines de milliers d'années, et celui de l'Océanie insulaire dont le
peuplement est considérablement plus récent, ne datant que de
quatre mille ans à l'ouest, et des premiers siècles de notre ère dans
le Pacifique oriental. Cette différence d'ordre chronologique
s'augmente d'une différence d'ordre culturel
genre
: permanence d'un
la cueillette, la pêche et la chasse en
Tasmanie et, ailleurs, arrivées d'hommes pratiquant
de vie fondé
Australie
et en
sur
l'élevage et l'horticulture, fabriquant des poteries, mais ignorant
le tissage, la roue et la métallurgie.
encore
L'origine du peuplement australien
Il est inutile de rappeler, ici, toutes les hypothèses jadis
formulées à ce sujet, parfois bien surprenantes mais généralement
(1)
...
formant le continent dit de "Sahul",
encore séparé de l'Asie par le petit archipel de la
asiatique s'étendait alors jusqu'à Bali et Bornéo, formant le
"Sunda" (cf. figure n° 1).
"Wallacea". Le continent
sous-continent dit de
Société des
Études
Océaniennes
1562
Société des
Études
Océaniennes
1563
fondées
de vagues
analogies anatomiques remarquées chez
populations australiennes et non australiennes. Des
anthropologues tentèrent ensuite de clarifier la question, par
l'étude anthropométrique de différentes populations aborigènes
contemporaines, aboutissant généralement à une classification
tripartite qui devrait correspondre à trois migrations successives.
On objecta bientôt que ces différences pouvaient être d'ordre
phénotypiques et, les premiers australiens, appartenir à une seule et
même race asiatique. Le dilemne restait insoluble faute de bases de
comparaison en Asie sud-orientale et faute de documents ostéologiques préhistoriques et suffisamment nombreux en Australie
même (2). La question devait rebondir dans les années 1970, après
sur
diverses
la découverte de
l'Australie
nouveaux
hommes fossiles dans le sud de
de
Mungo à partir de 1968 et de Kow Swamp en
particulier. Le site de Mungo révélait d'abord l'ancienneté de la
présence de l'homme dans le sud de l'Australie : plus de
30.000 ans (3), mais aussi l'anatomie crânienne et mandibulaire de
ses premiers occupants (4) : leurs caractères
morphologiques ne
s'écarte pas de ceux des Aborigènes actuels, compte-tenu des
variations observables chez ces derniers, sauf, peut-être, en ce qui
concerne la massivité des mâchoires. A partir de 1969, d'autres
fossiles humains furent mis au jour à Kow Swamp (à 350 km au
sud de Mungo), dans une couche de sédiments déposés entre
13.000 et 9.000 BP (5), donc plus récents que ceux des fossiles de
Mungo. Il s'agit ici d'une quarantaine de sépultures. La morpho¬
logie crânienne, faciale et mandibulaire de quinze individus (les
mieux conservés), présente des traits plus archaïques que ceux des
: ceux
(2) Une demi-douzaine
et tous
localisés dans le sud de l'Australie.
(3) La datation la plus ancienne d'une présence humaine au site de Mungo est de 32.750 ±
1.250 BP. Récemment, un site de la Rivière Swan a été daté de 35.500 ± 2.300/1.800 :
R.H. Pearce et M. Barbelti "A 38.000 years-old site at Upper, Western Australia",
Archaeology in Oceania, 16, 1981, p. 173-178. Cf. également J. Peter White et James
F. O'Connel : "A Prehistory of Australia, New Guinea and Sahul", Academic Press,
Sydney, 1982, largement utilisé pour cet article dans la mesure où il présente la plus
récente et complète synthèse de la préhistoire de Sahul.
(4) Mungo I (un homme) et Mungo 111 (une femme) les mieux conservés, ont pu faire l'objet
d'études morphologiques. Mungo I est daté de 24.500/26.500 BP et Mungo 111 de
28.000/30.000 BP, d'après leur situation stratigraphique, stratigraphie elle-même bien
documentée chronologiquement (cf. : J.M. Bowler in "Aboriginal Man and
Environnement in Australia, D.J. Mulvaney et J. Golson éd., Canberra, 1971, p. 47-65 ;
J.M.
Bowler, R. Jones, H. Allen et A.G. Thorne
Australia
:
"Pleistocene human remains from
A
living site and human cremation from Lake Mungo, western New South
Wales", in World Archaeology, 2, 1970, p. 39-60 ; J.M. Bowler et A. G. Thorne in : "The
origine of the Australian", R.L. Kirk et A.G. Thorne éd., Canberra, 1976, p. 127-138.
:
(5) Cette évaluation est fondée sur deux datations considérées comme satisfaisantes, l'une
de 9.300 ± 220 (apatite des tissus osseux), l'autre de 13.000 ± 280 (coquillages d'eau
douce associés
aux
sépultures), cf. J.P. White et J.F. O'Connel,
Société des
Études
Océaniennes
opus
cite, 1982,
p.
78.
1564
fossiles de
Mungo, pourtant plus récents, et notamment : une face
plus prognate et des arcades sourcilières plus saillantes. Ces
caractères "primitifs" sont également connus chez d'autres fossiles
de cette même région australienne (6). Ces découvertes de
Mungo
et de Kow Swamp
semblaient confirmer les théories précédemment
avancées quant à une origine multiraciale des
Aborigènes et, au
moins, bigénétique : l'Homme de Mungo étant apparenté à celui de
Wadjak et ceux de Kow Swamp étant les descendants plus ou
moins directs de l'Homme de Ngandong, forme
évoluée d'Homo
erectus. L'inversion
chronologique de leur situation dans la même
région australienne posait néanmoins problème (survivance ou
résurgence de types morphologiques datant de 150.000 ans à
Java ?). Plusieurs modèles
d'explications furent proposés,
concernant aussi les processus
d'apparition de ces deux types
d'anthropiens, et leur filiation avec les Aborigènes récents,
modèles (7) qu'on peut ainsi en
partie résumer (figure 2). En fait, de
récents travaux semblent résoudre ces
problèmes : l'ancien crâne de
Talgai, mieux dégagé de sa gangue calcaire, a perdu de son
épaisseur, les régions postérieures et basales de crânes de Kow
Swamp n'offrent guère de différence avec ceux de Mungo, avec
lesquels ils partagent une même robustesse des mâchoires et un
comparable développement de la voûte palatine. Enfin... le front
fuyant des hommes de Kow Swamp et autres descendants supposés
de Y Homo erectus tardif (une
quarantaine étudiés, dont les vingtcinq crânes de Coobool Crossing), semble réellement être le
résultat d'une déformation artificielle, du même
genre que celle qui
était encore pratiquée au Cape York au dix-neuvième siècle
(8).
Quel que soit l'avenir de cette aventure paléontologique, on
peut se demander si l'on retrouvera jamais des fossiles identiques
en Asie du Sud-Est et dans le sud
australien : les milieux
pléistocènes
y
furent très différents,
l'Holocène. Peut-être
en
comme
découvrira-t-on
un
le fut leur évolution à
jour dans le nord du
(6) Tels
ceux de Talgai (découvert en 1886), de Cohuna
(1925), de Coobool Crossing (1950),
Mossgiel (1960) et, auxquels il faut ajouter un site de la côte nord-ouest : Cossac
(1979). Coobool Crossing comprend vingt-cinq crânes mais non stratigraphiquement
situés (J.P. White et J.F. O'Connol,
opus cite, 1982, p. 223-224). Les autres fossiles
de
dateraient du Pleistocène récent.
(7) Cf. en particulier : A.G. Thorne, in "Sunda and Sahul,
Prehistoric Studies in Southeast
Asia, Melanesia and Australia", J. Allen, J. Golson et R. Jones
éd., Academic Press,
Londres, 1977, p. 187-204.
Brown
:
(8) P.
"Artifical cranial deformation : A
component in the variation in Pleistocene
Australian Aboriginal crania", in
Archaeology in Oceania, 16, 1981, p. 156-167 et J.P.
White et J.F. O'Connol,
opus cite, 1982, p. 223-224.
Société des
Études
Océaniennes
1565
1
2
3
KS_
V/.
M
W.
M
Ng
M
.Ab
_
.Ab
.w.
:
Homme de Ngandong
KS
:
Homme de Kow
:
.Ab
-
KS.
Ng
W
.Ab
_
KS-
Ng
Ng
AUSTRALIE
SAHUL
WALLACEA
Ng
w.
4
HOLOCÈNE
RÉCENT
PLEISTOCENE
SUNDA
Homme de
M
Swamp
Ab
Homme de
:
:
Mungo
Aborigènes récents (et diversifiés)
Wadjak
Figure n° 2 : Différents "modèles" quant à l'origine des Aborigènes australiens.
1
Ng est l'ancêtre de KS qui s'est éteint tardivement en Australie.
W est l'ancêtre de M qui a évolué sur Sahul pour donner Ab.
—
2
—
KS et M sont arrivées
ont donné Ab.
3
—
4
=
en
des
époques différentes
sur
Sahul et,
par
métissage,
KS et M sont arrivés
en des temps et des lieux différents sur Sahul et, par
métissage tardif, ont donné Ab.
Ng a évolué vers W puis vers un ancêtre indéterminé de Ab (— X), qui a
évolué dans des milieux différents sur Sahul pour donner KS et M, lesquels,
par métissage, donneront Ab.
continent ou en Nouvelle-Guinée ? On peut cependant penser qu'ils
sont à jamais enfouis dans les grandes plaines de Timor et
par la mer depuis l'Holocène. Il s'en faut
néanmoins qu'une meilleure connaissance de la préhistoire du SudEst asiatique ne puisse contribuer à éclairer nombre de problèmes
d'Arafoura, envahies
qui restent irrésolus et, notamment pour ce qui concerne
l'évolution des cultures matérielles en Australie et en NouvelleGuinée. L'outillage lithique des Tasmaniens, en effet, n'a guère
évolué au cours de leur préhistoire (9), conservant les caractères de
(9) La date la plus ancienne actuellement connue pour la Tasmanie est de 22.750 ± 420 BP,
elle concerne un abri sous roche de l'île de Hunter, île qui faisait partie de la Tasmanie et
du continent de Sahul. La dernière transgression marine a envahi le détroit de Bass et
isolé les sommets de l'ancien pont terrestre
Tasmanie, entre 12.000 et 8.500 BP.
Société des
Études
(où les populations
Océaniennes
se sont
éteintes), et la
1566
la "core tool and scraper
tradition" des premiers temps de Sahul
grattoirs nucléiformes, éclats massifs peu ou non
retouchés, et non emmanchés. Il y a quelque vingt mille ans au
contraire, dans le nord de l'Australie et dans les Highlands de la
Nouvelle-Guinée occidentale (10), apparaissent de nouveaux outils
dont la forme suggère un emmanchement : de
grandes lames, les
unes à enlèvements bifaciaux et à
échancrures latérales, les autres à
tranchant poli et, parfois, à gorge
proximale (Figure n° 3). Ces
derniers outils existent, dès 30.000
BP/ dans le Sen-Doki japonais
mais également dans la péninsule indochinoise où ils
servirent
naguère à définir le Bacsonien, lui-même considéré, du fait de
l'existence de ce polissage, comme datant tout au
plus de 2.000 BC.
On trouve également de telles
pièces à Bornéo mais, ici encore, sans
certitude quant à leur chronologie. Leur
découverte, et leur
datation, dans les anciennes îles de la Wallacea, permettraient
d'expliquer leur apparition, en Australie et en Nouvelle-Guinée,
par des contacts culturels tardifs entre l'Asie du Sud-Est et Sahul.
Dans la négative, il faudrait admettre
que la technique du polissage
fut ici le fait d'une invention
indépendante. Une telle hypothèse
semble néanmoins peu
probable pour ce qui est de l'apparition en
Australie, vers 6.000 BP, de la "Small tool tradition", c'est-à-dire
celle d'un outillage très diversifié et souvent emmanché
: éclats et
lames parfois finement retouchés,
pièces à dos et microlithes
(Figure n° 4-a), avec un débitage de type levallois attesté dans le
Kimberley. C'est encore au Japon, à des dates beaucoup plus
anciennes, que les techniques de débitages évoluent pour obtenir
des outils sur lames de
types variés et qui rappellent, mutatis
mutandis, ceux de l'Ordos chinois et de l'Angara sibérien comme,
également, ceux du paléolithique supérieur de l'Inde. De telles
industries sont encore inconnues en Asie du
Sud-Est, si ce n'est
(Figure n° 4-b)
:
dans l'ouest de Java et dans deux îles : Palawan et Célèbes où
elles
sont datées de 5.000 et 4.000 BC. Par
ailleurs, la technique levallois
y serait associée à Célèbes (11). La. méconnaissance de la
préhistoire des îles de l'extrême Sud-Est asiatique ne permet donc
pas, une fois encore, de préciser si la "Small tool tradition" de
l'Australie a une origine extérieure ou locale. Son
plus grand
isolement, à l'Holocène, pourrait faire pencher pour la seconde
hypothèse, d'autant que l'Australie est restée également à l'écart
(10) Auncun site ancien
Guinée occidentale
inconnue.
(11) Peter Bellwood
décembre 1978
predecessors".
:
:
n'a
et
encore
la
été découvert dans les Basses Terres de la Nouvellede l'Irian-Jaya reste encore totalement
préhistoire ancienne
communication au colloque I.P.P.A. de Poona
(Inde), 19-22
"Holocène flake and blade industrie of Wallacea and their
Société des
Études
Océaniennes
1567
Figure n° 3 :1 et 2 = lames à échancrures latérales, 1) île Kangourou (Australie du
sud), 2) Highlands de Nouvelle-Guinée (Kosipe, environ 20.000 B.P.) ;
3 à 9 = lames a tranchant poli de la région d'Oenpelli (nord-ouest
de la terre d'Arnhem, Australie du nord) (environ 20.000 B.P.).
(d'après J.P. White et J.F. O-Connel, opus cite, p. 58 ;
J. Golson, in "Early Chinese Art and its possible influence in the Pacific Basin",
N. Barnard éd., Taiwan, 1975, p. 541 ;
D.J. Mulvaney, "The Prehistory of Australia", Londres, 1969, p. 130-131.
du
Figure n° 4, d'après J. Gar anger : "Australie,, Nouvelle-Guinée et Tasmanie Préhistoire et Archéologie", in Encyclopaedia Universalis, suppl. n° 1, 1980,
p. 239-243.
Société des
Études
Océaniennes
1568
d'influences plus tardives : celles des éleveurs-horticulteurs de
l'Asie insulaire. Mais cet isolement n'a pu être
que relatif. En effet,
reste aussi le problème de l'introduction du
dingo en Australie,
plus
moins contemporaine de l'apparition de la "Small tool
(12) et qui n'a pu se faire sans le secours de l'homme.
Son origine précise est une énigme que seule pourrait également
ou
tradition"
résoudre
une
ancêtres du
meilleure connaissance de l'Asie du Sud-Est où les
dingo sont
encore
inconnus.
L'origine du peuplement de l'Océanie insulaire
L'origine asiatique des populations de l'Océanie insulaire n'est
plus mise en doute (13). Elle est confirmée par la linguistique (14),
l'ethnobotanique et l'ethnozoologie (15), les témoins archéo¬
logiques et leur datation (Figure n° 5). En se fondant seulement sur
l'observation de caractères anatomiques, on a
depuis longtemps
cherché à expliquer leurs variations chez les insulaires océaniens
pour généralement conclure à une double origine raciale :
"australoïde" pour les Mélanésiens et
"mongoloïde" en ce qui
concerne les Micronésiens et les
Polynésiens. Le maintien de ces
caractères raciaux, chez les uns et les autres, ne
pouvait s'expliquer
que par une quasi absence de métissage. Le plus simple était alors
(12) Une date de 7.000 BP a été avancée pour sa présence dans le sud de l'Australie (J.P.
White in "Aboriginal Man and Environment in
Australia", opus cité, p. 191), mais
l'exactitude de sa position stratigraphique est contestée et la seule date non
douteuse
est de 3.000 BC (J.P. White et J.F.
O'Connel, opus cité, p. 104). Cette introduction
pourrait être néanmoins plus ancienne dans le nord de l'Australie, mais de toute façon,
Holocène dans le sud puisque le
dingo est inconnu en Tasmanie, n'ayant pu franchir, ni
probablement les hommes, le détroit de Bass depuis son extension maximum.
(13) Même si des contacts tardifs entre les Polynésiens orientaux et les Américains ne sont
pas à exclure, qui expliqueraient en particulier la présence
de la patate douce : Ipomea
batatas (L) lamk., en Polynésie avant l'arrivée des
Européens.
(14) Toutes les langues océaniennes appartiennent au groupe des langues austronésiennes
sauf, naturellement, celles de l'ancien continent de Sahul, totalement différentes.
L'Austronésien est également connu en Asie du
Sud-Est, continentale et insulaire, à
Taïwan, aux Philippines et jusqu'à Madagascar.
(15) En dehors de la patate douce, toutes les plantes cultivées par les Océaniens sont
d'origine Sud-asiatique, citons, en particulier, les plantes vivrières de base et, entre
autres, l'arbre à pain : Artocarpus altilis (Parkinson), les différentes Aracées dont le
taro : Colocasia esculenta
(Linn.), les ignames, les différents bananiers, le cocotier,
etc... (cf. J. Barrau : "Les
plantes alimentaires de l'Océanie, origine, distribution et
usages", Marseille 1962). La domestication de certaines espèces a pu commencer dans
les Highlands de Nouvelle-Guinée il
y a 9000 ans (travaux de Jack Golson et de son
équipe dans la région de Kuk : J. Golson, "Archaeology and agricultural
history in the
New Guinea Highlands, in "Problems in
Economic and Social Archaeology",
G. Sieveking, I.H. Longworth et K.E. Willson
éd., Londres, 1977, p. 201-220.
*
Il est également à noter que cette horticulture, en Asie
sud-orientale comme en Océanie,
est uniquement fondée sur la
multiplication végétative (par clones) et non sur la semence.
*
Les Océaniens ont également introduit, dans le
Pacifique, le chien, le porc, le poulet et le
rat, qui sont tous d'origine asiatique.
SociétéTles
Études
Océaniennes
1569
Figure n° 5 : L'Océanie préhistorique, d'après J. Garanger : "Australie, NouvelleGuinée et Tasmanie
Préhistoire et Archéologie", in Encyclopaedia Universalis,
suppl. n° 1, 1980, p. 1060-1064.
-
d'imaginer des voies de migrations distinctes : les ancêtres des
Mélanésiens ayant colonisé, les archipels du Pacifique sudoccidental et, les Polynésiens, le Pacifique central et oriental en
passant plus au nord : par la Micronésie. Un retour plus récent de
quelques Polynésiens vers l'ouest expliquait alors l'aspect métissé
de nombreuses populations mélanésiennes, comme l'actuelle
présence d'îlots polynésiens dans le Pacifique sud-occidental (16).
Les recherches archéologiques effectuées depuis une vingtaine
d'années et, notamment, la découverte d'une tradition céramique
dite "Lapita" en Mélanésie comme en Polynésie occidentale, ont
conduit peu à peu à nuancer, puis à remettre en question, cette
hypothèse d'une double voie migratoire (17), pour arriver
finalement à un faisceau d'hypothèses que l'on peut ainsi
schématiser
:
(16) C'était notamment la théorie développée par Peter Buck dans "Vikings of the Sunrise"
(1938). Elle a été également plus récemment développée par W.W. Howells : "The
Pacific Islanders" (1973).
Société des
Études
Océaniennes
1570
a) Horticulteurs et éleveurs, les Mélanésiens, venus d'Asie du SudEst, furent les premiers colonisateurs du Pacifique sudoccidental.
b) Les ancêtres des Polynésiens étaient des gens de mer. Ils
s'établirent peu à peu dans les îles mélanésiennes en pratiquant
l'échange de produits (dont leur poterie "Lapita") avec les
Mélanésiens.
c) Ils établirent ainsi des réseaux de relations interinsulaires qui
peu à peu s'étendirent du nord au sud et d'ouest en est.
d) Par
ces contacts avec les Mélanésiens (18), ils en reçurent une
meilleure pratique de l'horticulture (sinon cette pratique ellemême) et leur transmirent la technique céramique (19).
e) Ces ancêtres des Polynésiens, appelés parfois "les gens du
Lapita" ou "les proto-polynésiens", parviennent jusqu'aux
Fidji, Tonga et Samoa, terres alors encore inhabitées. Ces nou¬
veaux
espaces,
et les techniques
acquises auprès des
Mélanésiens, leur permettent un nouveau genre de vie plus
sédentaire. Cependant, après un millénaire, la pression démo¬
graphique interne oblige certains d'entre eux à s'exiler. Ils
découvrent ainsi la Polynésie centrale, puis les confins de la
Polynésie orientale, entre les années 300 et 900 de notre ère.
ne
Malgré sa simplicité et son apparente logique, un tel schéma
laisse cependant pas de poser quelques problèmes :
1) Il reste d'abord à démontrer que les Mélanésiens furent les
premiers colonisateurs des îles du Pacifique sud-occidental
(= a), où l'on ne connaît encore aucun site plus ancien que ceux
du "Lapita". S'ils ne furent pas les premiers, mais les
gens du
Lapita, avec qui ces derniers auraient-ils bien pu faire des
échanges (= b) ?
(17) Du fait de
ses qualités esthétiques, cette poterie fut, dès sa
première découverte à
(*), considérée comme polynésienne et non mélanésienne. Sa présence dans les
plus anciens niveaux de la Polynésie occidentale et l'absence, ici, de tout témoin d'une
culture mélanésienne a fait ensuite accréditer ce
premier postulat non scientifique.
*
Pour cette question du
Lapita et sa bibliographie, cf. : J. Garanger, "La poterie Lapita et
les Polynésiens" et "La poterie
Lapita, essai de bibliographie", Journal de la Société des
Océanistes, t. 30, n° 42-43, p. 7-15 et 42-43, Paris, 1974 ; cf. également, l'excellent ouvrage
de synthèse de P. Bellwood : "Man's
conquest of the Pacific", Auckland, 1978.
(18) Des pratiques endogames expliqueraient leur non métissage avec les mélanésiens.
(19) Dans l'état actuel de nos connaissances, les autres traditions céramiques, considérées
comme mélanésiennes,
apparaissent, en effet, plus tardivement et notamment, la
tradition dite de "Mangaasi" dont le site
éponyme a été étudié au Vanuatu (cf.
J. Garanger "Archéologie des
Nouvelles-Hébrides", Paris 1972).
Watom
Société des
Études
Océaniennes
1571
2) La découverte de nouveaux sites à poterie "Mangaasi" (20)
conduit à penser que cette poterie entrait dans des circuits
d'échanges, au même titre que le "Lapita".
3) L'étude de nouveaux sites "Lapita" montre que l'élevage et
l'horticulture y étaient pratiqués très
thèse "d" semble donc à rejeter.
anciennement (21), l'hypo¬
4) Un fait est aujourd'hui évident, fondé sur un ensemble de
datations 14C : l'extrême rapidité du peuplement "Lapita" dans
l'ensemble du Pacifique sud-occidental et central : deux ou trois
siècles (22). Le déferlement d'une immense vague de peuplement
pourrait expliquer cette rapidité, mais qui supposerait un tel
nombre de migrants que l'hypothèse est insoutenable. Il est au
contraire plus logique de supposer une population très peu
nombreuse à l'origine, mais dont la mobilité est l'un des traits
dominants (23).
Ainsi, les données de l'archéologie ne permettent plus
d'affirmer, aujourd'hui, l'arrivée de deux peuplements en Océanie,
chronologiquement et culturellement très distincts. Il semblerait au
contraire que cette relative unité soit le résultat d'un très long
processus qui dut s'opérer en Asie orientale. C'était ce que l'on
pouvait déjà déduire des études de linguistique historique (24).
Restent les problèmes d'affinités raciales. On les a souvent
exagérées, en Océanie, en ne tenant compte que des caractères
anatomiques les plus extrêmes et en négligeant, aussi, le rôle du
: "Mangaasi-style ceramics from Tikopia and Vanikoro and their
implications for East Melanesian Prehistory", in : Indo-Pacific Prehistory
Association", n° 3, p. 67-76, Canberra, 1982.
(21) R.C. Green : "New sites with Lapita pottery and their implications for an
understanding of the settlement of the western Pacific". Working papers in Anthro¬
pology, Archaeology, Linguistics and Maori Studies n° 51, Département d'Anthropology, Université d'Auckland, 1978 ; R.C. Green : "Lapita", in The Prehistory of
Polynesia, J.D. Jennings éd., Canberra, 1979, p. 27-60.
(22) Sur ce problème, cf. en particulier : G.J. Irwin "The prehistory of Oceania : coloni¬
sation and cultural change", in "The Cambridge Encyclopaedia of Archaeology",
Cambridge 1980, et R.C. Green : "Models for the Lapita Cultural Complex : an
Evaluation of some Current Proposals", in New Zealand Journal ofArchaeology, vol.
4, p. 7-19, Auckland 1982.
(23) Mobilité encore caractéristique des populations océaniennes jusqu'à l'arrivée des
Européens, qui brisèrent nombre de réseaux de relations interinsulaires par l'établis¬
sement de frontières politiques. Cette mobilité était particulièrement importante, parce
qu'indispensable, dans les archipels à économie précaire. Elle était naturellement
devenue moindre, parce que moins nécessaire, dans les grandes îles aux ressources plus
(20) Patrick V. Kirch
stables.
(24) Le "Proto-Austronésien" se serait formé, en Asie orientale, entre cinq et sept
sinon bien avant, cf. : P. Bellwood, opus cite, 1978, p. 121-122.
Société des
Études
Océaniennes
mille ans,
1572
milieu dans l'évolution des
phénotypes (25). Des différences
raciales, réellement importantes, sont à rechercher hors du
Pacifique et en des temps certainement beaucoup plus anciens que
celui de son peuplement (26). La connaissance de la préhistoire de
l'Asie orientale est encore trop mal connue pour préciser la nature
de ces "races", et les processus qui conduisirent à l'élaboration de
ce qui deviendra la culture océanienne "ancestrale". Quelques
éléments de réflexions sont cependant à retenir, concernant le
Japon et les zones côtières de la Chine d'une part (= A), le sud de
l'Asie orientale d'autre part (= B), respectivement peuplés depuis le
pléistocène, par des populations racialement différentes :
1) Le néolithique chinois de Yangshao et de Longshan, et la
riziculture du sud, n'ont que très tardivement influencé la côte
Pacifique et le Japon (où le Jomon ne prend fin que vers
300 BC). On y pratiquait depuis longtemps l'art céramique mais
on vivait de la cueillette, de la chasse et, surtout, des ressources
de la mer, grâce à la navigation hauturière.
2) L'Océanie n'a jamais
connu
la riziculture (sauf très récemment
Micronésie occidentale). La riziculture est probablement
tardive en Asie du Sud-Est (27).
en
3) Les plantes cultivées
Océanie ont été domestiquées dans
orientale, continentale et insulaire (et en
Nouvelle-Guinée, cf. note 15), où l'on vivait également, sur les
côtes, des ressources de la mer.
en
l'extrême sud de l'Asie
4) Il est possible que les populations côtières de A et de B aient été
depuis longtemps en contact, du fait de leur activité maritime et,
avant l'Holocène, du fait du grand rapprochement
des côtes.
(25) Il est probable que les ancêtres des Polynésiens orientaux ne constituaient, à l'origine,
qu'un petit groupe de migrants ne représentant que l'une des composantes des
populations du Pacifique occidental, et qu'ils avaient acquis leurs caractères phénotypiques, tels qu'ils furent observés par les premiers découvreurs européens, pendant
leur long et relatif isolement dans les
archipels du Pacifique oriental.
(26) Nous laissons de côté la question d'un peuplement très archaïque, de type sahulien, en
Mélanésie insulaire (en dehors des îles très proches de la
Nouvelle-Guinée). Aucun
pont terrestre ni bras de mer aisément franchissable ne permettaient alors,
contrairement à ce qui fut parfois écrit, un peuplement
paléolithique du Vanuatu ou de
la Nouvelle-Calédonie.
(27) Son existence en Thaïlande dès 8.000 BC est aujourd'hui très contestée, cf. en
particulier : "Origins of Agriculture", Charles A. Reed éd., Mouton, La Haye, Paris,
1977, p. 905 et sq.
Société des
Études
Océaniennes
1573
5) L'ensemble de ces régions A et B a connu, plus que partout au
monde, une transformation considérable de leur milieu naturel
dès les débuts de l'Holocène, perdant peu à peu 40% de leur
territoire, envahi par la mer et alors que la même transgression
multipliait par trois la longueur de leurs zones côtières (cf. la
figure n° 1 pour ce qui est de l'Asie du Sud-Est) et ne laissait
émerger, en maintes régions, qu'une multitude d'îlots seulement
utilisables par des populations de pêcheurs.
6) Il est raisonnable de penser que ces transformations ont peu à
peu entraîné une certaine pression démographique en A et B, et
la nécessité, entre autres, de ressources alimentaires nouvelles
ou
plus abondantes, d'où une intensification des contacts
maritimes (et, des métissages) en A et B, un accroissement des
activités horticoles à l'intérieur des terres en B, et des échanges
avec
les
populations côtières locales.
7) Ces processus n'ont pu qu'être augmenté par la pression des
populations vivant à l'intérieur du continent asiatique et par
une nouvelle remontée du niveau des mers (28) qui, chronolo¬
giquement, correspond à l'époque ou les premiers Océaniens,
(de "A" et de "B") s'aventurèrent vers les îles du Pacifique, déjà
porteurs d'une culture "océanique ancestrale", lentement
élaborée dans les mers de l'Asie orientale, et qui ne se
différenciera que beaucoup plus tard dans les îles du
Pacifique (29).
8) Il paraît ainsi raisonnable d'abandonner l'hypothèse de l'arrivée
successive, en Océanie insulaire, de deux populations culturellement étrangères l'une à l'autre.
José Garanger
•
Communication
présentée
environnement à Java",
au
colloque international "L'homme fossile et son
Marseille, 12/14 janvier 1984.
(28) Vers 3.600 ans BP, la mer avait atteint un niveau de trois mètres au-dessus du zéro
moyen actuel, ce qui ruine d'ailleurs l'hypothèse d'un peuplement polynésien par la
voie micronésienne (cf. J. Labeyries, Cl. Lalon et G. Delibrias "Etude des trans¬
gressions marines sur l'atoll de Mururoa par la datation des différents niveaux de
corail", in Les cahiers du Pacifique n° 13, Paris, mai 1969, p. 58-67.
(29) Des contacts plus tardifs entre l'Asie et la Polynésie orientales restent à préciser mais
qui peuvent seuls expliquer la présence ici, mais non en Polynésie occidentale ni en
Mélanésie, de la variété d'hameçons de type japonais (à Hawaii notamment), ou des
divers types d'herminettes à épaulement également connus en Chine et en Asie du SudEst. Ces innovations ont pu cheminer à travers les atolls micronésiens alors exondés,
par réseaux d'échanges interposés, et sans nécessiter des déplacements humains de
grande
envergure.
Société des
Études Océaniennes
1574
DU COPRAH A L'ATOME*
(^yntkèse Su système tzaSitionnel
Les années soixante constituent nettement
passage
un tournant, le
formation
d'une
sociale et économique tahitienne
traditionnelle à la modernité de la seconde moitié du XXe siècle.
L'analyse à un double niveau, voire un triple niveau, c'est-àdire, de la maisonnée, de la communauté villageoise et de la collec¬
tivité insulaire nous a permis de faire apparaître le substrat social
de cette formation et les mécanismes de la reproduction.
Le niveau
insulaire permet de placer les phénomènes étudiés au niveau
villageois dans le cadre supravillageois qui, à Tahiti, corres¬
pondrait à une commune. Aux îles Sous-le-Vent, ce niveau
supravillageois serait constitué également par les collectivités
insulaires : on peut donc estimer, ce faisant, que nos
analyses
couvrent valablement le
champ des îles de la Société.
Le substrat social de la formation tahitienne traditionnelle est
constitué par la parenté par génération, à base de
'opu ho'e (groupe
des siblings) avec le conflit
que cette conception de la parenté
implique avec celle de la parenté légale, linéaire ; un second
élément de ce substrat est formé par la terre dont le
régime réel
d'appropriation
et de dévolution reflète les
(*) Tradition
conceptions anta-
et modernité aux îles de la Société. Livre 1. Du
coprah à l'atome
Robineau Ed. ORSTOM
collect, mémoires N° 100
Paris 1984.
-
Société des
-
Études
Océaniennes
-
Claude
1575
gonistes polynésienne-coutumière et européenne-légale de la
parenté avec les conflits que cela suppose entre les tenants de cette
dernière (les Européens, les colons, les Demis) et la masse
polynésienne de la population ; un troisième élément consiste dans
la structure ecclésiastique, véhicule d'une idéologie « biblique »
revue et corrigée par les conceptions des Églises protestantes et
fondée sur la famille patrilinéaire, la propriété privée individuelle
et une morale étrangère aux Tahitiens encore que certains aspects
des conceptions tahitiennes (entraide-tauturu ; pitié-arofà) s'en
rapprochent ; cette structure mobilise en permanence, selon leurs
possibilités, les différentes classes d'âge et de sexe de la société et
permet à cette dernière d'accéder, sous la houlette des mission¬
naires et dans un cadre linguistique autochtone, aux fonctions de
direction ; mais cette structure, qui concerne pour l'ensemble des
îles de la Société les masses
polynésiennes, laisse de côté les milieux
européens, colons et demis de sorte que le clivage entre ces milieux
et les masses qui se dessine tant en ce qui concerne la parenté et la
famille que la terre se retrouve au niveau de l'organisation
ecclésiale suprafamiliale.
politique, de peuplement, d'exploitation,
qui est à l'origine et explique ce clivage.
Après ce qu'on peut bien appeler la conquête, c'est-à-dire
l'établissement substantiel du protectorat faisant suite à la guerre
pour l'Indépendance tahitienne (1844-1846), puis la dérive de ce
protectorat vers l'administration directe que parachève l'annexion
de 1880, la France envoie aux îles de la Société des fonctionnaires,
des marins, des soldats, des artisans qui font souche et constituent
« les
gros bataillons » demis. Cette couche sociale qui se trouve
entre deux cultures -qui allie la maîtrise de la langue et de la
communication avec les Polynésiens aux conceptions européennes
concernant la famille, la terre, l'économie (l'argent, le profit)devient le moteur de l'économie et organise la reproduction de sa
C'est la colonisation,
domination.
L'exemple de Maatea est
caractéristique de cette stratégie :
par alliance, par la terre et par le
ancrage dans la société villageoise
contrôle des fonctions d'autorité,
chefferie administrative et sinon
pastorat ou diaconat, du moins patronage de la paroisse ;
extension de la base économique familiale par confiscation de
l'excédent procuré par le coprah, la vanille, le café et son réemploi
en terres permettant la constitution d'un patrimoine foncier au
polynésienne ;
d'accéder à la
emplois du secteur tertiaire privé.
détriment de la masse de la population villageoise
éducation urbaine des enfants leur .permettant
fonction
publique et
aux moyens
Société des
Études Océaniennes
.
1576
Ainsi
péens
en
va-t-il des nombreuses autres installations d'Euro¬
de Demis qui
produisent à partir des dernières
qu'évoquent, à une échelle plus
grande que celle du propriétaire éminent de Maatea, les noms des
domaines de cocoteraie qui ceinturent l'île : Apitia, Urufara,
Vaianae, Tiahura, etc... (cf. chap. Ill, tableau : propriétés de 100 ha
et plus).
ou
se
décennies du siècle dernier et
L'exemple de la famille A d'Afareaitu est également caracté¬
ristique, et dans sa croissance économique et dans sa réussite
sociale, de ce phénomène mais avec une stratégie plus heureuse,
dans ses résultats, vis-à-vis des communautés villageoises
polynésiennes dans lesquelles elle s'insère et qui lui servent de
marchepied pour une ascension politique au niveau du Territoire.
Cet exemple souligne aussi (de même que celui de Maatea mais ce
dernier a contrario) que le leadership en milieu polynésien est
affaire de prestige ; que le prestige est affaire de naissance et de
richesse sans doute, mais aussi d'aptitude personnelle à diriger la
communauté, d'une certaine rectitude morale eu égard aux usages
admis par la société, et pour tout dire d'une réciprocité de services
entre le leader et sa communauté ; que le
prestige, cela s'acquiert,
mais aussi cela se perd.
C'est
qu'au sein de ce système traditionnel qui superpose à la
polynésienne une couche européenne, demie, voire
polynésienne, de dominants, il y a une dynamique de la domina¬
tion qui repose sur l'accaparement, par le moyen de la terre, du
surplus procuré par le coprah (surplus historique ou de classe
avons-nous dit) et qui
passe par différentes phases : installation,
plénitude de la domination, dissolution. La reproduction des
rapports de domination s'opère par le contrôle de la terre et donc
dé la production traditionnelle de
rapport et du surplus qu'elle
secrète, et par l'extension de la parenté des dominants au sein de la
communauté villageoise qui est un des
moyens d'éviter un
affrontement en classes antagonistes, l'autre moyen étant constitué
par la structure englobante et mobilisatrice de l'Église. La
masse
dissolution de la domination intervient avec la succession et
l'accroissement des générations, la dispersion de la propriété qui
en
résulte, et le jeu des alliances en milieu proprement polynésien qui
tend à tahitianiser à la fois les personnes et la terre.
Les différentes études que nous avons
faites de diverses zones
(mata'eina'a d'Afareaitu, bassin de la baie de Cook et de Paopao,
motu de Temae) montrent bien la
répétition du phénomène
d'arrivées européennes-demies à plusieurs dates avec le
processus
Société des
Études
Océaniennes
1577
ternaire d'installation-domination-dissolution qui s'ensuit :
dans la seconde moitié du XIXe siècle, et au début de ce
siècle-ci ;
—
—
—
après la
après la
guerre
guerre
de 1914-1918 ;
de 1939-1945.
La seconde moitié du XIXe et le début du XXe siècle
correspondent au sous-peuplement de Moorea (et des autres îles de
la Société, cf. chap. I) et à la volonté des autorités du protectorat
de dégager des terres pour la colonisation.
L'après-guerre de 1914-1918 correspond à l'extinction d'un
certain nombre de familles due à l'épidémie de « grippe espa¬
gnole », mais aussi à un besoin de terres de colonisation dont
l'Administration facilite l'acquisition par les procédures de vente
sur adjudication et sur licitation qui seront, plus tard, condamnées
tant elles sont efficaces dans le transfert de propriété qu'elles
opèrent des mains polynésiennes aux mains européennes, demies,
voire à celles de riches Polynésiens acculturés et liés à des Demis, ce
que l'on a pu appeler « la bourgoisie tahitienne-^cm/? ».
Après la guerre de 1939-1945, les terres sont plus rares, la
population a crû considérablement et les nouvelles installations se
font surtout par des rachats ou des reprises de grandes propriétés
européennes ou demies.
Ce que je veux souligner ici, c'est que la reproduction des
rapports de domination par le contrôle de la terre et des
productions traditionnelles de rapport opère parce qu'à de
nouvelles arrivées succèdent de nouvelles arrivées et que les bases
de la domination, l'importance de la terre dans la formation d'un
surplus au moyen du coprah (et des autres productions tradition¬
nelles de rapport), ne changent pas. Mais au niveau des intéressés
eux-mêmes et des générations qui leur succèdent, il y a émergence
de quelques personnalités et pour quelques-unes d'entre elles leur
absorption par la ville toute proche, maintien de quelques éléments
dans leur position de propriétaires fonciers, mais avec moins de
surface économique que leurs parents (parce qu'on a vendu des
terres, parce que le coprah rapporte moins), et surtout, tahitianisation par l'alliance et par la condition économique (travailleur,
petit producteur) de la plus grande partie des descendants. Dans le
système traditionnel, Tahiti digère les étrangers.
La reproduction des rapports traditionnels fait que la masse
polynésienne est toujours dominée. Elle a relativement peu de
terres mais la pratique polynésienne qui sépare la propriété de
l'usage lui permet, et de disposer d'un fonds de subsistances, et de
pratiquer à une petite échelle les cultures traditionnelles de rapport
Société des
Études Océaniennes
1578
d'obtenir
petite production marchande pour le marché
organisation familiale, l'organisation économique de la
maisonnée qui en est la traduction et finalement le fonctionnement
de l'économie villageoise qui en découle, oscillent entre la
conception polynésienne de la parenté le 'opu ho'e et sa traduction
économique le système de gestion par répartition des décisions et
des charges d'un côté, et de l'autre, la conception biblicoeuropéenne de la famille patrilinéaire étendue ou élémentaire et
son corollaire économique, le
système de gestion d'unité de
décisions et de caisse. Dans les comportements individuels et
collectifs au niveau de la maisonnée et dans les rapports inter¬
maisonnées se dégagent les linéaments d'une idéologie polyné¬
sienne : arofa (pitié), tauturu (entraide), solidarité parentale,
importance du 'opu ho'e, réciprocité, prestige.
Cette idéologie que l'on retrouve encore au niveau des
maisonnées, lors d'analyses effectuées sur des matériaux datant de
1967 et de 1974, peut sembler un phénomène attardé dans la
mutation en cours, relégué au niveau domestique, puisqu'elle avait
autrefois un champ beaucoup plus vaste : tout le travail en groupes
(pupu) dans le cadre, le moule offert par la structure sociale suprafamiliale essentielle de la Polynésie du XIXe et du XXe siècle :
l'Église, Église elle-même à l'origine d'un système d'économie
cérémonielle fondé sur l'entraide, la compétition et le
prestige.
Cette idéologie dominante, et qui perdure, pose le
problème
de son origine. Est-elle le produit du système traditionnel fondé sur
l'Église et ses valeurs ou n'est-elle pas plutôt « prétraditionnelle ».
C'est ce que nous voudrions examiner dans la seconde
partie de ce
ou
une
local. Son
travail.
Revenons-en au système traditionnel et à sa
reproduction.
Cette tradition est rompue -ou
interrompue- avec la grande
mutation des années soixante et l'insertion de Tahiti dans le monde
contemporain. Cette insertion se fait par trois vecteurs : l'avion à
réaction et les médias, le Centre d'Expérimentations
nucléaires, et
le tourisme de masse. Les effets en sont la
généralisation du
salariat, le renforcement considérable de la petite colonie
européenne et la modernisation de la vie quotidienne des
Polynésiens. La colonie européenne, en s'étoffant d'éléments
brutalement extraits de leur société d'origine,
transporte à Tahiti
des modes de consommation qui
deviennent pour les Tahitiens
(Polynésiens, Demis, Européens du cru, Chinois) des modèles, et le
modelage sur les modes de consommation de l'Occident est
d'autant plus impressionnant que la distance à la culture
européenne -ou plus exactement euro-américaine- était plus
grande. S'étoffant, cette colonie européenne devient aussi une
Société des
Études
Océaniennes
1579
société
réduction, de telle sorte qu'un clivage s'établit entre,
la société tahitienne avec ses nuances et ses catégories
ethniques internes et, d'autre part, la société européenne expatriée
et transplantée : clivage, rapports de masse, tensions,
politiques,
culturelles, sociales. Le passage, grâce aux communications
rapides ou ultra-rapides, de Tahiti dans la périphérie immédiate de
1'« Occident » hyper-industriel (Amérique du Nord, France,
Australie, Japon) vient renforcer le poids du modèle de consom¬
mation occidental, de même que le tourisme de masse. La présence
du
Centre
d'Expérimentations, l'existence d'une société
européenne transplantée -et dont la modernité est toujours mise à
jour du fait du renouvellement incessant de ses éléments-, enfin, le
rôle de Papeete comme port, aéroport et plaque tournante du
tourisme en Polynésie centrale, ont contribué à faire de la ville un
pôle de croissance et de modernité qui diffuse ses modèles à
l'ensemble des archipels en fonction de la distance et de la
fréquence des communications, c'est-à-dire, en premier lieu, à l'île
de Tahiti et à Moorea, en second lieu aux îles Sous-le-Vent, en
troisième lieu aux autres archipels. Usage généralisé de l'argent
(monétarisation), modernisation des équipements domestiques,
urbanisation du genre de vie, multiplication des activités tertiaires
vont de pair. Mais la salarisation est aussi aliénation (aliénation du
travail, mystification du salaire) et le tourisme générateur de
pollution (par l'argent, par le dévergondage créé par les touristes
ou organisé pour eux).
en
d'une part,
Moorea permet
complexe de
de nuancer le tableau de cet ensemble
processus.
du coprah au salariat et au tourisme s'y fait sinon
transition, du moins par des détours. La crise du coprah se
dessine dès les années cinquante et une première phase d'une
nouvelle agriculture de rapport, orientée en partie sur les
productions traditionnelles -coprah, vanille, café-, en partie sur les
besoins du marché local, se met en place. On y voit l'esprit
adaptatif et spéculatif des Polynésiens ainsi que la souplesse des
institutions polynésiennes, en l'occurrence, en matière de terre : le
fenua feti'i (la terre des parents, ce que les Européens appellent
« indivision
») permet la concession de droits d'usage à des parents
qui veulent s'établir dès que les propriétaires en titre ne sont pas
entraînés.à vouloir faire argent de leur terre.
Puis, au début des années soixante, c'est la crise de la vanille
qui entraîne la reconversion de la baie de Cook et du bassin de
Paopao vers le maraîchage et la culture de l'ananas, en même
temps que le démarrage de l'hôtellerie pour le grand tourisme
suscite la création d'un pôle d'entraînement pour l'économie de la
Le passage
par
Société des
Études
Océaniennes
1580
zone
septentrionale de l'île. La structuration de cette zone par le
touristique relayé par le phénomène de périphérie
moteur
résidentielle et vacancière de la ville est
1979.
encore en cours
à la fin de
l'année
La
généralisation du salariat, qui s'est poursuivie durant la
période 1967-1968-1974, a déterminé, par rapport à la période
précédant la venue du Centre d'Expérimentations, la formation, au
niveau des individus ou des maisonnées, d'un excédent ou surplus
que j'ai appelé « surplus de masse » par opposition au « surplus de
classe » dégagé par le coprah au profit des dominants dans le
système traditionnel. Surplus de masse considérable qui a permis la
modernisation de l'habitat, de l'outillage et du confort domestique,
occasionné 1'« urbanisation » du genre de vie et favorisé la
scolarisation plus longue des enfants dont une partie pourra
accéder
aux
fonctions de bureau.
A la lente monétarisation de la
masse polynésienne qui
prévaut dans le système traditionnel (l'argent est surtout la chose
des dominants) s'oppose la brutale généralisation de l'emploi de
l'argent dont les gens n'ont pas toujours acquis la parfaite maîtrise
(le thème de moni vitiviti, l'argent vite gagné mais vite dépensé),
encore que les
concepts de moni orara'a (argent pour la vie
quotidienne) et de moni faufa'a (argent pour les richesses)
témoignent d'une assez remarquable adaptation dans ce domaine.
Cette
généralisation de l'emploi salarié ne s'accompagne pas,
contraire, d'une rétraction des activités agricoles : celles-ci,
orientées pour le marché local, se développent et se spécialisent
(culture des fleurs, culture de l'ananas) ; ce dont le salariat s'est
nourri, c'est de l'agriculture combinée avec la pêche traditionnelle ;
également, il y a une polarisation du salariat sur le tourisme qui
représente 40 à 50 % des emplois de l'île et auquel il faut ajouter le
bien
au
rôle de l'urbanisation secondaire et celui de l'Administration
(18 %)
; mais cette polarisation sur le tourisme n'empêche pas
l'augmentation des emplois hors de Moorea qui résulte en fait de la
pression démographique et contribue en 1974 à limiter un chômage
menaçant.
Les constatations faites à Maatea vont aussi dans
ce
sens
:
plus de jeunes travaillant épisodiquement « en commandos », mais
la recherche d'emplois stables à
plein temps, mise à profit des
formes possibles d'emploi par création d'entreprises reprenant les
techniques traditionnelles pour les besoins actuels de la construc¬
tion
et
du tourisme.
On peut parler d'une formation tahitienne nouvelle, axée sur
le salariat et l'argent, en partie orientée sur les activités tertiaires et
contenant
l'embryon d'une nouvelle classe ; le déterminant
Société des
Études
Océaniennes
en est
la
1581
recherche d'emplois, non seulement parce que la monétarisation de
l'économie est générale, mais parce que dans la conjoncture
inflationniste qui prévaut depuis le début des années soixante-dix,
les excédents qui avaient permis la modernisation domestique se
trouvaient fortement réduits dès 1974 ; d'où, au niveau de certaines
maisonnées, mais sans que cela apparaisse comme une tendance
bien affirmée, un retour à l'autosubsistance que l'extension des
cultures vivrières, constatée de visu en 1979, confirmait.
Dans cette société nouvelle où les rapports salariaux
remplacent les rapports souvent quasi féodaux qui prévalaient
dans le système du coprah, une certaine continuité se manifeste
avec la formation traditionnelle au plan de
l'idéologie : avec la
reconstitution par les salariés au sein de l'entreprise qui les emploie
d'une mini-communauté villageoise fondée sur les relations de
parenté, de voisinage et de camaraderie existant dans la commu¬
nauté villageoise d'origine ; et les notions de tauturu (entraide),
arofa (pitié) trouvent leur place dans les rapports des travailleurs
les uns avec les autres, tout comme le « bon patron » est crédité des
vertus qu'ils attendent d'un chef polynésien. Que ce patron
devienne un des leurs (de leur village), leur procure du travail, et
ces travailleurs, l'analyse de Maatea le montre, sont prêts à le
suivre, le créditer du prestige dont on crédite les chefs polynésiens,
à charge de réciprocité, évidemment : que le chef donne du prestige
à
sa
communauté.
Voici donc une raison de
plus de rechercher les racines de tels
comportements, même si l'on peut penser que les conditions
économiques nouvelles finiront par les éroder et les faire
disparaître.
Il
cette
nous reste, pour terminer la revue des thèmes abordés dans
socio-économie actuelle, à justifier les expressions de
phénomène villageois et de phénomène insulaire dont
sommes
nous nous
servis.
Le phénomène villageois
Dans les petites îles montagneuses de l'archipel
la réalité naturelle qui s'impose à l'observation est
de la Société,
la vallée avec
son débouché sur la plaine littorale et sa portion de cette plaine et
du lagon adjacent ; c'est ce qui définit le territoire de Maatea,
ancien district administratif (mata'eina'a) et ce terme tahitien est la
seule réalité sociale, civile et profane, qui s'impose aux habitants
entre l'île et la famille. Que des mata'eina'a regroupent plusieurs
d'autres correspondent à des subdivisions
grande vallée ne sont là qu'affaires d'agence¬
particuliers. Les Tahitiens ne disposent pas, comme les
petites vallées,
que
naturelles d'une très
ments
Société des
Études
Océaniennes
1582
Maori de Nouvelle-Zélande, du mot kainga pour désigner la
collectivité villageoise ; l'équivalent 'ai'a de ce mot maori note l'idée
de patrie, de pays natal, sens voisin mais différent de la réalité qui
nous
occupe.
Il
y a certes
l'Église,
structure suprafamiliale avec ses
paroisses et
sur
ses groupes de prières, mais son organisation, calquée
celle des chefferies administratives d'avant 1971, ne vient pas
infirmer la réalité du mata'eina'a
qui se trouve soit 'amuira'a
(groupe de prière) pourvu d'un ou plusieurs diacres, soit paroita
(paroisse) pourvue d'un pasteur : autonome ou membre d'une
confédération de mata'eina'a réunis dans une paroisse, ce
mata'eina'a est de toute façon reconnu par l'Église à un certain
niveau et
entre
dans le cadre des institutions de celle-ci.
Ce mata'eina'a est une collection de maisonnées unies par un
certain degré d'endogamie : c'est avec plus ou moins de force une
communauté de voisinage, de camaraderie et de parenté qui
reconstituera son microcosme au sein des entreprises parmi les
travailleurs qui ont dû s'en éloigner ; c'est aussi une école -une
communauté scolaire et une équipe de sports- une communauté
sportive. Ce recouvrement de diverses communautés fait de la
collectivité villageoise une réalité communautaire qui s'exprimera
notamment en compétition au sein de l'Église, des institutions
sportives, en matière d'élections politiques.
Il
n'y
a pas
à proprement parler, juridiquement
ou
socia¬
lement, de territoire villageois si ce n'est un espace délimité pour
l'essentiel par des lignes 'naturelles et qui se compose d'un certain
nombre de terres (fenua) appropriées. Les droits potentiels sur la
terre s'actualisent par l'usage et la résidence dans le mata'eina'a où
elle
se situe. C'est la terre (les droits d'usage
qui y sont détenus) qui,
paradoxalement, sert de point d'ancrage à des maisonnées définies
par ailleurs, du point de vue de leur contenu humain, comme des
confédérations mouvantes d'individus apparentés. Ce droit
prioritaire des' résidents sur les terres dont ils ont la propriété
potentielle aux côtés de nombreux autres ayants droit non
résidents est complété par l'occupation des gens du village des
terres vacantes ou dont le propriétaire est inconnu et
par les droits
de gardiennage que des propriétaires exploitants mais non
résidents confèrent à certains habitants ; de sorte que cette
collection de terres individualisées, non reconnue comme un
ensemble juridique en constitue un de fait, et de telle façon que des
décennies durant, cet ensemble a fait l'objet de pratiques collectives
de culture dans le cadre de pupu (groupes) dérivés des 'amuira'a
(groupes de prières) de la paroisse.
A
présent et hormis,
vers
Société des
1975,
Études
un renouveau
Océaniennes
de quelques
1583
de pêche et de fabrication de toitures de maison en
pandanus, hormis aussi les toujours vivaces transactions cérémonielles concernant l'Église, les aspects d'économie commu¬
nautaire qui subsistent consistent dans les échanges de produits
entre maisonnées, lesquels s'ils demeurent vivaces et illustrent
quelques thèmes de l'idéologie polynésienne n'en concernent pas
groupes
moins
un
nombre limité de
ces
dernières.
Le problème de la communauté villageoise c'est de savoir
lequel de ses membres sera le plus apte à assumer le rôle de leader.
Ce n'est pas une question de commandement, c'est une
question de
service. On demande au chef polynésien moderne d'avoir
suffisamment de relations hors du village pour qu'il procure à la
communauté les emplois dont elle a besoin, en échange de quoi,
chacun est prêt à suivre ses consignes de vote lors des élections. J'ai
déjà insisté sur cette dialectique de la réciprocité entre un chef et
son peuple, le prestige du leader et celui de la communauté étant
liés l'un à l'autre. Ce phénomène n'est pas particulier à la
communauté villageoise, on le retrouve au niveau des collectivités
insulaires
ou
des nouvelles
communes.
Le phénomène
insulaire
C'est l'organisation supravillageoise à laquelle l'insularité
donne davantage de relief. C'est une confédération de commu¬
nautés villageoises en compétition. De plus, et parce que l'île est le
niveau intermédiaire
entre les
villages polynésiens et cette nation
économique
que constitue le territoire de la Polynésie, l'île est aussi
le lieu de formes économiques qui polarisent en zones différentes
l'espace insulaire. C'est un champ de forces en mouvement : les
Églises y apparaissent en corps structurés, l'Administration
considérée comme un corps doté de moyens et jouant un rôle y est
présente, de multiples entreprises y fonctionnent, des groupes
socio-économiques se dessinent du fait de la différenciation des
activités : pêcheurs spécialisés, agriculteurs mécanisés de Paopao,
travailleurs des travaux publics, de l'agriculture, de l'hôtellerie et
du tourisme, travailleurs expatriés hors de Moorea, gens de la
classe moyenne installés à Tahiti mais qui retrouvent dans l'île
leurs attaches familiales.
L'analyse de Moorea est intéressante car elle y montre, sur le
plan social, la gestation d'un phénomène de nouvelle classe et, sur
le plan économique, la formation et le jeu de véritables factions ou
ligues. Dans l'exemple de Moorea, il suffit d'une opposition ou
d'un antagoniste compétitif comme celui de A et de B que j'ai cité
pour retrouver les différentes forces qui définissent la sociologie
Société des
Études
Océaniennes
1584
économique de Moorea, en situation de coopération ou d'affron¬
tement, ce jusqu'aux formes hôtelières les plus européennes ou
encore jusqu'aux compagnies d'aviation en rivalité.
Ce décalque des comportements autochtones sur les attitudes
d'agents et de firmes expatriés s'est vérifié bien des fois dans
l'histoire
des
rapports des peuples autochtones avec la
colonisation.
Laissant cet aspect de côté, nous soulignerons ici que l'île
considérée comme un champ de forces en compétitions organisées
dualistes, mais fluctuantes, rappelle, dans l'ancienne société
tahitienne, le jeu complexe des chefferies et principautés en
compétition et le reproduit.
Au plan social, la salarisation, le surplus de masse, la
généralisation de l'éducation publique ont abouti à un rema¬
niement des couches sociales. A la première grossière division
binaire de la formation traditionnelle opposant une couche de
propriétaires fonciers dominants à la masse villageoise
polynésienne, rend à se substituer une division plus fine, ternaire,
qui, en dessous d'une petite classe moyenne en gestation, dégage au
sein de la masse des travailleurs ceux, le plus souvent adultes, qui
ont un emploi solide, et ceux,
plutôt des jeunes, qui n'ont pas de
travail ; tandis qu'une petite frange polynésienne et surtout demie
accède grâce à l'évolution politique en cours au rang des dominants
de la Polynésie centrale aux côtés des cadres demis déjà installés,
Chinois et Européens de la haute administration, de l'industrie et
du grand commerce.
Mais
l'a
dit, la parenté continue à recouper, à cause
peut-être de l'insularité et de la petite taille humaine de l'ensemble
territorial, les strates que l'analyse socio-économique dégage,
comme on
limitant dans une certaine mesure la conscience de classe et les
tensions entre classes qui sont susceptibles de se dessiner ; sans que
le problème de l'emploi, non résolu et devenant
toujours plus
délicat du fait de l'arrivée de classes jeunes nombreuses sur le
marché du travail, n'amène une radicalisation des rapports
sociaux.
C. Robineau
Société des
Études
Océaniennes
1585
ANALYSE CRITIQUE
COLETTE GESLIN
VANAA
ou la loi des ancêtres.
Roman-tome 1-éditions Buchet/Chastel, Paris 1984.
Les médias locaux ont signalé, il y a
quelques mois, à
l'attention des lecteurs de romans, l'arrivée en librairie du
premier
tome d'une saga polynésienne intitulée Vanaa ou la loi des
ancêtres, écrite
par une
Colette Geslin.
métropolitaine vivant à Tahiti depuis 1982,
D'ores et déjà, ce livre s'inscrit parmi les productions de la
littérature française à (ou sur) Tahiti, et il doit de ce fait être situé
par rapport à elle. Indiquons en premier lieu que, parmi cette
volumineuse littérature, on rencontre peu de romans historiques ;
pourtant ce n'est pas la matière qui fait défaut : en effet depuis la
découverte des îles et leur entrée dans le corpus de l'histoire
européenne d'abord, mondiale ensuite, les événements susceptibles
de servir de toile de fond à des récits de fiction n'ont
pas cessé de
prendre place dans ce pays, lieu privilégié de confluences diverses.
L'absence d'historiens crédibles de la Polynésie et d'une histoire
complète ont peut-être eu raison de la curiosité des écrivains.
Dans le genre
Dorsenne,
partiale et
cependant, il faut mentionner de Jean
"C'est la reine Pomaré", évocation très
fragmentaire de la reine Pomaré Vahiné IV et de son
en
1934 le
roman
Société des
Études
Océaniennes
1586
long règne, ou encore .d'Albert Tserstevens le roman "La grande
plantation", publié en 1952, qui raconte l'aventure cotonnière
d'Atimaono (1864-1868), avec en toile de fond l'idylle -inventéeentre la femme du gouverneur La Roncière (Clémence) et
l'aventurier Stewart (Stuart), ouvrage qui se rapproche, quant à sa
conception, du roman de Colette Geslin.
Les travers inhérents
de trois ordres
au roman
historique sont essentiellement
:
falsification de l'histoire réelle (le romancier déduit souvent
personnages de ses sources et de ses conceptions) ;
-
les
anachronisme (le romancier prête des sentiments, formule des
jugements etc... qui sont déplacés par rapport à l'époque) ;
-
-
inexactitude des lieux, des noms, des dates, des caractères ou des
situations.
\
Une aventure
au
pays
des mythes
Moira, une jeune Anglaise de la haute société vient habiter en
Papeete chez son beau-frère William Willingson, le
représentant de la Reine d'Angleterre à Tahiti. Elle se rend à
Mataîa, une île imaginaire où elle rencontre Vanaa, le fils de l'arii
de l'île, dont elle va bientôt attendre un enfant. Elle cache sa
maternité en retournant accoucher à Mataîa et y laisse son fils
Taaroa qui sera élevé par son père, lui-même à la veille de se marier
avec Térita et d'accéder au pouvoir dans son île.
A Tahiti, Moira épouse Maxime La Ferrière, un Français
qui
deviendra l'adjoint de Moerenhout et, elle se trouve mêlée aux
épisodes liés à l'arrivée de la France à Tahiti (1842), qui forment le
cadre historique au premier tome de cette saga. Nous assistons à
des scènes, tantôt officielles, tantôt privées où des personnages
historiques ou inventés façonnent le destin de Tahiti. Le roman se
termine en 1847, lorsque les îles de Tahiti et Moorea sont
"pacifiées" et que le couple Moira/Maxime subit ses premières
1827 à
lézardes...
Une histoire
Vanaa
repensée
déroule
vingt ans de l'histoire polynésienne
(1827-1847), période particulièrement troublée et qui vit en
se
sur
définitive la France établir
sa
souveraineté
sur
Tahiti. 140
ans nous
séparent aujourd'hui de ces événements et tout concourt à n'en
présenter, dans le roman, qu'une version simpliste et manichéenne.
Dès le début, l'auteur court au devant de la puissance victorieuse
(la France) et caricature le point de vue anglais. Tous les éléments
sont agencés pour trouver naturelle et légitime l'installation de la
Société des
Études
Océaniennes
1587
France à Tahiti et scandaleuse et anormale la
de
un
réciproque en faveur
l'Angleterre. L'auteur manifeste -certainement par ignoranceparti pris qui se découvre aisément dans les personnages qu'elle
anime
:
Pritchard,
ombre plane dans tout le livre, mais on ne le
accrédite toutes les rumeurs les plus
Voici quelques termes par lesquels il
est désigné ."Ennemi de la France", "fanatique",
"dirige la reine",
"renard", "loup", "dénigre la France", "loi soufflée par Pritchard"
son
voit jamais ; plus grave on
folles qu'on rapporte de lui.
etc...
Les femmes des missionnaires sont "rébarbatives". Comme si
la
panoplie des missionnaires anglais n'était pas assez large,
l'auteur en invente un, répondant au nom de Richard Collie,
qualifié "d'excité", puis de "fanatique de la trempe de Pritchard".
Maxime La Ferrière, adjoint de Moerenhout, se déclare dès le
début anti-missionnaire, anti-protestant et pro-catholique. C'est
une sorte de play-boy, mondain dont le
tempérament ne coïncide
pas avec son
action politico-religieuse.
Moira, bien qu'Anglaise et habitant chez le représentant
personnel de la reine d'Angleterre à Papeete, prend fait et cause
pour la France et le Père catholique Vincent qu'elle aide à
s'installer à Mataîa ("Elle ne se faisait aucune illusion depuis
longtemps sur (ses) missionnaires") ; aucun problème moral ne
l'effleure quant à son reniement. Elle déclare même : ..."il est
impossible que les Tahitiens ne comprennent pas très vite que le
Gouverneur n'a que de bonnes intentions". On est alors en pleine
guerre franco-tahitienne en 1844. Il faut dire qu'elle est très
préoccupée
par sa propre
libération et
ses
toilettes.
William
fonction. Il
son
action.
Willingson, le beau-frère de Moira, "diplomate" de
fréquente pas les colons anglais ; l'auteur neutralise
C'est un "observateur" qui se range du côté français.
ne
L'auteur laisse penser que l'idée du Protectorat est venue
subitement à l'esprit de Dupetit-Thouars (p. 158). En réalité
l'implantation de la France dans le Pacifique est une réponse à la
colonisation de la Nouvelle-Zélande par l'Angleterre. De plus,
l'amiral français, avant de faire voile sur Tahiti, venait de prendre
possession des îles Marquises.
La vraisemblance, l'anachronisme
Dans un roman historique,
les personnages, les lieux soient
est censée se dérouler. Or, par
Société des
le lecteur s'attend à
ce que
l'action,
conformes à l'époque où la fiction
bien des aspects, le roman Vanaa
Études
Océaniennes
1588
semble être
une
projection,
un
regard contemporain
sur une
période ancienne.
La
psychologie de Vanaa, l'arii de Mataîa, paraît très évoluée,
quelqu'un qui n'a que peu fréquenté l'école missionnaire : il
maîtrise la langue anglaise, comprend les coutumes
anglosaxonnes, intériorise une conception très occidentale de l'Amour,
peut tenir une conversation mondaine dans le salon de Moira, se
projette dans le futur ; et pourtant l'auteur fait de lui un défenseur
pour
des traditions maohi.
On est
surpris également d'entendre sa femme, Térita, qui n'a
enseignement occidental déclarer, pour embaucher un
catholique comme précepteur de leurs enfants : "Tu (Vanaa)
as pu apprendre... le
langage des missionnaires anglais. Moi
j'apprendrai celui du farani et nous pourrons, à nous deux,
converser avec tous ces étrangers sans nous laisser
tromper".
Comment, par ailleurs, croire que la maternité de Moira (le
père de l'enfant est Vanaa) puisse rester secrète et qu'aucun écho ne
soit allé se répandre dans la petite ville cancanière de
Papeete ?
Comment croire que Maxime, qui fréquente Moira
peu après sa
maternité, ne se rende pas compte que le corps de Moira n'est plus
celui d'une jeune fille, mais d'une jeune mère ?
La présence et la personnalité du Père Vincent sont trou¬
suivi
Père
aucun
blantes. Prêtre
sans
rapport avec la mission de Tahiti, il
ne
cherche
pas à évangéliser, s'intègre
les danses lascives, respecte
à la population de Mataîa, laisse faire
les traditions, défend la peine de mort,
effectue des exercices physiques quotidiens, bref il n'a
pas de
défauts et paraît, à l'anglaise Moira, d'emblée
sympathique.
L'aventure entre
une
Anglaise aristocrate et un arii tahitien
a un puissant effet de libération
paraît peu réaliste, même si Tahiti
les
Il suffit de lire le voyage
compte que son récit est moins lyrique et
sur
mœurs.
Bougainville.
de Cook pour se rendre
sentimental que celui de
D'ailleurs l'Angleterre n'a pas connu la même littérature
exotico-sentimentale dérivée des récits de voyages que la France.
C'est pourquoi ce roman s'inscrit bien dans la tradition du récit
exotique français, et l'alibi qui consiste à tirer profit d'une
Anglaise, en la personne de Moira, est bien mince. Loti n'a-t-il pas,
lui aussi cherché à fausser les cartes et sans convaincre ses
lecteurs,
un
marin anglais -Harry Grant- comme
personnage
dominant ?
En définitive, dans ce roman
Vanaa, que les personnages
soient historiques ou inventés, ils
avec
logique, de grandeur
manquent d'épaisseur psycho¬
et de charisme. Coincé entre leur irréalité et
Société des Études Océaniennes
1589
leur manque de distinction, le lecteur est
l'intérêt et la valeur d'un tel ouvrage.
Faune et
Un
en
droit de
s'interroger sur
flore
vaut par ses personnages, il se
remarque aussi par
décor. Et là encore quelques surprises nous attendent. L'auteur
décrit la végétation que Moira, qui vient d'arriver à
Tahiti,
découvre de sa fenêtre (26) : "... la somptuosité des fleurs,
roman
son
hibiscus,
bougainvilliers, tiaré et pitate..." En réalité, de toutes ces
plantes, seul le tiaré1 poussait à Tahiti en 1827 ; les autres ont été
importées par la suite. Plus loin, Moira brode à l'ombre d'un
manguier (36) et lorsqu'elle arrive à Mataîa (57) ces mêmes
manguiers offrent leurs fruits en abondance ; or cet arbre a été
introduit à Tahiti en 1848 ! Les personnages voient en 1844 des
merles sautiller sur la pelouse (187) ; malheureusement, il faudra
attendre le début du 20e siècle pour les observer réellement...
Ces quelques erreurs -il en existe peut-être d'autres- montrent
que toutes les précautions n'ont pas été prises pour présenter une
histoire dans laquelle le décor est entièrement vrai et
auquel on
peut se fier.
monettes,
Une
bibliographie insuffisante
bibliographie que mentionne l'auteur à la fin du roman
témoigne et de l'insuffisance et de l'unilatéralité des sources
historiques et littéraires auxquelles elle se réfère. C'est là aussi que
se situe la faiblesse de ce roman : en
effet, l'auteur a consulté trop
peu de documents pour que sa version soit sérieuse et, de plus, des
documents exprimant un point de vue unique. Or l'histoire est
plurielle. Le texte aurait paru meilleur si, à côté des dialogues pris
sur le vif et
passionnés, l'auteur s'était réservé un rôle critique ou
La
du moins modérateur. Mais il n'en est rien
renforce par ses commentaires les points de vue
:
elle accentue et
des personnages, si
bien que le roman, dans son ensemble, apparaît très
partisan et
maladroit. Dans cette bibliographie par exemple, on aurait aimé
voir cités : Cook, Ellis, Davies, Dumont-Durville, Lutteroth,
Ségalen, Faivre, Newbury etc... ce qui aurait sans doute eu pour
effet de changer le roman...
Un
style tiraille
Sur le plan de l'expression, l'ouvrage hésite visiblement entre
deux styles différents : d'une part l'auteur recourt souvent à des
formules ampoulées, elle
1
se
plait à employer le subjonctif imparfait
voir
: Fleurs et
plantes de Tahiti, éd. du Pacifique 1974, Oiseaux de Tahiti, éd. du
Pacifique 1975, G. Cuzent : Archipel de Tahiti
éd. Haere Po no Tahiti 1983.
...
Société des
Études
Océaniennes
1590
et
même
fois la forme peu
une
forme, souhaitant
usitée du conditionnel passé 2°
doute accorder son écriture au statut social
de ses principaux personnages, et d'autre part la relative pauvreté
du lexique, l'usage de mots ou d'expressions sans élégance, la
sans
fréquence des lieux communs, la lourdeur alliée à la platitude des
descriptions ou des dialogues dévaluent littérairement le roman
dans lequel on cherche en vain poésie, grâce, raffinement ou appel
à l'évasion.
syntaxe. Quelques coquilles ou fautes de syntaxe demanderaient à être corrigées : quand
bien même + indicatif (39), après que + subjonctif (158), autant que + subjonctif (47),
confusion entre le futur et le conditionnel présent (47 et 188), règle d'accord avec l'auxiliaire
avoir (196), conjugaison "qu'il dépendisse" (233), manque d'accent "il te siérait" (111), "eut
laissé (233), manque de majuscule "états" (71), accent en trop "il n'y eût" (233) etc...
impropriétés. Nous
mots :
avons
"achalandé" (143),
relevé quelques impropriétés dans l'usage littéraire de certains
"sophistiqué" (154), "fantasme" -au style direct- (166) etc...
trivialité. On peut regretter
le
manque
d'élégance de certaines formules
:
"corps pulpeux"
(40), "Maxime accrocha les yeux de Moira" (41), "on se trouvait sur le dernier cri" (154),
"caresser le ventre" (172), "pouffer de rire" (192), "l'avait retourné" -au sens moral- (193)
etc...
lieux
Le livre est
également rempli de lieux communs et de préjugés concernant la
: "sensualité des vahinés" (41), "plénitude sensuelle
(59), "végétation luxuriante" (25), "le grand maohi au visage fier" (213),
communs.
Polynésie, qu'on
de
Pomaré"
se
lasse de voir répétés
"l'attrait des îles" (218) etc....
Quelques perles. Vanaa rencontre pour la première fois Moira sur son île imaginaire de
Mataia. Il lui demande en anglais (58) : "Vous êtes anglaise ?" Ét un peu plus loin dans la
conversation : "Nous (Vanaa et son ami) reviendrons te pêcher du poisson et tu nous
parleras de Tahiti-Nui... je te chargerai d'un message..." Et Moira de répondre (59) : "Si tu
veux, fit-elle en adoptant le tutoiement tahitien".
Moira est
vous
anglaise, son mari Maxime La Ferrière français. Il lui déclare (153)
partir ? Rentrer en France par exemple ?"
:
"Désirez-
Le soir de la signature du Protectorat (en 1842), l'auteur écrit : "Max Radiguet, le fidèle et
infatigable secrétaire de Dupetit-Thouars écrivant sans relâche dans sa cabine, remit à
l'amiral le premier statut de la Polynésie Française"2 (160).
Une discussion intime a lieu entre Moira et
été francs l'un envers l'autre, Moira dear,
son
mari Maxime
beaucoup plus
(171) : "Nous avons toujours
bien des couples de notre
que
génération".
Maxime et Moira ont deux enfants (comme les
couples modernes), mais Moira
ne
souhaite
troisième grossesse3. Voici la réponse de Maxime : "Nous utiliserons les pauvres
moyens que nous offre la science actuelle et qui sont bien peu fiables... en attendant que ces
messieurs de la Faculté trouvent un remède à nos angoisses" (172).
pas une
les mots tahitiens. Le livre aurait
gagné en clarté si les mots empruntés à la langue tahitienne
italique dans le texte -comment lire (25) "tiaré et pitate" ?- à l'exception
pourtant des mots "vahiné", "tabou", et "paréo", qui figurent dans les dictionnaires français
(le Robert) et qui doivent par conséquent suivre les règles orthographiques et syntaxiques de
la grammaire française (8-9-12-35-119- etc...). A l'inverse, l'auteur francise abusivement le
mot "les farés" (57). L'auteur aurait dû
également unifier l'orthographe des mots : pourquoi
trouver "Purau" (15) et plus
loin "burau" (49), "Papoa" et Papaoa (51 et 73), "Tairapu" et
"Taiparu" (158 et 160) ? Les deux dernières citations sont en fait des coquilles qui auraient
avaient été
portés
en
2 Les statuts ultérieurs ont-ils été
quel est
négociés dans les mêmes conditions
document que prépare Radiguet ?
3 Maxime ignore l'existence de Vanaa.
ce nouveau
Société des
Études
Océaniennes
que
celui-là ? Au fait
1591
dû
disparaître à la relecture des épreuves. "Fataua" s'écrit "Fautaua" (272) et "pehue" :
qui concerne les noms de lieux, on peut accepter l'appellation moderne et
l'orthographe actuelle (Papeete, Faaa etc...), mais non les abréviations du langage parlé :
"envoyer des navires à Bora" ( 189). Pour être cohérent, il faut alors éliminer "Eiméo" et
"Peue" (8). En ce
mentionner dans tout le texte "Moorea" et
pour
non
alterner
comme
c'est le
cas
(même rernarque
Arue et Papaoa).
les notes
bas de page.
Destiné à un public métropolitain, le roman est pourvu d'un certain
explicatives en bas de page. Mais elles ont trois défauts : leur existence est
arbitraire, certaines comportent des erreurs et elles ne suivent pas des règles systématiques.
"Les faré recouverts de niau" (8) ; note : "se prononce niaou : feuille de pandanus". Il s'agit
en
nombre de notes
en
réalité des feuilles de cocotiers.
"... Ils mangent
popoi". Note page 74"Popoi fruit à pain préparé
de grandes quantités de
façons", à la place de : fruit de l'arbre à pain.
L'auteur mentionne le nom de poissons tahitiens "tatahi" et "pakurakura" (21), sans
indiquer de noms français et sans rédiger de note pour les décrire et donner leurs noms
scientifiques afin de les identifier. Concernant les plantes, l'auteur indique de temps à autre
leurs noms scientifiques, parfois leur prononciation, parfois leur traduction ou leur
prononciation, sans grande cohérence.
...
de diverses
En page
45, il est fait mention du départ d'un bateau
avec une
cargaison de "pia" ; bien
que
des. denrées différentes, comme la scène se passe en 1830, il peut être
traduit par "amidon". Une note aurait rendu le texte compréhensible.
ce terme
recouvre
On peut encore signaler une double erreur se trouvant à la page 107 : l'auteur décrit une
cérémonie rituelle polynésienne. Nous extrayons cette phrase : "... Ils furent reçus par Ornai
avec les mana de l'île qui les
guidèrent..." Pour expliquer le mot "mana", la note indique :
"personnages puissants de l'île". La note n'est pas exacte ; le "mana" n'est pas une personne,
mais une chose : le pouvoir, l'aura etc... D'autre part la phrase du roman ne signifie pas
grand chose. Il faut ajouter au mot "mana" le terme "feia", ce qui devient : "les feia mana de
l'île", c'est-à-dire les autorités.
Ces différentes remarques restent
naturellement incomplètes ;
des deux lectures que nous avons
faites du livre. Elles veulent seulement souligner qu'un roman doit
être travaillé avec un souci d'exactitude et de vérité et qu'un
contrôle systématique de tout énoncé doit être effectué, faute de
quoi le roman perd de sa crédibilité. Même une fiction ne peut
s'élaborer sans une extrême rigueur.
elles
nous
sont apparues au cours
Conclusion
Ainsi, pensons-nous, il n'est plus possible de rédiger une "saga
polynésienne" avec autant de légèreté vis-à-vis de l'histoire, ou de
naïveté sur les plans botanique, linguistique ou psychologique. Le
dictionnaire définit une saga comme "un récit historique ou
mythologique". Nous avons essayé de montrer ce qu'il en était de la
fidélité du roman à l'histoire, reste alors le mythe. Oui, Vanaa
véhicule des mythes bien ancrés, qui versent, ainsi que l'a écrit
Diderot, dans "la fable de Tahiti".
Un mythe vieillot, une version surannée et appauvrie.
Mais, est-ce une excuse... ?
Daniel MARGUERON
Société des
Études
Océaniennes
1592
COMPTE-RENDU
J. JOSSELIN
Les
canons
(texte), D. CONVARD & A. JULLIARD (lllust.)
de Faana.
Les Missions d'Isabelle
2 01 009216 3.
Fantouri
2,
Hachette,
1983,
46
p.,
ISBN
après, les champs de bataille du Pacifique occidental
pèlerinage fréquentés par des touristes un peu
particuliers : les anciens combattants ; certaines îles recèlent peut-être
toujours des soldats japonais ignorant la fin de la guerre... Mais en
Polynésie Française il y a plus : une île où se poursuit encore la Seconde
Guerre mondiale, Faana... oubliée du monde, elle est située entre les îles
du Vent et Tahiti (!) et révélée par une B.D. publiée en 1983.
Quarante
ans
sont devenus des
Isabelle
lieux de
Fantouri, la principale héroïne, et
son
ami Zatawo de
Holsteinland sont tous les deux médecins de l'Organisation mondiale de
santé et ils viennent à Tahiti en vacances. Zatawo, passionné de science
vélocipédique, construit
une
bicyclette volante dont il perd le contrôle, et
Société des
Études
Océaniennes
1593
c'est ainsi que nos deux personnages survolent l'espace aérien de Faana et
se font abattre à la fois par la DCA des Japonais et celle des Américains.
Zatawo est fait prisonnier par le soldat Okybi Hoshi
de fantassins de la Marine Impériale et enfermé
de la 19è Compagnie
dans une cage : ses
discours véhéments sur son innocence touristique, la défaite du Japon et
la fin de la guerre ne convainquent personne... Quant à Isabelle, elle est
recueillie par la mère Bravade, vedette de l'unique théâtre aux Armées,
seule femme de Faana, seule à pouvoir passer d'un camp à l'autre, la seule
aussi à savoir, par intuition, que le monde est en paix. Isabelle devient la
partenaire de mère Bravade et se produit au cours d'un show devant des
vieillards toujours combattants. Pendant ce temps et ce depuis une
trentaine d'années, les frères Tibak, véritables Dupond et Dupont bridés,
poursuivent des livraisons de matériel de guerre (à partir d'un sous-marin
de la
République populaire de Chine) aux deux belligérants en échange
pierres précieuses et de l'or de Faana. Isabelle et son ami condamnés à
mort par les Japonais sont sauvés par les Américains ; elle s'empare d'un
mégaphone et révèle à tous que l'Amérique et le Japon sont en paix. Les
des
combats cessent aussitôt.
Les futurs anciens combattants s'apprêtent à abandonner Faana
lorsqu'explose à l'horizon une bombe nucléaire : les vieux démons se
réveillent, les soldats reprennent leurs armes et leur "jeu de feu et de
sang", et mère Bravade ses spectacles car "tant que les hommes seront en
guerre, ils auront besoin de (ses) chansons..."
Isabelle et Zatawo sont donc les seuls à quitter cette île folle et
dérivent à bord d'un pneumatique sur le Pacifique : ils croisent ainsi un
voilier contestataire (où des personnalités politiques, sirotent dans un
luxueux carré en protestant contre les essais nucléaires français) puis un
bateau de guerre à bord duquel un ministre rappelle qu'il a eu le courage
plonger dans l'océan pour démontrer l'inocuité de ces mêmes
explosions... et c'est finalement un requin qui va entraîner le dinghy de
nos deux héros vers Tahiti ! "Il y a peut-être moins à désespérer des bêtes
que des hommes...". C'est le dernier mot de cette deuxième mission
d'Isabelle Fantouri : ce scénario invraisemblable (du moins faut-il
l'espérer !) écrit par Jacques Josselin est plein de clins d'œil au lecteur, et
il est illustré dans le style de l'École de Bruxelles par Didier Convard et
André Julliard. C'est une aventure intéressante à plus d'un titre pour les
amateurs d'ouvrages océaniens. D'abord c'est une bande dessinée, et elles
ne sont que trop
rares celles qui prennent comme thème Tahiti et ses îles.
Ensuite le contraste entre la nature polynésienne et les vestiges rouillés des
combats des nations développées rappelle avec force qu'il manque dans ce
Territoire un musée où pourraient être préservés les témoins de la
révolution industrielle du XIX et du début du XXè siècle, ceux
d'Atimaono ou de Makatea par exemple...
de
Mais il y a plus. Dans le décor des Aventures d'Isabelle Fantouri
n'apparaît aucun Polynésien - à part les inévitables vahinés et le douanier
de l'aéroport de Faaa... Que peut alors signifier une île sans indigènes ?
Elle devient le champ clos et isolé où s'expriment les désirs de ceux qui y
Société des
Études
Océaniennes
1594
Une bulle de temps où des vieillards poursuivent mécani¬
quement et aveuglement les actions de leur jeunesse, semblables à ces
insectes capables de répéter indéfiniment des mêmes gestes devenus
abordent.
absurdes.
Sans
ses
habitants
le chante la mère
l'île-paradis devient l'île-Thanatos
où,
canons tonnent, la vie s'entonne,
...
Bravade, les
l'amour frissonne, la mort résonne
comme
...
Le passage d'Isabelle et de Zatawo ne change rien à l'affaire, Faana
retourne à la normale c'est-à-dire à la guerre - à moins que le lecteur ne
soit un deus ex machina
loin de Tahiti !
plus efficace
...
après tout Faana n'est
pas
très
R.K.
B. NANTET
Gauguin et le rêve tahitien.
in "l'Histoire", n° 65, mars 1964, p.
52 à 64.
La revue "l'Histoire", destinée au grand public, tout en étant animée
des universitaires de renom, publie 13 pages consacrées à la Polynésie.
L'auteur B. Nantet est un journaliste.
par
Il est
rare qu'une revue d'histoire française contienne une étude sur
partie du monde, surtout dans sa rubrique, "Voyage dans le temps".
Les premières pages concernent la vie européenne du peintre
Gauguin et son lent passage à la marginalisation. Très vite, c'est la
recherche d'une terre idyllique, que ce soit en Bretagne, à Arles, et surtout
sous les Tropiques (Panama, Martinique). L'auteur indique s'être servi du
livre de B. Danielsson sur "Gauguin à Tahiti" et n'apporte aucun élément
cette
nouveau.
Puis c'est le départ, sur un navire d'État, vers l'Océanie, et
récriminations du peintre envers les fonctionnaires.
déjà les
La vie
bien
sur
polynésienne est retracée. L'auteur passe sous silence ce qui est
premier séjour, avant de s'étendre plus longuement
vie marquisienne de l'artiste, où il aurait trouvé un hâvre de paix...
un
la
échec lors du
Le choix des illustrations, nombreuses et de bonnes
l'article agréable.
qualités, rend
Il transparaît de cet article, semble-t-il, une assez mauvaise
connaissance du milieu polynésien en cette fin du XIXème siècle. Il est
faux tout d'abord de prétendre que Dupetit-Thouars arracha Tahiti à la
Grande Bretagne qui refusa par deux fois tout protectorat. Lors de
l'annexion, Pomare V n'est pas en dépit de ses faiblesses le pantin que l'on
décrit, par contre, sa mort ne change rien au destin de Tahiti, française
depuis 11 ans. Le gouverneur Lacascade, qui fut la cible privilégiée de
Société des
Études
Océaniennes
1595
Gauguin et des colons, fut un bon gouverneur, qui resta plus de 7 ans en
poste, chose jamais vue et jamais renouvelée.
Surtout l'auteur se laisse gravement abusé : Gauguin ne fut jamais le
"défenseur des Polynésiens". Personne ne conteste le fait qu'il se montra
intéressé, voir passionné
par
la culture tahitienne, mais
comme
l'ont si
bien démontré B. Danielsson et P. O'Reilly, aucun de ses articles,
que ce
soit "Les Guêpes" ou dans "Le Sourire" ne fut consacré à leur sort. En
fait, Gauguin se contenta, le plus souvent par la calomnie pure et simple,
de noircir les ennemis des colons : les fonctionnaires.
Cet article
n'apportera donc guère d'éléments nouveaux, ni sur la vie
peintre, ni sur la Polynésie du XIXème siècle. Mais il est de lecture
agréable et fort bien illustré.
du
P.Y. TOULLELAN
Rémi JAMET
Carte
Pédologique de la Polynésie Française.
Notice explicative. Feuille Tahiti à 1/40.000. Notes et documents n° 25,
Orstom-Tahiti, Nov. 1983, 112 p., Bibl., cartes.
La carte
pédologique de Tahiti
a
été réalisée dans le cadre d'un
Territoire
programme défini par la "Convention d'Études pédologiques"
de la Polynésie Française - Orstom, de Mai 1979.
Au
cours
des travaux de
prospection effectués
par
M. Prout puis
R. Peterano, par L. Stein et R. Jamet et achevés en 1980, 620 fosses ont
été ouvertes et autant de profils examinés dont 155, soit 600 échantillons,
ont été analysés
de l'Orstom.
dans les laboratoires des Services Scientifiques Centraux
Six des douze classes de sols de la classification française (CPCS,
1967) sont représentées à Tahiti mais elles sont, de par leur étendue,
d'importance très inégale. Les sols ferrallitiques y recouvrent, de loin, les
superficies les plus importantes, viennent ensuite les sols peu évolués, les
sols brunifiés, les sols hydromorphes, les sols calcomagnésiques, les sols
minéraux bruts.
L'humidité intervient de façon importante dans l'évolution des sols ;
c'est ainsi que la pluviosité, plus faible sur la côte Ouest, y permet le
maintien de sols ferrallitiques à métahalloysite, peu désaturés et mieux
encore, de sols bruns eutrophes tropicaux, en des sites où, ailleurs, ils sont
gibbsitiques et fortement désaturés. Avec l'altitude, décroît la tempéra¬
ture et avec elle, l'évapotranspiration potentielle ; il s'ensuit un
ralentissement de la décomposition de la matière organique qui
s'accumule et va être à l'origine de la formation de certains sols
particuliers : sols andiques ferrallitiques, sols bruns dystrophes, sols
ferrallitiques podzolisés.
Société des
Études
Océaniennes
1596
Pour le reste, les facteurs liés au relief, la pente essentiellement et son
corollaire, l'érosion, sont les régisseurs essentiels de la répartition des sols
dans le paysage. La perte en silice combinée (avec les autres processus
qu'elle engendre, accumulation de gibbsite, de fer, de titane) constitue, ici,
l'un des critères fondamentaux de l'évolution et de la classification des
sols. C'est ainsi que,
si la désilicification est généralement contrecarrée sur
les pentes fortes, par le rajeunissement constant du sol par l'érosion, la
faiblesse du drainage interne, elle croît au fur et à mesure que la pente se
fait plus modérée, que l'érosion faiblit, que le volume des eaux de
percolation croît, pour devenir quasi-totale sur les "plateaux" où le
complexe d'altération, toute trace de métahalloysite ayant disparu, n'est
plus constitué que d'oxydes ou hydroxydes d'aluminium, de fer, de titane,
stade ultime de l'évolution ferrallitique.
R. JAMET
Le titane dans les sols de Tahiti.
Orstom-Tahiti, 1983, 14 p., Bibl., cartes.
Notes et documents n° 24,
Depuis la fin 1978, l'Orstom, en collaboration avec le Service de
l'Économie Rurale, a entrepris, en Polynésie Française, des études
pédologiques diversifiées (cartographie, évolution des sols...) dans le
double but de parvenir à une meilleure connaissance et à une
plus grande
maîtrise des sols du Territoire.
A cet
effet, de nombreuses analyses ou déterminations diverses ont
effectuées, ou sont en cours, dans les laboratoires des services
scientifiques centraux de l'Orstom à Bondy ; certaines parmi celles-ci,
dont les rayons X, les analyses totales par
attaque triacide en particulier,
technique bien adaptée à ces sols ne renfermant, pour la plupart, que très
peu
de minéraux primaires inattaquables (résidu généralement
< 0,5%), permettent une bonne étude géochimique de ces matériaux
d'altération. Elles mettent en évidence, entre autres, des sols
ferrallitiques
marqués par une désilicification accentuée et parfois même quasi-totale,
sur certains "plateaux" de
Tahiti, où d'autre part, ces sols, pauvres ou
dépourvus en argile (métahalloysite) mais par contre riches en gibbsite,
sont caractérisés par une forte
concentration superficielle d'oxydes de fer
et aussi, fait le
plus marquant sans doute, de titane.
été
Les roches de Tahiti, essentiellement
basaltiques sont, avec des
généralement comprises entre 3 et 4%, riches en titane (Ti02). Les
sols qui en sont issus renferment donc aussi du
Titane, élément stable s'il
en est, et à des teneurs
généralement supérieures à 5%. Les plus riches
sont ceux des
"plateaux", parties peu érodées des planèzes, elles-mêmes
témoins de la pente primitive, et tout
particulièrement les sols des
"plateaux" sous le vent de la presqu'île qui renferment de 10 à 15% de
Ti02 jusqu'à un mètre.
teneurs
Société des
Études
Océaniennes
1597
D.T. HOLYOAK et J.-C. THIBAULT
(1984)
Contribution à l'étude des oiseaux de Polynésie orientale.
Mémoires du Muséum national d'histoire naturelle, Paris. Série
A, zoologie,
tome 127. 192 p., tab., 22 fig.
Présentation de l'avifaune nicheuse et migratrice
de Polynésie
orientale. La région comprend les zones géographiques suivantes : îles
Phoenix, de la Ligne, Cook, Australes, Société, Tuamotu, Groupe
Pitcairn, Ile-de-Pâques et Marquises. Pour chaque espèce, les auteurs
présentent et analysent le statut taxonomique, la répartition détaillée,
l'habitat, le régime alimentaire, la voix et pour les nicheurs, la
reproduction. Dans certains cas, des mensurations et une description du
plumage viennent compléter ces données. Les informations reposent sur
des observations personnelles, le dépouillement
de données inédites et
publiées, recueillies dans la littérature spécialisée et dans les manuscrits
d'expéditions, notamment l'Expédition Whitney du Pacifique Sud
(1921-30) et sur l'examen de nombreux spécimens d'oiseaux conservés
dans les Musées européens et américains.
M. PETIT et M. KULBICKI
Radiométrie aérienne et prospection thonière dans la
zone
économique exclusive de Polynésie Française.
Notes et documents n° 20, Orstom Tahiti, 1983, 97
p., Bibl., cartes.
De février 1981 à décembre 1981 ont été réalisées 500 heures de
radiométrie aérienne et de prospection thonière sur l'ensemble de la
Polynésie Française. Les vols se sont répartis de façon à peu près égale
Société, les Tuamotu et les Marquises. Les résultats
sont replacés et étudiés dans le contexte
hydroclimatique et halieutique de
la Polynésie Française.
entre les îles de la
Vu la rareté de forts gradients thermiques, la radiométrie n'a
pas
permis de focaliser la prospection thonière sur les zones présentant des
anomalies thermiques. Le temps de vol a été divisé en unités d'"effort de
recherche" qui prennent en compte les conditions
régnant au moment du
vol. Ceci permet de comparer des zones où les conditions d'observations
ont
été différentes.
Au cours de ces prospections, 169 concentrations de thonidés ont été
détectées. Les observations se sont faites surtout dans des eaux à 27-28° C
et par ciel couvert ou au contraire très
dégagé. La densité des bancs
diminue avec la distance à la côte dans le secteur des îles de la Société et
des Tuamotu, mais pas dans celui des
Marquises. Sur l'ensemble de la
les bancs étaient composés en grande majorité de bonites et la
plupart des mattes observées avaient moins de 30 tonnes. Aux îles de la
Société, les bancs étaient plus fréquemment en surface qu'aux Tuamotu
zone,
Société des
Études
Océaniennes
1598
Marquises. De même aux Sociétés les oiseaux indiquent plus
la présence de thon qu'aux Tuamotu ou aux Marquises. La
prospection aérienne a montré l'importance des vols d'oiseaux dans le
repérage du poisson et la nécessité de mieux connaître les relations entre
ou
aux
souvent
oiseaux
On
et
thons.
proposé une méthode rapide mais aux résultats encore grossiers
évaluer les quantités de thons détectables par avion. Relier ce
tonnage à un tonnage pêchable demanderait des prospections simultanées
avion-bateau à grande échelle.
a
pour
S'appuyant sur les résultats des prospections aériennes un plan de
développement succint est présenté. Il prévoit des prospections de longue
durée par canneurs et senneurs, la nécessité d'étudier la
pêche sur radeau.
Dans ce cadre on pourrait envisager des prospections aériennes, mais en
ajoutant à la mesure de la température, celle de la salinité, de la couleur de
l'eau avec l'appui et le développement de la télédétection aérospatiale en
océanologie.
INTES (A) - CHARPY (L) - MORIZE (E) - HARMELIN-VIVIEN
(M)
FAURE (G) & LABOUTE (P) - PEYROT-CLAUSADE (M)
-
L'atoll de Tikehau.
Orstom, Tahiti, 1984, Notes et Doc. Océanogr. n° 22, 146 p.
Les
archipels de Polynésie comportent 120 îles, parmi lesquelles 74
répartissent principalement dans l'archipel des Tuamotu
Gambier. Dans ces atolls, la superficie des formations récifales et
lagonaires (12.500 km2 environ) représente approximativement 17 fois
plus que celle des terres émergées (inférieure à 700 km2). La surface des
lagons d'atolls représente grossièrement la l/500è partie de la zone
économique exclusive polynésienne. Par leur étendue et les ressources
naturelles qu'ils renferment, ces lagons constituent une part essentielle du
patrimoine de la Polynésie. Enclaves fortement productrices au sein d'un
océan oligotrophe, ils constituent des unités fonctionnelles
complexes et
éminemment fragiles, qui n'ont suscité l'intérêt de la communauté
scientifique internationale que depuis une trentaine d'années. Aussi, trop
d'aspects des processus de leur production biologique restent
énigmatiques.
atolls
se
Leurs potentialités ne pourront être préservées que
par un
aménagement d'une exploitation en cours de mutation et de dévelop¬
pement. Les normes à définir se fonderont sur l'acquisition des
connaissances approfondies, sur les mécanismes de leur fonctionnement
et sur
l'évaluation de leur fertilité.
L'Office de la Recherche Scientifique et
Technique Outre-Mer
souhaite apporter sa contribution à l'étude des
écosystèmes lagonaires en
mettant
en
œuvre
un
programme
"Atoll".
Société des
de recherche appelé programme
Études
Océaniennes
1599
Le programme "Atoll"
Le programme atoll focalise son intérêt
sur
le fonctionnement de
l'écosystème lagonaire par l'étude des mécanismes aboutissant à la
production biologique, et notamment à sa fraction d'intérêt économique.
Les actions de recherche
sont
centrées
la morphologie du lagon et
par
deux atolls cibles, sélectionnés
l'exploitation des ressources
sur
par
naturelles. Ces deux îles
sont Tikehau d'une part, atoll ouvert
par une
de nombreux hoa où une pêche artisanale des poissons de lagon
est bien développée, et Takapoto d'autre
part, atoll fermé qui abrite un
stock naturel de nacres exploité pour la perliculture.
passe et
Le programme est articulé en plusieurs opérations
complémentaires
qui étudient les ressources exploitées, les facteurs incidents sur la
prospérité des populations exploitées et l'évolution de l'exploitation à
travers les
facteurs humains.
Les
Intes
premiers résultats obtenus sont donc publiés dans
(A) - L'atoll de Tikehau : Généralités
ce
document
:
Charpy (L) - Quelques caractéristiques de la matière organique
particulaire du lagon.
Morize (E)
- Contribution à l'étude d'une pêcherie artisanale et de la
dynamique des populations des principales espèces de poissons
exploitées.
Harmelin-Vivien (M) - Distribution quantitative de poissons herbivores
dans les formations coralliennes.
Faure
1.
(G) & Laboute (P) - Formations récifaies :
Définition des unités récifales et distribution des principaux peu¬
plements de Scléractiniaires.
Peyrot-Clausade (M)
-
Cryptofaune mobile des formations récifales.
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Études
Océaniennes
.
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 227