B98735210105_226.pdf
- Texte
-
BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCEKNIENNES
N° 226
TOME XIX
—
Société des
N° 3 / Mars 1984
Études
Océaniennes
Société des
Études Océaniennes
Fondée
Rue
Lagarde
-
en
1917.
Papeete, Tahiti.
Polynésie Française.
B.P. 110
-
Tél. 2 00 64.
Banque Indosuez 21-120-22 T
—
C.C.P. 34-85 PAPEETE
CONSEIL D'ADMINISTRATION
M. Paul MOORTGAT
Président
Me Eric LEQUERRE
Mlle Jeanine LAGUESSE
Vice-Président
Secrétaire
M.
Trésorier
Raymond PIETRI
assesseurs
M. Yvonnic ALLAIN
Mme Flora DEVATINE
M. Robert KOENIG
M. Roland SUE
MEMBRES D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
R.P. O'REILLY
M. Yves MALARDE
Société des
Études
Océaniennes
BULLETIN
DE LA SOCIÉTÉ
DES
ÉTUDES OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
N° 226
-
TOME XIX
-
N° 3 MARS 1984
SOMMAIRE
Personnages nimbés de gloire et pirogues sans
Prophéties d'avant les contacts
dans les Iles de la Société : H.A.H. Driessen
sur les protectorats et les
Océanie de 1844 à 1889 : X.
Note
en
balancier.
1481
annexions
1512
1520
Caillet
Tahiti et la Sorbonne : P. O'Reilly
1er
Congrès International
-
Ile de Pâques et Polynésie Orientale
1521
Comptes-rendus
Histoire de la poste et du timbre
G.
Kling
en
Nouvelle-Calédonie et Dépendances
:
Bagnis
E. Christian & R.
N. Halle
:
Végétation de l'île Rurutu et additions au
:
1522
1523
Les îles de Tahiti
catalogue
1525
de la flore des îles australes
Le Pacifique
1526
"Nouveau centre du monde"
P.A. Pirazzoli : Mise en évidence d'une
dans l'archipel de la Société, d'après la
flexure active de la lithosphère
position des rivages
1528
de la fin de l'Holocène
L. Villiers & J. Meyer :
dans la zone maritime
Pêche de prospection à la traîne de surface
polynésienne au cours des années 1974 à 1980
E.L. Carloz : La lutte contre
M. Cizeron & M.
D. Oliver
:
Hienly
:
la Filariose de Bancroft à Tahiti
Tahiti, côté montagne
Two Tahitian villages
Ugolini : La pêche bonitière
Polynésie Française en 1982
..
1528
1529
1531
1532
J. Chabanne & B.
en
Quelques thèses de l'Orstom
Publications scientifiques Aquacop. CNEXO-Taravao
Société des Études Océaniennes
1535
1538
1481
PERSONNAGES NIMBÉS DE GLOIRE
ET PIROGUES SANS BALANCIER
Prophéties d'avant les
contacts dans les Iles de la Société
COMMENT PERCEVOIR L'AUTRE ?
Dans leurs journaux de bord et leurs récits de voyages les grands
découvreurs du XVIIIè siècle nous relatent leur rencontre avec les
habitants des Mers du Sud : mais qu'en est-il de cette même
rencontre racontée par ces derniers ? Est-il possible par exemple de
aujourd'hui comment les Tahitiens ont vu les marins de
êtres étranges circulant sur de drôles de moyens de
transport, des pirogues sans balanciers ? Et pour reprendre cette
fameuse prophétie, comment peut-on comprendre ce qui paraît
incompréhensible ? suffit-il donc de prédire l'incroyable ou
l'impossible pour qu'ils se réalisent ?...
retrouver
Wallis,
ces
Hank Driessen,
un chercheur australien spécialiste de l'histoire du
Pacifique, se propose de reconstituer pour nous, le monde de
perception des Polynésiens au moment de leurs premiers contacts
avec les Européens : référents religieux et
mythologiques, concepts
métaphysiques, variations sur des rumeurs, généalogie des dieux
connus à la rescousse pour identifier de mystérieux inconnus,
transcriptions par les officiers de marine ou les missionnaires des
paroles et des silences prudents de leurs informateurs locaux, voici
les éléments d'une véritable enquête qui restitue l'appréhension
qu'a un peuple de la réalité et la représentation qu'il se fait du
monde qu'il connaît et de l'étranger qui l'inquiète et le fascine à la
fois.
Il y a deux siècles de cela, les Polynésiens se sont trouvés
radicalement confrontés avec ce problème de la perception
d'Autrui : image de soi donnée à l'Autre, image des Autres qu'on se
donne à soi... serait-ce de cette double réflexion qu'est née une des
premières industries du Territoire,... le tourisme... ?
Robert KOENIG
Hank Driessen remercie Niel Gunson, Robert
Langdon, Jenny Terrel, Daryl Tryon et
Ralph White de leur aide
pour son article qui a paru dans le Volume XVII du premier
numéro de Janvier 1982 du "Journal of Pacific History"
(pp 3-26). Pour cette traduction
je voudrais faire de même pour Henri et Marguerite Vernier, Francine Margueron,
Geneviève Chevalley et last but not least Denise Koenig...
Société des
Études
Océaniennes
1482
PROPHÉTIES D'AVANT
Nombreuses
sont les
LES CONTACTS
sociétés
qui ont considéré les premiers
les représentants d'une
dimension métaphysique : cette identification était
parfois facilitée
par l'existence de mythes, de légendes ou de traditions relatives au
retour des dieux ou des
esprits ancestraux. Des rumeurs anté¬
rieures au premier contact et concernant des hommes blancs
aperçus ailleurs, ont été à l'origine de prophéties annonçant la
Européens
venue
venant les aborder
comme
imminente d'êtres surnaturels. Il
empires aztèque, maya
des Espagnols (1).
Cela
a
concernant
été le
les
cas
ou
en
a
été ainsi dans les
inca quelques décennies avant l'arrivée
aussi dans le
Pacifique et des bruits
ont souvent précédé leur venue de
habitants de Rarotonga par exemple
Européens
plusieurs décennies. Les
appris par des gens qui avaient dérivé des Iles de la Société,
qu'il existait "une race... entièrement différente de la leur et qui
était tout à fait blanche et s'appelait Tute ou Cook". Les
étrangers
disposaient de navires "immensément grands", qui ne chaviraient
pas, bien qu'ils n'aient pas de balanciers. Ces "Cookiens", c'est-àdire les hommes du capitaine
Cook, avaient été suivis des
"serviteurs de Jéhovah", possesseurs
d'"objets aiguisés... avec
lesquels ils pouvaient abattre (des arbres) très facilement". Avec
leurs outils "ils pouvaient réaliser leur travail avec
beaucoup plus
d'aisance" que les Tahitiens
qui ne disposaient que d'un outillage
composé de pierre et d'os. Un grand chef de Rarotonga nomma par
conséquent ses enfants Jéhovah et Jésus-Christ d'après les dieux
des Blancs. Un lieu d'adoration fut édifié et dédié à
Jéhovah et "y
étaient amenés pour leur
guérison ceux qui souffraient de toutes
sortes de maladies". Les
Rarotongiens prièrent leur dieu Tangaroa
d'envoyer des Blancs "dans leur île pour qu'ils leur donnent des
clous, du fer et des haches et pour qu'ils leur permettent de voir
leurs pirogues sans balancier"
(2).
avaient
(1) W. La Barre, The Ghost Dance : Origins
of Religion (London 1972), 200, 201. W.H.
Prescott, History of the Conquest of Mexico (New York
n.d.), 39, 172. D de Landa,
Account of the Affairs of Yucatan, À.R.
Pagden éd. et trad. (Chicago 1975), 49, 169. H.
Poma, Letter to a King, C. Dilke éd. et trad.
(London 1978), 69, 70, 105.
(2) J. Williams, A Narrative of Missionary
Enterprises in the South Sea Islands (London
1840), 28, 52.
Société des
Études
Océaniennes
1483
Dans d'autres îles la rumeur de l'arrivée des Européens, ou la
au loin de leurs navires,
entraîna une interprétation pro¬
phétique, en particulier à Mangareva (3) et à Mangaia où les
habitants imaginèrent que les Blancs étaient "les enfants clairs (du
vue
dieu) Tangaroa perdus depuis longtemps" (4). Dans les Iles de la
Société, comme dans toute la Polynésie, "les prophètes et leurs ins¬
pirations étaient... la base principale de la religion" (5) : des
augures professionnels firent des prédictions concernant les Euro¬
péens, exprimant ainsi leur curiosité pour une technologie
étrangère divulguée par la rumeur seule ; c'est cette préoccupation
qui se retrouvera dans les informations données par les Tahitiens
aux Rarotongiens. Toutes ces prophéties auraient été
faites peu de
temps avant la découverte de Tahiti par Wallis, le capitaine du
Dolphin, en juin 1767.
Nous allons étudier la forme et la
des Iles de la Société et émettre des
événements qui ont pu les inspirer.
signification des prophéties
suggestions concernant les
I. LA TRADITION PROPHÉTIQUE
DE LA SOCIÉTÉ
DES ILES
Le missionnaire J.M. Orsmond
a recueilli en 1823,
pendant
séjour de trois ans à Bora-Bora, l'une des traditions
prophétiques les plus anciennes (6). Son collègue Robert Thomson
qui vint en 1839 enregistra d'autres détails dans une "Histoire de
Tahiti" qui n'a pas été encore publiée (7). Le missionnaire William
Ellis qui avait résidé à Huahine entre 1817 et 1823 publia en 1829
une tradition prophétique plus élaborée (8).
Les prophéties semblent provenir des deux centres renommés
pour leur enseignement, celui de Opoa pour Raiatea et celui de
Haapape pour Tahiti. D'après Ellis, Opoa était "le siège de leur
oracle et le centre de ces prêtres dont les prédictions avaient
dirigé
pendant de nombreuses générations les espoirs de la nation" (9).
son
(3) H. Laval, Mangareva : l'histoire Ancienne d'un Peuple Polynésien (Paris 1938), 195-201.
(4) W.W. Gill, Myths and Songs from the South Pacific (London 1876), 13.
(5) J. Davies, Journal, 10 dec. 1808, South Seas Journals (plus bas sous les initiales de SSJ),
London, University of London, School of Oriental and African Studies, Archives of
Council for World Mission (CWM).
(6) T. Henry, Ancient Tahiti (Honolulu 1928), 4 fn.
(7) R. Thomson, MS, History of Tahiti, 32, 33, CWM.
(8) W. Ellis, Polynesian Researches, during a Residence of nearly six years in the South Sea
Islands (London 1967), repr. de l'édition de 1829), II, 53, 54.
(9) Ibid., 13.
Société des
Études
Océaniennes
1484
D'après la tradition, la cheffesse de Opoa Toa-te-manava avait
Haapape au moment où le culte du dieu de la
fondé l'école de
guerre
'Oro arrive à Tahiti
en
provenance de Raiatea. Sa
réputation venait après celle de Opoa et parmi les matières
enseignées à ses étudiants d'origine aristocratique figurait "le
folklore de Raiatea, la métropole" (10). Les similitudes de leurs
messages prophétiques au sujet de la venue des Européens révèlent
les interactions entre les deux centres.
Les renseignements de Thomson concernant ce
qui s'était
passé à Tahiti juste avant et peu après les premiers contacts,
avaient été donnés par des
gens qui se rappelaient l'arrivée de
Wallis en 1767 et se souvenaient "des événements
qui avaient eu
lieu de leur temps et des circonstances dont ils avaient entendu
parler par leurs pères". Thomson disposait en plus des écrits de
collègues plus âgés et surtout de ceux de son beau-père Charles
Barff, installé à Huahine (11), et il en était de même pour Ellis qui
s'appuyait autant sur les dires d'informateurs indigènes dont il
taisait le nom que sur les connaissances de missionnaires comme
lui (12). De tous les membres de la Société des Missions de
Londres, Orsmond était de loin le meilleur ethnographe : ses
premiers efforts pour maîtriser "la langue, l'âme de la parole
tahitienne" et pour recueillir "les vieux récits de la tradition"
avaient été vivement encouragés
par plusieurs chefs. Peu après son
arrivéè dans les îles, le roi Pomare le
chargea d'interroger les
gardiens de la tradition orale et leur connaissance devait être
"écrite et confiée à (ses) soins"
(13). L'histoire de Tahiti écrite par
Orsmond s'appuyait sur les "récits tels
qu'ils tombèrent des lèvres
des prêtres, des poètes et d'autres
indigènes instruits" (14).
Orsmond notait habituellement le nom de ses
informateurs et
souvent leur statut social ainsi
que la date et le lieu de l'entretien :
Vai-au et Auna-iti ou Auna, ses informateurs de la
Raiatea, peuvent être identifiés
avec
une
certaine
prophétie de
probabilité.
Ces deux hommes avaient d'abord été décrits comme
deux
anciens grands-prêtres de Bora
Bora, mais il semble que c'est une
erreur
qui vient probablement d'une supposition de la petite-fille
(10) Henry, op. cit., 75, 129, 130.
(11) Thomson, op. cit., 1, 12, 14.
(12) Ellis, op. cit., I, x.
(13) J.M. Orsmond, Journal, 10 Dec. 1817, 15 Dec.
1822, SSJ, CWM. Pomare à Orsmond,
sept. 1817, Pomare Letters, trad. R.G. White,
Tahiti, Texte en possession du Dr W.N.
Gunson, Canberra.
(14) Henry,
op.
cit., (1).
Société des
Études
Océaniennes
1485
d'Orsmond et de l'éditeur Teuira Henry : ils étaient prêtres
de cette
île, puisque cette information avait été donnée par deux anciens
prêtres de Bora Bora (15). En réalité, un manuscrit d'Orsmond
non-publié révèle que Vai-au était un "ancien prêtre de Raiatea" et
qu'il avait relevé par écrit pour lui quelques traditions alors
qu'Orsmond vivait encore à Tainu'u dans le district de Tevaitoa à
Raiatea avant son départ pour Bora Bora (16) ; Orsmond décrit
ailleurs Vai-au comme un ancien prêtre de Tamatoa, chef sacré de
Opoa (17). Dans les premiers jours suivant les conversions en
masse au christianisme
plusieurs missionnaires furent souvent
accompagnés d'un cortège dans leurs déplacements. Lorsque
Orsmond alla à Bora Bora pour établir une station missionnaire à
Vaitape il semble que Vai-au l'y suivit et, comme d'autres anciens
experts en rituel, qu'il y fut élu diacre du nouveau temple en
octobre 1822
(18).
Auna-iti, l'autre informateur d'Orsmond, avait vécu près du
dieux, au grand marae de Opoa à
Taputapuatea (19) et avait été ainsi un prêtre important de 'Oro,
dieu de la guerre, dans ce district renommé pour ses prophéties. Il
se peut qu'il ait été le père d'un autre Auna, lui aussi ancien
prêtre
de 'Oro à Taputapuatea et l'un des premiers diacres du
temple de
Huahine et qui se trouvait à Hawaii en 1823 (20) au moment où
Fare A tua, la maison sacrée des
Orsmond notait le récit de la tradition prophétique à Bora Bora.
Les fonctions importantes se transmettaient habituellement
par
héritage à l'intérieur d'une même famille ; aussi est-il fort probable
qu'il y ait eu une relation consanguine entre deux anciens prêtres
de 'Oro à Opoa portant le même nom. Le diacre avait appris de la
bouche de son père, prêtre de 'Oro (21), "les longues prières et les
récits légendaires... essentiels pour le préparer à sa fonction
d'officiant" (22). Avant de se convertir Auna-iti avait été le prêtre
(15) Ibid., 4, 336, 341, 404, 448 et
seq.
(16) J.M. Orsmond, MS Part Tahitian Dictionary, 26, annoté et traduit
Tahiti, en possession du Dr W.N. Gunson, Canberra.
(17) Henry,
op.
par
R.G. White,
cit., 427.
(18) Orsmond, Journal, 2 oct. 1822, SSJ, CWM.
(19) J.M. Orsmond, MS, Arioi, 9, annoté et traduit
du Dr. W.N. Gunson, Canberra.
par
R.G. White, Tahiti,
en
possession
(20) H.E. Maude, "The Raiatean chief Auna and the conversion of Hawaii", Journal of
Pacific History, VIII (1973), 188-91.
(21) J. Davies (éd.), "E Parau
no Auna", Te faaite Tahiti (Tahiti 1837), 25.
(22) C. Barff, MS Brief Memoir of Auna, 1, Sydney, Archives of New South Wales,
Supreme Court Papers.
Société des Etudes Océaniennes
1486
de 'Oro du
plus haut
rang
à Opoa et à la tête de la société 'arioi il
avait porté le titre de Teramanini (23).
Ainsi les informateurs d'Orsmond connaissaient très bien la
tradition de Opoa, la tradition du tabernacle sacré renommé
comme étant "le plus célèbre des oracles" dans
l'archipel et le
centre des augures sacrés (24).
Le Tumu du Tamanu
Le point de départ de la prophétie était un signe, la
destruction par un violent tourbillon d'un vieux tamanu qui
poussait dans l'enceinte du marae de Taputapuatea : il ne resta
debout de cet arbre que le tronc nu, le tumu. Un prêtre du nom de
Vaita y vit l'annonce de l'arrivée des Européens (25). Mais
Thomson nous donne une version légèrement différente de cette
prophétie : un ennemi, qui n'était pas nommé, conquit le district de
Opoa et "coupa un arbre sacré et vénéré qui abritait de son ombre
le marae de leur dieu" amenant ainsi un prêtre à prédire l'arrivée
imminente des bateaux européens (26). Il y a là plus de différence
qu'on ne pense.
Comme l'avait remarqué Orsmond, les habitants des îles utili¬
saient "un langage très imagé. Pour ceux qui n'avaient que des
connaissances superficielles de leur langue, ce que disaient les gens
restaient mystérieux" (27). Ceci se remarque bien dans les chants
guerriers traditionnels (pehe tama'i) où des phénomènes naturels
comme le tonnerre, l'éclair ou les
tempêtes sont des métaphores
pour parler de bataille et de destructions. Un guerrier courageux
refusant de se rendre était comparé à un fau, "un arbre qui résiste à
tous les vents". L'île de Huahine, peut-être parce
qu'elle avait opi¬
niâtrement repoussé les invasions des gens de Bora Bora, avait été
surnommée purau "un arbre qui pousse- sur une colline et qui
résiste à toutes les tempêtes". Avant d'aller se battre les
guerriers
étaient incités à être aussi féroces que le puahiohio, le tourbillon
qui détruit tout sur son passage (28).
(23) Ellis,
op. cit., 1, 315.
(24) 1 bid., 11, 54, 234.
(25) Henry, op. cit., 4.
(26) Thomson, op. cit., 33, Henry, op. cit., 4.
(27) Orsmond, Journal, 8 jan. 1821, SSJ, CWM.
(28) Orsmond, MS War on Tahiti, 9, 21, 23, 36, 39-42, annoté
Tahiti, en possession du Dr W.N. Gunson, Canberra.
Société des
Études
Océaniennes
et
traduit par R.G. White,
1487
âge, les informateurs d'Orsmond en 1823 connais¬
signification allégorique du tourbillon qui avait détruit
l'arbre sacré de Opoa. La tradition reprenait le récit oral des
événements qui avaient précédé l'arrivée des Européens et
l'exprimait dans un style allégorique et selon deux figures rhéto¬
riques distinctes dont Orsmond n'avait peut-être pas compris la
véritable signification, le tourbillon et le tumu ou tronc. Les
événements historiques transmis dans le langage plein de
métaphores de la tradition orale deviennent obscurs ou se perdent
au cours de leur transmission lorsqu'ils sont incompréhensibles
aux étrangers mais aussi à partir du moment où ils ne sont plus
correctement perçus par les informateurs indigènes. Teuira Henry
publiera des décennies plus tard les manuscrits de son grand-père
mais ne donnera qu'une partie du texte prophétique et sans
explication. Il semble clair cependant que le tourbillon de folie
meurtrière à Opoa soit une allégorie faisant référence aux actions
des guerriers ennemis, ainsi qu'en témoigne le récit de Thomson de
Vu leur
saient la
ces
mêmes événements. Réduire
un
arbre sacré à
un
tronc émondé
allégorie. Tailler un arbre, l'étêter et ne
laisser que le tronc debout illustrait la mise à mort des guerriers,
des conseillers et de la famille d'un grand chef (29). Ainsi la
tradition d'un tourbillon qui avait arraché les branches d'un arbre
sacré à Opoa signifiait que des guerriers ennemis avaient tué et
chassé les partisans d'un chef sacré, le laissant comme un tronc ou
ou
tumu est
une
autre
tumu.
interprétation des événements de Opoa décrit en fait la
politique de Raiatea telle qu'elle se trouve consignée dans
les journaux des expéditions de Cook. L'île avait été conquise par
des guerriers venus de Bora Bora : Vete'ara'i U'uru, le chef sacré de
Opoa, ne conservait plus que son titre et son propre district (30).
Le naturaliste de la Résolution, Anders Sparrman, notait que le
"vieux roi de Raiatea" servait de "vice-roi et (de) chef du district de
Opoa" à Puni, le chef de ces envahisseurs dont les agents de Bora
Bora dirigeaient en fait l'île (31). De nombreux habitants de
Raiatea avaient fui leur île et, comme Huahine avait été aussi
conquise momentanément par ceux de Bora Bora, ils avaient
Cette
situation
(29) Ibid., 50, 51.
(30) J. Cook, The Journals of Captain James Cook : The voyage
Adventure, J.C. Beaglehole, éd. (Cambridge 1969), 425.
(31) A. Sparrman, A Voyage Round the World with
Resolution, O. Rutter, ed. (London 1953), 82.
of the Resolution and
Captain James Cook in H.M.S.
Société des Etudes Océaniennes
1488
trouvé
refuge aux Iles du Vent (32). Ainsi, bien que le chef de Opoa
gardé sa position sociale, Raiatea et Tahaa étaient tombées
après trois années de guerre intermittante sous l'hégémonie du Hau
Fa'anui, le gouvernement ou l'administration (Hau) de Fa'anui,
nom du district de Bora Bora le plus important
(33).
Tout (exception faite de la tradition recueillie par Ellis)
montre à l'évidence que peu de temps s'était écoulé entre la
prophétie et sa réalisation. Ornai ou Mai de Raiatea qui avait été
emmené en Angleterre par Cook lors de son deuxième voyage,
raconta en 1774, alors qu'il était exilé à Tahiti, au docteur Solander
que l'invasion avait eu lieu "à peu près douze ans auparavant" (34).
Une date semblable avait été obtenue par Robert Thomson qui
cherchait à connaître l'importante conséquence politique de cette
invasion : la venue à Tahiti de la ceinture sacrée en plumes rouges
et d'une statue du dieu de la guerre
'Oro de Opoa ; la possession et
le contrôle de celles-ci allaient engendrer des décennies de guerre
aux Iles du Vent. Thomson déduisait que ces
objets sacrés avaient
dû être introduits "probablement autour de 1760" (35). Il était
manifeste que des récits concernant des Européens avaient atteint
les Iles de la Société vers 1760 et nous pouvons en retrouver des
traces dans le contenu des prophéties.
Lorsque le prêtre de Opoa Vaita était sous le coup de l'inspi¬
ration il interprétait la signification des événements par ces mots
prophétiques :
ait
Tena mai
e
te
uru
ra'au i
E lino 'e
e
Les
una
du
tino 'e
e
hi'o i teie
to
cette
Taputapuatea
différent
notre corps est différent
(nous formons) une seule espèce
tatou
huru
Te Tumu mai.
no
e
riro teie nei
du
mou
teie
Tumu.
Et cette terre
fenua
ia ratou.
E
et verront
forêt de
Leurs corps est
ratou
ra
glorieux descendants
(le Tronc)
Tumu
viendront
Taputapuçtea nei.
to
ho'e ana'e
E
Janau'a 'una
Tumu
haere mai
te
na
sera
prise
par eux.
Les vieilles coutumes seront détruites.
ha'apaora'a tahito nei.
(32) J. Burney, With Captain James Cook in the Antarctic and Pacific, B. Hooper, ed.
(Canberra 1975), 72. (J. Magra), A Journal of a voyage Round the World... (London
1771), 62, 63. Au moment des lers contacts Huahine avait retrouvé une indépendance
fragile.
(33) Barff,
aussi
op. cit., 1. (Magra), op. cit., 62. Fa'anui,
désigner l'ensemble de l'île.
(34) Cook,
op.
(35) Thomson,
nom
d'un district de Bora Bora, pouvait
cit., 949.
cit., 17.
(36) Henry, 'op. cit., 5. Ma traduction
op.
Société des
se
bàse
Études
sur
celle de
Henry.
Océaniennes
1489
E
e
tae
mai ho'i te
manu
mo'a
Et des oiseaux sacrés de la terre et
de la
o
te moana e
a
haere mai
te
mer
viendront aussi ici
fenua nei,
viendront
e
ta'iha'a
sur ce
lamenteront
et se
que cet
arbre abattu
doit enseigner.
Ils viendront sur
i ta teie ra'au i motu
sans
une
pirogue
balancier (36).
Il y a un
important jeu de mot entre l'histoire allégorique et la
prophétie de "l'arbre coupé", élagué : l'expression tumu ou tronc
de la prédiction fait référence particulièrement à Te Tumu, un
élément du panthéon tahitien, dont les enfants glorieux arriveront
dans une pirogue sans balancier. En dehors de Tronc, Te Tumu
peut être traduit soit par la Cause ou l'Origine, la Source, la Racine
ou la Fondation (37).
La tradition
prophétique de Tahiti
Ces mêmes références
métaphysiques
dans la
de
cause
la
prophétie avait été faite par un homme nommé Pau'e et que ce qu'il
avait prédit eut lieu peu après (38). Orsmond avait noté deux
versions, dont l'une se trouve dans un manuscrit non publié :
se retrouvent
prophétie tahitienne, et les
sources ne fournissent pas de raison
à effet. Orsmond et Thomson notèrent seulement que
No
Haapape
(Du district) de
Haapape était Pau'e
la personne qui avait déclaré
qu'une pirogue sans balancier
Pau'e
te ta'ata i parau maira
e tera mai te pahi ama 'ore
e
te
no
o
viendrait
et les enfants*
fanau'a 'una'una
Te Tumu.
de Te Tumu
glorieux
(39).
La version
publiée et très répandue de cette même prophétie
désigne l'(es) être(s) de la pirogue
sans balancier comme te tamari'i a te tua'una'una, 'T(es) enfant(s)
de la glorieuse cheffesse". Pau'e prédisait de plus que l'(es) étran¬
gers) serai(en)t Te vehi hia mai te upo'o e tae roa i te 'avae,
omet
la référence à Te Tumu et
(37) Ibid., 288. E. and I. Andrews, A comparative Dictionary of the Tahitian Language
(Chicago 1944). Orsmorïd, MS Arioi, 61. Orsmond, MS War on Tahiti, 21.
op. cit., 32. Orsmond, MS Dictionary, 12.
(*) "Offspring" = Progéniture descendance / descendant.
(39) Orsmond, MS Dictionary, 12. Ceci est ma traduction et voici celle d'Orsmond : "Paue
était de Haapape. Il prédit avant l'arrivée du premier navire étranger à Tahiti qu'une
grande pirogue sans balancier viendrait bientôt à Tahiti, son origine serait celle des
enfants d'un peuple élégant". Ce n'est pas une traduction exacte.
(38) Thomson,
Société des
Études
Océaniennes
1490
"couverts entièrement de la tête
pieds" (40), une référence
habits européens. Cette version contient aussi des
éléments postérieurs aux contacts, caractérisés par l'absence
d'ambiguité et décrivant de manière transparente les récents déve¬
loppements sociaux, économiques et politiques. Le prophète
tahitien prédisait soit-disant
"qu'il viendrait un nouveau roi à qui l'on confierait
ce gouvernement et (que) de nouvelles coutumes
seraient adoptées dans le pays : le tapa et le maillet
pour le battre seraient abandonnés à Tahiti, et les
gens porteraient des habits différents et étran¬
gers" (41).
Ce passage fait clairement référence à l'émergence de la
dynastie des Pomare, souverains des Iles du Vent, à l'adoption de
nouvelles habitudes lors de l'acceptation du christianisme et à la
réduction petit à petit de la confection du tapa puisque les textiles
européens s'obtenaient en quantité croissante des navires. Ces
rajouts représentent certainement une réponse (pleine d'imagi¬
nation) aux nouveaux événements. En falsifiant après coup des
rapports avec un passé exclusivement traditionnel et indigène, on
revendiquait des droits de propriété sur un monde en trans¬
formation, une réaction peut-être à la perception de la supériorité
des étrangers qui avaient amené le changement avec une nouvelle
religion, de nouvelles lois, une nouvelle technologie, de nouveaux
biens matériels, et en général de nouvelles coutumes et de nouvelles
idées. Le nouvel ordre politique à Tahiti -qui évoluait en fonction
du passage des navires européens- était rendu légitime par cette
prophétie élargie puisqu'elle aurait été soi-disant pré-dite dans le
passé. L'incorporation des connaissances postérieures aux contacts
avec les traditions prophétiques
devenait technique d'ajustement,
tentative pour harmoniser ou pour unir l'ancien et le nouveau et ce
procédé a été utilisé par la génération de ceux dont la vie avait été
transformée du tout au tout. Les traumatismes du changement
comme le besoin inévitable d'actualiser les
points de vue
traditionnels seraient réduits s'il était possible d'affirmer que ce
présent plein de confusion avait déjà été prédit.
peut-être
aux
aux
(40) Henry,
op. cit., 9.
(41) I bid., 10. Henry ajouta une autre prophétie provenant d'Orsmond ou de quelqu'un
d'autre : un prêtre de Raiatea du nom de Teitei prédit le jour où "les restrictions à la
nourriture des femmes cesseraient et elles pourraient être libres de
manger de la tortue
et d'autres aliments sacrés aussi bien
pour les dieux que pour les hommes". Cela "se
vérifia avec la venue du christianisme". 1 bid., 4.
Société des
Études
Océaniennes
1491
Une autre version d'Ellis
Une autre fonction d'ajustement semble évidente dans une
version notée par Ellis, qui ne contient aucun rapport de cause à
effet ni référence surnaturelle mais qui a toutes les caractéristiques
d'une légende. Ellis fournit peu de détails mais cette version semble
prophétie de Raiatea enregistrée par Orsmond mais
prophète de Raiatea du nom de Maui (42) avait non
seulement prédit l'arrivée d'un va a ama'ore, d'une pirogue sans
balancier, mais aussi d'un va'a taura'ore, "d'une pirogue ou d'un
navire sans corde ni cordage". Ellis en fit le commentaire suivant :
"J'ai souvent pensé - en pensant au peu d'usage de
gréement à bord de nos bateaux à vapeur, que si un
spécimen de cette invention venait à atteindre les îles
des Mers du Sud... (ils) affirmeraient aussitôt que la
deuxième prédiction de Maui s'était accomplie et
que le navire sans gréement ni cordage était
être celle de la
altérée. Un
arrivé" (43).
Aucun bateau à vapeur n'avait encore abordé ces archipels
mais l'existence de tels navires aurait pu être signalée soit par des
voyageurs soit par les nombreux insulaires qui s'étaient déplacés à
bord des navires de commerce ou des baleiniers jusqu'à la côte
américaine, le Proche-Orient et même l'Europe (44). L'adoption
postérieur aux contacts dans une prophétie soidisant faite avant la découverte européenne était probablement
facilitée par la similitude de description des 2 types de navires, l'un
étant l'extension conceptuelle et linguistique de l'autre. Du fait que
la prophétie des pirogues sans balancier se soit vérifiée, malgré le
fort scepticisme sur l'existence d'un tel navire au moment où la
d'un tel élément
prédiction avait été faite -thème aussi présent dans la tradition
prophétique d'Orsmond-, Ellis écrivit que beaucoup admirent la
plausibilité de l'accomplissement d'une deuxième prédiction, même
s'ils ne pouvaient imaginer comment "les mâts tiendraient,
(42) Ellis,
op. cit., Il, 53, 54, 56. Ellis ne pouvait "préciser le moment de leur histoire où
prophétie avait été faite" mais souligna que "parmi les prophéties locaux des
temps anciens il y en avait plusieurs qui portaient le nom de Maui". Le premier Maui,
"fondateur des rites religieux", était le modèle suivi par les prêtres et les prophètes : cer¬
tains d'entre eux furent rattachés à leur illustre prédécesseur ou portèrent son nom.
Ainsi l'un des ancêtres de Pomare s'appela Maui, "d'après le premier prêtre". Henry,
op. cit., 430, 431. Henry affirma que le Maui cité par Ellis est le prêtre de la légende.
cette
(43) Ellis,
op.
cit., II, 56.
(44) La Sophia Jane fut le 1er navire à vapeur à relier Londres à Sydney en mai
Nicholson, Shipping Arrivals and Departures Sydney 1826-1840 (Canberra
Ellis, op. cit., II, 163.
Société des Etudes Océaniennes
1831. l.H.
1977), 64.
1492
(comment) les voiles seraient attachées ou (comment) le bateau
pourrait fonctionner sans filin ni cordage".
L'évidence, renforcée de plus par une tradition réaménagée,
puisque la première prophétie basée sur des
rapports ayant quelque vraisemblance s'était déjà accomplie dès le
premier contact : des navires sans balanciers étaient venus dirigés
par des êtres étrangers bien que non surnaturels. Ellis constatait
que de nombreuses autres spéculations liées aux traditions prophé¬
tiques circulaient dans les îles peu après leur conversion et qu'elles
semblaient même "moins détaillées ou vraisemblables"
que celles
concernant des vaisseaux sans
cordages (45). C'est l'une des
fonctions de la tradition prophétique dans une
période de chan¬
gements rapides et radicaux : en s'appropriant les rumeurs au sujet
d'une technologie miraculeuse et d'autres éléments
impondérables,
sans en avoir fait
l'expérience tangible, les hommes sont amenés à
une attitude
qui les porte à accepter socialement et psycholo¬
giquement des événements à venir, ce qui peut amortir l'impact.
Confronté avec les événements
socio-politiques importants de
Opoa, "métropole de l'idolâtrie" de l'archipel de la Société,
"résidence des rois... honorées par les dieux"
(46) et se trouvant
devant le problème d'avoir à
analyser des rumeurs concernant des
êtres étranges circulant à bord de vaisseaux
impossibles à
construire, un prêtre et prophète à la fois fournit l'interprétation
qui permet d'annoncer et de comprendre comme formant un tout
des phénomènes confus en des termes faisant
appel au surnaturel.
devenait certitude
Identifier
les trois connotations
métaphysiques -Te Tumu ou la
Cause, Fanau'a 'una'una ou la progéniture glorieuse et Tetua
'una'una ou la glorieuse cheffesse
(47)- donne la clé pour
comprendre les prédictions.
La clef
métaphysique
Te Tumu, la Cause
création de plusieurs
l'Origine, apparaît dans les mythes de
régions de la Polynésie et désigne les
ou
(45) Ellis,
op. cit., II, 56.
(46) D. Tyerman and G. Bennett, Journal of Voyages and Travels by the Rev.
Daniel
Tyerman and George Benett Esq... between the years 1821 and 1829, J. Montgomery,
ed. (London 1831), I, 529.
(47) Tetua, "fille ou jeune femme, titre donné aux membres d'une famille de chef'.
'Una'una, "splendeur, gloire, soigné, décoré, orné : splendide,
glorieux", parfois traduit
"élégant" ce qui ne semble pas exact. Ellis emploie "gloire ou rayonnement".
J. Davies, A Tahitian and
English Dictionary (Tahiti 1851), 30, 265. Orsmond, MS
Dictionary, 12. Ellis, op. cit., II 531.
aussi par
Société des
Études Océaniennes
1493
puissances génératrices masculines de la nature dont l'union avec
Te Papa, le Rocher, son équivalent féminin, a commencé la chaîne
de la création. Dans les Iles de la Société cependant Te
Tumu était
identifié à Ta'aroa, le Grand Dieu de la création
qui avait inauguré
la genèse locale par commandement et fécondation (48).
Ta'aroatumu-tahi, Ta'aroa la cause-première, était "la cause et l'origine du
monde". Il n'avait "ni père ni mère" et depuis le commencement
des temps vivait dans un vide où il n'y avait "ni terre ni mer". Il
construisit alors la voûte du ciel et la fondation terrestre "à partir
de la coquille dans laquelle sa personne était enfermée" (49). Bien
que cette version de Ta'aroa comme dieu unique de la création
suggère des influences chrétiennes (50), des renseignements
obtenus en 1774 par le capitaine Cook au sujet des croyances
religieuses à Tahiti montraient que l'identification de Ta'aroa,
Dieu de la Création, à Te Tumu était un point de vue local. Cook
écrivait que "la cause originelle de toutes choses (était connue) par
de nombreux noms", y compris Ta'aroa-tahi-tumu, Ta'aroa-\a
cause-première (51). Joseph Banks avait noté pendant le premier
voyage de Cook que Ta'aroa-tahi-tumu était "le procréateur de
toutes choses" (52). Personnifiant les pouvoirs créateurs de la
nature il
était Ta'aroa-metua, le Père-Ta'aroa, et te me tua o te mau
le Père de tous les Dieux (53). La "progéniture glorieuse de
Te Tumu" était ainsi l'une des divinités créées par Ta'aroa.
atua,
Tetua 'una'una, la glorieuse cheffesse ou la femme noble de la
prophétie tahitienne, était vraisemblablement la déesse Atea,
nommée ari'i vahine, la "femme-chef ou la cheffesse des textes
religieux. Selon la mythologie, cette divinité fut d'abord appelée à
naître par Ta'aroa-Te Tumu dans une forme féminine, et ceci est
aussi une variante tahitienne des mythes polynésiens de la création.
Elle échangera plus tard sa "huru-vahine" ou féminité pour la
masculinité de la Déesse-à-la-poitrine-plate, Fa'ahotu, devenant
(48) A Mangaia et
Nlle-Zélande Te Tumu est remplacé
par Vatea et Rangi. T. Monberg,
myths of the society islands", Journal of the Polynesian
Society, LXV (1956), 268-70. K.P. Emory, "The Tahitian account of creation by
Mare", Journal of the Polynesian Society, XLV 11 (1938), 52, 53.
en
"Taaroa in the creation
(49) Mare, MS Ta'aroa, le premier des Dieux, Documents ethnologiques de Lavaud, Paris,
Archives d'Outre-Mer.
(50) Ellis,
op. cit., II, 38, 39.
(51) A.H. Carrington, "A Note by Captain James Cook
on the Tahitian Creation Myth",
of the Polynesian Society, XLVII1 (1939), 30, 31.
(52) J. Banks, The Endeavour Journal of Joseph Banks, J.C. Beaglehole, ed. (Sydney
1962), I, 380.
(53) Henry, op. cit., 147, 166, 178.
Journal
Société des Etudes Océaniennes
1494
ainsi le parent
masculin d'autres divinités (54). Avant cette
métamorphose les généalogies des dieux fournissent deux noms
pour son mari, Rua-tupua-nui, la Source-de-la-grande-croissance,
et Papa-tu-'oi le Rocher-tranchant qui-se-tient-debout (55).
Comme le notait Cook, Ta'aroa-Te Tumu portait de nombreux
noms et ces deux-là semblent avoir été d'autres
appellations pour
ses aspects générateurs et
phalliques. Ta'aroa-Te Tumu était
invoqué par les guerriers dans leurs pehe tama'i ou chants de
guerre sous le nom de Rua-tupua-nui (56). Tous les corps célestes
que Cook relevait comme ayant été créés par Ta'aroa se retrouvent
dans les mythologies recueillies par les missionnaires comme les
rejetons de Rua-tupua-nui Te Tumu, la Source-de-la-grandepuissance-, la Cause, et de sa femme Atea (57). Ainsi des rumeurs
d'êtres étranges à bord de pirogues sans balancier semblent avoir
mené à des spéculations et des présages touchant la descendance de
Ta'aroa-Te Tumu et de
sa
femme-fille Atea.
Selon le
mythe de la création de ces îles, Atea donna naissance
qui vint au monde comme un pu fenua (mot à mot : "motte
de terre") c'est-à-dire comme un placenta (58). Après plusieurs
tentatives sans résultat effectuées par les artisans de différentes
déités, l'esprit de Ta'aroa amena enfin ce "rien sans forme" à
prendre la forme "d'un homme parfaitement beau". Le dieucréateur donna alors à son fils toutes "les qualités pour en faire un
grand dieu" et lui conféra encore plus de lieux d'adoration, de
prêtres, de cérémonies et d'apparat religieux qu'il n'en avait luimême sur terre. Le nom de cette divinité puissante à forme
à
un
fils
humaine était Tane
ou
Homme dont l'appellation exclusive était te
(54) Ibid., 355, 365, 373.
(55) Ibid., 356, 359.
(56) Ibid., 80.
(57) Ibid., 359 Carrington, op. cit., 30, 31.
(58) Ibid., 364. D'après une note de Henry ce récit mythologique a été fait par Mahine, un
chef important en 1840 à Huahine. Cependant Mahine était décédé en février 1838. Pu
fenua est un terme retrouvé dans toute la Polynésie et qui désigne l'aversion pour
l'origine des êtres dont on parle, dans ce cas pour l'origine incestueuse. Ainsi Hono'ura,
un héros culturel, était né d'un
pu fenua, d'un placenta imparfait et avait été surnommé
ri'ari'a ou dégoûtant. Entrer dans la vie comme un "avorton ou un fœtus de fausse
couche" signifiait qu'on était le produit
d'une mésalliance et qu'on devenait inmanquablement "une personnalité héroïque". C. Barff, MS Brief Mémoire de Mahine, 2,
56, Sydney Archives de New South Wales, Supreme Court Papers. Davies, op. cit.,
208. Henry, op. cit., 409. Andrews, op. cit., 125. B.F.
Kirtley, A Motif-index of Tradi¬
tional Polynesian Narratives (Honolulu 1971),
34, 464-67. P. Huguenin, Raiatea la
Sacrée (Neuchâtel 1902), 230. D.L. Oliver, Ancient Tahitian Society
(Canberra 1974),
.
I, 412
;
II, 617.
Société des
Études
Océaniennes
1495
fanau'a 'una'una a Ta'aroa, le fils
glorieux de Ta'aroa (59).
L'eau vive de Tane
prophétiques mettent l'accent sur l'élément le
plus controversé, la description des navires comme pahi ou va'a
ama 'ore, comme des pirogues sans balancier (60). Des prêtres
avaient rappelé à leur collègue Vaita que c'est de Hiro que "les
hommes avaient appris à construire (des vaisseaux)", et que ces
derniers "avaient toujours des balanciers pour ne pas chavirer" :
(ils lui demandèrent alors :) "comment ce que tu avances peut-il
être vrai ?". Vaita, Pau'e et Maui ont la réputation d'avoir
démontré qu'un tel navire technologiquement impossible à
construire était plausible en plaçant quelques pierres comme
ballast dans un 'umete qu'ils avaient fait flotter sur l'eau (61).
Les traditions
rudiments de connaissance
leurs vaisseaux, et qui
quel autre dieu d'un
panthéon encombré, peut se comprendre à la lumière du rôle de ce
dieu dans les affaires des hommes. Patron des tahua', des artisans,
L'interprétation prophétique des
antérieure aux contacts sur les Européens et
faisait appel à Tane plutôt qu'à n'importe
spécialisés et des connaisseurs-des-choses (62), il était
"les gens de toute classe (qui) rivalisaient les uns avec
les autres pour devenir les meilleurs dans le domaine-de l'artisanat
et de toute autre forme de travail" (63). Il était très précisément le
dieu des tahu'a va'a, des constructeurs de pirogue qui, au moment
des différentes cérémonies de la construction et du lancement des
pirogues, demandaient son assistance. Leurs outils étaient attachés
par un 'aha mata tini a Tane, le sennit multicolore qu'aimait leur
des ouvriers
invoqué
par
(59) Henry, op. cit., 333, 338, 365-398, 399. Dans la
c'était à A tea de naître "d'un dieu sans forme" et
toute
beauté" appelés
Fanau'a 'una'una o A tea.
mythologie des Tuamotu cependant
d'engendrer "des fils et des filles de
Ibid., 349.
cit., II, 55. Thomson, op. cit., 32. Pahi désignait des
capables de courir sur l'océan, et va'a des pirogues en
général faites de troncs creusés rehaussés par des bords, une proue et une poupe.
E.S.G. Handy, Houses, Boats, and Fishing in the Society Islands (Honolulu 1932),
(60) Henry, op. cit., 4. Ellis, op.
vaisseaux aux bords cousus
40-41.
(61) Henry,
op.
cit., 4, 9.
missionnaires. Pour Banks
expert sur tout, et cela
Davies, Dictionary, 243.
(62) Tahu'a, "un artisan, un ouvrier" d'après le dictionnaire des
cependant le mot signifiait "un homme de
un
incluait les prêtres - experts en rituels. Banks, op. cit., I, 381.
Henry, op. cit„ 153, 154, 287, 319.
connaissance",
(63) T. Henry,
"Tahiti", Fourth Annual Report
of the Hawaiian Historical Society
références de Henry sont toutes
soit précisé autrement.
(Honolulu 1896), 10. Les
moins que
cela ne
Société des
Études
Océaniennes
celles de Ancient Tahiti, à
1496
divin patron, afin que le dieu veuille
en vue d'un travail
parfait (64). Dieu
bien guider les haches sacrées
des artisans et de la perfection
technologique, Tane était aussi te atua no te purotu et no te mau
mea purotu, le dieu de la beauté et de toutes les belles choses. On
disait que "tout le travail de Tane était beau" et par exemple -au
moment où l'univers de chaos devint cosmos- c'est lui
qui
détermina la position des corps célestes fixes et ôrna les cieux
d'arcs en ciel, de halos et de couches de nuages colorés. Il vivait
alors au dixième ciel, celui qui était le plus élevé et à travers lequel
coulait
Te
Vai-ora
Tane, les Eaux-vivantes
a
ou
l'Eau-vive-de-
Tane, c'est-à-dire la Voie lactée (65).
Du dieu des artisans
premiers missionnaires
Cover, missionnaire résidant à Tahiti entre mars
1797 et mars 1798, publia le récit "que firent les indigènes de
l'arrivée du Dolphin" en juin 1767. Lorsque les canons du navire
tirèrent, ils s'enfuirent terrorisés, s'écriant "'e Atua haere mai", le
dieu est arrivé. Craignant la dévastation de leur pays "ils estimèrent
nécessaire d'apaiser la colère de cet être terrible et inconnu ou des
hommes qui en avaient le commandement ou qui se trouvaient
sous sa protection" (66).
Ellis écrit qu'en voyant pour la première
fois les navires ils crurent que c'était une île flottante
aux
James Fleet
"habitée par des êtres d'un ordre surnaturel qui com¬
mandaient aux éclairs de jaillir, au tonnerre de
résonner,
au démon dèstructeur de frapper de coups
subits mais invisibles les plus vaillants et les
plus
courageux
des guerriers".
Lorsqu'ils comprirent
que cette étrange apparition était en
voilier ils "déclarèrent que la prédiction de Maui s'était
accomplie". Ils reconnurent l'accomplissement de la prophétie par¬
ticulièrement quand ils virent les canots des navires qui se rappro¬
chaient le plus de la prédiction des va'a ama 'ore, des
pirogues sans
balancier. "Leur structure simple et la ressemblance en taille avec
leurs propres pirogues... confirmèrent leur conviction
que Maui
était un prophète" (67).
réalité
un
(64) Orsmond, MS Dictionary, 5, 6. Henry, op. cit., 147, 180-81.
(65) Henry, op. cit., 353, 368, 399, 418, 550.
(66) W.N. Gunson, "Cover's Notes on the Tahitians, 1802", Journal of Pacific History, XV
(1980), 217, 220, 221.
(67) Ellis,
op.
cit., 11, 54, 55. Thomson,
Société des
op.
c(t., 27.
Études
Océaniennes
1497
prophéties reposaient sur des rumeurs émanant d'évé¬
ayant eu lieu, il y avait donc quelque lien entre leur
contenu et l'expérience d'un contact réel. Par ailleurs, les étranges
équipages des pirogues sans balancier et ceux qui les suivront dans
leur sillage possédaient un savoir technologique et des biens
matériels supérieurs. La décision de la Société Missionnaire,
appelée plus tard Société des Missions de Londres, d'envoyer "de
pieux artisans" pour répandre le message chrétien du salut
répondait à leurs attentes antérieures puisque les Européens dispo¬
saient de possibilités technologiques supérieures. Les premiers
promoteurs du christianisme comprenaient des charrons, des
jardiniers, des tailleurs de pierre, des tonneliers, des forgerons, des
tisserands, des charpentiers, des constructeurs et des charpentiers
de navire ; ainsi, dans la perspective de la perception et des valeurs
insulaires, ils étaient évidemment classés parmi les "tahu'a" (68).
Dans la religion locale, Tane était le dieu des "tahu'a", le dieu qui
patronnait tous ceux qui "taillaient des pirogues, construisaient des
maisons (et) érigeaient des temples", et c'étaient là précisément les
activités significatives des premiers missionnaires (69). En 1825,
une décennie après les conversions en masse, Orsmond se plaignait
de ce que les "Missionnaires ont plus besoin d'être des manuels que
des intellectuels" et de ce qu'un "Missionnaire qui ne peut pas ou
ne veut pas aider les gens dans le progrès des arts... est nommé
(Oromedua upaupa ore) un enseignant sans usage", c'est-à-dire de
peu d'intérêt (70).
Les conceptions du salut ou ora étaient dans les îles des
notions terre à terre et signifiaient "être épargné de la maladie et
demeurer en ce monde" (71). Les aspects diminuant la condition
humaine comme la maladie, le malheur et le manque de succès
étaient les conséquences de transgressions ou hara qui avaient
déplu aux esprits : "la véritable réparation pour des péchés"
consistait en dons de "porcs et de perles" pour apaiser les divinités
en colère (72). Ora est un état temporel, une condition qui se
traduit par "vie, salut, santé, être délivré, guéri ou sauvé" (73) : c'est
Ces
nements
of Grace (Melbourne 1978), 31, 47, 345.
369.
Orsmond, Journal 28 mar. 1825. Upa'upa signifie d'abord "jeu, divertissement,
musique et danse ; n'importe quel genre d'amusement". Davies, Dictionary, 302.
J. Jefferson, Journal, 20 fév. 1802, SSJ.
H. Nott et J. Elder, Journal, 28 fév. 1802, SSJ.
Davies, Dictionary, 170, 171.
(68) W.N. Gunson, Messengers
(69) Henry, op. cit., 368,
(70)
(71)
(72)
(73)
Société des
Études
Océaniennes
1498
un attribut de Tane et dérive certainement de l'association de la
notion de bien-être ou de totalité avec celle de beauté et de
perfection. En gardant confiance dans leurs propres techniques et
remèdes, les insulaires restèrent longtemps indifférents
au
message du salut chrétien. Après les conversions en masse,
quelques-unes des métaphores bibliques du salut traduites par les
missionnaires avec, entre autres, l'aide du roi Pomare, touchèrent
des cordes sensibles qui correspondaient au
langage religieux
traditionnel. Orsmond, en écrivant à Tamatoa, ancien chef sacré de
Opoa et roi de Raiatea, s'inspira peut-être inconsciemment de la
mythologie traditionnelle en exprimant son chagrin pour ceux "qui
n'ont pas encore bu l'eau de vie"
(74). Peu après son arrivée à Bora
Bora, la dernière grande île des Iles-sous-le-Vent à recevoir un
missionnaire résident, Orsmond refusa le baptême à une vieille
femme "pour des raisons de prudence". Elle devint
hystérique, se
plaignant de ce qu'on la privait de "l'eau de vie" (75). Les
missionnaires étaient conscients que les rituels traditionnels étaient
des techniques à l'efficacité limitée dans le
temps et qui n'exigeaient
que l'obéissance à des règles de comportement prescrites : ils souli¬
gnaient par conséquent que le nouveau rituel du baptême
n'amenait "aucune espérance de distinction ou
d'avantage dans ce
monde" (76). Malgré l'insistance de ces derniers sur la
croyance
préalable nécessaire, celle de la "regénération du cœur", de
nombreuses personnes parmi les premiers convertis "introduisirent
une nouvelle distinction" dans la
signification du baptême chrétien
et affirmèrent
que le rituel "devait donner à ceux qui le reçoivent
un
avantage temporel et spirituel" (76). L'"eau de vie" dont parle la
Bible et d'autres expressions pour le salut étaient traduites
cependant par pape ou vai-ora, une image empruntée à la mytho¬
logie de Tane, où l'eau était "avalée" par les dieux au plus haut des
cieux (77). De plus, le nouveau rituel du
baptême avait sa
dans leurs
(74) Orsmond à Tamatoa, Sept. 1820, J.M. Orsmond recueil de lettres, traduit par R.G.
White, Tahiti. La métaphore "eau de vie" et d'autres expressions semblables se trouve
dans Jérémie 2.13, et 17.13, dans Proverbes
14.27, dans Psaumes 36.9 et Apocalypse
22.1 et 17. Dans Jérémie et l'Apocalypse
on trouve te pape ora, l'eau de vie, et dans les
Proverbes et les Psaumes te tumu o te ora, la fondation ou
l'origine de la vie. Te Bibilia
Moa ra (Londres 1847), 472, 527, 596, 661, 983.
(75) Orsmond, Journal, 17 jan. 1821, SSJ.
(76) Ellis, op. cit., 11, 144, 252, 257.
(77) Henry, op. cit., 180, 192, 369, 540. Dans un texte on trouve ruru (traduit par albatros)
pour l'oiseau de Tane. Davies définit ce mot ainsi : "le nom d'un grand oiseau des mers,
probablement semblable à l'albatros"
qui n'est pas rouge. Dans certains dialectes
polynésiens ruru signifie hibou, une espèce apparemment absente des lies de la Société.
Davies, Dictionary, 236.
-
Société des
Études
Océaniennes
1499
contrepartie dans les cérémonies traditionnelles liées à la naissance
des enfants de chefs ; ils étaient baignés rituellement dans te vai-ora
a Tane, l'eau de vie de Tane, un dieu qui, comme Jésus-Christ,
avait revêtu grâce à un dieu-père-créateur, la forme humaine (78).
Il n'était pas si surprenant peut-être qu'après les conversions,
les gens aient exprimé parfois sous forme de métaphores des
associations entre les experts du nouveau rituel et le dieu de
l'ancien panthéon. Orsmond rapporta qu'en recevant un exem¬
plaire du Nouveau Testament écrit dans sa propre langue, un
homme pressa le précieux livre sur sa poitrine et s'exclama "j'ai
reçu une grande perle, elle vient d'une caverne profonde, elle a été
donnée par les Oiseaux écarlates qui sont venus des terres
lointaines en volant par dessus le vaste océan !". Orsmond expliqua
que le rouge ou l'écarlate était jadis une couleur sacrée et que les
oiseaux étaient les missionnaires (79). Les divinités traditionnelles
avaient leurs ata ou "ombres" qui les représentaient ou leur
servaient de véhicules dans le monde des hommes. Cependant les
oiseaux rouges qui survolaient les vastes océans étaient exclusi¬
vement les messagers de Tane. Ils représentaient Tane-manu
(l'oiseau de Tane) le "fameux oiseau rouge des mers" qui volait loin
et qui "vivait dans l'eau vive de Tane".
L'interprétation de ces perceptions vient d'une interaction
entre une information nouvelle et une structure préexistante de
connaissances et de croyances. Il n'y a par conséquent ni relation
de cause à effet ni lien entre les prophéties antérieures au contact et
les missionnaires que percevait pour la première fois une
génération de gens vivant encore en relation avec leurs croyances
traditionnelles. La comparaison entre les missionnaires et les seuls
messagers du dieu des artisans était anticipée par des spéculations,
d'avant les contacts, sur les constructeurs de navires technologi¬
quement impossibles à bâtir comme les pirogues sans balancier : en
effet la manière indigène de voir le monde et son système de
croyance étaient la trame de références sous-jacentes et elles
donnaient l'explication la plus vraisemblable aussi bien des
rumeurs d'avant le contact et des activités des missionnaires (80).
(78) Henry,
op.
cit., 184.
(79) Orsmond, Journal, 29 nov. 1829, SSJ.
(80) Henry,
op.
cit., 369.
Société des
Études
Océaniennes
1500
II.
RUMEURS ET RÉCITS DE NAUFRAGÉS
Quelles sont les origines des rumeurs et des récits qui menèrent
prophéties ? La dernière expédition européenne connue qui
vint dans les parages des Iles de la Société avant la
conquête de
Raiatea par les habitants de Bora Bora vers 1760, fut celle de Jacob
Roggeveen qui traversa en 1722 les atolls des Tuamotu puis se
dirigea vers le nord-ouest. John Byron suivit une route semblable
en 1765 et les
preuves locales de son passage nous font comprendre
comment les nouvelles concernant les navires de
Roggeveen
parvinrent probablement aux Iles de la Société.
aux
L'expédition de Roggeveen
en
1722
Les 3 navires de
Roggeveen ont atteint en mai 1722 les atolls
de Takapoto et de Takaroa. L'un
d'eux, De Africaansche Galey, se
perdit sur la côte du vent de Takapoto. Il y eut une opération de
sauvetage à partir de la côte sous le ve.nt de l'atoll : un sloop fut tiré
à travers la mince bande de terre
jusqu'au lagon qu'il franchit à la
voile pour recueillir les naufragés et
quelques-uns de leurs effets. Le
sloop et le canot de l'épave furent abandonnés : au moment où les
derniers marins étaient ramenés à bord, 5 hommes choisirent de
rester à terre.
D'après Roggeveen ces
déserteurs "guidés par
l'ivrognerie
et le désir de débauche et de relations sexuelles avec les
femmes des Indiens" avaient
peu de chance de revoir leur
patrie (81).
Quittant Takapoto, l'expédition hollandaise aperçut ce qui
Apataki, de Arutua
était probablement Manihi, passa au
large de
et de Rangiroa avant d'atteindre Makatea.
Là, afin d'obtenir des
(81) J. Roggeveen, Le Journal de Jacob Roggeveen, A.
Sharp, ed. (Oxford 1970), 120-24.
La nouvelle du
naufrage circula largement dans les Tuamotu et hanta longtemps les
mémoires. Le naturaliste Samuel
Stutchbury entendit parler en mai 1826, alors qu'il se
trouvait à Hao, d'une épave
européenne sur l'île de "Tapoto" au Nord-Ouest. Ses infor¬
mateurs lui dirent que le navire
avait été jeté sur le récif "alors qu'il n'y avait
pas
d'hommes à bord" mais d'autres affirmèrent
que l'équipage avait été dévoré par les
cannibales qui habitaient l'île. J.A. Moerenhout
aperçut en 1830 des canons sur le récif
de Takapoto qui provenaient
d'un bateau qui avait dû y faire
longtemps de cela".
Ces
canons
probable où se trouvent les
visible par temps calme.
restes
ont
de
été récemment observés
l'Africaansche Galey,
naufrage "il
y a
très
loin de l'endroit
une tache sombre dans l'eau
S.
non
Stutchbury, MS Observations made during a Voyage to New South Wales and the
in the years 1825-1827,
Polynesian Islands
126-29, Wellington, Alexander Turnbull
Library. J. Moerenhout, Voyages aux Iles du Grand Océan
(Paris 1837), I, 204, 205.
J.M. Chazine,
Prospections archéologiques à Takapoto, Journal de la Société des
Océanistes. iii (1977), 195, 197, 198.
...
Société des
Études
Océaniennes
1501
scorbut, Roggeveen
à terre. Après une
première démonstration d'hostilité de la part des habitants, les
Européens furent reçus avec des signes d'amitié. Les jeunes femmes
vivres frais pour son équipage souffrant du
décide d'envoyer deux sloops bien armés
beaucoup d'attention les plus blancs et
(des marins) "sur tout leur corps nu". L'un des
hommes "fit tomber son pantalon et montra à quel sexe il
appartenait" et les femmes firent de même. Comprenant qu'en
montant au village ils pourraient obtenir des femmes, les Blancs
grimpèrent un sentier étroit à la queue leu leu : ce ne fut que pour y
filles "touchèrent
et les
avec
les mieux bâtis"
subir
une
mesure
pluie de pierres qui en blessa légèrement deux. Par
qui blessa ou
de rétorsion les Hollandais tirèrent une salve
tua 8 ou
9 de leurs attaquants.
L'expédition quitta alors l'archipel des Tuamotu et aperçut de
loin, le 6 juin, 2 îles hautes. Roggeveen les prit pour Tafahi et
Niuatoputapu du groupe des Tonga : se basant sur le rapport de
leur découvreur, son compatriote Schouten, d'après qui on ne
pouvait s'y ravitailler en eau, il décida alors de continuer sa route.
très
Maupiti, mais vu la distance
laquelle il les aperçoit, il est peu probable que les navires aient été
remarqués par leurs habitants (82).
En réalité
ces
îles étaient Bora Bora et
à
L'expédition de Byron en 1765
L'expédition de John Byron atteignit le lieu du désastre de
Roggeveen 43 ans plus tard, en juin 1765. Les habitants de l'île
résistèrent à une tentative de débarquement et dans la mêlée qui
s'en suivit 3 d'entre eux furent tués. Par hasard les Européens
trouvèrent un campement qui venait d'être abandonné à la hâte et
Byron y découvrit la tête sculptée d'un gouvernail d'une chaloupe
hollandaise, une pièce de fer martelée et quelques outils bien usés.
Byron décida de ne pas débarquer à Takapoto, après qu'un des
marins qui avait nagé jusqu'à la terre ferme ait été dépouillé de la
plupart de ses vêtements : il avait donc dû battre en retraite en
toute hâte. Byron nota que les habitants semblaient "prodigieu¬
sement désireux" de fer
désir qui selon toute apparence était
même antérieur au séjour de Roggeveen : en effet le Maire et
Schouten qui étaient passés par ces îles en 1616 firent des
remarques semblables (83). Byron quitta ensuite l'archipel aperce-
(82) Roggeveen,
op.
cit., 148, 149.
(83) R. Langdon, The Lost Caravel, (Sydney 1975), 74.
Société des
Études
Océaniennes
1502
vant
Rangiroa
au passage
(84).
La nouvelle de cette brève escale de
Byron dans les Tuamotu
répandit bientôt à Tahiti. C'est là que Juan de Hervé,
un Espagnol, fut informé en 1773 d'événements se référant
clairement à l'expédition de Byron, même si les Tahitiens les
plaçaient plus près d'eux. Hervé apprit qu'un grand navire
européen avait fait relâche à Makatea et que les étrangers y avaient
tué 3 hommes. 3 longs clous en provenance de cette île étaient
arrivés à Tahiti. Hervé put établir que cet incident avait eu lieu en
du Nord
se
1764 ou en 1765, cette dernière date étant celle où les hommes de
Byron tuèrent 3 habitants à Takaroa (85).
Cette méprise sur les lieux peut s'expliquer par les contacts
traditionnels du commerce entre Tahiti et les atolls jusqu'au nordouest. Les Tahitiens obtenaient "la plupart de leurs
perles de
Makatea", île située à 2 jours de voile (85). C'est de là manifes¬
qu'ils tenaient leur connaissance de l'expédition de Byron à
Takapoto et à Takaroa. En raison de cette preuve locale du bref
passage de Byron, il semble peu probable que les habitants des Iles
de la Société n'eurent pas connaissance de la même manière du
passage de Rôggeveen qui, de plus, avait fait escale à Makatea.
tement
40 ans environ séparent l'expédition hollandaise dans les
Tuamotu de la prophétie de Opoa ; mais il existe d'autres
indications fournies par les habitants des îles : cela nous fait
penser
que pendant ce temps d'autres événements -intimement associés au
de Rôggeveen mais postérieurs à celui-ci- purent être à
encore plus proche de la prédiction des pirogues sans
balancier dirigées par des êtres
étranges faite vers 1760.
passage
l'origine
La
rumeur
de
Entre 1772
Rangiroa
et
1775
certain nombre de
pirogues dérivèrent
le vent des Tuamotu jusqu'aux Iles de la Société.
Parmi les arrivants il y eut des gens de l'atoll de
Rangiroa en train
de se rendre à une île voisine
pour y "faire du troc". En 1775
Nicolas de Tolède, de la frégate espagnole Aguila,
interrogea à
Tahiti deux d'entre eux pour savoir si des navires
européens
avaient pu se trouver dans les parages de leur île. Ils affirmèrent
qu'un voilier avait fait escale à Rangiroa et était
poussées
un
par
(84) J. Byron, Byron's Journal of his Circumnavigation
1764-1766, R.E. Gallagher, ed.
(Cambridge 1964), 95-104.
(85) B.G. Corney (éd.), The Quest and Occupation
of Tahiti (London 1931), I, 354.
(86) Ibid., 11 (London 1914), 189, 300.
Société des
Études
Océaniennes
1503
"entré par la passe Est dans le lagon, s'y était ancré,
mais (qu')il n'était resté qu'un jour. Lorsque les indi¬
gènes l'aperçurent, ils se cachèrent dans la brousse :
le départ soudain du navire était dû, selon eux, à la
nervosité des étrangers" (87).
en 1765 et Roggeveen en 1722 étaient passés au large de
L'expédition de Le Maire et Schouten avait fait escale à
Rangiroa en 1616 mais n'était pas entrée dans le lagon et la brève
description faite par Toledo ne relate évidemment pas de
Byron
cette île.
contact
(88).
Rangiroa, la plus grande île des Tuamotu, est le seul atoll à
avoir deux passes utilisables par des vaisseaux européens. Cela
n'était cependant pas connu à l'époque et en 1775, au moment où
les 2 habitants de Rangiroa étaient interrogés, aucun explorateur
européen n'avait jamais osé risquer son navire en tentant de
s'engager dans le lagon d'aucun atoll. En ce temps-là comme
aujourd'hui, Tiputa, la passe la plus orientale des deux, donne le
moins de problème, du moins en ce qui concerne les courants liés
aux
marées (89). Si le récit des gens de Rangiroa était exact,
quelqu'un à bord d'un navire européen devait être familier des
conditions locales de navigation.
Toledo écrivit que celle-ci avait été "la seule escale d'un navire
aux nôtres à leur île" mais il n'est pas sûr d'après le texte
semblable
l'interrogatoire que cette relation ait été faite explicitement par
de Rangiroa ou par les Espagnols. En raison des
problèmes de communication, tant sur le plan de la langue que sur
le plan des idées, on ne trouve forcément aucune allusion à la taille
de l'embarcation. La terminologie vernaculaire de pahi pour un
navire allant sur l'océan et de va'a ou vaka pour les pirogues en
général, associée à certain qualificatif pour dire que la construction
n'était pas d'origine locale, ne se réfère pas nécessairement à l'idée
d'un navire européen mais peut-être à celle d'un navire étranger,
pahi ou va'a de n'importe quelle dimension.
La supposition des gens de Rangiroa qui avaient pris
connaissance des voyages de Cook par les Tahitiens, semble
indiquer que cette escale avait été un événement relativement
de
les gens
(87) Ibid., II, 385, 388, III, 134. Burney, op. cit., 71. J.R. Forster, Observations made
during a Voyage Round the World... (London 1778), 518.
(88) Langdon,
op.
cit., 75.
(89) Pacifie Islands Pilot (London 1956), III, 113, 114. Pacific Islands
1978). 157.
Sotiété des Etudes Océaniennes
Yearbook (Sydney
1504
proche puisqu'ils crurent que le bateau qui était entré dans leur
lagon faisait partie de ces bateaux anglais (90).
Il est
possible d'expliquer autrement le récit des habitants de
Rangiroa : si quelques uns ou la totalité des 5 déserteurs de
Roggeveen avaient réussi à mettre de côté l'un ou les deux canots
de YAfricaansche Galey avant l'arrivée des
sauveteurs, ou s'ils
avaient sauvé et réparé plus tard le sloop, et s'ils avaient
pris à bord
quelque(s) insulaire(s) familier(s) des conditions de navigation et
de géographie locales, ils auraient
pu faire voile jusqu'à Rangiroa
distant d'environ 180 km. Le sort qu'ils ont dû
y rencontrer est
évoqué par l'incident suivant qui eut lieu sur un autre atoll situé
dans les parages des Iles de la Société
quelque temps avant la
découverte de Tahiti par Wallis.
Le Journal de
Molyneux et la
carte de
Tupai'a
Longtemps la route précise suivie par Roggeveen est restée
confuse et par conséquent les affirmations
persistantes faites par
les Tahitiens du naufrage d'un
pahi ou va'a européen sur une île
proche de Tahiti avant 1767 n'avaient débouché que sur des
hypothèses concernant l'emplacement exact du naufrage de
l'Africaansche Galey. J.R. Forster, le naturaliste de la deuxième
expédition de Cook, fut amené à croire par exemple que les débris
de la chaloupe hollandaise et les outils en fer
découverts par Byron
à Takaroa venaient de
l'épave située ailleurs (91). Robert
Molyneux, maître d'équipage de 1'Endeavour en 1769, est le
premier à faire mention du mystérieux naufrage d'un navire
européen près de Tahiti : il fut frappé par le fait que, malgré les
enquêtes faites à ce sujet par Joseph Banks, qui avaient révélé
que
le Dolphin en 1767 avait été le
premier vaisseau européen jamais vu
à Tahiti, les habitants des îles avaient
cependant déjà aperçu des
hommes blancs auparavant. On raconta aux
Anglais qu'un navire
européen avait échoué
"quelques années plus tôt sur un récif d'une petite île
voisine, (que) l'équipage s'était défendu vaillamment
pendant quelque temps mais parce qu'il était soit
épuisé soit affamé ou parce qu'il n'avait plus de
munitions, il succomba alors sous le nombre et tout
le monde fut tué. Une
pirogue arriva peu de temps
après à cette île (c'est-à-dire Tahiti) avec à son bord
(90) Corney,
(91) Forster,
op.
cit., II, 388.
op.
cit., 517.
Société des
Études
Océaniennes
1505
les corps
de deux hommes morts et quelques clous en
de cette épave : ils (c'est-à-dire les
piroguiers) furent si bien accueillis qu'ils ne retour¬
nèrent plus jamais chez eux et j'ai vu deux d'entre
eux il
y a quelques jours de cela" (92).
Malheureusement Molyneux n'a pas relevé le nom de cette île,
mais une autre remarque faite lors de cette expédition de Cook
nous permet peut-être de la situer. Elle concerne un tahu'a de
Raiatea nommé Tupai'a qui était bien versé dans la connaissance
de la navigation et de la géographie de son peuple. Dix ans environ
avant de s'enfuir à Tahiti où les
Européens devaient le rencontrer
pour la première fois, il avait été blessé en se battant aux côtés de la
famille du chef sacré de Opoa contre ceux de Bora Bora (93). Il
avait été apparemment quelqu'un d'une considérable influence
dans les Iles-sous-le-Vent, ses relations claniques l'apparentaient
aux principales familles de quatre des marae les
plus importants,
Taputapuatea et Tainu'u à Raiatea, Mata'ire'a et Manunu à
Huahine (94). Sous la direction de Tupai'a une carte des nom¬
breuses îles qu'il connaissait avait été dressée, et la plupart était
inconnue des Européens à cette époque. Cette carte contient les
dessins de 3 navires européens accompagnés de notes en mauvais
tahitien. Si l'on utilise pour l'une d'elles l'orthographe de nos jours
l'on peut alors lire Tupai'a ta'ata no pahi mate, ce
qui signifie :
"Tupai'a (dit que) les hommes du navire (Pahi : pirogue) furent
tués" (95). Cela était arrivé à Anaa, à environ 350 km de Tahiti au
fer
en
provenance
Sud-Ouest des Tuamotu.
Le journal de Molyneux et la carte de Tupai'a semblent
contenir les seules allusions au meurtre d'Européens dans cette île.
James Morrison, l'un des mutinés de la Bounty qui avait vécu à
Tahiti entre 1789 et 1791, avait lui aussi entendu parler
naufrage et
ses
informateurs pouvaient
encore
se
d'un
souvenir de
(92) R. Molyneux, Journal, in J. Cook, The Journals of Captain James Cook : The Voyage
of the Endeavour, 1768-1771, J.C. Beaglehole, ed. (Cambridge 1968), 557.
(93) (Magra), op. cit., 91-3. Thomson, op. cit., 16.
(94) J. Banks, MS Names and Descriptions of Persons and Places, 7, London, University
of London, School of Oriental and African Studies.
"domaines" très grands à
Raiatea, Tahaa
Banks avait aussi noté des
et Huahine.
(95) J.C. Beaglehole et R.A. Skelton, Charts and Views Drawn by Cook and his Officers
(Cambridge 1955), viii. Beaglehole traduisait pahi par "navire" et suggérait que ia note
se rapportait au conflit avec
Roggeveen à Makatea. Le Journal de Roggeveen ne
révèle dans sa traduction rien de la mort d'Européens sur cette île. Cf R. Langdon, The
European Ships of Tupaias chart, Journal of Pacific History, XV (1980), 231 et "Les
navires européens de la carte de Tupai'a", BS des Etudes Océaniennes, 18 : 6 : 217
(1981), 985-91.
Société des
Études
Océaniennes
1506
l'époque où cette nouvelle leur était parvenue. Il nota que ces
pouvaient se faire aucune idée" du navire "sinon à
partir de la description qu'en avaient faite les habitants de
Tapoohoe" (Tapuhoe : Anaa). Comme les autres, Morrison crut
qu'il s'agissait "de l'endroit où l'Africaansche Galey, l'un des
vaisseaux de l'escadre du Commodore Roggeveen, s'était
perdue"
et il remarqua que "c'était de cette île
que les premiers objets en fer
furent importés à Tahiti" (96). Les habitants de Ana'a avaient la
réputation, dans les Iles de la Société, de ne pas avoir peur et d'être
de féroces guerriers ; l'atoll devait être, pour
beaucoup de raisons,
un bien mauvais endroit
pour faire naufrage (97).
Entre Roggeveen en 1722 et Byron en 1765 -aucun des deux ne
vint à proximité de Ana'a-, nous n'avons aucune connaissance du
passage d'Européens dans le Nord-Ouest des Tuamotu (98). Dans
l'absence de toute preuve qui puisse étayer la présence
d'Européens
dans cette région quelques années avant la découverte en 1767 de
Tahiti par Wallis, il semble que quelques-uns ou
peut-être tous les
déserteurs de Roggeveen à Takapoto, ayant peut-être entendu
parler d'îles hautes qui avaient davantage à leur offrir que des
atolls, décidèrent de partir à leur recherche dans l'espoir probable
de pouvoir être sauvés. Quittant
Rangiroa où leur bref passage ne
passa pas inaperçu, ils arrivèrent peut-être à Ana'a où ils
derniers "ne
rencontrèrent leur destin.
La croix de Ana'a
Une
à Ana'a
expédition espagnole qui
en
novembre
1774.
Le
se
dirigeait
vers
Tahiti fit escale
lieutenant Thomas
Gayangos,
rivage, y releva la trace d'une
que n'avaient remarquée ni Cook en 1769 ni
Bonecchea en 1772. Gayangos
"aperçut une croix de bois dressée sur une plage de
explorant à bord de
présence européenne
son canot
le
sable à l'intérieur du récif... De taille
moyenne, bien
régulière dans toutes ses proportions, elle montrait
qu'elle avait été érigée il
y a
longtemps de cela".
(96) J. Morrison, The Journal of James Morrison, Boatswain's Mate
of the Bounty..., O.
Rutter, ed. (London 1935), 201. Forster, op. cit., 517. Tapuhoe désignait anciennement
Anaa. CoVney, op. cit., II, 117. J.
Davies, Journal, 19 sept. 1807, SSJ.
(97) W. Bligh, The log of H.M.S. Bounty (Surrey 1975), 27 fév. 1789. J. Davies,
History of
the Tahitian Mission 1799-1830, C.
Newburry, ed. (Cambridge 1961), 269. Corney op.
cit., II, 117.
(98) Corney,
op.
cit., II, 112.
Société des
Études
Océaniennes
1507
L'emplacement de cette croix au Nord-Ouest de cet atoll
coïncide avec un accostage de Rangiroa. D'après les informations
fournies à Molyneux, il s'écoula quelque temps entre le naufrage
du navire et le meurtre des Européens (99). La croix peut avoir
marqué l'emplacement de la tombe d'un
déserteurs hollandais (100).
ou
de plusieurs des
Il est peu
probable qu'une croix en bois ait pu survivre aux
du climat pendant plus de quelques décennies. Cela prouve
que le naufrage eut lieu à Ana'a peu de temps avant la découverte
de Tahiti par Wallis en 1767. Molyneux en 1769 apprit que cela
s'était passé "il y a quelques années de cela" et rencontra les gens
qui avaient amené les cadavres et les objets en fer à Tahiti. En 1789
les informateurs tahitiens de Morrison pouvaient se souvenir
encore des nouvelles du naufrage et de l'arrivée du fer dans leur île.
Le journal de Molyneux semble être la seule source en ce qui
concerne l'arrivée probable à Tahiti des corps de deux Hollandais
ravages
morts
avant
la découverte de cette île. Cette information
ne
se
dans le journal de Joseph Banks qui avait commencé à
enquêter sur le passage de navires européens avant Wallis ; il se
peut donc que Molyneux ait mal compris ce qu'on lui disait. Mais
trouve pas
d'un autre côté les carnets de Banks -du moins
qui existent
de nombreuses informations qu'il avait
recueillies dans
ne sont pas consignées dans le
journal
officiel (101). L'arrivée des cadavres et le meurtre d'Européens à
Ana'a (qui est marqué aussi sur la carte de Tupai'a) ont pu être
omis dans les récits faits à Morrison par crainte d'une vengeance de
la part des Européens.
La chronologie que ces sources impliquent suggère que, après
le passage de Roggeveen aux Tuamotu en 1722, c'est un naufrage à
Ana'a qui donna le point de départ immédiat d'une prophétie faite
aux alentours de 1760 concernant des pirogues sans
balancier et
des êtres étranges vêtus des pieds à la tête.
Les gens interrogés par Banks et Molyneux avaient déclaré
que le Dolphin était le premier navire européen à venir à Tahiti ;
encore-
ceux
montrent
que
les îles
(99) Molyneux, op. cit., 557.
(100) La croix de Ana'a fut longtemps considérée comme étant la preuve du passage de
l'expédition de Quiros en 1606 - mais ce dernier n'avait jamais fait escaie dans cet
atoll. R.A. Langdon a suggéré plus récemment que la croix prouvait le passage du
San Lesmes, caravelle espagnole disparue dans le Pacifique oriental dans la première
moitié du XVlè siècle. Corney, op. cit., 11, 112 note Langdon, op. cit., 23, 128, 129.
H.E. Maude, Of Islands and Men (Melbourne 1968), 67, 68.
(101) Ceci est évident après un examen rapide des notes et des références linguistiques de
Banks. Banks, MS Observations.
Société des
Études
Océaniennes
1508
pourtant d'autres personnes les contredirent au même moment et
plus tard. La première fut Tupai'a. Sur sa carte figurent le navire
étranger à Ana'a, deux autres dessins de vaisseaux accompagnés de
commentaires ainsi que deux notes isolées, sans dessin,
qui
semblent faire aucune allusion à des navires
européens (102).
La carte de Tupai'a porte le dessin d'un vaisseau
européen à
Tahiti avec la note suivante : "metua no te
tupuna no Tupai'a pahi
toa" ; d'après l'information fournie à Forster cela
signifie que
"Tupai'a raconta que du temps de son arrière-grand-père un navire
hostile était passé par là" (103). Deux missionnaires mentionnèrent
quelques décennies plus tard l'existence de ce mystérieux pahi.
Cover apprit en 1797 qu'"un
grand nombre de lunes" avant Wallis
"un navire ennemi arriva dans la baie du Sud-Est de
l'île", proba¬
blement dans la péninsule de
Taiarapu ou dans ses environs. Bien
que le récit ait été transmis "par leurs pères", Cover remarqua que
personne ne savait pourquoi ce navire avait été qualifié d'hostile,
une curieuse absence de détail. Tout
en affirmant
qu'un navire
européen était passé à Tahiti avant Wallis, les Tahitiens se
trompèrent au premier abord en prenant le navire de Wallis pour
une île flottante manœuvrée ou
contrôlée par des êtres surnaturels.
Cover tenait pour acquis le
point de vue proposé en premier par
Dalrymple : l'île de Sagitaria, découverte par Quiros en 1606, était
Tahiti et ainsi les déclarations des Tahitiens
quant au lieu de
l'ancrage du navire ennemi coïncident avec le récit fait par l'explo¬
rateur
espagnol concernant "la partie de l'île où il avait
accosté" (104). Samuel Greathead mit cette
identification de
Sagitaria avec Tahiti en doute, tout en remarquant que "l'endroit
où les Espagnols mirent
pied à terre correspond bien avec l'isthme
de Tahiti" c'est-à-dire à celui de Taravao
(105). Le missionnaire
John Davis croyait lui aussi
que Quiros avait été le véritable
découvreur de Tahiti et il en fit part aux habitants de l'île dans
brochure éducative, écrite en 1837 en
sa
tahitien, Te faaite Tahiti,
"l'Enseignant tahitien", celle-ci contient un chapitre sur les
explorateurs européens (106).
Forster, confronté à la réalité de la carte de Tupai'a, avait lui
aussi supposé que le navire ennemi à Tahiti était une allusion
(102) Cf. Langdon, "The European Ships...", 231.
(103) Forster, op. cit., 516.
(104) Gunson, "Covers Notes ...", 218 note 220.
(105) (T. Haweis, éd.), A Missionary Voyage to the Southern
Pacific Ocean, performed in
the years 1796, 1797, 1798, in the
ship Duff, commanded by Captain James Wilson...
(London, 1799), viii.
(106) J. Davies (éd.), Te Faaite Tahiti (Tahiti
1837), 54.
Société des
Études
Océaniennes
1509
probable à Quiros (107). Ainsi puisqu'il
y
avait des Européens
pour
croire que Quiros était le découvreur de Tahiti, il est
possible qu'un
effet rétroactif se soit produit. On en trouve un
exemple dans la
presse espagnole. En 1774 un informateur nommé Orometua, aux
services des Espagnols, fit à Andia y Varela un récit très détaillé des
récents voyages de Cook en Nouvelle-Zélande et dans d'autres îles.
Or ces renseignements venaient de Hiîihiti, un Tahitien
qui était
monté à bord de la Résolution. En entendant le nom de Byron,
Orometua affirma que l'explorateur anglais avait lui aussi fait
escale à Tahiti "il y a longtemps de cela". Lorsque Andia voulut en
savoir
plus "afin de mettre la véracité (du récit) à l'épreuve", son
informateur lui donna des détails éloquents et précis qui ne
pouvaient provenir
La
rumeur
que
de l'entourage de Cook (108).
de Tahiti
Robert Thomson prouva
de manière convaincante que
Sagitaria ne pouvait être Tahiti parce que les détails fournis par le
journal de Quiros s'écartaient par trop des réalités géographiques
et aussi parce que ses recherches dans les traditions n'avaient révélé
dans la mémoire collective des gens aucune trace
du
"passage d'un navire à cette époque : quelques uns
des insulaires ayant visité le navire et reçu des
cadeaux, il est plus que probable que cela aurait été
le cas si Quiros avait séjourné dans cette île".
Et cependant les Tahitiens avaient une tradition concernant le
passage d'un navire avant Wallis. Thomson écrit :
"on
en
parle
comme
celui de Tinoharotini, quelques
disant que c'était là le nom du capitaine, d'autres
celui du roi du pays d'où venait le bateau".
Comme Cover avant lui, le missionnaire remarqua qu'on ne
connaissait que peu de choses au sujet du passage de ce navire.
uns
Malgré l'affirmation de Tupai'a, originaire de Raiatea, selon lequel
au
temps de son arrière-grandpère, les renseignements donnés par les Tahitiens à Thomson
l'amenèrent à croire que l'événement avait eu lieu "au début du
siècle dernier". Comme le soulignait Thomson, les seuls navires
européens dans les parages à ce moment-là étaient ceux de
l'expédition Roggeveen, et la nouvelle du passage des Hollandais à
Makatea était parvenue à Tahiti peu de temps après. Il écrivit ainsi
le navire avait fait escale à Tahiti
(107) Forster,
op.
(108) Corney,
op.
cit., 514.
cit., Il, 292-6.
S'ociété des
Études
Océaniennes
1510
qu'il lui semblait probable que l'affirmation du passage d'un navire
étranger à Tahiti était "une tradition dénaturée (de celle) d'un
vaisseau hollandais à Matea (= Makatea) à cette époque". Il
suggéra de plus que les prédictions faites par Pau'e au sujet des
pirogues sans balancier avaient été éveillées par des rumeurs en
provenance de Makatea (109).
Ainsi, comme nous l'avons noté plus haut, les Tahitiens
savaient en 1773 que l'expédition Byron était passée aux Tuamotu
en 1765 mais
croyaient à tort qu'elle avait fait escale à Makatea,
source probable de leurs informations. Les deux
expéditions, celle
des Hollandais comme celle des Anglais s'étant soldées
par la mort
de plusieurs habitants des îles, les navires
pouvaient être considérés
comme ennemis. Bien
que Makatea se trouve sur la carte de
Tupai'a sous son nom traditionnel de Papatea, on n'y trouve
associé aucun dessin de navire européen. Ceci
suggère nettement
que le navire hostile de Tahiti, ce navire dont sur place on semble
bizarrement si peu se souvenir, a été en réalité mal
placé (110).
Le dernier navire européen dessiné sur la carte de
Tupai'a se
trouve situé à Raiatea
accompagné de la note tupuna no Tupai'a
pahi taio ce qui d'après Forster signifie : au temps du grand-père
(tupuna) de Tupai'a "un navire ami (pahi taio) avait été là". Forster
remarqua qu'aucun bateau européen connu ne semble avoir
navigué dans la région à cette époque "à moins que l'un des
bateaux de Roggeveen ne se soit
approché de cette île" (111). Les
agissements des Hollandais à Makatea, séparée des Iles de la
Société par une distance facile à franchir à la voile, ne
peuvent pas
cependant être décrits comme amicaux. A la différence du navire
européen de Tahiti, les affirmations concernant le passage d'un
navire étranger à Raiatea proviennent du seul
Tupai'a. Il semble
qu'aucune tradition n'ait fixé le souvenir d'un tel événement.
L'autre version de
Tupai'a
Tupai'a avait fourni à l'aspirant de marine James Magra une
version au sujet de ce navire - version
apparemment inconnue
Forster. Il avait affirmé alors qu'au
"temps de son grand-père"
autre
de
(109) Thomson, op. cit., 29-33. Si le nom de Tinoharotini est correct, sa
signification précise
reste un problème. Tino se
rapporte habituellement au corps humain mais peut aussi
désigner
une personne
Pour haro,
possédée
par
les esprits. Tini signifie nombreux, beaucoup.
"lisser les cheveux", "effleurer l'eau", un certain dessin de
tatouage ainsi que "tendu, serré". J. Davies, Dictionary, 98, 99. Andrews,
op. cit., 57.
nous trouvons
(110) Cf Langdon, "European Ships...", 231-2.
(111) Forster, op. cit., 516. Bien que Tupuna puisse signifier
"grand-père", son
est "ancêtre".
Langdon, op. cit., 229, 231. Davies, Dictionary, 291.
Société des
Études
Océaniennes
sens
premier
1511
un
navire avait fait
note
naufrage et s'était perdu à Raiatea. Malgré la
accompagnant le dessin et le désignant comme amical,
Tupai'a avait raconté à Magra que les "rares marins qui ne s'étaient
habitants". De plus "le premier objet
provenait de cette épave (112). Tous
les éléments de cette version -le naufrage, la mise à mort de
l'équipage et l'arrivée du fer- correspondent aux détails relevés par
Molyneux, Morrison et à ceux de la propre carte de Tupai'a pour
ce qui est des événements récents survenus sur l'atoll de Ana'a. Il
semble que Tupai'a ait fait ce récit à Magra peu de temps après le
départ de 1'Endeavour des Iles de la Société. Lorsque plus tard la
carte sera dessinée on rappelera à Tupai'a son affirmation
antérieure, celle du passage d'un navire européen à son île natale :
et comme ce dernier avait déjà montré sa connaissance précise d'un
naufrage à Ana'a, il avait dû se sentir obligé de réaffirmer ses dires
premiers (113).
pas noyés furent tués par les
en fer qu'ils aient jamais vu"
Un
langage prophétique qui anticipe
...
En percevant d'abord le navire de Wallis comme une île
flottante, les Tahitiens montrent qu'ils n'avaient aucun moyen
pour comprendre, exprimer et classer correctement ce phénomène
qui ne semble pas concorder avec les traditions affirmant le
passage de navires européens avant cette date. Ces prophéties font
appel au surnaturel : c'est pour cela qu'elles ne peuvent être
confondues avec aucune action concernant les Européens et les
gens des îles de la Société. Les affirmations des Tahitiens interrogés
par Banks et Molyneux en 1769 selon lesquelles "le Dolphin était le
premier navire qui ait jamais jeté son ancre... ou ait été jamais
observé à cette île" (114) corrobore la théorie suivante : les
prophéties ont été inspirées par les récits d'un naufrage sur l'île
voisine de Ana'a quelque temps avant 1760 ; ces récits s'ajoutent
probablement à des spéculations liées à des rumeurs ayant peutêtre même précédé l'expédition de Roggeveen en 1722, en raison
des contacts entre les Tuamotu et les îles de la Société. L'interpré¬
tation de ces rumeurs se moule dans le langage prophétique de la
mythologie de Tane sous les traits 'des "enfants glorieux de Te
Tumu" et anticipe ainsi sur la venue des "artisans divins", des
missionnaires, dont l'enseignement contiendra des parallèles avec
la religion du dieu artisan.
H. A. H. Driessen
66.
231
cit., 557.
(112) (Magra), op. cit., 65,
(113) Cf Langdon, op. cit.,
(114) Molyneux, op.
Société des
Études
Océaniennes
1512
NOTE SUR LES PROTECTORATS
ET LES ANNEXIONS EN OCÉANIE
DE 1844 A 1889
Description des Archipels Tubuai
La carte du dépôt de la Marine,
Océan Pacifique n° 985, année
1872, dont le cadre s'étend entre les parallèles 6° et 25° sud et les
méridiens 135° et 165° à l'ouest de
Paris, comprend, outre une
dizaine de sporades, plus de cent îles
groupées presque toutes du
S.E.
au
N.O.
Ce sont
des
groupes qui forment les Archipels des Marquises,
Tuamotu, de Tahiti, de Tubuai et de Cook.
ces
Dans cette partie de
l'Océanie, les îles montagneuses
présentent des massifs de verdure, brusquement
interrompus par
des gorges profondes, dans
lesquelles les eaux bondissent pendant
l'hivernage et changent les ruisseaux des vallées en torrents
fougueux.
Ces sombres vallées dominées
par des pics et des rochers de
forme bizarre que l'on
aperçoit du large, serpentent entre de hautes
murailles basaltiques et aboutissent en
s'élargissant, au terrain plat
qui borde la plage.
Une
puissante végétation
couvre toutes ces terres, elle s'étend
les îlots des récifs
qui les enveloppent.
Les autres îles sont de vastes
plateaux madréporiques, dont les
bords à pic du côté du
large, s'inclinent en pente douce vers
même
sur
l'intérieur. Quelques uns de ces
plateaux ne sont que d'affreux
écueils à fleur d'eau ;
beaucoup d'autres ont, au contraire, l'aspect
charmant d'une mer intérieure,
parsemée d'îlots de verdure et
défendue des assauts de
l'Océan, par une
longue digue naturelle
Société des
Études
Océaniennes
1513
couverte
de
plantes et d'arbres, au-dessus desquels la brise balance
la tête des hauts cocotiers.
C'est dans les eaux calmes et transparentes de ces lacs plus ou
moins accessibles aux navires, que pousse l'huître perlière.
Enfin certains plateaux totalement émergés, sont devenus des
îles hautes terminées par des falaises escarpées.
C'est dans leurs lacs desséchés que poussent
récoltes.
On
îles
ne
trouve aucun
les meilleures
mouillage le long des côtes extérieures des
madréporiques.
De tout cet ensemble,
Tahiti est l'île la plus importante par son
étendue, par sa position géographique et surtout, parce qu'elle
possède le chef-lieu de nos établissements de cette partie de l'Océan
Pacifique.
De 1844 à 1865
Nous devons notre influence dans
ces
îles lointaines, au
patriotisme éclairé des officiers de la Marine qui ont dirigé le
Royaume Tahitien de 1844 à 1865. Ces hommes de mérite et
d'expérience savaient attirer vers nous les populations océaniennes,
dont ils respectaient les usages et le droit coutumier.
L'un d'eux, le regretté Commandant de la Richerie a, d'accord
avec la reine Pomare IV, étendu le protectorat- de la France sur les
îles de l'Est du vaste archipel des Tuamotu, sur l'île Raivavae ( 1 ) de
l'archipel Tubuai et préparé l'annexion de Rapa, point de relâche
sur la grande ligne de Panama à Auckland.
C'est aussi sous son administration, vers 1862, que Povaru (2),
le chef le plus important de l'archipel Cook, vint avec une centaine
de ses sujets, visiter Tahiti. Il fut si charmé de l'accueil que lui fit le
Commandant de la Richerie, qu'il suivit ses conseils en créant des
relations constantes entre ses îles et Papeete.
Avant de retourner dans ses états, Povaru acheta des terres à
Patutoa près de Papeete et y fonda un village, dont le nombre des
habitants a varié de 300 à 500.
Ces insulaires d'Atiu pour la
marins. Ces qualités les font
plupart, sont laborieux et bons
hautement apprécier par les
de Papeete, leurs enfants suivent nos écoles du
et leurs jeunes filles s'emploient comme bonnes
commerçants
gouvernement
d'enfants chez les Européens.
(1) Le protectorat de
Raivavae date de sept. 1861.
(2) Povaru est mari de Makea, reine de Rarotonga et père adoptif de Tinomana reine de
Atiu.
Société des
Études
Océaniennes
1514
Lorsque ces Indigènes se sont procuré la somme qu'il leur faut
pour s'approvisionner d'étoffes, de coffres en bois de
santal, de
machines à coudre et de tous les ustensiles
qui manquent dans leur
pays, ils se cotisent pour affréter un bâtiment
qui les transporte,
avec leurs richesses, dans leurs
îles. Ceux d'entre eux qui
ne
profitent pas du retour de ce navire à Tahiti, trouvent facilement
des parents ou amis tout
disposés à partir pour les
remplacer à
Patutoa.
Notre
influence, de bonne aloi, se propageait donc franche¬
ment, mais sans bruit, jusque dans cet
archipel de Cook, situé à 540
miles dans l'O.S.O. de Tahiti.
De 1865 à 1889
Mais à partir de 1865, la
politique locale se ressent de
l'influence que prirent dans les Conseils de la
Colonie, les exagérés
du parti de la
transmission, aux Européens, des biens de la famille
tahitienne. Sous leur inspiration, la
politique devint puissante pour
protégés, car elle amena la suppression de l'assemblée
législative, sauvegarde de leur autonomie, et elle leur fut
désastreuse, parce qu'elle causa dans les services du protectorat
une
grande perturbation, qu'exploitèrent les habiles du
pays
au
détriment de la propriété
indigène.
Vers la fin de 1877, l'amiral Serre
fut appelé par les
circonstances à s'occuper, pendant
quelques instants, des affaires
du royaume tahitien. Cet homme
d'élite à l'esprit
pénétrant,
comprit qu'en violant l'acte du protectorat, on détruisait notre
prestige en Océanie. Son caractère droit lui gagna la confiance de
Pomare IV, ce qui lui permit, à la mort de
cette reine célèbre dans
tous les pays
maori, de remplir ses intentions royales en
réglant à
nos
l'honneur de la France et aux acclamations
des chefs et du peuple
de succession de la couronne Tahitienne
et les
biens de cette couronne.
Tahitiens, l'ordre
En
1880, le protectorat (*...) depuis 1865 dans sa base consti¬
tutive, n'avait que le nom de cette forme de
gouvernement
tutélaire. Mr Chessé sut habilement tirer
parti de cette situation. Il
réunit le 29 juin de cette année les
chefs de Tahiti-Moorea et leur fit
signer une déclaration, dans laquelle le roi Pomare V remettait
entre les mains de la
France, le gouvernement et l'administration
de ses états ; mais avec des
réserves
qui rétablissaient
sous notre
drapeau, l'autonomie indigène dont jouissaient les
sujets du Roi,
avant 1865.
(*)
mot
illisible.
Société des
Études
Océaniennes
1515
Mr Chessé avait
déjà obtenu un succès d'un autre genre aux
l'inspecteur des affaires indigènes
signait au nom de la France et sauf ratification, un traité avec le
gouvernement de Raiatea-Tahaa (autorisé par l'assemblée générale
de ce petit royaume, le plus important du groupe N.O.), par lequel
nous prenions la direction des affaires avec les étrangers. On doit
noter que 3 jours après la signature de ce traité, la population de
îles-sous-le-vent. Le 6 avril 1880,
ces
deux îles arbore d'elle même et solennellement l'emblème de
notre
protection.
Le gouvernement
de Huahine-Maiaoiti promit de suivre plus
l'exemple de Raiatea-Tahaa. C'est sur ces entrefaites que
l'amiral Bergasse du Petit Thouars vint à Tahiti et qu'il prononça
dans une réception officielle ces paroles remarquables :
"Me, Mr. Ce qui relève la France aux yeux des
Nations, ce qui fait qu'on la respecte malgré ses
désastres ; c'est qu'on croit à sa parole, c'est qu'on a
tard
confiance
en
elle"...
L'amiral
prévoyait-il l'avenir ? Ce qu'il y a de certain, c'est que
avaient adopté la politique traditionnelle
qui consiste à faire aimer et respecter la
France, nous ne serions pas arrivés à perdre notre légitime
prépondérance dans tous les archipels et groupes situés à l'ouest de
si les gouverneurs civils
de la Marine, politique
notre
chef-lieu.
Mais
fonctionnaires ont
préféré sacrifier, en vue
plus que douteuse (3), la protection due à
l'autonomie indigène, protection qui nous avait attiré la sympathie
des populations indépendantes.
ces nouveaux
d'une colonisation
L'annuaire de Tahiti pour l'année 1888 se ressent trop de cette
époque du charlatanisme de la réclame, pour inspirer la moindre
confiance ; il faut pour avoir des renseignements exacts, puiser
dans les documents officiels plus modestes des années précédentes.
On trouve dans l'annuaire de 1885 :
10 682.
Population de Tahiti-Moorea
ainsi décomposé :
fonctionnaires
et
91
employés
Ce chiffre doit être
donnant 344
électeurs inscrits.
Français de naissance ou naturalisés
900
7 398
Français annexés
donnant 2 312
électeurs inscrits.
(3) Faible importance de la
population.
Société des
Études
Océaniennes
1516
Étrangers européens
Étrangers océaniens
715
1
Chinois
095
immigrants compris
483
Total
10 682
Au lieu d'exécuter purement et
simplement le traité d'an¬
nexion, ils ont usé de subterfuges pour ne pas en remplir les
engagements, d'autant plus sacrés, que sans leur
acceptation
solennellement faites au nom de la France, le Commissaire de la
République n'aurait
pu faire signer l'acte d'annexion.
s'agit ici des réserves exprimées dans les déclarations
Roi, et implicitement ratifiées par le parlement français.
11
du
Pendant que les Tahitiens régis par
xbre 1885 et du 24 août 1887
(4), ne
les funestes décrets du 28
peuvent plus, sans interprète,
faire entendre de leurs juges et qu'ils se
ruinent en procès, leurs
parents, les indigènes des îles-sous-le-vent protestent en armes
se
contre les
pour
procédés employés par le gouvernement civil de Tahiti
s'emparer de leurs îles. Il faut se rappeler que depuis le 6 avril
1880, Raiatea-Tahaa se gouvernait sous notre protectorat et
que
Huahine-Maiaoiti avait promis d'en faire autant.
11 suffisait donc d'un
peu de tact pour arriver à couvrir les
autres îles du groupe N.O.
de notre pavillon protecteur, ce qui
vient de se passer à Rurutu et à Rimatara
(archipel Tubuai) le
prouve clairement.
Mais les événements que nous allons relater
brièvement, ont
complètement changé les bonnes dispositions des Naturels de ces
îles, à notre égard.
"Le 16
1888, le gouverneur civil arrive à l'improviste à Huahine, il fait entourer par la troupe
d'infanterie de Marine qu'il avait à bord du
Décrès,
et par les
compagnies de débarquement du navire, de
la division et de la
station, le mât de pavillon situé
près du warff, à côté de la maison royale. A 8 heures
mars
(4) Celui du 28 xbre 1885 crée un conseil général à
Tahiti, mais inaccessible
C'est-à-dire aux 7/8 de la population française
le
français
(le Tahitien
ne
aux
Tahitiens.
sachant ni parler ni écrire
peut être élu).
Il suffit de lire les
procès-verbaux des séances de cette assemblée pour se convaincre
que
Tahiti est la proie des conseillers
généraux du pays. Celui du 24 août 1887, motivé sur
des assertions hasardées,
prescrit d'appréhender les terres des Indigènes et de
confisquer
celles qui ne seraient
a
ne
pas réclamées dans l'espace d'une année.
L'application de ce décret
tellement troublé la propriété,
que dans dix ans les procès ne seront pas terminés, mais
propriétaires seront ruinés. Est-ce là le but qu'on se
les
proposait d'atteindre ?
Société des
Études
Océaniennes
1517
du matin, il descend à terre en se faisant accompa¬
gner des officiers disponibles, prononcer au milieu
des troupes, un discours aussi emphatique qu'intra¬
duisible et amène, ensuite, malgré la protestation de
la jeune Reine, le pavillon d'un pays ami qu'il
remplace par le pavillon français, dont il compromet
ainsi la dignité.
Devant l'attitude des Indigènes stupéfiés, il laissa un
détachement et un navire pour garder le pavillon si
acclamé ; le lendemain 17 mars, il descend à
Raiatea à 9 heures du matin ; là il ne respecte ni le
traité du 6 avril 1880, ni le pavillon français du pro¬
peu
qu'il amène après en avoir fait entourer le
des soldats, des marins et par quelques mé¬
contents. Mais prévoyant les suites de cet acte
insolite, il laisse un détachement et un navire qui
fortifièrent l'endroit où il vient d'abaisser le pavillon
français protecteur, que les Indigènes avaient arboré
tectorat,
mât par
d'eux mêmes.
Enfin le 18
Bora
mars
comme
il
à 8 heures du matin, il traite à Bora
traité Huahine".
a
A la suite de cette expédition qui a coûté la vie à un officier et
à des marins du Décrès, les populations de ce groupe se sont
armées et soulevées en masse. Elles ont rompu toute relation avec
(c'est ce qu'on appelle ici une situation
officiel de Tahiti du 4 avril 1889).
nous
calme ; voir le journal
l'archipel de Cook se croyant menacés dans
indépendance, ont demandé le 16 mai 1888 la protection de
l'Angleterre. Le 20 septembre de la même année, le protectorat de
cette puissance a été proclamé par le Consul Anglais résidant à
Rarotonga, sur tout l'archipel de Cook.
Cette cérémonie s'est faite sans l'assistance de navire de
Les habitants de
leur
guerre.
Les gouvernements
dans l'archipel Tubuai,
des deux petites îles restées indépendantes
démarches à Rarotonga, près
à l'abri de nos surprises.
Ce n'est qu'en cédant aux sollicitations pressantes de Mr. Ch.
Viénot, président du Conseil Supérieur des Eglises Tahitiennes que
ces deux îles protestantes ont enfin, consenti, Rurutu le 27 mars
dernier et Rimatara deux jours après, à mettre les couleurs
françaises dans l'angle supérieur de leur pavillon.
Pendant ces négociations, le gouverneur civil, obligé de se
tenir au large sur la "Divès" devant ces côtes dangereuses, doit se
ont fait des
du Consul Anglais pour se mettre
Société des
Études
Océaniennes
1518
considérer comme très heureux d'avoir obtenu des autorités de
Rurutu et de Rimatara, des traités dans le genre de celui
qu'il a
violé à Raiatea-Tahaa.
En résumé la politique locale suivie depuis 1865 nous isole au
milieu des Indigènes et l'ambition de nos gouverneurs civils nous
oblige à disséminer nos forces.
En temps de guerre maritime,
nos
divers détachements
les chances d'être ramassés par un croiseur ennemi.
Nous avons donc tout intérêt à nous attacher les
populations
courrent
polynésiennes
en
les laissant
se gouverner sous
notre tutelle.
Archipel Tubuai
Les îles Raivavae, Tubuai, Rurutu et Rimatara forment cet
archipel.
Ces îles non groupées s'étendent à
quelques lieues dans le
Nord et dans le Sud du tropique austral, entre les méridiens 150° et
158° à l'ouest de Paris.
la
La plus orientale est à 390 milles dans le S. 15° Est de Tahiti
plus occidentale en est à 360 milles dans le S. 20° ouest.
Les deux îles de l'Est Raivavae et Tubuai sont
comme
et
Tahiti,
montagneuses, volcaniques, et entourées d'un récif parsemé d'îlots.
Ce récif forme à Raivavae un
port abrité, accessible aux navires
calant moins de 6 mètres. Le port de Tubuai ne
peut servir qu'aux
petites goélettes.
Les deux îles de l'Ouest Rurutu et Rimatara
ne
sont
plateaux madréporiques élevés, près desquels il est
dangereux de se tenir, surtout dans l'hivernage.
que des
souvent
Le climat de cet
archipel est sain et agréable on y récolte les
pays chauds et on pourrait y cultiver la vigne et les
pommes de terre. On en exporte de l'arowroot, du tabac, des
bananes pressées, des porcs, de la volaille et même
produits des
quelques
chevaux.
Ces îles
possèdent 3 goélettes qui font le commerce
Tahiti, les îles-sous-le-vent et les archipels voisins.
Raivavae
:
Cette île
a
été découverte
Point culminant
1775 par
320
Superficie
kilomètres carrés
320
Nombre de districts
:
Gayangos.
mètres
66
Chiffre de la population
Tubuai
en
entre
2
île découverte par
Cook
en
1769.
Point culminant
310
mètres
Superficie
103
kilomètres carrés
Société des
Études
Océaniennes
1519
Chiffre de la
population
Nombre de districts
Rurutu
:
390
1,
....
île découverte par
Cook
Point culminant
1769.
400
Superficie
mètres
kilomètres carrés
35
Chiffre de la
population
Nombre de districts
Rimatara
en
composé de 3 villages
:
de 7 à 800
3
....
île découverte
en
1820 par le cap.
Henry.
Point culminant
96
mètres
Superficie
16
kilomètres carrés
Chiffre de la
population
Nombre de districts
200
5
....
villages
Remarque particulière :
L'archipel Tubuai a toujours été considéré par l'Angleterre
comme étant une
dépendance de Tahiti.
En 1861, lorsque la Reine Pomare annexa Raivavae, elle ne
voulut pas faire de démarches pour avoir dans ses Etats Rurutu et
Rimatara prétendant que ces deux îles devaient dépendre du
groupe N.O. de l'archipel Tahitien.
La population des îles Tubuai ainsi que celle des îles de Cook
est plus belle et a le teint plus clair que les Tahitiens. Elle est douce,
laborieuse et encore très soumise à
dialecte grasseyant du Maori.
j.is'ZT■
Note
:
Pour la
ses
chefs,
son
langage est
un
/4 OML.'/
biographie de Caillet, voir "Les Tahitiens", O'Reilly et Teissier, Publ. Soc.
des Océanisles, Paris.
Société des
Études
Océaniennes
1520
TAHITI ET LA SORBONNE
Il existe à Paris, sous égide de la Sorbonne, une "Université
inter-âges". Elle réunit les personnes qui suivent ses enseignements
dans une salle de la galerie Richelieu. Cette université d'un type un
peu particulier ne compte pas moins de 3500 étudiants. Elle mérite
vraiment son titre : si 6 % des inscrits compte moins de trente ans,
la moitié de ses membres est sexagénaire. Les cours ont lieu, en
général, en fin d'après-midi. Ils ont beaucoup de succès, on refuse
parfois du monde.
Les prospectus annonçant les cours du deuxième semestre
1983/84 pour février-mai 84 offrent aux intéressés un vaste éventail
de sujets : ils vont de "Rome à l'époque de l'Empire" à "St Paul et
monde grec" ; et de "Stendhal" à "André Malraux" en passant par
"l'esclavage en Amérique du Nord" et "l'Histoire des Vikings"... En
tout, trente enseignements.
Quelle ne fut pas ma surprise en lisant que l'un d'eux
concernait "Tahiti, histoire d'un mirage". C'est le professeur Pierre
Lagayette, maître assistant d'anglais à l'U.E.R. d'anglais qui a
choisi le sujet et se chargera de le traiter. Il le fera, en une série de
douze cours, dans l'amphithéâtre ouest du Grand Palais du 17
février au 25 mai 1984. Avis aux amateurs parisiens.
Pierre Lagayette est un historien fort érudit bien connu des
océanistes. Il a soutenu en 1973, à l'université de Pau et des pays de
l'Adour une thèse très documentée, rédigée qu'elle est sur des
documents originaux et d'un grand intérêt sur "Henry Adams et les
mers du Sud". On lui doit également la publication
de la
Correspondance de Tati Salmon et Henri Adams, ouvrage paru en
1980 sous titre "Tati Salmon-Henry Adams, lettres de Tahiti" (les
Editions du Pacifique, 1980, 215 p., ill.).
Société des Etudes Océaniennes
1521
Pierre
Lagayette a passé, en 1978, en Californie, un doctorat
sous le titre "The edge of life". Ce travail est une
extension de sa thèse française ; il n'a jamais été publié, mais on en
trouverait un microfilm à l'Université de Ann Arbor, en Californie,
qui s'est fait une spécialisation de ces types de travaux.
Puissent ces quelques notes intéresser les Tahitiens et leurs
amis : en leur montrant l'intérêt croissant que leur belle île suscite
dans toute les sphères des activités humaines.
américain,
P. O'Reilly
1er
Congrès International
-
Ile de Pâques et Polynésie
Orientale.
Ile de
Pâques 6-12 septembre 1984.
Congrès est organisé par le Centre de recherches de l'île de
Pâques (unité académique interdisciplinaire de l'Université du
Chili), qui réalise depuis 8 ans des études anthropologiques,
archéologiques, historiques et d'environnement sur l'île de Pâques.
Durant la semaine du Congrès, des visites sur les lieux
archéologiques importants seront offertes aux participants.
Pour information et inscription écrire :
Ce
-
Secrétariat du
:
Centro de Estudios Isla de Pascua
Casilla Correo-Universidad de Chile
Isla de Pascua - Chile.
Société des
Études
Océaniennes
1522
COMPTE-RENDU
GEORGE KLING
Histoire de la poste et
du timbre en Nouvelle Calédonie et
Dépendances.
Édité par
Calédonie
l'Office des Postes et Télécommunications de Nouvelle
(Nouméa 3000 FCFP).
Personne n'était aussi
qualifié ni mieux placé que cet ancien directeur
Calédonie, philatéliste chevronné de surcroît, pour
écrire ce livre qu'il a astucieusement fait éditer par l'OPT de Nouméa.
Formidable ouvrage de 308 pages, extrêmement détaillé et qui traite
aussi bien de l'organisation postale que de la philatélie et de ses annexes.
L'histoire de la poste calédonienne est encore plus épique que celle de
la Poste Polynésienne, particulièrement lorsqu'il s'agit de l'installation
des circuits intérieurs, lesquels ne s'établissaient pas sans danger pour les
postiers qui, ayant à traverser certaines zones particulièrement inhospi¬
talières, dans les années 1860, avaient quelques chances d'être proprement
mangés...
Moins dangereuse mais tout aussi extraordinaire "l'aventure" du
premier timbre et de son inventeur, graveur, imprimeur, le sergent Louis
TRIQUERA qui fut plus critiqué que loué pour son initiative laquelle a
pourtant permis à la Nouvelle Calédonie de posséder un des timbres les
plus originaux du monde (et malheureusement aussi, un des plus
contrefaits).
La description des différents timbres poste parus jusqu'en 1958,
s'étale tout au long du livre suivant un ordre chronologique, ainsi
d'ailleurs que les cachets et flammes d'oblitération dont un essai de
nomenclature apparaît page 223.
Des cartes judicieusement placées nous permettent de suivre les
des
PTT de Nile
Société des
Études
Océaniennes
1523
circuits extérieurs internationaux, intérieurs, la desserte des îles et le "tour
de cotes"
qu'il fallut doubler d'un système de renseignements télégra¬
phiques, afin que les utilisateurs puissent connaître, à tout instant, la
position des navires courriers. On s'aperçoit d'ailleurs, au fur et à mesure
de la lecture, que le public calédonien fut toujours exigeant dans le
domaine postal...
Une nouvelle forme de desserte, appelée "Poste Mobile", vit le jour
en 1965 avec des véhicules spécialement aménagés, pour effectuer toutes
les opérations postales dans les endroits très éloignés des Centres.
L'auteur constate lui aussi la prolifération des timbres (beaux, il est
vrai !) à partir de 1959, suivant des considérations qui n'ont plus rien de
postales.
Les commémoratifs aériens sont nombreux et les premiers vols vers
l'Est se recoupent souvent avec ceux de la Polynésie Française.
Comme dans le livre La Philatélie à Tahiti, le centre est occupé par
un panoramique couleur sur fond noir des timbres néo calédoniens,
classés par thèmes.
Une très importante bibliographie démontre que cet ouvrage particu¬
lièrement réussi, est l'œuvre de toute une vie de recherches.
Ce livre, qui n'est pas un catalogue, réunit cependant une
documentation absolument indispensable non seulement aux collection¬
neurs de timbres mais également à tous les passionnés de la Grande Terre.
C. BESLU
ERWIN CHRISTIAN ET RAYMOND
Photographie et texte
Les îles de Tahiti
KEA édition ; Bora Bora
;
BAGNIS
1983.
réduit, à sa plus simple expression, est là, simplement pour
l'image dans son cadre géographique, son ambiance humaine ou
son contexte historique éventuel". Ainsi est définie, dès l'introduction, la
nature du texte par le docteur Raymond Bagnis lui-même.
Nous parlerons donc de photographie. Il ne convient pas de se livrer
à une critique précise des quelques deux cent soixante images qui
composent ce livre. Mais à travers ellesmous pouvons tenter une analyse
de la photographie de tourisme de façon plus générale. Il s'agit d'un genre
singulier, genre au sens que lui donne l'esthétique, bien différencié de celui
du reportage, de celui du document ou de la photographie de souvenir,
pour ne pas parler de la photographie "créative". Si l'on peut définir le
reportage, comme l'analyse approfondie d'un sujet déterminé avec
précision, pour son intérêt sociologique, historique, scientifique ou
culturel, la photographie documentaire comme tenant sa valeur de la
rareté des images et de leur accumulation ordonnée sur un sujet précis, la
"Le texte
insérer
Société des
Études Océaniennes
1524
photographie de souvenir comme essentiellement investie d'une valeur
affective, du simple fait que son auteur est destiné à en être le consom¬
mateur privilégié, la photographie créative comme l'image d'une création
de l'auteur, sans soucis de conserver l'intégrité de la réalité pure, alors
nous devons bien considérer que les photographies de ce livre relèvent
d'un genre différent que nous appelerons photographie de tourisme.
Pratiqué en masse par tant de touristes photographes anonymes, ce
genre photographique trouve quelques titres de noblesse lorsque
l'amateur est contraint de s'en remettre à un professionnel, via livres,
cartes postales, posters, pour une meilleure qualité technique, pour une
plus grande séduction de l'image et pour quelques points de vue auxquels
le temps ou les moyens ou l'énergie ne lui permettent pas d'accéder. Ainsi,
de façon très complexe, les lois de ce genre photographique apparaissent
comme déterminées autant par les pratiques d'amateurs que par celles des
professionnels, qui vont influencer les précédants, sans que nous
puissions négliger à un niveau ou à un autre la présence d'une image
mentale de référence, crée par les promoteurs du tourisme.
Généralement, même pour le livre, la fonction de ces images est
univoque pour celui qui les consomme : voilà ce que j'ai vu ou ce que je
dois voir, ce que je n'ai pas pu voir ou que je n'ai que mal vu, ou trop
rapidement, et que ces images me permettent de mieux voir. Dans tous les
cas, le public s'en remet à l'image comme garantie de sa perception, au
détriment de son rapport direct et personnel aux choses.
Ainsi donc
:
La couleur est de
règle, qui
complètement les formes, les
et blanc est exclu ; il
ne peut être considéré que comme l'immixion d'une abstraction formelle.
(Dans le genre étudié, seul ce qui toucherait au document pourrait y faire
exception car le contenu de l'image en fait l'intérêt majeur et sa forme est
négligeable ; mais nous n'en avons pas d'exemple dans le livre considéré).
•
matières
et la
ancre
lumière dans la réalité visuelle. Le noir
Les divers
cadrages sont utilisés en fonction d'impératifs didac¬
le cadre serré ou plein, pour cerner l'objet donné à voir sans
distraction possible du regard, du gros plan pour faune, flore, etc., au
plan large des assemblées. Pour les scènes de la vie quotidienne, le cadre
resserré, toujours pour donner l'impression que le spectateur s'y trouve
inclus. Les plans éloignés ont valeur essentielle de présentation
géographique ; ils sont réservés dans ce livre à une trentaine de vues
aériennes et au paysage. Aucun cadrage ne peut être soumis à une simple
composition plastique ; si elle s'y trouve, elle n'est pas privilégiée ou sans
objet informatif ; l'ouvrage de référence est très net de ce point de vue là
aussi : la composition formaliste des pages 134 et 135 avec nombre d'or,
carré et rythme ternaire est totalement envahie par le jeu des personnages.
•
tiques
•
:
Dans le domaine de la mise
naturel,
•
au
plus souriant, afin de
Tout effet
par une
idée
que
en
scène, la pose est organisée au plus
perturber tout réalisme apparent.
ne pas
stylistique (cf. la photographie de couverture) est justifié
l'on peut se faire de la réalité, du rêve devenu réalité.
Société des
Études
Océaniennes
1525
Il resterait une question essentielle à étudier : qu'est-ce d'ailleurs
la réalité ? surtout lorsque le photographe, par l'intermédiaire de
l'écrivain déclare avoir tenu à ne montrer qu'elle. Nous n'aborderons ici
cette question que par un détail, certes significatif : la lumière. Si l'on fait
exception d'une dizaine de couchers de soleil, et quelques nuits réservées
au passé, à travers le folklore, la lumière de toutes les autres
images est au
plus pur, au plus bleu, au plus beau temps. Ni pluie, ni orage, ni tempête,
ni brume ; les nuages de Tahiti ne seraient-ils que de discrètes variations
du ciel bleu pour ne pas aller contre les mythes du paradis touristique ?
Lorsque la couleur est de règle, peut-on la séparer des qualités
changeantes de la lumière ?
•
que
Il est louable d'avoir voulu donner une vue globale et géographiquement variée de la Polynésie à travers des images soignées. Mais la
photographie de tourisme se devant de naviguer des limites du reportage
(le quotidien contemporain doit être neutralisé de toute agressivité
visuelle, donc réduit à l'anodin), à celles de la photographie documentaire
(à l'érudition de laquelle elle n'a pas lieu de prétendre), de l'évocation d'un
passé pour caution culturelle à celle d'un présent par soucis moderniste,
du géographique à l'historique, du culturel au sentimental, du mythe à la
réalité, sans tragique ni humour, où trouver la personnalité et la force
d'un auteur si elle n'intervient pas dans une perturbation savante de tous
ces
codes de base ?
François SAGNES
N. HALLE
Végétation de l'île Rurutu et additions au catalogue de la
flore des îles australes.
Bull. Museum national d'Histoire Naturelle, Parié, 4e sér., 5, 1983, section
B, Adansonia, n° 2
:
141-150.
Rurutu est plus dégradée que Tubuai ; elle comporte 375 espèces
(Phanérogrames et Ptéridophytes) dont 120 espèces sont cultivées. Les
endémiques sont très peu nombreuses, le Cyrtandra elizabeîhae H. St.
John étant l'espèce la plus intéressante, spécialement par sa beauté.
Les deux îles floristiquement les plus riches sont bien Tubuai avec
420 espèces et Rurutu avec 375 espèces. La troisième place paraît
appartenir, au moins provisoirement à Rapa, avec près de 250 espèces ;
c'est l'île de beaucoup la plus particulière : par son altitude (670 m),
l'escarpement de son relief, et par sa position nettement tempérée. Les
caractéristiques les plus importants de Tubuai sont : l'altitude avec 33 m
de plus au point culminant, mais surtout un relief plus riche en sites
refuges, et de vastes étendues marécageuses.
Il semble que l'absence d'un vaste lagon annulaire soit une condition
défavorable pour la couverture végétale déjà affaiblie par l'effet des feux
Société des
Études
Océaniennes
1526
animaux. Le grand lagon de Tubuai pourrait ainsi, jouer un rôle
régulateur quant à certaines conditions climatiques.
et des
Le
Pacifique, "nouveau centre du monde".
Institut du
Pacifique, Collection stratégies, Boréal, Express, 306 p., 1983,
Berger Levrault
ISBN 2-7013-0547-0.
-
que l'édition française publie un ouvrage entièrement
problèmes du Pacifique, qu'il nous faut présenter celui que
propose l'Institut du Pacifique (*) intitulé : Le Pacifique, nouveau
Il est si
consacré
nous
rare
aux
centre du
monde.
L'objectif de l'ouvrage est double ; il s'agit d'abord de lever le voile
sur une région importante de la terre (50% de l'humanité, 45% du P.N.B.
mondial), où la France, bien que puissance européenne, n'est pas absente
puisqu'elle est présente dans 3 pays ; il s'agit en second lieu d'envisager
l'avenir de cette zone selon trois scénarios d'évolution d'ici à l'an 2000.
Ce livre est aussi (et surtout) un document de synthèse provenant
d'un groupe de travail de l'association des auditeurs de l'Institut des
hautes études de défense nationale (IHEDN), et devant permettre aux
responsables français de définir une politique extérieure, militaire,
économique et culturelle pour la zone du Pacifique.
LA ZONE DU
PACIFIQUE
de l'opinion française, la zone du Pacifique est dans la
partie
de
l'ouvrage largement décrite :
première
géographiquement : une distinction est faite entre les pays riverains
(du Japon au Chili, en passant par le Sud-Est asiatique), l'ensemble
insulaire (Micronésie, Mélanésie et Polynésie) et les terres émergées
(Papouasie, Australie...) ;
démographiquement : la faiblesse et la diversification de la
population océanienne sont compensées par le poids écrasant de la
population des côtes asiatique et américaine ;
culturellement : les grandes civilisations et les courants de pensée y
sont présents avec le monde chinois (bouddhisme), l'Islam et le monde
chrétien occidental dont l'influence s'est fait sentir à partir du voyage de
Magellan en 1521. Les auteurs voient émerger dans cette région du monde
une nouvelle civilisation composée des traditions de chaque ensemble
modifiées par les apports du monde industriel.
Mal
connue
•
•
•
géopolitiques, les acteurs et leurs puissances
les angles Est-Ouest et Nord-Sud. Parmi les espaces où
des désordres pourraient survenir, les auteurs signalent dans la région du
Pacifique sud, la Papouasie, les îles Fidji et les Territoires français : "De
Concernant les données
sont
(*)
:
évalués,
sous
Institut du Pacifique, Musée de la Marine, palais de
Société des
Chaillot, 75116 Paris.
Études Océaniennes
1527
développement
sociales,
d'inégalité, de concussion. Apparaîtraient alors des troubles sociaux qui
pourraient prendre une tournure raciale, religieuse et politique allant
jusqu'à la lutte armée et, de là, jusqu'à la création de "mini-Cuba" ou
l'Union Soviétique risquerait fort de s'engouffrer".
tels désordres peuvent
incohérent
et
avoir
comme
point de départ
un
trop brutal, synonyme de rupture des structures
pour la France serait de taille puisqu'elle se retrouverait au
d'un conflit qui risquerait aussi de déborder sur la Nouvelle Zélande
L'enjeu
cœur
et
l'Australie.
Les auteurs passent ensuite en revue les données militaires : moyens
disponibles, forces en présence, et traités. L'implantation du CEP dans les
Tuamotu et la présence de navires militaires français font de la France la
puissance militaire la plus importante de la Nouvelle Zélande à la
Polynésie Orientale.
Sur le plan du développement enfin, l'abondance des ressources
énergétiques, minérales, végétales et animales favorise l'expansion
industrielle des grands pays du Pacifique ainsi que ceux qu'on appelle les
N.P.I. : les Nouveaux Pays Industriels (Japon-Formose-Singapour) qui
causent tant de ravages aux économies qui ne sont pas adaptées aux
nouvelles données (en Europe Occidentale). La réussite industrielle et
commerciale des pays de cette zone peut servir d'aiguillon à la France
pour favoriser les mutations technologiques. Les pays insulaires
d'Océanie ont, par contre, beaucoup de mal à assumer leur indépendance
et à assurer leur survie malgré l'aide massive des pays qui les soutiennent.
L'AVENIR DU
PACIFIQUE
partie du livre consiste en une analyse prospective de la
région à partir de 3 scénarios d'évolution d'ici à l'an 2000.
SCÉNARIO 1 : c'est celui de la poursuite du capitalisme tel qu'il se
développe à partir des pays industrialisés les plus novateurs (Japon,
Etats-Unis). Les auteurs qualifient tour à tour ce capitalisme de
"triomphant", de "classique" et "d'archaïque".
SCÉNARIO 2 : c'est celui de la déstabilisation marxiste à partir des désé¬
quilibres que le scénario n° 1 crée ; ce scénario "voit apparaître des formes
La deuxième
péninsulaires de nationalisme, d'intégrisme religieux et de
une partie de la zone à une variété de finlandisation et
aboutit en fait au progrès du ou des communismes" (Sud-Est asiatique,
Amérique centrale, Pacifique-Sud).
SCÉNARIO 3 : c'est celui de l'évolution vers une multipolarité et une noninféodation aux deux super-puissances de la région, des nations qui
"s'orienteront vers une politique globale et prioritaire de corresponsabilité... en veillant au maintien des alliances traditionnelles et à l'équilibre
entre les deux super-puissances".
insulaires et
castrisme, conduit
CONCLUSION
Voici donc brièvement résumé un livre
globale de notre région au sens large et
Société des
qui
nous
offre
une
vision
il est important qu'il soit lu et
Études Océaniennes
1528
discuté à Tahiti. La France manifeste
depuis quelques années un intérêt
des visites ministérielles ont activé, à juste
titre, d'une part parce que la pénétration économique de la France est
notoirement insuffisante, et d'autre part -surtout au niveau du
Pacifique
Sud- parce que la politique française dans les TOM conditionne son
rayonnement global dans le reste de la région.
Il est clair par ailleurs, que les scénarios
proposés pourront ne pas se
réaliser tels quels, notamment du fait de l'évolution des autres
points
chauds du Monde. Mais à Tahiti, où la
politique paraît souvent très
passionnelle, une analyse de la sorte permet de voir clairement où se
situent les vrais problèmes (pauvreté,
injustice, sous-emploi, absence de
productions...), qui risquent fort, eux, de faire déraper l'ensemble de la
nouveau
le Pacifique
pour
que
société.
Le
région
Pacifique ne peut se réduire à l'Océanie romantique ; c'est la
laquelle l'Europe -dont la France- doit envisager son avenir.
avec
D. MARGUERON
PAOLO ANTONIO PIRAZZOLI
Mise en évidence d'une flexure active de la
lithosphère dans
l'archipel de la Société (Polynésie Française), d'après la
position des rivages de la fin de l'Holocène.
C.R. Acad. Se.
Paris, t. 296 (7 mars 1983).
Cette étude compare les variations d'altitude des
l'Holocène entre Tahiti, Moorea, Huahine,
rivages de la fin de
Raiatea, Bora Bora et
Maupiti. On observe une diminution progressive de l'émersion de
Maupiti vers Tahiti, de l'ordre de quelques décimètres, de sens contraire
aux prévisions des
modèles isolatiques globaux. Ce phénomène est
attribué à une flexure active de la
lithosphère provoquée par le poids des
îles volcaniques les plus récentes.
VILLIERS (L) ET MEYER (J)
Pêche de prospection à la traîne de surface dans la zone
maritime
polynésienne au cours des années 1974 à 1980.
Orstom-Tahiti 1983. Notes et Doc. Océanogr. n° 21, 43
p.
Cette étude
est
basée
sur
l'analyse statistique des données de pêche à
zone économique de
Polynésie
la traîne collectées de 1974 à 1980 dans la
Française
par
le Marara.
Société des
Études
Océaniennes
1529
Les 2529
prises recensées appartiennent à 7 familles. 16 espèces sont
représentées.
Les prises
moments
cours
du
se répartissent inégalement au cours de la journée, avec des
privilégiés qui diffèrent suivant les espèces ; c'est aussi le cas au
cycle lunaire et à la phase de la nouvelle lune correspondent les
rendements maxima, notamment pour le thazard et le yellowfin.
Les résultats exposés dans cette étude sont une contribution
originale
aux recherches dont
l'objectif principal est le développement de la pêche
Polynésie Française.
en
E.L. CARLOZ
La lutte contre la Filariose de Bancroft à Tahiti.
Évolution des conceptions de 1949 à nos jours. Thèse pour le doctorat en
Médecine. N° 337. Année 1983. Ronéo. 125 p. Université de Bordeaux II.
U.E.R. des Sciences Médicales.
Ancien élève du Lycée Paul Gauguin (Papeete) et de l'École du
Service de Santé des Armées de Bordeaux, ce jeune médecin a consacré à
la Filariose de Bancroft sa thèse de doctorat ; thèse qui a obtenu, lors de
sa
soutenance, la mention "très honorable
qui
en consacre
-
échange
avec
l'étranger",
ce
la valeur.
Cette affection tropicale, endémique en Polynésie Française, a déjà
l'objet de nombreuses recherches et de thèses. Le présent travail,
proposé par le professeur J.C. Durosoir, actuel directeur de l'Institut de
Recherches Médicales Louis Malardé, a pour objet une mise au point de
cette lutte antifilarienne menée sur le terrain depuis maintenant près de
fait
35
ans.
Un bref rappel géographique, climatologique, démographique et
historique précise les principales caractéristiques de la Polynésie
Française.
L'auteur s'arrête un moment sur la morphologie du parasite et sur
son cycle biologique -homme malade- vecteur -homme sain-. Un schéma,
fort réaliste dans sa conception, permet une compréhension facile des
mécanismes biologiques, présidant à la transformation de la microfilaire
en larve infectante, par le biais de YAedes.
L'action philanthropique encore trop méconnue de W.A. Robinson
et de Cornélius Crane, le rôle important joué par l'Université de
Californie à Los Angeles (U.C.L.A.), singulièrement celui du Professeur
J.F. Kessel, doivent être soulignés et admirés ; ces initiatives furent
renforcées par l'action d'une société locale antifilarienne à l'origine de la
fondation de l'Institut de Recherches Médicales de Polynésie Française.
L'organisation des enquêtes préliminaires, permettait de disposer
d'éléments épidémiologiques directement exploitables grâce aux outils
performants (cartographie détaillée et précise, connaissance de terrain et
Société des
Études
Océaniennes
1530
des
habitants) mis au point et largement utilisés.
Tout au long de cette période - 1949-1983 on note
une évolution des
conceptions de la lutte antifilarienne. Au premier abord, l'observateur
peut être frappé par une sorte "d'apparente incohérence de cette lutte". Il
faut savoir que la
conception et la programmation d'une lutte à long
terme -dont le but final est l'éradication
quasi totale de l'endémie
filarienne- ne sont pas choses aisées.
Nombreux sont les facteurs liés au milieu humain
(évolution des
mentalités, attitudes des pouvoirs publics, incidences financières) ou au
parasite (évolution des connaissances sur la biologie du nématode, sur la
physiologie et le comportement du vecteur) qui interviennent et
conduisent à l'adoption de nouvelles
stratégies.
L'auteur distingue plusieurs phases
dans cette évolution :
Évaluation de l'endémie et premiers essais de la D.E.C.
(diethylcorsamazine, produit mis au point sous le nom d'Hetrazan,
par les
Américains au cours de la
campagne du Pacifique) débutant en 1947.
Prospection de tous les districts de l'île de Tahiti en 1949 et 1950
;
évaluation de l'endémicité (moyenne
générale des porteurs de microfilaires = 31,9 %).
-
•
•
Définition de protocoles et essais de
programmes divers entre
•
janvier 1950
et
juillet 1953.
Traitement de masse
(1953-1955) touchant une population
massivement parasitée (à l'issue de la
campagne, la moyenne générale des
porteurs de microfilaires est descendues à 5
%).
•
Traitement des porteurs seuls
(1956-1968) entrainant une chute
spectaculaire des indices de l'endémie. Mais le traitement des
seuls
porteurs, d'application difficile, conduit à une
•
stagnation.
expérience pilote menée à Moorea conduit à préférer le
traitement de masse. On en revient à cette
méthode
Une
•
(1968-1972) en
l'améliorant par adaptation des schémas curatifs
(doses thérapeutiques,
périodicité des prises de D.E.C., instauration d'une
chimioprophylaxie
systématique dans les écoles).
•
Chimiothérapie de
masse par
D.E.C. à partir de 1973 (dose
10 à 12
mois).
Quelques variantes
la méthode des doses espacées de
unique de 6 mg/kg de poids/jour, tous les
seront
apportées par la suite
TM-200 (traitement de
masse
par
:
demi-dose)
TM Z
(traitement de masse par zone, basé sur le fait
que le
vecteur ne
s'éloigne guère de ses gîtes de ponte ; on traite donc toute
personne habitant dans un
rayon de 100 m autour du domicile d'un
porteur connu).
En
1983, les indices microfilariens
sont
porteurs).
Se pose, in fine, le
problème de l'avenir de
Société des
Études
très faibles (0,13 % de
cette
lutte antifilarienne. Il
Océaniennes
1531
semble que
l'on
arrive à
sorte de "saturation
asymptotique"
(médicament agissant sur la filaire
adulte, progrès immunologiques autorisant l'immuno-stimulation
spécifique, génétique de Yaedes vecteur) pour tendre vers zéro avant
en
une
nécessitant de nouvelles recherches
d'atteindre l'infini.
Une excellente thèse, heureusement conçue, qui rend
compte de
l'évolution d'une campagne antifilarienne bien conduite en
Polynésie
Française de 1949 à 1983.
Notons en passant la qualité de la bibliographie que l'on
peut
considérer comme quasi-exhaustive à l'heure actuelle.
L.C.
M. CIZERON
-
M. HIENLY
Tahiti, côté montagne.
Edts. Haere Po
no
Tahiti, 1983, 200 p.
Les Éditions Haere Po no Tahiti ont pris le risque de nous présenter
petit livre original, et qui sort largement des sentiers battus. Il s'agit
d'une sorte d'enquête entreprise par deux membres du Service des
Affaires Sociales de Polynésie Française, M.L. Cizeron et M. Hienly, et
qui a pour but, selon la préface de R. Meuel, "de parler des pauvres", "de
sensibiliser les responsables et éventuellement l'opinion" sur le problème
un
des démunis à Tahiti.
Pour y parvenir, les auteurs ont voulu faire témoigner des Tahitiens,
qui, loin des villas du bord de mer et de la moderne Papeete, vivent à un
rythme fort différent, dans les districts, côté montagne, là où la terre est
encore à un prix abordable...
Quatre témoignages se succèdent : trois femmes, Jeanne, Marietta,
et un homme, Colas. Ils nous donnent l'occasion de lire de fort
belles pages sur ce que peut être la vie quotidienne dans le district de
Papara. Ces témoignages nous paraissent précieux, surtout à une époque
où l'on a peut-être trop tendance à mettre Tahiti en statistiques...
Nicole
Tout l'enseignement que l'on peut retirer de ces quatres témoignages,
moins de seize personnalités, du syndicaliste au chercheur, du prêtre à
l'assistante sociale, nous le démontrent sur plus de 50 pages.
pas
Il y a,
il est vrai, matière. Car c'est un monde en soi que nous
découvrons, avec tout son système de pensées et de valeurs, si éloigné de
celui des popa'a farani.
Nous avons été frappé par la survivance de pratiques coutumières
surtout dans le domaine médical (ra'au) et "religieux" (tupapa'u), qui
démontre la vitalité des structures idéologiques anciennes. Mais d'un
autre côté, la perception de l'histoire, telle que Marietta la décrit par
exemple (p. 73), montre combien la tradition actuelle est complexe,
Société des
Études
Océaniennes
1532
empruntant à la fois à la formation sociale tahitienne pré-européenne et
apports du XIX ou XXème siècles.
aux
Enfin le thème si commun, y
compris hors de Tahiti, de l'âge d'or
perdu, paraît atteindre ici des proportions spectaculaires, ce qui
semblerait dénoter une bien mauvaise intégration à la société
d'aujourd'hui.
Un livre
passionnant. On
nous
permettra cependant quelques
remarques négatives.
Tout d'abord la brièveté des
témoignages :
l'on rapprochera des 50 pages de
105
commentaires).
pages
seulement (que
Plus importante serait une critique sur la forme de
l'enquête, sur la
démarche adoptée. Les auteurs conviennent que "leur choix a
comporté
une part de
subjectivité". Il est vrai que l'on peut s'interroger sur le choix
de ce district (est-il représentatif ? A noter
qu'il ne nous est présenté qu'en
fin d'ouvrage, et bien
rapidement), et surtout sur le choix des témoins,
choix d'autant plus primordial
que leur nombre est particulièrement
restreint. Enfin le fait que l'interview ait été menée en
entravé
ce
français, n'a-t-il
travail ?
pas
Toutes
ces
remarques, on les trouvera
dans le livre lui-même. Les
l'éditeur ont, les premiers, souligné les
imperfections qu'une
telle enquête ne peut manquer de présenter.
...
auteurs et
Nous retiendrons
qu'il "s'agit d'une tranche de vie, taillée dans un
qui demeurait... inimaginé" (p. 130) comme l'indique l'éditeur.
Prenons, en lisant ces trop courtes pages, conscience d'un phénomène
douloureux, ce sera déjà un apport décisif à la compréhension de la
Polynésie contemporaine. Et nous saluerons cette performance qui a
consisté à faire parler ceux qui d'habitude ne
s'expriment pas.
vécu
P.Y. TOULLELAN
DOUGLAS OLIVER
Two Tahitian Villages.
A study in comparaison. Institute of
Polynesian Studies. University of
Hawaii Press. Honolulu. 1983.
Douglas Oliver est bien connu pour son admirable "Ancient Tahiti
Society" paru il y a déjà dix ans. Il récidive, aujourd'hui, avec un excellent
ouvrage d'anthropologie comparée : "Two Tahitian villages".
Ouvrage solide, bien conçu, remarquablement documenté, mettant
l'accent sur certains particularismes de collectivités humaines
respecti¬
vement implantées dans les îles de Huahine et de Moorea.
Cette monographie consacrée à deux communautés rurales
Polynésie Française -singulièrement dans l'Archipel de la Sociétépropose un triple objectif :
Société des
Études
Océaniennes
de
se
1533
1.
Description -dans l'acception ethnographique du terme- d'un mode de
en voie de disparition, par l'étude détaillée et
précise des comporte¬
ments sociologiques des habitants de ces villages ;
vie
2. Mise
en
évidence -par des exemples
d'une méthode
adaptée à
une
judicieusement choisis- de l'utilité
telle étude : celle de la "comparaison
contrôlée" ;
3.
Concentration de l'attention
nautés choisies.
sur
l'aspect "économique" des
commu¬
Le. but réel de cette étude
: comparer entre elles les "économies" de
petites sociétés villageoises, sans chercher à tout prix les rapports
possibles avec d'autres modèles de systèmes économiques, ou tout autre
système économique nettement codifié.
deux
Dans
partie introductive, l'auteur situe la place occupée par les
polynésien. Un bref rappel historique
permet de déterminer une "zone charnière" -fin du XVIIIè sièclefavorisant le passage d'une société bien hiérarchisée, d'obédience dite
"primitive" à une société qui, sous l'impact de l'arrivée des premiers
explorateurs occidentaux, évolue vers une nouvelle économie "consom¬
matrice". L'arrivée des premiers missionnaires, leur prosélytisme
évangélique, disloquaient en profondeur une société déconcertée par des
contacts les obligeant à remettre en question leurs structures morales et
religieuses.
Au cours des décennies qui suivirent, l'intrusion technologique trans¬
formait rapidement les mentalités. Le polynésien,.en une assez courte
période, passait d'un stade "pêcheur-cueilleur" à un nouveau stade, celui
du "producteur-consommateur". Cette évolution fut nettement plus
marquée en Polynésie Française, par rapport aux archipels voisins dans le
Pacifique Sud.
sa
lies de la Société dans l'ensemble
dans le détail des modes
de la pêche sur l'élevage,
etc...), du vêtement et des soins du corps. La manière de se loger est
intéressante à étudier, dans la mesure où elle met en évidence certaines
différences -architecturales, équipement mobilier, alimentation en eau,
etc...- entre les villages d'Atea (Huahine) et de Fatata (Moorea).
La notion moderne de gain conditionne le comportement d'une
société pour qui l'argent prend un aspect contraignant : comment gagner
de quoi subvenir à ses besoins ? Comment dépenser en vue de maintenir la
L'économie de subsistance permet d'entrer
d'alimentation (rôle des plantes, prédominance
cohésion de la cellule familiale tout
tionnant le confort.
accédant
en
au
nécessaire condi¬
Le magasin (Fare Toa), la "boutique" constituent un fait socio¬
logique important dans la mesure où les rapports entre ethnies et
individus -marchands, consommateurs- conditionnent la formation de
réseaux et entretiennent des liens privilégiés entre Tahitiens et Chinois.
Symbiose ou discrimination culturelles, toutes les nuances peuvent
être observées.
La part
du jeu n'est
pas
négligeable
Société des
Études
;
les activités ludiques ont leur
Océaniennes
1534
importance dans la vie collective (chant, danse, réunion de femmes,
etc...).
Le christianisme
a
profondément marqué la société tahitienne
par ses
composantes protestante et catholique. Le clivage entre ces deux
composantes doit être nuancé, du côté protestant, par une réalité à
prendre en considération : l'impact réel et profond de certaines sectes
(Mormon, Adventiste, Sanito, etc...). Les offices, réunions de prière et de
chant, études bibliques constituent un ciment assemblant efficacement les
membres des communautés ;
quelques variantes, fonctions des ethnies,
des liens familiaux, des conventions
morales, modifient les attitudes et
comportements selon le lieu de résidence.
Dans le domaine de la vie affective, sexualité et
mariage jouent un
grand rôle dans la constitution du noyau nucléaire familial. L'étude
comparative conduite tant à Atea qu'à Fatata est riche d'enseignements
quant au statut marital, à la solidité des ménages, au lieu de résidence du
couple, au problème de la séparation, voire du divorce.
La vie elle-même, avec ses
aléas, doit être étudiée par rapport aux
problèmes que pose l'enfant avec son apparition, le problème éducatif se
pose avec acuité ; importance attribuée au guérisseur, dans le contexte
d'un droit à la santé
par dépistage et lutte contre les affections.
Rôle important des plantes médicinales, transmission locale
de la
connaissance des simples, codification des
thérapeutiques avec d'empi¬
riques méthodes de préparation. Contrôle et maintien du "savoir".
Bonne étude de la parentèle avec les notions de "metua
fa'a'amu"
(parents nourriciers) et de "metua fanau" (parents procréateurs) ; en
découlent les relations entre parents et enfants au cours de
la petite
enfance, puis de l'adolescence. La terminologie de parenté est
simple ; une
particularité cependant : le terme "tupuna" fait référence aux consanguins
représentant G-2 et au-delà par rapport à Ego, alors que l'on utilise
quatre termes couvrant la descendance
à G+4).
sur
quatre générations (G+l
Le comportement devant la mort constitue un fait social
maieur. Les
anciennes ordonnances funéraires se sont effritées devant
l'instauration
du christianisme et sa croyance en une vie dans l'au-delà.
Apparaissent
quelques différences dans les modes d'ensevelissement (cimetière collectif
municipal ou tombe isolée proche du lieu de résidence). Il faut savoir que
les enquêtes concernant cette étude ont été menées sur le terrain
dans les
années 1954-55 et 1959-60, les
pratiques funéraires encore en usage à cette
époque n'ont plus cours actuellement. Importance controverse quant au
"devenir" de l'âme après la mort. L'âge du défunt au
moment de son décès
conditionne ou non son retour sous forme de fantôme ou
d'esprit. Un
faisceau de croyances et de
comportements est profondément lié à la
notion de "tupapa'u".
Corollaire du décès, l'héritage, assujetti aux
règles (droit coutumier,
droit civil) des successions.
La monographie s'attarde un moment sur la structure de la
famille,
incluant, dans le cadre de la maisonnée, la famille élargie ; les relations
Société des
Études
Océaniennes
1535
sociales
par
les groupes engendrent la texture de l'agglomération rurale
le biais des incidences financières sans omettre la touche apportée par
entre
l'élément fonctionnarisé.
Les réseaux de parenté sont complexes du fait des interférences
fréquentes entre groupes familiaux, générations ainsi que la composante
fa'a'amu. Complexité marquée par ses liens avec la tenure foncière, ses
rapports avec les séquelles d'un culte primitif matérialisé par le rôle du
marae dans la communauté et l'inextricable lacis
juridique inhérent à
l'indivision des terres. Ces quelques "relents" de "Tahiti ancien" ne sont
définitivement révolus, malgré des changements intervenus -en un
premier temps- sous le régime de colonisation, puis -en un second tempssous une législation moderne et mieux
adaptée aux mentalités.
pas
Cette étude
d'"anthropologie culturelle et sociale" comparée entre
villages respectivement désignés sous les pseudonymes de "Fatata"
(proche) et "Atea" (éloigné) en fonction de leur localisation par rapport à
Papeete, est riche d'enseignements. Elle mérite d'être lue à tête reposée,
lentement, le crayon à la main, pour l'éclairage nouveau qu'elle nous
apporte dans la compréhension des différents aspects d'une Société aux
deux
mille facettes.
Il
semble intéressant de tenter
l'approche de la société
étude comparative plus poussée encore en
confrontant la vision globale, si pénétrante de Douglas Oliver et celle,
plus psychique, plus cérébrale, du "Tahitians" de Robert Levy.
me
polynésienne
par une
Dr. L. CARLOZ
J. CHABANNE
La
-
B. UGOLINI
pêche bonitière
en
Polynésie Française
Océanographie. Notes et documents
en
n° 19, 1983. Orstom
1982.
Tahiti, 1984.
La pêche bonitière artisanale de Polynésie Française n'a pas subi
d'évolution importante en 1982. La méthode de pêche, la répartition des
bonitiers et l'effort de pêche n'ont pas changé. En particulier, les
dispositifs de concentration de poissons ne sont pas restés
longtemps en place pour avoir une influence sur l'exploitation.
La
assez
pêcherie de Papeete (île de Tahiti) est la plus importante avec
de ce port se sont élevés à
de bonites (Katsuwonus
pelamis), 368 tonnes de thons jaunes (Thunnus albacora), 10 tonnes de
coryphènes (Coryphaena hippurus) et 23 tonnes de divers. La capture
totale par jour de mer, égale à I22 kg, est en augmentation par rapport
aux années
passées. Pour la bonite, le rendement a été de 76 kg/jour
(29,8 bonites/jour) pour l'année, le minimum mensuel étant observé en
57 % de la flottille. Les débarquements totaux
1067 tonnes, se répartissant en 666 tonnes
Société des
Études
Océaniennes
1536
juillet et août. Ce rendement est en augmentation par rapport aux trois
années précédentes. Les prises sont surtout composées (93 % des
débarquements) de poissons mesurant entre 42 cm et 66 cm (longueur
ronde, L.R., mesurée de l'extrémité de la tête à la fourche caudale en
suivant la courbe du corps). Les grandes bonites, d'une taille comprise
entre 70 cm et 90 cm,
caractéristiques de la pêcherie de Tahiti sont
présentes pendant le premier semestre. Pour le thon jaune, le rendement
annuel a été de 42 kg/jour (6,5 thons/jour), marquant un arrêt de
l'augmentation observée pendant les années antérieures. Les rendements
mensuels montrent une baisse très nette durant les mois de juillet, août et
septembre. La plupart des poissons débarqués sont d'une taille comprise
entre 45 cm et 110 cm en L.R. Ils se répartissent en deux groupes,
l'un
centré
sur
50-60 cm, l'autre sur 85-95
cm.
Pour l'ensemble de la
pêche bonitière polynésienne, les captures de
thonidés ont été estimées à 1557 tonnes, se composant de 1057 tonnes de
bonites et 500 tonnes de thons jaunes.
Société des
Études
Océaniennes
1537
Nous donnons ci-dessous le titre de quelques thèses dont
l'existence mais que nous ne possédons pas.
RALLU
Jean-Philippe : "Un visionnaire ambigu
Vanuatu", Paris V, 08/03/82.
aux
nous avons
appris
Nouvelles-Hébrides, aujourd'hui
WIECZOREK J.P.
3°
: "projet de musée pour l'île de
Pâques" (23 avril 1982), Thèse de
cycle, Nancy, unité d'architecture.
WILLEM1N
Véronique
:
"Évolution de l'habitat
en
Polynésie Française
:
Iles de la
Société-Tuamotu" (18 juin 1982), Thèse de 3° cycle, Paris, unité d'architec¬
ture n° 6.
DUNIS
Serge : "Organisation sociale et pensée des anciens Maori
reconstruction", Paris XIII, 28/06/82, Thèse d'État.
: un
essai de
BERNARD Pascal
: "Le Nagriamel, tradition et nationalisme à Vanuatu
(ex NouvellesHébrides)", Paris X, 02.02/83, 3° cycle.
LIOTARD, J.M. & Al. : "Contribution à la connaissance pétrographique et
géochimique de l'Ile de Fatu-Huku, Archipel des Marquises" - Paris, 1983, Tiré-àpart : C.R. Acad. T. 297 série II pp. 509-512.
Société des
Études
Océaniennes
1538
PUBLICATIONS SCIENTIFIQUES "AQUACOP"
CNEXO
-
B.P. 7004
-
TARAVAO
L'Aquaculture au Centre Océanologique du Pacifique - AQUACOP
l'Aquaculture Acte n° 1-1974 pp 431 - 444 CNEXO/PARIS.
-
Colloque
sur
-
AQUACOP, 1974 : L'élevage des crevettes de mer pénéides en Polynésie 7
réunion technique des pêches de la Commission du Pacifique Sud.
AQUACOP, 1975
:
insulaire dans le
p.
3ème
Développement de l'aquaculture en milieu tropical coralien et
Pacifique Sud. 8ème Conférence Technique des Pêches CPS.
AQUACOP, 1975 : Maturation and spawning in captivity of Penaeid prawns Penaeus
merguiensis de Man, Penaeus japonicus Bate, Penaeus aztecus Ives,
Metapenaeus ensis de Haan and Penaeus semisulcatus de Haan. Proceedings of
the 6th Annual Meeting of World Mariculture Society : 123 - 132.
AQUACOP, 1976 : Incorporation de protéines végétales dans un aliment composé
pour crevettes Macrobrachium rosenbergii. Aquaculture 8 : 71 - 80.
AQUACOP, 1975 : First experiments on the rearing of tropical Carangidae cage.
Proceedings of the 6th Annual Meeting of World Mariculture Society : 271 - 284.
AQUACOP, 1976 : Spécificité des besoins en protéines et acides gras - FAO
Technical Conference on Aquaculture, Kyoto, 26 mai - 2 juin 1976.
AQUACOP, 1977 : Macrobrachium rosenbergii (de Man) culture in Polynesia :
progress in developing a mass intensive larval rearing in clear water, 8th
Workshop of World Mariculture Society, Costa Rica, 10 - 13 janvier 1977.
AQUACOP, 1977 : Observations on diseases of Crustacean cultures in Polynesia. 8th
Workshop of World Mariculture Society, Costa Rica, 10 - 13 janvier 1977.
AQUACOP, 1977 : Reproduction in captivity and growth of Penaeus monodon
Fabricius in Polynesia. 8th Workshop of World Mariculture Society, Costa Rica,
10
13 janvier 1977.
-
AQUACOP, 1977 : Macrobrachium rosenbergii culture in Polynesia : water
chemodynamism in an intensive larval rearing. 8th Workshop of World
Mariculture Society, Costa Rica, 10 - 13 janvier 1977.
AQUACOP, 1977 : Production de masse de post-larves de Macrobrachium
rosenbergii (de Man) en milieu tropical : unité pilote : Congrès ICES. Brest, 1977.
Société des
Études
Océaniennes
1539
AQUACOP, 1977
crevettes
:
Observations
Pénéides
en
sur
la maturation et la reproduction en captivité des
Congrès ICES. Brest, 1977.
milieu tropical.
AQUACOP, 1977 : Élevage larvaire et production de naissain de Crassostrea gigas
milieu tropical. Congrès ICES. Brest, 1977.
en
AQUACOP, 1977 : Élevage larvaire de Pénéides en milieu tropical. Congrès ICES.
Brest, 1977. (Traduction anglaise disponible).
Participation
au
livre "Shrimp and Prawn Farming in the Western Hemisphere" Joe
HANSON and Harold GOODWIN. Dowden Hutchinson & Ross, Inc. 1977.
AQUACOP, 1978 : Study of nutritional requirements and growth of Penaeus
merguiensis in tanks by means of purified and artificial diets. Proceedings of the
9th : Annual Meeting World Mariculture Society 225 - 234.
Participation au livre "Disease Diagnosis and Control in North American Marine
Aquaculture". J. SINDERMANN. Elsevier Scientific pub. Co. 329 p.
AQUACOP, 1979 : Intensive larval culture of Macrobrachium rosenbergii : an
economical study. 10th Meeting of the World Mariculture Society. Honolulu,
January 1979.
AQUACOP, 1979 : Macrobachium rosenbergii culture in Polynesia : pH control of
experimental growing ponds water by phytoplankton limitation with an algicide.
10th Meeting of the World Mariculture Society. Honolulu, January 1979.
AQUACOP, 1979 : Larval rearing and spat production of green mussel Mytilus viridis
Linnaeus in French Polynesia. 10th Meeting of the World Mariculture Society.
Honolulu, January 1979.
AQUACOP, 1979 : Penaeid reared broodstock : closing the cycle of P. monodon, P.
stylirostris and P. uannamei. 10th Meeting of the World Mariculture Society.
Honolulu, January 1979.
AQUACOP, 1979 : Principles and techniques of disease prevention in intensive
aquaculture. 10th Meeting of the World Mariculture Society. Honolulu, January
1979.
AQUACOP, 1979 : About the concept of crowding disease and sanitary lot in modern
intensive Aquaculture : a short note. Proceedings of the 10th Annual Meeting of
the World Mariculture Society : 551 - 553.
AQUACOP, 1979
:
Equipements
pour
fabriquer des granulés
par
voie humide
and Fish
destinés aux animaux marins. Proc. World Symp. on Fin fish nutrition
feed Technology, Hamburg 20 - 23 June, 1978. Vol II Berlin, 1979.
AQUACOP et D. De GAILLANDE, 1979 : Production de naissain et élevage de la
moule verte Mytilus uiridis en Polynésie Française.
Lettre d'information sur les pêches. CPS N° 19 novembre, 1979.
AQUACOP, 1980 a : Mass production of green mussel spat Mytilus uiridis Linnaeus in
French Polynesia. Symposium on Coastal Aquaculture Cochin, India.
AQUACOP, 1980 b : Reared broodstock of P. monodon. Symposium on Coastal
Aquaculture Cochin, India.
AQUACOP, 1980 c : Mass production of M. rosenbergii fresh water prawns juveniles
in French Polynesia : predevelopment phase results. Symposium on Coastal
Aquaculture Cochin, India.
AQUACOP, 1981 : Participation in the panel "Industrialization of Aquaculture :
opportunities and challenges". World Conference on Aquaculture --Venice
05/21-25/28 (in press).
Société des Etudes Océaniennes
1540
AQUACOP, 1982
at
Present status of bivalve culture in French Polynesia. Presented
workshop IDRC Singapour 02/16 - 19/82 (in press).
:
bivalve culture
AQUACOP, 1982
Algal food cultures at the Centre Océanologique du Pacifique
Mariculture, volume 1 : Crustacean Aquaculture. CRC
Press, Inc. Boca Raton, Florida, U.S.A (in press).
AQUACOP, 1982 : Constitution of broodstock, maturation, spawning and hatching
systems for penaeid shrimps in the Centre Océanologique du pacifique. In
Handbook of Mariculture, volume 1 : Crustacean Aquaculture. CRC
Press, Inc.
Boca Raton, Florida, U.S.A (in press).
AQUACOP, 1982 : Penaeid larval rearing in the Centre Océanologique du Pacifique.
In Handbook of Mariculture, volume 1 : Crustacean
Aquaculture. CRC Press.
Inc. Boca Raton, Florida, U.S.A (in press).
AQUACOP, COEROLI, De GAILLANDE, JP LANDRET, 1982 : Recent Innovations
in cultivations of molluscs in French Polynesia
12/1 -3/82. La Jolla Aquaculture
(in press).
:
Tahiti. In Handbook of
AQUACOP, 1983 a : Intensive larval rearing of Macrobrachium rosenbergii in
recirculating system. 1st International Biennal Conference on Warm Water
Aquaculture - Crustacea, February 9-11/83 Brigham Young University. HawaT.
AQUACOP, 1983 b : First results of a 10 ha Macrobrachium farm in Tahiti. 1st
International Biennal Conference on Warm Water
Aquaculture - Crustacea
02/9-11/83. Brigham Young University. Hawaï (in press).
AQUACOP, 1983 c : Manufacture of feeds to support shrimp production in Tahiti
(French Polynesia). 1st International Biennal Conference on Warm Water
Aquaculture Crustacea 02/9-11/83. Brigham Young University. Hawaï
-
(in press).
AQUACOP, 1983 d : Use of
serum protein concentration to
optimize peneid spawner
quality. 1st International Biennal Conference on Warm Water Aquaculture
Crustacea 02/9-11/83. Brigham Young University.
Hawaï (in press).
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