B98735210105_222.pdf
- Texte
-
BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCEKNIENNES
N° 222
TOME XVIII
—
N° 11 / Mars 1983
Société des Etudes Océaniennes
Société des
Études Océaniennes
Fondée
Rue
Lagarde
-
en
1917.
Papeete, Tahiti.
Polynésie Française.
B.P. 110
-
Tél. 2 00 64.
Banque Indosuez 21-120-22 T
—
C.C.P. 34-85 PAPEETE
CONSEIL D'ADMINISTRATION
M. Paul MOORTGAT
Me Eric LEQUERRE
Mlle Jeanine LAGUESSE
Vice-Président
M.
Trésorier
Raymond PIETRI
Président
,
Secrétaire
assesseurs
Mme Flora DEVATINE
M. Roland SUE
M. Yvonnic ALLAIN
t Me Rudi BAMBRIDGE
MEMBRES D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
R.P. O'REILLY
M. Yves MALARDE
t M. Raoul TEISSIER
Société des
Études
Océaniennes
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ
DES
ÉTUDES OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
N° 222
-
TOME XVIII
-
N° 11 MARS 1983
SOMMAIRE
PAUL HODEE
L'HOMME ET LE TRAVAIL
POLYNÉSIE FRANÇAISE
EN
ÉRIC CONTE/JEAN KAPE
LA PRODUCTION DU FEU PAR FRICTION
1249
1272
JEAN SCEMLA
UNE NOUVELLE
CONTRÉE DE L'IMAGINAIRE
1283
COMPTE RENDU
Le
de
mythe de la Nlle-Cythère dans la littérature
Bougainville à Gauguin
The
cross
of Lorraine in the South Pacific
1292
1294
1296
Russia in Pacific 1715-1825
L'organisation de l'espace dans un district
1297
de la côte sud de Tahiti
Société des
Études Océaniennes
Société des Etudes Océaniennes
1249
L'HOMME ET LE TRAVAIL
EN
POLYNÉSIE FRANÇAISE
:
Éléments pour
une
réflexion socio-culturelle
Dans la perspective de la refonte du Code du Travail en
Polynésie Française, le Professeur Jean-Claude Javillier a
demandé une «contribution portant, notamment, sur les aspects
culturels et sociaux du travail à Tahiti». Cette étude sera également
publiée avec tableaux plus complets dans le «Bulletin de Droit
comparé du travail et de la Sécurité Sociale». Il semble, en effet,
«important d'ouvrir un débat le plus large et libre que possible» sur
cette question urgente, difficile et assez neuve pour la Polynésie.
Les discussions sont passionnées sur ce sujet. Ceux qui connaissent
la situation présente et le passé récent de ces îles lointaines
mesureront le caractère périlleux et nouveau d'une telle réflexion
sociologique, éthique et philosophique sur l'homme et le travail à
Tahiti.
Près de dix années de services variés dans le
Pacifique
une recherche approfondie en Sciences de
sont les seuls titres à tenter la «contribution»
francophone et
l'Éducation
demandée. Le
changement politique issu des élections territoriales
mai, certaines tensions socio-économiques à Tahiti, le
contexte métropolitain et international, font que cet article ne peut
être qu'un «texte-cible» et une incitation à une réflexion plus
approfondie sur un sujet mal connu et embrouillé.' Qui dit Tahiti
s'attend peu à entendre parler de Travail ! Bougainville et Diderot,
Gauguin, Loti et la publicité font de Tahiti un mot qui chante la
joie et fait rêver au «paradis» ! L'installation du C.E.P. depuis 1963
n'a pas apporté un regard plus objectif sur les Polynésiens. «La
bringue et la bombe» ne facilitent pas le regard sur le travail des
du 23
hommes dans
nos
îles.
Société des
Études
Océaniennes
1250
Voir pour
faire la vérité, base indispensable pour des solutions
adaptées à la Polynésie qui naît, tel est l'objectif de cette
étude. Après avoir rappelé ce qu'est le travail aujourd'hui, nous
verrons les données essentielles du travail en Polynésie et les
questions pratiques que son organisation soulève. La documen¬
tation qui a servi à bâtir le présent article est donnée dans la
bibliographie.
neuves
I.
et
QU'EST-CE QUE LE TRAVAIL ?
Le Petit Robert le définiti : «ensemble des activités humaines
coordonnées en vue de produire ou de contribuer à produire ce qui
est utile». Définition typique de notre société de
productionconsommation. Avec Jean-Paul II dans «Laborem exercens» -à
laquelle je renvoie le lecteur pour une étude approfondie- «le
travail est toute activité humaine, quelles qu'en soient les
caractéristiques et les circonstances». Il ne se réduit pas à produire
et consommer ; le travail, outre le «pain
quotidien», contribue au
progrès des sciences et des techniques, au développement de la
culture et de la Société. Conçu ainsi comme activité humaine
économique, culturelle ou morale, le travail est une donnée
fondamentale, permanente et sans cesse renouvelée de la vie
sociale. Il est la clé essentielle de toute situation
socio-économique.
Il intéresse «tout homme et tout l'homme» en ce sens
qu'il met en
jeu les capacités naturelles et culturelles de chacun à travers des
techniques, des outils et des machines en évolution permanente et
rapide. Ainsi y a-t-il, en plus des activités humaines très variées, des
manières, des styles très différents d'accomplir la même tâche selon
les cultures et les circonstances. C'est une
question très délicate à
résoudre, par exemple, dans l'éducation en Nouvelle-Calédonie et
en Polynésie ;
c'est une situation qui provoque beaucoup de
difficultés et d'incompréhension dans l'organisation du travail
entre travailleurs des
groupes ethniques différents ou dans la
concurrence entre pays
étrangers ; songeons au Japon très présent
dans le Pacifique. A Tahiti, il n'est
pas difficile de voir qu'un
polynésien, un chinois, un métropolitain ou un «demi» ne
réagissent pas de la même manière devant le travail à entreprendre.
On
peut négliger aussi que, dans le monde industriel et post¬
industriel, le travail humain s'exerce dans des situations de
rapports de force et de pouvoir : «monde du capital» propriétaire
des moyens de production, «monde du travail»
qui loue sa force et
son
temps ; les premiers cherchent le meilleur profit, les seconds le
ne
Société des
Études
Océaniennes
1251
meilleur salaire ; les deux se retrouvant pour développer la
production-consommation, base du progrès. Le conflit entre
capital et travail, sous des formes diverses, marque profondément
notre société. Mais ce schéma manichéen du pouvoir économique
est quelque peu simpliste. Les «technostructures» ont détrôné de
nombreux propriétaires ; le «capitalisme d'État» fait fleurir de
nouvelles corporations ; le «pouvoir syndical» n'est pas un mot
vide ; les «mass-media» ont un impact puissant pour former
l'opinion publique. Ce n'est pas en changeant de mains que la
possession de «l'avoir, du savoir et du pouvoir» devient moins
tentante pour les forts et moins dangereuse pour les démunis. C'est
un problème de
conscience, de respect de la liberté et de la justice.
C'est un problème d'éthique et donc de qualité du «cœur». Les
meilleures lois, les codes les plus parfaits ne valent que ce que
valent les hommes. L'homme vaut plus que les choses ; le travail
humain n'a pas qu'une simple finalité économique, même s'il ne
peut se réaliser sans moyens de travail, sans «capital». Tout travail
a une dimension personnelle, familiale, sociale et culturelle.
Qu'appelle-t-on réellement «actif» dans notre Société ?
II.
DONNÉS DU TRAVAIL
Il convient d'abord de
EN
POLYNÉSIE
souligner la très grande difficulté de
se
procurer des données statistiques à caractère économique et social
vraiment fiables et actualisées. Il faut courir les divers organismes
dépouiller une abondante documentation fort dispersée. Le
jeune Institut Territorial de la Statistique (ITSTAT), mis en place
en juillet
1980 et dirigé par G. Baudchon, fait un travail
remarquable pour rattraper le retard et mettre à jour les
informations socio-économiques. Comme beaucoup, il butte sur
l'ancienne habitude des Services à garder secrètes leurs infor¬
mations ; de plus, il ne semble pas encore jouir de la pleine
autonomie comme l'INSEE. Les données qui suivent viennent
donc de sources variées, recoupées entre elles et récoltées depuis
près de trois années.
et
1/ Population {1)
Les
150.000 habitants actuels sont disséminés
sur
les 108 îles
principales, regroupées en 5 archipels, la surface totale est de 4.000
km2, mais pulvérisée à l'échelle de l'Europe Occidentale (4.500.000
km2). Tout n'est pas également habité. Tahiti a près de 110.000
(I) Recensement de la population : 29-4-1977
Situation
démographique de la Polynésie
Société des
-
- INSEE
G. Baudchon
Études
-
1982.
Océaniennes
1252
habitants et la zone urbaine de 35 km autour de
85.000 habitants. Voici les données de 1977 :
Papeete, environ
S. Km2
Nombre
Densité
%
1.029
101.392
84
73,8
I. Sous-le-Vent
398
16.311
41
11,9
I.
661
5.419
8
3,9
I. Australes
141
5.208
37
3,8
I. Tuamotu-Gambier
856
9.052
11
6,6
3.265
137.382
42
100,0
Archipel
I. du Vent
Marquises
I. habitées
La
urbaine, étalée sur la côte Nord-Ouest de Mahina à
Paea, regroupait en 1977, 77.781 habitants (56,6 %) dont 23.000
pour Papeete. Ce mouvement s'est accentué malgré un effort de
revitalisation des archipels. De 1972 à 1977, 15,4 % de la
population avait changé de résidence essentiellement vers Tahiti.
A ces migrations internes, il faut
ajouter les 12.000 métropolitains
drainés par l'implantation du Centre d'Expérimentation
du
Pacifique (C.E.P.) de 1962 à 1977, masse considérable qui tend à
intégrer la vie socio-économique locale dans les modèles
zone
métropolitains.
La densité de 45 h/km2 est assez importante,
compte tenu du
relief escarpé des îles hautes, de la nature
pauvre des atolls
coralliens.
La
répartition ethnique est très délicate à interpréter en raison
métissages de plus en plus nombreux, les «demis». Certains
parlent de l'apparition d'un type «néo-polynésien». En plus de
l'ethnie, l'insertion socio-économique joue un rôle important. En
1977, on comptait : Polynésiens (maohi) : 90.160 (65 %) ; demis :
23.720 (17,2 %) ; chinois : 7.356 (5,4 %) ; européens 15.338
:
(1 1,2
%). La population «asiatique» paraît nettement sous-évaluée.
Le taux de masculinité est de 111 hommes
pour 100 femmes. Le
taux de natalité est de 30,62
pour mille contre 43,04 pour mille en
1952 ; le taux de fécondité est de 4,43 enfants
pour une femme
contre 6,32 en 1959. Il y
a donc baisse progressive de la natalité,
mais dans une
population toujours très jeune : 72.606 (52,8 %)
moins de 20 ans et 6.677 (4,9 %)
plus de 60 ans -(en France il y a
31,2 % moins de 20 ans et 18,4 % plus de 60 ans). L'accroissement
des
Société des
Études
Océaniennes
1253
naturel de la
population est de 23 pour mille en 1977 contre 35
En matière démographique il y a donc une
mentalités depuis 20 ans par le développement
pour mille en 1963.
évolution rapide des
de l'Urbanisation.
2/ Emploi (1)
En janvier 1982, la population active, au sens économique, est
estimée à 51.000 personnes, dont 41.000 cotisants à la C.P.S., y
inclus les 2.000 élèves du Technique. Les 10.000 autres repré¬
sentent les 4.000 fonctionnaires civils de l'État, principalement
l'Éducation Nationale, et les 6.000 militaires. Si, depuis 1962, le
taux global d'activité des plus de 15 ans est stable, autour de 56 %
de la population, une mutation radicale s'est produite sur le plan
des secteurs d'activité : la Tertiarisation rapide d'une économie
artificielle centrée sur le C.E.P. En 1977, le secteur primaire
représentait 17,5 % contre 46,1 % en 1962 ; le secondaire 18,5 %
contre 19,5 % en 1962 ; le tertiaire 64 % contre 34,7 % en 1962 dont
31,6 % pour les seuls Services Publics contre 11,7 % en 1962.
L'installation du C.E.P. a ainsi profondément affecté la
structure de l'emploi depuis 20 ans : effondrement du secteur
primaire, stagnation du secteur secondaire, hypertrophie du
secteur tertiaire dans lequel les seuls Services Publics représentent
1/3 de la population active de plus en plus concentrée à Tahiti et
dans la zone urbaine de Papeete. Voici la répartition profession¬
nelle
en
avril 1981
:
Professions
Secteurs
Primaire
Agric.-Élev.-Forêts
127
Pêche-Aquaculture
8
92
10
120
Carrières
Totaux
Secondaire
145
:
Électr.-Gaz-Eau
Bâtiment-T.P.
Totaux
:
241
4.975
142
Total
857
(gros et détail)
Totaux
général
6
C.E.A.-C.E.P.
public
(40,327)
781
(2,1 %)
1.698
(15,3 %)
6.914
(18,7 %)
10.295
715
Hôtels, bars, restaurants
Transports, communications
Banque, Assur., Immob.
Services dom.-Ménages
Total
(4,1 %)
338
534
:
Administration Civile
Commerce
569
190
Industries
Tertiaire
Salariés
Patrons
3.202
(30,5 % Ille)
13.497
569
4.296
199
2.953
128
2.529
113
1.396
941
4.475
(46,3 % IHe)
2.807
(80,5 %)
29.146
(79,1 %)
3.486
(100 %)
36.841
(100 %)
(I) Sources : Office de la Main-d'Œuvre, C.C.I., 1TSTAT, Inspection du Travail, CPS
(Caisse de Prévoyance Sociale).
Société des
Études
Océaniennes
1254
3/ Marché de l'emploi (1)
En Février 1982, G. Baudchon remarquait qu'en «1977 le taux
de chômage s'élevait à 3,8 %. Le manque d'informations complètes
sur le chômage et sur l'emploi ne permettent pas de dresser un bilan
plus actuel». G. Béchouche, Directeur de l'O.M.O. observe la
même chose, malgré le remarquable travail analytique mensuel et
trimestriel effectué par l'Office. En effet les demandeurs ne sont pas
tenus de s'y inscrire ni les employeurs de proposer leurs offres
d'emploi. Le taux de pénétration de l'Office de la Main-d'Œuvre,
qui est sous la tutelle directe de l'Inspection du Travail, se situe
autour de 55-60
% du marché du travail.
La
grande constatation est l'inadéquation profonde entre l'offre
demande ; en mai 1982 il y a environ 850 demandes pour 150
offres. Le bâtiment et l'Administration, selon les déblocages
et la
budgétaires, sont les secteurs permanents pour les offres. Les
crédits sont loin d'être tous utilisés, faute de main-d'œuvre, dans le
secteur des
Une
bâtiments Travaux Publics.
analyse plus fine montre plusieurs éléments. D'abord 80 %
des demandeurs n'ont ni formation, ni qualification. Aussi la
demande est forte pour les postes de manœuvres, d'employés de
bureau ou de gens de maison. Les moins de 18 ans ont une très
faible
qualification. Plus le niveau est bas plus la demande non
satisfaite est élevée. Il faut remarquer que 49 % des offres d'emploi
non satisfaites s'adressent à du
personnel qualifié. Il se pose donc
un très grave problème de formation
professionnelle et, à la
inadaptation globale d'un système scolaire importé et
et la formation abstraite (2)
Si la tranche d'âge des 18-25 ans est la plus porteuse des
demandes, il faut remarquer l'absence des garçons de 15 à 20 ans, le
fait que 59 % des demandes viennent des femmes. Il
n'y a
pratiquement pas de demandes d'emploi au-delà de 40 ans. Nous
sommes ici devant un
phénomène socio-culturel délicat à analyser.
Les études d'A. Hanson sur Rapa et de S. Raapoto sur la famille en
permettent une bonne approche. Les filles sont très vite formées
aux travaux
domestiques, au soin des enfants. Leur éducation est
bien suivie et elles sont appliquées en même
temps qu'actives et
serviables. Il faut constater que les garçons sont plus vite laissés à
eux-mêmes. Très tôt ils se retrouvent en bandes de jeux ; l'esprit de
groupe est plus profond que l'esprit de famille où le père n'a pas un
rôle primordial. «L'adolescence et la jeunesse est un
temps de
source, une
axé
sur
les métiers intellectuels
(1) Office de la Main-d'Œuvre, ITSTAT.
(2) «Conscience du Temps et Éducation chez les Océaniens
Société des
Études
:
Océaniennes
Chap. II, V
et X.
1255
grande liberté sexuelle qui échappe aux données habituelles... La
période de 14 à 21 ans est un temps trouble et l'âge de l'amusement.
On prend la vie du bon côté, sans obligation ni responsabilité ; on
succombe à toutes les tentations, on goûte à tous les plaisirs ; on
boit, on joue» (S. Raapoto). Le style de vie, la conception de la
société, la gestion du temps, les perspectives d'avenir sont très
différentes entre un maohi, un chinois et un français. Ce n'est pas
une question d'aptitude ni de Q.I. ; les tests sont excellents. C'est
profondément une question de culture et de civilisation, comme
l'étude entreprise par le C.E.S. du Taaone l'a montré.
Si pour la femme, qui a charge immédiate de nourrir sa
maisonnée, l'emploi est d'abord un gagne-pain, il semble bien que
pour les hommes polynésiens l'aspect «valorisation sociale» soit
très important ; l'image de marque de l'employeur, le prestige des
uniformes, la qualité des relations sociales dans l'entreprise sont
des éléments qui jouent autant que le niveau des salaires. Il est
fréquent que mari et femme ne fassent pas caisse commune dans le
budget familial.
A l'évidence la question de l'emploi et du chômage, très
particulièrement pour l'homme maohi, demande une étude
approfondie et une approche pluridisciplinaire qui intègre les
dimensions sociales et culturelles. «La justice sociale est très proche
d'une justice à rendre à la culture polynésienne» (Mgr M.
Coppenrath).
4/ Salaires et rémunérations (1)
B.M. Grossat, auteur du dossier N. 1 ITSTAT sur «les ménages
de Polynésie Française», constate que la question des revenus est
un sujet «tabu»
sur lequel on a peu de données précises et fiables.
L'absence d'impôt sur le revenu des personnes physiques dans le
Territoire, l'actualité constante de ce sujet, la situation présente de
la Nouvelle-Calédonie entraînent un point de fixation délicat,
surtout chez les nantis du système actuel. Il est incontestable qu'il
existe une très forte inégalité au plan des revenus, que l'échelle des
salaires est très étendue (1 à 15 environ). Les déshérités sont dans
l'agriculture et la pêche et les plus hauts salaires dans l'Adminis¬
tration. Que l'on prenne les données socio-économiques, le statut
du chef de famille ou la branche d'activité, les écarts de revenus se
situent entre 1 à 12 et 1 à 30.
Ces
sont à 66 % d'origine salariale. Sur ce plan on doit
caractéristiques locales :
faible salariarisation des chinois qui dominent le commerce ;
revenus
constater 4
—
la
(1) Sources
:
ITSTAT, C.C.I., J.O., CPS, Conseil de Gouvernement.
Société des
Études
Océaniennes
1256
—
—
—
européens, demis et maohi ;
de la pêche et de l'agriculture ;
des allocations familiales dans les archipels.
la forte salariarisation des
la place modeste
le rôle important
Le Conseil de Gouvernement écrivait : «avec un P.I.B. de
330.000 FCP (18.000 FF) par an et par habitant, la Polynésie se
situe parmi les 15 pays les plus riches du monde... Cette situation
recouvre de très profondes inégalités. L'écart des revenus est très
(1.375 FF) et le salaire moyen du secteur
public dépassait 125.000 FCP. D'où un attrait excessif pour les
emplois non productifs de la fonction publique.
A partir des 5 sources citées, bravons le «tabu» et situons ces
écarts de revenus salariaux. Il s'agit de données brutes au 1er avril
1982. Pour avoir les salaires réels il faudrait ajouter l'indemnité de
résidence de 5 %, le coefficient familial, les primes diverses, certains
avantages en nature (transports aériens...) et retenir les cotisations
(17 à 30 %). Il ne s'agit pas d'une inquisition fiscale, mais
simplement de fixer des ordres de grandeur sur ce sujet fort
élevé... Le SMIG est de
sensible.
a) Salaires locaux
Ils sont basés sur le SMIG qui est à 242 FCP/heure
(13,31 FF) soit 42.325 FCP/mois (2.328 FF). (Au 1er janvier
1983, le SMIG est porté à 55.000 CFP).
D'après une enquête de la C.C.I. portant sur 2.535 salariés
en novembre 1981, le salaire brut moyen se situait à 71.975
FCP (3.958 FF) par mois et réparti ainsi :
40
-
50.000 FCP
50
-
70.000 FCP
70
-
90
-
90.000 FCP
120.000 FCP
120.000 et
Une
(2.200 - 2.750
(2.750 - 3.850
(3.850 - 4.950
(4.950 - 6.600
(6.600 et plus
plus FCP
statistique d'ensemble fournie
9.163 personnes au
11.360 personnes au
4.822 personnes au
10.620 personnes au
9.100 personnes au
(1) CEA PF
:
Corps d'État
par
FF)
FF)
FF)
FF)
FF)
17,9
19,5
13,7
14,4
16,3
%
%
%
%
%
la C.P.S. donne
:
SMIG
SMIG de 42 à 60.000 FCP (2.328 - 3.300 FF)
SMIG de 60 à 80.000 FCP (3.300 - 4.400 FF)
SMIG de 80 à 85.000 FCP (4.400 - 4.675 FF)
SMIGà plus de 85.000 FCP dont
3.500 CEAPF(l) et 800 contractuels
pour
l'Administration de la Polynésie Française, constitué
d'agents locaux.
Société des
Études
Océaniennes
1257
On établissait à 8.000 les «gens
de maison», souvent en
emploi, qui étaient au-dessous du SMIG.
On voit donc qu'il y a deux masses importantes : les
«smigards» et les hauts salaires parmi lesquels la totalité des
agents des Services Publics.
double
b) Fonction publique
Nous ne prendrons, selon les grilles indiciaires du J.O., que
quelques repères parmi les enseignants et les militaires qui sont
les deux Corps d'État les plus importants. Les autres orga¬
nismes se situent dans les mêmes ordres de grandeur. Deux
paramètres entrent en ligne de compte : X valeur du point
d'indice métropolitain pour la fonction publique (208,83 FF au
1-4-82) et I index correcteur en Polynésie dont la valeur est :
1,84 à la Société et 2,08 dans les archipels pour les civils,
1,81 à la Société et 2,05 dans les archipels pour les militaires.
La valeur du
point d'indice
en
FCP s'obtient par la formule suivante :
X
Valeur FCP
208,83 FF
X I
:
0,055 X 12
X 1,84
:
582,19 FCP
0,055 X 12
Selon les 4 index correcteurs ci-dessus, on obtient les valeurs
Civils
1,84
1,81
Militaires
Enseignants
aux
582,19 FCP
572,70 FCP
Iles de la Société
Catégories
Indice
du 1.9.79
2,08
2,05
(Index 1,84
Mensuel
;..
:
d'indice
658,13 FCP
648,63 FCP
582,19 FCP)
Mensuel
FCP
FF
Instituteur 6e Ech.
335
195.033
10.726
Instituteur 1 le Ech.
445
259.074
14.250
PEGC 1er Ech.
305
177.568
9.767
PEGC lie Ech.
504
293.424
16.139
Certifié 1er Ech.
335
195.033
10.727
Certifié 1 le Ech.
647
376.676
20.719
Agrégé 1er Ech.
Agrégé 1 le Ech.
388
225.889
12.424
810
471.573
25.936
Société des
Études
Océaniennes
:
1258
Militaires
aux
Iles de la Société
(Index 1,81
:
572,70 FCP)
Indice
Mensuel
Mensuel
du 1.3.80
FCP
FF
Sergent Br. 1er Ech.
Sergent Br. 8e Ech.
270
154.629
8.505
348
199.299
10.962
Lieutenant 1er Ech.
455
260.578
14.332
Lieutenant 5e Ech.
545
312.121
17.166
Commandant 1er Ech.
635
363.664
20.001
Commandant 3e Ech.
735
420.934
23.151
Colonel 1er Ech.
966
553.228
30.427
1.015
581.290
31.976
Grades
Colonel 2e Ech.
Rappelons qu'il s'agit de données brutes et indicatives. Par rapport
publique, le SMIG de la
Polynésie représenterait l'indice 72. (Cette situation s'est bien
améliorée depuis mai 1982).
à cette échelle indiciaire de la fonction
5/ Économie (1)
Les Assises
régionales de Tahiti du Colloque National pour la
Technologie du 30-10-81 la définit comme «une
économie dopée par les transferts, artificielle, de type colonial et
caractérisée par l'importation quasi totale de l'énergie (99 %) et de
l'alimentation (85 %), le déséquilibre (déficit de 94,4 %),
l'insuffisance des productions locales et l'inadéquation de la
formation à l'emploi».
Le Conseil de Gouvernement parle «d'une économie limitée
(agriculture : 5 % du PIB, industrie : 17 % du PIB), dépendante (les
2/3 du PIB viennent de France dont 41 % du CEP) et déséquilibrée
(voir ci-dessus). Le système fiscal, essentiellement indirect,
n'intervient pas pour resserrer l'éventail des revenus. Voilà donc le
cercle vicieux qu'il faut rompre pour mettre en place une économie
propre au Territoire.
1. le déséquilibre commercial et financier rend nécessaire
le renforcement de l'aide métropolitaine ;
2. cette aide transitant par la fonction publique entretient
l'attrait pour ce secteur au niveau de l'emploi et alimente
Recherche et la
la demande ;
3. l'incitation aux
et
on
et au
(I) Sources
productions locales est insuffisante
importations
aboutit à l'accélération des
renforcement du déficit»
:
Conseil de Gouvernement, Colloque National sur la Recherche, 1TSTAT,
Banques.
Société des
Études
Océaniennes
1259
Personne
ne
conteste que nous sommes
devant
une
évolution
économique et sociale néfaste par les retombées, prévues mais non
maîtrisées, de l'implantation du CEP en 1963 : dépeuplement des
archipels, urbanisation excessive et sauvage, spéculation foncière,
inflation galopante, tertiarisation quasi totale, développement
rapide d'une pathologie sociale (alcoolisme, drogue, prostitution,
délinquance, bidonvilles...). Tous ces inconvénients avaient été très
bien vus lorsque la Commission Permanente de l'Assemblée
Territoriale, en février 1964, a cédé à la France, par 3 voix contre 2,
les atolls de Moruroa et Fangataufa pour les usages du CEP.
Charles de Gaulle avait dit que cette «installation se faisait avant
tout dans un but de Défense Nationale, mais que ce Centre devra
être profitable à l'expansion et à l'équipement du Territoire».
G. Pompidou avait rappelé que c'était «ailleurs que dans le CEP
que le Territoire devait chercher ses raisons de vivre et ses
ressources fondamentales». Cet «ailleurs» permanent et imposé par
la géographie aux hommes, c'est la pêche, l'agriculture, le
tourisme. «Les faits sont têtus» et chacun, quelque soit son
programme et ses idées, s'aperçoit bien qu'il va falloir replanter le
cocotier polynésien sur ses racines naturelles même si ses larges
feuilles continuent de bruisser au vent du grand large. Dans le
monde d'aujourd'hui, «grand village» interconnecté, personne ne
peut demeurer une île.
Par ce moteur, très et sans doute trop puissant et à rythme
accéléré, la Polynésie est passée d'une économie traditionnelle et
paisible de subsistance familiale à une économie frénétique de
consommation et d'échanges. Si, par rapport à la population, les
activités du CEP apportent une sorte «d'enrichissement sans cause»
une telle mutation est irréversible ; irréversible par la facilité
imitative et adaptative des polynésiens aux nouveautés, à tout ce
qui est «api» (neuf) ; irréversible par le fait qu'ayant 53 % de moins
de 20 ans, la moitié de la population a vu le jour dans cette période
d'après 1963 ; irréversible par l'importance des infrastructures
collectives construites et des habitudes nouvelles prises : Santé,
services de la Gendarmerie, transports en tous genres, RadioTélévision, scolarisation totale de 6 à 14
ans,
consommation
intense...
Aussi paradoxal que
tertiaire importée, grâce
cela puisse paraître, cette économie
à l'assistance tutélaire de la France,
présente une certaine invulnérabilité. En effet, c'est l'Adminis¬
tration qui opère les transferts publics par ses dépenses de
fonctionnement, d'investissement et les salaires (15.000 agents sur
45.000 actifs). Cette demande «solvabilisée» et représentant 66 %
des revenus, induit une fonction d'offre commerciale qui fait appel
Société des
Études
Océaniennes
1260
l'importation. Au passage, par la fiscalité indirecte, «le
budget territorial a la comptable illusion de financer de façon
autonome ses propres dépenses». Il y a ainsi parallélisme entre
l'inflation locale et l'inflation importée. «Illusion comptable,
inflation-transfert, ce surcroît est financé en définitive par un sur¬
salaire fictif des agents de l'État qui boucle le circuit des transferts»
(ITSTAT, mars 1982). Ainsi, à partir du moteur public d'État,
employeur principal, s'induit un secteur tertiaire de services dont
les échanges économiques font vivre le Territoire par la fiscalité
indirecte. Les secteurs primaire et secondaire ont été marginalisés
par cette économie artificielle et assistée qui ne vit que des
transferts publics métropolitains, c'est-à-dire des impôts des
contribuables de l'hexagone. (ITSTAT, novembre 1982, p. 34-35).
Dans la pratique et globalement on estime que les 10.000 agents
métropolitains de l'État dépensent sur place l'équivalent de l'index
correcteur et qu'ils investissent en France, souvent dans la pierre,
leur salaire de base. Les agents étatisés locaux dépensent sur place
principalement.
Sur tous les plans, nous avons donc la juxtaposition de deux
univers, tournant chacun sur lui-même sans lien naturel entre eux
et, dont celui qui est issu de l'État, a de plus en plus tendance à
déstabiliser et marginaliser le monde autochtone maohi. C'est une
situation grave, dangereuse et explosive si on n'y prend pas garde
puisque chacun sait que «l'homme ne vit pas seulement de pain».
surtout à
6/ Statut et Protection Sociale (1)
La loi du 12 juillet 1977 fonde le statut d'autonomie interne du
Territoire de la Polynésie Française. Sur un fond d'autonomie
pour garder sa personnalité propre et disposer de soi-même dont
Pouvanaa a Oopa fut le prophète et le «Metua», sa genèse fut
difficile avec une crise majeure de juin 1976 au 4 mars 1977. Le
statut introduit une dyarchie : le Haut-Commissaire, chef des
Services d'État et le Vice-Président du Conseil de Gouvernement
«considéré en fait comme la clé de voûte du système». Cette dualité
ne fait que reconnaître le
bilinguisme culturel, officialisé depuis
1980 et souligné avec vigueur aux Assises régionales du Colloque
la Recherche d'octobre 1981. Les dernières élections du 23 mai
bien montré une profonde unité sur cette situation : être soimême et reconnu comme différent, au sein de l'ensemble français.
sur
ont
Sur le
point qui nous occupe, le statut cré un «Comité
économique et social» à rôle consultatif et la possibilité de
(1) Sources
:
Assemblée Territoriale ; «De l'atome à l'autonomie» ; «la Constitution de la
République Française»...
Société des
Études
Océaniennes
1261
Conventions État-Territoire pour les investissements économiques
et sociaux ainsi que l'aide à la formation et à l'emploi. Le Titre III
limite de façon stricte les compétences de l'État. L'ensemble du
économique et social est de compétence territoriale, hormis
monnaie, les changes, le crédit et le commerce extérieur. En
raison des profondes mutations économiques, sociales et statu¬
taires, la question de l'adaptation de la législation sociale et du
Code du Travail fondés sur la loi de 1952, se trouve posée. Il
convient, dans ce domaine comme dans les autres, à la fois de
s'adapter à l'évolution actuelle et de tenir compte des réalités
locales et des «particularismes» culturels. Tout a été si rapide qu'il y
a des lacunes importantes, des vides juridiques et des risques
d'explosion sociale. Le contexte de la vie de groupe, l'habitude du
dialogue, la vie communautaire développée («amuiraa») font qu'un
dialogue franc sur des données objectives peut permettre une
recherche harmonisée du bien commun dans le respect de la
personnalité polynésienne. La grande force, et la seule chance de
survie dans de petites îles, c'est cette volonté de vivre ensemble audelà des divergences et des conflits. Le manichéisme, sous une
forme ou une autre, rendrait ces îles invivables. La convivence est
un acquis socio-culturel polynésien vital et avec lequel il ne faut pas
secteur
la
jouer.
Sur la base de la loi du 15-12-1952, instituant le Code du
Travail Outre-Mer, la législation de la Protection Sociale en
Polynésie s'est développée progressivement. Le 28-9-1956, deux
régime des prestations familiales pour les
salariés et l'autre une Caisse de Compensation qui deviendra
l'ossature de la Caisse de Prévoyance Sociale : la C.P.S. La
couverture des accidents du travail, organisée par le décret du 24-2arrêtés instituent l'un le
1957 est confiée à la C.P.S. le 24-10-1961. Le 8-2-1961 est institué le
régime d'aide
vieux travailleurs salariés. La surveillance
organisée le 25-2-1965. Le régime de
prévoyance sociale pour diverses maladies et opérations pour les
salariés est institué le 4-10-1966. Le régime de retraite des
travailleurs salariés est organisé le 24-8-1967. C'est le 1-2-1979
qu'est institué le régime de protection sociale des agriculteurs,
éleveurs, pêcheurs, aquiculteurs et artisans, couvert par une taxe de
1.5 % sur les importations. Ainsi en 1982, la CPS gère 5 régimes,
aux
médicale des salariés est
très excédentaires sauf celui de maladie-invalidité. La Caisse de
Prévoyance Sociale est un organisme privé d'utilité publique,
chargé de gérer les divers aspects de la protection sociale dans le
cadre du statut du Territoire et selon ses lois. Son directeur,
pendant 25 ans, F. Vanizette, reconnaît que le personnel de la CPS
jouit de sérieux avantages dont ne bénéficient pas les autres
Société, des
Études
Océaniennes
1262
travailleurs et
qui rapprochent leur statut de celui des fonction¬
naires de l'État.
Cet article de réflexion ne peut être exhausif sur une question
aussi vaste, complexe et évolutive que celle du travail en Polynésie.
Dès 1967, le Secrétaire Général Langlois constatait, devant
l'Assemblée Territoriale, l'impuissance de l'Administration à
contrôler la situation créée par l'implantation du CEP. Tant de
telle
d'argent facile ont non seulement
socio-économique, mais ont aussi corrompu les
cœurs ; cumuls, trafics, magouilles, scandales... ont empoisonné les
relations sociales et la vie politique. Cette économie artificielle «est
une croissance sans développement» ; les
dépenses d'équipement
sont réduites par rapport à celles de fonctionnement, les salaires
publics sont hypertrophiés par rapport aux investissements (pour
nouveautés,
une
masse
déstabilisé la vie
dépenses de l'État s'élèvent à 9.099 millions CFP dont
1.876,9 millions CFP en équipements). Par rapport à elle-même,
au contexte français et mondial, la Polynésie est à la croisée des
chemins, en particulier en ce qui concerne le travail des hommes
qui y vivent, leur bonheur et l'avenir de leur famille sur leurs îles,
leur «fenua». Il faut sortir du rêve et du mythe.
1981 les
III.
QUESTIONS POUR UNE RECHERCHE
Le
travail, envisagé comme toute activité humaine, même non
économique, et mis au service du bonheur des hommes, a été situé
dans ses principales composantes polynésiennes, économiques,
sociales, culturelles ou éthiques. Il s'agit maintenant d'en tirer des
propositions en vue de l'adaptation particulière et de l'amélioration
typée du Code du Travail dans le respect du statut d'autonomie et
de la personnalité culturelle maohi. Ce qui se fait
en métropole
n'est ni à rejeter à priori ni à appliquer les yeux fermés. La
Polynésie est «autre» et «ailleurs» au sein de la République. La
complexité du sujet et la modestie liée à toute recherche socio¬
culturelle et éthique feront que les 5 séries de propositions se
présentent sous forme de questions ou de pistes de réflexion.
1/ Faire la Vérité
C'est
préalable méthodologique indispensable et souhaité
Aucun dialogue socio-économique n'est possible sans
données objectives et actualisées, sans une connaissance exacte de
la situation, sans stastistiques fiables et mises à la
disposition de
tous les partenaires intéressés au
développement du Territoire. La
un
par tous.
création de l'Institut Territorial de la
Statistique (ITSTAT) en
juillet 1980 répond à cette demande déjà ancienne. Dans son
Société des
Études
Océaniennes
1263
domaine, l'Office de la Main-d'Œuvre joue un rôle analogue. N'estil pas souhaitable, et même urgent, que ces organismes jouissent
d'une pleine autonomie et responsabilité, selon le Statut (art. 21) et
à l'exemple de l'INSEE et de l'ANPE, en véritable indépendance à
l'égard de l'administration, du gouvernement, du patronat et des
syndicats ? La compétence de leur personnel permet d'envisager
que ces services publics soient au service de tout le public.
N'est-il pas temps, pour
recherche économique
une
Organismes ne
des chiffres ?
instaurer un dialogue social loyal et
sérieuse, que les divers Services et
gardent plus jalousement le secret des données et
N'y a-t-il pas là appropriation abusive par les
administrations des informations collectives nécessaires à la vie de
la population ? Trop de combines, de trafics, de manipulations, de
cumuls, de placements de «copains» dans des Offices «bidon» et
bien payés... émaillent l'histoire récente de Tahiti pour que la
population ne souhaite pas clarté, transparence et vérité.
L'«Argent» et le «Sexe» ne doivent plus, avec la «Bombe», être les
grandes valeurs de la Polynésie.
2/ Le C.E.P.
Question majeure, inévitable, piégée et à multiples facettes,
même au regard du travail et de l'économie. Son rôle dans la
Défense Nationale et l'industrie d'armement est
son
but essentiel.
et 4 jours d'arrêt vite rapportés, même le
gouvernement actuel le trouve nécessaire. La dissuasion atomique
est un fait majeur de notre société de terreur et de force. Même si
certains amiraux renvoient les spirituels et les moralistes à «leurs
oignons», il se trouve que des savants aussi dénoncent le caractère
irrémédiable et absurde des armes nucléaires actuelles (Académie
Pontificale des Sciences, 8-10-81). L'interrogation morale de
nombreux polynésiens sur la bombe atomique est respectable. Ils
sont loin d'en être les seuls opposants. Cela ne veut pas dire que,
sous cet angle éthique, on a l'esprit et la compétence pour se
Malgré
ses promesses
prononcer sur les usages énergétiques, techniques, médicaux de
radio-activité naturelle et artificielle. Nous comprenons que
la
le
puisse travailler à cette recherche dans des
conditions rigoureuses et contrôlées de sécurité. C'est ce qui fait
dire à pas mal de polynésiens : si le CEP est si inoffensif pourquoi
ne pas faire les expériences en France ? N'y a-t-il pas assez de
camps militaires pour cela ?
Sur le plan économique, le CEP se comporte comme une
«monoculture» dans le pays en voie de développement qu'est la
Polynésie, monoculture aggravée par son caractère artificiel,
importé et militaire. Le CEP a fait passer la Polynésie -mais trop
Centre de Moruroa
Société des
Études
Océaniennes
1264
vite, brutalement et sans maîtrise socio-économique- d'une
économie fruste de subsistance-cueillette à une économie hyper¬
trophiée de consommation de luxe sans production (95 % import,
5 % export). Nulle part le passage d'une telle situation à une
économie, plus au service de la population par un développement
réel, localisé et harmonieux n'est facile à réaliser. Nous
sommes
situation
typiquement coloniale à résorber. Ceci avait
été vu lucidement dès avril 1963. La Polynésie vit sur la promesse
du général Thiry : «Si les projets actuels devaient cesser, ils seraient
remplacés par d'autres.»
Cette situation, avec ce qu'elle induit, fait de l'État le principal
employeur et le quasi exclusif moteur économique du Territoire : 1
actif sur 3 et les 2/3 des salaires. Par rapport aux questions du
travail cela pose un problème original et délicat, l'État étant
partenaire économique, législateur et arbitre. L'accumulation dans
les mêmes mains de «l'avoir, du savoir et du pouvoir», de cette
manière et dans de si petites îles éloignées, pose de redoutables
questions de société et d'éthique. Beaucoup en sont-ils conscients,
surtout parmi les fonctionnaires et agents publics ?
Le lecteur comprend bien que ces réflexions graves ne font pas
du CEP, comme organisme ni de son personnel, le responsable
direct ou exclusif des inégalités salariales et de la déstabilisation
économique. La responsabilité est d'origine politique. Ce sont des
hommes politiques et des syndicalistes qui ont volontairement
poussé, sous couvert d'intégration sociale et d'égalité entre
«expatriés» et locaux, à l'intégration salariale de la plus grande
partie des fonctionnaires polynésiens par la loi du 11-7-1966,
appliquée le 5-1-1968 ; cela signifie, pour les fonctionnaires natifs
des îles et y restant, le salaire métropolitain exonéré d'impôts et
multiplié par l'index correcteur le doublant. Ne serait-ce pas la
caricaturale illustration de la formule grinçante de D. Halévy pour
définir l'égalité en France : «des privilèges pour tous» !
devant
une
3/ Partage économique mieux équilibré
La revitalisation des archipels, le développement local des
populations est, depuis quelques années, une priorité des élus et
responsables du Territoire. En plus des infrastrutures collectives
créées (communications, dispensaires, écoles, sports, vidéo,
radio...) divers Fonds ont été constitués pour réactiver les secteurs
primaire et secondaire : FADIP, FSDIA, FSIDAP (9). Pour
(9) FADIP
FSDIA
FSIDAP
Pêche.
:
Fonds d'Aménagement et de Développement des Iles de la Polynésie.
Spécial de Développement de l'Industrie et de l'Artisanat.
Fonds
:
:
Fonds
Spécial d'Investissement
Société des
pour
Études
le Développement de l'Agriculture et de la
Océaniennes
1265
l'emploi, l'équilibre de vie, l'entretien des îles, l'activité écono¬
mique, la vie sociale, c'est une démarche nécessaire et une priorité
absolue. Pour réussir, et ainsi résorber progressivement les
inégalités, cette volonté politique demande de vivre une double
solidarité socio-économique : avec le Pacifique et avec la France.
La Polynésie Française est située au cœur du Pacifique Sud où
elle occupe une zone économique grande comme 9 fois la France.
Même si la Métropole a peu développé les relations avec les autres
îles du Pacifique, les liens culturels et historiques dans le «triangle
polynésien» sont très réels. Les Polynésiens sont du Pacifique où ils
plongent leurs racines ; ils sont dans le Pacifique dont ils ne
peuvent ni ne veulent se séparer tout en étant très attachés à la
France. Il n'est donc pas indifférent de situer nos îles dans cet
ensemble pour le revenu et les dépenses publiques par habitant (en
dollars
australiens) (1)
PIB par
Pays
habitants
Dépense Etat/habitant
Polynésie Française
4.784
(30.139 FF)
(547.982 FCP)
2.098
(13.217 FF)
(240.309 FCP)
Nouvelle-Calédonie
5.638
(35.519 FF)
(645.800 FCP)
1.682
(10.590 FF)
(192.545 FCP)
671
(4.227 FF)
(76.855 FCP)
Wallis-Futuna
870
(5.481 FF)
(99.655 FCP)
Iles Cook
941
(5.928 FF)
(107.782 FCP)
692
(4.359 FF)
(79.255 FCP)
1.227
(7.730 FF)
(140.545 FCP)
370
(2.331 FF)
(42.382 FCP)
660
(4.158 FF)
(75.600 FCP)
313
(1.971 FF)
(35.836 FCP)
4.097
(25.811 FF)
(469.291 FCP)
1.373
(8.649 FF)
(157.255 FCP)
Samoa West.
304
(1.915 FF)
(34.818 FCP)
288
(1.814 FF)
(32.982 FCP)
Tonga
431
(2.715 FF)
(49.364 FCP)
111
(699 FF)
(12.709 FCP)
Tuvalu
600
(3.780 FF)
(68.727 FCP)
253
(1.593 FF)
(28.964 FCP)
Fidji
Kiribati
Samoa USA
éloquent. La Polynésie est parmi les très riches du
Pacifique grâce aux dépenses de l'État. Mais la conséquence en est
que Tahiti n'est pas compétitif avec les autres Territoires du
Pacifique ; même les Territoires américains (Samoa et Hawaii) se
situent à un niveau plus modeste. C'est une situation dangereuse
pour la production locale et même le tourisme, qui est très cher.
Cette situation, présentée comme «la vitrine de la France dans le
Pacifique», est appréciée en termes moins favorables dans les
autres îles de la région. Une telle «économie dopée artificiellement»
peut-elle survivre longtemps dans une pareille distorsion régio¬
nale ? Y a-t-elle des débouchés possibles ? L'accès à la mer, quasi
impossible par la privatisation du littoral, ne grève-t-il pas le
Ce tableau est
tourisme et la vie locale ?
(1)
au
Source
:
ISTAT ; données de 1978 en dollars australiens : 1 dollar
25-5-82.
Société des
Études Océaniennes
A : 115 FCP : 6,3 FF
1266
Par rapport à la métropole, la situation socio-économique se
traduit par un SMIG inférieur et des salaires publics doublés et
exonérés. La loi du 11-7-1966 a intégré beaucoup de fonctionnaires
locaux dans les corps d'État, moins l'indemnité d'éloignement, les
prestations familiales et la Sécurité Sociale qui restent locales
(C.P.S.). C'était une aide au budget territorial et une égalité entre
fonctionnaires locaux et fonctionnaires «expatriés». Mais fallait-il
aligner les locaux tahitiens sur les locaux de métropole ou sur les
«expatriés» ? De plus les locaux de France ont des impôts à payer,
des frais de chauffage et autres que le climat de Tahiti, tant vanté
pour les touristes, rend inutiles. Les «expatriés» sont-ils vraiment
hors de la Patrie en étant en Polynésie, Territoire de la République
Ce fameux «index correcteur», héritier du «supplément colonial»
de 1933 et source première des injustices et inégalités locales ainsi
que des déséquilibres économiques, se justifie-t-il encore ?
N'oublions pas qu'il s'agit de 1/3 des actifs qui en bénéficient sans
compter de nombreux services qui s'alignent plus ou moins sur lui.
Cette privatisation en sur-salaires de l'argent public venant du
contribuable métropolitain ne se fait-elle pas au détriment des
investissements qui permettraient la relance des Secteurs Primaire
et Secondaire ? Ne sommes-nous pas là devant un héritage colonial
devenu privilège abusif et corporatiste ? L'exonération d'impôts
sur le revenu ainsi
que les avantages climatiques, ne constitue¬
raient-ils pas, aujourd'hui, un avantage substanciel et suffisant ? Et
que dire des diverses indemnités, primes, voyages gratuits... ? Au
nom de quel
principe un fonctionnaire vaut-il le double des autres
citoyens ? Pourquoi un normalien reçoit-il 3 fois le SMIG ?...
Litanie de questions qui pourrait continuer
longtemps. Nous
sommes ici à la racine des
inégalités choquantes, du «dopage
déséquilibrant» de l'économie locale. Économiquement, la masse
«fonction publique» qui «fait du 5,5» comme on dit ici, n'est
solidaire ni des Polynésiens ni des Métropolitains. C'est un moteur
indépendant qui entraîne, par sa consommation propre, un circuit
commercial aussi artificiel et inégalitaire que lui, à écarts de
revenus de l'ordre de 1 à 30, bénéficiant surtout à
quelques grosses
Sociétés omniprésentes.
Trop en salaires publics exagérés, trop en divers bénéfices
commerciaux, trop peu en investissements productifs au service de
la population autochtone, tel est le
rééquilibrage à entreprendre
rapidement pour rebâtir une économie au service de tous.
4/ Aspects socio-culturels du travail
Tahiti est le lieu de rencontre de 4 cultures et modèles de
société : modèle français par l'Administration et l'École, modèle
Société des
Études
Océaniennes
1267
américain par les media et la technologie, modèle chinois par
l'activité économique, modèle maohi par le style de vie, la
sensibilité et le folklore. De fait et officiellement depuis 1980, le
Territoire est bilingue, français et tahitien - sans oublier l'anglais et
le chinois parlés par un bon nombre. Les Assises régionales du
Colloque de la Recherche ont beaucoup réfléchi sur ce sujet ; c'est
une importante étude à consulter.
Après la guerre de 1939-45, l'ensemble de la Polynésie était
encore au stade d'une économie de cueillette et de pêche familiale,
avec des secteurs secondaire et tertiaire peu développés. La
création d'une capitale politique, administrative, économique,
religieuse a fait que, progressivement, le «maohi» de la zone
urbaine s'est habitué à un travail régulier et fixe, à l'exemple des
employés. Du besoin de vivre qui se passait d'argent en 1939, on est
passé au besoin de travail pour avoir l'argent et la sécurité qu'il
procure. En 1963, l'implantation du CEP a fait de cette évolution
tranquille une mutation brutale.
Le Polynésien est un excellent travailleur ; mais il ne travaille
pas de la même façon ni pour les mêmes motivations que le
français, sans parler du célèbre «fiu» (1) . Il travaille plus à une
tâche précise et à but immédiat qu'à long terme. Il travaille plus en
groupe et pour un groupe que seul et pour lui-même. Il n'est ni un
cérébral ni un individualiste ; le partage communautaire et la
relation affective sont importantes pour lui. La pure compétition
individuelle l'intéresse peu. Mais, si le travail en commun est
possible, les coopératives sont d'organisation très difficile et ont du
mal à réussir à cause de la gestion des fonds. Le maohi aime la
création artistique et artisanale, qui s'épanouit actuellement en
objets originaux et non en simples copies des pièces de musées.
La dimension de «cœur», la fraternité sont importantes ; c'est
un grand émotif. Si les querelles personnelles sont inévitables et
fréquentes, elles n'amènent pas les intolérances sectaires et le
manichéisme de tant de débats métropolitains. La convivence
solidaire, vitale sur des petites îles, privilégie les relations affectives
sur les disputes idéologiques qui rendraient ces îles invivables.
Une telle sensibilité explique les retards scolaires importants
(80 %), l'absence presque complète des polynésiens dans le
Secondaire malgré un Q1 moyen plutôt supérieur à celui des
européens. Chacun est bien conscient de l'inadaptation du système
scolaire métropolitain en Polynésie ; des essais intéressants au
niveau de la formation professionnelle sont tentés : CJA, CETAD,
(1)
«Fiu»
-:
fatigue mélancolique inhibant l'activité.
Société des
Études Océaniennes
1268
MFR, lycées techniques, formation des adultes. Mais il faut que le
près à ce secteur comme au
compétence, ce ne sont pas
des enseignants métropolitains, sous contrat de 3 ans, qui peuvent
Territoire s'intéresse de beaucoup plus
Primaire. Avec la meilleure volonté et
telle
opération, ne serait-ce que pour une question de
langue locale, au mieux, ils peuvent être conseillers techniques. Il
faudrait entreprendre ici une étude approfondie sur langage et
culture... ; contrairement à ce qui est souvent affirmé, culture et
langue ne s'identifient pas, ne se superposent pas.
assurer une
5/ Choix de société
Les dernières élections du 23 mai l'on montré ; le choix
fondamental est la volonté d'être polynésien dans l'ensemble
français : intégrationistes, indépendantistes et idéologues n'ont pas
eu grande audience. Le Statut d'autonomie est plutôt une base de
départ que chacun veut améliorer selon ses options propres. Cela
pose plusieurs questions.
Sur le plan économique, si les choix sont de compétence
territoriale, le financement direct ou indirect est métropolitain ; or
«qui paie, commande». Comment harmoniser ? Le crédit reste
d'État. Comment bâtir une économie sans autonomie du crédit ?
Sur le plan administratif, l'étatisation de nombreux fonction¬
naires locaux à qui on a accordé les privilèges des «expatriés»,
certaines conventions comme la prise en charge de l'École Normale
alors que le Premier Degré est de compétence territoriale, posent
de sérieuses questions de responsabilité et de choix des objectifs,
d'autant plus que les conventions paraissent ponctuelles et au coup
par coup. Le Statut ne se viderait-il pas de sa substance au profit de
l'État ? Il y a au moins «anomalie dans le système institutionnel en
principe autonomiste». De même la généralisation des communes à
tout le Territoire (24-12-1971 ) demande une bonne harmonisation
entre celles-ci, l'Assemblée, le Conseil de Gouvernement sans
oublier l'État. Cette gestion administrative, liée à la masse des
métropolitains et assimilés, accentue fortement l'intégration à la
métropole. Les projets de Code du Travail iront-ils dans ce sens,
contrairement au statut (art. 21 s) ?
Sur le plan juridique, tout cet ensemble pose une question
fondamentale de Droit : décentralisation ou subsidiarité. La
décentralisation c'est gérer autrement la collectivité en accentuant
la responsabilité au niveau local. C'est une
répartition différente
des pouvoirs publics ; l'unité est assurée par la
délégation. La
subsidiarité, qui semble inconnue en droit français, c'est se lier à un
partenaire qui est différent et reconnu dans sa personnalité propre.
C'est le droit à être respecté dans son
particularisme. Les pouvoirs
Société des
Études
Océaniennes
1269
le pluralisme. C'est
naturel et situation
historique. En quelque sorte c'est l'État au service de la Nation,
d'une Nation reconnue comme plurielle (1) Vivre la subsidiarité
c'est respecter la compétence de l'autre, ne pas se substituer à lui
viennent pas d'en-haut ; c'est l'unité par
reconnaître et vivre la pluralité comme fait
ne
.
son domaine et à son niveau ; c'est l'associer comme
partenaire libre et responsable.
Tant en droit qu'en fait, le statut d'autonomie de la Polynésie
pose cette question, neuve pour une «République une et indi¬
visible». L'unité en France a toujours été conçue comme
l'uniformité, en particulier sur les plans administratifs et scolaires.
L'unité par la diversité, l'unité organique de membres différents qui
se reconnaissent tels tout en voulant rester unis, est une question
majeure de notre temps. La France est une des rares démocraties
unitaires ; la plupart sont de type fédéral, habituées à l'unité dans la
pluralité. La Polynésie, par sa double requête d'être pleinement
elle-même et pleinement française, suscite sur tous les plans une
réflexion et qui peut être très enrichissante sur le plan national et
dans
au-delà.
là au cœur du problème à
bilinguisme, éducation plurielle, Code
du Travail adapté, économie ilienne, Statut politique autonome,
vie sociale particulière... La Polynésie a une personnalité originale
que la France a rencontré au cours des hasards de l'Histoire.
Depuis 140 ans, les deux pays voguent de concert avec des fortunes
diverses. Désormais la Polynésie souhaite être accueillie et
reconnue comme un partenaire à part entière, selon sa personnalité
originale et irremplaçable, tout en demeurant partie prenante de
l'ensemble français.
De toutes
résoudre
:
façons,
nous sommes
double culture,
Paul Hodée
Par exemple, les «lois laïques» ne s'appliquent pas de droit en Polynésie, même si, de
historique, «laïcité et séparation» y furent même anticipés abusivement (note du 17-91904, lettre du Président du Conseil 20-7-1922, décret Mandel du 16-1-1939). Le Code du
Travail devra tenir compte de ce «particularisme» de la totale liberté d'expression politique
et religieuse pour tous, y compris les fonctionnaires étant sauve la «réserve» sur les lieux et
dans les temps de travail. On évitera ainsi l'émotion légitime suscitée par une circulaire
malencontreuse du 10-3-1982, rectifiée le 14-5-1982. Ce «particularisme» juridique est
conforme à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (art. 18, 19, 20, 21, 26).
(1)
fait
Société des
Études
Océaniennes
1270
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ITSTAT
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Papeete
Papeete
ITSTAT
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Papeete
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263 p.
Société des
Études
Océaniennes
1272
LA PRODUCTION DU FEU
PAR FRICTION
Éléments d'observation
et
d'analyse
Il est banal de reconnaître
au feu, une grande importance dans
quotidienne des hommes. Pourtant on possède assez peu
d'informations précises sur un point crucial : comment les anciens
Polynésiens se procuraient-ils ce feu dont chacun reconnaît
l'importance.
Or la production du feu, selon les méthodes comparables à
celles décrites par les premiers navigateurs européens, s'est
maintenue en certains lieux jusqu'à une période récente.
En Polynésie, il n'est pas rare de rencontrer des personnes,
âgées le plus souvent, qui disent, avec un sourire malicieux, savoir
faire du feu "en frottant deux bouts de bois". Il est bien plus
difficile de passer à la pratique.
Un habitant de Napuka (Tuamotu), Monsieur Pine Arai, a bien
la vie
voulu
nous
faire du feu à la manière ancienne et
nous commu¬
niquer l'essentiel des renseignements qui ont permis la rédaction de
cet
article.
A
Napuka, le procédé qui nous a été montré par Pine Arai était
couramment employé il y a une vingtaine d'années. Les
allumettes importées étaient utilisées mais, en raison de leur prix
élevé, étaient réservées aux usages domestiques. Loin de la maison,
au cours d'un déplacement sur un
îlot, il était fréquent d'avoir
recours à la méthode ancienne
pour faire griller du poisson, par
exemple.
Les vieux disent d'ailleurs, qu'il leur arrive encore, s'ils sont loin
de chez eux et ont perdu ou mouillé leurs allumettes, de faire ainsi
du feu pour allumer leur cigarette ou cuire quelque chose.
encore
Société des
Études
Océaniennes
1273
Nous
proposons ici de rendre compte de l'observation
été possible de faire à Napuka. Puis nous présenterons
un texte rythmé (pehe pehe) qui était récité pendant que l'on faisait
du feu, pour donner la cadence. Dans un troisième temps, nous
élargirons le cadre de notre propos à des remarques plus générales
sur la production du feu à Napuka. Enfin, nous essayerons
d'analyser en détail comment agit la friction dans l'obtention du
qu'il
nous
nous a
feu.
A
Napuka, faire du feu se dit "mati" (1), mais il s'agirait là d'un
mataro, c'est-à-dire d'un mot courant actuel, répandu à
l'ensemble de la Polynésie. L'expression qui semble plus localisée à
reo
ce
secteur des Tuamotu et
peut être plus ancienne est "hika". Le
hika comme mati signifie "frotter", désigne aussi le sexe de la
femme. C'est une première remarque sur laquelle il nous faudra
revenir.
mot
Observation de la
production du feu par friction
(Pine Arai, le 8 mai 1982, Napuka)
Pine coupe une branche bien sèche d'un arbre, nommé piu piu à
Napuka (Tournefortia argentea L.f.) (2).
Il en coupe un morceau de 60 cm de long pour un diamètre de 3
cm
environ.
Avec son couteau à débrousser (tipi vaere, tipi rahi) il le fend à
partir de l'extrémité la plus fine, dans le sens de la longueur, sur
une trentaine de centimètres, (photo 1 : voir page suivante)
Ceci lui permet de faire apparaître le sillon et la moelle {puo) du
bois et d'autre part de détacher un morceau de bois dans lequel il
taille un bâton de 20 cm de long qu'il appointe à l'une de ses
extrémités, (photo 2 : voir page suivante)
Il a donc obtenu les instruments nécessaires pour faire du feu.
Chacun d'entre eux porte un nom : la branche fendue sur laquelle
sera appliquée la friction est appelée kauaki et le morceau de bois
pointu qui servira à frotter est le kaurima ou aurima.
Pour des raisons de commodité ces noms seront employés pour
la description qui va suivre.
(1) On pourrait
penser que
le mot mati vient de l'anglais match comme le mot qui veut dire
de prononciation : on dit mâti pour
allumette. Il faut pourtant remarquer une différence
allumette et mati pour l'opération de faire du feu.
(2) Aux Tuamotu, cet arbre est plus
connu sous
Société des
Études
le
nom
de
ngeo ngeo.
Océaniennes
1274
Société des
Études
Océaniennes
1275
Pine
entaillée
met à genoux,
se
est
face
maintenue par un
au kauaki dont l'extrémité
aide, (photo 3)
non-
L'intervention d'une seconde personne n'est cependant pas
obligatoire. Il est possible à celui qui fait le hika de bloquer le
kauaki avec ses pieds, mais dans ce cas il n'est plus à genoux, mais
assis.
Sous le kauaki, à une dizaine de centimètres de l'extrémité la
plus proche de lui, il place le manche de son couteau à débrousser
qui lui sert ainsi de support (rango). Il est aussi commun d'utiliser
un morceau de bois ou une
pierre. En surélevant le kauahi du côté
de celui qui fait le hika et en le mettant en position oblique, le
support permet un meilleur angle d'attaque avec le kaurima et
facilite le blocage du kauahi dont l'extrémité opposée à l'homme a
tendance à
se
ficher dans le sol.
Avec le manche peu épais de son couteau, Pine n'a que
faiblement incliné le kauaki. Cette façon de faire n'est pas la règle
générale. L'habitude serait plutôt le choix d'un support épais
obtenir
une
pour
forte inclinaison.
Disons que ces choix sont autant fonction des impératifs
mécaniques d'angle de friction que de la posture dans laquelle
l'homme est à son aise pour son travail. N'oublions pas que dans la
réussite d'une tâche, le confort de celui qui l'accomplit est un
facteur important.
Tenant le kaurima à deux mains,
extrémité pointue et la moelle (puo) du
Société des
Études
Pine met en
kauaki. Tout
Océaniennes
contact son
en appuyant
1276
sur le kaurima, il lui
vient. (photo 4 et 5)
La
assez
course
imprime
un mouvement
alternatif de va-et-
du kaurima dans le canal de la moelle est d'abord
longue (une quinzaine de centimètres). Pine cherche l'endroit
favorable où il sentira une résistance à sa friction. Une fois cet
endroit rencontré, il y concentre le rehu fakakai, c'est-à-dire la
poussière formée par la moelle (puo) désintégrée et les petites
particules de bois arrachées par la friction.
Société des
Études
Océaniennes
1277
Le mouvement du kaurima devient de
plus en plus court et son
rythme plus rapide. Sous l'effet de cette friction intense, la
poussière de friction {rehu fakakai) (1) commence à se consummer
en dégageant une faible fumée.
Il a fallu un peu plus d'une minute de friction pour obtenir ce
résultat. Selon les informateurs, le temps nécessaire varie entre une
et cinq minutes. Pine a donc eu la chance de trouver ce qu'on
appelle un bois kama, c'est-à-dire un bois qui donne vite du feu.
A ce moment, Pine prend un morceau de kere (2) (tissu fibreux
sec provenant de la base des palmes de cocotier) et le fragmente à
l'endroit où la combustion de la poussière de friction {rehu) a
commencé.
Il souffle afin que la
tissu fibreux {kere).
combustion de la poussière se transmette
Celui-ci s'enflamme.
Puis Pine prend une noix de coco sèche fendue en deux et
renverse le kauaki sur la bourre. Le feu du kere se communique à la
au
bourre.
Quelques
de palme de cocotier et quelques
rapidement un véritable feu.
morceaux secs
brindilles donnent
Remarques
sur
le vocabulaire
La
signification des mots kaurima et kauaki nous ramène à la
faisions plus haut à propos du mot hika
(frotter-sexe de la femme).
Le mot kaurima pourrait se décomposer ainsi :
Kau serait la réduction du mot kakau qui désigne à la fois
un bâton, le manche d'un outil ou d'une pagaie et le sexe
remarque que nous
de l'homme.
Rima
signifie "main"
La traduction de kaurima
pourrait être "bâton/verge
dans la main".
Le mot kauaki
Kau
Aki
(1) Dans fakakai il
:
:
pourrait
bâton/verge
serait
y a
se
mot
un
l'idée de donner à
décomposer ainsi
ancien pour
manger, comme
:
dire "feu".
si cette poussière concentrée à
un
endroit nourrissait le feu naissant.
(2) Là
encore on
parle defakakai
pour
désigner ce qui est "donner à manger" aux premières
manifestations de combustion, pour les transformer en feu. Ce peut être du kere comme ici,
mais aussi des brindilles provenant de l'extrémité des branches de ngie ngie, plus
communément nommé miki miki (Pemphis acidula J.R & G. Forst). On utilise aussi de la
bourre de coco que l'on prend du côté des trois pores germinatifs (nohi) de la coque, où elle
est
plus facile à arracher et où les fibres sont plus fines et moins compactes,
leur combustion.
Société des
Études
Océaniennes
ce
qui facilite
1278
Hika veut dire en général "sexe de
sens de "frotter" que dans le cas
dans le
la femme" et n'est employé
de la production du feu. Un
rapide du vocabulaire montre clairement l'analogie qui
faire du feu et l'accouplement.
Analogie dont il est facile de trouver l'origine dans la posture, la
tel
est
examen
faite à la base entre la façon de
forme des instruments, la cadence.
Cependant, les informateurs précisent que quand ils parlent de
hika à propos du feu, ils ne font pas automatiquement la relation
avec le mot qui désigne le sexe de la femme. Il n'y a consciemment
l'esprit de celui qui fait le hika, récitant le petit
pehe pehe (texte dit) dont nous allons parler et qui lui aussi peut
être compris avec de fortes connotations sexuelles.
rien d'obscène dans
Remarques générales sur la production du feu
friction à Napuka
par
description qui vient d'être faite correspond à une situation
produit à un endroit éloigné de la mission, pour
allumer un flambeau, pour pêcher sur le récif, ou pour cuire du
poisson par exemple.
Certaines conditions peuvent varier s'il s'agit d'un feu
domestique. Ainsi à la génération des parents de notre infor¬
mateur, on avait d'habitude, à la maison, un kaurima que l'on
réutilisait à chaque fois. N'ayant donc pas besoin d'y façonner un
kaurima, contrairement à ce qu'a dû faire Pine, la branche était
seulement divisée longitudinalement en deux parties. De plus, on
n'avait pas à l'époque des couteaux capables de faire une entaille
dans une branche et il était plus facile de la fendre en deux. On
La
où le feu est
obtenait ainsi deux kauaki. L'un d'eux était utilisé de suite et
en réserve. Ce kauaki de réserve était bien conservé
surtout si on avait eu la chance de trouver un bois qui s'allumait
bien (kama). Il convenait alors de la garder précieusement et de
l'économiser.
l'autre mis
D'ailleurs, il est possible d'utiliser plusieurs fois le même
kauaki. On peut même dire que le résultat n'en est que meilleur. En
effet, quand on fait du feu, le kauaki se consume un peu et il reste
de la cendre qui, la fois suivante donnera une bonne poussière
(rehu). Si nécessaire, il est habituel de mettre un peu de sable sec et
fin dans le canal de la moelle du bois pour favoriser la friction.
Il nous faut également faire quelques remarques sur les qualités
que doivent avoir les bois avec lesquels on produit du feu et quels
sont les
bois utilisés.
Il faut
un
bois
assez
certaine résistance à
fibreux ne sont pas bons
compact, qui offre une
la friction. Les bois trop mous ou trop
Société des
Études Océaniennes
1279
faire le hika. Cependant des bois trop compacts, vieux piu piu
(Tournefortia argentea L.f.) ou ngie ngie (Pemphis aciduda J.R. &
G. Forst) sont eux aussi difficilement utilisables car le kaurima
ayant tendance à glisser, on a beaucoup de mal à obtenir de la
poussière de friction.
pour
Pourtant si dans certaines conditions seuls
ces
bois étaient
disponibles, il serait toujours possible d'essayer d'en tirer parti
ajoutant des grains de sable et en frottant longtemps.
Pehe
pehe dit
en
en
faisant le hika
pehe pehe (textes récités) que l'on dit en faisant le
qui en rythment la cadence.
Le pehe pehe que nous présentons serait adapté, selon notre
informateur, à une situation où l'on doit faire du feu pour allumer
un flambeau {rama) avant d'aller pêcher sur le récif. Le lieu,
éloigné de la maison est indiqué dans le pehe pehe. On change le
Il existe des
Hika et
nom
selon l'endroit où l'on
se
trouve.
E haere au e i tua
Je vais côté océan
/ oheko
A oheko (1)
Hika hika au rima
Je frotte, je frotte mes
Ama ama
mains
Brûle, brûle
Amaama
Brûle, brûle
Tukakau (2)
Accroupi
Tupere
Je
me
Haere
au
lève
au
Je m'en vais.
L.f.) que
Lam) est
fréquemment employé. Le kaurima et le kauaki seront tous deux
en tou (cordia subcordata Lam). Ce bois étant moins dur que le piu
Bois utilisés en plus du piu piu (Tournefortia argentea
choisi par Pine, le tou (Cordia subcordata
nous avons vu
(1) Nom d'un lieu de Napuka que l'on peut changer selon l'endroit où l'on se trouve.
(2) Il s'agirait d'une déformation, pour des raisons de rythme, du mot tukau qui désigne la
informateur pense que l'on parle là de celui qui, servant
accroupi sur le kauaki pour le caler.
position accroupie. A
ce propos, un
d'aide, regarde faire,
en
restant
Société des
Études Océaniennes
1280
piu, il faut prendre comme kauaki des branches de plus gros
diamètre. Elles n'ont ni moelle {puo) ni sillon utilisable comme
canal de friction. Dans ce cas, la friction se fait seulement dans le
sens du fil du bois. En l'absence de moelle (puo), pour favoriser
cette friction, un peu de sable est nécessaire. De plus, comme il a
été dit plus haut, la cendre résultant d'un hika antérieur peut aussi
aider à allumer le feu.
Il est
également possible d'utiliser le karauri (Guettarda
speciosa L) ou le puka (Pisonia grandis) bien que son bois soit
assez
mou.
Même la branche
nomme ume
qui supporte les spathes de cocotier que l'on
malgré sa structure fibreuse, peut donner du feu.
son esprit d'expérimentation dit avoir essayé avec
urne,
Pine Arai, avec
succès.
Cependant le kaurima est une pièce qui tout en ayant un faible
diamètre doit subir une forte pression et dont la pointe est soumise
à une friction intense. Aussi est-il préférable si des bois mous sont
pris
pour le kauaki d'avoir quand même un kaurima en bois dur
le tou (Cordia subcordata Lam) ou le piu piu (Tournefortia
comme
argentea L.f.).
Le mécanisme de la friction
Il
nous
semble intéressant
du kaurima
Nous
sur
d'essayer d'analyser le mouvement
le kauaki
l'homme fait suivre au kaurima un
le kauaki.
Le mouvement "aller", par la friction, crée de la chaleur. Cette
chaleur dépend de l'intensité de la friction. Aussi n'est-elle pas
égale sur toute la course du kaurima : le schéma A la représente
sous la forme d'une courbe évoluant le
long de la course du
kaurima : faible au début de course, elle atteint un maximum puis
baisse en fin de course quand le mouvement ralentit pour amorcer
avons
mouvement
vu
que
aller/retour
sur
le retour.
Température
Schéma A
k-
Bout de
-
course
Course du kaurima
Société des
Études
Océaniennes
sur
le kauaki
1281
Le mouvement "retour" : moins appuyé, il ne fait qu'entretenir
la chaleur créée par la friction à l'aller. Mais cette conservation de
la chaleur est, elle aussi, inégale le long des trajets du kaurima :
plus l'endroit est situé près du "bout de course" où s'amorce le
mouvement "retour" et
meilleure est la conservation de la chaleur
le temps entre le passage
d'autant plus faible.
car
Compte tenu de
ce
mouvements "aller" et
"aller" et le passage "retour" est
qui vient d'être dit
"retour",
être l'évolution de la
température
le rôle et l'action des
schématisé ce que peut
sur
nous avons
sur
le kauaki quand
ces
mouvements sont enchaînés.
a
:
est la courbe
représentant l'évolution de la chaleur créée
par
le
mouvement "aller",
b
:
est
la courbe
représentant la chaleur conservée après le
mouvement "retour",
c
:
est la courbe cumulant b et la chaleur produite par un
deuxième mouvement "aller", en essayant de tenir compte des
pertes de chaleur.
Cette
représentation qui ne repose sur aucune donnée
mathématique précise, n'a pour but que de visualiser le
phénomène.
Elle fait apparaître une zone (hachurée) où l'élévation de la
température est la plus forte. Cette zone subit la plus forte friction
à l'aller et se trouve proche de la fin de course du kaurima, ce qui
assure une bonne conservation de la chaleur par le retour.
Le mouvement que figure la courbe c (deuxième aller), même si
cette zone a perdu de la chaleur en raison du temps écoulé entre le
passage retour et cet aller, ne fera qu'amplifier le phénomène.
C'est cette zone de plus forte chaleur que l'homme sent
favorable. Le kaurima y accroche mieux, la friction y est meilleure.
Société des Etudes Océaniennes
1282
C'est donc à cet endroit
qu'il accumule la poussière (rehu
fakakaï) qui servira de combustible et qu'il concentre les
mouvements du kaurima. Réduisant la longueur de la course du
kaurima, il accélère son mouvement, augmente la force de friction
et réduit les pertes de chaleur entre "aller" et "retour". Cette
concentration du mouvement de friction se poursuivant, il en
résulte une élévation importante de la température en un véritable
"point chaud" où débute la combustion de la poussière créée par la
friction.
Éric Conte
Société des
Études
Océaniennes
-
Jean Kape
1283
UNE NOUVELLE
CONTRÉE
DE L'IMAGINAIRE
Des découvreurs
aux
premiers romanciers
"Nous entrâmes enfin dans la Polynésie ce pays
nouvellement inventé et inconnu même à ses
habitants". Voyage pittoresque et industriel dans
le Paraguay-Roux et la Palingenesie Australe,
par
Tridace-Nafé-Thébrome de Kaout E. Chouk
Paris, 1835.
Lointaine et solitaire, la Polynésie au centre de son vaste océan
comme une lune tournant autour de sa planète.
Il y a le monde et elle, et le monde s'est déjà mesuré avec elle.
Scène primitive et toujours primordiale : les îles de Polynésie
ont été le point d'arrivée des dernières migrations humaines, le lieu
du dernier peuplement de la terre. Ces îles bienheureuses ou
est
fortunées, selon les expressions communes à tant de traditions
religieuses, sont restées longtemps inviolées, avant que les hommes
ne les atteignent comme le vrai bout du monde. Les migrations
polynésiennes ont achevé de boucler le monde.
Puis est venu un autre âge avec les premières circum¬
navigations. Les navigateurs d'un occident triomphant, fran¬
chissent le détroit de Magellan et "découvrent" vers la deuxième
moitié du XVIIIe siècle la plupart des archipels de
Mais de toutes les îles du Pacifique, ce sont celles
l'Océanie.
de Polynésie
qui se sont aussitôt posées sur la carte mentale du monde. Dès lors
rejointes par l'histoire, elles sont venues s'incorporer à l'imaginaire.
Quelles richesses offraient-elles ? Une idée : que la Polynésie
existe seulement ! Tout s'est passé comme si, Tahiti autant que
découverte, avait été inventée.
La force avec laquelle l'idée
dans le siècle des Lumières.
Société des
de Tahiti s'est imposée s'enracine
Études
Océaniennes
1284
nouveau a habité le XVIIIe siècle et distingué les
de Wallis, Bougainville ou Cook, de ceux de leurs
prédécesseurs (1). La découverte des Marquises par Mendana et
Quiros en 1595 n'avait pas inspiré le même regard ni donné lieu au
mythe.
Au contraire, pour l'Occident des Lumières, le choc de la
rencontre a recouvert la séduction d'une idée, son désir réalisé.
Un doute
voyages
* * *
Devant le
mythe, il est difficile de garder la tête froide. Il est
qu'il provoque des automatismes. Multiforme,
tellement familier
chacun de
ses
éléments le sous-entend tout entier et suffit à
galet, son énoncé dur : Tahiti est un
paradis. Ce mythe frappe la pensée comme un coup de soleil. Il
s'insinue non seulement dans le passé tahitien mais aussi dans son
présent et dans son va-et-vient il tisse aussi une utopie tahitienne.
Les figures qu'il s'invente se métamorphosent, déplacent son
discours. Il a déjà plus ou moins tout recouvert. C'est une seconde
ressasser,
tel
un ressac un
nature.
Roland Barthes dit que
le mythe est un code, un message, un
système de communication, "une parole formée d'une matière
travaillée en vue d'une communication appropriée". Mais, c'est,
ajoute-t-il, "une parole choisie par l'histoire. Elle ne saurait être
déduite de la nature des choses".
Admettons pourtant que la nature
pas, elle, que sur du sable. Le mythe
réalité. La Polynésie est faste.
du mythe tahitien ne repose
n'est pas la réalité, mais il a sa
Mais s'il peut être positif et même sympathique dans certains
aspects utopiques qui l'apparentent à ce qu'on a appelé "l'idéologie
de la fabrication de l'Amérique", ce mythe est aussi un voile qui
dissimule un rapt habituel d'autant plus redoutable qu'il est
agréable à certaines épaules tahitiennes.
C'est un ensablement.
Il a commencé dès la découverte à ensevelir
pensée
amnésique qui ne pouvait que perdre ses mots devant la suprématie
technique associée à la vérité nouvelle détenue, qui-plus-est, dans
un livre. Tourne le sablier du mythe. Plus le
passé s'opacifie et se
ferme, plus le mythe tahitien se remplit et se charge (2).
une
(1) Ils voyaient "un frère dans tout homme" dit Jules Verne qui a fait leur éloge dans sa série
"Les grands navigateurs du XVIIIe siècle" (Ed. Ramsay, 1977). Il décèle dans leur conduite
certains signes avant-coureurs des droits de l'homme.
(2) Ainsi en va-t-il du mouvement actuel du retour aux sources : parti d'un légitime désir de
réappropriation du passé et compris comme un nécessaire travail de déblaiement, il voit
actuellement une partie de ses forces s'orienter peu à peu vers un retour au mythe.
Société des
Études
Océaniennes
1285
—
—
A. Donneriez-vous dans la fable de Tahiti ?
fable et vous n'auriez aucun doute sur la
Bougainville si vous connaissez le supplément de son
B. Ce n'est pas une
sincérité de
voyage.
Ainsi Diderot
peut-il lui aussi écrire, verser, son supplément.
parle n'empêchera pas, on va le voir, la
production de fantasmes. Mais il est vrai que chez tous la sincérité
est indéniable. Que ce soit Bougainville ou Diderot, le voyageur ou
le lecteur, tous "reconnaissent" Tahiti au premier coup d'œil,
comme André Breton "reconnaît" Nadja. La Tahiti découverte n'a
aucun exotisme. L'Occident dans sa boucle triomphale reconnaît
son propre passé, l'enfance édénique de l'humanité, la mémoire de
toutes les cultures que l'Encyclopédie venait précisément, de
rassembler pour la première fois.
C'est qu'en matière de mythologie, chacun se sent un peu chez
soi (1).
L'Europe de la fin du XVIIIe siècle qui aspire à de nouveaux
mouvements et cherche à se libérer de ses carcans idéologiques,
accueille avec un grand bruit les récits de Cook et Bougainville (2).
Il n'y a pas que les philosophes pour discerner une "lumière" dans
l'idée encore un peu confuse rapportée de Tahiti et pour en être
La sincérité dont il
fasciné.
Le sauvage,
l'indien des Amériques a fini d'inquiéter l'Europe
qui en a maîtrisé jusqu'à l'idée et n'en craint plus la violence
primitive ni la sexualité. La Grèce Antique n'a-t-elle pas déjà
enseigné le scandale avec sa propre mythologie ? Découvrant
Tahiti, l'Europe ravie retrouve l'origine du monde, se revitalise. Le
sauvage est-il bon ? Or voilà que le Polynésien est également beau
et que Tahiti abrite tout un peuple "pour qui le sentiment de la
liberté est le plus profond des sentiments" (Diderot). Ce sentiment
c'est l'éros, sentiment des origines (3). Et si "le Tahitien touche à
(1) Voir "L'invention de la mythologie" par
Marcel Détienne (Gallimard 1981).
plaindra par la suite que le public n'ait retenu de son remarquable
travail que la partie, assez mince d'ailleurs, ayant trait à Tahiti", dit Jacquier (B.S.E.O. n°
146-147) et Jean Simon : "On est stupéfait au bruit que fit le séjour des Français à Tahiti de
constater qu'il dura seulement dix jours" (Thèse, Paris, 1939, p. 82).
(3) En 1774, Voltaire fait, en s'intéressant à Tahiti, la même découverte. Il n'en cache pas sa
joie dans une lettre au chevalier de Lisle : "Ne pouvant voyager, je me suis mis à lire le
voyage autour du monde de MM. Banks et Solander. Je ne connais rien de plus instructif. Je
vois avec un plaisir extrême que M. de Bougainville nous a dit la vérité. Quand les Français
et les Anglais sont d'accord, il est démontré qu'ils ne nous ont pas trompés. Je suis encore
dans l'île de Tahiti, j'y admire la diversité de la nature, j'y vois avec édification la reine du
pays assister à une communion de l'Église Anglicane et inviter les Anglais au service divin
qu'on fait dans le royaume. Ce service divin consiste à faire coucher ensemble un jeune
homme et une jeune fille tout nus, en présence de sa majesté et de 500 courtisans et
courtisanes. On peut assurer que les habitants de Taïti ont conservé dans toute sa pureté la
plus ancienne religion de la- Terre".
(2) "Bougainville
se
Société des
Études Océaniennes
1286
l'origine du monde", Diderot considère
sa
que
"l'Européen touche à
vieillesse".
La vieille Europe toute
entière fête donc le Tahitien. L'engou¬
exceptionnel en France et dure longtemps. Jusqu'à la
révolution dit, avec précision, John Dunmore ("les explorateurs
français dans le Pacifique") (1).
Quoiqu'il en soit les textes se multiplient : Commerson, Fesce,
Nassau, Saint-Germain (le seul à rester de glace) et bien sûr
Diderot. C'est avec lui, s'accorde-t-on à dire, que se fixe le mirage
océanien. Aussi voyons sur quelle base Diderot l'a fondé.
ement est
* * *
"Le voyage de Bougainville est le seul qui m'ait
donné du goût pour une autre contrée que la
mienne. Jusqu'à cette lecture, j'avais pensé qu'on
n'était nulle part aussi bien que chez soi"
(Diderot).
Sur le
écrit "le
69 ans.
de
les
Diderot, co-auteur de l'Encyclopédie, se
grandes questions philosophiques du siècle. Il
supplément au voyage de Bougainville" en 1782 à l'âge de
nom
concentre toutes
L'Encyclopédie
été achevée en 1765 et mise en vente en 1766,
Wallis n'arrive à Tahiti. Elle est une
grande entreprise collective menée avec d'Alembert, Rousseau,
Voltaire, Montesquieu, Buffon, etc... Leur but : présenter "un
tableau général des efforts de l'esprit humain dans tous les genres".
L'ouvrage célèbre la raison humaine toute puissante en sa nature à
transformer le monde, libérer l'homme de ses limites et préjugés.
C'est vraiment une pensée pré-révolutionnaire et l'on
y a repéré
depuis, l'une des premières tentatives qui ont ouvert le cercle de
l'histoire et fait sortir les hommes de la répétition en mettant sous
les yeux l'inventaire de toutes les techniques et savoirs mais aussi
de toutes les cultures. Avec l'Encyclopédie plus besoin de
répéter,
recommencer, imiter. L'Europe se condamne à avancer, inventer,
défricher. Pourtant voilà que sur la nouvelle route rectiligne Tahiti
c'est-à-dire
un an
a
avant que
(1) Il est vrai que la proximité de l'événement est une tentation pour des explications à
postériori. Bien des auteurs n'ont pas hésité, en effet, à considérer que l'idée tahitienne et
tous les débats auxquels elle a donné lieu, ont contribué et
participé au foisonnement d'idées
d'avant la Révolution. Henri Adams se plait
à dire le rôle décisif joué par la reine Purea dans
cette page de l'histoire de France et Henri
Jacquier voit dans le tahitien Orou (l'un des
personnages imaginaires du "Supplément..." de Diderot) "l'inspirateur" du père Duchesne".
Voilà, conclut-il, une conséquence inattendue de la découverte de Tahiti" (B.S.E.O n° 72,
73, 74).
Société des
Études
Océaniennes
1287
apparaît blottie dans son temps circulaire, le visage heureux d'une
réussite qu'on désire croire absolue.
Le Supplément au voyage de Bougainville veut donc être cet
exercice de rationalisation d'un thème trouble et troublant devenu,
l'Europe, plus qu'une anecdote charmante.
liberté sexuelle, qui fascine tant ses
contemporains, s'inscrit dans un processus et un ensemble de
"lois" inadaptés aux Européens. Ceux-ci ont oublié dans leur
enthousiasme, que tout retour est impossible, que "la nature
humaine ne rétrograde pas et que jamais on ne remonte vers le
temps d'innocence et d'égalité quand, une fois, on s'en est éloigné"
(Jean-Jacques juge de Rousseau).
D'où la conclusion de Diderot : "Imitons le bon aumônier,
moine en France et sauvage à Tahiti".
Puisque c'est l'érotisme qui occupe avant tout les pensées,
Diderot, non sans le transformer, le place au cœur du fonction¬
nement de Tahiti, cette nouvelle contrée de l'imaginaire. Mais ne
disposant que d'indices et emporté par sa logique, il construit une
Tahiti systématique, centrée sur la procréation et les enfants.
Voici ce monde étonnant où les femmes doivent porter des
voiles gris (signe de la maladie périodique) noirs (stérilité, vice de
naissance ou âge avancé) ou blancs (impurbeté) ; où les garçons
"jusqu'à l'âge de 22 ans, deux ou trois ans au-delà de la puberté
restent couverts d'une longue tunique et les reins ceints d'une petite
chaîne". Ce n'est qu'"au moment où le mâle a pris toute sa force,
est d'une maturité à concevoir des désirs et à en inspirer et les
satisfaire avec utilité" que le père détache la chaîne de son fils et...
"lui coupe l'ongle du doigt du milieu de la main droite"...
Diderot a aussi de l'imagination. Il crée une fiction totale, une
utopie raisonnable et rationalisée d'où même, et surtout, tout
érotisme est évacué. "Nous avons des vieilles dissolues qui sortent
la nuit sans leur voile noir, et reçoivent des hommes sans qu'il ne
peut rien résulter de leur approche ; si elles sont reconnues ou
surprises, l'exil au nord de l'île, ou l'esclavage est leur châtiment ;
des filles précoces qui relèvent leur voile blanc à l'insu de leurs
parents et nous avons pour elles, un lieu ferme dans la cabane ; des
jeunes hommes qui déposent leur chaîne avant le temps prescrit par
la nature et par la loi, et nous en réprimandons leurs parents...".
Diderot organise et sa Tahiti prend un caractère aussi délirant
que chacune des îles imaginaires de l'Archipel "Mardi" du roman
fabuleux, au sens propre, de Melville.
S'il se donne tout ce mal, ne se privant pas d'imagination, c'est
pour dégager cette rationalité de la nature qui a conféré aux
pour
Diderot observe que cette
Société des
Études Océaniennes
1288
Tahitiens leurs lois, des lois
l'entendement.
Les lecteurs retiendront
qui
ne sont pas
contraires, pense-t-il, à
moine-en-France-et-sauvage-à-Tahiti,
ainsi que l'extraordinaire personnage théâtral de Orou, mais ils
oublieront le leitmotiv philosophique et la vision organisée dans
son détail, pour n'en conserver en définitive que l'idée enchan¬
teresse de l'île d'utopie, de toutes les utopies : Commerson n'avait
pas
attendu
pour
appeler déjà le Tahitien "le bon utopien".
* * *
Un
projet résume bien ce qu'a représenté Tahiti pour l'époque.
en Allemagne en 1777 autour d'un
groupe d'écrivains qui
ont envisagé d'installer à Tahiti "une colonie de poètes". Cette
expression étonnante, impensable aujourd'hui, concentre dans
l'association de ces deux mots l'attitude de l'Europe vis-à-vis de
Tahiti. Une telle charge affective peut donc, dans sa candeur, être
impérialiste et le désir utopique oscillant entre la poésie et la
colonie est ce mouvement qui croyant féconder par
l'apport
poétique, efface en retour et fait de Tahiti un cas à part de l'histoire
coloniale, un excès : le Tahitien, s'il n'est pas supprimé, doit être
transformé en poète ce qui revient au même.
Tahiti est donc l'île d'utopie, c'est-à-dire non lieu hors lieu, là
où tous les rêves sont permis, où société et réalité, telles
qu'en tous
les lieux devraient être, là où l'imagination fait
régner le désir,
l'amour, la poésie, le partage, la désinvolture, la tendresse, la
liberté. "L'utopie est une auberge espagnole" dit bien Gilles
Laponge. Il en est de même de l'idée tahitienne qui, avec la même
ambivalence (monde radieux ou effroyable meli-melo), attire les
Il est né
écrivains en les faisant sortir de l'horizon commun.
L'arrivée d'Ahutoru à Paris (1769) et d'Omaï à Londres
(1774)
porte l'engouement à son comble. Le mouvement ainsi lancé peut
durer longtemps et tourner de lui-même
jusqu'au début du XIXe
siècle. A l'exemple de Diderot de nombreux écrivains s'enflamment
sur les récits des
voyageurs et les éditeurs poursuivent avec succès
la tradition des grandes compilations fastueuses ou
populaires
comme
ou
cette
"bibliothèque générale
recueil des voyages
intéressants"
et instructive des jeunes gens
ou cette autre bien nommée
"bibliothèque portative des voyages". Jules Verne dans sa série sur
les Grands navigateurs du XVIIIe et XIXe siècle sera un siècle
plus
tard l'héritier de cette tradition.
En
1781
en
France Restif de la Bretonne fait contre toute
attente de sa
part une vive critique des moeurs tahitiennes mais ce
qu'il fustige est surtout la prostitution qui y règne à l'époque de
Société des
Études
Océaniennes
1289
Cook
(1). L'année suivante, "le voyage du capitaine Cook à la
main", il écrit "L'Andrographie ou idées d'un honnête homme sur
un projet de règlement proposé à toutes les nations de l'Europe
pour opérer une réforme générale des mœurs et par elle le
bonheur du genre humain", idées qui annoncent déjà "De
l'harmonie universelle" (1803) d'un autre grand utopiste Charles
Fourrier. A la fin de l'Ancien régime Joseph Joubert est aussi un
"enthousiaste de Tahiti" (2). Il envisage même de consacrer à
Tahiti une grande étude dont le projet nourri pendant plusieurs
années l'amène, lui aussi, à faire de Tahiti son intimité. Bien
entendu, il ne peut en achever l'exécution, lui dont l'œuvre se
réduit à quelques pages d'un carnet célèbre. Mais Joubert est l'une
des expériences les plus fortes de la littérature et de la part de cet
auteur
on imagine avec quelle intensité il a
deux inacessibles : Tahiti et l'espace littéraire.
expérimental étonnant,
dû tenter de lier
ces
Allemagne, Jean-Paul fait de Tahiti le modèle de son île
"séjour de l'amour et de l'éternel printemps". Cette œuvre
de 1800, inspire un groupe de littérateurs qui autour de Morike
En
heureuse
pris l'habitude de se réunir la nuit pour évoquer l'île heureuse,
baptisée "Orplid", mais en qui tous les commentateurs, dit
P. O'Reilly, reconnaissent Tahiti. "On la peuplait d'hommes et de
Dieux, on y organisait sa vie". De ces entretiens naquirent
plusieurs œuvres. Bauer écrit que "Orplid ne se trouve sur aucune
carte, mais existe seulement dans l'imagination de som ami
Morike. Orplid est également un symbole, une île d'utopie et de
fantaisie, située quelque part entre la Nouvelle-Zélande et
l'Amérique".
avait
Ainsi entre Tahiti
non
lieu des antipodes où
glisse l'imagination
des écrivains et la littérature, le lien est étroit presque privilégié.
Les textes s'accumulent, en effet, dans tous les pays et s'ils nous
disent plus sur un imaginaire européen,
d'intérêt pour Tahiti devenue source
thème.
ils illustrent le mouvement
littéraire, transformée en
d'emblée Tahiti est un roman. Dès la découverte, le
premier récit relatant la rencontre de Wallis et de la Reine Purea
est du plus pur romanesque, offrant même, remarque Henri
Adams, "pour la première fois dans les annales des rapports
officiels, le cas unique d'un officier de marine anglais signalant des
C'est que
(1) "La découverte australe par un homme volant ou le
(2) André Beaumier. 9304. Bibliographie de P. O'Reilly.
Société des
Études
Dédale français".
Océaniennes
1290
larmes
parmi
ses
émotions scientifiques" (1). Les récits des
voyageurs qui succèdent à Wallis vont jouer longtemps un rôle
semblable pour des lecteurs à la recherche d'évasion. Mais de
ces histoires
mutinerie du Bounty
toutes
vraies, la plus populaire reste celle de la
qui jusque dans l'expérience sociale tentée se
présente comme le plus pur et le plus magnifique des romans. La
relation par le capitaine Bligh publiée en 1790 en Angleterre s'est
vue aussitôt traduite en France
(1792), puis en Suède (1793) et en
Allemagne (1794). Pour bien réelle qu'ait été l'aventure son succès
est devenu celui d'un mythe
littéraire.
Le mouvement retombe avec le tournant du siècle
qui voit
l'Europe bien occupée par ses propres affaires, la Révolution
Française, les guerres napoléoniennes... Quant à Tahiti, les
missionnaires sont maintenant passés. En 1824, le commandant
Duperrey fait le fameux commentaire : "Tous les naturels savent
lire et écrire" et en 1827, Chateaubriand déplore que "O'Taïti a
perdu ses danses, ses chœurs, ses mœurs voluptueuses... Les belles
habitantes de la Nouvelle Cythère trop vantées peut-être
par
Bougainville sont aujourd'hui, sous leurs arbres à pain, des
puritaines qui vont au prêche... Un roi de l'île s'est fait légiste".
La Polynésie cesse alors de représenter ce
pur ailleurs que les
écrivains pouvaient et aimaient évoquer sans jamais y être allés.
Mais "l'engouement ne s'éclipse
que provisoirement" dit P.
O'Reilly. "Il revient en force dans la seconde moitié du siècle
grâce au génie de Melville que suivent dans le sillage océanien
Stevenson, Loti, Gerstacker et d'autres moins éminents. Leurs
épigones et émules modernes prolongent la veine, en utilisant avec
plus ou moins de bonheur, les ressources romanesques des îles et en
prêtant un décor polynésien à une copieuse littérature d'évasion et
d'aventure, qui gagne en abondance ce qu'elle perd en qualité".
* * *
De cette longue citation, vrai résumé de la littérature
océanienne, retenons que Melville est le premier. Il est romancier et
(1) L'aspect fleur bleue de "cette nouvelle édition de Didon et Enée" ne plaisait pas à tout le
monde surtout en Angleterre,
pense Henri Adams, qui croit pouvoir dire que "tout ce qui
ravissait les Français était à peu près sûr de
déplaire aux Anglais et, ajoute-t-il, ainsi dès le
début Tahiti prit une couleur française
qui finit par décider de son sort". Cet avis radical de
Adams est à rapprocher d'un autre non moins
catégorique de Gilles Lapouge sur les versions
françaises de l'utopie : "Si la plupart des spécialistes français lisent
plutôt l'utopie comme
une liberté, les théoriciens et écrivains
étrangers restent fidèles au sens premier de l'utopie à
celui que les textes
canoniques (Platon, More, Bacon, Cabet) ont fixé" non pas comme un
monde radieux mais un monde rationnel et terrifiant. Et
Lapouge de conclure son article :
"Que la France, et elle seule à peu près, s'obstine à lire
l'utopie comme une fête mériterait
question" (La Quinzaine Littéraire, n° spécial sur l'utopie, 1981).
Société des
Études
Océaniennes
1291
avec
lui
commence ou recommence
la littérature. Celle-ci
a sa
dans
part
l'origine et la reconduction du mythe mais elle ne se confond
pas avec lui. S'il arrive que leurs deux discours se rejoignent et se
recoupent quelquefois, leurs parcours restent différents et de la
littérature va se dégager une autre parole.
Melville par exemple, tombant dans des vallées moussues ou
recueilli par des tribus matricielles joue avec le mythe, s'y vautre et
l'exacerbe. Par la suite le mythe aura beau être un phénix toujours
renaissant, certains écrivains apprendront à l'utiliser, l'épuiser et
même le recomposer dans ses éléments jusqu'à le reconstituer
monstrueusement. Non pas que ces écrivains aient par une
opposition quelconque au mythe cherché, comme beaucoup s'y
emploient actuellement, à le détruire, mais parce qu'ils sont les plus
experts en fiction et en illusion.
Jean SCEMLA
Société des
Études
Océaniennes
1292
Compte rendu
MORTEVEILLE Brigitte. Le mythe de la Nouvelle-Cythère dans la
littérature française de Bougainville à Gauguin. Thèse maîtrise de
lettres. Angers. 1982 ; ronéo - 137 p.
Si la
production littéraire française en Polynésie peut se pré-valoir de
depuis deux siècles, il faut hélas constater que la critique
littéraire française dans cette partie de l'Océanie fait figure de parent
pauvre : en effet, peu de tentatives ont été réalisées pour réunir les textes
océaniens, pour totaliser ce savoir, pour en présenter la richesse, la
variété, les insuffisances et pour en restituer la cohérence. La littérature
française d'Océanie, parce qu'elle ne s'est jamais constituée de manière
autonome -mais le pouvait-elle ?- n'a guère suscité de
critique littéraire
spécifique.
nombreux titres
Pourtant, il faut mentionner la thèse de Jean SIMON, en 1939, "La
Polynésie dans l'art et la littérature de l'Occident", qui n'a eu, on le sait
(1), le retentissement qu'elle pouvait espérer. Jean Simon a voulu
rassembler de manière historique, archipel
par archipel, et langue par
langue "les relations de voyage et les œuvres plus consciemment
artistiques" de cette région insulaire du monde, relever ensuite les "traces
de séduction" que le pays a fait naître et enfin
"indiquer le profit que l'art
a pu tirer de cet enthousiasme".
Malheureusement cet ouvrage est
difficilement accessible du fait de sa rareté et semble également peu lu.
Par
ailleurs, les articles d'Henri JACQUIER, publiés en 1944-45 et 47
le Bulletin de la S.E.O. à Papeete, ceux de J.M. GAUTIER en 194751 et 52 dans le Journal des Océanistes constituent des
étapes importantes
dans la mise en forme d'une critique littéraire océanienne.
Brigitte MORTEVEILLE nous propose une recherche universitaire
sur "Le
mythe de la Nouvelle Cythère dans la littérature française de
par
(1) Ce livre, imprimé
en octobre 1939 a brûlé en juin 1940 dans l'imprimerie HERISSEY
lors du bombardement d'Evreux. Une centaine
d'exemplaires seulement avaient déjà été
expédiés surtout
aux
bibliothèques universitaires.
Société des
Études
Océaniennes
1293
Bougainville à Gauguin". Il s'agit ainsi, à partir d'un certain nombre
françaises significatives de saisir le mythe, non de Tahiti, mais
de la Nouvelle Cythère ; précision importante, puisque c'est le nom donné
par Bougainville à cette île et qu'il est question d'une fiction qui va se
déployer deux siècles durant.
d'œuvres
Cette recherche
divisée en trois parties :
ouvrir les premiers récits de voyage français
(Bougainville, Commerson, Fesche), analyser leur contenu qui ne se
recoupe pas toujours, établir clairement les influences qui ont agi sur ces
écrivains créateurs, parmi d'autres, d'une idéologie et essayer au moyen
—
L'auteur
va
est
d'abord
de
comparaisons de distinguer "l'imposture de la réalité" des choses.
Après cela, -et puisque le mythe est lancé- l'auteur étudie ce qu'il
devient lorsqu'il prend la forme d'un thème littéraire et philosophique.
—
Restif de la Bretonne, Buffon, Delille, Baston, Bricaire de la Dixmerie,
Voltaire, Taitbout et Diderot vont voir leurs œuvres discutées et situées
dans les grands débats politico-philosophico-littéraires de cette époque.
La troisième partie est consacrée à "l'attrait des îles" au cours du 19e
siècle, époque qui inscrit l'exotisme comme genre littéraire marquant ;
Brigitte Morteveille interroge tour à tour des œuvres d'essence très
différentes : celles de Moerenhout, de Marin, de Radiguet, de Loti,
d'Olivaint, de Monchoisy et de Gauguin.
—
Comme
le voit par
la liste des noms d'auteur, B. Morteveille puise
qui ne sont pas venus jusqu'en Océanie, que dans
ceux qui s'y sont rendus, mais
également dans des œuvres appartenant à
des genres différents ; c'est révéler ainsi la complexité de cette production
qui tourne inlassablement autour de l'image envahissante qu'ont forgée
du pays les premiers découvreurs, et c'est attester aussi des aléas de cette
littérature de qualité très variable : peu d'œuvres océaniennes, en deux
siècles, figurant parmi les grands textes de la littérature française.
On peut toutefois formuler à l'encontre de ce travail deux reproches :
l'absence d'une conclusion, en fin de recherche, qui aurait exposé les
résultats auxquels ce travail a permis d'arriver ;
l'absence de référence aux travaux antérieurs effectués sur le sujet tant
en France (Simon etc...) qu'à l'Étranger (Gray : Tahiti in French literature
from Bougainville to Pierre Loti, 1970, University of Arizona...)
autant dans
on
des
auteurs
—
—
Enfin,
le fond, l'analyse est menée avec méthode, rigueur et
la forme, lire le texte est un véritable plaisir tant la
langue est maîtrisée et le style alerte.
sur
conviction et
sur
Daniel Margueron
Société des
Études
Océaniennes
1294
LAWREY John. The
cross
of Lorraine in the South Pacific. Australia
and the Free French Mouvement 1940-1942.
Pacific
History. 1982. 142
L'auteur,,
un
p., cartes,
31
Canberra, The journal of
cm.
officier australien, aujourd'hui ambassadeur
en
URSS,
fut de 1940 à 1943 représentant du gouvernement australien en NouvelleCalédonie. Il fut ainsi le témoin direct et personnel des événements qu'il
nous narre :
le passage
de la "Grande Terre" de la
mouvance
de Vichy à
celle de la France Libre du Général de Gaulle ; renversement de situation
exécuté d'une manière toute pacifique et sans effusion de sang, grâce à
l'action courageuse du gouverneur Henri Sautot, appuyé par les autorités
australiennes.
Après avoir dans un chapitre préliminaire résumé l'histoire de la
depuis la prise de possession en 1853 par la France jusqu'à nos
jours, l'auteur ouvre ses dossiers concernant les événements qui suivirent
l'armistice de juin 1940. Le gouverneur Pélicier, qui ne veut pas rompre
avec l'Australie qui les ravitaillait, promulgua le 29 juillet les lois de
Vichy
qui envoie l'aviso Dumont d'Urville, commandant Toussaint de
Quièvrecourt pour soutenir sa politique. Mais sa présence accroît plutôt
l'hostilité de la population qui, le 28 août nomme le Lieutenant-Colonel
Denis à la place de Georges Pélicier. C'est remplacer la molesse par
l'inefficacité. Quinze jours plus tard, à la mi-septembre, le ralliement à de
Gaulle est inévitable car la population commence à remuer et les
broussards se mobilisent. Il faudra l'arrivée du résident des Hébrides, qui
s'est rallié dès l'appel du 18 juin à de Gaulle, pour rétablir la situation.
Henri Sautot un lorrain bon vivant, a, comme de Gaulle, une "certaine
idée de la France". Il trouve en arrivant à Nouméa, un "Comité de
Gaulle" (Raymond Pognon, Michel Vergés, Georges Dubois, Edouard
Moulédous) et grâce à son appui il débarque à Nouméa le 19 septembre et
peut se rendre à pied, accompagné par la foule, jusqu'à la résidence du
gouverneur. C'est une sorte de référendum municipal : la population est
vraiment pour lui.
Calédonie
Les
jours qui suivent, le commandant du Dùmont d'Urville,
représentant les intérêts de Vichy, constatant que tous les partisans du
Gouvernement du Maréchal, - et en particulier les officiers - sont bien
traités
:
on
les
a
fait
monter
à bord du Pierre Loti,
un
navire des
Messageries Maritimes, alors en partance dans le port. Et comme on lui
donne l'assurance qu'ils ne seront pas internés
après son départ,
constatant également qu'on lui accorde les vivres et le charbon dont il a
besoin pour poursuivre son voyage vers l'Indochine, quitte Nouméa
sans
arrières-pensées, sa mission accomplie.
Malgré quelques incidents mineurs le Gouverneur a la situation en
mains. Le clergé était resté neutre, bien que plutôt bienveillant. Sautot, ne
voulant pas conserver ses pouvoirs militaires, les confie au Com¬
mandant Broche. Se consacrant
principalement à résoudre les graves
problèmes économiques : ceux du nickel - et celui du ravitaillement. Avec
les Australiens, on va mettre le territoire en état de résister à une
attaque
Société des
Études
Océaniennes
1295
japonaise. Trois aérodromes sont construits. Des troupes nombreuses
débarquent. Mais on agit de telle manière que la souveraineté française
soit pleinement sauvegardée. R.G. Menzies, le premier ministre australien
de retour de Londres où il a rencontré le général de Gaulle, vient luimême s'assurer de la bonne marche des opérations. C'est à ce moment du
printemps de 1941 que de Gaulle envoie en tournée d'inspection le
gouverneur général des Colonies, Richard Brunot. Il arrive à Nouméa,
avec l'idée qu'il
va occuper la place de Sautot. D'où des conflits
rocambolesques. Brunot quitte Nouméa pour Tahiti au début de juin.
Le 9 juillet 1942, de Gaulle, du Caire, nomme l'amiral Georges Thierry
d'Argenlieu, Haut-Commissaire de la France dans le Pacifique, avec
pleins pouvoirs civils et militaires "pour y restaurer l'ordre et en organiser
la défense". L'Amiral arrive à Nouméa le 6 novembre 1941... Le Général
avait la plus grande confiance dans les capacités de son envoyé. L'ayant
vu à l'œuvre, beaucoup ne ratifieront
pas le jugement de de Gaulle. Le
futur commandant en chef des troupes du Pacifique, le général Patch, le
considérait comme "vaniteux, tâtillon, peu crédible et ambitieux".
L'Australie ne reste pas inactive. Les Australiens considèrent la
Calédonie comme un bastion avancé de leur ligne de défense. En janvier,
on rassemble en Australie une force d'une
vingtaine de mille hommes :
17.000 fantassins et 1.500 aviateurs, éléments assez disparates dont le
général Alexander Patch
parachuté comme le chef responsable. Il
protéger la Calédonie contre une attaque
possible des Japonais. Le convoi arrivera à Nouméa le 12 mars,
augmentant de 50 % le chiffre de la population locale. Des officiers de
liaison ayant une bonne connaissance du pays pour y avoir résidé
facilitent les rapports avec la population.
avait
comme
sera
mission de
D'argenlieu est bien accueilli à Nouméa. On aimait Sautot ; mais
un civil. Un militaire, un homme à poigne, paraissait nécessaire
pour s'opposer, le cas échéant, à une invasion japonaise. La population
locale pense : "Maintenant nous avons un chef !".
c'était
Cette
impression bienveillante fut de courte durée. D'Argenlieu était
un état-major civil et militaire. Il réquisitionne
largement pour lui maisons et voitures ; sans même justifier son faste par
une efficace défense de l'île. Son abondant état-major vit à
ne rien faire
pendant que les gens du cru, affectés au Bataillon du Pacifique,
combattent avec Koening en Afrique du Nord.
arrivé entouré de tout
Mais bientôt
une
certaine tension
se
manifeste entre Patch et l'Amiral
le Chevreuil, un aviso qui rentre d'Australie où il a été
muni des derniers perfectionnements techniques pour la lutte anti-sousmarine, aille protéger des convois de navires américains.
qui refuse
que
population sait cela, et fait grève ; des broussards marchent sur
D'Argenlieu demande la protection de Patch qui naturellement
refuse, ne voulant pas se mêler à des affaires intérieures françaises. De
Londres, de Gaulle, averti de tout cela, objure par plusieurs télégrammes
l'amiral "d'agir en bonne harmonie avec Patch". Les témoins locaux ne
La
Nouméa.
Société des
Études
Océaniennes
1296
peuvent moins faire que de
jurer "incroyable" la conduite de l'amiral.
D'Argenlieu, qui est allé faire un tour d'inspection à l'intérieur de l'île,
se fait incarcérer
par la population à La Foa. Là, l'amiral fait libérer les
calédoniens qu'il avait fait conduire comme prisonniers à Walpole. Cette
mesure détend la situation. Patch
pour compléter un retour au calme
s'excusera auprès de l'amiral de ces malentendus. Il n'en reste pas moins
que l'Amiral demeure un homme coupé de la population et sa mission
isolée et sans efficacité. Un de ses officiers supérieurs de son
état-major
travaille même ouvertement contre la population.
Le "moine-amiral" quittera définitivement le Pacifique en novembre
1942. L'auteur parle, en terminant, de son "frivole comportement"
"...frivolous conduct".
Patrick O'Reilly
Russia in Pacific Waters 1715-1825**A survey of the origins of Russia's
Naval Presence in the North and South Pacific.
Glynn BARRAT -
University of British Columbia Press, Vancouver and London 1981,
Cartes et illust., Notes, Biblio., Index, 300 p., 24 cm.
L'auteur
choisi la période 1715-1825 qui marque le début de la
présence de la marine impériale dans le Pacifique et le déclin des espoirs
d'hégémonie russe dans l'Océan Pacifique Nord et sur les régions côtières
a
Nord-Ouest du continent américain.
La marche
l'Est, commencée
vers
vers
1580 par une troupe de
cosaques partie de la région du Don se poursuivit au XVIIe siècle au
travers de la Sibérie non par décision de l'autorité
impériale mais grâce à
des
marchands, cosaques, aventuriers dont le but principal était la chasse
et le commerce
des fourrures.
C'est ainsi que des bandes incontrôlées atteignirent progressivement le
littoral Est de la Sibérie, le Kamchatka, les îles
Aléoutiennes, les îles
Kouriles, à la recherche des zibelines, loutres de
étaient acheminées
vers
la Russie
ou vers
mer...
la Chine par
dont les peaux
la Mongolie.
Ces chasseurs avaient, vis-à-vis des
Esquimaux, Aïnous)
une
populations locales, (Tchouktches,
conduite cruelle et barbare conduisant à
l'extermination des diverses races et à la révolte contre les autorités
locales qui finirent par s'installer petit à petit dans ces contrées
inhospitalières.
Ce n'est
qu'au début du XVIIe siècle que commença, grâce à Pierre
et le premier voyage (Bering) de la marine
impériale
russe dans l'extrême Nord de l'Océan
Pacifique. Au prix d'efforts et de
souffrances invraisemblables, diverses expéditions reconnurent les
rivages
du Kamchatka et des îles Kouriles, de la mer de
Bering et du détroit du
1er, l'installation
même nom, des îles Aléoutiennes et de la côte Sud de l'Alaska.
Société des
Études
Océaniennes
1297
Sous le
règne de Catherine II, Shelikov fonda en 1788, sur le modèle
Compagnies européennes d'Outre-Mer, la Compagnie du Nord qui
avait le monopole de la vente des fourrures et installa ses comptoirs dans
les îles Aléoutiennes et sur les rivages Nord-Ouest de l'Amérique. Cette
compagnie était autonome et indépendante vis-à-vis des autorités locales
et de la Marine Impériale (ce qui fut la source de nombreux
conflits
ultérieurs entre marchands, autorités diverses et marins).
des
Le XIXe siècle vit les grandes heures de la Marine Impériale Russe
dans le Pacifique, sous le commandement d'officiers d'origine allemande.
Presque tous ces officiers (Krusenstern, Lisianskii, Gagemeister,
Golovnin...) avaient fait des stages dans la Royal Navy (anglaise) et
participé aux combats navals contre la marine napoléonienne. L'auteur
du livre nous conte non seulement leurs voyages mais également leurs
relations, le plus souvent mauvaises, avec les représentants de la
"Compagnie du Nord" aux ordres desquels ils étaient parfois placés.
J'ai eu grand intérêt à reconstituer, grâce à l'index placé en fin de
volume, les caractères et les carrières de nombreux personnages tels que :
des marins comme Bering, Krusenstern, Kotzebue, Bellinghausen... des
agents de la "Compagnie du Nord" Shelikov, Baranov, Rezanov... d'un
émigré français, le Capitaine de Vaisseau Marquis de Traversay qui fut
ministre de la Marine Impériale Russe de 1811 à 1819.
Glynn Barrat, professeur de langue russe à l'université de Waikato
(Nouvelle-Zélande) a eu accès à de très nombreuses archives tant
européennes, y compris soviétiques, qu'américaines. Son ouvrage, très
documenté,
se
lit
comme un roman.
Pierre JOURDAIN
Fr. RAVAULT.
Papeari. L'organisation de l'espace dans
côte sud de Tahiti. Travaux
p.,
et
un
district de la
Documents de l'ORSTOM, Paris, 196
tableaux et cartes, Biblio.
Cet
important travail s'attache à analyser les conséquences géo¬
graphiques de l'action humaine qui, de génération en génération, "en
s'inscrivant à la surface du sol" façonne le paysage et structure l'espace.
L'originalité de Papeari est caractérisée par une situation géogra¬
phique privilégiée, une forte personnalité physique et humaine, une plaine
littorale parmi les plus belles de l'île, un réseau serré de quatre grandes
vallées, une population nombreuse, un riche passé historique, enfin un
paysage
qui reflète fidèlement les problèmes du monde rural
d'aujourd'hui.
Bien que les habitants tirent la majeure partie de leurs moyens
d'existence de ressources salariales urbaines, la société de Papeari est
demeurée rurale, et en outre, a su conserver une certaine qualité de la vie.
Société des
Études
Océaniennes
1298
3 grands chapitres divisent cette étude : le milieu naturel et les
hommes, l'occupation du sol et l'agriculture dans la vie rurale,
l'organisation de l'espace et ses problèmes.
Le statut foncier est étudié
avec
soin. Le statut des terres indivises et
de leurs
co-propriétaires relève d'une conception de la propriété fort
qui est contenue dans le code civil. Elle repose sur trois
grands principes :
l'appropriation collective des terres,
le caractère temporaire des droits
d'usage, qui peuvent être bien entendu, exercés individuellement,
différente de celle
—
—
—
l'inaliénabilité de la terre.
Si la population est mobile et la société pluri-culturelle en perpétuelle
mutation, les groupements de parenté à un certain niveau, se définissent
essentiellement par rapport au fenua : bien souvent une personne porte le
nom de son père, ce qui ne l'empêche pas d'appartenir à la famille de sa
mère si, grâce à elle, elle détient des droits fonciers dans le district. La
terre est donc un instrument sociologique qui confère en quelque sorte la
citoyenneté... mais à condition de pouvoir en jouir et d'en tirer des
ressources
suffisantes.
La cocoteraie est le principal obstacle à un aménagement rationnel de
l'espace. Il n'y aura pas de relance durable de l'économie agricole au
profit de la masse des agriculteurs polynésiens, sans un réaménagement
de l'espace rural reposant sur la nécessaire reconversion de la cocoteraie.
Celle-ci ne se fera pas du jour au lendemain certes, et il faudra imaginer
des solutions de transition.
On souhaiterait
pouvoir disposer pour chaque commune d'une telle
renseignements sur le relief, les climats, la végétation, la
population, et ses mouvements migratoires, tous les aspects de l'activité
agricole...
masse
de
16 planches, de nombreux tableaux passent littéralement Papeari au
peigne fin et témoignent s'il en était besoin du sérieux et du grand intérêt
de cette étude.
P.M.
Société des
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 222