B98735210105_221.pdf
- Texte
-
BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCEKNIENNES
N° 221
TOME XVIII
—
N° 10/Décembre 1982
Société des
Études
Océaniennes
Société des Études Océaniennes
Fondée
Rue
Lagarde
-
en
1917.
Papeete, Tahiti.
Polynésie Française.
B.P. 110
-
Tél. 2 00 64.
Banque Indosuez 21-120-22 T
—
C.C.P. 34-85 PAPEETE
CONSEIL D'ADMINISTRATION
M. Paul MOORTGAT
Président
Me Eric LEQUERRE
Mlle Jeanine LAGUESSE
Vice-Président
M.
Trésorier
Secrétaire
Raymond PIETRI
assesseurs
M. Yvonnic ALLAIN
t Me Rudi BAMBRIDGE
Mme Flora DEVATINE
M. Roland SUE
MEMBRES D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
R.P. O'REILLY
M. Yves MALARDE
t M. Raoul TEISSIER
Société des
Études
Océaniennes
.
.
Société des
Études
Océaniennes
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DES ÉTUDES OCÉANIENNES
(Polynésie Orientale)
TOME XVIII
—
n° 221
N° 10 / Décembre 1982
SOMMAIRE
-
P. Y. TOULLELAN
français
Polynésie Orientale 1830-1914
Colons
en
-
1165
NÉCROLOGIE
Raoul Teissier
1244
Margaret Titcomb
1245
Société des
Études
Océaniennes
COLONS
EN
FRANÇAIS
POLYNÉSIE ORIENTALE
1830
-
1914
ANALYSE
p.
1165
p.
1166
L'occupation militaire
p.
1172
Les colons militaires
p.
1174
p.
1177
L'immigration officielle
p.
1183
Répartition de la population française dans les EFO
p.
1193
française
d'après quelques témoignages
p.
1195
Origines sociales des colons
p.
1198
Que font-ils ?
p. 1202
Misère, maladie, dénuement
p.
Mariage
p. 1232
L'ouverture du
La
Les
Pacifique
première communauté française
principaux courants d'immigration
Tableau de la communauté
1243
CONCLUSION
Bibliographie
p. 1243
Société des
Études
Océaniennes
,
Société des Etudes Océaniennes
1165
L'OUVERTURE DU
PACIFIQUE
L'installation d'une colonie de
Français,
car on ne
saurait
parler de peuplement, dans les Établissements Français d'Océanie
(E.F.O.) est extrêmement difficile à délimiter dans le temps. La
mise en place d'un Protectorat français à Tahiti en 1842, qui suit la
prise de possession de l'archipel des Marquises, n'implique en
aucun cas l'établissement de colons français en cette partie du
monde. L'installation d'une communauté européenne était-elle, du
reste, possible, en cette première moitié du XIXème siècle ?
L'exiguïté des îles ne permet guère une comparaison... avec le
continent australien. L'origine du peuplement blanc en Australie
est cependant à retenir : l'envoi des "convicts" anglais à l'autre bout
du monde est une idée qui a séduit le gouvernement français. Les
Marquises sont, pendant de longues années, considérées comme
le lieu adéquat pour l'ouverture d'un pénitencier. En fait cet
archipel ne reçut jamais que trois exilés politiques (Langomazino,
Gent, Ode) arrêtés en France en 1850. Seul le premier s'installa
avec sa famille en Océanie, y jouant d'ailleurs un rôle politique et
social non négligeable.
La
Grande Terre de Nouvelle-Calédonie recevant les
"indésirables" à la place des Marquises, ce n'est donc pas par
l'envoi de prisonniers que se fit le peuplement des E.F.O., comme
ce devait être le cas à l'origine.
On ne peut pas non plus retenir comme modèle le mode de
peuplement néo-zélandais, très proche au demeurant de celui des
Antilles françaises. Aucune société de colonisation ne se mit en
place à Tahiti pour envoyer colons et matériel, acheter des terres,
construire des villes, comme le fit la compagnie de Wakefield. Les
colons français, envoyés en Nouvelle-Zélande par le roi LouisPhilippe, restèrent à Akaroa, dont ils firent un centre actif, sous
domination anglaise. Ces 65 familles ne furent pas attirées par la
nouvelle possession française : les Marquises.
Tahiti n'eut pas son "Mayflower" : il n'y eut pas l'envoi
organisé de colons français dans les E.F.O.
Société des
Études
Océaniennes
1166
Enfin il convient de
connut
pas
de ruées
rappeler, un peu naïvement, que Tahiti ne
l'or comme l'Australie, la Nouvelle-
vers
Zélande, la côte ouest des États-Unis au milieu du XIXème siècle.
Ces vagues migratoires eurent cependant, comme nous le verrons,
une double conséquence sur l'établissement des
colons européens à
Tahiti.
Ainsi, alors que les principales terres du Pacifique, et la côte
du continent nord-américain, s'ouvraient au peuplement
européen, les archipels polynésiens restaient à peu près vides de
ouest
Blancs.
Il est bien évident que
la superficie extrêmement réduite de ces
pouvait attirer de nombreux Européens. Seules les
Sandwiches (Hawaii) y réussirent : la proximité du marché nordaméricain y fut pour beaucoup.
Le rôle économique dévolu aux archipels du Pacifique
explique en partie ce faible peuplement. Il s'agissait de pourvoir au
ravitaillement des centaines de baleiniers qui sillonnaient l'océan
et, pour Tahiti surtout, d'alimenter en porcs salés les Nouvelles
Galles-du-Sud. Les relations ainsi établies entre Européens et
Indigènes furent constantes et profondes. Mais ce système de troc
ne nécessitait en rien l'installation à
plein temps d'Européens.
Alors que le Pacifique s'ouvre de plus en plus, que les terres
qui le bordent sont largement explorées et mises en valeur par des
anglo-saxons entreprenants, les archipels ne demeurent que des
escales... ou des refuges ! Il ne fait aucun doute que les
premiers
archipels
ne
résidents blancs dans les îles furent des déserteurs de baleiniers, des
"convicts" évadés des bagnes australiens, des naufragés aussi, qui
tentaient avant tout de se faire oublier.
On comprend dès lors l'importance que
revêt pour Tahiti
l'année 1797 qui voit l'arrivée de 18 "missionnaires"
anglais. Outre
l'introduction du christianisme, ces pasteurs apportent quelques
notions d'économie moderne et créent les
Quelques techniciens, appelés
par eux,
fabrication locale de cotonnades et de
LA
premières plantations.
viennent même tenter la
sucre.
PREMIÈRE COMMUNAUTÉ FRANÇAISE
Les Français demeurèrent absents de longues années. Il faut,
semble-t-il, attendre les années 1820-1830 pour voir les premiers
d'entre eux venir s'établir, sinon de façon définitive, du moins
pendant un laps de temps suffisant pour marquer durablement le
pays de leur passage.
Société des
Études
Océaniennes
1167
Presque tous proviennent, à des titres divers, il est vrai, des
établir que ce n'est qu'à partir de
navires baleiniers. Or L. Jore a pu
1817 que les baleiniers français
commencèrent à fréquenter le
Pacifique Sud. Leur nombre ne fut jamais très important : pas plus
d'une vingtaine dans les années 1810-1820 (1).
Très vite les équipages de ces navires jouirent d'une bien
mauvaise réputation. Les capitaines eux-mêmes, n'étaient pas les
moins critiqués : le commandant Laplace, dans son voyage de
circumnavigation note à leur sujet : "Partout où j'ai relâché... les
faits les plus odieux m'ont été signalés par les autorités locales
comme l'œuvre de ces capitaines de nouvelle espèce, lesquels, une
fois éloignés de France et hors de portée de nos lois criminelles, se
livrent sans frein, pour la plupart, à leurs mauvais
penchants..." (1). Il est évident que les équipages sont également
des "gens sans aveu", plus à la recherche d'une sorte d'impunité,
qu'attirés par un métier aventureux. Mais il est vrai que l'existence
du marin est pénible, d'autant que les équipages sont le plus
souvent exploités : la vie à bord est très dure, la nourriture
insuffisante et les campagnes leur rapportent bien peu.
Pour le commandant Lavaud, futur gouverneur de Tahiti, il
faut y voir les motivations qui poussent les matelots à tant déserter.
L'Australie, mais aussi toutes les terres océaniennes se trans¬
forment en refuges pour ces matelots. Ce taux de désertion
entraîna un relâchement dans la qualité du recrutement des
remplaçants, aggravant encore la mauvaise réputation de ces
équipages. Notons enfin qu'il n'y a là rien de spécifiquement
français : les navires anglais et américains, bien plus nombreux, se
heurtent
aux
mêmes difficultés.
donc conclure que la majorité des premiers
français à venir s'établir à Tahiti furent, comme l'a indiqué ReyLescure, "des gens sans foi ni loi, des aventuriers, des baleiniers de
mœurs rudes, las de leurs périples à travers les océans et qui ne
trouvaient pas d'autorité assez forte pour réprimer leurs
instincts" (2). Ajoutons qu'ils se mêlèrent aux guerres locales, les
aggravant dangereusement, ce qui fit que tous les navires furent
tentés d'éviter cette région.
Il nous est difficile de déterminer avec précision le nombre et
le lieu de résidence de ces premiers français. Au gré des relations de
Nous pouvons
(1) Léonce Jore, "L'Océan Pacifique au temps de la Restauration et de la Monarchie de
p. 111-121, Paris, 1959.
Juillet", 1815-1848,
(1) Cité in Jore, Op. Cit.,
p.
117.
(2) Rey-Lescure, "Les premiers Européens à
Société des
Études
Tahiti", BSEO, n° 105,
Océaniennes
p.
162, 1953.
1168
il nous est cependant possible de retrouver les traces de
plusieurs d'entre eux.
L'un des tout premiers semble être Jean-Baptiste Cabri, dont
le navigateur russe Krusenstern nous donne la description
suivante : "Cet homme était originaire de Bordeaux... il avait perdu
tellement les manières et les façons de la vie civilisée qu'on pouvait
à peine remarquer de différence entre lui et les indigènes en ce qui
concerne les façons d'être et le mode de vie". Krusenstern
ajoute :
"Son corps entier était tatoué, sans excepter sa figure... il avait
épousé la fille d'un petit chef de l'île". Emmené par Krusenstern en
Russie, où il fut maître-nageur, il finit par regagner la France, où il
vécut misérablement en exhibant ses tatouages (1).
Il se serait installé aux Marquises avant 1804, son séjour serait
donc antérieur à celui de Joseph Lefèvre, dit "Jo le Tatoué". Celuici déserte en 1832 son baleinier anglais et se fixe aux Marquises :
tout d'abord à Vaitahu, puis Hiva-Oa et enfin Nuku-Hiva. Pour
préserver sa vie bien menacée par les Indigènes, il adopte
complètement les mœurs des Marquises, au point même de se
tatouer tout le corps, d'où son surnom. Il parvient à gagner Tahiti
où ses excès lui assurent bien vite une grande renommée.
Autre baleinier, Joseph Brémond. Engagé comme charpen¬
tier, il fait naufrage près du Chili. Il vient se fixer à Tahiti où il est
tour à tour charpentier, propriétaire, restaurateur et, bien sûr,
vendeur de liqueurs fortes. Ses démêlés sentimentaux avec une
jeune fille du pays (la loi interdit les mariages inter-raciaux) le
voyage,
rendent vite célèbre dans toute l'île. Il laisse une nombreuse
descendance.
Ces renseignements nous sont donnés par la reine Pomare
elle-même, qui, dans
une
lettre adressée
au
roi Louis-Philippe,
décrit les colons français installés dans son royaume. Elle tient tout
d'abord à préciser, "in the first place, the only Frenchmen who
resided upon my islands, before the year 1842, were nine, and nine
only" (1).
Il s'agit essentiellement de marins dont le plus ancien est arrivé
en 1828. Peu d'entre eux trouvent
grâce devant la reine. Ainsi le
nommé Victor "was a man of bad conduct, he sold spirits and kept
bad house". Certains, il est vrai, sont plus recommandables : Louis
et Williams, débarqués en 1830 et 1838, sont fort bien acceptés par
la population locale. Ainsi Williams "is a mild man and is beloved,
by my people" (1).
(1) Jore, Op. Cit.,
(1) "Letter from
p.
93.
queen
Pomare to Louis-Philippe", Pacific Research, 996-21,
Université d'Honolulu, 1844.
Société des Etudes Océaniennes
p.
771,
1169
Français résidant à Tahiti, présentée à l'amiral
Dupetit-Thouars, le 10 septembre 1842, est signée par 19 per¬
sonnes, dont au moins trois capitaines au long-cours, qui ne sont
même pas présents le jour de la signature. Tout au moins peut-on
affirmer qu'une vingtaine de nos compatriotes fréquentent Tahiti
et ses archipels, juste au moment de leur annexion (2).
Ces quelques Français, qui vivent de la vente de l'alcool et de
la spéculation sur les terrains plutôt que de leur mise en valeur,
"épousent à la fois les mœurs et les filles du pays". La plupart sont
décrits complètement "encanaqués", pour reprendre une expres¬
sion de l'époque.
Mais il faut aussi compter avec un petit groupe de négociants
de valeur, symbolisé par le Belge Moerenhout, français de cœur.
Venus soit par le Chili (Mauruc), soit par la Nouvelle-Zélande
(comme Bernard, Rouge, Lucas), ces capitaines de petites goélettes
Une lettre de
se lancent dans le commerce de la nacre et de l'huile de coco. C'est
ainsi que l'on trouve le capitaine Bureau, commandant de
"l'Aimable Joséphine", dans les Gambier, pendant les années
1832-34, à la recherche surtout des perles (1).
Le trafic de l'eau de vie était courant chez ces marins. Les
bénéfices assez remarquables qu'ils acquéraient par tous ces
échanges les conduisaient parfois à investir une partie de leurs
économies dans l'achat de quelques plantations. Peut-on ce¬
pendant voir en eux d'authentiques colons ?
Il est évident que la plupart de ces hommes nous sont
inconnus. C'est pourquoi le travail réalisé par P. Th. de Decker
paraît très important. Il s'agit de la biographie du plus célèbre
francophones fréquentant la Polynésie à cette époque,
Jacques-Antoine Moerenhout. A travers lui, nous pouvons essayer
de mesurer quelle fut l'intégration véritable de ces marinsnégociants à la société tahitienne (2).
Né à Ekeren (Belgique), le 20 Ventôse an V, Jacques-Antoine
Moerenhout fils d'un modeste boulanger, va connaître une vie bien
nous
des "colons"
aventureuse.
Après quelques études de dessin et d'architecture, il entre, dès
au Corps Impérial du Génie. Enrôlé volontaire à 15 ans au
6ème bataillon de Sapeurs, il fait les campagnes d'Allemagne et de
1812,
(2) "Les habitants français de Tahiti à Mr. l'Amiral Dupetit-Thouars, 16 sept 1842",
A
11, C 1, Fds. Oc.
(1) Jore, Op. Cit.,
p.
294.
(2) P. Th. de Decker, "Jacques-Antoine Moerenhout, 1797-1879, ethnologue et consul",
thèse en 2 volumes : "1797-1836", p. 164, "1836-1879", P. 170, oct 1981, Université libre de
Bruxelles.
Société des
Études
Océaniennes
1170
France. C'est à Brienne, gravement
blessé, qu'il abandonne les
napoléoniennes.
Rejoignant Anvers, le jeune démobilisé se rend vite compte
qu'il n'a guère sa place dans la Belgique post-napoléonienne.
Magasinier, commis, employé de commerce, il parvient à devenir
secrétaire d'un négociant envoyé à Valparaiso comme représentant
de la "Société de commerce des Pays-Bas".
Il quitte la Belgique le 19 octobre 1825 et arrive à Valparaiso
après 110 jours de mer mais cette implantation commerciale des
Hollandais en Amérique du Sud tourne court.
Associé désormais avec son ancien patron, Moerenhout se
tourne vers l'Océanie, dans l'espoir d'écouler les marchandises
jusque là invendues, en échange de bois exotique, de nacre perlière
armées
d'arrow-root.
En novembre 1828, il quitte Valparaiso et atteint Tahiti le
15 mars 1829 : il y reste 13 mois. Il visite alors les Tuamotu, les
Tubuai. Ces contrées sont sauvages et le négociant manque de
et
perdre la vie à l'île de la Chaîne (Anaa). Par contre Tahiti le déçoit :
les missionnaires ont parfaitement "civilisé" l'île, qui a perdu
beaucoup des anciennes coutumes qui avaient fait sa renommée.
Néanmoins, cette situation permet de commercer facilement.
Moerenhout affronte les déboires
qui surviennent
aux
commerçants de cette époque : son navire s'échoue aux Fidji, son
équipage est fait prisonnier des Indigènes. C'est à cette occasion
qu'il rencontre le capitaine Mauruc, commandant le "Courrier de
Bordeaux", et qui se livre aux mêmes activités que lui.
Il rentre pour trois mois au Chili, le temps de vendre (très
bien) sa nacre à 20 000 frs le tonneau, et son bois exotique. Par
contre, "l'arrow-root" ne trouve pas preneur.
De retour à Tahiti, il se lie avec le chef Tati. Il lance avec lui
plantations de coton, qui sont un échec. Par contre, il imprime
un mouvement commercial dynamique
à Tahiti en recrutant
charpentiers, tonneliers et matelots parmi les déserteurs. Ceux-ci
des
investissent en alcool les salaires versés et ouvrent ainsi des débits
de boisson dans toute l'île.
Le 19 avril 1831, une nouvelle goélette construite aux Tubuai
quitte Tahiti
belle cargaison et... disparaît
biens.
goélette, "la
Pomare", dont l'équipage indigène se mutine aux Tuamotu, aidé
par les habitants d'un atoll. Elle ne sera rendue que dans un triste
état, inutilisable.
Pourtant il parvient à envoyer de nouvelles cargaisons, se met
à son propre compte et en profite pour se marier. Il est nommé
avec une
Moerenhout investit
ses
bénéfices dans
Société des
Études
une
Océaniennes
corps et
autre
1171
consul des
États-Unis, fait
de la bonne santé de
ses
un voyage en
affaires.
Europe, autant de signes
charge de consul de France à partir de 1838, l'oblige à
ses affaires commerciales. Il est mêlé à la politique locale
de trop près, et c'est à cela qu'il doit sans doute la tentative
d'assassinat dont il est victime. Sa femme y laisse la vie.
De toute cette vie tumultueuse, quelle conclusion tirer ? Dans
une note au ministre émanant du bureau d'Amérique, datée de
1845, voici comment est présenté l'agent consulaire de Tahiti :
"Depuis 1838, il n'a cessé d'être à la fois le concurrent commercial
et l'ardent antagoniste politique des missionnaires anglais et de
leurs partisans... Sa situation personnelle est très précaire, et sa vie
a été malheureuse ; privé de sa femme par un assassinat, ruiné dans
ses spéculations, il a de plus des dettes considérables. Le traitement
de 10 000 frs qu'il recevait du ministère de la marine a cessé de lui
être attribué depuis le 1er janvier 1845" (1).
Pour des raisons de haute politique, Moerenhout doit quitter
Tahiti et accepter un modeste poste d'agent consulaire en
Californie, en 1846. C'est là qu'il meurt, 33 ans plus tard, après
Sa
négliger
avoir assisté à la ruée
non
vers
l'or.
Des hommes tels que Moerenhout furent exceptionnels.
seulement celui-ci assuma des fonctions consulaires, mais
Car
il
se
pour l'histoire, la flore, et la faune des îles
océaniennes. Son gros livre, "Voyage aux îles du Grand Océan",
demeure une source excellente pour tous les historiens.
passionna également
Mais
celle de
sur
ses
le
plan financier,
concurrents.
son expérience se rapproche plus de
Elle est faite de hauts et de bas aussi
rapides qu'imprévisibles. Il est, bien sûr, solidement implanté en
Polynésie, mais ne rompt pas les ponts avec l'Amérique du Sud (où
il va chercher sa femme) et l'Europe, où il fait plusieurs voyages.
Nous ne sommes pas vraiment en présence d'un colon. D'ailleurs il
ne fait pas souche à Tahiti (N.B.).
Telle nous apparaît cette première communauté française,
extrêmement réduite (une vingtaine de membres en 1842-1844),
constituée de personnages hauts en couleur, vivant ou comme les
Indigènes, ou "sur" les Indigènes. Concentrés dans le district de
Pare, le futur Papeete, ils ne quittent Tahiti que pour leurs affaires
qui les mènent principalement dans les Tuamotu-Gambier.
(1) "Jacques Moerenhout, agent consulaire à Tahiti", note au ministre émanant du
d'Amérique et des Indes, arch. min. aff. étrangères, in P. Th. de Decker, Op. Cit.,
bureau
mai 1845.
que Moerenhout laisse un fils naturel qu'il reconnaît et à qui il
biens assez considérables, puisque ce fils mène une existence de rentier, grâce
9 maisons d'habitation et aux terrains dont il a hérité. Il fut conseiller municipal.
(N.B.) Notons cependant
laisse tous
aux
ses
Société des
Études
Océaniennes
1172
On peut d'ailleurs se demander s'il existe une véritable
communauté. En fait ces hommes sont dispersés et totalement
submergés par de nombreux anglo-saxons. Ceux-ci bénéficient du
passage de multiples baleiniers (150 baleiniers américains à Tahiti
entre 1848 et 1850 !), et même de navires de commerce.
En outre l'affaire des missionnaires catholiques français, qui
tentent de débarquer en 1836, va faire naître un sentiment anti¬
français assez marqué et cultivé par les anglais. Les autorités
tahitiennes auront désormais quelque peu tendance à considérer
tout Français comme un missionnaire déguisé.
Mais absente sur le plan économique dans cette partie du
monde, la France y assure une présence militaire non négligeable.
Six navires de guerre passent à Tahiti entre 1838 et 1842.
L'OCCUPATION MILITAIRE
L'installation du Protectorat
français
va
bouleverser tous les
rapports de force.
Ce ne fut certes pas pour protéger ses concitoyens que la
France intervint : leur nombre était dérisoire, et tout laisse à penser
que ceux-ci ne tenaient guère à ce que l'on se préoccupât de trop
près de leur sort. En fait s'il existe une présence française
susceptible d'intéresser les officiers de Marine et le gouvernement,
c'est
plutôt celle des missionnaires catholiques installés aux
depuis 1834.
A cette époque cependant, c'est, comme nous l'avons
mentionné, l'installation d'un établissement de déportation qui
conditionne l'envoi d'une flotte assez importante de sept navires,
commandée par le contre-amiral Dupetit-Thouars. Les équipages
se montent à environ 1800 hommes. Le
corps expéditionnaire luimême comprend : une compagnie d'équipage de lign^, deux
compagnies d'infanterie de marine, un détachement d'artillerie,
soit environ 400 soldats (1).
L'engagement du bouillant contre-amiral dans les affaires
tahitiennes obligea le gouvernement à reconnaître le Protectorat.
Le Commissaire du roi auprès de la reine des Iles de la Société, le
capitaine de vaisseau Bruat, arriva à Tahiti en 1843. Des forces
nouvelles avaient été mises à sa disposition : une compagnie de
Gambier
(1) Voir à
P.
n°
ce sujet : "L'expédition de Tahiti - Extraits de la Correspondance de
BOUTET, 1843-1847', par L. BASTIDE, in "Revue d'Histoire des Colonies", 21ème,
3, mai-juin 1933.
Société des
Études
Océaniennes
1173
voltigeurs, des détachements de soldats d'infanterie, et des ouvriers
spécialisés : 63 débarquèrent de "L'Uranie" et 13 du "Albert et
Clémence", accompagnés de 5 femmes et de 3 enfants. Avec les
quelques femmes d'officiers, dont Mme Bruat, ce furent les
premières françaises à débarquer à Tahiti.
La guerre qui éclate entre Tahitiens et Français entraîne un
renforcement des troupes : en novembre 1843, il débarquait
600 soldats. Ce chiffre est porté à 800, en avril 1846. En 1847, une
centaine de soldats basés à Tahuata (Marquises) viennent encore
renforcer la garnison. La guerre se termine, certes, mais la
prudence commande de laisser des effectifs importants.
Bien qu'aucune enquête approfondie sur cette époque n'ait été
menée, tout laisse à penser que cette garnison, très nombreuse,
demeura jusque dans les années 50 (1) : la création de la colonie de
Nouvelle-Calédonie entraîna la réduction sensible des forces
armées.
Mais à cette époque, Bruat et ses successeurs avaient vu
arriver le personnel administratif qu'ils réclamaient depuis
l'instauration du Protectorat.
La société blanche de Tahiti offre un tout autre aspect à la fin
de la guerre. Les français sont devenus la force numérique
prédominante.
moment où la société tahitienne sort profondément
la guerre, ce qui se traduit par une accélération de la
démographique, enregistrée déjà depuis le XVIIIème
siècle, la France envoie un nombre très important de soldats et de
marins (troupes d'occupation et fonctionnaires).
Ainsi,
au
ébranlée par
décroissance
Mais pour qu'il y eût réellement colonisation, au sens où on
l'entendait au XIXème siècle, il devait y avoir non seulement
domination politique, mais aussi peuplement et mise en valeur du
territoire nouvellement acquis.
La notion de colonisation est étroitement liée à celle d'un
migratoire d'individus quittant, définitivement, la
Métropole, pour mettre en place une occupation du sol, suivie d'un
développement économique. Or pour le moment il ne s'agit que
d'une migration temporaire, faite dans le cadre d'opérations
militaires. Rien donc qui puisse s'apparenter avec une authentique
mouvement
colonisation.
Toute l'action des gouverneurs va
tendre
vers ce
seul but
:
(1) L'enseigne de Vaisseau GRIVEZ estime en 1849 à 1600 hommes, le chiffre de la
garnison à Tahiti. Cinq bâtiments de guerre sont présents : "La Syrène", "L'Ariane", "La
Fortune", "La Loire", "La Grassadi".
"Notice sur Taïti, avantage d'un prompt abandon", Fds. Oc., D 6 C 12, 1849.
Société des
Études
Océaaiennes
1174
retenir
place l'élément français, issu de l'armée ou de la marine,
puis tenter de créer un courant d'immigration à partir de la
Métropole ou des communautés françaises environnantes.
sur
LES COLONS MILITAIRES
Le gouverneur
Bruat tente dès 1845 de mettre sur pied un
projet de colonisation agricole. Pour ce faire, il autorise la
démobilisation de jeunes soldats sur le territoire.
Nous étudierons d'ailleurs les conséquences économiques de
cette tentative. Mais en ce qui concerne l'établissement de
Français, dans la colonie, il faut noter la possibilité offerte à de
jeunes gens, en poste à Tahiti depuis plusieurs années, et de ce fait,
connaissant la langue et le pays, et issus, pour l'immense majorité,
de milieux très modestes, de se rendre acquéreurs de terres à bon
vaste
compte.
La guerre
retarde l'expérience. Mais 1846 voit s'installer les
premiers volontaires. Deux d'entre eux s'installent aux
Marquises, qu'ils abandonnent très rapidement, l'un pour la
France, l'autre pour Tahiti. Sur les six concessionnaires de Tahiti,
trois meurent les années suivantes (1846, 1847, 1852) et un autre
disparaît après avoir épousé une Pomotu. Deux abandonnent la
terre, l'un pour exercer son métier (horloger), l'autre pour rentrer
dans l'administration. Le dernier s'installe à Moorea, où il parvient
à vivoter jusqu'en 1889, date à laquelle l'inondation qui ravage l'île
a raison de sa plantation. L'échec
est total.
Avec la cessation des hostilités, en 1847, l'expérience va
pouvoir reprendre sur une plus vaste échelle. La démobilisation
touche cette fois 95 soldats et marins, prêts à tenter leur chance sur
place (1). Si l'on compare ce chiffre à celui de la population
blanche de Tahiti à cette époque (515 personnes environ), on est
frappé de l'ampleur du projet.
Qu'advint-il des colons militaires de 1847 ? Ils furent une
centaine à recevoir un lopin de terre. A l'exception d'une dizaine
qui tentèrent l'aventure aux Marquises, ils s'installèrent à Tahiti.
Pendant un an, sur quelques hectares, ils essayèrent, en conjuguant
cultures vivrières et produits d'exportation, de tirer leur épingle du
jeu. Mais Ribourt notait en 1850 que "presque toujours étrangers à
la culture de la terre, impatients de faire fortune, ils n'ont pas tardé
pour la plupart, à abandonner leurs champs à demi défrichés pour
neuf
(1) Ordres du
gouverneur
Bruat du 1er avril 1847, 2 avril 1847, 5 avril 1847, 16 mai 1847,
B.O. des E.F.O.
Société des
Études
Océaniennes
1175
venir demander
de
Papeete des bénéfices plus
importants". Beaucoup, dès la première année reculèrent devant le
travail à accomplir" (2).
Mais si ces échecs laissent mal augurer de la mise en valeur des
E.F.O. tout au moins, la colonisation française de ces territoires
est-elle assez bien engagée. C'est malheureusement compter sans
les graves événements qui se déroulent sur la côte ouest des ÉtatsUnis d'Amérique.
Il nous semble nécessaire de retracer rapidement les faits
survenus en Californie, tant ils ont de conséquences fondamentales
pour l'avenir de la colonie.
Dans les années 40, la province mexicaine de Californie ne fait
guère parler d'elle. Ses seules ressources sont agricoles. Monterey
demeure la ville la plus importante, avec ses quelques centaines
au
commerce
d'habitants.
Cependant les premiers immigrants arrivent. Le Texas,
l'Oregon, sont devenus possession des U.S.A., qui ne cachent pas
leur volonté d'expansion. La Californie est visée : en 1846, une
révolte des colons, suivie de la proclamation d'une république de
Californie entraîne l'intervention de la Marine américaine.
San Francisco est aux mains des nord-américains. Le traité de
Guadalupe Hidalgo
marque l'abandon par le Mexique au profit
États-Unis de la Californie et du Nouveau-Mexique (dans ses
limites mexicaines).
des
C'est la même année, en 1848, que
l'extraordinaire nouvelle se
répand : la découverte de l'or. C'est la ruée, bien connue, de milliers
de colons vers la fortune. Rappelons simplement que les Français
sont certainement parmi les mieux représentés : de 25 000 à
30 000 personnes. Ils constituent le deuxième groupe avec les
allemands, derrière les 215 000 anglo-saxons. En fait, l'avenir de la
colonisation française de Tahiti se trouve dans ces chiffres. Mais
pour l'instant, la nouvelle de la ruée vers l'or a des conséquences
catastrophiques. Le capitaine Ribourt peut écrire : "Une
circonstance imprévue est venue reculer indéfinitivement le
développement de l'île. Les produits vrais ou exagérés de la mine
d'or découverte en Californie, ont séduit le plus grand nombre des
Européens établis à Tahiti, impatients de faire fortune : une
émigration considérable a commencé depuis plusieurs mois et
menace de dépeupler Tahiti, comme elle a dépeuplé les Sandwich
et plusieurs contrées du littoral d'Amérique" (1).
(2) "État de l'île de Taïti pendant les années 1847, 1848", capitaine P.F. Ribourt,
Paris, 1851.
(1) Ribourt,
"État de l'île Taïti, pendant les années 1847
Société des
Études
et 1848", p. 19.
Océaniennes
p.
21,
1176
Si l'on
reprend les Bulletins Officiels de Tahiti, on peut en effet
longues listes de départ. C'est en décembre 1848 que les
11 premières personnes quittent Tahiti pour San Francisco. Mais
en janvier 1849, il y a 40 départs et 46 en février. En ce qui concerne
les Français, on note les chiffres suivants (2) :
noter les
décembre 1848
janvier 1849
:
:
9
avril 49
mai 49
17
février 1849 : 8
mars 1849 :
1
novembre 48
1
:
:
décembre 48
1
avril 50
mai 50
juin 49 : 19
sept. 49 : 9
:
:
:
:
14
1
14
4
Il est certain que les premiers à partir furent les colons
militaires. Ils n'avaient rien à perdre : beaucoup d'entre eux, dès
époque, avaient abandonné leurs champs à demi défrichés
ouvrir un commerce ou un débit à Papeete, et en vivotaient
cette
pour
difficilement.
Sur la centaine de volontaires de l'année 1847, seuls 25
semblent être demeurés dans la colonie. 11 d'entre eux aban¬
donnèrent
l'expérience, avant 1860,
on
les retrouve
comme
fonctionnaires (soit 4), ou artisans et débitants (soit 5).
De jeunes démobilisés tentent à nouveau l'expérience mais
l'attrait de la Californie, la baisse sensible de la garnison, limitent le
nombre des volontaires (17 seulement pour les années 60).
L'échec de la mise
valeur est patent.
Mais entre 1846 et
dénombré 52 colons militaires installés de façon
définitive dans la colonie. La moitié environ cultiva le sol, les
1870,
autres
en
nous avons
s'agglutinèrent à Papeete.
Ainsi que le signale le Dr Hercouet, il s'agissait de "soldats
jeunes, disciplinés, sans habitude d'ivrognerie, n'ayant pas déjà
passé par des colonies insalubres et qui n'ont présenté qu'un petit
nombre de maladies graves". Et de conclure : "il est difficile de
trouver un lieu de garnison plus salubre" (1).
Il est à noter qu'il s'agit de célibataires. Si 7 d'entre eux
épousèrent des Françaises, 22 restèrent célibataires (ce qui n'exclut
pas un concubinage épisodique, comme nous le verrons). Mais
19 épousèrent des filles de Tahiti, et 4 des femmes originaires des
îles voisines. La descendance de ces premiers ménages francotahitiens constitua le noyau essentiel de l'élément français dans les
E.F.O. Beaucoup de familles actuelles en sont issues.
(2) Bulletin Officiel de Tahiti
pour les années 1848, 1849, 1850.
(1) Dr. Ch. Th. Hercouet, "Étude sur Tahiti", in "Bulletin de la Société de Géographie de
Rochefort", n° 6, p. 108, année 1880.
Société des
Études .Océaniennes
1177
Soulignons enfin
classe
assez
que sur
le plan social, ils constituèrent une
modeste. Peu d'entre
eux
réussirent à faire fortune.
uns tirèrent cependant fort bien leur épingle du jeu.
Citons le cas du soldat Lehartel-arrivé à Papeete en 1843, comme
Quelques
apprenti à bord de l'Uranie, et qui participa à tous les combats
franco-tahitiens. Libéré en 1847, il sut, à partir de son lopin de
terre, et grâce à des occupations variées (la boulangerie et le
négoce), devenir le principal propriétaire de toute la côte ouest de
Tahiti. Le soldat Pater, après de lointaines pérégrinations, fit
fortune comme usinier (canne à sucre). Il s'agit cependant
d'exceptions.
Cet épisode fut déterminant pour l'implantation des Français
dans les îles océaniennes. Il fut l'unique cas d'établissement en
masse d'une catégorie socio-professionnelle.
L'élément militaire constitue largement plus du tiers des
colons français, dans la seconde partie du XIXème siècle. Il ne doit
cependant pas masquer la venue régulière d'autres types d'im¬
migrants.
LES PRINCIPAUX COURANTS D'IMMIGRATION
A
partir des années 60, on peut dire que l'élément "blanc"
d'Europe ou d'Amérique, vient se fixer en nombre croissant aux
Iles-du-Vent. Mais contrairement à ce qui se passait avant
l'instauration du Protectorat, les Français sont devenus le groupe
étranger dominant à Tahiti et Moorea, ainsi que le démontre le
tableau suivant
:
Population "blanche" établie
1848
Français
-
1861
-
aux
Iles-du-Vent (1848-1884)
1865
1873
1875
1878
1881
1884
313
564
582
846
974
991
347
417
458
531
591
615
660
981
1040
1377
1565
1606
Européens
&
Américains
TOTAL
-
515
-
631
(1)
(1) Sources : "Recensements Officiels" parus dans "l'Annuaire de Tahiti", les revues
population, de cultures, de commerces et de navigation" pour les années 1883,
1884, 1885, 1886 et 1890, (p. 673, Fds. Oc.), "Notices statistiques sur les colonies françaises"
pour les années 1880 à 1883 (p. 683, Fds. Oc.), les "Séries statistiques" des Archives de
Papeete (L 74 et suivantes), particulièrement riches.
"Tableau de
Société des
Études
Océaniennes
1178
La valeur de
ce
tableau est notablement amoindrie du fait que
comptabilisés comme Français, tous les habitants de l'île
ayant la nationalité française. Les épouses tahitiennes et les enfants
issus de ces mariages ont été, à partir des années 60, considérés
comme Français. Pendant cette époque, il n'est
pas non plus
évident que les fonctionnaires, et surtout les garnisons militaires,
n'aient pas été pris en considération dans ces statistiques.
sont
L'annexion effectuée
citoyens français,
va
On obtient alors
ces
en
1880, faisant de tous les Tahitiens des
ses données.
obliger l'administration à affiner
résultats
:
Population "blanche" des E.F.O. (1885-1902)
Français nés
en
Métropole
Européens
ou
1885
1887
1889
1890
1902
289
319
410
446
477
345
403
410
804(a)
-
Américains
(1)
(a)
y
compris les Indigènes nés dans les colonies anglaises.
Tout semble indiquer cette fois que ces chiffres reflètent
d'assez près la réalité. Si on les compare, par exemple, aux listes
d'électeurs, les résultats sont assez proches. En 1881, il y avait
273 électeurs, nés en Métropole, et en 1885, ils étaient 344 (1).
En ce qui concerne les deux derniers recensements effectués à
la fin de la période étudiée, il est malheureusement difficile de
déterminer quels critères ont pu être retenus. En effet, les Français
métropolitains passent en 1907 à 1909 (pour 950 autres Européens)
et en 1911 à 2656 (pour 965 autres Européens) (1).
L'immigration française fut tout d'abord assez lente. C'est
ainsi que de 1863 à 1874, le nombre de résidents français
n'augmenta que de 321 âmes, soit une moyenne de 20 colons par
an (2). En fait les dernières années furent les
plus riches : de juillet
1869 à juillet 1870, 48 nouveaux immigrants arrivèrent pour
seulement 5 départs (3).
A partir des années 80, l'immigration suit une croissance
accélérée : en 1885 par exemple, Tahiti reçoit 247 nouveaux
immigrants. Tous^ne restent pas ; loin de là : 210 repartent. En fait
Tahiti est bien devenue une sorte de plaque tournante.
(1) Idem. Certains Tahitiens figurent sur la liste de 1885.
(2) "Tableau de Population...", J 18 C 141, Fds. Oc.
(3) "Réponses au questionnaire...", J 18 C 141, Fds. Oc.
Société des
Études
Océaniennes
1179
Malgré tout, les résultats restent médiocres. Finalement ce
n'est guère plus que trois ou quatre centaines d'hommes qui vinrent
s'établir dans la colonie. Si l'on ne tient pas compte des
fonctionnaires de passage ou des troupes et équipages de la flotte, il
semble bien que finalement, l'élément français, uniquement
originaire de Métropole, demeura minoritaire par rapport aux
groupes anglo-saxons.
Il nous faut maintenant tenter de cerner l'origine de ces
colons. Pour ce faire, nous disposons d'un document remarquable,
qui est le registre des fiches de police, fiches établies de 1856 à
1881 (1). Chaque fois est indiqué d'où vient l'immigrant.
Deux importantes réserves sont cependant à émettre.
Nous ne disposons que de 353 fiches. A une époque où la
mobilité est très grande (un grand nombre de ces personnes n'a fait
que traverser la colonie), il est évident que ce registre n'est pas
exhaustif. Dès lors, la taille de cet échantillon n'affecte-t-elle pas la
validité des conclusions ?
Il ne peut nous permettre
qu'un sondage. Mais du fait de sa
grande étendue dans le temps, et de l'absence de critères rationnels
dans le choix des colons, nous pouvons tenter de faire apparaître
groupes et sous-groupes dans cette population de colons, tout en
ayant
conscience
que
chacun d'entre
eux
n'est composé
que
de
quelques dizaines de personnes.
l'imprécision entourant la
géographique des immigrants. Dans trop de cas, il est
les services de police se sont contentés d'indiquer la
dernière escale de l'arrivant. Deux seules voies étant possibles en
cette fin du XIXème siècle, la Nouvelle-Calédonie et les U.S.A., il
nous est souvent impossible de savoir si ces hommes se sont fixés
dans ces pays, avant de choisir Tahiti, ou s'ils y ont seulement
La seconde réserve porte sur
provenance
évident que
transité.
cependant tirer plusieurs
enseignements de ces fiches. Tout d'abord distinguons deux
périodes dans l'histoire de cette immigration. Pour les années 18401860, la grande majorité des colons provient, comme nous l'avons
vu, de l'armée d'occupation. Un très faible groupe est constitué
d'hommes venant d'Australie et d'Amérique du Sud.
A mesure que les voies de commerce évoluent, le Chili cesse
d'envoyer des colons, au profit de San Francisco. Ce port devient
le premier centre d'immigrés français vers Tahiti après 1860. De
l'autre côté de l'océan, la Nouvelle-Calédonie fournit un quota non
Ces réserves étant faites, on peut
(1) "Fiches de Police, Commissariat de Police de Papeete", 1 fort volume, Arch. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1180
négligeable, alors que la source néo-zélandaise et australienne
complètement.
se
tarit presque
Si l'on excepte la catégorie des militaires, on est en présence
d'individus très hétéroclites. Cependant une certaine classification
chronologique est possible.
Signalons tout d'abord
que le type de colons de la première
moitié du siècle ne se retrouve plus.
Ainsi le dénommé Dormesaine symbolise un type en voie de
disparition. Matelot à bord d'un baleinier, il déserte et se réfugie
Samoa où il reste 7 ans. Puis il gagne les Fiji où il séjourne
trois ans avant de gagner les îles Gilbert. Il s'y marie et profite du
passage d'un navire de guerre français pour venir s'établir à Tahiti.
Ce genre d'hommes, à la limite de la régularité, disparaît (1).
Il laisse place à un nouveau style d'aventuriers, surnommés
avec raison les "globe-trotters". Citons le cas de Gauthrot
qui
arrive à Tahiti en 1843 d'où il repart pour l'Algérie. Il ne s'y fixe
guère puisqu'on le retrouve en Californie, en Nouvelle-Calédonie,
en Nouvelle-Zélande,
puis à Sydney. Il regagne Tahiti où il
demeure 6 ans. Il part vers 1852 (?) pour la Californie chercher de
l'or mais il revient, "sans avoir fait fortune", et s'établit... définiti¬
vement dans la colonie (1).
Dauphin a vécu à Yokohama et à Saigon avant de venir à
Tahiti. Chaffin, lui, a parcouru presque toute l'Amérique du Sud,
en faisant de longues escales en
Argentine, au Chili, au Pérou,
avant d'être attiré par la Californie, comme tant d'autres. Comme
la plupart également, il en repart sans avoir fait fortune et s'établit
pour deux années aux îles Sandwich comme cultivateur. Il finit par
atteindre Tahiti dans les années 60 (1).
De tels hommes, outre qu'ils étaient rares, ne pouvaient
peupler l'Océanie. Ils ne s'y fixèrent que de façon exceptionnelle.
Cependant il ne faut pas les négliger car ils fournirent un
contingent régulier et qui ne fut pas sans laisser un certain esprit
dans la communauté française.
Jusqu'en 1860, on peut cependant estimer qu'environ 60% des
Français qui vivent à Tahiti sont d'anciens militaires démobilisés
sur place. Un nombre infime de civils viennent directement de
France. Le plus souvent ils ont d'excellentes raisons de quitter la
mère-patrie, comme cet étudiant en pharmacie ayant enlevé la
femme d'un pharmacien (1). On trouve aussi quelques Bordelais
envoyés par des maisons de commerce, comme la société
Tandonnet. Bien peu de monde, somme toute.
aux
(1) Fiches de Police, commissariat de Police de Papeete, Arch. Pap.
(1) "Fiches de Police, Op. Cit.
Société des
Études
Océaniennes
1181
Français venus de Nouvellecommunauté d'Akaroa), et
d'Australie, et une autre dizaine venant à nombre égal de
Valparaiso et San Francisco, nous sommes sûrs de n'avoir oublié
Si l'on ajoute la dizaine de
Zélande (issus sans doute de la
personne.
La création de la Nouvelle-Calédonie ouvre une autre ère de la
colonisation française des E.F.O. D'autant qu'elle va de pair avec
importants mouvements de population de la côte ouest
États-Unis.
les
des
En fait les colons qui proviennent de cette nouvelle colonie ne
modifient pas profondément l'origine sociale des Français de
Tahiti. Le bagne ouvert sur la Grande Terre avait demandé
l'installation d'une importante garnison et l'envoi d'un personnel
pénitentiaire nombreux. Ce sont eux qui viennent s'installer,
toujours plus nombreux, à Tahiti, à partir du début des années 70,
c'est-à-dire au moment où les révoltes canaques semblent
réprimées (1). Cette émigration va reprendre après la terrible
insurrection canaque de 1878. Cette fois, il s'agit soit de colons
libres, soit d'anciens bagnards, effrayés par les massacres, et qui
viennent rechercher paix et douceur de vivre en Polynésie. La
colonie voit ainsi arriver certains anciens exilés de la commune
Cohen, Lohau, Marie, Lamy ou leurs descendants comme
Cognet, Collin de la Croix.
Quelques femmes arrivent aussi par ce biais : leur fiche de
police est souvent bien longue. Il est vrai qu'il s'agit de personnages
comme
haut
en
couleur...
En fait cette
émigration
par
l'Ouest fut très inférieure à celle
provenant des États-Unis ; et ce, même si on ajoute la poignée de
Français provenant de Nouvelle-Zélande. Sur ces hommes, on sait
de choses, si ce n'est qu'ils ont beaucoup roulé leur bosse (ainsi
Français d'Auckland, qui avait été auparavant, planteur à
Porto-Rico durant 14 années).
De l'Oregon, du Nevada, et surtout de Californie, affluent
plus d'une centaine de Français, dont une bonne cinquantaine se
peu
ce
fixent dans la colonie.
En fait, ce chiffre ne nous
extraordinaire si on le
rapproche des 30 000 Français qui résident en Californie à cette
époque. La majorité d'entre eux ont en effet des motifs sérieux de
quitter ce territoire. Tout d'abord parce que la fièvre de l'or
commence
à
se
paraît
pas
calmer. Bien sûr, les mines d'argent du
Nevada
(1) Roseline Dousset-Leenhardt, "Colonialisme et Contradictions, Nouvelle-Calédonie
causes de l'insurrection de 1878", l'Harmattan, 207 p.
1878-1978, les
Société des
Études
Océaniennes
1182
attirent encore des chercheurs, mais les grandes compagnies ne
laissent guère leur chance aux isolés.
Mais surtout les Français ont eu à subir, comme d'autres
minorités, quantité de vexations en tous genres de la part des
autorités et des colons anglo-saxons. C'est ainsi qu'une taxe de
20 $ est désormais exigée pour tous travaux miniers, dès 1850.
Beaucoup abandonnent leurs placers et viennent s'établir dans
où Los Angeles était d'abord française.
Commerçants, restaurateurs, hôteliers, ou simplement cordon¬
les villes. Il y eut un temps
niers barbiers, voire bûcherons, étaient Français et formaient une
communauté dynamique avec sa presse, ses associations diverses.
Mais le plus souvent l'adaptation fut difficile et qui, conjuguée à
l'échec des mines d'or, conduisit un nombre croissant d'immigrants
français à tenter leur chance
sous
d'autres cieux. Le Mexique fut
également capter
l'une de leurs terres d'élections. Mais Tahiti sut
une
partie de cette nouvelle émigration.
Ce
qu'a été la vie de ces hommes en Amérique, à travers les
quelques remarques de police que portent leur fiche, il n'est pas
trop difficile de deviner.
Les mineurs sont les plus nombreux. Le plus ancien semble le
dénommé Tessère, qui débarque en 1868 à Papeete, après avoir
passé vingt ans dans les mines d'or de Californie et n'est plus qu'un
"vieillard infirme et incapable de travailler". Colinet s'est, lui,
épuisé en vain dans les mines d'argent du Nevada. Drollet
débarque en 1857 dans la colonie, lassé par six années stériles en
Californie qui lui ont rapporté "plus de rhumatismes que d'or".
Enfin citons le cas de Liard, ancien colon militaire à Tahiti, parti
courir sa chance également en Californie et qui échoue lui aussi.
On le
voit, les chercheurs d'or qui débarquent à Tahiti sont
qui la chance n'a guère souri. Les seuls qui arrivent avec
quelques économies sont les hôteliers, les artisans de San Francisco
ou Los Angeles. Ainsi le boulanger
La Treyte qui abandonne San
Francisco après vingt années de travail. C'est aussi le cas des frères
Bordes qui vont s'établir à Taravao.
Le plus souvent, hélas, il s'agit de pauvres diables sans le sou :
Baroche, en 1876, doit "travailler à bord pour payer son voyage".
La colonie en reçoit un grand nombre comme indigents. Ce
qui
veut dire que c'est à elle de payer les frais de
voyage.
La situation est telle que le gouverneur prend, à la fin des
années 60, des dispositions draconiennes pour limiter cette
immigration. Voici comment il s'en explique auprès du Ministre :
"la facilité que j'avais cru devoir offrir aux habitants de la
Californie de venir à Tahiti y faire des établissements agricoles en
ceux
à
Société des
Études
Océaniennes
1183
un certain nombre. Ils venaient d'autant plus facilement
le passage leur était gratis. Quelques uns, parmi lesquels
plusieurs Français, travaillent et sont contents. Mais beaucoup, les
uns après avoir commencé leurs travaux, les autres sans avoir rien
fait, ont demandé à repartir. Il fallait un peu travailler, c'était trop
pour eux".
"... Quand j'ai vu que Tahiti devenait pour San Francisco une sorte
d'exutoire, j'ai ordonné qu'à l'avenir nul ne serait admis sur nos
navires s'il ne versait préalablement entre les mains du capitaine
avait attiré
que
une
nécessaire pour assurer son
somme
moins
un
an"
existence pendant au
(1).
L'IMMIGRATION OFFICIELLE
prirent les gouverneurs n'empê¬
jamais que San Francisco demeura le premier centre
d'immigration vers les E.F.O., même si les colons ainsi recrutés
n'offraient pas exactement le profil demandé.
Pour résoudre ce problème, il était tentant pour l'adminis¬
tration et les assemblées consultatives de recruter elles-mêmes,
depuis la France, les colons dont la colonie avait besoin. Cette
volonté s'accordait bien avec la politique de peuplement des
pouvoirs locaux, telle qu'elle transparaissait à travers l'expérience
Les différents arrêtés que
chèrent
des colons militaires.
expérience n'avait pu être poursuivie devant la réduction
garnison et de ceux de la situation navale. Si en
1869, la garnison des E.F.O. est forte de 419 soldats (1), ce nombre
passe à 200 hommes (une compagnie et une batterie d'artillerie) en
1878 (2) et à 132 en 1885. Les événements survenus aux Iles-sousle-Vent accroissent brutalement (3) les effectifs militaires français
Cette
des effectifs de la
en
Océanie
:
(1) "Rapports du Commissaire Impérial sur la situation
Messager de Tahiti", le 17 janvier 1868.
(1) "Dépêche ministérielle du 6 fév. 1869", tome 1869,
du pays à la fin de 1867', paru
dans "Le
Arch. Pap.
(2) Hercouet, Op. Cit., p. 107.
de
(3) "Séries statistiques", 1885-1911 et "Recensements
Tahiti", Arch. Pap.
Société des
Officiels" parus dans les "Annuaires
Études Océaniennes
1184
Effectifs militaires Français des E.F.O. (1887-191 1)
Équipage
Garnison
1887
341
1888
-
1889
-
de la
flotte
1272
-
-
1892
1897
1902
1907
1911
-
-
51
260
332
95
101
45
0
0
Total
1613
1539
1449
819
311
377
95
101
(3)
Mais
troupes, composées presque exclusivement des
quatre à cinq navires, n'eurent guère le temps de se
familiariser avec les îles. Il n'y eut pas non plus de libération dans le
cadre de la colonie. Comme on le voit, les effectifs chutèrent à tel
ces
équipages de
point, dans les années 90, que le vœu numéro 26 du Conseil
Général, émis le 22 août 1887, fut : "faciliter autant que possible le
licenciement des militaires désireux de s'établir dans la colonie" ne
put être suivi du moindre effet (1).
Une ultime tentative fut faite en août 1893.
Quelques jeunes
soldats qui avaient demandé à être libéré dans la colonie furent
envoyés
Métropole à bord du "Pourvoyeur", ce qui provoqua ce
"Messager de Tahiti", qui relatait l'affaire : "C'est
fâcheux, car pendant que nous pesons méticuleusement les chances
de nos compatriotes, la Californie se débarrasse de ses "hoodlums"
à notre profit et les Asiatiques s'infiltrent de
plus en plus...
Décidément, comme la Métropole, les colonies françaises seront
toujours les pâturages de l'étranger" (2).
Dès lors, devant l'impossibilité de recruter des colons
parmi
les militaires, l'administration
pense le faire parmi les fonction¬
en
commentaire du
naires. Car
"le courant
comme
le note le conseiller d'Administration
Raoulx,
venait de la Métropole ayant
disparu, il convient de retenir ici le peu d'éléments français qui s'y
trouvent" (3).
d'immigration qui
nous
Donc il faut accorder des concessions aux
ceux-ci n'auraient-ils pas "les mêmes droits
que nos
(1) "Délibération du 22
août
fonctionnaires,
nationaux" (3).
1887", P.V. du Conseil Général, Imprimerie du
Papeete, 1887.
(2) "Messager de Tahiti", 12 août 1893.
gouvernement,
(3) "Procès verbaux du Conseil d'Administration", 10 août 1908, Arch. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1185
Le gouverneur Bonhoure s'explique longuement dans une
correspondance ministérielle sur la nécessité de chercher parmi les
fonctionnaires du service local des volontaires pour aller défricher
des concessions (4). "L'élément militaire ayant disparu avec le
retrait des troupes, le nombre de marins congédiés dans la colonie
étant presque nul depuis qu'il n'existe plus de station navale, seul
reste le fonctionnaire". Bien souvent, poursuit le gouverneur, celuici veut rester dans la colonie, ayant épousé une Tahitienne. Mais
comme il n'a pu réaliser d'économies "devant la modicité de son
traitement et la cherté matérielle de Papeete", quand sonne la
retraite, "la pension est insuffisante". Ses enfants se tournent vers
le commerce ou l'administration où les places sont rares. Il faut les
encourager vers la terre, "où ils serviront de modèles en
agriculture".
C'est pourquoi le gouverneur accorde des terres à 6 fonction¬
naires : les frères Pia, les frères Vidal, Guilbert et Garnier.
Mais on se doute bien que fort peu de fonctionnaires
acceptèrent ce que d'aucuns considéraient comme une déchéance.
De plus des difficultés politiques d'ordre interne éclatèrent : on
reprocha à l'administration de garder les meilleures terres pour ses
propres membres. Pourtant le gouverneur a soin de bien préciser
qu'"aucun autre colon de France ou d'ici n'est entré en concurrence
avec ces fonctionnaires" (1). Qu'importe : on frôle le scandale et
l'opération tourne court.
Ayant perdu ses seules sources d'immigration sûres, et ne
parvenant guère à détourner les fonctionnaires métropolitains vers
le dur labeur de planteur, il fallait bien envisager d'autres moyens
de faire venir des colons.
Mais les quelques expériences tentées en ce domaine avaient
lamentablement échoué. Pourtant, en accord avec l'adminis¬
tration, la Chambre d'Agriculture adhéra à la "Société Française
de Colonisation", en 1884, qui "fournit de grandes facilités aux
agriculteurs qui veulent aller se fixer en Océanie" (2). A cette
époque, "la question de l'immigration est une question de vie ou de
Tahiti... "Aussi l'aide que peut apporter cette société
paraît déterminante. Certes, "ses ressources sont limitées et ne lui
permettent pas de distribuer des terres dans l'Océanie Orientale...
mort pour
mais des passages
gratuits
pour
(4) Lettre du 29 oct. 1910, gouverneur
des colons sérieux" (1).
Bonhoure, Cor. Gouv. Arch. Pap.
(1) Lettre du 29 oct. 1910, gouverneur Bonhoure, Cor. Gouv., Arch. Pap.
(2) Voir les "Procès verbaux de la Chambre d'Agriculture du 16 août 1884, 4 juillet
22
mars
1886.
(1) Henrique, "Les colonies
françaises",
Société des
p.
48 et 51, Paris, 1889.
Études Océaniennes
1885,
1186
En 1886, le Conseil Général vota
quelques crédits, pendant
de son côté, la Société envoyait la somme de 10 000 frs
(mars 1887) (2).
que,
"Un convoi d'immigrants français" fut finalement envoyé, en
1888, sans qu'il ait été possible de le chiffrer. L'échec fut
retentissant, comme le supporte l'ensemble de la presse.
Pour le "Messager de Tahiti", "l'incurie avec laquelle cette
affaire fut menée a produit les résultats qu'elle devait produire, et il
est regrettable que les recruteurs officiels qui ont
trompé notre
confiance en nous expédiant sous le titre d'agriculteurs des gens de
toute profession hormis celle-là... puissent être soustraits à la
responsabilité de leurs actes..." (3).
Dans la "Tribune libre" de ce journal, en 1890, il est précisé
que pour cette expédition, qui coûta 20 000 frs "avec les faux frais",
fut faite par une société qui s'empressa "de prendre sur le pavé de
Paris des "cultivateurs", comptables, pharmaciens, docteurs en
droit et commissaires de police en disponibilité" (3).
Le résultat est, comme le décrit Mager, "que la colonie
qui
avait fondé sur eux les plus grandes espérances, sera probablement
obligée de rapatrier ces nouveaux colons... Quelques uns d'entreeux, même, déjà désillusionnés, ont demandé à partir" (4).
L'échec de cette tentative pour faire venir directement des
colons de Métropole plongea Papeete dans un pessimisme
pro¬
fond : le "Messager de Tahiti" peut écrire en 1889, alors qu'arrive le
dernier lot de ces immigrants : "cette tentative malheureuse dont la
carte a été assez lourde pour notre
pauvre budget est la condam¬
nation à tout jamais de la colonisation officielle... Il n'y a donc plus
à attendre de renforts de la Métropole". Et le journal
qui présente
les opinions des principaux hommes politiques de la colonie de
conclure : "il faut revenir aux colons militaires" (1).
A aucun moment l'administration ne va, par la
suite, tenter de
faire venir des colons en groupe. Cependant elle maintient
par la
Caisse Agricole l'achat de différents terrains réservés à des colons
venus de l'extérieur. Mais elle se montre très
exigeante au sujet de
nouveaux arrivants, ainsi
que le démontre cet extrait du
discours du gouverneur Petit, en 1901 : "Ce sont des colons qui
se
décideront à quitter la France avec l'intention ferme d'arriver à
faire leur vie ici, en travaillant de leurs mains,
pour commencer,
ces
qu'il
nous
faut avoir à Tahiti, où les débuts
(2) Le Chartier, "Tahiti
et les colonies de la
(3) "Le Messager de Tahiti", 16
nov.
Polynésie",
sont durs parce que
p.
172, Paris, 1887.
1889, 17 avril 1890.
(4) Mager, "Cahier de Tahiti", dans "Les Cahiers coloniaux",
(1) "Le Messager de Tahiti", 16 novembre 1889.
Société des
Études
Océaniennes
p.
262-63, Paris, 1889.
la
1187
devenue coûteuse, que la main d'œuvre indigène
qu'il est, en un mot, nécessaire de s'ingénier beaucoup
pour triompher des premières difficultés d'installation".
"Ici moins qu'ailleurs nous ne pouvons recevoir de la Métropole
ces colons amateurs dont le rapatriement aux frais de la colonie
s'imposerait à bref délai... Qu'est-il arrivé ? C'est que les
précautions indispensables ont étouffé dans l'œuf les vagues
aspirations qu'avait pu faire naître le romantisme contemporain
dans l'imagination de quelques-uns de nos compatriotes, dont la
pensée avait flotté vers notre île lointaine".
"Les mirages de la légende tahitienne se sont aujourd'hui à tout
jamais évanouis ; on sait qu'avec une grosse dose d'énergie et pas
mal d'argent l'Européen peut s'établir dans ce pays et arriver à
l'aisance, mais ces deux conditions sont nécessaires au colon, à
moins que le nouvel arrivé, idéaliste de la nature sentimentale, ne
vie matérielle y est
est rare,
veuille
nos
contenter
se
montagnes,
de la
case en
feuilles de cocotiers et du fei* de
qu'il aurait d'ailleurs beaucoup de mal à aller
quérir" (1).
Du coup, aucun nouveau colon ne se présenta, et force est de
distribuer ces lots à des Français déjà établis dans la colonie.
Notons que la situation ne s'améliore pas dans les années suivantes,
surtout avec l'intérêt du 27 avril 1904 : ce texte établit que la terre
sera bien concédée à très bas prix (50 à 80 frs l'hectare, cultivable),
mais qu'un dépôt est désormais réclamé par la Caisse Agricole, de
l'ordre de 300 frs par hectare, pour les dix premiers hectares et
200 frs pour les suivants. Ceci dans
inutile et souvent onéreuse pour le
le but "d'éviter l'immigration
trésor des colons dénués de
toutes ressources"
Enfin,
prendre
un
en
(2).
1912, l'administration est à nouveau conduite à
arrêté
pour
limiter l'immigration étrangère dans les
E.F.O., "à seule fin de lutter contre l'invasion d'immigrants sans
ressources". Surtout destinée à l'immigration chinoise, cette
mesure touche également tous les Français peu fortunés (3).
En fait l'administration, fidèle au principe selon lequel la mise
pouvait avoir lieu que par l'établissement
planteurs, négligea grandement les autres volontaires à
l'émigration.
en
valeur de la colonie
ne
de
*
sorte de
banane.
(1) Gouverneur Petit, "Discours du 21 nov.
1901", in J.O.F.
Pacifique Sud, 1768-1908" p.
(2) Voir Soulier-Valbert, "L'expression française dans le
196 et suivantes, Paris, 1911.
(3) Gouverneur Bonhoure
au
directeur du service judiciaire, lettre du 1 oct. 1912, Cor. à
divers. Arc. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1188
Il existe aux Archives de Papeete toute une série de
"Correspondances du Gouverneur à Divers" qui attestent que de
nombreuses demandes furent faites de la part de Français séduits
par les E.F.O. Des quatre coins du monde, des candidatures
affluent.
De France certes, mais aussi du Canada, d'Australie,
d'Algérie, des États-Unis d'Amérique, et même de Russie.
La plupart des intéressés se renseignent sur la possibilité
d'exercer tel ou tel métier. Un colon veut savoir si "un professeur
de langues modernes ou de musique gagnerait bien sa vie". Ce à
quoi il lui est répondu négativement (1). De même on déconseille à
Mme Cavé, de Sydney, de venir s'établir comme couturière à
Papeete, où il y a déjà 4 ou 5 ateliers. A Mr Mathon de Paris, on
répond qu'en ce qui concerne les emplois sédentaires, "il n'y a dans
cet ordre d'idées rien à faire, on n'en trouve
que très difficilement et
ils sont peu rétribués" (1).
Toutes
demandes
sont intéressantes car elles nous
les conditions d'émigration du Français en
Océanie. L'on part rarement seul : on préfère les groupes, ainsi ces
36 colons venant de Nouvelle-Calédonie en 1888, ou encore ce
groupe de Canadiens qui envoie l'un des leurs jusqu'à San
Leandro, en Californie, un nommé Jean Colins, pour s'assurer que
le voyage en vaut la peine (1).
Ces demandes sont accompagnées de
questionnaires, le plus
souvent particulièrement détaillés,
qui prouvent que la majorité
des colons ne s'engagent pas dans une aventure
pareille sans un
maximum de renseignements. Rares sont ceux qui, à
l'image de
Gauguin décident de partir à la lecture du "Mariage de Loti" ou
d'un guide officiel dithyrambique (2).
Ainsi, par exemple, Charles Bardou habitant la Seine et
Marne adresse un questionnaire très
complet au gouverneur pour
savoir si, avec un capital de 20 000 frs, il
peut tenter d'établir un
commerce en Océanie. Il reçoit une
réponse assez favorable : le
petit commerce est en effet assez lucratif et les faillites sont rares. A
la question, "croyez-vous qu'un habitant du Maine-et-Loire
puisse
facilement s'habituer au climat de Tahiti ?", la
réponse est
également affirmative. On le rassure : le Français est parlé, "là où le
commerce est lucratif'. Mais il lui faudra 500 frs
pour les frais de
voyage de San Francisco à Tahiti, en comptant 20 jours par
vapeur, ou de 25 à 30 jours par voilier (1).
renseignent
du
ces
sur
(1) "Correspondance des gouverneurs à divers", lettres du 2 déc. 1910,du 15marsl887et
15
janv. 1890.
(2) Bengt Danielsson, "Gauguin à Tahiti et aux îles Marquises", p. 30-34, Op. Cit.
(I) "Correspondance des gouverneurs à divers", lettre du 15 mars 1905.
Société des
Études
Océaniennes
1189
Ou bien encore,
citons le questionnaire de Adolphe Mendé,
habitant San Diego : il veut connaître la qualité du sol et le prix de
la terre, il veut savoir si on trouve de l'eau en abondance, quels sont
les salaires des ouvriers, les langues parlées, le prix des chevaux de
labour et des vaches, s'il y a des marchés assurés à l'extérieur, la
quantité de moustiques, le nombre de docteurs et leur qualification
exacte, la moyenne des températures et les pièces d'identité
demandées à Papeete.
L'immigration de colons français dans les E.F.O. se révéla
donc un échec. Plusieurs causes peuvent l'expliquer.
Le gouverneur Bonhoure, en 1911, apporte la solution
suivante : "Il serait évidemment profitable de voir s'installer parmi
compatriotes. Mais la colonie est trop
éloignée de la Métropole pour qu'un courant d'immigration
sérieux puisse s'établir. Et malheureusement les tentatives faites
jusqu'à ce jour n'ont pas donné les résultats qu'on attendait" (2).
Comment ne pas voir en effet que la longueur, la difficulté, le
coût du voyage entre la Métropole et sa colonie ont dû décourager
de nombreux colons. Au début de ce siècle, si le colon part de
Marseille, il lui faut 40 jours pour atteindre Noumea, et c'est le
début des vraies difficultés, car il doit ensuite gagner Sydney et
Auckland afin de trouver un vapeur touchant Papeete. Pour éviter
ces deux transbordements, il peut avoir la chance d'être accepté à
bord d'un transport de l'État. Mais la durée du voyage reste la
même : 70 jours. Certes il peut passer aussi par San Francisco. Le
voyage se découpe alors ainsi :
certains de
nous
-
-
-
nos
Le Havre - New-York : 7 jours
Traversée des U.S.A. en chemin de fer :r7
San Francisco - Papeete : 15 jours
Le très
jours
optimiste guide officiel de colonisation décourage cet
itinéraire, en raison "des difficultés de toutes sortes que rencontre
le voyageur" (1).
Papeete, s'il faut en croire l'article de Bracconi,
française à Tahiti", l'immigrant n'a guère le temps
Arrivé enfin à
"La colonisation
d'admirer l'île : "il est immédiatement appréhendé par le personnel
de la douane qui lui fait ouvrir ses malles et ses caisses. Tout objet
neuf doit payer un droit variant entre 12 et 15%, droit élevé à 25%
pour
les objets venant d'Australie". Pour
(2) Gouverneur Bonhoure, lettre du 12
l'Administration, le
avril 1911, Cor. Gouv., Arch. Pap.
passagers", p. 4 et suivantes, Paris, 1900.
(1) "E.F.O. Renseignements à l'usage des
Société des
Études Océaniennes
1190
nouveau
venu
d'être colon"
est "d'abord
considéré
comme
contribuable avant
(2).
Un voyage coûteux et pénible, des formalités d'entrée
tracassières et également onéreuses font que certains colons
n'hésitent pas à s'en retourner. Ch. de Varigny raconte : "A
Honolulu, un compatriote me raconta son histoire : il s'était rendu
Papeete. A peine débarqué, on lui demanda s'il avait des
capitaux. Il répondit que s'il en avait, il ne viendrait pas ici. Cette
brusque réponse parut quelque peu séditieuse. On l'accueillit assez
mal : ennuyé des formalités qu'on exigeait de lui, il se lassa et
partit, quinze jours après pour Honolulu. Je le revis... Il avait
gagné une assez jolie somme pour un ouvrier, environ
25 000 frs" (1).
à
Tous les observateurs notent
également
que
le "colon doit
compter surtout sur lui-même", et qu'il aura à se heurter "à la
sourde hostilité des Français déjà établis". Le Chartier eut
également cette impression : "L'Européen arrivant à Tahiti... aura
à lutter contre l'égoïsme des colons
déjà établis sur la place,
lesquels verront en lui un intrus peut-être désireux de s'établir un
jour comme négociant, s'il ne réussit pas dans sa spéculation
agricole" (2).
Cette "spéculation agricole"
est en effet particulièrement
difficile à réaliser dans les E.F.O., car contrairement à une idée
solidement ancrée, il n'y a pas de concessions de terre en
Polynésie
Française. Le gouverneur Moreau reçoit à ce sujet des instructions
précises, en août 1883 : "Le domaine colonial n'a toujours pas été
constitué... Dans ces conditions le département a cru devoir
accueillir avec la plus extrême réserve les demandes de concessions
de terres qui, surtout depuis l'annexion, lui ont été adressées en
assez grand nombre
par des émigrants de race européenne. Seuls
les ouvriers d'État ont obtenu, aux frais du
budget local, des
passages sur les transports ; des émigrants justifiant de moyens
d'existence assurés à leur arrivée dans la colonie, ont été autorisés à
embarquer à leurs frais" (3).
En mai 1885, à Henry Heylak
qui demande s'il peut venir
s'installer en Océanie Française, le gouverneur
répond par la
négative
:
l'absence de terres, le refus des Indigènes de contracter
(2) Bracconi, "La colonisation française à Tahiti", in "questions diplomatiques et
coloniales", t 21, p. 807-818, certes, Paris, 1906.
(1) Varigny, "L'Océan Pacifique",
(2) Le Chartier, "Tahiti
(3) "Instructions
au
et
p.
94-95, Op. Cit.
les colonies de la Polynésie", p. 28, Paris, 1887.
gouverneur
Morau", 8 août 1883, A 127 C 21, Fds. Oc.
Société des
Études
Océaniennes
1191
travail des champs, rend toute immigra¬
(1).
En 1890, le gouverneur Lacascade répond à Louis-Jean
Colins, au sujet d'une éventuelle émigration de colons canadiens à
destination de Tahiti. Voici ces propos : "Au point de vue agricole,
le gouvernement ne possède pas de domaines, les terres appar¬
tiennent aux Indigènes et il ne serait pas possible à l'administration
de vous offrir des concessions de terres. Il n'y aurait guère que la
Caisse Agricole... ayant acquis quelques hectares par ci par là, sur
des crêtes de montagnes arides, qui pourrait en vendre à des
colons, mais je doute de la possiblité de tirer parti de ces propriétés,
qui ne sont susceptibles d'aucune culture".
"La colonie offre peu de ressources surtout en ce moment en
raison de la crise monétaire qu'elle subit... Le taux de l'intérêt de
l'argent est de 12% et la vie matérielle y est difficile pour les
étrangers au pays" (1).
Beaucoup pensent à cette époque que c'est le statut de
Protectorat qui empêche la France de se constituer un domaine
agricole que l'on pourrait ensuite rétrocéder aux colons. Paris écrit
au gouverneur Morau que "si le protectorat n'a pu établir un
courant d'immigration française dans ces pays éloignés, l'annexion
en rendant ces terres définitivement françaises peut changer cet état
de choses" (2).
En fait rien ne change. Certes la guerre menée aux Iles-sous-leVent permet, par confiscation aux principaux révoltés, de disposer
de quelques vallées. C'est de cette même façon, qu'au cours de la
guerre franco-tahitienne, ou des opérations de représailles après
des troubles graves survenus aux Marquises, on avait d'ailleurs
procédé. Mais le gouverneur Papinaud doit avouer, en 1894 :
"L'introduction de colons français qui se trouvent actuellement en
Californie ne manquerait pas de produire le meilleur effet pour
l'avenir, mais le moment ne me paraît pas venu de le réaliser ; non
seulement l'administration ne pourrait accorder aucune concession
de terres à ces nouveaux venus, puisque presque la totalité du sol
est propriété indigène, mais elle se trouverait dans l'impossibilité de
prêter le moindre appui à leur premier établissement". Cependant
nous ne
désespérons pas d'attirer des travailleurs français" (1).
Aucune amélioration ne fut apportée aux cours des années qui
suivent. En 1910, à un Australien nommé Scheiweigler, on écrit :
des engagements pour le
tion "par trop difficile"
"il est très difficile de trouver des terres à acheter. Je ne me sens
(1) "Correspondance des gouverneurs à divers", lettre du 15 janvier 1890, Arch. Pap.
(2) Op. Cit., A 127 C 21, Fds. Oc.
(1) Gouverneur Papinaud, lettre du 16 mai 1894, Cor. Gouv., Arch. Pap.
Société des
Études Océaniennes
1192
donc pas la liberté de vous engager à vous établir dans la
colonie" (2).
Enfin en 1916, le gouverneur Jullien confie à un employé de
mairie français de San Francisco : "Le prix des terres est devenu
très élevé depuis une dizaine d'années. Il est difficile, pour ne pas
dire impossible, de trouver de la main-d'œuvre : toute tentative de
colonisation
européenne est par suite, et pour de longues années
vouée à l'insuccès. Je ne puis vous engager à donner suite à
projets d'établissement à moins que vous ne possédiez des
encore,
vos
capitaux importants qui sont absolument indispensables" (2).
Il faut noter que les colons partagent, pour une fois, l'avis des
pouvoirs publics. Le Conseil Général écrit en 1888 : "Avant de
songer à faire venir de nouveaux colons, il faut songer à ceux qui
vont arriver prochainement... et qui auront sans doute
beaucoup
de peine à se tirer d'affaire" (3).
Le champion de la colonisation française qu'est Henri Mager,
rendu célèbre en France pour ses démêlés avec le Ministère des
Colonies et ses nombreux ouvrages sur les colonies, publie dans ses
"Cahiers Coloniaux", l'avis des deux plus importants colons de
Tahiti : "Il convient d'ajouter que le nombre restreint des terres
domaniales pouvant être mises à la disposition des colons désireux
de se fixer à Tahiti, rendra toujours chez nous ce genre
d'opération
difficile..."
"Il
sera généralement utile de
prévenir les futurs immigrants que la
vie est fort chère dans la colonie, tant au point de vue du logement
que de la nourriture et que, s'ils désirent y réussir, ils feront
sagement de n'y point arriver sans les ressources nécessaires à faire
face aux premiers besoins" (1).
Il est vrai que parfois les intrigues politiques locales viennent
freiner cette implantation de colons français. S'il faut en croire
l'inspecteur des Colonies Salles, "la Caisse Agricole, unique
établissement financier de la colonie,... est un instrument qu'il est
bon d'avoir en main... Elle pourrait rendre de grands services à la
petite colonisation ; elle
ne le fait pas ou s'efforce de ne pas le faire,
parce que la venue de colons de France est susceptible d'augmenter
le nombre des catholiques établis dans le pays" (2). Son directeur à
époque est en effet un missionnaire protestant, occupant de
grandes responsabilités politiques.
cette
(2) "Correspondance des
Arch.
gouverneurs
à divers", lettres du 7
oct.
Pap.
(3) P.V. du Conseil Général, séance de novembre 1888,
(1) Mager, "Cahiers Coloniaux", p. 264.
p.
(2) Rapport d'Inspection Salles, Q 3 C 64, 1903, Fds. Oc.
Société des
Études
Océaniennes
202.
1910 et 14
nov.
1916,
1193
Dans toute la
correspondance des
gouverneurs, nous
n'avons
pu retrouver que deux ou trois lettres d'encouragement à venir
s'établir dans les E.F.O. ; le plus souvent il s'agissait de cas très
particuliers. Cependant, une courte période semble favorable à une
immigration générale, ainsi que l'atteste la lettre suivante, adressée
au
sieur Robin, en Charente : "Vous me demandez si vous
travail pour vous et votre famille ? A l'heure actuelle,
trouverez du
par
suite de la découverte de gisements de phosphates dans
certaines îles des Établissements secondaires... toute personne
ayant de la sobriété et le désir réel d'obtenir du travail, peut s'en
la plus grande facilité" (1).
d'exception qui ne dura que peu de temps. Finalement
tout porte à croire que ces quelques lignes de Bracconi peuvent bel
et bien servir de conclusion à l'immigration française dans les
E.F.O. : "Ceux qui se sont laissés prendre aux belles lectures
romanesques, renoncent presque toujours à la belle concession. Ils
cherchent à vivre de leur métier, quémandent une place dans le
procurer avec
Période
casent dans l'Administration ou tâchent de réunir les
quelques économies qu'ils ont pu sauver et rentrent en France".
commerce, se
RÉPARTITION DE LA POPULATION FRANÇAISE
DANS LES E.F.O.
Jeunes soldats sans fortune, chercheurs d'or sans succès, ex¬
bagnards de la "Grande Terre", petits fonctionnaires ne voulant
plus quitter la "Nouvelle Cythère" forment donc l'essentiel de la
population française des E.F.O. Bien que lents, tous ces courants
d'immigration portent le nombre des métropolitains français et de
leurs enfants, avant la première guerre mondiale, à quatre ou cinq
cents personnes.
Il n'est pas sans intérêt de connaître la répartition de cette
population à travers les E.F.O. Le tableau suivant, bien qu'in¬
complet, apporte à ce sujet divers enseignements.
(I) "Correspondance des gouverneurs à divers", lettre du 10 mai 1906, Arch. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1194
Répartition de la Population Française et Européenne (ou assimilés)
dans les E.F.O. (1875-1911)
1875
1877
1881
1886
1890/91
1902
1907
1911
Français
568
974
947
446
355
2005
2313
Européens
440
591
656
411
603
696
617
TAHITI
Français
14
2
3
8
Européens
18
2
1
7
Français
19
MOOREA
TUAMOTU
20
37
16
7
9
24
26
22
54
64
(*)
Européens
16
Français
13
Européens
60
9(**)
71
97
54/58
80
59
108
60
100
45/34
67
47
60
6
11
15
11
26
5
5
MARQUISES
11
12
Français
GAMBIER
„
Européens
Français
3
5
2
7
5
9
Européens
4
5
3
13
67
58
Français
11
13
143
Européens
73
254
169
AUSTRALES
I.S.L.V.
Sources : "Recensements Officiels parus dans le J.O. des
des archives de Papeete", Séries p. 673 et p. 683, Fds.
(*)
: ne
comprend
que
5 îles
-
E.F.O.", "Séries statistiques
Oc., Paris.
(**) :il s'agit de 9 missionnaires.
Notons tout d'abord que
Tahiti draine la quasi totalité des
immigrants, tant Français qu'Européens (ou assimilés : Nordaméricains et Sud-américains). On obtient les pourcentages
suivants
:
Années
Français
Européens
1875
92%
74%
95%
81%
74%
62%
1902
1907
La
autres
proportion de Français est plus forte encore que celle des
colons, à Tahiti.
Aucune tentative réelle d'établissement de colons
ne
fut
entreprise dans les autres archipels. Les Marquises furent l'objet
d'essais
en ce
sens,
suivis d'échecs retentissants. Certes, des vallées
Société des
Études
Océaniennes
1195
furent mises à la
disposition des colons, mais les troubles qui
persistèrent jusqu'à la fin du XIXème siècle, l'absence de
communications avec le chef-lieu de la colonie, découragèrent les
planteurs les uns après les autres. Les Tuamotu, dont la mise en
valeur (cocoteraies) ne fut entreprise de manière systématique qu'à
l'extrême fin du XIXème, virent seulement des missionnaires. On
signale, comme une curiosité, la présence d'un unique Blanc, dans
un atoll quelconque, le plus souvent pour montrer combien il est
"encanaqué".
Ainsi donc la population "blanche" des E.F.O. se concentra
dès l'origine dans la seule île de Tahiti (même sa voisine Moorea ne
connut aucun succès), principalement dans la ville de Papeete : en
1902, 80% des Français vivant à Tahiti, et en 1907, 95% y résident.
TABLEAU DE LA POPULATION
D'APRÈS QUELQUES
Si
FRANÇAISE
TÉMOIGNAGES
pu, à l'aide de quelques statistiques incomplètes
Français de Polynésie, il faut maintenant entre¬
étude sociologique de cette communauté française du
nous avons
dénombré
prendre
les
une
bout du monde.
Si nous nous en tenons aux témoignages des fonctionnaires ou
des voyageurs, l'image de cette communauté n'est guère flatteuse.
Notons tout d'abord que les Français apparaissent noyés dans la
anglo-saxons, qu'un fort contingent d'Allemands
suprématie économique de ces colons
accentue cet aspect de domination étrangère, à laquelle sont
sensibles tous les visiteurs. C'est ainsi que Levacon estime que "...le
fonds de la population n'est français que de nom. C'est un singulier
mélange d'Américains, d'Anglais, de Chiliens et de Martiniquais et
de descendants de croisement de ces races... Je n'ai pas besoin de
démontrer qu'une pareille population n'a qu'un amour très limité
de la France et aucune compréhension de "la plus grande
France" (1).
masse
est
des colons
encore venu
renforcer. La
S'il est difficile de dissocier Français et Étrangers, la limite
Tahitiens n'est guère évidente non plus, comme le
entre "Blancs" et
souligne A. Marin : "La société "blanche" de Papeete est des plus
mélangées : quelques femmes de fonctionnaires, des étrangères,
filles ou femmes d'aventuriers dont la longue existence dans le pays
(I) Levacon, "Chez les Maoris",
p.
49, Paris, 1912.
Société des
Études
Océaniennes
1196
a
fait oublier
à l'index
l'origine douteuse, des demi-blanches qui, loin d'être
comme
dans
nos
autres
colonies où elles constituent
une
classe de
parias, sont d'autant plus en faveur que leur abord est
(2).
Un ancien lieutenant de vaisseau, ex-administrateur d'archi¬
pel, et qui a laissé d'excellentes études sur la société polynésienne,
écrit par ailleurs dans un ouvrage intitulé Les
Polynésiens
Orientaux au contact de la civilisation : "Les colons ou réputés tels
et les étrangers... sont pour la
plupart des gens dont l'Europe ne
veut pas ou des Américains ayant la conscience
élastique. De ces
individus et des femmes canaques, sont issus des métis qui forment
dans les îles de la Société la majorité de la population... L'historien
est obligé de les ranger parmi les Indigènes dont ils mènent
l'existence et possèdent les défauts sans avoir les qualités des
Européens... Aussi le voyageur est-il vite dégoûté de toute cette
population" (1).
Après avoir décrit les colons comme "des anciens matelots
douteux" ou "des étrangers raclant auparavant la guitare
dans les
ports d'Amérique, Levacon peut conclure : "Tout ce qui précède
peut déjà permettre à mes lecteurs de se rendre compte que Tahiti
serait le paradis sur la terre... si on changeait les habitants"
(2).
Un autre voyageur, Huguenin affirme, à la fin du siècle :
"Papeete est le repaire de la lie des populations indigènes accouplée
à la lie des populations européenne ou civilisées, triste milieu dans
lequel se trouve comme noyée la population flottante des
fonctionnaires de toutes sortes et la population sédentaire, les
missionnaires, les commerçants et colons anglais" (3).
Cet avis semble bien être partagé par l'administration,
puisque
le futur gouverneur Petit décrit dès 1886 : "Les aventuriers
anglais,
allemands et américains, sont des gens sans aveu
pour la plupart,
fuyant souvent la justice de leur patrie pour voler indignement les
Indigènes" (4).
Enfin l'ancien directeur de l'intérieur, Méthivet,
apporte les
précisions suivantes : "1500 Français vivent ici ramassés, se
heurtant et se froissant à toute heure de la journée, sans avoir la
aimable"
ressource
portés
aux
d'aucune satisfaction intellectuelle
plaisirs de l'esprit. Imaginez
et
d'ailleurs peu
ce que peuvent
être les
(2) Marin, "En Océanie",
p. 33, Paris, 1888.
(1) Caillot, "Les Polynésiens Orientaux au contact de la civilisation",
(2) Levacon, p. 50 et 58, Op. Cit.
p.
(3) Huguenin, "Aux îles enchanteresses", p. 102, Paris, 1897.
(4) Petit, "La civilisation française à Tahiti", in Bulletin de la Société
coloniales et Maritimes", Tome 8, p. 146, 1886.
Société des
Études
Océaniennes
81, 1909.
des
Études
1197
relations sociales dans
un
monde d'anciens matelots devenus
commerçants et d'ex-sous-officiers devenus fonctionnaires".
"On a affaire au fond à de bravés gens, à de très bons Français,
dont le cœur bat au nom de la patrie,... on rêve de les réconcilier
songer que l'oisiveté, mère de tous les vices, a bien pu
engendrer la diffamation à outrance" (1).
Un seul voyageur, un nommé Lebeau, après avoir toutefois
souligné que "Tahiti est une petite bonbonnière remplie de vilains
bonbons humains", adoucit le jugement porté sur ses concitoyens
et donne une explication de ces jugements implacables des
fonctionnaires français : "Il y a à Tahiti quelques rares colons
français, braves gens, pour la plupart anciens soldats libérés qui se
sont établis dans le pays et parfois ont épousé des femmes
indigènes. En dehors des commerçants... ce sont les seules
personnes actives de l'île... Les fonctionnaires ont une tendance à
les considérer comme des quantités négligeables. Les colons les
paient en retour d'une haine féroce, et voient en leur 510 adminis¬
trateurs, d'inutiles frelons qu'ils ont à nourrir et qui les empêchent
de faire leurs affaires" (2).
sans
Il s'agit là de témoignages concernant la population euro¬
péenne de Tahiti. Dès que l'on s'éloigne du chef-lieu, les propos se
durcissent encore. La population blanche des Marquises est tout
particulièrement visée. L'officier de Marine, Jouan, estime en 1877,
que ne vivent encore à cette date aux Marquises que des
"déserteurs de baleiniers, surtout anglo-saxons" et aussi des "métis
de la côte occidentale de l'Amérique du Sud" (3).
En 1883, dans son tableau des "Petites Colonies", Hué note,
toujours en ce qui concerne les Marquises : "Outre la population
primitive des Marquises, on trouve... une race désignée sous le nom
de "colons" ; elle a été formée par des déserteurs de navires
baleiniers, qui se sont alliées à des femmes canaques. Parmi ces
déserteurs, il n'y avait pas de Français. Ils étaient américains,
anglais, espagnols ou péruviens. Ces gens adonnés à l'ivrognerie et
à tous les vices ont ajouté les plus mauvaises habitudes canaques et
constituent pour les îles un véritable fléau. Paresseux ils ne
travaillent que pour subvenir à leurs besoins (eau de vie,
vêtements) ; liés d'amitié avec les Indigènes, ils abusent de leur
générosité et vivent à peu près à leurs dépens" (1).
(1) Méthivet, "La Nouvelle Cythère", p. 93, 1888.
(2) Lebeau, "O Tahiti", p. 43, Paris, 1911.
(3) Jouan, "Les buveurs d'eau de mer", in "L'année médicale, journal de la Société de
médecine de Caen
et
du Calvados", n° 9, août 1877.
(1) Hué, "Nos petites colonies", p. 326, 1883.
Société des
Études
Océaniennes
1198
Enfin le gendarme Guillot, très hostile aux colons, affirme
"d'anciens soldats démobilisés restèrent aux Marquises sous
prétexte de se livrer à la colonisation. En vérité rien n'est moins
colonisateur que leurs procédés : ils s'introduisent dans des familles
qui possèdent quelques jolies filles, s'y font accueillir les bras
ouverts, et y trouvent bon gîte, bon souper... et le reste".
"... Ils eurent la prétention de se faire obéir des Indigènes et
s'habituèrent à les frapper pour les obliger à satisfaire leurs
moindres caprices". "Coloniser veut dire, pour eux, faire des
Indigènes, leurs esclaves" (2).
Dans les autres établissements secondaires des E.F.O., les
colons font moins parler d'eux : il est vrai qu'ils y sont très peu
que :
nombreux.
Cette crainte de voir les E.F.O. envahis par des étrangers au
passé parfois trouble, est d'ailleurs partagée par le gouverneur
Bonhoure qui écrit en 1912, au sujet de la prochaine ouverture du
canal de Panama : "L'ouverture du Canal entraînera un afflux
considérable d'émigrants. Cette prévision commence à se réaliser.
Les courriers de Sydney, Wellington, San Francisco amènent des
nombreux dont beaucoup trouvent dans l'isolement de
Tahiti, dans sa réputation, déjà vieille, de pays où règne un aimable
abandon, une excuse à leurs fantaisies les moins honorables" (1).
passagers
Faut-il alors conclure, à la suite de Lebeau
que : "Dans toutes
les îles océaniennes, les Blancs dégradés abusent de
la générosité
des Indigènes pour se faire entretenir des mois et des années ?"
(2).
N'oublions pas que les rares touristes de
l'époque, à l'image du
richissime américain Adams, ou du célèbre comte Festetic de
Tolna, sont des mondains fortunés qui affichent un certain mépris
pour cette classe de colons laborieux, et d'humble origine. Quant
aux fonctionnaires,
ils règlent, avant tout, leurs comptes et se
montrent rarement
compréhensifs. Il importe donc de
ne pas
fier à ces jugements partiaux, ou tout au moins de les
l'aide des sources officielles.
se
trop
vérifier, à
LES ORIGINES SOCIALES DES COLONS
Nous
déjà cité
Papeete.
:
disposons pour ce faire d'un remarquable document,
le registre des fiches de police du commissariat de
(2) Guillot, "Souvenirs d'un colonial en Océanie, 1888-1911", p. 30-32, 1935.
(1) Bonhoure, Lettre du 14 décembre 1912, Cor. Gouv., Arch. Pap.
(2) Lebeau, p. 45, Op. Cit.
Société des
Études
Océaniennes
1199
Personne n'a jamais nié que des années 40 aux années 70, la
majorité des colons fut des marins et des soldats, congédiés sur
place. D'ailleurs bien souvent, les colons ayant socialement réussi,
en tirèrent une fierté
légitime. Mais pourquoi ajouter, comme le
font nombre de voyageurs, qu'ils "ont un passé douteux ?" Ceci est
infirmé par le mode de conscription militaire alors en vigueur.
Les soldats envoyés à Tahiti ont été recrutés d'après la loi de
1832 (modifiée sensiblement en avril 1855, mais toujours sur le
même principe), dans le cadre d'une conscription sélective, assez
proche de l'armée de métier, avec un service particulièrement long
(7 ans, voire 9 ans). Surtout, ce système tolère la possibilité
"d'acheter" un remplaçant. Dans presque tous les cas, il s'agit donc
d'hommes de milieux extrêmement modestes. La seule formation
de ces hommes est celle que leur a donnée l'armée, à laquelle ils
sont très attachés : après sept ans de service, la vie militaire a si bien
façonné le soldat, que souvent, la perspective de la libération le
laisse plus embarrassé que joyeux. Ayant perdu de vue le village,
oublié la famille (comment recevoir des lettres quand on est
analphabète !), le soldat démobilisé est plus enclin à demeurer dans
son lieu de garnison, où il
séjourne et où il compte ses amis. Dire
qu'il est cependant prêt, psychologiquement et matériellement à la
vie coloniale, est loin de la réalité.
En fait, ces colons issus de l'armée ont
en
commun
une
absence de
qualification et surtout d'instruction très nette, sauf
dans le cas des ouvriers de métier. La seule chose qui les serve est
leur habitude du pays, la connaissance de la langue, des habitants ;
mais tout cela est souvent contrebalancé par une habitude de
casernement qui rend difficile l'intégration dans la vie active.
C'est justement à leur libération que les ennuis commencent ;
mais ces marins de l'État, n'ont guère à se reprocher, et les
certificats de bonne conduite sont nombreux. Que se passe-t-il
alors ? Prenons le cas du soldat Grangenois. Né de père inconnu
(ceci n'est pas un fait unique, bien au contraire, chez les jeunes
soldats) à la Martinique en 1831, il arrive à Tahiti en 1860. A sa
libération il entre dans l'Administration locale
écrivain,
poste qu'il ne peut garder à cause de son penchant pour la boisson.
Dès lors, "il n'a vécu que très misérablement", à tel point qu'il est
comme
condamné à la prison pour vagabondage, plus 6 mois pour outrage
à magistrat ; il entre alors réellement dans la criminalité : à
nouveau 6 mois de prison pour
escroquerie, puis pour détour¬
nement
Le
police
de fonds, il meurt à Papeete à 49 ans !
de ce soldat n'est pas unique. La lecture
cas
nous
apprend
que sur une
Société des
des fiches de
population de 317 colons, nés en
Études
Océaniennes
1200
Métropole, 34% ont fait l'objet d'une condamnation, soit
108 d'entre eux. Faut-il voir alors dans les habitants français de
Papeete, "un ramassis de bons à rien ?"
L'étude de ces arrêts de justice tempère immédiatement ce
jugement.
Pas moins de 24 condamnations ont été
prononcées pour
blessures, 7 pour injures et rebellion à un gendarme, 4
diffamation. Bref, les injures, les propos souvent vifs parus
la presse, les bagarres et l'ivresse sont responsables de plus de
coups et
pour
dans
40% des condamnations.
fait peu de criminels à Papeete : la société blanche est
composée d'hommes emportés, violents et assez souvent
sous l'effet de l'alcool, car on boit beaucoup à Tahiti, aussi bien
chez les Européens que parmi les Tahitiens.
Alors l'alcool et l'ennui réunis, déclenchent des polémiques en
tout genre, terminées bien souvent par des affrontements autres
que verbaux. Ce qui fait dire à Méthivet : "on ne se hait pas à demi
sur cette terre volcanique" (1).
C'est l'alcool qui vaut au dénommé Blanchard, six condam¬
nations pour coups et blessures sur des hommes, des femmes et
Il y a en
surtout
enfin
sur
des animaux.
C'est ainsi l'alcool
qui est responsable d'un autre type de
condamnations : celles pour contrebande. A en croire le com¬
missaire de police, tous les Blancs de Tahiti s'y livrent avec frénésie.
Tel colon "fait bien ses affaires et mieux encore sa contrebande",
tel boulanger vend "plus de liquide que de pain". Cet autre
"travaille peu
de son métier et beaucoup de contrebande qu'il vend
Indigènes". Mais la plupart consomment eux-mêmes l'objet de
cette contrebande. On ne compte plus les colons dont la fiche
mentionne "ivrogne émérite".
En bons aventuriers qu'ils étaient, les Français de Tahiti
récusent les pesants règlements de l'administration coloniale. Le
commerce illicite d'alcool, particulièrement fructueux, est la clé de
voûte de tout un système hors de la légalité. Mais le commerce sans
patente, les loteries non déclarées valent également de nombreuses
condamnations. Le jeu fait en effet d'importants dégâts. Plusieurs
officiers sont sévèrement punis. Certains colons se ruinent, comme
Bonnefin, qui "de l'aisance où il était, a tout perdu à cause du jeu".
aux
Société que l'on conçoit donc comme fort agitée, haute en
couleur. N'oublions pas que Papeete, de surcroit, est un port : les
(1) Méthivet, p. 95, Op. Cit.
Société des
Études
Océaniennes
1201
équipages des navires, après, obligatoirement, d'assez longues
traversées, apportent une "animation" supplémentaire.
Mais les vrais crimes sont très rares. On signale quelques vols
importants, des outrages à la pudeur ou des viols. Cependant de
faibles peines en résultent. Signalons cependant le cas de ce
cuisinier, Jean Pardiès, débarqué à Papeete en 1872. Après 2 mois
de prison pour coups et blessures, il est à nouveau condamné
pour
avoir vendu de l'alcool aux Indigènes et avoir trompé sur la
marchandise. Diffamation et coups lui valent de nouveau, amende
et réclusion. Une tentative de meurtre l'envoie ensuite
pour 2 ans
de prison mais il s'échappe et se réfugie à Moorea où il est
repris au
cours d'une tentative de vol
(8 ans d'incarcération). Il est
finalement renvoyé en France en 1883 : séjour bref dans la colonie
mais combien rempli !
De tels hommes, encore une fois, sont rares et les repris de
justice sont plutôt à l'image du jeune soldat Houet, débarqué en
1868, et qui se voit condamné 6 fois : mais le vol, la vente d'alcool
aux
Indigènes, le port d'arme, les outrages, les dénonciations
calomnieuses et l'ivresse ne lui valent finalement que
3 mois de
prison, échelonnés dans le temps.
...
En
fait, 70 peines n'ont même pas été inscrites sur les registres,
qui prouve la légèreté des condamnations, et donc des actes
reprochés. Sur un échantillon de 38 condamnations, 9 entraînent
des peines inférieures à dix jours de prison, 13 entre dix
jours et
trois mois, et 14 à plus d'un an. Deux condamnations infligent 5 et
8 ans de réclusion. Un seul individu porte en marge de sa fiche
"sous surveillance de haute police".
Ces fiches, remarquablement détaillées, ne se contentent pas
de noter les condamnations, mais portent aussi des jugements sur
la personnalité du colon. On retrouve par ce biais cette
impression
de violence et aussi d'insociabilité déjà ressentie à partir des
condamnations.
Beaucoup d'individus sont, affirme-t-on,
"paresseux", "parasites". La mention "très mauvaise langue", ou
bien "qui médit sur tout le monde"est aussi assez fréquente.
Mais beaucoup plus riches d'enseignement sont les remarques
portant sur l'origine socio-culturelle des immigrants. Les
appréciations "éducation peu soignée", "sans instruction" se
retrouvent le plus souvent. L'éducation donnée à ces colons a été,
dans la grande majorité des cas, des plus réduite. Ceci va de pair
avec "des moyens très limités", voire des "individus sans intelli¬
gence". Ces jugements n'empêchent pas que la fiche conclut sur une
appréciation générale flatteuse : "homme de bien, tranquille et
ce
sobre".
Société des
Études Océaniennes
1202
Notons que ce manque d'éducation, quasi général, eut un rôle
déterminant dans l'intégration de l'immigrant dans la société
tahitienne. La barrière culturelle étant réduite, beaucoup des
colons établis dans les districts de Tahiti ou dans les archipels
"s'encanaquèrent". Ce terme se retrouve extrêmement souvent :
"Complètement encanaqué, en ayant les usages et les moeurs",
"plutôt canaque qu'Européen". Plusieurs dizaines de colons
ressemblent à ce Bitiger, décrit comme "un colon misérable,
complètement encanaqué, ne vivant que du produit d'eau de vie
d'oranges et d'évis qu'il vend aux Indigènes et dont il consomme
lui-même une grande partie".
Le colon français du XIXème siècle, vivant en Polynésie n'est
pas (ou n'est plus) ce déserteur de navires, ce criminel en cavale, cet
ex-bagnard au lourd passé, trop souvent décrit. Par contre le
portrait que trace de lui le docteur Hercouet nous semble plus
proche de la réalité : "à part de rares et louables exceptions, que
l'on remarque surtout chez nos compatriotes, le petit colon de
Tahiti vit au jour le jour, s'enivrant de gin, s'adonnant à toutes
sortes de débauches, ses excès et sa paresse le conduisant
rapidement à la misère" (1).
Le colon dominateur, riche planteur ou commerçant, n'est pas
la règle au Tahiti du XIXème. C'est bien plutôt le monde du "Petit
Blanc". L'examen des professions renforce cette constatation.
QUE FONT-ILS ?
Il n'est guère aisé d'établir, avec une relative précision, la
profession d'un colon, ceci en raison d'une double mobilité.
Mobilité professionnelle du fait des changements fréquents de
métiers : il n'est en effet pas rare de voir un colon exercer à la suite
quatre ou cinq métiers totalement différents. Mobilité géogra¬
phique ensuite : pour près d'un tiers des colons, les voyages ou les
séjours dans les archipels constituent autant de "blanc" dans leur
vie coloniale.
On peut
cependant discerner un certain nombre de filières
proposées au nouvel arrivant. Bien entendu, elles dépendent de sa
qualification et du capital qu'il est en mesure d'apporter.
Une forte minorité va ainsi pouvoir exercer son métier
d'origine. C'est le cas des ouvriers spécialisés, de tout temps très
(1) Hercouet,
p.
109, Op. Cit.
Société des
Études
Océaniennes
1203
recherchés, et de quelques diplômés en droit ou en médecine,
particulièrement peu nombreux, mais dont le poids, politique et
économique,
bien vite se révéler déterminant.
qui possèdent une mise quelconque, le
"commerce", entendu ici dans un sens large, allant du grossiste au
"débitant", est la voie royale. Ceci explique la forte concentration
d'Européens à Papeete.
Dans tous les cas, il est bien difficile de faire son chemin. Cette
difficulté explique également la mobilité professionnelle : c'est
l'artisan menacé de faillite, le négociant ruiné par la concurrence
des grosses sociétés, le planteur qui renonce par manque de maind'œuvre ou du fait de la chûte des cours des produits tropicaux...
Les fréquents échecs, conduisent nombre de colons à se
réfugier vers cette administration, tant décriée, mais qui se trouve
être déjà, et de loin, le premier employeur de la colonie. Les postes
proposés ne permettent bien souvent que d'éviter, à peine,
l'indigence.
Pour échapper à une telle situation, beaucoup de colons
exercent deux, voire trois activités à la fois. Ceci rend plus difficile
encore le classement socio-professionnel
des Français des E.F.O.
Les exemples abondent. Citons, le cas du soldat Butscher,
d'origine alsacienne, et qui est démobilisé à Papeete en 1847. Il
exerce la profession d'horloger. Dès qu'il en a les moyens, il se rend
acquéreur "d'une belle propriété", à l'autre bout de l'île, dans le
district d'Afaahiti. C'est la même démarche qui conduit le charronforgeron Rey à investir dans la terre. Dès 1860, il possède "une des
plus belles propriétés et des mieux entretenues de l'île" (1).
Pour
va
ceux
A la fin de la période étudiée, les comportements demeurent
identiques. Martial Sage s'installe à Papeete en 1885. Coiffeur de
profession, il exerce son métier quatorze années durant. Puis il va
se fixer à Punaauia où il a
acquis depuis plusieurs années une
propriété de 37 hectares. C'est comme restaurateur qu'il est alors
connu
dans la colonie.
Mais l'administration le remarque
également en tant que planteur avisé : il débrousse ses terres et
plante cocotiers, vanille, ananas. Il dispose même de 500 plants de
café. Son troupeau de bovins n'est pas non plus négligeable. Un
rapport de 1904 déplore que "des colons comme Mr Sage soient
malheureusement rares dans nos Établissements d'Océanie", et le
propose au Mérite Agricole (2).
Cependant on remarque que rares sont les nouveaux colons
(1) Fiches de Police, Op. Cit.
(2) Lettre du gouverneur Petit, 9 mai 1904, Cor. Min., Arch. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1204
qui n'entretiennent
commencerons
pas un rapport quelconque avec la terre. Nous
donc cette étude-professionnelle des Français de
Tahiti par ceux que l'on nomme les planteurs.
Mais cette terminologie regroupe, au demeurant, des
fort différents. Le terme le plus usité à l'époque est
hommes
celui de
propriétaire, terme guère plus précis. L'accès à la propriété foncière
ayant toujours été, pour les Français, le symbole de la réussite
sociale, il paraît logique qu'un grand nombre d'entre eux arborent
cette étiquette. On peut ainsi estimer à près de 30% les Français en
rapport avec la terre. Une étude des enquêtes administratives et des
listes électorales permet d'affiner ces données.
Toutes nationalités confondues, le nombre des "colons et
cultivateurs" peut être établi de la sorte :
Années
Cultivateurs
1861
66
1863
76
(6 districts)
1866
84
1881
273
dont 40% de Français
dont 32,5% de Français
1884
344
dont
1892
332
32,2% de Français
(Européens et Indigènes)
(1)
Pour établir ces chiffres, il a fallu reprendre chaque cas sur les
listes exhaustives de 1863 et 1866. En effet, en 1863, a été pris en
compte tout résident européen, propriétaire d'un cheval. Il a fallu
écarter également certains résidents ne possédant qu'une chèvre ou
trois ou quatre volailles. Enfin ont été éliminés tous ceux qui ne
possédaient
Mais
que
ces
deux
ou
trois cocotiers, soit
chiffres reflètent
assez
un
total de 114 colons.
mal la réalité
en ce sens
qu'ils
prennent en considération que les seuls "propriétaires". Les
listes électorales, connues pour 1881 et 1884, permettent d'élargir
les données à l'ensemble de la population agricole. Seuls, il est vrai,
ne
(1) "Ile de Tahiti. Rapport fait à Mr le Commandant Impérial par la Commission
d'Inspection des cultures", Papeete, 1866.
"Renseignements sur les cultures, les animaux, les arbres fruitiers, les embarcations, ne
concernant que les résidents", Série statistiques, Arch. Pap., Papeete 1863.
"Rapport Labarle, Op. Cit., 1861. Enquêtes agricoles parues dans le Messager de Tahiti.
Société des
Études
Océaniennes
1205
les
citoyens français
entrent dans ces
statistiques
:
1881
1884
Propriétaires
40
57
Cultivateurs
Jardiniers
Journaliers et fermiers
21
33
Total
7
3
20
19
88
112
(1)
Plusieurs constatations peuvent être faites. Il est, tout d'abord,
particulièrement délicat de déterminer avec précision qui peut être
réellement classé comme planteur. Tous ceux qui travaillent la
terre ne sont pas, loin s'en faut, des
propriétaires. Il existe un fort
salariat agricole. D'autre part, les propriétaires ne résident
qu'exceptionnellement sur leurs terres, leur principale activité étant
à Papeete.
Pour délimiter, avec plus de précision encore les authentiques
agriculteurs, on peut tenter de les classer d'après leur répartition
géographique dans l'île.
En 1861, l'enquête de l'ordonnateur Laborde n'a été menée
que dans six districts de Tahiti, pour la seule raison que tous les
autres étaient vides d'Européens. En 1863, la moitié des colons
vivant hors de Papeete, résident à Arue ou à Faaa. (voir carte cicontre). En 1866, 62% des exploitations européennes se répar¬
tissent entre Faaa (soit 26), Pare (soit 4), Pirae (soit 3), Fautaua
(soit 19) (2).
Durant toute l'époque étudiée, des districts entiers de Tahiti
sont dépourvus de colons.
Ainsi donc, ceux que l'on nomme "les planteurs" dans les
E.F.O. sont le plus souvent des négociants ou des fonctionnaires
résident à Papeete, ayant investi leurs capitaux dans les vallées les
plus proches de la ville. Un salariat agricole européen met en valeur
ces domaines, avec l'aide d'une main-d'œuvre indigène,
puis (ou)
chinoise. Un grand nombre de ces domaines enfin est planté de
cultures maraîchères, pour l'approvisionnement de la ville toute
proche.
Un groupe très restreint d'Européens acquiert des domaines
dans les districts, qu'il transforme réellement en plantations. C'est
ce petit groupe que nous voudrions présenter maintenant.
(1) "Listes électorales
pour
1881 et 1884", Séries statistiques. Arch. Pap.
(2) Idem.
Société des
Études
Océaniennes
LES (D'APRÈS
DANS
ÉTABLIE
CDRFÉOPRAAELNTIÇNSONSISDTITRH RDCLEALRAUITEF FJPAAGRE.S)
Source
Sé:rie
A1SPta8raicshpqu6.e,
1207
Même pour ceux qui ont franchi le
cap de l'acquisition du sol,
n'est pas aisé. Encore faut-il mettre en valeur sa terre.
Reprenons le cas des colons militaires.
Les jeunes soldats, qui acceptent d'être démobilisés sur
place,
se voient concéder des terrains
domaniaux, gratuitement pendant
trois ans, au terme desquels ils
pourront en devenir propriétaires.
Une aide matérielle est prévue : deux
pioches, deux
une
tout
pelles,
hache, et cinq mois de vivres. Les frais d'hôpitaux sont gratuits.
En échange, le jeune soldat doit avoir défriché et mis en
culture sa concession dès la première année sinon l'administration
se réserve le droit de
reprendre le terrain. Trente arbres doivent être
plantés, fossés et rigoles entretenus. La troisième année, il peut
acheter la terre à un prix très bas.
La tâche à accomplir est difficile : le
lopin de terre reçu est, en
effet, totalement inculte. Le mettre en valeur demande du temps.
Si l'on retire à cet effet la première année, il ne reste
plus au colon
que deux années pour pouvoir économiser l'argent nécessaire à
l'acquisition du terrain. Or les cultures coloniales, entendons par là
le café, la vanille, demandent
plusieurs années avant de rapporter.
En ce qui concerne la canne à
sucre, elle nécessite une maind'œuvre nombreuse et donc coûteuse : ce n'est
pas
bon moyen d'économiser
rapidement de l'argent.
Si encore tout se passait comme
là,
non
plus, le
prévu. Mais les difficultés
s'accumulent. La qualité du sol est très variable.
Lorsqu'on a
surmonté l'épreuve du défrichement avec une main-d'œuvre
disparate (et disparaissant souvent), il faut protéger ses plantations
multiples dangers : les troupeaux errants, les rats, les plantes
de
parasites (le terrible goyavier) ; les vols, la sécheresse même
autant de dangers supplémentaires.
sont
On ne s'étonne donc pas de voir un grand nombre de colons
baisser les bras et partir tenter leur chance ailleurs. D'autant
que le
successeur de Bruat, le commissaire Lavaud,
change de politique et
délaisse les rares colons. Comme le note le
capitaine Lecucq, "ces
anciens militaires, trop peu secourus, abandonnent
(alors) leurs
entreprises" (1). Il
accordé pour
remarque
également combien le laps de temps
les remboursements était trop court.
L'échec de
cette colonisation
agricole est patent. Certes les
français nous semblent bien mal préparés à ce type
d'entreprise. Leur manque de formation est le plus souvent total.
Après les anciens soldats, on voit toutes sortes de personnages
tenter l'aventure. Tous n'ont pas la chance de Guillaume
Grand, ce
colons
(1) Lecucq, "Questions de Tahiti", Paris, librairie militaire, 1849,
Société des
Études
Océaniennes
p.
97.
1208
comptable d'Arcachon, qui après avoir exercé dix années sa
profession dans le commerce, "dirige tous ses efforts vers
l'agriculture". "Avec une persévérance digne d'être citée, il
accomplit "une tâche pénible, et à laquelle il avait été jusque là
complètement étranger". Pour sa propriété acquise à Atimaono,
où il met en valeur 40 hectares, tant en cocotiers qu'en vanille, et
surtout pour son magnifique troupeau de 50 bêtes à corne, il est
proposé au Mérite Agricole (2).
Le manque
de capitaux s'est révélé, également, un des grands
ces colons. Notons d'ailleurs, à ce sujet, que les
colons anglo-saxons furent en ce domaine, mieux armés.
John Hart symbolise peut-être le plus, avec Brander, ces
colons anglo-saxons particulièrement entreprenants. Il débarque
vers 1867 aux Marquises, où il se constitue un vaste domaine de
points faibles de
800 hectares. Il
va
lui-même chercher la main-d'œuvre nécessaire et
dote de matériel
agricole, de magasins pour son coton. Il plante
ne faut cependant pas croire que ces
moyens bien supérieurs à ceux de la majorité des colons français
permirent à Hart de mieux mener son entreprise : les différentes
tribus marquisiennes lui donnent beaucoup de difficultés. Un rae
de marée détruit des plantations en 1877, après que les Indigènes
aient mis le feu à ses magasins. C'est finalement la puissante
compagnie allemande, S.C.O., qui reprend ses affaires en
parvenant à l'évincer complètement des Marquises.
se
des milliers de' cocotiers. Il
L'homme a cependant des ressources, puisqu'on le retrouve en
1888, devant le Conseil Général où il obtient la permission
d'introduire 500 travailleurs chinois pour mettre en valeur ses
domaines de Tahiti (1).
"Une poignée de Français entend bien se mesurer à ces grands
brasseurs d'affaires". Il s'agit du "clan des usiniers".
Si la colonisation agricole à Tahiti n'a pas vu l'émergence
d'une véritable classe de planteurs, tout au moins une catégorie
aussi puissante que restreinte a-t-elle vu le jour.
Dès l'origine, on trouve à Tahiti, des essais de plantation de
canne à sucre. Et dans les années 80 et 90, ces
plantations occupent
des
superficies
non
négligeables. Mais plus
que
ce sont
leurs investissements
en
leur implantation
qui font
considérer ce groupe de planteurs comme puissant. Usines à sucre,
moulin, distilleries demandent des capitaux considérables. Les
ancienne,
matériel
(2) Lettre du gouverneur Petit, 9 mai 1904, Cor. Min., Arch. Pap.
(I) Lettre du gouverneur Gallet, 15 déc. 1897, Cor. Min., Arch. Pap. Voir aussi les
Procès-verbaux du Conseil Général, août 1888, p. 558, année 1889.
Société des
Études
Océaniennes
1209
bénéfices
sont
à la
mesure
de
ces
investissements. Citons deux
exemples.
Le soldat La
Bruyère, libéré à Tahiti, met 4 ans pour devenir
propriétaire d'une belle plantation de canne à sucre à Paea. Il y
monte une
raffinerie
et une
distillerie. Ses affaires marchent si bien
qu'il peut s'installer comme négociant à Papeete et finalement
rentrer en Métropole dès 1900, "fortune faite" (1).
Le soldat Pater, après avoir longtemps hésité à se fixer dans la
colonie, se rend acquéreur d'une belle plantation et devient
également usinier. A la fin des années 80, il est jugé "très à l'aise" et
cité en exemple par le gouverneur comme le modèle du colon
français. Son usine, construite dès 1868, fournit à cette époque
environ 30 tonneaux de sucre (2).
La très ancienne usine d'Adams, passée aux mains de
Young,
est toujours la plus importante à la fin du siècle avec ses 60 à
80 tonnes annuelles. Ces chiffres marquent bien la faible
ampleur
réelle de ces exploitations (2).
Malgré les essais de reconversion de la plaine d'Atimaono,
80, la culture de la canne à sucre ne réussit pas à
s'implanter. La concurrence des îles Fidji était trop forte. Le poids
des "usiniers" alla déclinant, après avoir cependant, pendant
près
de 20 ans, dominé la Chambre d'Agriculture. Ils surent dans leur
grande majorité diversifier leurs investissements, à l'image du
dénommé Atger. Né en 1829, civil arrivé directement de Bordeaux,
il se fixe tout d'abord à Papeete, en 1868. Installé comme débitant,
il parvient à réaliser quelques bénéfices qu'il investit dans le district
de Pirae. L'élevage, mais surtout la canne à sucre lui rapportent
gros. On le retrouve en 1895, propriétaire d'une sucrerie produisant
15 à 18 tonnes par an. Il dispose également d'unemsine à farine de
coco, produisant environ 2 à 3000 kgs et enfin d'une fabrique, de
modeste importance il est vrai, de gélée de goyaves (1).
Il faut encore ajouter Jean Carron, installé à Paea, où il
distille 12 à 15000 litres de rhum par an. Simple ouvrier des Ponts
et Chaussées libéré à Tahiti, en 1878, il lui faut
peu de temps pour
se retrouver à la tête de
plusieurs propriétés qu'il cultive en canne à
dans les années
sucre.
Lui aussi diversifie
ses
activités
en
installant
une
brasserie à
sucre.
Outre celle
Papeete (1).
En 1895, il ne subsiste
plus
que
cinq usines à
(1) Fiches de Police. Op. Cit.
(2) "Rapport de la Chambre d'Agriculture, Il août 1898, 10 novembre 1898", in
Messager de Tahiti, p. 285-288, p. 381-389.
(I) Rapport du gouverneur Papinaud, 15 oct. 1905, Cor. Min., Arch. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1210
Young, on retrouve celle de la société commerciale de l'Océanie
(avec 40 tonnes), puis celles de Atger, de Tati Salmon, le chef de
Papara, et d'un certain Creusot.
de
Quoique qu'en dise la Chambre d'Agriculture, d'après laquelle
réaliser avec succès cette
culture, les E.F.O. ne ressemblent pas aux Antilles.
En fait, les Français, comme la grande majorité des Européens
établis en Polynésie Orientale, ne s'intéressèrent à l'agriculture, que
lors d'exceptionnelles et très courtes fièvres spéculatives sur
certains produits tropicaux. Ainsi un grand nombre d'Européens
se lancent dans la culture du coton, dès lors que les cours, à la suite
de la guerre civile américaine, s'envolent.
L'un des tous premiers à saisir cette chance est un nommé
Robin. Il illustre tout à fait cette nouvelle catégorie de "planteurs".
Conducteur aux Ponts-et-Chaussées, il sait gravir tous les échelons
pour en devenir le premier directeur. Il offre alors sa démission et
opte pour la fonction de notaire. Certaines indélicatesses l'obligent
à se réfugier à Raiatea, alors indépendante. Cet épisode ne
l'empêche pas de se retrouver, sept années plus tard, homme de
confiance du gouverneur la Roncière. Il en profite pour acquérir
plusieurs terrains. Il n'hésite pas à planter des nouvelles terres en
coton, s'assurant de jolis bénéfices qui lui permettent de se doter
d'une usine à égréner, qui fait l'admiration du "Messager de
Tahiti réunit toutes les conditions pour
Tahiti".
Si Robin devient bien "un des propriétaires les plus considé¬
rables de Tahiti", ses liens avec l'agriculture sont très lâches : il vit à
Papeete, où il occupe des fonctions officielles ou semi-officielles,
présidence du Tribunal de Commerce ou la co-gestion de la
Caisse Agricole.
Ce type d'exemples, auxquels on peut ajouter la réussite
éclatante du domaine d'Atimaono, mis en valeur par l'anglais
Stewart, et dont l'expérience demeure le seul exemple connu de
vaste mise en valeur avec des capitaux étrangers importants,
devaient sus'citer de nombreuses "vocations". La propagande de
l'administration locale entraîna également un nombre croissant de
telle la
colons à tenter l'aventure.
C'est ainsi
qu'en 1865, on comptait 138 exploitations, d'une
superficie totale de 2162 hectares, dont 290 ha plantés en coton et
83 ha en cannes à sucre. Si l'on excepte les 48 exploitations
indigènes, dont la moyenne d'exploitation atteint seulement,
1,33 hectare, on trouve 84 planteurs européens (1).
(1) lie de Tahiti. Rapport fait à Mr le Commandant Impérial par la Commission
d'Inspection des cultures", Op. Cit., 1866.
Société des
Études Océaniennes
1211
Une
première constatation s'impose : il ne s'agit pas de
dans la colonie. On peut dénombrer en effet plus
de 30 fonctionnaires, négociants ou restaurateurs. Il s'agit donc
bien de personnes exerçant une autre activité, qui leur assure le
plus souvent la majorité de leurs revenus, et on ne peut guère les
considérer comme des producteurs à part entière. Ainsi que le fait
remarquer C. Newburry, ils ne firent "qu'un investissement limité
en terres et en travail... Leur intérêt
pour la terre a été spéculatif,
uniquement pendant les périodes de hausses des prix".
Il ne faut pas oublier cependant la cinquantaine de colons qui
n'eurent pour seules ressources, que celles qu'ils tirèrent de leur
plantation. Quelles furent leurs conditions de vie ? La commission
d'enquête de 1868 livre d'abondants détails sur ce que fut
l'existence des premiers planteurs européens à Tahiti.
Les enquêteurs (1) notent tout d'abord combien "les colons
sont isolés dans toute l'île", "éloignés de tout secours médical".
Cependant il faut remarquer qu'ils "n'ont fourni qu'un contingent
minime à la mortalité annuelle". Cela ne veut pas dire qu'ils soient
en bonne condition
physique : ils apparaissent au contraire
"fatigués par le rude labeur d'une terre vierge, réduits à une
nourriture complètement en dehors de leurs habitudes".
Si un nombre important de propriétés possède une qualité du
sol excellente, on trouve aussi des sols "marécageux, ingrats,
nouveaux venus
sablonneux, médiocres", voire "très médiocres et très secs". En
fonction des résultats acquis, l'habitat évolue. Une dizaine de
colons vit dans des "maisons" estimées à plus de 3000 frs. C'est
dans cette catégorie que l'on retrouve les usiniers, comme Adams
avec une maison d'habitation estimée à 4500 frs. Dans cette
catégorie entrent également des hommes tels que A. Gibson,
négociant de première classe à Papeete, disposant d'une maison de
20000 frs, employant sur ses domaines 15 travailleurs. Le négociant
J. Brander, le plus important armateur de Papeete, y figure
également pour 3 maisons et 6 bâtiments (valeur non indiquée).
Les plus nombreux, soit une trentaine de colons, disposent de
"maisons et de cases" d'une valeur variant entre 1500 et 2000 frs. Il
s'agit le plus souvent de Français. Enfin, une bonne quinzaine vit
indigènes" dont la valeur, quand elle est indiquée,
n'excède jamais 500 frs.
dans des "cases
Certes ce tableau date du début de la mise en valeur de Tahiti.
L'évolution fut par la suite constante : le nombre des planteurs
(1) Ile de Tahiti. Rapport fait à Mr le commandant Impérial
d'inspection des cultures". Op. Cit, 1866.
Société des
Études
Océaniennes
par
la Commission
1212
l'avons vu. Mais il faut bien
qu'aucun mouvement de fonds ne parvint à se dégager.
En 1906, dans une très intéressante brochure intitulée "La
Colonisation française à Tahiti" (1), Bracconi raconte les
conditions d'accueil du nouvel arrivant. Après le voyage, long et
difficile, les multiples taxes d'arrivées, "la sourde hostilité des
Français déjà établis", il faut gagner la nouvelle concession.
Première déconvenue : la terre ne manque pas, certes, mais elle est
située à plusieurs dizaines de kilomètres de Papeete, soit à pas
moins de 24 heures de diligence, à 25 frs l'aller simple. Les terres
sont en friche, or "le colon ne doit compter que sur lui-même" car
la main-d'œuvre est hors de prix. Les bénéfices, lui assure-t-on,
sont énormes, mais pas avant de longues années. En attendant, il
augmenta sans cesse, comme nous
reconnaître
faut rembourser la concession et les vivres sont bien chers...
Aussi, conclut Bracconi, "qu'advient-il de nos compatriotes,
toujours ? Ils renoncent à la concession si chèrement
acquises, vivent quelque temps sur leur unique capital, puis las de
contempler la'nature, ils rentrent en France, dans cette belle patrie
qu'ils n'auraient jamais dû quitter".
presque
Les
plus chanceux, et ceux disposant d'un quelconque capital,
profits rapides dans une crise de spéculation
brutale, sans souci de ménager l'avenir" (2). A partir de cultures
épuisantes pour le sol, mais demandant des investissements très
limités, quelques dizaines d'hommes parvinrent à se constituer des
"fortunes", très discutables. La propagande officielle, et autre,
entendit faire croire qu'il s'agissait là d'un phénomène de masse. En
ce qui concerne les E.F.O., rien n'est
plus faux. En fait ceux qui
tentèrent l'aventure, à partir de leur seule capacité de travail,
échouèrent lamentablement dans 80% des cas. Aussi, pour bien des
planteurs, l'expérience se termina... à Papeete. Simplement,
pouvons-nous mieux comprendre leur démarche et atténuer ainsi
la rigueur du jugement de ce rapport officiel de 1870 : "Très peu
surent
tirer "des
travaillent la terre. Ils excellent dans la tenue d'un cabaret et dans
les criailleries contre tout ce qui se fait ou ne se fait pas. Il n'y a
guère
Il
que ceux
qui viennent de Californie qui travaillent" (1).
saurait être question d'opposer les Européens des
districts à ceux de Papeete. Tout d'abord parce que les liens entre
propriétaires urbains et planteurs sont bien difficiles à dissocier.
Ensuite parce qu'il n'y a pas d'authentique classe d'agriculteurs à
ne
(1) Bracconi, "La colonisation française à Tahiti", p. 437.
(2) Doumenge, "L'homme dans le Pacifique Sud", Op. Cit, p. 331.
(1) "Réponses aux questionnaires destinés à la rédaction de l'exposé de la situation de
l'Empire", J 18, C 141, Fds. Oc.
Société des
Études Océaniennes
1213
Tahiti : ainsi, la Chambre d'Agriculture fut
contrôlée par l'élite citadine.
toujours largement
Et pourtant,
si la population rurale nous est apparue
particulièrement disparate, que dire de la population urbaine de
l'unique ville des E.F.O., Papeete ?...
Papeete est avant tout un port. Cela signifie qu'un flot
continuel de nouveaux venus vient
s'ajouter aux quelques
centaines de colons de la place : les
équipages des navires, toujours
turbulents, toute une gamme d'aventuriers, résidant parfois de
longs mois dans la petite ville, les premiers touristes même en cette
fin de siècle. L'importance de cette
population fluctuante est
manifeste, et elle n'est pas sans laisser une profonde marque, un
certain état d'esprit. On peut même se demander
jusqu'à quel point
les gens de passage ne furent pas, à certaines
époques particuliè¬
rement fastes de Tahiti, plus nombreux
que les résidents, surtout si
on y intègre les
garnisons et équipages de la flotte.
Établir des statistiques précises sur la population française et
européenne de Papeete est pratiquement irréalisable en raison des
données. A partir des recensements officiels, on peut obtenir le
tableau suivant
:
POPULATION EUROPÉENNE ET ASSIMILÉE DE PAPEETE
Années
Français
Européens autres
que Français
*
1881
1897
1902
1907
1911
1373*
2650*
286
1909
2135
250
385
522**
532
997
Tous les
Indigènes sont à cette date, du fait de l'annexion, considérés
Français. Il faut rapprocher ces chiffres de la statistique établie en
1890 estimant à 351 hommes, dont 16 enfants de moins de 14 ans, le
nombre de "Français nés en France.
:
comme
**
:
y
compris les Indigènes
sous
Protectorat anglais des îles Cook
notamment.
Sources : "Séries Statistiques pour 1897", Arch.
Officiels parus dans le J.O. des E.F.O.
Pap, Recensements
Des critères différents ayant
été retenus lors de chaque
ne peut être tirée. Soit
par facilité, soit par volonté marquée d'assimilation, Tahitiens et
Français de métropole ont été comptabilisés ensemble, dès
recensement, aucune conclusion d'ensemble
l'annexion.
L'augmentation massive remarquée à partir de 1907, nous
paraît suspecte. Certes, l'ensemble des E.F.O. voit sa population
Société des
Études
Océaniennes
1214
d'origine européenne s'accroître brusquement. Le nombre des
Européens autres que Français va quasiment doubler entre 1907 et
1914. La phase de prospérité générale que connaît à cette époque la
colonie, et plus particulièrement l'intense activité qui règne autour
des phosphates de Makatea, peut expliquer un tel accroissement,
mais pas dans des proportions aussi fortes.
Le chiffre qui, pour la fin du XIXème siècle nous paraît le
mieux cerner la réalité, est celui de 1902.
Il se rapproche des chiffres des listes électorales de 1881 et
1884. 273 électeurs sont inscrits
en
1881 et 344
en
1884. Il faut
cependant en écarter une dizaine d'électeurs, Français, originaires
de Tahiti (par exemple, Tetua a Tehi, Vane a Mauri, ou Timoteo a
Manueono).
On peut donc estimer à environ trois cents le nombre des
Français, résidant à Papeete, entre 1880 et 1902. Il est évident que
militaires et fonctionnaires grossissent largement ces statistiques.
Mais en ce qui concerne les colons authentiques, il ne devait guère
y en avoir plus. D'ailleurs, les colons étrangers se situent également
dans cette fourchette. Or, les contemporains ont toujours
remarqué que les Français paraissaient "noyés dans la masse des
étrangers".
Enfin le chiffre singulièrement bas de 1902 peut s'expliquer
par le fait que c'est précisément à cette époque que la colonie
traverse une crise économique particulièrement grave.
Nous disposons d'une population particulièrement réduite.
Nous avons tenté, à partir de cet échantillonnage, de déterminer
quelles étaient les catégories socio-professionnelles représentées à
Papeete. Nos sources ont été les fiches de police, de 1856 à 1880, et
les recensements beaucoup plus ponctuels des listes électorales pré¬
citées.
Société des
Études
Océaniennes
1215
On obtient les résultats suivants
Catégories
socio-professionnelles
Fiches de
Police
1884
9%
12,45%
6,9%
21%
24%
17%
Restaurateurs
Débitants
8%
4,5%
3,7%
Petits métiers
15,6%
15,3%
10,4%
3%
2,5%
2%
24%
32%
35%
80,6% *
90,75%*
75%*
et
Salariés
Artisans
Ouvrier
et
Élite
Secteur
Agricole
TOTAL
:
Listes électorales
1881
Commerçants
*
:
les
fonctionnaires, les militaires, les missionnaires n'ont pas été
1884, une vingtaine de Tahitiens figurent sur cette liste.
retenus. En
Nous pouvons tout d'abord constater que le
demeure quelle que soit la source utilisée, la
"secteur agricole"
catégorie la plus
importante de colons. C'est également le seul secteur qui
s'accroisse. Ceci nous semble dû, surtout, à une attitude très
"française" et que nous avons déjà signalée : l'artisan, le négociant
même, préfèrent, pour des raisons de prestige, figurer sur ces listes
comme propriétaires
plutôt que sous leur profession d'origine.
Si les Français sont présents dans tous les secteurs de
l'économie, ils n'y occupent pas toujours une place prédominante.
Il existe, de plus, des professions où leur quota va s'amenuisant.
Le négoce tout d'abord. En fait il n'y eut guère à Tahiti de
grands négociants français, de ceux payant une patente de
première classe. Par contre, le petit commerce, de celui de la
couturière à celui du boulanger, fut longtemps une place forte
française. A partir de 1884 ce secteur semble bien menacé.
Menacés également, les restaurateurs et débitants : en 20 ans,
leur pourcentage diminue de moitié.
Pour ces deux catégories, la concurrence chinoise va s'avérer
extrêmement redoutable. Il va, dès lors, falloir se replier vers
d'autres secteurs de l'économie.
Les artisans de Papeete sont, en grande majorité, français. La
Marine Nationale a fourni, ne l'oublions pas, un fort contingent
Société des
Études
Océaniennes
1216
d'ouvriers spécialisés à la colonisation. Ceux-ci se sont révélés
d'excellents artisans. Ils forment un groupe solide, difficilement
concurrencé par des mécaniciens anglo-saxons ou des charpentiers
suédois. C'est presque un Français sur cinq qui parvient ainsi à
faire son chemin.
catégories les plus opposées. L'élite de la
colonie, tout d'abord, composée de médecins ou de pharmaciens,
venus essentiellement de la Marine, ou bien de notaires, des
"avocats-défenseurs", dont la formation s'est bien souvent faite sur
place. Ils restent une très faible minorité de la population.
Restent les deux
Aux
antipodes,
on peut regrouper sous
l'appelation "petits
métiers", l'ensemble du salariat urbain. Ce sont les domestiques et
les hommes de peine, les manœuvres, mais aussi les garçons de
café, les gardiens, les concierges. Ils ont en commun, pour la
plupart, d'être aux limites de l'indigence. Et si on leur ajoute les
"sans profession" ou les vagabonds, ils atteignent 15% de la
population française globale, chiffre particulièrement élevé.
Chaque catégorie, c'est évident, regroupe des hommes fort
différents, tant au niveau des connaissances que des capitaux. Ce
sont les commerçants-négociants qui offrent à cet égard le plus de
dissemblance.
Nous pouvons
connaître cette catégorie de colons, principa¬
façon régulière dans
partir des années 80
toutefois qu'il est possible de bien cerner l'évolution des négociants
et commerçants de la colonie.
lement
aux listes de patentés parues de
les "Annuaires des E.F.O.". C'est seulement à
grâce
Mais il est extrêmement délicat de différencier les
commer¬
çants français des autres européens. Nombre d'étrangers, établis
dans la colonie depuis plusieurs années ont en effet la possibilité
d'acquérir la citoyenneté française. La majorité des plus anciens
d'entre eux, surtout parmi ceux qui ont réussi à se créer une belle
situation sociale, font cette demande. C'est ainsi que nous
retrouvons les dénommés James Nichols, Salmon, Pean, William,
Coppenrath ou Van der Veene comme patentés français. Les
prendre en considération eut été accroître démesurément la
proportion et le poids de la communauté française.
D'autre part, effectuer nos statistiques sur le seul critère
patronymique, eut été également source d'erreur. Brunscwig,
Muller, Moerenhout (en 1895) sont bien des Français alors que
nous serions tentés de les classer à priori comme côlons
étrangers.
De ce fait, nous avons considéré la totalité de la population
européenne, tout en étant persuadé que les conclusions que nous
Société des
Études-Océaniennes
1217
tirons d'une telle étude
s'appliquent pleinement à la société
française de Papeete.
La deuxième difficulté provient du classement
que nous avons
effectué entre négociants et commerçants.
Les
négociants de 1ère classe, dans les années 80, sont
également armateurs. Ils sont autorisés à faire le commerce de la
nacre brute. Ils vendent en
gros et en détail toutes les marchan¬
dises, y compris les boissons alcoolisées. Les négociants deuxième
classe possèdent les mêmes droits, mais ils ne sont
pas formés
d'armateurs.
Ce classement
va évoluer. A la fin du
siècle, les négociants de
première classe ne sont plus armateurs. Ils peuvent toujours vendre
en gros les boissons alcoolisées, mais, "le
gros comporte au moins
1 bouteille pour les liquides d'importation autres que les rhums" ?
La différence entre négociants de première et de deuxième
classe devient alors d'origine spatiale. Les premiers sont installés à
Papeete, les seconds dans les districts ou les archipels.
Le statut de négociant de 3, 4 et 5ème classe évolue également.
A l'origine, il s'agit des marchands de 3 et 4ème classes. Ils
conservent les mêmes prérogatives : "la vente en gros et en détail
des marchandises sèches". Leur classement varie, cette fois, en
fonction de la localisation de leur affaire et de leur chiffre
d'importation.
Nous
avons
donc
regroupé
en
deux catégories distinctes, d'une
part les négociants de 1ère et 2ème classe, en opposition avec le
reste des
patentés du commerce (1).
premier groupe est constitué d'une poignée de riches
marchands, renforcé par les sociétés de commerce, parmi lesquelles
la toute puissante Société Commerciale de l'Océanie (S.C.O.),
d'origine allemande, ou encore les firmes anglo-saxonnes Maxwell,
Crawford, Donald and Edenborough, Turner and Chapman.
Le deuxième groupe, numériquement plus important, compte
généralement dans ses rangs beaucoup plus de Français.
Mais tous deux connaissent en fin de compte, une situation
Le
très aléatoire, comme nous allons le montrer.
Le groupe
des négociants constitue, de très loin, la catégorie
plus riches de la colonie. Comme ils sont du reste
nombreux, nous les connaissons assez bien. De 1862 à 1914,
des hommes les
peu
leur nombre varie peu :
(1) Toutefois, il est possible de trouver des commerçants payant double patente. Ainsi la
société Crawford
est
patentée 1ère classe à Papeete et 2ème classe puisque établie aux
Marquises.
Société des
Études
Océaniennes
1218
Négociants de 1ère et 2ème classe
Années
Nombre de
Patentés
1863
1885
1890
1895
1900
1905
1910
1914
9
12
18
9
11
10
9
20
(1)
Français y sont minoritaires. Il est certain que
de capitaux et leur arrivée tardive dans ce territoire
expliquent leur sous-représentation, dans le commerce de gros.
Dans les années 50 et 60, des négociants anglo-saxons se sont
Assurément les
leur manque
en
effet établis
avec un
certain succès. Leurs liens
avec
les familles
plus puissantes de Tahiti, notamment la famille royale, leur ont
permis de prospérer de longues années. Il est nécessaire de donner
quelques aperçus de cette société, pour bien comprendre pourquoi,
dans l'esprit des contemporains, les représentants de la commu¬
nauté française furent toujours largement dépassés.
Le premier de ces colons fut sans conteste Alexander Salmon
qui débarqua à Tahiti, dès 1841. Ce fils de banquier israélite, arrivé
démuni, va s'introduire dans la famille royale tahitienne en
épousant la princesse Ariioehau, d'une des branches les plus riches
de Tahiti. Il acquiert ainsi de grandes propriétés, qu'il plante de
cocotiers, d'orangers, de caféiers. L'élevage de porcs est amélioré
par ses soins et celui des bovins prend de l'extension. Se chargeant
lui-même des exportations de ses produits, il devient un négociant
les
richissime.
Sa position
sociale s'en trouve
encore
renforcée. Sa fille,
Marau, épouse le roi Pomare V. Deux de ses fils sont dans le
commerce (l'un d'eux monopolise le commerce avec l'île de
Pâques). Mais c'est surtout son gendre Brander qui va développer
le commerce interinsulaire, avec un succès éclatant.
Si les activités de Salmon relevaient tout autant de la
plantation
dans le
que
du négoce, John Brander, lui, allait
se
spécialiser
commerce.
Les capitaux ne manquent pas
1851 à Tahiti. Tout l'intéresse : le
à cet Écossais qui débarque en
commerce des perles bien sûr,
mais
également celui de la nacre, de l'huile. Il achète aussi des
plantations. Mais c'est surtout comme armateur qu'il est le plus
connu : à l'époque de sa mort, pas moins de huit goélettes
sillonnent pour lui les archipels.
Le richissime américain Adams dit de lui
en
1891
:
"C'est le
(I) "Annuaire de Tahiti" puis "Annuaire des E.F.O.", Papeete, Impr. du gouvernement.
Société des
Études
Océaniennes
1219
plus grand commerçant de Papeete. Ses plantations produisaient
coco par millions, ses
pêcheries de perles expédiaient
des tonnes de nacre en Europe, ses navires
monopolisaient le
commerce des îles... Il
n'y a personne d'autres qui compte en
dehors de l'épisodique officier de la Marine
française..." (1).
Cependant il faut bien remarquer que cette génération
disparut rapidement. De plus, certains de ses principaux repré¬
sentants à l'image de Hort ou de
Brander, finissent sinon ruinés,
des noix de
au moins écartés du monde des affaires. La
S.C.O. rachète en
effet dans les années 80, les belles propriétés
de ces pionniers.
Pendant près d'une quarantaine d'années, ces hommes
dominèrent largement les activités
économiques du protectorat, ne
laissant que "les miettes" à de rares Français, essentiellement des
tout
capitaines de goélettes.
Les années 80 marquent l'entrée en force des grandes sociétés
anglo-saxonnes et surtout allemandes. La concurrence devient très
vive, les moyens engagés considérables. Adams, très précieux
observateur, note : "Il y a au moins une douzaine de sociétés
concurrentes pour traiter les affaires dans les îles sous lois
françaises, éparpillées dans cette aire du Pacifique, représentant à
peine 30 000 personnes... La totalité des exportations n'excède pas
1 500 000 dollars-or. Il est évident
que personne ne peut édifier
fortune dans de telles conditions" (1).
Les crises économiques qui secouent la colonie, ayant le plus
souvent pour cause la chûte des cours des
produits tropicaux
exportés, rendent encore plus aléatoires les chances de succès.
Et pourtant les candidats sont nombreux. Entre 1883 et
1910,
pas moins de 31 maisons françaises tentent de se créer. Toutes
paient patente de première ou deuxième classe.
Parmi elles, quatre ont été créées avant 1883, notamment les
maisons Laharrague et Drollet, qui ont connu un succès non
négligeable.
Mais force est de constater que seules deux négociants
parviennent à couvrir la période étudiée : les sieurs Martin et
Raoulx.
Pas moins de 9 Français prennent une patente qu'ils ne
peuvent garder l'année suivante. Si l'on ajoute les quatre autres qui
ne durent
que deux années, on obtient près de la moitié des
négociants : l'échec est patent.
Sept d'entre eux parviennent il est vrai à durer quelque temps
(1) Adams, "Lettres des Mers du Sud",
(1) Adams, Op. Cit.,
p.
p.
343.
359.
Société des
Études
Océaniennes
:
1220
trois et cinq ans. Encore s'agit-il de deux femmes reprenant
les affaires de leurs maris décédés, mais sur une échelle bien
moindre et également des fils Drollet qui tentent de poursuivre
l'œuvre de leur père.
entre
Aucun d'entre eux n'est réellement de taille à lutter avec les
sociétés commerciales étrangères, et l'on comprend fort bien cet
échec si l'on tient compte de l'origine sociale de ces négociants. La
majorité est composée d'anciens militaires. Tous les corps sont
représentés : un matelot (Malardé), un quartier-maître (Liais), un
ouvrier de la Marine (Georget), trois soldats (Bruyère, Lehartel,
Hérault), un gendarme (Sautel) et un commis de la Marine (Gillet).
Non seulement la formation requise fait totalement défaut, mais
sans aucun doute, les capitaux aussi.
Cela ne veut pas dire que, en cas d'échec comme négociants,
on abandonne le commerce. La plupart de
ceux qui tentent aussi
leur chance se.sont déjà essayé comme marchands de 3 ou 4ème ca¬
tégorie. Ils ont tenté de franchir un échelon supérieur : bien peu,
hélas, en avaient l'envergure.
Pourtant il est
possible de mettre sur pied des affaires,
mais rentables. L'exemple de Laguesse est
significatif. "A la ville de Dijon" est une entreprise prospère. Il est
vrai que cet homme aisé a une autre habitude des affaires. Établi
dans les années 1905, il bénéficie aussi d'une période de prospérité
qui a durement manqué à ses prédécesseurs.
Ne réussissant guère dans le grand commerce, les français se
réfugient dans "la boutique". En fait dans ces commerçants de 3 et
4ème classe, on retrouve aussi bien le commerce de détail spécialisé
de Papeete, que le commerçant de district ou d'archipel qui écoule
quelques produits manufacturés auprès des tahitiens contre leur
coton, puis leur coprah et leur vanille.
modestes certes,
Guère nombreux
au
milieu du siècle (une
dizaine),
ces
commerçants se multiplient au point d'atteindre le nombre de 170
en 1905 (voir courbe jointe). Les Français constituent facilement
la moitié des patentés européens, le tiers en période d'intense
activité. La croissance de Papeete explique ce décollage impres¬
sionnant du petit commerce, à partir de 1896.
Cependant dès 1883, des commerçants chinois s'installent :
est rude. Avant 1900, l'affaire est jouée et ce sont
eux qui contrôleront, sinon à Papeete, du
moins dans les districts
et les îles, tout le commerce de détail. A
partir de 1900, le nombre
de commerçants européens s'effondre. Il est à noter
qu'à cette
époque apparaissent les premiers négociants chinois.
leur
concurrence
Société des
Études
Océaniennes
Nombre
Pdateenés
175
L
COURBE
COMERÇANTS
PATENS
DES
Patenés
-«»„
dToetasl PCahteinntoéss
■—
Européens
Patenés
■
An ées
1914
1_ 18905
1I1 890
18 5
1883
1222
L'installation de commerçants chinois dans presque tous les
districts de Tahiti va mettre fin à une catégorie de commerçants
bien particuliers les colporteurs. Il n'y en eut guère à Tahiti, il est
vrai. En 1865, on n'en compte que 6, dont 3 Français. Dans les
années 80, ils ne sont guère plus de 20. Et dès 1890, leur chiffre
tombe à une faible dizaine.
Mais avec ces colporteurs, nous passons à un autre type de
commerçants. Ce ne peut être à Tahiti qu'ils peuvent faire des
affaires, et ils s'orientent vers le commerce des archipels. Aucune
statistique régulière n'en
a été tenue, même à travers les patentes.
1886, on en compte 156 dans toute la Polynésie.
De même en 1904, près de 20 ans plus tard, ils sont 67 encore. Les
Tuamotu et les Gambier sont leur domaine privilégié : ils vont d'île
en île, à l'affût des perles noires.
Quel fut le pourcentage de Français ? Faible assurément : à
partir des années 90, les chinois exercent là un monopole que seul,
à Tahiti, Joseph Lehartel leur dispute jusqu'en 1910. L'horloger
Brunshcwig paie également patente jusqu'en 1900.
Aux Tuamotu, aucune liste nominative n'a jamais été dressée.
Mais aux Gambier, à l'exception de 3 anglais, pas un européen.
Pourtant
en
Aux
Marquises, Henri Bruneau, Alfred Layton, Justin Bradara,
Benjamin Verney à Ua Pu et Hiva Oa, n'étant guère concurrencés,
se
maintiennent bien
Il existe
une
au
autre
delà des années 1900.
catégorie de commerçants itinérants, mais
que les patentes cernent mal, du fait des trop nombreuses
modifications survenues dans les classements effectués. Si les
négociants de première classe sont, jusque dans les années 90
également armateurs, à partir de cette époque on les trouve dans
une catégorie autre : "armateur pour le grand cabotage, le petit
cabotage, et le bornage". Ce nombre ne dépasse guère la vingtaine :
on y retrouve tous les principaux négociants. A côté des maisons
étrangères, il y a Raoulx, Martin, deux Tahitiens associés à la
S.C.O. (Tati Salmon, Narii Salmon), et déjà deux chinois (1900).
A partir de 1902, un autre classement est survenu. L'on voit ce
chiffre s'accroître considérablement. Il s'agit de "capitaines de
navire faisant le commerce à bord, sans magasin".
En 1903, ils sont 23, 36 en 1909 et plus de 200 en 1914. Il
semble bien que l'administration ait décidé de faire apparaître dans
ses listes de patentés, tous les capitaines de goélette
qui, d'une
façon ou d'une autre, commercent dans les archipels.
Il est certain que les tahitiens sont sinon majoritaires, tout au
moins fort nombreux (en 1909, ils sont 24 sur 36). Les chinois,
après 1910, accaparent également ce trafic.
Société des
Études
Océaniennes
1223
Mais dans les années 80, quelques Français aventureux n'ont
pas hésité à tenter leur chance de cette manière. L'ancien quartier
maître Charles Arnaud est maître au grand
cabotage dès 1878.
Mais aussi les nommés Rey, Berteau, Gervais.
Presque tous ces hommes sont tributaires des négociants de
Papeete, surtout des grandes sociétés étrangères. Ils se contentent
d'échanger les marchandises fournies par ces derniers contre les
productions du sol ou de la mer. Ils s'aventurent cependant fort
loin : les Tuamotu, les Marquises n'ont pour eux aucun secret.
Toutes
activités ont lieu
ces
sans
contrôle de l'administration
française. Dire
que ces échanges sont inégaux est une évidence.
Certains colons tirèrent de substanciels bénéfices qui leur
permirent de s'installer ensuite commerçant à Papeete.
vont
Force est de constater que seules quatre
réussir à s'imposer, et surtout, à durer.
maisons françaises
Sosthène- Drollet
(1829-1897) doit sa fortune à la gelée de
Boulanger-confiseur, il se lance dans le négoce à partir du
moment où sa goyave est
exportée aux États-Unis. Mais c'est
plutôt son usine de glace et d'eau gazeuse qui lui rapporte les
revenus les plus importants et
qui fait de lui un des notables les plus
en vue de
Papeete, (à noter que lui aussi tenta sa chance comme
chercheur d'or en Californie).
Le clan Laharrague (3 frères) n'eut pas besoin de chercher fortune.
Leur père tenait une maison de commerce réputée à Valparaiso et
les trois fils disposaient d'un capital suffisant pour lancer leur
succursale à Papeete. Spécialisée dans le négoce international, la
maison décline cependant dès lors que de nouvelles routes
commerciales se mettent en place, se détournant du Chili au
goyave.
bénéfice de San Francisco.
Payant patente dès 1844, cette maison française joua un rôle
non négligeable. Gros fournisseurs de la Marine
française, seuls représentants de la maison bordelaise Tandonnet,
les frères Laharrague ont le mérite d'avoir tenu pignon sur rue
pendant plus de cinquante ans : en 1892, un fils, paie encore
patente de négociant de 2ème classe.
Deux autres colons français éclipsent cependant, par leur
réussite commerciale et leur poids politique, tous les autres
négociants.
Beaucoup plus représentatifs sont Louis Martin (1843-1910) et
Victor Raoulx (1842-1914). Ils vont accréditer la légende des
anciens marins devenus richissimes et devenir des figures locales
que l'on retrouvera dans toutes les institutions territoriales.
commercial
Arrivé
en
1866
sur
l'île, Martin
Société des
Études
commence sa
Océaniennes
carrière
comme
1224
maître
cabotage. Il fait aussi la navette entre les différents
est surtout connu à Mangareva. Il parvient, par son
commerce, à acquérir une goélette et s'établit comme armateur à
Papeete. Le négoce consolide une fortune naissante. Selon
P. O'Reilly, le pareu tahitien serait en quelque sorte son invention.
Sa maison prend une ampleur considérable : c'est même la seule
maison d'envergure qui soit française.
Son principal concurrent est Victor Raoulx. Arrivé comme
matelot en 1863, il se lance lui aussi, selon un itinéraire bien connu,
dans le commerce des Archipels (il est maître au grand
cabotage).
Il passa armateur, grâce aux grains amassés à "trafiquer
dans les
îles". Puis s'associe avec la maison américaine Crawford, avant de
travailler avec un ancien sergent, employé aux établissements
Martin, Papineau. A la mort de ce dernier, Raoulx décide de
voguer seul : il "arrache" aux Laharrague les droits de représen¬
tation de la maison Tandonnet et devient de ce fait l'importateur
attitré des produits français dans la colonie.
Ses bénéfices, très intelligemment investis dans des plantations
de canne à sucre font de lui un des principaux "usiniers" de l'île. Il
se lance également avec son fils dans le
coprah, en plantant des
parcelles d'Atimaono de plus de 14 000 plants (1).
au
archipels et
De tels hommes ont
rôle social et
politique imminent. Mais
uniques, et plus nombreux
sont ceux qui tentèrent de vivre en
exerçant leur propre métier.
Le grand commerce leur étant inaccessible, la
"Boutique" leur
étant âprement disputée par les chinois, les français de Tahiti se
ces
un
exemples sont malheureusement
tournent alors
un
jeu.
vers d'autres secteurs. L'artisanat devait
permettre à
grand nombre d'entre-eux de tirer adroitement leur épingle du
On retrouve
effet
beaucoup de français installés comme
"entrepreneurs". Terme bien vague, il est vrai, puisqu'il recouvre
aussi bien les bourreliers, les charpentiers, les charrons, les
constructeurs de bateaux, les cordonniers, les
couturiers, les
ébénistes, les ferblantiers-lampistes, les forgerons, les maçons, les
mécaniciens, les menuisiers, les tapissiers et les voiliers. Cette
longue liste ne doit pas cacher le manque cruel de main-d'œuvre
qualifiée dont souffre la colonie. Le plus souvent, on ne trouve
qu'un seul artisan par catégorie. Seuls les forgerons et les
charpentiers (une bonne dizaine vers 1880) ont toujours été en
nombre suffisant. Pour le reste, on ne
compte que 7 Français
en
exerçant l'un de ces métiers
en
1863 et 8
en
1865.
(I) Gouverneur Petit. Rapport du 9 mai 1904, Cor. Min., Arch. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1225
Il faut remarquer que notre étude
porte sur le nombre de
patentés et non d'artisans. Or il arrive bien souvent qu'un seul
travailleur détienne plusieurs patentes.
Ainsi Ébénézer Bambridge
1895, charron, forgeron, entrepreneur de bâtiments.
Brunschwig est menuisier, tourneur sur bois, peintre en bâtiment,
est
à la fois
en
marchand de meubles.
Ce qui veut dire
qu'il y a plus de patentes que d'artisans
qualifiés. Cependant il n'est pas rare de voir un "entrepreneur"
prendre un ou deux ouvriers européens.
A l'origine du
Protectorat, l'absence quasi totale de toute
main-d'œuvre un tant soit peu qualifiée,
obligea le gouvernement à
envoyer plusieurs dizaines d'ouvriers de Marine, ainsi que nous
l'avons signalé.
Cette catégorie de militaires n'eut aucune difficulté à trouver
un
emploi sur place, emploi particulièrement rénumérateur.
Henrique, en 1889, époque à laquelle Tahiti est pourtant assez bien
lotie en travailleurs spécialisés, écrit : "Tahiti
possède une
population européenne relativement nombreuse : les artisans n'y
gagnent pas moins, il est vrai, de 10 francs par jour" (1). Ceci
explique que les ouvriers de la Marine furent toujours beaucoup
plus nombreux à tenter leur chance dans la colonie que les autres
catégories de marins ou de soldats. En effet, si les maçons, les
menuisiers, les charpentiers, les tailleurs de pierre peuvent espérer
de 6 F 50 à 11 F par
jour, les manœuvres et hommes de peine
doivent se contenter de 3 F 30 à
Papeete et 2 F 60 dans les districts,
comme les ouvriers
agricoles, et malgré tout, le nombre d'ouvriers
qualifiés demeura, aux yeux des gouverneurs, toujours insuffisant.
Au début des années 80, on ne trouve encore
que 25 patentés
comme
"entrepreneurs". Leur chiffre s'accroît assez brutalement
pour passer à 54 en 1887. A partir de cette date, les chiffres restent
stables : la moyenne se situe autour de 44
patentés de 1885 à 1914,
dans l'artisanat. Le chiffre maximum est atteint
Mais il n'y eut pas de progression constante. En
sans
paient patente
:
en
1905
avec
60.
1895, seuls 39 arti¬
la crise économique sévit alors durement.
Du fait de leur qualification, les
français l'emportèrent assez
largement sur les autres européens et exercèrent même un quasi
monopole. Cependant les charpentiers de marine, de toutes
nations, abondaient à Papeete et la concurrence fut dans ce
domaine assez sévère. Dans les autres branches, seuls
quelques
mécaniciens américains
réussirent à s'imposer.
ou
constructeurs de bateaux danois
(1) Henrique, "Les colonies françaises, Colonies et Protectorat de l'Océan Pacifique",
Paris, 1889, p.
Société des
Études
Océaniennes
1226
Citons l'exemple d'Auguste Petersen, arrivé en 1874 et
naturalisé français en 1888. En 1889, il est à la tête d'un chantier de
17 ouvriers dont 16 Français, "tous formés par lui". La moyenne
des salaires qu'il verse est de 1150 frs. Il affirme avoir construit
300 bateaux au total. De mars 89 à septembre 89, il en a achevé 37.
Mais il se plaint d'être exclu des marchés de
réfections de goélettes.
l'État,
notamment des
Cette domination française va résister également, jusqu'à la
guerre, à la concurrence des chinois. Certes des secteurs entiers
tombent très vite entre leurs mains comme les salons de barbiers et
la blanchisserie.
Plus
dangereuse s'avéra leur percée dans le bâtiment
: en
1903,
8 entrepreneurs sur 13 sont chinois. Cela resta toutefois sans
lendemain. Le manque de qualification des immigrés chinois limita
très vite toute ambition dans ce domaine.
De 1890 à 1914, environ 60% des patentés
"entrepreneurs" de
Papeete furent Français.
Il est vrai que suivre cette voie était tentant,
lorsque l'on
connaît le succès de Adolphe Poroi. Fils d'un officier de Marine et
d'une Tahitienne, ce jeune "demi" est élève du Génie militaire de
Papeete.
Installé comme entrepreneur en bâtiment, il se dote d'une
entreprise très vaste avec ateliers de menuiserie, de forge, de
charbonnerie, d'ébénisterie. Son succès est grand dès 1900. Poroi
diversifie ses activités en se lançant dans le
transport terrestre à
Tahiti : ses écuries contiennent une cinquantaine de chevaux et
mulets, ses diligences sillonnent côte ouest et côte est. Son rôle
politique fut à la mesure de sa réussite sociale (1).
Cas unique, il est vrai. Mais d'autres réussirent à acquérir une
aisance reconnue par tous. Ainsi ce tailleur de pierres, nommé
Hamelin, qui "amassa une petite fortune" (2) qu'il sut investir dans
l'immobilier : il se rend acquéreur de deux magasins et de
plusieurs
maisons à Papeete. Jugé "bon travailleur", on lui reproche
cependant d'être de "caractère froid et intéressé" (2).
Mais le succès n'est pas toujours au rendez-vous : c'est bien
souvent chez les ouvriers
que l'on rencontre les plus modestes des
colons, comme L. Gaillard, tourneur sur métaux, qui "vit très
misérablement". Ou encore ce Durand, "bon ouvrier maçon" mais
"ivrogne" (1).
(1) P. O'Reilly, "Les Tahitiens".
(2) Fiches de Police, Op. Cit. Arch, de Pap.
(1) Fiches de Police, Op. Cit., Arch. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1227
L'alcool, décidément, joue un grand rôle à Tahiti, y compris
parmi les artisans, comme ce J. Langlois, ferblantier de son état,
mais qui "travaille peu de son métier et
beaucoup de la contre¬
bande de liquides qu'il vend aux
Indigènes" (1).
Cette remarque acerbe du commissaire de
à examiner une des dernières
catégories de
police nous conduit
patentés, celle des
débitants. Catégorie importante tant sur le
plan numérique
(débitants et restaurateurs représentent 8% des Français vers 1880)
que sur le plan social.
A en croire la majorité des observateurs de
l'époque, le rêve de
tous les colons est d'ouvrir un débit de boissons
(2). Nous avons vu
comment les colons militaires abandonnent leurs
plantations pour
se livrer à ce commerce. C'est
que "le marchand de vin fait ici
fortune en peu d'années", note avec regret le directeur de
l'intérieur, Méthivet, dans son livre de souvenirs (3).
Le tableau que dresse ce haut fonctionnaire, de cette catégorie
de colons, n'est guère flatteur. Il voit en eux, avec les défenseurs
(c'est-à-dire les avocats), "les deux fléaux de la colonie". Le
débitant est présenté comme "un empoisonneur
patenté". "Il vend
du vitriol pour du rhum, du bois de campêche
pour du vin, de l'eau
de vie de betterave pour du genièvre,
trompe sur la qualité comme
sur la quantité".
Propos bien souvent repris par la majorité des
voyageurs.
Mais
point n'est besoin
au
débitant de tromper sur la
marchandise pour faire fortune, car la demande est forte, aussi
bien dans la communauté européenne que parmi la population
indigène, et les débits
se multiplient, et pas seulement à Papeete.
débit, on n'hésite pas cette fois à aller se fixer dans
les districts les plus éloignés.
La profession resta cependant tributaire des lois du protec¬
Pour ouvrir
son
torat et de celles de la colonie. La vente
d'alcool
aux
tahitiens
ne
fut
permise qu'après l'annexion et toujours réglementée. Ceci
explique les multiples cas de contrebande soulignés anté¬
rieurement.
Le débitant
est pourtant un homme à ménager. Méthivet nous
explique que "le marchand de vin est un homme important, bien vu
de la police et des conseillers généraux parce qu'il est une
puissance
(1) Fiches de Police, Op. Cit., Arch. Pap.
(2) Déjà le 4
que
mars
1867, dans
"les immigrants français
ils absorbent
au
un rapport au
Ministre, le
gouverneur
la Roncière notait
trouvent rien de mieux à faire que de tenir un cabaret, dont
moins le tiers", Fds. Oc., M 2 C 35.
ne
(3) Méthivet, pseud Monchoisy, in "La nouvelle Cythère", Op. Cit., p. 96 et 115-116.
Société des
Études
Océaniennes
1228
/
électorale". C'est
pourquoi, ajoute-t-il, le débitant peut
lois" (1).
se
permettre "de se moquer des
Il ne faut donc pas négliger ces hommes pour comprendre tous
les dessous de la vie coloniale tahitienne. Ils sont une dizaine dans
les années 60, et le plus souvent installés à Papeete où ils sont
également restaurateurs. Mais leur nombre est porté à 20 en 1886,
pour atteindre 28 en 1887. C'est là la conséquence de l'annexion et
de l'autorisation de vendre de l'alcool aux Tahitiens. Dans les
années 90, les cabaretiers se situent entre 10 à 20 patentés.
Durant toutes
années, ce sont surtout des cultivateurs, des
planteurs isolés dans les districts, qui se sont ainsi reconvertis. On
peut citer les exemples de Hennebuise (colon militaire), de Vidal,
de Buillard, de Vien, de Delfieu (2).
Il est rare qu'ils n'exercent qu'une activité. Cela n'est le cas
que
de ceux installés à Papeete, mais les autres sont à l'image de
Georget, installé comme colon militaire dans la vallée de la
Tipaerui près de Papeete. Réussissant bien dans l'élevage, Georget
fait aussi fonction de boucher, puis devient restaurateur. Il est
aussi, du même coup, cabaretier. Ses affaires prospèrent : seule sa
mort à 45 ans stoppe cette confortable ascension sociale.
A partir de 1900 toutefois, le nombre des débitants décroît
avec régularité : ils ne sont
plus que 10 en 1898 et 5 à partir de 1909.
La profession demeura "bien française" puisque même les Chinois
ne purent obtenir des
patentes.
Planteurs, commerçants, "entrepreneurs" ne firent pas tous
fortune, nous l'avons montré ; cependant leur sort est de loin bien
meilleur que celui de tous ceux que nous avons regroupés dans la
catégorie des "petits métiers".
Quelles que soient nos sources, nous obtenons une fourchette
comprise entre 11 et 16% de la totalité de la population masculine
française. De plus, si on ajoute aux domestiques, aux hommes de
peine, aux journaliers, aux concierges et gardiens, les vagabonds de
Tahiti, on obtient, d'après le registre de police, le chiffre de 18,3%
de la population française masculine.
On trouve donc concentrée à Papeete, toute une catégorie de
pauvres diables qui végètent, et encore, bien difficilement.
ces
(1) Méthivet, Op. Cit., p. 116.
(2) Fiches de Police, Op. Cit., Arch. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1229
MISÈRE, MALADIE, DÉNUEMENT
déjà souligné, en étudiant les origines socio¬
logiques des colons venant de l'armée ou de la marine, combien
ceux-ci étaient issus de milieux modestes, et à l'image du soldat
Grangenois, combien l'intégration, à la sortie de la caserne,
pouvait être difficile. Ces cas sont très nombreux. Il faut y ajouter
les exemples de nombreux civils à qui la chance ne sourit guère
plus.
Le commissaire de police de Papeete distingue deux catégories
de malheureux. Il y a tout d'abord "ceux qui travaillent beaucoup
mais malgré cela ne sont pas dans l'aisance". Cette remarque,
adressée à des planteurs, est surtout valable pour un grand nombre
de journaliers des districts ou pour des jardiniers.
Citons l'exemple de C. Couat, employé sur le domaine
d'Atimaono, et qui, à force d'économies, parvient à acquérir une
petite propriété. Or, "s'il travaille beaucoup, il n'est pas pour cela
dans l'aisance". Plus grave est le sort de Bougues ou encore de
Lafont. Tous deux se louent comme journaliers chez divers colons
Nous
avons
de Tahiti.
Ensuite viennent les
"paresseux", les "ivrognes", les "joueurs"
qui dépensent tout avec les femmes". C'est parmi
eux que l'on retrouve les "misérables et ivrognes".
Pour tous cependant, le cheminement est identique. Lors de
leur libération, les uns parviennent à obtenir un poste dans
l'administration comme écrivains ou magasiniers. D'autres
travaillent comme commis pour les maisons de commerce de
Papeete. Les plus courageux et ceux ayant le moins d'éducation, se
louent comme journaliers ou comme domestiques.
Beaucoup sont à l'image de l'ex-soldat Roy, "incapable de
tenir un emploi" et "qui vit au jour le jour". L'ancien fourrier Leray
est un temps magasinier, puis journalier, il devient commis, et
finalement "se rembarque comme magasinier" (1).
L'âge, l'alcool, la maladie ne permettent plus, très vite sous ce
climat, d'effectuer de durs travaux. Aussi essaie-t-on de se placer à
nouveau auprès de l'Administration, mais cette fois comme
gardien. Il y en a beaucoup, et de très différents : gardiens
d'hôpital, d'entrepôts, de prison, de lazaret, et surtout de phares.
Tous ces postes sont réservés, en priorité aux indigents. C'est un
moyen de-survivre. Les salaires sont misérables. Or la vie est très
chère à Papeete.
et encore "ceux
(1) Fiches de Police, Op. Cit.
Société des
Études
Océaniennes
1230
Dès lors on se nourrit mal. Le docteur Hercouet notait, en
1880, "il faut à l'Européen du pain et de la viande. La nourriture
végétale des kanaques ne suffit pas à son estomac de carnivore.
Une anémie profonde, l'alcool aidant, anéantit bientôt ses forces,
les tubercules se forment dans ses poumons, si quelque
prédis¬
position existe" (1).
Mais il n'y a pas que la tuberculose qui guette les colons
indigents. Ainsi le planteur Agaisse, installé à Tautira, est frappé
du terrible "fefe" (éléphantiasis). L'alcool aidant, il ne cultive
plus
sa terre. Burget, un autre
planteur, est aussi atteint de ce mal, et lui
aussi boit beaucoup. Citons encore le cas de ce planteur nommé
Thiebaud, qui après avoir assez bien réussi dans la vanille, vit
désormais "très misérablement". "Sa façon de vivre l'a empêché
d'amasser quelque argent" : le "fefe" le rend infirme.
Autre fléau, plus sensible dans les années 90 : la lèpre. Cette
fois encore les colons qui en sont atteints, sont souvent connus
pour "leur vie de débauche". Le coordonnier Cognet "vit dans une
sale échoppe". "C'est un alcoolique de la pire espèce, atteint de
lèpre". Ribail, bien que "possédant une jolie propriété" est
également lépreux.
D'autres maux frappent ces colons indigents. Le docteur
Hercouet note : "Cette dernière classe d'européens est la plus
maltraitée par la phtisie qui, avec le délirium tremens et les suicides
résultant de la folie alcoolique, en fait périr quelques uns
chaque
année". Mais, ajoute-t-il, "il faut reconnaître que sous n'importe
quel climat, cette population disparate et en général peu
recommandable, paierait une dette cruelle aux affections qu'en¬
gendrent la misère, l'ivrognerie et tous les vices" (2).
S'il faut bien reconnaître que le climat tahitien est loin d'être
aussi terrible que celui du Tonkin, auquel font allusion tous les
médecins coloniaux de l'époque, il n'en est pas moins très
éprouvant, au bout de longues années passées sur le territoire. Il est
vrai également que l'alimentation de beaucoup de colons est loin
d'être suffisante. Gauguin, qui à Tahiti, fait partie de ces colons à la
limite de l'indigence, note à maintes reprises combien tous les
produits vivriers se vendent très cher, y compris les fruits et
légumes tahitiens. La viande, n'en parlons même pas...
Nous avons souligné très souvent combien l'alcoolisme est
fréquent dans cette communauté française (et européenne) de
Polynésie. Et pas seulement dans les classes sociales pauvres.
(1) Hercouet, Op. Cit., p. 109.
(2) Hercouet, "Étude sur Tahiti", Op. Cit., p. 109. Voir également sa thèse, "Étude sur les
maladies des Européens aux îles Tahiti", Thèse de Médecine, Paris, 1880, 87
p.
Société des
Études
Océaniennes
1231
Si la
plupart des jeunes militaires, à leur libération, jouissent
les
la
colonie après de longs et fatiguants périples. C'est le cas des
d'une excellente santé, il n'en n'est pas toujours de même pour
colons civils, dont, rappelons-le, beaucoup échouent dans
nombreux ex-chercheurs d'or.
Dans tous les cas, le climat tahitien est
plus
une
des
éprouvant. Il l'est bien
vénériennes, et
corps affaiblis par l'alcool, les maladies
nourriture insuffisante ou peu appropriée.
sur
Aussi si
nous
étonnant de voir
considérons toutes ces causes, il n'est pas
taux de mortalité élevé dans la population
un
blanche des E.F.O.
Les archives de
survenus
années 1869
Durant
comme
Papeete possèdent un tableau des mouvements
population européenne et assimilée" pour les
à 1884, pour Tahiti et Moorea (1).
ces quinze années, il
y eut 634 décès se répartissent
dans "la
suit
:
décès masculins
: 537
décès féminins : 87
Ces chiffres reflètent parfaitement le
-
-
population d'immigrés. La
cette
décès
:
ce
déséquilibre des sexes de
annuelle est de 41,6
moyenne
chiffre est élevé.
On peut considérer que la population européenne installée à
Tahiti pour ces années est de l'ordre de 1500 individus. Il faut
également tenir compte
pour le sujet
500 fonctionnaires de passage, de leur
marins. Il n'est guère probable que la
qui nous préoccupe des
famille, des soldats et des
population totale blanche
dépasse 2000 âmes, à cette époque.
Le taux de mortalité pour les Européens s'avère donc de
l'ordre de 20,5 pour 1000. Chiffre particulièrement élevé si l'on
considère qu'il s'agit d'une population jeune, formée de classes
actives, sans vieillards ni enfants. Dans une population où le
déséquilibre des âges est aussi profondément marqué, on peut
même penser que ce taux est
exceptionnel.
statistique nous informe que durant le même
laps de temps, il y eut 616 naissances. Il y a donc un léger déficit
démographique au sein de cette population d'immigrés. La
population blanche demeure tout au long du XIXème siècle, et
dans son ensemble, largement tributaire de l'arrivée d'immigrants.
L'accroissement naturel lui permet seulement de se stabiliser.
La même
source
(1) "État civil de 1869 à 1884", Série Statistique, Arch. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1232
MARIAGES
Le problème des naissances nous conduit à aborder celui des
unions contractées par les colons français sur le territoire.
Remarquons tout d'abord que l'extrême mobilité de ces
en éloigne beaucoup de l'idée
de fonder un foyer. Comme de
nos jours, une forte proportion
n'effectue des séjours que d'une à
deux années sur le territoire et cette remarque s'applique aux
fonctionnaires, comme aux colons instables qui traversent la
colons
colonie.
Tous les autres colons sont confrontés
colonies, à savoir
au
problème inhérent
fort déséquilibre de la représentation des
sexes. Les hommes sont bien
plus nombreux que les femmes. C'est
là un trait général à toute colonisation, mais qui touche encore plus
fortement les colonies tropicales. L'ensemble du Pacifique est
soumis à cette règle, à commencer par l'Australie et la NouvelleZélande. Chaque fois l'équilibre des sexes, et mieux encore, une
légère surpopulation féminine, témoin d'une normalisation des
structures, sont très longs à établir.
aux
un
Tahiti
n'échappe pas à pareille situation. Les femmes
européennes sont très rares. En 1848, le recensement officiel fait
état de 25 "Européennes et assimilées" pour Tahiti et Moorea
(1).
Au 1er janvier 1863, Caillet estime à 313 le nombre de
Français
dans la colonie dont 46 mariés, à savoir :
15 à des Françaises
-
-
4 à des
1 à
-
une
Anglaises
Européenne
26 à des Tahitiennes
Aucun courant
(2).
venir
pallier cette insuffisance. Tout au
plus, voit-on arriver dans les années 70, certaines femmes de
Nouvelle-Calédonie. Cette colonie n'a pas en effet les problèmes
que connaît Tahiti, du fait de l'envoi de condamnées. Certaines
préfèrent tenter leur chance dans les E.F.O. Elles ne furent jamais
très nombreuses. Mais il est vrai qu'elles firent
beaucoup parler
ne va
d'elles.
Citons deux exemples. Celui de Mme Mahé, "dont la conduite
fut tellement scandaleuse qu'elle fut abandonnée par son mari et
(1) "Recensement Officiel de Tahiti
et
de Moorea", Fds. Oc., A 62 C 12, 1848.
(2) "Recensements
et Mouvements de la population Océanienne dans les îles Tahiti et
Moorea de 1848 à 1860" par Caillet, in "Messager de Tahiti", 9 juin 1861.
Société des
Études
Océaniennes
1233
vécut
avec un indigène". Ou telle autre, devenue veuve, "qui
hypothèque toutes ses propriétés pour s'enivrer et se prostituer
avec des indigènes" (3).
De tels faits sont
de tous et alimentent
copieusement
commérages du marché de Papeete. La réputation de la colonie
en est parfois compromise, et pourtant, rappelons-le, ces femmes
furent très peu nombreuses.
En fait la majorité des femmes qui arrivent dans la colonie, ne
font que suivre leurs époux. Ce sont surtout les fonctionnaires,
dont les frais de voyage sont pris en compte par l'État, qui peuvent
connus
les
s'offrir
A
colons
un
tel luxe.
partir des années 80, il n'est plus rare toutefois de voir des
débarquer avec leur femme et leurs enfants, ce qui marque
également une nouvelle étape de la colonisation.
Les très rares femmes célibataires, il faut également les
chercher parmi les fonctionnaires, notamment des institutrices.
Enfin les filles des fonctionnaires sont, sans conteste, parmi les
plus beaux partis de la colonie. Elles sont l'objet de bien des
démarches, de même que les trop rares créoles.
Peut-on dénombrer ces femmes ? Les statistiques nous
fournissent quelques chiffres, mais qu'il est bien difficile
d'exploiter.
Ainsi en 1884, sur 986 Français, il y a 520 hommes et 466
femmes (1). Outre que ce chiffre tient compte de toutes les classes
d'âge, il intègre également les femmes indigènes, ayant du fait de
leur mariage acquis la nationalité française. Aucune conclusion
n'est dès lors possible.
En avril 1886,
précis
le chef du 1er Bureau établit des tableaux plus
:
Moins de Plus de 14 ans
célibataires
14 ans
Mariés
Veufs
Total
Hommes
142
309
127
18
596
Femmes
130
98
112
1 1
351
(1)
(3) Fiches de Police, Op. Cit.
(1) "E.F.O. Tableaux de Population", établis par le
Arch. Pap.
(1)
Arch.
"État de la population
par
chef du Bureau, novembre 1884,
nationalité", année 1885, 8 avril 1886, chef du 1er Bureau,
Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1234
Cependant, cette fois, il s'agit des "français et descendants des
français". Des tahitiennes sont considérées comme françaises.
Malgré tout, le déséquilibre est déjà évident.
Dans le même temps, une enquête parallèle est menée, et porte
fois sur les "français nés en France".
En 1875, les "Tableaux de Population, de Cultures et de
Commerce pour Tahiti", estiment à 36 le nombre de femmes nées
en France et mariées à des
Français. Il estime à 11 le nombre de
cette
veuves
(2).
Pour les années 85 et 90, les
donnent les chiffres suivants :
statistiques établies à Papeete
Moins de Plus de 14 ans
14 ans
célibataires
Hommes
Femmes
Mariés
Veufs
Total
1885
11
188
59
6
264
1890
16
241
85
9
351
1885
2
10
9
4
25
1890
17
24
46
8
95
(3)
Les fonctionnaires et leur famille
n'ayant pas, cette fois, été
pris en considération, contrairement à 1875, les chiffres sont encore
plus bas. Pour 1888, une "répartition par lieu de naissance" donne
89 femmes nés en France pour 230 hommes (1).
Le déséquilibre des sexes est évident : on compte 1 femme
pour 25 hommes dans les années 60, de 1 à 10 dans les années 70 et
80 et de 1 à 5 pour
les années 90,
Au-delà, l'absence de toute statistique nous oblige à la
prudence. Cependant, comme nous l'avons signalé, de plus en plus
nombreux sont les colons qui arrivent, en famille, à cette époque.
De plus, les familles établies dans les années précédentes, grâce à
un taux de natalité très fort, sont en mesure de
proposer, vingt ans
après, davantage de jeunes filles à marier.
Nous n'avons raisonné, jusqu'à présent, qu'en fonction de
mariages entre Français d'origine métropolitaine. Or, en 1885,
puisqu'il n'y a que 9 Françaises mariées à des Français, les 50
hommes mariés ont donc épousé des non françaises.
(2) "Tableaux de Population de Cultures,
et
de Commerce pour l'année... Série P 673 ?
Fds. Oc.
(3) "Tableaux détaillés de la Population", Série L 74, Arch. Pap.
(I) "Tableau détaillé de la population", 1er Bureau, 31 décembre 1888, Arch. Pap.,
Papeete.
Société des
Études
Océaniennes
1235
Y-a-t-il donc dans la colonie des mariages inter-raciaux ?
C'est en janvier 1842 qu'eurent lieu les premiers mariages
entre
Tahitienne et "Popa'a". Alors que l'Anglais Salmon
épouse la
princesse Arii Oehau, le Français Brémond épouse une "dame
indigène indienne", Oopa a Tetuanui. Ce n'est qu'à la faveur du
premier mariage que put avoir lieu le second.
Dès lors, le chemin semble tout tracé pour que
de telles unions
effet, le charme des belles
"vahine" tout d'abord. Car comme le souligne
Lebeau, non sans
ironie : "Tout le monde en France a entendu parler de Tahiti, et
même on parle : il n'est pas chez nous de petit bourgeois,
à peine
frotté de littérature qui, s'il vous arrive de mentionner ce nom dans
se
multiplient. Tout paraît
y
concourir
en
conversation ne fasse aussitôt... allusion aux charmes de
l'amour dans l'île paradisiaque où les jeunes filles ne se
promènent
que couronnées de fleurs. A cette vision peu chaste qu'ils
entretiennent une fois pour toutes dans leur esprit s'arrête d'ailleurs
leur connaissance de la Nouvelle Cythère" (1).
une
L'absence de tout préjugé racial favorise une telle situation.
C'est là en effet une constante des relations franco-tahitiennes.
Introduites aussi bien chez le gouverneur lors des soirées officielles
qu'aux grandes réceptions de tous les hôtes de marque, les beautés
locales sont chaque fois fort remarquées : ainsi le jeune
aspirant
Charles Antoine vante leur beauté en soulignant que "les Tahitiens
laids comme les Calédoniens". Il écrit à ses parents que
majorité des "métisses de la société de Papeete cherche à se
marier et ne dédaignerait pas un officier de Marine" (2).
ne
sont pas
la
Un autre officier de Marine décrit de la sorte les soirées
officielles chez le gouverneur : "Pour moi la grande curiosité de
cette nuit de 14 juillet fut le spectacle de la
musique sur la
du
place
gouvernement et du bal officiel offert à la "société blanche" de
Papeete, société des plus mélangées : quelques femmes de
fonctionnaires, des étrangères, femmes ou filles d'aventuriers dont
la longue résidence dans le pays avait fait oublier
l'origine
douteuse, des demi blanches qui loin d'être à l'index et de
constituer une classe de parias comme dans nos autres colonies
sont d'autant plus en faveur que leur
abord est plus aimable. A
Tahiti, on n'a pas de préjugés" (3).
Enfin la liberté de mœurs, très réelle, des Tahitiens, favorise
encore ce rapprochement.
Cependant, c'est peut-être à ce sujet que
(1) Lebeau, Op. Cit., p. IX
(2) Ch. Antoine, "Lettres
-
sur
X.
Tahiti par un aspirant de Marine
(3) Marin, Op. Cit., p. 33.
Société des
Études
Océaniennes
en
1861", Op. Cit.
1236
plus nombreuses sont apportées. Levacon résume
situation ressentie par beaucoup : "Je dois dire
franchement qu'il me semble que, sous ce rapport, Tahiti est plus
exactement un lupanar qu'une Cythère. Ce que nous appelons
les
les
nuances
assez
bien
retenue ou
une
décence dans
nos
contrées sont des choses totalement
inconnues aux indigènes de là-bas ! La prostitution y est
hauteur d'une institution, que dis-je d'un culte" (1).
élevée à la
Un fait est indéniable : les métis sont particulièrement
nombreux à Tahiti. A tel point que le voyageur américain Adams
: "Ce qui me gêne le plus c'est cette population de sang mêlé
qui s'étale partout. Cela donne un teint écœurant, brun sale, ou
brun blanc, qui évoque... une combinaison des qualités les moins
respectables héritées des deux côtés" (2).
écrit
Le lieutenant de vaisseau Caillot renchérit : "Des blancs et
kanaques, sont issus des métis qui forment dans les îles de
majorité de la population". Un peu plus loin, il affirme
que "beaucoup de Français (des fonctionnaires) vont jusqu'à
adopter le mode d'existence des naturels et à contracter des liaisons
avec les femmes du pays" (3). Il y voit d'ailleurs une des raisons du
mépris du Tahitien pour notre race et la perte "du respect primitif
des Tahitiens pour l'Européen". Aucune barrière n'existe entre les
Indigènes et les Français, affirme l'officier de Marine, et du coup
ceux-là ne respectent plus les "popa'a".
Si unions il y a entre Français et Tahitiennes, il s'agit de
femmes
la Société la
déterminer leur nature.
ne fut guère imité. Il n'y eut, pour toute
européenne de Tahiti, entre 1869 et 1884, que
150 mariages, la moitié, au moins, avec de jeunes métropolitaines
ou créoles
(4).
En fait, le célibat est extrêmement répandu chez les colons. En
1886, sur 436 hommes de plus de 14 ans, 127 seulement sont
mariés (5).
D'après les statistiques de police, 35% des Français ainsi
répertoriés sont célibataires. Le mariage avec une Indigène est
exceptionnel. Il intéresse surtout les colons établis dans les
archipels. Le plus souvent, les Polynésiennes choisies sont des
"demies". Dans tous les cas, il n'y a guère plus de 15% des Français
A
l'évidence, Brémond
la communauté
(1) Levacon, Op. Cit., p. 63.
(2) Adams, Op. Cit.,
p.
250.
(3) Caillot, "Les Polynésiens Orientaux au coptact de la civilisation", 1909, p. 63 et 82.
(4)
"État civil de 1869 à 1884", Série statistique, Arch. Pap.
(5) voir tableau
p.
Société des
Études
Océaniennes
1237
mariés
Indigène. Il semble bien que ne pouvant épouser
la majorité des colons soient restés
célibataires, d'autant plus que le retour en métropole n'était jamais
exclu de leurs projets, une fois fortune faite.
une
avec une
femme de leur pays,
Mais il est bien évident
qu'une telle situation n'exclut en rien le
concubinage. Celui-ci est tellement répandu que certains y voient
une institution, de nos jours encore
(1).
Pourtant les fiches de police signalent simplement 3 cas de
cette sorte ; le commissaire de police semble par ailleurs bien
informé puisqu'il va même jusqu'à signaler le caractère acariâtre de
telle ou telle épouse.
C'est qu'il s'agit sans aucun doute d'un concubinage très
épisodique. Il faut à ce sujet relire le "mariage de Koke" que décrit
Danielsson. L'exemple de Gauguin "épousant" la très jeune
(13 ans) Teha'amana est très révélateur de la nature de ces unions
fugitives (2).
Ainsi donc, malgré des conditions générales très favorables
(absence de racisme, liberté de mœurs des Tahitiens, éloignement
de la Métropole et absence de femmes européennes), les mariages
inter-raciaux demeurèrent une minorité.
En fait, il semble bien que les français, arrivés dans la
moitié du XIXème siècle, n'ont pu faire le même type de
seconde
mariage
que les anglo-saxons qui les avaient précédés. Ces derniers purent
épouser des filles de chef d'un haut rang social, ce qui, était un
moyen fort commode d'accès à la terre. Les français ne purent se
lier qu'avec les filles du peuple.
Si de telles unions eurent bien lieu cependant, elles furent le
fait de jeunes colons, d'origine sociale modeste, établis soit dans les
districts, soit dans les îles, vivant simplement et ayant accepté les
mœurs
locales.
Il est évident que
dans l'immense majorité des cas, les
descendants, même les plus directs, se fondent dans la société
polynésienne. C'est d'ailleurs ce qu'avait noté Caillot : "L'historien
est obligé de les ranger parmi les indigènes dont ils mènent
l'existence et possèdent les défauts sans avoir les qualités des
européens... Aussi le voyageur a-t-il vite fait d'être dégoûté de toute
cette population" (1).
(1) Voir J.C. Guillebaud, "Voyage
en
Océanie", "La Politique des Vahinés", p. 67-74,
1980.
(2) Danielsson, "Gauguin à Tahiti et
135,
aux
îles Marquises", "le mariage de Koke", p. 108-
Éditions du Pacifique, 1975.
(1) Caillot, Op. Cit.,
p.
81.
Société des
Études
Océaniennes
i
1238
Le commissaire de police porte la même aversion pour la
plupart des demis dont il fait état. Encore une fois, le reproche le
plus fréquent est que nombre d'entre eux "ont la même existence
que les indigènes parmi lesquels ils vivent".
Notons cependant que, à ce qui est bel et bien considéré à
l'époque comme une déchéance, s'ajoute un certain nombre de
méfaits. Pour les filles, c'est la prostitution. Pour les garçons, les
vols divers, les escroqueries. L'un des tous premiers colons, laissant
derrière lui huit enfants, mourra assez tôt pour ne pas les voir
condamnés : 4 pour vols et escroqueries, 2 pour ivresse, une pour
prostitution.
L'insertion sociale de ceux que l'on nomme, en Polynésie, "les
Demis" ne fut difficile que dans les premières années de la
colonisation. Au-delà, le problème dans les E.F.O. n'exista guère
du fait même du nombre des unions entre européens et tahitiens.
Tout au plus, étant donné que le mariage est exceptionnel, le jeune
"demi" ne conserve de son ascendant européen que le nom. Et
encore ne possède-t-il pas toujours
cette "preuve".
Dans un article intitulé "Les Sang Mêlé en Polynésie" (1),
Beaglehole souligne que "dans toutes les îles du Pacifique sud, il
existe une tendance pour le sang mêlé à être absorbé biologiquement et socialement par la population indigène dominante,
abandonnant seulement derrière elle des variantes polynésiennes
de noms européens comme preuve de contacts".
Nul ne saurait nier que "l'Océanie est l'un des plus vieux
creusets de mélanges du monde" (2). Dans tout le Pacifique, et plus
encore dans les îles orientales, les populations connurent un
métissage continu des races. Mais, de ces mélanges, peut-être
même du fait de leur importance, ne se distingua au long du
XIXème siècle, aucune caste, séparée socialement et ethniquement.
A tel point que Beaglehole ne parvient pas à présenter de
statistiques précises des "sang mêlé" dans le Pacifique. Tout au
plus avance-t-il une fourchette comprise entre 1,4 et 14% de la
population totale.
Aucune population polynésienne ne rejeta jamais les "demis",
mais bien au contraire les assimila, avec empressement s'il faut en
croire certains observateurs de l'époque : "l'enfant du Blanc est
considéré comme une bénédiction car on remarquait qu'il était plus
vigoureux que l'enfant de pur sang indigène" (3).
(1) Beaglehole, Journal of Polynesian Society, vol. 58, n° 2, juin 1949, p. 5.
(2) Idem,
p.
6.
(3) Levacon, Op. Cit., p. 68 (témoignage de 1912).
Société des
Études
Océaniennes
1239
Élevé dans presque tous les cas "à la Tahitienne", le métis a, en
général, tendance à se marier dans la population autochtone.
Cependant, les jeunes "demies", renommées pour leur beauté, sont
des partis souvent recherchés par les colons. Les garçons, eux, se
fondent à près de 100% dans la communauté indigène.
attitude, généralisée dans le Pacifique, de ^insertion
indigène, il faut ajouter une volonté très nette
des autorités françaises des E.F.O. de tout faire pour éviter la
constitution d'une classe socialement séparée. Au contraire, elle
s'efforça d'absorber les "demis" dans les groupes sociaux déjà
existants. Une preuve en est que jamais les métis ne furent
comptabilisés à part dans les statistiques de population.
On peut opposer une telle politique à celle que menèrent les
A cette
dans la communauté
autorités allemandes des Samoa. Les difficultés que connaissent
dans cet archipel "les sang mêlé" proviennent sans conteste de
l'attitude des autorités coloniales allemandes (1).
Ainsi donc, les
français installés dans la colonie se montrèrent
mariage avec les "vahine", ceci n'étant pas
incompatible avec la procréation de nombreux métis.
La règle pour les français des E.F.O. demeura le mariage avec
une jeune européenne. Sur un échantillon de 133 colons, de 1856 à
1870, 55% épousèrent soit de jeunes créoles, soit de jeunes
métropolitaines, soit encore des métisses anglo-saxonnes issues de
vieilles familles locales (2).
Ces mariages restent dans la société de Papeete, sinon le signe
d'une ascension sociale, tout au moins le signe évident de
l'appartenance à la bonne société. Il est évident que l'élément
anglo-saxon de la colonie mena une autre politique. Cet élément
anglais ou américain fut beaucoup plus intégré dans la société
tahitienne et "regarda bien davantage au delà des cloisons des
nationalités" (3).
Si l'on examine les principales familles françaises de Tahiti, en
cette fin de XIXème siècle, on est en effet frappé de voir combien
les mariages mixtes sont rares. Ceci étant vrai non seulement pour
la première génération, mais également pour la seconde, voire pour
très réfractaires
au
la troisième.
Si nous considérons trois des plus importantes familles
françaises, les Drollet, les Langomazino et les Millaud, nous
remarquons un comportement similaire.
(1) Voir Beaglehole, Op. Cit.,
p.
7 et suivantes.
(2) Fiches de Police, Op. Cit.
(3) Doumenge, "L'homme dans le Pacifique Sud", p.
Société des
Études
147.
Océaniennes
1240
D'après des archives de la
(1), Ambroise Millaud serait né en 1854 de père inconnu.
Engagé comme "remplaçant" dans l'infanterie coloniale, il se voit
dirigé sur Tahiti, où il est libéré en 1881. Il entre dans l'admi¬
nistration, où, malgré une instruction très modeste, il mène une
carrière très honorable. Il en démissionne cependant pour s'établir
comme pharmacien. C'est qu'il a épousé en effet Pauline Lagarde,
belle-fille de F. Cardella, pharmacien-maire de Papeete. C'est
comme
pharmacien et propriétaire foncier qu'il s'établit défi¬
Prenons le
cas
de la famille Millaud.
famille
nitivement.
Ses sept enfants ne se fixent pas tous à Tahiti, bien au
contraire. Les trois filles suivent des métropolitains (voir
généalogie). Jules se marie également avec une métropolitaine.
Henri épouse une descendante d'une des plus anciennes familles
anglaises de l'île. Seul Jean, et seulement en secondes noces, épouse
une
Tahitienne.
La troisième
génération n'a pas un comportement différent
deux mariages mixtes.
Le second cas pourrait être différent puisqu'il s'agit de
Louis Langomazino. Né en 1820 à Saint-Tropez, Langomazino est
ouvrier métallurgiste dès l'âge de 15 ans. Autodidacte, il se lance
dans le syndicalisme. Renvoyé de l'arsenal de Toulon pour fait de
grève, il s'établit à Marseille où il préside la société "L'Athénée
puisqu'on
ne compte que
Ouvrière".
Journaliste, tribun, homme politique, il milite activement
la démocratie. Cela lui vaut d'être arrêté le 25 octobre 1850
avec 34 autres responsables républicains. Il est condamné, avec
deux autres camarades, à la déportation. Envoyé aux Marquises
avec sa famille, il arrive à Nuku-Hiva en juin 1852. Mais dès 1854,
pour
il est autorisé à vivre à Tahiti.
Il n'a guère le temps de s'installer : l'ouverture illégale d'un
débit de boisson lui vaut l'expulsion. Il se réfugie à Valparaiso.
Tahiti, il fait, cette fois, carrière dans l'adminis¬
tration. Directeur de l'imprimerie officielle, il se met à étudier le
droit et devient le premier avocat de Tahiti. Il devient juge impérial
en
1867. En conflit avec le gouverneur la Roncière, il doit à
nouveau s'exiler à Valparaiso.
Il revient s'installer à Tahiti comme défenseur. Il décède en
1885.
De retour à
Il avait
épousé, très jeune,
une
Marseillaise qui lui donna trois
(I) Nous remercions Mr. Marcel Millaud d'avoir bien voulu nous communiquer le
résultat de
ses
travaux
généalogiques.
Société des
Études
Océaniennes
Ambroise
(1854-91)
LPMIALaGAUuD—lRijnDeE(1865-92)
Jean
Henri
Paulet
Jules
foncier
pPropiétare olitque )
Hom e (1906-
la
Propiétare foncier dPrésiedent Chambre d'Agriculte (1902- 60)
(189 -
Banque chine, (1894-
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+
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PELTIR Ingméétroi¬eur Fraennce GLDÉNAALEOI
P.
dConetrôsleu ldSearveices ld'Indoe¬ proiétae foncier. ) LIPMAN franmçétro¬ise politane
Pharmcien (186-918)
Marcel (18 - 96 )
Félix
Marie
(18 4-
1242
lui resta que deux fils. L'un
partit pour la métropole où il épousa une Française. Seul
Hegésippe (1844-1911) se fixa dans la colonie comme avocat. Il
épousa une fille de colons anglais et allemand, Berthe von Ewald.
Sur leur sept enfants, cinq se marièrent. Deux filles épousèrent des
métropolitains et quittèrent la colonie. L'aînée se maria au consul
enfants. Sa fille étant décédée, il ne
hollandais et le suivit au Tonkin. Les deux garçons s'unirent à de
jeunes Françaises.
Le dernier exemple nous est fourni par la famille Drollet. Le
négociant épouse une Anglaise dont il a dix enfants. Trois d'entre
eux meurent très jeunes. Deux restent célibataires. Trois se marient
à l'intérieur de familles connues (Raoulx, Buchin et Chapman) et
deux épousèrent des Tahitiennes.
Toutes ces familles présentent des caractères identiques. Tout
d'abord un taux de natalité élevé. Les familles entre cinq et huit
enfants ne sont pas rares chez les Français de Tahiti, alors qu'en
Métropole, le nombre des naissances décroît sensiblement, ce
mouvement de dénatalité s'accélérant même après 1890. Les
familles françaises de Tahiti présentent des caractéristiques
identiques aux familles françaises du Canada : précocité et solidité
des unions, besoin de main-d'œuvre familiale. A ces causes sociales
et économiques s'ajoutent sans aucun doute, comme au Canada
français, "la conscience d'une nécessaire survie matérielle et
minorité (1).
culturelle" que ressent toute
Il est vrai aussi que la mortalité infantile est toujours
Ce taux de natalité a l'avantage d'offrir de nombreux partis
élevée.
dans la
colonie même.
Cependant il faut remarquer que beaucoup de jeunes filles
préfèrent quitter la colonie, après s'être mariées avec un métro¬
politain de passage, le plus souvent fonctionnaire.
Nombre de jeunes gens, s'ils ont reçu une éducation suffisante
font carrière dans l'administration coloniale et de ce fait sont
envoyés de par le monde. Ceci explique que les unions hors de la
colonie sont assez nombreuses.
Enfin il faut bien constater que
de la seconde génération regardent
si les colons français, à partir
au-delà des nationalités, les
mariages mixtes demeurent exceptionnels.
Les unions contractées par les colons le furent dans un cadre
très étroit, ce qui eut pour conséquence de resserrer les liens entre
les principales familles de Tahiti. Ce système d'alliance fut une des
capitalisme, 1840-1914" in "Histoire
suivantes, Paris, 1978.
(1) Voir P. Léon, "La domination du
sociale du monde", tome 4, p. 38 et
Société des
Études
Océaniennes
économique et
1243
qui permet de comprendre comment une dizaine de familles
parvint à contrôler la vie politique des E.F.O.
La France en Océanie, ce fut d'abord une poignée d'hommes,
à peine plus d'un millier pour le dernier quart du XIXème siècle.
Tous échouèrent en Polynésie, plus par hasard que par choix
délibéré : le mythe de Tahiti, pourtant si profondément ancré au
clés
XIXème siècle chez les
Français ne suscita aucun mouvement de
migration, d'ailleurs fort peu encouragé par les autorités.
aventuriers
français du Pacifique, succédèrent les
place. Hommes fort modestes, par
l'instruction comme pour les ambitions, ils n'avaient pas grand
chose à perdre en tentant leur chance dans cette lointaine colonie.
Aux
rares
soldats et marins libérés
sur
Du moins purent-ils échapper à une situation plus que difficile
métropole. Ceci étant, Tahiti n'offrit qu'à fort peu d'entre eux
l'occasion de mener une vie vraiment aisée. Et il ne faut pas oublier
qu'une forte minorité mena dans la colonie une vie à la limite de
l'indigence.
Ces Français, d'abord désunis, constituèrent par la suite un
noyau cohérent. Leur intégration se fit lentement, dans la société
polynésienne parce qu'eux mêmes entendaient conserver leur
identité culturelle. C'est au contact de ces colons que les
Polynésiens ont été conduits à adopter en partie les moeurs, les
en
de la "Mère Patrie". Des fonctionnaires de passage
n'auraient pu susciter un tel attachement, non pas tant pour la
France que pour une certaine façon de vivre, typiquement
coutumes
française.
L'installation de familles
tribua,
françaises, de 1880 à 1914, con¬
premier chef, à donner de Tahiti l'image d'une "Petite
du Pacifique.
en
France"
Pierre-Yves TOULLELAN,
Taravao
BIBLIOGRAPHIE
Outré les "Archives Territoriales de Polynésie Française" et le
"Fonds Océanie" du Ministère de l'Outre Mer, nous avons utilisé
"Tahitiens
Répertoire biographique de la Polynésie Française"
-
O'REILLY, 1975, Société des Océanistes, Paris.
Société des Etudes Océaniennes
1244
NÉCROLOGIE
Raoul Teissier, 1904-1982.
Un popaa, mais d'une très ancienne famille française de
Tahiti. Son grand-père y était arrivé sur la Provençale en mai 1847
comme sous-officier dans un régiment d'artillerie de Marine. Il
avait épousé Léocadie Van Bastolaer et avait été finir ses jours
dans le district de Punaauia où les
indigènes l'avaient surnomm'é
"Papa Titié".
au
Je me souviens l'avoir entendu dire qu'il avait fait campagne
Tonkin dans l'infanterie de marine avant de faire carrière dans
gendarmerie. Après avoir servi en Nouvelle-Calédonie, il avait
en 1946 à Papeete. C'est là que j'ai connu Raoul lors de
mon premier passage dans le territoire après la seconde guerre
la
été nommé
mondiale. Il avait
gouverneur.
Résident, et
un
bureau à côté de l'ancienne résidence du
Adjudant-chef, il était l'homme de confiance du
chargé du chiffre.
Le militaire se doublait en Raoul Teissier d'un grand patriote
qui prit parti dès 1941 pour la résistance intérieure française. Il y
avait en lui un curieux d'histoire locale. Dès cette époque j'avait à
Paris un "cahier Teissier" dans lequel je notais les ouvrages que je
lui envoyais. Il désirait tous les livres anciens concernant la
Polynésie Française. Il m'aida beaucoup à recueillir des notices
concernant les anciens militaires pour la première édition de
TAHITIENS qui portait son nom. Par ailleurs il écrivait des
articles bien documentés sur la "Démographie des E.F.O.", les
"Cyclones en Polynésie Française", "Chefs et Notables à l'époque
du Protectorat" etc... Il publiait tout cela dans "le Bulletin de la
Société des Études Océaniennes", le Semeur, et "Tamarii Tahiti"
aujourd'hui disparu.
Société des
Études Océaniennes
1245
Il avait
épousé à Marseille, en 1932, une infirmière, Suzanne
qui lui donna deux enfants Danièle, qui épousa Sylvain
Millaud, et Marie-Claude, qui après avoir pris son diplôme
d'assistance sociale et un autre d'Éducation sanitaire de l'O.M.S.,
fit une brillante carrière qui la conduisit à la Commission du
Pacifique Sud à Noumea où elle travaille encore.
Curieux d'histoire locale, et bibliophile impénitent, Raoul
était encore un philatéliste convaincu. Et je pense qu'avec Émile
Savoye il était un des amateurs les plus compétents, et sa collection
une des plus complètes du Territoire. Il faisait toutes les variétés,
les entiers, les lettres anciennes, les cachets de tous les bureaux du
territoire... C'était par dessus tout un ami dévoué, accueillant,
toujours prêt à rendre service. J'ai appris avec beaucoup de peine
en arrivant au début de novembre dernier sur le territoire qu'il était
décédé peu auparavant, le 17 octobre 1982 à la suite d'une brève
maladie. C'est une notable et très sympathique figure du territoire
qui disparaît. Il n'y comptait que des amis.
Pernot
R. P.
O'Reilly
Margaret TiTCOMB (1891-1982)
Margaret Titcomb, bibliothécaire principale du Bernice P.
Bishop Museum de Honolulu, de 1931 à 1969, est décédée à
Honolulu le 28 août 1982, à l'âge de 91 ans. Miss Titcomb, qui était
née à Denver, Colorado, en 1891, fut élevée par des parents
adoptifs et fit ses études secondaires au Packer Collegiate Institute
à Brooklyn, New York. Après avoir été bibliothécaire assistante à
l'American Museum of Natural History depuis 1924, elle accepta le
poste de bibliothécaire au Bishop Museum en 1931.
Durant les années qu'elle passa dans ce musée, Margaret
Titcomb réussit à faire de sa bibliothèque l'une des meilleures du
Pacifique. Disposant de ressources financières très limitées, elle sut
utiliser les possibilités d'échange que lui procuraient les publi¬
cations du musée et la sympathie qu'elle inspirait toujours chez ses
collègues partout dans le monde. Sous sa direction, le catalogue de
la bibliothèque du musée devint un modèle de bibliographie
analytique. Il fut publié par G.K. Hall, de 1964 à 1969, en neuf
volumes et deux suppléments.
Margaret Titcomb était elle-même une chercheuse. En
collaboration avec Mary Kawena Pukui, elle écrivit en 1952 une
monographie, intitulée Native Uses of Fish in Hawaii (Memoir
N° 29 de la Polynesian Society) qui fut réédité par University of
Société des
Études
Océaniennes
1246
Hawaii Press en 1972. En 1969, Bishop Museum Press publia son
sur le rôle du chien dans le Pacifique, Dog
and Man in the
Ancient Pacific, et en 1978 parut Native Use of Marine Inverte¬
brates in Old Hawaii, en collaboration avec Fellows, Pukui et
étude
Devaney, constituant un numéro spécial monographique de
Pacific Science. Elle avait auparavant écrit un livre pour les enfants
sur les migrations polynésiennes,
The Voyage of the Flying Bird,
en
1963, qui lui valut un prix spécial pour les auteurs biblio¬
thécaires et enseignants. Cet ouvrage fut réimprimé en 1970. Sa
dernière œuvre, en collaboration avec Harold St. John, une
observations du botaniste français Gaudichard-
traduction des
Beaupré, sur la végétation de Hawaii en 1819, sera incessamment
publiée par Bishop Museum Press.
La bibliothèque du Bishop Museum sur laquelle Margaret
Titcomb régnait était une halte obligatoire pour presque tous les
historiens et ethnologues du Pacifique. Elle entretenait une
volumineuse correspondance avec beaucoup d'entre eux et les
recevait avec une généreuse hospitalité pendant leurs visites à
Honolulu. Parmi les nombreux chercheurs qu'elle considérait
autant comme des amis que des collègues se trouvaient J.C.
Beaglehole, Phyllis Mander Jones, Harry et Honor Maude, le Père
O'Reilly, Bengt Danielsson, Douglas Oliver et E.S.C. Handy.
Margaret Titcomb fit quatre séjours à Tahiti, pendant lesquels
elle put se documenter, grâce à l'aide et aux connaissances
approfondies d'Aurora Natua, alors bibliothécaire de l'ancien
musée de la Société des Études Océaniennes.
Alexander Spoehr et Marie-Thérèse Danielsson
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Études
Océaniennes
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 221