B98735210105_219.pdf
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BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCENNIENNES
N° 219
TOME XVIII
—
Société des
N° 8 / Juin 1982
Études
Océaniennes
Société des
Études Océaniennes
Fondée
Rue
Lagarde
-
en
1917.
Papeete, Tahiti.
Polynésie Française.
B.P. 110
-
Tél. 2 00 64.
Banque Indosuez 21-120-22 T
—
C.C.P. 34-85 PAPEETE
CONSEIL D'ADMINISTRATION
M. Paul MOORTGAT
Président
Me Eric LEQUERRE
Mlle Jeanine LAGUESSE
Vice-Président
Secrétaire
M. Raymond PIETRI
Trésorier
M. Yvonnic ALLAIN
Mme Flora DEVATINE
M. Roland SUE
MEMBRES D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
R.P. O'REILLY
M. Yves MALARDE
M. Raoul TEISSIER
Société des
Études
Océaniennes
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DES ÉTUDES OCÉANIENNES
(Polynésie Orientale)
TOME XVIII
—
N° 8 / Juin 1982
n° 219
SOMMAIRE
PIERRE-YVES TOULLELAN
L'administration française des
E.F.O. 1865-1914
-
-
-
1057
H.E. MAUDE
Du cognac pour
-
archipels
1088
les Marquisiens
CH. BAKER
Lettre de 1846
1096
COMPTE RENDU
-
-
-
-
Jacques-Antoine Moerenhout (1797-1879)
Studies in Pacific Languages & Cultures
in Honour of Bruce Biggs
En Polynésie - Notes de voyage (1979)
Tradition et modernité
Une
aux
1103
1105
îles de la Société
interprétation anthropologique
Société des
1100
Études
Océaniennes
1106
1057
L'administration
E.F.O.
française des archipels
-
1865-1914
L'isolement, l'éloignement de la plupart des îles constituant les
à placer à la tête de chaque
"dépendance" d'une quelconque importance, un fonctionnaire
français. Ces fonctionnaires, disposant eux-mêmes d'un personnel
plus ou moins nombreux, formèrent l'administration des archipels.
E.F.O. conduisirent les gouverneurs
Cette administration connut des fortunes variées. Les toutes
premières années du Protectorat virent l'établissement d'un
personnel particulièrement nombreux et compétent aux
Marquises. Moorea était administrée par un lieutenant de
vaisseau. Les Tuamotu, dont l'importance à cette époque est
considérée comme nulle, ne sont dotés, les meilleures années, que
d'un gendarme (1853).
Pour les années 1850-60, l'historien C.W. Newburry constate
que "l'Administration ne se souciait nullement de ces territoires, se
contentant de prendre de brèves mesures pour maintenir la loi" (1).
Il faut souligner que la politique de la France en Océanie n'est
à cette époque nullement définie et que l'on parle bien plus d'un
possible abandon par la France des Marquises que de leur mise en
valeur. Pendant cette période, les missions catholiques jouent un
rôle prédominant puisque l'évêque des Marquises reçoit le titre de
"directeur des Affaires Indigènes", et que c'est véritablement lui qui
administre cette dépendance. Les Gambier sont encore à cette
époque aux mains de la Mission des Pères de Picpus.
La conclusion que Newburry tire de son étude sur l'adminis¬
tration française de 1849 à 1866, en ce qui concerne les archipels,
est la
suivante
:
Les Etablissements Français d'Océanie prennent le nom de Polynésie
Française le 22 Juillet 1957.
(1) "L'Administration de l'Océanie Française de 1849 à 1866", C.W. Newburry, Revue
Française d'Histoire d'Outre-Mer, Paris, p. 97-154, to 46, n° 163-165, 1960.
Société des
Études
Océaniennes
1058
plus capable de contrôler effec¬
région qu'elle ne pouvait visiter l'îlot perdu de Tubuai...
En résumé, près des deux tiers de la population des Etablissements
Français d'Océanie (soit un peu plus de 31 000 personnes en 1863)
ne voyaient que rarement ou même pratiquement jamais de
fonctionnaires. "Administration" signifiait "Tahiti et Moorea" (1).
Pourtant les années 60 voient une certaine reprise en main de
ces diverses possessions. Les Marquises sont dotées le 19 mars 1863
d'un commandant particulier et le même arrêté fixe le cadre "d'un
service spécial".
Les Tuamotu, par l'ordonnance du 28 avril 1864, reçoivent un
"L'administration n'était pas
tivement la
Résident. Ces deux administrateurs furent choisis dans le cadre des
officiers de marine, bien évidemment.
C'est à la même époque que l'administration s'attaque à
l'autorité absolue de la mission catholique des Gambier, dirigée par
le Père Laval.
général a changé. Tout d'abord l'importance
économique de ces îles s'est considérablement accrue : on essaie de
planter du coton aux Marquises, les cocoteraies se mettent en place
aux Tuamotu, où les navires de Brander et de Hort, négociants à
Papeete, se font de plus en plus fréquents, ces personnes s'assurent
de jolis bénéfices en récoltant la nacre. Toutes ces opérations ne
sauraient se développer sans un contrôle administratif, pense-t-on
à Papeete et à Paris.
D'autre part, l'envoi d'un résident dans les îles éloignées, était
lié également, pour une bonne part, à la crainte de l'installation
d'une puissance étrangère.
Le cas le plus typique de ce genre de politique est bien certainement
celui de la toute petite île de Rapa.
En 1867, l'Angleterre essaie d'établir une escale pour ses
paquebots à vapeur. Rapa se trouve en effet dans une position
remarquable sur la route de Panama - Nouvelle Zélande. La
découverte d'un gisement de houille échauffe de plus sensiblement
les esprits. Car Rapa fait partie de la zone d'influence que s'est
créée la France dans cette région.
Aussitôt Rapa se voit dotée d'un protectorat en bonne et due
forme. Pour appuyer la suzeraineté de la France sur cette nouvelle
dépendance, on y installe un lieutenant de vaisseau (Caillet) et un
gendarme, afin de gouverner les 120 habitants de l'île !
Le contexte
(1) "L'Administration de l'Océanie Française de 1849 à 1866", C.W. Newburry, Revue
Française d'Histoire d'Outre-Mer, Paris, p. 97-154, to 46, n° 163-165, 1960.
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Études
Océaniennes
1059
Lorsqu'au bout de 15 mois, l'Angleterre abandonne cette
escale et que l'on s'aperçoit que la houille est inexploitable, les
fonctionnaires français sont rappelés et l'île retourne à sa torpeur et
à son roi... (1).
canevas administratif fut dressé afin "de bien reconnaître
souveraineté dans les archipels qui nous appartiennent" et de
Un
notre
multiplier les visites dans les îles où
notre prépondérance" (2).
instructions
nous avons
intérêt à maintenir
Planche, voici comment
le Département, à la fin du
Protectorat : "Deux résidents français sont établis : l'un dans les
Tuamotu, l'autre dans les Tubuai, ils sont chargés de l'adminis¬
tration des Indigènes, de la perception de l'Impôt et de la
surveillance de la navigation, qui, dans ces groupes, appartient
exclusivement au pavillon du Protectorat".
(A cause des démêlés avec les pères) "combien est délicate la
mission de l'officier désigné pour l'emploi de résident aux
Gambier), vous lui recommanderez la plus grande réserve et en
même temps la plus grande vigilance dans ses rapports avec la
mission et avec les étrangers qui fréquentent ces parages.
"La tranquillité la plus complète règne depuis longtemps dans le
groupe N.O. des Marquises, la présence d'un résident et d'une
brigade de gendarmerie suffit à y maintenir notre souveraineté. Il
n'en est pas de même dans le groupe S.E. où nous ne possédions
plus aucun moyen d'action" (3).
Il ressort clairement de cette description que chaque archipel
fut placé sous l'autorité d'un fonctionnaire français, y compris les
îles les plus éloignées et les plus munies.
Avec l'annexion, puis les guerres menées aux Iles-sous-le-Vent, on
perfectionna le système, mais sans rien changer au principe initial.
Les Marquises forment la première circonscription : les 11 îles
sont regroupées en 10 districts. Un administrateur, ayant sous ses
ordres un agent spécial et quelques gendarmes, dirige cet ensemble
administratif. Une garnison assure la sécurité (à peine une dizaine
d'hommes). Un juge de paix siège à Taiohae.
Dans
est perçue
ses
cette
au
gouverneur
administration
(1) "Relâche dans l'île de Rapa des
par
(2) Instructions
de la ligne Auckland-Panama". "Envoi
(Fonds Océanie- Archives du Ministère de
vapeurs
d'un résident", 1867-1868, A 89, C 19, Fds Oc.
l'Outre-Mer - Paris).
pour
le
pour
le capitaine de vaisseau Planche, commissaire du gouvernement,
gouverneur
Morau (avec pièces préparatoires), 8 août 1883, A
127, C 21, Fds Oc.
(3) Instructions
29 novembre
1879, A 104, C 139, Fds Oc.
Société des
Études
Océaniennes
1060
Les 56 îles des Tuamotu sont regroupées en 31 districts. Le
résident, qui est aussi juge de paix, siège plus souvent dans sa
modeste goélette qu'à Fakarava, choisie comme chef-lieu.
Le résident des Gambier, également juge de paix, a sous sa
responsabilité 22 îles, certaines îles des Tuamotu étant en effet
rattachées
au
chef-lieu de Rikitea.
L'archipel des Tubuai est le plus délaissé.
prévu simplement que "chaque fois que les besoins l'exigent le
gouverneur désigne un fonctionnaire pour tenir des audiences
foraines à Tubuai, Raivavae, Rapa". En fait c'est le plus souvent
l'officier commandant la division navale qui administre cet
archipel. Un gendarme y fut détaché, certaines années, comme chef
de poste et instituteur (1).
Enfin les Iles-sous-le-Vent, qui, furent placées •sous le système
particulier de l'Indigénat, disposent aussi d'un administrateur.
Un personnel plus nombreux y est maintenu, en fonction de la
prise en possession plus récente et des événements qui y avaient
Il est
éclaté.
A mesure que la France accroissait ses possessions, elle
mettait sur pied un système administratif plus complexe et plus
difficile à faire fonctionner à cause d'un manque de personnel
qualifié.
De faibles modifications furent apportées.
Certaines îles des Tuamotu furent gérées tantôt par
le résident des
Gambier, tantôt par celui des Tuamotu. L'île de Makatea, après la
découverte des gisements de phosphate, dépendit directement du
chef-lieu, Papeete, bien que faisant partie des Tuamotu. Mais ce
système mis en place dès la fin du Protectorat, ne devait subir
aucune
importante modification d'ensemble. Restait à faire
un tel système, tout entier reposant sur le centralisme.
fonctionner
La clé de voûte de cette administration coloniale est le
résident. C'est sur lui que reposent non seulement toute la vie
administrative de l'archipel dont il a la charge, mais aussi la vie
politique, économique et sociale.
A partir des instructions adressées à différents adminis¬
trateurs, on peut essayer de dresser la liste de leurs attributions.
Chaque résident recevait en effet avant de quitter le chef-lieu, un
rapport du gouverneur lui exposant les grandes lignes de ce que
devait être son action. On dispose pour l'année 1865 d'instructions
(1) "Géographie physique et politique des E.F.O.", Cours Supérieur, 3è année par
PICQUENOT, sous-chef de bureau à la Direction de l'Intérieur, Tahiti, Paris, 1900, p. 107.
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Études
Océaniennes
1061
précises, destinées au lieutenant de vaisseau Lachavé, nommé
particulier des Marquises (1).
Le gouverneur La Roncière rappelle tout d'abord que tous les
marquisiens sont soumis aux lois françaises et placés de ce fait sous
la juridiction du résident, également nommé juge de paix.
Servir de médiateur, de juge, "se faire accepter comme arbitre
assez
commissaire
de leurs différends", tel est le bon moyen pour gouverner ces
Indigènes, particulièrement agités. Les tournées, nombreuses et
devant toucher toutes les îles, sont vivement souhaitées : maintenir
le contact avec les populations est le but essentiel (autant de
consignes
que
le
gouverneur
suit lui-même très peu...). Pour le
.seconder, le résident est habilité à choisir des chefs marquisiens. De
même, on le convie à supprimer les fonctions de Grand-Chef, car
"il y aurait inconvénient à reconnaître à côté de notre autorité, une
autorité presque
Temoana Tini".
autre
royale,
comme
celle dont cherche à
se
revêtir
Un résident doit protéger l'enseignement,
sionnel ou public. C'est une tâche prioritaire et
qu'il soit confes¬
il doit veiller à ce
des îles éloignées, aillent bien à la
les enfants, même ceux
pension !
L'essor de l'agriculture est une autre tâche primordiale. Il lui
faut "y employer tous les moyens qu'il a en sa possession", d'une
part pour accroître les revenus, jusque là dérisoires, de l'archipel et
l'inclure dans le circuit économique colonial qui se met alors en
place, et d'autre part, parce que "les travaux agricoles inculquent à
ces populations des moeurs plus douces et développent ce bien-être
qui est peut-être l'unique et réel motif qui se réalisent chaque jour".
La mise en place d'un nouveau circuit de produits marchands
doit se faire sous l'autorité de l'administrateur. C'est donc lui qui
doit veiller au juste salaire des travailleurs, vérifier la pesée et
l'expédition des produits récoltés, assurer la juste .valorisation des
produits fournis par les Indigènes.
En ce qui concerne l'agriculture, il doit également prêter
attention à la bonne santé du troupeau ovin et bovin que
l'administration possède sur ces îles.
Le résident est, bien sûr, également commandant du port. Sa
que tous
surveillance des mouvements maritimes doit, être
surtout en ce
qui
concerne
sans
faille,
les baleiniers américains, qui ont
(1) "Instructions pour Mr le Lieutenant de Vaisseau Lachavé, nommé Résident aux
Marquises", gouverneur de la Roncière, Cabinet du Commandant, 1865, E.F.O. n° 7,
Turnull Library, Wellington.
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Études
Océaniennes
1062
tendance à introduire de l'alcool et enlever des
Indigènes
pour en
faire des matelots.
Enfin il est.
un
domaine où le résident est certain d'être
contrôlé, c'est celui du bon
usage des finances publiques.
C'est à l'administrateur de régler les problèmes de perception
de
l'impôt. Reconnaissant que les habitants ne sauraient payer une
quelconque contribution en argent, "vu l'état dans lequel ils
demeurent", le gouverneur charge le résident de notifier que tous
les hommes de 18 à 60 ans doivent être employés à des travaux
d'utilité publique. C'est là un surcroît de travail non négligeable.
Puisque l'impôt en argent n'est pas exigé, il est évident que
l'administrateur dépend entièrement de l'administration centrale
pour toutes ses dépenses. Le résident est habilité à décider des
dépenses que nécessite l'archipel. Et un crédit spécial est en effet
alloué à Papeete pour cet usage. Le résident doit seulement
"chercher à en tirer le meilleur parti".
De ce fait, si en ce qui concerne les dépenses de l'adminis¬
tration, il y a les directives de l'ordonnateur, pour toutes les autres
le résident possède une marge de manœuvre assez large.
Cependant, il est bien souligné : "Quant aux dépenses imprévues, je
vous prie, à n'en rien faire naître aucune et n'admettez que celles
qui sont d'une incontestable urgence" !
La lecture de ces instructions fait apparaître la liste des
pouvoirs confiés à un administrateur. Un rapprochement
s'impose : ils sont identiques à ceux du gouverneur, sous cette
réserve, de taille il est vrai, qu'ils sont placés sous l'autorité de ce
dernier.
Le résident
a
tous les
pouvoirs politiques
:
il
nomme
les chefs
peut les destituer. Toujours, bien sûr, sous réserve d'approbation
du gouverneur, mais qui en cette occasion, ne dispose que des
informations que veut bien lui donner le résident.
Ses pouvoirs administratifs et judiciaires sont extrêmement
larges : les tribunaux indigènes ne statuant de plus en plus que pour
les questions de terres.
et
Même dans
ce
domaine, d'ailleurs, les administrateurs sont tentés
d'intervenir.
Son action économique peut être primordiale : distribution de
graines, fixation du cours d'achat des produits agricoles, mais aussi
il peut être amené à décider la date de l'ouverture de la pêche pour
les nacres (exemple des Gambier).
Il a enfin une action sociale : interdiction du tatouage, des
danses, de certaines fêtes (appelées en langage administratif,
"orgies").
Société des
Études
Océaniennes
1063
L'administrateur
est
bien "le roi des îles". Toutefois, il ne faut
oublier qu'il est, dans la plupart des cas, un marin et par
conséquent, reçoit des missions techniques. En 1865, le "résidentlieutenant de vaisseau" est chargé de relever l'emplacement exact
de diverses îles des Tuamotu, "travail qui ne devrait pas prendre
plus de 2 mois"...
pas
Mais
aucune
qui apparaît extraordinaire, c'est qu'aucun texte,
réglementation ne fixe les limites des pouvoirs confiés à ces
ce
fonctionnaires.
Ce qui fait que nous sommes en présence de jeunes officiers
qui sont conduits à prendre en charge des populations entières,
avec pour seules instructions, les recommandations souvent très
vagues qu'ils reçoivent à leur départ. Pour le reste, ils ont à
s'inspirer des règlements pris par leurs prédécesseurs, pas mieux
informés qu'eux, et à appliquer la réglementation générale édictée
par les bureaux de Papeete, réglementation que beaucoup d'entre
eux
avouent
mal maîtriser.
Certes, ils sont théoriquement en relations constantes avec le
gouverneur, mais les communications sont telles que dans certains
cas, les résidents sont coupés de Tahiti pendant une année entière !
Si le résident Lachavé a eu la chance de recevoir des
instructions assez détaillées, ce n'est pas le cas de la plupart de ses
collègues.
Pour Paris, il ne fait aucun doute que, dans le cas de la
Polynésie, le rôle du résident est d'affirmer, en ces parages, la
présence française. En ce qui concerne l'administration
proprement dite, il aurait plutôt à jouer les fonctions de
"conseiller" : "la mission spéciale des résidents est de visiter les
divers districts, de s'informer de la manière dont la justice est
rendue, de recueillir les réclamations et les vœux des habitants
européens et indigènes et de leur donner satisfaction dans la
mesure de leurs pouvoirs, d'encourager le travail chez la
population aborigène, de combattre chez elle l'ivrognerie, de visiter
les écoles, de s'assurer enfin que les fonctions salariées sont
remplies par des hommes capables et dévoués" (1).
Mais l'administrateur ne pouvait guère rester longtemps dans
ce rôle de
spectateur actif. Très vite, il est assailli de demandes en
tout genre. Et c'est dans le quotidien qu'il trouve les problèmes les
plus délicats. Or que conseille le gouverneur Dorlodot des Essarts
au jeune résident des Gambier ? :
"vous ferez aimer notre
(1) "Instructions pour le gouverneur Morau", Op Cit, A 127, C 21, Fds Oc.
Société des
Études
Océaniennes
1064
Administration par votre esprit de
vous saurez maintenir les indigènes
l'obéissance
sans
avoir jamais
vexatoires" (1).
conciliation et votre justice :
dans la voie du travail et de
recours
à
des
mesures
En fait la seule chose que l'on exigeait véritablement des
administrateurs était : "pas de troubles". Surtout pas de conflits
avec les puissances étrangères, très sourcilleuses sur les droits de
leurs nationaux. Surtout pas de révoltes indigènes, notamment
dans ces Marquises, turbulentes par nature. Surtout pas de
dépenses superfétatoires. Et il semble bien que toute dépense
envisagée par les résidents le soit. Enfin bien faire rentrer les
impôts. Tout ceci est résumé dans la lettre qu'envoie le gouverneur
Lacascade le 14 décembre 1886 et où il félicite l'administrateur des
Tuamotu pour son excellente tournée à Makemo, Raroia, etc...
"Cela permet de resserrer les liens qui rattachent l'Administration à
ses
administrés, de montrer notre pavillon... Et c'est un excellent
résultat du reste
Puisqu'en
fonctionnaires
penser
au
ce
ne
point de vue de la perception de l'impôt" (2).
qui concerne les tâches quotidiennes, ces
recevaient
aucune
instruction détaillée,
on
peut
reçu auparavant la formation adéquate pour
de telles fonctions. Nous sommes conduits à nous
qu'ils avaient
exercer
sur la composition de ce personnel administratif.
Les toutes premières décennies de l'Administration française
interroger
le sort des
archipels confiés à des officiers de Marine. Cela
puisque nous avons vu que toute la colonie, à
quelque échelon que ce soit, était entre les mains de la Marine. Ce
type de personnel ne varia pour ainsi dire pas. De 1870 à 1914, on
trouve des marins aux Marquises, aux Gambier (mais dans une
ont
vu
n'a rien d'étonnant
moindre mesure) et aux Tuamotu.
Cependant les années 80, dans les îles comme au chef-lieu,
du pouvoir aux autorités civiles. Le ministre
indique clairement au gouverneur Lacascade qui va prendre son
poste, en juin 86, qu'il souhaite remplacer les officiers de vaisseau,
dépendant de la station navale locale, employés comme résidents,
par des civils. Une telle mesure est prise suivant des considérations
voient le passage
financières.
Les
officiers
coûtent
en
effet
très
cher
au
Département : la "solde à la mer" leur est allouée, plus une solde
complémentaire sur fonds du budget local. Le Ministre de la
A
(1) "Instructions du gouverneur pour le résident des Gambiers", 28 octobre 1881,
124, C 140, Fds Oc.
(2) "Gouverneurs à divers", 14 décembre 1886, Cor Gouv, Arch. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1065
Marine, refusant les crédits à partir de ces années pour un tel
personnel, il faut trouver du personnel civil (1).
Il est cependant à remarquer, qu'au même
moment, le grand
projet de réforme administrative qui prévoyait pour les Marquises
l'envoi d'un Commissaire particulier assisté par un Conseil
d'Administration investi d'attributions consultatives, est également
rejeté par manque de crédits. Il est clair que le Conseil Général
s'opposa vivement à un tel projet (2).
Le gouverneur se voit donc privé d'une
part, du seul personnel
de formation élevée, bien que pas
toujours appropriée, et d'autre
part, ne peut mettre en place un système administratif vraiment en
état de fonctionner, toujours par
manque de crédits.
Dès lors, il faut trouver, là où l'on peut, du
personnel. On fait
ainsi appel à des civils. Le meilleur exemple étant le choix du
peintre Lemoine envoyé comme résident aux Gambier. Des
fonctionnaires indigènes sont également parfois
envoyés : ainsi,
toujours aux Gambier, le tahitien Tamatoa. Les très rares officiers
encore disponibles sont envoyés aux Tuamotu,
pour la raison
majeure que le résident doit être capable de commander et de vivre
à bord d'une modeste goélette qui lui sert en fait de véritable lieu de
séjour. Enfin les Marquises, après la période d'abandon qui les a
caractérisées, se voient confiées à des médecins administrateurs.
L'état de délabrement de la population oblige les gouverneurs
à y
envoyer un médecin à plein temps et comme la colonie ne peut se
permettre d'y installer aussi un administrateur, ce médecin se voit
confié toutes les tâches à la fois. La mortalité très élevée constatée
aux Gambier
nécessite aussi dans les années 1900 l'envoi d'un
médecin colonial.
Enfin dans les toutes dernières années, certains
archipels
reçoivent de véritables administrateurs civils. Mais le budget de
1914
prévoit l'envoi d'un administrateur de carrière aux
Marquises. A cette date, note la commission d'inspection Revel,
c'est toujours un médecin qui est juge et administrateur
(3).
Même ces médecins, qui, comme nous allons le voir, sont de
bien mauvais administrateurs, sont à l'évidence
trop peu
nombreux.
(1) "Instructions
au gouverneur
(2) "Instructions
au
Lacascade", 9 juin 1886, A 131, C 21, Fds Oc.
Lacascade", 9 juin 1886, A 131, C 21, Fds Oc.
(3) "Commission d'inspection Revel", section "Marquises", "Administration", 1914,
Arch.
gouverneur
Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1066
l'exception de quelques officiers de marine, passés
coloniaux, en aucun cas les
archipels furent dirigés par des fonctionnaires spécialement formés
à cet effet. Cette caractéristique se retrouve dans le personnel
Ainsi à
dans
le cadre des administrateurs
subalterne.
Il est assez difficile de connaître les effectifs exacts du
personnel affecté dans les dépendances. Nous ne disposons
d'aucune série de statistique portant sur une aussi longue période.
Par contre, les archives de Papeete sont en mesure de nous
présenter quelques tableaux ponctuels. L'état nominatif dressé en
1914 permet de faire le point sur ce personnel à la fin de la période
étudiée, et de tirer une sorte de conclusion. Les Marquises sont
entre les mains d'un médecin major de 1ère classe. Il assure les
fonctions de juge. Deux fonctionnaires français seulement
l'assistent. Les Tuamotu ont reçu un administrateur de 2ème
classe, qui est en fait un lieutenant de vaisseau. Là encore son
personnel se limite à deux fonctionnaires métropolitains. Les
Gambier sont placées sous l'autorité d'un gendarme et les
Australes ont également à leur tête trois gendarmes. Ce sont les
Iles-sous-le-Vent qui sont le mieux administrées : un adminis¬
trateur
civil de 3ème classe et 5 fonctionnaires sont détachés dans
d'îles, qui n'a même pas le nom d'archipel. Dans les Ilesun gendarme est en poste à Moorea et un autre
dans la presqu'île de Tahiti, Taravao. Il est également envoyé un
commis à Makatea, depuis l'exploitation des phosphates (1).
Ce tableau, répétons le, est ponctuel. Mais 1914 est une
époque de prospérité pour la colonie. Les moyens financiers ne
manquent donc pas. On peut affirmer que cette année là ne fut pas
une année de sous-représentation administrative.
Or on constate que 17 fonctionnaires français seulement
administrent un territoire aussi étendu que l'Europe. Certes, il y a
aussi des fonctionnaires indigènes, mais ils sont confinés dans des
tâches tout à fait secondaires (gardien de prison, mutoi, agent de
l'état-civil) et en aucun cas ne disposent de pouvoir de direction ou
de gestion.
ce
groupe
du-Vent, enfin,
On peut essayer
début de l'annexion
lesquelles
nous
d'établir
une
comparaison
avec
les années 80,
française de ces territoires et années pour
disposons de plusieurs sources d'information.
(I) "État nominatif du personnel administratif des
1919, 1931, 1933", Arch. Pap.
Établissements Français d'Océanie,
années 1914,
Société des
Études Océaniennes
1067
Une réserve
cependant est à émettre tout de suite : les chefs
indigènes sont comptés dans le personnel administratif, ce qui
laisse apparaître, pour certains archipels, une sur-administration.
En fait, en
1885, 2 fonctionnaires ont la charge de
5500 Paumotu. Une garnison toutefois est maintenue à Fakarava
(12 hommes). Les Marquises totalisent 21 fonctionnaires ! (en fait
il est tenu compte dans ce chiffre des femmes et enfants de
fonctionnaires !). 25 hommes de troupe sont maintenus pour
assurer
l'ordre. 2 fonctionnaires administrent les 667 habitants des
Tubuai et 6 fonctionnaires
se
(à cette époque, ne l'oublions
de Mangareva) (1).
partagent la direction des
pas, une
Gambier
partie des Tuamotu, dépend
Pour l'année
1887, peu de différences sont survenues dans
administration, selon les archives détenues à Papeete.
Un résident, un agent spécial, un sous-agent spécial, deux
interprètes, un gendarme, 12 hommes de garnison, 11 hommes
cette
d'équipage (indigènes) pour la goélette du résident, le "Taravao",
forment le personnel des Tuamotu.
Les Marquises sont toujours dotées de 16 fonctionnaires (plus
5 membres de leur famille), essentiellement recrutés dans la
gendarmerie. Atuona est le grand centre administratif, avec ses
7 fonctionnaires et 21 soldats. Toutes les autres îles sont confiées à
gendarme (2).
un
Un autre
exemple d'administration d'archipel nous est donné
les Gambier
dans les années 1900. Un médecinadministrateur, un agent spécial, un instituteur, un interprète, un
"infirmier-canotier" (!), tous d'origine française, sauf l'instituteur
(tahitien), vivent à Mangareva (3).
Il est évident que les archipels furent dotés d'une adminis¬
tration beaucoup plus nombreuse dans les premiers temps de
l'annexion que par la suite. Ainsi dès l'année 1889, la garnison en
poste aux Tuamotu est supprimée. Celle des Marquises va suivre.
par
Les événements des Iles-sous-le-Vent nécessitent toutes les forces
armées
disponibles (4). Mais ces garnisons ne seront jamais
les forces militaires en place à Papeete sont
également rapatriées.
rétablies. D'autre part,
(1) Tableaux de population, de cultures, de
P.
commerce et
de navigation
pour
l'année...",
673, Fds Oc.
(2) "Séries statistiques de 1863 à ...", Arch. Pap.
(3) "Correspondance du Résident des Gambier
(4) "Série Statistique
pour
au
gouverneur", 1905-1911, Arch. Pap.
1889", "2ème série", Arch. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1068
Les années 90 marquent, en effet, le profond changement de
ce territoire. Désormais, décide Paris, la
colonie aura à sa charge son administration. Dès lors, comme nous
l'administration de
le
l'administration centrale, des coupes sombres sont
des fonctionnaires les plus coûteux pour une
administration coloniale est le gendarme
Le fer de lance de l'administration des E.F.O., en ce qui
concerne les établissements secondaires, fut sans conteste la
gendarmerie. Et de 1890 à 1914, les gouverneurs furent beaucoup
plus affectés par la réduction de ce corps que par la suppression des
garnisons.
En 1889, Lemasson parle d'un effectif de 50 gendarmes sur
toute la colonie, dirigé par un officier (1). Le gouverneur Petit
dispose encore en 1902 de 48 hommes, mais empêtré dans des
verrons
pour
effectuées. Et
un
...
difficultés financières au moment où la colonie traverse une grave
crise économique, il est contraint de réduire leur nombre de
21 unités, en enlevant 15 hommes aux Archipels ! (2).
En 1907, il ne reste plus que 19 gendarmes, sans officier. Le
gouverneur Jullien écrit à leur sujet qu'il "n'a plus de personnel".
Les Marquises vont être presque délaissées, les Tubuai également,
et
quelque
peu les Iles-sous-le-Vent (3).
1912 est l'année où les effectifs atteignent
leur minimum :
Ce chiffre est légèrement relevé en 1914,
gendarmes pour toute la Polynésie.
Le gouverneur Lacascade, dans les années 80, jugeait la
gendarmerie, comme "un corps d'élite". Ce sentiment fut partagé
par presque tous ses successeurs, et par les inspecteurs de colonie,
de passage. Ainsi en 1914, l'inspecteur Revel considère le cas du
gendarme en poste à Moorea.
Avec 4 "mutoi" sous ses ordres, et recevant l'aide d'un
lieutenant de justice, le gendarme est seul responsable de l'île. Si sa
charge première est le maintien de l'ordre, et pour cela il perçoit
une solde annuelle (2832 frs), il est aussi le représentant du
ministère public (qui lui alloue avec générosité... 120 frs par an),
des travaux publics (supplément de 600 frs) et porte le titre d'agent
spécial (prime de 125 frs), ce qui lui vaut également de percevoir
l'impôt. On parvient à un total de dépenses de l'ordre de 4427 frs,
ce qui fait dire à l'inspecteur
des colonies Revel : "en somme, le
13 personnes seulement.
mais reste dérisoire : 19
(1) "Les E.F.O.", "Notices géographiques, historiques et économiques", 1889, Paris.
(2) Petit, Cor. Gouv., 4 septembre 1902, Arch. Pap.
(3) Jullien, Cor. Gouv., 16 octobre 1907, Arch. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1069
gendarme administre l'île. Il le fait à bon compte puisqu'il coûte à
peine 4500 francs par an
Je dois ajouter qu'il le fait bien" (1).
Mais cet éloge est unique dans les archives de l'administration
centrale, qui ne se penche sur ses gendarmes que lorsque des
affaires "louches" attirent son attention. Heureusement, l'un d'eux
a raconté avec détails la vie d'un gendarme colonial en Océanie,
perdu au fond d'une île marquisienne, coupé de tous (et surtout de
ses supérieurs), côtoyant chaque jour "ses" indigènes.
Dans ses "Souvenirs d'un colonial en Océanie", de 1888 à
1911, le gendarme François Guillot, nous conte, dans un style assez
décousu, un ensemble d'anecdotes toutes tirées du quotidien. Point
d'analyse sociologique ici. Plutôt une série de règlements de
comptes avec ses supérieurs, la mission catholique (il est
violemment anticlérical) et les colons.
...
Après deux mois passés à Papeete, il se voit confié en 1888
Tahiti, où il note avec raison qu' "il était
le seul de race blanche". Il part fin 89 pour l'île de Ua Pou aux
Marquises. Il y est à nouveau le seul blanc. Son rôle, il le décrit
ainsi : "j'étais percepteur, officier d'état-civil, maître de port, agent
des Ponts-et-Chaussées, et... seul à manger du pain, je le fabriquais
donc" (2). Il est rappelé à Papeete en 1893 seulement. Pour
rejoindre le navire qui l'attend dans une autre île des Marquises, il
doit prendre une baleinière et ramer 12 heures, "tout en écopant
avec son casque colonial". Il se voit confié en 1894 le poste de
Tautira (Tahiti) "le meilleur de l'île", comme brigadier. Mais il est
envoyé à Nuku-Hiva, à nouveau aux Marquises, la même année. Il
reprend ses activités multiples et y ajoute celles "d'infirmierchirurgien" : il opère même un Français d'un flegmon. En 1897,
après avoir reçu la Médaille militaire, il est nommé à Hiva-Oa,
dans le même archipel.
Après dix ans passés aux Marquises, il tire le bilan suivant de
son action : "la
suppression de l'opium, des débits de boisson, des
écoles libres, du tatouage et la restitution des terres de la Mission
Catholique aux 4/5 aux Indigènes..." "je puis dire sans vantardise
que personne n'a autant travaillé que moi dans ce pays" (3).
Son poste, étant supprimé en 1906 pour cause d'économie, il
rentre en congés en France, où il est reçu avec tous les honneurs. A
3 districts de la côte-est de
(1) "Commission
d'Inspection
"Administration", 1914, Arch. Pap.
"Souvenirs d'un colonial
en
Revel",
section
"Ile-du-Vent-Moorea",
Océanie", F. Guillot, Année 1935, p. 14.
(3) Guillot, Op Cit, p. 92.
Société des
Études
Océaniennes
1070
retour, il est nommé à Taravao. Il refuse le poste de
commissaire de police, qui n'est rien d'autre que "le mouchard du
gouverneur et des hauts fonctionnaires". Il reçoit la Légion
d'Honneur et se nomme maréchal-des-logis, puis adjudant,
son
n'étant habilité à nommer dans la colonie les grades
subalternes, en l'absence d'un officier. Il assume les fonctions de
lieutenant. Il est le secrétaire du gouverneur lors d'une tournée aux
Marquises et reçoit la croix de chevalier. Il est commandant de la
gendarmerie à partir de 1909.
personne
Cette
carrière, hautement menée, est exceptionnelle. Le seul
longtemps en Polynésie est extraordinaire.
Mais cette vie est riche en enseignements.
Comme le répète à l'envi, le brigadier Guillot, il est le seul
représentant de la France dans ces îles marquisiennes où bien
souvent, il est aussi le seul Blanc. Ainsi à Ua-Pou, il a la charge de
400 Indigènes et à l'entendre, décide de tout. Là encore, nous
sommes en présence d'un fonctionnaire français
qui dispose d'un
pouvoir exercé pratiquement sans contrôle.
Pour la communauté indigène, la France, c'est le gendarme.
Et sa présence n'est pas toujours appréciée : n'est-ce pas lui qui
règle le travail communal, interdit l'alcool, la danse, le tatouage ?
Mais ceci étant, il faut souligner que le gendarme apparaît
également, en bien des cas, comme le protecteur des marquisiens
dont il a la charge. Cette population, il la protège parfois contre
elle-même en interdisant l'opium et l'alcool, responsables de
dizaines de décès. Il la protège de plus contre les commerçants et
colons français et européens, un peu trop tentés de réaliser de
"bonnes affaires". "Coloniser (pour les colons) consistait à faire des
Indigènes leurs esclaves", note le brigadier (1). "Les négociants du
pays, Blancs ou Chinois, volaient les Indigènes de façon odieuse.
Les Kanaques, tous illettrés, (ne voyaient pas que) quand l'un
d'eux apportait 150 kg de marchandises, la balance n'en accusait
que 100 ..." (2).
Autant d'abus contre lesquels lutte le brigadier car le
gendarme est aussi fort mal vu des colons. Ses démêlés avec eux
constituent l'essentiel de sa correspondance et de ses rapports
officiels. Ses critiques ne s'adressent d'ailleurs pas aux seuls
agriculteurs et commerçants de l'île, le plus souvent anciens
gendarmes, il juge aussi les autres fonctionnaires.
fait de résider aussi
(1) Guillot, Op. Cit,
p.
32.
(2) Guillot, Op. Cit,
p.
63.
Société des
Études
Océaniennes
1071
C'est ainsi
qu'il remarque la désinvolture des médecins
qui "font des visites médicales sans descendre de cheval"
et perçoivent pour cela de grosses indemnités (2). Il rapporte les
propos de cet administrateur qui en 1899, déclare en arrivant,
"qu'il vient avec la ferme intention de ne rien faire".
Certes il s'agit là de petites mesquineries, mais qui npus
semblent très révélatrices du climat qui règne dans les archipels.
Prenons encore l'exemple de ces officiers de marine qui n'ont que
mépris pour la gendarmerie, et refusent au brigadier Guillot le
droit de monter dans la même baleinière qu'eux, lors d'un
accostage difficile aux Marquises (2). Il ne s'agit pas simplement de
dénoncer les autres catégories de fonctionnaires car le gendarme
note aussi, avec tristesse, "les tracasseries et les mauvais coups
entre camarades gendarmes" (3).
Le brigadier touche là un des graves problèmes de cette
administration. Mais avant de l'aborder, il reste un autre point
d'interrogation : le travail demandé à ces fonctionnaires est-il aussi
démesuré qu'eux-mêmes et les visiteurs l'ont maintes fois déploré ?
Assurer les fonctions de maître de port dans une île où passe
un navire tous les 6 mois, n'est
pas une charge écrasante. Tenir un
état-civil, assurer l'état de l'unique chemin de l'île, ne semblent pas
non plus trop demander. Seule la perception de l'impôt,
qui de plus
nécessite de longs déplacements assez fatigants, paraît plus
coloniaux
difficile.
En fait le gendarme ne pouvait être relativement débordé, que
lors de l'arrivée de l'hypothétique goélette. Mais gageons que pour
fonctionnaire, souffrant plus de l'ennui et de la claustrophobie
du poids d'un écrasant travail, cette arrivée était bien
davantage une source de joie.
ce
que
Vivre isolé au sein d'une population dont les mœurs ne sont
pas toujours faciles à partager obligeait les fonctionnaires en poste
dans ces îles du bout du monde, notamment dans les chefs-lieux, à
demeurer
en
vase-clos. Il
en
résultait bien souvent
une
que bien des fonctionnaires en venaient, au bout de
à réclamer leur retour à Tahiti.
Car les
tension telle,
quelques mois,
pires ennemis des fonctionnaires dans les archipels
Guillot
Mais le
bien souvent les autres fonctionnaires. Le brigadier
notait déjà "les tracasseries entre camarades gendarmes".
sont
(1) Guillot, Op. Cit, p. 83.
(2) Guillot, Op. Cit,
p.
144.
(3) Guillot, Op. Cit, p. 20.
Société des
Études
Océaniennes
1072
plus souvent c'est contre le représentant de l'Administration
générale que se tournent les fonctionnaires isolés.
Des négociants ont soin d'aviver ces conflits, dont ils ont tout
à espérer. En 1912, le Résident des Marquises se croit victime "d'un
véritable complot". Un commerçant, son employé, un sieur
Guégan se vantent de "pouvoir faire sauter le Résident". Trois
instituteurs sont aussi mêlés à l'affaire. D'ailleurs, "depuis qu'il y a
des instituteurs aux Marquises, il n'y a pas eu un Administrateur
qui n'ait eu à se plaindre du manque de correction de ce
personnel". Or qui sont ces instituteurs ? : un ex-gendarme
alcoolique, un ex-matelot et un jeune homme très "fier de lui" (1).
C'est le moment que choisit le commissaire de police pour
entrer également en conflit avec l'Administrateur. Ce qui aboutit à
des situations de ce genre : "tel jour d'audience, il m'écrivait par
exemple : je suis occupé et souffrant, et quelques heures plus tard,
je l'entendais jouer de la flûte" (1).
Telles sont-les plaintes continuelles, dérisoires et mesquines
dont est assiégé le gouverneur.
Mais le plus bel exemple de l'ampleur que peuvent prendre de
telles affaires est, sans conteste, le cas du Résident des Gambiers.
Il faut, je crois, tout d'abord rappeler les conditions générales
de l'exercice de cette fonction. Les Gambiers, telles que les limites
de l'époque l'établissent, comprennent environ une vingtaine d'îles,
soit une population de 1500 âmes. Mais le résident ne connaît
essentiellement que le cas de Mangareva, peuplée d'environ
500 habitants
dans
au
début de
ce
siècle. L'île, comme nous l'avons vu
description naturelle, est assez sauvage. Elle n'a pas l'aspect
charmant que décrivent les voyageurs arrivant à Tahiti, bien au
contraire. Cet aspect sauvage va hélas de pair avec une situation
économique catastrophique. Le résident parle de "la triste pauvreté
qui règne ici" et "les Indigènes ne possèdent absolument rien, la
plupart n'ont ni savon, ni lumière, ni pain, les commerçants leur
refusent tout crédit" (2).
Toutes les ressources de l'archipel sont fondées sur la nacre.
Or, à partir des années 1900, les campagnes de pêche sont
désastreuses. L'administrateur conclut : "il est probable que l'ère de
sa
au gouverneur", 5 avril 1912,
de l'Administration des Marquises", Série 5 C, Arch. Pap.
La correspondance qui s'étend du 5 janvier 1894 au 20 octobre 1896 est également remplie
d'affaires de plaintes, de menaces et même de coups entre fonctionnaires, ou colons et
fonctionnaires, (Série C, Arch. Pap.).
(1) "L'Administrateur des Marquises, Dr Lagarde,
extrait de la "correspondance
(2) "Correspondance du Résident des Gambiers
1905, Arch. Pap. et du 9 février 1907.
au
31 mai
Société des
Études
Océaniennes
gouverneur", lettres du
1073
la
prospérité que l'industrie nacrière a crée jadis est définitivement
passée" (1). Puisque le fret de retour n'existe plus, que les habitants
ne peuvent plus rien proposer aux navires, ceux-ci se font rares. La
situation peut dès lors devenir extrêmement critique.
A la suite du cyclone et de l'absence totale de communi¬
cations, le résident écrit que "fin janvier, la viande salée manqua,
puis le riz remplacé par des haricots, puis le beurre, le sucre, le lait
ont disparu et la farine diminua... La veille de l'arrivée du
ravitaillement, le dernier boulanger allait fermer". Le docteur
Cassiau, le résident, est lui-même bien atteint : "je donnai tout mon
lait à une femme albuminurique". Ceci explique peut-être cette
lettre du 7 septembre 1906 : "Ma santé souffre de l'usage prolongé
de conserves. Mon tube digestif est fatigué... un changement de
régime est à souhaiter ..." (2).
plus tard, la situation ne s'est guère améliorée :
"Depuis le 20 novembre 1908, aucun bateau n'est passé. Il n'y a
plus de commerce, la plupart des magasins n'ayant rien à
vendre" (3). Et ceci est écrit le 21 avril 1909 !
Bien sûr on ne compte pas seulement sur des provisions
venant de l'extérieur, mais alors que les Mangaréviens ne sont
guère agriculteurs, le résident dit : "les rats infestent nos
montagnes. Ils saccagent les cultures vivrières qui dans certains
districts ont été complètement ravagées" (4).
La situation que connaissent les fonctionnaires français dans
l'archipel mangarévien est certes exceptionnelle : l'inhospitalité de
l'île est frappante, la pauvreté des Indigènes émouvante. L'état de
délabrement physique de cette population horrifie le résidentmédecin. Mais il y a là plusieurs points communs à ce que
connaissent l'ensemble des administrateurs des archipels. Les
Marquises présentent à cette époque un tableau similaire, aggravé
par les profondes antipathies des marquisiens à l'égard des agents
français.
Or en présence de tels problèmes, on s'aperçoit que la
correspondance du résident de 1904 à 1906, le docteur Cassiau,
contient essentiellement des rapports sur ses démêlés avec ses
surbordonnés (5).
Deux
ans
(1) "Correspondance
du
Résident
des
Gambier
au
gouverneur", lettre du
6 octobre 1908.
(2) Idem, lettres du 22 mars et du 7 septembre 1906.
(3) Idem, lettre du 21 avril 1909.
(4) Idem, lettre du 8 octobre 1905.
(5) "Correspondance du Résident des Gambier
à 36, septembre 1905, Arch. Pap.
au gouverneur
n° 30
Société des Études Océaniennes
des E.F.O.", lettres
1074
avec
C'est ainsi que l'administrateur entre tout d'abord en conflit
le sous-résident, le sieur Nassay. Le docteur Cassiau se plaint
des "termes
froids, presque grossiers" dont sont remplies les
réponses de l'agent spécial. Il s'agit d'une simple querelle de
personne.
Mais cet
adjoint
antagonisme entre l'administrateur et son principal
revêtir des proportions plus grandes si l'on
personnel présent dans l'île, durant toutes ces
ne peut que
considère le reste du
années.
"L'instituteur greffier ... Tamatoa fait tout pour empêcher le
Résident de faire son travail. Le mutoi plonge (au lieu de dresser
des contraventions). Le commissaire de police est brave mais ne
dresse pas un seul procès-verbal". "Avec un personnel comme ça
ma tâche est rude, surtout en matière de justice dont je n'avais pas
la moindre notion" (1).
Le conflit rebondit très vite, et quelques semaines plus tard,
nouvelle lettre de l'administrateur, se plaignant de Nassay : "Ce
fonctionnaire paraissant ignorer volontairement et par
dignité auxquelles a droit le
représentant de Mr le gouverneur dans l'archipel..., j'ai le regret
mais le devoir de réclamer pour des écarts fréquents de discipline
une peine sévère, eu égards que de pareils manquements à votre
délégué ne peuvent qu'apporter des à-coups à la bonne et régulière
gestion de mon administration" (2).
Le Résident menaçant d'exiger de se faire déplacer s'il
n'obtient
satisfaction,
le gouverneur cède et envoie en
remplacement Lemoine, peintre de son état.
Totalement étranger à l'administration, le jeune peintre ne
supporte guère longtemps la hiérarchie très pesante que prétend
maintenir le médecin-résident. En avril 1906, l'agent spécial,
l'infirmier et l'interprète osent prendre le canot administratif et se
rendre auprès du pensionnat de jeunes filles que tiennent les sœurs
catholiques (3). Le docteur y voit aussitôt une grave atteinte à son
autorité et une conduite infamante pour des fonctionnaires
français. Une nouvelle fois, la discorde éclate, prenant une
tournure encore plus violente que précédemment : "Peut-être
devant cet insolent me serai-je laissé aller à m'oublier malgré moi et
aurai-je après à me repentir d'avoir cassé les reins à ce freluquet, à
insoumission la considération et la
(1) Idem, lettre du 11 août 1910.
n°
(2) "Correspondance du Résident des Gambier
30 à 36, septembre 1905, Arch. Pap.
au gouverneur
(3) Idem, lettres d'avril 1906.
Société des
Études Océaniennes
des E.F.O.", lettres
1075
fruit sec peintre amateur venu comme colon en Océanie pour y
chercher fortune et que l'Administration a trop bienveillamment
accueilli" (1).
Cette fois c'est le docteur Cassiau qui fait les frais de cet
affrontement. D'ailleurs il est certain que physiquement, il est très
ce
passés à Mangareva.
passage que l'agent spécial Lemoine, ayant eu entre
mains le registre de correspondance du résident après le départ
celui-ci, l'annote de remarques et d'injures qui n'ont rien à
éprouvé après 3
Notons
les
de
ans
au
envier à celles dont s'est servi l'administrateur dans cette affaire !!!
On
pourrait penser que nous donnons à cette affaire une trop
grande importance, et que toutes ces querelles sont liées surtout à
la personnalité du Résident de l'époque. Mais outre le fait que
toute la correspondance des Gambier se résume, à l'exception de
remarquables rapports sanitaires, à ces histoires mesquines, il
convient de faire remarquer que les choses ne s'améliorent pas par
la suite.
résident est envoyé après quelques
mois
l'instituteur tahitien Tamatoa. Celui-ci s'étant
peu à peu persuadé que le poste allait lui demeurer, voit d'un très
mauvais œil l'arrivée d'un nouveau fonctionnaire français.
D'emblée les rapports se tendent et prennent une tournure
dramatico-comique.
Le jardin est la grande fierté des Français de Mangareva, ou
les poules de Tamatoa vont ravager le précieux potager du
En effet
un nouveau
d'intérim, exercé
par
résident.
"Ne voulant pas qu'un Indigène soit par mauvaise volonté, soit par
méchanceté ait été la cause de la destruction de mon jardinage, je
fusil et tirai les 3 volailles en question d'assez loin pour ne
les tuer" (2).
Hélas les choses n'en restent pas là, car les poules reviennent :
"Mr Tamatoa a peut-être voulu me narguer, il y a réussi... Il m'en
coûtera mes cartouches, mais à lui il lui en coûtera ses volailles.
Vous
trouverez
peut-être mon procédé un peu violent,
Mr le gouverneur, surtout vis-à-vis d'un fonctionnaire, j'avoue
qu'il m'en a été dur d'en arriver là... mais ici seuls ont des légumes
ceux qui les travaillent".
D'autres affaires (toutes aussi importantes !) viennent troubler
la douce quiétude des Mangaréviens : en fait, la correspondance
pris
mon
pas
(1) Idem, lettre n° 49, 22 juin 1906.
(2) "Correspondance du Résident des Gambier
n°
au gouverneur
24, 19 juin 1910, Arch. Pap.
Société des
Études Océaniennes
des E.F.O.", lettre
1076
des Résidents des Gambier
pendant toutes ces années se résume
des pages et des pages à la description de toutes ces querelles. Il
faut voir, dans de telles affaires, beaucoup plus que de simples
anecdotes. Ces événements, que l'on retrouve dans tous les
sur
archipels, sont très révélateurs de la tension qui y règne. On peut
souscrire aux conclusions médicales que le docteur Brethès tire
d'une étude s'appliquant au "personnel contemporain" en poste à
Tubuai : "la transplantation d'individus hors de leur cadre habituel
de vie est génératrice de troubles variés dans le domaine psychique
et psychologique". Il note l'éloignement poussé, dans les E.F.O., au
paroxysme (les Antipodes), l'isolement (Mangareva, Tubuai, les
Marquises, c'est "l'insularité par excellence"), les difficultés
d'intégration à une communauté indigène (mœurs, langue),
l'agression climatique. A cela s'ajoute l'abandon, très général à
l'époque, d'un certain confort domestique.
Les conséquences sont multiples :
"activités ralenties, repli progressif sur soi-même, n'excluant pas
une certaine note agressive, soit hétéro-agressivité avec note
revendicative importante, soit auto-agressivité. La dépression
menace à long terme, paradoxalement bien souvent chez des
individus dont le premier contact a été agréable. "La découverte du
quotidien amène la déconvenue" puis "la dépression, qu'aggrave le
sentiment d'avoir été trompé". Des troubles psycho-somatiques
sont enfin prévisibles en bien des cas (1).
Il est évident que cette situation atteignait son maximum, un
siècle précédent, lorsque deux ou trois Français se retrouvaient
totalement isolés du reste de la communauté, au milieu d'une
population avec laquelle les contacts étaient encore beaucoup plus
difficiles à établir.
Malheureusement toutes ces tensions, si importantes qu'elles
soient en portant atteinte au bon fonctionnement de l'adminis¬
tration
coloniale, ne constituent pas le travers le plus important
l'on peut incriminer à ce corps.
Abus de pouvoir, scandales, trafics en tout genre et surtout
incompétences
eurent
à
l'époque
beaucoup
plus
de
que
retentissements !
risques qui guette l'administrateur envoyé dans les
Archipels est sans conteste l'abus d'autorité. Prenons l'exemple de
ce jeune officier de marine, envoyé à Fakarava (Tuamotu). Venu
du Sénégal, le gouverneur note que "(cet officier) se présente
Un des
(1) "A la découverte de Tubuai
armée, 1978, G 2, p. 149-156.
:
du Mythe à la réalité", Dr Brethes, Revue Médecine et
Société des
Études
Océaniennes
1077
représentant autorisé de personnalités politiques fort
jouissant auprès du département d'une légitime
considération". Ce passage prouve que les "recommandations",
comme nous le verrons pour l'administration centrale, sont de
mise, même dans les E.F.O.
Mais, ajoute le gouverneur Lacascade, "cet administrateur
s'est fait une situation difficile... ses habitudes autoritaires, ses
innovations mal inspirées... lui ont valu des plaintes depuis son
arrivée en fonction". "A peine arrivé à Fakarava, il manifeste
l'intention... de réformer les usages locaux, les traditions des
Indigènes, en exprimant aux dires de ceux qui l'ont entendu, le
regret de ne pouvoir faire intervenir le fouet ou la potence, comme
dans le bon pays d'Afrique".
L'Administrateur commence par "s'immiscer sans utilité dans
les affaires les plus délicates, à s'interposer... dans les questions de
terres dont la population indigène entend conserver jalousement la
jurisprudence et le règlement", puis prenant directement à parti
l'homme d'affaires du roi, "il l'empêche de recueillir les cadeaux
comme
le
honorables et
volontaires et accoutumés des habitants et demande
arrestation" (1).
sa
mise
en
Finalement le gouverneur rappelle l'administrateur pour
"fautes et légèreté". Il note : "empiétant sur les affaires de terre, du
seul ressort des Conseils de districts, vous vous êtes aliéné bien des
sympathies de la population des Tuamotu" (2).
Ces abus d'autorité, dans une administration, où à tous les
échelons, tout contrôle est rendu difficile par l'isolement et
l'éloignement, sont également patents chez les fonctionnaires les
plus en contact avec la population : les gendarmes. Ainsi, en 1890,
le gouverneur écrit : "J'ai appris que les deux gendarmes détachés à
Mangareva commettent de fréquents abus d'autorité envers les
Indigènes, qu'ils ne respectent pas la propriété privée, se tiennent
d'une façon déplorable... et abusent des prisonniers pour leur
service personnel" (3).
La même année, le résident des Marquises reçoit un colon
venu se plaindre qu'un gendarme lui aurait dit : "il faut me trouver
une femme, sans quoi je demande à être relevé et l'on enverra
quelqu'un qui vous fera des misères". Le Résident y voit "des écarts
15
(1) "Gouverneur Lacascade
au
(2) "Gouverneur Lacascade
au
Ministre", Cor. Conf., 12 octobre 1899.
Résident des Tuamotu", Cor. Conf., 14 octobre 1899.
(3) "Gouverneur Lacascade à l'Administrateur des Gambier ", "Cor à divers",
janvier 1890.
Société des
Études Océaniennes
1078
légèretés de parole qui doivent être évitées avec
plus grand soin" (1).
Dix années plus tard, en 1900, un autre administrateur des
Marquises recommande à ses gendarmes "d'agir avec une-prudente
modération, de se garder de certains abus d'autorité qui se sont
trop souvent produits naguère. N'ayez recours à la repression que
lorsqu'elle sera absolument nécessaire, mais n'y manquez pas alors.
Et veuillez aviser le gendarme Bouché qu'il n'a pas le droit de
requérir aucun Indigène pour un service sans le rémunérer" (2).
En 1908, après qu'un gendarme ait frappé un juge-indigène, le
Résident des Iles-sous-le-Vent écrit au Gouverneur : "Je crains que
le gendarme Fromentin, qui est jeune encore, ne manque de tact et
de doigté dans ses relations avec les Indigènes et n'ait pas compris
que si la population maorie doit être traitée avec fermeté, on perd
tout prestige et toute autorité à ses yeux en recourant à la violence
et à la brutalité" (3).
A l'extrême fin de la période étudiée, une affaire fait couler
beaucoup d'encre, d'autant qu'elle survient lors du séjour de
l'inspecteur des colonies, Revel. En 1913, le médecin-résident des
Marquises, n'hésite pas, dans sa lutte contre l'alcoolisme, à
expulser 4 marquisiens vers une autre île de leur archipel. Or ce
médecin prend cette mesure en sachant qu'il outre-passe ses droits.
Le gouverneur casse, dès qu'il a connaissance de l'affaire, l'arrêté
du résident, mais les marquisiens doivent rentrer à leur frais, et
sans aucun dédommagement...
Le gouverneur écrit au Ministre au sujet de cet excès flagrant :
"Le docteur Lailheugue a, aux Marquises, commis en matière
judiciaire des irrégularités qui auraient pu avoir pour lui des
conséquences les plus graves et qui sont des plus regrettables au
point de vue de l'administration de la justice.
La personnalité du docteur Lailheugue n'est d'ailleurs pas en
cause : officier de mérite et homme très estimable, il se retrouve
pourvu d'attributions que rien ne l'a préparé à remplir conve¬
nablement et à l'exercice desquelles sa profession de médecin
constitue encore un obstacle" (4).
de conduite et des
le
(1) "Correspondance de l'Administrateur des Marquises", 25 novembre
Série 7B, Arch.
1890, Sous
Pap.
(2) "Correspondance de l'Administrateur des Marquises", 25
janvier 1900, Sous Série
7B, Arch. Pap.
(3) "Gouverneur à l'Administrateur des ISLV", "Cor à divers", n° 2, 5
Arch.
Pap.
(4) "Gouverneur Géraud", Cor. Gouv., 11
Société des
Études
janvier 1913.
Océaniennes
novembre 1908,
1079
A la commission
d'enquête le gouverneur maintient : "J'avais
convaincre que le docteur ignorait complètement les
questions relatives à l'Administration et à la Justice". "J'ai vu cet
officier. Il ne se rendait pas compte des fautes qu'il commettait
inconsciemment d'ailleurs". Aucune sanction ne fut prise : "ses
fonctions lui ayant été imposées".
Dans cette affaire, on touche à un autre défaut rencontré
fréquemment chez les administrateurs : l'incompétence. Mais bien
souvent, ce fut en toute connaissance de cause, et pour des motifs
inavouables, que certains fonctionnaires abusèrent de leur autorité.
Prenons le cas de ce gendarme, chargé en 1867 de l'adminis¬
tration des Tuamotu. Le gouverneur La Roncière le juge tout
d'abord "complètement dépassé par la situation" et incapable de
gérer seul un si grand domaine. Puis, après enquête, il s'aperçoit
que "ce gendarme se servait largement... et satisfaisait sa cupidité
en faisant payer des amendes énormes aux Indigènes" (1).
C'est ainsi qu'un joueur de cartes se voyait condamné de 60 à
100 frs d'amende et 10 jours de prison. La prison, sous l'adminis¬
tration de ce fonctionnaire trop zélé, coûtait de surcroît au
condamné 1 fr par jour. Chaque samedi, 2 frs d'amende tombaient
sur tous ceux qui n'avaient pas balayé devant leur porte.
Le gouverneur La Roncière ayant envoyé un lieutenant de
vaisseau pour enquêter, le gendarme préféra "se noyer pour éviter
un juste châtiment" (2).
Malheureusement le lieutenant de vaisseau qui succède au
gendarme, dans les années 1875-1877, se livre à des abus bien plus
grands.
Il exige des amendes exhorbitantes pour des faits mineurs. Or
l'argent n'est retrouvé nulle part. Lorsqu'ils ne peuvent payer, il
saisit les biens des condamnés et les évalue au 1/4 de leur valeur.
C'est ainsi qu'un colon voit sa barque saisie et estimée à 500 frs,
montant de l'amende, alors qu'elle en vaut au moins 2000 frs.
La liste des abus est longue : achat d'un terrain à des chefs bien
au-dessus de sa valeur, mise en valeur de ce même terrain par la
main-d'œuvre pénale puis revente à un prix très élevé, "fait sur une
grande échelle le commerce des perles", "use de sa grande influence
sur les Indigènes pour se procurer le plus possible de ces bijoux".
"S'il est faux qu'il paye ces perles avec de l'alcool, il est exact qu'il
se livre à la spéculation. Le coprah confisqué à titre d'amende est
pu me
(1) (2) "Rapport du gouverneur La
Roncière", 2 août 1867, A 88, C 19, Fds Oc.
Société des
Études Océaniennes
1080
vendu
liée"
à des
maisons de
commerce
avec
lesquelles il
a
partie
(1).
A la malhonnêteté s'ajoute un comportement despotique. Le
fouet est utilisé contre des jeunes gens pour des riens, des cases où
l'on joue aux cartes sont brûlées sur l'ordre du résident et une
femme qui ose se plaindre est mise en prison
La commission d'enquête note :
"Aveuglé par son omnipotence... le lieutenant de vaisseau Mario
s'arrogeait tous les droits
Livré constamment à lui-même,
habitué à ne trouver autour de lui que des volontés fléchissant
devant la sienne, il en était arrivé à prendre ses moindres désirs,
même les plus insensés, pour des lois qu'il fallait imposer à tous".
La conclusion de la commission nous paraît intéressante :
"Nous pensons que l'isolement dans lequel on jette ces jeunes gens
que l'on nomme résident et à qui on donne en même temps toute
autorité, doit presque toujours leur donner une fausse idée de leur
pouvoir. Ils sont conduits forcément à l'exagérer" (2).
Dans les années 80, toute la colonie est secouée par "l'affaire
...
Challier" :
L'administrateur des Gambier
fait
l'objet de plaintes
déposées par des négociants, dont le sieur Lévy. Une première
enquête prouve que l'administrateur (p.i) a en effet acheté des
perles en-dessous de leur valeur à des prisonniers, "sans contraintes
cependant" ainsi que la nacre à 2 frs le kilo. Cette grande
indélicatesse lui vaut un blâme et un supplément d'enquête.
Cependant le gouverneur souligne que "l'administrateur n'a
pas forcé les prisonniers à plonger pour son compte, qu'il n'a pas
saisi de perles, qu'il n'a pas envoyé de prisonniers plonger sur des
bancs fermés, pas plus qu'il n'a forcé les prisonniers à lui vendre
pour rien la nacre" ainsi que l'affirmait Mr Lévy.
Il reste, dans cette affaire, qu'un fonctionnaire a abusé de ses
fonctions pour réaliser des opérations de commerce (ce qui lui est
strictement interdit) et ce, de façon peu honnête (3).
Toujours dans les années 80, des gendarmes sont accusés et
condamnés pour contrebande aux Marquises. Le 14 décembre
1886, c'est le sous-administrateur des Marquises, le lieutenant
d'infanterie de Belleville, qui se voit infligé une peine de 15 jours
(1) "Enquête au sujet du lieutenant de vaisseau Mario, Résident
1877, L 81, Arch. Pap.
aux
Tuamotu", 1875-
(2) Op. Cit., L 81, Arch. Pap.
(3) "Gouverneur Moracchini
4
au
chef du service
judiciaire", "gouverneurs à divers",
juin 1886, Arch. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1081
(punition disciplinaire) pour avoir demandé "une certaine quantité
de tafia pour faire des distributions aux Indigènes" !!! (1).
L'ampleur que certaines de ces affaires ont prise, leur
répercussion politique au sein de la colonie, font que l'on doit leur
accorder une place importante dans toute étude sur l'adminis¬
tration coloniale.
Cependant il faut être prudent et ne pas systématiser de tels
comportements. Tout d'abord parce qu'ils furent systéma¬
tiquement utilisés par les commerçants que la présence des
administrateurs gênait considérablement dans bien des cas. Si
certains résidents et autres fonctionnaires succombèrent parfois
aux tentations, il est évident qu'ils furent aussi les cibles privilégiées
de certains négociants. Des campagnes de presse, où la pure
calomnie n'était pas toujours absente, furent ainsi plusieurs fois
menées pour discréditer certains administrateurs qui se révélaient
être "des empêcheurs de tourner en rond".
En 1981, l'opinion est saisie de l'affaire Nesty, administrateur
des Iles-sous-le-Vent. Il s'agit là encore de trafic. Or le gouverneur
écrit au ministre qu'il "s'agit d'accusations mensongères dictées par
le seul dépit de trafiquants malhonnêtes mis dans l'impossibilité de
faire de la contrebande et de nuire à l'influence française dans les
localités qu'ils habitent". Le maître-d'oeuvre de la campagne serait,
d'après le gouverneur, "le conseiller Raoulx, cet être haineux et
méchant, à l'égard de tout ce qui touche à l'Administration (2).
Le fait que l'administrateur Nesty se soit mêlé de politique
locale et "ait été d'une aide précieuse contre les attaques du parti
catholique", n'est sûrement pas étranger à la véhémence qui
entoure, de tous côtés, cette affaire.
Il serait faux
archipels
comme
toutefois de considérer l'administration des
globalement incompétente, malhonnête et sans
ambition.
Parmi les Français
aucune
qui se sont le plus intéressés à la Polynésie,
point d'écrire parfois de remarquables ouvrages sur cette région,
se placent en premier lieu les résidents des dépendances. Presque
toujours, il s'agit de jeunes officiers de Marine, ou encore, de
au
médecins coloniaux.
Le cas le plus illustre est sans conteste Xavier François Caillet.
Déjà membre de l'expédition française aux Marquises en 1843 ; il
passe en fait toute sa vie en Océanie. Il se voit ainsi confié le
commandement des Marquises en 1857, puis est nommé
(1) Gouverneur à divers, n° 1, décembre 1886.
(2) "Gouverneur Lacascade, Cor. Conf., lettre n° 617, 14 novembre 1891.
Société des
Études
Océaniennes
1082
commissaire
particulier des îles Tuamotu. Il
la charge dans les
Rapa.
et à
nouveau des Tuamotu. Il quitte Tahiti, alors qu'il était directeur
des affaires indigènes, pour prendre la tête d'une circonscription en
a
années 64-65 de l'île Moorea, avant de prendre le chemin de
Mais on lui confie également la direction des Gambier
,
Nouvelle-Calédonie.
Bien qu'en retraite, c'est encore à lui, en 1876, que l'on confie à
nouveau les Tuamotu, "ses Tuamotu". Mais c'est à Tahiti qu'il
termine sa vie active comme inspecteur des affaires indigènes, puis
juge de paix à Taravao (1).
Le directeur de
l'intérieur, Méthivet, présente Caillet comme
les Tahitiens eux-mêmes" (2). Certes, il le
rencontre à une époque où Caillet est déjà un vieillard, mais celuici résume assez bien en cette phrase la philosophie qui l'a guidé
tout au long de sa vie : de quel droit prétend-on civiliser les
Indigènes et quelle civilisation veut-on leur apporter ?
Parlant "presque toutes les langues des E.F.O., le lieutenant
de vaisseau Caillet finit par épouser complètement la cause des
Indigènes et se montrera un des défenseurs les plus obstinés de leur
cause. Ce type d'administrateur protégea, sans aucun doute, les
habitants des archipels contre les exactions des colons que Caillet
"plus Tahitien
que
détestait ouvertement ..."
Caillet ne fut pas, loin s'en faut, le seul officier de marine qui
s'attacha au sort des populations indigènes placées sous son
administration. Citons un exemple plus obscur, celui du lieutenant
de vaisseau Masseron. Commandant le "Taravao", ce jeune officier
se voit confié l'administration des Tuamotu.
Manifestement, cette
tâche lui convient très bien et il se lance avec fougue dans ses
nouvelles fonctions. Il visite un grand nombre d'îles, se montre
"juge
conciliant et administrateur uniquement soucieux
d'améliorer la situation matérielle des habitants de l'archipel" (3).
"Grâce à son infatigable activité, les E.F.O. comptent
aujourd'hui 27 districts pourvus d'une administration régulière et
complète là où nous en trouvions 12 il y a trois ans à peine" (3).
Officier très brillant, il se dépense sans compter. Hélas,
victime d'une insolation
au
bout de deux ans d'efforts, il est
rapatrié à l'hôpital de Papeete où il meurt à l'âge de 40 ans.
p.
(1) Voir la biographie complète de Caillet dans "les Tahitiens" du Père O'Reilly,
90-91.
(2) "La Nouvelle Cythère", Monchoisy,
(3) J.O. des E.F.O., 2 février 1888,
Société des
p.
p.
111.113.
34.
Études
Océaniennes
1083
Enfin
un
dernier exemple : celui de l'enseigne de vaisseau
Passé dans le cadre des administrateurs de
Charles Marcadé.
va être chargé pendant 10 années des Tuamotu, de 1904
L'inspecteur Revel, dont nous avons vu à maintes reprises
qu'il ne ménageait guère ses critiques, écrit en 1914 : "les résultats
de Mr Marcadé sont des plus encourageants, mais il faut
reconnaître
qu'ils sont dûs à l'action perspicace de cet
administrateur qui surmonte les difficultés d'une organisation
colonie, il
à 1914.
insuffisante".
Il ajoute
"il a su gagner par sa fermeté, sa justice et sa parfaite
connaissance de leurs mœurs, de leurs habitudes et de leur langue,
la confiance des Indigènes". Fait encore plus exceptionnel, "il est
apprécié tant par les Indigènes que par les commerçants et
armateurs", qui lui sont, les uns et les autres reconnaissants de ne
ménager ni son temps, ni sa peine..." (1).
Lorsque le hasard voulait que l'officier de marine envoyé dans
les archipels appréciât le rôle qu'il avait à y jouer, il fit un travail
exceptionnel. Et on peut dire que, malgré les abus inévitables, dus
à leur toute puissance et à l'absence de contrôle des bureaux (trop
lointains) de Papeete, ces officiers travaillèrent dans l'ensemble
honnêtement, souvent fanatiquement, au progrès de leur archipel.
Il arriva même que certains d'entre eux se préoccupent de savoir si
il y avait réelle nécessité à faire "progresser les Indigènes".
Certaines réalisations furent remarquables, surtout si l'on pense à
l'avarice du budget métropolitain et plus encore de celui de la
colonie. Les Archipels furent tenus de financer eux-mêmes leur
propre développement, malgré comme nous l'avons vu, (exemple
des Gambiers), l'extrême pauvreté de certains d'entre eux.
Si l'on essaie de tirer
coloniale française des
une
conclusion
sur
cette administration
archipels océaniens, on doit bien
reconnaître cependant que les aspects négatifs l'emportent
largement sur les aspects positifs, liés alors à la personnalité des
hommes plutôt qu'à l'efficacité d'un système.
Il semble bien, tout d'abord, que dans les bureaux parisiens
comme dans ceux de Papeete, on vivait au jour le jour et qu'aucune
politique d'ensemble n'ait jamais été définie. Personne ne se
souciait de savoir comment allait évoluer cet immense ensemble
hétérogène. On s'était également un peu trop facilement habitué à
l'idée que la race autochtone était appelée à disparaître. Une
(1) Rapport Revel, Administration des Tuamotu.
Société des
Études Océaniennes
1084
politique identique était d'ailleurs menée à la même époque en
Nouvelle-Calédonie (1).
On aboutit alors à une situation dangereuse de laisser-aller le
plus total. Incompétence des hommes, absence de moyens,
restriction des crédits, tels sont les caractéristiques de cette
administration d'après les missions d'inspection envoyées par
Paris.
A cet égard, de volumineux rapport des inspecteurs des
colonies Revel et Saurin a servi de fil conducteur et de point
d'encrage à toute l'étude de ce chapitre. Réalisé en 1913-1914, il
permet de dresser un tableau extrêmement complet de cette
administration.
A
entre
priori, on pourrait penser que la situation n'a guère évolué
1870 et 1914. En effet, le rapport Roussin, établi en 1873,
note : "Le protectorat sur les Marquises est complètement
illusoire... Le résident n'a aucun moyen de se rendre dans ses îles...
L'établissement du fort Collet est en ruine, rien d'autre n'a été
édifié". Il constate en outre les écoles peu fréquentées, l'incurie
générale (2).
Or
en
situation
1913, voici comment l'inspecteur Revel décrit la
des
mêmes Marquises
:
L'Administration des
Marquises,
si tant est que le mot administration puisse
s'appliquer à une politique de renoncement et d'abandon,
pratiquée depuis de trop longues années... Les gouverneurs qui se
sont succédés depuis 12 ans à Tahiti ont péché par négligence en ne
prenant pas les mesures nécessaires pour remédier à une situation,
qui, à défaut d'une visite dont ils ont redouté la fatigue, les
rapports des administrateurs ne leur permettaient pas d'ignorer...
c'est le mot de faillite qui caractérise les conséquences de leur
inaction (3).
...,
...
En fait il nous apparaît plutôt
singulièrement dégradée. Le personnel
la situation s'est
beaucoup
moins nombreux au début du XXème siècfe qu'à la fin du XIXème.
C'est ainsi que l'on a supprimé toutes les garnisons, réduit le
nombre de gendarmes. Certes les conditions d'occupation avaient
changé : même les Marquises sont totalement pacifiées en 1900.
Mais les instituteurs, les médecins' ne sont pas venus remplacer les
militaires, devenus inutiles.
que
en poste est
(1) Gascher, "L'implantation d'une Administration locale
en
Nouvelle-Calédonie",
1853-1880, Cahier d'histoire du Pacifique, janvier 1975, p. 38-47.
(2) "Rapport Roussin, 3 mai 1873", A 86, C 130, Fds Oc.
(3) "Rapport Revel", section "Administration-Marquises", Arch. Pap.
Société des
Études
Océaniennes
1085
Il est tout à fait
probant
que
le Conseil Colonial, puis le
Conseil Général, entièrement contrôlé par la communauté
française de Papeete, ont une grande part de responsabilité dans
politique de laisser-aller. Les propriétaires et négociants de
réduire constamment les maigres
Or il est bien évident que les
archipels ne pouvaient subvenir seuls aux frais de leur
administration. C'est ainsi qu'un rapport de 1882 établit que "les
frais de protection aux Gambier avec l'envoi d'un résident
s'élèvent à 25 000 frs, alors que les ressources de l'archipel se
montent à 1500 frs, recettes de l'impôt local" (1).
Les inspecteurs, qui notent au passage que l'on a préféré
organiser à Papeete des fêtes brillantes pour des navires étrangers
de passage, plutôt que de faire des travaux d'utilité urgente aux
Marquises, concluent : "Actuellement les Marquises, comme
d'ailleurs toutes les autres dépendances, sont budgétairement
sacrifiées.
Non
seulement
les prévisions de dépenses des
dépendances sont insuffisantes, mais encore les dépenses
réellement effectuées sont systématiquement maintenues endessous des prévisions alors qu'elles sont complètement dépassées
par Tahiti et Moorea" (2).
Cette absence de crédit se traduit par un isolement sans cesse
plus grand des îles éloignées de Papeete. Pour les Gambier,
l'inspecteur Revel souligne : "Actuellement administrées par un
agent spécial qui n'a aucun moyen de sortir de Mangareva, les
Gambier sont, en fait, abandonnées : la Justice n'y a pas été
rendue depuis 9 ans" (3).
Pour l'archipel des Australes, encore plus déshérité, le
gouverneur Charlier note en 1907 : aucun navire n'y est allé depuis
1904 pour Rapa, et 1906 pour Tubuai. De Rapa, il écrit : "C'est une
cette
Tahiti entreprirent résolument de
crédits destinés aux archipels.
île abandonnée de tous
:
de la Marine, du commerce, de ses
habitants (expatriation)... Actuellement, c'est
louables efforts du résident, Mr Le Goffic"
la misère malgré les
(4).
Enfin, pour les Tuamotu, l'inspecteur Revel, qui s'est rendu
place insiste sur le fait "qu'actuellement le résident des
Tuamotu est le résident d'une île, et faute de moyens de transports,
sur
(1) "Rapport du 22 septembre 1882", A 123, C 21, Fds Oc.
(2) "Mission d'Inspection Revel", "Administration des Marquises", 1914, Arch. Pap.
(3) Idem, "Administration des Tuamotu", 1914, Arch. Pap.
(4) Gouverneur Charlier, "Situation générale de la colonie", 31 octobre 1907, A 172,
C 103.
Société des
Études
Océaniennes
1086
il n'est rien pour
les autres îles... Il faut donner au résident les
de parcourir son archipel" (1).
L'absence de crédits est telle que l'inscription au budget pour
l'année 1914 de l'achat d'une goélette pour les Marquises fait dire à
l'inspecteur : "Ce serait bien la première fois que l'on achète une
goélette sur fonds de la colonie car la goélette "La Mouette" pour
les Tuamotu a été payée sur fonds de la Métropole, avec les secours
alloués par le Parlement aux victimes du cyclone de 1903" (2).
Il étudie avec minutie, après s'être rendu également sur place,
les moyens de transport dont disposent les fonctionnaires des
Marquises : "Le petit cotre de l'Administration n'est plus, depuis
longtemps d'ailleurs il n'était utilisé, parce que inutilisable. La
baleinière avec laquelle, à tort, des médecins résidents ont risqué
des déplacements dangereux est hors de service" (2).
L'administration est obligée de faire appel à la goélette
"Roberta", appartenant à la puissante "Société Commerciale de
l'Océanie", d'origine allemande, ce qui fait dire à l'inspecteur, que
"nos fonctionnaires se trouvent en posture humiliée" devant des
étrangers !
moyens
de
se transporter et
Enfin il y a le problème de la sous-qualification, voire de
l'incompétence de cette administration. En ce qui concerne les
médecins-résidents, l'inspection générale se montra particu¬
lièrement clémente : "je me garderai bien de reprocher aux
médecins administrateurs les erreurs qui ont été commises en
matière de travaux.
Ces fonctionnaires avaient le droit d'être
incompétents. Les responsables sont les gouverneurs qui n'ont
envoyé d'agents techniques en mission" (3).
Il conclut
pas
:
"Malgré la meilleure volonté, malgré même le dévouement, les
médecins hors-cadre n'ont jamais pu être que des pis-aller en tant
qu'administrateurs-juges (3).
Mais surtout dans la mesure où les officiers de marine
n'étaient plus mis à la disposition du gouverneur, ou bien que ces
mêmes officiers se montraient de moins en moins disposés à servir
dans les archipels, il fallut trouver un personnel civil. C'est le cas
les Gambier
1882, de ce jeune officier de marine qui écrit
"Ce service d'agent spécial me semble
être plus que tout autre en dehors de ceux qu'il peut être
convenable d'exiger d'un officier en service actif. Je ne saurai
pour
sans
détour
au
,
en
gouverneur :
(1) "Mission d'Inspection Revel", "Administration des Tuamotu", 1914.
(2) Idem, "Administration des Marquises", 1914.
(3)|"Mission d'Inspection Revel", "Administration des Marquises".
Société des
Études
Océaniennes
! 087
l'esprit de discipline et d'obéissance qui
jamais me l'imposer à titre définitif' (1).
La mise en place d'une administration civile posa hélas
également de gros problèmes ; ainsi en ce qui concerne les
Tuamotu, il est dit : "Le personnel recruté sur place, qu'il soit
tahitien ou européen, est malheureusement trop souvent inférieur à
sa tâche, l'insuffisance des situations écarte les bons sujets et fait
entrer dans les cadres des individus repoussés par des maisons de
commerce et des entreprises industrielles. Les agents n'ayant aucun
intérêt à quitter Papeete usent de tous les moyens pour ne pas
s'éloigner du chef-lieu et considèrent comme une disgrâce la
désignation pour un poste extérieur" (2).
La situation des Marquises permet à l'inspecteur de tirer cette
conclusion générale : "Il convient que l'administration suive
l'exemple donné par les maisons de commerce qui ont renoncé à
recruter du personnel dans la colonie. Si nous n'y prenons pas
garde, nos services seront bientôt encombrés d'un personnel de
qualité médiocre fournis d'éléments métropolitains recrutés sur les
quais de Papeete. Loin de moi la volonté de vouloir éliminer de
l'administration les jeunes gens de la colonie, mais j'estime que le
recrutement doit être fait par les voies normales".
Cette étude' nous permet d'affirmer que la France se contenta
admettre, quelque soit
m'anime, qu'on puisse
restreint à l'égard des dépendances
le plan administratif. Ce ne fut que lors de son
d'un effort extrêmement
océaniennes,
sur
celle de puissances concurrentes, puis
qu'un réel effort administratif fut
entrepris. Il fut de très courte durée.
pour éviter
de l'annexion,
implantation, et
au
moment
Mais cette action, menée si faiblement, eut une conséquence
fondamentale : la mise en place de ces fonctionnaires alla de pair
avec la suppression du pouvoir traditionnel des autorités locales :
chefs, dès lors que dans l'île se trouvait un représentant de la
France, virent leur autorité battue en brèche. Le passage d'un
résident, je pense aux Marquises, se traduisit bien souvent par la
destitution de chefs renommés. Or ces actions eurent pour
les
conséquence l'anarchie, du fait que les fonctionnaires étaient
parfois absents pendant de longues années. On peut dire que dans
certains cas, la présence de ces administrateurs se traduisit par une
déstabilisation de la communauté indigène, sans que pour autant
un nouvel ordre social se mît en place.
Pierre-Yves Toullelan
(1) "Le lieutenant de
le 27 novembre
vaisseau-administrateur des Gambiers au gouverneur",
1882, C 81, Arch. Pap.
(2) Revel, Op.
Cit., "Administration des Tuamotu".
Socié,té des
Études Océaniennes
Rikitea,
1088
Du cognac pour
les Marquisiens
Par
leur
position géographique, les Iles Marquises
constituaient des escales commodes pour les bateaux faisant route
le Nord vers les atolls de Polynésie centrale ou occidentale.
L'archipel était bien connu des milieux marins de Callao, d'autant
plus que, chaque fois qu'ils en avaient l'occasion, les navires
avaient pris l'habitude de s'arrêter dans ces îles afin d'échanger des
marchandises contre des produits locaux et de charger des noix de
coco à destination du marché
péruvien. Le voyage jusqu'à Puamau
(Hiva Oa) ou à Hatiheu (Nuku Hiva), où se trouvaient les missions
catholiques, prenait environ 25 jours.
par
Lors de son voyage exploratoire, l'Adelante accosta à Puamau
de visiter Hatiheu où il séjourna du 10 au 13 juillet 1862. Là,
résident chilien fut embauché comme interprète ainsi que
avant
un
cinq marquisiens comme équipage d'une chaloupe, tandis que le
capitaine et plusieurs membres de l'équipage du navire assistaient à
la
messe
à la Mission.
Le bateau suivant
qui quitta Callao, le Jorge Zahara, s'arrêta
l'équipage de la chaloupe de
l'Adelante et embaucher cinq autres hommes pour ses
propres
chaloupes. Il fut suivi par Manuelita Costas qui accosta à Puamau
le 17 octobre mais qui, après avoir été dissuadé
d'y faire de l'eau
par les missionnaires catholiques, gagna Hatiheu où il séjourna du
18 au 21. Là, un marin portugais, Antonio Guerra, déserta et
cinq marquisiens se joignirent à l'équipage.
également à Hatiheu
pour ramener
Tous ces navires firent de l'eau et, peut-être à l'exception de
l'Adelante, embarquèrent une grande quantité de noix de coco
pour servir de provision aux colons qu'ils espéraient recruter. Puis
ces
visites accidentelles
sur
Société des
la route des
Études
zones
Océaniennes
de recrutement
1089
car, après la désertion de Guerra, la véritable
mission de ces vaisseaux arriva aux oreilles tant du
paraissent avoir cessé
nature de la
Résident français que des missionnaires catholiques
voire même de nombreux insulaires (1).
et protestants,
Le premier bateau à faire une tentative de recrutement aux
Marquises fut le trois-mats-barque chilien, Eliza Mason, qui arriva
à Hiva Oa le 27 octobre, après un voyage de 24 jours depuis Callao.
Ne réussissant à recruter personne, il se dirigea vers le Sud, vers
Fatuhiva et jeta l'ancre dans la baie d'Omoa. Là, en échange d'un
certain nombre de présents, le chef local accepta de fournir
300 hommes. Cependant aucun d'entre eux ne parut et, finalement,
le chef déclara qu'il serait nécessaire d'obtenir l'autorisation
préalable du Résident français de Taiohae, à Nuku Hiva. De toute
évidence, il cherchait à temporiser, sans doute parce que des grilles
de fer (marque des négriers) avaient été aperçues à bord du navire.
Après avoir renoncé à se rendre à Taiohae, prétextant que ce
n'était pas nécessaire, le capitaine Sasuategui leva l'ancre pour l'île
de Pâques (2).
beaucoup plus résolue et efficace de recru¬
plus exactement d'enlèvement, des marquisiens fut
entreprise par la frégate de trois-mâts, de 312 tonnes, / Empresa (3)
qui quitta Callao le 22 novembre 1862, sous le commandement du
capitaine Henry Detert. Celui-ci portait des instructions explicites,
quoique verbales, du propriétaire péruvien, Don Francesco
Carnavare, de recruter des immigrants dans les îles de Polynésie
mais de n'accepter que ceux qui embarquaient de leur propre
volonté. Ayant été mis en garde par M. de Lesseps, Don Carnavare
avait ajouté que des précautions particulières devaient être prises
lors du recrutement dans les territoires français du Pacifique.
Une tentative
tement, ou
Le vaisseau était affrété pour
le voyage
le Dr Inglehart (ou
par
médecin et pour surveiller les
opérations, ainsi que par deux entrepreneurs Keenes et Royes ; le
coût d'affrètement s'élevait à 30 % de la valeur des insulaires
recrutés avec un montant minimum de 600 piastres, le subrécargue
Henry William Carr et un agent de l'immigration George Black
Duniam ayant tous les deux droit à une commission supplé¬
Englehart), qui monta à bord comme
mentaire
Les notes
qui s'élevait
pour
Duniam à 5 piastres
(1) jusqu'à (12) sont regroupées en
fin de chapitre
p.
Société des Études Océaniennes
par
1095.
tête recrutée.
1090
sur les navires recruteurs de main
d'oeuvre, il n'y avait pas de péruviens à bord, l'équipage
comprenant quatre Anglais, quatre Italiens, deux Espagnols, deux
Chiliens, deux Américains ainsi qu'un Grec, un Portugais, un
Comme il était de coutume
Français et
un
Maltais (4).
Nuku Hiva
L'Empresa jeta l'ancre dans la Baie du Contrôleur le
décembre, battant pavillon anglais, mais en essayant d'atteindre
un
mouillage plus approprié dans la Baie de Taipi, il s'échoua et ne
put être remis à flot qu'avec l'aide des marquisiens. Les premiers
échanges furent amicaux, mais comme personne ne se laissait
recruter, le capitaine proposa, le jour suivant, de capturer les
200 insulaires environ qui étaient montés à bord. Cela provoqua
une querelle entre, d'une
part, le subrécargue et l'agent qui
insistaient pour que le recrutement restât volontaire et, d'autre
part, le capitaine et le médecin qui préconisaient l'utilisation de la
supercherie et de la force pour arriver aux 300 ou 400 recrues
recherchées, en faisant remarquer que toute repercussion néfaste à
l'arrivée au Pérou pouvait être évitée si on débarquait les recrues
dans le port de Huacho, à 70 miles de Callao.
17
Le bateau n'était ancré qu'à quelques miles de Taiohae, centre
administratif français et port d'entrée de l'archipel des Marquises
et le pilote officiel accompagné par un gendarme y monta pour
s'informer de son commerce. Le capitaine refusa de répondre à
leurs questions déclarant qu'il ne reconnaissait pas l'autorité
française sur les Marquises. A la suite de cette "insolente
fanfaronnade", les insulaires furent mis en garde et cessèrent
pratiquement de rendre visite au navire. Après une vaine tentative
d'obtenir des provisions de bois et d'eau, pendant laquelle les gens
de Nuku Hiva réussirent presque à s'emparer des chaloupes du
navire, le capitaine leva l'ancre pour Ua Pou avec une seule
marquisienne à bord, une femme de Nuku Hiva au caractère
instable, du nom de Christina, qui avait déjà vainement tenté
d'embarquer sur le Manuelita Costas et qui resta sur l'Empresa, à
sa
propre demande, pour y servir d'interprète. Si le navire était
demeuré plus longtemps dans la baie, il semble bien que les
insulaires, avec l'approbation du Résident français, auraient essayé
de le prendre d'assaut pour le remettre aux autorités françaises de
Papeete (5).
Société des
Études
Océaniennes
1091
Ua Pou
Le 21
"batteurs de
décembre, l'Empresa arriva à Ua Pou et un des
grève" locaux, Henry James Nichols, lui rendit visite
pour s'enquérir de l'objet de son séjour aux Marquises. Le
lui dit qu'ils recrutaient des insulaires afin de les vendre au
médecin
Pérou et
que s'ils ne pouvaient les recruter de leur propre volonté, ils étaient
résolus à utiliser la force. Puis il offrit à Nichols une somme de 2 à
10 piastres par tête pour tous ceux qu'il pouvait
transport pour lui-même et sa famille jusqu'à
fournir ainsi
Callao et
que le
une aide
avec eux,
Pérou. S'il travaillait
il devait y avoir de nombreux
voyages de recrutement, il pourrait devenir leur agent recruteur
permanent. Le capitaine ajouta qu'il serait facile, au moment de
partir, de capturer les insulaires et que leur capture pouvait être
déguisée en faisant signer à une des recrues un contrat le
reconnaissant ostensiblement comme le chef, après que le navire ait
pris la mer. Faisant allusion au subrécargue et à l'agent il déclara :
"sans ces deux chenapans, j'aurais obtenu 200 Canaques à Nuku
pour
son
s'établir dans les affaires
avenir serait assuré et
au
comme
Hiva".
Les
discussions s'envenimèrent et le subrécargue et l'agent
furent battus, mis aux fers et enfermés dans une cachette de 4 pieds
de long où ils restèrent trois jours sans nourriture ni eau. Le
leur enleva leurs fers et, les mains liées, ils furent
débarqués sur quelque îlot en mer avec leur coffre et un marquisien
appelé Phelipo qui avait apparemment accepté de les tuer en
échange de quatre bouteilles de whisky et d'un couteau (6).
28 décembre, on
Ils furent cependant libérés par l'homme responsable de la
chaloupe malgré les ordres du capitaine et les objections de Phelipo
qui, les voyant maintenant en position de se défendre, les laissa
prudemment tranquilles. Ceux-ci nagèrent jusqu'au rivage et
finirent par atteindre Nuku Hiva, bien que leurs effets personnels
aient été distribués par
Phelipo et
ses
amis à Ua Pou.
ce temps, Nichols qui se sentait piégé et répugnait à
femme marquisienne et ses enfants, réussit à s'enfuir
pendant la nuit dans une des chaloupes du navire, après que sa
propre baleinière ait été délibérément défoncée alors qu'elle se
trouvait accostée le long du navire.
Pendant
quitter
sa
Le séjour ne s'était pas entièrement révélé un échec car, avec
l'aide d'un Colombien (certains ont affirmé qu'il était Péruvien) qui
vivait sur le rivage et était connu des marquisiens sous le nom
d'Autoro, plusieurs insulaires furent
Société fies
attirés à bord
Études Océaniennes
par
des
1092
promesses de nourriture et de
cuisinier du bord raconte la scène
boisson. Alfred Lacombe, le
qui suivit dans son témoignage
commission d'enquête de Tahiti : "ils étaient à peu près
devant la
80 à bord. Le médecin réussit à attirer huit ou neuf femmes dans sa
cabine où il les enferma ; pendant ce temps les canaques étaient
le pont et
le capitaine, ne pouvant les persuader de
volontairement, ordonna à l'équipage d'utiliser la force.
Lui-même, un pistolet à la main, montra l'exemple, mais seulement
cinq hommes le suivirent ce qui explique pourquoi ils ne purent
capturer que cinq indigènes qui furent jetés la tête la première à
travers les écoutilles dans les entre-ponts. Pendant ce temps, les
tous
sur
descendre
autres sautèrent à la mer. Les hommes sautèrent les
premiers, puis
les femmes y jetèrent leurs enfants avant de sauter elles-mêmes. Il y
avait environ 5 miles jusqu'à la terre et le courant était très fort
mais
j'ai appris
Le
par
véritable
la suite
que personne ne
s'était noyé (7)".
fait état de cinq indigènes qui
signer comme recrues et de six
capturés de force, auxquels s'ajoutent les huit femmes enfermées
dans la cabine du médecin, un total de dix-neuf parmi lesquels trois
jeunes garçons.
pointage
apparemment acceptèrent de
C'est à Ua Pou que le médecin utilisa pour la première fois,
mixture de cognac et d'opium afin de droguer et d'anéantir les
insulaires. De toute évidence, il n'avait cependant pas encore
une
perfectionné
car la proportion d'opium s'avéra
marquisiens, qui avaient accepté son
hospitalité, réussirent quand-même à s'enfuir.
sa
technique
inefficace et de nombreux
Hiva Oa
Quand l'Empresa atteignit l'île suivante, le capitaine n'était
pas désireux de mouiller car il craignait que la plus grande partie
de son équipage ne désertât, en dépit du fait que le médecin avait
accédé à leur revendication de ce qu'on pourrait aujourd'hui
appeler "une prime de risque" de quatre reaies (51 cents) pour
par recrue embarquée. Le médecin se rendit à terre
avec la femme de Nuku Hiva et, en faisant croire aux
gens que la
frégate n'était autre qu'un baleinier, il persuada six insulaires
(cinq hommes et un jeune garçon) de monter à bord et de les aider
à manœuvrer la navire dans la baie de Puamou. Quand ils eurent
été amenés dans les chaloupes jusqu'au navire, ils furent
chaque marin
Société des
Études
Océaniennes
1093
drogués au moyen d'une mixture renforcée de
cognac et d'opium et n'offrirent aucune résistance quand le
capitaine prit la mer. La femme de Nuku Hiva qui servait
d'interprète semble être restée à Hiva Oa (8).
effectivement
Tahuata
L'escale suivante était la baie de Vaitahu à Tahuata où le
médecin se rendit à terre, comme d'habitude, et essaya d'obtenir
des volontaires pour les aider à faire entrer la frégate dans la baie.
Le seul homme qui accepta fut introduit dans la cabine du
pour y boire un verre et
le pont, le navire était déjà
capitaine
sur
quand il la quitta pour retourner
loin.
Fatu Hiva
La dernière escale était Fatu Hiva où le cuisinier du bord
déserta. Bien
qu'environ quinze insulaires soient montés à bord, ils
réussirent tous à retourner à terre et l'Empresa leva l'ancre le matin
suivant. Il est difficile de savoir si c'est la présence d'un grand
nombre d'européens sur l'île qui dissuada le capitaine et le médecin
ou si les visiteurs eux-mêmes étaient prévenus et devenus méfiants.
L'île Caroline
Il
semble
qu'après avoir quitté Fatu Hiva avec
vingt six marquisiens à bord, l'Empresa ait fait escale à l'île
Caroline où existait une petite station d'élevage de porcs, volailles
et dindes, créée par les négociants de Tahiti Collie et Lucett en
1846 (9), à destination du marché de Tahiti. Le propriétaire et
occupant de l'atoll en 1863 était J.T. Browne qui accepta
d'embarquer comme officier interprète et agent recruteur et fut,
semble-t-il, accompagné par quatre personnes de son entourage, y
compris au moins un Tahitien. Un marin, nommé George William
Ellis fut
laissé à sa place, à sa propre demande avec
quatre manœuvres. Ellis demeura là pendant plusieurs années
avant de s'installer à Tongareva, puis plus tard à Manihiki où il
devint un négociant connu et respecté. La frégate fit ensuite escale
à Huahine, le 25 janvier, battant cette fois pavillon américain. Là,
elle fut visitée par le chef du port local à qui Browne remis du
courrier à faire suivre à Tahiti (10). Cela semble avoir été la seule
raison qui justifiait un détour aussi considérable car, après avoir
Société des
Études
Océaniennes
1094
remis
courrier, l'Empresa
se dirigea vers le Nord-Ouest pour
indigènes à Manihiki et Rakahanga,
probablement sur les conseils de l'expert local Browne. Pour en
revenir aux Marquises, nous savons que le brick Guyas, navire
péruvien affrété par un syndic équatorien, en provenance de
Guayaquil, s'arrêta à Nuku Hiva le 17 mars et chercha à obtenir la
permission du gouvernement de recruter de la main d'oeuvre pour
la République d'Équateur. Celle-ci lui fut refusée comme il fallait
s'y attendre et le capitaine se dirigea vers Tahiti pour tenter
d'obtenir les autorisations du Gouverneur de l'Océanie Française,
mais aucun contact ne semble avoir été pris directement avec les
son
tenter de recruter des
insulaires (11).
Le dernier navire
qui
de recruter dans l'archipel fut le
; parti de Valparaiso le
7 février 1863 pour le port de Caldera au Nord, où il
déchargea sa
cargaison, il embarqua une importante provision d'eau, de
nourriture et de vêtements en vue d'un voyage de recrutement dans
essaya
trois-mâts-barque chilien, La Concepcion
les
mers
du Sud.
Le navire se dirigea d'abord vers l'île de
Pâques, sans papiers
réguliers ni reconnaissance officielle, mais se trouva dans
l'impossibilité de recruter aucun insulaire dans une population
rendue hostile par le raid de décembre. L'île aperçue ensuite était
Toau aux Tuamotu, où, le vent se montrant défavorable, le
capitaine abandonna toute tentative d'abordage et poursuivit sa
route vers le Nord, vers Hiva Oa aux
Marquises.
Là, une chaloupe fut envoyée à terre, commandée par l'officier
en second, un
français appelé Julien Faucheux, qui avoua
spontanément à un des Frères de la mission catholique de Puamau,
rencontré en chemin sur une pirogue, qu'il avait été
envoyé pour
recruter des insulaires. En
dépit de la réponse emphatique du
Frère, selon laquelle il perdait son temps, Faucheux accosta. Sur
ce, les marquisiens s'emparèrent de sa chaloupe et les Frères de la
mission catholique emmenèrent les cinq membres de
l'équipage
chez le Résident de Nuku Hiva qui les
envoya à Tahiti.
Pendant ce temps le capitaine de la
Concepcion, après avoir
attendu, pendant deux ou trois jours, le chargement d'insulaires
espéré, mit les voiles vers des terrains de recrutement plus propices
pour finalement échouer son vaisseau quelques jours plus tard à
Tahaa, l'île qui partage sa barrière récifale avec Raiatea (12).
Extrait de "Slavers in Paradise"
H. E. Maude
Institute of Pacific Studies - Suva Fiji
Traduction Ch. Langevin Duval
-
Société des
Études
Océaniennes
1095
Abréviations et notes concernant
les pages
MT
Messager de Tahiti
SMH
FO
1089 à 1094
Sydney Morning Herald
Foreign Office (Affaires
Étrangères)
Nationales
TBCP Archives du Consulat Anglais à
AN Archives
Tahiti
Dépêches des Ministres Américains au Pérou
(1) El Peruano 30 mars 1863 ; Kuoko'a 1883.
(2) El Peruano 30 mars 1863 - MT 30 novembre 1862, 199, où le nombre des recrues
promis est supposé avoir été de 200 à 250 et où le chef est complimenté pour son
discernement ; Kuoko'a 1883.
USD
(3) Plus exactement appelé l'Empresa de Lima. C'était par la taille le second navire de
le trafic péruvien. Comme il avait déjà été utilisé pour amener des Coolies
Chine, il était fort bien équipé pour ce travail.
recrutement dans
de
(4) SMH 14 avril 1863, 5 - Ribeyro, le Ministre péruvien des Affaires étrangères avait
jour exprimé sa satisfaction en découvrant qu'aucun des membres de l'équipage des
bateaux suspectés d'enlèvement ou autres méfaits liés aux opérations de recrutement, n'était
péruvien et l'examen des listes d'équipage confirme cette affirmation. En réalité, le nombre
relativement faible de Péruviens qui étaient pêcheurs par profession, préférait se cantonner
dans un cabotage commercial à petite distance des côtes - El Comercio 12 Mai 1863.
un
(5) El Peruano, 30 Mars 1863, témoignage d'Antonio Guerra ; Robertson à
Jerningham 15 Mai 1863, FO 1861/211 ; Gouverneur de Tahiti à de Lesseps, 4 Mars
1863, AN.
(6) MT 28 Février 1863, 34 ;
SMH 29 juin 1863, 5 ; Phelipo ou
Pepeiho qui essaya de
à Hiva
le départ de l'Empresa
février 1863, 35.
Carr et Duniam et vola leurs affaires était un chef d'assez mauvaise réputation
Oa. Il fut arrêté par le Résident Français aux Marquises peu après
d'Ua Pou, sur demande des autres chefs, et déporté à Tahiti - MT 28
tuer
(7) MT 7 mars 1863, 43.
(8) Ce récit des opérations de recrutement de l'Empresa aux Marquises provient des
suivantes : MT 28 février 1863,33-6, 7 mars 1863, 42-44 ; SMH 14 avril 1863,5, 29
sources
juin 1863, 5
;
Empire 29 juin 1863 ; Kuoko'a 1883 ;
Alexander, 1934, 372.
(9) Lucett 1851, II, 233-4.
(10) Joseph Thomas Browne (dont ie nom s'écrit parfois sans e) est décrit par le Consul
anglais à Tahiti comme "une personne bien connue dans les îles où depuis plusieurs années il
a fait sa vie"
W.H. Williams à Miller 21 avril 1863, TBCP, v. 10. Il prétendait être le
propriétaire de l'île Caroline depuis 1853 et un de ses enfants naquit là bas en 1864 Browne à Miller, 30 Juillet 1867 ; TBCP, v. 6 ; Commander Nares à Miller 13 juillet 1868,
Adm. 1/6009 ; Adm. 1/6059 ; Moss 1889, 105. L'incident de Huahine est rapporté dans MT
7 février 1863, 22 et Robinson au Département d'État 28 avril 1863, USD.
-
(11) Le Gouverneur à de Lesseps, 30 mars
1863, AN.
(12) MT, 27 juin 1863, 128.
Société des
Études
Océaniennes
1096
Une lettre de Ch. Baker
Nous avons publié dans le Bulletin 217
(décembre 1981) un compte-rendu du
"Polynesian Journal of Captain H.B. Martin, R.N. in command of H.M.S.
Grampus". Dans le même temps, un de nos membres dévoués, Ch. Beslu, se
rendait acquéreur d'une lettre d'un midshipe ce même bâtiment, durant la même
campagne.
Les années'1843 à 1847 à Tahiti furent
particulièrement
difficiles. Le gouverneur BRUAT eut à lutter à la fois contre les
tahitiens rebellés aidés de déserteurs
anglais et français et contre les
entreprises des officiers de navires anglais de passage ou
stationnaires.
"Il n'est pas douteux que
de guerre anglais dans le
port
la présence permanente d'un navire
de Papeete, sans parler des séjours
plus ou moins longs qu'y firent fréquemment d'autres unités de la
Flotte Royale Britannique, avait les
plus fâcheuses conséquences.
Elle constituait à l'égard de la France une
marque de défiance fort
pénible et contribuait à miner le prestige des autorités françaises
locales. L'attitude frondeuse de certains commandants de ces
navires, leur ingérence dans les affaires intérieures du pays, les
difficultés que soulevèrent à terre, en diverses
occasions, des
officiers et des hommes d'équipage étaient de nature à susciter de
regrettables complications". (L. Jore)
Il y eut probablement un accord
au
moins tacite entre les
autorités
françaises et britanniques et afin d'assurer la sécurité des
ressortissants étrangers pour qu'un navire de "Sa Gracieuse
Majesté" tienne une permanence en Océanie
Toujours est-il que
plusieurs unités se succédèrent : Le TALBOT en 1843, le
—
VINDICTIVE, le CORMORAN, le DUBLIN, le DANAE, le
BASILISK
Le mot "stationnaire" est utilisé
pour la première fois à propos
du H.M.S. SALA MANDER
qui quitta Tahiti en juillet 1846 à
destination de Valparaiso croisant en route son
remplaçant, le
H. M.S. G RA M PUS,
qui arriva à Tahiti en
septembre après escale
Société des
Études
Océaniennes
1097
Marquises. Le dernier de la liste, le H.M.S. CALYPSO fut
rappelé en Grande Bretagne en novembre 1847.
Il est bien évident que toute correspondance issue d'un
membre des équipages de ces navires revêt une grande importance
pour l'étude de cette période de l'histoire de Tahiti aussi, ayant eu
aux
la chance d'obtenir
une
lettre d'un élève officier du GRAMPUS
(vendue dernièrement chez Stanley-Gibbons de Londres) je me
devais d'en communiquer le contenu aux lecteurs du bulletin de la
S.E.O. La traduction en est parfois assez délicate mais je ne pense
pas avoir trahi le sens général de cette lettre qui nous parle non
seulement des Marquises et de Tahiti mais nous renseigne
également sur le genre de vie que l'on menait à bord de ces
bâtiments.
C. B.
H MS GRAMPUS 50
20
septembre 1846
Bien Chère Maman,
une
Il y a environ un mois quand nous étions à WAUH-OO (1)
des îles, je me rendais à terre avec les lieutenants PRIEST &
SMITH, Messieurs MAY, IRAHEME & Lord GILFORD, cadets
l'École Navale. Lorsque nous arrivâmes à terre, nous prîmes des
de
chevaux sauf GILFORD qui avait la frousse, aussi Mr. PRIEST
marcha-t-il à ses côtés. Je pris grand plaisir à cette équipée ; je ne
montais pas un poney mais un vrai cheval très beau.
Les natifs vivent dans de grandes huttes dont le sol est
recouvert de nattes
blanches
lesquelles ils reposent et dorment.
une de ces huttes j5our
rendre visite à un Chef et Mr. PRIEST ouvrit un panier qu'il avait
apporté avec lui et en sortit 3 volailles, 3 bouteilles de bière, une
aiguillette (?), une bouteille de vin et une miche (pain) ; les
indigènes se montrèrent fort civils avec nous et nous donnèrent
quelques bananes, un melon d'eau et nous leur fîmes goûter du vin
qu'ils apprécièrent beaucoup.
Nous nous promenâmes alors jusqu'à environ 7 heures jusqu'à
une espèce d'auberge anglaise où se rendent tous les marchands,
capitaines et officiers qui descendent à terre. Il en coûte 1 dollar
(4 shillings) à la journée. Petit déjeuner à 8 heures, dîner à 2 heures
A environ 2
heures,
nous
sur
entrâmes dans
(1) Ua Pou (Marquises).
Société des
Études
Océaniennes
1098
volaille froide, du roàstbeef, des toasts
choses. Nous
8 heures. Quand un officier descend à
habite une hutte (les indigènes laissent
toutes sortes de bonnes
par
jour) et
...
et du pain à thé, du café et
étions de retour à bord à
terre pour
leur hutte
2
ou
pour
3 jours, il
2 shillings
à cet endroit.
Wauh-oo est
un lieu très montagneux, plein de
précipices et de
chutes d'eau. Je ne connais pas grand chose de l'intérieur car je ne
suis resté que sur la grève avec délectation d'ailleurs.
Nous
sommes
maintenant
à
environ
1000
miles de
OTAHEITE (2).
Je viens juste de me rétablir d'une méchante grippe ; froid et
mal de gorge. J'ai eu droit à 2 caustiques (3), 1 emplâtre et 2
...
ampoules dont je ris maintenant. Le Capitaine (4) m'a très
aimablement fait une place dans sa cabine. Il m'y fit porter à
manger trois fois dans la semaine. Il me donna une reconstituante
et abondante assiettée de
soupe, si bonne ! Il garde à bord une
chèvre qui lui donne un peu de lait ; c'est ainsi que j'ai eu une très
bonne tasse de thé avec lait et un délicieux biscuit. J'ai dû
malheureusement quitter la cabine dès que je fus mieux.
Je trouve
qu'il est très ennuyeux de ne pas avoir de cartes pour
repérer ; je n'ai pas vu une carte depuis que je suis parti
d'Angleterre.
Je vais maintenant vous parler un peu de ma vie à bord.
A 6 h 30 je prends mon tour de garde ou à 5 h si je
suis de nuit
Les tours de quart sont sonnés tous les 1/4 d'heure à partir de
6 h 30
Les hommes déjeunent à 7 h. et les midships se lavent à
8 h moins 10 Nous allons ensuite à la chapelle où Mr. LANG
(5)
lit des prières en présence des capitaines SMITS & MIDS. Pour
manger, nous avons un répugnant morceau de pâte mal dénommé
petit-pain ; un horrible café sale et du singe froid - A 9 h. dispersion
se
-
-
-
pour permettre aux
hommes de
se
nettoyer.
Après nous allons à l'école où nous apprenons l'arithmétique
et l'algèbre euclidienne. A 11 h 30 nous allons
prendre la latitude A 12 h. nous dînons d'une soupe de pois et d'un morceau de
singe
salé. Dans l'après-midi, nous apprenons la balistique. A 4 h 30
nous avons du thé (biscuit dur et mauvais
thé). A 5 h. sonne le
(2) Tahiti.
(3) Remède brûlant.
(4) Capitaine MARTIN, Commandant du "GRAMPUS"
(Épaulard).
(5) Mr. LANG, Chapelin du "GRAMPUS" qui fut arrêté le 25 décembre 1846 pour
refus d'obéir à l'injonction légale qui lui était faite de se retirer quand,
au moment d'une lutte
sanglante qui s'était produite devant la prison de Papeete, il accroissait le tumulte par ses
discours et son opposition aux mesures prises pour rétablir l'ordre
(d'après un rapport
officiel).
Société des
Études
Océaniennes
! 099
quart pour aller voir si les hommes ne sont pas ivres. Après les
quarts nous nous entrainons à prendre les ris dans les plus hautes
voiles, à diminuer les voiles ou tout autre chose. A 7 h. les hamacs
des midships sont descendus et tendus et une demi heure après c'est
tour de ceux des hommes d'équipage.
Tahiti est une belle île qui est en train de passer sous contrôle
français. Les oranges ont à peu près la taille d'une petite tête ;
4 douzaines pour 6 pences !! Le jus est suffisant pour remplir une
pleine timbale avec juste une cuillerée d'eau. Il y a un grand
nombre de porcs dont la viande n'est pas aussi bonne que celle des
au
...
anglais. Le lait ici est uniquement du lait de chèvre mais je ne
différence avec celui de vache. Il n'y a pas beaucoup
de bananes mais plein de noix de coco, citrons, oranges et fromage.
L'Amiral français dit qu'il est habituel de laisser venir l'Amiral
anglais (6) mais que l'Amiral anglais ment s'il dit qu'il est "le
bienvenu". Naturellement nous avons tous fait la nique aux
français en portant nos doigts à nos nez. Dans une certaine mesure
porcs
trouve aucune
...
Henry
J'espère que le français dira à l'Amiral qu'il ne peut pas venir
et qu'il se contentera de voir de loin le pavillon qui flotte à notre
mât, ce noble drapeau encore invaincu qui fait trembler le monde.
...
expédition de lettres
à Simon que je ne
manquerai pas de lui faire parvenir quelque chose avec l'argent
qu'il m'a envoyé, à la première opportunité, mais j'ai peur qu'il ait
Il devrait y avoir pour tous une prochaine
aussi dois-je conclure rapidement. Dites
à atteindre
encore
longtemps.
mes amitiés et donnez 6 baisers à Papa,
Kati, Jame, Etta à laquelle je suis désolé de ne pas avoir encore
écrit, Henry GRANVILLE et le gentil garçon. Mes souvenirs à
tous les domestiques, à mes vieux copains et à tous ceux qui sont
assez aimables pour s'enquérir de moi.
Bien Chère Maman, je suis peut-être à des milliers de miles de
vous mais rappelez-vous ces mots "Ne laissez pas la peine entrer
dans votre cœur
Paix ; je vous laisse ma paix ; je vous donne bien
au delà de ce que peuvent donner les mots".
Toujours de tout cœur avec vous de
Votre plus affectueux et plus soumis fils
Transmettez toutes
-
Charles Baker
J'ai
assez
d'argent.
(6) Sans doute l'Amiral anglais SEYMOUR.
Société des
Études
Océaniennes
1100
Compte rendu
Paul Th. De Deckker.
Jacques-Antoine Moerenhout (1797-1879),
Ethnologue et Consul. Bruxelles, 1981, 1 vol. en 2 t. de 442 p., port.,
en front., ill.,
cartes, bibliographie, 30 cm. (Université libre de
Bruxelles. Faculté des Sciences sociales,
politiques et économiques.
Thèse pour l'obtention du grade de docteur en Sciences
sociales).
Moerenhout avait déjà été étudié en anglais par le Professeur
Abraham Nasatir et en français par le gouverneur Léonce Jore. Le travail
de Paul De Deckker vient couronner et
parachever les travaux de ces
deux auteurs.
Moerenhout naquit à Ekeren le 10 mars 1797, en Belgique. Il ne
jouit
d'une jeunesse aisée ; ses parents, de fort modestes commerçants,
n'encontrent que des difficultés financières dans une
Belgique placée sous
l'égide de la Révolution française. Pour débarasser sa famille d'une
bouche à nourrir, il s'engage, en cachant son
âge, comme dessinateur dans
un Bataillon de
Sapeurs des armées napoléoniennes. Après les désastres
de Russie, il est forcé par ses chefs de
rejoindre l'Armée de la Loire à l'âge
de quinze ans pour combattre en Allemagne
et en France pendant treize
mois. Blessé à Brienne, il met quatre mois à se rétablir
et, en mai 1814, il
quitte l'armée et l'hôpital. Un de ses biographes, Léonce Jore, le fait alors
travailler la peinture à Paris, mais Paul De Deckker
prouve l'impossibilité
pas
de
ce
fait.
En
octobre 1825, Moerenhout quitte
l'Europe pour le Chili en
s'embarquant sur le Victor à Flessingue. Il passera plusieurs mois à
Valparaiso à s'efforcer de développer une société d'import-export. Mais
les produits belges et hollandais se vendent mal face aux
importations
anglaises. En mars 1828, Moerenhout occupa pour trois mois les
fonctions de consul ad interim des Pays-Bas. En décembre de la même
année, il quitte le Chili à bord du Volador qui lui appartient pour moitié,
à destination de Tahiti
où il souhaite examiner
Société des
Études Océaniennes
personnellement les
1101
possibilités commerciales existant dans les îles de la Société (arrow-root,
canne à sucre, etc...) Il débarque à Papeete le 15 mars 1829.
Quelques jours plus tard, Moerenhout envoie sa goélette déposer aux
plongeurs pour la nacre avec mission de se diriger ensuite
vers les îles Fidji. Le bâtiment s'y perd sur des récifs. Forcé d'attendre un
autre navire pour le ramener au Chili. Moerenhout tentera de développer
Tuamotu des
toutes sortes
d'activités commerciales à Tahiti et s'intéressera à
ses
Chili en 1830 pour revenir
s'installer de façon permanente à Papeete à la fin de la même année
comme négociant. Trois années plus tard, ses affaires étant florissantes, il
retourne encore à Valparaiso où il épouse une jeune chilienne. Le couple
quitte le Chili en janvier 1834 pour atteindre Papeete au début du mois de
habitants
et à leurs coutumes:
Il regagne le
mars.
Le mois suivant, sans sa femme, Moerenhout entreprend un voyage
qui le mène tout d'abord à Washington où, grâce à l'ambassadeur de
Belgique, il se voit confier le poste de consul des États-Unis à Tahiti par
l'Administration du Président Jackson. Il gagne ensuite Anvers et Paris
sa famille et des relations d'un ami, Carlo Bertero,
médecin-botaniste que Moerenhout avait emmené avec lui dans les îles de
la Société et qui était mort en mer en retournant en France en 1831. Ces
relations de Bertero, savants parisiens réputés (d'Orbigny, Brongniart,
où l'attendent
Delessert, Guillemin, etc...) le pousseront à mettre au net ses carnets tenus
pendant les trois voyages de Valparaiso à Tahiti et sur lesquels il avait
consigné précieusement ses impressions et découvertes dans les îles
océaniennes. Deux tomes paraîtront ainsi sous le titre de Voyages aux îles
du Grand Océan chez le libraire Arthus-Bertrand en 1837 à Paris. A
classer parmi les "premiers monuments de la littérature belge d'expression
française après 1830", ces deux tomes, totalisant plus de mille pages,
apportèrent à Moerenhout la renommée et l'entrée dans toutes sortes de
sociétés savantes (Société orientale, Société d'Anthropologie de Paris,
société ethnologique, etc...).
Le 4
janvier 1836, il est de retour à Papeete. Il y retrouve sa femme et
sa petite Emma, née peu après son départ pour
l'Amérique en 1834. La reine Pomare IV reconnaît sa qualité de consul
des États-Unis et lui accorde son exequatur. Les dix années de sa vie qui
fait connaissance de
suivent
ce
retour sont extrêmement
riches
en
événements d'ordre
politique. Efforçons-nous de les résumer...
Épisode Caret-Laval
deux missionnaires catholiques français
l'opposition
Missionary
Society) qui veut faire des États de la reine Pomare un royaume
protestant. Moerenhout les protège, les héberge mais ne peut empêcher
leur expulsion de l'île. Il rédige alors rapport sur rapport à l'intention des
autorités françaises qui envoient le capitaine du Petit-Thouars exiger
réparation à l'insulte faite à la France. Les missionnaires anglais, en la
personne de leur principal représentant, George Pritchard, se plaignent à
:
novembre 1836 de s'implanter à Tahiti malgré
forcenée de la communauté missionnaire anglaise (London
tentent
en
Société
des Études Océaniennes
1102
Londres de
ingérence étrangère et à Washington de ce consul.
au 10 juin, un mulâtre mexicain, déserteur de
baleinier, agresse violemment Moerenhout et sa femme. Contre toute
attente, il se remet de ses blessures nombreuses alors que sa jeune femme,
âgée de vingt ans, succombe aux siennes quelques mois plus tard.
Entretemps, à la suite des plaintes de Pritchard à Washington, son
cette
Dans la nuit du 9
consulat lui est retiré. Par amitié et en remerciement de son action en
faveur des prêtres français, du Petit-Thouars, arrivé à Tahiti en août 1838
sur
la Vénus, lui offre le poste
que
de consul de France et le présente en tant
tel à la reine Pomare. Louis-Philippe le confirmera dans cette
fonction.
Cette position et aussi ses amitiés pour quatre grands chefs tahitiens
lui permettront d'obtenir qu'un document, signé par eux
quatre, soit
adressé à
Tahiti.
Louis-Philippe afin de solliciter le protectorat de la France
La demande
entérinée
pour
septembre 1842 par du PetitThouars, devenu entre-temps contre-amiral. Un gouvernement provisoire
sera instauré à Tahiti et sa direction confiée à Moerenhout,
nommé
commissaire royal.
A l'arrivée du gouverneur Armand Bruat en novembre 1843,
sera
Moerenhout fut relevé de
cette
en
fonction
et nommé
directeur des Affaires
indigènes. A ce titre, il put jouer un rôle essentiel vis-à-vis de la guerre de
rébellion qui s'éleva entre Tahitiens et Français.
Comme des deux côtés de la Manche, les passions s'étaient
déchaînées pour ce que l'on a nommé "l'Affaire Pritchard"
—
ce
dernier
ayant été expulsé de l'île par les Français — Moerenhout fut sacrifié
avril 1845 et nommé agent consulaire à Monterey,
de
capitale
en
la
Californie. Bruat ayant besoin de ses compétences, il ne sera relevé de ses
fonctions que l'année suivante. Il part pour la Californie en juin 1846 et
débarque à Monterey le 1er octobre.
En 1847, Monterey est secouée par la guerre
entre Mexicains et
Américains, ces derniers voulant s'approprier la région. Moerenhout, en
témoin, assiste à la percée américaine qui se soldera par le rattachement
de la province à l'Union.
Le 15 mai
1848, il fait parvenir au Quai d'Orsay un long rapport
annonçant la découverte d'importants gisements d'or en Californie. Seul
à systématiquement visiter les placers d'or et à décrire le phénomène de la
ruée
qui prend très vite une dimension mondiale, Moerenhout, demeuré
un esprit
calme dans ce maelstrom, enverra de là-bas une si
intéressante correspondance qu'elle sera publiée en 1938 par la California
Historical Society sous le titre The Inside Story of the Gold Rush by
Jacques-Antoine Moerenhout. Ces écrits forment le récit exhaustif et
unique, vécu de l'intérieur, jamais publié sur la ruée vers l'or.
avec
En
1851, il revient à Paris
: son
consulat lui
a
été retiré à la suite de
pressions exercées par des personnes qui lui envient ses succès tahitiens et
qui ont tiré profit de l'installation du Gouvernement provisoire de 1848.
Mais Moerenhout peut aussi compter sur des appuis et des amis puisque
le 11 mars 1852, Louis Napoléon le réintègre dans ses fonctions.
Société des
Études
Océaniennes
1103
En août, il est de nouveau à Monterey d'où il envoie à Paris toutes les
observations que lui suggère son esprit curieux. En 1859, il est nommé
consul honoraire à Los Angeles. Il occupe ses loisirs à des travaux
scientifiques ; en particulier, il rédigea un long mémoire sur
l'hydrophobie, il s'intéressa aux plantes servant d'antidotes contre les
morsures de serpent. Tous ces mémoires furent transmis à l'Académie
impériale de Médecine qui les publia dans son Bulletin. Il exécuta
également d'autres travaux sur les possessions russes dans la mer
Pacifique ainsi qu'une notice sur la ville et le comté de Los Angeles
(1860). L'année suivante, il conçut une notice sur le port et le comté de
San Diego. Il crée en mars 1860 une société française de bienfaisance qui
existe encore de même que l'hôpital français dont il fut le président
fondateur. Après la guerre de 1870, il récolta autour de lui plusieurs
milliers de dollars pour aider à payer l'indemnité de guerre impayée par la
France à l'Allemagne.
En
plus d'une étude exhaustive et systématique des fonds d'archives
et anglais, pour mener à bien cette importante étude,
Paul De Deckker a non seulement fouillé les archives belges et
hollandaises, mais il a été consulter celles de Tahiti ; celles des U.S.A., en
Californie et à Hawaï ; celles de la Nouvelle-Zélande, à Auckland et à
Wellington où il a retrouvé l'original d'un ouvrage inédit de
George Pritchard : The Aggressions of the French in Tahiti and Other
Islands of the South Pacific, travail qui sera dans les tout prochains mois
publié avec annotations par Paul De Deckker à Auckland-Oxford
University Press.
français
compte-rendu est rédigé d'après un exemplaire ronéotypé de la
Deckker, mais l'ouvrage paraîtra en Belgique en
trois langues, vraisemblablement au cours de 1983.
Ce
thèse de M. Paul De
Paris Décembre 1981
P.
J.
O'Reilly
Hollyman et A. Pawley (éd.) Studies in Pacific Languages & Cultures
in Honour of Bruce Biggs, Auckland, Linguistic Society of
New Zealand, 1981, 392 p.
C'est
à
deux
linguistes néo-zélandais, Jim Hollyman et
Pawley, que l'on doit l'édition de ces mélanges présentés à
Bruce Biggs à l'occasion de son soixantième anniversaire. La table des
matières seule, démontre combien l'influence de Biggs, non seulement
dans le domaine de la linguistique du Bassin Pacifique mais aussi de sa
culture, fut profonde et étendue.
Andrew
Les deux
éditeurs, dans
préface pleine d'esprit, ont retracé le
qui reste un des troncs les plus solides à
partir duquel la linguistique polynésienne a pu bourgeonner depuis
vingt ans.
une
cheminement intellectuel de celui
Société ties Etudes Océaniennes
1104
Après la guerre passée dans les forces néo-zélandaises aux îles Fidji,
Biggs prit un poste d'instituteur au milieu d'une communauté maorie, la
tribu des Ngati Porou, n'ayant que très peu de contacts avec le monde
européen. De même qu'aux Fidji, Biggs put mettre à profit ce séjour pour
entreprendre certaines recherches linguistiques. En 1952, sans avoir
terminé un diplôme universitaire, Biggs fut "découvert" par le premier
professeur d'anthropologie de Nouvelle-Zélande, l'Australien Ralph
Piddington, qui lui offrit la charge des cours de maori. Pour plusieurs
années, le principal outil de référence littéraire resta une Bible maorie !!!
Cette déficience fut rapidement comblée par toute une série de
publications culminant avec l'édition révisée du dictionnaire maori de
Williams, sans doute le dictionnaire le plus précis et complet d'une langue
polynésienne. On doit tout ceci à Bruce Biggs.
Biggs obtint
doctorat à l'université de l'Indiana pour une thèse
of the New Zealand Maaori qui fut rapidement publiée.
L'influence de cette publication n'est plus à démontrer. Notons seulement
l'introduction de l'idée que la phrase, plus que le mot, dans les langues
polynésiennes reste l'unité structurale de base de l'approche morpho¬
syntaxique, une unité définissable sur le plan phonologique au même titre
que sur celui de la syntaxe. Cette découverte fondamentale fut appliquée
avec bonheur à d'autres langues non polynésiennes de la branche
océanique de l'Austronésien.
sur
son
The Structure
Les études linguistiques et maories prirent un formidable essor sous
l'impulsion et la direction de Bruce Biggs. Rappelons les noms de certains
de ses étudiants qui occupent aujourd'hui des positions prédominantes :
Pat Hohepa, Sid Mead, Rangi Walker, Andrew Pawley, Roger
Oppenheim, Anne Salmond et David Simmons. Notons enfin que c'est
suite au travail fourni par ces chercheurs autour de Biggs qu'Auckland
jouit aujourd'hui d'une reconnaissance internationale comme centre de
recherche pour les études polynésiennes.
Mais la contribution de Bruce Biggs ne s'est pas arrêtée à ceci. Son
horizon s'est encore élargi lorsqu'avec Ralph Bulmer, il s'intéressa aux
langues
moins
papoues
connues
de Nouvelle-Guinée, langues qui étaient alors parmi les
du monde.
Plus tard, sous l'impulsion de l'archéologue américain Roger Green,
Biggs s'appliqua à un travail de longue haleine, celui de reconstruire le
lexique proto-polynésien. Suite à près de vingt années de patient labeur
en phonologie comparative et
de subsides provenant du East West Center
de Hawai'i, ce lexique comprend maintenant près de 3000 mots.
L'on pourrait aisément continuer à allonger la liste formant l'œuvre
déjà accomplie par Biggs mais cela deviendrait panégyrique.
Les
vingt-deux personnes qui ont contribué par des articles
ces mélanges démontrent les
principaux domaines de
recherche auxquels Bruce Biggs a amplement participé : la langue et la
culture maorie, la linguistique comparative polynésienne, les langues et
intéressants à
Société des
Études
Océaniennes
1105
polynésiennes, Fidji, la linguistique océanienne et les autres
langues et cultures du Pacifique, têtes des chapitres formant l'ouvrage.
cultures
Ne fut-ce que pour l'article de Andrew Pawley, Melanesian Diversity
Polynesian Homogeneity : a Unified Explanation for Language (pp.
269-309), cet ouvrage fera date dans l'histoire du développement des
études de la linguistique du Pacifique.
and
Paul De Deckker
University of Auckland.
ANCELIN, Jacques. En Polynésie. Notes de voyage (mai-juin
1979).
Ouvrage illustré en frontispice d'une aquarelle de l'auteur.
Cherbourg, chez l'auteur (4 impasse Balmont), 1981, 146 p., ill. en
coul. (front).
L'auteur, un français homme de science et océanographe, visite la
Polynésie-Tahiti, les Iles-sous-le-Vent, Moorea, l'atoll de Rangiroa dans
les Tuamotu- à la fin des années 70 de ce siècle. Un touriste qui ajoute une
unité aux quelques 12.000 voyageurs de chez nous qui se rendent, chaque
année, sur ces terres françaises du Pacifique. Et qui, comme de nombreux
autres de ses collègues, prend plaisir à détailler son contentement en
tenant un journal de bord de ses périgrinations.
Jacques Ancelin voit le Polynésien d'un œil personnel et sans trop se
laisser guider par les clichés en cours et les idées touristiques du jour. Le
10 juin, levé dès la petite aube pour un tour de promenade sur la plage, il
écrit, après avoir noté "les découpures de palmes tranchant sur le ciel
blond" qu'il se sentait envahi "par une sorte de monotonie, de banalité
dans la splendeur". Il découvre "l'étonnant bleu-vert du lagon, séparé du
bleu sombre, presque noir, du large, au-delà du récif barrière et de la ligne
des lames déferlantes". Il découvre les plages de sable noir, les pirogues à
balancier, les trucks où se manifeste un peu de spontanéité dans la vie
tahitienne. "On monte dans le véhicule en prenant la précaution de
courber l'échiné, sous peine de heurter le toit"... C'est dans ces voitures
qu'on observe le mieux les types populaires. Les vû7?mc-matrones y sont
particulièrement bien représentées".
Dans tous les coins où la curiosité, la beauté du paysage ou le
pittoresque local le poussent à s'arrêter, l'auteur dresse son chevalet et
brosse une aquarelle ; car il ajoute la peinture à ses dons.
En circulant, il observe : le "fare pinex lui parait de construction la
plus camelotée et la plus laide qui soit" toit de tôle et murs en bois
agglomérés, généralement revêtus d'atroces décorations. Les ouvertures
banales baies vitrées. Mais les maisons assez attristantes sont
entourées, pour la plupart, de.fort beaux jardins avec de grasses pelouses,
objets de soins quotidiens et surtout de magnifiques haies fleuries :
hibiscus, monette (plante inconnue du Grand Larousse), croton,
cordyline... Le long de la route littorale, on ne trouve guère de
groupements d'habitations à proprement parlé ; les villages d'importance
sont de
Société des
Études Océaniennes
1106
secondaire s'échelonnent dans la verdure
sur
des kilomètres et
on
les
demeure l'édifice le plus
visible : murs
tôle peinte en rouge. Elle
date, en général, de la fin du siècle dernier ou du début de celui-ci, et
parait toujours bien entretenue. Les crabes qu'il observe sur le bord de
mer l'amusent
beaucoup et il admire les hymene qu'il entend au temple de
Paofai, temple qu'il prend pour une église catholique. Heureux
traverse
sans
presque s'en apercevoir. L'église
de corail blanc, toit et clocher en
œucuménisme !
Tout cela est bien gentil, me direz-vous, mais a déjà été souvent dit
Tahiti... Oui, mais pas imprimé de cette manière. Car M. Ancelin, et
voilà où le vrai peut paraître exceptionnel, imprime personnellement ses
sur
"Ouvrage composé par l'auteur en typographie manuelle,
les caractères Vendôme de la fonderie Olive, et tiré sur presse à
dont
volet
Freinet", lisons-nous dans l'achevé d'imprimer. Monsieur Ancelin ne
nous dit pas quelles encres il employa mais je tiens
de ses lèvres que ce
problème lui causa quelques difficultés, les encres qu'il employait ne
séchant pas très rapidement.
Ainsi donc nous trouvons-nous devant un livre tout à fait unique : à
ma connaissance, le seul ouvrage sur Tahiti composé manuellement par
son auteur, ce qui multiplie sa valeur. M. Ancelin estime avoir passé
1.600 heures pour réaliser ce travail, ce qui représente, en décomposant,
40 semaines de 40 heures ! Car le nombre des polices qu'il possédait ne lui
permettait pas de composer plus de cinq pages de son texte. On
appréciera donc ce tour de force ! D'autant plus que trente exemplaires
seulement ont été tirés de ce petit livre. Je crois savoir que M. Ancelin ne
les mettra pas dans le commerce, mais les réserve à de véritables amis de
la Polynésie française. Si vous vous jugez digne de mériter ce titre, il vous
reste de signaler votre intérêt à M. Ancelin qui réside : 4, impasse
Balmont à Cherbourg, et qui, bien volontiers, vous ferait parvenir un
exemplaire. Pour moi, j'ai déjà envoyé chez un bon relieur le volume qu'a
oeuvres.
bien voulu m'offrir l'auteur. Son travail mérite de recevoir
un
habit de
gala !
Patrick
Cl.
Robineau.
Tradition et modernité
interprétation anthropologique. Thèse
d'État
-
aux
O'Reilly
îles de la Société. Une
pour
l'obtention du doctorat
Paris-Sorbonne.
Sous le regard quatre fois centenaire du cardinal de Richelieu, dans
amphithéâtre de la Sorbonne, l'après-midi du 22 février 1982,
Claude Robineau soutenait sa thèse qui devait lui valoir le titre de
un
Docteur es-lettres.
Le
jury était présidé
par M. le professeur José Garanger, assisté de
océanistes, M.M. Jean Guiart et Henri Lavondès ainsi que
d'un africanisant M. Mercier. M. Georges Balandier avait été le directeur
deux autres
de cette recherche.
Société des
Études
Océaniennes
1107
En
voici, très brièvement, le résumé.
concerne la sociologie du développement des Polynésiens
des îles de la Société qui, depuis l'irruption des Européens dans leur
univers il y a deux siècles, se trouvent confrontés à un problème
d'identité : face aux assauts répétés de la modernité, le recours à la
tradition est un moyen de défense que les Tahitiens expérimentent, soit
par référence à des valeurs réputés ancestrales, soit par création, par
"naturalisation" de la modernité, d'une nouvelle tradition.
Ce travail
considère le développement économique et
mécanique d'un jeu de décisions et d'une
manipulation de flux, la thèse avancée est que ce développement est le
produit d'une histoire à prendre impérativement en compte, qui le
conditionne, et se trouve créatrice ou gardienne de l'idéologie qui lui sert
de support ; que la périodisation de cette histoire n'est pas une simple
commodité de l'expression mais un besoin de l'analyse pour comprendre
les processus en cours ; que les rapports entre la tradition et la modernité
n'expriment pas seulement des positions antagonistes des acteurs du jeu
social mais s'inscrivent dans une dialectique par laquelle la modernité fait
irruption au détriment de la tradition ancienne, puis se transforme en une
nouvelle tradition, laquelle à son tour se trouvera soumise, avec le temps,
Face à une théorie qui
social comme la résultante
à l'assaut d'une nouvelle modernité.
s'appuie au départ sur la théorie de la dynamique sociale et
prend Yanthropologie économique comme champ privilégié d'analyse. La
recherche qu'elle suscite s'articule autour de deux phénomènes : la
transformation actuelle des îles de la Société, transition d'une formation
sociale traditionnelle vers une société nouvelle en gestation ; la
transformation ancienne, transition de la société pré-européenne vers la
formation traditionnelle. Au sein des îles de la Société, la démarche
consiste à privilégier un ensemble insulaire moyennement représentatif :
Moorea, servant de cadre à l'explicitation des processus actuels.
Concernant le premier point, la méthode est celle de l'anthropologue,
d'aller du particulier au général, du concret à l'abstraction ; concernant le
second point, la méthode suivie s'apparente à celle de l'historien : analyse
des sources, recours au comparatif, dégagement des séquences.
La thèse
Parallèlement à
ses premiers objectifs, la recherche apporte un
d'enseignements
:
surplus
1) elle fait apparaître un faisceau d'éléments qui constituent
l'originalité d'une sociologie polynésienne : un contenu idéologique, une
conception du leadership, la notion de réseau de relations ;
2) elle souligne, en outre, l'intérêt méthodologique pour l'étude des
situations sociales et de leur évolution d'une double démarche fondée
sur
l'analyse simultanée, structurale et dynamique, des phénomènes.
première partie de l'ouvrage est consacrée à l'analyse socioéconomique actuelle des polynésiens : explicitation du phénomène de
mobilité ; expression de la parenté sur la base du 'opu ho'e, groupe des
siblings ; rapport à la terre, différent du droit français et reposant sur le
La
Société dés
Études
Océaniennes
1108
jeu des 'opu ho'e et de leur généalogie à partir d'un marae ; organisation
économique domestique en maisonnées dont la gestion reflète la forme
sociale qu'elles prennent ; fonction supra-domestique assumée
par l'Église
dans la société traditionnelle ; jeu des phénomènes de réseaux dans le
développement des solidarités et des compétitions économiques .même
modernes.
La seconde partie de l'ouvrage concerne les fondements
historiques
de la société traditionnelle. A partir d'un schéma de l'économie
polynésienne construit à partir d'analyses prc-existantes (de R. Firth pour
les Maori et Tikopia), l'auteur s'est efforcé de reconstituer la substance de
l'économie des anciens Tahitiens en faisant, d'abord, l'inventaire du cadre
social de cette économie, et ensuite, en procédant à l'analyse des
phénomènes économiques rencontrés dans l'étude des sources. Le dernier
chapitre est consacré à la transformation politique, sociale et économique
de la formation tahitienne ancienne
durera
tout au
Finalement,
en une
nouvelle dont l'élaboration
long du XIXème siècle.
dépit des ruptures, on constatera que la société
jusqu'à présent une continuité de processus et de
comportements dans le domaine économique, qu'il s'agisse du moteur
constitué par le surplus pour le dynamisme de l'économie ou de
l'idéologie gouvernant ces comportements.
tahitienne
a
et en
manifesté
Ce travail mérita la mention "très honorable" et les félicitations du
jury qui reconnaissait la valeur de cette thèse, fruit d'une longue présence
au milieu des
populations polynésiennes. L'auteur a une excellente
connaissance du genre de vie des indigènes et son travail se révèle
exemplaire par la qualité du donné et la richesse de la documentation. Il
apporte "tous les éclairages possibles sur le sujet". Georges Balandier,
dans son langage vigoureux, nous assure que Robineau avait admi¬
rablement su voir comment "les choses se goupillent" dans cet univers
restreint, et loue particulièrement l'étude démographique dont la partie
statistique lui apparait comme "exemplaire".
Cette thèse, actuellement ronéotypée,
sera prochainement imprimée
et disponible en librairie.
Société des
Études
Océaniennes
Le Bulletin
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 219