B98735210105_210.pdf
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-
BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCEMNIENNES
a
f
N° 210
TOME XVII
—
Société des
N° 11 / MARS 1980
Études
Océaniennes
Société des études océaniennes
Ancien musée de
Papeete, Rue Lagarde, Papeete, Tahiti.
Polynésie Française.
B. P. 110
Banque Indosuez
:
-
Tél. 2 00 64.
21-120-22 T
—
C.C.P. 34-85 PAPEETE
CONSEIL D'ADMINISTRATION
M. Paul MOORTGAT
Président
M. Yves MALARDE
Vice-Président
Mlle Janine LAGUESSE
Secrétaire
M.
Trésorier
Raymond PIETRI
assesseurs
Me
Rudolph BAMBRIDGE
Me Jean SOLARI
M. Henri BOUVIER
M. Roland SUE
Mme F. DEVATINE
M. Temarii TEAI
Dr. Gérard LAURENS
M. Maco TEVANE
Me Eric
LEQUERRE
MEMBRES D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
R.P. O'REILLY
M. Raoul TEISSIER
Pour être Membre de la Société
se
faire présenter par un membre titulaire.
ieu
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DES ÉTUDES OCÉANIENNES
(Polynésie Orientale)
TOME XVII
—
N°
ll/n° 210 Mars 1980
SOMMAIRE
Articles
C. Langevin Duval
Traditions et changements culturels chez
les femmes tahitiennes
H. bordes
Une année de recueil de traditions orales
D. carlson
A. sparrman
J. TALLANDIER
577
Polynésie Française
583
Un suédois à Huahine
587
Les Tsunamis
593
en
en
Polynésie Française
Nécrologie
P. moortgat
Georges Bailly
617
Comptes rendus
V. PERE
Peter bellwood
F. OLLIER
Mahanga, Pacific Poems
618
The Polynesians
619
Le 3ème Festival des Arts du Pacifique
sud
621
Société des
Études
Océaniennes
577
Traditions et
changements culturels
chez les femmes tahitiennes.
Nous
publions la conclusion de la thèse de Mme Langeuin-Duval,
en Sorbonne (1979) et dont nous avons rendu compte dans
précédent bulletin.
soutenue
un
L'étude du changement culturel offre un intérêt tout particulier
dans la mesure où il permet, au travers des points de résistance
culturelle, de repérer quelles ont
fortes dans
une
l'époque où elle est rentrée
satrice. Les
être les structures les plus
en mutation, du moins à
contact avec la société coloni¬
pu
société traditionnelle
en
où les transformations culturelles ont le
plus
rapidement et le plus profondément pénétré, étaient sans doute
des zones faibles ou "en crise" de la société en question, et ces
secteurs étaient de toute façon appelés à se modifier.
zones
En Polynésie, l'arrivée des Européens a coïncidé avec une
période de crise politique qui d'ailleurs aurait très probablement
été réglée par les mécanismes auto-régulateurs de la société. En
effet, à Tahiti, lorsque l'ordre social était mis en cause, le
processus de guerre venait contrôler la situation et rétablissait
l'équilibre politique. La machine de guerre intervenait notam¬
ment dans les cas où un chef devenait "d'une arrogance
intolérable" selon l'expression d'H. Adams1, et menaçait de
détruire l'équilibre du pouvoir dans l'île. Bien entendu, si cette
situation de crise politique a contribué au renversement du
système de pouvoir traditionnel, les mousquets anglais l'ont
rapidement conduit à sa chute définitive. Mais la faiblesse du
régime résidait surtout dans la division et l'état d'hostilité qui
régnait entre les différents royaumes. L'absence de "conscience
nationale" a permis aux Anglais d'utiliser les intrigues poli¬
tiques en soutenant certains chefs contre d'autres. On peut
imaginer que les envahisseurs auraient eu beaucoup plus de mal
à s'implanter si tous les chefs s'étaient unis pour les rejeter à la
mer.
(1). H. Adams, 1964, p. 108.
Société des
Études
Océaniennes
578
Dans les autres domaines, la société ne restait pas
statique non
plus. Elle avait subi des processus de changement profond, tel
que l'introduction du culte d'Oro qui, demandant des sacrifices
humains de plus en plus nombreux, avait entraîné la modifi¬
cation des rapports sociaux en renforçant l'autorité des grands
chefs qui possédaient une arme puissante, à travers ce droit de
mort arbitraire sur ceux qui pouvaient leur déplaire.
Si aucun secteur culturel ne devait rester immuable, la totalité
de la culture et de l'organisation sociale n'étaient jamais remise
en cause en même temps et si des
processus d'évolution dyna¬
misaient la société de façon permanente, les forces de
change¬
ments opéraient à un rythme relativement
lent, gardant une
continuité à la culture.
La situation coloniale provoque une cassure dans cette
évolution interne de la culture polynésienne, en amenant des
éléments totalement extérieurs et inadaptés à cette société et en
donnant une nouvelle orientation aux données les plus
pro¬
fondes, tels que le système politico-religieux qui se trouve scindé.
En quelques années, les Polynésiens se voient
imposer de
nouveaux chefs, de nouveaux prêtres, de nouveaux
dieux, et dans
leur vie quotidienne, de nouveaux outils, de nouvelles
façons de
se nourrir, de se vêtir ou de se
loger. Les bouleversements sont
justifiés, comme chaque fois qu'il y a situation coloniale, par une
pseudo-supériorité raciale et culturelle dogmatiquement af¬
firmée, mais en fait seulement basée sur une technologie plus
avancée2.
L'établissement du nouvel ordre est grandement aidé par un
apporté involontairement par les Européens, à
savoir les épidémies. La chute démographique qui s'ensuit
contribue à précipiter les organisations traditionnelles
autre élément
puisque le
lequel elles avaient été établies n'existe plus. Cela
entraîne aussi la perte de la confiance et du respect du
peuple
envers les anciens dieux et les
chefs, devenus impuissants.
Pourtant, les recherches ethnographiques ont montré que
même les sociétés les plus atteintes peuvent amorcer des
reconstructions, une fois la situation conflictuelle stabilisée.
Mais la réaction au changement imposé n'intervient avec succès
seulement que dans les zones "fortes" de l'ancienne culture. Si
les mouvements réactionnels du type des syncrétismes
religieux,
ne restent, malgré
tout, que des formes désespérées, et souvent
provisoires, de la réaction culturelle, par contre la réémergence
d'un substrat ancien, sur lequel viennent se fixer des éléments
nouveaux choisis parmi les innovations
proposées, apparaît
comme une réaction, sans doute
plus lente, mais plus efficace et
définitive. A Tahiti, l'exemple le plus
caractéristique est sans
doute le domaine de la religion qui a
repris peu à peu la plupart
quantum
pour
(2). P. Mercier
-
dans Ethnologie générale, 1968, p. 1004 à 1032.
Société des
Études
Océaniennes
579
des anciens modèles de croyance sur
été appliqué.
lesquels le
nouveau
Dieu
a
Malheureusement, la conservation de l'ancienne structure
n'est pas toujours possible et la situation coloniale peut imposer
des innovations "totales" et complètement inadaptées à la
société réceptrice. Si ces innovations vont trop à contre-courant
des structures traditionnelles, des solutions de rechange
apparaissent pour les détourner3. Prenons-en pour exemples la
pratique des noms de mariage qui, encore aujourd'hui, permet
d'éviter (sauf pour l'état civil) la transmission du nom en ligne
patrilinéaire, comme c'est l'usage en droit Français4 ; ou bien la
reconnaissance des enfants fa'a'amu comme s'il s'agissait
d'enfants naturels, qui permet de leur transmettre légalement les
biens, puisque la loi française ignore le principe des fa'a'a'mu.
Pour la même raison de contournement de l'usage français, nous
avons vu que les liens du mariage, trop formels et définitifs aux
yeux des Tahitiens, étaient fréquemment évités par l'établis¬
sement d'unions fa'aea. L'organisation familiale nous apparaît
donc aussi
puisqu'elle
comme
une
structure forte de la société tahitienne
réussi par réémergence ou solutions de contourne¬
ment, à se maintenir dans sa forme plus ou moins traditionnelle,
jusqu'à nos jours.
Un fait assez particulier est à signaler à Tahiti : certains
facteurs de changements ont pu devenir, après avoir joué comme
des "destructeurs" de tradition, des instruments de conservation
culturelle. L'exemple le plus frappant est encore dans la religion
protestante, devenue aujourd'hui le seul sanctuaire (à l'exception
de la récente Académie Tahitienne) du "beau parler" tahitien. De
plus les fare putuputura'a perpétuent des formes oratoires
oubliées, comme les himene tarava dans lesquels les généa¬
logies ou les mythes anciens ont simplement été remplacés par
les légendes et les versets de la Bible. Plus profondément, la
religion telle qu'elle est pratiquée, telles qu'elle est vécue, semble
a
être le véhicule du
sens
sacré traditionnel et du
sens
de l'ordre
l'observance scrupuleuse des rites.
Parfois elle a aussi recouvert par hasard des usages tradi¬
tionnels : ainsi, la séparation par sexe et par génération à
l'intérieur du temple, séparation qui se retrouvait dans de
cosmique maintenu
par
nombreux domaines de la vie traditionnelle. La forme du
protestantisme à Tahiti semble être un exemple du concept de
"two way process" d'Herskovits, dans lequel la société tahi¬
tienne n'a pas été passivement réceptrice mais a aussi marqué
profondément son empreinte sur cette religion venue de l'ex¬
térieur, aujourd'hui si bien intégrée qu'elle est considérée par les
Tahitiens eux-mêmes
comme un
élément de leur vie tradition-
(3). C. Newbury - Journal of the Polynesian Society, 1973, p. 16 et M. Panoff, 1970, p. 51-53.
(4). L'épouse peut garder son nom dans le mariage mais ne peut le transmettre.
Société des
Études
Océaniennes
580
nelle. Très récemment un mouvement indépendantiste, espérait
dans une lettre adressée à un journal local, le jour où seules "la
Croix du Sud et la Croix du Christ" régneraient sur Tahiti. Cela
est significatif de l'assimilation de la religion chrétienne par le
peuple tahitien.
Ainsi après une période de désorganisation, de tâtonnements,
et de manifestations désespérées comme le mouvement des
Mamaïa, la société polynésienne s'est établie dans un équilibre
néo-polynésien, qui, malgré les concessions aux nouveaux
modèles, fait encore une large part aux éléments venus de la
tradition.
Les hommes tahitiens ont, dans le bouleversement de la société
ancienne, perdu leur caractère sacré et, pour la plupart, (à
l'exception des pasteurs et des diacres), leur pouvoir religieux
exclusif. Le pouvoir politique leur fut longtemps soustrait par
l'administration, dans les rangs desquels ils n'ont pas eu accès,
n'en ayant pas les moyens culturels. Les places ont été prises par
les Demis. En ce qui concerne leur rôle exclusif "d'approvision¬
neur", d'une part, il a cessé d'être source de prestige puisqu'il
n'est plus basé sur une connaissance traditionnelle, d'autre part
il a tendance aujourd'hui à être largement partagé par les
femmes. L'homme a donc perdu les différents statuts qui lui
conféraient le prestige dans sa famille et il s'est trouvé privé de
ses "ancrages", extérieurs à la maisonnée, qui lui
donnaient
l'autorité à l'intérieur,de celle-ci.
Pour les femmes, les choses se passèrent autrement. Elles
n'avaient souvent, dans la société ancienne, qu'un statut
modeste, mais elles étaient souveraines dans la maisonnée qui
était leur ancrage et leur source de prestige. Or l'enceinte du fare
et les structures familiales dont elles se posaient en gardiennes,
étaient moins vulnérables aux pressions nouvelles que les
domaines extérieurs masculins, politiques ou religieux. Les
femmes ont pu ainsi mieux que les hommes, garder leur équilibre
et grâce à leur base sécurisante de la maisonnée, leur domaine,
elles ont su affronter sans heurts les exigences et les problèmes
de la nouvelle société ; ce qui n'est pas le cas pour l'homme qui
rentre fréquemment en conflit avec une société à laquelle il n'a
pu s'adapter.
Voyons maintenant ce qui se produit au niveau de la trans¬
mission des traditions. Dans le domaine de l'éducation, le
système traditionnel qui veut encore que les filles gravitent
autour de la maison jusqu'à un âge avancé, permet aux femmes
de leur transmettre les structures de personnalité et les modèles
de pensée dans lesquels elles ont, elles-mêmes, été élevées5. Pour
les garçons, il n'en va pas de même. Privés de l'encadrement
paternel et vivant traditionnellement hors de la maison dès leur
(5). E. Beaglehole, 1957,
p.
254.
Société des
Études
Océaniennes
581
jeune âge, ils
trouvent rapidement livrés à eux mêmes et
raison de leur inadaptation à la société moderne
qui les entoure, et à laquelle ils n'ont pas été préparés. Les
modèles de pensée masculins se transmettent
pourtant entre les
différents membres de la même classe d'âge mais leur assimi¬
lation dépend de la personnalité de chacun.
Au niveau des activités et des techniques, on suit le même
schéma. La femme, restant la plus grande partie du
temps dans
la maisonnée, a la possibilité de conserver et de transmettre à ses
filles, les techniques féminines traditionnelles. De plus, grâce à
certains facteurs nouveaux de la société
actuelle, tel que le
dévalorisés
se
en
tourisme, elle a l'occasion aujourd'hui de développer ses activités
artisanales, comme le tressage, de façon rentable ; cela offre un
double avantage, puisqu'elle peut, tout en se
procurant de
l'argent nécessaire à la maisonnée, perpétuer une activité
typiquement tahitienne tout en ne sortant pas de son cadre
traditionnel.
L'homme peut aussi avoir le moyen de
développer ses tech¬
niques traditionnelles de pêche et de culture ; malheureusement
les investissements nécessaires aujourd'hui pour rentabiliser ces
domaines dépassent largement ses possibilités financières et il
ne lui reste guère comme solution
que des emplois, non qualifiés,
de manœuvre, où non seulement il perd son statut et son
identité,
mais laisse aussi échapper l'occasion de transmettre à ses fils ses
connaissances, puisqu'il demeure absent de la maisonnée une
grande partie du temps.
Faire le point sur les changements culturels intervenus dans
une société, au cours d'une
période inachevée de mutation, en
l'occurence celle de l'après-C.E.P., reste malgré tout insatis¬
faisant. Il faudrait au moins que la génération post-C.E.P. soit
devenue adulte pour tirer des conclusions définitives et savoir si
la culture néo-polynésienne, qui subsiste encore aujourd'hui,
pourra résister à ce dernier assaut de l'occidentalisation.
La maisonnée globale, dans la mesure où elle continue
d'exister, apparaît comme un atelier de reproduction culturelle
dont la mère est la cheville centrale. Mais combien de temps
encore les valeurs familiales résisteront-elles à la
pression des
modèles occidentaux ? La génération actuelle des jeunes
compromet fortement la continuité de la famille traditionnelle
tahitienne : elle se désintéresse des activités anciennes et cesse,
dans la mesure où elle le peut, de résider dans l'enceinte familiale
vivre dans des unités résidentielles réduites ; elle éduque ses
beaucoup de jeunes Demis
parlent aujourd'hui mieux le français que le tahitien. L'éco¬
nomie des jeunes ménages est basée sur les salaires de l'homme
et de la femme, tandis que la pêche est devenue un passe
temps.
Les vieillards ne sont plus écoutés et ils ne transmettent plus les
anciennes légendes, de peur que la génération actuelle ne les
pour
enfants dans la langue française, et
Société des
Études
Océaniennes
582
considère comme un tissu de "mensonges", et ne se moque d'eux.
La dislocation géographique de la famille, due à la recherche
d'emplois salariés, entraîne celle des liens de parenté : non
seulement les relations entre générations sont modifiées mais les
degrés de parenté avec les feti'i éloignés perdent de leur
précision. La connaissance des généalogies et des légendes
familiales est de plus en plus rare dans la génération actuelle des
adultes et parfaitement ignorée des jeunes qui comprennent mal
le langage utilisé par les vieux lorsqu'ils y font allusion. En
résumé la jeune génération Tahitienne souhaite vivre à l'euro¬
péenne et elle ne conserve certains aspects de la tradition, que
dans la mesure où elle n'a pas encore la possibilité matérielle de
s'en défaire, ou bien par folklore familial.
Le processus de iidémificatiorin continue et les familles,
encore peu métissées, le deviennent de plus en plus. Ainsi Maire
qui représentait un exemple assez typique de jeune femme
tahitienne, notamment en ce qui concernait son attitude à
l'égard des hommes, s'est récemment mariée avec un popa'a et
est partie vivre en France. Tout ce que, nous avons dit d'elle est, à
la fin de l'enquête, déjà périmé. Et nous avons vu que comme elle,
la plupart des jeunes tahitiennes rêvent d'épouser des Français
des Américains.
Pour l'instant, le groupe
ou
ma'ohi vit encore légèrement en
de la société moderne et garde de nombreux éléments de la
tradition, mais qu'adviendra-t-il à la génération suivante,
lorsque le groupe des vrais "Tahitiens" sera devenu une infime
minorité et que les futurs Demis n'auront pas connu la société
polynésienne de l'avant-C.E.P. ? Ils ne pourront transmettre les
modèles culturels à leurs enfants. L'économie du territoire,
entièrement occidentalisée, ne pourra sans doute plus accepter la
survivance d'une économie semi-traditionnelle qui la ralentira.
Et que conserveront les Demis de leurs traditions, à part
quelques spectacles folkloriques pour égayer les touristes ? On
peut d'ailleurs douter aujourd'hui de la confiance qu'ils mettent
dans l'établissement futur d'une société tahitienne indépen¬
dante, originale et héritée de la tradition, lorsqu'on constate que
leurs aspirations restent, dans presque tous les domaines,
marge
essentiellement orientées
vers
les modèle américains.
Si la société tahitienne est capable d'autres reconstructions,
faudrait-il qu'elle n'eut pas oublié complètement ses bases
traditionnelles.
encore
C. Langevin-Duval
Société des
Études
Océaniennes
583
Une année de recueil de traditions orales
en
Polynésie Française
Ce rapport rend compte de 12 mois de recherche
(Oct. 77-Oct. 78)
par Heipua BORDES et Dany CARLSON sur les "parau tumu
fenua" en Polynésie Française.
effectué
1.
-
Pourquoi recueillir les traditions orales Polynésiennes ?
1.1 La culture Polynésienne doit être préservée. En effet
chaque
être humain éprouve le besoin de se rattacher à un
groupe culturel, de
savoir d'où il vient. Tout comme l'arbre
grandit lorsque ses racines sont
bien fixées au sol, l'être humain a besoin de connaître son
passé
s'épanouir.
La culture est
une
source
pour
où l'homme apaise sa soif et puise de
l'énergie. Depuis deux siècles, le coca-cola et la limonade ont détourné
les Polynésiens de la source d'eau claire qui, faute de
soins, commence à
se tarir. Il s'agit aujourd'hui de retrouver cette eau
pour s'en nourrir et de
l'entretenir pour laisser aux générations futures la possibilité de s'y
abreuver.
1.2 La tradition orale, qui constitue un élément de la culture
polynésienne est fragile. Notre génération est probablement la dernière
qui ait la possibilité d'en recueillir et d'en apprendre le contenu de
manière traditionnelle. Nos enfants, s'ils veulent dans vingt ans connaître
leur civilisation, ne pourront avoir recours qu'aux livres, films, TV etc...
Si notre tradition orale n'est pas enregistrée maintenant,
beaucoup
de connaissances précieuses, accumulées et transmises pendant des
siècles d'observations minutieuses, tant en botanique qu'en zoologie
par
exemple, seront perdues à jamais. En effet, les détenteurs de ce savoir
sont maintenant des personnes âgées qui ne trouvent personne dans leur
entourage pour en assumer la transmission.
La tradition orale raconte l'histoire
vue
et sentie de
l'intérieur
avec
la
langue et l'échelle de valeurs propres aux Polynésiens. Ce patrimoine
s'appauvrit avec le temps et il est urgent d'en fixer le contenu.
Société des
Études
Océaniennes
584
2.
-
Essai de définition
Les "parau tumu fenua",
littéralement paroles originelles de la terre,
connaissance, la philosophie Polynésie et
sont contenues dans les mythes, légendes, contes, narrations histo¬
riques, incantations, prières, chants. Elles ne représentent qu'une partie
des connaissances que les Polynésiens ont jugé nécessaire de
transmettre de génération en génération. Ils distinguaient en effet
plusieurs "tahu'a" spécialisés chacun dans un domaine bien délimité :
ainsi le "tahu'a raau" ou guérisseur, le "tahu'a nanao" ou tatoueur, le
"tahu'a vaa" ou constructeur de pirogues etc... Les spécialistes de cette
branche particulière de savoir s'appellent "tahu'a parau tumu fenua",
sont des maximes reflétant la
"iato'ai"
ou
"orero".
Ce savoir
qui l'orateur
se
se
transmet
lentement, à
un
auditoire sélectionné
envers
sent lié. Si le thème englobe souvent des récits à l'échelle
de
plusieurs archipels, il se plait aussi à détailler chaque trait physique,
géographique et sociologique de chaque micro-environnement du
district.
Pour que le recueil de ce savoir soit fait de manière efficace, il faut
donc tenir compte de ces caractéristiques et utiliser des méthodes
d'approche appropriées.
3.
-
Méthodes utilisées
:
Dans un carnet sont notés, au fur et à mesure que des nouveaux
renseignements sont obtenus, les noms et adresses des orateurs ainsi
que les thèmes qu'ils connaissent. Le travail de préparation consiste
aussi à réunir tous les éléments de documentation possibles des livres et
publications de l'ORSTOM, de la Société des Études Océaniennes, du
Bishop Museum etc..., des cahiers de famille ou "puta tupuna", des
cartes et des renseignements oraux. Il s'agit aussi de mémoriser le
maximum de noms propres relatifs aux thèmes qui vont être enregistrés.
Ainsi la pirogue ou la lance d'un guerrier célèbre porte un nom propre.
3.1 Les rapports entre l'orateur et les chercheuses
L'orateur est une personnalité du district ou de l'île et est respecté et
vénéré par la population. Il convient de l'approcher selon les formes de
politesse traditionnelle et de présenter
l'orateur de situer
ses
sa
interlocutrices. Il est
généalogie pour permettre à
indispensable de bien parler la
langue tahitienne.
Il faut aussi lui expliquer la nécessité d'enregistrer non seulement
savoir mais aussi sa voix et sa diction et le rassurer sur la
conservation et la rediffusion des enregistrements. Vingt sept orateurs
ont été sollicités et aucun n'a jamais refusé de transmettre ses
connaissances.
son
Le lieu et l'heure de l'enregistrement sont laissés au choix de
l'orateur. S'il habite un quartier bruyant, il est invité soit au Musée de
Tahiti et des Iles, soit au domicile des
chercheuses, soit chez un ami
Société des
Études
Océaniennes
585
commun.
Les soirées et les dimanches après-midi sont en
général les
l'orateur est disponible. Certains orateurs aiment
moments où
s'exprimer devant
auditoire conséquent, d'autres préfèrent
témoin. Des renseignements biographiques
sont obtenus de l'orateur et des
photos sont prises de lui. Il n'est jamais
remercié en espèces mais des présents en nature
appropriés lui sont
offerts.
un
transmettre leur savoir
sans
3.2 La qualité de l'enregistrement
Il s'agit d'obtenir le document le plus complet possible. L'orateur
déclame, s'arrête, réfléchit et reprend son récit sans que l'enregistreur
soit arrêté. Les noms propres sont répétés lentement et à haute voix
par
les chercheuses pour être sûres de pouvoir les transcrire. Il est demandé
à l'orateur de redire les chants et mélopées
qu'il récite. Des précisions et
questions judicieuses sont posées lorsque l'orateur a terminé un thème.
En fin d'interview, une série de questions
types, telles que l'origine et la
signification de certains noms propres, est également demandée à
l'orateur. La durée de l'interview dépend de l'étendue du savoir de
l'orateur mais ne dépasse jamais trois heures d'affilée. D'autres séances
sont alors programmées.
Il est nécessaire, pour une meilleure compréhension du
récit, et
l'orateur le suggère presque toujours, de se rendre avec lui sur les lieux
mêmes où se sont déroulés les faits qu'il rapporte et d'en ramener une
carte sommaire ou des photos.
Certains enregistrements ont été réalisés dans des conditions
complètement différentes, en l'occurence à l'occasion de fêtes telles que
mariage, inauguration de temple, arrivée de course de pirogue etc... Si le
document sonore perd en netteté d'écoute, il est enrichi
par les répliques
et appréciations de l'auditoire.
3.3 La conservation et l'analyse des données
Un double du document sonore est effectué et conservé au Musée
de Tahiti et des Iles. La transcription littérale en document écrit brut est
ensuite réalisée.
Après avoir parfaitement saisi les nuances du discours et obtenu des
éléments complémentaires ainsi que d'autres versions du même
récit, il
s'agit alors d'essayer d'en comprendre les divers
messages,
de chercher
le fil conducteur de l'histoire et d'établir des liens avec la
représentation
que les Polynésiens se font du réel. Les discussions au sein de l'équipe de
recueil sont alors primordiales.
3.4 La diffusion des "parau tumu fenua"
Il s'est révélé nécessaire d'utiliser différents média pour toucher les
différentes couches de population. Ainsi, s'il a été possible de sensibiliser
les enfants des écoles primaires et secondaires de Afaahiti aux
légendes
de leur district par la remise aux institutrices concernées des
informations recueillies à ce sujet, il a fallu utiliser une pièce de théâtre
"Ariipaea Vahine"
pour
toucher les adolescents déracinés. La
Société des
Études
Océaniennes
586
redistribution des connaissances relatives au district de Toahotu s'est fait
de manière plus traditionnelle par une contribution à la compostion du
"himene tarava" présenté par ce district aux fêtes de Juillet 1978. Une
série d'émissions de radio est prévue pour faire connaître aux adultes des
îles les "parau tumu ferma". Cinq récits complets ont été rédigés,
traduits en français et en anglais et annotés d'explications de textes. S'ils
sont
publiés, ils permettront aux personnes familiarisées avec la lecture,
quelques facettes de la culture polynésienne.
de connaître
4.
-
Avenir de l'opération
Le programme des enregistrements se poursuivra et les
seront conservées et classées au Musée de Tahiti et des Iles.
bandes
Des contacts seront pris avec FR3 pour programmer une série
d'émissions bi-mensuelle cm hebdomadaire. Il est également prévu
d'informer les élèves de l'École Normale des possibilités d'utiliser les
matériaux déjà récoltés et de les familiariser avec les méthodes
d'enregistrement de manière à
ce qu'ils puissent eux-même recueillir et
transmettre à leurs élèves des éléments de tradition orale polynésienne.
Société des
Études
Océaniennes
587
Un suédois à Huahine
Anders Sparrman, botaniste suédois (1748-1820) se trouvait au Cap
de Bonne-Espérance, lorsque Cook entreprenant son deuxième voyage
fit escale et le savant
joignit à l'expédition.
publié très tardivement, et en suédois, fut
longtemps méconnu. Une édition anglaise a finalement vu le jour, mais
en 1939, M. Bjarne Kroepelien avait déjà traduit en français des extraits
de ce voyage, qui furent publiés dans un ouvrage, au tirage limité, et
y
Le récit de
devenu
assez
son
se
voyage
rare.
Nous quittâmes Otaheite le 1er Septembre 1773 en mettant le cap vers
des îles de la Société appelée Huaheine, qui se trouvait à vingt-cinq
lieues d'Otaheite et que le Capitaine Cook découvrit lors de son premier
une
voyage.
Le 3 Septembre, au grand matin, le capitaine conduisait heureusement
la "Resolution" de l'ancrage d'Owharre à Uliatea. C'était une opération
difficile : la passe dans le récif de corail avait trois cent mètres de long
largeur de seulement cent mètres ; nous fûmes obligés de
louvoyer sept fois, avec des interruptions de quatre à cinq minutes, pour
y parvenir. Quant à l'"Adventure", elle louvoya une fois trop tard et se
pencha de toute sa longueur sur le récif, restant dans cette position
jusqu'à ce que les voiles fussent pleines, à temps néanmoins pour que le
bateau soit sauvé sans dégâts.
pour une
L'île Huaheine n'a que sept à huit lieues de large ; ses montagnes sont
hautes, ses vallées moins larges et les plaines moins vastes qu'à
moins
Otaheite, à quoi elle ressemble
par
ailleurs.
Le soir et
pendant la nuit précédant notre mouillage, nous entendions
déjà à quelque distance de la terre, le grognement des cochons et le
chant des coqs ; pour l'équipage, c'étaient des cris prometteurs de
viande fraîche. Il ne se trompait pas, et nous pûmes en obtenir de bien
plus grandes provisions qu'à Otaheite. Des grasses volailles se trouvaient
ici en abondance, tandis qu'à Otaheite on en voyait à peine une paire par
çi par là, encore les indigènes ne consentaient-ils pas à les vendre, non
plus que les œufs. Pendant les trois jours de notre séjour à Huaheine,
Société des
Études
Océaniennes
588
nous achetâmes, rien qu'à bord de la "Resolution" deux cent neuf
cochons, trente chiens et cinquante poulets et nous avions pu nous
approvisionner davantage, si nos besoins avaient été plus considérables
et si nous avions pu trouver plus de place pour loger les vivres.
L'avantage, à ce point de vue, que possède Huaheine sur Otaheite,
s'explique par les guerres désastreuses qui ravagèrent Otaheite, et aussi
par la sagesse des chefs de Huaheine qui ne pensèrent pas exclusive¬
ment à leurs affaires, mais songèrent aussi à leurs sujets. Nous
trouvâmes ici de tout jeunes fruits de l'arbre à pain, à peine gros comme
des pommes, mais qui devinrent en quatre mois gros comme des têtes et
parfaitement mûrs. Le bananier ne pousse pas dans cette baie, mais on
fait venir des bananes d'une autre partie de l'île. Les habitants
ressemblent en toutes choses aux tahitiens, hormis qu'ils ne paraissent
pas aussi curieux, aussi craintifs et disposés à mendier. Les femmes sont
également bien plus modestes à Huaheine qu'à Otaheite.
Le lendemain de notre arrivée, nous allâmes par mer au district
qu'habitait le chef,
ou
Eridehaj. Les deux indigènes qui accompagnaient
le bateau évitèrent d'accoster jusqu'à ce qu'ils eussent trouvé quelques
feuilles de bananier, sur lesquelles ils demandèrent aux anglais de placer
leurs cadeaux. On nous conseilla aussi de dire, en présentant les
premiers cadeaux : "No t'Eatua" — "pour la divinité" ; et en présentant le
deuxième lot : "Na te tayo no Tute no Ori" — "De l'ami Cook à Ori".
Réciproquement, on nous offrit cinq branches de bananier, chacune
accompagnée d'une salutation ou d'une épigraphe, soit : 1°. "De Tari"
qui était le roi âgé de sept ans. 2°. "No t'Eatua" : "Pour la divinité". 3°.
"No te toimu" : "Pour vous souhaiter la bienvenue". Ces trois formules
furent toutes les trois accompagnées de l'offrande d'un cochon. La
quatrième formule
:
"Tura" qui signifie "la corde", était accompagnée
d'un chien. Mais nous ne pûmes nous en expliquer le sens. Le cinquième
d'un chien. Mais nous ne pûmes nous en expliquer le sens. Le
d'un chien. Mais nous ne pûmes nous en expliquer le sens. La cinquième
d'un chien. Mais nous ne pûmes nous en expliquer le sens. La
cinquième : "No te tayo Ori no Tute" — "De l'ami Ori à Cook" était
accompagnée d'un cochon. Pour montrer que l'ami Ori avait conservé le
souvenir de l'ami Cook, celui-ci nous montrait qu'il avait bien gardé la
bourse contenant la plaque sur laquelle était gravée une inscription,
disant que le lieutenant Cook était passé par ici le 16 Juillet 1769. Quand
ces cérémonies furent
terminées, le vieux régent embrassa le Capitaine
Cook en pleurant des larmes de joie et d'amitié. Il exprimait ainsi des
sentiments bien plus profonds que ceux qu'il pouvait manifester par des
cadeaux de cochons ou de chiens. Puis on échangea des présents sans
aucun cérémonial. Ori promit de nous fournir des
provisions pendant
séjour. Il tint parfaitement sa parole et envoya même pour notre
table des fruits de l'arbre à pain et des racines déjà cuites. Comme nous
prenions le chemin par terre pour aller à la résidence d'Ori, le fils de
Monsieur Forster et moi, nous notâmes un procédé domestique pour
notre
engraisser les cochons
un
bon
morceau
avec une
espèce de pâte appelée mahe
: on
tenait
de porc devant le cochon, et quand celui-ci ouvrait
Société des
Études
Océaniennes
589
grande sa gueule pour prendre ce qu'on lui offrait, on la lui
remplissait avec du mahe, puis on lui tenait la gueule fermée jusqu'à ce
qu'il eut avalé sa nourriture.
toute
Des petits oiseaux - alcedines - et des petits
hérons, qui avaient
l'habitude de se tenir près des cimetières sacrés, étaient appelés par les
indigènes Eatua, ce qui indiquait qu'ils avaient à faire avec les morts et
avec les dieux ; bon nombre d'indigènes étaient fort
supersticieux à leur
égard, comme on l'est en Europe pour les cigognes et les hirondelles, et
pensaient que cela leur porterait malheur de les troubler. J'ai vu,
cependant, des petits oiseaux sortant des cadavres, où ils avaient
probablement été chercher des vers, mais malgré de semblables visites,
les indigènes tiennent ces oiseaux en grande vénération.
Le 5, Ori et un de ses jeunes fils vinrent à bord et on leur offrit comme
distraction une audition delà cornemuse écossaise. Ce jour-là, je fis une
longue excursion vers le nord de l'île, qui est plus plate que les autres
parties. J'y découvris un certain nombre de plantes que nous n'avions
pas encore rencontrées pendant notre voyage, mais que je connaissais
comme poussant aux Indes. Je vis aussi une
espèce d'étang. Il avait
quelques milles de longueur ; ses eaux étaient saumâtres et, à cause du
peu de courant, assez puantes. Un indigène qui portait mes plantes en se
disant mon tayo — mon ami et mon guide — se montra bon et honnête.
Quand je m'asseyais à terre pour examiner quelque plante ou pour
manger en hâte mon repas, il se mettait derrière moi pour défendre mes
poches contre les larcins de ses compatriotes. Sans cet ami, et si je
n'avais pas apporté avec moi un fusil de chasse au bout duquel j'avais
attaché un couteau à baïonette, je n'aurais pas pu maintenir les indigènes
à une distance suffisante, car ils étaient assez agressifs et je ne
pas assez leur langue pour saisir le sens de ce qu'ils disaient.
querellaient mon tayo parce qu'il défendait mes poches. Mon ami
porta mes plantes pendant mon retour et rentra avec moi à bord du
bateau, où je le recompensai de ses peines. Le lendemain matin, quand
j'eus terminé l'examen et la description des collections recueillies la veille,
je retournai à terre avec l'intention d'aller le long d'une baie assez large
jusqu'à un grand arbre qui, de loin, et parce que les extrémités de ses
branches étaient d'un blanc neigeux, ressemblait à un merisier. Cet arbre
appartenait à la nouvelle espèce à laquelle nous avons donné le nom
comprenais
Ils
d'Alevrites dans "La Nova Genera" de Forster. Comme le chemin qui
faisait le tour de la baie était plus long, en réalité, qu'il ne le paraissait vu
du bateau, et aussi parce que les deux Messieurs Forster n'étaient pas de
bien fameux marcheurs, — le père par suite de son âge et le fils à cause
d'un tempérament affaibli par un travail trop sédentaire —, nous
décidâmes que j'irais seul jusqu'à l'arbre, tandis que les autres resteraient
au marché pour se renseigner sur la langue et les coutumes" du
pays.
Deux indigènes qui se disaient mes tayos promirent de venir avec moi. Je
n'avais pas pris d'arme à feu avec moi ce jour là, mais étais simplement
armé d'un couteau de chasse, d'ailleurs plutôt comme parure que
comme défense. Mon costume se composait d'une chemise,
d'un
Société des
Études
Océaniennes
590
chapeau, d'un pantalon et d'une veste en soie noire, qui jouait un grand
rôle quand mes guides parlaient de mon ahu, — mon costume —, et qui
les tentait surtout. Mes deux tayos se révélèrent bientôt deux
garnements et, dès que nous fûmes à quelques milles de marche et hors
de vue des habitations indigènes, ils se jetèrent sur moi en disant que
j'étais leur tayo maytaj ou bon ami. L'un d'eux m'arracha tout de suite
mon couteau de chasse et le ceinturon que j'avais autour de la taille et, à
peine avais-je pu libérer ma gorge des mains de l'autre qui était sur le
point de m'étrangler, que je reçus un coup sur la tête avec mon propre
couteau, ce qui me fit voir trente six chandelles et tomber par terre sur le
côté. Les deux brigands mirent à profit cet instant et se jetèrent de
nouveau tous les deux sur moi, alors que j'essayais de me relever. Ils me
saisirent par la veste qui se déchira complètement dans le dos, pendant
que de mon mieux j'essayais de leur donner des coups de poing dans le
ventre.
Je tâchai de trouver quelques cailloux, mais n'en vis aucun. Je feignis
cependant d'en avoir quelques uns et de les leur lancer. Ils se retirèrent
alors, pendant que je me dirigeais vers la plage. Quand ils se rendirent
compte que je n'avais rien dans les mains, ils me poursuivirent avec le
couteau tiré. Je cherchai alors mon salut dans la fuite et, d'abord, il me
sembla que j'y réussirais, mais je me trouvai bientôt hors de la piste et ma
course fut gênée par des Convalvuli Brasilienses. Je pris alors le parti de
m'arrêter et le fis tellement près de celui qui portait le couteau, qu'il lui fut
impossible de me donner autre chose que quelques légers coups sur la
tête et sur l'épaule. Malheureusement l'autre brigand réussit à me
prendre par la chemise, qu'il tâcha de m'enlever par-dessus la tête et les
bras. Il ne réussit pas à me l'arracher, tellement les boutons des poignets
étaient solides. Quoique ma situation eut, au début, quelque chose
d'assez drôle, il me vint en tête l'idée pénible que le brigant qui avait le
d'assez drôle, il me vint en tête l'idée pénible que le brigand qui avait le
sabre pourrait bien essayer de me couper les deux bras pour obtenir ma
chemise. Je lui adressai alors quelques paroles amicale : "area tayo eaha
te matte", ce qui veut dire dans leur langue : "attendez, mon ami, et ne
me tuez pas". Je portai la main gauche à la boutonnière et déboutonnai le
poignet ; après quoi je fis la même chose avec le poignet droit.
Débarrassé de ma chemise, j'attaquai celui qui avait le sabre, en me
mettant très près de son bras droit pour l'empêcher de me porter des
coups. Il prit alors la fuite avec son butin, suivi de près par l'autre brigand
qui avait aussi tenté d'arracher mon pantalon. Je m'efforçai de retrouver
la piste et quand je trouvai quelques cailloux, j'en pris un dans chaque
main, comme arme. Cependant les brigands s'encourageaient mutuel¬
lement à renouveler leur attaque, mais ils reculèrent en voyant les
cailloux que j'avais dans les mains ; peu après, je parvins à quelques
habitations indigènes. On fut très effrayé en me voyant à moitié nu et
saignant. Les gens supposaient probablement que mon intention allait
être de prendre une revanche, sur eux, des torts que j'avais subis. Tous
se sauvèrent alors, pleurant
et gémissant, sauf un jeune homme et un
vieillard qui parurent très touchés. Le dernier ôtait un manteau pour en
couvrir mon corps nu. Ils avaient eux-mêmes grand peur que les
Société des
Études
Océaniennes
591
brigands
reviennent. Quand, rouge de courroux et hors d'haleine, je
marché dans le costume ci-dessus mentionné, je vis plusieurs
de mes amis pâlir à mon aspect. Je leur fis
comprendre qu'il fallait
considérer mon aventure comme une insulte grave, mais que je ne
ressentais aucune douleur des coups reçus. Mon microscope
était la
seule chose dont je regrettais vraiment la
perte ; et ce qui me gênait le
plus, c'était de m'en retourner avec un seul soulier, car dans le combat
avec mes deux ennemis, l'empeigne d'une de mes chaussures s'était
complètement détachée.
Alors seulement, j'appris qu'un nommé Tubaj était probablement l'un
de mes agresseurs, qui sans doute avait voulu se
venger de ses massues
brisées et de son expulsion du marché à cause de son humeur
parvins
ne
au
belliqueuse.
J'avais
d'autant moins peur d'entreprendre tout seul cette
expédition botanique si malencontreuse, que le Capitaine Cook nous
avait souvent dit que les Iles de la Société étaient aussi paisibles et aussi
sûres qu'Otaheite. Confiant en ces dires, j'avais, la veille, erré
longuement sur la pointe nord de Huaheine. Le capitaine lui-même ne
commença à se méfier qu'au moment où Tubaj devint agressif et ce n'est
qu'alors qu'il appela quelques soldats de l'infanterie de marine pour
protéger le marché.
S'il faut croire
selon ce qu'en a dit Monsieur Cook - que mon
excursion botanique solitaire était imprudente, il faut donner la même
qualification à maintes sorties de même ordre, qui eurent lieu pendant le
voyage. A la Nouvelle-Zélande, et ailleurs, nous eûmes à recueillir des
plantes, en étant entourés par des centaines de sauvages, et notre travail
était alors presque comparable à celui qui consiste à tirer des braises
d'un feu ardent. Ma seule imprudence fut de permettre à nos deux
prétendus tayo de s'approcher si près de ma personne qu'il leur fut
possible de me désarmer. J'aurais dû également avoir un couteau à part,
dans une des poches de mon pantalon. Il me semble du reste que j'eus
quelque chance dans mon malheur, car si mes adversaires avaient eu
l'habitude de se servir de l'arme qu'ils m'avaient prise et s'ils avaient mis à
profit leur grande force, je n'aurais pas pu m'en tirer vivant. Ce qui
m'aveugla surtout sur les intentions de mes compagnons, c'est que
j'avais reconnu à son corps massif et à ses jambes gonflées, un de ceux
qui étaient venus à notre bord, deux jours plus tôt, en compagnie d'un
chef : il s'était assis, à cette occasion, derrière ma chaise et je lui avais
donné à maintes reprises de bons morceaux de porc.
eu
-
Il semble que l'annonce de ma mésaventure ait été connue par les
indigènes du marché avant que je n'y arrivasse moi-même ; car ceux qui
s'y trouvaient avaient déjà commencé de disparaître. Nous nous
dépêchâmes tous de rentrer à bord pour mieux nous armer ; et après
que j'eus changé de costume, je retournai à terre, en compagnie des
Messieurs Forster et du Capitaine Cook, pour porter plainte de
l'aventure chez le vieux régent Ori.
Ori et toute sa cour se montrèrent consternés et manifestèrent leur
embarras par des pleurs. Puis on nous apporta des porcs en signe de
réconciliation. Nous nous refusâmes à les accepter. Mais nous vîmes
Société des
Études
Océaniennes
592
d'un bon œil la proposition qu'on nous fit d'aller avec nous en bateau
jusqu'au lieu de l'attaque. Cette proposition d'Ori fit verser des pleurs à
une cinquantaine de ses courtisans. Quelques uns craignaient sans doute
pour la sécurité de leur chef ; les larmes des autres étaient probablement
de pure étiquette et dans le désir de sauver la face, car ils essayaient en
même temps de l'empêcher dans son entreprise. A toutes ces objections,
même temps de l'empêcher dans son entreprise. A toutes ces objections,
Ori répondait assez fermement que, puisqu'il était absolument innocent
dans l'affaire, il n'avait rien à craindre.
Notre voyage ne servit de rien, car nos gaillards avaient naturellement
été trop lâches, pour nous attendre sur le terrain. On nous dit même
qu'ils avaient pris la fuite vers une autre île. Nous retournâmes alors à
bord pour dîner et Ori nous accompagna. Cette décision coûta de
nouvelles larmes à sa vieille femme, et sa jeune et belle fille commençait à
se taillader le front avec des coquillages pointus pour le faire saigner,
quand sa mère l'en empêcha. La vieille et Ori nous accompagnèrent à
bord, et là ce dernier fit honneur à notre dîner et mangea de fort bon
appétit. Sa femme, au contraire, jeûna, car, selon les coutumes du pays,
une femme ne doit pas manger en
compagnie des hommes.
Après le repas, nous reconduisîmes Ori à sa cour où il était attendu
par une foule considérable de notables, dont plusieurs se mirent à
pleurer. Somme toute, ce peuple nous donna maints signes indiscutables
de gentillesse, de bonté, de douceur et de bienveillance, et je suis
d'accord avec Monsieur Forster quand il dit que dans ces îles, la
proportion des braves gens par rapport aux coquins est plus forte qu'en
Angleterre, ou que dans les autres pays également civilisés. L'ordre
régna bientôt de nouveau et le commerce reprit son ancien cours. Vers
le soir, un envoyé d'Ori nous apporta mon sabre, - moins le ceinturon, et un quart de ma veste.
Le 7 Septembre, de très bonne heure, le capitaine débarqua pour
prendre congé d'Ori, le régent, et lui remettre la bourse dont j'ai déjà
parlé, qui contenait des médailles et des plaquettes où étaient gravées
des inscriptions concernant le voyage. Au dernier moment, alors que
nous avions déjà hissé les voiles sur le bateau, Ori arriva dans une
petite
pirogue. Il nous sembla qu'il disait que les deux malfaiteurs avaient été
saisis, et qu'il nous invitait à venir à terre, pour assister à leur punition. En
partie parce que nous ne comprenions pas bien ce que disait Ori, - nous
avions d'abord pensé qu'il venait réclamer Omaj, un jeune indigène qui
était son sujet et avait obtenu du Capitaine Fourneaux la permission de
le suivre en Angleterre, - et en partie parce qu'on ne pouvait plus arrêter
les bateaux, nous quittâmes Huaheine où, pendant quelques jours, nous
avions pris des vivres frais et mîmes le cap vers l'île Rayetea - faussement
appelée Uliatea par le Capitaine Cook - où nous arrivâmes le lendemain 9
Septembre.
Ce fut au crépuscule que nous arrivâmes à Rayetea, le lendemain de
notre départ de Huaheine ; mais à cette heure tardive nous n'osâmes pas
même faire une tentative pour entrer dans la baie. Le récif nous était
signalé par les flambeaux des pêcheurs et, en attendant l'aube, nous
louvoyâmes toute la nuit pour l'éviter.
Société des
Études
Océaniennes
593
Les Tsunamis
en
Polynésie Française
Qu'elles soient lentes ou rapides, des montées anormales du
niveau de l'océan présentent, pour les habitants des îles et tout
spécialement des îles basses, de sérieux dangers. En dehors des
marées océaniques de très longues périodes, ces variations du
niveau de l'océan sont dues à des phénomènes
météorologiques,
dépression et action du vent sur la mer ou à des mouvements du
étudions, ici, les Tsunamis1 d'origine
sismique et non les raz-de-marée, improprement appelés "Tsu¬
namis", provoqués par les cyclones, (par exemple : Février 1878,
Janvier 1903, Mars 1905, Février 1906, pour ne citer que les
plus importants) ou les houles longues d'origine météorologique,
(par exemple : Janvier 1932, Décembre 1964, Décembre 1969,
Novembre 1970).
sol sous-marin. Nous
Parmi les
Tsunamis, donc nécessairement liés à des mouve¬
bouleversements du sol sous-marin, il faut distinguer
entre, les Tsunamis proprement dits et les "Lames de Fond"1.
Les premiers, qui ont pour origine des événements de forte
énergie, le plus souvent des séismes, se propagent sur de grandes
distances et concernent l'Océan Pacifique dans son ensemble. Ils
se traduisent par un train de vagues de grande
longueur d'onde,
ments
ou
correspondant à
une oscillation du niveau de l'océan à la période
de 15 à 20 minutes. Les "Lames de Fond", en fait de petits
Tsunamis, qui peuvent avoir
éboulements
pour
origine de petits séismes, des
les flancs des îles et des montagnes sousmarines, ou des glissements de terrain, sont caractérisées par
sur
ou plusieurs vagues de faible longueur
d'onde, dont
l'amplitude peut atteindre plusieurs mètres (6 à 8 mètres signalés
en Novembre 1977 aux îles Fidji). Elles mettent en jeu des
une
(1). D'après la classification des ondes de gravité océanique et, plus précisément, des ondes
vagues des Tsunamis sont des ondes solitaires. Les "Lames de Fond" aussi. En
raison de leur action différente, il nous a semblé important de distinguer entre, le train de
vagues de grande longueur d'onde que l'on appelle "Tsunami" et la vague unique de plus
faible longueur et énergie que l'on nommera "Lames de Fond". En réalité, la définition de
cette dernière appellation est assez imprécise et peut s'appliquer aux Tsunamis.
longues, les
Société des
Études
Océaniennes
594
énergies relativement modestes, s'amortissent rapidement et
n'ont d'effets qu'à proximité de leur épicentre.
Les "Lames de Fond" sont, heureusement, rares. Elles sont
dangereuses car, en premier lieu on ne peut pas les prévoir et, en
second lieu, leur faible longueur d'onde entraîne, nécessaire¬
ment, un déferlement sur les obstacles qu'elles rencontrent. Leur
origine reste, le plus souvent, inconnue2.
Dans la suite de cette note, nous ne traiterons que des
Tsunamis3 proprement dits, donc de forte énergie, et, pour ce qui
concerne les îles polynésiennes, d'origine lointaine. Il s'agit
d'une onde de gravité, de grande longueur d'onde, dont la
propagation peut être assimilée à celle d'une houle par petite
profondeur, c'est-à-dire, qu'elle intéresse toute la hauteur de
l'océan. La période d'un grand Tsunami est de l'ordre de 20
minutes ; par des fonds de 5.000 m sa vitesse, qui ne dépend que
de la profondeur de l'océan et de l'accélération de la pesanteur (V
v/ g h) est de 800 km/heure, ce qui correspond à une longueur
d'onde de 270 km. Son amplitude au large n'excède pas 1 à 2
mètres. A l'arrivée sur une côte, les fonds marins et, par
conséquent la vitesse et la longueur d'onde des vagues dimi¬
nuent, l'énçrgie se concentre dans un volume plus restreint, et
leur hauteur augmente proportionnellement.
=
Les violents tremblements de terre des
zones
de fracture et,
plus précisément des zones de subduction, qui bordent l'Océan
Pacifique sont, le plus souvent, à l'origine des grands Tsunamis.
(Figure 1 : Régions de l'Océan Pacifique habituellement géné¬
ratrices de Tsunami). La Polynésie, qui occupe une position
centrale, se trouve, dans presque tous les cas, sur leur passage.
On trouvera, sur le Tableau 1, la liste des grands Tsunamis
ayant ravagé, depuis un siècle et demi, les côtes de l'Océan
Pacifique. Tous ont dépassé l'amplitude de 4 mètres aux îles
Hawaii ; il est donc certain, compte tenu de leur origine, qu'ils ont
atteint les côtes des îles polynésiennes et provoqué des inon¬
dations et dégâts plus ou moins graves.
Comme aux îles Hawaii, le plus destructeur des cent dernières
années, et même au-delà, fut celui au 1er Avril 1946 ; viennent
ensuite ceux du 9 Mars 1957 et du 22 Mai 1960. Le Tsunami
d'Avril 1946, qui avait pour origine les îles Aléoutiennes, a eu des
effets marqués dans tous les archipels polynésiens ; il a provoqué
des dégâts très importants et entraîné mort d'homme aux îles
Marquises.
Il est prudent d'émettre des réserves
(2). Voir ANNEXE II
-
concernant les effets
"Quelques exemples de "Lames de Fond" observées
en mer
et à
terre".
(3). TSUNAMI
japonais internationalement adopté pour désigner les raz-de-marée,
d'origine sismique. Il est composé de "TSU" qui signifie BAIE et de "NAMI" qui veut dire
:
mot
ONDE.
Société des
Études
Océaniennes
595
prévisibles des Tsunamis sur les îles polynésiennes. D'après les
archives des Hawaii, nous connaissons les Tsunamis
qui se sont
produits depuis environ 1830. Durant ce siècle et demi, quatorze
raz-de-marée ont concerné l'ensemble du
Pacifique ; mais, en fait,
six seulement ont eu des effets marqués sur la
plupart de ses
côtes. L'un d'entre eux, celui du 1er Avril
1946, a surpassé les
autres, si l'on considère les destructions qu'il a provoqué, en
particulier aux îles Hawaii et en Polynésie. Or, rien dans l'état
actuel de nos connaissances, ne nous permet d'avancer
qu'il
s'agit là d'une limite supérieure qui ne peut être dépassée. Bien
au contraire,
plusieurs faits permettent de penser qu'un Tsunami
cataclysmique aurait ravagé la Polynésie à une époque relative¬
ment récente4. Si la probabilité pour qu'un événement semblable
se produise dans les prochaines années
est, heureusement, faible,
on ne peut totalement en écarter
l'éventualité. Nous devons, en
particulier, attirer l'attention sur les effets désastreux que
pourrait avoir, sur nos petites îles, un violent Tsunami en
provenance de la zone de subduction des Tonga/Kermadec, siège
de forts séismes et région pour laquelle la dispersion
géométrique
d'énergie à la surface du globe n'est pas favorable à la Polynésie.
Le paragraphe qui suit traite des effets des Tsunamis connus
et à venir d'énergie équivalente ; il ne saurait concerner des
événements exceptionnels dont nous n'avons pas d'exemple.
EFFETS DES TSUNAMIS EN POLYNÉSIE
-
-
A l'exception de l'arc insulaire des Tonga/Kermadec, la
Polynésie bénéficie, pour les régions du Pacifique habituellement
génératrices de tsunamis, de l'effet de divergence d'énergie à
partir de l'épicentre. (Diminution de la densité d'énergie par
unité de surface depuis l'épicentre jusqu'à une distance de 10.000
km). Par ailleurs, les pentes des côtes plongeant dans l'océan
sont importantes et souvent l'existence d'une barrière de récif, à
bonne distance du littoral, en atténue les effets. Ce talus escarpé
joint à la forme convexe arrondie des petites îles a tendance à
réfléchir et disperser l'énergie au lieu de la concentrer. Pour
toutes ces raisons, les Tsunamis ne peuvent avoir, en Polynésie,
des effets aussi destructeurs que, par exemple, aux îles Hawaii.
(Figure 3 : Hauteur en pieds au-dessus du niveau moyen des
basses eaux du tsunami de Mai 1960 dans l'île de Hawaii. Figure
4 idem
île de Oahu pour les Tsunamis de 1946 - 1952 - 1957 et
-
-
1960).
Dans la plupart des cas, le Tsunami se traduira par une
montée des eaux, sans vagues déferlantes, provoquant des
inondations de la plaine littorale. Une exception cependant, les
îles Marquises, où le phénomène est amplifié en raison de
(4). Voir ANNEXE I
:
"Éventualité d'un
Société des
Tsunami cataclysmique".
Études
Océaniennes
596
l'existence de baies et de vallées profondes ouvertes vers l'océan.
Sont données ci-dessous quelques généralités concernant
l'incidence de la configuration des côtes et du littoral des petites
îles polynésiennes. Les cas particuliers présentés par les
différents archipels seront ensuite évoqués.
Il faut considérer :
1
Les îles hautes avec barrière de récif (îles du Vent, îles
sous le Vent, Gambier).
2 - Les îles hautes sans barrière de récif. (îles Marquises)
3
Les atolls. (Tuamotu)
-
-
Deux des îles Australes peuvent être rattachées au groupe des
îles du Vent, les trois autres aux îles Marquises.
Comme déjà indiqué précédemment, à l'arrivée sur une côte, la
profondeur des fonds marins et, par conséquent, la vitesse et la
longueur d'onde du Tsunami diminuent et, suivant les lois de
conservation de l'énergie, l'amplitude de la vague augmente. La
seule caractéristique qui reste constante est la période.
A titre indicatif, voici les valeurs obtenues pour différentes
profondeurs, en prenant une période de houle de 20 minutes, et en
appliquant les relations :
V
=
V
g
(H + h)
et
=
H 2
V
=
g =
h
H
A
=
=
=
h 1
Longueur d'onde de la
ou
vague.
(Distance entre 2
2 creux)
h
H
m
km/H
m/s
km
5 000
1,0
1,25
1,5
1,8
4,0
5,6
7,1
800
222,140,99,70,15,3
10,4
9,5
267,168,119,84,18,3
12,5
11,4
500
20
5
2
4
Profondeur de l'océan.
Hauteur de la vague. (Creux à Crête)
m
1 000
-
Vitesse du Tsunami. (Onde de gravité)
Accélération de la pesanteur,
crêtes
2 000
)
(
C
504
356
252
55
38
34
A
Ces relations sont valables pour des fonds horizontaux. A
l'arrivée sur un talus, le phénomène est
complexe et sortirait du
cadre de cette étude. Disons simplement que, pour les petites îles
polynésiennes, les fortes pentes de la côte plongeant dans
l'océan font que la dimension horizontale du talus est
petite
devant la longueur d'onde de la vague incidente. Celle-ci ne
Société des
Études
Océaniennes
597
pourra pas se développer et atteindre de grandes amplitudes. La
réflexion sera importante, d'autant plus que la
pente est grande,
d'où une faible déperdition d'énergie.
Le cas des îles Hawaii est inverse, leurs très faibles
pentes,
leurs grandes dimensions, permettent aux vagues des Tsunamis
de prendre une ampleur considérable et des cambrures telles
que
le déferlement devient possible.
La forme et les irrégularités des côtes interviennent aussi sur
l'amplitude des Tsunamis ; une côte convexe, arrondie, aura
tendance à disperser l'énergie ; c'est le cas le plus fréquent
pour
les îles polynésiennes, au contraire des
Hawaii, dont les
côtes,
focalisent l'énergie.
Il existe aussi des phénomènes de seiches, c'est-à-dire de mise
en résonnance des baies ouvertes vers
l'océan, résonnance
excitée par le Tsunami. Les baies, de faible
profondeur, dont la
largeur va en diminuant régulièrement, sont très favorables au
développement de vagues de grande hauteur. C'est le cas de la
baie de Hilo (Hawaii) de 10 km de long et 15 km d'ouverture, dont
la profondeur décroît lentement depuis 80 m.
(Vagues de 11 à 12
m en 1946 et 1960). Là
encore, la Polynésie est favorisée car,
d'une part, en raison des fortes pentes, l'excitation des seiches est
faible et, d'autre part, il n'existe pas de grandes baies, celles des
Marquises et de Moorea restant relativement de petites
souvent concaves,
dimensions.
Dans le chapitre qui suit, nous considérerons la pente depuis
l'isobathe 500 m jusqu'à la surface. C'est cette partie haute du
talus qui définit l'amplitude du Tsunami sur la côte.
I
-
ILES HAUTES AVEC BARRIÈRE DE RÉCIF
Cette catégorie englobe
les Iles Gambier.
TAHITI et
les Iles du Vent, les Iles
PRESQU'ILE DE TAIARAPU
sous
le Vent et
:
La pente moyenne des côtes s'enfonçant dans l'océan est de
20% (12°), sauf sur la côte Ouest où elle atteint 40% (25°) et sur la
côte Nord où, en certains points, elle ne dépasse pas 10% (6°).
Une barrière de récif, située de 500 à 2.000 m du littoral le
protège efficacement. La barrière de récif n'existe pas au Nord de
l'île. Cette absence de récif, jointe à la relativement faible pente
de la côte, fait que des amplitudes importantes sont observées
dans les communes de Mahina, Tiarei et, surtout, Papenoo.
Le port de Papeete est efficacement protégé par une digue et
une barrière de récif ; l'excitation d'un phénomène de seiche de
grande amplitude y est peu probable en raison des dimensions
réduites de la passe, seule ouverture vers l'océan.
La Figure 5 donne les amplitudes observées à Tahiti lors du
Tsunami chilien de Mai 1960. Celui de l'Alaska en 1964 était
nettement plus faible. (Figure 6 : Alaska 1964 - Marégrammes de
Société des
Études
Océaniennes
598
Fare Ute et de la Baie de Matavai). Nous n'avons que peu de
renseignements sur le Tsunami des Aléoutiennes, en Avril 1946 ;
le plus important Tsunami du siècle. Il semble que les amplitudes
de 1960 aient été largement dépassées, entraînant des dégâts
importants à Papeete, sur la côte Nord et un peu partout dans
l'île. A Papeete (Patutoa) et Arue, plusieurs maisons du bord de
mer, construites en bois, ont été déplacées.
La carte de la Figure 5 montre clairement les points vulnérablés : Baie de Matavai, Pointe Vénus, Mahina, Papenoo,
Pointe de Maraa. L'examen des fonds marins à la périphérie de
l'île laisse envisager des amplitudes importantes sur la côte Nord
de Tahiti, pour un Tsunami en provenance de cette direction
(Aléoutiennes).
Un effet de focalisation pourrait aussi être favorisé par les
deux grandes baies du Nord-Est et Sud-Sud-Ouest, formées par la
jonction des édifices volcaniques de Tahiti et de la presqu'île de
Taiarapu. Mais, les pentes de ces côtes sont importantes. En
outre, il n'y a pas, dans le secteur Sud, de zone sismiquement très
active et, à l'exception de la côte Sud du, Mexique, les mécanismes
au foyer des séismes du continent Nord-Américain ne
sont,
généralement, pas favorables à la génération de grands
Tsunamis.
Le risque le plus grand, pour Tahiti et la presqu'île, reste donc
la côte Nord de Tahiti.
ILES du VENT
ILES
-
sous
le VENT
:
Pour les autres îles du Vent et les îles sous le Vent, les pentes
sont de l'ordre de 40% (25°) ; elles tombent exceptionnellement à
25% (15°). Dans tous les cas, un récif situé à 2.000 m et plus du
littoral absorbe la plus grande partie de l'énergie du Tsunami.
Comme pour le port de Papeete, les baies de Moorea ont une
ouverture vers l'océan de seulement 300 à 400 mètres.
D'une façon générale, les Tsunamis ont peu d'effets sur ces îles
bien protégées.
ILE de TUBUAI
-
(Archipel des Australes)
:
Pour le Tsunami de 1946, il semble que des amplitudes de
l'ordre de 1,50 m à 2 m aient été observées en quelques points de
l'île, entraînant des inondations de la plaine côtière. A Mataura,
mer a remonté le lit de la rivière sur
plus de 400 m.
la
ILES GAMBIER
:
Concernant les îles Gambier, nous n'avons pas de renseigne¬
sur la pente de la côte plongeant dans
l'océan, mais on
peut la supposer identique à celle des îles du Vent.
Elles sont bien protégées par un récif qui va du Nord au SudEst de l'île de Mangareva. Cependant toute la partie allant du
ments
Société des
Études
Océaniennes
599
Nord-Ouest
au
ouverte
l'océan.
vers
Sud,
en
passant
par
l'Ouest est directement
Le village de Rikitea, dans une baie limitée au Sud
par des
fonds très faibles et de tous les autres côtés, soit
par des
montagnes (Aukena, Mangareva), soit par le récif émergé de
Totegegie, est bien protégé. La situation de Taravai et Akamaru
est peu différente. Les îlots situés au Sud et l'île de
Agakauitai
sont
plus exposés.
Il semble que les effets du Tsunami chilien de Mai 1960 et de
celui de Mars 1964 en Alaska aient été peu
importants. Notons
cependant qu'une vague arrivant par la partie non protégée par
récif pourrait avoir des conséquences plus graves
; mais, il n'y
a pas, dans ce secteur Sud, de
régions habituellement généra¬
un
trices de Tsunamis.
II
-
ILES HAUTES SANS BARRIÈRE DE RÉCIF
Cette catégorie englobe les îles Marquises et trois des îles
Australes.
Pour les Marquises, la pente de la côte plongeant dans l'océan
est assez régulière, de l'ordre de 20% (12°). Bien que de
petites
dimensions, les baies sont largement ouvertes vers l'océan et ne
bénéficient d'aucune protection.
Les îles Marquises sont, avec la côte Nord de Tahiti, les sites
les plus exposés aux destructions causées par les Tsunamis. Des
amplitudes importantes, atteignant 3 à 5 m y ont été observées
le Tsunami chilien de Mai 1960, entraînant des dégâts
considérables, mais qui restent insignifiants si on les compare à
ceux provoqués, par le même Tsunami, aux îles Hawaii. Pour le
Tsunami de 1946, ces amplitudes ont largement été dépassées.
(Plus de 10 m en un point de la côte de Hane à Ua Uka). Il y a eu
deux morts par noyade dans la baie de Tahauku. Lors de ces
grands Tsunamis, la mer envahit le rivage et les plaines côtières
sur plusieurs centaines de mètres lorsque les altitudes sont
faibles. (Iles de Ua Uka et Nuku Hiva). Elle remonte le lit des
rivières et les vallées encaissées, parfois sur plusieurs kilomètres.
Le reflux, entraînant troncs d'arbres et débris divers provoque
alors les destructions les plus importantes (rivière Vai Tuhata et
Vai Pio dans la vallée de Atuona).
Nous ne pouvons, en quelques lignes, traiter des effets des
Tsunamis sur les îles Marquises. En raison de leur vulnérabilité,
pour
étude détaillée serait souhaitable.
Il est très important, pour les habitants de ces îles, d'être
une
prévenus,
en
temps utile du danger de Tsunami. Cette question
paragraphe suivant.
est traitée dans le
III
-
ATOLLS
Cette catégorie englobe toutes les îles Tuamotu et trois des îles
sous le Vent.
Société des
Études
Océaniennes
600
Le cas des atolls est inverse des précédents, seul l'anneau
corallien délimitant le lagon est habitable. La hauteur des terres
émergées varie de 0,50 m à une dizaine de mètres au maximum.
La pente de la côte plongeant dans l'océan est importante,
généralement de l'ordre de 50% (27°) et même de 100% (45°)
pendant les 1.000 premiers mètres. Elle diminue progressivement
vers cette profondeur, correspondant à
la jonction du substratum
basaltique avec le talus corallien et est, ensuite de l'ordre de 30%
(17°). Toutes les Tuamotu du Nord-Ouest, depuis Marutea Nord
(143° W) jusqu'à Mataiva, se situent sur un plateau situé à 2.000
sous la surface de l'océan.
Les Tsunamis n'ont pas, sur les atolls, des effets aussi
destructeurs que ceux suggérés par la très faible altitude des
terres émergées. Du fait de la forte pente de leur côte plongeant
dans l'océan ils n'ont que peu d'incidence sur l'onde de gravité
m
qui est le Tsunami. Les amplitudes qui y sont observées sont
donc du même ordre de grandeur que celles du Tsunami en eaux
profondes et son action se traduira par une inondation lente,
sans
vagues
déferlantes,
se
produisant au rythme de l'oscillation
du niveau de l'océan.
Traiter de l'action des tsunamis sur les atolls revient donc à
considérer les effets d'une inondation pouvant se répéter à
plusieurs reprises, de 15 à 20 minutes d'intervalle, correspondant
à la période du Tsunami et aux premières vagues
qui sont de plus
grande amplitude. Les conséquences de la montée des eaux
seront une inondation des parties basses et la montée, ou la
baisse des eaux, entraînera un courant anormalement fort dans
les passes excluant toute navigation. Ce courant présentera une
inversion et un maximum toutes les 8 à 10 minutes, suivant la
période du Tsunami.
Pour les atolls très ouverts
vers l'océan, ou de faible surface
grande passe, le niveau du lagon subira des variations
comparables à celles de l'océan. Au Contraire, pour les grands
atolls, communiquant avec l'océan par de petites passes, il n'y
aura pas de variations importantes du niveau du
lagon.
avec une
Les côtes Nord et Nord-Est des atolls des Tuamotu présentent,
fréquemment, côté océan, à la suite du platier, un talus formé de
débris coralliens, véritable digue de quelques mètres de haut qui
protège efficacement les terres habitables. Les villages, presque
toujours implantés sur ces côtes sont donc à l'abri des inon¬
dations en provenance de l'océan. Les terres émergées sur les
côtes de secteur Sud sont plus vulnérables ; traversées par de
nombreux "hoa", elles ne sont pas protégées, sinon par un
platier, le plus souvent très large et, exceptionnellement, par des
massifs de "feo", squelette d'un récif ancien, de plusieurs mètres
de hauteur (Rangiroa).
Les Tsunamis récents de 1946, 1960 et 1964 n'ont pas marqué
les mémoires des Paumotu. L'on peut en conclure
qu'ils n'ont pas
Société des
Études
Océaniennes
601
entraîné de destructions notables
sur ces îles. Mais, il faut
plus que sur les îles hautes, la vie des
habitants des atolls est perturbée par les variations du niveau de
l'océan de diverses origines, que ce soit les tempêtes, les houles
longues de secteur Sud (Maraamu) ou de secteur Nord. Il est donc
normal que les Tsunamis, qui n'ont pas eu plus d'effets que ces
derniers phénomènes, et sont moins fréquents, (nous pensons en
particulier aux grandes houles de secteur Nord qui atteignent les
côtes polynésiennes en Décembre ou Janvier et entraînent, aux
Tuamotu, des dégâts assez importants : Décembre 1969) passent
inaperçus. On remarque d'ailleurs, que les villages sont presque
toujours situés sur les côtes Nord et Nord-Est et les habitations
construites, côté lagon, à l'abri des talus de débris coralliens, ce
qui est le meilleur emplacement, sur ces îles basses, pour se
protéger des dangers présentés par les variations du niveau de
l'océan, quelle qu'en soit l'origine.
Pour le Tsunami de 1946, le niveau maximum des eaux, côté
océan, aurait atteint plus de 2 mètres à Rangiroa et 1,90 mètres à
Hao, au-dessus du platier corallien. Ce dernier témoignage, se
référant à un repère matériel est certainement le plus valable.
Sur ces atolls, le niveau zéro hydro se situant à environ 30 cm
plus bas que le platier corallien et, cette observation ayant été
faite à marée haute, l'amplitude maximale corrigée serait de 1,90
m au-dessus de ce niveau. La géométrie et la pente des côtes
étant
assez semblables d'un atoll à l'autre, cet ordre de grandeur peut
certainement être généralisé.
Il apparaît donc raisonnable d'envisager, pour les grands
Tsunamis5, du type de ceux de 1946 et 1960, une augmentation
maximale du niveau de l'océan de l'ordre de 1,5 à 2,0 mètres audessus du niveau zéro hydro ; la hauteur de la marée devant être
ajoutée.
D'après les témoignages recueillis à Hao et Rangiroa, il n'y
aurait pas eu, lors de ces Tsunamis, de variation comparable du
niveau des eaux côté lagon. Cela s'explique facilement par la
grande surface des lagons ne communiquant avec l'océan que
par une, dans le cas de Hao, et deux petites passes, dans le cas de
Rangiroa. A cela il faut ajouter un talus de débris coralliens
protégeant presque toutes les côtes Nord et Nord-Est, et, sur les
côtes Sud, de nombreux "motu", des massifs de "feo", à Rangiroa
(squelette de récif ancien) et un récif émergé assez large, même en
l'absence de végétation, et très au-dessus du niveau zéro hydro.
Les échanges de l'océan vers le lagon ne pouvant se faire,
principalement, que par les passes et les "hoa" la demi-période
positive de 8 à 10 minutes est insuffisante pour permettre le
remplissage du lagon.
considérer, aussi,
(5). Voir ANNEXE I
-
que,
Éventualité de Tsunami cataclysmique.
Société des
Études
Océaniennes
602
Bien que ces cent dernières années, aucun raz-de-marée
d'origine sismique n'ait ravagé les atolls des Tuamotu, il n'en
reste pas moins que des vagues de grande
amplitude pourraient y
avoir des effets désastreux. La limite au-delà de laquelle la
partie
des terres émergées habitables serait noyée par l'océan semble
avoir été approchée par le Tsunami de 1946
; on peut en effet
penser que, en de nombreux points, les barrières naturelles
constituées par les talus et "feo" auraient été submergées par une
houle de plus grande amplitude. Toutefois, il est
important de
noter, qu'à de rares exceptions près, il ne peut y avoir, sur les
Tuamotu, de focalisation de l'énergie des Tsunamis. Leur
peut se traduire que par une montée relativement
lente des eaux, sans déferlement, contrairement à ce
qui se
produit dans les baies focalisantes à faibles pentes.
Pour les îles hautes où il est aisé de se mettre à l'abri des
Tsunamis et, dans une moindre mesure, pour les
atolls, le risque
couru par les habitants décroît
considérablement lorsqu'ils sont
passage ne
prévenus,
en
temps utile, du danger. Le paragraphe suivant
Pacifique et en
traite de la prévision des Tsunamis dans l'Océan
Polynésie Française.
-
PRÉVISION
DES TSUNAMIS
-
Les dégâts considérables et les nombreux morts
provoqués par le
Tsunami de 1946, entre autres, aux îles Hawaii et au Japon ont incité les
riverains de l'Océan Pacifique à mettre en place une organisation leur
permettant d'être avertis, en temps utile, de la génération de Tsunamis
par les séismes. Un organisme à caractère international le "Pacific
Tsunami Warning System" (P.T.W.S.) fut créé ; son centre le "Pacific
Tsunami Warning Center" (P.T.W.C.) est basé à Honolulu. Il
dispose
des informations, communiquées par radio, de stations
sismologiques et
marégraphiques disséminées dans le Pacifique. Ces stations sont mises
en oeuvre par 17 pays
participants, dont la Polynésie Française.
Lorsqu'un séisme superficiel, dépassant la magnitude MS 7,5, se produit,
dans le Pacifique, le P.T.W.C. diffuse un avis de
danger, suivi, le cas
échéant, d'une alerte lorsqu'il a la preuve, par témoignage direct ou
mesure par les stations marégraphiques les
plus proches de l'épicentre
du séisme, de la génération d'un Tsunami.
En Polynésie, l'annexe "A" au plan ORSEC prévoit
le danger de
Tsunami. L'appréciation du risque et la décision de l'alerte sont sous la
responsabilité du Laboratoire de Géophysique, situé à Tahiti, Pamatai,
qui dispose des informations en provenance du P.T.W.C. et de celles
recueillies par son propre réseau sismologique et
marégraphique. (Figure
2 : Réseau sismique polynésien constitué de 15 stations
sismologiques et
2 stations marégraphiques).
Le Laboratoire de Géophysique a mis au
point, et applique, une
méthode originale de prévision des Tsunamis utilisant les seules données
fournies par le réseau sismique polynésien. Cette méthode est basée sur
Société des
Études
Océaniennes
603
estimation de l'énergie libérée dans l'océan à partir des caracté¬
ristiques des ondes T. Une forte libération d'énergie dans l'océan produit
simultanément, une onde de gravité : le Tsunami, et des ondes de
compression : les ondes T. Les caractéristiques de ces ondes et, en
particulier, leur durée, directement liée à la longueur de rupture de faille
donc à la surface d'ébranlement des fonds marins, permet ainsi, par une
étude sommaire du mécanisme au foyer du séisme, de dire si les
conditions sont remplies pour qu'un Tsunami prenne naissance. La
vitesse de l'onde T. (1.500 m/s, soit 5.400 km/H) étant de 7 à 8 fois plus
grande que celle de l'onde de gravité (ordre 700 km/H pour le Pacifique)
(Fig. 8) l'alerte peut être donnée en temps utile si la distance de
l'épicentre à la région considérée est supérieure à 2.000 km.
En cas de fort séisme se produisant dans le Pacifique, c'est-à-dire dans
un rayon de 10.000 km autour de Tahiti, la
chronologie des interventions
une
est la suivante
a)
-
b)
-
c)
-
d)
-
:
Les stations principales du L.D.G. (Pamatai à Tahiti, Tiputa à
Rangiroa, Otepa à Hao, Rikitea et Tubuai) sont équipées d'un
système d'alarme automatique se déclenchant à l'arrivée des
ondes sismiques (P) de fort séisme. Ce dispositif alerte le
géophysicien de permanence au Laboratoire de Pamatai et les
responsables des stations. Ces derniers communiquent, par
radio, les informations recueillies par leurs sismographes,
lorsqu'elles ne font pas l'objet d'une retransmission perma¬
nente par télémesures. (Cas des 5 stations de Tahiti et des 4 de
Rangiroa, dont les enregistrements graphiques et magnétiques
se font au Laboratoire de Pamatai).
D'après ces informations, le géophysicien détermine les
caractéristiques du séisme : épicentre, profondeur du foyer,
magnitude mB et MS.
En fonction de ces données et de l'intensité d'une phase
sismique (ondes T) directement liée à la quantité d'énergie
libérée dans l'océan, il détermine si les conditions sont remplies
pour qu'un Tsunami prenne naissance.
Les Tsunami
se
propagent beaucoup plus lentement
que
les
ondes sismiques, même les plus lentes (ondes T), la prévision,
suivant cette méthode, permet, lorsque l'épicentre est
suffisamment éloigné, de donner l'alerte bien avant l'arrivée des
vagues
une
du Tsunami. Ce délai est de l'ordre de 2 à 3 heures
pour
distance épicentrale de 3.000 km, (cas de l'arc insulaire des
Tonga/Kermadec relativement à Tahiti), il peut atteindre 10
heures pour 9.500 km (cas des arcs insulaires du Japon et des
Kouriles), et est de l'ordre de 9 à 10 heures pour les îles
Aléoutiennes et l'Amérique du Sud.
Appliquée depuis 1964, cette méthode donne de bons résultats. Elle
au minimum le délai d'alerte, (l'alerte
évite les fausses alarmes et réduit
Société des
Études
Océaniennes
604
peut être donnée dès l'arrivée des ondes T) ce qui, pour la Polynésie, est
indispensable pour une prévision efficace des Tsunamis ayant pour
origine l'arc insulaire des Tonga/Kermadec, situé à seulement 2.200 à
3.000 km de Tahiti.
Des échanges d'informations ont lieu entre le Laboratoire de
Géophysique et le P.T.W.C. de Honolulu. Ces informations concernent,
premier lieu, les ondes sismiques et la localisation de l'épicentre du
lieu, les amplitudes du Tsunami. Les îles
polynésiennes sont, en effet, les premières à être atteintes par un
Tsunami en provenance de l'arc insulaire des Tonga/Kermadec et de
l'Amérique du Sud. Inversement, les îles Hawaii voient, avant Tahiti, les
Tsunamis de la plupart des autres régions habituellement génératrices de
Tsunamis dans le Pacifique. (Figure 1)
en
séisme et, en second
-
-
ÉVENTUALITÉ
ANNEXE I
DE TSUNAMI
-
CATACLYSMIQUE
-
Compte-tenu du nombre restreint de séismes générateurs de raz-deun recul d'un siècle et demi est insuffisant pour juger des limites
que peuvent atteindre ces phénomènes en Polynésie. L'hypothèse selon
laquelle il se serait produit, à une époque relativement récente, un
Tsunami cataclysmique, dépassant tout ce que l'on
connaît, peut être
raisonnablement avancée. Plusieurs faits, techniques, humains, et ce
qui
pourrait être des preuves matérielles, viennent à l'appui de cette
hypothèse.
marée,
Mais, d'abord, quelle peut être l'énergie maximale d'un Tsunami, et,
celle du Tsunami de 1946 peut-elle être dépassée ?
ÉNERGIE
-
DES
SÉISMES
ET DES TSUNAMIS
-
L'énergie des Tsunamis est directement fonction du mécanisme au
foyer du séisme qui le génère et, plus précisément, à la possibilité, pour
ce dernier, de transmettre un mouvement
vertical à l'océan. Une
évaluation de l'énergie potentielle d'un Tsunami peut
être obtenue par la
relation
:
ET
où p est
la surface
la
1/2 p g S h2
spécifique de l'eau, g l'accélération de la pesanteur, S
mouvement et h la hauteur du déplacement.
=
masse
en
Les séismes des
de subduction qui, en première approximation,
en profondeur de la lithosphère, provoquent
un mouvement à forte
composante verticale des fonds marins qui est
favorable à la génération de Tsunamis. C'est le cas général
des séismes
zones
correspondent à des rejets
superficiels de l'Alaska, des Aléoutiennes, des Kuriles, du Japon, des
Tonga/Kermadec et de l'Amérique du Sud, (Figure 1) pour ne citer que
les régions les plus fréquemment
génératrices.
Société des
Études
Océaniennes
605
L'énergie libérée par les séismes dépend des dimensions de la zone
ébranlée et de l'amplitude des mouvements du sol. Une évaluation de
cette énergie peut être déduite de leur
magnitude :
Log Es
=
11,8 + 1,5 M
où M est la
ou
magnitude MS déduite de l'amplitude des ondes superficielles
MW, magnitude corrigée pour les forts séismes. (H. KANAMORI1977).
Le Tsunami le plus important dont on a connaissance pour l'Océan
Pacifique, est celui du 1er Avril 1946, qui avait pour origine un séisme aux
îles Aléoutiennes, de magnitude MS 7,4, ce qui correspond à une
libération d'énergie, sous forme d'ondes élastiques, de 8 x 1022 ergs.
D'après une étude récente (H. KANAMORI 1977) le plus fort séisme
connu par mesures instrumentales serait celui du 22 Mai
1960, sur la côte
Sud du Chili ; il aurait atteint la magnitude MW 9,5 et libéré une énergie
de l'ordre de 1,1 x 1026 ergs. Ce séisme a généré un grand Tsunami, qui
s'est propagé dans le Pacifique et a provoqué des destructions
importantes, y compris au Japon (une centaine de morts) situé à 18.000
km de son épicentre.
Mais, le Tsunami du Chili, de MT 4,56 était plus faible que celui des
Aléoutiennes, de MT 5,0. Compte tenu de l'énergie relativement
modeste libérée par ce dernier, il a donc fallu des conditions, à la source,
particulièrement favorables à la génération d'un Tsunami. Heureuse¬
ment, comme nous allons voir, il apparaît que de telles conditions sont
réunies pour un type particulier de séisme et il est improbable qu'elles se
retrouvent pour des séismes de magnitude très élevée, comme celui du
Chili.
Remarquons que le moment sismique qui, comme le Tsunami, est
directement fonction de la surface S, mise en mouvement par le séisme,
(Mo = 1,23 x 1022 x S 3/2 ou Mo est le moment sismique en dynes/cm)
serait
plus significatif que l'énergie libérée déduite des magnitudes.
Malheureusement, si le moment sismique des forts séismes, (dont celui
du Chili en 1960) peut être aisément évalué, il n'en va pas de même des
séismes plus modestes, comme celui des Aléoutiennes en 1946.
Dans des articles récents, H. KANAMORI (1972) & YOSHIO FULCAO
(1977) étudient ce qu'ils appellent les "Tsunami Earthquakes",
définis comme des séismes générant de grands Tsunamis et de
relativement petites ondes sismiques, par opposition aux "Earthquakes
Tsunamis" qui génèrent des Tsunamis en rapport avec leurs ondes
sismiques. Ces "Tsunami Earthquakes" se produiraient à la suite d'un
séisme principal de forte magnitude. Leur mécanisme viendrait
compléter le mouvement de la plaque lithosphérique plongeante et des
couches de terrain sus-jacentes. Ils seraient favorables à la génération de
Tsunami car, faisant appel à un mécanisme d'effondrement, donc à
(6). MT est la magnitude du Tsunami. Elle est définie comme le logarithme base 2, de l'amplitude
maximale, en mètres, du Tsunami sur une côte, à moins de 1.000 km de l'épicentre. L'amplitude des
dépendant, essentiellement, de la géométrie de la côte la magnitude MT n'est pas toujours
significative de l'énergie réelle du Tsunami. Une évaluation de l'énergie du Tsunami peut être déduite de
cette magnitude par la relation :
LOG ET = 21,4 + 0,6 MT où ET est l'énergie du Tsunami en ergs.
vagues
Société des
Études
Océaniennes
606
composante verticale prépondérante. En outre, ils se produiraient dans
des couches de terrain à faible coefficient de
qualité, entraînant un
mouvement lent qui favorise le transfert
d'énergie à l'océan. Leur nature
même fait que les "Tsunami Earthquakes" peuvent difficilement atteindre
des magnitudes MS très élevées.
Le séisme des Aléoutiennes du 1er Avril 1946 est
typiquement un
"Tsunami Earthquake". Dans cette optique, celui de
1960, au Chili, est
un
"Earthquake Tsunami".
L'amplitude du Tsunami croît comme la racine de son énergie. Pour
énergie double, les amplitudes sont donc multipliées
par un
facteur V2, quadruple par 2 etc... Si l'on reprend les observations
effectuées en Polynésie, pour le Tsunami de
1960, à fortiori de 1946, on
voit que l'on atteint, rapidement, des
amplitudes de vagues qui suggèrent
le cataclysme, en particulier pour les Tuamotu.
Or, à mécanisme au
foyer et conditions de génération identiques au "Tsunami Earthquake"
de 1946, il suffirait d'une magnitude MS de 7,6 au lieu
de 7,4, pour
doubler l'énergie du Tsunami, de 7,8 pour la
quadrupler etc... On
constate que ces valeurs restent dans des limites
plausibles.
Que ce soit avec un "Tsunami Earthquake" de magnitude plus élevée
que celui des Aléoutiennes de 1946, ou avec un "Earthquake Tsunami"
réunissant des conditions plus favorables à la génération de Tsunami
que
celui du Chili, en 1960, il est certain
qu'il n'y a pas d'impossibilité
matérielle à la génération d'un Tsunami de plus forte
énergie que celui du
une
1er Avril 1946.
Remarquons aussi, que ces Tsunamis de 1946 et 1960, avaient pour
origine des régions éloignées de la Polynésie (8.000 à 8.500 km de Tahiti),
l'effet de divergence d'énergie était donc presque
maximal, au contraire
de l'arc insulaire des Tonga/Kermadec. Il est certain
que, les mêmes
Tsunamis ayant pour origine ces régions auraient eu, en
Polynésie, des
effets beaucoup plus désastreux.
-
OBSERVATIONS EN POLYNÉSIE
-
On observe sur les atolls, et particulièrement sur les côtes
Ouest,
Nord et Nord-Est de Rangiroa, des blocs massifs de calcaire de
dimensions métriques à décamétriques et pesant de la tonne à
plusieurs
dizaines de tonnes. Ces blocs, sans lien avec le
platier sur lequel ils
reposent7 sont, semble-t-il, des morceaux arrachés au récif voisin,
soulevés et déposés sur le platier actuel à une époque très récente
géologiquement parlant. Trois phénomènes pourraient être à l'origine du
déplacement de ces blocs : séismes, cyclones, Tsunamis.
(7). A
confondre avec les formations coralliennes présentant une encoche à leur base et
platier qui les supporte. Ces pâtés de corail, en place, témoignent des variations récentes
ne pas
rattachées
au
du niveau de l'océan.
Société des
Études
Océaniennes
607
1
-
SÉISMES
:
Le mécanisme des séismes est peu adapté au
déplacement de
de blocs, qui restent de petites dimensions relativement à leur
zone d'action. Par
ailleurs, d'éventuels séismes auraient laissé
des traces : failles, fractures, que l'on ne retrouve pas.
ce
Enfin,
l'on sait de la sismicité de cette partie du Pacifique rend tout
à fait improbable que des tremblements de
terre, pouvant avoir,
à la surface du sol, des effets de cet ordre, se soient
produits,
aux Tuamotu, à une
époque récente.
que
2
-
CYCLONES
:
Les
cyclones développent des houles de grande amplitude,
longueur d'onde relativement faible et, par
conséquent, n'intéressent que la partie de l'océan proche de la
surface. Les houles du lagon entraînent du sable et des débris
coralliens, de plus ou moins grande dimension, jusqu'à boucher
des passes et détruire des villages (passe et village de
Tivaru, en
1906 à Rangiroa). Côté océan, plusieurs témoins font état, lors
des forts cyclones de Janvier 1903, Mars 1905 et Février 1906,
du déplacement de blocs de corail arrachés aux récifs : 3 à 4 m
de longueur sur 2 ou 3 de largeur - Raroia 1903, blocs de 4 à 5
tonnes arrachés au platier sous-marin frangeant - Avatoru 1903,
idem de plusieurs centaines de mètres cubes côte Ouest de
Rangiroa 19068. (Le volume cité par ce dernier témoignage
paraît excessif). Dans tous les cas, il s'agirait de blocs qui
auraient été roulés par la houle.
A l'exception de la réserve émise pour le dernier, nous ne
pouvons douter de la vérité de ces témoignages. Il semble donc
que les cyclones puissent déplacer des masses importantes.
Toutefois, on constatera, sur la photo de la Figure 7, que la
géométrie de certains blocs observés sur la côte Nord-Est de
Rangiroa correspond mal à des rochers qui auraient été
mais qui restent de
-
roulés.
3
-
TSUNAMIS
:
Les Tsunamis ne perdent de l'énergie que par petits fonds,
c'est-à-dire à l'arrivée sur les côtes marines. L'énergie
potentielle des Tsunamis connus est déjà considérable (ordre de
1,3 x 1024 pour le Tsunami chilien de 1960 et 2,6 x 1024 ergs pour
celui des Aléoutiennes de 1946). Contrairement à ce qui se
passe pour les houles d'origine météorologique, la propagation
des Tsunamis intéresse toute la hauteur de l'océan. Leur action,
à l'arrivée sur une côte, concerne principalement la partie haute
du talus. Le détachement et le déplacement de morceaux de
(8). RAOUL TESSIER
des
Études
-
"Les cyclones
en
Polynésie Française"
-
1969
Océaniennes.
Société des
Études
Océaniennes
-
1977
-
Bulletin de la Société
608
récif qui, par exemple, seraient en surplomb,
par les vagues d'un
Tsunami exceptionnel est certainement
possible. Le processus
pourrait être le suivant
:
a) - Baisse initiale du niveau de l'océan, qui se produit, le
plus souvent, avant l'arrivée de la première grande vague du
Tsunami. Cette baisse des eaux découvre la partie haute du
récif extérieur.
b)
-
Montée rapide de la
mer
(la période varie
peu,
les
variations du niveau de l'océan sont donc d'autant
plus rapides
que l'amplitude est grande, donc que la baisse des eaux est
importante), son action est maximale sur la partie haute du
talus, là où les profondeurs deviennent faibles. Cassure de
de récif, plus ou moins en surplomb, fragilisés du fait
de leur position à l'air libre. Ces blocs sont soulevés et
déposés
sur le platier. Ce schéma
n'implique pas qu'ils soient roulés.
morceaux
Des déplacements de masses encore plus considérables et de
forte densité, présentant de faibles prises aux
éléments, ont été
observés à proximité des lieux de génération ; au Chili pour le
Tsunami de 1960 et en Alaska pour celui de 1964 (locomotives
de 120 tonnes) et les dégâts causés sur les côtes hawaiiennes et
japonaises
en 1960 et 1946 nécessitent des énergies du même
ordre de grandeur. Sur ces mêmes côtes
japonaises, il est
prouvé que des blocs rocheux, arrachés à la côte, et de
dimensions comparables à ceux observés en Polynésie,
ont été
déplacés
par
des Tsunamis.
En conclusion, bien que cela reste difficile à
prouver, il est possible que
calcaire, observés aux Tuamotu sur le platier, à
faible distance du récif frangeant, aient été
transportés par un Tsunami
certains des blocs de
d'énergie exceptionnelle. Il semble,
effet, que la géométrie des plus
objets qui auraient été roulés
par la houle, relativement courte, générée par les cyclones. On remarque
aussi, que, si sur presque tous les atolls il existe de ces blocs, le plus
grand nombre, et les plus grands, se trouvent sur les îles du Nord-Ouest :
Mataiva, Tikehau, Rangiroa. Or ces îles sont les premières à être
touchées par un Tsunami en provenance de l'arc insulaire des
Tonga/Kermadec (présentant le plus grand danger pour la Polynésie) et,
contrairement à la plupart des autres atolls, aucun
obstacle, sur son
massifs d'entre
parcours, ne
eux
en
convienne mal à des
vient gêner
-
sa
propagation et atténuer
ACTIVITÉ HUMAINE
ses
effets.
-
Enfin, plusieurs faits, ayant trait à l'activité humaine, viennent
l'hypothèse d'un Tsunami cataclysmique :
renforcer
1
-
Des légendes, tahitiennes et
raiatéenne, antérieures à l'arrivée
des européens, donc exemptes d'influence
chrétienne, évo¬
quent un déluge, (T. HENRY - "Tahiti aux Temps Anciens" - J.
Société des
Études
Océaniennes
609
MOERENHOUT
"Voyage aux îles du Grand Océan" 1837) et
descriptions qui en sont faites correspondent bien à ce qui
pourrait être un effroyable Tsunami. Une légende semblable est
rapportée à Tubuai, aux îles Australes.
-
-
les
Aux
Tuamotu, à Rangiroa, les traditions orales ont enregistré
catastrophe qui aurait détruit la plus grande partie de la
façade Ouest et Sud-Ouest de l'atoll. La datation généalogique
une
ferait remonter cet événement
2
-
au
16eme siècle. (M. KELLUM
OTTINO, OTTINO - 1965). Sur l'atoll de Scilly, aux îles sous le
vent, J.P. CHEVALIER, a noté l'absence de motu dans la région
Ouest, alors que la présence de grès de plage indique
l'existence, autrefois, d'îlots bien développés. La destruction de
cette partie de l'atoll pourrait avoir été
provoquée par le même
phénomène. La situation géographique de ces deux sites
renforce l'hypothèse d'un Tsunami en provenance des
Tonga.
Sur plusieurs îles, en Polynésie, les ethnologues
ont mis en
évidence des abandons soudains de sites habités. Bien
que les
causes puissent être très
diverses, la proximité de l'océan
suggère une catastrophe naturelle. Un Tsunami cataclysmique,
au même titre
qu'un cyclone, pourrait expliquer la destruction
de certains sites et la dispersion de la population. A deux
reprises, aux îles Marquises, vers la fin du premier millénaire et
au 16eme siècle, Y.H. SINOTO et M. KELLUM
(1965) signalent
des abandons soudains d'habitats sur le site côtier de Hane, très
vulnérable aux assauts des Tsunamis. Dans l'île de Huahine,
Y.H. SINOTO et, à Raiatea et Scilly, F. SEMAH ont fait des
découvertes semblables. Les datations de ces sites par carbone
14 sont en cours. La simultanéité des abandons, en deux îles
éloignées, tendrait à confirmer leur origine naturelle.
-
ANNEXE II
-
QUELQUES EXEMPLES DE LAMES DE FOND
OBSERVÉES
EN MER ET A TERRE
Lorsqu'ils sont sous-marins, les tremblements de terre, éruptions
volcaniques, glissements de terrain, de même que les effondrements de
falaise ou les éboulements sur les côtes et les flancs des îles, sont
susceptibles de transmettre des mouvements à l'océan. Si ces
phénomènes ne sont pas suffisamment importants pour générer des
Tsunamis, ils créent des vagues qui se propagent comme celles deja
houle. Elles sont, souvent, de plus grande amplitude et comportent
rarement plus de deux ou trois crêtes. On les appelle, vagues solitaires,
ondes solitaires ou lames de fond. (Voir1 page 3).
En raison de leur très grande longueur d'onde, les Tsunamis ne sont
pas observables par les bateaux naviguant en plein océan et leur action,
Société des
Études
Océaniennes
610
bâtiments, est insensible. Au contraire, les lames de fond, de plus
longueur d'onde, sont dangereuses pour les navires, d'autant plus
qu'elles ne sont pas prévisibles et peuvent les surprendre par mer calme.
Voici quelques exemples de lames de fond dont l'origine est restée
inexpliquée :
sur ces
faible
-
Le 16 Octobre 1956, le Paquebot "ILE DE FRANCE", lors d'une
PAtlantique-Nord, a rencontré une très forte vague
qui a causé de sérieuses avaries aux superstructures. (Météo
Maritime N° 15
1957).
traversée de
-
-
Dans le Pacifique, le 4 Février 1963, le croiseur-école "JEANNE
D'ARC", sur un parcours Tahiti-Tokyo, a rencontré à 430
nautiques, dans le sud-est de cette ville, (par 31°40' Nord et
146°50' Est) trois vagues de 15 à 20 mètres de haut, distances
d'une centaine de mètres. Leur direction présentait avec la
direction générale de la houle une incidence de 20 à 30 degrés.
Une manœuvre rapide a permis de prendre ces lames de biais et
non de face, ce qui aurait risqué de
provoquer des avaries
sérieuses à la passerelle et aux ponts supérieurs et de soumettre la
à des efforts extrêmement importants. (Météo Maritime N°
1963).
coque
40
-
-
En
Polynésie, les goelettes ont, à plusieurs reprises, rencontré des
solitaires de grande amplitude ; sans atteindre toutefois
l'importance des précédentes. Nous citerons le Capitaine T. TEAI,
qui en Oct. 1946 faisant route vers Raivavae, en provenance de
Rapa, a dû manœuvrer pour prendre de face deux lames
impressionnantes se dirigeant vers le Sud. Ces vagues, distantes
vagues
de 50 à 100 mètres avaient
-
une
hauteur estimée de 6 à 7 mètres.
A terre, les stations du L.D.G. à Rangiroa ont enregistré9
deux
"Lames de fond" : le 27 Avril 1970 à 22 h 44 W, en provenance du
nord-ouest, et le 21 Juillet 1976 à 15 h 48 W, en provenance du
nord-est. Dans les deux cas, les amplitudes étaient de l'ordre de
celles des houles longues d'origine météorologique, soit quelques
mètres.
-
Le 18 Novembre 1977, la presse a fait état d'une vague géante de 6
à 8 mètres de hauteur qui se serait abattue sur les récifs de l'île de
Veti-Levu, la plus grande île de l'archipel des îles Fidji.
Il semble donc que les "Lames de fond", dont l'origine, mouvement ou
bouleversement des fonds marins, reste presque toujours inconnue, ne
soient pas si exceptionnelles. L'importance de certaines de ces
vagues,
leur effet de surprise (de nuit en particulier ou quand la visibilité est
mauvaise) pourraient être la cause de disparitions brutales et inex¬
pliquées. Les exemples de l'ILE DE FRANCE et de la JEANNE D'ARC
(9). Il s'agit, ici, de l'enregistrement par des sismographes placés à terre, des ondes
sismiques
produites par l'ébranchement du récif résultant du déferlement de ces vagues.
Société des
Études
Océaniennes
611
montrent que,
même
pour
des navires de fort tonnage, le risque n'est
pas
négligeable.
Une lame de fond pourrait être à l'origine de l'échouage du
"SEEADLER", voilier corsaire allemand, coulé en 1917 à Mopelia. Le
récit de ce naufrage rapporté par son Commandant, F. Von Luckner
(1973) correspond bien à ce genre de phénomène et. il n'y a pas eu, à
cette époque, de Tsunami. (BULLETIN de la SOCIÉTÉ des ÉTUDES
OCÉANIENNES MARS 1913 TOME XV).
-
-
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A propos
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de l'échouement du SEEADLER à Mopelia. BULLETIN de la SOCIÉTÉ
ÉTUDES OCÉANIENNES
TÉMOIGNAGES
-
Mars 1973
-
TOME XV.
SUR LES TSUNAMIS DE 1946
recueillis par
candelot J.L.
Chin Loy Pierre
Iles Marquises et Iles Australes
-
-
LACOUR Georges
Iles
-
pietri Audemars A.
Marquises
et Tuamotu
(TUBUAI).
(HAO).
Tuamotu (RANGIROA).
-
Tuamotu (RANGIROA) et Tahiti.
Société des
Études
Océaniennes
613
PRINCIPAUX TSUNAMIS DES 150 DERNIÈRES ANNÉES (1)
(OCÉAN PACIFIQUE)
CARACTERISTIQUES
DU SÉISME
DU TSUNAMI
Amplitude
Date
Heure
TU
Lieu
Latitude
(2)
(2)
MS
MT
?
?
3?
6,0
?
?
2
4,6
Longitude
maximale
observée
à Hawaii
Mètres
17 Novembre
1837
12 51
CHILI
36-38
17 Mai
1841
21 25
KAMCHATKA
?
S
14 Août
1868
16 45
CHILI
18,5
25 Juillet
1869
?
?
?
10 Mai
1877
00 59
CHILI
21,5
S
71,0
15 Juin
1896
10 33
JAPON
39,6
N
144,2
30 Avril
1919
07 17
TONGA
19,0
S
S
71,0
W
?
4?
4,6
?
3
W
?
4?
9,1
4,9
E
7,6
4
172,5
W
8,3
1 ?
9,1
4,2
6,1
?
03 Février
1923
16 02
KAMCHATKA
54
N
161
E
1933
17 31
JAPON
39,1
N
144,7
E
8,3
8,3
3?
02 Mars
01 Avril
1946
12 29
ALÉ0UTIENNES
53,5
N
160,0
W
7,4
5,0
17
04 Novembre
1952
16 58
KAMCHATKA
52,8
N
159,5
E
10,4
1957
14 22
ALÉ0UTIENNES
51,3
175,8
W
3,5
16
22 Mai
1960
19 11
CHILI
39,5
N
S
8,25
8,3
4,0 "
09 Mars
74,5
W
28 Mars
1964
03 36
ALASKA
61,1
N
147,8
W
4,5
4,5
10,5
4,8
(1)
-
8,5
8,4
4,8
6,5
Parmi les 121 Tsunamis répertoriés aux îles Hawaii depuis 1837, dont 99 de 1900 à 1975, nous
retenu ceux ayant entraîné des amplitudes de vagues supérieures à 4 m, en certains points
au dernier demi-siècle peuvent être incomplètes, on
ne peut donc exclure une sous-estimation de certains des Tsunamis du 19e siècle et du début
avons
des îles Hawaii. Les observations antérieures
du 20e.
(2)
(3)
-
-
MS
=
MT
=
Magnitude du séisme, déduite des ondes de Rayleigh.
Magnitude du Tsunami.
La magnitude du Tsunami
observée
:
MT, est définie
comme
le logarithme, base 2, de l'amplitude maximale
côte à moins de 1.000 km de l'épicentre. L'amplitude des vagues dépendant
essentiellement de la géométrie de la côte, la magnitude MT n'est pas toujours significative de
sur
une
l'énergie réelle du Tsunami. On note que, au Tsunami le plus important, celui du 1er Avril 1946,
correspond une magnitude de séisme de 7,4 seulement.
Société des
Études
Océaniennes
614
-
FIGURE 1
FIGURES
-
Régions sismiquement actives dont les séismes ont
au foyer favorable à la
génération de Tsunamis.
un
mécanisme
$
FIGURE 2
Réseau sismique
polynésien du Laboratoire de Détection et de
Géophysique du C.E.A. Il comprend 15 stations sismologiques et 2
stations marégraphiques. Les informations des stations sismolo¬
giques et marégraphiques de Tahiti et Rangiroa sont retransmises
par liaisons hertziennes au Laboratoire de Géophysique à
Pamatai,
Tahiti où elles font l'objet
d'enregistrements graphiques et
magnétiques permanents.
Société des
Études
Océaniennes
615
FIGURE 3
Hauteur,
en
pieds, au-dessus du niveau
moyen
des basses
eaux
du
Tsunami chilien de Mai 1960 dans l'île de Hawaii.
(D'après Doak C. Cox & John F. Mink).
Tahiti. Les valeurs soulignées sont plus précises que les autres.
(D'après Martin J. Vitousek). On
observées
sur
remarque
la côte nord de l'île.
Société des
Études
Océaniennes
les fortes amplitudes
616
FIGURE 6
Marégrammes de Fare Ute
on
remarque
arraché
au
l'isolement de
et de la baie de Matavai pour
ce
le Tsunami
bloc. Il pourrait s'agir d'un
récif proche. Sa géométrie est peu adaptée à
qui aurait été roulé par la houle des cyclones.
(Photos G. LACOUR)
Société des
Études
Océaniennes
morceau
un
objet
617
Nécrologie
BAILLYj Georges (1903-1979),
Capitaine au long cours, Enseigne de Vaisseau de réserve, Georges Bailly
débarque à Tahiti en 1929 et commandera la Vahine Tahiti, goélette qui
ramassait le
coprah dans les Tuamotu et qui fut l'un des derniers bateaux à
naviguer exclusivement à la voile pour effectuer ce commerce dans l'archipel
dangereux.
En 1932, il succède au pilote-major Le Gayic et en 1945 sera nommé Capitaine
de
port. Responsabilité qu'il assumera jusqu'à l'âge de la retraite.
Il était chevalier du Mérite Maritime et avait reçu en 1938, à la suite du
naufrage
du Tiare Avaro, dans la passe de Papeete, la médaille du sauvetage. Le
Capitaine, c'est ainsi qu'il sera familièrement salué dans toute la ville de Papeete,
faisait appliquer les règlements maritimes avec ponctualité, ce qui était plus
aisément admis par les yachtmen nordiques et anglo-saxons, que par les
navigateurs français, toujours un peu oublieux des règlements et légèrement
contestataires.
Passionné
les choses de la
mer, doué d'une surprenante mémoire, il savait
le port de Papeete et de la vie des bateaux qui
fréquentaient ce port ou s'y trouvaient immatriculés. D'une écriture fine et
méticuleuse, il corrigeait les ouvrages traitant du monde maritime avec une joie
malicieuse, mais aussi avec un réel sens du travail historique. Il était généreux
dans la communication d'un savoir qu'il vous transmettait avec la précision d'un
statisticien et la courtoisie d'un gentilhomme. Fidèle dans ses amitiés, il
entretenait une correspondance internationale avec de nombreux marins.
Notre Société perd en lui un ami de longue date. Il fut à la fois un membre fidèle
en lui portant un intérêt
soutenu, et généreux en lui accordant de nombreuses
années d'exceptionnelles conditions de loyer pour le local de l'ancien musée, rue
Bréa. En outre il a légué des ouvrages pour notre bibliothèque et constitué un
fonds de livre en faveur de la capitainerie du port.
On ne verra plus sa silhouette familière, abritée par son petit chapeau de toile,
flâner sur les quais. Des ennuis de santé brutaux et accablants ont terrassé cet
homme alerte et enjoué. Stoîque, il a regardé la mort en face.
tout de
par
ce
qui
concerne
P. Moortgat
Société des
Études
Océaniennes
618
Comptes rendus
Vernice Wineera Pere, Mahanga
Hawaii Campus, 1978.
:
Pacific Poems. Brigham Young University,
Mme Pere apporte à ces poèmes sa double appartenance à la tradition Maorie et
Pakeha et tente d'associer les deux cultures, en forme poétique, sur des thèmes
variés. Ceci dans une simplicité dépouillée, par moment voisine de la prose,
lorsque le vers se limite à une syllabe et parfois à un mot. Mais le plus souvent,
l'argument du poème suffit à nous transporter, comme c'est le cas pour les lignes
centrales de "Personnalités partagées"
C'est que je sais aussi
que sous nos
nous
au
épaisseurs de
peau
portons notre solitude,
plus profond de nous-mêmes,
vous
et moi.
Les thèmes qui conviennent à cette forme poétique et qui ont assez de
substance
soutenir cette structure irrégulière de longueur de lignes et de syllabes
métriques, évoquent des problèmes de communication et de conventions
sociales, tels que dans "Acculturation", "Pourquoi sourions-nous", "Salle
d'attente", ou "Enseignement" qui se termine ainsi :
Enseigner, c'est vous me comprenant
et aimant ce que je suis,
non ce que je puis devenir
par vos manipulations,
mais ce que je suis,
pour
maintenant
et éternellement.
Il y a un risque évident de désintégration dans ce
style et le danger du choix d'un
sujet beaucoup moins attachant, comme dans l'insipide "Le goût d'apprendre"
dans lequel le poète remplit son cœur de ses compositions de fin d'année. De
telles erreurs sont peu nombreuses dans un recueil de quelques quarante
morceaux. Les images sont rares, au sens conventionnel de métaphore, et le ton
demeure retenu, même dans les poèmes qui font appel à Maoritanga et à l'orgueil
de la race, dans les remarquables "Hokuke'a" "Chant de Kapiti" et "Taaniko".
L'impression qui laissent ces derniers poèmes, ainsi que "Toa Rangatira", l'un de
deux poèmes consacrés au retour au pays, est celle de prudence intellectuelle et
d'émotion très contrôlée. Il n'y a pas de poème d'amour dans ce recueil, bien
qu'on y trouve beaucoup de sensibilité et d'empathie pour les hommes, les
femmes, et par-dessus tout pour les enfants, observés avec soin. Il y a aussi dans
Société des
Études
Océaniennes
619
"Ao Tea Roa" l'écho d'une ironie Néo-Zélandaise
qui se moque d'elle-même, qui
des racines chez Fairburn et Glover, et un
poème au moins : "Pensée
a
Transcendantale"
que seul un insulaire du Pacifique aurait
de carrefours sans signe
dans un vaste Océan Pacifique,
ayant toujours dans nos oreilles
le doux murmure des vagues
sans jamais tout à fait discerner
la plus grande symphonie
du sens de leur musique.
pu
écrire, rêvant
:
Il y a enfin un petit
joyau, "Mahanga", le premier qui combine le sens de
l'éphémère de Mme Pere et ses origines, avec une rigueur de la forme
poétique,
absente ailleurs
:
Mon enfant parle
pourtant le langage manque
pour
réunir les âges
d'hier et d'aujourd'hui.
Fils de tribu
et héritier d'artisan
il
apprend dans
un
siècle
d'hommes différents...
Il est à souhaiter que d'autres poètes du
Pacifique trouvent à se faire imprimer
l'"Institute for Polynesian Studies", pas nécessairement
parce qu'ils
"marient" deux héritages, mais parce que comme Mme
Pere, ils ont beaucoup de
choses à dire qui nous touchent et qui sont bien dites.
avec
Colin Newbury
Bellwood, Peter, The Polynesians, Prehistory of an island people. Thames and
Thames and Hudson, Londres 1978, 180 pages, 107 illustrations.
Les progrès de la linguistique et l'extension des fouilles
archéologiques depuis
la deuxième guerre mondiale ont permis de retracer, avec une assez
grande
certitude, le cheminement extraordinaire des Polynésiens depuis le Sud-Est
asiatique jusqu'à l'île de Pâques, à travers la Mélanésie, où ils semblent, d'après P.
Bellwood, se regrouper autour de la culture Lapita, avant de lancer leurs
expéditions vers l'Est. L'aventure s'échelonnera sur quelques 2000 ans et aura
pour théâtre un immense triangle d'environ 9 000 kilomètres de côté, limité au
Nord par Hawaii, à l'Est par l'île de Pâques et au Sud-Ouest
par la NouvelleZélande.
L'auteur, professeur d'archéologie à l'Université de Canberra, Australie,
s'appuie d'une part sur ses fouilles personnelles et les découvertes archéo¬
logiques effectuées en particulier depuis 20 ans dans le Pacifique, d'autre part sur
des preuves linguistiques, (soulignons à ce propos la pertinence du tableau
qui
clarifie l'évolution des langues polynésiennes), pour dérouler devant nos yeux
l'itinéraire des migrations polynésiennes. La théorie, généralement admise, et
partagée par l'auteur, prétend que les Polynésiens, d'origine mongoloïde, ont
dérivé, entre 1500 et 1000 avant notre ère, depuis l'Indonésie Orientale (d'après
les traces retrouvées à Sulawesi, à Timor et aux Philippines), puis à travers la
Nouvelle-Guinée, ont gagné la Mélanésie où ils se sont métissés avec les
Société des
Études
Océaniennes
620
autochtones, pendant leur long séjour dans cette région, pour donner le type
polynésien définitif. Les sites Lapida (1300 à 500 avant J.C.), témoins des
premières implantations polynésiennes en Mélanésie, ont en effet révélé des
objets comparables à ceux retrouvés aux Philippines. Les Lapida étaient des
horticulteurs, pêcheurs, potiers et surtout d'habiles marins qui, poussés par
l'aventure, ou plutôt, compte-tenu du risque présenté par ces voyages, par des
pressions intérieures ou extérieures, se lançèrerit sur les mers en direction de
Tonga et de Samoa entre 1000 avant J.C. et le début de l'ère chrétienne. Si la
poterie disparaît au début de notre ère au profit de ce qu'on appèlera le four
tahitien, la marque Lapita est toujours présente sur les objets trouvés dans les
anciens sites Polynésiens. L'auteur pense que les Lapita dont la cohésion sociale
se verra peut-être renforcée par un milieu mélanésien hostile, seront les
premiers, et pendant longtemps les seuls, colonisateurs de la Polynésie
occidentale, ce qui expliquera l'homogénéité relative de la race et de la culture
dans cette région.
Entre 300 et 1200 de notre ère, c'est l'expansion finale vers l'Est, par le canal
des îles Fidji d'après les preuves linguistiques. Les Polynésiens s'implantent
d'abord aux îles Cook, puis aux îles de la Société, aux Marquises et, de là sans
doute, à l'île de Pâques vers 400 ou 500 de notre ère, enfin en Nouvelle-Zélande
dont les vestiges remontent à la fin du premier millénaire.
Mais cette longue migration, qui s'est échelonné sur 2000 ans, a déterminé des
aires culturelles dont les développements ont varié tant^ dans le rythme que dans
la forme, mais sous lesquels se discerne un fond ancien d'éléments communs. Le
résultat de l'adaptation sera parfois loin de la culture présurrïée d'origine ; en effet
certains groupes se trouveront
isolés pendant des centaines d'années ou
les Maoris de Nouvelle-Zélande, se verront confrontés à un
climat et un environnement entièrement nouveaux pour eux ; des innovations
culturelles répondront alors aux besoins. C'est ainsi qu'apparaîtront de nouvelles
formes de structures lithiques, de nouveaux outils et aussi de nouveaux dieux et
de nouvelles hiérarchies pour ordonner les sociétés au fur et à mesure de leur
croissance. En revanche, dans les sociétés tropicales du centre du triangle, les
échanges se multiplieront et créeront des aires culturelles homogènes ; citons au
moins le cas de la Polynésie Orientale qui englobe les îles Cook, les îles de la
Société, les Tuamotus, les Australes, les Marquises et Hawaii.
d'autres,
comme
Sous la
multiplicité des adaptations culturelles locales, l'auteur fait ressortir les
polynésiens communs à toutes les sociétés issues d'après lui, du même
grand courant migratoire "development from a single base line society". On
trouve bien sûr à la base une connaissance profonde de la navigation qui, d'après
l'auteur, ne se contenta pas de suivre les courants qui faisaient dériver les
pirogues (beaucoup d'îles n'auraient alors jamais été touchées), mais fut bien une
navigation intentionnelle et éclairée. En outre, une solidarité très forte devait unir
ces groupes humains, ceci renforcé par un système hiérarchique qui codifiait
l'entr'aide, le tout étant supervisé par des chefferies héréditaires appuyées, aux
yeux du peuple, par des sanctions divines. En fait, malgré l'empreinte de milieux
naturels différents, on retrouvera partout le tronc commun d'une même culture
d'origine, notamment aux niveaux de l'organisation sociale et de l'économie, que
l'on peut partiellement reconstituer, d'après P. Bellwood, à travers les vestiges
Lapita.
éléments
Soulignons l'intérêt particulier de ce livre d'une présentation très élégante, qui
quelques 160 pages et grâce aux nombreuses et très belles illustrations, en
suivant le fil conducteur des découvertes archéologiques jusqu'aux plus
en
Société des
Études
Océaniennes
621
récentes, donne
idée très claire de l'itinéraire et de la nature de l'adaptation
Polynésiens dans le Pacifique, ainsi que de leurs
survivances culturelles communes après leur établissement dans les îles
ou au
contraire de leurs évolutions différentes liées aux facteurs
environnants.
une
des différents groupes
L'archéologie, en l'absence de tout document oral ou écrit, reste en effet la clef
du mystère polynésien dans les temps les plus anciens.
Les connaissances et le
talent de l'auteur nous en dévoilent ici quelques
parties
scientifique et passionnant.
sous un
jour à la fois
Ch. Langevin-Duval
Le 3ème Festival des Arts du
Pacifique Sud
Célébrant le thème de l'exaltation de la conscience
océanienne", et
faisant suite à la première manifestation de ce genre
qui s'était tenue aux
Iles Fiji en 1972, et à la seconde, organisée en
Nouvelle-Zélande, à
Rotorua en 1976, le 3ème Festival des Arts du
en
Papouasie Nouvelle-Guinée du 30 juin
Pacifique Sud se déroulera
12 juillet 1980.
au
Un comité d'organisation formé par le pays hôte,
et aidé par la
Commission du Pacifique Sud et par l'Unesco, a procédé à l'élaboration
de l'organigramme dans le cadre duquel chaque pays ou Territoire
participant
a
choisi les diverses formes
culture.
sous
lesquelles il présentera
sa
Le sigle de ce 3ème Festival, créé par le comité organisateur en
reprenant certains symboles tribaux de Papouasie-Nouvelle Guinée, est
bien révélateur d'une telle volonté d'exaltation : il
représente en effet le
soleil, générateur de vie et donc source d'énergie créative ; la mer,
dispensatrice de nourriture conditionnant des modes d'existence
souvent communs et la pirogue, moyen de rencontre et de commu¬
nication entre les êtres, et instrument de liaison avec des terres
proches
ou
lointaines.
Le rapprochement des pays et Territoires du Pacifique Sud au
plan
culturel pourrait à priori apparaître comme une manoeuvre
déguisée,
destinée, grâce à l'emploi d'un outil possible qu'aurait pu constituer le
Festival, à catalyser les aspirations politiques de certains territoires. Or, il
n'en est rien : en effet, il faut avoir présent à l'esprit le fait
que le Conseil
du Festival a tenu ses assises en juillet 1979 à Port
Moresby à la veille du
Forum des Pays Indépendants du Pacifique (à Honiara, Iles
Salomons)
quelques jours avant la célébration de la venue à l'indépendance des îles
Gilbert (aujourd'hui état de Kiribati) et alors que se préparait l'accession
à la souveraineté des Nouvelles-Hébrides. Cependant,
les discussions
groupant au sein du Conseil les délégations des pays participants ont
toujours su se cantonner avec sagesse à l'aspect culturel des relations
qui unissent les différentes parties du Pacifique Sud. Bien plus, des pays
Société des
Études
Océaniennes
622
anglo-saxons en particulier, dont les attitudes envers certains aspects de
la présence Française dans le Pacifique sont bien connues, ont
délibérément fait table rase de ce type de préoccupation, et ont proposé,
menés en cela par l'Australie, que le 4ème Festival (prévu pour 1984 sous
le nom de "Festival des Arts Océaniens") se tienne dans un pays ou
Territoire francophone du Pacifique - proposition adoptée à l'unanimité,
et qui doit faire l'objet d'une concertation entre la Nouvelle-Calédonie,
les îls Wallis et Futuna, les Nouvelles-Hébrides et la Polynésie Française,
de façon à pouvoir soumettre la candidature ainsi retenue à la réunion
extraordinaire du Conseil du Festival prévue en juillet prochain dans le
cours
de celui-ci.
D'autres signes sont d'ailleurs venus confirmer ce désir de neutralité
politique dans la perspective du Festival : nous en prendrons pour
exemple l'élection de Monsieur Luc CHEVALIER, conservateur du
Musée de Nouméa, à la Vice-Présidence du Conseil du Festival ; son
élection et celle du délégué de la Polynésie Française au comité de
rédaction du Conseil ; et l'adoption, à l'unanimité, de la recommandation,
présentée par le délégué de la Polynésie Française, de la création d'une
Association des Musées d'Océanie.
Il apparaît ainsi que le 3ème Festival des Arts du Pacifique Sud
un élément de modération, voire de mise en sommeil, de
constitue
divergences susceptibles de vicier les rapports entre les participants,
étrangères à son domaine propre.
A ce titre, une adhésion massive des pays et Territoires du Pacifique
Sud à une action coordonnée visant à sauvegarder et à développer les
vestiges et les manifestations de leur culture, leur permettra dans le
cadre du Festival de s'exprimer sans contrainte, de circuler sans
obstacle, et de vivre dans sa réalité vraie leur Océanité profonde.
Société des
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 210