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L'OCÉANIE
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ÉDITEURS
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L'OCÉANIE
»
GÉOGRAPHIE, HISTOIRE,
DEPUIS
LES
PREMIERS
JUSQU'A
COLONISATION
EXPLORATEURS
NOS
JOURS
PAR
LE COMTE DE LAMBEL
DEUXIÈME ÉDITION
TOURS
ALFRED MAME ET
M
.
'
FILS, ÉDITEURS
DCCG 1,XXXIV
'
'i
•
.
¥36
PRÉFACE
L'Océanie, encore si peu connue, est intéres¬
plus d'un titre : la nouveauté a de l'attrait,
et il y a bien des nouveautés dans les contrées loin¬
taines dont se compose cette cinquième partie du
monde. Là le climat, les minéraux, la luxuriante
végétation, le règne animal, en un mot, la géogra¬
phie comprise dans la plus large acception du mot,
excite la curiosité et les patientes recherches des
érudits. Mais, de toutes les questions soulevées
au sujet de l'Océanie, la
plus importante est sans
contredit celle qui concerne l'histoire de ses indi¬
gènes barbares, souvent cruels et anthropophages
tant qu'ils sont privés des lumières de la foi; ils
sante à
arrivent à de merveilleuses transformations à me¬
qu'ils puisent plus abondamment à la source
de la vérité religieuse.
En Océanie, comme partout, le sauvage plongé
dans les ténèbres de l'idolâtrie est abruti par le
sure
pure
6
PRÉFACE
*
vice; il conserve à peine une lueur d'intelligence,
et perd quelquefois
jusqu'à la notion de la pré¬
voyance. « Il coupe l'arbre pour en cueillir le fruit,
dit le comte de Maistre1; il dételle le bœuf
que les
missionnaires viennent de lui confier, et le fait
cuire avec le bois de la charrue... Il n'a
jamais
été civilisé que par le christianisme. C'est un
pro¬
dige du premier ordre, une espèce de rédemption
exclusivement réservée
Pour
ne
au
véritable sacerdoce.
»
citer ici que
deux grands événements,
empruntés aux temps modernes, quand l'Évangile
a pénétré dans le Canada et dans les
réductions du
Paraguay, il y a opéré des prodiges. Il les renou¬
velle en Océanie, et nous convions nos lecteurs à
les admirer
Après les avoir étudiés,
plus que la condition
des individus dépend, comme celle des
sociétés, de
leur fidélité aux lois divines. En
préparant le bon¬
heur de la vie future, cette fidélité
procure ici-bas
la paix de la
conscience; elle inspire l'esprit de
famille, le goût du travail, l'amour de la patrie,
le dévouement au
prochain; elle suscite, en un
mot, les plus aimables et les plus héroïques vertus.
avec
ils reconnaîtront
nous.
une
Livres à consulter
fois de
sur
l'Océanie
Les Annales de la
sûre et
propagation de la foi, mine
féconde, à laquelle on ne saurait trop pui¬
ser;
1
:
Soirées de
Saint-Pétersbourg, tome Ier.
PRÉFACE
L'Australie
*
7
(Marne, à Tours);
Les Mémoires de M81 Salvado ;
A travers
l'Océanie, par la comtesse Drohojowska ;
La Nouvelle Nursie, par
coffre ) ;
La Malaisie, par
chette)
Les
dom Bérangier (Le-
Robert Russel Wallace (Ha¬
;
Missions
Montrond
en
Océanie, par M. Maxime de
(Mégard, à Rouen);
catholiques en Océanie (les îles Sand¬
wich), par M. Tournefond (librairie de la Société
bibliographique) ;
La Vie du vénérable Chanel, par le R. P. Bourdin
(Lecoffre) ;
La Vie de Mor Douarre, par le R. P. Maillet
(Briday, à Lyon);
La Vie d'Aug. Marceau, par le même auteur
( R. Gaton, à Paris).
Les Missions
L'O GÉANIE
CHAPITRE
I
Notions
son
géographiques sur l'Océanie.— Ses premiers explorateurs;
climat; ses habitants. — Six puissances européennes ont
cinquième partie du monde des colonies plus
importantes : ce sont l'Espagne, le Portugal, lâ Hol¬
lande, l'Angleterre, l'Allemagne et la France. — Les Etats-Unis
commencent à y pénétrer. — Situation agricole, industrielle, com¬
merciale de certaines parties du pays.
fondé dans cette
ou
moins
L'Océanie est située entre
l'Amérique à l'est et l'Asie
l'océan Pacifique,
à l'ouest. Entourée de tout côté par
auquel elle emprunte son nom, elle se compose d'une
multitude d'îles et d'archipels disséminés sur de vastes
espaces marins ; le nombre en est si considérable, qu'il
dépasse celui des îles du reste du globe. Plusieurs
d'entre elles n'ont pas encore été visitées par les Euro¬
péens ; beaucoup d'autres ne sont habitées que sur leurs
rivages, à cause de l'âpreté de la température ou de
l'épaisseur des forêts.
La surface totale de l'Océanie, seize fois plus grande
que celle de la France, est évaluée à dix millions sept
cent mille kilomètres carrés. Une seule
sept huitièmes du territoire; aussi son
île forme les
ihipori ice dx1*
L'OCÉANIE
10
ceptionnelle l'a - t-elle fait définitivement classer parmi
continents; c'est l'Australie, ou la Nouvelle-Hollande.
A l'exception de la Malaisie, qui paraît avoir été
explorée au moyen âge par les Arabes », l'Océanie a été
successivement découverte depuis le xvi° siècle, très
fécond en lointaines entreprises, jusqu'à nos jours».
Elle n'a, pour ainsi dire, pas d'histoire; cependant les
travaux accomplis par de courageux navigateurs pour
l'explorer, ceux .des colons et des industriels pour l'ex¬
ploiter, par-dessus tout les nobles efforts des mission¬
naires qui exposent leur vie pour éclairer et civiliser
ses habitants, tous ces labeurs méritent de fixer notre
les
attention.
Les
principaux détroits sont ceux de Malacca, de
Bass, de Cook et de Torrès. Le premier sépare la pres¬
qu'île asiatique qui porte son nom de l'île de Sumatra ;
le second se trouve entre l'Australie et la Tasmanie ; le
troisième est situé entre les
îles qui
quatrième existe entre
trois grandes
forment la Nouvelle-Zélande ; le
l'Australie et la Nouvelle-Guinée.
géographes divisent l'Océanie en quatre parties :
Mélanésie, la Polynésie et la Micronésie.
La Malaisie, ainsi nommée parce qu'elle a été
Les
la Malaisie, la
1°
peuplée par les Malais, venus de la presqu'île de Ma¬
lacca, comprend les îles de la Sonde, Java, Sumatra,
Timor, Bornéo, les Moluques, les Philippines , etc. Ces
îles, très montagneuses, recèlent des volcans. Leur
1
Au
vi*
de l'océan
siècle, ces hardis navigateurs parcoururent une partie
Pacifique, la plus calme de toutes les mers, et ils éta¬
blirent l'islamisme dans la Malaisie.
Parmi les principaux navigateurs qui ont découvert ou visité
archipels océaniens, on cite : les Espagnols Mendana de Neyra,
Fernandez de Quiros ; les Hollandais Schouten, Roggeween, Tasman ;
les Anglais Dampier, Cook, Vancouver, Gambier, Flindans, Wallis
et Carteret; les Français Bougainville, d'Entrecasteaux, de la Pérouse, de Freycinet.
2
les
L'OCÉANIE
ensemble est souvent
11
désigné sous la nom d'archipel
Indo-chinois.
climat y est tempérée par les brises de
indigènes ont le teimt olivâtre, brun ou rou-
La chaleur du
la
mer.
Les
geâtre.
produit le camphre, le café, l'indigo, etc.
partie occidentale donne deux ou trois récoltes de
dans l'année. Plusieurs forêts sont peuplées de
Le territoire
La
riz
chênes, de châtaigniers, de
benjoins, de gambiers et
Les bois de teck, de fer,
de sandal, d'aloès, d'ébène y croissent aussi. Les unes
sont habitées par les tigres, les léopards, les sangliers,
les bœufs, les cerfs, les buffles ; les autres, par les élé¬
phants, les rhinocéros, les singes.
L'hippopotame et le crocodile vivent dans les rivières
de ces îles, et le serpent habite leurs marais.
2° LaMélanésie (île des noirs) comprend : l'Australie,
les archipels de la Reine-Charlotte, les Nouvelles-Hé¬
brides, la Nouvelle-Calédonie, la Nouvelle-Guinée, les
îles Salomon, la terre de Van Diemen ou Tasmanie, l'île
de Vanikoro, où la Pérouse fît naufrage.
Les indigènes sont nègres et moins cruels que les
de divers arbres à gomme.
Malais.
Polynésie (nombreuses îles) tire son nom de
grande quantité d'îles dont elle se compose. Nous
citerons celles : des Navigateurs, des Amis, les Mar¬
quises, les Sandwich, la Nouvelle-Zélande, etc. Volca¬
niques pour la plupart, elles sont situées dans la zone
tropicale. Leurs habitants, au teint jaune et basané,
semblent une variété de la race malaise. La plupart
ont coutune de se tatouer, c'est-à-dire de tracer di¬
verses figures sur leurs corps, au moyen de piqûres
assez profondes dans lesquelles ils versent une matière
3° La
la
colorante.
4°
Quant à la Micronésie, que
plusieurs confondent
L'OCÉANIE
12
la
Polynésie, elle est ainsi désignée à cause de la
petitesse de ses îles. Située dans la partie la plus sep¬
tentrionale de l'Océanie, elle compte parmi ses princi¬
paux archipels : les Mariannes, les CarolineS, les îles
avec
Marshall et Gilbert.
Cette nomenclature
incomplète indique les principales
parties de l'Océanie. Nous n'y ajouterons rien, de peur
de la rendre trop aride. D'ailleurs de nouveaux noms et
dès détails spéciaux se présenteront sous notre plume,
quand nous ferons connaître les renseignements qu'il
nous a été donné de recueillir sur plusieurs de ces loin¬
taines contrées.
M. Tournefond
signale ainsi le Caractère des pre¬
l'Europe et l'Océanie :
«
Nos poètes (Champfort, Delillé, Victor Hugo,
etc. ) chantèrent ces îles fortunées, et nos philosophes
pensèrent y avoir enfin rencontré, pour pouvoir les
contempler à leur aise, des peuples encore au berceau,
ces enfants de la nature, que J.-J. Rousseau a si bien
1
mières relations établies entre
...
mis à la mode.
«
cir
bientôt obscur¬
des navigateurs
vantées, l'enthousiasme dispa¬
Hélas ! de sombres nuages vinrent
brillants horizons. A mesure que
ces
visitaient
ces
terres si
raissait.
L'Australie, la Papouasie, la Nouvelle-Calédonie,
Marquises et tant d'autres îles apparaissaient suc¬
cessivement avec leurs nègres abrutis et anthropo¬
phages.
« Les
poètes durent aller chercher ailleurs les thèmes
de leurs ballades, et, pour cette fois encore, nos pauvres
philosophes s'aperçurent qu'ils n'étaient que des dupes.
C'est qu'en fréquentant ces mortels soi-disant sans
«
les
1
Voir la
catholiques
remarquable étude de M. Tournefond sur les missions
la publication en a été commencée dans le
en Océanie ;
Monde en octobre 1880.
L'OCÉÀNIE
13
pareils, 011 les avait trouvés hypocrites, menteurs, vo¬
leurs, esclaves des plus viles passions, cruels par In¬
stinct et sans nécessité, adonnés aux superstitions
les plus barbares et les plus immondes, répandant à
flots sur les autels de leurs dieux de paille, de bois ou
de pierre, le sang des victimes humaines, et se repais¬
sant dans d'horribles repas de la chair pantelante de
leurs ennemis vaincus.
Or, quand l'auréole poétique dont les premiers na¬
vigateurs avaient à l'envi paré le front de ces peuples
eut disparu, et que l'Océanie apparut à tous les yeux
telle qu'elle était bien réellement, une foule de ces
hommes aventureux, enfants perdus de la civilisation
qui, dans notre Europe, sont en rébellion contre toutes
les lois, et que l'on est toujours sûr de trouver sur les
routes nouvelles des terres à peine connues, s'y don¬
«
nèrent bientôt rendez-vous.
Ils
savoir-faire qui se joue
plus insurmontables, et qui est propre
au caractère
entreprenant et rudement trempé de ces
rôdeurs de mers. En échange de leurs produits, ils li¬
vraient aux sauvages qui les accueillaient les industries
diverses et les traditions des peuples civilisés. Mais
aussi, il faut bien le dire, ils ne leur cachaient rien de
leurs vices ni de leur corruption ; ils leur donnaient de
dangereux exemples d'ivrognerie et de libertinage, pré¬
parant ainsi, pour la suite, des difficultés sans nômbfé
à l'établissement et au progrès de la civilisation chré¬
«
apportèrent avec
eux ce
des obstacles les
tienne.
Après eux arrivèrent les marchands de tous les points
globe ; ils accoururent à cette curée nouvelle, et
leurs vaisseaux, chaque jour plus nombreux, sillon¬
nèrent bientôt le Pacifique en tout sens. Puis la poli¬
tique des puissances continentales comprit que dans
cet océan lointain venaient de naître pour elles des inté«
du
L'OCÉANIE
14
rêts
A
ter
qui lui inspiraient de nouveaux devoirs.
navires, et bientôt l'on vit flot¬
terres étonnées les différents pavillons des
nouveaux
son
tour elle arma ses
sur ces
nations civilisées.
Quand la France aborde une plage inconnue, elle
n'y jette pas seulement ses marchands et ses soldats,
«
laisse aussi ses missionnaires, et elle entend qu'ils
et respectés. Ce rôle sublime que Dieu
porte-étendard de la civilisation chré¬
tienne, je dirai plus, de la civilisation catholique, par le
monde entier, elle l'accomplit encore ici, et dès 1825
les pères de la société de Picpus, puis les maristes, com¬
elle y
y soient libres
lui a donné de
de christianisation. »
Il est difficile d'évaluer exactement le chiffre de la
mencèrent
en
Océanie leur
œuvre
population océanienne. Il paraît être d'environ trentecinq millions d'âmes, et tend à s'augmenter chaque an¬
née dans une large proportion, à cause des émigrations
attirées par l'espoir de grands profits.
Les indigènes diffèrent comme le climat et les pro¬
ductions de sols placés sous des latitudes très diverses.
Les Malais sont ingénieux et policés, tandis que l'an¬
thropophagie est en honneur chez les Papous.
La plupart des peuplades qui vivent en Océanie se
nourrissent surtout du produit de la chasse et de la
pêche. Plusieurs, indolents et paresseux à l'excès, se
contentent des végétaux qui croissent spontanément
sous leurs yeux. L'arbre à pain se trouve partout, ex¬
cepté en Australie et dans la Nouvelle-Zélande; son
fruit occupe une place importante dans l'alimentation
des indigènes. Ils y ajoutent la moelle du sagou, l'i¬
gname, la patate, la banane, la noix de coco, etc. Ils
se tissent de grossières étoffes avec l'écorce du palmier.
Ils en mangent les fruits et en utilisent le bois pour
en faire des planches, des cordes et des vases de mé¬
nage.
L'OCÉANIE
Les Océaniens que
18
l'Évangile n'a
pas encore
éclai¬
rés, mahométans pour la plupart en Malaisie, sont
païens ailleurs. Les idées religieuses les plus accrédi¬
tées dans
ces
contrées viennent de l'Indoustan, de la
Chine et du Japon.
D'après ces systèmes, qui ne sont
analogie avec plusieurs des erreurs encore
répandues de nos jours, l'esprit est dieu ; le divin s'unit
au terrestre,
l'anime, le pénètre, et il élève l'homme
jusqu'à l'extase. L'esprit est tabou, c'est-à-dire invio¬
lable ou sacré. Les dieux, les ossements des morts, la
personne des princes, celle des prêtres et certains ob¬
jets , même inanimés, sont aussi tabou. Quiconque ou¬
trage le tabou est digne de mort.
Le tabou, dit M. Tournefond, est général ou relatif,
permanent ou temporaire. Certains objets, taboués
pour la femme, ne le sont pas pour les hommes. Si un
fruit, un poisson, un objet quelconque servant à la
nourriture devient rare, il est aussitôt taboué, le
peuple
est obligé de s'en priver, et les
principaux de l'île en
ont alors assez pour leur consommation. Des
signes
convenus appelés aunou font connaître
que certains en¬
pas sans
droits sont taboués.
Les
indigènes croient
que l'âme des défunts reste
pendant un certain temps, jusqu'à ce
qu'elle ait été délivrée par des sacrifices expiatoires,
souvent par l'offrande de victimes humaines ; elles s'é¬
lèvent alors vers le séjour des bienheureux. Les rela¬
tions se continuent entre les morts, c'est-à-dire ceux
qui sont partis les premiers, et les vivants, appelés à
les rejoindre bientôt. Ainsi quelques lambeaux de
vérités,
conservées par la tradition, se trouvent mêlés aux
plus
exilée
sur
la terre
monstrueuses
erreurs.
En
Océanie,
comme
partout où
le christianisme n'a pas pénétré, on rencontre les té¬
nèbres de l'ignorance, les vices abrutissants, les
pas¬
sions honteuses
qui
ne
connaissent plus le remords,
en
L'OCÉANIE
16
un
mot, une dépravation si
vons
profonde, que nous ne pou¬
guère nous en faire exactement l'idée.
Indépendamment de plusieurs souverainetés indi¬
gènes, à Bornéo, à Sumatra, aux Sandwich, aux îles
Salomon, à Tonga, à la Nouvelle-Guinée ou Papoua¬
sie, etc., six puissances européennes ont fondé dans
l'Océanie des colonies
moins importantes, et les
pénétrer, en s'établissant
dans quelques petites îles de la Polynésie qu'on pour¬
rait appeler la Polynésie américaine.
1° Les Espagnols possèdent l'important archipel des
Philippines, les Mariannes, les Carolines.
2° Les Portugais occupent la partie orientale de Ti¬
mor, Flores, Sabao, etc. Il y a là près de deux cent
mille habitants parmi lesquels se trouvent beaucoup de
catholiques. Flores est une petite île qui compte douze
États-Unis
plus
ou
commencent à y
mille habitants et s'adonne à l'élève des moutons. Ti¬
mor,
île de l'archipel de la Sonde (cinquante-sept mille
kilomètres
carrés), peuplée
par
les Malais, est parta¬
gée entre les Portugais, les Hollandais et des princes
indigènes à l'intérieur.
3° La Hollande domine dans la
partie occidentale de
Timor, aux îles de la Sonde, à Java, à Sumatra, dans
la moitié de Bornéo, à Célèbes, aux Moluques, dans la
moitié de la Nouvelle-Guinée etc.
,
4° Les
Anglais sont maîtres en Australie, en Nou¬
velle-Zélande, dans les îles Peal, Labuan, Norfolk,
Van Diemenou Tasmanie, Chatham, Bounty, Campbell,
Auckland, Macquarie , aux Cocos ou Boscawen.
5° Les Allemands ont des stations
aux
îles Saucoa et
Tonga.
6° La France règne en souveraine ou en protectrice à
la Nouvelle-Calédonie, aux îles Marquises, à l'archipel
de la
Société, à
ceux
de Gambier, de Wallis,
Clipperton.
Tuamotou ou Paumoutou et à
aux
îles
L'OCËANIE
17
Au
point de vue agricole, industriel et commercial,
certaines contrées de l'Océanie ont fait, depuis un quart
de
siècle, d'immenses progrès que chaque année tend
Levasseur, membre de l'Institut, dans
son livre intitulé : La Terre moins
l'Europe, apprécie de
la façon suivante le mouvement des affaires dans la cin¬
quième partie du monde.
« Le commerce de
l'Océanie, commerce tout mari¬
time, excepté entre Victoria et la Nouvelle-Galles du
Sud, peut être évalué à plus de deux milliards
(2,200,000,000 de francs), très inégalement répartis
entre les trois groupes. Celui de la Polynésie ne monte
guère qu'à Une vingtaine de millions ; celui de la Malai¬
sie, à cinq ou six cents millions ; celui de l'Australasie
ou Mélanésie, à seize ou dix-sept cents millions... La
proportion du commerce par tête est notablement supé¬
rieure à celle de l'Afrique : elle est presque le double de
à accroître. M.
celle de la Russie.
commerce, l'Angleterre figure pour plus du
tiers, c'est-à-dire pour environ huit cents millions : si
l'on considère, non pas le pays de provenance ou de
destination, mais le pavillon sous lequel les produits
sont transportés, elle figure pour plus de moitié. La
Hollande, à cause de ses colonies, est au second rang;
les États-Unis, l'Espagne, l'Allemagne, au troisième;
«
le
Dans
ce
commerce
direct de la France
avec
l'Océanie n'est
de huit millions. »
Après avoir jeté sur l'Océanie un coup d'œil d'en¬
semble, nous allons successivement revenir à celles de
ses parties sur
lesquelles nous avons pu recueillir des
détails spéciaux dignes de quelque intérêt.
que
CHAPITRE
II
Groupe espagnol : les Carolines et les Mariannes, peu importantes;
les Philippines, d'une valeur considérable; Manille,
capitale,
ses fortifications ; gouvernement paternel. — Dévouement et suc¬
cès des religieux jésuites, franciscains, dominicains et augustins.
Quatre millions de catholiques répartis dans cinq dio¬
cèses.
Piété, respect du dimanche, culte de la très sainte
Vierge, processions solennelles.— Pouvoir absolu des chefs mi¬
tigé par des institutions municipales où l'élection joue un rôle
sérieux.
Les rois d'Espagne ont donné aux indigènes un dé¬
fenseur spécial appelé le Protecteur des Indes. — Ils trouvent leur
meilleur appui dans la sollicitude des religieux placés à la tête
de leurs paroisses.
—
—
—
Le groupe
espagnol des îles océaniennes se compose
Carolines, des Mariannes et des Philippines. Sa ca¬
pitale, Manille, située dans l'île Philippine appelée Luçon, est la résidence du gouverneur, qui porte le titre
de capitaine général. La population de Manille est de
vingt mille habitants environ, Européens pour un tiers.
Cette ville possède un siège archiépiscopal1, une cour
d'appel, une université, un collège de missionnaires.
Les maisons sont régulièrement bâties, et n'ont
pour la
des
1
Indépendamment de l'archevêché de Manille, les Philippines
comptent les trois évêchés de Zébu, Nova Segovia et Nova Caceres.
La majorité de leur nombreux clergé se recrute
parmi les indigènes.
L'OCÉANIE
19
plupart qu'un seul étage. A la place de vitraux, les fe¬
nêtres sont fermées par des
coquillages transparents.
Les habitants catholiques méritent d'être cités
pour
leur dévotion envers la sainle
Vierge. « ... A Manille,
dit Mgr
Retord, le respect humain est heureusement in¬
Vous voyez une bonne partie du
peuple, hommes
et femmes, se faire un honneur de
porter ostensible¬
ment le scapulaire sur l'épaule et le rosaire au cou.
«
Lorsque sonne l'heure de l'angélus, chacun s'em¬
presse de saluer Marie. Dans les ateliers, on suspend
tout travail; au sein des familles, on se met à
genoux;
sur les places
publiques, on se découvre; dans les rue3
et à la promenade, on s'arrête et l'on
prie.
« Je fus
pour la première fois témoin de ce spectacle,
un soir
que j'étais allé en pèlerinage au cimetière, qui
est très petit et fort beau. A mon
retour, je me trouvai
près des remparts, au milieu d'une grande foule qui se
promenait à la fraîcheur. D'un côté de l'esplanade, les
soldats indiens exécutaient une musique qu'on
appré¬
cierait même à Paris ; de l'autre, les troupes espagnoles
faisaient l'exercice,
« Soudain
je vis tout ce monde, militaires et civils,
mettre chapeau bas, s'arrêter et faire silence. De bril¬
connu.
lants cavaliers sautaient à terre et
paraissaient se re¬
cueillir ; d'élégantes dames descendaient de voiture, et,
debout au milieu du chemin, dessinaient de grands
signes de croix
courir
: sur cette
multitude immobile semblait
confus et
mystérieux de prières. Je
surpris et bien édifié.
«
Quoique je ne susse pas d'abord ce que cela vou¬
lait dire, je me mis de la partie comme un vieil habitué;
mais en entendant sonner les cloches de la
ville, je
compris que c'était l'angélus.
« A ce
trait, on devine que la religion est florissante
à Manille. Ses treize
églises sont d'une richesse remarfus
un
murmure
L'OCÉÀNIE
20
quable; ses autels sont couverts ou plutôt sont chargés
d'argent. L'or aussi est prodigué sur les ornements. »
Les navigateurs européens qui découvrirent lé groupe
espagnol étaient de généreux chrétiens, sérieusement
décidés à éclairer les populations avec lesquelles ils en¬
traient en relations ; c'est assez dire qu'ils facilitèrent
l'arrivée des missionnaires. Les premiers apôtres furent
martyrisés par les païens et les musulmans ; mais l'un
de ces vaillants religieux, le P. Sauvitores, d'une illustre
naissance, avant de tomber sous les coups des indi¬
gènes, avait propagé le catholicisme dans trois îles; il
avait fondé plusieurs séminaires et baptisé cinquante
mille infidèles.
Siècle, les Philippines comptaient
plus de quatre cent mille conversions, et les pacifiques
conquêtes ne s'arrêtèrent que quand elles se furent
étendues aux quatre millions d'habitants restés jusqu'à
présent fidèles à la foi catholique.
Les Carolines sont ainsi appelées, parce qu'elles
furent découvertes, sous le règne de Charles II, par les
Espagnols, qui en prirent possession au nom de leur
souverain. Les indigènes appartiennent pour la plupart
à la race malaise, vivent de pêche et sont habiles navi¬
gateurs. Le premier apôtre de ces îles, le P. Centora,
A la fin du xvi°
répandit dans de nombreuses âmes les lumières de la
vérité. Les descendants de ces néophytes sont doux et
pacifiques.
Les Mariannes durent leur
que
l'Espagne s'en
nom
empara sous
à cette circonstance
le règne de Marie-Anne
d'Autriche.
M. Jurien de la Gravière raconte de curieux détails
sur ces
1
îles lointaines 1
:
Voyage de la Dagonnais dans les
amiral Jurien de la Gravière. 2
mers
de Chine,
par
le vice-
volumes; Henri Pion, à Paris.
L'OCÉANIE
21
«
Situé à quatre cents lieues environ des Philip¬
pines l'archipel des Mariannes se compose de dix-sept
îles ou îlots, et s'étend du 13a au 20° degré de latitude.
On serait tenté de reconnaître dans ces îles, ainsi éche¬
lonnées vers le Nord, autant de degrés naturels par les¬
quels ont dû descendre les émigrations japonaises ou
mongoles, des bords de l'Asie septentrionale jusqu'aux
groupes occidentaux de l'Océanie, Il est certain que le
régime des vents qui régnent dans l'océan Pacifique
rapproche les îles Mariannes des côtes du Japon, tandis
que ces mêmes vents les placent, pour ainsi dire, hors
de la portée des naturels de la Malaisie. En admettant
ce mode de colonisation, on
comprendrait sans peine
comment, en 1666, lorsque les Espagnols vinrent planter
leur drapeau sur les îles Mariannes, les institutions, les
noms, le langage même des habitants conservaient en¬
core les traces incontestables d'une
origine asiatique...
«
Montueuses et accidentées, les quatre îles du
groupe méridional1 n'ont pas de sommet dont la hau¬
teur dépasse cinq cents mètres. Ces îles sont arrosées,
pendant la saison des pluies, par de nombreux ruis¬
seaux, toujours prêts à se changer en torrents ; elles ont
à craindre, pendant le reste de l'année, de funestes sé¬
...
,
cheresses. Des tremblements de terre les ont souvent
ébranlées jusque dans leurs fondements, et d'affreuses
tempêtes dévastent leurs rivages. Aussi les îles Ma¬
riannes n'auraient pas tenté l'ambition de l'Espagne
si elles ne se fussent trouvées sur la route du galion des
Philippines, qui, pendant plus d'un siècle, ne manqua
jamais, soit en partant de Manille, soit en revenant
d'Acapuleo, de relâcher sur un des pointa de cet archipel.
1
Elles se nomment G,uam,, Saypan,,
ïfo.tau Tinian, et sont les
plus importantes de l'archipel. Leur population ne dépasse pas dix
mille habitants. L'île de Guam à elle seule
compte environ huit
mi.Uç à,mes.
j*
L'OCÉANIE
22
«
Ce n'est pas
à l'Espagne
que
l'on peut reprocher de
trop d'âpreté dans l'exploitation de ses posses¬
sions coloniales. Son gouvernement a poussé, sur ce
montrer
point, la modération jusqu'à l'indifférence. C'est sur¬
l'on peut remarquer
ces tendances apathiques. Aucun effort ne trahit le dé¬
sir d'améliorer les finances ou de développer les res¬
sources de la colonie. Jamais possession lointaine ne
put se croire plus complètement oubliée de la métropole
que cet archipel; mais aussi jamais joug plus léger ne
pesa sur ce peuple. Les indigènes doivent à l'État qua¬
rante jours de travail pour l'entretien des routes. C'est
à l'accomplissement de ces corvées personnelles que
se bornent leurs obligations envers la couronne d'Es¬
tout dans les îles Mariannes que
pagne.
« L'administration d'une semblable colonie devait
se
faire remarquer par
la simplicité de ses rouages. Le
gouverneur, investi d'immenses prérogatives, y rend la
justice comme Sancho dans l'île de Barataria. Dans la
plupart des circonstances, ce haut fonctionnaire pro¬
nonce sans appel des sentences qui sont sur-le-champ
exécutées ; si la gravité de la faute paraît exiger une ré¬
pression plus sévère que le châtiment corporel infligé
d'ordinaire aux délinquants, le concours des principales
autorités de l'île de Guam devient nécessaire. L'inten¬
chargé de présider à l'emploi des fonds expédiés
le trésor de Manille, le comman¬
dant des cent cinquante Indiens qui composent la gar¬
nison, les cinq ou six officiers sous les ordres desquels
marche cette indolente milice, les alcades qui admi¬
dant
tous les deux ans par
nistrent les districts d'Umata et de Merizo, sont alors
convoqués et consultés par le gouverneur. Il est d'autres
occasions où le
premier fonctionnaire de la colonie est
appel aux lumières de cette junte supé¬
rieure; mais, lorsqu'il ne s'agit pas de matières juditenu de faire
L'OCÉANIE
ciaires, le
23
des îles Mariannes n'est nulle¬
les résolutions qu'il a provoquées, et
c'est sa volonté seule qui décide.
« Si un pouvoir absolu et sans contrôle réside entre
les mains du délégué de la couronne d'Espagne, les ins¬
titutions municipales n'en jouent pas moins un
grand
gouverneur
ment enchaîné par
rôle dans l'île de Guam. Une sorte d'élection à deux de¬
grés y désigne au choix du gouverneur, par la voix des
notables de l'île, des gobernadocillos, des tenianles de
justicia et des alguaziles, magistrats indigènes, qui
reçoivent pour insignes de leurs fonctions la canne à
pomme d'or ou d'argent et le rotin vénéré des Indiens.
C'est par l'intermédiaire de ces officiers
municipaux que
s'exécutent, avec une ponctualité remarquable, les rè¬
glements de police et les divers commandements de
l'autorité supérieure.
«
Les augustins déchaussés, qui succédèrent aux
jésuites en 1767, n'ont rien perdu de la puissance mo¬
rale des premiers missionnaires...
...
On
imaginerait difficilement un contraste plus com¬
plet que celui que présentaient les curés d'Agagua et
d'Agat, le P. Vicente et le P. Manoël, tous deux mem¬
«
bres de la même communauté, tous deux entourés d'un
égal respect
par
leurs paroissiens... Le P. Vicente avait
tout oublié pour ne
songer qu'à ses chers Indiens,
leur salut et à leur avancement
spirituel. Sa
à
physio¬
nomie
,
son
front sillonné de rides précoces,
ses
traits
amaigris
par l'ascétisme et par les travaux apostoliques,
méritaient de rester gravés dans notre mémoire. Il me
semble
encore
voir cette
figure austère,
ces yeux caves,
regard éclairé d'un feu sombre dont la charité évangélique tempérait à peine l'éclat. Il y avait un moine
du moyen âge dans le curé
d'Agagua; sa figure, enca¬
drée par le froc blanc des
augustins, rappelait à s'y
méprendre les types rendus célèbres par le pinceau des
ce
L'OCÉANIË"
24
Ribeira
ou
épanouie et
cune
de
ces
des Yélasquez. Le P. Manoël, avec sa face
son triple menton, ne pouvait éveiller au¬
idées poétiques. Une foi sincère, un sérieux
attachement à tous
sa verve
ses
andalouse et
devoirs rachetaient amplement
aimable abandon. L'infati¬
son
gable curé s'occupait avec la même ardeur des intérêts
spirituels et des intérêts temporels de ses ouailles.
C'était lui qui leur avait appris à choisir les terrains
convenables pour la culture du maïs et pour celle du
taro, qui leur avait conseillé de ployer au joug leurs
boeufs à demi, sauvages, et de naturaliser dans leur île
les chevaux de Sydney ; c'était lui qui leur recomman¬
dait sans cesse d'ensemencer leurs terres et d'engraisser
leurs bestiaux, afin d'attirer à Guam ces navires balei¬
niers dont la présence peut seule vivifier aujourd'hui les
îles de l'Océanie. Le village d'Agat se ressentait de l'ac¬
tive et bienfaisante influence de son curé. C'était le vil¬
lage le mieux aligné et le plus propre de l'île. La route
qui le traversait était toujours ex.em.Pte de fondrières ;
les ponts, s'ils étaient emportés par un ouragan, se
trouvaient à l'instant rétablis. L'église, bâtie et entre¬
tenue par la piété des fidèles, n'avait sa pareille dans
nul autre village ; et quand, à la lueur des cierges flam¬
boyant sur l'autel, la Madone apparaissait revêtue de
ses habits de fête, on eût pu remarquer sur la sainte
image des perles et des dorures à faire mourir d'envie
tous les habitants d'Agagua. »
Les Carolines et les Mariann.es sont des. possessions
peu importantes ; mais les Philippines forment un
groupe d'une valeur considérable, et leur sont ratta¬
chées par le lien administratif, malgré les quatre cents
lieues qui les séparent. Dans l'année 1520, sous le règne
de Philippe II, le Portugais Magellan s'en emparait pour
le compte de l'Espagne, et périssait dans ces lointains
parages, laissant à Sébastien del Cano, l'un de ses
L'OCÉANIE
compagnons, la
gloire d'achever
25
son œuvre
et d'accom¬
plir le premier
voyage autour du monde.
Situé entre les côtes de la Chine et les colonies hol¬
landaises, cet archipel comprend douze îles principales,
entourées de soixante îlots, et composant
trente-quatre
provinces. On y distingue trois groupes plus importants :
l'île de Luçon, au nord ; au midi, Mendanâo ; entre ces
deux grandes îles, le groupe des
Bisayas.
A la suite des Espagnols, les missionnaires
s'empres¬
sèrent de venir évangéliser les nombreux
indigènes,
adonnés au vice et spécialement au vol, ce
qui fit ap¬
peler d'abord le pays archipel des Larrons. Mais le
sublime dévouement des religieux
jésuites, franciscains,
dominicains et augustins, triompha de tous les
obstacles,
et conquit à la vérité plus de
quatre millions d ames,
réparties en cinq, divisions. Les fervents apôtres ap¬
prouvèrent chez ces peuplades les coutumes qui n'a¬
vaient rien de blâmable, afin de gagner plus vite la
confiance et d'améliorer plus sûrement des mœurs per¬
dues par une corruption raffinée. Ils traduisirent l'Écri¬
ture sainte, composèrent de pieux
cantiques en tagalien
(langue du pays), et soutinrent pendant cent quatrevingt-dix ans la foi des populations, persécutées par les
mahométans.
Les deux tiers des habitants vivent
dans
l'île de
Luçon. Sa superficie totale est de cent douze mille kilo¬
mètres, à peu près le quart de celle de la France. Manille,
sa ville capitale, est la résidence du
gouverneur. Sa ca¬
thédrale est remarquable; la richesse de son commerce
atriplé depuis 1850. Cent mille âmes habitent Mendanâo,
et
un
million trois cent mille
peuplent les Bisayas.
Philippines, dit M. le vice-amiral Jurien de
la Gravière, ne connaissent, comme
presque toutes les
contrées situées sous les tropiques, que deux saisons
bien distinctes : la saison pluvieuse et la saison sèche.
«
...
Les
2
L'OCËANIÊ
'26
Dès que
la mousson du sud-ouest règne
dans la mer de
Chine, l'île de Luçon voit ses champs inondés par de
longues journées de pluie ou de soudains orages. Vers
juillet s'élèvent les vents d'ouest, qui
la plage de Ma¬
nille. Du mois d'octobre au mois de décembre, les deux
moussons se combattent et se repoussent. Ce ne sont
plus alors les vapeurs d'un jour d'été qui vont se con¬
denser au sommet des montagnes ; ce sont de lourdes
nuées que des brises variables rassemblent des extrémi¬
tés opposées de l'horizon.
« La
ville de Manille proprement dite est entourée
d'un large fossé qu'alimentent les eaux du Passig, et de
hautes murailles qui se développent sur un espace de
trois mille cinq cents mètres. Dix mille habitants sont
renfermés dans cette enceinte. La citadelle de Santiago,
la fin du mois de
roulent souvent d'énormes vagues sur
occupe un des angles
seule une place forte. Les
qui
de la cité, formerait à elle
Espagnols ont possédé jadis
la singulière activité des zoophytes : partout où leur
pied se posait, on voyait s'élever des remparts. La ville
de Manille eût pu figurer au nombre de celles qui cou¬
vrirent
en
moins d'un siècle les rivages
du
nouveau
imposantes fortifications n'ont point empê¬
ché cependant les Anglais de s'emparer, en 1762, de la
capitale des Philippines; confiées, comme elles le sont,
monde. Ces
à la
garde de régiments indigènes, elles seraient d'un
secours contre une insurrection populaire. Le
faible
plus grand inconvénient attaché à ce système de dé¬
fense, c'est d'obliger les autorités espagnoles à résider
dans une ville où la brise du large ne pénètre qu'à re¬
des Philppines
qui aient pu revoir l'Espagne; la température étouffée
de cette prison militaire a ruiné leur santé et abrégé
gret. On cite bien peu de gouverneurs
leur existence. La ville
officielle, que n'égayé pas l'acti¬
vité, s'est réfugiée sur l'autre rive du Passig.
L'OCËANIE
Le
«
sombre
faubourg de Binoudo offre
:
un aspect moins
de nombreuses boutiques, des
plein vent ; on y sent circuler l'air et la vie.
on
y rencontre
étalages en
Cependant ce
avec
27
sont encore des
leurs maisons
ment que vous
rues presque
européennes,
contiguës et leur inflexible aligne¬
retrouvez ici, sur un terrain où le défaut
d'espace n'excuse plus cette disposition routinière.
Chaque maison est, à la vérité, entourée d'une galerie
de trois à quatre pieds de
large qui fait saillie sur la
rue. Pendant la
nuit, ou quand l'orage éclate, des
cadres à coulisse, garnis d'écaillé
transparente, ferment
ces balcons
auxquels l'intérieur des appartements doit
un
peu de fraîcheur.
«
...
La solennité du dimanche est, d'une extrémité à
l'autre de
l'archipel, célébrée par une foi naïve qui, si
inspirer à ces peuples enfants l'austérité
des anachorètes ou les généreuses ardeurs
qu'elle éveille
souvent dans nos âmes, leur a du moins
appris la dou¬
elle
n'a pu
ceur
et la soumission.
Chaque village a sa fête patronale, son saint parti¬
culier qu'il honore. Manille rend grâce à saint André de
la protection que cet
apôtre étendit sur elle le 30 no¬
vembre '1574. Un chef de pirates
chinois, Li-ma-hong,
était venu mettre le siège devant les
remparts qui ve¬
naient à peine de s'élever sur la rive du
Passig. Le
conquérant de Luçon, Legaspi, était mort : le trésorier
Guido de Labezares lui avait succédé; mais
l'épée de la
conquête, le bras droit de Legaspi, don Juan de Salcedo, était absent ; il se trouvait alors sur la côte occi¬
dentale. Don Juan vit passer la flotte
qui allait assiéger
Manille, et la suivit de près avec cinquante-cinq Espa¬
gnols. Ce renfort inespéré releva le courage de la gar¬
nison ; une sortie
vigoureuse dispersa les Chinois, et la
colonie fut sauvée. C'est en mémoire de ce
grand événe¬
ment que, chaque
année, la bannière royale parcourt
«
L'OCÉANIE
de la ville portée par l'alferez, que le
général a choisi parmi les membres de la
municipalité. Les troupes sont sous les armes, les au¬
torités ont revêtu leurs plus riches costumes; l'air re¬
tentit d'hymnes pieux et de fanfares guerrières... Le nom¬
breux clergé qui suit l'archevêque, les vierges indiennes
vêtues de blanc, les images des saints parées des plus
riches atours, les dais de pourpre sous lesquels fument
les encensoirs, les branches de feuillage dont la voie
publique est jonchée, tout cet appareil qui embellit
aussi les fêtes de l'Espagne et de l'Italie, souvent même
celles de la France mérionale, n'est pas ce qui étonne
le plus les regards du voyageur. Ce qu'il ne remarque
pas sans surprise, c'est le sentiment unanime dont cette
foule immense est remplie : dès que l'hostie sainte se
montre aux mains du prêtre, tous les fronts se décou¬
vrent, tous les genoux fléchissent; les tambours battent
aux champs, les drapeaux s'humilient : c'est le Roi du
toutes les rues
gouverneur
ciel et de la terre
«
On
ne
qui passe !
processions sont
d'ailleurs, un beau
saurait croire à quel point ces
chères aux Indiens...
N'est-ce
pas,
spectacle que celui des vainqueurs et du peuple conquis
confondus dans une commune adoration ? La conquête
n'en devient-elle pas plus indulgente, le joug plus léger,
la soumission plus honorable ?
Les habitants qui peuvent se targuer, à tort ou à
raison, d'une origine européenne, forment à Manille
une aristocratie qui a plus de prétentions que de privi¬
lèges. Les métis, issus de femmes tagales (c'est-à-dire
indigènes) et de pères espagnols ou chinois, composent
ce qu'on pourrait appeler la classe moyenne... On compte
à peine cinq mille Européens et dix mille Chinois dans
l'île de Luçon : les derniers recensements accusent, au
contraire, une progression rapide dans le chiffre des
métis. On évalue à vingt mille âmes la classe des métis
«
L'OCÉANIE
29
espagnols, à cent soixante mille celle des métis chinois,
La plupart des Chinois sont restés fidèles au culte
de Bouddha. Ils sont venus à Manille pour s'enrichir,
et ne songent qu'au moment où ils pourront se rap¬
procher du tombeau de leurs ancêtres ; mais leurs en¬
fants, élevés par des mères chrétiennes, professent tous
la religion catholique. Avec leur sang mongol, les Chi¬
—
nois ont transmis à cette race
trie et leur
intermédiaire leur indus¬
esprit spéculateur. Les métis, et surtout les
chinois, sont les seuls capitalistes des Philippines.
ont le sentiment de l'avenir ; les Indiens ne l'ont pas.
métis
Ils
qu'un Tagal a gagné une piastre , il ne songe qu'au
de la dépenser ; ce dissipateur insouciant est la
cigale de la fable. Le métis, au contraire, a reçu en
partage l'instinct économe et prévoyant de la fourmi : il
s'enrichit par ses épargnes plus encore que par ses
spéculations : les grandes affaires lui font peur; mais il
Dès
moyen
produits agricoles
Philippines sont l'objet...
«
L'Espagne n'emploie qu'un très petit nombre d'a¬
gents européens aux Philippines : elle doit, par consé¬
quent, leur conférer d'immenses attributions. Le capitaine
général de l'armée est aussi le chef de toutes les admi¬
excelle dans les transactions dont les
des
nistrations civiles. La direction seule des finances a été
soustraite à
son
autorité dans l'année 1784. L'audience
royale, destinée à servir de contrepoids à cette omni¬
potence, est à la fois le tribunal supérieur qui juge en
dernier ressort les causes civiles et criminelles, et le
conseil du gouvernement, dont le capitaine général doit
prendre l'avis avant d'adopter aucune mesure impor¬
tante.
Dans les
provinces, des préfets, sous le nom
d'alcades, sont investis par le capitaine général de tous
les pouvoirs
civils et militaires. Ces alcades sont sou¬
l'acception du mot. Ce sont eux
verains dans toute
qui président à la répartition du contingent de la milice,
L'OCËANIE
30
qui surveillent l'entretien des routes et la perception
des impôts, qui rendent aussi la justice en
première
instance... Comme délégués de leur autorité dans les
divers villages de la province, les préfets espagnols
n'ont que des agents indigènes.
L'Espagne a emprunté
ce rouage
indispensable à l'état social qu'elle était appe¬
lée à transformer.
En débarquant dans l'île de Luçon, les
compagnons
Legaspi n'y trouvèrent point de grand centre poli¬
tique. Tout au plus quelques rajahs avaient-ils réussi
à faire reconnaître leur suprématie
par un certain
«
de
nombre de tribus.
Le morcellement de l'autorité était
infini.
Chaque bateau qui avait abordé sur la côte de
Luçon y avait transporté un chef, le dato, et quarante
à cinquante subalternes. Telle avait dû être
l'origine
d'une aristocratie héréditaire et d'une classe inférieure
qui évitaient
avec
intestines avaient
des esclaves. Les
soin de
se
confondre. Les querelles
ajouté à ces deux catégories la classe
Espagnols abolirent l'esclavage et
reconnurent le droit exclusif de l'aristocratie indienne
privilèges politiques. Chaque dato fut chargé, sous
de cabeza de barangay, de maintenir le bon
ordre et l'harmonie au sein des cinquante familles dont
on lui laissa la direction. Ce fut lui
qui répartit les cor¬
vées, régla les différends, et fut chargé du recouvre¬
ment de l'impôt, dont il fut lui-même affranchi ainsi
que
son premier-né...
Lorsque l'absence d'un héritier mâle
rendit une cabeceria vacante, lorsque le
développement
de la population vint accroître le nombre des barangays, ce fut sur la proposition de tous les chefs du vil¬
lage que fut nommé, par l'autorité supérieure de la
province, le nouveau membre de cette aristocratie lo¬
cale... Cette organisation ne donnait que des chefs de
quartier; il fallait un maire, des adjoints, des juges de
paix, une police au village. C'est encore à l'élection
aux
le
nom
L'OCÉANIE
31
qu'on les a demandés. Treize électeurs choisis, la moi¬
parmi les cabezas en place, l'autre moitié parmi les
notables qui ont déjà exercé des fonctions municipales,
procèdent chaque année, dans le courant du mois de
décembre, à la nomination d'un gobemadorcillo, maire
ou
capitaine du village, d'un adjoint, tenienle, d'un
certain nombre d'agents de police, alguaziles, et de
trois juges, dont le premier a l'inspection des terres
ensemencées, le second des plantations, le troisième
des troupeaux. Les gobernadorcillos sont, ainsi que
l'indique leur titre, des gouverneurs au petit pied. C'est
à leur tribunal que sont déférées les causes civiles, tant
qu'il ne s'agit pas d'une valeur supérieure à quarantequatre piastres. Ce sont eux qui doivent faire la pre¬
mière instruction criminelle, et qui reçoivent l'impôt
recouvré par les soins des cabezas... Les rois d'Es¬
pagne avaient poussé la sollicitude pour leurs nou¬
veaux sujets jusqu'à leur nommer un défenseur spécial
qui portait, au sein du conseil du gouvernement, le titre
de protecteur des Indes. Cette précaution cependant n'eût
pas sauvé la population tagale des excès de pouvoir de
tant d'agents sans contrôle, si les religieux n'eussent
offert à leurs néophytes, sur tous les points du terri¬
toire, une protection plus immédiate et plus efficace. Le
missionnaire vivait au milieu des indigènes qu'il avait
.conquis à la foi... Le village qui s'élevait au milieu des
forêts vierges était son œuvre, il n'avait d'autre joie,
d'autre orgueil que de le voir prospérer. Au sein de
tié
cette communauté
le
naissante, il était le consolateur et
pacificateur, il était le juge, il était surtout l'avocat.
C'était lui qui allait porter à Manille les doléances de
ses paroissiens, et qui, grâce à la puissance dont l'in¬
vestissaient les ordres de la métropole, servait de frein
aux exigences de l'autorité locale... »
CHAPITRE
III
Colonies hollandaises. — Seize millions d'habilants sous la dépen¬
dance pu la suzerainelé de la Hollande. — La superficie de Bornéo
dépasse celle de la France. — La Nouvelle-Guinée, la plus grande
îlo du monde.
Sumatra, avec sa population de quatre millions
Gélèbes, l'île la plus importante des Moluques.— Java,
la première dps colonies hollandaises. — Caractère et coutumes
des Javanais.
Batavia.
Améliorations dues au général comte
d'âmes.
—
—
—
der Bosch.
—
Château et parc
de Builenzorg. — Cavernes
Organisation administrative
et judiciaire. — Dépravation des indigènes.r— Abus tolérés de la
pai't des fonctionnaires.— Le régent de Bandoug.
van
où la
—
salangana bâtit
ses
nids.
—
Les établissements hollandais
occupent une grande
Océanie. Ils comprennent, sous leur dépen¬
dance ou leur suzerainelé, quinze cent mille kilomètres
de territoire et seize millions de sujets. Parmi les rois
indigènes, quelques-uns sont indépendants; la plupart
sont tributaires. Banca, Florès, Sumbawa, Sandalwod,
Java, les Moluques, la plus grande partie des îles de
Bornéo, Sumatra, la Nouvelle-Guinée, Gélèbes et Ti¬
mor composent les points les plus saillants des posses¬
sions de la Hollande : la suprématie qu'elle a sucessivement conquise sur ces diverses contrées, au prix
d'efforts persévérants, de procédés rigoureux et de nom¬
breux sacrifices, s'exerce sous des formes diverses, à
place
en
des conditions souvent
onéreuses, et les
revenus
de
L'OCÉANIE
33
métropole sont loin de correspondre à l'étendue de
possessions. Si l'on excepte Banca et Java, on trouve
peu de domaines où les recettes de l'État soient supé¬
rieures à ses dépenses.
La superficie de Bornéo dépasse celle de la France.
Sa longueur est de douze cent quatre-vingts kilomètres
sur une largeur de douze cents kilomètres. Découverte
par les Portugais en 1521, elle vit en 1604 les Hollan¬
la
ses
dais s'établir sur son territoire.
Le
diamant
constitue
son
principal produit. Elle
compte plus de trois millions d'habitants de diverses
nationalités : Javanais, Malais, Chinois, Hollandais et
Anglais s'y rencontrent, attirés par l'espoir d'améliorer
position.
L'île se divise en deux parties. L'une, appartenant à
la Hollande, comprend deux provinces désignées sous
le nom de résidence de la côte occidentale ; son cheflieu est le port de Pontianak (vingt mille âmes). L'autre
partie, appelée résidence de la cour orientale, contient
plusieurs royaumes indigènes, entre autres celui de
Bornéo, avec une capitale du même nom ( trente mille
âmes).
En 1881, le séminaire de Saint-Joseph situé à Mill
Gill, près de Londres, a envoyé plusieurs prêtres à
Bornéo pour y fonder une mission, bien accueillie par
le rajah ou gouverneur du pays, qui est Anglais d'ori¬
gine.
La Nouvelle-Guinée ou Papouasie, découverte en
1529 par l'espagnol Saavedra, doit son nom à la res¬
semblance de ses habitants avec ceux de la Guinée
africaine; c'est l'île la plus grande du mondé, abstrac¬
tion faite du Groënland, dont l'étendue n'est pas encore
constatée. Deux races distinctes se sont perpétuées
dans cette contrée. Les Papouas, venus de Bornéo, se
reconnaissent à leur taille svelte, à leurs traits régu-
leur
2*
L'OCÉANIE
34
liers, à leur volumineuse chevelure. Les indigènes
(Aroforous
ou
Alforous) sont nègres, féroces, anthro¬
pophages.
Les Hollandais se sont établis en 1829 dans la Nou¬
velle-Guinée ; ils la comprennent dans leurs colonies,
mais ne la possèdent guère que nominalement.
La Nouvelle-Guinée forme avec
l'archipel Salomon,
Nouvelle-France, etc., l'un des deux vicariats apo¬
stoliques récemment créés par le souverain pontife, et
la
confiés
aux
missionnaires du Sacré-Cœur d'Issoudun
;
l'autre, situé en Micronésie, se compose des archipels
Carolines, Marshal, Gilbert, etc. Cette immense mis¬
plus de douze cents lieues carrées, à sept mille
lieues de la mère patrie, s'adresse à des naturels fé¬
roces, qui vivent dans un climat souvent insalubre.
Sumatra, l'une des grandes îles de la Malaisie, n'est
séparée de la péninsule de Malacca que par le détroit
sion de
du même
nom.
Son territoire est traversé par une
longue chaîne de montagnes volcanisées. Le pic le plus
élevé est à quatre mille cinq cents mètres au-dessus du
niveau de la
Sa
mer.
population est évaluée à quatre millions d'habi¬
tants.
La
partie hollandaise de l'île comprend la ville de
Padang et celle de Palembaug, capitale de la colonie,
située sur le fleuve du même nom, à cent kilomètres de
la
mer.
partie indépendante renferme plusieurs royaumes :
plus important, celui d'Àchem, a pour chef-lieu une
ville du même nom. C'est la cité la plus commerçante
de l'Océanie indigène ; on y remarque des manufactures
La
le
de coton et de
Les
soie, des fonderies de
canons
,
etc.
Moluques furent découvertes, en 1511, par les
Portugais, qui les exploitaient en secret, craignant
d'être troublés dans la possession de leur nouvelle for-
35
L'OCÉANIE
tune. Ils semblaient
pressentir qu'ils n'en jouiraient pas
longtemps.
végétation des tropiques, ces îles pro¬
huit mètres de haut, des gi¬
rofliers de dix mètres, etc. Aussi sont-elles surnommées
les îles aux épices.
La plus importante de toutes est Célèbes, avec sa po¬
pulation de deux millions ; ses profondes échancrures
Parées de la
duisent des muscadiers de
la divisent en
Sa configuration, aussi
lui donne une largeur moyenne de
quatre presqu'îles.
étroite qu'irrégulière,
quarante milles,
disposition favorable à l'exploitation de
bois d'ébène, par exemple, et
lesquels se fabriquent les
meubles et se construisent les navires.
Macassar est la ville principale et le port de la côte
méridionale. Ce nom désigne à la fois le fort de Rot¬
terdam et la cité de Viaardingen (dix-huit mille âmes),
son commerce annuel dépasse trente millions ; sa rade
pourrait abriter une flotte ; son horizon est émaillé de
nombreux îlots verdoyants, habités par dix mille indi¬
gènes. La pêche est la ressource de cette population.
Le poisson abonde; le riz et les fruits se vendent à très
bas prix : ainsi se trouve résolu le problème de la vie
frugale à bon marché. La Hollande ne possède de ce côté
que quelques districts peu importants; le reste de cette
partie de l'île appartient à des rois vassaux ou alliés.
Ménado est une autre place forte hollandaise, située
vers la pointe septentrionale des Célèbes. On compte de
ce côté deux cent quinze mille idolâtres ou mahométans, et dix mille chrétiens. Les campagnes environ¬
ses
de
vastes forêts,
ses
de
ses
autres essences, avec
nantes
produisent en abondance le riz, le
café et le
Le gouvernement s'est réservé le monopole du
café. Il le payait naguère encore aux indigènes qua¬
rante-trois centimes le kilogramme, et le vendait à peu
cacao.
près trois fois
plus cher. Au contraire, la culture
et le
36
L'OCÈANIE
commerce
du
cacao
sont tout à fait
libres, et répandent
l'aisance. Aussi voit-on autour de la ville de nombreux
jardins de cacaotiers au clair feuillage et aux longs
fruits d >rés. A l'intérieur, on fabrique des cordages de
palmier pour la flotte coloniale, et on accumule les pail¬
lettes d'or extraites de plus de quatre-vingts mines,
situées dans le district de Coroutalo.
Parmi les colonies hollandaises, Java occupe le pre¬
mier rang. La population s'est multipliée depuis qu'elle
a consenti à recevoir le bienfait de la vaccine. De
quatre
millions six cent mille, son chiffre s'est élevé à
sept
millions. Très rapprochée de Sumatra, elle en est sépa¬
rée par
le détroit de la Sonde. Plus vaste que Ceylan et
Saint-Domingue, sa superficie, à peu près égale à celle
de l'Angleterre, mesure cent
soixante-quinze lieues de
long sur vingt-six lieues de large. Au milieu de longues
chaînes de montagnes, couvertes de
magnifiques forêts,
et recèlent jusqu'à trente-huit
volcans, autour de larges
bandes de terres très fertiles, les habitants cultivent,
sous la direction des colons
hollandais, deux millions
d'hectares. Le climat, à la fois très humide et très
chaud, procure une végétation luxuriante; mais en
même temps il favorise la naissance de fièvres
perni¬
cieuses qui déciment de temps à autre la
population.
Cinq
races
différentes
se
côtoient dans cette grande
île. Les Javanais
indigènes, de beaucoup les plus nom¬
breux, habitent l'intérieur du pays. Le bouddhisme
répand dans leurs esprits ses obscurs systèmes et ses
nuageuses erreurs.
Les Malais, venus des
grandes îles du
trouvent des travaux plus rémunérateurs
leur pays.
Dès lexv°
voisinage,
que ceux
y
de
siècle, les mahométans s'y sont établis.
cinquante mille Chinois forment la classe la
plus habile et la plus industrieuse.
Cent
L'OCÉANIE
37
Enfin
quinze mille Européens, Hollandais pour la
plupart, se livrent au commerce extérieur, et occupent
les emplois civils ou militaires.
Plusieurs puissances se sont disputé la possession de
cette importante colonie. Les Portugais, qui l'avaient
fondée en 1511, en furent dépouillés par les Hollandais
en 1796 ; l'Angleterre s'en emparait quinze ans plus
tard (1811 ), et la rendait à la Hollande en 1816.
La base de la nourriture des Javanais consiste dans
du riz peu
cuit, bouilli à la
vapeur et
assaisonné de pi¬
ment et d'autres condiments propres à exciter l'appétit.
Ce sont des hachis de viande, parfumés à la rose et au
jasmin
; des poissons séchés au soleil, des œufs salés,
des tranches de cocos, etc. Ils sont offerts aux convives
dans des
plats à compartiments, pour que chacun se
son goût. Ceux qui en
mangent pour la
première fois éprouvent la sensation d'une brûlure ;
mais on ne conserve pas longtemps cette douloureuse
impression, et on ne tarde pas à apprécier cette cuisine
serve
suivant
si ditférente de la nôtre.
Le caractère du Javanais est ordinairement doux et
timide. Quand il veut commettre
un crime, il commence
s'enivrer, et a recours à l'opium. Puis, armé d'un
poignard, il sort de sa maison, se précipite sur la vic¬
time qu'il a choisie, et l'égorgé. Comme la soif du
sang
n'est pas assouvie par ce premier crime, il court dans
les rues, et blesse ou tue indistinctement ceux
qui se
trouvent sur son passage. Il en est qui assassinent
ainsi jusqu'à quinze personnes. Fou et criminel, il ar¬
rive à un paroxysme de fureur appelé amock. Dès que
ce mot retentit dans une
ville, les veilleurs de nuit et les
gardes de la cité prennent les armes, cherchent le cou¬
pable, s'en emparent, et le tuent immédiatement.
par
Pendant
son
séjour à Java, M. Wallaces
voir comment s'administrait la
a
voulu
sa¬
justice, et il s'est rendu
L'OCÉANIE
38
à
une
audience du tribunal indigène. «
D'abord
,
dit-il,
présentèrent dans la salle d'audience cinq individus
qui s'accroupirent sur une natte, vis-à-vis d'une se¬
conde natte, sur laquelle vinrent s'installer, peu après,
le chef du district et son commis. Il s'agissait d'un vol.
se
Les premiers venus étaient le plaignant avec ses deux
témoins, le garde de police et l'accusé; celui-ci ne se
distinguait des autres que par une corde lâche, enrou¬
poignets. Chacun parle tour à tour,
quitter sa position accrou¬
pie. Après avoir écouté avec flegme les dépositions des
témoins et les réponses de l'accusé, le juge prononça
la sentence, qui condamnait le voleur à une légère
lée autour de
sans
ses
être interrompu et sans
retira de con¬
intelligence. Rien, dans les allures des
témoignait le moindre sentiment de ran¬
amende. Puis tout le monde se leva et se
cert et en bonne
assistants,
cune ou
ne
de mécontentement.
»
capitale des royaumes indigènes vassaux de la
s'appelle Java, comme l'île elle-même.
On cite encore la ville forte de Sourabaya, avec ses
quatre-vingt mille habitants, actifs et industrieux, sa
richesse et ses rues sillonnées par de nombreux palan¬
quins, dont les formes varient suivant les nationa¬
La
Hollande
lités.
C'est là que M. H. Vattemare assure avoir vu des
perles vives qui se reproduisaient. M. de Molins dit
avoir trouvé, chez une dame européenne fixée à Java,
sept perles réunies dans une petite boîte : deux d'entre
elles étaient père et mère de la jeune famille.
Il résulte des renseignements recueillis par ce voya¬
geur que les Indiens et les Chinois possèdent une es¬
pèce de perles semblable à celle des perles fines, et dont
ils savent obtenir des rejetons. Pour élever une famille
de perles, il suffit de lui donner un peu de riz, des bains
de mer trois fois la semaine, et de la tenir à l'abri des
L'OCÉANIE
39
odeurs
fortes, telles que celles du tabac, de l'ambre, et
cologne.
Batavia, capitale des possessions hollandaises, est la
cité la plus considérable de l'île. Sa partie basse est
malsaine, mais les nombreuses et confortables maisons
construites sur les hauteurs se distinguent
par leur
élégance, leur solidité et leurs beaux jardins; elles ap¬
partiennent à des négociants ou à des administrateurs
européens.
La population de Batavia dépasse cent cinquante
surtout de l'eau de
mille âmes.
Son port
reçoit de nombreux navires, chargés de co¬
tonnades, de fers ouvrés, de machines, de vins, de spi¬
ritueux et de produits alimentaires. Il exporte le café,
le sucre, le riz, l'indigo, le tabac, le gingembre, le bois
de safran, l'écaillé de tortue, la cannelle, la muscade, la
cochenille et le thé. Son trafic annuel représente une
valeur de quatre cents
millions, et
procure
à la métro¬
pole
un revenu net de quarante-cinq millions.
Enfin Batavia est le chef-lieu d'un vicariat
lique, créé
aposto¬
pour les vingt-six mille
minés dans les diverses possessions
catholiques dissé¬
hollandaises. L'éplus de vingt prêtres, exerce dans
vôque, secondé par
ce pays un difficile et très laborieux ministère.
La Hollande, établie depuis près de trois siècles à
Batavia, a soutenu pendant longtemps ses colons avec
une persévérance
peu couronnée de succès. Depuis 1825,
elle a divisé le pays en vingt résidences. En 1832, à la
suite de difficultés imprudemment soulevées par des
princes javanais, elle s'est emparéedu sol, et n'a permis
aux indigènes de le cultiver
que sous certaines condi¬
tions rigoureusement obligatoires.
A cette époque, il y avait beaucoup de terrains in¬
cultes; l'agriculture manquait de bras, et la colonie
était encore une charge ruineuse pour la Hollande.
L'OCÉANIE
40
le général comte van der Bosch, nommé
Java, résolut d'améliorer ce triste état
avait dans l'île une vaste province dont
les habitants étaient forcés de cultiver le café. Chaque
famille devait planter, entretenir plusieurs centaines
d'arbres, et en livrer le produit, pour un prix très mi¬
nime, aux agents de la Hollande. Cette puissance était
représentée par une société commerciale privilégiée,
fondée en 1819, qui avait le monopole de toutes les
récoltes réservées à l'État.
Le nouveau gouverneur généralisa l'idée en la modi¬
fiant. Au lieu d'imposer une culture forcée aux autres
provinces, il leur offrit l'exemption d'une partie de
l'impôt foncier en échange d'une valeur équivalente de
travail, exécuté sous la direction de chefs intelligents.
Cette combinaison fut accueillie ; des millions de bras
furent utilisés, fécondèrent le sol, et obtinrent de ter¬
rains restés improductifs des récoltes rémunératrices.
Les employés hollandais, de concert avec les fonction¬
naires indigènes, surveillèrent les plantations. Le café,
le thé, le mûrier se multiplièrent sur les hauteurs; la
canne à sucre et l'indigo réussirent dans les plaines ir¬
riguées. L'État se chargea de fournir la canne et les
ouvriers à l'industrie privée, qui fabriqua le sucre, et
reçut vingt-neuf centimes par kilogramme; le prix de
revient était de vingt-cinq centimes, et l'État vendait
quarante-quatre centimes environ ; de cette façon chacun
trouvait son compte, et la colonie entrait dans une nou¬
velle voie de prospérité matérielle. Des vallées profondes
C'est alors que
gouverneur de
de choses. Il y
ont été
comblées, des tranchées ont été creusées, et des
centaines de ponts ont
été bâtis pour la création de belles
facilité l'écoulement des produits.
La propriété individuelle est constituée sur un
dixième à peine des terres cultivées; le reste appar¬
tient à la métropole ou aux groupes d'indigènes.
routes, qui ont
L'OCÉANIE
41
quelque distance de Batavia se trouve le beau châ¬
Buitenzorg. Ce château est la somptueuse de¬
meure du gouverneur général. M. Jurien de la Gravière, qui l'a visité , fait la description du parc dont il
A
teau de
est entouré.
L'imagination des poètes n'a jamais rien rêvé de
plus beau que ce parc, traversé par des eaux murmu¬
rantes, avec ses grandes pelouses peuplées de troupeaux
d'axis, et ses arbres géants qu'ont vus naître les cinq
parties du monde. Il faut avoir parcouru cette vallée de
Tempé, doux et modeste asile offert aux transfuges de
tous les climats, pour savoir quelle variété infinie le
grand Artisan de l'univers a pu mettre dans la décou¬
pure et les teintes mobiles des feuillages, dans le port
majestueux des troncs, dans le déploiement capricieux
des branches. La Nouvelle-Hollande, les Moluques, le
Bengale, la Chine, le Japon, l'Europe même, semblent
se donner la main sous ces ombrages. Le chêne et le
palmier ont trouvé une patrie commune. Le bétel enlace
de sa liane'grimpante l'érable et le mélèze; le thé croît
à côté du poivre; le cactus du Mexique ou l'indigofère
de l'Amérique centrale, à côté du colon de l'Egypte et
«
...
de la
canne
à
sucre
des îles Sandwich. Il n'est pas un
qui n'ait été mis à contribution par les botanistes
Buitenzorg. Les bambous occupent tout un côté de
rivière. Dans certaines allées les arbres ont l'écorce
pays
de
la
odorante; dans d'autres, chaque tronc
laisse suinter
aromatique. Ici ce sont de larges feuilles
digitées; plus loin de verts panaches, des tiges qui s'é¬
lancent ou des sarments qui rampent, des fruits soli¬
une
gomme
taires attachés
sur un
tronc
colossal,
ou
des grappes
qui pendent de la cime d'une tige bulbeuse, épanouie
comme un parasol. Bien que le château de Buitenzorg
possède une ménagerie, complément presque indispen¬
sable d'un
jardin botanique, nul animal féroce ne
42
L'OCÉANIE
trouble de
ses rugissements le silence de cette déli¬
cieuse retraite. Des orangs-outangs pensifs, des
pachy¬
dermes affables, tels que le tapir et
l'éléphant de Su¬
matra, sont, avec l'oiseau royal des Moluques et le
babi-routka de Célèbes, les seuls
représentants de la
faune indienne auxquels on ait voulu donner cet Eden
javanais pour prison.
«
Après le château et le parc de Buitenzorg, que pou¬
vions-nous visiter qui nous offrît plus d'intérêt que les
cavernes au fond
desquelles la salangana1 bâtit ces nids
visqueux que les Chinois achètent au poids de l'or? Le
résident de
Buitenzorg voulut nous conduire lui-même
Tyampeo, creusées par la nature dans
les contreforts calcaires qui
supportent la chaîne du
Salak. Deux relais de
chevaux, disposés à l'avance sur
la route, nous amenèrent au
pied de la montagne, qu'il
fallait gravir pour arriver à l'entrée de ces
labyrinthes
aux
grottes de
souterrains. C'est là que nous trouvâmes le fermier chi¬
nois auquel a été concédé, au
prix d'une rente an¬
nuelle, la récolte totale de ces nids d'hirondelles,
qui se vendent cent cinquante-huit francs environ le
kilogramme...
Parvenus à l'ouverture des cavernes qui
plongeaient
brusquement dans les entrailles de la montagne, nous
«
hésitions à
nous
enfoncer
éclairait autour de
grands arbres
aux
nous
un
sous
terre, quand le soleil
si merveilleux paysage.
rameaux
étendus
comme
ceux
De
du
cèdre couvraient d'ombre et de fraîcheur les
pentes
la colline. Entre leurs troncs
de
penchés s'ouvraient vers
la campagne de délicieuses
échappées et des lointains
infinis. Des troupes de singes noirs
gambadaient au
1
La
salangana est une espèce d'hirondelle dont le nid est fort
la cuisine chinoise. On le fait dissoudre dans de l'eau
bouillante, et on obtient une gelée blanche propre à faire unjpotage
très apprécié et comparable au tapioca.
recherché par
L'OCÉANIE
43
milieu du
feuillage, pendant que deux vieux magots de¬
philosophiquement assis sur leurs branches.
Les hirondelles, aux reflets satinés, voltigeaient d'une
aile inquiète autour de nous. L'atmosphère était calme,
le ciel d'un bleu d'azur. Il semblait que le Seigneur
arrêtât un regard satisfait sur son oeuvre. Mais chacun
de nous fut bientôt saisi sous les bras par deux Java¬
nais. Nous disparûmes en chancelant dans les profon¬
deurs où nos guides s'efforçaient de nous entraîner. Au
lieu de la lumière du jour nous n'avions plus, pour con¬
duire nos pas sous ces voûtes ténébreuses, que la lueur
enfumée des torches. Nous errâmes longtemps dans des
galeries où l'on entendait tomber goutte à goutte l'eau
qui filtrait à travers les fissures du rocher. Des milliers
de nids gélatineux étaient attachés aux parois de la
grotte... Avec quel plaisir nous sortîmes de cet antre
pour revoir la nature, épanouie et souriante comme une
jeune fiancée!... Il est des malheureux cependant qui se
dévouent à fouiller, comme des mineurs, les longs dé¬
tours de ces cavernes, qui vont ramper dans ces couloirs
humides, ou poser des échelles de bambou sur le bord
de ces abîmes, afin de recueillir deux ou trois fois par
an la précieuse moisson. On évalue à huit cents kilo¬
grammes la récolte des nids que fournissent chaque
année les grottes de Tyampeo, et à plus de cent mille
francs les bénéfices du Chinois auquel en est affermée
l'exploitation. »
Après avoir indiqué la physionomie et les productions
des colonies hollandaises, nous avons à faire connaître
leur organisation administrative et judiciaire. L'empire
colonial se divise en trente-quatre provinces qui dé¬
pendent du gouverneur général. La seule île de Java
renferme vingt-trois de ces provinces, qui ont toutes un
meuraient
Hollandais à leur tête. Elles
et les
régences
en
se
subdivisent
en
régences,
districts. Le gouvernement choisit les
L'OCÉANIE
44
chefs de
subdivisions
parmi les principales familles
indigènes, et leurs fonctions deviennent ordinairement
héréditaires. C'est un dédommagement offert à l'an¬
cienne aristocratie du pays, en échange des avantages
qu'elle a perdus, et en récompense des services qu'elle
rend à la métropole.
Quant aux administrateurs de villages, ils tirent leur
pouvoir de l'élection, comme les maires des Philippines.
Comme eux, ils président à la répartition de l'impôt, à
celle des corvées, avec l'assistance d'un conseil de no¬
tables. Vingt mille hommes concourent ainsi à mainte¬
nir l'ordre dans le pays; tous sont personnellement inté¬
ressés au progrès des cultures, c'est-à-dire à la prospérité
matérielle de la colonie. Le prêtre musulman lui-même,
qui reçoit la dîme de beaucoup de récoltes, s'associe aux
efforts réalisés pour développer l'exploitation du sol.
Le Coran est le code des indigènes : c'est la loi qui
leur est appliquée; s'il y a procès, le chef de régence,
aidé d'une commission, juge en premier ressort les
affaires peu importantes; il correspond à notre juge
de paix. Au chef-lieu de la province, un tribunal appelé
conseils des campagnes se réunit tous les mois pour les
affaires plus graves.
Il existe à Java trois cours d'appel dont les membres
président les assises ou tribunaux ambulatoires, appelés
à juger les crimes passibles de la peine de mort.
La cour de Batavia réforme, s'il y a lieu, les arrêts
de
ces
ces
tribunaux.
La Hollande traite
avec de
grands ménagements les
indigènes qui furent autrefois les maîtres du pays; elle
évite de froisser leurs susceptibilités. Dans l'espoir de
se les attacher, elle a tort de laisser
pleine carrière à
leurs désordres, et de tolérer souvent leurs exactions
en achetant, pour ainsi dire, leur fidélité.
Ainsi, à côté
des droits reconnus, les fonctionnaires se
procurent des
L'OCÉANIE
45
bénéfices
illicites, se font défrayer de leurs voyages
les paysans, et prélèvent des tributs arbitraires
pour contribuer à leurs divertissements. La plupart ne
conservent leur autorité que par la crainte; ils ne se
concilient ni respect ni affection. Leur regard terne,
leurs traits flétris, leur corps énervé par la débauche,
offrent un douloureux aspect aux yeux des étrangers
qui, parcourant le pays, remontent aux causes de cette
ignoble décrépitude. Cependant quelques exceptions
rares se manifestent çà et là. M. l'amiral Jurien de la
Gravière cite, dans ce sens, un ancien potentat et son
fils, à propos d'une grande chasse dont nous reprodui¬
sons l'intéressante description.
«
Le régent de Bandoug est le prince le plus opu¬
par
...
lent de
café
Java; il touche annuellement sur la récolte du
remise évaluée à plus de trois cent mille francs ;
outre, la dîme des rizières et le droit de requérir
une
il a, en
quand bon lui semble les services de ses administrés.
Quelques années avant notre arrivée à Java, l'assistant
résident avait été poignardé dans un désordre populaire.
On soupçonna le régent d'avoir été l'instigateur du crime,
ou du moins on l'en rendit responsable. Le gouverne¬
ment hollandais le dépouilla de ses dignités ; mais il
ne lui chercha pas de successeur dans une autre famille.
Le fils aîné du régent dépossédé prit à l'instant sa
place, pendant que le vieux prince oubliait sa chute
officielle dans les doux loisirs d'une tranquille opu¬
lence. Le régent disgracié et le régent en place étaient
tous deux à cheval quand nous arrivâmes au lieu du
rendez-vous. Sous le turban qui enveloppait leur front
bronzé, on les eût pris pour des cavaliers numides,
tant ils semblaient faire corps avec les fiers coursiers
qui piaffaient sous eux. Assis sur une selle sans étriers,
le klewang à la ceinture, ces deux princes javanais me
faisaient oublier le régent énervé de Tjaujor; je retrou-
<
L'OGÉANIÈ
46
vais de l'énergie dans leur pose, du feu dans leur re¬
gard. Tous les nobles de la régence les entouraient,
prêts à lutter de vitesse et d'ardeur avec eux. Le signal
est donné ; nulle meute ne mêle ses aboiements aux
cris des chasseurs; ce sont les chevaux, race énorme
venue du
Mecklembourg, qui battent de leurs pieds les
herbes et en font sortir le gibier. Dès qu'un cerf paraît,
un escadron tout entier se lance à sa
poursuite. On voit
bondira travers la rizière, et l'animal qui fuit, elles
chevaux plus ardents que des limiers
qui les pressent.
Sur ce terrain fangeux le cerf a bientôt épuisé sa vigueur.
Le premier cavalier qui peut l'atteindre l'abat d'un seul
coup de son klewang. Les buffles, cheminant toujours
deux par deux, se mettent alors en marche : le Javanais
qui les guide charge sur leur dos le cerf abattu, et d'un
pas indolent ils se dirigent vers le pavillon au pied du¬
quel on apporte à chaque instant quelque nouvelle vic¬
time. On tua trente-six cerfs ce jour-là : quatre-vingts
avaient succombé un mois auparavant. Le vieux ré¬
gent, quand il revint vers nous, portait l'orgueil d'un
vainqueur empreint sur sa figure, non pas cet orgueil
communicatif qui semble mendier des éloges, mais
cette fierté morose qui s'enivre du sang versé et savoure
secrètement son triomphe. Aucun coursier du Mecklem¬
bourg n'avait pu devancer son cheval arabe; aucun
klewang n'avait plus souvent que le sien brisé d'un
seul revers les reins d'un cerf aux abois ; il était sans
contestation le roi de la chasse.
»
En terminant cette étude sommaire et
incomplète
sur
les colonies hollandaises, nous avons besoin de dépo¬
ser ici l'expression d'un vif regret. Après avoir loué les
persévérants efforts tentés par la puissance colonisatrice
pour assurer le succès matériel de ses lointaines entre¬
prises nous ne pouvons pas nous empêcher de déplorer
son indifférence, relativement aux besoins
spirituels des
,
L'OCÈANlË
47
populations vaincues et l'indignité avec laquelle elle a
pendant deux siècles le catholicisme porté à Java
par les Portugais. L'homme ne vit pas seulement de
pain, mais aussi de la parole de Dieu. Il ne suffit pas
de pourvoir aux nécessités matérielles, il faut une solli¬
citude qui s'étende aux besoins moraux. Quand une
nation chrétienne s'empare d'un
pays idolâtre ou infi¬
dèle, elle doit lui faire connaître le bienfait incompa¬
rable du christianisme; il importe que l'Évangile soit
annoncé, afin que les âmes qui auront eu le bouheur de
le goûter puissent le pratiquer dans la joie de leur cœur
et l'indépendance de leur conscience.
,
banni
CHAPITRE IV
Colonies anglaises : Van Diemen ou
Nouvelle-Zélande.—Population ;
distinctes.
—
Tasmanie. — Hobart-Town. —
mœurs; religion.— Deux races
Gouvernement constitutionnel.
Wellington, Auckland, Dunedin.
—
—
Trois diocèses
:
Progrès du catholicisme.
colonies, fondées par l'Angleterre en Océanie ont
acquis en peu de temps une importance et une prospé¬
rité qui leur donnent le premier rang parmi tous les éta¬
Les
blissements européens.
En 1642, le Hollandais
Abel Tasman abordait dans
île, et lui donnait le nom de Van Diemen, alors
une
gouverneur des Indes. Cette île, dont le climat est doux,
les côtes élevées et les sites pittoresques, appartient aux
Anglais depuis 1804. Ils ont divisé en neuf districts la
y ont créé la
et ils ont choisi
celte colonie comme lieu de déportation. Hobart-Town
(vingt-deux mille âmes) est la capitale de la Tasma¬
( ou l'île de Van Diemen),
ville d'Hobart-Town (Georges-Town),
Tasmanie
nie
:
là résident le gouverneur, son
ils
secrétaire,
un
grand
juge, un solliciteur général, etc. Cette ville, siège d'un
évêchécatholique, possède des édifices importants, des
institutions utiles, des établissements charitables, des
maisons d'éducation et des caisses de secours.
Les
indigènes, traqués par les colons comme des
tendent à disparaître de l'île; mais elle
bêtes fauves,
L'OCÉANIE
49
est habitée par
quatre-vingt mille Anglais qui se di¬
classes, les émigrants libres, les convicts
libérés et ceux qui subissent leur peine.
De nombreux troupeaux dans les
prairies, et des éta¬
blissements de pêche dans toutes les baies alimentent
un commerce
important de laines et d'huile de baleine.
Des prix sont distribués chaque année pour encou¬
rager l'amélioration de la marche des pirogues et aug¬
menter leur agilité.
Les frais de la colonie sont couverts
par les bénéfices
qu'elle rapporte à l'État.
Enfin le port Macquarie est devenue le lieu de
dépôt
des déportés déclarés incorrigibles.
Indépendamment de la Tasmanie, Tasman a décou¬
visent
en
trois
vert la Nouvelle-Zélande
en
1642.
La
Nouvelle-Zélande, située au sud de l'Océanie,
comprend deux îles séparées par le détroit de Cook, qui
a quatre à
cinq lieues de largeur. C'est une bande de
terre longue de quatre cents lieues,
large de vingt-cinq
à trente, s'étendant du nord-est au sud-ouest. Sa su¬
perficie égale presque celle de la Grande-Bretagne.
L'île la plus septentrionale, Ika-Na-Maooin
(c'est-àdire Poisson de Maoui, fondateur de la
nation), présente
un
aspect agréable, avec ses collines couvertes de bois
et ses vallées fertilisées
par des ruisseaux d'eau douce.
L'autre, Tavaï Pounamou (lac où se trouve le pounamou, c'est-à-dire le jade), est mon tueuse, stérile et
généralement peu habitée, excepté dans les environs
du canal de la reine Charlotte.
Une
longue chaîne de montagnes traverse les deux
de
perpétuelles.
Les oiseaux aquatiques et les poissons abondent dans
ses rivières. Le sol
produit le froment, l'orge et la
îles et recèle des volcans en ignition; quelques-uns
leurs sommets sont blanchis par des
neiges
pomme de terre. Les essences forestières sont celles des
3
L'OGËANIE
50
pays tempérés; ses bois renferment
différentes essences, le kauri, par
environ cent vingt
exemple, propre à
la mâture, et le laurier karaka, dont le feuillage reflète
la lumière, et dont le fruit consiste en grappes dorées ;
son doux climat est favorable aux santés délicates, et
ses eaux
thermales attirent les malades.
Le chiffre des
indigènes est évalué à trente mille. Ils
foule de peuplades indépendantes et
ennemies, qui se distinguent par la régularité de leurs
traits, leur force physique et leur bravoure. Leur in¬
dustrie consiste à construire des pirogues, à tresser des
filets, des tissus dephormium tenax1, des nattes, à fabri¬
quer des haches et des casse-tête.
Ils se graissent les cheveux et le corps avec une huile
de poisson d'une odeur nauséabonde; ils y mêlent de
l'ocre rouge afin de se donner un aspect plus redoutable,
et se tatouent dans l'espoir de s'embellir.
Leur vêtement se compose de feuilles de phormium.
Desséchées, découpées en bandes entrelacées, elles
forment une étoffe avec laquelle ils s'habillent. Un mor¬
ceau s'altache aux épaules et descend jusqu'aux genoux;
l'autre part de la ceinture et va jusqu'à terre.
Les deux sexes se percent les oreilles et y suspendent
des ossements ou d'autres objets auxquels ils attachent
se
divisent
en une
de la valeur.
Leur
petite et fragile habitation, de vingt pieds de
long sur dix de large et six de haut, se compose d'herbes
sèches et de perches. La porte est basse, et l'homme
doit
se
dans
sur
traîner
sa
mains et
genoux pour entrer
maison. Les lits sont faits de feuillages étendus
sur ses
ses
le sol.
1
Le phormium tenax est le plus beau lin du monde. Il croît
spontanément au bord de la mer et dans les crevasses des rochers.
Préparé avec soin, il peut être employé à fabriquer les plus précieux
tissus.
L'OCÉANIE
Les
habitants
croissent à
de
81
vivent de racines, de
fougères qui
profusion, de céleris, de choux, de navets,
poissons, d'oiseaux
et de chiens cuits à la broche ou
feu. Ils mangent aussi des
ignames, des patates et
des cocos. Leur santé
paraît
au
florissante, grâce à la fru¬
galité de leur régime.
Ils parlent la langue douce et sonore de la
Polynésie.
Ils adorent de grossières idoles et sont
dominés par
la superstition du tabou. Leurs
prêtres se nomment
arikis, et les femmes des prêtres remplissent les fonc¬
tions de prêtresses. Chaque
village un peu important,
muni de moyens de
défense, renferme la maison du
Maître du monde et des divinités
qui lui sont subordon¬
nées : c'est une case
plus grande, plus solide que les
autres, destinée à recevoir la nourriture sacrée et à
réunir les habitants pour la récitation des
prières. Les
arikis expliquent les
songes, interprètent les volontés
célestes, décident les affaires.
Les principales circonstances de la
vie, la naissance,
mariage, la mort, c'est-à-dire le passage de ce monde
à l'autre, sont consacrées
par des cérémonies religieuses.
On prétend même
que, pour l'enfant qui voit le jour, la
pratique appelée toïnga présente quelque chose d'ana¬
logue au baptême.
Les indigènes se divisent en deux races
distinctes,
les Mauga-Mauga, peu
intelligents, et les Maoris, très
supérieurs aux premiers; on reconnaît ceux-ci à leur
taille élevée, aux traits réguliers, au nez
aquilin, au
regard grave, au front soucieux qui distinguent leur
le
extérieur.
Les Maoris sont
reconnaît
un
groupés en tribus ; chaque tribu
chef, auquel elle rend obéissance et res¬
pect. Elle se compose d'ailleurs d'hommes libres et d'es¬
claves. Les esclaves sont les
prisonniers de guerre,
leurs enfants et les
indigènes réduits à la servitude,
L'OCÉANIE
S2
par suite de crimes ou de malheurs. L'esclavage leur
semble imprimer sur la personne de l'esclave une tache
qu'elle atteint cherchent-ils rare¬
s'y soustraire par la fuite; ils restent comme
accablés sous le poids de leur infortune, travaillent
sous la direction des femmes à la culture, à la pêche
ou à la préparation des aliments.
Les Maoris sont anthropophages, et ils préfèrent la
chair des indigènes à celle des Européens.
En 1767, la Nouvelle-Zélande a été visitée par Cook,
et surnommée alors Terre de Cook; après lui, plusieurs
navigateurs français y sont venus ; mais ce fut seule¬
ment en 1839 que les Anglais y fondèrent leur premier
établissement. A leur arrivée ils trouvèrent peu d'arbres
à fruits, à peine deux mammifères, le rat et le chien : ils
n'y rencontrèrent ni reptiles ni insectes venimeux. Le
nombre des colons est maintenant bien supérieur à
celui des indigènes.
Les colonisateurs se sont emparés de territoires im¬
portants ; ils commencent à en tirer d'abondants pro¬
duits ; mais ils ont eu des luttes à soutenir contre les
Maoris, qui ont trouvé dans les settlers (émigrants an¬
glais) des ennemis, au lieu de rencontrer en eux d'obli¬
geants alliés. L'Angleterre voulut traiter pour la con¬
cession des terrains avec les chefs, qu'elle sut gagner à
sa cause : les tribus se crurent trahies par leurs protec¬
teurs naturels, et, malgré leur déférence habituelle
pour ceux qui sont à leur tête, elles s'insurgèrent et es¬
sayèrent de reprendre les terres dont elles se trouvaient
injustement dépouillées. Après plusieurs années d'hos¬
tilités la paix fut conclue; mais c'est une paix armée
avec un horizon chargé de nuages.
L'Angleterre a donné au pays une sorte de gouverne¬
ment constitutionnel. Un gouverneur, nommé par le
pouvoir central, le représente dans la Nouvelle-Zéindélébile; aussi
ment à
ceux
L'OCÉANIE
53
lande; il doit s'entendre avec un conseil législatif de
quinze membres et une chambre de trente-six représen¬
tants, élus pour cinq ans. Sont électeurs : les colons et
les indigènes adultes, propriétaires d'un bien non grevé
d'une valeur de cinquante livres, ou payant une loca¬
tion de dix livres dans les villes et de cinq livres dans
les campagnes. La reine s'est réservé le droit de veto,
pendant deux ans, sur les lois décrétées par la législa¬
tion coloniale. On ignore encore quels seront les résul¬
tats de ces libérales concessions. Les indigènes n'en
apprécient pas la valeur, et ne sont pas préparés à
exercer
leurs
nouveaux
droits d'une matière utile
aux
intérêts du pays.
Au milieu des difficultés suscitées par les Maoris, la
colonie n'a pas cessé de grandir et de prospérer. L'ex¬
ploitation de gisements aurifères est
vail et de richesse.
Un
tunnel
une source
de tra¬
d'environ deux kilo¬
mètres, creusé à travers les montagnes volcaniques qui
coupent en deux parties l'île du sud, est un travail
gigantesque qui fait grand honneur aux ingénieurs an¬
glais, et qui améliore sensiblement les moyens de com¬
munication et de transport.
Le pays est partagé en plusieurs
Wellington est situé
au
provinces.
centre de l'île; la capitale
de la colonie porte son nom.
Cette ville possède
conférence de Saint-Vincent-de-Paul
et
assez
ses
zélée pour
chercher à
en
assez
une
florissante
fonder d'autres dans
environs.
La
province la plus importante a pour chef-lieu
Auckland, bâti sur un isthme étroit, entre deux beaux
ports.
Tanaraké
New-Plymouth est surnommé le jardin
Nouvelle-Zélande, à cause de sa fertilité et de ses
pittoresques paysages.
Nelson, riche en mines d'or, de cuivre, de charbon,
de la
ou
L'OCÉANIE
S4
distingue par la douceur de son climat; Ganterbury,
l'abondance de ses pâturages, et Otago, par le
nombre considérable d'Écossais qui se sont réunis dans
se
par
la contrée.
Au
point de
divisée
en
vue catholique, la Nouvelle-Zélande est
trois diocèses, de fondation récente : Wel¬
lington et Auckland, dans l'île du nord ; Dunedin, dans
celle du sud; ils comptent plus de soixante mille fidèles.
Les indigènes figurent dans ce chiffre pour une fraction
difficile à évaluer; il est bien désirable qu'elle
aug¬
mente : la vraie religion seule pourrait les sauver d'une
ruine totale, en réprimant chez eux les vices qui les
tuent.
Quelques détails
sur
neront une idée de
sa
le diocèse de Wellington don¬
situation.
contenir environ mille personnes.
La cathédrale
Il
peut
dans la circon¬
scription soixante églises ou chapelles ; trois à quatre
cents habitants trouvent place dans la plupart de ces
sanctuaires. Il en faudrait bien davantage. La moyenne
de la dépense pour la construction d'un édifice sacré,
analogue à ceux qui existent déjà, est d'environ quinze
mille francs. Le diocèse ne possédait encore, en ces der¬
nières années, ni séminaire, ni collège, ni hôpital. Les
jeunes gens du pays appelés au sacerdoce s'élèvent en
France ou en Irlande. Cependant les frères maristes ont
dû essayer un cours de latin dans le pays.
Trente-quatre maisons d'école sont dirigées par des
religieuses ou des laïques. Ces sœurs, venues d'Eu¬
rope en Zélande, appartiennent à la congrégation de la
y a
Merci et à celle de Notre-Dame-des-Missions. Elles
trouvent des vocations dans
le pays,
attirent à leurs
pensionnats les protestants comme les catholiques, et
ont assez d'influence pour soutenir elles-mêmes et ac¬
croître leurs
œuvres
L'ivrognerie, la
de zèle.
paresse
invétérée, la dépravation et
L'OGËANIE
la vie nomade de
83
beaucoup d'indigènes les disposent
catholicisme; ils voient autour d'eux une foule
de sectes protestantes, et ce triste spectacle jette dans
leur esprit peu ouvert une confusion qui ne les aide pas
mal
au
à discerner la vérité.
Les
Européens venus d'Irlande conservent générale¬
ment leurs
habitudes chrétiennes.
Ils
sont pauvres,
ignorants; le contact des dissidents exerce sur eux une
fâcheuse influence;
cependant, quand le prêtre
va
les
visiter, ils l'accueillent avec une joie reconnaissante, et
voudraient le
garder au milieu d'eux.
dit Msr Redwood, le catholicisme fait
des progrès. Il en fera de plus grands encore quand
nous aurons plus de prêtres, plus d'écoles, plus de cha¬
pelles , plus de ces moyens extérieurs qui nous rendent
respectables. Aux yeux des Anglais, c'est la respectabi¬
lité qui donne l'influence et commence des conversions
que l'instruction et la grâce achèvent. »
En Tasmanie et en Nouvelle-Zélande, l'Angleterre
possède des colonies qui promettent beaucoup à l'ave¬
nir; dès à présent, en Australie, de vastes établis¬
sements fournissent à la métropole d'importantes res¬
«
En somme,
sources.
Msr
Petitjean, missionnaire apostolique, donne sur
indigènes Zélandais des détails qui seront lus avec
intérêt : « Au milieu de mes courses fréquentes, néces¬
saires pour avancer l'œuvre de Dieu, je vis comme les
Maoris; je ne peux suivre l'avis des Européens qui me
disent d'emporter des provisions. Ne faut-il pas que
le prêtre se fasse tout à tous, s'il veut tout gagner à
Jésus-Christ? Ne faut-il pas qu'il achète par quelques
privations la gloire d'annoncer l'Evangile?
a Ces peuples sont, il est vrai, parfois d'une mal¬
propreté dégoûtante. Aussi les Européens ne les ap¬
prochent-ils qu'avec une extrême précaution, et ils ne
les
^
56
L'OCÉANIE
les souffrent pas
chez eux; mais je ne saurais éloigner
Dieu m'a donnés pour enfants. Je leur permets
d'entrer dans ma demeure, de toucher ce
qu'ils voient,
de me questionner à leur aise; et
lorsqu'ils sont satis¬
faits, ils se retirent en me bénissant.
« h'ariki est
bon, disent-ils; il ne ressemble pas aux
étrangers.
« A toute heure
je sillonne les rivières et la mer pour
me rendre près d'un
néophyte. Lorsque je suis sur
leurs pirogues, les voyageurs,
qui me reconnaissent à
ceux
ma
que
soutane, à
chapeau triangulaire et à mon cru¬
un prêtre
catholique qui visite son
troupeau; il va prêcher l'Évangile ou voir un malade :
tandis que chacun court à ses
affaires, celui-là ne court
qu'après les âmes !
cifix, disent
:
mon
Voilà
Dans
un de ces
voyages, j'appris qu'une petite fille
était près de mourir; je remontai aussitôt sur le
canot
des naturels pour aller sauver cette âme en
danger.
Sans doute je fus bien reçu de la
tribu, qui fait notre
a
prière
ment
avec
zèle, bien qu'elle n'ait
abjuré
pas encore entière¬
superstitions; mais le père refusa de
me confier son
enfant, sous prétexte que si elle était
baptisée elle expirerait le même jour, et qu'à sa mort il
ne pourrait pas la
pleurer à la façon des Maoris. Je dis
à ce père ce que le zèle
put m'inspirer; tout fut inutile.
Mes efforts restant sans
succès, je vouai l'enfant à
Marie; je la recommandai aux saints anges, et enfin
j'eus le bonheur de lui ouvrir le ciel. Voici comment
je
réussis : on me
prépara de la nourriture, et je la refu¬
ses
sai honnêtement. Je
hôtes,
ne
saurais manger,
dis-je à mes
enfant, qui
mon cœur est triste à cause de cette
pas le Grand-Esprit. La pluie venait de tom¬
ber; j'aperçois une feuille qui contient assez d'eau
pour
le baptême. Je la
prends, et je dis au père : Le bap¬
tême n'est pas à
redouter; voilà comment je m'y prenne verra
L'OCÉANIE
drais si tu
me
sacrement. Le
laissais
père
cette enfant est
un
faire; et j'administrai alors le
s'en irrita pas, et aujourd'hui
ange qui prie au ciel pour la mis¬
ne
sion.
«
Nos Maoris sont dénués de tout. Le lit du malade
est la terre
recouverte tout au plus d'un
peu
d'herbe. Sa nourriture est à peu près la même qu'en
état de santé. Où sont nos admirables sœurs de Saintnue
ou
Vincent-de-Paul, qui gagnent les
cœurs à
Dieu, tan¬
dis que d'une main si charitable elles
soulagent les
membres des pauvres infirmes? Ici, peut-être
plus
qu'ailleurs, la religion est appelée à faire cesser bien
des misères, à civiliser promptement un peuple qui a
des défauts, mais qui a aussi de grandes qualités, et
que sa simplicité enfantine rend si digne d'intérêt. »
CHAPITRE V
L'Australie', la plus importante des colonies anglaises.— Montagnes;
climat. — Curiosités du règne animal : chien sauvage,
kanguroo, opossum, ornithorynque, etc. — Cinq catégories d'oi¬
seaux.
Casoar, oiseau-lyre, pélican. — Richesses et variétés
des végétaux, des sources minérales, des gisements métalliques.
Extérieur, caractère, coutumes et croyances des indigènes. —
Condition pitoyable de la femme. — Elle doit à l'Évangile le rang
qu'elle occupe dans les sociétés chrétiennes. — Dialectes flexibles
fleuves ;
—
—
et sonores des Australiens.
—
Leurs
armes
et leurs outils.
—
La
chasse et la
taires.
—
pêche constituent leurs principales ressources alimen¬
Médecine du boglia ou sorcier. — Culte des morts.
L'Australie est située
au
sud de la Malaisie et de la
Micronésie. Dès 1606,
l'Espagnol Louis de Torrès la
découvrait, et longeait ses côtes orientales. Quelques
années plus tard, des Hollandais faisaient de fréquentes
descentes sur le continent, qu'ils appelaient la NouvelleHollande; mais les Anglais lui conservèrent la dénomi¬
nation d'Australie qu'elle avait reçue tout d'abord, et
qui
se
justifie
par sa
situation dans l'hémisphère
aus¬
tral.
En
1770, Cook prenait possession du pays pour l'An¬
gleterre, débarquait sur un beau rivage qu'il nommait
Botany-Bay, à cause de son riant aspect, et donnait à
cette partie de l'Australie la dénomination de NouvelleGalles du Sud.
L'OCËANIE
une longueur de quatre cents myrialargeur moyenne de cent quatre-vingts.
trouve de vastes plaines et des plateaux peu
L'Australie
mètres,
On y
59
a
sur une
élevés.
sont bien moins hautes que celles de
l'Europe. Cependant deux chaînes majes¬
Ses montagnes
l'Asie et de
tueuses s'élèvent à une certaine
distance des côtes; à
l'orient, les montagnes Bleues ou d'Azur; à l'occident,
les monts Darling. Au sud, on voit de loin les Pyrénées
australiennes; toujours couvertes de neige, elles se re¬
lient aux Alpes australiennes, qui rejoignent les monts
d'Azur.
Le
Darling, le Clarence, l'Avon, le Hunter, le Morrumbridge et le Murray sont les principaux fleuves du
pays,
qui renferme aussi des lacs d'eau douce et d'eau
salée.
Son
climat varie suivant les zones.
D'une chaleur
accablante dans la
partie septentrionale, il est tempéré
tropiques, et le thermomètre baisse à mesure
qu'on s'avance vers le midi.
Le pôle de l'Australie est opposé au nôtre; les jours,
les nuits, les saisons s'y produisent à l'inverse de ce
qui se passe en Europe. Il est là dix heures du soir
lorsque nous entendons sonner midi. Le printemps
règne en septembre, octobre et novembre; l'été, en dé¬
cembre, janvier et février; l'automne, en mars, avril et
mai; l'hiver, en juin, juillet et août. Les saisons, très
variables dans le nord, se suivent régulièrement dans le
vers
les
midi.
L'éléphant, le lion, le tigre, le rhinocéros, l'hippopo¬
ne se rencontrent pas sur ce continent : peu d'ani¬
maux carnassiers s'y trouvent. Le plus répandu est le
chien sauvage, qui tient plus du renard que du chien
d'Europe. Il emploie la ruse pour attaquer les animaux
dont il veut se nourrir, les moutons, par exemple, et
tame
L'OCÉANIE
60
les oiseaux de basse-cour. Il les
saigne au cou, fuit au
danger, revient dès qu'il n'entend plus de
bruit, et se repaît alors de la victime expirante. Les
indigènes réussissent à l'apprivoiser et à l'utiliser pour
moindre
la chasse.
Le chat sauvage, comme la
dans
un
tronc
fouine, se cache le jour
d'arbre, et voyage la nuit pour sur¬
prendre les oiseaux dans leur sommeil.
Le plus grand quadrupède de l'Australie et en même
temps le plus répandu est le kanguroo, mammifère
de l'ordre des marsupiaux, et gibier très recherché. 11
porte ses petits dans une poche ouverte sous le ventre,
et vit en troupes dans les bois ou dans les
prairies. On
en compte trois genres, se subdivisant en dix
espèces.
Le géant arrive à sept pieds de
hauteur, et dépasse le
poids de cent vingt livres. Le kanguroo-rat a la gros¬
seur du lapin avec le museau de la souris. Les
grands
kanguroos ont une queue longue d'un mètre; leurs
pattes de devant sont courtes et terminées par cinq
doigts garnis de griffes. « Souvent, dit Me1' Salvado, je
les ai vus saisir une de leurs herbes
préférées, s'asseoir
paisiblement sur leurs jambes de derrière, puis, par
une manière de jeu, faire
passer cette herbe d'une patte
dans l'autre, comme fait un singe ou un écureuil. »
M. de Castella ajoute, dans ses Souvenirs d'un
squetter français en Australie : « Le
kanguroo saute sur
ses deux pattes de derrière
seulement, le corps droit et
un peu penché en
avant, les bras pendants sur la poi¬
trine. 11
se met en mouvement
par de petits bonds
réguliers, les augmentant à mesure qu'il se sent pour¬
suivi. A toute vitesse, il franchit bien douze à
quinze
pieds à chaque bond. Quand il vient de sauter et qu'il
est en l'air, sa
longue queue et ses longues jambes pen¬
dantes
se
le recevoir
touchent. Elles
au
se
séparent de nouveau pour
moment où il ira retomber à
terre, ce qui
L'OCÉANIE
61
produit, à chacun de ses bonds, un double mouvement
de pendule très original et très
gracieux. Les kanguroos s'enfuient
toujours les uns derrière les autres, en
colonne par un, comme on dirait à l'école du cavalier.
Les vieux, étant les plus lourds, arrivent les
derniers;
avec eux se
trouvent ordinairement de
jeunes étourdis,
qui n'ont pas obéi assez promptement au signal donné
par les mères. Au départ, le kanguroo est plus vif
que les chiens; mais, s'il est poursuivi sans relâche
pendant le premier mille, il commence bientôt à se
fatiguer, et à la fin du second il est atteint. Lorsqu'il
est forcé, il s'arrête et attend les chiens. Ceux-ci l'at¬
taquent par derrière; car, s'il les voyait venir, il pour¬
rait les éventrer d'un coup d'une de ses
longues pattes,
formées de trois doigts seulement. Celui du
milieu, plus
long que les autres, est armé d'une sorte de corne for¬
midable. Mais comme ces pattes,
qui lui servent de dé¬
fense, sont en même temps celles sur lesquelles il est
assis, le kanguroo n'est pas bien agile; il ne peut faire
face à un ennemi adroit, comme le
chien, qui le saisit à
la nuque et l'étrangle. »
L'opossum, très répandu aussi dans l'Australie, est
un animal
timide, docile, facile à apprivoiser. Le jour,
il dort; la nuit, il monte sur les arbres
pour cueillir les
feuilles dont il
se
nourrit. La mère porte deux ou trois
petits dans sa besace. Quand ils sont parvenus à la
grosseur des souris, ils en sortent pour aller brouter
l'herbe, y rentrent à la moindre alerte, et alors la fa¬
mille se met en fuite. La peau de
l'opossum, garnie de
laine, est employée à des ceintures d'hommes ou à des
couvertures.
L'écureuil-volant porte une fourrure d'une belle
leur noire
cou¬
grise, très fine, et d'un prix élevé malgré
petitesse. Quoiqu'il n'ait pas d'ailes, il passe d'un
arbre à l'autre en élargissant ses
pattes et en distendant
sa
ou
L'OCÉANIE
62
la peau
de son ventre. Le baudicourt, le moton, se nour¬
rissent d'herbes; ils habitent sous terre ou dans des
troncs d'arbres. L'échidné ressemble au hérisson, avec
un
museau
l'autre
se
effilé
comme
celui du fourmilier. L'un et
nourrissent d'insectes.
L'ornithorynque, long d'environ cinquante centimètres,
de
poils, et sa mâchoire se termine en bec de canard. Ses
pattes de devant sont palmées; celles de derrière sont
armées de griffes; sa structure le rapproche des rep¬
tiles. Ses petits viennent au monde dans un tissu très
mou : quand ils sont nés, leur mère répand son lait dans
l'eau, afin qu'ils puissent le boire.
Peu de contrées sont aussi riches par la variété des
oiseaux. On en distingue cinq catégories : les rapaces,
les pêcheurs, les gallinacés, les échassiers et les pal¬
mipèdes. Plusieurs espèces d'aigles, les fauves, par
exemple, tuent un agneau d'un coup de bec : ils ont des
ailes assez fortes pour leur permettre d'emporter dans
leur nid un poids de quinze livres.
vit dans les lacs d'eau douce; sa peau est couverte
Les
corbeaux, d'une taille inférieure à ceux de nos
contrées, voyagent par bandes de plusieurs centaines.
« Une
singularité du corbeau d'Australie, dit M*" Salvado, c'est son ramage bien différent de l'affreux couac
des corbeaux européens. A peine perché sur un arbre,
s'il aperçoit un homme qui semble l'écouter, il com¬
mence à chanter d'une manière bien étrange, avec
certains demi-tons d'un effet tout à fait comique et
des mouvements de corps non moins drôles; enfin
il allonge considérablement la finale, comme certains
chantres de cathédrale. Aussi semble-t-il se moquer de
ceux qui s'arrêtent pour le regarder, et qui ne peuvent
s'empêcher de rire en entendant ce singulier chan¬
teur.
»
Les
perroquets d'Australie surpassent ceux du monde
L'OCÉANIE
03
entier par
la beauté de leur plumage. Les perroquets
(kakatoès) s'apprivoisent facilement, parviennent
vite à reproduire les cris, et sont si attachés les uns aux
autres, que si l'un d'eux est blessé tous accourent pour
blancs
le défendre.
Le bisbiglia ou dindon sauvage, avec son plumage
gris-blanc, pèse plus de quinze livres; l'étendue de ses
ailes déployées est de sept pieds.
L'oiseau le plus grand du pays est l'autruche émou
ou casoar. Sa taille s'élève à sept pieds. Il se sert de ses
ailes, non pour voler, mais pour activer sa marche.
Il s'attache à
ses
maîtres.
«
Nous avions à la station
d'Yering, dit M. de Castella, un magnifique casoar
qu'on avait poursuivi et atteint tout jeune encore, par
une
fraîche matinée d'hiver. Il était devenu si familier,
qu'il était le favori de tout le monde. Quand on montait
à cheval, il gambadait sur ses deux longues jambes,
élevant son cou et l'abaissant, de même qu'un jeune
chien saute à la tête du cheval de son maître, pour lui
montrer sa joie de la course qu'ils vont faire. On l'avait
appelé Tommy, et tout était permis à Tommy. Quand
la porte de la salle à manger était ouverte, et que la
table était dressée pour le thé, si Typhon, le domes¬
tique chinois, avait préparé quelque friandise de sa fa¬
çon, Tommy avalait tout avant que le Chinois eût eu le
temps d'arriver au secours; de même pour les prunes
et les figues que notre cuisinier faisait sécher au soleil.
Quand celui-ci venait porter plainte contre le casoar,
nous ne savions guère que rire de ses griefs, et l'oiseau
intelligent se rengorgeait, de sorte que le Chinois et lui
étaient ennemis personnels.
« Comme
Tommy était plus grand que Tschimma
(frère de Typhon), il l'avait pris particulièrement pour
victime; du plus loin qu'il l'apercevait, il lui courait
sus, lui donnait de grands coups de bec dans le dos,
L'OCÉANIE
64
souvent lui
pinçait sa longue tresse et la lui tirait
arrière, ce qui mettait Tschimma dans des fureurs
qui divertissaient tous les gens. Un jour que l'oiseau
en
traitait le Chinois
avec
son
irrévérence accoutumée,
Tschimma, qui sortait de la cuisine tenant à la main,
par malheur, une fourchette en fer, dans sa colère se
précipita sur lui et lui creva un œil. Ce fut une déso¬
lation générale à la station, et le lendemain
Tommy
avait disparu. Jamais on ne retrouva vestige de
lui, et
nous supposâmes, tant nous lui accordions de sensibi¬
lité, qu'indigné de ce traitement, il avait voulu retour¬
ner dans le bush, et
qu'ayant suivi la longue barrière
jusqu'à la rivière, il y était tombé et s'était noyé. »
L'oiseau-lyre est le faisan des bois australiens. Son
plumage est remarquable; sa queue reproduit la fidèle
image de l'instrument dont il porte le nom. Sa course
est plus rapide que son vol, et le chien de chasse le suit
difficilement.
S'il sent l'ennemi de près,
il s'envole
les branches les plus basses des
arbres, saute ensuite sur de plus hautes, gagne ainsi
le sommet, et se cache sous le feuillage le plus épais. Il
chante et imite si bien les autres oiseaux, qu'ils viennent
se poser près de lui.
Les vastes forêts de l'Australie n'ont pas de chantre
digne d'être comparé au rossignol ou même à la fau¬
vette, mais, dans les ramages particuliers de chaque
oiseau, plusieurs ont du charme.
Notre énumération serait trop incomplète, si nous ne
citions pas encore de grands pigeons, excellents à man¬
ger; le cygne noir, avec son port majestueux; le péli¬
can, qui porte dans sa poche six à huit livres de pois¬
sons destinés à nourrir ses
petits; le bec-rouge, le
canard musqué, le loriot aux vives couleurs; le petit
traquet, dont la plume brille au soleil comme une mo¬
saïque de pierres précieuses; et la moucherolle, dont
pour se
réfugier
sur
L'OCÉANIE
les cris
65
imitent, à s'y tromper, le claquement du fouet
d'un postillon.
Parmi les insectes, on trouve des
rare
aux
papillons d'une
beauté, d'industrieuses abeilles qui ressemblent
nôtres, des mouches aux piqûres quelquefois dan¬
gereuses, des fourmis
aux morsures
souvent
doulou¬
reuses.
Les
coquillages des côtes
d'éclat. Des
sont nombreux et pleins
poissons délicats abondent dans les rivières
et dans les mers.
Enfin les
nisation
pliés en
à corail
zoophytes, ces animaux qui par leur orga¬
rapprochent de la plante, sont plus multi¬
Australie que partout ailleurs. Les polypiers
s'y trouvent en si grand nombre, qu'ils en¬
se
tourent d'écueils
les abords de la côte orientale du
continent.
Si le règne animal en Australie mérite de fixer notre
attention, celui des végétaux est peut-être encore plus
remarquable, car il est très varié, original, élégant et
souvent
majestueux. L'Europe lui a fait déjà de nom¬
destinés à embellir les jardins et à en
augmenter les produits.
La plus belle fleur australienne est le
meirosideros;
breux emprunts,
le calaslemma candidum embaume les forêts de
licieux parfum ; le marsupia mirabilis
l'éclat de ses nuances jaunes,
se
son
dé¬
distingue
par
rouges et vertes.
Le cedrela australis est
employé à confectionner d'ex¬
cellents meubles. L'eucalyptus, dont le tronc
peut s'élever
cinquante pieds et mesurer trente
pieds de circonférence, est surnommé l'acajou de l'Aus¬
tralie; son bois rouge foncé sert à tous les usages de la
menuiserie et de la charpente. Ses racines
aspirent l'eau
des terrains marécageux et les assainissent. C'est en
le
plantant par milliers que les trappistes ont rendu salubre leur vaste et florissante exploitation de Staouéli
à
une
hauteur de cent
L'OCÉANIE
66
(Algérie). La décoction de ses feuilles ou de son écorce
préserve de la fièvre, et remplace le quinquina.
Une variété d'eucalyptus produit la gomme rouge,
très employée en médecine; une autre, à bois blanc
mais très dur, conserve l'eau de la pluie dans ses ca¬
vités. Les indigènes creusent ses nœuds pour étancher
leur soif. Ils font griller ses racines, les mâchent, en
expriment le jus, et s'en nourrissent.
Le sandal, à bois jaune, d'une agréable odeur, se
débite facilement, et figure avec avantage dans les
meubles de marqueterie. Sa fumée rappelle celle de
l'encens.
Le banksia
vivifolia est un arbuste de cinquante cen¬
long, d'une circonférence égale à sa hau¬
teur, qui produit une liqueur douce comme le miel. Ses
feuilles infusées donnent à l'eau le goût d'une sorte
d'hydromel très apprécié des habitants.
L'infusion des feuilles du tea-tree (arbre à thé) pro¬
cure un breuvage analogue à celui du thé.
La xantorrhée recèle de gros vers que mangent les
timètres de
Australiens. Ses feuilles couvrent les
éclairent si
cabanes; elles
les brûle. Sa gomme
résineuse, d'une té¬
nacité exceptionnelle, sert à fabriquer les marteaux et
les armes; ses tiges et son tronc sont très appréciés
comme bois de chauffage.
Parmi les nombreuses espèces d'acacias, il en est une
qui produit une gomme nutritive.
Le bois des tustanies, facile à creuser, sert à la con¬
struction des barques.
h'erytruia (arbre à corail) se distingue par ses belles
on
feuilles écarlates.
On
finirait pas
si l'on voulait énumérer tous les
végétaux intéressants de l'Australie. Les feuillages n'y
sont pas aussi épais qu'en Europe; leur teinte n'est pas
d'un vert aussi vif; mais les arbres restent parés de
ne
L'OCÉANIE
feuilles
qui
ne
d'autres les ont
67
tombent, pour la plupart,
remplacées.
que
quand
Cependant l'Australie, sous le rapport des plantes
nutritives, est moins richement dotée que les îles de
l'Océanie. Elle
ne
renferme ni les arbres à
épices, si
Rloluques, ni l'arbre à pain, dont
trois fruits peuvent suffire à la nourriture d'une
journée,
ni le bananier, ni le cocotier, dont les
produits jouent un
si grand rôle dans l'alimentation des
pays chauds.
Le sol contient des sources
minérales, des gisements
d'ardoises, de pierres calcaires, de sel, de fer, de char¬
bon de terre, de plomb, de cuivre et d'or.
Quant aux indigènes, ils n'appartiennent pas à la
race nègre, et
proviennent probablement de la race
nombreux dans les
adamanne. Ils ont des cheveux
crépus,
floconacés et souvent
grande bouche, le nez épaté et le teint
brun. Il est à présumer qu'ils sont arrivés
par le détroit
de Torrès de la Nouvelle-Guinée, vaincus et chassés
par les Papouas. A propos de leur extérieur, dom Bérangier résume ainsi les documents puisés à des sources
sûres
«
une
:
...
La vérité est que, sans
être des Apollons, les
Australiens ont les membres bien proportionnés; leur
taille varie entre un mètre soixante-deux et un mètre
soixante-douze. Ils
ont la tête
petite, le front large et un
fuyant, les yeux grands et vifs, la denture magni¬
fique... Leur poitrine large, leurs fortes épaules, leur
cou épais,
indiquent une race robuste; mais souvent ils
sont maigres, parce que la nourriture n'est
pas abon¬
peu
dante dans les solitudes de l'Australie. Leur démarche
est grave, presque
imposante, et ils ne portent pas sans
dignité le manteau de kanguroo. »
Leur intelligence est vive : elle aime à étudier les
objets inconnus, et les reproduit avec une fidèle exacti¬
tude. Leurs enfants ont de la mémoire ; ils
apprennent
68
L'OCÉANIE
facilement le chant, la géographie, les morceaux de
poésie, les travaux d'aiguille, l'agriculture.
Les
indigènes adorent un dieu tout-puissant appelé
motogon, créateur du ciel et de la terre, né dans le
pays, éminent par la force et la sagesse. Ils admettent
aussi un mauvais génie,
qu'ils nomment cienga. Ce
génie déchaîne les tempêtes, attire les pluies malfai¬
santes, fait mourir les petits enfants, et habite le centre
de la terre.
Ils croient
qu'après la mort, l'âme du défunt reste sur
qui entourent la case de la fa¬
mille, pour exciter la pitié, jusqu'à ce qu'un passant
vienne la recueillir. Quand une mère
perd son enfant, le
cri d'un oiseau nocturne lui semble la
plainte de ce
petit être chéri, lui demandant assistance. Aussitôt elle
sort de sa cabane, le supplie avec larmes et avec les
expressions les plus tendres de revenir près d'elle; elle
ne rentre dans sa case
que brisée de fatigue et d'émo¬
tion, puis se console en pensant que l'âme et même le
corps de celui qu'elle pleure sont immortels.
Les Australiens regardent le soleil comme leur in¬
signe bienfaiteur, et la lune comme une ennemie dont
il faut se méfier. Ils redoutent aussi le
grand serpent
nocols, qui se cache au fond des eaux, et tue les habi¬
tants assez imprudents
pour venir se désaltérer pen¬
les branches des arbres
dant la nuit.
L'usage traditionnel
marier avant trente
ne
permet pas au sauvage de
se
le jeune homme qui trans¬
gresse cette loi court risque d'être mis à mort par le
chef de la famille. La fille n'est
pas consultée pour le
choix de son époux. Ses parents
disposent d'elle comme
ils l'entendent; et, dès qu'elle est livrée à un
homme,
elle devient tellement
ans;
sa
propriété, qu'il acquiert sur
qu'une fille est
elle droit de vie et de mort. Une fois
promise à
un
fiancé, il
y a
engagement réciproque, et
L'OCÉANIE
69
celui
qui le romprait s'exposerait à mourir de la main
de l'offensée. La femme belle
est souvent
plus malheu¬
reuse que les
autres, à cause de la jalousie que sa beauté
fait naître dans le
cœur de son mari. Si elle
paraît s'a¬
muser, même avec des
compagnes, un coup de lance
vient lui percer la
jambe et l'avertir de ne pas recom¬
mencer. Si elle s'oublie une
seconde fois
livrer à des jeux
son mari devenir
bruyants, il
son
jusqu'à
bourreau. En
l'époux poursuit le ravisseur, et le
l'atteindre. Du reste, l'ordre et
régnent dans le ménage : quand
s'arrête
en
cas
une
d'enlèvement,
tue s'il
une
plein air
parvient à
certaine décence
famille voyageuse
pour le repos de la nuit,
çons se groupent autour du
père, tandis que
réunit les filles et les
petits enfants.
La naissance d'un
étang, lui donne
de
les
gar¬
la mère
enfant, dans un bois ou près d'un
d'y chasser, d'y pêcher, d'y re¬
et d'y chercher les racines nutri¬
le droit
cueillir les gommes
tives.
se
n'est pas rare de voir
Aussi, quand une mère sent approcher le moment
couches, elle allume du feu près de la terre ou
rivière, afin de ménager à celui qu'elle va mettre
ses
de la
monde
au
une
sorte de
corps de cendre
ou
propriété. Elle
de terre
réduite
couvre ce
en
petit
poussière, le
plonge bien des fois dans l'eau, et
l'enveloppe d'une
kanguroo ou d'opossum; elle commence alors
peau de
un
allaitement qui se continuera
pendant quatre à cinq
ans.
Quand il entend le cri de
l'enfant, le père demande
quel est son sexe : si c'est une fille, il ne se
dérange
pas pour la voir; si c'est un
garçon, il chante des re¬
frains d'allégresse, et se rend à la
chasse pour chercher
du gibier et
préparer une réjouissance.
Après deux ou trois jours de repos, la mère se lève et
porte l'enfant à son père,
qui lui donne un nom. Les
parents mettent à mort les filles et les
garçons mal con-
L'OCËANIE
70
les idiots réputés incu¬
rables, la troisième et parfois la seconde fille qui leur
sont données, à moins qu'une voisine compatissante ne
formés, les sourds-muets et
se
charge de l'élever.
Quant aux enfants qu'ils consentent à
garder, ils les
aveugle, et n'osent pas corriger
leurs défauts. Le père apprend de bonne heure à son
fils la chasse, la pêche, et s'amuse à lui fabriquer des
engins et de petites armes, en rapport avec la faiblesse
de celui qui doit les manier.
La monogamie est assez répandue chez les sauvages
australiens ; cependant plusieurs ont deux femmes d'âge
différent; d'autres en ont trois et même davantage, s'il
leur arrive de recueillir pour les protéger les veuves
d'un parent ou d'un ami.
Ils n'attachent nulle importance aux querelles des
femmes entre elles, souvent ne s'en mêlent pas, et mon¬
trent beaucoup d'insensibilité pour les dangers qu'elles
courent et les blessures qu'elles reçoivent. Après des
rixes féminines, on entend les hommes dire : « A quoi
bon s'occuper de leurs démêlés? Pour une qui viendrait
à mourir, il en resterait mille autres. »
« Pauvres femmes,
remarque à ce propos MBr Salvado, si vous êtes quelque chose dans les sociétés mo¬
dernes, vous le devez à l'Évangile. Parmi les sauvages,
vous êtes réduites au dernier degré de l'abjection. Au
moment de votre naissance, votre vie tient à bien peu
de chose. Dans votre enfance, dans votre jeunesse, vous
aiment d'un amour
pouvez
devenir,
en cas
de famine, la proie de vos pro¬
parents; et enfin, arrivées à l'âge adulte, vous vous
trouvez la bête de somme, la chose de votre mari, qui
pres
laisser mourir sans encourir
reproche! 0 femmes d'Europe, vous qui jouissez
du don inestimable de la foi catholique et de tous les
avantages qui l'accompagnent, souvenez-vous de vos
peut vous tuer ou vous
de
L'OCÉANIE
71
pauvres sœurs de
l'Australie, et, si vous le pouvez, que
aumônes aident les missionnaires à les
tirer de leur
dégradation physique et morale, en les rendant chré¬
tiennes et civilisées comme vous! »
vos
En
été, les sauvages
ne sont pas
pour tout habillement
vêtus, et
ne
portent
qu'une ceinture d'environ vingtcinq centimètres de large, faite avec les
fragments les
plus solides de la laine d'opossum. Dans les
jours de
disette, ils la serrent soigneusement, afin de
pouvoir
mieux supporter la faim. Cette
ceinture contient les
petites pierres tranchantes dont ils arment leurs
lances,
les outils, le sac de
graisse dont ils se servent
et les
couleurs
avec
lesquelles ils
souvent,
se
peignent le corps. En
hiver, ils portent un manteau de peau de
kanguroo ou
d'opossum. Ce manteau est composé de plusieurs
peaux;
le fil qui les coud est fait des nerfs
de l'animal; l'ai¬
guille, c'est un petit os pointu et percé à l'une de ses
extrémités. Quand le
sauvage s'asseoit, le manteau de¬
vient son coussin; la nuit, c'est un
matelas; s'il pleut,
c'est une toile sous
laquelle l'Australien s'abrite.
Il cherche dans de bizarres
ornements
faction de vanité. La femme,
par
s'embellir
une
satis¬
exemple, travaille
à
teignant sa chevelure touffue et en la cou¬
pant de façon qu'elle ne touche pas les
épaules; mais
elle néglige les soins de la
propreté, et ne se débarrasse
pas assez des insectes qui viennent s'établir sur sa
tête.
Quant aux hommes, ils graissent leurs cheveux
avec
un
mélange d'une substance huileuse et de terre
rouge
réduite en poussière; ils les relèvent vers le
sommet du
crâne, les y maintiennent par une bande de peau, et
placent au milieu de cette forêt de brillantes plumes
en
d'oiseaux. Ils portent une
longue barbe peinte de
leurs diverses. Ils
suspendent à leur nez un os
cou¬
pointu
oiseau; cet os traverse le cartilage, au
risque de gêner la respiration. Ils se baignent volontiers
tiré de l'aile d'un
7-2
L'OCÉANIE
prémunir contre
piqûres d'insectes, et de donner à leur corps la sou¬
plesse qui leur permettra de faire de longues courses
sans trop de fatigue.
Les Australiens possèdent quelques notions d'astro¬
nomie; ils distinguent les saisons à l'apparition de cer¬
tains astres, et comptent les mois par les lunes.
Leur arithmétique est bien primitive : ils ont trois
mots pour signifier un, deux, trois; en multipliant deux
par deux, trois par trois, ils arrivent à quatre et à neuf;
mais leur esprit de combinaison ne va pas au delà. Pour
indiquer la distance qui les sépare d'un point à un
autre, ils énumèrent les montagnes, les plaines et les
rivières qui séparent ces deux points.
Leur musique est encore dans l'enfance : cependant
elle enflamme l'ardeur des guerriers si elle veut exciter
à la guerre; elle fait couler des larmes si elle déplore la
perte d'un être aimé; elle entraîne à la chasse si elle
exprime l'élan et la gaieté.
Les divers dialectes de l'Australie se rattachent à
une langue commune, douce, flexible et sonore.
Le
nombre des mots est restreint, comme celui des idées
et des besoins des indigènes, qui aiment les phrases
courtes et laconiques. La poésie tourne dans un cercle
très étroit, s'exprime sous des formes peu variées, et
cependant sait trouver le chemin des cœurs.
Les exercices, exécutés en cadence, offrent à ces na¬
tures sauvages un immense attrait. Chaque année, en
automne, les Australiens se réunissent pour de grands
bals. Ils y viennent de loin et au nombre de plusieurs
centaines. La chasse du kanguroo ouvre les fêtes.
Après la chasse, ils en mangent les produits dans un
abondant festin. Les plumes les plus brillantes des oi¬
seaux deviennent la coiffure de ceux qui les ont tués, les
queues de chiens sauvages couvrent le dos des chas-
et se
les
frictionnent souvent, afin de se
L'OCÉANIE
seurs ;
fiers de
ment la danse ;
avec
par
73
ces trophées, ils
commencent grave¬
ils chantent avec harmonie et répètent
précision les figures et les mouvements exécutés
le chef d'orchestre. Ces exercices se
avant dans la
les exercices recommencent
ou une
prolongent fort
Le jour,
nuit, à la lueur de grands feux.
guerre avec
un
: on
entrain
représente une chasse
qui électrise la galerie.
Les hommes seuls exécutent les
danses et les simu¬
guerriers; les femmes n'ont d'autre mission
que
d'entretenir les feux et de
préparer les boissons. Les ré¬
lacres
jouissances durent quelquefois plus d'une
semaine; mais
souvent elles sont assombries
par des querelles et des
haines farouches. Commencées dans la
joie, elles se ter¬
minent dans les
rixes, la tristesse et l'effusion du sang.
Les indigènes se servent avec adresse
de leurs armes
et de leurs outils.
Les
armes
offensives sont la lance
ou
ou
ghici, le cale
voomerang, et le darwac. La lance, faite de bois
dur, se divise en trois catégories : l'une est
pointue et
ne blesse
pas grièvement; l'autre, garnie de crocs, tire
des troncs d'arbres les animaux
la résine des hautes
qui s'y cachent, cueille
branches, les nids d'oiseaux et
les fleurs dont les calices renferment
une substance su¬
crée. La troisième lance est vraiment
l'arme du guer¬
rier. Elle porte à son extrémité des
pierres dures, très
aiguës, qui déchirent les chairs.
Le cale, ou
woomerang, est un demi-cercle de bois
de deux pieds de
circonférence; lancé avec force vers
la terre par le
guerrier qui lui imprime un mouvement
spécial de rotation, le cale descend, mais ne touche
pas
le sol, puis il
remonte, s'élance dans les airs à une
grande hauteur et
qu'elle
assomme ce
Le darwac est
un
retombe comme
rencontre
bâton
coup donne la mort s'il
une
massue
sur son
qui
passage.
de bois très dur, dont le
épais
frappe la tête.
4
L'OCËANIE
74
L'arme défensive des
indigènes est l'unda, ou bou¬
clier, destiné à préserver des atteintes de la lance; il y
en a de deux sortes : l'un, fait en écorce, garantit mal ;
l'autre, en bois que le feu a durci, atteint son but, mais
fatigue par sa pesanteur.
Les outils sont le coccio ou marteau, et le mangart
ou couteau. Le coccio est le maillet associé à la hache,
dont les pierres tranchantes et affilées remplacent le fer.
Les femmes sont munies de l'uana. Elles
ce
bâton pour
se
servent de
chercher le terrier des animaux qu'elles
veulent chasser et
leur famille. Elles
les racines dont elles nourriront
l'emploient aussi pour détacher les
qui servent de cloison à leur cabane, et creuser
les trous destinés aux pieux de cette fragile maison.
Les Australiens casés dans les forêts passent leur vie
à chasser. Le matin, la famille se met en route. La
femme porte sur son dos un sac de peau de kanguroo
qui contient tout le mobilier du ménage et quelques
provisions alimentaires. Accablée sous le poids de cette
charge, elle tient encore dans ses bras l'enfant trop pe¬
tit pour faire la route à pied. Le mari ne porte que ses
armes, et emploie toutes ses facultés à explorer le pays.
L'oreille tendue, l'œil au guet, il cherche à découvrir
le gibier et l'aperçoit à de grandes distances. Il entend
ce qui se passe au loin sur terre, dans l'air et
jusque
sur les arbres les plus élevés.
La chasse du kanguroo se fait la nuit. Au plus léger
bruit, toute la famille se jette à terre et reste immobile :
dès qu'on a vu le kanguroo, on s'approche en rampant
afin de se placer sous le vent. Quant le chasseur est
arrivé à la distance voulue, il se dresse devant sa proie
et reste immobile, attendant que l'animal se mette à
brouter : c'est le moment de le frapper; si la blessure
n'est pas mortelle, la femme achève l'animal à coups
écorces
d'uana.
L'OCÉANIE
7b
On chasse aussi
l'opossum dans les ténèbres. Le jour,
des arbres et ne voyage
guère qu'a¬
près le coucher du soleil. Le casoar est l'un des gibiers
les plus recherchés
par les indigènes, qui mangent sa
chair, se servent de ses plumes pour se parer auxjpurs
de fête, et emploient sa
graisse comme remède de beau¬
coup de douleurs. Pour atteindre les autres oiseaux, le
chasseur se sert du cale, dont les bonds inattendus les
atteignent en grand nombre. Les plus petits se prennent
à un autre piège.
Au temps des chaleurs et de la
sécheresse, le chasseur
creuse un grand
trou, le remplit d'eau, et se blottit der¬
rière un buisson : quand les oiseaux viennent
pour se
désaltérer, il en prend un vivant, l'attache par la patte
à une branche d'arbre, le fait
crier, et s'en sert comme
d'appeau pour attirer les autres ; il parvient ainsi à en
tuer jusqu'à cent par jour.
Les sauvages établis près des
lacs, des rivières et des
lagunes vivent de poissons. « Figurez-vous, dit M. de
Castella, par un chaud soleil, sous le ciel gris et blanc
des jours d'été des pays chauds huit à dix
sauvages, à
la peau luisante et d'un ton
cuivré, qui tranche sur
il dort dans le
creux
,
,
tous les tons
un
peu monotones de la nature. Debout
dans l'eau
jusqu'à la ceinture ou seulement jusqu'à
mi-jambe, ils tiennent dans chaque main une lance
avec laquelle ils fouillent le fond de
l'eau, se balançant
et réglant leurs mouvements sur la mesure d'un de leurs
chants à notes saccadées. Quand ils ont traversé
anguille,
une
dont ils s'aperçoivent au mouvement qu'elle
fait en se débattant, ils la transpercent avec la seconde
lance dans un autre endroit, et, tenant les deux
pointes
écartées, ils la jettent sur la terre à l'un d'eux, qui les
met toutes en tas après leur avoir
coupé la tête. Ils en
prennent de cette façon des quantités prodigieuses, et
en font d'immenses
grillades. Ces pauvres gens n'ont
ce
L'OCÈANIE
76
de casseroles pour préparer leur dîner; ils placent
gibier sur des braises recouvertes d'un peu de
cendre, et le mangent quand il est cuit. Ils n'écorchent
pas les petits quadrupèdes qu'ils rôtissent de cette façon
primitive; ils les épilent seulement avec grand soin, et
l'animal est cuit dans son jus, ce qui fait tendre sa peau
comme celle d'une outre pleine. La cuisine ainsi pré¬
parée est fort laide à voir, mais très bonne à manger...,
pourvu qu'on n'ait pas trop de préjugés. »
A défaut de gibier et de poisson, les indigènes se
nourrissent de vers de toute espèce, de nids d'insectes,
de chrysalides et de fourmis blanches, rôties sur des
pierres très chaudes. Ils aiment la gomme de l'acacia,
qui remplace, dans une certaine mesure, le pain dont
ils sont privés. Ils mangent aussi des champignons
crus, des oignons dont la saveur rappelle celle de la
châtaigne, la pomme de terre qui pousse à plusieurs
pieds sous terre, les fruits du palmier, les racines d'yam,
les iris, les nénuphars, et beaucoup d'autres plantes
amassées pour les jours où la chasse ne sera pas pro¬
ductive. Cependant ces précautions n'empêchent pas
toujours la disette, et quand elle arrive, les sauvages
pas
leur
nourrissent de chair humaine
se
en
exhumant les ca¬
davres nouvellement confiés à la terre, ou en
mettant à
mort leurs semblables !
contraire, s'ils sont dans l'abondance, s'ils ont
plus de gibier qu'ils ne peuvent en consumer, ils
font appel aux voisins par des cris déterminés ou
des feux allumés sur les collines; les invités arrivent
en toute hâte, mangent avec gloutonnerie, puis exé¬
Au
tué
cutent des danses et des chants en l'honneur
de leurs
hôtes.
famille vient de loin visiter des amis;
ou d'un fils, va, les
armes à la main, au-devant des voyageurs ; puis, quand
Quelquefois
alors leur
une
chef, escorté d'un frère
L'OCÉANIE
il les
a
reconnus,
77
il les accueille cordialement, et l'on
partage avec eux legibierde la journée. Pendantlesheures
d'inaction, on fume les racines desséchées de certaines
ou l'on prise la poudre de certaines fleurs.
L'eau des sources, presque toutes minérales,
plantes,
celle
étangs, qu'il faut fillrer en la faisant passer à travers
le sable, l'eau de pluie contenue dans les troncs de cer¬
tains arbres, et celle que contiennent diverses racines :
telles sont les ressources que les indigènes ont à leur
disposition pour étancher leur soif.
Si les Australiens sont hospitaliers, ils sont colères,
susceptibles et avides de vengeance. Quand l'insulte
s'est adressée à la femme, elle vient se plaindre à son
mari, et allume dans son cœur le feu de la haine; alors
la lutte commence et ne cesse que quand le coupable
des
succombe à
ses
blessures. Là où ils reconnaissent un
chef, le différend est parfois soumis à son apprécia¬
tion, et le coupable est condamné à une peine pro¬
portionnée à sa faute.
Quelquefois l'indigène, effrayé de sa faiblesse phy¬
sique, ajourne le moment de la vengeance pour se mé¬
nager le moyen de l'assouvir plus sûrement. Il attend,
par exemple, la nuit, afin de saisir son ennemi à l'improviste, de lui enfoncer sa lance dans la poitrine, et
de s'enfuir à toutes jambes; mais ordinairement il
n'échappe pas aux coups des parents de la victime. A
peine les funérailles terminées, ils courent à sa pour¬
suite, l'atteignent au bout de quelques jours, le tuent,
et
rapportent sa tête, ainsi que sa main droite, comme des
trophées de leur victoire. La vengeance, à leurs yeux
aveuglés, est un devoir qu'il faut accomplir ; celui qui
ne le remplit pas est digne de mépris.
Malgré leur robuste constitution, les Australiens sont
exposés à des maladies qui deviennent parfois mortelles,
grâce aux prétendus remèdes employés pour les guérir.
L'OCÉANIE
78
Le malade
se
plaint-il d'étourdissements, un bain de
remplis de sangsues
courte durée dans des réservoirs
réussit à le
guérir.
Le
phtisique pénètre dans le sable jusqu'au cou, y
reste plusieurs heures et en sort soulagé.
La saignée, pratiquée avec une pierre aiguë, est em¬
ployée contre les maux de tête et les rhumatismes. S'il
s'agit de douleurs d'entrailles ou de souffrances très
vives, on appelle le boglia, médecin sorcier, qui exerce
un
pouvoir presque absolu sur ses compatriotes, à cause
de l'influence magique qu'ils lui supposent. Us lui attri¬
buent le don de tout entendre et le pouvoir de prendre
diverses formes. Tant il est vrai que le cœur humain a
besoin du merveilleux : quand il ignore la vérité révé¬
lée, il tombe sous l'empire des superstitions les plus
absurdes.
Le
boglia, à peine arrivé, questionne le patient, le
sur le dos,
puis sur l'estomac, met son pied
sur la poitrine, la
presse avec ses doigts, de façon à
empêcher la respiration et ajoute aux souffrances pour
en rechercher les causes. Ensuite il trace des
lignes
avec le pouce et l'index de
chaque épaule à l'estomac,
prononce certains mots à effet soi-disant prodigieux,
et prétend faire sortir du corps malade le maléfice
qui
causait la maladie. Il multiplie les frictions, et suce
plusieurs fois le creux de l'estomac, comme pour tenter
d'y pratiquer une ventouse. Si ce traitement bizarre ne
paraît pas réussir, malheur au boglia ! La famille passe
de l'extrême confiance à une défiance absolue, et veut
le punir de mort; il n'aura plus qu'à se soustraire
par
la fuite à la vengeance des parents.
Quand l'indigène souffre de fièvres de marais, de mor¬
fait coucher
,
sures
d'animaux venimeux
ou
de blessures faites
avec
empoisonnée, les coradjiis, autres médecins
sorciers, lui apportent des talismans; ce sont des
une
arme
L'OCËANIE
79
pierres brillantes, qu'il n'est pas permis aux femmes
regarder, et qu'on renferme dans un long ruban de
de
fourrures.
boglia sert à désigner le médecin sorcier; il
signifie aussi maladie mortelle, envoyée par un ennemi
puissant, qui frappe à distance et sans être vu. Aux
yeux des Australiens, la mort n'est pas un événement
naturel; si quelque méchant ne venait pas la donner,
le corps serait immortel comme l'âme. Aussi, quand un
membre d'une famille cesse de vivre, c'est un ennemi
qui l'a assassiné; les parents doivent le chercher, le
découvrir, et le tuer à leur tour. Si l'adversaire est in¬
connu
le membre de la famille chargé d'exercer la
vengeance jette de la poussière au vent, et suit la
direction qu'elle prend elle-même. Le premier sauvage
qu'il rencontre, c'est le coupable présumé; c'est lui qu'il
Le mot
,
faut mettre à mort.
défunt, les femmes se couvrent le
visage de terre blanche, entonnent des chants plaintifs
Pour honorer le
et versent des larmes
en
abondantes. Les hommes entrent
fureur, grincent des dents, menacent le
ciel et ré¬
pètent qu'ils vont tuer le meurtrier...
Peu à peu le calme renaît, la famille pense à la sé¬
pulture; chacun se met à creuser la fosse, qui doit être
profonde; on allume du feu, et, quand il commence à
s'éteindre, on dépose avec respect dans la tombe le
corps enveloppé de peaux de kanguroo, et on a soin de
tourner la tête vers l'orient. On place dans la fosse les
armes du défunt, ses lances brisées et les restes de son
dernier repas, et on le couvre d'une énorme pierre, afin
que les animaux ne puissent pas le déterrer. L'inhuma¬
tion terminée, on fait un grand feu près de la sépul¬
ture; les hommes chantent les exploits du guerrier
qu'on a perdu, les femmes se mettent à danser, tenant
d'une main une branche de fleur, et de l'autre envoyant
80
L'OCÉANIE
des baisers
le ciel pour
honorer l'âme montée au
ciel, c'est-à-dire au séjour du bonheur. Quand le
pre¬
mier feu est éteint, les parents en allument
d'autres, et
les entretiennent pendant des
mois, pour que l'âme
puisse se réchauffer pendant la nuit, quand elle viendra
visiter les lieux qu'elle habitait sur la terre.
C'est la
coutume de la pleurer durant un certain
laps de temps,
vers
deux heures avant le lever du
soleil, et deux après
qu'il s'est couché. Puis, si le chant d'un oiseau se fait
entendre dans les ténèbres, on se
persuade aisément
que
c'est
une
visite de l'âme absente, et les complaintes
recommencent.
Ignorants et superstitieux, parce que les lumières de
pas éclairé les ténèbres de leur
intelligence; sauvages et nomades, parce que le chris¬
tianisme ne les avait pas dotés des vrais éléments de
la civilisation, les Australiens étaient
nombreux lors de
la descente des Anglais dans leur
pays; de nos jours,
leur race est notablement décimée
par l'abus des spiri¬
l'Évangile n'avaient
tueux et par
la guerre d'extermination
ont
a
que
les colons
dirigée contre eux. La tribu a cessé d'exister; il n'y
plus guère que des familles indépendantes, obéissant
au
père, dont l'autorité
est absolue.
CHAPITRE
VI
1787, les Anglais choisissent l'Australie pour y déporter les
Botany-Bay et Sydney. — Épreuves des débuts. —
Sage administration d'Arthur Philip , premier gouverneur.— Ses
successeurs rencontrent des difficultés sans cesse renaissantes,
En
criminels.
—
mais la persévérance de l'Angleterre parvient à les surmonter. —
Relation du naturaliste Péron sur la colonie, en 1802.— Prodi¬
gieux accroissement de Sydney. — Deux catégories de colons : les
émigrés volontaires , les déportés et leurs descendants.— D'autres
colonies anglaises se fondent en Australie et deviennent en quel¬
ques années très florissantes. — Queensland. — Australie méri¬
dionale, occidentale, heureuse. — Melbourne et ses splendeurs.—
En 1851, le fermier Hargreaves découvre les mines d'or qui ont
fait tant de bruit. — Détails de leur exploitation. — Prospérité
exceptionnelle de la colonie de Victoria. — Vastes pâturages. —
Élevage des bestiaux. — Le capitaine Mac Arthur. — Plusieurs
hardis colons imitent son exemple et réalisent d'immenses béné¬
fices.
Lorsque l'Angleterre perdit ses possessions améri¬
elle résolut de fonder en Australie une colonie
pénitentiaire. Au lieu de continuer à diriger vers la Vir¬
ginie ses condamnés à la déportation, elle chercha une
autre contrée où elle pût trouver plus tard un dédom¬
magement aux pertes qui lui étaient imposées. Après
plusieurs tentatives infructueuses, les Anglais adop¬
tèrent la partie orientale du nouveau continent, explorée
dès 1770 par le capitaine Cook, et désignée sous le nom
caines
,
de Nouvelle-Galles.
4*
L'OGÉANIE
82
En
1787, le capitaine de vaisseau Arthur Philip par¬
Grande-Bretagne à la tête de onze navires,
avec le titre de gouverneur en chef de la future colonie.
Le choix était heureux, car cet officier distingué, pa¬
tient, énergique et prévoyant, réunissait plusieurs qua¬
tait de la
lités de colonisateur. Plus de mille individus l'accom¬
pagnaient. La moitié de
son
personnel
se
composait de
condamnés ;
les employés
munit de
l'autre moitié comprenait les militaires et
de tout grade. A Rio-Janeiro, Philip se
semences et déplantés étrangères au pays vers
lequel il se dirigeait; il se procura, par exemple, le
ca¬
caotier, le cotonnier, le caféier, le tamarin, le guava,
l'oranger et le nopal. Au cap de Bonne-Espérance, il
acheta chevaux, bêtes à cornes, porcs, chèvres, mou¬
tons, poulets; il fit provision de figuiers, de
plants de
vignes, de bambous, de pommiers, de poiriers, de cannes
à sucre, de fraisiers, puis aborda l'Australie sans avoir
de graves accidents à déplorer.
Botany-Bay, désigné d'abord comme le lieu le plus
favorable à l'établissement projeté, fut bien vite regardé
comme insuffisant et défectueux. A part quelques sites
pittoresques et fleuris, le sol ne présentait guère que
des sables arides
des
ou
des marais insalubres cachés par
des plantes touffues; l'eau
sans profondeur n'offrait
pas aux navires un abri rassurant : il fallut donc
chercher un emplacement plus propice. A quelques
lieues plus loin, des conditions favorables se rencon¬
trèrent; c'était la baie du port Jackson, ainsi nommé
en souvenir du matelot que l'illustre Gook y avait en¬
voyé, comme sentinelle, lors de son passage. Philip vint
s'y établir le 26 janvier 1788, et déploya solennellement
sur le rivage le pavillon britannique, sans éprouver la
moindre résistance de la part des indigènes. La maison
du directeur, les tentes pour les malades, des abris desroseaux
douce faisait
verdoyants
ou
défaut, et la rade
L'OCËANIE
83
domestiques, un observatoire pour
magasin devant renfermer les
vivres apportés par les navires : telles furent les pre¬
mières constructions qui absorbèrent l'activité des Euro¬
péens ; elles s'élevèrent rapidement. Le temple de la prière
ne fut pas oublié, et bientôt la cité naissante, placée
sous un climat tempéré, comparable à celui du midi de
la France, prenait le nom de Sydney, en l'honneur du
ministre anglais qui avait décidé la création de la colonie.
Un mois après leur arrivée ( février 1788 ), vingt
colons partaient de Sydney et se dirigeaient vers la
petite île de Norfolk, renommée pour la richesse de sa
végétation, et emportaient des provisions alimentaires,
avec des graines et des instruments aratoires. Les dé¬
buts de cette seconde entreprise furent pénibles. Ce¬
pendant, au bout de quelque temps, les colons purent
se suffire à eux-mêmes. Dès l'année suivante, ils obte¬
naient vingt fois la semence de froment qu'ils avaient
confiée à la terre, et ils recevaient un renfort de labo¬
tinés
aux
animaux
l'étude des astres, un
rieux ouvriers.
Grâce à la sévérité de la loi martiale, grâce aux sages
paternelles mesures prises par le gouverneur, plu¬
et
sieurs oonvicts1 se mirent sérieusement au travail. Ceux
qui voulurent se livrer à la culture devinrent proprié¬
taires d'une part de terre; il fut concédé aux céliba¬
taires quinze hectares, et aux hommes mariés vingtcinq , uvep qddition de cinq hectares pour chaque
pnfant. La bonne conduite était encouragée par la re¬
mise partielle ou totale de la peine encourue, à condi¬
tion que les libérés se fixeraient définitivement en Aus¬
tralie. L'un d'eux, James Ruse, vint dire un jour au
Le revenu de mes terres suffit à mes be¬
soins ; je peux me passer de secours. » En moins de
gouverneur : «
1
Conviçt est le
nom
donné
eu
Angleterre
au
criminel déporté.
84
L'OCÉANIE
deux ans,
trois cent
distribués et défrichés.
cinquante hectares furent ainsi
Toutefois les
épreuves ne manquèrent pas à la colonie
scorbut, la fièvre, la dysenterie, les dé¬
sordres de plusieurs criminels multiplièrent les
victimes;
les secours de la métropole, encore nécessaires à la sub¬
sistance des colons, se firent plusieurs fois attendre. La
rareté des vivres d'abord, puis le naufrage d'un bâti¬
ment chargé de provisions imposèrent de rudes
priva¬
tions. Le gouverneur diminua la part de
chacun, et,
voulant payer de sa personne, il fit porter au
magasin
naissante. Le
ses ressources
personnelles,
en se contentant de la
ra¬
tion
qu'il assignait à chaque Européen. Son exemple fit
impression, mais ne parvint pas à maintenir les dépor¬
tés dans le sentier du devoir. La discipline se
relâcha,
les vols se multiplièrent, et l'autorité dut fermer les
yeux sur bien des abus qu'elle réprima plus tard.
Philip ne négligeait pas d'établir avec les indigènes
d'amicales relations. 11 les traitait avec
loyauté, justice,
humanité ; et, si son exemple avait été suivi, l'Austra¬
lie aurait conservé les habitants qu'elle a
perdus. Il les
attirait à Sydney, les admettait dans sa maison et même
à
sa
table. Parmi les sauvages recueillis chez
trouvait
Philip
se
jeune hemme appelé Bélinong qui appar¬
tenait à une famille importante du
pays. Au milieu de
l'émotion générale produite par la famine, ce vaillant
guerrier s'éloigna de Sydney, et alla rejoindre les siens.
Mais il emportait un souvenir reconnaissant des
bontés
dont il avait été comblé; et
plus tard, quand les temps
devinrent meilleurs, Philip, toujours fidèle à ses idées
de
conciliation, allant au-devant des sauvages, et voulut
un
,
bien entrer
en
pourparlers
avec une horde nombreuse
que Bélinong avait disposée à se rapprocher des colons.
Le gouverneur fit une distribution de
des haches de
présents, promit
fer, et la causerie
se
poursuivait
avec
L'OCËANIE
une
confiance
85
réciproque, quand tout à
coup un sau¬
vage défiant, voyant Philip s'animer dans la conversa¬
tion et faire un geste qu'il croyait hostile aux siens, se
figura que c'était un signal donné aux Anglais pour
s'emparer des indigènes; vite il saisit la longue zagaie
que Bélinong avait plantée en terre, en frappe le gou¬
verneur et le blesse
grièvement. Cependant l'arme fut
habilement extraite, et la blessure se guérit
rapidement.
Le jeune chef fit arrêter le sauvage encore plus aveuglé
que coupable, calma l'émotion générale, vint à Sydney
pour expliquer le malentendu; et ce fâcheux incident,
qui pouvait devenir l'étincelle d'un incendie, fut, grâce
à la générosité de Philip, l'occasion de relations plus
suivies et plus amicales avec les Australiens.
Cependant la paix ne régnait pas sans interruption
entre la colonie et les sauvages. Des orages éclataient
parfois dans ce ciel ordinairement serein. Un jour, des
convicts, profitant d'un défaut de surveillance, mirent
en pièces une pirogue neuve appartenant à un
vigou¬
reux sauvage, qui, se voyant ruiné, devint furieux. Il
demanda justice, obtint une première répression qu'il
jugea insuffisante, réclama la peine de mort pour châ¬
tier les coupables, et comme la sentence ne se pronon¬
çait pas, il voulut se venger lui-même, en blessant le
premier colon qu'il rencontra sur son chemin; son
exemple encouragea plusieurs indigènes à exercer des
représailles, et suscita des difficultés que Philip parvint
à surmonter
avec son
habileté ordinaire.
Malheureusement tous les convicts
ne
s'adonnaient
la culture de la terre; beaucoup, préférant l'oi¬
au travail, se répandirent dans les bois, entrèrent
relations avec les sauvages, leur persuadèrent qu'ils
pas à
siveté
en
étaient leurs
ancêtres,
revenus en ce
monde
sous une
peau blanche, et obtinrent ainsi de partager leurs pro¬
visions. Mais l'illusion fut de courte durée, et les Aus-
L'OGÉANIE
86
traliens, indignés de la fraude dont ils avaient été vic¬
times, ne tardèrent pas à massacrer les criminels.
Quand Philip, fatigué par des veilies fréquentes et de
perpétuelles sollicitudes, dut retourner en Angleterre
(1792), la Nouvelle-Galles comptait quatre mille Euro¬
péens. L'agriculture progressait, l'accroissement des
troupeaux procurait l'engrais si nécessaire à la fertilité
du sol, et les colons vivaient en paix avec les indigènes.
Ainsi des résultats considérables avaient été obtenus ;
mais les améliorations eussent été bien
plus sérieuses
plus profondes si le gouverneur avait appelé à son
secours le catholicisme, ses missions, ses sacrements,
ses pratiques religieuses, qui, attirant Dieu dans les
âmes leur donnent une force surnaturelle pour résister
au mal et pratiquer la vertu.
et
,
Son
successeur
eut à lutter comme lui contre les
périls et les découragements de la famine. Les vais¬
chargés des approvisionnements tardaient à ve¬
nir. En 1794, le retard fut encore plus long que les prér
cédents : on était à bout de ressources; les magasins ne
renfermaient plus de vivres que pour cinq jours; et
après, qu'allait-on devenir? Bien des prières s'élevaient
vers le ciel pour demander le pain de chaque jour,
quand tout à coup un vaisseau apparut à l'horizon ;
mais en même temps une furieuse tempête s'éleva, et
après une lutte vigoureuse le navire disparut. Deux
jours et deux nuits s'écoulèrent dans des transes inex¬
primables, puis les vents s'apaisèrent, et deux bâti¬
ments chargés de vivres purent entrer dans le port.
Les gouverneurs qui succédèrent à Philip rencontrè¬
seaux
rent des difficultés sans cesse
vices des criminels
renaissantes, à
cause
des
qu'ils étaient chargés de gouverner.
Parmi les administrateurs les plus distingués de la
colonie, nous citerons Hunter et lé colonel Lachlan
Macquarie.
L'OGÉANIE
Hunter associait dans
87
juste mesure la clémence
justice; il réprimait avec énergie les fautes de ses
administrés, et il avait le don d'inspirer à la fois le
respect et l'attachement. Il ouvrit des routes, fit ex¬
ploiter des mines de fer, fonda plusieurs écoles, et pré¬
para le commerce d'exportation.
Macquarip sut imprimer un nouvel essor à la co¬
lonie; une halle, un marché furent construits, les rues
furent soumises à l'alignement et reçurent des noms;
la ville s'embellit, et des manufactures de draps, de
chapeaux, de cordes et de poteries devinrent floris¬
une
et la
santes.
Malheureusement
les
indigènes ne s'amélioraient
maltraités par les colons, ils n'en re¬
cevaient aucun bienfait, et leur empruntaient des dé¬
fauts qu'ils ajoutaient à leurs propres vices; ils perdaient
leurs superstitions sans acquérir la lumière.
Pendant que les gouverneurs luttaient contre les élé¬
ments de désorganisation que la turbulence des indi¬
gènes et la mauvaise conduite des convicts semaient
dans le pays, deux hommes courageux, le chirurgien
Bass et le jeune aspirant de marine Flinders, s'asso¬
ciaient pour faire des excursions. En explorant les
côtes, Bees découvrit que la terre de Van Diemen, ré¬
putée jusque-là partie intégrante de l'Australie, en est
séparée par un détroit; il choisit quelques matelots
éprouvés pour essayer de le traverser. Il revint au port
Jackson après avoir fait le tour de cette île importante.
Sur la demande de Flinders, le détroit reçut le nom de
Bass, et la chaloupe baleinière le Petit-Poucet, dont s'est
servi le hardi navigateur, est conservée avec honneur
dans je port de Sydney.
En 1802, le premier consul Bonaparte envoyait en
Australie deux bâtiments commandés par le capitaine
Baudin pour un voyage d'exploration. Le savant natupas;
négligés
ou
L'OCÈANIE
88
raliste Péron faisait
partie de cette expédition; il en a
Quelques extraits de cette relation
une idée de ce qu'était, à cette époque,
publié l'histoire
nous
donneront
la Nouvelle-Galles.
«
Notre arrivée à
Sydney
y
était depuis longtemps
annoncée; elle n'y causa donc pas beaucoup de sur¬
prise : mais combien ne dûmes-nous pas être étonnés
nous-mêmes de l'état florissant de cette colonie singu¬
lière et lointaine ! La beauté du port
fixait tous les re¬
gards. Vers le milieu de ce port magnifique, et sur son
bord méridional, s'élève la ville de Sydney.
«
Assise
sur
le
revers
de deux coteaux voisins l'un de
l'autre, traversée dans sa longueur par un petit ruis¬
seau, cette ville naissante offre un coup d'œil agréable
et pittoresque. A droite, sur la pente nord de SydneyCove, on découvre la batterie du pavillon des signaux,
établie
sur un
rocher d'un accès difficile. Plus loin
se
présentent les grands bâtiments de l'hôpital, suscep¬
tibles de recevoir deux à trois cents malades. Il faut
distinguer, parmi ces bâtiments, celui dont toutes les
pièces, préparées en Europe, furent apportées dans les
vaisseaux du commodore Philip, et qui, peu de jours
après l'arrivée de la flotte, se trouva en état de recevoir
les malades qu'il avait à bord. Sur ce même côté de la
ville, et sur le rivage de la mer, on voit un très beau
magasin, au pied duquel les plus gros navires peuvent
venir décharger leurs cargaisons. Derrière la maison
du gouverneur sont déposés les légumes secs et les fa¬
rines qui appartiennent à l'État : c'est une espèce de
grenier public, destiné surtout à l'entretien des troupes
et des personnes qui reçoivent leur subsistance du gou¬
vernement. Sur toute la longueur de la grande place de
Sydney régnent des casernes, en avant desquelles il y a
1
Voyage aux terres australes, sous les ordres du capitaine Bau-
din. 2 vol.
in-8°; imprimerie impériale.
L'OCÉANIE
89
plusieurs pièces d'artillerie de campagne; les édifices
destinés au logement des officiers forment les parties
latérales de cette place, et le magasin à poudre en
occupe le milieu.
« Sur le
rivage, en se rapprochant de la ville, on
rencontre une petite saline, où les Américains établis à
cet effet au port Jackson depuis 179S préparent, en fai¬
sant évaporer de l'eau de mer, une partie du sel em¬
ployé dans la colonie. Plus loin et vers le fond du port
est la cale dite du gouvernement, parce que l'usage en
est réservé pour les agents et les navires de l'État.
Entre cette cale et la saline est le lieu d'abatage en ca¬
rène pour les vaisseaux; les quais naturels en sont tel¬
lement à pic, que, sans aucune espèce de travail ou de
dépense de la part des Anglais, les plus gros navires
peuvent y être abattus sans danger.
« Près de la cale du
gouvernement on voit trois maga¬
sins publics; dans l'un sont réunis tous les objets né¬
cessaires aux divers usages de la vie domestique, tels
que : poteries, ameublements, ustensiles de toute es¬
pèce, batteries de cuisine, instruments d'agriculture et
de labourage, etc. Le nombre de ces objets est vérita¬
blement immense, et le mode d'administration en est
plein de sagesse et de générosité. Sur ces bords loin¬
tains, les marchandises de l'Europe sont d'un si haut
prix, qu'il eût été, pour ainsi dire, impossible à la popu¬
lation de se procurer celles qui sont indispensables aux
premiers besoins de la vie. Le gouverneur anglais y a
pourvu : de grands magasins, entretenus à ses frais,
regorgent de tout, et tout s'y délivre à des prix fixes
extrêmement modérés. On tient
son
en
réserve dans la mai¬
voisine les divers habillements destinés
aux
troupes
convicls ; il s'y trouve aussi de grands amas de
toiles et de cordages pour les navires du gouvernement.
et
aux
Le dernier des trois bâtiments dont
je parle est
une
L'OCÉANIE
90
espèce d'atelier public, où travaillent les filles et les
femmes condamnées.
magasins est située la maison du gou¬
construite à l'italienne, entourée d'une colon¬
nade aussi simple qu'élégante, et devant laquelle se
développe un très beau jardin, qui descend jusqu'au
rivage de la mer.
« Là se trouvent réunis ces brigands redoutables, qui
furent si longtemps la terreur du gouvernement de leur
patrie: repoussés du sein de la société européenne, re¬
légués aux extrémités du globe, placés dès le premier
«
Derrière
ces
verneur,
instant de leur exil entre la certitude du châtiment et
l'espoir d'un sort plus heureux, environnés sans cesse
par une surveillance inflexible autant qu'active, ils ont
été contraints à déposer leurs mœurs antisociales. La
plupart d'entre eux, après avoir expié leur crime par un
dur esclavage, sont rentrés dans le rang des citoyens.
Obligés de s'intéresser eux-mêmes au maintien de
l'ordre et de la justice, pour la conservation des pro¬
priétés qu'ils ont acquises, devenus époux et pères,
ils tiennent à leur état présent par les liens les plus
chers.
»
nous a donné encore une idée de ce qu'était
Sydney quelques années après sa fondation.
Cette relation a été écrite il y a environ quatre-vingts
ans. Qu'est devenue Sydney depuis cette époque? C'est
à cette question qu'il convient de répondre mainte¬
nant. Constatons d'abord qu'elle a reçu de prodigieux
accroissements. Sa population dépasse cent trente-cinq
mille habitants, et son commerce s'élève à cent qua¬
rante millions1. Elle est la capitale d'une belle pro¬
vince anglaise (la Nouvelle-Galles du Sud), qui com¬
prend quatre-vingts millions d'hectares, c'est-à-dire plus
M. Perrin
la ville de
1
L'Angleterre figure dans ce chiffre pour cent trente millions,
peine pour un million.
et la France à
L'OCÉANIE
du dixième du
91
continent, et possède plus de six cent
mille habitants.
Sydney, c'est Londres
en
miniature
: ses
rues, spa¬
cieuses et
macadamisées, sont éclairées au gaz. L'une
d'elles, d'une longueur de quatre kilomètres, garnie de
beaux monuments publics et privés,
coupe la ville en
deux parties à peu près égales. Les
principales mai¬
sons sont construites en
grès ou en briques blanchies,
et sont placées entre cour et
jardin. Longtemps il n'y
eut d'autres édifices religieux que des
temples apparte¬
nant aux diverses sectes du protestantisme
; mais, de¬
puis le bill d'émancipation des catholiques, les choses
ont bien changé. La ville renferme
plusieurs églises ;
elle est devenue le siège d'un archevêché, dont la
juri¬
diction s'étend à toute l'Australie. C'est aussi la rési¬
dence du gouverneur général des colonies
anglaises en
Australie. Ce gouverneur est assisté par un conseil exé¬
cutif, qu'il doit consulter sur tous les points impor¬
tants. Il a près de lui un conseil législatif,
composé des
officiers et des notables, propriétaires et commerçants.
Les étrangers de toute nationalité viennent à
Sydney,
attirés par l'appât du commerce. Les colons se divisent
en deux classes très distinctes : 1° les
émigrés volon¬
taires et leurs descendants dominent par le nombre et la
prépondérance financière ; 2° les déportés1 rendus à la
liberté dirigent des établissements industriels, des exploi¬
tations agricoles, et apportent dans les transactions une
attention scrupuleuse à remplir leurs engagements, afin
que la malveillance n'ait pas l'occasion de leur reprocher
la tache du passé. Malheureusement de permanentes
inimitiés séparent les deux classes. Les uns prétendent
composer l'aristocratie du pays ; les autres regardent le
territoire comme leur propriété, et leurs adversaires
1
Depuis 1843, l'Angleterre
la Nouvelle-Galles du Sud.
a
cessé d'envoyer ses convicls dans
L'OCÉANIE
92
des usurpateurs. Ces derniers se subdivisent
exclusifs, qui repoussent avec horreur toute pensée
de rapprochement, et en confusionnisles, qui vou¬
draient une sorte d'entente; chacun professe une anti¬
pathie marquée pour ceux qui ne sont pas de sa nuance.
Cette société, profondément divisée, subit le joug de l'or¬
gueil sans avoir la volonté et le courage nécessaires
pour se soustraire à ce fléau.
Sa conduite envers les indigènes ne saurait être trop sé¬
vèrement blâmée. Les Australiens ont été chassés, persé¬
cutés et exterminés à Sydney comme partout où les
Anglais ont fondé leurs colonies australiennes. Parmi
les nouveaux colons à peine peut-on compter quelques
âmes vraiment compatissantes qui ont fait de vains efforts
afin d'apporter aux sauvages autre chose que la dégrada¬
tion, la misère et la mort. Un seul trait suffira pour don¬
ner une idée du vide que les Anglais ont fait autour
d'eux. Au commencement de ce siècle, il y avait encore,
près de Sydney, une tribu de quatre cents sauvages.
En 184b, quatre d'entre eux seulement avaient survécu :
le chef de la peuplade, sa mère, sa femme et sa fille!
Pendant que Sydney prenait de si remarquables dé¬
veloppements, d'autres colonies anglaises se fondaient
en Australie; un coup d'oeil jeté sur ce continent nous
fera voir quels sont de nos jours ses principales villes et
comme
en
les éléments de
sa
prospérité matérielle.
Queensland (pays de la reine) est une colonie située
dans la
intertropicale. En 1859, elle se séparait
avec quelques milliers d'hommes
seulement; en 1877, sa population s'élevait à cent cin¬
quante mille.
Ipswich, sa capitale, est une ville de vingt mille âmes.
De vastes forêts couronnent ses montagnes. Ses côtes
produisent le café, l'oranger, le coton; ses plaines, le
tabac, la canne à sucre, l'arrow-root, la pomme de
zone
delà Nouvelle-Galles
L'OCÉANIE
93
terre, la vigne, les céréales d'Europe; le bétail est la
principale source de sa richesse.
L'Australie méridionale date de 1836. En 1845 elle
comptait vingt mille colons, devenus maintenant plus
de deux cent mille.
Adélaïde,
sa
capitale, abrite vingt-sept mille habitants.
L'Australie occidentale, ou colonie de la rivière des
Cygnes, est
une
contrée cinq fois plus grande que la
France. Elle n'est pas encore
peuplée, puisqu'elle ne
possède pas plus de vingt-cinq mille habitants; Perlh
est sa capitale. Ses vins sont de
qualité supérieure, et
ses fruits sont très abondants. Elle
jouit d'un climat
tempéré, ne voit jamais la neige; et, si les gelées d'hiver
sont fréquentes, elles sont
peu élevées. En janvier, le
mois le plus chaud de l'année, la pluie tombe
souvent,
rafraîchit l'air et favorise l'agriculture.
Au sud-est se trouve l'Australie Heureuse, ainsi nom¬
mée à
cause
de
sa
fertilité
Victoria. Melbourne, sa
:
là s'est fondée la colonie de
capitale, est la ville la plus im¬
portante de toute l'Australie. Elle est bâtie sur la rivière
Yarra-Yarrad. Son port, situé à Sandridge, est à une
distance de deux milles et demi. Commencée en 1837,
elle
déjà plus de deux cent soixante-dix mille habi¬
Ses larges rues bordées de monuments
(style
grec et romain), ses musées, son université, son obser¬
vatoire, ses magasins somptueux, ses hôpitaux ouverts
à bien des misères, témoignent de la féconde activité
de ses habitants. La plus importante de ses biblio¬
thèques publiques a coûté près de trois millions, pos¬
sède cent mille volumes, et a ouvert ses
portes en 1876
a
tants !
à deux cent quarante mille lecleurs.
« Voici Collins street et Bourke
street,
dit M. de la
Gadière, deux belles artères parallèles, bien larges,
garnies de grands trottoirs dallés, éclairées au gaz, et
d'un bout à l'autre les boutiques les mieux fournies,
L'OCÉANIE
94
étalages qu'envieraient toutes nos villes de se¬
en France. Longue file de voitures de place,
théâtres, promeneurs en foule, belles et luxueuses
maisons à hauts étages, policemen irréprochablement
tenus, restaurants ouverts, porteurs ambulants d'affiches
posées par devant et par derrière, squares éclairés, tout
donne à cette ville l'aspect de nos capitales d'Europe.
Voilà ce que le génie de l'homme a créé sur une terre
avec
des
cond ordre
inconnue il y a
rante-cinq
Le
cent ans, encore inoccupée il y a qua¬
ans. »
commerce
de Melbourne s'élève à
nuelle de six cents
chiffre pour
seulement.
une
valeur
an¬
millions; l'Angleterre figure dans ce
les deux tiers, la France pour six millions
Melbourne est le
siège d'un archevêché. Cette jeune
Sydney l'a dépassée. La vie large
et confortable qu'on y mène attire beaucoup de riches
étrangers; elle peut être comparée à nos plus grandes
cités; mais, comme elles, Melbourne compte trop d'ha¬
bitants dévorés de la soif du gain et oublieux des lois
divines, qui cherchent toujours le bonheur sans le ren¬
contrer jamais, parce qu'ils ne prennent pas le chemin
qui conduit à sa source.
Apres Melbourne, on peut citer, dans l'état de Victo¬
ria, Ballarat (soixante-cinq mille habitants), Sandhurst
(vingt-huit mille), Geelong (vingt-trois mille), Collingwood
(vingt mille), etc.
Les colons victorins sont en général laborieux et éco¬
nomes. Ils ont fondé cinquante-huit sociétés de construc¬
tion qui emploient leurs fonds à bâtir et réunissent vingtdeux mille membres; ils possèdent vingt-huit associa¬
tions de secours mutuels. De nombreuses compagnies
d'assurances sur la vie et contre l'incendie groupent des
intérêts considérables ; soixante-dix mille déposants ver¬
sent leurs économies dans les caisses d'épargne de l'État.
et redoutable rivale de
L'OCÉANIE
OS
Le gouvernement de Victoria est à
peu près calqué
celui de la métropole. Un vice-roi, ordinairement
sur
nommé pour six ans, est le
délégué
Il forme, avec les membres du
du pouvoir royal.
ministère, le conseil
exécutif.
Deux chambres concourent à la confection des lois.
La chambre haute
se compose de trente
membres,
nommés par des électeurs qui ont un bail de
cinquante
livres au moins, ou une propriété de même valeur.
Les
propriétaires fonciers d'un immeuble de deux
cinq cents livres, ou les rentiers de deux cent
cinquante livres, sont éligibles. Les élus reçoivent un
mille
mandat de dix
Les
ans.
quatre-vingt-six membres de la chambre basse
trois ans. Us sont nommés par des élec¬
teurs, sujets de la reine, âgés de vingt et un ans, rési¬
dant depuis plus d'une année, ou naturalisés
depuis
trois ans et remplissant certaines conditions de
propriété.
Tout électeur est éligible.
Chaque membre des deux assemblées reçoit une in¬
demnité annuelle de sept mille cinq cents francs.
Les lois votées par les deux chambres ne sont exé¬
cutoires qu'après approbation du conseil exécutif et
signature du gouverneur ou vice-roi.
Ainsi les mandataires des habitants
siègent dans le
pays qu'ils connaissent, au grand bénéfice de la mé¬
tropole, qui a des colonies prospères, et à celui des colo¬
nies qui développent librement leur esprit d'initiative.
L'État de Victoria, de tous le plus petit par son éten¬
due, les dépasse par sa richesse; il est relativement très
peuplé, puisqu'il compte un million d'habitants. Il
s'est détaché de la Nouvelle-Galles en 1851; or cette
année marquera dans les annales de
l'Australie, parce
que c'est celle de la découverte des riches mines d'or
qui ont fait tant de bruit dans le monde.
sont élus pour
,
L'OCÉANIE
96
A cette date,
le fermier Hargreaves, qui
avait
ex¬
ploité un domaine agricole à dix lieues de la petite ville
de Bathurst, l'avait abandonné pour aller demander
l'Amérique. Parvenu en Californie, où l'avait
l'appât de l'or, il n'avait pas tardé à constater la
ressemblance des roches de ce pays aveo les couches
superficielles des terres qu'il cultivait, et il était revenu
à ses champs, avec l'espoir d'y trouver le précieux métal,
objet de ses ardentes recherches. Il ne s'était pas trompé :
après deux jours de travail, l'or apparaissait à ses re¬
gards éblouis ! La nouvelle de la découverte se répan¬
dit avec la rapidité de l'éclair, et bientôt une foule avide
accourait dans le vallon de Sommerhill-Creek, sans ou¬
til, sans provision, épuisant bien vite les objets de pre¬
mière nécessité, qui montèrent alors à des prix fabuleux.
Le gouverneur vice-amiral Fitzroy se hâta d'envoyer
à Bathurst un géologue chargé de rédiger un rapport sur
fortune à
attiré
l'existence et l'étendue des terrains aurifères; le compte
rendu confirma la réalité de la découverte, et
la
signala
présence de quatre cents ouvriers, arrivés pour fouiller
résolut alors d'adresser aux
proclamation dans laquelle il constatait le
droit de l'Angleterre à l'or que recélait le territoire de
sa colonie, et annonçait les conditions auxquelles il se¬
rait désormais permis de l'exploiter. Le taux fixé fut
le terrain. Le gouverneur
colons
une
perçu
sans
difficulté, et l'inventeur Hargreaves fut
largement récompensé. Il reçut une
gratification de cinq
(12.500 francs), avec le brevet de commis¬
saire du gouvernement pour la recherche de nouveaux
terrains aurifères, et un traitement quotidien d'une livre
sterling, avec ration de deux chevaux pour toute la
durée de son emploi.
A la fin de 1851, plus de dix mille hommes étaient à
l'ouvrage, et chacun recueillait en moyenne quarante à
cinquante grammes d'or par jour. Les cultures, les
cents livres
L'OCÉANIE
troupeaux, les ateliers
et les
97
eomptoirs étaient aban¬
donnés.
M.
de Beauvoir raeonte l'histoire d'un
cordonnier
qui gagnait jusqu'à quatre cents francs en grattant la
en lavant l'or
pendant quelques heures. C'était
le gain de sa matinée;
l'après-midi il faisait une paire
de bottes et la
suspendait devant sa tente. Le soir, des
groupes d'ouvriers passaient par là, les pieds nus et
les poches pleines de
lingots; ils mettaient entre eux
les bottes à l'enchère, et les
payaient trois cents, quatre
cents et cinq cents francs.
La fièvre de l'or, arrivée à son
paroxysme, ne fut pas
de longue durée.
Beaucoup d'hommes, trop faibles ou
trop inintelligents pour se livrer à un travail rémuné¬
terre et
rateur, se retirèrent
découragés, et on ne tarda pas à
reconnaître que pour réussir il fallait associer à une
forte constitution une conduite
régulière et une éner¬
gique volonté. Cependant cette exploitation a pris d'im¬
développements, a occupé jusqu'à trois cent
hommes, et a produit un rendement annuel d'en¬
trois cents millions, plus delà moitié
(165,000,000)
menses
mille
viron
provenant de la province de Victoria.
Depuis cette découverte, l'émigration a fait de grands
progrès. La population des cités s'est rapidement aug¬
mentée; les hameaux, les villages se sont multipliés, et
la ville de Ballarat a
surgi au milieu du désert, au
centre même des opérations des mineurs. Elle
compte
déjà trente mille habitants, qui n'ont plus à craindre
les attaques nocturnes ni les scènes
sanglantes.
Les Chinois sont venus en Australie
plus nombreux
que tous les Européens réunis. Retenus là par l'espoir
du gain, ils ont supporté la
maladie, les vexations, les
mauvais traitements, et rien n'a
pu les rebuter de la
tâche pénible qu'ils s'étaient
imposée.
L'influence des
nouveaux
venus
fut désastreuse à
s
98
L'OCÉANIE
l'égard des indigènes. Avides et désordonnés pour la
plupart, les étrangers ont apporté au pays l'exemple de
vices odieux : durs et méprisants pour les Australiens,
ils leur ont inspiré de profondes inimitiés.
En général, l'or se trouvait par petils fragments, mais
exceptionnellement on a découvert de grosses pépites
(grains d'or massif). La plus considérable, appelée
Welcôme (la bien venue), pesait vingt-six kilogrammes
deux cent six grammes et a été vendue deux cent trentetrois mille cent vingt-cinq francs. Une autre avait une
valeur à peu près égale.
L'industrie de l'or est en décadence dans les mines de
l'Australie, mais elle ne paraît pas à la veille de dispa¬
raître. Les ouvriers ne peuvent plus espérer des béné¬
fices qui leur donnent la richesse en peu de temps ; toutefois
la conduite et la persévérance, secondés par un capital,
parviennent encore à des résultats brillants. L'exploi¬
tation comprend deux mille vingt-neuf filons bien dis¬
tincts, existant sur une étendue de deux mille quarante
kilomètres environ. On cite
une
surface de trente-six
mille trois cent
quatre-vingt-huit hectares qui a produit
deux milliards
trois cent dix-neuf millions six cent
quatre-vingt mille neuf cents francs, ou soixante et un
hectare. Un puits a donné
pendant sept mois deux cent mille francs par jour.
Quelques privilégiés ont recueilli des millions en très
peu de temps; mais combien n'y en a-t-il pas qui ont
creusé cinq cents et six cents pieds de profondeur, et
qui ont dépensé quatre cent mille à cinq cent mille
francs sans découvrir un grain d'or ! Aujourd'hui les
mines de l'Australie occupent encore dix-huit mille mi¬
neurs et plus de cinq cents machines.
Le chiffre de six cents indique le nombre total des
villes, bourgs et villages de la colonie de Victoria, sur
laquelle nous aimons à revenir, à cause de la place
mille neuf cents francs par
L'OCÉANIE
exceptionnelle qu'elle occupe
nouvelles
bourgades
à
en
99
Australie. Il surgit de
les colons s'avancent
mesure que
dans l'intérieur des terres.
Bien des
religions sont prati¬
quées dans cette
province, mais chacun est tout à fait
libre de suivre les exercices
de son
culte; la conscience
jouit d'une complète
indépendance, et les cérémonies
religieuses sont entourées d'un
respect universel.
De six à
quinze ans, les enfants doivent
fréquenter les
écoles et suivre les
classes pendant soixante
jours au
moins, par période de six mois, à moins
d'excuses pré¬
vues par la loi. Les
enfants
apprennent la lecture, l'écri¬
la grammaire, la
géographie, et
acquièrent ainsi les connaissances
qui
ne prêtent guère
aux
ture,
l'arithmétique,
controverses,
glisser.
se
et où l'erreur peut
plus difficilement
Ce sont les vastes
pâturages
qui forment les meilleures
l'Australie.
et
l'élevage des
sources
bestiaux
de la fortune de
Écoutez, dit M. de la Cadière (Association catho¬
lique du 15 février 1881), écoutez
l'odyssée de celui que
les Australiens
appellent à juste titre le fondateur de
«
leur
prospérité matérielle.
âgé de vingt ans, le capitaine Mac Arthur
faisait partie des
corps d'officiers chargés, en
1788, de
commander les troupes du
pénal seulement de BotanyBay. Abordant avec les convicts, témoins de
«
A peine
toutes les
péripéties du premier établissement et des
premiers
labeurs qui ont ouvert ces
plages lointaines à la civilisa¬
tion, il songea tout d'abord à
l'élevage des troupeaux, à
l'exportation des laines. C'était hardi pour un
homme
qui voyait les peuplades noires vivre autour de
lui de
meurtre
et de
pillage, et qui ne pouvait encore s'ap¬
puyer que sur des criminels bannis et
débarquant sans
ressources. La distance
qui le
séparait du pays où il
devait chercher les animaux
reproducteurs, le manque
L'OCÉANIE
100
presque absolu de communications pour l'écoulement des
produits annuels, semblaient à d'autres des obstacles
insurmontables. Mais, dès 1797, il put faire venir du
cap de Bonne-Espérance cinq brebis et trois béliers de
la race mérinos; il les croisa avec une dizaine de brebis
du Bengale qu'il obtint en même temps : une race dont
la toison était riche et le tempérament fait au climat
australien
en
fut le fruit.
progrès rapides, la réussite prodigieuse de ce
modeste troupeau encouragèrent Mac Arthur.
« En 1803, il vient en Angleterre convertir la terre
du suicide, comme on appelait alors l'Australie, en une
colonie commerçante; voilà son but.
« Vous
parlez de nous donner de quoi suffire seule«
Les
«
ment à une
«
aux
misérable existence de prisonnier,
lords du conseil
disait-il
privé; croyez-moi, je vous don-
plus de laine sur le marché de Londres qu'il
la consommation de l'Angleterre tout
« entière. » Et comme les lords le traitaient d'utopiste :
« Je vous
dis plus, ajouta-t-il, l'Australie avec son
« océan de
pâturages vous enverra plus de laine que
« tous les troupeaux de l'Europe et de l'Asie. » Pour
assurer un si bel avenir, il demandait seulement au
«
nerai
«
n'en faudra pour
gouvernement quatre ou cinq vaisseaux entièrement
chargés de brebis. Mais, comme tous les grands inno¬
vateurs, il fut reçu par le comité avec un sourire de
dédain... Rebuté par l'État, incompris par tous, le
jeune officier fréta à lui seul un navire, et emporta à
Sydney quatre cents brebis saxonnes de la plus pure
race, achetées à ses frais.
« C'est dans ces prés qui vous entourent à perte de
«
vue, disaient à M. de Beauvoir les fils de Mac Arthur,
«
que notre père fît prospérer les troupeaux que lui seul
« avait
importés, et sur lesquels il fondait un si grand
t
A
espoir; s'il lui avait été donné d'atteindre quatre-vingt-
L'OCÉANIE
101
«
dix-sept
«
dans le
«
modestes commencements;
«
voyez, non seulement dans notre colohie, mais dans
toutes celles dont elle a été le berceau, qu'elle a nour-
«
ans, il aurait vu le développement, unique
monde, d'une richesse dont il avait créé les
il aurait
vu ce que vous
ries dans leur enfance, et
qui lui ont successivement
demandé, comme à une seconde mère patrie, leurs
«
premiers troupeaux. »
« Le
gouvernement de la colonie s'est montré recon¬
naissant envers l'homme énergique qui a tant fait pour
elle. Un espace immense de prairies, dans lequel un dé¬
partement français se trouverait à l'aise, est devenu soh
«
«
bien. Des étalons et des
d'un
poulinières
côté; de l'autre, des bœufs
tons par
par
pur sang y
folâtrent
milliers et des
mou¬
dix mille.
Cette histoire
été
depuis celle d'une foule d'autres
1846, par exemple, trois hommes ré¬
solus vinrent s'établir aux bords du Murray, pour faire
paître leurs troupeaux dans des prairies jusqu'alors
inexplorées, où ils avaient à repousser souvent les
attaques des noirs, qui tantôt venaient brûler leurs
cabanes, tantôt faisaient une guerre acharnée à leurs
«
a
hardis colons. En
bestiaux. Ces hommes
tracèrent
espace immense
prairies, qu'ils déclarèrent vouloir occuper à leurs
risques et périls contre les aborigènes, et assurer pour
un
temps donné contre les empiétements de tout nouvel
arrivant européen. Leurs limites Une fois fixées, ils
en firent la déclaration au
gouvernement, qui est pro¬
priétaire du sol de la colonie. Ce sol, il l'a vendu à cer¬
tains endroits, il le vend encore ou le loue à son
gré. Les
trois hommes prirent un bail de quatorze ans, pour
lequel ils payèrent chaque année au gouvernement la
modique somme de sept mille cinq cents francs.
« Un autre colon
débarqua dans l'Australie en 1855. Il
vint à cheval jusque dans les prairies de l'intérieur. Il
de
se
un
102
L'OCÉANIE
trouva
un
résolut de
Il
a
vécu
réussi
:
il
endroit sauvage et
verdoyant; il s'y arrêta, et
régner à lui seul sur des espaces immenses.
en ermite, en homme des
bois, mais il a
a
soixante mille bêtes à laine
qui parcourent
plus de cent mille hectares de
prairies. Pas de clôture, ce qui est une énorme éco¬
son
run,
nomie
sur
espace de
les
runs
des bœufs. Les moutons errent
par
troupeaux de mille, et chaque troupeau, couchant en
plein air, hiver comme été, gagnant toujours de proche
en proche dans sa vie nomade
les vallons où l'herbe
tendre et le satsbutlo
l'attirent, n'a qu'un seul berger qui
le suit à cheval. Il
y a des runs où une moyenne d'un
hectare est suffisante pour deux moutons
par an ;
il
ailleurs
faut environ quatre
pour trois moutons, à cause de
la sécheresse des
lagunes et des bois clairsemés.
en
«
Comme première mise de
fonds, notre squatter a eu
cabanes, des magasins à vivres,
mot, à se munir, pour lui et ses
d'abord à construire des
des
chariots, en un
bergers, de tout le matériel nécessaire dans une instal¬
lation quelque rustique
qu'elle fût, au milieu de prai¬
ries où
aucun blanc ne s'était encore établi.
Cela lui
revint à environ quarante mille francs. Enfin il acheta
chez les squatters, établis à trente et
quarante lieues
ronde, huit mille brebis, à une moyenne de onze
francs; il les dissémina sur ses cent mille hectares, en
à la
huit groupes errant à l'aventure.
Quatre-vingt-huit
mille francs pour les
brebis, dix mille francs pour les
cent
béliers, total de l'achat : quatre-vingt-dix-huit mille
francs.
«
Voici maintenant les frais annuels
:
la commission
pastorale du gouvernement, après examen des bonnes
et des mauvaises conditions du
terrain, a évalué en bloc
la location du
run
à dix-huit mille
francs par an, plus vingt-cinq
soit vingt mille deux cent
sept cent cinquante
francs par mille moutons,
cinquante francs.
L'OCÉANIE
«
103
Ce colon avait, au moment du
voyage
de M. de
1860, soixante hommes en
service permanent pour la garde et la surveillance de
ses
troupeaux, et vingt pour ses transports, tous payés
à raison de vingt-cinq francs
par semaine, et nourris
pour un prix égal; ils lui coûtaient donc en tout cent
Beauvoir, c'est-à-dire
en
quatre mille francs.
« Dans les mois favorables à la
tonte, des brigades
d'une centaine de tondeurs parcourent les
prairies, s'ar¬
rêtent dans chaque run, et font leur
besogne avec une
étonnante
rapidité. En
moyenne, ces cent tondeurs ra¬
sent chacun
mille
vingt-cinq moutons par jour: total, deux
cinq cents. En vingt-quatre ou vingt-cinq jours,
les toisons des soixante mille bêtes tombent
ciseaux, et vite
sous
leurs
toute la laine est récoltée. En outre de
la nourriture des hommes
(sept mille huit cent soixantequinze francs), la tonte, qui est de vingt francs par
cent
moutons, revient encore à environ dix-neuf mille
huit cent soixante-quinze francs. C'est un moment vrai¬
ment curieux
: car, de même
que chez nous des bandes
de moissonneurs courent de ferme en ferme et font tom¬
ber
la faux tous les blés
qui couvrent le sol, de
ici, quand les brigades de tondeurs s'abattent
les prairies, en bien peu de jours des milliers de
sous
même
sur
moutons sont mis à
«
nu.
Les squatters ont pour
la tonte de la laine les mêmes
angoisses
que nos agriculteurs pour leurs récoltes. Une
fois la laine à point, il faut agir en toute hâte, l'en¬
voyer à
Londres,
Melbourne, et l'expédier sur le marché de
pour profiter des premières demandes. L'em¬
barras de nourrir tant de bêtes accumulées
sur un
même
point les
presse encore plus de ne pas marchander le
nombre des bras, et si le beau temps paraît fixe, qu'ils
perdent pas une si belle occasion! Les orages, en
effet, ont causé bien des ruines après la tonte, et ceux
ne
L'OCÉANIE
qui ont agi trop lentement dans la belle saison ont vu, à
l'approche de l'automne, des milliers d'agneaux tués par
les grêles terribles de l'Australie, et les
brebis, saisies
par le froid sous des pluies de deux à trois mois, mourir
par centaines en quelques jours. Quand on aura inventé
une machine à
vapeur pour tondre les moutons, quelle
économie ce sera pour les squatters!
« La tonte est la transition entre les
dépenses et les
bénéfices. Chaque mouton donne une moyenne de
cinq
livres de laine bien lavée. Les soixante mille bêtes de
notre colon lui ont
mille livres de laine
rapporté, en une année, trois cent
qui, immédiatement vendues pour
le marché de Londres à raison de
un
vingt-cinq centimes la livre, ont produit
cent soixante et
En
un
mille francs.
un
franc quatre-
total de cinq
»
résumé, à la fin du siècle dernier il y avait dans
anglaises : cinquante-sept chevaux, deux
cent vingt-sept bêtes à cornes et quinze cent trente mou¬
tons. En 1879, on y trouvait près d'un million de che¬
vaux, sept millions et demi de bêtes à cornes, soixantedeux millions de moutons. Tandis que la France compte
à peine un mouton par habitant, plusieurs colonies en
possèdent jusqu'à vingt.
L'ensemble de la population est d'environ quatre mil¬
lions; la moitié de ce chiffre se compose d'Européens,
et surtout d'Anglais, qui se multiplient rapidement; leur
agriculture et leur industrie commencent à leur donner
un rang important dans le commerce du monde.
les colonies
CHAPITRE VII
I
.
\
r
•».
n
». —r
r
-
\
De 1788 à
1820, sauf quelques apparitions (Je prêtres, bientôt per¬
sécutés, les protestants privent les catholiques des secours reli¬
gieux en Australie. — En 1820, deux missionnaires sont autorisés
à y venir. — En 1835 arrive le P. Bède, vicaire apostolique;
plus
tard, M®1 Polding devient archevêque avec cinq sufîragants. —
En 1846, deux bénédictins, José Serra et Rosando
Salvado, se
rendent à Perth, et de R vont à la recherche des
indigènes. —
Abondantes bénédictions accordées à leur ministère. — Fondation
de la Nouvelle-Nursie (monastère et ferme-école) au milieu des
sauvages. — Ouvertpre d'une école pour leurs enfapts. — Bâti¬
ments divers. — Education de la jeunesse. — Règlement de vie.
Ferveur des néophytesi — Ceux qui s'éloignent de la colonie
—
péussissent là où la Providence les dirige.
Nous
avons vu, dans le
chapitre précédent, comment
colons, dominés par la soif de l'or, ont traité les
pauvres indigènes. Ils ont ajouté à leurs vices en leur
vendant des boissons enivrantes, les ont chassés de
les
leurs domaines
ou
les ont tués. Faisons maintenant
connaître les bienfaits que
leur apporter.
la civilisation chrétienne est
venue
Pendant
dix-sept ans, de 1788 à 1805, les catholiques
émigrés en Australie restèrent privés de secours reli¬
gieux. En 1805, deux prêtres Anglais furent condamnés
à la déportation pour avoir prêché la vérité à leurs com¬
patriotes. Arrivés à Sydney* ils exercèrent leur minis¬
tère pour la consolation des âmes qu'ils ramenèrent à
5*
L'OCÉANIE
106
Dieu; mais, au bout de trois ans, le vent de la persé¬
éloigna : ils furent obligés de retourner en
Angleterre, et l'abandon des catholiques fut complet
jusqu'en 1817. A cette époque, un prêtre irlandais leur
apporta les secours de la religion. Bientôt l'intolérance
du gouvernement le contraignit à se retirer. La der¬
nière messe qu'il put dire avant son départ fut célébrée
dans la maison d'un pieux colon qui avait réuni les
Européens les plus fervents : l'apôtre leur laissa l'Eu¬
charistie pour soutenir leur foi! Ils furent assidus dans
la prière, dans l'adoration, et trois ans plus tard
(1820),
quand le pouvoir, cédant aux vives instances des ca¬
tholiques, permit enfin à deux missionnaires de se
rendre en Australie, ils retrouvèrent le corps du Sau¬
veur parfaitement conservé dansxette maison
bénie, qui
fut plus tard convertie en église sous l'invocation de
cution les
saint Martin.
En 1832, un
bénédictin, le R. P. Bernard Ullathorne,
évangéliser les douze mille catholiques qui for¬
maient à Sydney le cinquième de la population. Cet
infatigable apôtre fonda plusieurs écoles, ouvrit trois
églises et y attira de nombreux fidèles.
En 1835, un autre bénédictin, le R. P. Bède, né à
Liverpool, en 1794, d'une famille allemande, se rendait
en Australie avec la dignité d'évêque
d'Hiéro-Césarée, et
le titre de vicaire apostolique de l'Australie et de la
Tasmanie. Le nouvel évêque divisa son immense dio¬
cèse en cinq parties, et plaça ses prêtres à la tête de
ces provinces. Un demi-siècle d'essais et
d'efforts, de la
part des ministres protestants, n'avait obtenu aucun ré¬
vint
sultat sérieux
en
faveur de la moralisation d'un pays où
cinquante mille convicts répandaient à pleines mains
les plus déplorables exemples. Le prélat ne recula
pas
devant les obstacles presque insurmontables qui
s'op¬
posaient à leur conversion. Il les aborda, leur montra
L'OCÉANIE
107
du
dévouement, leur rendit service, leur témoigna la
plus aimable charité, et ne tarda pas à en ramener plu¬
sieurs à une vie réglée. Deux ans après son arrivée en
Australie, les condamnations à mort étaient descendues
de vingt-deux à sept, et bientôt la moisson devint tel¬
lement abondante, qu'il fallut augmenter le nombre des
ouvriers évangéliques. Le P. Ullathorne revint en Eu¬
rope pour plaider la cause de la civilisation chrétienne,
obtint vingt prêtres de plus, les ramena dans le nou¬
veau continent, puis
fut rappelé en Angleterre pour
monter sur le siège épiscopal de Birmingham, où sa
parole, sa science et sa sainteté devaient briller d'un vif
éclat.
La vérité continua
progrès en Australie; elle y
remporta de telles victoires que, peu d'années après
l'arrivée de M8* Polding comme évêque du diocèse, le
saint-père ne tarda pas à lui décerner le titre d'arche¬
vêque et à lui donner cinq suffragants. L'archevêque fut
ses
merveilleusement secondé par
tard par
les bénédictins, et plus
les maristes, devenus les apôtres de la cin¬
quième partie du monde.
Au milieu de
ses
incessantes
sollicitudes, M8*1 Polding
n'oubliait pas les condamnés; il allait dans les prisons,
les cantonnements, les maisons de correction, causait
les
détenus, les touchait
par ses bontés, obtenait
peines corporelles, les ame¬
nait au repentir par d'incessantes démarches. Les mer¬
veilleux changements qui s'opéraient étonnaient les
populations protestantes elles-mêmes, et ramenaient au
catholicisme beaucoup d'hommes de bonne foi. Aussi le
jour où, à l'âge de quatre-vingt-un ans (16 mars 1877),
riche de vertus et de mérites, il quittait la terre pour
aller recevoir sa récompense, ce jour-là le pays tout
entier était en deuil et pleurait un insigne bienfaiteur.
Des funérailles très solennelles, une afflùence recueillie
avec
des adoucissements à leurs
L'OCÉ AN1E
•108
et affligée, une touchante allocution témoignèrent de
la reconnaissance publique, et les journaux
protestants
eux-mêmes furent unanimes pour
rendre hommage
au
grand apôtre.
Une seconde province ecclésjastique a été créée en
4874; Melbourne en est le siège. De nos jours l'Australie
est partagée en treize diocèses.
Celui de
Perth fut fondé à la suite de démarches
faites par les catholiques de cette ville, qui consen¬
tirent à de généreux sacrifices afin d'obtenir
pour leur
pays la défense et la propagation de la vraie foi. Leurs
prières furent exaucées
delà de leurs espérances; cap
que devait bientôt se former
l'édifiante colonie bénédictine de la Nouvelle-Nursie, en
faveur des indigènes. Ces pauvres sauvages avaient été
refoulés dans l'intérieur du pays par les envahissements
c'est dans
au
leur diocèse
et la dureté des
colons;
pour
les évangéfiser efficace¬
ment, il fallait aller les chercher dans les forêls, et les
conquérir à la foi par la charité : c!est la tâche que s?imposèrent les bénédictins de la Nursie.
« Les vents de
l'automne, dit le P.
Bérengier, n'em¬
portent au loin les semences des plantes des vallons ou
les graines des arbres des forêts que pour reproduire en
d'autres lieux
une
nouvelle
végétation. Qn peut dire
parfois aussi la Providence se sert du vent de la
persécution pour porter dans des contrées lointaines la
précieuse semence de l'Évangile. L'ouragan politique
qui bouleversa l'Espagne en 183S devait procurer aux
que
sauvages de l'Australie occidentale la connaissance de
la religion chrétienne et les
avantages de la civilisation.
Deux
moii^es bénédictins de l'abbaye de SaintMartin de Compostelle, en Galice, les
pères José Serra
et Rosendo Salvadp, chassés
jeunes encore de leur
cloître par les révolutionnaires
espagnols, se réfugièrent
«
en
Italie. Accueillis
avec une
affection toute fraternelle
1,'OCÉANIE
109
par les religieux de la grande
la Cava, dans le royaume de
abbaye de la Trinité de
Naples, ils passèrent quel¬
ques années paisibles
à l'insu l'un de
dans
ce
monastère. Mais ils
étaient,
l'autre, poursuivis par la même pen¬
sée, qui avait poussé à la conquête des âmes tant d'apô¬
tres sortis du cloître bénédictin.
Puisque la révolution
triomphante semblait leur interdire, pour de longues
années encore, l'accès de leur
patrie et le retour dans
les murs bénis qui avaient abrité leur
jeunesse monas¬
tique, ils voulaient se consacrer aux missions dans les
plus lointains pays du globe. »
« Nous avions l'un
et l'autre depuis longtemps, dit
le P. Salvado ', la pensée de nous adonner aux missions
les plus abandonnées de la terre; mais un vif sentiment
de reconnaissance nous retenait dans
l'abbaye de la
Cava. Les religieux de cet illustre monastère nous
avaient accueillis avec tant de bonté, lorsque nous
étions arrivés pauvres et fugitifs de
l'Espagne, ils nous
avaient prodigué les marques d'une affection si fra¬
ternelle, que la pensée de les quitter après plusieurs
années de vie
commune nous
semblait
un
acte
d'ingra¬
titude.
Cependant l'appel d'en haut se faisait entendre
toujours plus vivement à nos cœurs, qui souffraient
beaucoup de cette lutte intérieure entre les devoirs et
des sentiments si opposés. Enfin la grâce divine triom¬
pha, et nous fit comprendre que toute considération
humaine devait s'effacer devant la volonté du ciel.
«
Jusqu'à
ce moment nous ne nous étions pas ou¬
verts l'un à l'autre de
nos aspirations secrètes à la vie
n'en parlions que d'une manière géné¬
rale. Le 11 juillet 1844, en revenant de notre
promenade
quotidienne dans les bois touffus qui environnent la
d'apôtre;
Cava,
1
nous
mon
Mémoire
compagnonD. José Serra, d'un
historique
sur
l'Australie,
par
corps
Ms* Salvado.
chétif,
L'OCÈANIE
110
esprit élevé, me dit tout
Cette vie de missionnaire, dont nous parlons
souvent, a quelque chose de grand, de généreux, qui me
transporte; il me semble que c'est la plus parfaite des
œuvres de charité; mais... »
« Je
l'interrompis, pensant que les fatigues et les
dangers de cette vie d'apôtre l'empêchaient de m'inviter à la partager avec lui, et je lui déclarai que les
mais d'une âme ardente et d'un
à coup : «
missions étaient aussi toute l'ajmbition de mon cœur.
«
répliqua-t-il avec joie; si vous avez
je suis votre compagnon à la vie à la
Dieu soit bénil
ce
courage,
mort ! »
«
Je m'attendais à cette
réponse, et elle me remplit
âme, et
de consolation. Je lui ouvris entièrement mon
appris que depuis longtemps je pensais à me consa¬
à l'évangélisation des païens ou des sauvages, et
que déjà j'avais fait quelques démarches dans ce sens.
Nous nous entretînmes longtemps; en nous séparant,
notre dernière parole fut celle-ci : « Recommandons à
Notre-Seigneur, à la Madone et à saint Benoît ce grand
lui
crer
dessein.
«
»
La nuit
pières ;
suivante, le sommeil ne put clore nos pau¬
nous ne
pensions qu'aux missions étrangères, à
difficultés, à leurs dangers, mais aussi à leurs cé¬
lestes consolations. Le lendemain, nous étant réunis de
leurs
après l'office divin, nous nous sentîmes encore
plus raffermis dans notre résolution, et, agenouillés dans
nouveau,
l'église de l'abbaye, nous fîmes à Dieu la promesse de
nous consacrer jusqu'à la mort au salut des infidèles,
en fondant parmi eux un monastère de notre ordre, si
nous en obtenions la permission de nos supérieurs. Il
fut résolu que nous manifesterions secrètement d'abord
nos désirs à la sainte congrégation de la Propagande,
pour savoir si notre offre serait acceptée. Ayant ob¬
tenu du R. P. abbé de la Gava la permission de faire
L'OCÉANIE
111
pèlerinage aux tombeaux des saints apôtres,
disposâmes toutes choses pour le départ.
un
«
Le 26 décembre 1844, l'aube blanchissait à
sommet des
montagnes
nous
peine le
milieu desquelles est placé
le monastère de la
Cava, que déjà, couverts de nos
manteaux, nous étions à genoux devant un tableau de
Notre-Dame du
au
Secours,
j'avais apporté d'Es¬
que
pagne. Après lui avoir recommandé
de larmes et de prières notre hardi
projet,
mâmes deux torches
nous
sortîmes le
avait si doucement abrités
Arrivés
Mer
nous
allu¬
de cire devant la
nous
notre exil.
beaucoup
avec
cœur
très ému
Madone, et
de ce monastère, qui
pendant les années de
»
à
Rome, les deux amis s'adressèrent à
Brunellé, secrétaire de la Propagande, et lui expri¬
mèrent leur vif désir de
porter
le flam¬
Ac¬
partage les
aux sauvages
beau de la foi là où l'on voudrait bien les
envoyer.
cueillis avec bienveillance, ils reçurent en
de l'Australie, acceptèrent avec empressement
mission, et se préparèrent au départ après
recruté en France et en Angleterre
quelques zélés
sauvages
cette difficile
avoir
auxiliaires.
Us arrivèrent à Perth le 6
janvier 1846; le mois
suivant ils sortaient de cette ville avec le frère Léandre
et
un
catéchiste,
pour aller vers les sauvages, n'empor¬
trois livres sterling (soixante-quinze francs) avec
quelques petits sacs de farine, de thé, de riz et de sucre.
Après treize jours de marche à pied, à travers les bois,
couchant sur la terre, privés d'eau, et
n'ayant pour
se soutenir que des racines et des
galettes cuites sous
la cendre, ils trouvèrent des terres fertiles et des indi¬
tant que
gènes campés dans les bois du voisinage. La première
fois qu'ils rencontrèrent les
sauvages, ils ne purent
oublier qu'ils étaient en face
d'anthropophages : ils
construisaient alors
une
cabane dans
laquelle ils comp-
L'QCÉANIE
112
taient élever
petit autel. Ils continuèrent leur travail,
complies, récitèrent les prières du soir,
firent un frugal repas, puis s'étendirent sur un lit de
feuilles pour le repos de la nuit. Le lendemain matin, ils
un
chantèrent les
offrirent le sacrifice de la
messe
à l'intention des sauvages
qui les regardaient attentivement, puis disparurent;
mais ils revinrent le soir, et se rapprochèrent des mis¬
sionnaires, qui s'attendaient à être massacrés. Cepen¬
dant ils furent épargnés, parce que, dirent-ils, ils n'é¬
taient pas dignes de la grande grâce du martyre. Le
troisième jour, les indigènes s'avancèrent en foule vers
eux, et cette fois plusieurs étaient armés de flèches. Les
bénédictins, un peu mieux installés que les jours pré¬
cédents, leur préparèrent des galettes, du thé, des mor¬
ceaux de sucre, allèrent à leur rencontre
pour leur faire
ces petits cadeaux, et les
disposèrent ainsi favorable¬
ment. Quelques-uns même s'attachèrent aux nouveaux
venus, leur rendirent quelques services, et acceptèrent
avec joie la meilleure
part de leurs provisions.
Les débuts furent pénibles ; plusieurs essais restèrent
infructueux
mais les
les contradictions
manquèrent pas ;
épreuves obtinrent les résultats qu'elles opè¬
:
rent dans les âmes
constance et
chrétiennes
ne
:
elles fortifièrent la
ajoutèrent aux mérites de ces âmes, toutes
dévouées â la gloire de Dieu. Heureux de la confiance
qui leur était témoignée, les religieux en profitèrent
pour parler de Dieu et de ses miséricordes. Petit à petit
ils prirent de l'influence sur les sauvages, et se ser¬
virent de leur ascendant pour les pacifier. Quand les
indigènes combattaient les uns contre les autres, les
bénédictins accouraient sur le champ de bataille, le cru¬
cifix à la main, et leur présence suffisait ordinairement,
pour décider les adversaires à se séparer. « 0 Dieu de
bonté, dit le P. Salvado, c'est vous qui rendiez ces
hommes, si barbares et si intrépides même devant les
L'OCÉANIE
113
soldats de
l'Angleterre, doux et patiens envers nous, au
point de se laisser séparer par deux moines désarmés. »
Si les ennemis continuaient à
battre, les bénédic¬
milieu de la mêlée, au risque de re¬
cevoir un coup de lance ou de voomerang, et ils fai¬
saient si bien, qu'ils amenaient les combattants à déposer
tins
les
se
jetaient
armes.
se
au
Alors la cabane des
religieux devenait une
recueillaient les blessés et pansaient
des plaies que Dieu se plaisait à guérir. Dans leurs
mains, les plus simples remèdes opéraient des mer¬
veilles. Un jour, on leur apporta un guerrier mortelle¬
ment atteint ; il avait le bas-ventre percé d'un
ghici.
Avec de l'huile d'olive, du riz et du thé, ils le rendirent
à la santé, et pendant que son
corps retrouvait des
forces, son intelligence s'ouvrait à la lumière : il devint
catholique; plus tard, novice de Saint-Benoît, il bé¬
nissait mille fois la blessure qui l'avait amené à con¬
ambulance
:
ils y
naître la vérité. Comblés des bienfaits de leurs mis¬
sionnaires, les sauvages écoutaient les exhortations et
apprenaient à vénérer le Sauveur, mort sur la croix
pour leur ouvrir le ciel.
Quand les ressources matérielles faisaient défaut,
le P. Salvado allait à Perth pour quêter. Un jour, il fit
servir à
sa cause son talent de musicien, et organisa un
petit concert dont le produit fut plus élevé qu'on ne s'y
attendait. Au sortir de la salle, une Irlandaise remar¬
qua que le missionnaire, très pauvrement vêtu, mar¬
chait péniblement avec des chaussures trouées : aus¬
sitôt elle lui donna ses souliers, larges, solides, s'enfuit
rapidement, et regagna pieds nus son humble de¬
meure.
Les
apôtres allaient chercher les sauvages dans les
bois, les suivaient dans leurs courses, se donnaient à
eux et s'appliquaient à
apprendre leur langue. L'expé¬
rience ne tarda pas à leur prouver que, pour obtenir un
•i
114
L'OCÉAN'IE
noyau de conversions solides et
der une maison à la portée des
néophytes, et leur
durables, il fallait fon¬
indigènes, grouper les
procurer le moyen
travail.
Le gouvernement fit
une
de vivre
par
concession de terrain
le
aux
religieux, qui, le 1er mars 1847, posèrent la
première
pierre de la colonie. Ils lui donnèrent le nom de Nouvelle-Nursie, en souvenir de la petite ville d'Italie
qui
fut le
berceau de saint Benoît. La Providence
bénit
secours et suscita des ouvriers
de bonne volonté. Irlandais et
Français vinrent de
l'entreprise, envoya des
Perth pour aider aux
constructions,
vèrent le monastère et la ferme-école.
et bientôt s'éle¬
Après cinquante jours d'un travail continu, dit le
Bérengier, l'édifice claustral fut terminé pour le
gros
œuvre, en briques et en bois. Les
maçons, charpen¬
tiers et serruriers,
qui avaient prêté leur concours avec
«
P.
tant de
nèrent à
leur
générosité à la mission bénédictine, retour¬
Perth, et les deux moines purent dormir dans
petit monastère, quoiqu'il ne fût encore couvert
qu'à moitié.
«
Durant tous les travaux de
construction, il s'était
produit
un
fait
assez
remarquable, et qui semble peu
Un habitant de Perth avait donné
chien que l'on disait excellent
éloigné du miracle.
au
P. Salvado
chasse des
un
kanguroos;
en
réalité, il n'en
pour la
avait pas
pris un seul pendant les premiers essais de colonisa¬
tion. Les ouvriers furent à
peine arrivés, qu'on le vit
partir tous les matins pour la chasse, et le soir
revenir
avec le
sauvage qui le suivait portant un kanguroo
du poids de
cinquante livres et
plus. Les dix-sept
personnes qui étaient alors à la mission se
trouvaient
ainsi abondamment fournies de
viande fraîche. Lorsque
le nombre des ouvriers
commença à diminuer, Pompée
(c'était le
nom
du chien) ne prit que des
kanguroos de
L'OCÉANIE
115
moindre
grandeur, et dont le poids était toujours pro¬
au nombre des convives. Enfin, lorsque la
construction fut terminée, la pauvre bête perdit un
œil et n'alla plus à la chasse. » Nous
dirons, comme
portionné
Mgr Salvado
:
«
Qui
ne
de la Providence pour
Seigneur?
voit ici
une
attention aimable
les ouvriers de la vigne du
»
Les Australiens vinrent cultiver la terre
sous
la di¬
rection des
religieux, et ils se présentèrent assez nom¬
breux pour rendre nécessaire une nouvelle
concession,
qui fut gracieusement accordée par le gouverneur. L'en¬
treprise semblait prospère, et la récolte promettait d'être
abondante, quand un événement imprévu parut devoir
amener sa
ruine. A la veille de la moisson
sauvage accourut au monastère pour y
,
une
chercher
femme
un re¬
fuge contre la colère de son mari, décidé à la tuer.
Les religieux la mirent à l'abri des poursuites de ce
furieux, qui ne se retira pas sans proférer les plus ter¬
ribles menaces. Le lendemain matin, un incendie était
allumé dans le voisinage ; le feu gagnait rapidement du
terrain, et menaçait les champs de la colonie. Au lieu
de chercher à l'éteindre, ce qui présentait d'immenses
difficultés, le P. Salvado entra dans la chapelle, y prit
l'image de la sainte Vierge, la porta à la limite des ter¬
rains les plus menacés par les flammes ; aussitôt le
vent changea de direction, et le danger fut entièrement
conjuré. Le sauvage dont la femme devait la vie aux
missionnaires eut connaissance de cette protection pro¬
videntielle; il en fut touché, se rendit au monastère
pour solliciter son pardon, et devint l'un des serviteurs
dévoués de la maison.
Le P. Salvado
profita du bon vouloir des indigènes
pour les décider à ouvrir un chemin direct de la Nouvelle-Nursie à Perth. « Je partis, écrit-il, avec quatorze
sauvages,
munis de leurs instruments de travail. Je
116
L'OCÉANIE
disposai mes ouvriers de la manière suivante :
chargés d'aller à la chasse des kanguroos,
deux
étaient
pour
fournir de la viande fraîche ;
quatre partaient en
avant pour frayer le sentier et abattre les arbres
; huit
nous
reposaient auprès du char des provisions. Quand les
premiers étaient fatigués, ils venaient se reposer, et
six autres les remplaçaient. En trois
jours la route fut
tracée, de la Nouvellée-Nursie à la première station des
colons de Perth, sur une
longueur de quarante milles.
se
six
J'avais dirigé mes sauvages avec
l'expérience que
vaient donnée de fréquents
voyages à
m'a¬
Perth, et l'ingé¬
nieur de la colonie fît classer
plus tard ce chemin parmi
les routes du pays, comme étant la
plus courte et la
plus commode
jours
«
l'on pût établir. Désormais, au lieu
entière, il ne fallut que trois à quatre
que
d'une semaine
pour se rendre à Perth.
Durant
ce
travail, j'eus l'occasion d'observer quel¬
ques coutumes des Australiens. Le matin du deuxième
jour,
nous
rencontrâmes
une
troupe de sauvages qui
étaient entièrement inconnus. Un seul de mes
travailleurs les connaissait un
peu. Il aborda le chef, lui
expliqua qui nous étions et ce que nous faisions en ce
lieu. Aussitôt grand
échange de civilités. Le chef
nous
proche du principal de
fectueusement
bras. Il
en
en
s'ap¬
mes
sauvages et l'embrasse af¬
le tenant cinq à six minutes dans ses
fait autant à tous les autres. Ces embras¬
sades
terminées, le chef des sauvages étrangers dit aux
digne et respectueux : « Mon feu est
votre feu; moi et mes
parents, nous demeurons ici;
mais vous, allez,
venez, restez ou partez, vous êtes les
miens d'un air
maîtres,
car nous sommes
ils s'assirent pour
devenus grands amis.
goûter à
eussent
nos
»
Puis
provisions, quoiqu'ils
déjà mangé un kanguroo; l'estomac d'un Aus¬
tralien, souvent condamné au jeûne, est toujours d'une
merveilleuse élasticité.
»
L'OCÉANIE
Une
117
plus importante pour la civilisation chré¬
s'inaugurait l'année même de la construction du
chemin : c'était l'ouverture d'une école
pour les enfants
sauvages. Trois d'entre eux ne tardèrent pas à deman¬
der instamment le baptême, et furent admis à
partager
œuvre
tienne
la vie des bénédictins. Pour fêter cet heureux événe¬
ment, les religieux firent aux adultes indigènes une
distribution quotidienne de soupes qui les attirèrent et
permirent de commencer à les instruire. Les mission¬
naires
se
servirent d'abord de leur influence
pour les
à couvrir leur nudité l'été comme l'hiver
; et
bientôt les femmes attachées à la
culture, se trouvant
gênées par le manteau de kanguroo, leur unique vête¬
amener
ment, furent contentes de le remplacer par des che¬
qui leur furent données au monastère.
mises de coton
L'année suivante
(1848), la colonie achetait au gou¬
pour la somme de trente-deux mille francs,
deux mille cent quatre-vingts hectares de
terrain,
vernement,
qu'elle
comptait cultiver directement, ou donner aux sauvages
qui avaient coopéré à ses premiers travaux.
Tout prospérait, et cependant il surgit deux événe¬
ments qui semblaient devoir
compromettre l'existence
de l'œuvre. Le P. Serra fut éluévêque de
Port-Victoria,
et quelque temps après le P.
Salvado, envoyé en Eu¬
rope par M51 Brady, qui gouvernait le diocèse de Perth,
fut élevé lui-même à
l'épiscopat. Il y eut un temps
d'arrêt dans l'extension de la
Nouvelle-Nursie; mais
ce que Dieu garde ne saurait
périr, et l'événement qui
paraissait si préjudiciable aux intérêts de la colonie
servit à la consolider. Le nouvel
évêque séjourna quel¬
ques années en Europe, où il n'oublia pas sa chère
Nursie : il plaida sa cause en
Espagne, en Italie, lui
attira des ressources; et quand il
put retourner en Aus¬
tralie (1853), il agrandit les bâtiments et construisit des
ateliers. Puis, devenu coadjuteur de Perth
il continua
,
L'OCÉANIE
118
vigilante sollicitude aux néophytes qui lui devaient
haut, et contribua pour une part con¬
sidérable au développement des monastères et de la
ferme-école. Plus tard il fut déchargé des fonctions de
coadjuteur, et put de nouveau se consacrer entièrement
sa
les lumières d'en
à
sa
fondation.
Nous allons faire
actuellement la
connaître
l'aspect que présente
Nouvelle-Nursie, et la vie des Austra¬
liens admis dans cette colonie modèle.
Au milieu du vaste domaine s'élève
murs en
pierre,
la sainte
Vierge.
voûte
l'église,
avec ses
acajou et son architecture
italienne. Le monastère, qui forme aussi ferme-école,
est situé à peu de distance de la maison de Dieu ; à
gauche, on voit des cabanes couvertes de feuilles d'eu¬
calyptus, séparées par des jardins bien tenus. C'est
là qu'habitent des familles indigènes devenues chré¬
tiennes. Les ateliers des forgerons et des menuisiers
ont été construits sur la hauteur, assez loin de
l'église,
pour que le bruit des marteaux et des scies ne trouble
pas les religieux pendant leurs offices. Plus bas, près
de la route tracée le long du vaste enclos de la Nou¬
velle-Nursie, c'est l'hôpital, ouvert aux indigènes, aux
colons européens, aux pauvres et aux voyageurs ma¬
lades. En face, séparée par la route, on voit l'hôtellerie.
A droite du monastère se trouvent les granges, les
moulins, les celliers, les écuries, les étables. De fortes
palissades forment divers parcs pour les grands bes¬
tiaux, les chevaux et les moutons. Enfin, au point le
plus élevé de la colline, on aperçoit un ermitage dédié à
«
Dès
sa
en
l'aurore, dit le P. Bérengier, la population
entière de la Nouvelle-Nursie
Tandis que
se
met en
mouvement.
les pères, revêtus de leur coule noire, vont
gravement deux à deux célébrer la louange divine, les
colons sortent de leurs maisonnettes, et, après une
L'OCÉANIE
119
prière commune à l'église, se répandent dans les
champs pour y travailler. L'office terminé, les reli¬
gieux vont les rejoindre, et il n'est pas rare de voir de
grands sauvages, à la figure basanée, guider
l'attelage
d'une charrue, dont un moine à
longue barbe tient les
mancherons d'une main adroite et
vigoureuse. Pendant
ce
temps-là, les enfants
nastère. Les
les
se
rendent
aux
écoles du
mo¬
jeunes
gens conduisent les chevaux pour
mènent les vaches, les chèvres et les bre¬
charrois,
aux
pâturages jusqu'à l'heure où le repas, préparé
par les ménagères, rappelle les travailleurs à la mai¬
bis
son...
»
Il y a
maintenant plus de cinquante enfants, gar¬
filles, élevés à la Nouvelle-Nursie : dans deux
bâtiments séparés, ils reçoivent des moines mission¬
naires l'instruction
religieuse et classique. On leur en¬
seigne la lecture, l'écriture, le calcul et l'histoire sainte.
Voici le règlement de leur
journée.
Us se lèvent avec le
soleil, au son de la cloche du
monastère. Les
bénédictins, ayant reconnu que pour
çons et
former l'homme tout entier il faut unir la vie de
famille
à la vie de la cité, laissent les enfants
passer la nuit dans
les cabanes de leurs
parents. Aussitôt habillés, les éco¬
se rendent
par groupes à l'église, où les membres
de leurs familles ne tardent
pas à les suivre. Après la
messe et le chant du Laudale
Dominum omnes gentes,
on les conduit dans leurs
réfectoires
liers
déjeuner. Vient
respectifs
ensuite
une
récréation. Aux travaux de
pour
le
demi-heure de jeux et de
classe, toujours proportion¬
l'âge des élèves, succèdent les exercices du corps ;
les uns vont aider les
bergers à conduire les troupeaux
au
pâturage; les autres s'occupent dans le jardinet
des parents ;
plusieurs s'exercent aux métiers de cor¬
donnier, de tisseur de laine, de serrurier, de menui¬
nés à
sier, etc. Les petites filles aident leur mère
et leurs
L'OCÉANIE
120
grandes sœurs dans le ménage; ou bien, sous la sur¬
apprennent à coudre, à
filer, à faire la cuisine, etc. A onze heures, le travail
cesse pour les enfants, qui se rendent dans les classes.
À midi, dîner, où les mêmes plats, simples et abon¬
dants, qui ont été servis aux moines, leur sont pré¬
sentés. Le repas est suivi d'une récréation toujours
joyeuse, turbulente; puis vient la visite aux parents,
pendant laquelle lés enfants peuvent se voir et se con¬
naître. De d'eux à quatre heures en hiver, de trois à
cinq en été, classes suivies du travail manuel jusqu'à
la chute du jour, mais interrompu par le lunch ou goûter.
Le souper et la récréation du soir ont lieu en famille. La
prière générale à l'église termine la journée ; le coucher
veillance d'une matrone, elles
a
lieu à huit heures
en
L'école des adultes
l'heure du souper.
Voilà la douce,
hiver, à neuf heures
se
en
été.
tient du coucher du soleil à
pieuse et salutaire existence que
la Nouvelle-
mènent les
Australiens christianisés de
Nursie. Elle
prépare à la colonie anglaise de Perth un
peuple fort et laborieux.
On voit souvent rôder autour de la colonie
monas¬
tique quelques indigènes venus des bois, qui examinent
avec le plus vif intérêt un spectacle bien nouveau pour
eux. Leurs parents, leurs amis vont leur parler, appellent
quelques religieux, et presque toujours ces sauvages,
venus seulement pour satisfaire leur curiosité, sentent
le désir de vivre comme leurs compatriotes civilisés, et
cèdent
sans
effort à la douce influence de îa vie chré¬
tienne.
Quant
sont des
aux
sentiments des Sauvages
baptisés, ils
plus consolants. Un grand et fort jeune
homme venait de recevoir le sacrement de
baptême,
lorsqu'une chute des plus graves mit sa vie en dan¬
ger. Sur le point d'expirer, il dit à M01' Salvado, qui
L'OGÉANIE
l'assistait
121
Père, je suis bien content de mourir.
Pourquoi, mon fils?— Parce que je ne pourrai plus
: «
—
offenser
comme autrefois le
grand Dieu du ciel. »
Les sauvages australiens, habitués à la vie de chasse
dans les bois immenses de leur
pays, ne peuvent pas
être
assujettis, après leur baptême, à un travail trop
une vie
trop sédentaire. La sollicitude
paternelle du fondateur de la Nouvelle-Nursie a su
pourvoir aux exigences de leur santé.
« De
temps à autre, nous disait-il, j'envoie les nou¬
veaux convertis et les
jeunes gens de la mission passer
une semaine ou deux dans les
bois, sans autre provi¬
sion qu'un peu de farine dans un sac. Ils doivent se
procurer le reste de leur nourriture par la chasse, et
coucher sur la terre, dans de petites huttes construites
de leurs propres mains avec des
branchages. J'obtiens
par ces petites excursions deux excellents résultats : je
fortifie leur tempérament, qu'une vie trop renfermée
aurait, pour cette première génération, promptement
épuisé, et je leur fais comprendre, par le contraste , tous
les avantages de la vie de famille que l'on mène à la
continu ni à
Nouvelle-Nursie.
«
Il y a
aussi des expéditions forcées qui
leur sont
chaleurs
ne
pas moins utiles. Dans les mois des grandes
il faut parfois aller chercher assez loin des
,
pâturages
pour la subsistance des brebis On choisit alors dans les
bergeries un troupeau de brebis bien vigoureuses que
l'on envoie en avant et que l'on confie à deux moines,
assistés de quelques sauvages de la mission
qui les
accompagnent avec leurs familles, leurs chevaux, leurs
bœufs et quelques chiens de forte race. Toute la
troupe
part, marchant à petites journées et couchant sous la
tente. On finit par arriver aux
pâturages, dont l'usage
est facilement cédé par le gouvernement de Perth. Le
long de la route, on se nourrit du lait des brebis et des
,
6
L'QCÉANIE
122
petites provisions
que
l'on
a pu se procurer ;
parfois
on
mange un agneau. Dès que le troupeau d'avant-garde
est sur la concession, les sauvages se dispersent dans
les hois et rapportent des troncs d'arbres et des bran¬
ches à larges feuilles pour construire les cabanes de
campement, les clôtures qui serviront 4e bercail, les
bergeries des brebis pleines, enfin tout ce qui est néces¬
saire pour une installation de quelques mois. Peu après
arrivent en longue file les grands troupeaux de la mis¬
sion; tout,est .préparé pour les recevoir et les parquer ;
tout est disposé aussi poqrc. que les,bergers et leurs fa¬
milles puissent passer, le temps, da.l'estivage. Isans trop,
de fatigues, c,.
.j c....S
... c.
«,Ce.mélange,, d e,vie, nomade,.pastorale.et, agricole,,
maintient très,.heureusement ,1a santé générale des.
Australiens'4e ,la.mission, les habitue .doucement aux
mœurs des pays-civilisés; et surtout resserre les liens
qui.les unissent aux moines espagnols et ne forment de.
tous..qu'une.,seple famillq, Pour., les attacher glusésû-,
rement.au.sol,qulils.cultiv.ent,._MS:>Salvado.al'inteation
de lesuiéclare» propriétaires, devant.la loi anglaise, de.
la portion de terrain qui entoure leurs cabanes; mais il
nous avouait qued'heura nien était pas encore venue,
tant cetteûdée-de fixer, pour toujours, sa demeure en un,
même lieu paraît étrange à cescnfants des forêts^ dontla
vie se passait à chasser les bêtes-fauves' sur- toule la.
surface de leur; terre natale^ Il faudra peut-être attendrela seconde génération. Déjà-pependant- le^ Ghef de. lâcolonie. monastique leur a donné la propriété.des .mai¬
sonnettes qu'ils-, habitent. Qétte. possession^ vqpi les,
flgttêv les amènera peu- à, pemà la pensée de.devenirpropriétaires-du'Bot-eb véïifcahjéœeBl' citoyenB de l'Aus¬
tralie-. -L'art- des^pansigons-eSt- oéfeessairb#-B)ênïe dansles natiohs établies-à nos antipodes. »baa
u»
Placée à la portée des sauvages; la Nouvélle-Nursie
,
.
..
L'OCÉANIE
123
travaille très efficacement à leur
conversion. Ses succès
sont si complets,
qu'ils ont mérité d'un rpinitre protestant
go
témoignage : « Ce que j'ai vu dans la mission béné¬
dictine, écrit-il, m'a rappelé les premiers
temps de
l'Église. Chaque année amène un progrès; l'instruction
développe l'esprit des enfants ; les machines à
battre, les
instruments perfectionnés suppléent aux bras
des culti¬
vateurs et leur font recueillir les
fruits de leurs travaux.
Leur conçluite_ chrétienne leur
donne la pajx de la con¬
science et les joies de l'âme. Leur
zèle pour la pro¬
pagation de la foi s'exerce près des
sauvages qu'ils
connaissent, grossit le nombre des néophytes, et
ajoute
au bonheur
qu'ils éprouvent d'être chrétiens. »
M?r Salvado écrivait il
y a plusieurs années : «A me¬
sure que nos ressources
augmentent, nous admettons
un plus
grand nombre de sauvages à
partager notre vie.
Les indigènes de cette
première génération ne peuvent
pas encore se suffire ; il faut que nous les
aidions en
beaucoup de, manières. Qu'il survienne une
longue
sé¬
cheresse pu des pluies
prolongées, une épizoolie sur les
bestiaux ou une épidémie sur Les
sauvages, voilà toutes
nos
réserves
épuisées, et nous nous trouvons réduits
Lorsque Ja seconde génération
parvenue à l'âge d'homme, elle
presque à la mendicité.
de nos Australiens sera
■
—
pourra se passer de notre
secours, parce
dès l'enfance l'habitude du
*eu
l'économie,
pope. «
.
comme
qu'elle aura
travail, jde l'ordre et de
chez les bons agriculteurs de
l'Eueh neilim
.
Quelques Australiens catholiques
la colonie
duits.
,
se sont
éloignés de
et réussissent là où la Providence les
..U
aab
L'un d'eux s'est établi à Perth
conduite et son habileté sont
comme le
,enet uh
~~
comme
Çl
ikû
a con¬
pfbY
h
cordonnier ; sa
telles, qu'on le regarde
meilleur ouvrier de la ville.
Un autre, entré avec sa
femme chez
a
un
-
colon
an-
L'O
124
CËANIE
glais, inspire tant de confiance à
chargé du ménage, des chevaux,
son
maître, qu'il l'a
du jardin, du service
de sa personne, de la cuisine, du linge et de la direc¬
tion du ménage. Il lui a donné une maison et un jardin,
en
récompense de très
bons services.
si sûr et si intelligent, qu'il est
devenu intendant d'une maison importante. « Mais
voici, dit M. de Cadière, un fait encore plus remar¬
Un troisième est
d'an¬
quable. Une jeune Australienne qui, il y a peu
nées, courait dans les bois avec son père et sa mère,
anthropophages comme elle, fut reçue à la mission. On
l'instruisit, on la baptisa, on lui donna une éducation
plus soignée qu'à ses compagnes parce qu'elle
plus intelligente, on la maria, et maintenant elle est
directrice du bureau de poste télégraphique à la mai¬
était
la
gouvernement de la colonie anglaise lui donna,
logement, sept cent cinquante francs par an.
Tous les journaux protestants de l'Australie ont raconté
cet événement avec de grands éloges pour la mission où
Ellen Cuper ( c'est le nom de la jeune sauvage ) a été
élevée. Son premier télégramme a été un remerciement
adressé au gouverneur sir Weld, qui l'avait nommée à
cet emploi. En vérité, qui aurait jamais pu prévoir cela,
son.
Le
avec
le
vingt-huit
lorsque les missionnaires arrivaient, il y a
ans, dans ces bois déserts, n'ayant plus de chaussures,
abri, sans provisions,
de lézards, de vers
de terre, au milieu de sauvages féroces qui ne se se¬
raient fait aucun scrupule de les tuer pour les manger?
Quel chemin parcouru dans un quart de siècle !
presque sans vêtements, sans
réduits à se nourrir de couleuvres,
«
Telle est la race
des hommes que
les Anglais pro¬
incapables de toute civilisation, qu'ils
cherchent à exterminer par tous les moyens, et que le
professeur Darwin, avec ses crédules adeptes, nous
montre comme les descendants directs des chimpanzés
testants déclarent
L'OCÉANIE
125
orangs-outangs, d'après l'amusante théorie qui
faire tous venir d'un grand singe. »
Nous avons raconté avec quelques détails l'organisa¬
tion de la Nouvelle-Nursie, parce que son histoire mé¬
rite spécialement de fixer l'attention. Elle nous montre
une fois de plus, par un mémorable exemple, le catho¬
licisme portant chez les sauvages le double flambeau de
et des
veut
nous
la foi et de la vraie civilisation.
Deux chiffres font connaître les
conquêtes de la vraie
religion dans l'Australie. En 1840, elle y comptait seu¬
lement quarante mille catholiques ; en 1880, leur nombre
dépasse quatre cent mille. Trois cent vingt-cinq prêtres,
sous la direction de treize évêques, instruisent, éclairent
et consolent les âmes.
CHAPITRE VIII
Colonies françaises: la Nouvelle-Calédonie; ses productions; ses
indigènès. — Elle appartient partiellement à la France depuis
1883.
En 1864, elle devient uh lieu de déportation. — Nouméa.
Travaux des pères maristes. —
Douarre. — Gruautés et vices
—
—
des habitants.
Reconnaissance des néophytes. — Lettre du
Montrougier. — Intéressants détails donnés par Ms* wiu sur
les métis, les travailleurs noirs, la population libre, les trans¬
portés, les déportés, les sauvages. — Persécution contre le
catholicisme.
Influence anglo-protestante. — Multiplicité des
langues. — Difficulté des communications.
Scandales de la
race blanche.
Mœurs des païens. — Description de l'île des
—
P.
—
—
—
Pins.
Les colonies
françaises de l'Océànie, encore très peu
forment avec les possessions anglaises un
regrettable contraste. Le plus important de nos éta¬
blissements est celui qui s'est formé en Nouvelle-Calé¬
donie. Située à l'est de l'Australie, comprise dans le
groupe appelé Mélanésie, la Nouvelle-Calédonie est
l'une des plus grandes îles de l'océan Pacifique. Décou¬
verte en 1774 par le capitaine Cook, elle tire son nom
développées
de
sa
,
ressemblance
avec
l'Ancienne-Calédonie. Trois fois
grande comme la Corse, elle a une superficie de six cent
cinquante lieues carrées. Sa longueur ne dépasse guère
deux cent soixante-dix kilomètres, et sa largeur moyenne
n'excède pas cinquante-cinq kilomètres. Elle est parta¬
gée dans sa longueur par une double chaîne de mon-
L'OCÉANIE
127
tagnes, hautes parfois de quinze cënts mètres. Leur
point culminant est le pie dé HUtoboldt ( Sëizè cent cin¬
quante mètres ). LèS rivages de l'île sont garnis de nom¬
breux reliefs composés dé polypiers. Cé Sont dès espèces
de rochers qui en rendent l'accès trôë difficile.
Ses magnifiques forêts fournissent leurs cèdres et
leurs
pins à l'ébénisterie et aux constructions mari¬
times.
Son sol est très fertile ; surtout dans la partie orien¬
tale; SèS belles plaines Sont arrosées par dés rivières
qui s'échappent des montagnes, et vont se jeter à 1k
mer après un faible parcours. Le coUrs d'eau le plus
important est le Diahot, dont la plus grande largeur ne
dépasse guère cent cinquante mètres.
Son climat, analogue à celui du midi de la France,
est
par lés brisés de l'Océan. Le
s'élève pas au-dessus de trente degrés
régulièrement rafraîchi
thermomètre
ne
centigrades, et ne descend paS au-déësouS de quinze
degrés.
Les gisements de houille, les mines dé métaux, spé¬
cialement le cuivre ét le fèr, abondent dans la NouvelleCalédonie. Des mines de nickel ont été récemment dé¬
couvertes : il y a peu d'années, Cinq cents tonnes dé ce
minerai ont été expédiées en France à des prix avanta¬
geux.
Les
indigènes
se
divisent
en
beaucoup dé tribus ri¬
lutte les uns cotitre les autres, ils tté
s'aventurent pas dans le pays sans êtré munis de leurs
armés. Une fronde, suspendue au cou du sauvage, lance
les pierres qu'il porte dans un sac attaché à sa cein¬
ture; d'une main il tient plusieurs zagâies, et de l'autre
un casse-tête. La zagaie est une espèce de javelot re¬
doutable qui est aminci à ses deux extrémités, et tra¬
verse le corps d'un ennemi à quarante pas de distance.
Le casse têtë, sorte de pôtite massue, est un bâton de
vales.
Toujours
-
en
L'OCÉANIE
128
bois dur, d'un mètre de long,
extrémités en forme de disque.
terminé à l'une de
ses
La hutte
qui abrite le Calédonien est une cabane dont
vingt à vingt-cinq mètres : haute de quatre
mètres, elle est couverte de chaume, se termine en pain
de sucre, et porte parfois à son extrémité des trophées
la base
a
de chevelures
ou
d'ossements humains. Les ornements
de la cabane consistent
et manteaux de gazon
Ce vêtement est
un
en
filets, hameçons de pêche,
qui
se portent les jours de pluie.
travail de patience et d'adresse; la
femme passe six mois à
de la draperie forme la
le confectionner. La contexture
partie intérieure; à l'extérieur,
c'est un assemblage d'herbes si habilement disposées,
que de loin on les prendrait pour une fourrure.
L'igname , le taro, plante aquatique dont le fruit a la
la forme d'un navet, l'arum ou choux caraïbe, servent
à l'alimentation des indigènes. Ils mangent aussi les
jeunes pousses de l'hibiscus, le fruit de l'arbre à pain
et les racines de l'hipaxis. Enfin, quand le caprice
ou la faim les y pousse, ils se repaissent de chair
humaine et n'épargnent pas toujours leurs propres
enfants.
Ils traitent leurs femmes
ils les
comme
des bêtes de
somme
;
estropient ou les assomment pour les punir de
n'avoir pas recueilli la quantité d'aliments qu'ils vou¬
laient avoir, ou pour avoir commis une faute encore
moins grave. La colère est leur guide, et leur autorité
ne connaît pas de frein.
Les indigènes ont les cheveux laineux, le nez épaté,
les lèvres épaisses et la peau couleur de suie. Ils sont
groupés en villages; le soir on les voit se réunir autour
d'un grand feu : là ils parlent, s'animent, gesticulent,
mangent, poussent des hurlements de bêtes fauves, et
présentent dans leur ensemble un effroyable aspect.
Ils entourent de leurs respects les restes mortels de
L'OCÉANIE
leurs
129
parents, et placent des signes d'honneur sur la
tombe de leurs braves.
En
1853, la Nouvelle-Calédonie est devenue colonie
française. Après l'Algerie et la Cochinchine, c'est la
possession la plus considérable de la France. La capi¬
tale est Fort-de-France
marche très
ou
Nouméa. La colonisation
lentement; mais il est permis d'espérer
pour l'avenir, à cause du climat, de l'étendue,
sition géographique et de la fécondité du pays.
Les concessions de terres
différentes
la vente
se
de la
po¬
font de quatre manières
enchères
publiques; la vente
gré à gré; les aliénations moyennant certaines con¬
ditions, telles que constructions de routes, introduction
de bétail, création d'établissements agricoles ; et enfin
les concessions gratuites aux anciens militaires marins
et aux Alsaciens-Lorrains. Le gouverneur seul statue
:
aux
de
sur
les demandes dont le
prix
ne
dépasse
pas
vingt
au-dessus de ce chiffre le ministre décide.
En 1860, cette île devint une colonie indépendante
des autres possessions françaises en Océanie, eut un
gouverneur spécial, et fut choisie comme lieu de dé¬
portation pour les condamnés aux travaux forcés. En
mille francs;
1864 ils y arrivèrent pour la première fois; ils étaient
au nombre de deux cent cinquante, et furent occupés
à construire
leurs bâtiments d'habitation,
puis des
magasins, un hôpital, une chapelle, qui s'élevèrent assez
rapidement dans une petite île située à un kilomètre de
Nouméa. Les déportés furent divisés en quatre catégories,
suivant leur degré de soumission, de bon vouloir ou de
perversité. La famille de plusieurs d'entre eux vint les
rejoindre, et trouva des moyens d'existence par le travail.
Dès la fin de 1843, le catholicisme avait envoyé ses
missionnaires en Nouvelle-Calédonie. Ils y ont importé
la vigne, les oiseaux de basse-cour, les animaux do¬
mestiques; les pères maristes, auxquels est dévolue
G*
L'OCÉANIE
130
l'œuvre de civilisation du pays,
efforts pour accomplir cette
ciété a été fondée en 181S à
Dame de
Pie VII
font les plus généreux
grande mission. Leur soLyon, au pied de Notre-
par le R. P. Colin. Elle reçut de
bref laudatif en 1822, et fut approuvée par
Foutvières,
un
Grégoire XVI en 1830. Elle s'adonna à la direction des
collèges, des séminaires, à l'œuvre des missions, et
spécialement depuis le bref de Grégoire XVI à l'évangélisation de l'Océanie occidentale.
Le premier évêque de cette contrée fut MBr Guillaume
Douarre. Né en 1810 à la Forie (Puy-de-Dôme), de
parents pauvres, il manifesta dès son plus jeune âge
son amour pour Dieu, son horreur du péché et sa soif
du salut des âmes. Il accepta courageusement les tra¬
vaux, les humiliations et les sacrifices à l'aide desquels
il
parvint à faire ses classes et à se préparer au sacer¬
grande foi, vicaire zélé , curé modèle -,
il avait prononcé à trente-deux ans ses vœux dans la so¬
ciété de Marie. Bientôt élevé à l'épiscopat sous le titre
d'évêque d'Amata, il partait pour son nouveau diocèse.
Dès qu'ils virent le Vaisseau qui l'amenait, les indi¬
gènes, montés sur des pirogues, accoururent et s'appro¬
chèrent d'abord timidement. Enhardis par un bon ac¬
cueil ils reçurent de petits présents et se retirèrent
joyeux. Les chefs du pays accordèrent à la mission le
droit de séjour et les terrains suffisants pour former un
doce. Prêtre de
,
établissement modeste.
Le
jour de Noël 1843, les missionnaires prirent pos¬
qui lehr était concédé.
Au sommet d'un tertre élevé, sur un autel de pierres
orné de verts rameaux, l'évêque célébra solennellement
une messe à laquelle vinrent assister, avec l'éqûipage,
beaucoup de sauvages attirés par la curiosité. « Le
session du lot de terre
temple était beau, écrivait Sa Grandeur1; il avait pour
voûte le firmament; l'autel ne ressemblait pas mal par
L'OCÉANIE
131
pauvreté à la crèche de Bethléhem, et les naturels
qui l'entouraient dans le plus profond Silence me rap¬
pelaient assez lès bergers accourus autour de l'EnfantDieu, après avoir entendu les anges entonner ces belles
paroles : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix
sa
sur
la terre aux hommes de bonne volonté. »
Au bout de
sionnaires
terminée
:
quelques semaines, la maison des mis¬
faite en planches et en troncs d'arbres* était
le drapeau français flottait sur son toit, et le
,
qui avait amené les apôtres s'éloignait en les
au milieu de sauvages féroées et pillards.
M*" Douarre alla de tribu en tribu, instruisant les
adultes, baptisant les ënfants, et bientôt il put comptér
plusieurs chefs parmi les catéchumènes.
navire
laissant
Son dévouement lui donnait de l'ascendant sur lés
indigènes. Un jour, ses voisirts, au retour d'une excur¬
sion où ils avaient été vainqueurs, ramenèrent un captif
qu'ils se disposaient à tuer pour se repaître de sa chair.
L'évêque, pénétré de compassion pour la pauvre vic¬
time, résolut de la sauver au péril de ses jours. 11 se
réndlt au miliéu des guerriers, alla droit au captif, qu'ils
avaient attaché à un arbre, coupa ses liènë et le prit par
le bras en disaht avec autorité aux indigènes ébahis :
«
Je Veux emmener cet homme.
»
Et
en
mêmë temps
il entraîne le malheureux. « Tu nous enlèves notre re¬
pas, s'écrie un sauvage, et, lui parti, nous n'aurons
plus rien à manger. — Qu'à cëla ne tienne, répliqua
Douarre; j'ai beaucoup d'ignames, venez à ma mai¬
son, et je vous en donnerai tant qu'il vous eh faudra. »
Stupéfaits d'une vaillante intrépidité qui s'associait à
bonté, ils n'osèrent pas résister ouvertement, ils se
contentèrent de murmurer; mais bientôt ils essayèrent
par la ruse de ressaisir leur proie.
M*1 d'Amata était parvenu à une assez grande dis¬
tance du lieu où les sauvages étaient assemblés, qùand
la
L'OCÉANIE
132
il vit accourir
un
vieillard
qui lui dit
en se
prosternant
.
Oh! que je te remercie! Comment reconnaître un tel
service? Je n'avais qu'un fils, il allait être mangé, et tu
«
l'as sauvé!
Rends-moi
enfant, je m'en charge
désormais, et je le reconduirai dans notre tribu. — Cet
mon
homme est-il ton
père? » demanda l'évêque au captif.
répondit pas; son silence était expressif.
Comprenant tout de suite la perfidie de la démarche,
monseigneur menaça le vieillard de le punir de son
mensonge, et il conduisit parmi les siens l'homme qu'il
Celui-ci
ne
venait d'arracher à la mort.
Une lettre du P.
au supérieur général
fait connaître les diffi¬
Rougeyron
de la société de Marie
nous
cultés des débuts des missionnaires
en
Nouvelle-Calé¬
donie.
Nous voilà
depuis plus de vingt mois (octobre 184S)
géographes ont représentée sous
de si noires couleurs, mais qui a aussi ses charmes
lorsqu'on la considère avec des yeux de missionnaire.
Quoique nous soyons restés presque sans aucune res¬
source et sans défense, dans un pays dénué de tout,
chez un peuple féroce et anthropophage, rien de fâcheux
ne nous est arrivé, grâce à la divine Providence, qui
veille d'une manière si particulière sur les envoyés de
Jésus auprès des nations sauvages...
« Le dialecte calédonien m'a semblé fort difficile, tant
à cause de son génie tout différent de nos langues d'Eu¬
rope qu'à cause de sa prononciation. Seuls Européens
dans cette île, sans interprète, sans grammaire, sans
vocabulaire, nous avons eu d'énormes difficultés à
«...
sur
cette terre que nos
vaincre. Admirez
les
comme
le bon Dieu accorde à propos
grâces d'état. Je ne sais que bien imparfaitement la
langue du pays; quand il s'agit de parler de choses or¬
dinaires, je suis souvent embarrassé, c'est à peine si je
peux me faire comprendre; eh bien! dès que je com-
L'OCÉANIE
mence
me
à catéchiser et à instruire les sauvages,
viennent
en
133
les mots
abondance!...
Du reste, nous avons
été souvent obligés de négliger
plus pressé, qui était de ne pas
provisions pour cinq personnes
étaient peu considérables : un baril de salaisons et trois
barils de farine. Nous ne pouvions guère compter sur
des échanges avec les naturels; car nous avions peu
d'effets à leur céder, et nos Calédoniens avaient encore
moins à nous vendre... Ce n'est pas que ce pays soit
aride et impropre à la culture, comme l'ont avancé cer¬
tains voyageurs ; outre ses sites d'une grande beauté, il
ne manque pas de plaines très fertiles qui pourraient
«
l'étude pour viser ou
mourir de faim. Nos
nourrir
une
multitude d'habitants. Mais mille causes,
et surtout la paresse,
réduisent les indigènes de la Nou¬
plus extrême misère... Ont-ils fait
une abondante récolte, on dirait qu'elle leur
pèse. Ils
appellent des voisins de dix à douze lieues à la ronde
pour s'en débarrasser au plus vite, et leur festin dure
autant que leurs provisions; de sorte que pendant les
trois quarts de l'année ils n'ont rien à manger. Leur
nourriture consiste alors en quelques poissons, coquil¬
lages, racines, écorces d'arbres; quelquefois ils man¬
gent de la terre, dévorent la vermine dont ils sont cou¬
verts, avalent avec gloutonnerie les vers, les araignées,
velle-Calédonie à la
les lézards, etc.
Nous
ne pouvions donc attendre que
peu de secours
naturels, et nous nous sommes mis à gagner notre
pain à la sueur de notre front. Nous étions encouragés
par l'exemple de Msr l'évêque d'Amata, qui, toujours le
premier au travail, s'était fait le manoeuvre du bon frère
Jean. Que de fois je l'ai vu plier sous le poids de l'oi¬
seau
(instrument des maçons pour le transport du mor¬
tier) 1 Sa gaieté était toujours la même et sa foi admi¬
«
des
rable.
L'OCÉANIE
134
jours de suite nous n'avons rien pris
soir; nous n'avions que des ra¬
cines d'herbes, et encore pas à satiété. Plus d'une fois
nous avons envié la nourriture que les hommes les
plus
nécessiteux d'Europe dédaignent souvent; mais Dieu,
qui nous a conduits jusqu'aux portes de la mort, nous
en a toujours retirés d'une manière touchante.
« La veille de la
Toussaint, nous avions épuisé nos
dernières provisions. Le frère Biaise s'inquiétait fort
pour le jour suivant : « Que mangerez-vous demain?
nous disait-il; vous jeûnerez! » Nous lui répondîmes :
« Eh ! oui ; nous avons
grand besoin de faire pénitence,
et l'occasion ne saurait être plus favorable ! »
« Le lendemain, comme
je craignais que le jeûne ne
se prolongeât trop^ j'allai au jardin arracher quelques
troncs de choux; c'était tout ce qui nous restait. Déjà le
frère se mettait en mesure de les faire cuire, lorsque la
Providence nous envoya quatre ou cinq personnes char¬
gées de vivres.
« Un autre
jour (c'était celui de la fête de saint Fran¬
çois Xavier), nous étions réduits à la même extrémité,
et nous n'avions devant nous qu'un avenir affreux;
nous venions d'être délaissés par la tribu qui jusque-là
nous avait fourni des aliments; personne ne voulait
plus rien nous vendre; Il fallait donc nous résigner à
mourir. Mais non, le missionnaire ne peut pas mourir
de faim, il meurt épuisé de fatigues en courant après les
âmes égarées, ou sur l'échafaud en confessant la divi¬
nité de Jésus-Christ. Celui qui nourrit les oiseaux du
ciel ne laissera pas périr le serviteur qui s'est exposé à
tant de privations pour sa gloire. Aussi notre épreuve
ne fut pas de longue durée. Ce jour-là même* des sau¬
«
Plusieurs
avant trois heures du
vages
inspirés, je n'en doute pas, par l'apôtre des Indes
bons anges, vinrent de trois lieues nous
et par nos
vendre d'abondantes
provisions. Ce qui
vous
fera
con-
L'OCÉANIE
naître
cela le
doigt de Dieu ; e'éfet
13Î5
indigènes
qu'ils se présen¬
taient à nous pour la première fôis, et précisément au
moment dé notre plus grande nécessité»
« A la vue de cette nourriture
providentielle, j'échan¬
geai un regard avec M h' d'Amata, et nos larmes cou¬
en
que ces
étaient d'une tribu ennemie de la nôtre,
lèrent en âbôndahce. Qu'èllôS étaient douces ces larmes!
c'était la reconnaissance qui les faisait verSer. Oui, dans
les missions chez les sauvages, mille choses viennent
ranimer la foi et l'amour du prêtre. Dieu est partout;
mais il fait sentir d'une manière
plus frappante Sa puis¬
plages lointaines, où nous
sommes exilés pour sa gloire...- »
Lès difficultés des premiers mois n'étaient rien éil
comparaison de celles qui attendaient les missionnaires
et
sance
sur
sa
bonté
sur
ces
cette terre infidèle» Ils avaient
affairé à des indi¬
gènes fourbes, voleurs et cruels à l'excès, qui formèrent
l'infernal projet de les massacrer. Ils assiégèrent la dé¬
meure des religieux, la pillèrent, y mirent le feu, bles¬
sèrent plusieurs de ceux qui venaient à eux pour les
sauver, et frappèrent mortellement le frère Biaise. Le
martyr, sur le point d'expirer, prononça ces admirables
paroles : « Combien je voudrais, par lé Sacrifice de ma
vie, contribuer au bonheur de ce pauvré peuple! Je
pardonne du fond de mon cœur à mes bourreaux ! »
Cependant l'amour des âmes triompha de la hâiné
des sauvages, et fit pénétrer la vérité dafis les cœurs.
Mer Douatre employait, pour instruire son troupeau,
d'ingénieuses comparaisons. « Que vois-tu là-bas sur
l'Océan? disait-il un jour à l'un de ses voisins. — Évêque, tu le vois comme moi, c'est une embarcation. —
Cette embarcation est-elle sortie toute faite du sein de
la mer?—
seules.
tants
—
se
Noh; les embarcations ne se font pas toutôs
Pourquoi pas? » A ces mots tous les assis¬
mirent à rire.
«
Mais il y a une
voile, continua
L'OCÉANIE
136
monseigneur, et la barque avance toute seule. — Évêque, il y a quelqu'un pour la conduire. — Cependant je
ne
personne! — Ni moi non plus; mais je suis sûr
les barques ne marchent pas toutes seules, et que
vois
que
les voiles ne se tendent pas
elles-mêmes.
reprit M51 Douarre. Puis, levant les
yeux au ciel : « Ce soleil, cette lune, ces étoiles ne se sont
pas faits tout seuls : qui donc les a créés? qui dirige
—
Tu
as
raison,
leur marche?— Je
»
n'en sais rien.
suis venu,
que j'ai tout quitté, pays, parents, amis; et c'est Celui
qui a créé tout cela qui m'a envoyé vers toi. »
—
Eh bienl c'est pour
te l'apprendre que je
Le trait suivant montre le peu de valeur que les in¬
digènes attachent à la vie de leurs compagnes. L'un
d'eux, plus intelligent que ses voisins, avait conquis
sur eux de l'influence, et paraissait leur chef. Touché
de la grâce, il vint un jour demander le baptême; mais
il a deux femmes, et, pour être admis parmi les caté¬
chumènes, il ne doit en garder qu'une. A ces mots le
sauvage se retire sans faire la moindre observation. Il
revient le lendemain et renouvelle sa demande. Le père
lui répète que la première disposition à prendre c'est
de se séparer de l'une de ses femmes. « Je n'en ai plus
qu'une, » répond l'indigène. « Cependant hier tu en
avais deux?— C'est vrai, répondit-il tranquillement;
mais depuis j'ai assommé l'autre! » Il a été baptisé;
maintenant il déplore sa conduite passée, et compte
parmi les fervents chrétiens de la Nouvelle-Calédonie.
Quatre fois par semaine les missionnaires s'éloi¬
gnaient de leur résidence, et allaient dans un rayon de
trois à quatre lieues pour instruire les néophytes et en
augmenter le nombre. Armés de la croix et de la gourde
dont ils se servaient pour les baptêmes, ils s'arrêtaient
à chaque village, à chaque cabane, réunissaient les ha¬
bitants, récitaient les prières, chantaient avec eux les
L'OCÉANIE
137
cantiques, les interrogeaient sur le catéchisme, les
instruisaient, administraient le baptême
aux nouveau-
nés et assistaient les malades.
Les
indigènes qu'ils parvenaient à éclairer expri¬
maient naïvement leur reconnaissance.
«
Jéhovah est
bon, disaient-ils. Il a fait le soleil pour nous servir
de flambeau, la terre pour nous donner des ignames,
la mer pour nous procurer des poissons et des coquil¬
lages. » Un missionnaire exhortait un vieillard récem¬
ment chrétien à ne plus pécher. « Pécher! reprit-il
vivement ; tu oublies donc que tu m'as donné le bap¬
tême? Oh! non, je ne commettrai plus le mal. » Un
autre disait : « Quand on est chrétien, comment peut-on
encore offenser le bon Dieu? » Puis, s'adressant au reli¬
gieux qui l'avait converti : « Mon père et ma mère, qui
m'ont donné ce corps, destiné à la destruction, je les
aime; mais toi qui m'as ouvert le ciel, qui m'as donné
ce que je sens dans mon cœur, comment ne t'aimerais-je
pas? »
L'épiscopat de Ms1' Douarre ne fut pas long. Son zèle
d'apôtre ne connaissait guère d'obstacles ; il voulait se
dépenser entièrement pour ses brebis et leur sacrifier
sa vie. Dieu, touché de sa générosité, ne tarda pas à l'en
récompenser en lui donnant le bonheur qui ne finit pas.
Une redoutable épidémie sévissait au milieu d'une
peuplade avec tant d'intensité, qu'en dix jours elle avait
moissonné le dixième de la population. Le péril qu'on
courait en allant visiter les indigènes n'arrêta pas le
bon pasteur. La veille de Pâques, il se rendit au mi¬
lieu de la tribu pour baptiser un grand nombre de ca¬
téchumènes et consoler les malades. Il en rapporta le
germe de la maladie qui devait lui ouvrir le paradis
(27 avril 1853).
Nous trouvons dans une lettre du P. Montrougier
les touchantes paroles que l'évêque voulut adresser aux
L'OCÉANIE
138
indigènes à son lit dë mort : « Jô vais
iiiais je më Souviendrai dé vous dans
bientôt mourir,
le ciel; au plus
fort des persécutions que vous iïië faisiez subir jé vous
aimais tendrement, et toujours je vous chérirai. Je vous
appelle à mes derniers moments pour vous témoigner
encore moti amour, et vous é&hortèr de nouveau à vous
convertir. Vous mourrez aussi un jour; vous paraîtrez
devant le souverain Juge, qui bientôt sera le mien. Con¬
vertissez -vous, devéhez chrétiens et bons chrétiens.
Quand vous vous trouverez dans l'état où je suis, vous
aurez une grande joie d'être à Dieu. Pour vous, mes
amis, redoutez l'hedrë suprême; la seule penëée de la
mort vous fait trembler; moi je ne veux que ce que
veut le Seigneur, et je ne suis pas fâché de quitter cette
vie si pleine dè misères. Je n'ai qu'un seul regret, c'est
dé ne pas vous voir tous chrétiens. »
Des adieux si émouvants ébranlèrent Ceùx qui les re¬
çurent. Les uns se convertirent,
les autres cessèrent de
persécuter.
Depuis dix-huit ahs les missionnaires du pays, tou¬
jours soutenus par les exemples, les bénédictions et le
crédit de leut premier évêque ; ont fait de généreux ef¬
forts pour continuer le bien commencé au prix de tant
de sacrifices. Ils ont fondé près du chef-lieu de la colo¬
nie un établissement agricole de quatre mille hectares
avec deux villages : la Conception et Saint-Louis. C'est
l'île les indi¬
terminer leur instruction
religieuse; les aedoutumer au trâVail dés champs, leS
renvoyer ensuite dans leurs tribus avec des habitudes
là
qu'ils appellent de toutes les parties de
gènes déjà catéchisés, pour
chrétiennes et la volonté
de propager autour d'eux
l'amour de la vérité.
En 1874, Msr Witt, vicaire apostolique de là NouvelleCalédonie, donnait sur son diocèse de précieux rensei¬
gnements (Annales de la
Propagation de la foij mars
L'OCÉANIE
139
et mai
1875). Depuis cette époque la colonie a subi bien
épreuves. Des désastres financiers, l'insurrection
des Canaques, la sécheresse, l'inondation, les saute¬
relles un terrible cyclone, ont successivement ruiné le
pays ; mais les pages qu'on va lire n'ont rien perdu de
des
,
leur valeur.
On compte
dans la Nouvelle-Calédonie et ses
dépendances1) six espèces de populations plus ou moins
différentes les unês des Uutres : les indigènes -, les trans¬
portés ou forçats, les déportés, la population libre, les
«
.i.
travailleurs noirs
Métis.
venus
du
dehors, et enfin les métis.
Jusqu'à présent cette population est peu
nombreuse dans le vicariat. Il n'y a guère que trente ans
que les blancs ont pu avoir quelques rapports avec les
indigènes. Depuis une vingtaine d'années, ces rapports
sont devenus plus fréquents, et des alliances plus ou
moins régulières ont été contractées entre les deux races.
Nous commençons à voir surgir autour de nous toute
une génération de jeunes métis. Si nous ne
parvenons
pas à leur donner une bonne éducation, ils deviendront
rapidement la plaie du vicariat. Ils ont, me disent sou¬
vent les vieux missionnaires, les vices des deux races
dont ils dont issus, et n'en ont pas les qualités.
« Le sèul remède sera de les réunir défis
quelques
orphelinats tenus par les frères ou par les soeurs.
« Travailleurs rtoirè.
Ce qui manque le plus à la
colonie, au point de vue temporel, ce sont les bras. Sor¬
tez le Calédonien de son pays, il luttera de travail, dè
force, d'intelligence et d'adressé avec tous les ouvriers
de sang noir; mais chez lui il vit de peu, et n'aime pas
la fatigue.'Aussi ri'est-ce pas sans difficulté que les co¬
lons peuvent le déterminer à se mettre à lëur service, et
généralement il a horreur de tout engagement un peu
«
—
—
Les dépendances actuelles de la Nouvelle-Calédonie sont :
nord-ouest, les îles Bélep; à l'est, les Loyalty et l'île dès PittS.
1
au
L'OCÉANIE
140
libérés ont de la peine à se remettre à
cette difficulté, qui
n'est guère moindre chez les forçats en cours de peine,
ceux-ci ne sont cédés que difficilement par le service
pénitentiaire. De là pour la colonie l'obligation d'enrôler
long. Les forçats
travail sérieux et régulier; outre
un
des travailleurs
étrangers.
de Bourbon, des
Indes, de Chine, des Nouvelles-Hébrides, et je pense
qu'ils sont déjà deux à trois mille en Calédonie.
vient de toutes parts :
«
Il
«
Le sort de ces pauvres gens, au
nous
en
point de vue reli¬
gieux et moral, m'inspire la pitié la plus profonde. Sou¬
mis à un règlement qui les rend fort dépendants de leur
engagiste, ils ne peuvent guère se réunir par groupes
heures et dans des lieux déter¬
le prêtre une espèce d'impossi¬
bilité de s'occuper de leur évangélisation. Comment
faire, d'ailleurs? Ils diffèrent presque tous de religion,
de mœurs et de caractère, parlent des langues diffé¬
rentes, et ne résident pas assez longtemps dans la
colonie pour qu'il soit possible au missionnaire d'ap¬
prendre leur langue ou de leur enseigner la sienne.
Quant à leurs dispositions, elles sont aussi fort va¬
riées. Les noirs ne paraissent pas éloignés de la reli¬
gion et pourraient être aisément convertis. Il n'en est
pas de même des Malabars, presque tous adorateurs de
Bouddha, presque tous aussi de la race dégradée et mé¬
prisée des pauvres; ils sont ivrognes, débauchés, men¬
teurs, voleurs et fanatiques. Pourvu qu'ils soient fidèles
à s'abstenir de la viande de bœuf, le reste passe facile¬
ment à leurs yeux pour une peccadille.
Population libre. — Cette population se compose de
peu nombreux, à des
minés. Il en résulte pour
un
«
,
«
colonies, de quel¬
Chinois, et en majorité d'hommes de race blanche
venus de toutes les parties de l'Europe, ainsi que de
l'Amérique et de l'Australie. Il m'est impossible d'en
mulâtres de Bourbon et de nos autres
ques
L'OCÉANIE
141
indiquer le nombre précis : peut-être n'est-il pas éloi¬
gné de huit à dix mille.
« Les
Français sont naturellement les plus nombreux.
Les soldats, marins, commissaires, employés de toute
espèce, forment un contingent de près de trois mille
personnes.
Presque tous sont catholiques par la naissance.
Quelques-uns sont bons chrétiens, et il existe même
dans la colonie un assez bon nombre de femmes sincère¬
«
pieuses. Toutefois on ne saurait nier que l'indif¬
religieuse ne tienne encore, hélas! une trop
large place.
«
Après les Français, ce sont les Irlandais qui do¬
minent par le nombre; puis viennent les Anglais, les Alle¬
mands, les Italiens. Généralement les Irlandais et les
Italiens sont catholiques; les Anglais et les Allemands
sont protestants.
«
Jusqu'à présent, toute cette population a été soignée
ment
férence
spirituellement par la mission proprement dite. Répan¬
dus çà et là sur toute la surface de la colonie, ses mem¬
bres, quand ils recourent au prêtre, s'adressent au mis¬
sionnaire le plus rapproché de leur résidence, et assistent
à la messe dans son église avec les noirs dont il est
chargé...
«
Transportés. — Une des questions sociales les plus
difficiles à résoudre pour l'État moderne, c'est la conduite
à tenir vis-à-vis des citoyens frappés par la justice cri¬
minelle de leur pays. Comment faut-il les traiter dans
les prisons et dans les bagnes, pour les châtier et les
moraliser tout ensemble, les punir et les relever? Que
faire d'eux à l'expiration de leur peine, et comment les
faire accepter par la société au sein de laquelle ils vont
être de nouveau obligés de vivre?
« Jadis la
religion catholique résolvait ce problème,
comme beaucoup d'autres de ces difficultés sociales,
L'OCÉANIE
142
lesquelles vient échouer toute la bonne volonté de
gouvernants. Le prêtre avait toujours accès dans
les prisons, et toujours il était reçu par les gardiens
avec le respect de la foi et la reconnaissance due à
l'homme qui venait partager et alléger leur tâche. 11 y
avait un aumônier général des galères de France, et
chacun sait quel bien fit aux galériens, en cette qualité,
le grand saint Vincent de Paul.
« Les
temps sont, hélasl bien changés. Les nations
modernes ont plus ou moins cherché à se passer de
Dieu, et, la base de l'édifice étant enlevée ou ébranlée,
contre
nos
la construction tout entière vacille et croule.
tout est fort embarrassé de ses
L'État
sur^
condamnés. Le bagne et
prison les démoralisent au lieu de les relever, et ils
général, dans la société régulière plus
mauvais qu'ils n'en étaient sortis. La conséquence naturelle, c'est qu'ils se voient repoussés de tous les hon¬
la
rentrent, en
dans leurs an¬
du bagne pour
y devenir pires encore. C'est un véritable cercle vicieux,
auquel il est impossible d'échapper.
Pour tout autre que pour la charité catholique, cette
plaie est inguérissable et insupportable à voir. La pro¬
testante Angleterre a cherché la première à se débar¬
rasser du spectacle, et à transporter ses condamnés dans
quelque île lointaine où l'État en tirerait le parti qu'il
pourrait, les favoriserait même de quelque établisse¬
nêtes gens, ne tardent pas à retomber
ciennes fautes, et reprennent le chemin
«
honnête si e'était
possible, mais, en tout cas, en
patrie. Plusieurs autres nations, et la
nôtre en particulier, ont imité l'Angleterre.
« Peut-être y aurait-il bien des réflexions à faire sur
ce système, sa-moralité et les résultats probables , tant
pour la mère patrie que pour les colonies que l'on
cherehe à fonder avec de pareils éléments ; mais ce n'est
pas ici le lieu.
sed. en
ment
délivrerait la mère
L'OCÉANIE
«
La France
a
choisi d'abord
143
Cayenneet la Guyane, et
enfin la Nouvelle-Calédonie pour colonie pénitentiaire.
Les forçats y subissent la peine à laquelle ils ont été
condamnés, et passent ensuite dans le pays, en qualité
de libérés, un temps égal à la durée de leur châtiment.
Les
transportés (en cours de peine ou libérés) forment
ne doit pas être éloignée du chiffre
de huit mille. Plusieurs même, parmi les libérés sur¬
tout, ont obtenu de faire venir ici leurs familles, ce qui
augmente encore le nombre des personnes vivant sous la
«
une
population qui
direction du service
pénitentiaire.
forçats en cours de peine sent répartis en trois
ou quatre grands pénitenciers, et
quinze ou yingt camps
yolants destinés à loger des travailleurs, dont le chiffre
moyen est de cent à cent cinquante hommes par,groupe.
« La
plupart des forçats sont catholiques; aussi l'État
leur procure des aumôniers,. Ils sent aujourd'hui au
nombre,de..,sept, mais ils peuvent à peine gyffire à la
«
Les
besogne.
.
«•Certes,, lorsqu'ils sont venus en Calédonie, les pères
maristes ne.songeaient pas à l'œuvre des forçats, et
pedt.-être. plusieurs d'entre eux eussent reculé devant
la,difficulté, de ce.ministère. Mais Dieu fait bien
ce. qu'il
fait, et-rien ne vient si clairement de sa volonté que ce
qui ne vient en aucune façon de la nôtre. Aussi nos
vaillants aumôniers s'occupent-ils. avec zèle de leur mi¬
nistère., et.leurs peines ne sont pas sans résultats- Les
transportés reçoivent hien le prêtre, C'est une des rares
figures, amies qu'ils, rencontrent, et, tout dégradés que
soient beaucoup M'entre eux , leur cœur n'y;est pas in¬
sensible. 11 est rare qu'un forçat catholique refuse les
derniers sacrements. Parmi les plus impies.ceux qui
seProuvent au bagne par. suite de leur conduite pen¬
dant la Commune, les deux tiers à peu près se sont con¬
fessés avant de mourir...
.
,.u
L'OCÉANIE
144
Déportés. — Si le transporté reçoit généralement le
prêtre avec sympathie, il n'en est pas de même
porté. Le transporté sait qu'il est coupable : s'il ne
confesse pas toujours au dehors, il se l'avoue du
moins à lui-même. Il se sent méprisé du reste de la
société, et du déporté lui-même, qui est très blessé de
lui être comparé. Aussi, quand ce pauvre forçat voit un
prêtre venir à lui avec une figure compatissante et des
paroles d'amitié, il ne peut s'empêcher d'en être
et son cœur, malgré lui, s'ouvre à la confiance. Le dé¬
porté, au contraire, est fier et orgueilleux de sa faute.
Il se pose en martyr, et se regarde comme un esprit
supérieur, seul capable de remédier aux maux de
société contemporaine. Il est vaincu, non humilié, et
attend avec une impatience fébrile le jour de la re¬
«
du dé¬
le
touché,
la
vanche.
vrai, surtout des coryphées de la secte, de
qui ont été condamnés à la déportation dans une
enceinte fortifiée, et qui habitent aujourd'hui la pres¬
«
Gela est
ceux
soli¬
qu'île Ducos. Ils vivent en impies et meurent en
daires. Ceux mêmes qui dans un autre milieu rece¬
vraient volontiers le prêtre pour se préparer à paraître
devant Dieu, ne peuvent échapper au triple rets de leur
passé, de leurs tristes engagements et de leurs faux
amis...
religion des indigènes. — Il est
presque impossible de savoir au juste le nombre des in¬
digènes qui peuplent la Nouvelle-Calédonie et ses dé¬
pendances. Au moment où mon vénéré prédécesseur,
Mer Douarre, amenait dans ce vicariat les pères de la
société de Marie, les Canaques, comme on les appelle,
s'élevaient à plus de cinquante mille. Aujourd'hui la
population atteint à peine la moitié de ce chiffre. Dix
à douze mille appartiennent à l'île des Pins et aux
«
Nombre, origine et
Loyalty.
L'OCÉANIE
Quelles sont les causes de cette dépopulation aussi
étonnante que douloureuse? Personne n'a
pu me les
indiquer d'une manière précise. On m'a signalé les
«
guerres, les
duits par les
épidémies, les maladies et les vices intro¬
Européens, les usages de la civilisation mis
en pratique sans aucune des
précautions hygiéniques
ou médicinales
qu'ils rendent nécessaires; la transmis¬
sion héréditaire des maladies de
poitrine, que les causes
précédentes ont multipliées; l'infériorité remarquable
du nombre des
femmes, la diminution des naissances
parmi les païens, les unions entre parents, etc. Quoi
qu'il en soit, le fait de la dépopulation est incontestable,
en Calédonie
surtout; les décès l'emportent, chaque
année, de près de moitié sur les naissances...
«
D'où sont venus originairement les habitants de
nos îles? De
quelle race d'hommes descendent-ils? Par
quelles circonstances ont-ils été jetés sur nos côtes? C'est
ce qu'il est à
peu près impossible de dire. On le découvre
encore çà et là dans la tradition de certaines
tribus, en
ce qui les concerne
elles-mêmes; mais ces souvenirs ne
remontent pas à plus d'un siècle ou d'un siècle et demi.
Si on étudie l'extérieur de ces
peuples, leur teint, leurs
traits, leurs mœurs, ils sont loin d'être les mêmes; tout
semble indiquer des croisements successifs à travers les¬
quels il est difficile de se reconnaître. L'Arabe, le nègre,
le Juif peut-être leur ont fourni des éléments
constitutifs,
physiques et moraux, dont il semble qu'on retrouve des
traces plus ou moins
apparentes, selon les tribus. On
rencontre surtout un grand nombre
d'usages tirés de la
religion judaïque, tels que la circoncision, les impuretés
légales, le mariage entre beau-frère et belle-sœur
veuve, etc.
« Les
indigènes sont
catholiques, protestants, païens
apostats. Les premiers sont à peu près dix mille; les
seconds, au nombre de six mille, habitent presque tous
ou
7
L'OCÉANIE
146
Loyalty, et spécialement l'île de Lifou. Les
plus particulièrement sur la grande terre.
« Je n'entrerai
dans aucun détail sur la
les
derniers
sont
païenne de nos indigènes. Comme ils n'ont
ni prêtres, elle est, au premier abord, assez
religion
ni temples
difficile à
étude plus approfondie de leurs usages
apprend qu'ils reconnaissent des êtres supérieurs à
l'homme et vivant dans un autre monde; ils les nomment
génies, esprits des hommes, c'est-à-dire âmes des morts.
saisir. Mais une
nous
esprit plus puissant, qui
n'est ni génie ni esprit de l'homme. Ces esprits ont pour
représentants terrestres certains sorciers auxquels ils
communiquent une partie de leur puissance : l'un fait
la pluie, l'autre la sécheresse, l'autre la maladie ou la
mort, la défaite ou la victoire, etc. Si vous portez sur
reconnaissent en outre un
Ils
votre corps
leurs talismans
merveilleux, vous devenez
invulnérable aux zagaies de l'ennemi, etc.
« Obstacles à la conversion des indigènes. — La crainte.
Il n'était pas rare, il y a peu de temps encore, d'en¬
tendre les naturels dire aux missionnaires : « Nous ne
—
«
pouvons pas
«
«
«
écouter ta parole
(religion), nous avons
pris celle des soldats. Si nous prenions la tienne, le
gouverneur enverrait ses soldats qui nous tueraient,
brûleraient nos cases et détruiraient nos plantations. »
souvenaient et tremblaient.
vrai que, pendant sept à huit ans, la reli¬
gion catholique a subi dans la Nouvelle-Calédonie une
véritable persécution. Il s'agissait de la remplacer par
Hélas! les pauvres gens se
«
Il est trop
phalanstère ou par la loge maçonnique. Ruse et force,
promesses et menaces, terreur et cupidité, on n'a rien
épargné pour ruiner le catholicisme au profit de la
secte, et empêcher les indigènes d'écouter la voix des
le
missionnaires.
«
Ce serait une
curieuse histoire que
persécution savante, organisée à
celle de cette
la Julien l'Apostat, en
L'OCÉANIE
147
français et
en plein xix° siècle. On y reconnaîtrait
plus cet esprit d'intolérance, caractère propre
de l'erreur, laquelle ne
manque pas en même temps de
vanter hypocritement la liberté, et de crier contre l'ex¬
clusivisme catholique. On y verrait, comme à l'ordi¬
naire, la haine satanique de certains hommes contre
l'Église, et la protection de Notre-Seigneur Jésus-Christ
sur ses
serviteurs, la récompense finale des bons et la
punition des méchants, la bassesse de certains valets du
pouvoir et la grandeur d'âme cachée où on ne l'attendait
pas. Ce serait un intéressant spectacle, où se mêleraient
le tragique et le
comique, le ridicule et l'admirable. Les
bornes de ce compte rendu ne me
permettent pas cette
pays
une
fois de
revue
rétrospective...
Après huit années, la mission est sortie enfin de
cette longue lutte, blessée et meurtrie sans
doute, mais
non pas'morte, et
prête à réparer ses nombreuses pertes.
Plusieurs postes étaient
détruits, un grand nombre de
catéchumènes nous avaient abandonnés; les
apostats se
comptaient et se comptent encore par milliers. Ce sont,
jusqu'à présent, les plus rebelles à l'action des mission¬
naires. Ils pratiquent plus volontiers ce
qu'on leur
avait présenté comme la
religion des soldats, et ce ne
sont pas les plus sobres ou les moins
débauchés que l'on
entend s'écrier : « Moi
Canaque, moi soldat; moi pas de
« la
religion des missionnaires »
«
Il faudra peut-être
longtemps encore pour que ces
souvenirs et ces craintes
disparaissent
«
complètement de
l'esprit des indigènes.
«
L'influence anglo-protestante. — Dieu me garde de
venir ici, par un sot
amour-propre national, dénigrer
l'Angleterre et reprocher à ses enfants ce que peut-être
nous ferions à leur
place. Cependant ce ne sera ni une
calomnie ni une médisance de
rappeler qu'un grand
nombre de ses fils sont véritablement
aveuglés par le
L'OCÉANIE
148
fanatisme
contre ses
protestant. Crier contre l'Église romaine,
missionnaires, contre la France, qui est en¬
champions du
aujourd'hui un des plus vaillanls
catholicisme dans le monde, c'est l'usage
core
ordinaire des
prédicants anglais et de leurs teachers (maîtres), et l'on
peut être sûr que, partout où ils mettront le pied, ni la
France ni l'Église ne s'en trouveront bien.
« Autre n'est pas leur conduite dans ce pays. Ce sont
exemple, qui dominent dans les Loyalty. Eh
paix solide n'a pu s'établir entre catho¬
liques et protestants. A Maré, les catholiques ont été for¬
cés de s'expatrier, et attendent encore, à l'île des Pins et à
Lifou, que l'heure du retour ait sonné. A Lifou, les mi¬
nistres et leurs teachers se sont efforcés d'imposer à tous
les habitants une législation protestante dont le résultat
le plus clair était de mettre les tribus dans les mains des
ministres. Le peuple a résisté, mais peu s'en est fallu
que ce ne fût le signal de grands combats. A Uvéa, la
guerre a éclaté deux fois en trois ans, et, au moment
où je vous écris, la paix n'est pas encore sérieusement
établie. Néanmoins notre gouverneur, le colonel Alleyron, est un homme droit et énergique, et je ne doute pas
qu'il ne vienne à bout de l'imposer par son autorité.
Comme il arrive ordinairement, Dieu a fait tourner
toutes ces difficultés à sa gloire et au profit de son Église.
De Maré, les catholiques étaient partis au nombre de
deux cent cinquante, mais sept cent cinquante païens
les accompagnaient; ceux-ci se sont convertis presque
tous, et avant peu de temps ce seront huit cents catho¬
liques au moins que je reconduirai dans leur patrie.
A Lifou, la population protestante n'a pas suivi
l'impulsion de haine donnée par certains teachers, venus
de Maré ou d'ailleurs. La paix règne entre catholiques
et protestants. Dieu aidant, et sa sainte Mère, cette mis¬
sion nous donnera un jour de grandes consolations.
eux, par
bien, jamais une
«
«
L'OCÉANIE
149
Aujourd'hui elle n'a guère
que mille catholiques répan¬
grande étendue de territoire...
«
Multiplicité des langues. — Si jamais le don des
langues a été nécessaire, c'est assurément aux mission¬
naires de la Nouvelle-Calédonie et de ses dépendances.
Il se parle peut-être plus de vingt langues dans le
vicariat. Souvent les tribus les plus voisines ne se com¬
prennent pas, et le même missionnaire, dans la même
église, est contraint d'employer quelquefois plusieurs
idiomes. Il est aisé d'imaginer quelles difficultés résul¬
tent de là pour la prédication.
« Il
n'y a qu'un moyen de remédier à cet inconvé¬
nient, c'est d'amener les Canaques à parler une seule
et même langue. Il est évident que ce doit être le fran¬
çais, puisque nous habitons une colonie française.
«
Difficultés des communications. — C'est ici une dif¬
ficulté majeure, soit pour les missionnaires locaux, soit
pour les administrateurs généraux du vicariat.
«
Les premiers ont à desservir des stations dont le
périmètre est très considérable; et telle est la configu¬
ration habituelle du terrain, qu'ils ne peuvent faire
autrement qu'à pied les courses les plus longues et les
dus
sur une assez
plus fatigantes.
« Les
indigènes sont épars, le long du rivage ou dans
les montagnes, par familles de vingt, trente ou qua¬
rante personnes. Il n'est pas possible d'appeler plus de
quatre ou cinq fois par an, au chef-lieu de la station,
les gens valides, et d'ailleurs les malades ne pourraient
y venir. Le missionnaire est donc obligé de se rendre
dans la tribu, et de célébrer la messe à tour de rôle
dans des chapelles particulières.
«
Les scandales de la
civilisée ressemble
ses
scories
sur
blanche.
—
L'humanité
beaucoup à la vaste mer, qui jette
plages les plus lointaines. Les îles de
pas échappé à cette loi; leurs premiers
les
notre océan n'ont
race
L'OCÉANIE
ISO
caboteurs et habitants blancs étaient de véritables ban¬
dits. hommes de
et de
corde, venus de toutes les
nations, et rejetés de toutes comme leur honte. Voleurs,
sac
impies, cupides, libertins, ivrognes, ils lie connaissaient
pour leurs passions aucune espèce de frein, ni divin ni
humain.
Ces hommes ont
disparu ou disparaissent tous les
jours : les uns se sont fait tuer par les Canaques, qu'ils
maltraitaient; les autres fuient devant l'ordre et la reli¬
gion, comme les ténèbres devant les rayons du soleil.
« Il est aisé de
comprendre que de pareils exemples
ne donnent pas à nos indigènes une haute idée des
«
moeurs
chrétiennes et civilisées. Néanmoins
ce
n'est pas
là le scandale de la
race blanche que j'ai dessein de si¬
gnaler ici. J'entends, par ce mot, le scandale qui a pour
but direct d'empêcher la conversion des noirs, ou même
de ramener ceux-ci à l'apostasie et au paganisme. On
peut nommer celui-ci scandale de faiblesse, dé cupi¬
dité ou de malice, selon les sources diverses dont il
procède.
«
Les uns, en effet, s'opposent à la conversion des
noirs ou plutôt des négresses, pour satisfaire plus libre¬
ment de honteux penchants.
« D'autres colons regardent volontiers les noirs comme
formant une racé inférieure, qui n'existe absolument
Telle ne saurait
fois à l'école de
celui-ci, le noir apprend à connaître sa dignité de chré¬
tien, ses droits d'homme, et il sait qu'il a trouvé un père
pour le patronner et le conduire.
Ce n'est pas l'affaire des cupides, et ils se joignent
que pour être exploitée par lés blancs.
être la pensée du missionnaire. Une
«
volontiers
aux
débauchés, afin de détruire toute influence
du missionnaire
«
auprès des indigènes.
s'opposent au catholicisme par une
D'autres enfin
passion antireligieuse, par une véritable
haine de sec-
L'OCÉANIE
religieuse ne leur paraît propre qu'à
engendrer des divisions et des querelles.
« On
comprend que ces trois sortes de gens sont loin
do penser avec les païens eux-mêmes, tels que Plutarque
et Cicéron, « qu'il serait plus facile de bâtir une ville
« dans les airs qu'une société sans religion. »
taire... L'idée
Les mœurs et coutumes
«
d'indigènes ne peuvent se
certains usages,
plus ou
païenne.*
Avant l'introduction du
«
de
païennes.
Grand nombre
christianisme, les habitants
îles étaient renommés,
nos
—
déterminer à l'abandon de
moins singuliers, de la vie
parmi tous les peuples
leur barbarie, leur cynisme et leur
dégradation. Hommes et femmes vivaient un peu à
l'aventure, tantôt en plein air, tantôt dans des cases
couvertes d'herbes sèches, ornées à l'extérieur de crânes
et d'autres ossements humains, venant d'ennemis vain¬
sauvages, pour
cus
et
mangés.
L'anthropophagie était ici en pleine vigueur. Ra¬
rement sans doute les Canaques mangeaient ceux de
leur tribu; ce fait était considéré comme un crime, et
les chefs qui s'en rendaient coupables habituellement
étaient regardés comme des tyrans. Néanmoins, dans
les cas extraordinaires, si quelque fête se présentait, si
un visiteur de marque arrivait dans la tribu, un coup
de casse-tête sur quelque jeune homme ou quelque
femme avait bien vite pourvu aux frais du festin. Ordi¬
«
nairement c'étaient les
gés.
«
ennemis qui étaient tués et man¬
Nos moutons, à nous, sont en
» di¬
récem¬
Calédonie,
saient les habitants de l'île des Pins à nos pères,
débarqués avec quelques brebis. Enfermés dans
comme dans un repaire inabordable, à cause des
récifs qui l'environnent, ils partaient le jour sur leurs
pirogues, tombaient pendant la nuit sur quelques vil¬
lages de la côte, s'emparaient des femmes, emportaient
ment
leur île
L'OCÉANIE
132
les cadavres des
hommes, et ainsi enrichissaient tout
ensemble leurs sérails et leurs fours.
«
Quant à la morale proprement dite, c'est à peine
si l'on peut
dire que nos indigènes en connaissaient les
premiers éléments. Paresseux, cupides, voleurs et li¬
bertins, ils ne se faisaient aucun scrupule de s'aban¬
donner à leurs passions. Ils respectaient la femme
d'autrui; mais c'était moins par vertu que par crainte
du casse-tête.
«
J'ai dit la
femme d'autrui, mais c'est
misme. Il est bien difficile de considérer
légitime
une
souvent dès
femme donnée par
naissance, et sans
sa
par
comme
euphé¬
épouse
ses propres parents,
que
jamais
sa
volonté
ait été
consultée; une femme que le mari peut renvoyer
quand bon lui semble, ou qui le quitte elle-même pour
en prendre un autre, si celui-ci,
par lui ou par les siens,
est assez fort pour la défendre.
«
D'ailleurs, cette situation est conforme à toutes les
pensées de ces barbares sur la femme. C'est un être in¬
férieur, esclave de l'homme. Travailler, nourrir et soi¬
gner la famille, pendant que le mari est à la chasse ou à
la pêche, c'est son lot. Malheur à elle si elle cherchait
à s'y soustraire, ou si elle ne témoignait pas à l'exté¬
rieur sa soumission profonde! un coup de zagaie ou de
casse-tête l'aurait vite rappelée à son devoir. Aussi estelle toujours tremblante en présence de ses tyrans; et, si
elle est obligée de passer devant un homme, et surtout
devant un chef, elle ne le fait que profondément courbée
et par un
long détour.
pareilles conditions,
Dans de
on comprend que la
propriétaire. Plus le
Canaque a de femmes, plus il a d'esclaves pour le nour¬
rir; de là l'usage invétéré de la polygamie, surtout pour
«
femme est
une
richesse pour son
les chefs.
«
Grâce à
Dieu,
nos
néophytes n'ont plus
ces cou-
L'OCÉANIE
1S3
sauvages, et par contre-coup elles diminuent
chez les païens eux-mêmes. L'anthropophagie a disparu
tûmes
près. Mais la polygamie existe encore, surtout
parmi les chefs, et constitue un grand obstacle à la
à peu
conversion des naturels.
»
apostolique de la Nouvelle-Calédonie com¬
prend les îles adjacentes, les groupes de Bélep, des
Loyalty et les Nouvelles-Hébrides. Ce vicariat possède
dix-huit églises en pierres, en briques ou en torchis;
dix-sept chapelles en paille, treize presbytères et des
huttes qui servent à loger les missionnaires. Il est en¬
tièrement administré par les pères maristes, qui font
tant de bien en Océanie. Leur congrégation compte dans
ce nouveau monde quatre évêques, cent missionnaires
et plus de cinquante frères. Six ont déjà conquis la
gloire du martyre, et cinq ont disparu, massacrés sans
doute par les sauvages qu'ils étaient allés civiliser.
L'île des Pins, découverte par Cook, est ainsi appelée
à cause de la grande quantité d'arbres de ce nom qui
croissent sur son territoire. Autrefois elle se rattachait
Le vicariat
probablement à la partie sud de la
Nouvelle-Calédonie.
Elle est située à trente milles de son
importante voisine,
présente en général une surface peu accidentée et sté¬
rile, à l'exception d'une lisière assez étroite qui existe
près de la mer. La France a choisi cette île pour y fixer
ses déportés les moins coupables.
M. l'ingénieur Garnier fait de l'île des Pins, dans son
livre intitulé l'Océanie, la description suivante :
«
Quoique si voisine de la Nouvelle-Calédonie,
l'île des Pins n'offre déjà plus d'une façon sensible les
mêmes conditions de climat, de faune et de flore; la tem¬
pérature est ici plus basse et d'une régularité encore
plus grande; l'air est très pur et sec; les pluies assez
fréquentes, mais de peu de durée; les orages presque
inconnus; point de marais, partant point de mous...
7*
L'OCÉÀNlE
î 54
tiques; en un mot, c'est peut-être le climat le pluS sain
et le plus agréable qui existe dans le monde. Le long
des petits cours d'eau qui parcourent l'île, on rencontre
des forêts ombreuses et peuplées de ramiers, tourterelles,
perroquets, merles, etc.
« Aussi les
indigènes, ne craignant ni le froid ni les
moustiques, apportent fort peu de soin dans la con¬
struction de leUrS cases. Cependant ils sont aujourd'hui
civilisés, sous l'influence de la mission, qui occupe toutes
les parties de l'île un peu cultivables.
« L'industrie la
plus productive à laquelle se livrent
les indigènes, c'est celle de la culture de nos légumes
d'Europe; les choux, par exemple, peuvent croître ici
toute l'année dans les terrains toujours frais des bords
de la mer; aussi lês gens de l'île des Pins sont-ils, à cet
égard, la providence de Nouméa, quand, aux époques de
sécheresse, les jardins potagers ne peuvent plus rien
produire; les légumes atteigheUt alôrs des prix énormes,
jusqu'à ce que l'on voie arriver du sud une véritable
flotte de grandes pirogues, toutes chargées des précieux
et désirés herbages. Il m'a toujours Semblé, d'après cela,
que des colons, allant faire du jardinage dans ces terres
méridionales, pour les besoins toujours grandissants du
chef-lieu, tout en Se rendant fort utiles, prendraient un
parti profitable pour eux.
« Un des
principaux villages de l'île des Pins est celui
de Gadji, au nord: c'est là qu'un vieil indigène me con¬
firma le passage de l'infortuné là Pérouse dans ces
parages.
«
Dans l'île des Pins
il existe un oiseau
comme en
Nouvelle-Calédonie,
mystérieux, que je n'ai jamais fait
qu'apercevoir au moment où il s'enfonçait rapide darts
un fourré impénétrable; les indigènes le nomment hu'nedâo, et les naturalistes galliraltcs Lafresnayanus. Au
dire des premiers, le mâle et la femelle sont de la taille
L'OCÉANIE
poule : l'un et l'autre sont muets; ils
servent pas non plus de leurs ailes
pour courir à la façon de l'autruche; cependant leur ra¬
pidité est proverbiale parmi les insulaires, et ils ont une
d'une très grosse
ne
volent pas, ne se
oreille très fine. Dans le
sable, qu'il retourne avec ses
pattes, le hunedio trouve les vers, les tolitres, etc., dont
nourrit. Le bec est rouge,
le
long se ba¬
chaque pas de l'animal ; le mâle seul porte une
huppe. La femelle pond une dizaine d'œufs blancs, ta¬
il
se
cou assez
lance à
chetés de noir.
«
L'île des Pins contient environ huit cents habitants:
gouvernés par une jeune fille, que les Européens
la reine... Cette reine habite le petit
village d'Ischa; son palais est une longue chaumière
basse, entourée d'une barrière en très mauvais état et
de quelques cocotiers ; elle est la fille de l'ancien chef.
A la mort de son père, il y a environ quinze ans, elle
n'était qu'une enfant : il fut cependant décidé qu'on ne
remplacerait pas le chef, et qu'un régent gouvernerait
jusqu'à la majorité de l'infante.
« Les missionnaires ont fait faire ici de très grands
progrès à la civilisation : les indigènes sont tous con¬
vertis; ils ont une école dirigée par des sœurs, et une
église en pierre... »
ils Sont
nomment volontiers
CHAPITRE IX
Les
Marquises. — Noukahiva. — Dominique. — Motopu. — Su¬
perstition du tapu. — Des colons sérieux rencontreraient aux
Marquises des éléments de succès. — Les cinq îles Gambier. —
Dans le groupe des Navigateurs ou de Samoa, Upolu se fait re¬
marquer par sa fertilité. —Apia, siège de l'évêché et du gouver¬
nement de l'archipel. — Écoles florissantes soutenues par d'admi¬
rables dévouements.
Œuvre importante et féconde des caté¬
chistes.— Chapelle et collège de Vaca.— Groupe des îles Tokelau.
—
—
Iles Fakafao et Mukunonu.
La Nouvelle-Calédonie n'est pas
des
Français
car
elle étend
Polynésie
le seul établissement
Océanie; la France en possède d'autres,
son empire ou son protectorat dans la
plusieurs archipels, qui comptent dans
en
sur
leur ensemble environ cent mille habitants. Telles sont
:
les
Marquises, les îles Mangareva ou Gambier, celles de
Taïti ou de la Société, avec leurs dépendances, les îles
Pomotou, les Wallis.
En 1842, l'amiral Dupetit-Thouars prenait possession
des Marquises. Ces îles avaient été découvertes, en 1591,
par l'Espagnol Mendana, lieutenant de Mendoza, mar¬
quis du Canete, conquérant du Chili et vice-roi du
Pérou. Il nomma Sainte-Madeleine la première qu'il
aperçut; il appela les trois autres : Saint-Pierre, la Do¬
minique, Sainte-Christine, et désigna le groupe des
quatre îles sous le nom de Marquises de Mendoza, en
L'OCÉANIE
157
l'honneur du vice-roi. II reconnut bien vite la douceur
du
climat, le difficile accès des côtes, garnies de récifs
qualités relatives des habitants.
Cook en 1774, Ingraham en 1791, découvrirent de
nouvelles îles. La principale de l'archipel est Noukahiva,
dont le sol fertile est en général mal cultivé. Là se
trouve la capitale de la colonie. Les Français y ont élevé
le fort Collet, et en avaient fait en 1850 un lieu de dé¬
portation. Ils ont su inspirer confiance aux indigènes.
Les routes se construisent, les terres commencent à
recevoir une meilleure culture, produisent la canne à
sucre, le maïs, le café, les ananas, les oranges, le ricin
et l'arbre à pain. Les bestiaux donnent aux éleveurs de
bons produits ; les Européens laborieux, de conduite
régulière, qui viendraient s'établir dans cas îles loin¬
taines, pourraient s'y préparer un bel avenir.
La population totale des Marquises est de vingt-cinq
mille âmes. A Noukahiva, le nombre des indigènes ne
dépasse pas six mille. Ils obéissent au résident français.
Des écoles, dirigées par les missionnaires et aussi par
les sœurs de Saint-Joseph de Cluny, attirent beaucoup
d'enfants. Un personnel de trois gendarmes et de huit
,
et les
agents de police indigènes suffit pour maintenir l'ordre
et la
paix. Autrefois les
guerres se
renouvelaient fré¬
quemment; mais, comme toujours, le christianisme est
parvenu à pacifier ces natures farouches.
M. l'abbé Desvault, missionnaire apostolique, a évangélisé l'une des îles Marquises, appelée Christine ou
Vaitohu ; il nous fait connaître les mœurs de la popula¬
tion à l'époque où il est allé lui porter les lumières de
la foi.
Les
indigènes sont très superstitieux ; entre eux
simples, généreux et hospitaliers; mais vis-àvis des étrangers ils se montrent menteurs, exigeants et
intéressés; ils n'emploient pas la force pour satisfaire
«
ils sont
L'OCÉANIE
■1S8
leur
convoitise;
ce
sont d'habiles filous pleins d'adresse
pour soustraire aux regards ce qu'ils possèdent. Leurs
cabanes sont bien propres; on n'y voit aucun meuble,
mais ils savent si bien cacher les
objets précieux, qu'il
impossible de les découvrir. Leur donne-t-on
une blouse, Un pantalon ou tout autre vêtement, ils le
font aussitôt disparaître, pour s'en servir dans les jours
de grande cérémonie.
« L'amour de
la guerre, dit le missionnaire, paraît
être leur passion dominante. Pendant notre" séjour, une
des peuplades de Dominique fit une incursion dans la
vallée de Vaitohu appelée Motopu. Les ennemis tuèrent
une femme et blessèrent deux hommes, puis ils se reti¬
rèrent sans avoir éprouvé aucune perte. Le lendemain,
l'ariki (chef de l'île) vint nous raconter ce malheur. Il
nous annonça que bientôt les indigènes de plusieurs
vallées se réuniraient pour attaquer les habitans de la
Dominique et venger la mort de la femme massacrée à
Motopu. Pendant plus de quinze jours les hommes s'y
préparèrent par l'invocation des dieux, par un grand si¬
est presque
lence et des festins où l'on servait
et bananes. Durant
près de notre
de belles
case,
ces
en
préparatifs,
abondance cochons
un
indigène
passa
portant sur le front plusieurs rangs
plumes de coq qui formaient une espèce de
diadème; il était couvert d'un manteau d'étoffe blanche ;
une branche de cocotier pendait en bandoulière de l'é¬
paule gauche au côté droit ; deux touffes de cheveux
attachés au poignet, deux autres au bas des jambes,
complétaient son accoutrement. Il marchait avec len¬
teur, en poussant des gémissements accompagnés de
paroles inintelligibles. On nous dit que c'était un atua
se dirigeant vers la montagne. Atua est le nom donné
par les indigènes à leurs dieux et à leurs prêtres.
« Le
jour du départ, les peuplades amies se réunirent
à la nôtre, avec leurs barques et leurs pirogues. Le cos-
L'OCÉANIE
tume des comballants
iS9
différait guère
de leur vêtement
journalier; seulement les guerriers, armés de fusils,
portaient une ceinture qui contenait leur poudre et leurs
balles. Quand tout le monde fut embarqué, Un insulaire
saisit un porc gras amené sur le rivage, et l'entraîna au
fond de l'eau, pour l'offrir au dieu de la mer ; peu après
il le retira, et les belligérants mirent à la voile.
«
L'expédition dura trois jours, pendant lesquels ils
tuèrent quatre hommes sans qu'aucun assaillant eût
perdu la vie ; un seul reçut une balle à la main, et en
fut quitte pour un doigt de moins. À son fetour, le chef
était fou de joie à cause du succès-qu'il avait obtenu.
Il croyait ses ennemis à tout jamais perdus. « J'enverrai
«
bientôt, disait-il, sur leurs terres des hommes, des
« bœufs, des chèvres
pour en prendre possession. » Les
autres habitants de la Dominique, le Voyant puissant et
riche en poudre et en fusils n'osèrent plus venir l'atta¬
ne
,
quer...
« Nous
avons
été témoins d'une
s'est donnée dans notre
de
fête, parce qu'elle
voisinage. Les femmes, couvertes
jupes blanches, marchaient les premières sur deux
à la suite et dans le même ordre, les hommes
s'avançaient d'un pas grave et lent. Ils arrivèrent ainsi
au lieu de la réunion. Chacun prit sa place. Les prêtres,
rangés en cercle autour de quelques troncs d'arbres
creux qui leur servaient de tambours, les frappaient en
mesure, en y joignant leurs voix et des battements de
mains. D'autres, ornés de plumes de coq, exécutaient
une danse bizarre : de temps à autre on poussait des
cris prolongés, destinés à être entendus de fort loin.
Alors une voix à peu près semblable répondait du mi¬
lieu de la montagne. Quelquefois nous entendions pro¬
noncer le nom d'Atua, ce qui nous porte à croire qu'ils
invoquaient ainsi quelqu'une de leurs divinités, et
qu'elle était censée leur répondre. Les femmes se terangs;
160
L'OCÉANIE
riaient re'unies
en un groupe, à une certaine distance des
hommes, et demeuraient fort tranquilles. A la fin, les
hommes se mirent à pousser des cris
jusqu'à perdre
haleine, et les femmes applaudirent
en
riant de toutes
leurs forces. Pour nous, témoins de ces
extravagances,
gémissions de ne pouvoir encore abolir ces vaines
pompes du paganisme, et leur substituer les saintes
cérémonies de la religion.
nous
«
Si les femmes
se
tenaient loin des hommes et
ne
participaient à la fête que comme témoins, c'est parce
que la place où s'assemblent les hommes est tapu, c'està-dire sacrée pour elles, et qu'elles ne doivent
pas l'a¬
border.
La superstition du tapu les réduit
parfois à de dé¬
plorables extrémités. Une pauvre femme de notre voi¬
sinage souffrait beaucoup des entrailles sans que per¬
sonne se
présentât pour la soulager ou la consoler. Notre
catéchiste, l'ayant vue près de son feu, pleurant et se
tordant à faire compassion, accourut à notre case
pour
lui préparer une tasse de thé. Quand le thé fut
prêt, je
le portai moi-même à la
malade, qui le prit et le posa
près d'elle, en disant qu'il était trop chaud. Quelque
temps après je revins la voir, et je trouvai la tasse à
l'endroit où elle l'avait déposée : elle
n'y avait pas tou¬
ché ! elle n'avait pas pu s'en
servir, parce que l'eau
avait chauffé à un feu tapu. Je priai alors son mari de
m'apporter du feu des femmes, et je fis chauffer la
même tasse de thé : elle la prit alors sans
difficulté, et
se trouva tout de suite
soulagée. Les indigènes aime¬
raient mieux voir périr leurs femmes
que de violer la
loi du tapu pour-les guérir. »
D'après M. Delavaud (exploration de février 1881),
les Français laborieux, de bonne
conduite, donnant
aux
sauvages l'exemple des vertus chrétiennes, réussi¬
«
raient
aux
îles
Marquises, et contribueraient efficace-
L'OCÉANIE
•161
ment à la civilisation du pays. Ils pourraient se nourrir et
s'entretenir à bon marché. Ils se procureraientfacilement,
à des
prix modérés, les bœufs, les cochons, les chèvres,
climat
sain, ils pourraient se livrer au travail sans aucun
danger pour leur santé ; les instruments nécessaires de
culture seraient peu nombreux : des herses, des pelles
et des pioches suffiraient. Les colons trouveraient en
abondance le poisson, les coquillages, les fruits, les
bois de chauffage et de construction. Le gouvernement
pourrait disposer en leur faveur de terrains assez vastes,
fonder peu à peu des villages, et créer des établissements
les moutons et les volailles. Favorisés par un
sérieux dont l'ouverture du canal interocéanien aug¬
menterait l'importance.
Découvertes en 1797 par le capitaine Wilson, les
cinq îles Gambier sont situées à l'extrémité sud-est de
l'archipel Pomotou Depuis 1844, elles se sont placées
sous le protectorat de la France. En 1881, elles deman¬
daient à remplacer ce protectorat par l'annexion.
La plus grande de ces îles se nomme Mangareva. Ses
habitants n'ont conservé aucune notion précise sur leur
origine; leur gouvernement est monarchique , et, avant
leur conversion, ils adoraient de nombreuses divinités
divisées en deux classes, les bons et les mauvais génies.
La création du genre humain était attribuée à l'un
d'eux ; d'autres étaient censés avoir produit le soleil, les
1
1834, deux missionnaires catholiques, MM. Caret et Laval,
ces îles en récitant le Salve Regina. Ils
appartenaient à la congrégation des sacrés Cœurs de Jésus et de
Marie, qui avait été fondée en Poitou dans les plus mauvais jours
du siècle dernier, et se divisait en deux branches : celle des hommes,
dirigée par M. l'abbé Coudrin, et celle des femmes, sous la con¬
duite de M11" Aymer de la Chevallerie. Ces deux branches vinrent
s'établir à Paris, rue de Picpus; de là leur nom de congrégation
de Picpus. Les religieux de cet ordre ont pris une part glorieuse à
l'évangélisation de l'Océanie orientale.
Dès
abordèrent dans l'une de
-102
L'OCÉANIE
vents, les eaux, les nuages, l'arbre à pain. Quelquesfont gronder le tonnerre,
dirigent les orages, causent
les disettes; mais le génie le
plus malfaisant de tous
uns
était le dieu de la mort.
L'homme
besoin du
a
vérités révélées
au
ou
qu'il
surnaturel; quand il ignore les
a cessé d'y croire, il se voue
mensonge, à la sorcellerie et
perstition. C'est
qui arrivait
aux erreurs
de la
su¬
insulaires des îles
Gambier. L'inauguration de leurs idoles se faisait avec
un
cérémonial
A certaines
caché
sous
ce
en
harmonie
époques
on
avec
aux
leur
annonçait la
aveugle crédulité.
venue d'un génie
l'écorce d'un arbre. Aussitôt la foule accou¬
à la nouvelle divinité descendue sur la
rait, et demandait
terre comment elle voulait être honorée. Un
prêtre placé
derrière l'arbre mystérieux répondait aux
questions avec
un son de voix inaccoutumé et
qu'on supposait venir du
ciel. L'assistance émue allait
prévenir le
lait alors les oracles et
roi, qui recueil¬
s'y conformait. Ordinairement on
faisait une statue, et on la
pla¬
coupait l'arbre, on en
çait dans un oratoire sacré complètement interdit aux
femmes. Le prêtre récitait là des
prières ; le peuple ap¬
portait ses dons et ses adorations.
Une idée
confuse, inexacte, du respect dû à l'autorité
entourait l'héritier du trône de soins
nait à son esprit une direction
à
remplir
rait de
sa
sa
inintelligents, don¬
funeste, et le préparait mal
mission. A peine était-il né qu'on le
sépa¬
famille. On le portait sur
une
haute
mon¬
tagne, dans une cabane solitaire, sans autre
compagnie
que celle de sa nourrice et de quelques servantes. Il
grandissait dans cet isolement, et, ail lieu de l'instruire
de
ses
devoirs,
conseiller
des
on
choses, et conduit
son
orgueil, ce détestable
hommes, celle
abîmes. « Votre peuple, lui
qui méconnaît la
disait-on, habite
êtes
nourrissait
anx
son
valeur des
au-dessous de vous, parce que vous
maître et qu'il vous appartient
; un jour vous
L'OCÉANIE
lui commanderez selon votre
vous
;
bon
plaisir, et il vous
regards peuvent embrasser est
votre puissance sera sans bornes, comme l'Océan
obéira. Tout
à
163
ce
que vos
êtes entouré; le ciel et la terre recevront vos
Quand il avait atteint l'âge de quinze ans ; il pre¬
dont
vous
lois.
»
nait solennellement
possession du pouvoir; mais que
pouvait-on attendre d'une si déplorable éducation, et
aussi quelle n'était pas la misère physique et morale
de ces peuplades avant la venue du christianisme!
Heureusement il a pénétré depuis longtemps dans l'ar¬
chipel Gambier; la première église constrirtte en Océanie
s'est élevée en faveur de ses habitants, qui ont compris
les bienfaits de la vérité et s'efforcent de s'en rendre
dignes.
l'importance du sacrement de pénitence,
conduisent leurs enfants à confesse dès le
plus bas âge. Ils assistent aux examens préparatoires
à la première communion, et sont les premiers à de¬
mander un ajournement s'ils ont quelque plainte à for¬
Pénétrés de
les parents
muler.
Avant les communions
générales, les adultes se réu¬
nissent pour s'interroger mutuellement sur les vérités
les plus importantes, et se préparer à répondre aux
questions que le missionnaire leur adressera.
Ils aiment à entendre parler de la religion. De longs
entretiens sur cette divine science ne les effrayent pas.
Un jour, après une conférence qui avait duré trois
heures, les fidèles vinrent trouver le prédicateur pour
lui dire que son sermon avait été trop court, et qu'ils le
priaient de continuer à leur parler.
L'archipel Gambier (Polynésie) fait partie du vica¬
riat apostolique des îles dés Navigateurs, ainsi nommées parce que leurs habitants, à l'époque de la dé¬
couverte, se distinguaient par le nombre relativement
considérable de leurs vaisseaux.
164
L'OCÉANIE
Autrefois les insulaires de ces contrées
massacraient
les voyageurs qui venaient les visiter
; c'est ainsi qu'ils
mirent à mort le capitaine de
Langle, l'un des compa¬
de la Pérouse. Maintenant ses matelots catho¬
liques accueillent avec empressement les
gnons
Nous citerons ici
quelques-unes de
ces
Européens.
îles, quoiqu'elles
n'appartiennent pas à la France, parce qu'elles avoiGambier, et qu'il serait difficile de leur trou¬
sinent les
ver
ailleurs
place.
des Navigateurs ou de Samoa, il faut
distinguer Upolu, île remarquable par la beauté de ses
une
Dans le groupe
sites et la richesse de
son
sept lieues de longueur
rence.
Bordée de
territoire. Elle compte dix-
quatre-vingts de circonfé¬
récifs, elle est entourée d'une mer
sur
paisible qui a brisé au lo.in la fureur de ses flots. La
plage aboutissant au rivage est un terrain sablonneux,
couvert de cocotiers et d'arbres à
pain, associés
à de
grandes pelouses de verdure. Au-dessus des
plaines
s'échelonnent des collines garnies de
frênes, de châtai¬
gniers, d'hibiscus, d'une espèce d'orangers appelés
pam¬
plemousses, entremêlés de lianes qui les tapissent de
verdure et de fleurs. Les
merles, les perruches, les pi¬
geons, les oiseaux-mouches, les
rossignols, les mar-
tins-pêcheurs abondent dans ces forêts et font entendre
fréquents ramages.
Upolu renferme la ville d'Apia, siège du gouverne¬
ment de l'archipel et résidence de
l'évêque. Autrefois
c'était un pauvre village,
composé de cases couvertes de
de
feuilles sèches
roseaux comme
avec
des
palissades de bambous et de
murailles, et ces constructions légères
n'offraient pas de très graves inconvénients dans
pays où il
un
règne un printemps perpétuel, où les arbres
conservent toujours du
feuillage, et où le vol est in¬
connu. Maintenant
l'aspect d'Apia se rapproche de celui
des petites villes
européennes. On y trouve encore beau-
L'OGËANIE
165
coup de maisons construites en bois, mais l'église et les
habitations de luxe ont des murs en pierre et en corail.
Les
pierres de l'archipel sont volcaniques et impossibles
:
pour remplacer la pierre de taille, on extrait de
la mer et on scie des blocs de corail ; les unes sont as¬
sociées aux autres, et les joints sont garnis de mortier
fait avec du corail passé au feu.
à scier
Les missionnaires ont fondé dans
Apia
un
collège de
catéchistes et des écoles florissantes.
L'école des Allés,
dirigée par les sœurs de Notred'Océanie, reçoit plus de cent cinquante élèves,
pensionnaires pour la plupart. Déjà quelques-unes de
ces jeunes filles ont embrassé la vie
religieuse pour
travailler à la conversion de leurs compatriotes. Elles
savent le français, touchent bien de l'harmonium et se
sont préparées, par de sérieuses études, à la carrière
de l'enseigne&ent. Personne ne paye de pension ; cepen¬
dant le nécessaire ne manque jamais. La Providence
pourvoit à tout.
«... Six hommes d'un dévouement à toute
épreuve et
d'une admirable vertu se consacrent, dit Mgr Elloy, à
l'œuvre de la mission1. Ils ont accepté la charge de
cultiver la plantation pour entretenir l'école, sans aucun
profit pour eux-mêmes, sans autre salaire que le vivre
Dame
,
et le couvert. Ils
vie à
se
trouvent heureux de
consacrer
leur
travail.
Chaque jour ils se partagent en deux
les uns vont aux plantations, les autres pré¬
parent la nourriture, car, à Samoa, la préparation des
ce
groupes :
aliments est confiée
aux
hommes. La cuisine
se
fait
en
plein air. Le cuisinier creuse la terre ; dans un trou plus
ou moins
profond il entasse du bois sec, l'allume, et
place sur ce bois des pierres volcaniques grosses comme
le poing. Lorsque les pierres sont bien chaudes, il les
1
Annales de la
Propagation de la foi. Février 1879.
L'OCÉANIE
166
dispose à l'aide d'un bâton, de manière à former un âtre
sur lequel on apporte ignames, taros, bananes, fruits
de l'arbre à pain en quantités proportionnelles au nombre
des convives. Il recouvre le tout de feuilles, puis d'autres
pierres chaudes , et il fait cuire à l'étouffée.
« Pour
apporter quelque variété à ces repas, presque
toujours les mêmes, il y a une pêche autorisée par se¬
maine. Chaque jour les élèves consacrent deux heures à
arracher les mauvaises herbes des
plantations. Quand
c'est jour de pêche, il n'y a pas de travail aux champs;
les enfants s'amusent à chercher les moules et les pois¬
qui accompagneront les ignames et les taros.
ne souffre pas de manque de nourriture ; mais il
est très rare qu'on puisse manger de la viande. Quelque
fête extraordinaire, un baptême, un mariage, un évé¬
sons
«
On
nement heureux en
fournissent seuls l'occasion...
Songeant au petit nombre de missionnaires et à la
quantité d'îles à évangéliser, nous sommes arrivés à
cette conviction que des catéchistes seraient un élément
«
très utile.
«
Pour cette œuvre, nous avons
construit
une
église
collège. Nous les avons placés sur une montagne
élevée, appelée Vaca, située en face du port d'Apia et
près du presbytère. Nos ressources ne nous permettaient
et un
de bâtir à chaux et à sable; chapelle et collège,
en bois, mais d'une solidité capable de braver
une vingtaine d'années. Après ce temps la Providence,
qui a commencé l'œuvre, fournira les moyens de l'ache¬
ver : ce qui s'est fait se fera, et sans nul doute la pierre
remplacera le bois vieilli.
« Les
premiers travaux offrirent un beau spectacle.
J'avertis toute la population catholique, à quatre ou
cinq lieues à la ronde. Mon appel fut entendu. Un vil¬
lage venait, s'installait sous quelques huttes construites
à la hâte, se nourrissait de fruits apportés, travaillait
pas
tout est
L'OCÉANIE
167
pendant cinq ou six jours, puis cédait la plaça à un
autre village, qui s'imposait les mêmes
privations et les
mêmes labeurs. Les missionnaires prenaient leur part
de toutes les fatigues des indigènes, et l'évêque luimême ne rougissait pas de travailler comme un ouvrier ;
nous sommes des
apôtres, et nous nous souvenons des
apôtres. Évêques et missionnaires, nous pouvons tous
dire avec saint Paul : « Vous le savez, pour les choses
«
qui m'étaient nécessaires, et pour ceux qui étaient
« avec
moi, mes mains ont fait l'office de serviteur. »
« Les travaux de la
chapelle et du collège de Vaca se
poursuivirent sans relâche, et sans autre interruption
que celle des jours de fête. Aussi furent-ils achevés
beaucoup plus vite qu'on ne l'avait espéré, tant nos néo¬
phytes mirent de bonne volonté, d'empressement et d'ar¬
deur. Ils furent très heureux de cette œuvre, qui allait
assurer le succès de la lutte de la vérité contre l'erreur,
et donner des aides
aux
missionnaires.
Il restait à réunir les élèves et à
pourvoir à leur en¬
un appel à la po¬
pulation catholique de Samoa, et bientôt arrivèrent des
pirogues chargées. Celle-ci contenait un jeune homme,
futur élève, et des plants de taros et de bananiers à
«
tretien dans les commencements. Je fis
mettre
en
terre. Celle-là
nous
amenait
un
homme marié,
futur élève
nourrir
aussi, avec sa petite famille qu'il faudra
pendant le temps des études. D'autres pirogues
renfermaient le
bois nécessaire à la construction des
pour les hommes mariés; car les bâtiments du
collège étaient réservés aux enfants et aux jeunes gens
non mariés. Cette construction ne demanda ni beaucoup
de frais ni beaucoup de temps. Les poteaux furent cou¬
pés dans le bois voisin ; sur les poteaux on posa des tra¬
cases
verses
ne se
et des
arbalétriers. Pour les relier entre eux, on
servit ni de clous ni de chevilles , mais de Yafa,
sorte de ficelle tressée
avec
de la bourre de
coco.
Sur les
L'OCÉANIE
168
traverses
on
appliqua les
aso : ce
sont des liteaux levés
par couches dans un tronc d'arbre
arrondis avec grand soin. On ne les
à pain, fendus et
emploie que dans
mais il fallait bien faire cet
collège de Yaca. Le tout fut recouvert de
les constructions de luxe ;
honneur
au
meubler ces nouvelles
n'avait
pas oublié d'apporter dans les pirogues, et qui servent
à la fois de sièges, de tables et de lits.
« L'installation ne fut pas longue.
Il fallut ensuite
s'occuper de défricher le terrain pour les plantations.
Les élèves et leurs parents s'employèrent à ce dur tra¬
vail, qui devait rapporter des fruits huit à dix mois plus
feuilles de
cannes
habitations
on
à sucre, et pour
étendit à terre les nattes qu'on
tard.
Jusqu'à cette époque, comment vivra-t-on? On
néophytes voisins ; ils
donneront non seulement de leur superflu, mais de leur
nécessaire : on se contentera de peu, de très peu, quel¬
quefois même on souffrira de la faim, en attendant qu'il
plaise à Dieu de donner le pain quotidien qu'il ne refuse
pas à la prière.
« Parmi les
jeunes gens qui embrassaient cette vie
de renoncement et d'abnégation, plusieurs étaient fils de
chefs. Dans leurs îles, ils auraient eu en abondance la
«
tendra la main à la charité des
meilleure nourriture du pays ;
ils auraient tiré parti du
imposé à leurs subordonnés. A Vaca, ils savaient
qu'il faudrait commencer par travailler eux-mêmes, et
travail
manquer peut-être de ce qu'ils n'avaient pas besoin de
demander chez eux. Leur foi les a empêchés d'hésiter
sacrifices, et ils ont été ces joyeux donneurs
que Dieu aime tant à rencontrer. Dans le principe, ils
dans leurs
qu'une trentaine; ils sont maintenant cent
vingt-cinq, en y comptant vingt-cinq enfanls, de douze
à quinze ans, qui forment comme une école préparatoire
au grand collège des catéchistes, et dont plusieurs étun'étaient
L'OGÉANIE
169
dient le latin pour être plus tard les prépuces d'un
clergé
indigène.
A
«
Vaca, la yie çlu catéchiste est fort ocoppée et
C'est comme un noviciat de trois années,
pne règle sévère, suivie joyeusement
par nos
très édifiante.
avec
Océaniens,
«
On
se
lève avant le jour, et on se rend à
l'église
la méditation; puis on assiste à la messe, qui finit
lever du soleil. La journée se partage en six heures
travaux aux plantations cultivées par les
catéchistes,
pour
au
de
et six heures d'études consciencieusement
employées.
s'agit de former des aides aux missionnaires,
par conséquent des hommes instruits de leur religion
capables de l'enseigner et de combattre avec avantage
les objections des hérétiques. Les
études, à Vaca, sont
dirigées dans ce sens. Les catéchistes ne se contentent
pas d'apprendre pour savoir ; ils apprennent pour en-seigner. Ils écputent le professeur avec la plus grande
attention, prennent des notes et les rédigent. De plus,
ils sont exercés à parler en
public, afin de s'habituer à
donner des explications
claires, précises, et à ne pas
se laisser désarçonner
par les observations des audi¬
«
Il
,
teurs.
«
Les nouveaux venus sont confiés à
un
catéchiste
plus âgé et plus instruit, qui est comme le sous-maître
du directeur, et qui s'acquitte fort bien de sa
charge. La
femme de ce sous-maître, ancienne élève des sœurs,
réunit une fois par jour les femmes des autres caté¬
chistes, et leur fait la classe, pour les meLtre à même
d'aider leurs maris dans la mission
qui leur est réservée.
«
Outre cette fonction de sous-maître, il en est une
autre, non moins importante et non moins honorable,
c'est celle de moniteur. Le
moniteur, nommé par le su¬
périeur, a le droit de donner des avis secrets et même
publics à ceux qui se rendraient coupables de quelque
8
L'OCÉANIE
170
manquement aux règlements extérieurs. Cette pratique,
empruntée aux sociétés religieuses, est très utile pour
corriger les défauts et fortifier les âmes.
« Un
jour, un jeune catéchiste fut repris publique¬
ment pendant le travail des champs. C'était un nouveau
converti : malgré sa générosité, il gardait encore quel¬
que chose de l'orgueil et de la violence de ses premières
années. Sous ce reproche public son orgueil se révolte;
la violence de son caractère éclate, et le malheureux
lève l'outil qu'il tient à la main, comme pour protester
et menacer, puis il se retire du travail. Le repentir sui¬
vit de près la faute. L'église est là; le coupable y entre,
pleure à chaudes larmes et pousse des sanglots. Attiré
bruit, le missionnaire, directeur du collège, ac¬
cause de cette douleur : « Père, je
suis perdu; j'ai désobéi au moniteur, et maintenant
c'est fini 1
Non, mon enfant, une faute peut toujours
être effacée.
Crois-tu, père, qu'il ne m'est pas impos¬
sible de réparer ce malheur? —Je le crois et j'en suis
sûr; tu n'as qu'à demander pardon. »
«
Encouragé par cette parole, le catéchiste retourne
aux plantations et se jette aux genoux du moniteur :
« J'ai
péché par orgueil, dit-il; pardonne-moi, te souve«
nant que je sors à peine de l'hérésie, et que l'hérésie
« n'a fait
que nourrir cet orgueil qu'il faut briser. » Ce
jeune homme, aujourd'hui l'un de nos meilleurs caté¬
chistes, est établi à Pago-Pago, dans l'île de Tutuila.
« Quand les trois mois d'études touchent à leur
fin,
les catéchistes se présentent devant l'évêque ou son
représentant. On leur remet une pièce d'étoffe pour se
vêtir, eux et leur famille1, un beau chapelet et une croix
en cuivre. Cette croix sera portée ostensiblement par les
par ce
court et demande la
—
—
1
Nous n'envoyons comme catéchistes que des hommes mariés.
La femme du catéchiste fait l'école aux jeunes filles du village.
L'OCÉANIE
catéchistes, et deviendra la
marque
171
qui les distinguera
dans la foule.
«
Ce n'est pas tout. Il faut leur désigner le
exercer leur mission. Quelquefois ils
devront
lieu où ils
entendent
île bien
éloignée de leur pays. A ce nom, il
des larmes coulent. N'est-ce pas l'exil
qu'on leur impose? Aux larmes du jeune homme se joi¬
gnent les réclamations et les prières de la famille, in¬
quiète de le voir s'éloigner. Mais, après avoir pleuré, le
catéchiste est le premier à dire à celui qui l'envoie : « Ne
« eédez
pas; j'ai été nommé là j'irai là et pas ailleurs :
«
j'aurais peur autrement de détourner les bénédictions
nommer une
n'est pas rare que
,
«
de Dieu.
»
Que deviendra le catéchiste, envoyé loin de sa fa¬
son peuple? Il sera le serviteur de tous
pour
les gagner à Jésus-Christ. Il habitera ce pays que le
«
mille et de
missionnaire visite tous les trois
quatre mois, parfois
plus long intervalle; il réunira les enfants
pour leur faire l'école, et les adultes pour la prière du
matin et du soir ; il s'en ira vers ceux qui se portent bien
dans l'espoir de les convertir, et vers les malades dans
le dessein de soigner le corps pour atteindre l'âme.
« Au moindre
signe d'un danger sérieux, le catéchiste
songe avant tout à prévenir le missionnaire, et il pré¬
pare le malade à la réception des derniers sacrements.
Si le missionnaire n'a pas le temps d'arriver, le caté¬
chiste ne quitte pas la natte du mourant; il lui suggère
des actes de foi, d'espérance, de charité, surtout de con¬
trition parfaite; et, tant qu'il le peut, il tourne vers le
ciel cet âme qui va quitter la terre.
«
Après le dernier soupir, le catéchiste récite le pre¬
mier chapelet pour l'âme du défunt; il veille à ce que la
prière ne cesse plus autour de ce corps d'un chrétien ;
il accompagne le prêtre présent ou remplace le prêtre
absent, pour rendre à la terre ce qui vient de la terre,
même à
un
ou
l'océanie
472
et pour
mortelle
redeviendra au jour
honorer jusqu'au bout cette dépouille
qui fut le vêtement d'une âme, et le
de la résurrection.
ministère; le di¬
grand jour. Trois fois il réunit les fidèles
à la chapelle ou dans la case qui en tient lieu : il récite
les prières de la messe, en avertissant de s'unir à tel
missionnaire, qui célèbre le saint sacrifice à telle dis¬
tance; après les prières de la messe, il lit l'épître et l'é¬
vangile du jour, puis il fait une exhortation appropriée
à la circonstance, encourageant le bien, blâmant le mal,
et s'élevant courageusement contre les abus.
« Les fidèles savent que le catéchiste est envoyé par
l'évêque; ils l'écoutent avec respect, et croiraient man¬
quer à leur devoir s'ils ne venaient pas l'entendre; ils
tiennent compte de ses avis, et les chefs eux-mêmes,
dans l'ordre des choses de la religion, ne craignent pas
de l'appeler maître, gardien, conducteur, bien qu'ils
n'ignorent pas que cet homme n'est revêtu d'aucun
«
Le catéchiste ne borne pas
manche est
là
son
son
caractère sacré.
« Aussi
quelle
joie
pour
tous quand Je missionnaire
vient à passer dans ces villages, préparés
d'avance par le catéchiste ! Le missionnaire
et sanctifiés
est heureux
la foi a jeté déjà des racines profondes dans
qu'il ne peut habiter ; le catéchiste est tout fier
de montrer un peuple qu'il a disposé aux enseignements
du prêtre et aux secours de la religion ; les néophytes se
font une fête de recevoir la visite trop rare de cejvti qui,
comme Jésus, passe au milieu d'eux en faisant le bien.
Les nouveaux convertis de l'archipel se distinguent
par leur zèle à écouter les instructions religieuses et à
de voir que
ce
pays
«
construire les
églises.
jour, un missi03113^6 leur expliquait les céré¬
monies de la messe. C'était vers le milieu de la journée.
«
Les
Un
indigènes le supplièrent de ne pas les faire sortir
L'OCÉANIE
173
Quand le prédicateur ahhonçait qu'il fal¬
retirer, les auditeurs s'y refusaient en
disant : « Encore un moment, pèrô; Vois comme nous
« sommés attentifs! Tu pourras penser qu'ôh S'ennuie
avant la nuit.
lait bientôt
«
quand tu
«
S'il
se
verras
quelqu'un dormir!
s'agissait d'élever
un
»
temple à Dieu, tout le
mdhde voulait y concourir. Les Uns allaient à quatre ou
cinq lieues éh mer pour chercher des pierres et pour
exploiter des îlots de rochers; les autres bâtissaient les
hldrs ; cèux-lâ donnaient les arbres âVec Uilë générosité
sans borne; ceux-ci fournissaient les poissons poUr nour¬
rir les ouvriers.
«
En
résumé, il y a dans les îles des
Navigateurs
cinq mille catholiques fervents sUr trente-cinq mille
âmes, et trente églises ou chapelles. »
M81, Elloy, â qui hous devons la plupart des détails
qu'on Vient de lire, nous fait aussi cohhâître les îles de
Tokelau et de Fanafuti. Nous empruntons à son récit les
extraits suivants :
cinquante lieues au nord-ouest de
pel des Navigateurs, est situé le groupe des
«...
A cent
l'archi¬
îles de
madréporique
(amas de polypes). Sur la pointé des roches sous-ma¬
rines et jusqu'au niVeau de la mer, dès milliers de po¬
lypes ont bâti leurs demeures et formé de Vastes bàncs
dé corail blanc qui s'est bruni à l'air. En passant et ré¬
passant, les vqgues ont enlevé les arrêtes du corail et
apporté sur ces bancs des débris qui s'y sont peu à peu
superposés. Le tout est devenu un terrain aride. Pas
d'autre terre végétale qu'un sable rebelle à toute cul¬
ture. Pas d'autre verdure que quelques cocotiers qui
poussent dans des fissures de corail oU dans des par¬
celles du sol moihs sèches et moins dépourvues de sucs
Tokelau. Elles sont toutes de formation
nourriciers.
«
Plusieurs de ces îles sont totalement
inhabitées;
L'OCÉANIE
174
d'autres renferment soixante, cent, deux cents âmes. Le
type, le langage, les traditions de ces indigènes les rat¬
tachent aux grands archipels voisins. Égarés sur l'Océan
ou poussés par la tempête, quelques Samoans auront
rencontré ces îles, s'y seront réfugiés, sans plus oser en
sortir, et les auront peuplées.
Rien de
plus misérable que les peuplades de Tokelau. Elles n'ont pas d'autre nourriture que la noix de
coco et le poisson. Comme ces îles sont formées de co¬
«
rail, les
sources sont rares, et encore
mâtre. Plusieurs îles sont même
de
l'eau est-elle
sau-
privées complètement
d'eau douce. Les
habitants, pour se procurer
leur boisson, recourent à une industrie.
sources
Les cocotiers sont inclinés par
le vent, qui souffle
toujours dans la même direction. Du côté op¬
posé au vent, les indigènes pratiquent des ouvertures
allant jusqu'à l'intérieur de l'arbre, sans nuire à son dé¬
veloppement. Au-dessus de ces ouvertures et le long du
tronc, ils creusent de petits sillons, destinés à recevoir
«
presque
et à conduire l'eau de la
pluie dans
ces
citernes
en
mi¬
niature. Quand elles sont pleines, on les entoure de
feuilles pour empêcher l'évaporation et pour maintenir
la fraîcheur. C'est là que ces malheureux peuples vont
chercher l'eau nécessaire,
qui, en temps de sécheresse,
peut finir par leur manquer. L'eau ainsi recueillie ap¬
partient au propriétaire du cocotier, comme l'arbre luimême, et chacun doit veiller à ne pas mettre la main
sur
le trésor de
rait pas
son
voisin. On
plus simple de
se
demandera s'il
ne se¬
des citernes dans le sol.
Qu'on n'oublie pas que le sol est madréporique, et qu'il
laisse suinter l'eau de la mer. Le ciment pourrait bien
obvier à ce grave inconvénient; mais le ciment est
inconnu à Tokelau
connaître à
Mgr
ces
:
les missionnaires seuls le feront
habitants. »
J'ai visité pour la première fois
pauvres
Elloy ajoute
: «
creuser
17b
L'OCÉANIE
Je me
rappelle avoir vu, dans l'une d'elles, à Fakaofo, un
grand morceau de corail, dressé comme une borne, en¬
touré de nattes et de'noix de coco. C'est le dieu de l'île,
et ses adorateurs lui avaient fait toutes les offrandes pos¬
îles
ces
en
1863. Elles étaient encore païennes.
sibles.
« Quelques mois auparavant, des pirates de l'Amé¬
rique du Sud s'étaient jetés sur Fakaofo, et, à main ar¬
mée, en avaient enlevé à peu près toute la population
valide. J'adressai quelques mots à ceux qui avaient été
épargnés ; à cause de l'analogie des langues, je pus être
compris, et c'est avec la plus grande peine que je me
vis forcé de m'éloigner d'eux sans leur apporter la vraie
lumière. Mais le navire n'était pas à ma disposition, et
je n'avais pas la liberté de m'arrêter plus longtemps.
C'était
trepris; je me
plus tard.
«
d'exploration que j'avais en¬
contentai de voir, pour essayer d'agir
comme un
voyage
De l'île de Fakaofo
,
sonne.
passâmes dans l'île de Nusurpris de n'y rencontrer per¬
nous
kunonu. Nous fûmes bien
Cependant tout nous attestait que cette
île était
habitée. On y voyait des cases vides, des filets de pê¬
cheurs dont récemment on avait fait usage... Nous
pensée que les pirates avaient passé par là ;
plus cruels qu'à Fakaofo, ils n'avaient rien épar¬
gné , et avaient emmené en captivité toute la population.
Depuis, nous avons appris que ce peuple n'avait pas été
eûmes la
que,
réduit
en
esclavage, comme nous le
supposions, mais
qu'il s'était caché dans une petite île inhabitée. Ayant
aperçu notre vaisseau, il nous avait pris pour des pi¬
rates, et avait voulu échapper aux mauvais desseins
qu'il nous prêtait.
«
Dans le courant de cette même
arriver à Samoa
kunonu.
année, nous vîmes
quelques habitants de cette île de Nu-
Autrefois, à la nouvelle que la famine rava-
L'OCÉANIE
gèait le petit archipel de Tokelau, Mgr Bataillon avait
un navire pour aller prendre
quelques-uns des affa¬
més et les transporter à Wallis, où la charité
catholique
viendrait à leur secours. Un de ces
expatriés volontaires
frété
était
dans
revenu
Il avait instruit ses compa¬
religion, aussi bien que cela lui était
possible ; il leur àVait surtout appris à réciter lé chapelet.
Lé désir du baptême s'empara
d'eux, et, malgré tous les
obstacles, ils résolurent d'aller trouver un prêtre catho¬
lique. L'entreprise était difficile, poùr ne pas dire témé¬
raire. Trois cent cinquante milles les
séparaient de
Samoa, qu'ils n'avaient jamais visité... Ils n'avaient
pour moyen de transport que des pirogues creusées
dans des troncs d'arbres, à l'aide du feu et des
coquil¬
lages. Qu'importe! la confiance Sera leur boussole. Pen¬
dant toute la traversée, ils n'ont
pas cessé de réciter le
chapelet, et la prière n'a pas été inutile. Ces pirogues,
qui auraient dû sombrer mille fois pour une, ont abordé
à Savaï, une des îles de
l'archipel des Navigateurs, et
son
pays.
triotes de la nouvelle
de là ont été
pilotées jusqu'à Apia.
furent pas mon étonnement, mon admira¬
tion, ma reconnaissance envers Dieu, lorsque j'entendis
le récit de ce voyage vraiment merveilleux! Nous nous
empressâmes d'achever l'instruction de ces néophytês,
puis de les admettre au baptême et aux autres sacre¬
ments, qu'ils reçurent avec les meilleures dispositions.
Ils retournèrent ensuite dans leur île par la
première
occasion qui s'offrit. Nous ne voulûmes pas les laisser
remonter dans leurs pirogues qùe nous
gardons à Apia
comme un monument de leur foi, et nous les confiâmes
à un vaisseau plus solide.
«
Quels
ne
,
«
Toutes
ces
circonstances
nous
déterminèrent à
voyer des catéchistes aux îles de
n'avions pas assez de prêtres pour
ces
rivages. C'était demander à
ces
Tokelau,
en¬
car nous
les disséminer sur
catéchistes un dou-
177
L'OCÉANIE
faudrait se condamner à l'exil,
résigner à une pativre nourriture. Plus d'ignames,
plué de taros, plus de kava. Pour tout aliment, des noix
louretlx sacrifice. Il leur
et se
de cocos, non pas
fraîches, mais sèches, substance hui¬
leuse, dont les Samoans se fatigùeht et que
laissent
aux
thème ils
pouréeaux.
le plus pénible. Oh fiiiit par
privations du corps : les privations de
l'âme sont plus difficiles à accepter et à supporter. Pour
aller à Tokelau, il fallait renoncer à l'usage des sacre¬
ments de pénitence et d'eucharistie, qui dohneht à l'âme
tant de force et de consolations. Il fallait même s'expo¬
ser à mourir sans prêtres ! Les catéchistes s'exposent à
ce danger, se résignent à ce sacrifice héroïque, afin que
d'autres âmes aient moins de peine à franchir le dernier
pas qui conduit à l'éternité. En 1868, deux hommes cou¬
rageux sont partis pourTokelàu, où ils y sont restés
pour évangélisercé peuple, en attendant qu'un mission¬
«
Ce sacrifice n'était pas
s'habituer aux
pût venir.
Quatre ans après, il me fut
naire
«
permis de reprendre ma
visite des îles de Tokelau.
«
J'arrivai d'abord à
Pakaofo. Lorsque nous appro¬
chons du rivage, je vois un homme se jeter à la mer.
Il est bientôt dans les grandes vagues, à l'embouchure
des récifs où le canot doit passer. Il nage avec vigueur;
il me fait un salut de la main, et je l'entends dire à
haute voix : « Béni soit le nom de Notre-Seigneur Jé«
sus-Christ! voici notre père qui nous arrive. » Je
reconnais alors le catéchiste
Matuleus, et je m'empresse
la bénédiction qu'il est si impatient de
moitié convertie. L'idole de
corail avait disparu, et les enfants savaient le catéchisme.
Je préparai aux sacrements, j'installai un autel dans
la case du catéchiste, et le lendemain matin, pour la
première fois, Notre-Seigneur descendait sur cette terre
de lui envoyer
recevoir. Je trouvai l'île à
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L'OCÉANIE
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d'Océanie que
lui avait conquise un océanien. Tous les
néophites soupiraient depuis longtemps après ces deux
grands actes, dont leur avait si souvent parlé le caté¬
chiste
Fait partie de L'Océanie : géographie, histoire, colonisation depuis les premiers explorateurs jusqu'à nos jours