SPAA_DAN-00002.pdf
- Texte
-
TE PATO NEI
TEAPU I TE TAATA O TEI
ITE I TE TATAR!
EX L I B R I S
BJARNE KROEPELIEN
e x
L fb n is
B.E.& M.TH. DANIELSSON
HISTOIRE
des r é v o l u t io n s
DE T A I T L
HISTOIRE
DES
R É V O L U
DE
TIO N S
T AÏ T I ,
Avec le Tableau du Gouvernement, des
Mœurs , des A rts 3 & de la Religion
des Habitons de cette île 3 par MeJJïre
POVTAVERY, Grand-Earée de Taiti;
Ouvrage traduit du Taïtien en Français.
Par M
ademoiselle
B. D. B. D. B.
Lucis liabiiamus upacis
Riparwnque totos 8c prata rcrentia livlj
Incoiimus................................. Vrac. Liv. iy.
T O M E PREM IER.
P r ix , r liv. 8 f . les deux volumes broch.
A
Chez L
a m y
P A R I S ,
, L ib ra ire , Q n a i des A ngu(lins«
M. DCC. L X X X I I .
Avec Approbation, & Privilège du R o i,
.T A B L E
D ES
CHAPITRES
Contenus dans ce Volume.
C
ha pit re
P r e m ie r . Enfance des
Mirmidons, premiers Habitans
de Taiti.
Page i .
C h a p . II. Arrivée du Philofophe
Pantomitoul che\ les Mirmi
dons.
34.
C h a p . III. Arrivée des Puligenes
dans Vüe des Mirmidons.
5 9.
C h a p . IV . Arrivée des Saginotes
dans l'éle des Mirmidons.
7 3.
C h a p . V . Renverfement de l'état
89.
des Mirmidons.
Fin de la Table.
a iij
v ij
PRÉFACES ’ i l eft quelquefois permis à
un Ecrivain d’inftruire le P u
blic des peines qu’il a prifes
pour approfondir quelque ar
ticle important des faits du
genre humain , j ’ofe aflurer
que perfonne n’a plus de droit
que m o i, de prétendre h cette
liberté. Jaloufe de donner à
l’Europe un Ouvrage qui lui
retraçât les m œ urs, les ufages & le cara&ere d’un peu
ple , donc le mérite ne lui eft
a iv
v 'ùj
P R É F A C E .
encore que faiblement connu
j’entrepris, pour y parvenir,
en 1 7 7 6 , un voyage aufli pé
nible quedifpendieux, & dont
lafaibleffedem on fexe eût dû
être effrayée .Sorti de la plume
du célébré Poutaveri, dont la
mémoire eft encore récente à
P aris, le manufcrit qui com
prend l’Hiftoire des Révolu
tions de T a ït i, ne pouvait être
entendu depcrfonne, malgré
le Vocabulaireinftru&ifdeM .
Péreire. L e hafard me l’ayant
fait tomber entre les mains,
je conçus le projet de me tranf-
P R É F A C E .
ht
porter dans l’île fortunée de
Taïti. L e vaiflèau le M agna
nime , qui fé préparait à faire
voile pour les Terres auftrale s, m’offrait une occafion fa
vorable de faire ce voyage. Je
m’embarquai au mois de Juil
let ; & , après fix mois de tra
vail & de fatigues, j’arrivai
enfin dans la Patrie du fage
Poutaveri. J’y demeurai deux
ans entiers à étudier la langue
du pays , & à approfondir les
loix & les mœurs de ceux qui
l’habitent.Dans unEtat où rien
u’efl: m yftere, où chaque ci-
*
P R E F A C E ,
toyen fe fait un devoir de vous
rendre tous les fervices dont
vous pouvez avoir befoin , ce
tems fuffit fans doute , pour
éclairer l’étranger le moins in
telligent fur tout ce qui con
cerne la maniéré d’être de ce
bon peuple. A udi, puis-je me
flatter avoirtout v u , tout con
fédéré & tout fournis à l’exa
men le plus férieux & le plus
réfléchi.
Com me Poutaveri avait écrit
fon O uvrage, moins dans l’in
tention de l’expofer h la publi
cité , que pour fon inftru&iqn
J P R É F A C E .
xj
particulière, il avait omis plufieurs détails , q u i, quoique
très-curieux & très-intéreffans
pour nous, lui paraiflaient inu
tiles ou indifférents. Les connoiffances que j’ai acquifes à
Taïti ,& les converfations que
j’ai eues avec les perfonnes les
plus inffruites des ufages du
pays, m’ont permis de fuppléer
à fon filence. Je me fuis en
quelque forte approprié fes ma
tériaux ; & je l’ai fait parler
comme s’il eût été parfaite
ment inftruit de nos ufages &
de ceux qui en ont traité. Delà,
xtj
P R E F A C E .
certains traits épars çà & là
dans cet Ouvrage, que l’ A u
teur n’eût pu tracer lui-même,
& qui ne paraîtront pourtant
pas déplacés.
Ce ferait peut-être ici le
lieu de faire l’éloge de ce Ci^
toyen refpe&able, q u i, fe dé
robant aux embrasements pa
ternels ,
quitta fes fo ye rs,
pour s'instruire de nos mœurs
& de nos folies ; mais fa raodcllie a fu enchaîner ma plu
me par un ferment que je ne
violerai pas. Je dirai feulement
que j’ai eu le bonheur de le
P R E F A CE.
xïij
rencontrer à Taïti. J’ai reçu
a
de fa part tous les témoignages
d’eftime & d’amitié que j’avais
lieu d’en attendre , d’après le
portrait qu’on m’avait fait de
la bienfaifance & de l’honnê
teté de fes compatriotes. Auffitôt après mon débarquement,
il me préfenta à fes parents,
qui dès-lors me confidérerenc
comme leur propre fille. Pen
dant deux ans, fa fœ ur, la belle
(Edidée, ne cefla pas d’avoir
pour moi tous les égards qu’on
a lieu d’efpérer d’une amie
tendre & généreufe. Elle ne
?civ
PRÉFACE.
s’occupait que de moi ; elle
prévenait tous mes befoins, &
le récit que lui avait fait fon
frere , de la délicatelfe des
femmes de l’ Europe , & des
moyens qu’elles ont pour la
fatisfaire, lui faifait fouvent
verfer des larmes furl’impoffibilité où elle était de me met
tre entièrement à mon aife.
L o n g-tem s elle Ce difpenfa
pour moi de vaquer aux tra
vaux de la campagne, & la plus
monotone indolence rempla
ça chez elle cette heureufe ac
tivité qui fait le bonheur de fa
P R É F A C E .
xv
vie. Mais lorfque je l’eus allu
rée que ces occupations inno
centes me plaifaient beaucoup
plus que tout autre divertifTement qu’elle pourrait me four
nir, elle reprit fes travaux or
dinaires , avec la précaution
de me faire repofer à l’ombre
d’un plane, tandis qu’elle par
courait fes guerets. O généreufe (Edidée ! la feule amie
fincere que j’aie jamais con
nue dans le monde ! tous ces
témoignages de bienveillance
& de bonté font gravés dans
mon ame d’une maniéré pro-
Kvj
P R É F A C E
fonde & ineffaçable;
l’in
timité de nos liaifons a laiffé
dans mon cœur un fonds d’a
mertume qui ne périra qu’avec
m o i , c’eft de ne pouvoir reeonnoître, aux dépens'même
de ma propre vie , tous les
foins que vous avez pris de
mon exiftence& de mon bon
heur.
HISTOIRE
HISTOIRE
DE S R É V O L U T I O N S
D E T A I T I.
P R E M IE R E P A R T IE .
CHAPITRE
PREMIER.
Enfance des Mirmidons 3 premiers
lîabitan s de Taïd.
U n e Nation peu nombreufe , ca
chée dans une île au milieu des
mers, & ignorée des autres mor
tels , n’avait aucun commerce avec
eux. Inftruits par la fimple nature,
Tome I.
A
1
R évolutions
les Mirmidons repréfentaient par
faitement l’enfance du genre hu
main. La terre leur fourni fiait des
fruits & des légumes qui fuffifaienc
à leur fubfiftance. Des peaux d’ani
maux j dont la vieillefïè ou quelqu’accident avait caufé la m o rt,
leur fervaient de vêcement. U ni
quement occupés de leur confervarion , chacun d’eux ne manquait
jamais de ramafler les'fruits dont il
avait befoin , & ‘de fe procurer les
peaux qui lui étaient néceffaires pour
fe couvrir. Ils ne penfaient pas mê
me qu’un autre homme pût les dé
charger de ce foin. La nature ne
leur laiftait poinc appercevoir de
milieu entre l’attention qu’exigeait
leur exiftence, ôc la perte de cette
même exiftence. C ’était aufli cette
mere commune du genre humain
DE
T
A ï T I,
5
qui leur infpirait le defir de fe mul
tiplier. Ce defir, ce feu divin qui
nous enflamme , & qui porte tous
les êtres à fe reproduire , n’était pas
combattu par l’inquiétude meur
trière dont les autres mortels font
agités fur le fort de leurs enfans.
Sans avoir aucune idée des liens qui
forment le mariage , ils ne por
taient jamais atteinte à la chafteté
conjugale. L’homme , plein decerte
tendrefle pour fa compagne, qui
occafionne ces cris plaintifs dont
l’amoureufe tourterelle fait retentir
les bois pendant le printems, vi
vait avec elle tant qu’elle paraiflait
fenfible aux doux épanchements de
fon cœur. Ainfi , rien ne s’oppofait
à la multiplication de cette heureufe Nation. Il n’y avait chez elle
aucune caufe de guerre , aucun
A ij
4
R é v o l u t i o n s .
m otif de divifion & de difeorde
aucun befoin qui rendît les parti
culiers avides ou violents.
Indépendans les uns des autres ,
ils n’avaient pas de Magiftrats. Cha
que famille offrait l’image d’un
Royaume , où des vieillards exer.
çaient paifiblemen: cetre auto
rité douce & bienfaifante que la
nature a donnée aux peres fur leurs
enfans. L’amour de la confervation de leur être était la feule loi
qu’ils connufTent ; & cet am our,
tout ardent qu’il f û t, ne leur avait
pas encore fait naître l’idée de nuire
à leurs femblables , parce que ja
mais ils n’avaient été obligés d’op
ter entre leur exiftence & celle de
leurs voifins. De fombres cavernes
creufées par la nature , leur fervaient de retraite pendant l’hiver;
D E T
A 1 T 1.
5
&: les montagnes , les bois , les
bords des fleuves ou des fontaines
étaient leur féjour pendant l’été. Ils
ne quittaient jamais leur patrie,
pour aller fe fixer dans des régions
étrangères ,'parce qu’ils y trouvaient
routes les chofes dont leurs petes
leur avaient appris à faire ufage, &
qu’il ne leur venait pas dans l’efprit
qu’il pût y avoir rien de meilleur
ailleurs.
La beauté du pays qu’ils habi
taient , fa fertilité , la douceur du
climat , lès fruits délicieux qu’il
fournit, ajoutaient encore un nou
veau degré de jouillance & de bon
heur à ce peuple aimable. Cette
région fortunée , dont l’hiftoiredoit
tenir une place importante dans les
annales du genre humain, forme
une île d’environ quarante lieues de
A iij
€
R évolutions
to u r, fîcuée dans la mer du Sud.
Nommée alors Mirmïdonie , on
l’appelle aujourd’hui Taici, du nom
de fes nouveaux pofTelïeurs. Elle
offre fur toute fa furface la perspec
tive la plus agréable dont les yeux
du voyageur puiffent le repaître.
De hautes montagnes, couronnées
de bananiers, de cocotiers, & d’au
tres arbres de toutes les efpeces en
occupent l’intérieur. De ces monta
gnes forrent quantité de fources ,
donc les eaux limpides ferpentent
dans les vallées, où elles entretien
nent une éternelle verdure. Des
bords de la mer jufqu’aux pieds
des montagnes , on parcourt un
terrain fort uni, propre à former
des plantations de divers arbres frui
tiers , & entrecoupé de ruilfeaux ,
qui fervent à fertilifer la contrée,
D E
T
A ï T I.
-7
& à l’enrichir de toutes les grâces
qui font la parure de Flore & de
Pomone. Un récif de rochers de co
rail , qui l’environne , en défendant
l'entrée de ce pays privilégié , forme
des bains de des ports excellents pour
ceux qui connaiffent le local.
Telle eft la patrie des Mirmidons, dont le bonheur fembla longtems provoquer la jaloufie même
des immortels. Ami de tout ce qui
l’approchait, ce peuple vivait pai
siblement avec tous les êtres donc
l’Eternel a couvert la terre. Les oifc3ux femblaienr prendre un plailir
délicieux à l’égayer de leurs chants ;
& les lions, les tigres, les léopards
de tous les autres animaux carnaffiers , dont l’île de Mirmidonie
abondait alors, oubliaient leur fé
rocité quand ils en approchaient.
A iv
8
R é v o l u t i o n s
Enfin cin habitant de ce beau pays
imagina que la peau d’un animal
encore jeune , devait être plus douce
que celle d’un autre qui avait fuccombé fous le poids des années.
Rompant tout d'un coup la confé
dération qui paiaiflait fublifter de
puis plufieurs fiecles, entre l’homme
& tous les êtres vivans , il tua des
animaux pour fe couvrir de leurs
dépouilles. On eut horreur de cette
barbarie ; mais on ne tarda pas à
l’imiter. Le même homme inventa
l ’art de fufpendre des peaux aux
branches rompues de quatre ou
cinq arbres voifins. 11 fit fon féjout
fous ces peaux pendant l’hiver ;
Sc, en cté , il s’y mit à l’abri des
orages. Ses voifins l’imiterent dans
ces innovations dangereufes, &c ,
bientôt habitués à ces retraites effé-;
D E
T
A ï T I.
9
minées , ils ne comprirent plus
comment ils avaient pu habiter
dans des cavernes humides, fombres
&: hideufes.
Bientôt on ne trouva pas allez
d’animaux pour habiller les hom
mes & couvrir leurs maifons. Ce
fut à qui ferait des provilîons plus
abondantes ; & , comme la difette
était inféparable d’une incommodité
que l’on regardait comme un trèsgrand m al, on fe difputa la pofleflion des animaux , on s’enleva par
adreiïe leur utile dépouille ; la chaffe,
qui n’était d’abord qu’un délalTement , devint une occupation férieufe, un objet important pour
chaque famille ; la violence & la
cupidité s’emparèrent de ces efprits
autrefois fi pailibles ; & l’on vit pa
raître la haine, l’envie, la jaloufie,
Av
IO
R é v o l u t i o n s
la fraude & une partie des autres
crimes dont le fouffle impur fouille
aujourd’hui la terre.
On n’apperçut pas fans inquié
tude la diminution fenfible que le
nombre des animaux éprouvait tous
les jours. Chacun craignit, pour fa
poftérité , leur entière deftruétion.
On aurait voulu proportionner le
nombre de fes enfans à la quantité
de provifions qu’on leur faifait pour
les couvrir & pour les loger. 11 n’y
eut pas d’homme , qui ne maudît
la fécondité de fa femme.
Mais ce n’était, encore là qu’une
partie des malheurs auxquels la na
tion devait s’attendre , pour prix de
fes découvertes. L’eau des rivières
& des fontaines avait jufqu’alors
d.faltéré les hommes & les ani
maux. Quelqu’un imagina qu’il de-
D î
T
A ï T I.
11
vait être agréable de retrouver le
■goût des fruits dans la boilTon. 11 en
exprima le jus, qu’il reçut dans des
vafes de terre durcie au foleil. 11
trouva pour la première fois dans
cette boilïbn , un plailîr différent
de celui qu’il avait reffenti jufqu’alors, en étanchant fa foif. Il but
fans befoin ; & , à mefure qu’il bu
vait , il fenrait naître & s’accroître
en lui une gaîté finguliere qui l’en
gageait à boire davantage. 11 appella
fon voifin , pour partager avec lui
fon nouveau bonheur ; & , pour
l’encourager à boire , il lui en mon
tra l’exemple. Sa tête fe troubla ,
fes yeux commencèrent à voir les
objets tout autres qu’ils n’étaient,
& fon imagination exaltée devint
féconde en bons mots. Il fit part à
fou voifin des découvertes qu’il faiA vj
Il
R é v o l u t i o n s
fait, & voulut le faire convenir que
fa cabane & les arbres qui l,'envi
ronnaient. danfaient en rond autour
de lui. C e lu i-c i, dont la raifon
n’avait pas été troublée par la li
queur , ne tomba pas d’accord de
ce paradoxe. On s’anima de part &
d ’autre ; on fe dit des injures , &
le convive fut obligé de prendre pré
cipitamment la fuite , après avoir
été cruellement maltraité par fon
hôte. Tel fut le premier effet du
poifon funefte qu’on venait de dé
couvrir.
Ainfi , Titon jadis en connut l'amertume,
I.orfque ce fier Centaure , échauffé de liacchus,
Signala fa fureur contre Pirithoüs ,
le fans rien ccouter qu’une indifercte flamme ,
Voulut de ce Héros déshonorer la femme j
Les Lapithcs fur lui tombant de tous côtés,
Arrêtèrent le cours de fes indignités ,
ï.t leurs bras fe couvrant de honteufes bleflures,
Gravèrent fur fou front le prix de fes injuroa.
D E
T
A ï T I.
I $
Tour le pays fut étonné d’appren
dre qu’un homme en avait battu un
autre ; car la violence n’avait pas
encore été portée à cette extrémité.
On s’atTembla pour examiner un Ci
étrange événement. On difcuta la
peine que méritait un tel crime ;
mais , après de longs débats, il fuc
décidé que le venin , dont le cou
pable s’était enivré, lui ayant trou
blé la raifon, il devait être confidéré comme innocent. Cependant,
on convint que fi , à l’avenir, pa
reille chofe arrivait, on ferait fubir
à l’auteur de la violence le même
traitement qu’il aurait fait éprou
ver à fon femblable. On fe flatta
que la crainte d’un pareil malheur
ferait fufliiante pour faire cefler
l’ufage de la nouvelle liqueur, ou
pour le faire modérer. Mais on fe
14
R é v o l u t i o n s
trompa ; & bientôt on apprit la
mort de plu fleurs perfonnes , que
le plaifir de boire avait rafTemblées.
A la vue des cadavres noyés dans
leur fang , l’horreur & la colere
s’emparèrent des efprits. On fe jetta
fur les malheureux affadi ns ; & ils
furent aufîitôt mis en pièces. Mais
la compaflion fuccéda bientôt à la
fureur aveugle qui avait provoqué
une vengeance aufli terrible ; & elle
devint extrême, quand on fut que
les afTaflins n’avaient pas etc les
auteurs de la querelle , & que la
feule nécelîîté de fe défendre les
avait portés à cette violence. On
conclut delà qu’un meurtrier ne
méritait pas toujours la mort , qu’il
pouvait être innocent , malgré les
preuves apparentes qui dépofaient
contre lui, & qu’il était dangereux
BE T a ï t i .
I5
de punir fans un examen bien ré
fléchi. On clioifu donc un homme
fage , un vieillard connu par fa
prudence & fa modération, que l’on
chargea d’approfondir la nature des
querelles } & d’y proportionner la
punition des coupables.
Cet écabliflement parut très fenfé : mais ^. comme un fetil hommes
ne pouvait pas remplir la pénible
fonction de Juge , dans tout le
pays des Mirmidons, on en établit
plufieurs, à chacun defquelson afligna un canton déterminé, fans pour
tant interdire à aucun d’eux la connaiflance des affaires qu’il ferait à
portée d’examiner , quoiqu’elles
fuflênt arrivées hors de fon diflriél.
Ces Juges ne furent pas longteins fans s’habituer à l’autorité flatteule qu’on leur avait confiée. Ils
i6
R
é v o l u t i o n s
l’avaient étendue à la connaiiïance
des différends que faifait naître la
propriété conteftée d’un animal ,
d’une peau, d’un arc,ou d’un vafc
de terre. Ils furent jaloux d’un pou
voir qui les faifait refpe&er ; car
déjà on cherchait à fe concilier pat
des hommages ceux que l’on pou
vait avoir pour Juges ; on fuppofait
que, dans un cas douteux, l’amitié
pouvait les dérider.
Enfin , les Juges , regardant
comme un bonheur pour eux la
multiplicité des affaires , ne fouffrirent pas que leurs voifins terminaffent celles qui s’étaient éle
vées dans leur diftriét. 11 n’y avait
point de Juge au-deflus d’eux pour
régler les limites , & terminer les
conflits de jurifdiétion. Un d’eux
voulut employer la force pour pu-
DE
T
A ÏTI.
17
nir Ton voifin d’une ufnr-pation pré
tendue ; mais fes amis l abandon
nèrent. Il s’enfouvint, &c les en lit
bienrôt repentir , en leur faifant
perdre quelques peaux qu’on leur
conteftaic injuftemenr. U n trait il
frappant d’iniquité fouleva tout le
canton. On deftitua le Juge pervers
qui avait ofé fatis£aire ainfifon animofité perfonnelle ; & l’on réfolut
de lui *fubflituer un de fes. voilins ,
dont perfonne ne fe plaignait.
Ce Juge avait un fils qui paraiffait avoir profité des leçons de fon
pere, & q u i, après avoir affilié
pendant long-tems à la difcuilion
des affaires, avait quelquefois pris
fa place , depuis qu’une extrême
vieillelfe l’avait mis hors d’état de
vuider tous les différends qui s’éle
vaient dans fon canton. Sa pru-
i8
R é v o l u t i o n s
dence & fa capacité lui avaient ac
quis le refpeét & l’eftime de fes
concitoyens. Apres la mort de fon
pere , il fuccéda paisiblement à fes
fondions ; & la judicature , qui
avait été jufqu’alors éled iv e, de
vint héréditaire , & fe perpétua
dans les familles.
Cependant une nouvelle inven
tion diminua le nombre des procès.
U n Mirmidon imagina que des
rofeaux.& de longues herbes for
tement liées enfem ble, pouvaient
couvrir une cabane, & en rendre
les murailles impénétrables au vent
& à la pluie. Cette découverte plut
à la Nation. On trouva qu’une chau
mière ainfi conftruite , était auSïi
commode qu’une cabane couverte
de peaux ; & , comme le pays pro*
duifaic une grande quantité de ro-
féaux & d’herbes fort hautes s on
cefTa de fe plaindre de la diferte des
animaux , dont on Remployait plus
la peau qu’à faire des vêtements. Le
nombre des enfans n’inquiéta plus
les peres : la fécondité ne parut
plus un fléau deftrudkeur •, & le pays
des Mirmidons fur plus peuplé qu’il
ne l’avait jamais été. La nature ,
attentive à leurs befoins, fe mon
trait d’autant plus féconde & plus
bieufaifante, qu’ils devenaient plus
nombreux. Jamais un pays auffi peu
étendu ne nourrit un fi grand nom
bre d'habitans ; mais le goût pour
la liqueur , dont les effets avaient
d’abord été fi funeftes, croiffait tous
les jours, & l’on commençait à re
marquer une grande différence entre
les individus qui compofaient la Na*
tion des Mirmidons. Les uns éle-
20
R é v o l u t i o n s
vaient avec grand foin l’arbrifleau
dont le fruit produifait cette liqueur
meurtrière ; les autres, moins prévoyans que leurs compatriotes, ou
moins fenfibles au plailît de boire ,
en négligeaient la culture ; & ils
ne penfaient à fe procurer cette
agréable boiflon , que lorfqu’ils
voyaient leurs voifins prêts à recueil
lir le fruit de leur travail. Ils vou
laient alors le partager avec eux.
Ceux-ci leur reprochant l'état d’in
dolence & de patelle où ils vivaient,
leur lailTàient librement ramaflet
ce qu’ils avaient de trop ; & ce fuperfîu était allez important pour
former leur provilion. Cette géncreufe condefcendance, cet heureux
concert, ne fut pas de longue du
rée. Bientôt les cultivateurs aétifs
s’apperçurent que ceux avec lefquels
D E
T
A
ï
T I.
21
ils partageaient leur récolre , ne
partageaient point avec eux les
peaux, qu’ilsamailaient en d’autant
plus grand nombre , qu’ils s’occu
paient de la chalTe , tandis que les
autres s’appliquaient à élever des
arbrideaux, & à entrelacer leurs
branches dans celles des grands ar
bres qui lej.ir fervaienr d’appui. Ils
fe plaignirent de cette inégalité.
Quelques Chaleurs fe rendirent à
leurs remontrances ; les autres pré
tendirent que les peaux ayant tou
jours appartenu à ceux qui avaient
tué ces animaux , & les fruits étant
toujours demeurés communs aux
hommes & aux oifeaux, c’était une
injuftice de leur ôter une partie de
leur propriété , parce qu’ils deman
daient leur part dans ce qui appar
tenait à tout le monde. Ce titre,
il
R é v o l u t i o n s
invoqué par les parefleux, fut for
tement réfuté par les cultivateurs.
« En vain, dirent-ils, nous alléguez-j
» vous l’exemple des oifeaux , qui
» prennent fur tous nos arbres les
» fruits qui conviennent à leur nour» riture. Nous chaflôns ces vola» rils , lorfqu'ils viennent fe per» cher fur nos pommiers ; & nous
» ne leur lailTons prendre que ce
» que nous ne pouvons leur ôter.
» Attendez-vous donc à être chafTés
» comme euXj puifque vous n’êtes
» ni plus utiles , ni plus laborieux. »
Cette réponfe parut inhumaine;
c’était la première fois qu’on avait
ofé alléguer chez les Mirmidons un
droit de propriété , fur des objets
que la nature femble avoir aban
donnés à tout le genre humain. On
alla trouver les Juges , devant lef-
DE
T
A ÏT
r.
i
i
quels ou produifit fes moyens de
par: & d'autre. Ces Magiftrats fu
rent rrès-embarraffés pour décider
une affaire de cette importance. Ils
afTemblerent tous les MirmidonSj
pour chercher avec la Nation entière
un expédient propre à terminer la
querelle ; on n’en trouva pas d’au
tre que d’afligner à chaque habitant
une portion de terre dans laquelle
il aurait feul le droit de ramaffer
les fruits qu’elle produirait. On s’oc
cupa auflî tôt à faire cette réparti
tion. Des rochers & des grands ar
bres marquèrent les limites de cha
que héritage ; & dès ce moment
il n’y eut pas un feul Mirmidonqui
ne fût cultivateur & chafTeur tout
à la fois.
On avait eu recours, comme on
l’a dit , à cette difpofition , pour
14
R é v o l u t i o n s
éviter les conteftations j mais on
s'appelait bientôt qu’on s’était lour
dement trompe , & que loin de di
minuer le nombre des procès , on
n’avair travaillé qu’à les multi
plier. Le premier Mirmidon qui
m ourut, laiflTa dix enfans ; ils par
tagèrent entr’eux la portion échue à
ïeur pere, & qui fuffic à peine à
leur, fublîftance. Un autre Mirmi
don mourut dans un canton voifin,
& ne laida pas de poftcritc. Son
frere fe mit en porteflion de la terre
qu’il laiiïait , & cet héritage de
meura bientôt inculte , parce qu’il
était inutile au nouveau propriétaire.
Des dix enfans qu’avait lailTés l’au
tre Mirmidon , cinq voulurent s’éta
blir dans ce lieu queperfonne n’ha
bitait. Le nouveau pofTefleur, fans
confidérer l’inutilité de fon domaine,1
t> e T a ï T r.
15
maine , s’oppofa vivement à ce
qu’on fe l’appropriât. O n lui repréfenta qu’un champ qu’il ne cul
tivait pas, ne pouvait lui apparte
nir ; mais il répondit que , cette
terre ayant appartenu à fon frere,
il avait eu le droit d’en hériter,
puifque tous les jours un frere s’ap
propriait les peaux que fon frere,
mourant fans enfans , lailTàit dans
fa cabane. Il ajouta qu’il avait plufieurs enfans, & que fon intention
était d ’en établir une partie dans
l ’héritage de fon frere. On trouva
fa prétention raifonnable ; & la
chofe en relia là. Mais quand les
dix freres fe trouvèrent chacun un
grand nombre d’enfans, leur pa
trimoine devint beaucoup trop mé
diocre , pour leur permettre d’en
tirer leur fnbfiftance. Ils s’adrelTeB
i6
R é v o l u t i o n s
rent au Juge , pour en obtenir la
terre que leur voifin laiflait inculte :
il rie lui reliait alors que deux fils;
Taine devait avoir la terre de Ton
frere , & il comptait lailfer la Tien
ne au cadet. 11 fit part de ce deffein au Ju g e , qui trouva la queftion fort difficile à décider. Pour
mettre plus de lumière & de ma
turité dans fon Jugem ent, il confulta le Juge voifin; &: tous deux
décidèrent que les dix freres & le
fils aîné de leur voifin , partage
raient également les deux portions
de terre qu’ils devaient polféder en
tre eux tous. Cette décifion palïà en
force de loi; & il fut établi que,
lorfque la mort d’Un Mirmidon bif
ferait une terre vacante , elle ferai:
donnée à celui de fes voifins qui
aurait le plus d’enfans , & que , ii
D E
T
A ï T I.
17
un Mirmidon ne laiiTait qu’un ou
deux fils , tandis qu’un autre en
lailferait un grand nombre , on ne
ferait qu’une malle de leurs héri
tages , qui ferait partagée entre les
héritiers de l’un & de l’autre. En
pareil cas , c’était au Juge qu’il ap
partenait de faire le partage.
En peu de tem s, les Juges fe trou
vèrent fi occupés, foit à faire ces
partages, foit à vuider les autres
.procès qui s’élevaient dans leur difrriét j qu’il ne leur refta plus de
tems pour chalTer, ni pour recueil
lir leurs fruits. Les Mirmidons eu
rent égard à l’état ‘de détrellè &
d’indigence où la Judicature réduifait ceux qui l’exerçaient j & il fut
convenu que, chaque fois qu’ils fe
raient appellés pour faire un par
tage, ou pour juger une affaire ,
B ij
28
R év ol u t i on s
on leur donnerait ou une peau , ou
nne certaine quantité de fruits, à
proportion du tems qu’ils feraient
obligés d’employer dans la difcuffion de chaque affaire.
Le profit que les J uges retiraient
de l’exercice de leurs fondions , ne
les engagea pas d’abord à prolonger
les procès, ni à en defirer la mul
tiplication. Ils fe trouvaient furchargés de cette quantité prodigieufe de peaux qu’on leur donnait;
& ils ne favaient à quoi employer
cette furabondance de fruits qu’ils
recevaient de toutes parts.
Celui d’entr’eux qui exerçait la
Judicature dans deux cantons fort
opulents, avait le plus grand fuperfiu. Il le partagea entre fes voifins. Quelques-uns d’entre eux pri
rent goût à ces largellès, qui fayo-
BE
T
A ÏT I.
rifaient leur délicateffe & leur oifiveté. Dans l’efpérance de recevoir
tous les ans de femblables fecotirs ,
ils négligèrent la culture de la terre
Sc la chaiFe. Pour s’alTurer une por
tion certaine dans la diftribution du
Juge , ils s’attachèrent à fou char 5
ils s’emprelferent à lui donner , dans
tous les tem s, des marques de refpeét & de déférence ; ils le fuivirent dans fes courfes ; ils l’accom
pagnèrent dans fa cabane, 8c ils le
fervirent aveuglément dans tout ce
qu’il jugeait à propos de leur prefcrire. Le Juge leur fut gré de cette
condefcendance 8c de cette alfiduitéj il s’efforça de mériter ces
témoignages d’attachement par de
nouvelles libéralités. Bientôt , il
ne marcha plus fans un nombreux
cortège} fa cabane , diflinguée des
B iij
3.o
R é v o l u t i o n s
aurres par trois verges d’ofier flot
tantes fur fon fommet , devint le
réceptacle de la bafïèflè & de la
flatterie 3 fes fondions établies pour
confoler l’opprimé des outrages
qu’il éprouvait de la part du plus
fort , devinrent bientôt effrayantes
par l’appareil terrible dont il les
accompagnait ; & fouvent la force ,
la fédudion & l’iniquité préfiderenc
à ces Jugements , dont la douceur
& la modération avaient aupara
vant fait admirer la fagefTe des
Mirmidons.
Ces innovations dangereufes fu
rent bientôt imitées par les autres
Juges. Une compagnie toujours
nombreufe devint l’attribut de la
Judicature. Mais la Nation avait
encore confervé une précieufe par
tie de fon innocence prim itive,
D E
T
A ï T I.
JI
il était difficile de trouver chez elle
autant de courtifans qu’011 eut
voulu en enrôler. Contents de leur
fo rt, fans befoins , attachés au lieu
de leur naillânce & à leur famille ,
les fortunés Mirmidons ne com
prenaient pas quel plaifir on pou
vait trouver à füivre un autre hom
me , & à fe ranger fous fa dépen
dance. Mais bientôt ils s’apperçurent que les Juges mettaient une
grande différence entre ceux qui
s’attachaient à eux , ou qui leur en
voyaient leurs enfans pour leur
faire la cour , & ceux qui reliaient
dans leurs cabanes fans faire aucun
cas de leur faveur. Les. affaires des
premiers étaient jugées beaucoup
plus promptement, & rarement ils
échouaient dans les conteftations
qu’ils portaient à leur Tribunal.
B iv
Cette obfervation les indifpofs,
contre leurs Juges. Ils les chalferent honteufement, pour en mettre
d’autres à leur place , & l’on réfolut d’une voix unanime de ne pas j
même les confulter déformais daiw
la décifion des affaires.
Les Juges profcrirs furent indi
gnés du traitement qu’ils venaient
d’éprouver. La Judicature les avait
accoutumés à la parellè, à la non
chalance & à une efpece de fupé- !
riorité qu’ils regrettaient. Ils vou- lurent maltraiter les nouveaux Juges , & provoquèrent à la ven
geance les camarades qu’ils s’étaient '
attachés par leurs largefîes. Mais la
fource des bienfaits qui les leur
avaient attachés, étant tarie, aucun
q eux ne voulut s’expofer à encoo. j®
rir l’indignation du peuple , pour
i) E T A ï T I.
$J
des maîtres pauvres & difgraciés.
Les uns allèrent trouver les nou
veaux Juges ; les autres maudirent
le moment où iis avaient quitté
leur chaumière , pour aller fe lîxer
dans celle d’un autre, Sc retournè
rent dans leur famille. Ceux-ci
eurent lieu de s’applaudir de leur
, réfolution ; car les autres, rejettes
par les nouveaux Magiftrats , baffoués du peuple, expofés à la haine
de ceux dont ils avaient traiii les
intérêts, fe retirèrent couverts d’op
probre & de malédictions. En vain
s’efiorcerent-ils de repréfenter à la
Nation, que la Judicature, dépouil
lée de ce qui la rendait formidable,
ferait aviüe par le peuple & méprifée des Plaideurs. Ce fophifme ne
fervit qu’à ranimer l’animofité pu
blique contre ces traîtres. L’ufage
Bv
34
R
é v o l u t i o n s
des cortèges fut aboli dans tous les
pays des Mirmidons ; & les Juges,
uniquement jaloux d’acquérir des
lumières, & de traiter tout le mon
de avec autant de juftice que d’in
tégrité , mirent beaucoup de fimplicité dans leurs fondions & dans
leur maintien $ & ce qui attefte
l’importance & la nécellité de cette
réforme , c’eft qu’on obferva que
la juftice fut depuis beaucoup mieux
adminiftrée , & fes oracles ponc
tuellement exécutés.
CHAPITRE
II.
Arrivée du Philofophe Panromitoul
chc£ les Mirmidons.
• L ' es heureux M irm idons, livrés
à eux-mêmes, & ignorant lctatde
DE
T
A ï T I.
55
corruption & d’indigence dans le
quel gémilïàit la plus belle portion
de la terre, joüilïàient en paix- de
tous les dons de la nature ,-lorfqu’iIs
virent arriver un a n im a lq u ’ils ju
gèrent à fon vifage n’être pas fort
différent d’un homme. Il n’avait
rien d’ailleurs qui reffemblât à ce
que les Mirmidons avaient vu jufqu’alors. C ’était un Atalanre que
fes compatriotes appellaient Sage ,
qui fe nommait lui-même Amateur
de la fagelTè, & que les Mirmi
dons prirent pour un grand buveur,
parce qu’il raifonnait toujours com
me ils parlaient eux-mêmes quand
ils avaient trop bu. Echappé au
bouleverfement de l’île Atlantide ,
fa patrie , qu’un violent tremble
ment de terre venait de fubmerger,
il avait fait vœu de parcourir toutes
B vj
5 jours chere à l’univers , s’appel» lait Coulitabo. Accompagné d’un
» petit nombre d’am is, qu’il avait
» choifis parmi les moins dépravés
» de fes compatriotes , il forma
» un petit Royaume dans le nouvel
j> afyle où il s’était retiré. L’île
jj n’était alors occupée que par une
jj famille ,
dont Granganor , ce
jj géant forti
des entrailles de la
jj terre , était le chef. Ce Prince
jj qui venait de perdre fa femme
>j Fatigambis, que la foudre avait
jj écrafée
tandis quelle fe repojj fait fous un palmier , vivait avec
» la belle Moligouroux , fa fille
» en attendant que la mort vînt
44
R
é v o l u t i o n s
u enfin trancher la trame de fes
» jours. Coulitabo , inftruit que
» Granganor faifait fon féjour au
» pied d’une montagne, au milieu
» de l’île , conçut le deflein de
» l’aller trouver, pour folliciter fon
» amitié , & la permilfion de s’éta» blir dans fon île. Granganor ,
jj flatté de trouver dans le Prince
>3 étranger un époux qu’il cher3> chair à fa fille , & dont l’oracle
33 le flattait depuis long-rems, le
>3 reçut dans fon palais avec tous
33 les témoignages d’eftime & d’ami33 tié qu’il croyait, devoir donner à
33 un hôte auffi refpectable. Il fit
33 préparer un feftin magnifique,
?> o ù , pour cimenter la foi que ve33 naient de fe donner les deux
33 Rois , la tendre Moligouroux
» reçut Coulitabo pour fon époux.
D E
T
A ï T I.
4J
s) De ce mariage, contracté fous
» les plus heureux aufpices, naqui55 rent trois enfans, dont les nouas
55 feront à jamais célébrés dans les
5> faites de l’immortalité. L’un ,
55 parcourant les forêts & les dé55 ferts , hercelait les lions , les
55 tigres & les autres animaux car55 nalfiers , & ne revenait jamais
55 au palais de fon pere, fans être
55 chargé de leurs dépouilles. L’au55 tre , ami de la paix & du bon
55 ordre, ne s’occupait qu’à rendre
55 la juftice aux peuples & à conci55 lier les familles 5 enfin le troi55 fieme , héritier préfomptif du
55 Trône, concertait avec un petit
s5 nombre d’am is, des moyens de
s5 rendre un jour fes fujets heu55 reux ; & le plan de ce bon Prince,
s> formé dans le fein de l’am itié,
R
é v o l u t i o
N S
fut en effet, pendant fon régné,
la fource
bonheur dont joi
» rent les Atalantes.
3
« Coulitabo parvint, avant de
»> m ourir, à établir les principes ■
>3 fondamentaux de la conftitutionl
» politique 8c civile de fon Etat,
33 Des loix fages, émanées des vo33 lontés réunies de la Nation , &
33 fcellées du fceau de fon autorité,
33 furent les premiers fruits de fon
3> gouvernement. Il diftribua toute
33 file Atlantide en Provinces , à ■
33 la tête defquelles il propofa des
33 Intendans fages, & choifis parmi 33 les citoyens les plus vertueux. Ces
33 Officiers entretenaient une cor33 refpondance continuelle avec le
33 R o i, & l’inftruifaient de tout ce ss qui fe paffiait dans leurs diftriéts, v
33 Les tréfors de l’Etat , le main-
D E
T
A
t
r.
47
» tien de la tranquillité publique ,
» les domaines du Prince , tel était
» l’objet de leur adminiftration.
»> Quant aux affaires de la guerre,
» c’eft-i-dire, tout ce qui pouvait
» concerner les précautions que le
» Gouvernement devait prendre
» contre les invafions des étrangers,
» on en chargeait des Officiers par» ticuliers , auxquels une longue
» expérience & une fageffe con» fommée, permettaient de confier
» cette partie importante de l’ad» miniftration publique. La Reli;' j> gion qui fit par-tout le bonheur
» des Etats , & le lien facré qui
'» unit le Monarque à fes fujets,
'» prit une forme impofante âc ma•}> jéftueufe fous le régné de Cou» litabo. Cette foule de minuties
I'33 indécentes qui l’avaient avilie ,
48
R évolutions
» ces puérilités qu’un faux zel»
» avait introduites dans celles de
» fa patrie primitive , furent re» tranchées du code facré qu’il pu» blia. U n Dieu , une aine été:» nelle , des récompenfes &c des
7» peines dans l’autre vie ; voili
jj quelle en fut la matière : & pour
j j rendre cette Religion plus refpecj» table aux yeux de la multitude,
j j il la revêtit de dehors impofans,
j j en prefcrivant certaines céréino
j j nies propres à éblouir le peuple
j j par leur éclat. »
A ces derniers m ots, les Jugesi
Mirmidons arrêtèrent le Philofop h e , & le prièrent de leur déve
lopper une idée fur laquelle il ve
nait de glilfer fort légèrement. Ils
croyaient, fans doute , l’exiftence
d’un Dieu } & ce dogme eft C
univerfellement
r> e
T
a
i t r.
49
univerfellement reçu dans toutes
les régions de la terre, que ce ferait
les prendre pour des imbécilles ,
que de foupçonner fur ce point leur
orthodoxie. Cependant, comme le
fage Pantoinitoul leur parai (Tait
beaucoup plus inftruit fur cette
matière, qu’aucun d’eux ne pou
vait l’être , ils le prièrent de s’ex
pliquer clairement fur la nature
du Dieu dont il venait de leur par
ler. « Dieu , dit-il , eft une intelj> ligence éternelle. . . . Cette réponfe ne fatisfit pas davantage les
deux députés des Mirmidons ; &
au feul mot à'éternel, ils s’écriè
rent unanimement que l’étranger
était un rêveur , qu’il s’exprimait
d’une maniéré inintelligible, & qu’il
fallait lé chaflèr du Village. Pour
leur faire comprendre fon idée, le
Tome I.
C
5o
R évolutions
Philofophe leur fit obferver que ,
lorfqu’ils j erraient une pierre , la
volonté qu’ils avaient de faire cette
aétion, ne réfidait pas dans le bras|
qui l’exécutait : que
lorfqu’ils
projettaient d’aller à la chafie , &
qu’ils fe promettaient de rapporter
des peaux pour fe vêtir , leur corps
n’avait aucune part à ce projet ni
à cette efpérance j d’où il conclut
qu’il y avait deux chofes trcs-diftinébes dans l’hom m e, la partie qui
v e u t, & la partie qui exécute. U
ajouta que c’était la première qu’il j
appellait ame ou intelligence,
que c’était par cette intelligence
que les hommes reflemblaient à la
Divinité j mais qu’au lieu que les
hommes agiflàientpar leurs corps,
P ieu opérait par les éléments dont |
il était lame. « Voilà pourquoi, *
D E T A ï T I.
51
» ajouta-t-il, tous les peuples de la
*> terre, les fages Atalantes meme,
»> ont multiplié les intelligences
» divines , en les prépofant à la
»> conduite des éléments & des af5) très qui roulent fur notre tète ;
»> ainfi, félon la théogonie de mes
» compatriotes , Amifcopas cft
» l’ame du foleil , & cette divi» nité fubalterne agit par les rayons
3) qui fortent de ceglobe enflammé;
33 & Afloran , comme étant celle
>3 de l’air , attire vers le ciel les
33 brouillards pour les transformer
3> en nuées , & fait éclater le ton33 nerre. »
Cette Métaphyfique , dont on
n’avait pas encore entendu parler
chez les Mirmidons , ne fatisfit
pas leurs députés ; & ils s’écrièrent
qu’un tel fophifme, loin de les perC ij
JZ
R évolutions
fuader de l'éternité de Dieu , ne
ferait qu’obfcurcir dans leur efprit
cette importante vérité, fi Dieu
lui-même ne l’eût gravée dans le
cœur de tous les hommes , d’une
maniéré beaucoup plus intelligible,
Cependant, pour ne pas perdre un
tems précieux à développer un myfte re , qu’il fuifit de croire , fans
s’occuper à l’approfondir , ils priè
rent le Philofophe de continuer fa
narration. Alors , il traça fa croyaru.
ce & celle de fes compatriotes fur
l’immortalité, de lam e , fur les pei
nes Sc les récompenfes d’une autre
v ie, fur la nature & la puiflànce
de ces génies fubalternes., dont les
Atalantes , dans les tems poftérieurs,
ont peuplé le ciel & la terre , & fur
quelques autres objets peu importans ajoutés aux dogmes prefcrit$
ï> E
T
A ï T I.
5$
par le célébré Coulitabo. Les dé
putés Mirmidons écoutèrent avec
d’autant plus d’attention la plupart
des chofes que Pantomitoul leur dé
bitait , qu’il avait mis beaucoup de
véhémence & de chaleur dans fou
diH-ours ; mais ils jetterait des cris
effroyables lorfqu’il vint à parler de
cette foule de minuties, telles que
les oracles, les pèlerinages ( i ) &
les geftirulations , qu’il croyait être
elfentielles au culte divin. Ils ne pu-
( ï ) La Déclaration du mois d ’Août 1671 »
& celles des if Novembre 1717 &. i-’>. Août
1758 , dcfendemdc faire aucuns pèlerinages hor*
du Royaume de Erance , particuliérement à R o
me , à Notre-Dame de Lorcctc & à St. Jacques
en Galice, fans en avoir auparavant obtenu la
permiflion de l’Evcquc , à peine d’etre pourfuivi extraordinairement. Nous commençons à
penfer aufli fagemem que les Mirmidons. (tVo u de
V E d ite u r. )
C iij
54
R évolutions
reut fur-tout contenir leur empor
tem ent, lorfqu’il leur fit le portrait
des peines réfervées à ceux qui n’ac
compliraient pas les préceptes don
nés aux hommes par l’Etre fuprême. Heureufement il avait eu l’at
tention de ne les menacer que de.
quelques punitions légères , Ôc leur
taire les fupplices affreux que Paugiras & Argirophon , nouveaux
Sifyphes , éprouvent dans les en
fers. Telle était l’erreur de ce peu
ple généreux, qu’il ne pouvait croire
qu’un Dieu bon & miféricordieux
exerçât éternellement fa vengeance
fur des âmes dont les crimes, quoi
que fiuieftes à la terre , n’avaient
été que pafïàgers.
Quand leur premier trouble fut
ceffé , ils lui demandèrent ce qu’il
fallait faire pour honorer la Divi-
D E
TA
ï T ï.
55
futé. « Lui obéir , dit le Philofoj> p h e, & lui rendre un hommage
» digne de fa puiflànce , eii em>} ployant à fon culte une partie des
jours qu’il vous a donnés & qu’il
» vous conferve. jj Enfuite , il leur
expliqua plus particuliérement en
quoi devait confifter ce culte qu’il
leur prefcrivait, & fur-touc quels
étaient les facrifices qui étaient
agréables à l’Etre fuprême. Ce der
nier fujet lui parut fi important,
qu’il recommanda bien pofitivement à fes trois auditeurs , d’en
garder la connoiflince pour eux'
feuls & pour leurs enfans.
Tel eft en fubftance le difco^irs
que Pantomitoul tint aux trois dé
putés Mirmidons. Ces trois M agis
trats avaient bien promis de ne di
vulguer ces myfteres qu’avec la
C iv
56
Révolutions
plus grande précaution. L’article
des facrifices devait fur-tout exer
cer leur difcrétion ; mais le Philofophe ne fut pas plutôt parti, qu’ils
révélèrent tout ce qu’il leur avait
d i t , dans une alïemblée générale
qu’ils convoquèrent à ce fujetd .
Nous ne nous croyons pas. meil- .
leurs que vous., dirent-ils avec cette
franchife qu’infpire la vertu j la
Divinité ne nous a pas fait naître
d’une maniéré plus diftinguée que
le plus petit des Mirmidons j & fi
nous fommes revêtus de la qualité
de Juges de la Nation , c’eft de
vous que nous tenons cette dignité.
Cet étranger a voulu fans doute
nous tromper ou nous féduire par
mie confidence, dont en apparence
il fait tant de cas ; mais nous;',
croyons devoir vous communiquer
tout ce qu’il nous a appris. Enfuite
ils racontèrent naïvement! l’alîèm-'
blée les leçons que Pantomitôul
leur avait données, fur la maniéré
myftérieufe de faire les facrifices &
de prononcer des oracles. La plu
part de ces dogmes prétendus paj
rurent ridicules j & l’on imagina
qu’apparemment cet étranger fan
fait un fecret chez lui de ces baga
telles , pour s’attirer les refpeéb
des peuples & fe rendre nécelîàire.
On raifonna enfuite fur le fonds
même du culte dont il avait coin
feillé l’établiiTement , & on le
trouva, dépouillé de fa fimplicito
primitive, auffi inutile à Dieu qu’il
était gênant pour les hommes. De
tout ce qu’avait-dit le Philofophe ',
on n’approuva que l’explication qu’il
avait donnée de lame & de la DiCv
58
R
é v o l u t i o n s
vinité. Chacun fut très - fatisfalt
d’apprendre que dans l’île Atlan
tide , comme dans celle des Mirmidons, on était convaincu que la
plus noble partie de nous-mêmes
ne Te féparait du corps, que pour
pairer dans un état plus heureux ,
ou pour reprendre un corps rayon
nant de gloire. On crut aifément
que le foleil & les étoiles étaient
animés par des intelligences, puis
qu'ils fe rem uaient, &: qu’ils paraifliient beaucoup plus éclatans
que les autres corps. Plufieurs
vieillards, méditantfur la fécondité
de la terre , avaient déjà Soupçonné
qu’il y eût des êtres au-deffus d’eux
beaucoup plus puiflàns , & qui
tenaient toute la nature fous leur
dépendance.
fi e T a ï t i .
59
C H A P I T R E I 11.
Arrivée des Puligenes dans l ’üe
des Mirmidons.
Philofophe parcourait ainfi
toute la terre , pour initier les hom
mes dans les myfteres de la fageiïè,
dk les inftruire de leurs devoirs. Il
ne fut pas plutôt arrivé à Bolabola ,
île éloignée de quelques centaines^ de lieues de celle des Mirmidons,
qu’il rendit compte de ce qu’il avait
vu dans cette région; & , fur ce
qu’il dit de la douceur des M irmi| dons & de la fertilité de leur pays ,
I les Puligenes , principaux habitans de Bolabola , réfolurent de
leur envoyer une Colonie. La flotte
qui devait porter les Colons, avec
C v;
I
6o
R
é
v o t
u’ t i o n s
toutes les cfiofes nécellàires à un
pareil établiflement, ne tarda pas à
être prête ; & elle arriva fur les
côtes du pays des M irmidons, vers
la fin de l’été.
I
Ces côtes étaient inhabitées ;
parce que les vents de mer y ren«.
dant le climat plus rude qu’ailleurs, ■
Tes Mirmidons
maîtres d’une
vafte campagne, n’avaient pas voulu
s’y établir. Les Puligenes vivaient
depuis long-tems fous le joug
d’une civilifation très - fagement
combinée ; ils cultivaient les Arts &
les Sciences} ils n’ignoraient pas les ■
loix de la politique ÿ & ils avaient
porté l’art de la guerre au plus Haut
point de perfeétion où il pouvait.
atteindre alors. Ils eurent bientôt
élevé des murailles, bâti des maifons, partagé les terres, & labouré
D E
T
A ï T I.
celles qui devaient être enfemencées. Des ouvriers en tout genre,
levèrent des boutiques , & fe nui
rait en état d’acheter les denrées
dont leurs concitoyens fe promet
taient une récolte abondante. Ce
pendant , il pouvait furvenir quel
que accident, qui aurait réduit la
Colonie dans une grande extrémité.
L’amitié des Mirmidons pouvait,
être d’une grande utilité en pareil,
cas. Audi le Commandant de la~
Colonie n’eut pas plutôt pourvu à.
fa sûreté , qu’il partit,. accompa; gué de quelques foldats & d’urt
| interprète , pour aller à la décou
verte. Ces étrangers furent trèsbien reçus des Mirmidons. Ce peu
ple fîmple & pacifique ne pouvait
fe lalfer d’admirer les boucliers
les cafques 8c le relie de l’armure.
Le Chef de la Colonie vit avec |
VE
T
A ï T I.
chagrin que les Mirmidons ne fe
familiarifaient pas avec les arts de
Bolabola. Il avait compté s’en faire
autant de fujets utiles par leur tra
vail ; il s’était même flatté d’en for
mer des foldats. Mais leur indiffé
rence pour tout ce qui les éloi
gnait de la nature , était peu fa
vorable à l’exécution de ce projet.
Jufqu’alors les Mirmidons n’avaient
acheté que des arcs & des fléchés ,
parce qu’ils en trouvaient Pufage
fort commode à la chafle. 11 donna
à plufieurs d’entre eux du linge &
des étoffes , dont il leur apprit à
faire ufage. Peu à peu ils s’habituè
rent à en porter pendant l’été ; de
ceux à qui on n’en avait pas donné ,
apportèrent à la Colonie une par
tie de leurs fruits en échange. Ils
reçurent avec plaiiîr du linge & des.
66
R évolutions
étoffes. Les premiers } après avoit'
afé en fort peu de rems celles qu’on
leur avait données, vinrent en re
demander de nouvelles. Bientôt
tous les Mirmidons ne portèrent
plus que des habits de toile ou de
laine.
Cependant il ne leur fut pas pot
lible de vivre & de s’habiller, avec
la même quantité de denrées qui
leur avait fuffi auparavant. Ils s’en
plaignirent au Commandant Puligene ; car déjà il était devenu leur
arbitre. Il leur confeilla d’imiter
fes compatriotes, Sc de mettre à pro
fit la terre, fpécialement celle que
leurs arbres & leurs bois ne cou
vraient pas y il leur donna pour maî
tres dans l’art de cultiver la . terre,
des Caloniftes Puligenes, qui leur
apprirent à labourer, à feraer & à
®E T
a
ÏTX.
67
tnoucre leur bled, & à en faire du
pain. Les Mirmidons donnèrent une
»arrie confidérable de leur récolte ,
>our payer leurs maîtres. Le refte
iit employé à acheter des charrues
& des moulins. Il fallut apprivoifer
des bœufs & des chevaux , dont
l’ufage devenait tous les jours plus
jrand & plus néceffaire. Les prai
ries furent employées à les nourrir^
Je, loin que les Mirmidons enflent
lefoin pour vivre d’une moindre
quand té de terre qu’auparav2iir ,
il leur en fallut beaucoup davan
tage. On leur apprit encore â élever
des moutons & à les tondre, lis en
portaient la laine aux Puligenes ,
qui leur donnaient en échange des
étoffes de toute efpece. Enfin on
gagna fut les Mirmidons , quoiqu avec bien de la peine, â leur
5 affreux & outrageons qu’ils vien55 nent de faire éprouver à ceux
55 de vos compatriotes qui font toin55 bés entre leurs mains , font des
55 triftes avant-coureurs des maux
55 qu’ils vous préparent, fi vous ne
55 vous difpofez pas à leur réfifter en
55 braves gens. Ce n’eft point en les
55 attaquant tumultuairement que
55 vous pourrez-les vaincre; réfervez55 vous pour une meilleure occafion.
55 Tous les Saginotes doivent bien55 tôt fe mettre en marche , pour
!» entrer dans votre pays, & le déDv
Si
R
é v o l u t i o n s
» foler d’un bout à l’autre. C’eft
35 alors qu’il faudra marcher contre
>3 eux & les combattre ) attendez
33 que notre Général nous ait mis en
33 état de vaincre par la fagefle de
33 fes mefures & la fupénorité de
33 fes lumières. La Divinité ne fa33 vorife que les combats auxquels
33 préfident la fageffe du Général &
33 l’obéilïince des foldats ».
Cependant les Mirmidons qui
étaient fortis du camp , avaient at
taqué les Saginotes avec fureur.
L’image de leurs amis indignement
mallacrés fous leurs yeux, femblait
les fuivre & les exciter à la ven
geance. Le Roi des Saginotes ayant
été informé de cette irruption fubite , craignit que fes troupes ne
fnfient accablées par le nombre, &
que le transfuge ne les eût trahies.
DE
T
A ï T I.
03'
Il fit mettre Ton armée fous les ar
mes , & il s’avança pour les déga
ger. Le Général Puligene jugea qu'il
était tems d’éprouver le courage de
fes foldats. 11 envoya un gros déta
chement pour fourenir ceux des
Mirmidons qui combattaient déjà ;
il rangea le refte en bataille fur une
éminence; & , en attendant qu’il
fût attaqué par les Saginotes, il par
courut les rangs , pour exhorter les
Mirmidons à bien faire. Ils répon
daient tous par des cris redoublés
qui marquaient leur impatience.
Le combat fut bientôt engagé; le
le nombre des Saginotes le rendit
long & opiniâtre. Mais enfin ils fu
rent mis en fuite.
Les Mirmidons revinrent au
camp , en emmenant les uns leurs
blelfés, & les autres les captifs qu’ils
D vj
84
R
é v o l u t i o n s
avaient délivrés. Le Général Pull"
gene leur donna à tous de grands
éloges. On diftribua à ceux qui
s’étaient diftingués par quelque ac
tion remarquable , des couronnes
de feuillages , de belles arm es, &
une plus grande part dans les dé
pouilles de l’ennemi. Les blefles
furent panfés avec beaucoup de
foin, & il en mourut fort peu. On
enterra les morts avec une pompe
vraiment guerriere. Les harangues
par lefquelles on confacra leur mé
moire , & les honneurs qu’on leur
ren d it, joints à l’idée que les Mirmidons avaient déjà d’une autre vie)
ne lailïàient aux viétorieux que le
regret de n’avoir pas eu le même
fort. On ne manqua pas de les alfurer que , s’il était une mort agréa
ble à D ieu , & qui dût être fuivie
D E
T
A ï T I.
8
j
d’une vie bienheureufe, c’était celle
à laquelle 011 s’expofait pour la défenfe de la patrie. Depuis ce mo
ment , on ne remarqua pas moins
de courage dans les Mirmidons
que dans les Puligenes. Ils rece
vaient avec tranfport les prix qu’on
leur décernait g.près la viétoire j &
ils avaient tous la même ardeur
pour les mériter.
Prefque tous les Saginotes furent
exterminés pendant le cours de
cette guerre. Les autres prirent la
fuite, & le Généaal Pulig;ene ramena fon armée diminuée de moi
tié. Il n’y avait pas-là de quoi in
viter les autres Mirmidons à pren
dre la profeffion des armes j auili
ne chercha-t-on pas à en faire des
Guerriers. Perfuadé que rien n’en
gage plus les hommes à ne pas fe
16
R é v o i b t i o n s
démentir que la crainte d’être con
fondus avec ceux au-delfus defquels
ils croient s’être déjà mis par leur
valeur, le Général Puiigene n’eut
garde de confondre les Guerriers
avec les autres habitans. Il n’était
pas de fon intérêt que la profeilion
des armes abforbât routes les autres
profe/Tions. Il réfolut de la perpétuer
dans la famille de ceux qui avaient
déjà pris l’humeur guerriere } &
pour les engager à fe m arier, à
combattre vaillamment, & à élever
leurs enfans pour la guerre, il leur
partagea les terres dont il avait
privé ceux de leurs concitoyens qui
n’avaient pas voulu aller à la guerre.
Mais il ne leur accorda ces terres
que pour autant de tems qu’eux
ou leurs enfans porteraient les ar
mes. En même tem s, il affujettit
DH T a ï ' t r.
87
les ancres Mirmidons à un tribut
plus honteux encore qu’il n’était
onéreux. A cela près , il n’y avait
d’autre intervalle entre les guerriers
& les citoyens pacifiques, que celui
qu’ils mettaient entre l’honneur &
la honte , entre la lâcheté & la bra
voure y & , parmi tous les guerriersMirmidons , on aurait eu peine à
en trouver un feul qui eût voulu
franchir cet intervalle , pour éviter
une mort certaine.
Mais il n’y avait alors de la honte
qu’à fuir devant l’ennemi. On 11’en
connaiflait pas encore à fouffrir pa
tiemment une injure, & à être plus
modefte & plus vertueux que fon
concitoyen. Il n’y avait pas de Guer
rier qui n’eût des efclaves , qu’il
conïïdérait comme une portion de
fa famille. Ils l’aidaient à cultiver
88
R é v o l u t i o n s
fes terres-, & fon abfence ne faifait !
aucun tore à fes affaires. L’amour
de la patrie était leur paffion domi
nante. Plus ils trouvaient de dou
ceurs dans la paix, plus ils met
taient de courage & d’intrépidité >
dans la guerre. Ils ne craignaientpas
la m o rt, parce qu’ils la regardaient
comme le chemin de la gloire , &
le paffage à une meilleure vie. Ce
furent ces vertus qui mirent les Mit- t
midons en état de réfifter avec fuccès aux Farinages, aux Faloures,
aux Saginotes 8c aux Roxolanes,
qui eurent la témérité d’aborder >
dans leur île. Us finirent même par ;
les fubjuguyer ; & ils établirent dans
les contrées dont ils s’étaient empa
rés , des Colonies puillàntes , des
foldats aguerris , qui repoufferent,
fouvènt fans avoir befoin que d’eux-
» E
T
A
ï
T T.
89
mêmes, les Macarates , les Fatimites , les Pulipetes , & plufieurs au
tres peuples féroces & écumeurs de
mer, mais d’uue bravoure extraornaire.
CHAPITRE
V.
Renverfement de l’état des M irmidons.
que ces citoyens aifés f u
rent les défenfeurs de la patrie , elle
s’accrut au-dehors , & jouit d’un
calme profond au-dedans. Des di
visons inteftines ne pouvaient être
utiles à des citoyens opulents, ver
tueux, & dont la profpérité était
attachée à celle de leur pays. O n
n’eut pas plutôt enrôlé des pauvres
T *
a n t
vre ne fe mariait pas. Le Payfan
malheureux , accablé d’impôts &
de corvées, élevait peu d’enfans.
Prefque toutes les marchandifes un
peu recherchées qui fe vendaient
dans le pays , venaient de chez
l’étranger , & faifaient fortir du
Royaume le peu d’argent qu’il y
avait encore. U n Roi Fatimite s’ima
gina qu’en faifant fabriquer chez
lui ces marchandifes , les ouvriers
qui y feraient employés gagne
raient l’argent que l’on envoyait
au-dehors : que cet argent ferait
employé à acheter des denrées,
dont le débit ferait hauffer le prix
des terres, & en augmenterait la
culture ; que ces Laboureurs ayant
B I T
A ï T I.
9J
plus d’occupation , leur nombre
augmenterait, en même tems que
les Villes fe peupleraient d’ou
vriers. Ce que le Roi avait prévu
arriva. Mais il arriva auffi que ,
l’argent devenant très-commun , ce
tribut que le peuple payait aux
Guerriers , qui originairement était
le loyer de leurs terres , fe trouva
réduit à rien. Les revenus du
Roi augmentèrent au contraire
beaucoup par l’augmentation des
confommations j & , pour foutenir
•ce qu’il avait fait , il donna l’exem
ple d’une grande dépenfe. La Na
tion qui était déjà le linge de la
Cour , fuivit cet exemple conta
gieux ; elle fe ralïènibla prefque
toute entière dans la Capitale, où
les plaifirs étaient fans nombre , &
les pallions fans aucun frein. Ce
R é v o l u t i o n s
coloifè devint bientôt effrayant pat
fon étendue , fon fafte & fon tu
multe. Là , chacun dépenfa fon bien
& celui de fa poftérité. Ce n’était
pas feulement le Roi que l’on vou
lait imiter. Le Guerrier qui fe
voyait éclipfer par un Bourgeois
que la recette des deniers royaux k;
avait enrichi, s’efforçait de briller
plus que lu i, & il n’y avait aucune
efpece d’extravagance qu’il ne fît,
pour y réulfir. Tout le monde de
venait pauvre. Le Roi feul & fes
Receveurs étaient riches j mais ceux,
ci l ’étaient encore plus que lui,
parce qu’ils n’étaient pas obligés j
comme lui de réparer tous les jours
mille fortunes délabrées. On ne
pouvait plus avoir aucun emploi
fans être obligé de fe ruiner. Tou
tes les charges , les dignités, les
emplois 9
D E
T
A ï T I.
97
emplois, les places civiles, mili
taires & facerdotales , fe don
naient à ceux qui étaient en état de
payer ; & , lorfque le Roi paraiffait avoir enrichi un homme ,
c’était une raifon pour qu’il tom
bât dans la pauvreté.
Il n’y avait perfonne dont lepere
n’eût été pauvre , & dont le fils ne
dût l’être. Cependant la pauvreté
n’était pas feulement fâcheufe ,
comme elle l’avait toujours été; elle
était devenue honteufe & infoutenable. U n homme qui n’avait pas de
quoi s’habiller au moins quatre fois
par an , n’était pas admis dans ce
qu’on appellait la bonne compa
gnie. Les jeunes Guerriers qui
ivavaient pas allez de bien pour pa
raître avec éclat dans la Capitale,
& pour s’y ruiner, étaient sûrs de
T ome I.
E
8
R évolutions
ne point faire fortune , à moins
qu’ils n’employafTent des moyens
bas & honteux. L’honneur , qui
avait remplacé la vertu chez les an
ciens Mirmidons , était alors rem
placé lui-même par l’opulence. Rien
n’était honteux pour y parvenir ; &
il fuffifait d’être opulent pour être
honnête homme. La probité étant
donc de tous les défauts la plus oppofée à la profelïïon d’honnête hom
me , perfonne ne fe croyait obligé
d’en avoir , quoique tout le monde
prétendît avoir des fentiments ;
mais c’eft que , pour avoir des fen
timents , il n’était pas néceflaire
d ’avoir de la probité. Le Roi favorifait par mille moyens le crédit
qu’acquérait l’opulence & le difc'redit où était tombée la pauvreté fou*
puleufe.
D E
T
A ï T I.
99
L’abus de la chicane & des for
mules du Palais avait été porté à un
tel degré, qu’il n’y avait pas un ci
toyen honnête qui ne gémît des
maux que ce fléau deftruéteur occafionnait. Les annales de ces tems de
ténèbres & deperverfité font pleines
de traits affreux , qui repréfentent
au naturel l’état de faibleflè & de
dégradation où ce peuple était tom
bé. En voici un exemple. U n vieux
Célibataire, connu par fon avarice
& par fes richeflès , ne pouvait
conferver auprès de lui aucun domeftique. Cet homme fingulier exi
geait de ceux qui le fervaient, un
attachement fans bornes , & furtout une grande frugalité ; mais ,
en récompenfe , il leur donnait les
efpérances les plus flatteufes pour
l’avenir. Chaque mois voyait une
E ij
IOO
R év ol u ti on s
foule de laquais entrer dans fa maifon, & en fortir. Tous ceux qui
avaient été renvoyés dans les envi
rons , s’étaient préfentés chez le
Célibataire, & pas un feu l, malgré
fes promefles , n’avait pu refter à
fon fervice.
L’avare, expofé à fe fervir luimême , fe promenant un foir fur
la terraflè de fon Château, qui do
minait fur la vafte étendue d’une
riviere fameufe alors par les ora
cles que l’on prononçait fur fes
bords , conçut un projet qui devait
lui aflurer pour jamais un laquais
fidele & frugal. Il manda auffi-tôt
l’Officier public auquel il diéta ce
teftament.
« Je donne & légué au laquais
»> qui me fermera les yeux , douze
» cents piaftres en argent, & mon
»? château de Tenifole >».
DE
T
A ï T I.
I6I
Le bruit fe répandit bientôt
dans le canton , que l’avare avait
réfolu d’être généreux après fa mort.
Mille domeftiques s’empreflerent
de lui offrir leur fervice. U n d’eux
s’impofa la loi de fubir la faim
& la foif , pendant le refte de
la vie du Teftateur. On prétend
que ce malheureux ferait mort
d’inanition avant fon Maître , fi ce
dernier eût vécu encore fix mois ;
mais fa mort fi defirée par le domeftique légataire , ferma le tom
beau de celui-ci , où fa rare conf
iance l’aurait infailliblement fait
defcendre.
Les héritiers de l’avare s’emprefferent de jouir de fa fortune. Quoi
qu’elle fut immenfe , ils trouvèrent
mauvais qu’il eût fait un teftament.
Le malheureux laquais pouvant à
E iij
101
R É V O L U T I O N S
peine fe traîner, eflàya de les tou
cher , par le tableau des facrificeî
qu’il avait faits. L’un d’eux voulut
voir le teftament. En lifant ces
mots : « Je donne & légué au la» quais qui me fermera les yeux»,
il s’écria avec une joie barbare : la
donation ejlnulle ! — Eh ! pourquoi,
je vous prie ? dit le laquais en trem
blant. — Mon oncle était borgne,
répondit l’héritier j tu n’as donc pu
lui fermer les yeux.
L’infortuné légataire, menacé de
perdre le fruit de fes travaux,
s’atlrelïà aux Jurifconfultes pour
favoir l î , en effet, le teftament de
feu fon Maître , était nul j les avis
fe trouvèrent partagés : les uns fcrupuleufement attachés aux termes
de la loi , qui ne permet pas les
équivoques, penfaient que le lé-
D E
T
A ï T I.
IO J
gataire n’ayant pas rempli les con
ditions , ne pouvait juftement ré
clamer les bienfaits du Teftateur.
Les autres, facrifiant la rigueur de
la loi à l’intention préfumée du
Donateur , penfaient que ce n’était
pas par une équivoque que l’on de
vait décider la queftion ; qu’il
était évident que le Teftateur avait
entendu par le laquais qui lui fer
merait les y e u x , celui qui fe trou
verait chez lui au moment de fon
décès -y qu’ainiî le légataire était
fondé à demander l’exécution du
teftament fait en fa faveur.
Cette variété dans les opinions
des Jurifconfultes , détermina les
héritiers à attaquer juridiquement
le teftament. Mais au premier T ri
bunal où la caufe fut portée, on
les condamna à exécuter les intenE iv
i o4
R évolutions
rions de leur parent , & à tous les
dépens. Appel de cette Sentence en
une Jurifdiétion fupérieure , qui,
envifageant cette affaire d’un autre
œil que ne l’avaient vue les pre
miers Juges , déboutèrent inhu
mainement le légataire de fa de
mande , &c le condamnèrent par
corps à reftituer tous les dépens.
Enfin , après dix ans de procédure,
d’inftruétion, d’écritures, de confultations , d’incidents, & d’Arrêts
interlocutoires, intervint Jugement
définitif au Tribunal fouverain,
qui , en confirmant la première
Sentence, condamna le pauvre laquais à payer les frais du procès, &
permit aux héritiers de le prendre
pour leur efclave, fi dans vingtquatre heures il ne liquidait pas
l’état qii’on allait lui faire lignifier.
1
jjj
[.
*
I
:>
>
© E T A ï T I.
105
Tandis que les loix gémifiàient
ainfi dans un dédale obfcur d’inuti
lités , que la cupidité avait fait naî
tre pour s’enrichir, les Provinces fe
dépeuplaient pour fournir au luxe
dévorant de la Capitale. Outre un
nombre infini d’ouvriers en tout
genre que ce fafte occupait, il exi
geait encore qu’un honnête homme
âc une honnête femme ne fortifient
pas en public , fans être efcortés
par trois ou quatre fainéans aux
quels leur profefiion prefcrivait une
perpétuelle inertie , & qu’on empê
chait communément de fe marier.
Toutes les perfonnes des Provinces,
qu’une jufte économie avait mifes
à leur aife, allaient manger leur
bien dans la Capitale , ou y en
voyaient leurs enfans. On ne voyait
plus dans la Province une famille
ainfi tranfplantée.
Ev
l 'o 6
R É V O t U T I O N S
Cependant il fallait que les Pro
vinces payaflènt tous les ans de gros
impôts -, & la difette d’argent ren
dait très-malheureufe la condition
des payfans auxquels on en deman
dait. Ils quittaient en foule la char
rue pour fe réfugier dans la Capi
tale. L à , quelques-uns d’entre eux,
après avoir partagé la recette des
impôts , s’en faifaient céder une
partie pour argent prêté au Roi.
Ceux-là vivaient avec une magnifi
cence vraiment fcandaleufe ; les au
tres , que la fortune traitait» moins
favorablement, devenaient les inftruments du luxe ) mais leur condi
tion était infiniment plus douce &
beaucoup plus honorable que n’avait
été celle de leurs peres. Qui n’au
rait vu- du Royaume des Mirmidons que leur Capitale , auraic dit
DE
T
AÏTI.
107
que c’était le plus florifiànt Empire
de la terre. Elle s’accrut fi procligieufement , qu’elle feule conte
nait prefque autant d’habitans que
tout le refte du Royaume. Comme
elle en réunifiait toutes les richeflès
& que tous les pofièfièurs des ter
res y faifaient leur féjour,il fuffifait de s’en rendre m aître, pour
l’être du Royaume.
Une guerre longue & fanglante
ayant emporté tout l’argent qui fe
trouvait dans l’Etat , on réfolut de
recourir à la libéralité du Clergé qui
poflèdait des richefiès immenfes.
U n tel avis penfa coûter cher au
Roi. Le Clergé prétendit que fon
patrimoine devait être exemt de
toute impofition , & qu’011 ne pou
vait y toucher, fous quelque pré
texte que ce fut, fans fe rendre couE vi
i o8
R é v o l u t i o n s
pable de facrilege. « Ce que vos
>3 prédécelfeurs , dit-il au Prince,
33 ont confacré au culte de la Divi33 n ité, ne peut retourner dans des
3 > mains qui ne font pas confacrées
» àfon culte. Toute la terre eft à elle j
33 c’eftàelle que vous devez la vie,
33 & ce que vous eftimez encore
33 plus,la liberté & le bonheur de vos
33 armes. Lorfque vos prédécelTeurs
33 ont détaché de leur domaine ce
33 qui fait aujourd’hui le patrimoine
33 de l’Etre fuprême, ils ont reconnu
33 que ce n’était que la moindre par33 tie de ce qui devait lui apparte33 nir ; que c’était un effet de fon in33 dulgence , fi , en fe contentant
33 d’un f i léger facrifice, il leur per33 mettait de jouir du refte de la
33 terre. En révoquant le contratpar
» lequel vos ancêtres ont obtenu la
de
T a Ï t r.
109
» permifïïon de jouir de leurs do» maines , vous annuliez cette per» million , & vous vous rendez
» ufurpateurs de tout ce dont vous
» jouiflez encore ».
Ce raifonnement parut fi folide
& fi convaincant, qu’il ne fe trouva
perfonne qui osât y répondre. La
fidélité des Mirmidons fut ébran
lée ; & pour raffermir fon Trône
chancelant , le Roi fut obligé de
faire de nouveaux dons, qui l’ap
pauvrirent & qui le jetterait enfin
dans un tel état d’indigence & de
mépris , qu’il fe vit fubitement
accablé fous les ruines de fes Etats.
U n Mirmidon , qui avait beau
coup de confidération , parce qu’il
venait de vendre fa vingtième &
derniere terre, entreprit de bouleverfer l’Etat. Il trouva dans laC a-
no
R évolutions
pitale un nombre infini de fcélérats
qui entrèrent dans fes vues , & fé
condèrent fes projets. U n foulévement affreux fe fit fentir. Le Roi 8c
fes Courtifans réclamèrent envain
les Loix, la Religion, la Juftice.
On appellait tout cela des préjugés ;
8 c , depuis long-tems, il était hon
teux de n’avoir pas fecoué le joug
des préjugés j ainfi, perforine ne fut
afïèz faible , pour fe laiffer gagner
par les repréfentations de la Cour.
Chacun demandait quel était le
dépofitaire du tréfor public , 8c
entre les mains de qui payaient les
Receveurs. On trouva que le M irmidon rébelle s’était emparé de
to u t, 8c il fut Roi.
Cependant il eut des jaloux ,
parce qu’il avait eu des égaux} &
il n’avait pas encore réduit tour lé
B E T a ÏTI.
ut
Royaume fous fa puilïànce , lorfque les Taïtiens y firent une érup
tion. Cette Nation belliqueufe ve
nait de faire une guerre fanglante
aux Gadalofques , peuple jufte &
paifible , habitant l’île d’Huaene.
Mais enfin tous les Gadalofques
étant devenus foldats , quoique
perfonne ne les payât pour l’être ,
ils avaient trouvé le fecret de chaffer l’ennemi de leurs terres. Ils vi
vaient comme avaient autrefois
vécu les Mirmidons. Leur nombre
était prodigieux. La fervitude & le
luxe ne les avaient pas encore abâ
tardis. Ils n’avaient d’autre intérêt
que celui de vivre en paix chez eux,
& de défendre leur patrie.
Les Mirmidons , bien éloignés
alors de cette fimplicité primitive,
s’étaient déchargés de ce dernier
liz
R évolutions
devoir fur une armée nombreufe
qu’on envoya au-devant des Taïtiens. Elle fe battit m al, faute d’ar
gent propre à faire naître ou à foutenir fon courage. Une partie palïa
dans le camp des ennemis , afin
d’avoir part au pillage de leur pa
trie. Les autres fe diflïperent à la
première décharge, & le refte de
la Nation ne fit aucune réfiftance.
Le Roi des Mirmidons s’enfuit
avec quelques-uns de fes fujets dans
les montagnes de l’Amérique , où
il s’établit au milieu des neiges &
des forêts. Tant qu’il vécut, il fut
en guerre avec les ours, les tigres
& les chacals ; & il laiflfo. à fa poftérité l’honneur d’avoir domté ces
cruels ennemis. On dit que fes fuccelïèurs n’ont même pu fe délivrer
de leur fâcheux voiiinage, 8c qu’aux
de
T
a
i T r.
x 13'
autres titres que portaient leurs an
cêtres , ils ont joint celui de domi
nateurs des Apalaches.
La conquête des Taïtiens n’était
pas encore allurée, que les partifans traitaient déjà avec le nouveau
R oi, pour être confervés dans leurs
recettes 3 les Magiftrats , pour être
maintenus dans leurs charges 3 les
Gouverneurs des places, dans l’adminiftration qu’on leur avait con
fiée 3 & les Prêtres, dans l’exercice
des emplois qu’ils occupaient dans
les Temples.
Les defcendans des anciens Guer
riers voulurent remuer 3 mais ils
étaient fi pauvres, ils avaient fi peu
de crédit, que lorfqu’ils fe raflèmblerent pour prendre une réfolution, leur mauvais équipage leur fit
honte, Sc leur petit nombre les dé-
ii4
R évolutions
couragea. Ils en furent quittes pour
être un peu plus rampans auprès
de leur nouveau Maître. Les Miniftres de la Religion criaient le plus
haut qu’ils pouvaient, que rien n’ar
rivait fans la volonté de Dieu , &
qu’ils adoraient en filence les dé
crets immuables du deftin. Déjà
tous les autels fumaient de l’encens
bridé en l’honneur de la Divinité ,
pour lui demander la profpérité du
nouveau Roi j les Pédagogues ap
prenaient aux enfans qu’il était leur
Maître légitime } les Guerriers ju
raient qu’ils ne démentiraient ja
mais les fentiments de refpeét & de
fidélité , dont ils avaient toujours
donné des preuves à tous leurs Rois ;
les Orateurs célébraient les vertus
du Monarque dans leurs pompeufes harangues } les Poctes ne fe
D I
T
A ï T I.
I I 5
montrèrent jamais avec une verve
auffi féconde & auili glapiffante ;
les Magiftrats faifaient charger de
fers ceux qui ne parlaient pas du
nouvel Idole avec alfez de refpeéfc
& de circonfpe&ion j les Mar
chands publiaient que le commerce
n’avait jamais été fi florifïànt qu’il
l’était fous fon nouveau régné ; les
Financiers affinaient qu’ils ne le
tromperaient pas plus qu’ils n’a
vaient trompé fes prédécelfeurs ÿ
& le Bourgeois oifif, parcourant
toutes les places de la Capitale ,
bénifTait l’heureux Gouvernement
fous lequel il jouiflait de l’abon
dance & du repos. Le Cultivateur ,
plus opprimé & moins politique ,
ne fouillait pas fa langue de tous
ces propos indifcrets } il murmu
rait en fecret contre les im pôts, 8c
i i (3
R évo lu ti on s
s’emportait ouvertement contre les
Régilleurs. Cependant, il n’y avait
pas encore huit jours que la révo
lution était confommée , & le nou
veau R oi, tout occupé de fa con
quête , n’avait pas encore eu le
tems de fe reconnaître.
C ’était un Prince qui fe croyait
habile, & qui fe perfuadait être en
état de déchirer le voile qui cache
l’avenir aux malheureux mortels.
Profond calculateur , Prince auifi
politique que guerrier intrépide ,
il avait prévu, avant de mettre à la
voile, tout le fuccès dont fon expé
dition ferait couronnée} & cet évé
nement l’avait convaincu que le
Grand-Pontife même ne connaiflàit
pas mieux que lui les arrêts du deftin. Il y crut lire que tous les Mirmidons étaient ou des fripons, ou
D E T A ï T I.
X17
de lâches adulateurs j qu’aucun
d’eux ne connoilfait d’autre guide
que fes intérêts particuliers ; & que,
fila contagion gagnait les Taïtiens,
il ferait bientôt aufli facile de lui
enlever fa couronne, qu’il avait été
facile à lui-même de chalfer le Roi
dont il occupait le Trône. Il en
conclut qu’il fallait changer les
mœurs de fes nouveaux fujets , 8c
réformer l’Etat dans toutes fes par
ties. Le commerce avait enrichi la
Nation ; il réfolut de l’appauvrir ,
en détruifant une partie des Manufaétures. Les Sciences avaient diflïpé
tous les préjugés ; il réfolut de les
rétablir fur les débris des Arts &
de la Philofophie. Les riche (Tes des
Receveurs avaient contribué à la
corruption des mœurs } il réfolnt
de s’en pafler. Une milice merce-
118
R évolutions
naire avait épuifé les finances, dépeuplé l’E tat, & lâchement com
battu pour fes foyers j il réfolut de
l’abolir. Le culte de la Divinité ,
obfcurci par des fuperftitions ridi
cules & barbares, avait été négligé
& méprifé } il réfolut de lui redon
ner cette ancienne fimplicité qui
l’avait fait refpeéter des premiers
Mirmidons. Les lo ix , devenues
méprifables par leurs contradi&ions
& leur multiplicité , avaient été
impuifiantes contre le défordre &
favorables à l’impunité } il réfolut
de les abroger.
Rempli de ces grandes idées de
réforme, ilaflembla fes fidelesTaïtiens, Scieur parla ai nfi : « Braves
»> Taïtiens, foutiens de mon Trô» ne , inftruments heureux de ma
»> grandeur , c’eft par vos vertus
D E
T
A ï T I.
11J
î) que vous avez mérité de devenir
» les Maîtres d’un peuple vicieux ;
» c’eft par votre courage & la
» fage difcipline à laquelle vous
» vous êtes affujettis, que vous
» avez fubjugué des foldats crain» tifs , indociles & mercenaires.
» C’eft fous mes aufpices & par
» ma prudence, que vous avez dé» trôné un Prince lâche & mal-ha» bile. Confervons-nous tels après
» la viétoire , que nous avons été
» avant d’entreprendre la guerre.
»» Si nous méprifons les vaincus ,
» déteftons encore plus les vices
» qui les ont livrés entre nos mains.
»> Une heureufe expérience nous a
» appris que la pauvreté eft préfé» rable aux richeflès ; que les Scien» ces font l’apanage de la fervii> tude ; que le mépris de Dieu
i 2o
»
»
»
»
»
R évolutions
attire fa colere, 8c que les Royaumes les plus florillàns font tôt
ou tard la proie des Nations
pauvres & belliqueufes. Méprifons l’opulence , les arts , le
» commerce 5dételions l’irréligion;
» foyons pauvres , puifqu’on ne
» peut être riches 8c vertueux tout
» à la fois. M ais, puifque l’exem» pie du grand nombre eft conta» gieux, 8c que les Fatimites, cette
» Nation autrefois fi guerriere &
» fi formidable, ont pris les mœurs
» de leurs efclaves, 8c ont partagé
» leur f o r t, mettons-nous à l’abri
» de la contagion , en forçant les
» vaincus à nous relfembler. Nous
» ferons leur bonheur, en aflurant
» le nôtre. »
Les Taïtiens applaudirent à ce
difcours , d’une voix unanime ,
quoique
D E T A ï T r.
rri
quoique la plupart: d’entre eux fen
dirent déjà un fecret penchant à
imiter les mœurs
leurs mœurs, leurs ufages , & le
de
T
aïti;
i 'x5
cas qu’ils font des Sciences & des
Arts. Ce tableau , dont les nuances
ne feront pas fans doute auffi va
riées quelles pourraient l’être, s’il
avait un Etat d’Europe pour objet,
n’en fera pas moins intérelfant. Un
Peuple qui, depuis des milliers d’an
nées , a fu fe préferver de la con
tagion qui a infeété prcfque toutes
les Nations de la terre ; un Peuple'
uni plus étroitement par les liens
refpeétables de l’am itié, que par
ceux des loix ; un Peuple enfin qui
fait le fujet de l’admiration & du
défefpoir de tous ceux qui le fré
quentent , mérite bien autant d’être
connu que ces Peuplades orguçilleufes , ces puiflàns Conquérans ,
dont les aébions fcandaleufes désho
norent les faites du genre humain.Fin de la premiers Partie.
E ii
A P P R O B A T
IO N .
J ’ a i lu, par ordre de Monfeigneur
le Garde-des-Sceaux, un Manufcrit
intitulé : Hijloire des Révolutions de
Taïti j. avec le Tableau du Gou
vernement j des Mœurs 3 des Arts
& de la Religion de cette île 3 par
M. * * * ■ & je n’y ai rien trouvé
qui m’ait paru devoir en empêcher
l’impreflîon. A Paris , le 25 Août
1781.
DÉM EUNIER.
P R I V I L E G E D U R O I.
L o u i s ,
par
la g r â c e n i
D i e u , R o i d e F r a n c e et de
N a v a r r e : à nos amés & féaux C o n -
fc ille rs , les Gens tenans nos C ours de
P a rle m e n t, M aîtres des Requêtes o rd i
naires de n otre H ô t e l, G ra n d -C o n fe il ,
P révôt de P a ris , B a illif s , Seuéchaux-,
leurs L ie u te n a n ts -C iv ils , 8t autres nos
J u flic ie rs quJil a pp artie nd ra , S a l u t .
N o tre A m é le fieur * * * , N ous a
f a it e x p o fe r, qu’il d é fire ro it fa ire imp rim e r & don ne r au P u b lic un Ouvrage
de fa c o m p o fitio n , in titu lé : HiJJoire
de la Révolution do T d iti, avec le Ta
bleau du Gouvernement, des Moeurs,
des Arts & de la Religion de cette île ; s'il
N o u s p la ifo it lu i accorder nos Lettres de
P e rm ilfio n p ou r ce nécelTaires. A ces
c a u s e s , v o u la n t fa vo ra b le m e n t traiter
l'E x p o fa n t , N ou s lu i avons perm is &
perm ettons par ces Préfentes , de faire
im p rim e r le d it O uvrage a utan t de fois
que bon lu i fem blera , & de le faite
ven dte , St d é b ite r par to u t notre Royau
me , pendant le tem ps de cinq-années
c o n fé c u tiv e s , à com pter du jo u r de la
date des Préfentes. F a i s o n s défenfes
à tous Im p rim e u rs , L ib ra ire s 8c autres
p e rfo n n e s , de quelque q u a lité St condi
tio n q u e lle s fo ic c t , d ’en in tro d u ire d’imp re flio n étrangère dans aucun lieu de no
tre obéiffancc. A la charge que ces Préfentes fe ro n t cnreg iltrécs to u t au long
fu r le R c g iftre de la C om m unauté des Im
p rim e u rs St L ib ra ire s de Paris , dans trois
m ois de la date d 'icelles ; que l'im preflîon
d u d it O u vra ge fera fa ite dans notre
R oyaum e St non a ille u rs , en bon papier
St beaux caraéleres ; que l ’Im pé tra nt fe
co n fo rm e ra en to u t aux R églem ens de
la L ib ra irie , Sc n otam m en t à celui du d ix
A v ril 1715, & à l ’A rrê t de notre C o n fe il,
du tre nte A o û t 1777 , à peine de dé
chéance de la préfenre P erm irtïon ;
q u'ava nt de l’e xp oîe r en vente, le M a n u fc ritq u i aura fe rv i de copie à l ’im p rc ffio ti
d u d it O uvrage , fera rem is dans le même
état où l ’A p p ro b a tio n y aura été donnée ,
es m ains de notre très-cher & féal C he va
lie r, Garde-des-Sccauxde France , le fïeur
H ue de M iR O M irm ,C o m m a n d e u r de nos
O rdres ; q u ’i l en fera e nfuite rem is deux
Exem plaires dans notre B iblio thè qu e pu
b liq u e , un dans celle de n otre Château
du Lou vre , un dans celle de notre trè s cher 5c féal C h e va lie r , C ha ncelie r de
France , le S ieur de M e a u t o u , 5c un
dans celle d u d it S ieur H ue d e M i r o m é N il : le to u t à peine de n u llité des P ré fentes : D u contenu defquellcs vous
m andons Sc enjo ign on s de fa ire jo u ir le
d it E xpofanrSc fes ayant-caufes , pleine
m ent 5: p a ifib le m e n t, fans fo u ffr ir q u ’il
leur fo it fa ic aucun tro ub le ou empêche
ment. V ou lo ns qu’à la copie des Préfen
tes, q u i fera im p rim é * to u t au lo n g , au
com m encem ent ou à la fin d u d it O u vra ge ,
lo i foie ajoutée com m e à l ’o rig in a l.
C om m andons au p rem ier notre H u iflie r
ou S e rg e n t, fu r ce requis , de faire ,T o u r
l’exécution d ’ic e lle s, tous aélcs re qu is 5c
nicefiaires, fans demander sacre penuif-üor. , Si conobltact ciameur de Haro ,
Charte normande, & Lettres à ce concraircs : Car tel cft notre p!aifir. Donne à
Paris , le vingt- huitième jour du mois
de Novembre , l'an de grâce mil fept
ccnr quatre-vingt-un , & de notre Régné
le huitième. Par le Roi en fon Coafeil.
Signé, LE B E G U E .
R egifré fe r U Regifre X X I de U,
Chambre Royale & Syndicale des Liercirts & Imprimeurs de Paris , X 9. 1491 ,
fo l. 607 , conformément aux difpojîtions
énoncées dans la préfente Pcrmjjfiott ; 6*
a la charge de remettre à ladite Chambrt
les hz.itExemplairespreferits par f article
C V I I / du Réglement de 1715. A Paris,
ce foNcmemère 1781.
Signé , LE C L E R C , Syndic,
Be rimjeioKtk de GUIFÏIÉR, :ue«k
HISTOIRE
DES
R É V O L U T I O N S
DE
TAÏTI,
Avec le Tableau du Gouvernement, des
Mœurs des A rts , & de la Religion
des Habitans de cette lie , par MeJJirc
P O U T A V E R Y , Grand-Earéede Talti;
Ouvrage traduit du Taïtien en Français.
Par
M
a d e m o i s e l l e
B. D. B. D. B«
Lucis habitamus opacis
Riparumque toros 8c prata recemia rivis
Incolimu.......................................................
TOME
P rix , î liv. 8 f
Liv. i y .
SECOND.
les deux volumes broch.
M. DCC.
L X X X II.
Avec Approbation, & Privilège du Roi.
HISTOIRE
DES R É V O L U T I O N S
DE TAÏTI.
SE C O N D E P A R T IE .
. Tableau du Gouvernement
des
Mœurs j des Arts & de la Reli
gion des Peuples de Taïti.
CHAPITRE
PREMIER.
Gouvernement de l'île de Taïti.
T ' o u ï le monde connaît le defpotifme infultant des Souverains
de l’Afîe. Ces Puiflances barbares,
Tome I I .
A
1
R évolutions
accoutumées à regarder leur vo
lonté comme la mefure du jufte &
de l’injufte , affermies dans cette
monftrueufe opinion par la vile
flatterie cl’un peuple d’efclaves ;
foutenues dans leurs prétentions pat
l’extravagance cl’un fanatifme aveu
gle & m eurtrier, règlent l’exercice
de leur autorité fur les principes les
plus injurieux à la nature humaine ;
delà , ces décifions arbitraires qui
fe conrredifent, ces ordres momen
tanés qui font toujours la lo i, cette
fupprellïon déplorable de toutes les
réglés, de toutes les formes & de
tous les confeils j delà , en un mot,
un gouvernement dont toutes les
opérations ne font que l’effet du
délite, des accès des pallions, & des
mouvements d’une impétnolîté fü• bite Çc fans frein.
© E
T
A ï T I.
$
Les heureux Taïtiens jouiflànt
encore des plus beaux privilèges
qu’ils ont reçus de la nature , ne
connaiflentpas ce débordement im
pétueux & furibond d’un pouvoir
illimité. Ils font fournis à un Mo
narque, parce qu’une expérience de
pluiîeurs lîecles leur a appris que
de toutes les formes de Gouverne
ment ? la meilleure eft celle de la
Monarchie tempérée, & qu’il n’en
eft pas où le fecret foit auili sur ,
l’aéfcivité aufli grande , le mouve
ment auili uniforme 8c le nerf auili
puiiTànt. La Couronne de Taïti eft
héréditaire ; &, pour former de bon
ne heure l’héritier préfomptif du
Trône, au gouvernement de l’Etat ,
les loix du pays veulent que le Roi
régnant l’aflôcie à fes travaux , auilitôt que l’âge &c la réflexion lui perA ij
4
R évolutions
mettent de prendre en main le ti
mon des affaires j & cet ufage , au
quel ce beau Royaume doit la coiv
iervation de fes principes, fait que
l’adminiftration n’eft que fort rare
ment confiée à des mains débiles
8c fans expérience. Le Prince , quoi
que abfolu dans les parties com
munes de l’adminiftration, eft obli
gé de prendre l’avis d’un confeil,
compofé des Grands du Royaume,
& des députés du peuple , quand
il eft queftion d’affaires importan
tes , ou de publier des loix. Aufli
ne voit-on guere ailleurs que chez
ces Infulaires , dans les mêmes
mains les affaires publiques & les
affaires particulières , marcher de
front 8c fans fe nuire, & de /im
pies Laboureurs parfaitement inftruits des intérêts de l’Etat. L’exécu-
r>
e
T
a
ï
t
i.
5
tion des ordres du Monarque eft
confiée à des efpeces d’Inrendans
répandus dans les Provinces , &
q u i , tous les trois mois , viennènt
rendre compte de leur conduite à
un Confeil de la Nation préfidé par
le Roi. Ce font ces Ivliniftres , ai
dés d’ailleurs par un certain nom
bre d’Ofiiciers fubalternes, qui font
chargés de recueillir les fubfides'
que chaque habitant eft obligé de
fournir à l’E ta t, fur le produit de
fes terres, & de les faire conduire ,
fans aucun intermédiaire , dans les
greniers du Prince.
Le peuple de Taïti eft diftribué
en trois dalles , qu’on appelle E ci
rée , Manahouna & Toutou. Ces
trois ordres , dont celui de Earée
eft le plus noble & le plus impor
tant , ont entre eux des diftinétions
A itj
€
R évolutions
marquées} mais la /implicite de»
mœurs & l’équité éclairée du Gou
vernement j temperent l'amertume
que le menu peuple recevrait de
ces diftinétions mortifiantes , &
ramènent légalité. Les Rois font
adorés de leurs fujets, parce qu’ils
fe font un devoir d’en être les peres. Jamais ils ne connurent ces
barrières fcandaleufes, que les Defpotes placent communément entre
eux & les peuples qu’ils gouver
nent. Us fe «rendent accelïîbles aux
moindres de leurs fujets ; ils les en
tendent avec bonté , 8c rarement
ils permettent qu’on fe retire mé
content de leur réponfe. On ne
connaît pas à Taïti ce qu’on appelle
ailleurs les Commenfaux du Roi.
Tous les Taïtiens , à l’exception de
ceux qui exercent les plus vils em-
»e T
a
ï T i.
y
plois , ont droit de manger avec
leur Monarque.
L’étiquette du pays a cependant
confacré certaines marques exté
rieures de refpeél & de déférence
dus à la perfonne du Souverain ;
& ces témoignages de foumiffion ,
imaginés pour en impofer à la mul
titude , font toujours néceffaires
pour empêcher qu’on n’aviMe la
dignité du T rône. On ne paraît ja
mais , par exemple , devant le Prin
ce , fans avoir les épaules & la tête
nues. Les plus grands Seigneurs v
les Miniftres , les Princes même
& les Prihceflès du Sang, ne font
pas exceptés de la réglé. Ce Gou
vernement* eft purement Parriarchal ; & ce font leurs vieillards
que les bons Taïtiens refpeéfcent
ainfidans la pepfonne de leurs Chéfs
qui les repréfentent.
A iv
S
R évolutions
Les amis du Prince, fes parents,
fes Miniftres , forment la feule
efcorte à laquelle les loix du pays
lui permettent de prétendre ; car
les Taïdens font perfuadés que la
prudence d’un Monarque fage &
éclairé, fa juftice , la vertu de fes
amis, 8c l’amour de fes fujets, font
la meilleure garde à laquelle on
puifle confier le foin de faperfonne.
Son Palais n’eft diftingué des cafés
de fes fujets , que par l’étendue des
bâtiments 8c de la cour qui le fépare de la campagne, 8c par un
certain nombre d’arbres qui l’envi
ronnent , que lui feul a le droit
d’entretenir. La perfonne du Roi
n’a rien non plus qui paille le faire
connaître d’un étranger , fi ce n’eft
le refpeét 8c la tendreiïè que lui
témoignent à l’envi .tous ceux qui
b e
T
a
ï i r.
9
l’environnent. 11 eft modeftement
vêtu d’une piece d’étoffe commune
qui lui ceint les reins, & qui eft atta
chée par une corde de bambou. Il affeétede fuir toute efpecede pompe
inutile, & de mettre dans fes habits
plus de fimplicité qu’aucun autre
des Grands de fa Cour. Ni l’éclat du
diadème , ni la magnificence des
décorations n’éblouit les peuples
dans les grandes cérémonies ; ces
lignes frivoles d’une puiffance fac
tice & empruntée, ne conviennent
pas au caraétere droit ik ingénu
des Taïtiens. La feule marque de
la fouveraineté confifte alors dans
une efpece de ceinture rouge , à la
quelle les habitans donnent le 110m
de Maro. Lorfque le Prince fe revêt
pour la première fois de cette cein
ture , toute l’ïle fe livre à des réAv
ïo
R évolutions
j&uiflànces publiques, où les Taïtiens offrent au Ciel des vœux aufli
ardents que fmceres pour la pros
périté du nouveau Monarque. Ce
n’eft qu’en cette occafion qu’on le
voit déployer fa puifïànce, & don
ner au peuple le pompeux fpeétade
d’un feftin préparé. Il efl: Servi à
table par les perSonnes les plus dis
tinguées de l’île. Ses CourtiSans lui
coupent les morceaux qu’ils met
tent dans Sa bouche avec les doigts ;
& après cette cérémonie qui dure
trois jours , & qui doit être plus
embarraflante pour le Monarque
que pour Ses Sujets , le Roi reprend
la vie commune , & ne témoigne
Son pouvoir que par des aétes de
juftice , de bienfaiSance & de bonté.
Il exifte encore plufieurs perSonnes
à T ard, qui ont Souvent entendu
D E T A ï T I.
ïI
dire au dernier Roi de cette îl e ,
que les moments les plus défagréa"bles & les plus pénibles de fa vie ,
ont été ceux où il a été forcé de fe
féqueftrer , pour ainfi dire , du
refte des mortels, pour affeéter ce
ton de grandeur & de majefté,
qui eft fouvent le ligne du defpotifme ou de l’anarchie.
Quelques Ecrivains Européans,
peu inftruits du Gouvernement de
T a ïti, ont publié que le Roi & les
Grands ont droit de vie ceux qui les habitent , qu’il
» foit atteint à l’inftant de la fou>1 dre , & précipité au tombeau ;
»> que les oifeaux carnaffiers dévo» rent fes entrailles, & que la terre,
» abreuvée de fon fang, refufe de
j> recevoir dans fon fein les triftes
jj débris d’un corps frappé d’anaj j thème. De meme , fi aucun haj j bitant des îles
avec lefquelles
j j nous contractons aujourd’hui une
jj amitié folemnelle , vient à romj j pre
ce traité refpeétable , qu’il
u foit détefté de tous les humains ;
j j que l’eau des fontaines n’étanche
j j jamais la
foif brûlante dont il
j j fera dévoré ; qu’il n’ait jamais la
» confolation d’embrafler une époujj fe chérie, &
que fon nom ne
» foit prononcé qu’avec horreur ôc
B iij
}o
R
évolutions
» frémiftèment. C ’eft vous, Dieu
jj de la paix & de la concorde,
j j c’eft vous , jufte & puiftint venj j geur des parjures , cjue nousofons
j j rendre
dépofitaire du ferment
j j terrible que nous venons de proj j noncer ; ne permettez pas qu’au-»
» cun de nous le viole impuné» ment.»
La révolution a fait difparaître
la monnoie de tout le territoire de
L aïti} Sc , depuis cette époque ,
on n’a pas voulu l’introduire dans
l’île. Les mines d’où l’on tirait ces
métaux deftruéteurs , ont été fer
mées ; & ileft défendu, fous peine
de la vie , de les ouvrir. Les Taïtiens, inftruits par les malheurs des
Mirmidons qu’ils ont fubjugtiés,
favent qu’ils ne pourraient admettre
ce genre de richeffe, fans donner
D E T A ï TI.
5
I
naiflance au luxe , à la pare (Te , à
la dilîïpation, aux frivolités , & à
une inégalité mortifiante & trop
caraétérifée entre les différents or
dres de l’Ftat. Les impôts que cha
que citoyen eft obligé de payer au
Roi , confident dans une portion
de denrées , provenues des terres
qu’il cultive de fa propre main. Ces
impofitions , dont le cadaftre eft
dreflepar le corps même de la Na
tion , ne fervent pas à entretenir le
luxe infultant d’une Cour , d’où ne
partent que la foudre & des éclairs.
Entaflees dans les greniers du Prin
ce , diftribuées dans les différents
cantons de l’île , elles fervent à
payer les honoraires des Officiers
de l’E ta t, à pourvoir aux befoins
publics , à entretenir les troupes
quand un ennemi turbulent aborde
B iv
}1
R
é v o l u t i o n s
à T a ïti, à foulager la vieillefle in
digente , & à honorer la Divinité
par un culte funple & majeftuenx.
S’il arrive une difette dans l’île ,
c’eft dans ces dépôts publics que
l’on trouve les fecours dont le peu
ple a befoin pour attendre la ré
colte prochaine. En un m o t, ces
fortes de magafins , loin de recéler, comme ailleurs, les trilles dé
pouilles d’un peuple d’efclaves,
offrent des reflources affinées à
tous les ordres des citoyens dans les
calamités publiques.
O.i r.e fçaurait traiter ce fujet
intérelïànt , fans fe rappeller un
difcours tenu, il y a dix ans, par
O too, Roi de T a ïti, à fes peu
ples , fur la difette paflàgere qui
s’était fait fentir alors dans le pays.
U n violent orasre , fléau terrible.
DE
1
A
1T
X.
il
dont cette île refïènt rarement les
effets , avait dévafté la campagne.
Les bleds qu’on était fur le point
de moifïbnner, avaient été terrafTés
par la grcle & les arbres abattus
par le vent ; les maifons culbu
tées par un tremblement de ter
re , ajoutaient de nouvelles hor
reurs à cet affreux événement. Le
R o i, pénétré de douleur de voir fon
peuple dans la fouffrance, & affligé
de ne pouvoir y apporter aucun rem ede, fit affembler toute la Na
tion , & lui parla ainfi les yeux bai
gnés de larmes. « Peuples de T a ïti,
» rejettons illuftres d’une Nation
» ancienne que le Ciel daigna tou» jours protéger , écoutez la voix
» d’un Prince qui vous chérit, autant qu’il eft refpeétueufement
33 fournis aux décrets redoutables
Bv
34
R KV O L U T I O N S
as du Tout-puiflànt. Depuis mon
3> élévation au Trône de mes an33 cêtres, j’ai mille fois réfléchi fur
33 la pefante charge que mon pere
33 Tohotahah m ’a confiée en mou3> rant j & je me fuis entièrement
33 occupé à faire en forte q u e , dans
3> tout l’Empire de T a ïti, il n’y eût
3> pas un hom m e, pas une femme ,
s» pas un enfant, qui ne fût con33 tent dans fon état. Depuis le ma
ss tin jufqu’au fo ir, j’épuifeles for» ces de mon efprit, je ne prends
33 pas un moment de repos, je penfe
33 continuellement au foulagement
33 de mon peuple , aux moyens de
33 lui fournir abondamment de quoi
33 vivre, d’établir un Gouvernement
3> doux 8c équitable , 8c de rendre
33 les Officiers vigilans, finceres &
» défmtérelTés, Heureux > fi je pou-
DE
T
A ï T I.
» vais procurer à tous mes fujets
» un véritable bonheur & une per» pétuelle tranquillité, afin de don»» ner par-là quelque joie & quelque
» confoladonà l’ame du précédent
» Roi Tohotahah , mon pere , qui
» eft à préfent dans le Ciel !
« Par exemple, il y a deux ans
» que quelques Provinces furent
„ affligées de la féchereffe. L’année
>» derniere , les environs de cette
» Capitale furent inondés par des
» pluies exceflïves ; que ne fis-je
» pas alors, pour détourner de mon
» peuple ces trilles châtiments ?
» Je reliais dans l’intérieur de mon
» Palais \ je me tenais dans la fitua» tion la plus refpeélueufe}j’offrais
» mes vœux, mes fupplications ,
a» mes prières les plus ferventes à
s» l’Etre fuprêrae. Pour fléchir fa
B vj
36
R
é v o l u t i o n s
» miféricorde , je battais la terre
» où j’étais profterné. Au milieu
s» de la n u it, je me levais plulieurs
« fois, pour obferver les nuages,
55 8c conjeéturer fi , le jour fuivant
55 on aurait de la pluie ou un jour
>5 ferein. Occupé à implorer la
55 bonté du fouverain Maître du
55 C ie l, je joignais à ces ardentes
55 prières des aumônes abondantes
55 en faveur des vieillards que les
s» infirmités de la décrépitude ne
55 permettent plus de fe livrer aux
» travaux du labourage. Je faifais
» tout cela fecrétement, fans per5» mettre à d’autres qu’à mes prin■55 cipaux Officiers , d’en prendre
55 connaiffimce. Comme toute mon
35 occupation 8c toutes mes penfées
5» tendaient à honorer la Divinité ,
35 à travailler pour mon peuple ,
D E
T
A X T I.
Jy
» 8c à gouverner l’Empire qui m’a
« été confié par la Providence ,
35 avec toute la droiture & la cir33 confpeétion dont je pouvais être
33 fufceptible , la pureté de mes
33 vues me fallait croire que j’étais
33 un Monarque fans reproches 3 &
33 que je n’avais rien fait qui dût
33 être pour moi un fujet de honte
33 8c de repentir. C ’efl: pourquoi
33 j’ai négligé jufqu’à préfent de prier
33 mon peuple qu’il m’avertît de
33 mes erreurs 8c des fautes qu’il
33 avait obfervées dans ma conduite.
3) M ais, cet été, lorfqu’on était fur
33 le point de faire la récolte de Maïs,
33 un orage deftruéteur eft furvenu ,
33 qui a enlevé toutes nos efpéran» ces. Hélas ! quelles larmes n’ai-je
33 pas verfées alors ? quels foupirs
»> n’ai-je pas fait entendre} à quel
j8
R
é v o l u t i o n s
» violent défefpoir ne me fuis-Je
» pas livré, par attachement pour
« les pauvres Laboureurs dont nous
j> tenons tous notre fécondé exif» tence ? Les lignes menaçans du
j> Souverain des Etres, m’ont fait
» rentrer plus intérieurement dans
35 moi-même. Je me fuis examiné,
j’ai fondé fcrupuleufement les
33 profonds replis de mon cœur,
33 & je ne fuis pas forti de ces mê33 ditations férieufes, fans foupçon33 ner que j’eulïè caché dans mon
33 ame quelques germes , quelques
33 femences de crimes prêts à éclo33 re, qui attirent fur mes innocents
33 peuples, les malheurs que leur
33 C hef feul a mérités..
« Peut-être q u e , dans l’adnii33 nifkation des affaires publiques ,
33 j’emploie des Officiers dont je ne
D H T
A ï T I.
5^
» devrais pas me fervir ( i ). Quoin que mon intention foit droite *
» 8c que , de ma part , je n’aie
» rien à me reprocher fur ce point,
» la Nation peut avoir de folides
n motifs pour en juger d’une autre
» maniéré. Il faut examiner les chon fes, les pefer à une jufte balance,
» 8c fans que la paffion y ait aucune
» part. C ’eft: à vous, vieillards ref» pe&ables , cenfeurs incorrupti» blés de l’Empire deT aïti ; c’eft: à
» vous, Condudteurs de la N ation,
» Intendans des Provinces , que
» j’adrefle fpécialement cet ordre.
» Vous êtes tous des Officiers con» fommés dans les affaires , qui( i ) Pour vous engager à bien choilîr vos MiSiilres, ditaic autrefois Ifocratcs à Nicoclès -,
n’oubliez jamais que vous êtes refponfable de leur
conduite. ( N o te du P rote de L'Im prim eur. )
40
»
»
»
»
»
R
évolutions
m’aidez , comme vous avez fait
mon pere, à remplir les pénibles
devoirs de Monarque j vous devez partager avec moi la gloire
ou la honte d’un bon ou d’un
j j mauvais Gouvernement. Si vous
j j connaiflèz des défauts dans ma
jj perfonne, fi j’ai commis des fautes,
j j parlez avec une noble franchife ,
j j avec la droiture d’un cœur libre
j j & vertueux. Découvrez-les-moi
jj avec hardieflè & fans déguifej > ment. — Si , dans ma maniéré de
j j gouverner, il s’eft gliflfé quelques
jj erreurs ; f jamais il m’eft arrivé
j j de protéger le fort contre le plus
j j faible ; fi la vengeance , la cupi» d ité, l’ambition , ou tout autre
j j intérêt perfonnel, a influé fur les
» ordres qui font émanés de ma
bouche j en un m ot, fi ma cou-
D E T
A ï T I.
4I
» chiite n’eft pas telle qu’elle de
ss vrait être , chacun de vous me
53 doit déclarer nettement ce qu’il
33 penfe, & me faire avec fincérité
33 fes remontrances. Il doit être af33 furé du vrai plaifir que je reifen33 tirai en recevant fes obfervations.
33 N’allez pas croire que ce ne font
33 là que de belles paroles, des phra33 fes étudiées , ou une pure céré33 monie cl’ufage. Ne penfez pas
» non plus qu’il y ait rien à craindre
33 pour vous , en vous expliquant
33 hardiment. J ’attends ce fervice
33 de votre zele, & plus encore de
33 votre attachement ( 1 ). Après
( 1 ) Regardez comme un ami sû r, difait en
core lfocraces au Roi de Salamine , l’homme ûncere qui vous avertit de vos fautes, non celui qui
approuve tout ce que vous dites & tout ce que
vous faites. ( iVore du CorrcU tur d ’épreuves. )
4Z
R
é v o l u t i o n s
n ces précautions, fi vous gardez le
» filence , fi vous déguifez vos vé3> ritables fentiments , vous agirez
»j entièrement contre l’intention
» très-fincere que j’ai en vous inter» rogeant de la forte , & le C ie l,
« qui lit dans l’intérieur de mon
j> am e, vous demandera compte
jj un jour des erreurs dans lefqueljj les votre dilîïmulation m’aura
jj précipité. .
La droiture d’Otoo était connue ;
il n’y avait pas un feul de fes fujets
qui n’applaudît à la pureté de fes
m œurs, à la ferveur de fa piété, &
à l’équité de fon Gouvernement.
Loin d’accufer ce bon Prince d’avoir
attiré par fa conduite le courroux
du Ciel fur l’E tat, chacun s’écria
que, fous un Roi moins chéri de
la Divinité, la tempête dont on dé-
D E
T
A
ï T r.
4}
plorait les triftes fuites, eût enve
loppé pour jamais dans les flots l’île
de Taïci. On s’occupa à découvrir
la caufe de ce défaftrë ; & après
bien des perquifitions , on trouva
enfin que ce bouleverfement avait
été occifionné par la cupidité d’un
Intendant, qui avait enlevé par vio
lence un cochon à un pere de fa
mille. Le coupable fut relégué
pour jamais dans la vallée des mé
dians ; & le Roi , pour fe punir
lui-même d’avoir fait un fi mauvais
choix , dédommagea fon fujet des
vexations qu’il avait éprouvées de la
part de cet Officier prévaricateur,
& publia un Edit pour défendre de
nommer à l’avenir aucun Inten
dant , fans avoir été agréé par les
Provinces.
O n ne voit qu’une feule Ville
44
R évolutions
dans toute l’îie de T a ïti, fi tant e(l
que le hameau où le Roi fait fa
réfidence, puiflè porter le nom de
Ville. Les Taïtiens , auxquels on
a fouvent parlé de ces cités irnrnenfes que l’on trouve communément
en Europe, font perfuadés que ces
vaftes théâtres de l’iniquité fubtilifée, pompent la fubftance la plus
précieufe de la N ation, pour nour
rir des fainéans , des ambitieux ,
des petits-maîtres, & fouvent des
fcélérars. 11 n’y a qu’un très-petit
nombre de Seigneurs qui aient le
droit de fe renfermer dans l’en
ceinte de cette Capitale ; & ce pri
vilège qu’un Français achèterait
vingt années de fa v ie, eft pour eux
un tourment que leur devoir peut
feul adoucir. U n citoyen pufillanime 3c dégénéré, tel qu’on en
trouve parmi toutes les Nations ,
qui , fous prétexte de quelques
affaires, y paflèrait plus de fix mois,
ferait noté d’infamie , 8c ne pour
rait plus donner fes fuffrages dans
les délibérations publiques de fa
Province. La recommandation la
plus honorable que puifïè avoir un
T aïtien, pour parvenir aux emplois,
eft d’avoir toujours cultivé avec foin
fes terres, entretenu honnêtement
fa famille, 8c formé un grand nom
bre de défenfeurs à la Patrie. U n
célibataire , qui oferait fe mettre
au rang des Candidats , fe verrait
expofé à la rifée publique \ 8c le défefpoir qu’il éprouverait d’un refus
humiliant , ferait le feul fruit de
fes efforts. Chaque membre de la
Nation a le droit d’être jugé par fes
Pairs j c’eft-à-dire que chaque ordre
4^
R é v o l u t i o n s
a fes Juges particuliers, & qui n'ont
aucune infpeétion fur ceux qui cornpofent les autres claffes. Chaque
Village a fa Jurifdi&ion particu
lière , qui connaît en dernier reffort de tout ce qui n’intérefiè ni
l’honneur ni la vie des citoyens.
Dans ce dernier cas, c’eft à la Pro
vince alTemblée qu’il appartient de
juger le coupable ; & , s’il eft re
vêtu de quelque emploi public , la
Nation en corps, & prcfidce par le
R o i, a feule le pouvoir de pronon
cer fon Jugement. Les Tribunaux de
T aïti font les dépofitaires des loix ,
fans en être les interprètes. En ma
tière civile ou criminelle, les Magiftrats fe bornent à prononcer l’au
thenticité du fait dont ils ont acquis
la preuve}3c la peine fe trouve tou
jours exprimée dans la loi. Ce font
» E T A ï T t.
47
des vieillards choifis dans chaque
d iftrid , qui font les dépofltaires de
Latranquillité publique , parce qu’ils
font cenfés être plus inftruits des
ufages de la Nation, & devoir met
tre plus de prudence & de maturité
dans leurs Jugements, l.a Magiftrature , l’emploi le plus redoutable
aux yeux d’un T aïtien, n’efl: pas une
profeiîion lucrative. U n Officier qui
ferait convaincu d’avoir reçu de l’ar
gent pour prixdefon Jugement, fe
rait auffi-tôt dépofé d’une maniéré
ignominieufe , & relégué dans la
vallée des méchans. C ’eft à l’Etat
qu’il appartient de récompenfer le
travail du Magiftrat qui veille pour
le repos de la Patrie \ & fes honorai
res font toujours d’autant plus confidérables, qu’il a témoigné plus de
vigilance, dejuftice & de circonf-
48
R é v o l u t i o n s
peébion dans l’exercice de fes fonc
tions. On tient tous les ans une diete
nationale, où l’on examine la con
duite de ceux qui compofent les
Tribunaux, & où les peines & les
récompenfes font diftribuées à la
pluralité des fuffrages.
O n ne voit à T ain ni Procureurs
ni Avocats ( i ) , ni aucune autre
de ces fangfues meurtrières, qui vi
vent dans une paifible indolence,
aux dépens de ceux dont ils fe difent
les défenfeurs. Les procès qui s’élè
vent parmi les citoyens, ne font pas
allez conlîdérables pour que chacun
ne puiflè pas fe défendre en perfonne. Dans la plupart de leurs dé-
( i ) Sine caufidicis fatis fclices olim fiiere filturæquc finit urbcs. Colutn.de re rujl. l‘b. IV'
( No:e d ’un Procureur, grand ami de l’Editeur. )
m ê le s ,
D E
T
A 1 T I.
4?
mêlés, ils s’en rapportent à des ar
bitres , toujours dociles aux déd
iions de ceux qu’ils ont choilis pour
Jugés. Il n’arrive prefque jamais
qu’ils appellent de leurs Arrêts ; mais en pareil cas, c’eft au Prince
à terminer le différend par fa pru
dence. U n Roi de cette île difait
fouvent à fes amis, que le moment
fatal du renverfement des principes
conftitutifs de la Monarchie de
Taïti,arriverait lorfqu’onaurait befoin de recourir à des Jurifconfultes pour interpréter la loi. Cette
Prophétie, émanée d’un Prince fage
& éclairé, fe trouve écrite en let
tres d’or dans tous les Tribunaux
de ce Royaume.
Sous l’adminiftration des Rois
Mirmidons , les Villes & les Cam
pagnes avaient été remplies de menT o m e ll.
C
5®
R é v o l u t i o n s
dians. Cette déplorable engeance J
fource d’une multitude de malheurs
qui affligeaient les peuples, infec
tait toutes les régions de la Mirmidonie. O n n’en voit plus aucun à
Taïti • on ne fouffre pas même
que les eftropiés & les infirmes don
nent aux palîàns le dégoûtant fpectacle de leur mifere & de leur in
firmité. Chaque Taïtien fe fait un
honneur d’entretenir chez lui un de
ces malheureux ; & , en lui épar
gnant les incommodités de la men
dicité , il en retire tous les fervices
qu’il eft en état de lui rendre. Il n’y
avait pas encore deux ans que les
Taïtiens étaient maîtres de l’île,
que le nombre des mendians fut
diminué de moitié ; 8c plus d’un
T aïtien, voulant fe procurer leplaifir dp foulager un malheureux de
B ï
T
A
ï 11.
5r
cette efpece , n’en trouva point qui
pût être l’objet de fa piété naturelle.
Tous les fonds que l’on avait autre
fois confacrés au foulagement des
malades, furent ajoutés au domaine
du R o i, ou diftribués en métairies,
où l’on établit des Taïtiens chargés
de les cultiver. On ftatua feulement
que les greniers publics ferviraienc
à foulager le peuple, en cas de
guerre ou de tout autre fléau géné
ral. Dans un pays, dont tous les
habirans fe regardent comme frè
res , on croirait voir l’Etat fur le
point d’être bouleverfé, fi un ci
toyen gémiflait dans l'indigence ,
tandis que les autres goûteraient les
fruits de l’abondance & de la paix.
51
RÉ
V O L U T IO N S
C H A P I T R E II.
Loïx f Mœurs & Ufages des Taïtiens.
T o u t h l’île de Taïti eft gou
vernée par la même loi ; & ce petit
Etat fut-il cent fois plus étendu qu’il
ne l’eft , les Taïtiens ne préfument
pas qu’il put fubfifter , s’il arrivait
que la multiplicité des loix s’y in
troduisît. Comme on n’y fait aucun
cas de l’art de dépofer fes idées fur
le papier , la loi eft gravée dans le
cœur du Prince & dans celui des
Magiftrats qui le représentent. Le
menu peuple même ne l’ignore pas;
& ce fingulier phénomène eft le
fruit de l’attention où l’on eft , de
tems immémorial, de faire appren
dre par cœur aux enfansj des centons
DE
T A 1 T I,
5J
de vers qui contiennènt tout le Code
national. Ce peuple a toujours été
fort attentif à Amplifier fes idées
fur ce point; & quelle que fut la ma
lice des Plaideurs, ils ne pourraient
furprendre la religion du Juge ,
par des fophifmes ou de faulTès in
terprétations.
Les loix civiles , les plus fages
peut-être dont on ait jamais fait
ufage , fe bornent à fixer l’état des
fuccellîons , à la confervation des
propriétés, fie alTiirer les conven
tions faites authentiquement par
les citoyens. Cette foule de régle
ments que le luxe , l’indolence fie
l’ambition ont fait naître ailleurs ,
font inconnus à Taïti ; fie la feule
digreffion que les Légiflateurs fe
foient permis au-delà de ces trois
Chefs importans , ont pour but de
C iij
54
R évolutions
rappeller au Magiftrat l’obligation
itidifpenfablejoù il eft de foutenir
le faible contre les violences du plus
fort. Dans les différends qui s’élè
vent entre particuliers, la loi pro
nonce toujours conformément au
droit fans aucun égard pour les
perfonnes. Dans tout le refte, elle
pefe le mérite & les fervices rendus
à la Patrie ; & , comme ce n’eft ni
la naiffance , ni les richelTes , mais
la vertu , qui appellent un citoyen
aux honneurs de la Maçiftrature,
ce n’eft ni fon obfcurité, ni fon in
digence qui peuvent l’en écarter.
S’il y a une partie de la Légiflation qui puifîe fervir à faire con
naître l’efprit du Gouvernement,
c’eft celle de la procédure crimi
nelle 5 & toute la conduite des Magiftrats, fur ce fujet, attelle qu’ils
D E T A ï T I.
J$
cherchent moins à punir les dé {or
dres , qu’à prévenir tout motif de
punition. Les procès de cette efpece
fe traitent avec un peu plus de len
teur & de formalités que les procès
civils. En effet, lorfqu’il efb quefrion d'enlever à un homme l’hon
neur ou la vie , on ne faurait em
ployer trop de circonfpeétion & de
ménagement. La torture , ce moyen
inique & inhumain d’extorquer à
des malheureux l’aveu des fautes
qu’ils n’ont pas commifes, eft entiè
rement inconnue à Taïti ; & l’on
doit préfumer afïèz avantageufement ducaraétere compatilfant des
Taïtiens, pour penfer qu’un Magiftrat ferait très-mal reçu de la
Nation , s’il tentait d’établir cette
odieufe pratique dans fon pays. Ici
comme en Angleterre, il n’y a pas
C iv
5 rent défertes. On y voyait des
#> Palais immenfes , ou quelques
» ouvriers s’étaient retranchés dans
*> de petites loges fermées par des
» cloifons de bois. Les rues étaient
» pleines de gouttières & de tuiles
fracaflees , de décombres & d’or» dures. On ne voyait dans les en)> virons que des châteaux ruinés 3
» des triftes reftes des plus beaux
« jardins du monde , des ftatues
» renverfées , des canaux remplis
» de vafes , des allées que cou» vrâient, fans goût ni fymmétrie ,
Tome IL
D
7*
R
iM
f M W fô T O r ^ i W f
^ i r;fi, im
lapor zona , zipu/num l
(dit, ce Rance .veut .bien fe charger,
a a o ^ o ilp lo n p 3 0 { 2JIÏK13X 230 PlffflOI
Ue Monarque jouit d un privilège
insicrip flJDi qrrisi insnnaiv .iliOT
attache a la couronne, & qu aucun
liooisqqn .nU .icrinto uc crilounip
autre h a. le droit de pairager. Indepi Q
T t2v ï ? K
**
péiîdâtrÀ'riëii^dii Palais qu’il' occupe
& des coques de noix
de coco font fes bouteilles ; les
plus qualifiés de l’île mangent aiTis
fur un fiege de verdure, ombragé
par l’épais feuillage d’un palmier.
Leurs couteaux font des coquilles
avec lefquelles ils coupent trèsadroitement tout ce qui fert à leur
nourriture. Leur deflert eft «rdi-
R é'V'V
18
m*
làiftfôîétiÉ ' ' 'cottij/bfé ' dé" Bananes
communes , de figues-bananes * dé
éScôs , de pommes & de mihis.
Jfafelavént' toujours fa. Bouclte ' &
îé s t ta iks avant &: après rlé répiasi
t e fommeil'ïüi't ôrdinairèmVnr le
ornerf il h y a quë^eV
gétâ
qui' relient' évèilfé's^ir'taBfiViif'&
ï èéërvêtiëhce dé l'eut âgé"."" ' “ t é s J vetfahen ts Æe's^ â rti'e n s to u t
auïïï ümplés:que léur fâçôivd’agir,
font’ â^inè' etëffé' alFez fihWliéréi,
qu’ils' 'faBnquénè'éux-iwëhae's'’âvÀ
tëcôrce ,d'ÿÂr'^rbüàe taltivé'd’ànyfe
dpays:Gés
qûqîquè'deîtitiies de Vbtité èÜpé'cé ‘tSoinément1
’,
"he ' VâriénV'pourtant jfa
y
à 71
I £ 1 A 1 T T.
[ï i *».ob
oL>zuull‘
zmilialH
«Kratn
jf)~nc aiaoi voir- : ;J
Infulaires , de Iç. rantailie , du ca- i m i a b i u é l z u i b , j b o n e z a lla a
pnce j & pàmculjërépiént ’ de ja
Trtri»
r.•?
.aJnit
sr-pnco
'Æ.ÿlpaogon. r.- i j U . p ' " À
temperaturede lair. 5>i lp lo,leil efl:
v>v«»r ori.eu I 3ft znU/’df.ri zal zupl
-.jOlt
beau v ils portent pour tout veteo1
n10
o7
i o u i b 5JUJ-.UE b r i n o m i s m a i
3ï1
ment une. peinture qui leur qouvte
aqq zo.I
ZD .m a v dI üL, arouu.rn /.Lzm b
les' parties naturelles. Le ciel aninairenrfltp ol on zamiu.np-zaniioL
nonce.-t-il .quelques légers rrimats?
■-JD
, piloiDJ^
oFj anaL;'#
; !.u n oup
i ---------,e j (-----------j -------------------Us
s'enveloppent
cTuqe piece d ?Dn32ju 3„njp: 233310' est sndmon al
tofte d environ lix, pieds de lonab
y t ;il J
.inuniallpjr.u m o i zru.b
uinao
laquelle on a pratique une ouver-nuai al ': L’nfage de fe peindre les Felfà
■d’un bleu-foncé , :efl général ddib
«lêà deux fexes. Pour fixer'ces .traits
onp nlioi al, zinornom aol int.bns'j
-non f.m-jt ol,
rA Jnomiob uni
s i i&à'.tif: ann.ïlcf-dc. j’^urpge; .obforvejif qu'^t
1 10J i un Evêque de Séez , en Normandie ^prê
cha avec tant de force coritVc tes' iongueï bîrfcéi Lie
V K A |tféi ÉbavéruîêiJljuç d éU ü i'.d îÀ n g k itrc,
1
•JienH.t, jurait yaü ^ c r^ y «^nfepfiLftif.je
champ à.c ire rafe par le Prédicateur ; & i ’audi*
9ô uc'fiuvu fou iicfniplci' j doit tic tidketir. f
*>l
dHès rentré îriéiFàçaïiléi ils1Terpiy
plient ià'peaü’ àvëc un dS jjbinrù,
& v^rféHt'fdr'cès’pïq’uûireVüiié'tèiiè
élire7blétië qttf ÿÿ' côri'ferv'é Pout'i
la vie. Lès éhfdriS1des ‘dêiix' fexêV rie
portent pas cès marqués avant l’âge
dé1kouze .àriÿ.1rf y à qtlël^éie^s!‘p éfc
fôhiïeS qui fé’èblbiéht1auïfr lès jarriBes de cette Ütànléré'j ce'Toiit les
M iniftres, 8c tous c^rix qrirjbui&
Fent dequèlijrie autdrite dans PElat.
Ici, comme à la Chine , c’cft une
inarque de grandéüi’&^dfe'
cjtié dé!jàBitéi1les cingles déks' tdÜre
m f
!izüfi * X1,JV
grande11^ r e ^ m i j ' ë f t
lit' ëriterë" ce' périple aimable. Les
Tàïticns fe baignent plufïcursJÏ8ié
piir jour, âc fur-Voût avant & après
les repas, LqÜéïkrié'aiftance quHft
fë^& ivknrkfe fa; m éïJbàJ dê'ciiiei
t) l
R
é v o l u t i o n s
que riviere. L’eflènce donc ils par
fument leurs cheveux , eft d’une
odeur fore agréable ; c’eft une huile
de coco , où ils ont fait infufer des
herbes & des fleurs aromatiques.
On ne trouve fur leurs vêtements
aucune tache ; de fprte que , dans
une aflemblée nombreufe de Taïtiens , on n’eft jamais incommodé
que de la chaleur.*
Les peuples de Taïti font d’une
taille haute 8c majeftueufe. Les
traits de la douceur font peints fut
leur vifage ; & leurs membres ner
veux & flexibles annoncent un tem
pérament robufte & vigoureux.
L ’habitude qu’ils ont contractée de
vivre dans le plaiiîr , leur infpire un
goût fi flngulier pour la plaifanterie , qu’ils l’emploient fouvent dans
les délibérations les .plus férieufes.
B I
T
A ï T
h
95
Ils ont beaucoup de finefle dans l’ef-;
prit & de légéreté dans le caraétere;
tout les frappe , rien ne les occupe:
Ils ne négligent rien de ce qui con
tribue à leur bonheur ; mais ils croi
raient dérober un moment précieux
à leur jouiflance, s’ils fixaient leur
attention fur un objet qui ne les
touche que de loin.
La nature qui a par-tout embelli
le fexe de mille traits féduifans
femble avoir réfervé fes plus pré
cieux dons pour les femmes de
Taïti. Ce font toutes autant de
nymphes auflî charmantes & auffi
parfaites, que l’étaient celles qu’Homere plaçait auprès de la voluptueufe Calypfo. Comme elles ne
vont jamais au foleil fans être cou
vertes , & qu’un petit chapeau de
cannes, garni de fleurs, défend leur
54
R 57Vrportions, leur feraient, accorder]?
la, beaut^ fur, ;Gosire$Jçs | uropeanes.,'1 ^iïyu oiiim ob oxal si
d’exerqiçeso quil donnenU à -J«t5
membre?, cgttg( foupjefle/&.,ce{Ç
ftexibilité -qui;le$ fend , le peiipjel?
plp? agile de l’univers. Indépeiidara:
meiit de.la danfeu pour daqiseUftds
o n t , mie pafliçaofurprehante&V cüs
j ’exercerit continuellement ,à. la
courfe ^ Sc auxçpmbats de la lutte
5c : i4ttoipngilat.3îCets i.exfwacttiÿ
z
T-^f iiT)iv à p
Jb|>
forti/ep^bUbJes à jçejppdput'.parla
Hqsqej», l i5 p ie , où nous vîmes une grande
» famille alïèmblée. Un vieillard,
» d’un vifage calme 8c ferein, était
» couché fur une natte propre , ôc
v il appuyait fa tête fur un petit taj> bouret qui lui fervait de couffin.
Des cheveux blancs couvraient fa
» tête vénérable, 8c une barbe
épaifle , auffi blanche que la nei33 g e , defcendait jufques fur fa poi3* trine. Il avait les yeux vifs, 8c feî
33 joues arrondies annonçaient la
33 lânté. Ses rides , fymptômes de
33 la vieilledè parmi nous , étaient
33 en fort petit nombre; car l’inquié33 tude, la peine 8c le chagrin qui
33 fillonnent nos fronts de fi bonne
33 heure, font peu connus de cette
33 Nation fortunée. De jeunes en-
de
T
a ï t i.
IO>
»> fans, que nous prîmes pour fes
j>petits-fils, abfolument nus , fui» vant lacoutume du pays, jouaient
» avec le vieillard j & fes aétions
» & fes regards nous apprirent que
» fa maniéré lîmple de vivre n’avait
» pas encore émonde fes fens. Des
» hommes bienfaits &z des nym» phes fans art , dont la beauté
» était d’autant plus féduifante ,
» qu’elle n’offrait aucun apprêt, en*
» touraient le vieillard ; & nous
» jugeâmes en arrivant, qu’ils con» verfaient après un repas frugal.
5» Ils nous prièrent avec les témoisj gnages de l’affeétion la plus ten>5 dre,de nous alfeoir fur leurs nat>5 tes, au milieu d’eux , & nous ne
35 leur donnâmes pas la peine de
•» réitérer leur invitation. Comme
»j ils ne voyaient que rarement des
E iij
i o2
R é v o l u t i o n s
» gens tels que nous , ils examia» naient nos vêtements & nos ar» mes, fans cependant s’arrêter plus
33 d’un moment fur chaque objet.
33 Ils admiraient la couleur de notre
33 teint 5 ils ferraient nos mains, &
33 ils panifiaient étonnés de ce que
33 nous n’avions pas la peau peinte
33 comme la le u r, & de ce que
33 nous n’avions pas de grands on33 gles à nos doigts. Ils demandaient
33 nos noms d’un air emprelTé ; &
»3 quand ils les avaient appris, ils les
3> répétaient avec plaifir. Nous re>3 trouvâmes ici , comme par-tout
33 ailleurs, l’hofpitalité des anciens
33 Patriarches. On nous offrit des
33 noix de coco & des é-vees pour
33 étancher notre foif. Un des jeu33 nes-hommes avait une flûte de
33 bambou à trois trous } il joua
B I
T
a ï t i
.
ioj
» en foufflant avec le nez , tandis
» qu’un autre l’accompagna de fa
» voix. Charmé de ces tableaux de
jj bonheur qui s’offraient à nos yeux,
>j l’un de nos compagnons remplit
» fon porte-feuille de deflins , qui
jj transmettront à la poftérité les
jj beautés d’une fcene que les pajj rôles feules ne peuvent pas faire
» connaître ».
Les Taïtiens , dont la belle ame
les diftingue de tous les peuples de
la terre , font confifter les principes
de l’honnêteté dans la droiture des
fentiments & dans la candeur des
intentions. Ils ne croient pas outra
ger la décence par certains aétes
que la délicatefïê Européane a profcrits. Us fatisfont en public à leurs
befoins , à leurs defirs, & à quel
ques-unes de leurs pallions , fans
E iv
i o4
R é v o l u t i o n s
aucun fcrupule. Leurs converfations
toujours gaies 8c fort animées, ont
communément l’amour pour objet ;
& les deux fexes , libres dans les
épanchements de leur cœur , difcourent enfemble , fans contrainte
fur ce qu’ils fentent des éguillons
de l’amour. On remarque feule
ment un ufage généralement obfervé parmi les familles diftinguées;
c’eft de ne pas fouffrir de commerce
entre les jeunes perfonnes de diffé
rent fexe avant l’àge de puberté.
Cette précaution fcrupuleufement
«bfervée pour les empêcher de
s’énerver dans un âge tendre, eft
communément négligée par le
menu peuple; 8c c’eft , dit-on, à
cette caufe que l’on doit attribuer
la médiocrité de la taille de quel
ques-uns de ceux qui compofent la
derniere clalfe.
D E
T
A ï T I.
IOJ
Ce n’eft pas l’ufage à T a ïti, que
les hommes , uniquement occupés
de la pêche & de la chaflè, laiifent
au fexe le plus faible les travaux pé
nibles du labourage. Une douce &
voluptueuse oifiveré eft le partage
des femmes j 6c le foin de plaire à
leurs maris , & de leur donner des
enfans, la plus férieufe occupation
qu’elles connailîènt. Les filles, maîtrefïes d’elles-mêmes , peuvent difpofer de leurs faveurs comme elles
le jugent à propos, jufqu’àce que,
devenues enceintes , les parent'
foient forcés de les marier. Elle.'
n’éprouvent aucune gêne à cet égard.
Tout les invite au contraire , à fuivre le penchant de leur cœ ur, ou
la loi de leurs fens. L’air que l’on
refpire , les chants , la danfe pres
que toujours accompagnée de pofEv
1106
R é v o l u t i o n s
rares lafcives ; tout rappelle à cha
que inftant les douceurs de l’amour,
tour crie de s’y livrer j 6c les applaudiflèments du public honorent le
facrifice de la viéfcime. Cette foule
d’amans pallàgers qu’une fille peut
avoir, ne l’empêche pas de trouver
enfuite un mari : mais lorfque les
liens terribles de l’hymen ont été
formés , les femmes doivent une
foumiffion entière à leurs époux.
Elles laveraient dans leur fang une
infidélité commife fans leur aveu.
Leur confentement n’eft pourtant
pas fort difficile à obtenir ; & la ja- loufie eft ici un fentiment fi étran
ger, que le mari eft ordinairement
le premier à preftër fa femme de
facrifier avec un autre fur l’autel de
la Déeflè d’Amathonte.
Le mariage eft , chez ces Infu-
t ï T A ï T ïi
107
L ires, lin engagement pour la v ie,
à moins que les deux parties neconfentent à le rompre par le divorce.
Aulîi-tôc qu’un homme s’eft choilî
une éponfe , il eft exclu de la fociété des femmes & des garçons
pendant le repas , Sc la coutume
l’oblige de manger feul ou avec fes
domeftiques. Ce réglement , tout
gênant qu’il fo it, ne les empêche
pas de s’enrôler fous l’étendard de
l’hyménée ; & , en cette occafion
comme en plufieurs autres, l’amour
de la Patrie l’emporte toujours fur
toutes les autres affections étrangè
res à ce fentiment. La polygamie
eft fort commune parmi ces peuples,
& fur-tout chez les principaux de
l’Etat. Comme leur plus forte paffion eft celle de l’amour , le grand
nombre de femmes eft le feul luxe
E vj
i o8
R évolutions
des riches. Cependant la coutume
du pays n’accorde au Souverain
qu’une feule époufe, mais elle lui
1aille la liberté de fe choifir un cer
tain nombre de concubines. On a
publié que la politique de ce Gou
vernement exigeait que tous les enfans naturels du P rince fuflènt étouf
fés en naillant, pour éteindre les
prétentions que pourraient former
plufieurs candidats à la Couronne.
Mais cet ufage , qui ferait frémir
les Caraïbes & les Leftrieons, eft
démenti par la douceur & la liberté
du peuple auquel on l’attribue. Les
mariages de ces peuples font des
contrats purement civils, dont la
bonne-foi des parties fait la bafe.
Les Miniftres de la Religion ne s’en
mêlent pas. Ils fe font pourtant at
tribué , .à ce fu jet, deux cêrémo-
B î
T
A ï T 1.
109
nies, q u i, quoique abfolument in
dépendantes du lien du mariage,
font toujours exécutées par le Cler
gé. Ils font en pofTeiïion de piquer
la peau des nouveaux époux , & de
circoncire le m ari, pour attirer fur
leur mariage la bénédiétion du Ciel,
& en obtenir un grand nombre d’enfans. Ces deux opérations doivent
fe faire gratuitement; & l’on a vu
de nos jours précipiter dans la mer
un M iniftre, dont la cupidité l’avait
porté à exiger des époux trois noix
de coco. Plufieurs citoyens fe ré
voltèrent d’une punition aufïl rigoureufe ; mais la plus faine par
tie de la Nation penfa fort fenfément qu’on ne pouvait jamais agir
avec trop de rigueur & de fermeté,
quand il était queftion d’empêcher
l’ambition & la cupidité de s’intro-
4 1© R é v o l u t i o n s
duire dans un corps déjà maître des
efprits parles fondions refpeétables
de fo nminiftere.
O n voit à Taïti desfociétés bien
extraordinaires, & dont l’objet eft
la variété dans la jouiflànce du plaifir. Plufieurs perfonnes des deux
fexes, du même âge & de la même
condition , s’aflemblent & convien
nent , pour préliminaires de leur
aflociation, que les femmes feront
communes à tous les membres de la
fociété. Rarement le même homme
habite plus de deux jours avec la
même femme } &c , ce ferait violer
le contrat primitif delà fociété, que
de ne pas varier ainfi fes plaifirs
deux fois par femaine. Si l’une des
femmes de cette petite république
devient enceinte , on la fépare de
la communauté , & l’on* en fubfti-
DE
T A ï T r.
111
tue une autre à fa place. L’enfant eft
nourri &: entretenu à frais com
m uns, jufqu’à ce qu’un Taïtien,
veuille bien s’en charger, en époufant la mere.
Cet ufage, qui paraîtra fans doute
révoltant par fon indécence & fa
bizarrerie, a été obfervé long-tems
en Europe, & particuliérement en
Angleterre. On voit dans les Anna
les des anciens Bretons , que ces
peuples formaient entre eux des fociétés compofées d’un égal nombre
d’hommes Sc de femmes. Les mem
bres de chacune de ces fociétéscommençaient par fe marier entre eux.
Ce choix fa it, les femmes étaient
réputées appartenir pour toujours
aux époux qu’elles s’étaient refpectivement choifies , quoiqu’elles
fulfent communes à tous les aflb-:
Ili
R é v o l u t -i o n s
ciés. Dans leurs alîemblces, les fem
mes , libres d’écouter les penchons
de leur ccrur , fe livraient fans
fcrupule à ceux qui réuililTaient à
leur plaire j & les enfans apparte
naient toujours à celui qui avait
une fois reconnu la mere pour fon
époufe.
Les enfans desTaïtiens partagent
également les attentions du pere &'
de la mere. Ce peuple , toujours ja
loux d’imiter la nature , regarderait
comme un monftre une femme,
q u i, pendant fa vie , confierait à
des entrailles étrangères le foin de
nourrir fon propre fruit. Jufqu’à
fept ans , la mere n’abandonne pas
fon enfant, & , en quelque endroit
qu’elle aille, aux champs, au bain
ou en voyage , elle porte toujours
dans fes bras ce précieux gage de
B I T A Î T !.
1I î
l’amour conjugal. A cet âge , c’eft
au pere qu’il appartient principale
ment de le conduire. Les premières
leçons qu’il lui donne , ont pour
objet l’amour de Tes femblables ,
l’attachement que chaque citoyen
doit avoir pour fa Patrie,le refpeét
pour la Religion , les vieillards,
le Prince, & pour les Magiftrats qui
le repréfentent. Il le mene enfuite
à la chaflTe & à la pêche avec lui} il
l’accoutume à traverfer les fleuves
à la nage, à radouber fès vaiflèaux,
à diftinguer les écueils, à fupporter
au befoin la faim 6c. la foif, & à
négliger toutes ces précautions meur'
trieres , q u i, fous des climats moins
fortunés, exténuent les hommes ,
les dégradent, les aviliflènt 3c les
précipitent au fond du tombeau , à
la fleur de l’âge , & après avoir
ii4
R é v o l u t i o n s
mené une vie trifte 8c languiffante,
Enfin, quand l’âge lui permet de fe
présenter fur l’arene , il l’oblige d’y
aller chercher un champion avec
lequel il puifie mefurer fesforces,
& montrer en fpeâracle des mem
bres nerveux , des mufcles élaftiques 8c bien nourris , fruit d’une
éducation vigoureufe 8c bien mé
nagée.
Chaque famille à Taïti entre
tient parmi les membres qui la
compofent, une liaifon 8c une in
timité qu’on ne connaît en aucun
autre endroit du monde. S’il arrive
quelque accident à l’un d’entre eux,
tous les autres s’empreflènt de te
nir le confoler, & de lui offrir tous
les fecours qui font en leur pouvoir.
Il en eft ainfi des événements favo
rables. Pour peu qu’ils foient im-
D E T A ï T I.
IIJ
portans , la famille ne néglige ja
mais de fe réunir à celui que la
fortune a favorifé d’un bon accueil,
& de fe réjouir avec lui de fes fuccès. Dans les maladies un peu gra
ves , tous les proches parents fe raffemblent auprès du malade. Ils y
mangent, 8c y couchent tant que
le danger fubfifte. Chacun le foigne 8c le veille à fon tour. S’il vient
à mourir , un bruit épouvantable
fe fait entendre pendant plufieurs
jours dans fa café. Ses amis fe joi
gnent à fa famille pour pleurer fa.
m o rt, 8c faire le récit de fes ver
tus. C’eft le fpeétacle le plus attendrillànt que l’on puiffe offrir à une
ame née fenlible 8c vertueufe.
On eft en ufage à T a ïti, de pein
dre fur fes habits la douleur que
l’on relfent de la perte de fes pa-
R é v o l u t i ov s
rents. Toute la Nation porte le deuil
de fes Rois j & ce coftume, dont
on s’affranchit librement à l’égard
de ceux quife font quelquefois dilpenfés de gouverner avec équité,
eft plutôt diété par le cœur que pat
la coutume. Le deuil des pereseî
fort long. Les femmes le portes!
pour leurs maris, fans que ceux-ti
leur rendent la parèille. Les mar
ques de deuil confident à porte!
fur la tête une coëffure de plumes,
dont la couleur noire eft confacrée
à la m o rt, & de fe couvrir le vifage
d’un voile. Quand les perfonnesde
qualité en deuil fortent de leurs
mai fous , elles font précédées de
plufieurs efclaves qui battent des
caftagnettes , dont le fon lugubre
avertit tout le monde de-fe retirer.
D ’ailleurs i toutes ces formalités
DE T A Ï T U
J17
n’ont pour objet, que d’obéir à la
loi qui les prefcrit \ car on eft plus
convaincu à Taïti qu’en aucun au
tre endroit du monde, que le deuil
doit plutôt être dans le cœur que
fur fes habits.
C H A P I T R E
III.
Religion des Taïtiens.
L es Taïtiens , femblables à tou*
les peuples ifolés & fédentaires-,
confervent la Religion naturelle
dans une partie de fa pureté primi
tive. Ils croient un Dieu , Auteur
de toutes chofes , & Adminiftrateur libre & abfolu de toutes les
affaires de ce bas monde. Ils ne le
repréfentent par aucune image ;
parce qu’ils penfent qu’un être aulli
i i
8
R é v o l u t i o n s
parfait , une intelligence auflî incompréhenfible, ne peut être expoft
matériellement à nos yeux , fais
irrévérence. Quoique perfuadésque
ce grand Etre puillè remplir par luimême les fonctions qu’exige le
gouvernement de l’Univers , les
Taïtiens modernes , ajoutant à h
Théologie de leurs peres , lui ont
afïocié plufieurs Divinités fubalternés j dont le Tour-Puiflànt fe fert
pour faire exécuter fes ordres. De
ces Divinités , dont l’autorité dé
coule de Dieu même , principe de
tous les êtres, les unes font bienfaifantes &: les autres malfaifantes;
& certe idée bizarre, dont tous les
peuples de la terre ont été infeétés,
a pour objet l’explication des diffé
rentes opérations des hommes. Ce
font ces Divinités du fécond ordre
que repréfentent les idoles , eu
forme de Dieux Pénates, que l’on
trouve dans toutes les maifons de
T aïti, & auxquels les habîtans de
cette île rendent une efpece de culte.
Cette croyance, toute puérile 8c
inconféquente qu’elle fo it, ne les
rend pourtant pas coupables d’un
polythéifme proprement d it, puis
qu'ils reconnaiflent que tous les
agents qu’ils donnent à la Divinité,
font des êtres entièrement Subor
donnés à fa pui (lance.
Les Taïtiens font vivement perfuadés que cette vie n’eft qu’un paffage', un pur fonge , & qu’ils doi
vent s’attendre à une béatitude
éternelle. Ils croient que l’ame fubfifte après la mort; qu’elle erre pen
dant quelque tems autour du lieu
où l’on a dépofé le corps auquel
110
R é v o l u t i o n s
elle était unie ; quelle y obferve
les actions des vivans , & goûte du
plaifir de voir des témoignages
d’affeétion , d’attachement & de
douleur. Delà , les cérémonies fu
nèbres qu’ils font pour leurs pa
rents ou pour leurs amis; la joie
qu’ils marquent de la félicité de
ceux qui font morts pour la défenfe
de la Patrie , & la crainte qu’ils ont
des fpe&res. Ils fontauffi dans l’ufag e , comme le furent autrefois les
peuples de l’Europe, de dépofer des
viandes dans des tombeaux , pour
raifafier les ombres de leurs parents
ou de leurs amis.
On ne connaît point à Taïti cette
manie funefte & fanguinaire qu’on
appelle intolérance. Ce terme in
fernal ne fe trouve pas même dans
la langue du pays. Les bons Taïtiens,
perfuadés
,D E
T
A ï T I.
I I I
perfuadés que chaque individu ré
pondra un jour perfonnellement de
fa croyance, ne penfent pas devoir
gêner perfonne fur ce point. Il n’y
aurait qu’une incrédulité fanatique;
un mépris affecté pour les loix re
connues généralement pour divines ;
un libertinage , tel que celui qui
s’efforce de bouleverfer les princi
pes conftitutifs de l’Etat, qui puiflent
exciter la vigilance du Magiftrat ,
& provoquer l’animadverfion des
loix. Les enfans apprennent à ce fujet une priere qui fait autant d’hon
neur à ce peuple vénérable , qu’elle
prouve fa fageflè & fon difcernement. Cette priere , que chaque
citoyen eft obligé d’adreflèr au Ciel,
au moins une fois par jour, eft con
çue en ces termes :
{‘ Seigneur , fi nous avons le
^om e II.
F
Xi i
R é v o l u t i o n s
>>malheur de nous tromper dans le
u culte qu’on nous a appris à yous
» rçndre ; fi l’idée que nous ayons
« conçue de Votre Majefté , n’eft
» pas digne d’elle, ayez la bonté
>> de nous deflîller les yeux fur un
v fujet qui mérite de fixer toute
» notre attention. Quel que foit le
3» culte que vous préférez au nôtre,
» quels quefoient les dogmes qu’une
s? autre Nation prefcrit à fes meni33 bres, • daignez, Seigneur , nous
»s les faire connaître. Notre cœur,
» toujours prêt à vous fervir, ne
33 demande qu’à s’humilier au pied
s» du Trône de votre Puiflànce >'
33 lorfque vous aurez diflipé les té*
33 nebres qui nous environnent,
33 Nous vous en prions inftamment,
33 grand D ieu , par cette teudrefle
>3 infinie que vous ne ccflèz de tua*
DE T
a
ï T I.’
11 J
» nifefter à vos enfans. Nous ne
» demandons qu’à voir le chemin
« qui doit nous mener à vous.
d Nous vous Cuivrons par-tout où
d il vous plaira nous conduire. Dai« gnez feulement être notre guide j
>* mais fi nous femmes dans la
» route que vous avez daigne préc
is crire à vos fideles ; s’il eft vrai
» que la Religion qui gouverne
j) cette République, eft la vôtre ,
» dbîinez-nous la confiance néceffaire' pour y perfévérer. Daignez
» auflî, Créateur 5c Confervateur
» du genre hum ain, daignez inf» pirer à tous les hommes le défie
>s de vivre fous les loix relisieufes
» qui font reçues parmi nous j don» nez à tous les m ortels, nos freres
» & nos amis, la lumière nécelïàire,
» pour concevoir de votre redouta-
114 R
é v o l u t i o n s
» ble puiilànce , la même idée"que
35 nous en avons ; à moins que par
33 une fuite de cette admirable va33 riété que vous avez fu mettre
33 dans l’Univers , Votre Majefté
33 fuprême ne fe plaife dans la di
ss verfitédes cultes.Quels que foient;
33. Seigneur , fur ce point , vos def33 feins , nous nous profternons
3> humblement au pied de votre
33 miféricorde , en la fuppliant de
33 pardonner à ceux des humains
33 qui pourraient être dans l’erreur.
33 Pardonnez-leur , Dieu jufte &
33 bienfaifant , pardonnez-leur cet
3* aveuglement qui les déshonore;
33 ouvrez, pour les recevoir , ces
33 entrailles paternelles, qui doivent
3> être le refuge des faibles mortels,
33 après .leurs péchés. Toutes les
» Nations que vous avez placées
D
ET
A
ï
T
t;
125
» fur la furface de cet Univers imsj, menfe forti de vos mains , ont
« l’honneur de vous reconnaître
» pour leur Pere ; tbirtes' ont un
» droit égal à vos bontés. Faites
» que nous ayons un jour la confo» lation de nous voir tous réunis
» pour chanter vos' louanges, &
» que la joie dont tous les êtres
» intelligents efperent jouir dans
» là béatitude que vous leur projlimette'&V’rfé 'foit pas-altérée par
» ridée,’-affligeante des tourments
» inexprimables qu’éprouveraient
» ceux qui én feraient privés ».
Cejpeuplê', à l’eàèmple dé^diites les Nations de la -terré /,là,Jdes
Prêtres deftinés à offrir auiCieî’des
facrilices pour l’Etat , 8c à inflrture
la jeuneffe des principes fondamen
taux de la Religion du pays. Ce
ji6
R
é v o l u t i o n s
font des vieillards que l’on choifit,
tous les ans , parmi ceux qui lé
fontdiftingués par la pureté de leurs
mœurs & la ferveur de leur patriotifme. Ces Minières de la Religion,
dont les fondions font bornées à dix
années, ne forment pas entre eux
un corps régulier. Le R o i, comme
leur C hef, a feul le droit de leur
prefcrire la Liturgie qu’ils doivent
obferver ; & tous les ans Sa Majefté
Taitienne envoie dans.chaque Vil
lage le Rituel qui doit guider le
Prêtre auquel il eft fournis. Comme
la Religion des Taïtiens n’admet
.qu’un très-petit nombre de dogmes
au-delà de ceux dont, chaque indi
vidu rapporte la connailîânce en
naiflint, les Prêtres n’ont pas befoin
de s’alTembler pour fortifier le culte
chancelant. Chacun d’eux a fou dif-
B
E T A ï T I.
i 17
tritt féparé , 8c ne communique en
aucune maniéré avec ceux des au
tres régions de l’île. Toutes leurs
prières fe font au nom de la Nation
entière; & il leur eft expreffément
défendu de fe charger d’aucun facrifice pour les citoyens en parti
culier. C ’eft , dit-ori , à ce régle
ment falutaire , que l’on doit attri
buer la fage fubordination qui ré
gné dans- le Clergé', fa vertu , fon
défintéreflêment, 8c l’état de mé
diocrité où il eft toujours demeuré
depuis la révolution. Comme les
fondions des Prêtres font très-bor
nées , elles ne les empêchent pas
de vaquer, comme le refte du peu
ple , à leurs travaux domeftiqùes.
Les Pafteurs, confondus avec leurs
fideles, 8c fans aucune autre mar
que de dignité qu’une feuille de
F iv
iî.8
R
é v o l u t i o n s
palmier qu’ils attachent à leur bon
net , travaillent à la terre, vont à la
pêche , à la chafle, & remplirent
d’autant plus fcrupuleufemeut tous
les devoirs de citoyen, que le facerdoce les expofe en fpectacle à
tout un canton. Après avoir exercé,
pendant dix ans, leurs fondions,
ils fe retirent dans l’une des plus
belles régions de l’île, o ù , unis à
leurs femmes & à leurs enfans, ils
forment entre eux une efpece de
fociété. C ’eft dans cette petite Ré
publique , où l’Etat leur donne les
terres nécelïàires à leur fubfiftance,
que l’on trouve toutes les vertus
dont l’efpece humaine peut être ca
pable ; c’eft-là que réiîdent d’une
maniéré éminente , la charité , la
douceur , l’amour de fon devoir,
& tout ce qu’exige la qualité de ci-
D E T A ï T I.
ï
toyen 5 enfin , c’eft dans cette re
traite , la plus refpeftable qui fuit
fur la terre , que des vieillards ,
courbés fous le poids des années ,
s’entretiennent continuellement de
la Divinité , à laquelle ils font fur
le point de s’unir , & des précieux
avantages que donne la vertu fur
ceux qui la méprifent. Talifmoqueb al, Roi des Catalafques , ce fa
meux Conquérant , dont les Anna
les du Sud parlent avec tant d’emphafe, S’étant approché , l’an du
monde 600109 > de l’île de T a ïti,
avec une flotte formidable , fans
avoir ofé l’attaquer, il demanda au
Roi la permiflion de vifiter le pays
avec fix de fës Courtifans. Ce qui
le frappa le plus dans l’adminiftration de cette heureufe République ,
fut le fage tempérament qu’on y
Fv
ijo
R é v o l u t i o n s
avait pris , pour réprimer l’ambi
tion des Prêtres, & leur faire aimer
leur devoir. Il pria le Monarque de
lui en faire venir quelques-uns pour
apprendre de leur propre bouche la
difcipline introduite parmi eux, &
les principes fur lefquels était fon
dé le refped que l’on portait à leur
dignité. Alors Falimouroux, vieil
lard vénérable, l’un ,des plus an
ciens du Clergé, & retiré, depuis
dix ans, dans le canton des Prêtres
émérites , fut chargé de fatisfaire
le C onquérant, & lui parla ainfi:
« Talifmoquebalj le defir que tu
» marques de connaître la fageflë,
» me ferait croire que l’on pour» rait déjà te placer au rang desfc» ges. Rien ne m ’empêche de te
» regarder comme te l, fi ce n’tfft
» cette ardeur immodérée ale met-
»E
»
»
»
»
T
A ï T I.
I?I
rre fous tes pieds tout le genre
humain , & de commander à
l’Univers. La véritable PHilôfophie apprend à fefo umettre '& à
s> recevoir la loi fans révolte & fans
» répugnance ; mais ton carattere
» hautain & ton cœur ambitieux y
» oppofent un obftacle invincible.
» Tu veux que je t’inftruifede nos
» mœurs & de nos ufages} je crains
» de l’entreprendre , parce que je
» me fens peu de talents pour la
» parole , & que le trouble &
sj l’exercice continuel des armes ne
» te donneront pas le tems de
:> m’écouter. Je ne faurais pourtant
si pas m’en difpenfer , puifque tu
» me le demandes, d’après des ors» dres pofitifs du Pere de la Patrie ;
» mais n’attends pas que je te flatte;
» ma bouche n^ft pas accoutumée
F vj
1J Î .
R é v o l u t i o n s
35 à prononcer ces.éloges féduéleurs
» dont on t’accable dans tes conquê3> tes. Nous fonnnes vrais , & nous
3> dételions le déguifement & la
33 perfidie. Peut-être me fauras-tu
*> gré un jour des vérités terribles
» que j’aurai le courage de pronon3» cer en ta préfénce.
33 En te peignant l’état de notre
33 College retiré dans la Province de
»3 Falim a, c’ell te faire le portrait
« de tous les Prêtres répandus dans
3» l'île de Taïti. Ce font les mêmes
33 mœurs , le même caraélere , la
33 même fimplicité j & , fi l’un d’eux
33 ne fe fût pas” comporté, pendant
33 les dix années de fon minillere,
33 d’une maniéré analogue à nos
33 inftitutions, il n’aurait jamais été
33 reçu parmi nous. Je te dirai donc,
33 fans craindre que l’on m’accufe
D I
T
A ï T i;
IJ3
» de préfomption & de vanité, que
n notre vie eft auffi pure quelle
» eft (impie & modefte. Le plaifîr
» greffier des fens qui féduit le refte
n des hommes, n’a pas de charmes
j j pour nous. En nous chargeant des
j j pénibles fonctions du facerdoce ,
j j nous nous promettons bien poftj j rivement à nous-mêmes de fouj j mettre tous nos delîrs à l’empire
j j de la raifon ; & l’expérience que
» nous avons alors , nous met à
j j portée de réfléchir mûrement fur
j j l’importance de cet engagement.'
j j Toujours fubordonnés aux évériej j ments
, jamais notre bouche
j j n’éclate en murmures
dans les
j j plus facheufes circonftances. Lujj différents fur la r*>urriture, on
w ne connaît parmi nous que le
jj nom de la délicateflè. Il ne paraît
ï
R é v o l u t i o n s
fur nos tables que les herbes &
» les légumes que la terre produit
■m d’elle-même , fans aucun foin ni
-jj travail ; auflî ne connaifïons-nous
» de maladies, que ce que lesplainn tes & l’expérience des autres nous
u en apprennent : la joie pure dont
» nous jouiflons , n’eft interrom« pue que par quelques infirmités
»> qui font l’apanage de la caducité.
» L’égalité nous met dans une
» parfaite indépendance de coût au5> tre que du Souverain. Elle bannit
•« du milieu de nous , l’envie, la
» jaloufie , l’ambition , la haine, &
» les autres vices qui troublent
r> communément l’efpece humaine.
» Nous n’avons pas de Tribunaux
« dans toutê l’étendue de notre
» petite République , parce que
sj nous ne fàifons rien de répréhensj
B E
T
A ï T I.
If 5
» lible ; & la juftice dans laquelle
» nous vivons, n’â pas encore fait
» établir ces loix féroces qui punif» fent le crime chez les autres peuj> pies. Nous craignons même qu’en
» les introduisant, elles ne faflent
)} naître la penfée du mal qu’elles
s> défendent. Notre feule loi eft de
»> ne point violer celles J e la nature.
» En évitant tout reproche , nous
» ne fommes point expofés à par
is donner aux autres , -dans l’efpé« rance qu’ils ufero n td ela même
95 indulgence à notre égard ; en35 core moins achetons-nous lepar>5 don & l’impunité à force de li95 béralités. Cette forte de grâce
35 accordée-par l’avarice , rendrait
35 le Juge plus coupable que le cri» m ine 1.
»>:P-armiuous, l’oifiveté eft punie
R
é v ol u t i o n s
>s d’un châciraenc rigoureux. Nous
» craignons les amorces de la vo» lupté , comme la fource & les
» principes de l’abâtardiflèment &
>5 de la détérioration. Nous aimons
s» le travail qui exerce le corps, &
j5 nous dételions celui qu’anime la
ss cupidité. Nos occupations ne ten55 dent qu’à nous procurer le nécef53 faire ; toute autre vue nous fait
ss frémir , & nous paraît être la
ss caufe de tous les maux. On ne
ss voit dans nos campagnes, ni bor35 nés , ni limites qui délignent la
ss propriété. Nous fommes con»3 vaincus que cette ufurpation faite
ss fur les droits facrés de la nature,
>3 eft feule propre à troubler le re33 pos des mortels. Chacun prend
>3 où il lui plaît, ce que cette mere
J3 commune du genre humain verfe
D E T
A 1 T I.
IJ7
» fur la terre. Nous laiflbns lesoi» féaux planer tranquillement dans
» les airs, les animaux fe promener
» dans les campagnes, & les poif» fons nager dans le fein des eaux.
>3 Nous poffédons tout ce que nous
» pouvons fouhaiter , parce que
3> nous ne voulons rien au-delà de
33 ce qu’il nous faut. Nous n’appré33 hendons rien tant que ce defir in33 fatiable d’acquérir en propre ,
33 qui fait naître mille befoins dans
» le cœur de l’hom m e, 3c le rend
33 plus pauvre de jour en jour , à
>3 mefure qu’il fent augmenter fes
33 richelfes. En acceptant la dignité
33 du facerdoce, nous avons tout
33 abandonné à nos enfans , pour
33 ne nous occuper que des intérêts
33de ceux dont on nous confiait la
33 conduite.
138
R
é v o l u t i o n s
Nous nous chauffons au foleil ;
jj la pluie & la rofée du ciel nous
j > rafraîchiffent 3 les rivières nous
» défalterent. Nous nous nourrifjj fons de l’herbe des champs & des
« racines. La terre nous ferr de lit.
>j Les follicitudes n’interrompent
» point notre fommeil 3 la paix du
j j cœur nous laiflè toujours l’efprit
j j en liberté. Nous fommes déli« vrés de la crainte & de la fujéj j tion à toutes fortes de maîtres ;
s j le Roi de T a ïti, ce bon pere auj j quel nous fommes redevables de
** cette félicité dont nous jouiflons,
jj a feul droit à nos hommages ; &,
j j s’il manque quelque chofe aux
»j aétions de grâces que nous ne cefsj fons de lui rendre pour ce bienjj f a it, c’eft pour nous avoir fait
p goûter trop tard le repos délijj
D ï T A ï T I.
139
si cieux que nous avonstrouvé dans
j>cette folitude. Nous nous regar» dons comme des frétés que la
» nature a faits égaux, & comme
» les enfaias d’un Dieu fuprême,
» notre Pere commun , qui doit
» nous partager le même héritage.
» On ignore parmi nous ce que
» c’eft que détruire les forêts & bri» fer les rochers , pour bâtir des
» maifons. La nature femble n’avoir
» formé des antres que pour cet
» ufage 3 & nous ofons afiurer avec
j» confiance , que nous fommes
» mille fois plus heureux fous ces
» fombres réduits, que ne le fure:*î
» jamais les Mirmidons fubjugués
» autrefois par les Taï tiens, fous
» ces lambris fomptueux & ma» gnifiques qiÿ décoraient leurs Pa» lais. Là , nous ne craignons niies
140
R
é v o l u t i o n s
« vents, ni la pluie, ni le froid,
j> ni le chaud, ni les tempêtes ; ces
» demeures naturelles nous fer« vent de retraites pendant la vie,
« & de tombeaux après la mort.
» Ah ! Talifmoquebal , pourquoi
33 la nature, au lieu de te faire Con» quérant, ne t’a-t-elle pas placé
s» parmi les Prêtres de Taïti ?
» Nous évitons dans nos habits
33 tout ce qui relient le luxe & la
33 mollelïè. La feuille ou l’écorce
33 des arbres nous fert à voiler ce
>3 que la bienféance ne permet pas
33 à des vieillards de lailfer à décou
ds vert. Nos femmes ii’ont pas la
33 liberté de fe parer comme les ail33 très. D u jour de notre promotion
33 au facerdoce , elles renoncent
33 pour jamais aux atours dont là
,3» limplicité Taï tienne permet au
de
T a Ï t i;
141'
» fexe de fe décorer j 8c telle eft dès» lors leur condefcendance aux vo»> lonrés de leurs m aris, que, Ci on
» leu r laiUàic leur ancien ajufte» ment , elles refuferaient de s’en
» fervir ; parce qu’elles font perfua» dées qu’un vain & faftueux atti» rail gêne plus qu’il ne décore, &c
» que tout l’art du monde ne donne
» aucun prix à la beauté, & ne chan35 ge rien à la laideur. Tous ces foins
>3 que prennent vos femmes de leur
33 parure, deviennent donc fuper33 flus , puifqu’ils ne corrigent pas
33 les défauts, &c criminels, en ce
3» qu’ils ont pour objet de réformer
33 l’ouvrage du Créateur. Telles que
33font nos fem m es, nous fommes
3>accoutumés à leur prodiguer toute
33 notre tendreiïe j auffi n’entend?» on jamais nommer parmi nous
X42.
R é v o l u t i o n s
« les crimes d’incefte , d’adultere;
» ou les autres infidélités qui désho» norent les familles, & violent le
» lien conjugal. La feule chofe qui
n trouble quelquefois la paix pro» fonde que nous goûtons dans nos
i> mariages, eft l’idée de cette fés> paration funefte dont la mort ne
j> ceflè de menacer des vieillards.
» Heureufement la Philofophie
» vient à notre fecours, & calme,
35 par les réflexions qu’elle nous
s> fo u rn it , les orages dont , fans
»> elle, notre ame ferait continuel3> lemenr agitée.
33 Notre fociété offre par-tout
53 l’image de la douceur & de la
5s tranquillité. Ah ! commenrpour»> rait-elle ayoir un autre catâ&ere,
» tandis quelle eft compofée de
j> l’élite d’un peuple que fa fran-
D E
T
A 1 T I.
*45
» chife , fa droiture & toutes fes
» vertus civiles & morales ont ren
» du fi célébré par route la terre?
» Les peres & les aïeux de la géné
)» ration préfente, & nos ancêtres
J> les plus éloignés, ne fe permi
J5 rent jamais
d’injuftices envers
S) perfonne, & joignirent un efpric
J) rare à toutes.les autres qualités
>1 qui les diftinguaient, La feule
» penfée d’un homicide nous fait
» frémir. Le peuple de Taïti ne
» fait ce que c’eft que provoquer
» les étrangers à la guerre. Nous n e
» nous flattons pas de favoir manier
» les armes. C ’eft la douceur &
» non la force, ce font les princi
l> pes fondamentaux de la co n ftitution de notre Gouvernement ^
)) & non le vain éclat de notre opu
» len ce , q u i co n ferv en t l’u n ion en -
144
R
é v o l u t i o n s
»> tre nous & nos voifins. Plufieuts
»> ont pourtant appris à leurs dé» pens que la bravoure ne nous
>5 manque pas, quand il s’agit de
» repoufler une infulte ; parce que
» chacun de nous eft perfuadé qu’il
a» n’eft pas de bonheur fans liberté,
» ni de liberté fans courage. Ce
» n’eft pas à des malheureux qui
y> n’ont plus rien à perdre , qu’il
« convient de braver les périls, mais
» à ces hommes pour qui toute
j> révolution ferait funefte , & qui
jj ont tout à craindre d’un premier
» revers.
« Ne te fâches point, Talifmo» quebal, fi je rapproche de ces pre» mieres couleurs de notre portrait
» celles qui forment le tien. De
>> quelle forte de ravages n’as-tu
» pas déjàdéfolé l’Univers ? Dévoré
,j d’ambition
j
» E
T A ï T I.
14 5
» d’ambition & d’avarice , combien
» de fan g répandu par res mains ou
:» par tesordres ? Quelle foule d’îles,
» autrefois heureufes &floriflànteS,
» gémiiïènt aujourd’hui dans le fein
» des malheurs , pour t’avoir reçu
» dans leurs ports ? Combien de
» fois l’Océan n’a-t-il pas frémi t
« en fupportant fur fes flots tes
** nombreux Vaifleaux qui traî» nent à leur fuite l’alarme , lecar*>nage , le défefpoir & la mort ?
» Barbare ! tu enleves inhumaine« ment les enfans à la tendreflè de
« leurs parents , tu les privés des
» obfeques, dont l’efpoir confole
» l’homme dans fes derniers mo
is ments j tu violes les tombeaux ;
» tu cours avec impétuofité vers
» l’endroit où le foleil paraît avoir
» fon palais , comme fi tu voulais
Tome I I .
G
*46
R
é v o l u t i o n s
»> exercer fur lui ta vengeance & ta
» férocité, tu renverfes des Trônes;
>5 tu traînes après toi des Rois cap» tifs pour en orner ton triomphe ;
» tu te plais à transformer dès ci33 toyens libres en vils efclaves ; &,
>3 par l’effet de ce caprice infernal
>3 qui te porte à tout bouleverferi
33 tu t’amufes à mettre les efclaves
33 en liberté. T u crois forcer les
33 Etats, quand tu en gagnes les Mi:
>3 niftres ; mais ne crains-tu pas de
33 nôtre auffi, à ton tour , la victime
33 de cette trahifon 8c de cette per33 fidie qui ont été la bafe de tou33 tes tes conquêtes? Fier de cetti
33 pui fiance formidable , tu mépri33 fes les alarmes que tes brigank» ges occafîonnent, & tu te croîs
33 déjà le maître du monde. Quant1
s* moi j c’eft cette puiflancç mém;
D E
T
A 1 T I.
I4 7
i> qui me fait trembler pour toi ;
»> parce qu’il n’eft que trop ordi» naire d’accumuler les fautes, Iorf» qu’on fe croit au comble de la
» profpérité , & de fe précipiter
» dans les plus grands dangers par
» un excès de confiance.
» Celfe donc de perfécuter ainfi
» tes femblables , & d’agiter l’uni» vers par ta folie. Ceux qui onceu
» la faiblelïè de te donner le titre
»> de Grand , paraifleut n’avoir
» aucune idée de la grandeur ni de
» la magnanimité. Nous croyons,
» au contraire , nous , pauvres
» Taïtiens', que tu n’as embrafle
» l’infâme profeflion de brigand &
» d’écumeur de mer , que parce
» que tu étais incapable de gouver« ner les Etats que tu tiens de ton
" pcre. U n Roi fage & éclairé, au
G ij
14*
RtTfl®ÎIi»3lt$
» liam ce sc c ra re
M ir a lÉeraSire Ses li-
» mires die £bo R am iige „ employer
b mi w m fies te k s i le gjiravemer
» avec éqmiiiæ, & z ilüigmar de fes
» feoEiEÏeiies use emaraiti ŒKbalent
» «mi totüJ eîie moaijfeir Ébsi repos,
C 'eü par des æ&$ 5 main. Sans fortir de ta famille *
55 rappelle-toi la conduite & les
55 mœurs du vertueux Hvlodée s
55 ton aïeul, dont le 110m fera tou55 jours cher à fes fujets. Fidele à
55 l’éducation foignée qu’il avait
55 reçue de l’illuftre Camifada , fon
55 pere, on ne le vit jamais négli55ger les devoirs importans qui en>5 vironnent le Trône. Tandis qu’il
55 fortifiait fon corps par le travail,
>5 il s’occupait à affermir fon ame
55 par la pratique de toutes les ver
« tus. Jufte appréciateur des riG iij
150
R é v o l u t i o n *
n cheffes , il jouilTàit de fes vaftès
*> domaines , en homme perfuadé
» qu’il n’était pas immortel , & il
» les adminiftraitavec autant d’écc» nomie, que s’il eût cru ne devoir
« jamais mourir. Affable , magni>1 fique & généreux , on ne voyait
» rien que de noble & de magna
is nime dans fa maniéré de vivre. Il
» était entièrement dévoué à fes
» amis, car, tout Prince qu’il fû t,
» il avait eu le fecret de s’en faire \
n & telle était fa fincérité à leur
» égard, qu’il paraifîàit leur être
U plus attaché qu’à fes propres pa'n rents. Il fentait q u e, pour for» mer les nœuds de l’amitié , l’in* clination a plus de force que la
» lo i, le choix que la nécellité, les
» rapports du caradlere , que les
» droits du fang.
p s T
a ï t
i.
151
» Il avait tant de refpeét pour la
?» Divinité , garante des traités >
jj que les ennemis regardaient fes
jj ferments & fa parole , comme
j j plus sûrs que
leur amitié muj j tuelle; & , tandis qu’ils craignaienr
jj de conférer enfemble , ils s’abanj j donnaient fans réferve au Prince
j j des Catalafques. Perfonne ne fe
j j plaignit jamais que ce bon Moj j harque lui ait rien ravi, & pluj j fieurs fe font fait un devoir d’aj j vouer qu’ils tenaient tout de fa
j j libéralité. Sa tempérance , fa moj j dération , fon ardeur pour le traj j vail ,
fr prudence , fon équité ,
j j fa fageffe
& fa circonfpeéHon
j j étaient admirables. Il avait éproijj j v é , dans fa jeunede , des contraj j diéfions de la part de quelquesj j uns de fes fujets ; mais il en ufait,
G iv
IJl
R é v o l u t i o n s
t* à l’égard même de ceux qui lui
» avaient été contraires , comme un
» pere tendre envers fes enfans. Il
» les reprenait de leurs fautes, ré» compenfait leurs bonnes actions,
>• les fervait dans leurs difgraces.
» Nul citoyen n’était ennemi à fes
» yeux ; il était difpofé à les louer
>3 tous : fa plus grande joie était de
3> les conferver tous, ôc la perte du
33 dernier d’entre eux affligeait fon
33 cœur. Sa feule ambition confiftait
33 à trouver les moyens de rendre
33 fes fujets heureux, par une adnùsj niftration équitable Sc éclairée ;
33 & i’un des membres de notre
33 College , qui avait paffé dans vo>3 tre pays pour y admirer la fa3» geflè de ce grand Prince, fe fou3* vient encore, malgré fon grand
3> âge, de lui avoir entendu dire,
DE T A Ï T I.
I 5J
» qu’il précipiterait fur-le-champ
» fes enfans dans la m er, s’il croyait
» qu’ils penfaiïènt jamais à devenir
» conquérans. Un des plus grands
v fervices qu’il ait rendus à fa pa
is trie , c’eft qu’étant le Chef de
» l’E tat, il fe montrait le plus fou» mis aux Ioix. Eh ! qui aurait rev>fufé de leur obéir , lorfque le
» Souverain leur obéiflàit lui-mê» me. Mécontent de fon é ta t, au» rait-on entrepris d’innover, tan>5 dis que ce Prince montrait tans
n de droiture ? On allure qu’il
» challà pour jamais des pays de fa
» domination un vil adulateur qui
» avait ofé dire en fa préfence,
» qu’un Roi des Catalafques ne
» tenait fa couronne que de Dieu
» & de fon épée.
» Je finis ici le tableau de ta,
Gv
154
R évolutions
>j conduite & de celle de ton aïeul,
jj que tu m’as permis de te tracer,
» pour continuer à t’inftruire de
»> nos mœurs. Retirés du cercle du
» grand monde, nous ne connaif» fons point ces a Semblées tumul» tueufes , ces jeux , ces fpeéta» clés qui font les délices des Na33 dons, telles qu’eft , dit-on, celle
33 à laquelle tu commandes. A quoi
« ferviraient vos Comédiens , au
33 milieu d’un peuple qui en mé3> prife fouverainement la profef33 fion, qui ne fait rien que l’on
33 puifle tourner en ridicule, & cher
33 lequel il ne fe palîe aucune fceue
33 cruelle? Le ciel fait notre fpec33 racle favori 5 nous en admirons
s) avec joie l’ordre , l’économie , la
33 régularité , les mouvements.
» Nous fommçs ravis de voir le
»! T
a
ï T i.
r 55
>» foleil voler fur un char couleur
» de pourpre , étaler par toutes les
» régions , fes cheveux rayonnans
» de lumière , & revenir chaque
» année au point d’où il était parti.
» D u ciel nous paiïops à la con» templation du refte de la nature,
» dont les ouvrages nous parai Sent
» également beaux , admirables ,
» incompréhenfibles. Le chant des
» oifeaux , les fontaines, une fleur,
» un brin d’herbe , tout cela épuife
« nos réflexions &c nous enchante.
« En fuyant les Sciences &c tous les
» fonds qui les environnent, nous
» devenons pourtant alïèz favans
» pour connaître une partie des
» beautés raviflantes de la pâture ;
« & le fruit précieux que nous re» tirons de cette étude , . cpnfifte
» dans cette admiration toujours
G vj
ï
$6
R évolutions
» nouvelle que nous ne celions de
» témoigner pour les ouvrages du
» Créateur.
» Contents de ce qui naît dans
» nos contrées, nous n’allons point
» chercher ailleurs les différentes
n raretés que produit un climat éloi» gné. Rien, ne nous touche autant
» que ce qui nous eft propre. On
» dit que vous vous flattez d’être
» les plus éloquents des hommes.
» Quant à nous , nous méprifons
n fouverainement un tel mérite;
n nous condamnons même lelo» quence , comme un art perni« deux , qui ne s’exerce, pour l’orn dinaire , qu’à donner au menfon» ge les couleurs de la vérité, à
» protéger le crim e, & quelquefois
» à juftifier le parricide. Toute no» tre éloquence confhle dire ton-.
à
be
T
a
ï
T
r.
157
» jours la vérité. La maniéré fin>
» pie avec laquelle les Taïriens s’ex» priment dans leurs Tribunaux &
» dans leurs Affemblées nationales»
>3 ont fouvent étonné les gens de
>3 ton pays ; & peut-être doute-t-on
» encore chez vous que Ton puiflè
>3 difcuter des affaires importantes'»
33 fans y mettre cette chaleur & cet
»3 enthoufiafme, qui font commu3» nément le fruit de l’emportement,
33 de la colere , ou de la féduétion.
33 Voilà une idée de nos mœurs ;
33 voici les dogmes qui forment
3» l’objet de notre culte. Nous
33 croyons un Dieu , Créateur &
33 Souverain de l’Univers. C’eft à
33 cet Etre immenfe que nous rapsj portons toutes nos aétions , tous> tes nos efpérances, tous nos pro3> jets. C ’eft en lui que nous comp-
tj8
R i v O t U T Ï O N S
js tons revivre un jour , lorfqne ,
j> forcis des liens du corps qui nous
» retiennent dans ce monde, nous
» paflerons dans le féjour des bien»» heureux. Nous n’avons pas la prén fomption de croire que nous au53 rons feuls le privilège de préten33 dre à cette joie immortelle qui
33 fait le fujet de notre efpérance.
33 Toutes les Nations de l’Univers,
33 depuis un pôle jufqu a l’autre, fe
>3 réuniront dans cet heureux fén jour j & , dépofant pour jamais
33 ces fentiments meurtriers de
33 haine, de jaloufie , de difcorde,
33 qui les anim ent, elles s’abreuve53 ront enfemble de ce délicieux
33 neétar. que l’Eternel partagera ,
33 dans tous les liecles, avec les fils
33 de la terre.
» Quant au culte que nous ren-
DE
T A f T I.
I
n dons extérieurement au Toutr> puiiïànt , il eft tour aufii Ample
que le fond même de notre Relin gion. Nous avons pour maxime
» de ne pas enfanglanter fes Autels,
n en égorgeant des vidâmes innon centes : des herbes, des fruits, des
» racines, du lait, des fromages,
n tels font les dons que l’on apporte
n dans nos fanduaires. Nos Tem » pies ne font pas décorés de lames
s> d’or ou d’argent, ni brillans de
ss l’éclat des pierres précieufes -, les
>s Taïtiens croient que ce ferait inss fulter la Divinité , que de fouilss 1er fes fanétuaires de tous ces obss jets de la vanité humaine. Dieu
ss demande qu’on l’honore d’un
ss culte pur & non fanglant. Il veut
?s être fléchi par les bonnes œuvres,
ss par la candeur de fa m é , par la
* 6o
R
é v o l u t i o n s
n droiture des fentiments , 8c non
n par les dehors trompeurs d’une
« piétc fimulée. Comme il eft pur
n efprit, il n’exige que l’offrande
n de notre cœur & de nos vertus,
» 8c le facrifice de ces pallions vives
*>& turbulentes, propres à rompre
» l’harmonie qui doit régner fur la
» terre.
» Tel e f l, Talifmoquebal , le
» vrai portrait de nos mœurs &
« de nos ufages. Fade le Ciel que
n rentrant en toi-même, & dépos> fanr cette férocité cruelle qui te
>5 porte à ravager l’Univers, tu te
» rappelles un jour les confeils que
n j’ai eu le courage de te donner. Ni
95 l’éclat de ton diadème, ni le nom99 bre de tes victoires, tracées fur
9> ton front, ni la terreur qui failit
» communément ceux qui appro-
» E T A ï T I.
j>chent
I 61
les Potentats , ne m’ont
» empêché de déchirer le voile qui
» te cache la vérité. Si le Ciel t’eût
» envoyé pour régner fur nous , &
» que Taïti eût eu le malheur
» d’avoir un Conquérant tel que
» toi pour Monarque , je n’aurais
» pas mis moins de courage & dé
» fermeté dans mes repréfentaj) tions. J ’aurais feulement obfervé
» de ne pas manquer, en pareil cas,
» au refpect «5c à la déférence que
js tout fujet doit à fon Prince. HeuJ3 reufement la bonne conftitution
3j de la république de Taïti , la
33 fimplicité des mœurs de fes habi«
33 tans, fa pofition , fa médiocre
33 étendue, & fur-tout la proteétion
33 dont la Divinité l’honore , ne
3> permettront pas que nous ayons
33 jamais de telles remontrances à
téi
R
é v o l u t î o n s
» faire, 8c qu’un C onquérant, iflu
n du Palais de nos Pvois , aille au
» loin étaler fon ambition 8c fes
i> forfaits. j >
11 y a peu d’occaflons où les Taïtiens obfervent plus de cérémonie
qu’à leurs funérailles. Le cadavre eft
dépofé dans un hangar conftruit
exprès, à quelque diftance de l’ha
bitation de la famille. L à , on l’étend
fur un échafaud , & couvert d’une
belle toile. Alors un P rêtre, vêtu
d’un manteau garni de plumes bril
lantes , Sc accompagné de deux jeu
nes garçons peints en noir , jettent
des fleurs 8c des feuilles de bam
bou fur le m o rt, auquel il préfente
quelque nourriture qu’il dépofei
fes côtés. Enfuite , il eft conftamment occupé, pendant trois jours,
à parcourir le bois & les champs
©e
T
a
ï t r.
de tous les environs , d’on chacun
fe retire à fon approche. Pendant
cet intervalle , les parents du défunt
conftruifent un hangar contigu à
celui où repofe le cadavre, Sc où
ils s’affemblent. Dans ce lieu confacré à la douleur, les femmes vien
nent témoigner leurs regrets, par
des pleurs Sc des chants lugubres,
& , au milieu de leurs plaintes la
mentables , elles fe fo n t, en diverfes parties du corps, des bleflures
qu’elles vont enfuite laver dans une
riviere ou dans la mer. On ne ré
pond autre chofe aux palfans qui
s’informent du genre de maladie
dont cçt homme eft m o rt, fi ce
n’eft E m oc, il dort -, & ce ferait
alors fe rendre coupable de facrilege & d’incivilité, que de ne pas
mêler fes larmes à celles de La fa-
ï
Fait partie de Histoire des révolutions de Taïti avec le tableau du gouvernement, des mœurs, des arts, et de la religion des habitans de cette île