B98735210103_204.pdf
- Texte
-
BULLETIN
DE Id
SOCIETE
DES ETUDES
OCEKNIENNES
e
A
¥
N°204
TOME XVII
—
N°5 / SEPTEMBRE 1978
Société des études océaniennes
Ancien musée de
Papeete, Rue Lagarde, Papeete, Tahiti.
Polynésie Française.
B. P. 110
B.I.S.
21-120-22 T
:
Tél. 2 00 64.
-
—
C.C.P. 34-85 PAPEETE
CONSEIL D'ADMINISTRATION
M. Paul MOORTGAT
Président
M. Yves MALARDE
Vice-Président
Mlle Janine LAGUESSE
Secrétaire
M.
Trésorier
Raymond PIETRI
assesseurs
Me
Rudolph BAMBRIDGE
Me Jean SOLARI
M. Henri BOUVIER
M. Roland SUE
Mme F. DEVATINE
M. Temarii TEAI
Dr. Gérard LAURENS
M. Maco TEVANE
Me Eric LEQUERRE
MEMBRES D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
R.P. O'REILLY
M.
Georges BAILLY
M. Raoul TEISSIER
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se
faire présenter par un membre titulaire.
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ses
membres qu'ils peuvent
emporter à domicile certains livres de la Bibliothèque
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au cas
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la date fixée. Les autres peuvent être consultés dans la Salle de lecture du
Musée.
La
Bibliothèque et la salle de lecture sont ouvertes aux membres de la
jours, de 14 à 17 heures, sauf le Dimanche.
Société tous les
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DES ÉTUDES OCÉANIENNES
(Polynésie Orientale)
TOME XVII
N°5 / n°204 Septembre 1978
-
SOMMAIRE
Articles
Ben R. flnney
Mai arii
Cadousteau
M. LERICHE
Les pirogues de haute mer, et le
peuplement de la Polynésie
275
L'agression Pomare et l'usurpation
du pouvoir
295
La Convention du 5 août 1847
et le désaveu de Lavaud
307
Comptes rendus
Terii Heimau
Janet E. Bell
Albert J. schutz
Buka Aamu
Hawaiian
no
Pouvanaa
a
Oopa
Language Imprints (1822-1899)
315
317
The Diaries and Correspondance
of David
Cargill (1832-1843)
Société des
Études
Océaniennes
318
Société des
Études
Océaniennes
Les
pirogues de haute
et le peuplement
de la Polynésie.
mer,
Le développement de la navigation à voile est un des phénomè¬
les plus importants dans l'histoire de l'humanité, et il en est
résulté que les hommes purent utiliser pour la première fois une
nes
source
prodigieuse d'énergie
pour un
investissement relative¬
modeste dans la construction et la conduite d'embarcations
munies de voiles. Alors que le rôle de cette décourverte ne fait pas
de doute dans le monde des communications et du commerce,
ment
j'attire, dans cet article, l'attention sur le rôle qu'ont joué les
embarcations à voile
les grandes pirogues de haute mer —
—
dans l'ouverture à l'installation des hommes d'une énorme
étendue du Pacifique, en l'espèce la région triangulaire limitée au
N. par Hawaii, au S. E. par l'île de Pâques, au S. O. par la
Nouvelle Zélande et connue sous le nom de Polynésie (Fig. 1).
La pirogue de haute mer fut probablement l'objet œuvré le plus
essentiel de la culture polynésienne, car sans elle il n'y aurait pas
eu de Polynésiens tels que nous les connaissons aujourd'hui.
Selon des interprétations archéologiques récentes (2, 3, p. 226), la
culture polynésienne de se serait pas développée dans un pays
d'origine d'Asie ou d'Amérique, mais en Polynésie même. Les
navigateurs ancêtres des Polynésiens quittèrent la Mélanésie
Orientale pour les îles inhabitées des Tonga et des Samoa entre
1500 et 1000 avant Jésus-Christ. Ils y firent souche, et au cours
des siècles, .le schéma fondamental de la culture polynésienne se
développa. A peu près au siècle de J.-C., les navigateurs, devenus
de véritables Polynésiens, quittèrent ces centres polynésiens de
l'Ouest, se dirigeant vers l'Est pour occuper probablement en
premier les Marquises, puis les îles de la Société (dont la plus
importante est Tahiti) Partant de ces centres polynésiens de
l'Est, ils occupèrent les îles voisines, et ensuite se dirigèrent au S.
E. vers l'île de Pâques, au N. vers Hawaii, et au S. O. vers la
Nouvelle Zélande, pour achever le peuplement du triangle
Polynésien vers 1200 après J.-C. Le départ de Mélanésie, la
colonisation de la Polynésie, et surtout l'occasion de développer
une culture unique dans l'isolement du Pacifique, tout cela aurait
Société des
Études
Océaniennes
276
140"
Ben R. FINNEY
ISO'W
rtO"
160" E
6 Iles Gambier
1
Hawaii
7 Iles Cook
2 Iles de la Société
160* £
160* W
180*
8 Nouvelle Zélande
9 Iles
3 Tuamotu
Tonga
4 Iles
10 Iles Samoa
5
11 Iles Ellice
Marquises
Iles de Pâques
' 140"
120"
Fig. 1 - Le triangle polynésien, qui renferme la plupart des îles polynésiennes.
Quelques peuplements polynésiens existent sur des petites îles appelées "Polyné¬
siennes de l'extérieur", en Mélanésie et en Micronésie. Les longues flèches
donnent la direction générale des alizés. Les flèches courtes donnent la direction
des courants de surface dominants.
embarcations capables de parcourir des
des archipels éloignés de Hawaii et de
Nouvelle Zélande, des milliers de kilomètres en haute mer,
portant de lourdes charges d'émigrants, de ravitaillement, de
plantes et d'animaux domestiques, nécessaires à la fondation
été impossible sans
centaines et dans le
cas
d'une colonie nouvelle. Les embarcations utilisées étaient très
certainement de grandes pirogues doubles. Les Polynésiens
apparemment préféraient
pour les longs voyages ces pirogues à
pirogues à coque unique, en raison de leur
plus grande stabilité et de leur capacité de transport.
doubles coques aux
PROBLÈME
Nous ne pouvons pas dire avec certitude si les Polynésiens
avaient le contrôle de leurs migrations ; celles-ci étaient-elles
intentionnelles à l'origine, comme le pensent depuis longtemps
des spécialistes renommés de la Polynésie, tels que Buck et
Emory (4),
ou
bien étaient-elles accidentelles,
Société des
Études
sous
Océaniennes
la forme de
100"
LES PIROGUES DE HAUTE MER
277
à la dérive ou de départs en exil, ainsi que le suggère
Sharp (5), dont les opinions ont rallié beaucoup de suffrages
depuis leur publication en 1956 ? D'après la théorie des migra¬
tions intentionnelles, les Polynésiens seraient délibérément
partis à la recherche de terres nouvelles à coloniser et, dans
certains cas, ils auraient pu rentrer chez eux pour faire part de
leurs découvertes et promouvoir des efforts de colonisation de
grande envergure. Pour les tenants de migrations accidentelles,
le peuplement de la Polynésie se serait fait grâce à une longue
série d'atterrrissages imprévus par des pirogues dérivant au gré
des vents et des courants après avoir été déroutées soit au cours
d'un voyage côtier, soit au cours d'un voyage d'une île à l'autre,
ou encore par des pirogues dont les occupants s'exilaient par
choix ou par force et qui partaient à la recherche d'une terre au
hasard. Bien que ces deux opinions^se recoupent, dans la mesure
ou les voyages dont le retour est, soit impossible, soit non prévu,
soit communs aux deux, elles diffèrent radicalement dans le
degré de contrôle qu'elles attribuent aux Polynésiens dans le
processus de découverte et de peuplement.
Les discussions entre les partisans de ces théories opposées se
sont principalement concentrées sur les caractéristiques des
performances des pirogues polynésiennes, et plus particulière¬
ment sur leur capacité à naviguer au vent, car si leurs pirogues
avaient été incapables de remonter dans le vent, ils auraient eu
difficilement la maîtrise de leur route (5, p. 39 ; 6). Les doutes
émis sur la capacité des pirogues polynésiennes à naviguer au
vent tiennent principalement à ce que ces pirogues sont des
embarcations à faible tirant d'eau qui n'ont ni quilles, ni dérives
centrales ou latérales qu'utilisent beaucoup de bateaux à voile
pour résister à la dérive. Pourtant il semble probable que les
pirogues polynésiennes aient pu naviguer au vent. La route
principale du peuplement polynésien a été d'Ouest en Est, contre
les alizés dominants d'Est et contre les courants équatoriaux.
Une récente simulation par ordinateur, exécutée par Levison
Ward et Webb indique que les voyages accidentels à la dérive ne
sont probablement pas à l'origine des mouvements initiaux
d'Ouest en Est, ces pirogues, en dérivant, «n'ayant aucune
chance d'atteindre Hawaii, l'île de Pâques, et la Nouvelle
Zélande, à partir d'autres régions de la Polynésie» (7, p. 42). Ceci
dit, étant donné que les premiers observateurs européens ont
omis de mesurer et d'enregistrer de façon méthodique et précise
les performances de ces pirogues de haute mer, et que ce type
d'embarcation a disparu depuis longtemps des eaux polynésien¬
nes, nous n'avons aucune donnée sur leurs possibilités de
navigation au vent. De récents essais décrits ici, à l'aide de deux
pirogues reconstituées nous donnent les premières indications
précises sur la capacité de ces embarcations à naviguer au vent,
et nous permet de mieux comprendre le caractère probable du
voyages
278
Ben R. FINNEY
de peuplement. Ces essais ont consisté en parcours à la
instruments pour les deux pirogues, et pour l'une
d'elles, un voyage aller et retour Hawaii — Tahiti d'environ
processus
voile
avec
10.370 km.
MÉTHODE
Lorsque les archéologues manquent de renseignements sur le
fonctionnement ou l'efficacité d'un artifact ancien quelconque,
ils ont quelquefois recours à l'expérimentation en reconstruisant
et en testant l'artifact en question (8). Toutefois les résultats de
expériences sont rarement concluants, car les artifacts sont
il n'est en général pas
possible de contrôler tous les facteurs qui interviennent dans
l'utilisation de l'artifact. Cependant ils sont habituellement
suggestifs et, combinés à d'autre éléments, peuvent souvent
fournir à des hypothèses sur le passé, des bases plus solides que
si on ignorait ces expérimentations. La capacité de navigation
au vent des bateaux anciens peut être étudiée expérimentalement
en les reconstruisant et en les testant ensuite, bien que je n'aie
pas trouvé trace d'observations systématiques faites à ce sujet.
Pour prendre un exemple, Needham (9, p. 608 ; 10) passe en revue
les témoignages peu concluants de la période pendant laquelle
les Européens développèrent cette capacité et suggère des
expérimentations pour résoudre le problème, sans pouvoir pour
autant citer des essais se rapportant à cette question. Il y a eu de
spectaculaires tentatives de reconstruction et d'utilisation de
bateaux non européens sur des routes supposées de migrations,
telles que le voyage en radeau de Thor Heyerdahl depuis
l'Amérique du Sud jusqu'en Polynésie et une récente et infruc¬
tueuse tentative de traversée sur une jonque ancienne, de Taiwan
à l'Amérique du Nord (11) ; toutefois ces tentatives ont été
accomplies sur des parcours bénéficiant de vents portants
dominants et sans effort systématique pour évaluer leur capacité
à remonter dans le vent. Au cours de ses expériences avec des
pirogues de modèle réduit, Bechtol (12) constata que les modèles
dont les formes de coque étaient caractéristiques de différentes
embarcations du Pacifique, étaient en mesure de naviguer au
vent, et, fort de ces résultats, proposa de faire des essais avec des
pirogues de dimensions normales. A Hawaii, nous abordâmes
expérimentalement le problème de la navigation au vent en
construisant deux pirogues doubles polynésiennes : (i) Nalehia,
de 12,9 m de long, à un mât, réplique d'une pirogue hawaiienne
(Fig. 2) ; (ii) Hokule'a, de 19 m, d'après une des premières
pirogues polynésiennes de haute mer (Fig. 3) ; nous les pilotâmes
dans de réelles conditions maritimes. Le plan de construction de
Nalehia, construit en 1966, ne présentait aucun problème, étant
une réplique d'une pirogue hawaiienne traditionnelle de la fin du
ces
difficiles à reproduire avec exactitude et
Société des
Études
Océaniennes
279
LES PIROGUES DE HAUTE MER
Axe central
de la
pirogue
;
Axe
Fig. 2
-
Plan de pont et de voilure,
NALEHIA. Les
vues
vues
—
de la
coque
de l'avant et de l'arrière, et lignes de
ne montrent pas les traverses 3,4,5.
de l'avant et de l'arrière
18e ou début du 19e, dont nous avions des dessins, un plan
complet, et même des fragments de vieilles pirogues pour nous
guider ; mais le plan de Hokule'a, construit entre 1974 et 1975,
était plus difficile à exécuter, car on voulait reproduire une
pirogue de haute mer, du type utilisé il y a 600 ou 1000 ans à l'ère
des voyages. Il n'existe aucun pétroglyphe ou description
quelconque de pirogues anciennes que l'on puisse suivre, et il
Société des
Études
Océaniennes
280
Ben R. FINNEY
n'était pas question de copier des modèles de pirogues des îles
Hawaii ou autres, car ces dernières auraient comporté des
particularités adaptés aux conditions locales ou encore des
modifications d'origine récente. Au lieu de celà, nous utilisâmes
le plan mis en œuvre par Haddon et Hornell (13) dans leur
analyse des pirogues des Iles du Pacifique et choisîmes des
formes caractéristiques communes aux pirogues polynésiennes
de haute mer, en évitant les adaptations locales et les apports
récents. Par exemple, parmi le deux éléments les plus essentiels à
des performances au vent : (i) la voile à livarde polynésienne,
voile triangulaire dont la pointe est en bas, fut choisie de
Fig. 3
-
pas sur
Plans de pont et de voilure, avant, et lignes de HOKULE'A. Ne figurent
le plan : les abris pour dormir, les cages d'animaux et les lisses
arrières.
Société des
Études
Océaniennes
LES PIROGUES DE HAUTE MER
281
préférence à la voile latine océanique parce que, tandis que la
voile latine, d'introduction assez récente, est assez limitée dans
sa distribution en Polynésie, la voile à livarde se trouve partout
en Polynésie, et, par conséquent, représente probablement la
voile typique polynésienne ; (ii) la coque en demi-V fut choisie de
préférence à la forme ronde commune polynésienne, telle que la
coque ronde en U de Nalehia, et plutôt que la coque V profond
commune à la Micronésie mais apparemment pas utilisée en
Polynésie. La forme en demi-V que le pahi Tahitien et le tongiaki
des Tonga (14) est peut-être particulièrement adaptée aux
besoins des voyages polynésiens. Sa quille en biseau offre une
certaine résistance à la dérive et sa partie renflée lui donne une
capacité considérable, constituant un ensemble de caractéristi¬
ques convenant à une pirogue de haute mer devant accomplir de
longs voyages au vent avec un important chargement d'émigrants, de vivres et d'eau, ainsi que de plantes et d'animaux
domestiques.
En l'absence de matériaux traditionnels et de charpentiers
spécialisés à Hawaii, Nalehia et Hokule'a furent construits en
matériaux modernes, et ne peuvent donc apporter aucune
indication sur la résistance et la solidité des pirogues tradi¬
tionnelles. Je pense toutefois que les deux pirogues se comportent
à peu près de la même manière que les pirogues d'autrefois car
elles sont lourdes (déplaçant 2 300 et 11 400 kg respectivement)
et reproduisent les formes essentielles polynésiennes quant aux
coques, dans leur écartement et leur amarrage, aux voiles et au
gréément et en d'autres aspects encore. Nalehia prit la mer pour
la première fois en 1966, et ensuite entre 1974 et 1976. Hokule'a fit
ses essais entre 1975 et 1976. Des essais officiels ayant fait l'objet
d'un compte rendu aux Hawaii eurent lieu entre 1975 et 1976 et
furent répartis en deux phases : (i) de petits parcours dans les
eaux hawaiiennes au cours desquels leurs qualités marines
seraient mesurées à l'aide d'instruments ; (ii) pour Hokule'a, un
voyage aller et retour de Hawaii à Tahiti, qui permettrait de
tester réellement ses qualités sur un parcours qui aurait fait
l'objet de voyages intentionnels (15, p. 139).
ESSAIS EN MER DANS LES EAUX HAWAIIENNES
Les premiers essais en mer de Nalehia et de Hokule'a nous ont
appris les caractéristiques essentielles du comportement des
pirogues doubles polynésiennes. Ce sont des embarcations
extrêmement marines, en ce que leurs coques minces se frayent
un chemin dans une mer agitée avec un minimum de tangage et
de roulis. Elles marchent bien, courant vent arrière, pouvant
tirer un bord par vent de travers (à 90° environ du vent). Elle
n'ont pas, toutefois, la même vitesse que les catamarans
modernes, qui sont des embarcations à double coque largement
Société des
Études
Océaniennes
Ben R. FINNEY
282
inspirées des pirogues doubles polynésiennes, mais avec
des
innovations leur permettant d'atteindre des vitesses de plus de
35 km à l'heure. Ni Nalehia (dont la vitesse maxima est
d'environ 16 km à l'heure), ni Hokule'a (dont la vitesse maxima
est d'environ 18,5 km à l'heure) n'ont les possibilités de vitesse
des catamarans modernes, parce que leurs coques sont beaucoup
plus rapprochées que celles de leurs descendants modernes. Le
rapport entre la distance des coques (prise d'un axe central à
l'autre) et la longueur à la flottaison est, pour Nalehia et
Hokule'a de 0,15 à 0,21 respectivement, alors que pour des
catamarans modernes de dimensions comparables, il est au
moins du double. La résistance limitée des traversins et des
ligatures en fibre de coco qui les maintenaient aux coques des
pirogues traditionnelles polynésiennes, et les dangers de rupture
qui s'ensuivraient si l'écartement des coques était trop impor¬
tant, sont probablement à l'origine du faible écartement des
coques des pirogues doubles polynésiennes. Cet écartement
réduit les possibilités de vitesse des pirogues, principalement
parce qu'elles risqueraient de chavirer. Alors que Nalehia ne
qu'approximativement 19,5 m2 de toile et Hokule'a 50 m2,
en portent de 2 à 2,5 m2 de plus (et
beaucoup plus encore quand des génois ou des spinnakers sont
ajoutés à leur plan de voilure. De plus, les pirogues doubles
traditionnelles sont également ralenties par l'effet de la vague
d'étrave dans l'espace étroit entre les deux coques (16). Bien
qu'ayant dans l'ensemble de bonnes qualités marines, le type de
construction des pirogues doubles traditionnelles paraît assez
vulnérable aux ruptures et à la submersion par grosse mer. La
submersion était peut-être particulièrement dangereuse pour les
pirogues doubles, par opposition à la pirogue simple à balancier.
Lorsqu'une pirogue double est submergée en haute mer, il est
extrêmement difficile d'écoper, car la coque vidée a tendance, par
sa poussée, à enfoncer l'autre.
En 1966, j'estimai que la capacité de Nalehia à remonter dans
le vent se situait à environ 75° du vent ; j'utilisai pour cela un
rapporteur pour mesurer l'angle entre l'axe longitudinal de la
pirogue et la direction du vent réel (indiquée par les vagues de
surface), au cap précis auquel Nalehia marchait bien au vent
sans trop perdre de vitesse et en soustrayant la dérive (estimée en
mesurant avec un rapporteur l'angle entre l'axe de la pirogue et
son sillage). En 1975, E. Doran, D. Scelsa, et moi-même, pûmes
calculer avec plus de précision les performances de Nalehia, en
utilisant des instruments pour mesurer la vitesse relative du vent
la vitesse de la pirogue, le cap par rapport au vent relatif et la
dérive (selon le procédé adapté par Doran (17) pour mesurer les
performances des pirogues à balancier) d'après lesquels étaient
calculés la vitesse vraie du vent (Vt), le cap tenu d'après le vent
vrai (Y), et la vitesse maxima obtenue en remontant au vent
porte
les catamarans modernes
Société des
Études
Océaniennes
LES PIROGUES DE HAUTE MER
Fig. 4
-
Performances à la voile
de NALEHIA
en
termes du cap
maintenu par rapport au vent
vrai et à la vitesse de la pirogue
par rapport au vent
basées
sur
vrai (Vb/Vt),
160 observations pra¬
tiquement simultanées de la vi¬
tesse de la pirogue, de la vitesse
apparente du vent, du cap de la
pirogue par rapport au vent ap¬
parent, et de la dérive bâbord
amures,
le 20 août 1976
au
large
d'Oahu. La vitesse moyenne du
vent vrai était de 28 km à l'heure.
différentes courbes représen¬
performances dans les
eaux calmes du lagon de Ke'ehi
(K), dans la mer peu agitée, au
large de Waikiki (W), et dans une
mer moyenne d'alizés dans le sud
de la bouée de Diamond head (D).
Les pointes maxima de vitesse,
directement au vent fVmgJ, sont
indiquées par des tangentes aux
Les
tent les
courbes.
en 1975 indiquèrent que dans des
alizés de modérés à assez forts
(approximativement de 22 à-46 km à l'heure), avec un barreur
expérimenté, les voiles bien établies, et une mer maniable,
Nalehia pouvait maintenir un cap jusqu'à environ 55° du vent
vrai. Toutefois, on constata également qu'avec des vents légers,
lorsqu'il était mal manœuvré, ou lorsque la mer était forte, la
(Vmg). Les
mesures
effectuées
conditions idéales, de vents
remontée dans le vent diminuait sensiblement
La figure 4 illustre l'effet de l'état de la mer sur les perfor¬
du Nalehia. Elle est basée sur des données recueillies
dans les eaux partiellement protégées au large de Waikiki (W), et
mances
en
pleine mer, dans le Sud de la bouée de Diamond Head (D), le 20
août 1976, par un temps d'alizés modérés (la moyenne Vt étant de
28 km à l'heure). La performance de Nalehia dans chacune des
conditions de mer est représentée par les courbes K, W et D. Elles
indiquent la vitesse de Nalehia suivant des angles différents (Y)
par rapport au vent vrai, en fonction de la relation entre la
vitesse de la pirogue et la vitesse du vent vrai (Vb/Vt) qui est
Société des
Études
Océaniennes
Ben R. FINNEY
284
indiquée radialement par des cercles d'intervalles
croissants. La
performance au vent. Dans les
Nalehia accomplit sa meilleure
performance au vent (Vmg qui est représenté par une tangente à
la courbe) à environ 53° du vent, sa vitesse maxima étant atteinte
à environ 80° du vent. La courbe W montre que dès qu'il y a une
légère houle et quelques vagues en surface, les performances
tombent, et la courbe D montre à quel point la remontée au vent
peut faiblir par mer faiblement agitée au large. Dans une mer
d'alizés réguliers et des vagues de 40 cm à 1 m 30, Nalehia
atteignit son Vmg maximum à 63° du vent, sa vitesse maximum
à 110°. Bien que manquant de renseignements sur les performan¬
ces de Nalehia par mer plus forte, mon expérience de trois ans de
navigation avec Nalehia montre que les performances tombent
encore plus, dès que la mer et les vagues sont plus fortes ; elle est
encore plus sensible à l'état de la mer lorsqu'elle est lourdement
chargée, ce qui serait le cas pour un long voyage. Une grosse mer
avec des lames déferlantes à intervalles rapprochés, paraissent
la ralentir, à la fois en réduisant sa capacité à remonter au vent
et en accentuant sa dérive. Un malheureux incident au cours
duquel Hokule'a fut submergée, à la fin de 1975, et la longue
période de péparations qui s'en suivit ne permit pas de recueillir
suffisamment de données avec instruments pour permettre
d'évaluer pleinement ses possibilités. Toutefois, d'après les
données incomplètes, la comparaison qui suit entre les possibi¬
lités respectives de Nalehia et de Hokule'a paraît valable.
Holule'a est capable de marcher un peu plus rapidement que
Nalehia et de tenir un cap un peu plus serré au vent. Malgré cela,
et de même que Nalehia, les performances de Hokule'a se
ressentent d'une mer forte et de vents légers, particulièrement s'il
est lourdement chargé et s'il souffre d'un pilotage inexpérimenté
et d'un mauvais emploi des voiles. Plusieurs d'entre nous qui
avons une bonne expérience de navigation sur d'autres pirogues
du Pacifique et sur des catamarans modernes avons constaté que
Hokule'a, bien qu'à même de serrer le vent d'assez près, marchait
beaucoup mieux près et plein en faisant une route un peu moins
serrée tout en remontant assez correctement au vent. Avec un
alizé modéré à assez fort, Hokule'a maintenait une vitesse de 10 à
11 km à l'heure, en conservant un cap à 70° à 75° du vent vrai.
courbe K représente la meilleure
eaux calmes du lagon de Ke'ehi,
VOYAGE DE HAWAII A TAHITI
Des légendes hawaiiennes font état de voyages aller et retour
entre Hawaii et le centre culturel de Tahiti ; ces longs voyages
durent mettre à l'épreuve la capacité de la pirogue double à
au vent car Hawaii est sous le vent par rapport
Tahiti. Le voyage de Hokule'a, entrepris entre le 1er mai et le
remonter
juin 1976
avec un
équipage de 17, suivit une route et un
Société des
Études
Océaniennes
à
4
plan de
LES PIROGUES DE HAUTE MER
285
j'avais proposé en 1967 en traçant une route à 75°
(Fig. 5). A cette époque, j'avais émis
l'hypothèse qu'une pirogue devait être en mesure de faire assez
navigation
que
des vents et courants estimés
d'Est contre les alizés dominants de Nord Est et de Sud Est et
contre les courants équatoriaux (qui, par moments peuvent
entraîner des navires sur plus de 75 km par jour vers l'Ouest)
atteindre Tahiti en s'efforçant de faire route en permanence
aussi près du vent que possible. La route tracée, qui avait la
forme d'un boomerang était divisée en trois segments principaux
pour
: (i) la zone de l'alizé de N. E. dans laquelle une pirogue ferait
route au S. E. contre les alizés et le courant équatorial ; (ii) les
calmes de la zone de convergence intertropicale, bande irrégu¬
lière de calmes et de vents variables légers, située au N. de
l'Equateur entre le système de l'alizé du N. E. et celui du S. E.,
une zone ou la progression endirection du S. serait ralentie, mais
dans laquelle le fort courant équatorial entraînerait la pirogue
plus encore vers l'Est ; (iii) la zone des alizés de S. E., dans
Fig. 5 (gauche) - Route projetée (
) et réelle (
) de HOKULE'A, de
Honolulu Bay, Maui, à Papeete, Tahiti, du 1er mai au 4 juin 1976. Route projetée
établie par Finney (16, p.157). La route réelle est basée sur des méridiennes (sauf
pour les 2, 3, 4 et 14 mai, où le point fut estimé) faites par le navigateur L. Burkhalter, à bord du yacht "Meotai", qui suivait de près HOKULE'A.
Fig. 6 (droite) - Route projetée (
) de HOKULE'A entre
) et réelle (
Papeete, Tahiti et Honolulu, Oahu, du 4 au 26 juillet 1976. Route projetée établie
par Finney (16, p. 154). La route réelle est basée sur les méridiennes faites par les
navigateurs L. Puputauki et J. Lyman, à bord de HOKULE'A.
Société des
Études
Océaniennes
286
Ben R. FINNEY
laquelle la pirogue serait contrainte par les vents et les courants
à faire une route légèrement à l'Ouest du Sud. S'il était possible
de faire assez d'Est dans les zones (i) et (ii) et, dans (iii), réduire
au minimum la perte en Est, une pirogue devrait pouvoir faire un
atterrissage quelque part dans les Tuamotu, au N. E. de Tahiti ;
de là, il serait facile d'aller jusqu'à Tahiti. Nous ne fûmes pas à
même de mesurer avec précision les performances de Hokule'a
contre le vent, comme nous l'avions fait dans les essais
précédents avec instruments, car nous pilotâmes Hokule'a
jusqu'à Tahiti à la manière polynésienne, sans compas, sextant,
ou autres instruments, d'abord en serrant le vent d'aussi près que
possible, notre route et notre position étant estimées, et nous
aidant de l'horizon et des étoiles. Toutefois, l'estime du vent et de
la route faite à bord sans instruments, ajoutée au point quotidien
fait par un yacht escorteur, permet d'analyser la progression de
Hokule'a et ainsi sa performance sur le parcours (Fig. 5). Dans
l'ensemble, Hokule'a suivit la route tracée, bien que légèrement à
l'Ouest, c.à.d. sous le vent de cette route. Hokule'a fit de l'Est
avec les alizés de N. E., mais moins que l'on ne l'avait espéré,
parce qu'apparemment : (i) les alizés étaient plus à l'Est que l'on
ne s'y attendait, soufflant du 65° vrai au lieu du 57° escompté ; (ii)
sa vitesse et ses possibilités de remonter au vent furent réduites
du fait que la pirogue, lourdement chargée (alourdie encore par
l'accumulation d'eau de mer dans la proue des deux coques, qui
ne fut constatée et vidée qu'après avoir passé 10° N.) rencontra
souvent une mer forte et mal établie ; et (iii) la lourdeur de l'avant
jointe à l'inexpérience de l'équipage, rendit la pirogue difficile à
barrer. Hokule'a fit une moyenne de 196 km par jour dans les
alizés de N. E. et la plus grande distance parcourue fut de 241 km,
du 11 au 12 mai. Dans la zone des calmes s'étendant approxima¬
tivement de 6° à 2° N., Hokule'a fut tantôt encalminé, tantôt
avançant doucement avec des vents légers variables. Heureuse¬
ment, comme nous l'espérions, le contre-courant équatorial
l'entraîna dans l'Est jusqu'à un point de 1 375 km plus à l'Est que
notre point de départ de l'île de Maui, et jusqu'à environ 160 km
de la route tracée. Au sud de la zone de calmes, des vents légers,
soufflant plus au Sud que prévu, réduisirent la remontée au vent
de Hokule'a. Par moments, Hokule'a en était réduit à faire route
dans le S. O., ce qui l'aurait conduit aux îles Cook, bien à l'Ouest
de Tahiti, si on avait été obligé de conserver ce cap. Passé 8° S., le
vent fraîchit soufflant de 37 à 46 km à l'heure, remontant à l'Est,
et permettant à Hokule'a de faire route plus au S. en direction de
Tahiti. Les vents plus favorables permirent à Hokule'a de
couvrir en 24 h sa plus grande distance du voyage, parcourant
267 km du 29 au 30 mai. Passé 14° S., le vent remonta encore un
peu plus à l'E. N. E., ce qui permit à Hokule'a de faire une route S.
S. E., voiles établies près et plein, sans qu'on ait eu à le barrer
avec une pagaie ou un aviron de queue. Cette route nous permit
Société des
Études Océaniennes
LES PIROGUES DE HAUTE MER
287
de faire un atterrissage sur Mataiva, et si on l'avait poursuivie,
elle aurait inersecté la route tracée. Après une escale de 1 jour 1/2
à Mataiva, Hokule'a
sant ainsi ce voyage
tion (15, p. 48 ; 18).
mit directement cap sur Tahiti, accomplis¬
d'environ 5 370 km en 32 jours de naviga¬
VOYAGE DE TAHITI A HAWAII
Les recherches linguistiques et archéologiques donnent les
Marquises et Tahiti comme lieu probable d'origine de la
population des îles Hawaii. Bien que la tradition hawaiienne
n'ait pas préservé l'origine des premiers occupants, ils célèbrent
tout de même l'arrivée de navigateurs tahitiens quelque temps
après l'occupation initiale. En se dirigeant vers le N. avec les
alizés par le travers, les Tahitiens auraient probablement pu
atteindre Hawaii sans grandes difficultés, comme le montre une
route hypothétique tracée en 1967 en faisant une route à 95° du
vent (Fig. 6). Au voyage de retour, Hokule'a suivit de près la route
hypothétique, bien que des instruments modernes de navigation
aient été utilisés, les navigateurs sans instruments qui avaient
conduit Hokule'a jusqu'à Tahiti n'étant pas disponibles pour le
voyage de retour. Le voyage, effectué avec un équipage de 13
hommes fut achevé en 22 jours, du 4 au 26 juillet 1976.
Le voyage de retour fut plus rapide qu'à l'aller, les vents étant
plus favorables ; la zone de calmes fut franchie en trois jours
seulement, et, Tahiti étant au vent d'Hawaii, la pirogue put
naviguer la plupart du temps par vent de travers, allure la plus
efficace pour une pirogue double.
NAVIGATION AU VENT
ET
EXPÉDITIONS INTENTIONNELLES
Les essais avec instruments effectués sur Nalehia et Hokule'a
ainsi que le voyage de Hokule'a à Tahiti me permettent de
conclure que la première estimation, faite en 1966, d'une route
possible pour les pirogues de haute mer à 75° du vent vrai, est
toujours valable pour de longs voyages océaniques. C'est une
estimation réaliste et même prudente, qui prend en considération
les éléments imprévisibles de la mer, du vent, et de l'homme.
Biem que dans des conditions idéales, les deux pirogues puissent
faire une route plus serrée que 75°, il apparaît que des vents
faibles, des mers fortes, et des erreurs humaines sur un long
parcours pourraient, réunies, limiter la navigation au vent à
environ 75°. En termes comparatifs, il s'agit là d'une capacité à
remonter le vent assez modeste et plus proche d'un navire à
gréément carré que d'un yacht de course. Malgré celà, j'estime
Société des
Études
Océaniennes
Ben R. FINNEY
288
cette capacité était suffisante pour permettre aux Polynésien
d'explorer intentionnellement et d'occuper cette vaste région que
nous connaissons maintenant sous le nom de Polynésie. Après
que Levison, Ward et Webb (7, p. 60 ; 19), eurent constaté, à la
suite de leur analyse par ordinateur d'une simulation de voyage
à la dérive, que les pirogues n'auraient probablement pas pu
atteindre, en dérivant depuis leur Polynésie Occidentale, les îles
centrales de la Polynésie Orientales, et de là l'île de Pâques et les
Hawaii ; ils refirent quelques unes de leurs expériences en
substituant la navigation à 90° du vent à celle de la dérive, et
constatèrent qu'un faible pourcentage d'expéditions, naviguant
à 90° du vent auraient pu faire ces traversées ; et si ces
expériences étaient reprises dans leur intégralité, en supposant
que les pirogues pourraient naviguer à 75° du vent, elles
montreraient probablement qu'un pourcentage appréciable de
ces voyages simulés aurait pu atteindre les diverses régions de
peuplement polynésien. Bien entendu, nous ne pouvons éliminer
la possibilité que des voyages à la dérive aient joué un rôle dans
les déplacements mineurs depuis la Polynésie Occidentale
jusqu'aux îles polynésiennes isolées de Mélanésie et de Microné¬
sie (les «Polynésiennes de l'extérieur»). Toutefois les données
fondamentales sur les vents, les courants, et les performances
des pirogues servent à faire ressortir le caractère probablement
intentionnel de la poussée générale polynésienne dans le
Pacifique. Les Polynésiens étaient des marins qui avaient une
habileté et une connaissance suffisante de la navigation pour
étendre leurs frontières à travers la moitié du Pacifique en dépit
des vents et des courants contraires. Ceci ne signifie pas
nécessairement que tous les voyages purent être effectués sur de
grandes distances en naviguant aussi près du vent que possible.
Dans les conditions normales des alizés, par exemple, les
pirogues polynésiennes n'auraient probablement pas pu serrer
assez le vent pour aller d'une seule bordée des Tonga aux
Marquises ou des Tuamotu à l'île de Pâques. Ils auraient peutêtre pu essayer de tirer des bords pour remonter dans l'Est, mais
au prix d'une navigation extrêmement dure et longue. Il est
probable que les marins polynésiens attendaient, pour partir
dans leurs explorations, l'apparition des vents d'Ouest ; en
Polynésie, au S. de l'Equateur, ces vents soufflent plusieurs fois
chaque été pour des périodes de plusieurs jours à une semaine.
Depuis les temps historiques, les vents d'Ouest étaient utilisés
par les indigènes des Samoa, des Tonga, des Cook et de Tahiti
pour faire des voyages dans leurs archipels ou dans les archipels
voisins (20°). Il est probable que les vents d'Ouest n'auraient pas
duré assez longtemps pour leur permettre d'atteindre les îles
éloignées, les faisant toutefois suffisamment avancer dans l'Est
pour qu'au retour des aliés ils puissent atteindre leur objectif en
serrant le vent. Si, par exemple, les voyageurs des Tonga avaient
que
Société des
Études
Océaniennes
289
LES PIROGUES DE HAUTE MER
pu
faire de l'Est pendant
une
semaine,
avec un
fort vent d'Ouest,
ils auraient pu atteindre les Marquises, en faisant route à l'E.N.E.,
lorsque les alizés auraient repris. Une poussée analogue dans
permis d'atteindre l'île de Pâques. De même, des
voyageurs naviguant au Sud de la zone des alizés, ou les vents
d'Ouest sont fréquents, auraient pu être poussés assez à l'Est
pour pouvoir atteindre cet avant-poste le plus à l'Est de la
Polynésie Orientale, après avoir retrouvé les alizés au Nord.
Etant donné que l'étude de simulation de Levison, Ward et Webb
comprend l'évolution probable des vents pour toute l'année, elle
tient compte de l'effet des vents d'Ouest, mais par hasard, et sans
évaluer leur utilisation dans une stratégie de navigation. Une
étude réaliste des voyages intentionnels, soit en simulation par
ordinateur ou par tout autre moyen, devrait tenir compte de la
stratégie polynésienne utilisant les vents périodiques d'Ouest
pour avancer dans l'Est. Une évaluation des changements
climatiques possibles intervenus au cours des derniers millénai¬
res serait également capitale pour la compréhension des voyages
et des migrations polynésiennes. Bien que certains savants
modernes aient tendance à négliger les témoignages tradition¬
nels, il faut cependant noter, qu'il y a un siècle, Fornander (21)
analysant les légendes polynésiennes, en conclut qu'après une
période de navigation intense d'un archipel à l'autre, les voyages
lointains cessèrent brusquement à la fin du 14e siècle. Certains
archéologues ne s'expliquent pas pourquoi il y a une certaine
uniformité parmi les artifacts récoltés dans une grande partie de
la Polynésie Orientale et appartenant selon toute apparence à
une période de peuplement assez brève, tandis que dans la
période qui suit, il y a une différence très marquée parmi les
artifacts récoltés dans la même région. Cette situation ainsi que
les témoignages traditionnels font penser à une rapide disper¬
sion de la population à travers la région, suivie de l'isolement des
îles périphériques d'avec les îles plus centrales. S'il en est ainsi, il
serait bon d'examiner la récente supposition faite par des
climatalogues, à savoir que des fluctuations climatiques
auraient pu avoir un impact sur les voyages polynésiens. Wilson,
Handy et Bridgman (23), chacun de leur côté, émettent l'hypothè¬
se d'une période chaude — pendant le Petit Optimum Climatique
ayant commencé en 450 après J.-C. et culminant dans la
période entre 1 100 et 1 500 et qui fut favorable aux voyages.
D'après eux, les alizés légers plus fréquemment interrompus que
de nos jours par des vents d'Ouest plus fréquents et plus
prolongés, créaient des conditions idéales pour les grands
voyages. De plus, ils émettent l'hypothèse selon laquelle la venue
de la Petite Ere Glaciaire de 1 400 à 1 800 après J.-C. apporta de
forts alizés et une fréquence accrue d'orages qui auraient pu
rendre les longs voyages plus hasardeux et, partant, plus rares.
Bien que ces postulats d'évolution climatique ne soient pas
l'Est leur aurait
—
Société des
Études
Océaniennes
290
confirmées,
Ben R. FINNEY
permettre d'ignorer une
changements climatiques
nous ne pouvons pas nous
relation possible entre les principaux
et l'évolution des voyages.
Il est hors de doute que
de nombreuses pirogues se perdirent en
s'efforçant vainement d'atteindre des îles nouvelles. Mais
c'est faire injure à l'histoire maritime polynésienne que de
prétendre, comme Sharp (5) le fait, que les expéditions en pirogue
partant à la recherche de terres dans des mers inexplorées,
constituaient en fait des voyages accidentels à la dérive, l'issue
de tout voyage étant incertaine, ou encore parce que la découver¬
te d'une île jusque là inconnue était nécessairement fortuite.
Faire voile contre le vent, ou tout au moins contre les vents
dominants, implique un choix délibéré. Tandis que la plupart des
études sur les migrations polynésiennes ont mis l'accent sur la
famine, la surpopulation, la guerre, les rivalités entre chefs et la
recherche de l'aventure pour expliquer l'abandon d'îles occupées
(3 p. 106 ; 24), nous devrions également examiner les raisons
qu'ont pu avoir ces voyageurs pour partir contre le vent. Les
polynésiens auraient pu avoir deux raisons pour aller explorer
les régions au vent. Tout d'abord, l'expérience accumulée des
Polynésiens et de leur ancêtres immédiats leur aurait appris que
l'océan sous le vent était parsemé d'îles habitées et de popula¬
tion peut-être hostiles, alors qu'au vent il était rempli d'îles
accueillantes et inhabitées. Ensuite, une expédition qui, ayant
trouvé ou vainement recherché une île au vent, aurait eu envie de
rentrer pour refaire des provisions ou encore annoncer leur
découverte, n'aurait pas eu de difficulté à le faire avec un vent
favorable. Ce ne serait toutefois pas le cas pour une expédition
qui serait partie sous le vent, car elle aurait, en cas d'avaries ou
de manque de vivres, beaucoup de mal à rentrer après un long
voyage d'exploration (25) Nous ignorons quel rôle ont joué, dans
le peuplement de la Polynésie, les voyages dans les deux sens,
tels qu'ils auraient pu se produire entre une patrie et une colonie
nouvellement fondée, jusqu'à ce que ce nouveau territoire se soit
suffisamment développé en habitants, animaux et plantes pour
être viable. Bien qu'il soit question de voyages aller et retour
dans certaines traditions polynésiennes (26), à l'époque des
contacts européens, les Polynésiens n'effectuaient pas de
voyages dans les deux sens entre des archipels éloignés. D'après
les documents européens, les voyages inter-archipels se faisaient
entre îles ou groupes d'îles contigus tels que Tahiti, les îles Sous
le Vent et les Tuamotu, pour la Polynésie Orientale et Tonga,
Samoa et Fiji pour la Polynésie Occidentale ; ce qui ne signifie
pas nécessairement qu'il n'y ait pas eu de voyages aller et retour
en Polynésie sur de plus grandes distances ; de nombreux
facteurs, en effet, depuis les changements climatiques, jusqu'au
mer en
besoin de concentrer la main-d'œuvre et les
Société des
Études
ressources en vue
Océaniennes
de
LES PIROGUES DE HAUTE MER
291
pu les détourner de ces voyages
entre les îles centrales et les avant-postes éloignés. Les voyages
aller et retour exigent, en dehors d'embarcations bien équipées,
développements locaux, auraient
un
système de navigation permettant aux voyageurs de contrôler
en direction d'une île et d'être en mesure de refaire cette
leur route
route
au
retour. Nous
savons
que
les Polynésiens utilisaient un
système de navigation combinant, sans instruments, les
observations célestes, l'estime, et l'observation du vent, de la
houle, des oiseaux, des formations nuageuses et autres phénomè¬
nes. Sharp et Akerblom (5, p. 32 ; 27) ont prétendu que les
méthodes de navigation polynésienne n'ayant pas la précision
de celles qu'utilisent les navigateurs modernes, elles ne pou¬
vaient leur permettre d'effectuer des voyages aller et retour entre
des îles éloignées ; cependant, l'accumulation de preuves
ethnographiques et de navigation rassemblées par Lewis (28)
sont en faveur d'une opinion opposée. La reprise récente- des
voyages aller et retour à bord de pirogues sur plus de 2 000 km
entre les Mariannes et les Carolines de Micronésie, sans autres
méthodes de navigation que celles utilisées autrefois par les
Polynésiens (29), et enfin le voyage de Hokule'a, sans instru¬
ments, de Hawaii à Tahiti, fournissent encore d'autres argu¬
ments en faveur de la capacité des Polynésiens à faire des
voyages aller et retour sur de grandes distances. Les îles de
Polynésie, à l'exception de l'île de Pâques et de quelques atolls
isolés, faisant partie d'archipels, la tâche des premiers naviga¬
teurs polynésiens en était rendue plus aisée. L'objectif initial du
navigateur était l'ensemble des îles d'un archipel et non pas une
petite île isolée. Après avoir atteri sur une île quelconque du
groupe, il lui était possible de piloter sa pirogue vers l'île de sa
destination. Au cours du voyage du Hokule'a vers Tahiti, par
exemple, les Tuamotu et les îles de la Société formaient un écran
de plus de 2 000 km de large, qu'il aurait été difficile de traverser
sans rencontrer au moins une île. Nous savions que dès qu'une
île du groupe serait en vue, nous serions en mesure, après l'avoir
identifiée, de faire route sur Tahiti, comme ce fut le cas. Ceci dit,
je ne pense pas que ces voyages aient jamais été fréquents
malgré une possibilité technique apparente de voyages aller et
retour entre des îles éloignées. Pour des voyages dans les deux
sens entre Hawaii et Tahiti, qui sont les deux groupes d'îles
éloignées les plus favorablement situées par rapport aux vents,
nous n'avons pas de témoignages pouvant être interprétés
comme indiquant plus d'un voyage occasionnel (31). En suppo¬
sant que des voyages aller et retour entre d'autres îles éloignées,
entre Tonga et les Marquises, ou entre Tahiti et la Nouvelle
Zélande, ou les vents de retour sont moins favorables, ces
voyages durent être rares et auraient constitué de remarquables
prouesses mettant à l'épreuve les embarcations polynésiennes
ainsi que des qualités de navigation et d'organisation. Il y a peu
Société des Études Océaniennes
292
Ben R. FINNEY
de chances que des voyages aller et retour aient eu lieu en
direction de l'île de Pâques, étant donné la position extrême au
vent de cette île isolée, ainsi que l'absence d'îles environnantes
pouvant constituer un objectif de grande dimension. Si les
aller et retour n'ont pas consittué une importante
voyages
caractéristique de l'expérience polynésienne de peuplement, cela
rend pas ce peuplement moins intentionnel, tel que le soutient
Sharp (5). Les récentes émigrations des populations d'Europe
vers les recoins les plus reculés du monde, rendues possibles par
le développement de la navigation moderne et de ses méthodes, a
peut-être inclus des échanges importants entre le pays d'origine
et les pays éloignés. Toutefois, ce mouvement fut unique dans
ne
l'histoire du monde et
ne
saurait être utilisé
comme une norme
permettant de décider si une migration antérieure était intention¬
nelle
ou non.
RÉSUMÉ
Les essais de navigation effectués avec deux pirogues doubles
reconstituées révèlent que ce type d'embarcation peut tenir une
route au vent à environ 75° sur de longs parcours océaniques.
Cette faculté de remonter au vent a dû permettre aux Polynésiens
de diriger leurs déplacements dans une certaine mesure, ce qui
aurait été impossible s'ils n'avaient pu naviguer que sous le vent,
ou encore à la dérive. En effet, sans cette capacité à remonter au
vent, il n'y aurait probablement pas eu de population polynésien¬
ne aujourd'hui, car, dans un sens, ils sont le produit de leurs
techniques maritimes. Le peuplement de la Polynésie aurait
peut-être dû attendre l'arrivée tardive des Européens dans le
Pacifique, si ces grandes pirogues de haute mer n'avaient pas
existé. Mais le Pacifique fut, de très bonne heure, le théâtre
d'innovations en matière de fines pirogues de haute mer, et,
lorsque les Européens «découvrirent» île après île, ils furent
surpris de constater que des navigateurs néolithiques les avaient
précédés dans ce vaste empire océanique.
Ben R. FlNNEY (l)
Traduit par
(1)
(Science - Volumm 196. n°4296)
B. JAUNEZ
Le Dr. Finney est professeur d'anthropologie à l'Université de Hawaii et
associé de recherches à l'East-West Center.
Société des
Études
Océaniennes
293
LES PIROGUES DE HAUTE MER
RÉFÉRENCES ET NOTES
1. F.
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pp.
46-47.
Emory, J. Polynesian Sec. 68, 29 (1959) ; L. M. Groube, ibid 80, 278 (1971). R. Green,
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Dickenson et R. Shutler Jr., Science 185, 454 (1974).
2. K. P.
3. R. C.
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Buck, Vikings of the Sunrise (Lippincott, Philadelphia, 1938) ; K. P. Emory, dans
Ancient Hawaiian Civilization, H. Pratt, Ed. (Ecoles Kamehameha, Honolulu, 1933), pp. 241-
4. P. H.
250.
5. A.
Sharp, Ancient Voyagers in the Pacific (Penguin, Harmondsworth, England, 1957). Sharp
modéra ses opinions, sans les changer
titre de Ancient Voyagers in Polynésie
6.
dans l'essentiel dans
une
édition revue publiée
sous
le
(Presses de l'Université de Californie, Berkeley, 1964).
G. S. Parsonson, dans Polynesian Navigation, J. Golson, Ed. (Polynesian Society, Wellington,
N. Z. 1963) pp.
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8. J. Coles, Archeology by Experiment (Scribner, New York, 1973).
7. M.
9. J.
Needham, Science and Civilization in China (Presses de l'Université de Cambridge, 1971),
3).
vol. 4 part
expérience que cite Needham est une tentative non concluante d'évaluation de la
capacité à remonter le vent de la voile carrée égyptienne ancienne en utilisant une reproduc¬
tion de celle-ci sur une coque moderne (R. L. Bowen, Mariner's Mirror 45, 332 (1959).
10. La seule
Heyerdahl, Kon-Tiki (Rand-McNally, Chicago, 1950) ; K. Knôbl, Taiki (Michel, Paris,
1975). Le voyage du Kon-Tiki montra que les radeaux de balsa de l'Amérique du Sud étaient à
même d'atteindre la Polynésie et je pense qu'il est plus plausible d'admettre que les quelques
éléments d'origine possible Sud Américaine, tels que la patate douce, sont plutôt le résultat
de voyages aller d'Amérique en Polynésie, que de voyages aller et retour de Polynésie en
Amérique du Sud. Ceci ne change pas le fait que la culture polynésienne est essentiellement
d'origine mélanésienne et éventuellement originaire du Sud Est Asiatique. Voir P. Bellwood,
Curr. Anthropology 16, 9 (1975) ; E. Shutler Jr., et M. E. Shutler, Ocean Prehistory Cummings, Menlo Park, Calif. (1975).
12. C. Bechtol, dans Polynesian Navigation, J. Golson Ed. (Polynesian Society, Wellington, N.
Z., 1963 pp. 98-101.
13. A. C. Haddon et J. Hornell, Cances of Oceania (Preses du Bishop Museum, Honolulu, 1938),
vol. 3 p. 12.
14. J. Hornell, ibid., vol. I, pp. 119 et 268.
11. Thor
15. B. R.
Finney, dans Polynesian Culture History, G. Highland et al. Eds.
(Presses du Bishop
Museum, Honolulu, 1967).
Henry, G. Robillard, J. Villaflor, thèse, Massachusetts Institute of Technology (1955).
Jr., J. Polynesian Soc. 81, 144 (1972). La vitesse de la pirogue, la vitesse du vent et
l'angle entre la pirogue et le vent relatif furent mesurés, respectivement par un loch Signet
MK12, (calibré en tirant à plusieurs reprises une pirogue sur un parcours mesuré), un anémo¬
mètre Signet MK19 (calibré dans un tunnel aérodynamique au chantier de la Marine des E.
U. à Pearl Harbor), un Signet MK24 pour mesurer l'angle du vent, et un Signet MK22 pour
mesurer le plus près (tous deux calibrés intérieurement). Des lectures presques simultanées
furent faites d'une console centrale avec ces instruments. L'angle de dérive fut estimé en
mesurant l'angle entre le sillage de la pirogue et son axe longitudinal au moyen d'un grand
16. C.
17. E. Doran
rapporteur.
de toile de Hokule'a et ses coques peintes l'aient fait s'ensibleembarcation traditionnelle munie de voiles en pandanus et
imprégnée d'un produit indigène. Bien que les voiles modernes soient beaucoup
plus durables et faciles à entretenir que des voiles de pandanus, les avis sont partagés sur la
supériorité des unes par rapport aux autres. T. Gladwin, East Is a Big Bird (Presses de
l'Université de Harvard, Cambridge, Mass., 1970) p. 96 ; (15, p. 148). La peinture préservative
qui se trouvait sur les coques de Hokule'a fut enlevée pour le voyage à Tahiti, et, en consé¬
quence, les coques s'encrassèrent comme une embarcation traditionnelle. Toutefois, le voisi¬
nage des requins alors qu'on grattait la coque trois semaines après le départ nous incita à les
repeindre à Tahiti. Les coques demeurèrent alors à peu près propres, et la vitesse de la
pirogue en fut probablement améliorée.
ne pense pas que les voiles
ment mieux marcher qu'une
18. Je
d'une coque
Société des Études Océaniennes
expérimentations qui furent reprises, les plus significatives pour cet article indi¬
quaient que sur des parcours choisis : (i) à partir des Samoa, 6,8 % des voyages simulés
atteignirent les Marquises ; (ii) depuis les Marquises, 8,5 % atteignirent Hawaii ; (iii) depuis
les Cook, 61,7 % arrivèrent en Nouvelle Zélande, et (iV) depuis les Gambier, au Sud Est de la
chaîne des Tuamotu, un faible pourcentage, non spécifié, atteignit l'île de Pâques.
19. Parmi les
Lesson, Les Polynésiens, Leur Origine, Leurs Migrations, Leur Langue (Leroux, Paris,
1884), vol. 4, pp. 69-72 ; J. Williams, A Narrative of Missionary Enterprises in the South Seas
(Snow, London, 1837) p. 507 ; E. N. Ferdon Jr., Science 141, 504 (1963).
20. A.
Fornander, An account of the Polynesian Race Its Origines and Migrations (Tuttle,
Tokyo, 1969) vol. 2, pp. 6-7.
21. A.
22. P.
Gathercole, communication personnelle.
Bridgman, résultats non publiés ; A. T. Wilson et C. H. Hendy, Nature (London) 234,
23. H. A.
344
(1971).
24. A. P.
Vayda, J. Polynesian Soc. 67, 324 (1958)
(Phillips, London, 1823) p. 93.
25. Les
pirogues qui auraient fait route,
rieur»
se
ou
;
D. Porter, A Voyage to the South Seas
qui auraient dérivé
vers
les «Polynésiennes de l'exté¬
seraient trouvées dans cette situation (R. G. Ward, J. W. Webb, M. Levison, dans
Pacific Navigation and Voyaging, B. Finney, Ed. (Polynesian Society, Wellington, N. Z.,
1976) pp. 57-70)
légendes, généalogies et autres récits oraux de voyages a été récemment mise
question. D. R. Simmons (N. Z. J. Hist. 3, 14 (1968) prétend que les épopées de voyages des
en partie des créations du 19e siècle, etD. Barrers (Kumuhonua Legends (Bishop Museum, Honolulu, 1969) a montré que les légendes Hawaii-loa de
découvertes Hawaiiennes étaient fabriquées de la même façon. Il reste toutefois, à travers la
Polynésie, un certain nombre de traditions demeurées inconstestées, telles que celles qui
unissent Hawaii et Tahiti ; même si elles ne constituent pas des compte rendus positifs de
voyages passés, elles sont tout de même les reflets d'une ère de voyages. Pour Hawaii, voir B.
Cartwright, Bishop Museum Occasional Papers 10 (N° 7) (1933) ; A. Fornander, Collection of
Hawaiian Antiquities and Folklore (Presses du Bishop Museum, Honolulu, 1919) vol. 4, pp.
112-173 ; N. B. Emerson, Papers of the Hawaiian Hist. Soc. (N° 5) (1893).
K. Akerblom, Astronomy and Navigation in Polynesia and Micronesia (Ethnographical
Museum, Stockholm, 1968).
26. La valeur des
en
Maori de Nouvelle Zélande sont
27.
Lewis, We, the Navigators (Presses de l'Université de Hawaii, Honolulu, 1972)
McCoy, dans Pacific Navigation and Voyaging, B. Finney, Ed. (Polynesian Society,
Wellington, N. Z., 2976) pp. 129-138.
La navigation sans instruments de Hokule'a fut faussée, en tant qu'expérimentation, par des
transmissions radio non autorisées donnant le point approximatif à certains membres de
28. D.
29. M.
30.
l'équipage.
témoignages légendaires concernant ces voyages ont tout d'abord été donnés en (24) audessus. Bien que R. C. Green (Science, 187, 274 (1975) déclare que les données archéologiques
des Samoa et des Tonga sont bien près de démontrer l'existence de contacts dans les deux
31. Les
on dispose à Hawaii et à Tahiti ne permettent pas
aller et retour entre ces archipels.
J. H. Parry, The Discovery of the Sea (Dial, New York, 1974).
Le voyage de Tahiti ainsi que le retour ont été patronnés par la Polynesian Voyaging Society
en tant que manifectation officielle à l'occasion du Bicentenaire de l'Etat de Hawaii. Je tiens
à remercier H. Kane qui fit les plans de Hokule'a et en surveilla la construction ; R. Choy et
W. Seaman qui dessinèrent les coques ; le Capitaine K. Kapahulehua (les deux voyages) ; le
second, D. Lyman, et les navigateurs P. Piailug, R. Williams et D. Lewis (voyage de Hawaii à
Tahiti) ; le second, G. Piianaia, et les navigateur L. Puputauki et J. Lyman (voyage de Tahiti
à Hawaii) ; le Capitaine R. Birk et le navigateur L. Burkhalter, du yacht d'escorte «Meotai» ;
E. Doran Jr., D. Scelsa, R. Sprague et C. Yates qui collaborèrent aux essais avec instruments
; M. St. Denis et R. Rhodes qui relevèrent les lignes de Hokule'a et de Nalehia ; et les autres
membres des équipages du Hokule'a, du Nalehia et du Meotai qui apportèrent leur concours
au projet. Les essais du Nalehia, en 1966, furent financés par une subvention NSF-GS-1244,
par l'Université de Californie, Santa Barbara, et par le Bishop Museum. Les essais de Hoku¬
le'a et de Nalehia avec instruments en 1975-76, furent financés par une subvention NSF-SOC
sens
entre les deux groupes,
encore
32.
33.
celles dont
de parler de voyages
75-1 34 33.
Société des
Études Océaniennes
L'agression Pomare
et l'usurpation du pouvoir.
Cet extrait ne peut susciter qu'un certain nombre de remarques.
La première est que les auteurs européens contemporains décri¬
vant le XVIIIe ou le XIXe siècle à Tahiti manquent en générale de
connaissances suffisantes sur l'ancienne histoire et la civilisation
tahitienne, d'où des
erreurs
d'interprétation regrettables.
La seconde remarque, non moins importante, consiste en ceci :
Il ressort des écrits de ces mêmes auteurs une tendance «réductionniste» très nette, une tendance à minimiser certaines choses.
Ainsi on ne parlera jamais de rois ou de princes, mais seulement
de chefs, de préférence petits ; si l'on ne va pas jusqu'à utiliser le
«tribu», en revanche celui de clan est fort apprécié, on dira
exemple «le clan des Teva», malheureusement les Teva n'ont
jamais été un clan, il s'agissait en fait d'une alliance ou d'une fédé¬
ration. Et nous pourrions citer d'autres exemples.
Il est certain que Tahiti n'a pas les dimensions de l'Europe, mais
ce fait n'empêche nullement de comparer certaines institutions.
Or les auteurs européens semblent avoir du mal à admettre que
l'ancien Tahiti constituait une société féodale comparable à celle
du Moyen-Age en Europe ou au Japon. Les structures sont sembla¬
bles : Un pouvoir de droit divin et théocratique mais qui n'est que
suzerain, les apanages ; les relations entre suzerains et vassaux,
etc. Le «arii nui maro ura» ou «maro tea» était le roi d'origine divi¬
ne, comme l'empereur du Japon, sa personne était sacrée.
La remise solennelle du «maro ura», la couronne royale des
tahitiens, au prince héritier, sur le «marae» correspondait à la
cérémonie du sacre. Il est évident que seuls les membres de la
famille royale, par ordre de primogéniture, pouvaient prétendre
au pouvoir suprême. Les cadets de cette famille, dotée d'apanages
pouvaient devenir plus puissants que le suzerain et entrer en guer¬
re contre lui, ainsi que cela se produisit en d'autres temps et
d'autres lieux, mais j amais la prééminence du pouvoir—parce que
d'origine spirituelle — ne pouvait être contestée.
Autrefois il n'existait qu'une dynastie, celle d'Opoa à Raiatea,
qui par la suite a donné naissance aux dynasties des autres îles :
Porapora, Tahiti, etc. Etant donné l'importance de Tahiti, le roi de
terme
par
Société des
Études
Océaniennes
296
MAI ARIICADOUSTEAU
cette île descendant des
princes de Raiatea, était ceint du«maro
Il n'existait donc que trois couronnes royales, le «maro ura»
de Raiatea et Tahiti, et le «maro tea» de Porapora.
ura».
Du point de vue historique il est extrêmement regrettable que
l'ancienne dynastie n'ait pas porté de nom patronymique qui
n'existait d'ailleurs pas dans l'ancienne civilisation ; ne pouvant
la citer, on ne parle plus que des Pomare.
On pourrait — tout à fait arbitrairement — lui donner le nom de
«Teva», mais celui-ci est récent et fut seulement porté par un des
princes de la famille royale qui réalisa l'alliance célèbre des
«Teva».
Dans l'ancienne société tahitienne essentiellement théocratique,
aristocratique, traditionnaliste, il était impensable qu'un
usurpateur puisse s'emparer du pouvoir suprême. Il aurait fallu
que les fondements mêmes de cette civilisation fussent profondé¬
ment ébranlés par une révolution et c'est ce qui s'est produit après
l'arrivée des européens.
Après ces considérations d'ordre général, nous voudrions main¬
analyser plus en détail l'extrait de la thèse de M. Lagayette.
tenant
A la page 3, l'auteur de la thèse, semble mettre en doute la
suprématie légitime des «Teva». Or à l'arrivée des premiers euro¬
péens à Tahiti en 1767, la suprématie des «Teva» représentée par
la tête de la confédération «Amo Tevahitua i Patea» grand chef de
la principauté de Papara, était un fait reconnu par tous. Seul le
Roi Amo et ses ancêtres avant lui, avait le privilège de ceindre le
«maro ura» la ceinture royale de plumes rouges, cet insigne anti¬
que, emblème royal de descendance directe des dieux, l'équivalent
de la couronne royale des européens. (Voir Tahiti aux temps an¬
ciens de Teuira Henry, page 24 — Morenhout p.387, 388).
Teriirere étant le fils de Amo arii, il était dans l'ordre des choses,
que Purea (la reine Oberea de Wallis) fasse préparer les grandioses
cérémonies de la consécration de Teriirere son fils, lequel devait
naturellement succéder à son père, suivant la loi traditionnelle du
«Hau mateata» c'est-à-dire, gouvernement héréditaire. Ce n'était
donc pas : «une tentative de s'emparer du pouvoir suprême, vieux
rêve des Teva» comme a l'air de le dire l'auteur de la thèse à la page
4. Cette suprématie politique, la Maison de Papara l'avait déjà
depuis des siècles.
Plus loin M.
Lagayette ajoute : «contre cette volonté de puis¬
(de Purea) les autres districts de Tahiti se liguèrent ». Ici je
ferais seulement remarquer, que la ligue contre l'héritier présomp¬
tif Teriirere, n'était composée que de trois ou quatre districts sur
les dix-neuf de l'époque. La majorité des arii n'étaient pas pour le
renversement des valeurs politiques, ils avaient encore trop de res¬
pect pour les traditions anciennes. Détenant le pouvoir sacré avec
le «maro ura», la dynastie de Papara détenait également le pouvoir
politique sur Tahiti et Moorea depuis Aumoana i Mataoa fils aîné
sance
Société des
Études
Océaniennes
297
L'AGRESSION POMARE
de Teva te 'ua. Teva celui-là même
qui établit, avec l'appui de sa
Vaiarii, la grande alliance qui porte
son nom «Na Teva a vau» qui est encore chantée de nos jours par
les districts qui composèrent la confédération des huit principau¬
mère Hotutu arii vahine de
tés des Teva.
Pour bien comprendre cette histoire des anciens rois de Tahiti, il
faut remonter à sa source. Dans l'ancienne civilisation tahi-
nous
tienne, il y avait le «Hau mata tia» genre de gouvernement féodal ou
chaque principauté importante avait son arii rahi ou prince ré¬
gnant indépendant, mais qui reconnaissait le grand arii de Vaiari
(Papeari) comme leur suzerain, du fait que tous ces «arii rahi»
étaient issus des «arii nui maro Ura» de Vaiari berceau de l'aristo¬
cratie tahitienne.
Le «arii nui maro ura» (voir Teuira Henry p. 236) ou «tauhafau»
qui signifie «le plus haut arii à la ceinture de plumes rouges» était
l'aîné de la branche aînée de la famille royale, lui seul avait le droit
de ceindre le «maro ura» insigne de la royauté. Il jouissait de nom¬
breux privilèges mais il était aussi astreint à des lois qu'il ne pou¬
vait enfreindre, sous peine d'être déchu et remplacé par le prince le
plus proche et aussi le plus digne de la branche aînée. Une de ces
lois interdisait par exemple : la mésalliance. Un «arii nui maro
ura» ne devait épouser qu'une princesse du même rang social que
lui. A l'époque de Teva te ûa, c'était une femme la suzeraine de
Vaiari, Hotutu femme très belle et très puissante dont l'influence
s'étendait sur la plupart des grandes principautés du pays.
Or, Teva son fils qui régnait à Papara, homme sage et prudent,
fin psychologue observait depuis quelque temps de la mésentente
assez grave, voire de la jalousie entre les princes régnants de cer¬
tains districts, que seule l'influence de Hotutu, la suzeraine, parve¬
nait à calmer. Afin de parer à toute éventualité de guerre, Teva
décida sa mère à constituer une grande alliance forte et unie
composée des princes de sa famille, c'est-à-dire des principautés
où régnaient sa mère et ses propres enfants, à savoir : Feu ou
Vaiari qui régnait à Vaiari iti appelé aujourd'hui Atimaono,
Mataiea, prince régnant de Vaiuriri i Teataeputa, Afaahiti et
Vairao qui régnaient sur les principautés qui portent encore de
nos jours les noms de ces deux princes et enfin Hui et Tairapu qui
gouvernaient les districts appelés aujourd'hui Pueu, Tautira et
Tehauupoo. A l'unanimité, Teva te ûa fut élu chef de cette confédé¬
ration appelée «Te Api nui o na Teva e vau» qui signifie «La
grande alliance des huit districts Teva».
A la mort de Hotutu «Te arii vahine nui
maro
ura»,
le pouvoir
à la Maison de Papara, à la suite de la déchéance
du suzerain de Vaiari qui avait succédé à Hotutu et dont l'histoi¬
politique
passa
est racontée ailleurs. C'est ainsi que le arii nui de Papara prit
définitivement la tête du gouvernement ; ceci se passait bien des
siècles avant le règne de Amo arii le dernier de la dynastie des
anciens rois de Tahiti ceint du «maro ura». Teriirere son fils était
re
298
MAI ARIICADOUSTEAU
.
normalement l'héritier légitime du pouvoir suprême dont le «maro
ura» était l'insigne, malheureusement pour lui, les européens
étaient arrivés dans le pays avant sa consécration, Wallis en 1767,
Bougainville
en
1768, apportant
avec eux, non
seulement des
ar¬
nouvelles rendant ridiculement dérisoire la force militaire
du suzerain de Papara, mais un esprit nouveau, des idées révolu¬
tionnaires qui allaient renverser les anciennes valeurs et bafouer
les traditions sociales et religieuses. C'était l'aube du règne du
mes
plus fort qui se levait.
Toujours page 4, l'auteur nous dit : que les Teva réunis autour
du grand chef Teuraiterai de Papara durent subir la loi de Tavi
Hauroa grand chef de Tautira. C'est ignorer que Tavi Hauroa
faisait partie des «Teva» et qu'il s'agissait donc d'une querelle de
famille. L'événement dont il parle s'est passé cinq ou six siècles
après la formation de la grande alliance des «Teva». Cette
alliance était restée la fédération solide et puissante de l'époque
de son fondateur ; composée des mêmes districts à la seule
différence que le fief de Taiarapu et de son frère Hui (voir les
enfants de Teva plus haut) avait été divisé au cours de cette
longue période, en trois principautés : Teahuupoo où régnait
Vehiatua, Tautira et Pueu.
Tavi grand chef de Tautira étendait son autorité jusqu'à
Afaahiti, il descendait directement des aïeux Tairapu et Hui
c'était donc un «Teva», aussi bien que Vehiatua et les princes
régnants de Vairao, Vaiari, Mataiea et Atimaono. Nous voyons
par là que les «Teva» n'étaient pas confinés uniquement à
Papara, comme le croit à tort l'auteur de la thèse. Unis les «Teva»
étaient imbattables, mais ici, c'était une guerre entre eux, causée
par Teuraiterai aro rua qui avait failli à l'honneur, en refusant de
rendre l'épouse du grand chef de Tautira, son cousin. Le «ari
maro ura» de Papara était le suzerain du chef de Tautira, quoique
militairement de forces égales. Il fut battu car l'attaque de
Tautira fut soudaine et imprévue alors que les guerriers de Papara
ainsi que Teuraiterai lui-même étaient follement occupés dans
les réjouissances orgafiisées en l'honneur de la belle Taurua
épouse de Tavi et cause du drame.
C'est ce qui est d'ailleurs arrivé à l'époque du roi Amo arrièrepetits-fils de Teuraiterai ; tous les gens de Papara étaient en lisse
les guerriers compris, à l'occasion des grandes fêtes du sacre de
l'héritier présomptif. Vehiatua chef de Teahuupoo attaque
Papara par le Sud, simultanément Tutaha chef d'Atahuru (Paea)
et Teu chef du Teporionuu (Pare-Arue) attaquèrent par l'Ouest,
Papara sous le nombre succomba et ce fut le déclin de la dynastie
des arii de Teva.
Le but de Vehiatua n'était pas
de s'emparer du pouvoir
supprême mais d'être complètement indépendant, et ne plus être
le vassal du suzerain de Papara la tête des «Teva», alliance dont
il faisait
partie.
Société des
Études
Océaniennes
L'AGRESSION POMARE
299
Ce qui n'était pas le cas de Tutaha et Teu, lesquels étaient
décidés à renverser le gouvernement traditionnel et de s'emparer
du pouvoir suprême par la force en emportant les insignes
et sacerdotaux au «marae» de la famille princière de
Tutaha, le «Marae-taata» dans la principauté de Paea. Teu et
royaux
se sentaient très forts grâce aux armes obtenues
des européens, dont Tutaha l'ami de Bougainville était bien
pourvu. Au contact des blancs, ces aristocrates d'un rang
inférieur avaient perdu le respect dû au «arii nui maro ura» de
surtout Tutaha
Papara et ne craignaient plus de braver les lois traditionnelles
du «Tapu». Et l'auteur de la thèse en question d'écrire cette
phrase surprenante : l'un des éléments actifs se nommait Tutaha
ou Teu grand chef de Pare-Arue», et à la page 5 : «Tutaha était en
effet le fils de Taaroa manahune chef de Pare, dont l'ascendance
allait se perdre dans l'archipel des Tuamotu».
Etant une descendante des arii de nos îles et notamment de
Tutaha prince d'Atahuru grand oncle de ma trisaïeule Marama
princesse de Vaiari, je suis bien placée pour relever cette
confusion de personnes, laquelle risque d'induire en erreur
d'autres auteurs qui pourraient lire cette thèse qualifiée de
remarquable. Il ne faut pas en effet, confondre Tutaha grand
chef d'Atahuru (Paea) et Teu chef de Pare-Arue. Tutaha est un
prince tahitien qui a pour père Toeraupû arii de Punaauia et pour
mère Tupuetefa du «marae Fareroi» de la famille régnante de
Mahina. Parenté qui a permis à Tutaha de jouer le rôle de grand
seigneur à Mahina et Papenoo... après la chute du roi Amo
Tevahitua son cousin. Quant à Teu chef de Pare-Arue, il est le fils
de Taaroa manahune ou Tumoehania, et le petit-fils de Tû alias
Ariipaea venu des îles Tuamotu avec sa femme Tekuraoteatua de
Fakarava (voir Tahiti aux temps anciens pages 274, 275) ; la
mère de Teu est Tetuaehuri fille de Vehiatua de Teahuupoo.
Tutaha est mort en 1773, alors que Teu est décédé en 1802, c'est
donc deux personnes bien distinctes.
M. Lagayette, page 6, écrit : «Bien des historiens et ethno¬
logues ont suivi aveuglement Adams et Ariitaimai, jusqu'au jour
où le doute scientifique aidant, l'on s'est penché sur les
collections inédites de généalogies polynésiennes conservées au
Bishop Muséum de Honolulu». Parlons-en de ces généalogies
inédites ; parmi celles que j'ai reçues de Hawai, je n'en citerai
qu'une, l'erreur préméditée étant de taille et facilement
contrôlable (voir Teu chef de Pare plus haut) ; c'est la généalogie
des arii de Vaiari et Mataiea manipulée de façon flagrante afin
de mettre en valeur la lignée des Pomare.
C'est bien simple, on n'y trouve plus trace des aïeux paumotu,
l'ancêtre Taaroa manahune alias Tumoehania n'est plus le fils
de Tekura et de Tû Ariipaea venus des îles Tuamotu, mais le fils
de Tutaha de Vaiari et de Tereiatua de Papara un couple de la
famille princière des «Teva».
Société des
Études
Océaniennes
300
MAI ARII CADOUSTEAU
S I
'fi
Voici la partie de cette généalogie des arii de Vaiari et Mataiea
où la lignée des Pomare a été accrochée :
10.— Tetuamatauroa
Tetuanui i Fareroi of Matavai
1 Tutaha i
Farepu'a
9.— Tutaha
Tereiatua of Papara, Taputuarai
marae
1 Taaroa manahune
8.— Taaroamanahune
(ici
commence
la manipulation)
Tupuaiatua i Matahihae
1 Teiha moeroa or Tunui
2 Haatupua i te ra
3 Vehiatua
e aa
4 Teriinavahoroa
5 Tetuanuihaamarurai oia
7.— Teiha
o
i te atua
Tû
Tetupaia of Taputapuatea
1 Tetuanui
i te rai
e marua
or
Vairaatoa
or
Pomare I
L'auteur de cette généalogie envoyée de Tahiti au Bishop
Muséum de Honolulu, savait pertinement bien que seuls les
princes dont les ancêtres étaient issus de Vaiari berceau des
premiers «arii» de Tahiti, étaient les véritables souverains du
pays, c'est la raison de cette manipulation généalogique. Son tort
est d'avoir voulu remonter un peu haut dans la généalogie en
question, afin d'éliminer les aïeux paumotu qui entachent la
dynastie Pomare. C'est seulement par sa mère que Pomare II
peut prétendre à une naissance se rattachant à Vaiari.
Je remets donc chacun à sa véritable place dans cette partie de
la généalogie des Vaiari et Mataiea qui a été faussée et pour
cause
:
10.— Tetuamatauroa
Tetuanui i Fareroi de Matavai
1 Tutaha i
Farepu'a
9.— Tutaha
Tereiatua de Papara
marae
1 Airoroanaa i
Taputuarai
Farepu'a
8.— Airoroanaa
Teriivaetua i Ahurai (Faaa)
1 Tepa'u arii (décédé en 1773)
2 Purea ou la reine Oberea épouse
du roi Amo
(lignée éteinte)
3 Teihotu i Ahurai père
d'Itia (branche Pomare II)
prince de Vaiari et de Faaa,
grand oncle de Pomare II
4 Auri
ou
7.— Ture arii i Vaiari
Tetuaraenui i Fareroi soeur de
Tutaha prince d'Atahuru (l'un des
vainqueurs du roi Amo)
Société des
Études
Océaniennes
301
L'AGRESSION POMARE
1 Maheanuu i Farepu'a
2 Ruroa i Vaiari alias Tevaruaharae dite aussi
Muhaopa
6.—Tevaruaharae i Vaiari
1 Marama
Ariioehau Marama
ou Taipoto
prince de Haapiti et Teavaro
(Moorea)
Tepa'u Teriivaetua dite Atiau vahine grande
cheffeuse de Vaiari, Faaa, Haapiti et Teavaro
5.— Marama dite Atiau vahine
Tepuataaroa i Tooarai fils aîné de
Tati l'ancien grand chef de Papara
1 Ariitaimai
grande cheffësse de Papara épouse Salmon
grande cheffesse de Vaiari, épouse du
grand chef Kipilikia Sumner de Hawai'i
Teriitaumaiterai grande cheffesse de Faaa, épouse de
Tehuiarii Maheanu'u a Mai petit-fils du roi Mai de
Porapora
2 Ariininito
3
(Réf.
pages
: Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes n° 112, sept. 1955
453, 454 — Tahiti aux temps anciens pages 277, 278, 279).
A la page 9, l'auteur dit : que les généalogies produites par
Teuira Henry, tendent à prouver que Taaroa manahune était un
ancêtre de Teu à la quarantième génération» : Nous nous
trouvons une fois de plus devant un cas de manipulation
généalogique facile à démontrer. Tu Ariipaea aïeul de Teu des
îles Tuamotu, devenu chef de Pare grâce à l'adoption du chef
Mauahiti, ne peut logiquement pas descendre des grands chefs
de Tahiti tels que Teriitemoanarau demi-frère de Teva te 'ua, Tu
Oropaa maehaa de Punaauia, Te vaa ura de Vaiari etc... dont
nous possédons les généalogies. Généalogies de leurs pères et
mères qui remontent dans la nuit des temps et corroborées par
l'histoire du pays où aucun chef paumotu n'y figure.
M. Lagayette d'ailleurs, reconnaît lui-même à la page 5
lorsqu'il écrit : «Taaroa manahune chef de Pare dont l'ascen¬
dance allait se perdre dans l'archipel des Tuamotu» : Taaroa
manahune cité dans la généalogie des grands chefs de Tahiti
par Teuira Henry (page 273), n'a absolument rien à voir avec les
aïeux paumotu de Teu Taaroa i Hiti fils de Nunuea, surnommé
Taaroa manahune était issu d'une famille manahune très puis¬
sante de Punaauia de l'époque où l'île était habitée par la race
manahune. Plus tard ces premiers habitants de Tahiti furent
conquis par les chefs guerriers venus de Raiatea. Cette longue
généalogie de quarante générations est l'œuvre de Mare généalo¬
giste des Pomare, lequel avait la fâcheuse tendance d'accrocher
les aïeux paumotu de la famille régnante aux généalogies des arii
de Tahiti.
Voici ce qu'en dit le missionnaire Orsmond :
n'est qu'un roman que je ne suis jamais arrivé
Société des
Études
«cette généalogie
à dresser, malgré
Océaniennes
302
MAI ARII CADOUSTEAU
toutes
mes recherches auprès des anciens de
l'époque des
premiers missionnaires à Tahiti.» Je reviens à la page 8 de
l'article où il est dit : «Le marae fondamental le plus ancien était
celui de Taputapuatea (Opoa) à Raiatea consacré au dieu Oro.»
ceci n'est pas correct «Taputapuatea» est peut-être plus connu,
mais Vaearai est le marae fondamental le plus ancien. Ce marae
édifié dans la vallée royale de Tumatarii à Raiatea était consacré
non pas à Oro, mais à Taaroa le dieu créateur de toutes choses de
la cosmogonie tahitienne. Les «arii» dont les généalogies
partirent du «marae Vaearai» furent toujours au rang le plus
élevé. Oro ne fut vénéré comme dieu bien après Taaroa, que la
légende dit, être le père d'Oro. Ce sont d'ailleurs les pierres du
«marae royal de Vaearai»
qui furent transportées en partie à
Matahira pour la construction de Taputapuatea, lequel fut tout
d'abord un marae national appelé «Feoro». Plus tard lorsque le
marae fut dédié au dieu Oro, il s'appela
Vaiotaha qui devint le
nom religieux de tous les marae consacrés à ce dieu. Ce n'est
qu'à
l'époque où Opoa devint la Mecque des Mers du Sud, que ce
marae devenu international fut appelé
«Taputapuatea».
Toujours à la page 8, nous pouvons lire : «que les chefs de PareArue bénéficièrent des avantages puissants que
procurait socia¬
lement la protection du dieu Oro» : Il faut savoir qu'avant Oro,
les dieux de Tahiti et des îles sous le vent étaient Taaroa et Tane.
Ils étaient les dieux titulaires des marae de Vaiari,
de Papara
aussi bien que des marae de la presqu'île, et ceci depuis Tetuane
nui o Hitinui le premier arii maro ura du «Hau matatia» ou «Gou¬
vernement des arii» qui avait succédé à celui des Chefs guerriers.
A la naissance d'Oro fils de Taaroa, pour des raisons trop lon¬
gues
à expliquer ici, le clergé d'Opoa à Raiatea imposa le culte
d'Oro qui ne fut pas toujours bien accueilli. Si les «arii» de Teva
avaient eu besoin de la protection d'Oro pour consolider leur
situation sociale et politique —ce qui n'était pas le cas— ; ils en ont
certainement bénéficié bien avant les petits chefs de Pare et
d'Arue peu connus dans l'histoire de Tahiti à l'arrivée des pre¬
miers missionnaires du culte d'Oro. Ces missionnaires venus
d'Opoa sous le règne de Tamatoa premier du nom, furent tout d'a¬
bord refoulés de la plage -de Tipaerui ; ils revinrent plus tard et
abordèrent à Tautira (fief des Teva) où ils furent reçus et
autorisés à édifier le premier marae consacré à Oro, puis ils
vinrent s'établir à Atahuru (Paea) et non à Pare, ni à Arue.
Papara de
ne
par sa situation politique de tête du Gouvernement
tarda pas à recevoir la visite des messagers de Tamatoa 1er
avec
lequel, la famille régnante avait des liens de parenté. Le
culte d'Oro fut admis au marae royal de Matao'a où sa statue fut
déposée ornée non pas de plumes rouges comme ailleurs, mais de
plumes jaunes. C'est pour cette raison que cette principauté fut
appelée «Papara nui a Oro hu'a re'a» qui signifie «Le grand
Papara de Oro
aux
plumes jaunes». (Il faut savoir
Société des Études Océaniennes
que
seuls
303
L'AGRESSION POMARE
Papara et Porapora ont la couleur jaune dorée pour leurs
insignes royaux et sacerdotaux).
Nous voyons par les faits ci-dessus que le culte d'Oro à Tahiti,
était plutôt dans les principautés de l'Ouest du pays la partie
opposée aux districts de Pare et Arue, et cela même à l'époque des
Pomare. Les guerres de Punaauia dites de Rua n'avaient pas
d'autres raisons que la volonté des Pomare de s'emparer de la
statue officielle d'Oro
se trouvant alors au marae de Punaauia.
Dans la conclusion plutôt erronnée de Colin Newbury, au bas de
la page 12, il n'y a qu'une ou deux choses d'exactes, notamment :
«Paea et Tautira les deux principaux centres du culte d'Oro à
Tahiti» : Les mariages des «Teva» avec la Maison royale de
Raiatea ne datent pas de Teeva de Papara comme le dit l'article à
la page 8, Varimatauhoe père de Teva le dondateur de la confédé¬
ration, était un prince du marae royal de Vaearai (Opoa), Atea
arii nui de Papara avait pour épouse Rainui princesse d'Opoa,
Mataru i Vaearai arrière-petit-fils de Tamatoa premier du nom, a
eu pour femme une princesse Teva, «Terorofai i
Farepu'a», de
leur union sont nés : Tepua-Tane-Haurau et Terorofai, l'aîné est
allé régner à Porapora droit qui lui venait de son père l'aînée
de la famille régnante, alors que sa soeur Terorofai devint
suzeraine de Vaiari
sous
le titre de «Terii nui
o
Tahiti».
Le petit-fils de Tepua-Tane-Hau-rau, Temau de Porapora,
prince de Vaiari par sa mère a eu pour épouse Teheatua princesse
d'Opoa, de leur union est né Tarioe lequel épousa Teanuanua
d'Opoa, leur fille vint s'établir à Vaiari, apportant avec elle sa
pierre du marae Taputapuatea comme pierre de fondation pour
son propre marae, lorsqu'elle épousa Puni i Marotetini petit-fils
de Tefatu de Rotuma et de Teura reine de Porapora. Ce Puni
avait pour mère une princesse «Teva». (voir généalogie des
familles du «marae Vaiotaha»),
Ces quelques alliances montrent bien à quel point les liens
étaient étroits entre les familles royales des îles sous le vent et
celles des «Teva» ; alors que les alliances de Pare-Arue datent de
Teu d'après la thèse en question. D'ailleurs les dieux qu'ils soient
Oro ou Taaroa n'avaient rien à voir dans les mariages des «arii»,
cela était une affaire de famille, voire de politique, recherche
d'allié puissant.
A la page 12, nous lisons ceci : «Le patronage du dieu Oro en la
circonstance, sacralisant le passage des titres d'un groupe social
à l'autre. Ainsi se forgèrent au 18ème siècle des relations solides
entre le lignage des arii de Pare-Arue et la maison royale d'Opoa
à Raiatea dont le
marae était consacré à Oro». En fait de
«relations solides» entre Pare-Arue et Opoa au XVIIIe siècle, on
le mariage de Teu avec Tetupaia i Hauiri en 1742,
qui constituait une mésalliance pour la fille de Tamatoa III,
ne
trouve que
Société des
Études
Océaniennes
304
MAI ARIICADOUSTEAU
laquelle
ne régna jamais ni à Raiatea ni ailleurs. Cette union n'a
guère de répercussion politique à Tahiti — et cela pendant
plus de vingt ans — à l'arrivée du capt. Wallis en 1767 à Matavai,
on entend même pas parlé des chefs de Pare-Arue
qui sont
pourtant les voisins les plus proches du lieu où se trouve Wallis.
Seuls les arii de Teva sont au premier plan de l'actualité
tahitienne et Dieu sait que leur fief est situé bien loin de Matavai.
Purea accompagnée de sa cour de courtisans est considérée par
Wallis comme la souveraine incontestée de Tahiti titre qui n'était
d'ailleurs pas usurpé puisque Amo arii son époux avait le «maro
eu
ura»
l'insigne du pouvoir absolu,
comme nous
début de cet article.
l'avons déjà dit
au
En 1767,
Tu Vairaatoa notre futur Pomare avait environ, 24
il était chef de Pare-Arue district voisin de Mahina
(Haapape), cependant on ne l'a pas vu à Matavai aux cérémonies
de réception du capt. Wallis et de son Etat-Major, pour la bonne
raison que suivant les lois traditionnelles qui étaient encore
respectées en ce temps là, il n'avait aucun droit dans le district de
Mahina ni par Teu son père chef uniquement de Pare-Arue, ni
par sa mère Tetupaia princesse de Raiatea et non de Tahiti.
Alors que la famille régnante de Papara était chez elle à
Matavai, la mère du roi Amo, Teroro e ora i Fareroi étant la fille
du arii de Mahina. Il est vrai que l'étoile des Pomare n'allait pas
tarder de se lever, grâce aux premiers européens. Il semblerait
que Teu n'ait pas trouvé grand intérêt dans son mariage avec la
princesse d'Opoa qui n'avait aucun marae à Tahiti ; Tahiti dont
la renommée grandissait de plus en plus, car il épousa en seconde
noce non pas une princesse de Raiatea mais de
Tahiti, Tetuaumeretini i Vaira'o (fief des Teva). Son fils Tu Vairaatoa ou
Pomare premier du nom ne se maria pas avec une princesse
d'Opoa, mais avec Itia une très grande dame descendante des
arii de Teva par son aïeule Airoro anaa de Vaiari, princesse de
Faaa par son père Teihotu i Ahurai et par sa mère Vavea,
princesse d'Atahuru et d'Aimeo. C'est grâce à cette «arii vahine»
au nom imposant de «Tetuanui reia i te rai atea i Ahurai»
(Faaa)
nièce de la reine Purea, que les Pomare se sont alliés avec la
famille royale des «arii nui maro ura» de Tahiti. La reine Pomare
IV femme avisée, avait bien compris l'avantage de ces unions
avec les héritiers légitimes
des anciens rois de Tahiti, c'est ainsi
que tous ses enfants sauf un, furent mariés avec les descendants
de Tati l'ancien, le successeur du roi Amo, la tête des Teva, j'ai
ans,
nommé
:
1.— Teriimaevarua Pomare reine de
Maheanuu
Mai, lequel avait
Ahurai (Faaa) Teriitaumaiterai
2.—
a
Porapora épouse de Temauiarii
mère la grande cheffesse de
Tati.
pour
a
Teriitapunui marié à Teriinavahoroa
C
a
Teraimano
a
Mai qui avait
305
L'AGRESSION POMARE
pour
mère la grande cheffesse de Tautira, Ahuura (Mano vahine) a
Tati.
3.— Ariiaue
ou
Pomare V marié à Marau Taaroa Salmon fille de la
grande cheffesse de Papara Ariitaimai
a
Tati.
4.— Tamatoa V roi de Raiatea marié à Moeterauri
fille de la grande cheffesse Teriit.aumaiterai
Seul le dernier fils Tuauira refusa
a
a
Maheanuu
a
Mai
Tati.
mariage de raison et
épousa Vahinetua a Tohi dite Isabelle Shaw. La famille d'Arue
se rattrapa à la génération suivante, le fils aîné de cette union,
un
Hinoiatua fut marié à sa cousine germaine Teriimaevarua dite
Arii Otare dernière reine de Porapora petite-fille de la grande
cheffesse Teriitaumaiterai a Tati.
Pour finir, quoique il y aurait encore beaucoup à dire sur cette
nous relèverons ceci à la page 13, qui est vraiment exagéré
«Teu avait le droit de porter le «maro ura» dans son district de
Pare». Faut-il rappeler encore une fois que ceindre le maro ura ou
le maro tea, l'équivalent d'un couronnement européen, était
thèse,
:
l'apanage exclusif des «arii nui maro ura» branche aînée de la
famille royale où la mésalliance n'était pas admise. Teu fils de
Taaroa manahune chef de Pare-Arue n'avait pas ce droit — et ne
pouvait l'avoir —, c'est sa femme Tetupaia i Hauviri fille du roi
Tamatoa III qui pouvait avoir ce droit.
C'est comme si l'on disait, que Philippe d'Edimbourg avait le
droit de porter la couronne royale de sa femme, la reine Elisabeth
d'Angleterre. Par sa mère Tetuaehuri a Vehiatua, Teu pouvait
prétendre au titre de arii de Teahupoo, or les Vehiatua tout «arii
rahi» qu'ils étaient, et même parfois plus puissants militaire¬
ment que le suzerain de Papara, n'avaient jamais eu le droit
de ceindre le «maro ura». Pomare II petit-fils de Teu put
ceindre le maro ura de Tahiti, au Maraetaate d'Atahuru en vertu
des droits qu'il tenait de sa mère Tetuanui reia i te rai atea (Itia)
et non de «Ino metua», comme le prétend Colin Newbury à la
page 12. Même si le fait fut admis, il n'en constituait pas moins
une usurpation, car si les circonstances avaient été normales,
Pomare II n'aurait jamais pu évincer les héritiers directes de la
branche aînée.
Terii-vahine-i-te-Tauo-o-te-rai
i Tefana i
Ahurai, Mai arii CADOUSTEAU
de l'Académie Tahitienne
Société des
Études
Océaniennes
•
.
•*
.
.
■
-
-
Société des
Études
Océaniennes
La convention
du 5 août 1847
et le désaveu de Lavaud.
Le 9 février 1847, Pomare IV après une entrevue avec le gouver¬
Bruat en rade de Papetoai le 6 janvier précédent, s'étant
soumise au gouvernement du Protectorat, revenait à Papeete :
elle était «solennellement rétablie dans son pouvoir par le
Gouverneur Commissaire du Roi. «(1) La guerre dite de «l'indé¬
neur
pendance» (2) était vraiment terminée et le Ministre de la Marine
et des Colonies écrivait à Charles François Lavaud, successeur
de Bruat : «En définitive vous aurez reçu l'autorité du Protectorat
des mains de votre prédécesseur dans des conditions de calme et
de sécurité, et vous n'aurez eu qu'à vous appliquer à les conso¬
lider et à les rendre définitives» (3).
Cependant, devant les difficultés soulevées par la reine
Pomare, Lavaud estimait nécessaire de définir avec exactitude
les pouvoirs respectifs des deux gouvernements, protecteur et
protégé, dans l'organisation du Protectorat. Le texte mis au point
était conjointement signé de Lavaud et de Pomare le 5 août 1847
et envoyé à Paris pour ratification. Cette Convention est citée
sans commentaire et presque in-extenso dans l'ouvrage le plus
connu d'E. Caillot, après seulement une courte introduction :
«Quelques temps après, à Tahiti, l'exercice du Protectorat
français fut déterminé par l'acte suivant...» (4). Elle est en outre
signalée par Colin W. Newbury à plusieurs reprises. Ainsi : «Du
temps de Lavaud, l'administration commune du Gouverneur et
de la Reine s'était déroulée sans heurts notables. La Convention
avait fait de celle-ci, de par sa position de Chef suprême, un
rouage
essentiel du Protectorat» (5). Enfin elle est signalée
aux
articles Lavaud et Pomare IV de l'ouvrage «Tahitiens» : «Le
5 août 1847, le Commandant Lavaud estimant qu'il était néces¬
saire de définir les conditions dans lesquelles fonctionnerait le
Protectorat, avait soumis à la Reine Pomare la signature d'une
convention de 30 articles, qui demeurera en vigueur jusqu'en
1880...» (6). «Cette convention demeura théoriquement en vigueur
jusqu'à l'époque où le roi Pomare V, en 1880, céda à la France ses
droits souverains» (7).
Société des
Études
Océaniennes
308
M. LERICHE
Mais fort curieusement aucun recueil de textes officiels n'en
fait mention alors que cette convention serait le fondement de
l'organisation du Protectorat. Les documents du Fonds Océanie
nous éclairent sur cette
apparente lacune. Deux
pensons nous,
—
d'être précisés
Pourquoi la convention du
points méritent,
:
5 août 1847 est elle absente des
textes officiels ?
—
Quel
en
est le contenu exact et
complet ?
Revenons à l'année 1847. Si le Ministre de la Marine et des
Colonies pensait, sur la foi des rapports du gouverneur
Bruat, le
protectorat bien établi à Tahiti, le Commandant Lavaud ne ma¬
nifestait pas la même certitude : «En apparence tout cela était
vrai, en réalité il n'en était rien. La paix était faite, la tranquilité
régnait, les bayonnettes étaient toute idée d'hostilité ; nous
n'avions rien à craindre de ce côté, mais aucun
traité, aucune
stipulation, aucune convention, aucun acte politique enfin ne
viennent garantir l'avenir, les faits accomplis, ni poser les bases
de ce calme apparent. L'autorité du Protectorat ! mais le Protec¬
torat était un mot vide de sens, une chose indéterminée
; son
autorité était compromise à chaque instant, parce que
rien n'en
marquait les limites. Il manquait au Protectorat, pour être effi¬
cace et donner des
garanties de stabilité, d'être défini
d'abord,
puis ensuite d'avoir pour lui le droit et non plus la force et la ruse»
(8). Le Commandant Lavaud justifiait ainsi la signature de la
convention du 5 août 1847 «par laquelle la part des attributions
de chacun des deux pouvoirs, protecteur et
protégé, se trouve
réglée» (9).
Le Gouverneur attendait le retour de Paris de la Convention
revêtue de la sanction royale ; en effet le texte
stipule : «cette
convention est soumise à l'approbation du Roi des
Français»(10).
Mais le Ministre avait de bonnes raisons
pour ne présenter ni
aux Chambres, ni au Roi ce nouveau traité
qui eût remplacé celui
de 1842 : «Le traité fait en 1842
par M. Dupetit Thouars a été ici la
base de toutes les déclarations émanées du
gouvernement du Roi
à la Tribune des Chambres, et de toutes les
communications avec
les gouvernements étrangers. C'est à ce traité seul
que se rappor¬
te l'adhésion que le régime du Protectorat a
reçue
dans
nos
assemblées législatives et dans le domaine diplomatique... Un
traité nouveau, qui effacerait celui de 1842, pourrait tout remettre
en question, et donner lieu à des
réclamations soit contre son
principe même, du moins contre ses stipulations que leur préci¬
sion ne ferait que rendre plus accessible à la
critique... (11). Le
Commandant Lavaud était donc invité à s'en tenir au traité
de 1842, dont l'imprécision lui laissait toute
latitude, et à
l'adhésion donnée par Pomare IV, au moment de son retour à
Papeete, aux actes du gouvernement pris en son absence, parti¬
culièrement à la loi tahitienne de 1845 donnant au Commissaire
Société des Etudes Océaniennes
309
LA CONVENTION DU 5 AOUT 1847
du Roi le droit de participer à la nomination des
des Juges de district et des mutoi.
Grands Juges,
Le refus de la sanction royale pouvait être gênant pour le
Commandant Lavaud vis-à-vis de Pomare IV, mais le Ministre
lui annonçait l'envoi d'une dépêche officielle qui expliquerait ce
refus en des termes assez élégants pour qu'elle soit communiquée
à la Reine, tandis qu'il terminait une lettre à Lavaud, confiden¬
tielle et sévère pour son destinataire, par ces instructions : «Par
la voie des influences si actives que vous pouvez exercer sur la
Reine et sur les Chefs, par la confiance que vous leur inspirerez,
vous les accoutumerez promptement à vous voir participer de
plus
en
ainsi
plus
une
au
gouvernement intérieur. Le protectorat deviendra
institution plus apparente que réelle, sous laquelle un
régime de souveraineté s'établira progressivement et réalisera le
résultat qui avait été signalé à M. votre prédécesseur comme dési¬
rable, c'est à dire une situation analogue à celle qu'a créée pour le
gouvernement anglais le protectorat établi sur les îles ionien¬
nes» (12).
La Convention du 5 août 1847
n'ayant jamais été approuvée
Paris n'a donc jamais pû être citée en référence dans les actes
de gouvernement pris sous le Protectorat.
par
Toutefois l'organisation du gouvernement du Protectorat cor¬
respond assez bien, dans les premières années tout au moins, aux
stipulations contenues dans les quarante articles de la Conven¬
tion. Aussi nous semble-t-il utile de la reproduire in-extenso, (13),
le texte présenté par E. Caillot présentant en effet quelques
omissions.
Entre autres nous avons relevé celles, importantes à notre
avis, des articles 11,16 et 18 concernant les dons ou indemnités
versés par le gouvernement protecteur aux chefs, aux grands
juges, aux juges et aux mutoi, soit aux principaux agents du
gouvernement intérieur du royaume protégé. Ces trois articles
concourent en effet avec la plupart des autres à nous donner le
sentiment.que la Reine Pomare était loin de garantir l'indépen¬
dance de son gouvernement en signant un texte qui donnait à
son Protecteur l'essentiel du pouvoir. Le schéma ci-joint (14) nous
paraît suffisamment explicite à cet égard.
En conclusion, la convention du 5 août 1847 n'ayant
jamais
fut jamais officiellement appliquée et
servit seulement de cadre à l'organisation d'un protectorat qui
était déjà «une institution plus apparente que réelle» (15).
reçu
la sanction royale
ne
M. Leriche
Société des
Études
Océaniennes
310
M. LERICHE
1.
Proclamation relative à la soumission de la Reine
Pomare, dans Réédition des Arrêtés
2.
Chapitre intitulé «La guerre de l'indépendance», Histoire
Caillot, Paris, 1910, p. 228.
3.
Dépêche du 11 juin 1847, N° 129, Fonds Océanie, A. 51.
du Gouverneur des E.F.O., 1843-1847,
Papeete, 1864, p.259.
de la
4. E.
Caillot,
5. Colin W.
6.
7.
8.
9.
10.
ouvrage
cité,
p.
Polynésie Orientale, E.
278.
Newbury, l'Administration
de l'Océanie française, dans Revue Française
d'histoire d'Outre Mer, 1959, p. 102.
P. O'Reilly, Tahitiens, Paris, 1975, article
Lavaud, p. 318
id., article Pomare IV, p. 450.
Lettre de Lavaud au Ministre, 14 octobre
1847, Fonds Océanie, A. 51.
id.
Original de la Convention
du 5 août
1847, Fonds Océanie, A. 52.
Commandant Lavaud, Fonds Océanie, A. 51.
au Commandant
Lavaud, Fonds Océanie, A. 51.
13. Annexe N° 1, Texte original, Fonds
Océanie, A. 52.
11. Lettre du Ministre de la Marine
12. Lettre du Ministre des Colonies
14. Annexe 2.
au
.
15. cf. note 1.
CONVENTION DU 5 AOUT 1847
(Original de la
convention du 5 août
1847) (2 colonnes Français / Tahitiens)
Convention faite entre S.M. la Reine des Iles de la Société
d'une part
;
et le
Capitaine de Vaisseau Charles LAVAUD, Gouverneur des Possessions
Françaises de l'Océanie, Commissaire du Roi, auprès de la Reine, agissant
nom de S.M. le Roi des
Français
d'autre part
Entre
nous
soussignés
été convenu
d'août mil huit cent quarante sept :
Article 1
:
Les îles
a
ce
;
qui suit, le cinquième jour du mois
Taïti, Moorea
et dépendances forment un seul
état, libre
la dénomination d'Etat de la Société. Cet Etat est
placé sous la protection immédiate et exclusive de S.M. Je
Roi des
Français, ses héritiers et successeurs.
et
indépendant,
sous
Article 2 : Pour assurer, sans
restriction, à S.M. la Reine Pomare et aux
habitants des îles de la Société, les
avantages résultant de la haute
protection sous laquelle ils sont placés, ainsi
que pour l'exercice des droits
inhérents à cette protection, S.M. le Roi des
Français a celui d'élever et
d'occuper des forteresses et places sur tous les points nécessaires à la
défense du pays, et d'y tenir garnison.
Article 3
: L'organisation intérieure
des Iles de
l'approbation de la puissance protectrice.
Article 4
la Société est
Le
réglée
avec
gouvernement civil se compose de la
Reine, de l'Assemblée des
Législateurs et du Pouvoir judiciaire. Un commissaire nommé
par le Roi
des Français y représente la
puissance protectrice.
Article 5
:
:
La reine
exerce
le pouvoir exécutif.
Société des
Études
Océaniennes
311
LA CONVENTION DU 5 AOUT 1847
POUVOIR
Article 6
:
Article 7
:
LÉGISLATIF
L'Assemblée des législateurs se compose des chefs et des
délégués de chaque district, en nombre fixé par la loi.
La Reine et le Commissaire du Roi convoquent
législative
aux
époques prévues
par
l'assemblée
la loi.
Article 8 : Le Commissaire du Roi peut, après en avoir fait connaître les
motifs à la Reine, proroger l'assemblée des législateurs.
Article 9
La Reine et le Commissaire du Roi ouvrent l'Assemblée
:
législative ; ils peuvent y assister ou s'y faire représenter ils prennent la
parole lorsqu'ils le jugent nécessaire.
Article 10 : La nomination des chefs est faite par la Reine et le Commissai¬
re du Roi sur la proposition des hui-raatira des districts
; ceux-ci ne
peuvent choisir
en dehors de la famille du dernier chef élu ; mais si le chef
de famille, la Reine et le Commissaire du Roi nomment à
l'emploi disponible. Il doit être pourvu à la vacance dans le délai d'un
ne
laisse pas
mois.
Article 11 : Le Gouvernement français fait des dons annuels aux Chefs ; la
Reine ou le Commissaire du Roi peuvent toujours renvoyer devant les
grands juges les chefs qui donneraient de justes motifs de plainte contre
les prescriptions de la loi.
Article 12
La condamnation d'un chef entraine de droit
:
Article 13 : Les délégués à
hui-raatira des districts.
Hai raatira
:
sa
déchéance.
l'Assemblée Législative sont nommés
par
les
notable
POUVOIR JUDICIAIRE
Article 14
Le
:
pouvoir judiciaire
se compose
de grands juges et de juges de
districts.
Article 15 : Les Grands juges et juges sont nommés par
Commissaire du Roi et sont convoqués par eux a'ux époques
loi.
la Reine et le
voulues par la
Article 16
: Le Gouvernement français indemnise les grands juges et les
juges. La Reine et le Commissaire du Roi, d'accord, révoquent ceux de ces
officiers civils qui ne remplissent pas leur devoir.
Article 17
:
Le Chef et les
juges de chaque district, choisissent les mutoi
est soumis à l'approba¬
personnes de bonne conduite : ce choix
tion de la Reine et du Commissaire du Roi.
parmi les
Article 18 : Les Imiroa sont nommés par le Chef et les juges de chaque
district.
Les mutoi, indépendamment de la part prélevée sur le produit des frais
d'arrestation que leur accorde la loi, reçoivent une gratification du
gouvernement protecteur quand il
y a
lieu d'être satisfait de leur conduite.
Article 19 : Lors de chaque assemblée des Tohitu à Papeete, il est adressé à
la Reine et au Commissaire du Roi un rapport sur ce qui s'est passé dans le
Société des
Études
Océaniennes
312
M. LERICHE
trimestre précédent.
Article 20 : Lorsqu'il y a vacance dans l'une des fonctions d'Officier public,
la Reine et le Commissaire du Roi en sont informés officiellement par les
autres fonctionnaires du district.
Mutoi
:
Imiroa
Tohitu
:
:
homme de police.
homme de police
subalterne.
grand juge.
DES LOIS
Article 21': Les lois votées par l'Assemblée législative sont d'abord
adressées au Commissaire du Roi qui, avec la Reine, les examine en
Conseil du Gouvernement ; la Reine s'y fait représenter quand elle le juge
convenable.
Article 22
:
L'Assemblée législative désigne deux de
ses
membres
pour
siéger dans le Conseil.
Article 23
:
Les lois examinées et modifiées s'il y a
l'Assemblée législative pour être votées de
lieu sont envoyées à
nouveau.
: Tout projet de loi voté par l'Assemblée législative n'a force de
qu'après avoir reçu la sanction de la Reine et du Commissaire du Roi.
Article 24
loi
Article 25
une
:
Si la Reine
loi, cette loi
ne
ou
le Commissaire du Roi refusent de sanctionner
peut être représentée qu'à la session suivante.
Article 26 : Toute loi qui a été votée dans trois sessions successives de
l'Assemblée législative, et qui dans ces sessions a reçu la sanction de la
Reine ou celle du Commissaire du Roi a de droit force de loi.
Article 27
: Les arrêtés de simple police concernant les
de concert entre la Reine et le Commissaire du Roi.
individus sont faits
Article 28
: Dans l'intervalle de deux sessions, la Reine et le Commissaire
du Roi ont le droit de faire de concert des règlements ayant force de loi,
jusqu'à
qu'ils aient été adoptés ou rejetés par l'Assemblée législative
laquelle ils doivent être soumis, au début de la plus
prochaine session. Toutefois, ces règlements ne pourront porter aucune
atteinte aux lois précédemment adoptées.
aux
ce
délibérations de
Article 29
: Toutes les lois publiées en 1842 et qui n'ont pas été
abrogées par
celles de 1845, ou auxquelles ces dernières n'ont apporté aucune
modification, continuent à être en vigueur, aussi bien que la décision prise
dans l'Assemblée tenue le 8 janvier 1845 qui donne force de loi à tous les
arrêtés pris par le Commissaire du Roi antérieurement à cette époque. Ont
également force de loi tous les arrêtés qui ont été pris de concert entre le
Commissaire du Roi et le Régent Paraita.
Article 30
: Il est bien entendu que dans les lois ou arrêtés
promulgués sous
Protectorat, tout ce qui est relatif au Régent s'applique à la Reine. S.M.
délègue son pouvoir au Régent quand elle se rend dans une autre île.
le
Et
313
LA CONVENTION DU 5 AOUT 1847
FORCE MILITAIRE
Article 31
Il
:
n'y
d'autre force militaire dans les îles de la Société
a
que
les
troupes de S.M. le Roi des Français.
Article 32 : Il peut toutefois être créé un corps de milice
levée et l'organisation ne doivent avoir lieu que d'après
par
l'ordre du Commissaire du Roi qui
Article 33
En
:
cas
en a
indigène dont la
l'autorisation ou
le Commandement.
de guerre ou d'agression étrangère, la Reine met à la
disposition du Commissaire du Roi toutes les forces et toutes les ressources
nécessaires à la défense du pays.
DISPOSITIONS
Article 34 : La haute police des
mains du Commissaire du Roi.
: Toutes les relations
gouvernement protecteur.
Article 35
Article 36
Reine
Aucun étranger
:
sans en
Article 37
îles est placée exclusivement entre les
avec
l'extérieur sont abandonnées
peut entrer
en
communication
avec
au
la
avoir obtenu l'autorisation du Commissaire du Roi
Aucun résident étranger, à quelque titre que ce
soit, ne peut, par
autrement, s'immiscer dans l'administration du pays ou
à des actes politiques.
:
privilège
ne
GÉNÉRALES
ou
provoquer
: Pour attester le Protectorat de la France sur les Iles de la
Société, le pavillon du Protectorat, c'est-à-dire, l'ancien pavillon Taïtien,
écartelé du pavillon français flotte sur les établissements municipaux, et
les points défensifs des îles.
Article 38
Article 39
:
comme signe de son autorité personnelle reçoit du
français et arbore le pavillon du Protectorat avec
Royauté.
La Reine
Gouvernement
l'emblème de la
considérés auprès des puissances
ayant le caractère de consuls ou viceconsuls des îles de la Société et les sujets de ces îles ont droit à leur entière
protection.
Article 40
:
étrangères,
Les consuls français sont
sans
exception,
comme
Cette convention est soumise à l'approbation
de S.M. le Roi des Français
Papeïti, Taïti, en triple
expédition
les jour, mois et an que dessus.
Fait à
Te arii vahine
Le Commissaire du Roi
Gouverneur
signé
:
signé
LAVAUD
Société des
no
te mau
fenua Poteiete
Études
:
POMARE Arii
Océaniennes
314
M. LERICHE
LE GOUVERNEMENT
DU PROTECTORAT
d'après la
CONVENTION du 5 AOUT 1847
I
i
LÉGENDE
►
:
Nomination
>
Proposition
*
Relations diverses
Dons ou indemnités
du gouvernement protecteur
Société des
Études
Océaniennes
comptes rendus
315
Comptes rendus
Heimau, Terii, Buka Aamu no Pouvanaa a Oopa, te Aito Roo Nui,
no te mau fenua motu no Tahiti. (1) Papeete, imprimerie Multipress.
Malgré sa minceur, il faut saluer cette plaquette de 20 pages comme un
bien sûr. Depuis 1817, au
langue tahitienne ont été
imprimés. Mais ce sont presqu'exclusivement des livres à caractère
religieux, écrits par des européens ou traduits de textes en langue
événement littéraire. A l'échelle de Tahiti
moins 200 brochures ou livres, écrits en
européenne.
Pouvanaa, nous avons affaire à une œuvre
authentique tahitien. L'Académie Tahitienne
verra sans doute cette parution avec une certaine satisfaction car elle
récolte ainsi un des premiers fruits des concours littéraires organisés par
elle en 1976 et 1977. En effet, ce livre a remporté en 1977 un deuxième
prix, le premier ayant été réservé. Mais il faut aussi féliciter l'imprimerie
Multipress d'avoir tenté cette publication dont le succès commercial
reste encore hypothétique. Elle constituera du reste un test qui montrera
de quel public peut disposer une œuvre purement littéraire écrite en
langue tahitienne.
Avec le Buka
aamu
no
littéraire écrite par un
Cette plaquette ne représente que
la première partie du livre, deux
paraître. Dans une note liminaire, l'auteur explique
que ce parti a été adopté pour ne pas rebuter les acheteurs par un prix
trop élevé. Effectivement, cette brochure de 20 pages est vendue au prix
tomes devant
encore
complet aurait donc coûté au moins 900 F. Sans doute,
aussi, l'éditeur a-t-il voulu sonder le marché avant d'engager des
dépenses trop importantes. L'éditeur a eu la bonne idée l'illustrer cette
plaquette de dessins au trait dûs au talent de Georges Renard. Ces
gravures naïves remplies d'anachronisme et d'inexactitudes s'accordent
bien au genre littéraire. L'éditeur, par contre, s'est montré impitoyable
pour les yeux des lecteurs. Les caractères, petits, du type égyptien serré,
sont particulièrement difficiles à déchiffrer. Une présentation en deux
colonnes aurait un tant soit peu arrangé les choses, mais, et c'est
étonnant pour une imprimerie de journal, on ne semble pas avoir vu
l'intérêt de cette disposition.
de 300 F. Le livre
(1) Livre de l'histoire de Pouvanaa a Oopa, le prestigieux Aito
Tahiti. (Aito peut se traduire : guerrier, champion, héros).
Société des
Études
Océaniennes
des îles
316
COMPTES RENDUS
Espérons que le lecteur ne sera pas découragé par ce regrettable
handicap, car le livre vaut la peine d'être lu. Qu'on ne s'attende pas y
trouver l'œuvre d'un historien. Il s'agit plutôt du récit d'un conteur, où le
merveilleux et l'épopée fleurissent à toutes les pages. Dès les premiers
paragraphes, le lecteur est introduit dans la légende avec le récit de la
naissance du petit Pouvanaa : enfant au teint clair et aux cheveux
blonds qui, inexplicablement, nait dans une famille de petits noirauds,
reçoit de son grand-père un nom prestigieux mais inusité, etc... A peine
commence-t-il à parler qu'il étonne ses jeunes camarades et ses parents
par son intelligence, sa sagesse, son ingéniosité. Adolescent, il excelle
aussi bien à la pêche au flambeau qu'aux travaux manuels tradition¬
nels. Les rudes aventures dans lesquelles sa fougueuse nature l'entraîne
soulignent là trempe exceptionnelle de son caractère.
Le premier tome s'achève avec l'année 1925. Pouvanaa, revenu de la
grande guerre où il a combattu comme engagé volontaire, commence à
se trouver mêlé à des actions
qui l'opposent à l'Administration :
mouvement de protestation contre une taxe nouvelle, revendication des
anciens combattants pour obtenir justice dans le paiement de leur
pension...
Dans la partie du livre qui n'est pas encore éditée, l'auteur décrit bien
le processus par lequel son héros va se trouver entraîné dans une lutte de
plus en plus serrée avec l'Administration et les classes privilégiées.
Pouvanaa en arrive à la conclusion que pour faire aboutir son idéal de
justice et de défense du peuple tahitien, il n'y a pas d'autre alternative
que la lutte politique pour l'indépendance. On arrive ainsi aux heures les
plus contestées de la carrière du prestigieux leader. Monsieur Teriiheimau risque de s'attirer l'animosité, à la fois des adversaires et des
partisans de l'ancien député, tant le déroulement exact des événements
reste mystérieux et controversé. Nous ne sommes pas assez informés
pour être en mesure de formuler une opinion sinon celle-ci : même si le
récit contient des erreurs, volontaires ou involontaires, l'auteur nous
donne un portrait fidèle du «Metua» : un homme certes peu préparé pour
exercer les responsabilités qui furent les
siennes, mais un homme
profondément désintéressé et courageux, que l'amour de son pays et de
la justice a conduit dans une grande aventure. Qu'on le veuille ou non il
entrera un jour, il est déjà entré, dans la légende. Ceux donc
qui
souhaitent, non point une information rigoureuse sur le déroulement
exact des faits, mais simplement être introduits dans la compréhension
intime de la personnalité de Pouvanaa, liront avec intérêt le livre de
Teriiheimau. Justement les dernières lignes du liminaire nous annon¬
cent une traduction française. Nous ne doutons pas
qu'elle trouvera de
nombreux lecteurs, mais ceux qui lisent facilement le tahitien per¬
draient à ne pas lire ce livre dans cette langue. En effet, Teriiheimau
écrit sa langue maternelle avec une élégance et une correction
remarquable ; c'est de plus, un très bon conteur, qui sait ménager les
effets et maintenir un certain suspens. A la différence de beaucoup de
textes tahitiens, son livre se lit très facilement et sans fatigue. Ancien
pasteur de l'Eglise Evangélique, l'auteur a appris au contact de la Bible
comptes rendus
tahitien exempt des incorrections du parler populaire. Mais
style, sa tournure d'esprit, ses expressions sont
tahitiens. Nul doute que les futurs auteurs de
morceaux choisis pour les éléves des classes de tahitien, ne manqueront
pas d'exploiter ce livre pour y trouver les textes qu'ils désigneront à
à
parler
317
un
même temps son
restés typiquement
en
l'admiration et à l'imitation des élèves.
En résumé, donc, un livre qu'il faut savoir apprécier en dehors de tout
parti pris et de toute passion politique comme un modèle littéraire et
saluer, peut-être, comme un signe avant-coureur qui annonce une
littérature locale d'expression tahitienne.
Hubert coppenrath
Bell, Janet E. et d'autres. Hawaiian Languages Imprints, 18221899. A
XXX, 247
bibliography. Honolulu, University Press of Hawaii, 1978.
p., ill., fac-sim., bibliogr., 21 cm.
Les trois bibliothécaires de Honolulu qui ont contribué à établir cette
remarquable bibliographie linguistique ont découvert plus de 650 titres
de publications en langue hawaienne au long des 78 ans que couvre leur
travail, le XIXe siècle.
hawaïen sont naturellement de fort
écoles : les abécédaires
viennent en tête, suivis de près par des ouvrages scolaires : géographies,
astronomies, sciences naturelles. Un manuel d'anatomie qui nous
présente un squelette, nous le montre les mains jointes et le genoux en
terre : ces travaux sont les œuvres des missionnaires qui doivent d'abord
se pencher sur les enfants, d'où ces catéchismes, ces livres pour l'école
du dimanche, ces récits bibliques et ces très nombreux Ka Lira Hawaii,
ces «Lyres hawaïennes», manuels de chants religieux. D'où aussi,
bientôt, après les Evangiles, le Nouveau Testament des éditions de la
Bible, 1839, 1843 qui font époque. Car ces premiers missionnaires sont
arrivés de Boston avec une presse et des imprimeurs. Les catholiques,
les Pères de Picpus, — Bachelot et Maigret sont les plus connus, — une
fois parvenus à s'installer, font d'abord imprimer en France, par le
fameux Migne, le pionnier des patrologies latines et grecques.
Les
premières impressions
en
modestes travaux destinés à la jeunesse des
hommes. La première vraie
grammaire de la langue de Hawaii date de 1854, elle sera tirée à 1 500
exemplaires. Les manuels de conversation, suivent et sont fréquemment
réédités. On voit par leurs publications l'arrivée des différentes églises
Les Anglicans publient en 1862 le Book of Common Prayer, et leur
Hymn Book. Ils seront souvent réimprimés — et les Mormons et les
L'étude de la langue les intéresse ces
—
Adventistes la même année, 1855.
Société des
Études
Océaniennes
318
comptes rendus
Les livres d'histoire sont rares. Celle de Hawaii par Jules Rémy, qui
fut, je le crois bien, consul de France là-bas, est de 1862. On publie une
vie de Lincoln en 1869, et «Famous Soldiers» en 1886. L'histoire locale
occupe à peine deux ou trois entrées, l'une étant un chant funèbre de
lamentations pour Miriam Likelike, une jeune princesse disparue à la
fleur de l'âge. On discute de l'opium ; on est pour ou contre l'alcool «Little
drops of water, est un «Prohibition song», œuvre de la ligue anti¬
alcoolique des femmes de Hawaii.
Cette savante bibliographie, qui a commencé par des chants d'enfants
s'achève par un
guide destiné à leurs mères. Il est intitulé «la machine à
professeur» et est remis aux dames de Hawaii qui ont fait
l'acquisition, de la machine à coudre «Domestic», la première à parvenir
coudre
sans
à Hawaii. Ce volume est malheureusement classé dans les volumes
portant
pas
de date. Nous
ne saurons
pas,
ne
aujourd'hui, l'âge de la
machine à coudre à Honolulu !
Une érudite introduction
ne nous laisse rien ignorer des différentes
locales qui travaillèrent à Hawaii, de leurs origines et de leurs
imprimeurs.
presses
Patrick
O'Reilly
Schutz, Albert J. (éd.) The Diaries and correspondance of David
Cargill, 1832-1843. Edited with an Introduction and Annotations.
Canberra. Australian National University Press, 1977. XVI-256 p., port,
(front), cartes, bibliographie, 21 cm. (Pacific History Series, n° 10).
David Cargill : un écossais qui passe quelques années à l'Université :
d'Aberdeen pour y poursuivre des études classiques. Elles feront de lui
homme instruit et un linguiste ayant des notions de grec, de latin et
d'hébreux. Il est accepté comme missionnaire par les Méthodistes en
un
1832 et passera
trois années à Tonga de 1832 à 1835, avant d'aller
son existence. Il épousera avant de quitter sa
terre natale, en octobre 1832, Margaret Smith, une compatriote, femme
décidée, qui l'avait entraîné des Presbytériens chez les Méthodistes. Ce
volume nous présente, avec de curieuses, d'abondantes et parfois très
savantes notes, un mélange chronologique de ses lettres et de son
Journal. Nous y trouvons évidemment maints détails quotidiens sur la
vie et les occupations d'un missionnaire du Pacifique dans les années
trente et quarante du siècle dernier : ses joies et ses peines ; les difficultés
rencontrées et les méthodes employées ; ses tracas familiaux et ses
sollicitudes cléricales ; ses succès ou ses insuccès linguistiques. Car les
évidentes capacités linguistiques de David Cargill ne semblent pas
avoir toujours été utilisées à leur juste valeur. Le système de transcrip¬
tion de la langue fidjienne lui doit beaucoup et le «Dictionnaire» et la
travailler à Fidji le reste de
Société des
Études
Océaniennes
COMPTES RENDUS
319
«Grammaire» fîdjienne de Hazelwood, publiées en 1850, sont fondés sur
travaux. Mais il
aura contre lui de ne pas avoir su reconnaître que le
lequel il travaillait n'était pas celui qui, finalement, allait
être utilisé comme langue vernaculaire à Fidji. De ce fait, hormis
quelques éléments imprimés dans des périodiques missionnaires, ni son
dictionnaire, ni sa grammaire n'ont été publiés ; et ses manuscrits
dorment toujours sur les rayons de la Mitchell Library à Sydney, où le
professeur Albert J. Schiitz s'en est allé les étudier.
ses
dialecte
sur
On notera dans cet ouvrage quelques passages exceptionnels. Les
185 à 190, concernant la mort de Mrs Cargill, en juin 1840 sont à
dramatiques et émouvantes. La foi intrépide, la volonté tenace le
courage de cette femme transportée de sa banlieue écossaise à l'autre
bout du monde, dépasse le commun. Il y a là les accents d'un registre
humain rarement ouvert à nos curiosités spirituelles. On y voit ce que
peut être l'âme bien trempée d'une femme forte. Les détails de première
main donnés par Cargill (p. 39-40 ; 158, etc.) concernant le cannibalisme
à Fidji — 260 victimes cuites et mangées par un chef de Bau en octobre
1839
sont à vous faire dresser les cheveux sur la tête. Il a été
également témoin d'étranglement de veuves (p. 38) scènes dont un
voyageur dans le Pacifique, à la même époque, nous a conservé une si
curieuse gravure. Spectacles qui justifient, s'il en était besoin, pour les
esprits les plus antireligieux et les plus laïcs, la prédication de
l'Evangile dans ces parages. On est surpris de constater par ailleurs que
cet homme intelligent, n'a absolument aucune compréhension ni aucun
respect pour la culture indigène, voire même pas la moindre idée de la
valeur de cette culture. La civilisation, pour lui, c'est la Bible + l'English
way of life. Il s'étonne que les fidjiens refusent le confort, les usages et
les moeurs anglaises et qu'ils ne semblent pas désireux de posséder des
poêles à bacon et des bouilloires à thé made in England ; n'acceptent pas
de manger avec des couteaux des fourchettes et des cuillères, comme tout
bon citoyen britannique... Aussi bien sentons-nous chez Cargill un je ne
sais quoi d'inquiétant et de marginal : quelques troubles mentaux,
entretenus peut-être par une certaine propension aux liqueurs fortes.
L'arbre tombe souvent du côté où il penche. Sa fin, rapportée d'une
pages
la fois
—
manière
assez
floue et dont certaines circonstances restent
vagues,
quelque chose de dramatique. On y constate une curieuse et fatale
méprise entre un flacon de laudanum et une bouteille d'élixir parégori¬
que. Il n'est pas invraisemblable que, se sentant incapable de résister à
un penchant pour la boisson devenu irrépressible et ne voulant pas
discréditer en sa personne l'œuvre qu'il servait avec autant de foi que de
grandes capacités, Cargill n'ait pas été en grande partie responsable
d'une mort suicidaire survenue au cours d'une période de grande
dépression, à la fin d'une crise de dengue qui avait sérieusement
amoindri ses capacités de résistance.
a
compte-rendu doit être publié à Tahiti, signalons
Fidji à cette époque. Un chef de
Lakemba, Takai, étant passé à Tahiti et y ayant été impressionné par
Et
puisque
ce
l'influence de teachers tahitiens à
Société des
Études
Océaniennes
320
COMPTES RENDUS
les églises locales et leurs écoles, demanda pour son île des Missionnai¬
res. Plusieurs membres de la communauté chrétienne de Papara se
présentèrent. Deux furent choisis
: Hape et Tafeta. Ils repartirent avec
Fidji. Le missionnaire Davies, qui avait
quelque connaisance de la langue fidjienne leur établit même un petit
abécédaire qu'il fit imprimer — cet abécédaire, disons-le en passant, sera
le premier livre jamais publié en fidjien ! — Deux évangélistes tahitiens
furent donc les introducteurs du christianisme à Oneata, une île située
au Sud-Est du groupe des Fidji où ils travaillèrent de nombreuses
Takai le 2
mars
1826 pour
années et où ils moururent
en
1840.
Patrick O'REILLY
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Études
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 204