B98735210103_201.pdf
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BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES EUDES
OCEKNIENNES
=
Un dialogue établie sur une base de respect mutuel aurait pu
résulter, pour ces Messieurs, en une définition élargie du culte des
images et en une leçon d'humilité.
En effet, la petite hutte juchée haut sur la plate-forme du
marae, qu'était-elle sinon une invitation timide faite au dieu pour
qu'il vienne se loger dans cette Arche.16
L'idole qu'était-ce sinon une perche sculpée où le dieux, si tel
était son bon plaisir, allait se poser et de laquelle, changés les
omens, il pouvait s'envoler à son gré. Perches aussi, quoique à
très grande échelle, les koueriki, ces chênes centenaires des
bosquets sacrés. Conscients de leur atmosphère chargé de
surnaturel, ce fut à coups de hache que ces Messieurs crûrent y
car
peut regretter
en
que
14
Laval décrit une cérémonie païenne, "Une sorte de procession avait lieu en l'honneur de la
déesse Toa-te-Kurio... la statue était portée sur les bras d'un taura (prêtre), tandis qu'un autre,
une lance à la main, ouvrait la marche... La foule, un roseau à la main, se pressait à droite et à
gauche et à la suite de la déesse... On chantait alors
tai"..." Laval, p. 327—328.
15
Laval,
p.
:
"Tera uta tera tai ! tera uta tera
639, n° 18.
16
Cérémonies observées pour offrir une nouvelle demeure à un dieu. "Le deuxième jour, de
minuit à l'aube, le pu ou conque marine retentissait sur le ton le plus solennel possible... On
eut dit qu'il imitait les gémissements d'une longue attente... Les païens se figuraient qu'il
(le pu) appelait leur Dieu Tu, qu'il allait le chercher et qu'il l'accompagnait dans sa descente
sur le marae." Laval, p. 323.
17
"...arbres dont les rejetons, d'une taille énorme, étaient encore debout à l'époque où le
christianisme les a fait abattre pour construire nos églises et pour enlever à ce peuple jusqu'au
souvenir de ces antiques centres de leur culte idolâtre." Laval, p. 6.
Société des
Études
Océaniennes
50
JEAN CHARLOT
combattre les dieux.17
Comme ce fut le cas avec la flore et la faune locales, la présence
prolongées de ces étrangers intransigeants tourna en désastre
pour l'écologie sacrée des îles. Un doute dut assaillir les prêtres
païens : ces visiteurs, manipulant habilement les instruments
d'une civilisation matérielle plus avancée que la leur, n'étaientils pas néanmoins des barbares, confondant comme ils le
faisaient l'image avec la réalité, l'arbre avec l'empyrée, l'idole
le dieu ?18
Aux parallèles des rites il faut ajouter celui des dogmes, ou
plutôt d'usages qui tous s'ordonnent autour de cette réalité qu'est
l'au delà. Déjà mentionné est le fait que les premiers efforts des
missionnaires visaient à découvrir et à baptiser les enfants
moribonds. Aussitôt mort, on enterre le petit cadavre "à la mode
de chez nous". Du Paradis où elle est maintenant, cette âme
intercédera pour la conversion des païens.19
Ces adultes, ni bons marcheurs, ni bons grimpeurs, ni bons
avec
traversant hors d'haleine monts et baies et bras de mer
si par chance ils arrivaient à temps, ondoyer un petit
malade qui demain sera un petit cadavre, qu'en pouvaient penser
rameurs,
pour,
les insulaires ?
En fait, entre eux et ces étrangers littéralement incompré¬
hensibles, ces activités en apparence incongrues créèrent un
premier lien de compréhension. C'est que les prêtres païens, eux
aussi, soulignaient l'importance spirituelle qui s'attache à la
mort des tout petits. Us allaient même plus loin que les chrétiens
car ils agençaient d'importantes cérémonies en honneur de ce
que Laval appelle la divinisation d'un fœtus avorté ; un fœtus,
c'est-à-dire ce morceau de chair humaine plus informe et
pitoyable que même un enfant mort-né.20
Insulaires et missionnaires s'accordaient à distinguer le corps
mortel de l'âme immortelle. Les détails divergaient. A l'idée que
chaque race se faisait de l'au-delà correspondaient des modes
funéraires distincts.
L'insulaire, lui, s'attachait au cadavre avec une intensité de
nécrophile. Depuis les premiers lavages et frottages, suivis de
l'exposition publique et l'emmaillotage dans des linceuls
multiples, chaque phase de la décomposition était observée,
caressée presque. On désemmaillotait de temps à autre le mort de
18
se
Un fait parallèle : Capitaine Cook, aux îles Sandwich, demandant du bois de chauffage et
scandalisant de recevoir, de la main même des prêtres, un lot d'idoles périmés.
19
Laval décrit le premier baptême, "La petite Marie ne survécut que deux jours à son
baptême et elle fut enterrée le 18 (août 1834) avec toutes les cérémonies de l'Eglise... C'était sur
cette tombe, aux pieds de la croix de ce petit ange, que ces Messieurs, venaient ensuite réciter
leur bréviaire." Laval, p. 25.
20
L'acte central était l'entrônement d'un devin qui rendait les oracles. Il y avait
incidemment une transubstantiation d'eau de mer en sang. Laval remarque, "Ce changement
de mer en sang a tout l'air d'une fameuse jonglerie." Laval, p. 332—336. Les cérémonies
duraient cinq jours.
INTRODUCTION AU JOURNAL DE MGR. MAIGRET
51
de papyri pour s'assurer de ce que chaque stade vers le
procédait dans l'ordre préordonné. La putréfaction des
chairs, la momification partielle, la désarticulation des jointures,
le séchage des os, de tout cela les vivants étaient témoins.
Rapetissé à chaque phase le volume du ballot funéraire, il
prenait enfin sa place au foyer, dans la case à coucher de la
famille, côte à côte avec les dormeurs.21
son cocon
néant
Cet intense intérêt concernant la chimie de la mort
n'impliquait nullement la négation de l'âme mais soulignait
deux sorts autonomes. Le corps restait chez soi. L'âme, elle,
partait au loin, protégée par quelque dieu ou déesse qui repayait
ainsi la pieuse observance des rites. Quoique guidée, l'âme devait
user d'une caution extrême en traversant la contrée du po
uli,
baignée dans le bleu profond d'une nuit sans aurore.
Si l'insulaire apparaissait aux yeux des missionnaires un
nécrophile, l'enterrement, ce rite nouveau que ces Messieurs
introduirent comme un pas de plus vers la civilisation, aux yeux
neufs des insulaires pouvait bien paraître le fait de nécrophobes.
Le décorum observé ne cachait pas le fait central : avant même
que les signes de la mort soient devenus insistants on
s'empressait de cacher le cadavre dans une boîte et puis sous
terre, avec sur la fosse refermée une lourde dalle qui, entre le
cadavre et les vivants, s'érigeait comme une porte scellée. Ce qui
se passait dans le cercueil il était tabu de le mentionner et même
d'y penser. Les symboles adoptés n'avaient rien à voir avec la
physique de la mort mais illustraient cette nouveauté, attrayante
en soi, que les missionnaires appelaient la résurrection, c'est-àdire une métamorphose précisément au rebours de cette
dissolution des corps dont les insulaires avaient été les
spectateurs intéressés au long des générations.
L'introduction soudaine de conceptions chrétiennes dans ce
monde océanique posait des problèmes. En pratique, il s'agissait
d'énoncer des concepts neufs dans une langue imparfaitement
apprise, en termes que même enfants et sauvages pouvaient
comprendre.22 Il fallait simplifier les dogmes et, pour le moment,
politiquement, passer sous silence les plus scabreux. La
résurrection que ces Messieurs annonçaient menait droit au
Paradis.23
Prêcher les articles de la foi était routine pour le missionnaire,
mais ce qu'il disait frappait les indigènes avec une force qui
21
Laval, ethnographe, malgré son désir d'objectivité, ne peut cacher sa répulsion, "Les
taura-tao'i, vrais croque-morts du pays... commençaient leurs fonctions dégoûtantes..."
Laval, p.363.
22
Ces Messieurs n'étaient guère disciples de Rousseau qui, lui, croyait le sauvage un modèle
se considère "...sur un sol étranger, dans une île lointaine, au
milieu d'un peuple
à suivre. Laval
presqu'au dernier échelon de l'espèce humaine." Laval,
p.
60.
23
"Comment, disaient-ils, je reverrai mon père, ma mère et ses aïeux, qui sont morts ? et je
les reverrai dans le corps qu'ils avaient autrefois ? Mais oui, disions-nous. Us n'en revenaient
pas !" Laval, p. 64.
Société des
Études
Océaniennes
52
JEAN CHARLOT
surprenait même le prêcheur. Un jour, père Maigret, dans ce
language de Ponapé qu'il parlait pire que le mangarevien
amorça, pour intéresser un vieillard, quelque idée des peines
éternelles. Le vieux s'enfuit en hurlant. "Qu'est-ce qu'il lui
prend", s'étonna Maigret, "C'est un fou !".24
A Mangareva, quand le temps vint de dérouler le panorama
des dogmes dans sa totalité, les insulaires dûrent restreindre les
sentiments de joyeuse surprise avec lesquels ils avaient accueilli
l'annonce initiale d'une résurrection. Au
son
de la trompette,
marine des civilisés, l'Archange Saint Michel, une
balance de pharmacien à la main, allait peser chacune de nos
actions avec cette rigueur toute paternelle dont le père Laval, dès
ici-bas, donnait à ses ouailles un avant-goût. Et les fulminations
célestes promettaient d'être encore plus sévères que celles du bon
père et de durer beaucoup plus longtemps ! Dès cette vie alors on
agira avec caution, conscient du Ciel et de l'Enfer comme l'est la
mule du paysan de Coimpy de la carotte et du gourdin.25
Ces signes intérieurs d'une avance vers la civilisation furent
suivis sans tarder de signes extérieurs, "M. de la Tour trouva
moyen de commencer des chapeaux tressés...qui représentaient
assez bien nos chapeaux de paille...Peu à peu il passa à la coupe
des pantalons et des robes. Puis à celle des gilets, des redingotes
et des habits à la 1830. Les femmes trouvèrent aussi moyen de
faire des châles et des mouchoirs de cou, qui étaient à la mode en
Europe.26
L'instauration du travail journalier ajouta à l'illusion d'être
autre part que dans un archipel de l'Océanie. Devenus casseurs
de pierres, scieurs de long, charpentiers, menuisiers et maçons,
les hommes élevaient de beaux bâtiments en pierre de taille et
couvraient les îles de routes pavées. Pour les femmes on organisa
des ateliers de filage et de tissage. Les Gambier devenaient
presque un mirage quelque peu déformé de cette France à
laquelle ces Messieurs ne cessaient guère de penser !
Il serait na'if de souligner l'absence, dans les mémoires de
Laval aussi bien que dans le journal de Maigret, de certaines
tendances dont notre époque fait grand cas mais qui ne
pouvaient être ni devinées ni appréciées à l'époque. Pour nous
Vatican II rasa ou tout du moins amincit les partitions séculaires
dressées entre les églises chrétiennes. En 1830, si quelque avantcette conque
24
Cet après-dîner j'ai parlé des fins de l'homme à un vieillard après lui avoir parlé de la
grandeur de Dieu ; il a été si éffrayé que je n'ai pu le retenir ; je m'en vais, disait-il, je m'en
vais. Un instant après les enfants sont venus auprès de moi ; le vieillard a jeté un cri qui a fait
sauver les enfants, il est venu près de ma demeure et a lancé une pierre contre mon pou¬
lailler et s'est enfui. J'ignore la cause de tout cela." Journal, entrée du 30 janvier 1838.
25
"Jadis ils ne connaissaient ni la récompense de la vertu, ni le châtiment du crime dans
l'autre vie ; mais une fois régénérés dans les eaux sanctifiantes du baptême, ils se mirent à
redouter le mal avec la punition du mal, et à souhaiter d'être vertueux pour être récompensés
dans le séjour des bienheureux." Laval, p. 140.
26
Laval, p.202.
53
INTRODUCTION AU JOURNAL DE MGR. MAIGRET
se fit jour parmi les théologiens ce fut bien plutôt
prémonition du triomphalisme qui prendra corps et
substance en 1871 avec la proclamation du dogme de
goût du futur
une
l'Infaillibilité. Peut-on alors s'étonner et encore moins se
scandaliser de voir nos missionnaires s'attaquer avec une égale
ferveur au Diable, à ses diables, à Luther, à Calvin, et même au
Congrégationiste Mister Nobbes, leur prédécesseur par quelques
mois aux Gambier.
Cette intransigeance qui aujourd'hui nous est un irritant
souvenir offrait en pratique un puissant levier d'action. La
stricte construction donnée au dictum "Hors de l'Eglise point de
,
pratique n'exigeait rien moins que de
l'héroïsme. Harassés qu'ils étaient de travaux, ces Messieurs
trouvaient des forces supplémentaires, traversant monts et baies
pour arriver aux côtés d'un malade, si humble fût-il, un nouveauné malformé, une vieille gâteuse, ou même un cadavre encore
chaud.27 A ces païens condamnés par leur état même de païens
aux peines éternelles, avec un peu d'eau au creux de la main on
apportait, si par chance on arrivait à temps, la joie sans fin !
Le missionnaire d'antan visa droit à l'âme. Au débarqué, la
nudité des indigènes scandalisa les nouveaux venus. Sans même
attendre l'arrivée de Valparaiso d'un don d'aunes de calicot, ils
dirigèrent sur-le-champs la destruction d'arbres à pain. De
l'écorce on fit du tapa, le papier-étoffe des indigènes, pour couvrir
au plus tôt ces nudités peccamineuses. Ainsi modestement voilé,
l'insulaire voyait détruire une partie substantielle de ses
provisions de bouche ,zs
Avant l'arrivée de ces Messieurs, le mangarevien, pêcheur et
plongeur qu'il était, se sentait également à l'aise soit en mer soit
sur terre. Baptisé, ce corps habile, maintenant empêtré dans son
âme, cessera d'être amphibien. Si deux fillettes, isolées sur une
roche à marée haute se noient parce qu'elles refusent de se mettre
à nu pour nager au rivage, la remarque du missionnaire qui
reçoit la nouvelle est qu'elles ont mésentendu la règle du jeu.29
Les éditeurs des mémoires de Laval, Colin Newbury et le père
O'Reilly, ont traités en détail les activités si variées de la mis¬
sion : l'économie des îles, les rapports entre l'Eglise et l'Etat, la
lignée royale, la situation démographique. Le thème de l'art est
représenté par l'architecture civique et religieuse et la poésie du
père Laval.
salut",
27
pour
le mettre
en
Journal, entrée du 2 juin 1835.
Laval, lettre du 19 janvier 1836, publiée dans APF, X, p. 168—192 : "J'insistai beaucoup
l'obligation de ne plus aller nus... mes paroles leur inspirèrent une grande ardeur pour se
fabriquer de la tappe... Ah ! si un jour ils n'étaient plus obligés de détruire, pour couvrir leur
nudité, les arbres d'où dépend leur existence, comme ils béniraient leurs bienfaiteurs !".
Cette version, publiée en France pour être distribuée et lue par des âmes charitables, fut peutêtre quelque peu embellie. Le sauvage nu prêt à souffrir la faim pour conserver sa décence est
une image bien faite pour toucher les cœurs et les bourses.
28
sur
29
Littéralement, "Elles auraient dû
penser
Société des
qu'à l'impossible nul n'est tenu." Laval,
Études
Océaniennes
p.
204.
54
JEAN CHARLOT
Pour
au
compléter
ce
tableau, et quoique
ce
soit plutôt
un
négatif
crédit des missionnaires, il faut cependant ajouter quelques
remarques sur
l'art indigène des îles, considéré à notre époque
l'un des sommets esthétiques de l'art polynésien.30
Laissant de côté les raisons pastorales, il serait par trop
artificiel de nous indigner du fait que les missionnaires
n'admirèrent guère les idoles. On est en 1830, et ce n'est que vers
la fin du siècle que Paul Gauguin prendra au sérieux l'art de
Tahiti et des îles Marquises. Même à cette date, cela restera une
excentricité isolée et mal vue. Il faut attendre l'aube de notre
siècle et les distortions du cubisme pour que se fasse jour une
appéciation positive pour ce qu'on appelait, il n'y a pas encore si
longtemps et bien à faux, "l'art nègre" !
Ces Messieurs n'étaient point prophètes. Enfants de leur
époque, Laval et Maigret travaillaient dur à propager, comme un
indispensable accessoire de la vraie Foi, le goût de ces
bondieuseries médiocres dont notre génération saura se passer.
Les missionnaires ne pouvaient s'expliquer l'entêtement de
certains des insulaires à n'embrasser le bon goût qu'avec
caution. L'art importé pour illustrer la vraie doctrine, est-ce qu'il
n'était pas d'une beauté ravissante, par exemple cette image de
la Belle Dame qui est aux Cieux, dont les roses et les bleus
célestes orientèrent tout un village vers la vrai Foi.31
Par contre, et de toute évidence, est-ce que les sculptures
païennes, elles, n'étaient pas aussi laides qu'indécentes, leur
nudité monstrueuse reflétant la laideur même de Satan, ce
tiaporo père de tous les vices.32
Il y a cent cinquante ans ce raisonnement a pu convaincre,
mais pas aujourd'hui. Les images qui conjuraient pour ces
Messieurs des visions célestes n'étaient que des copies de copies,
les moins mauvaises de faibles pastiches de Raphaël et de
Murillo. Quant aux facettes les moins agréables de notre sainte
religion, cet art peureux les passe sous silence. Les plaies mêmes
des martyrs, on les a rougies si discrètement que, plutôt que du
sang, c'est de la confiture.
Par contre la laideur des idoles aujourd'hui nous apparaît
belle, d'une beauté que rehausse encore plus la fadeur des plâtres
coloriés qui, hélas, ornent aujourd'hui comme hier nos églises de
30
une
C'est un détail d'une sculpture mangarevienne qui fut choisi pour servir de frontispice à
anthologie des arts de toute la Polynésie, "Edward Dodd, vol. 1, Polynesian Art, New
York, 1967."
31
"...il arriva que le père Caret ouvrit son bréviaire... C'était à l'endroit où se trouvait une
image de l'Assomption. Ces gens voulurent savoir ce que c'était. Ce sont, répondit le père
Caret, les yeux de Maria... et cette Maria, ajouta-t-il, est une femme très bonne qui maintenant
est au ciel. Alors tout le monde voulu voir et contempler les yeux de cette femme si bonne qui
était au ciel. Les hommes voulaient que leurs femmes et leurs filles vissent Maria. Les mères la
faisaient voir à leurs enfants. C'était un moment tout extraordinaire..." Laval, p. 52.
32
"C'était des statues grossières faites à coup de hache, de la hauteur d'un homme et toutes
horriblement indécentes." Journal, entrée du 29 juillet 1835.
INTRODUCTION AU JOURNAL DE MGR. MAIGRET
55
missions. Affaire de
mode, dira-t-on. Et pourtant est-ce qu'il n'y a
air de famille entre la terribilita de Michel-Ange,
déferlant sur le mur absidal de la Chapelle Sixtine, et cette
primitive terribilita des sculpteurs polynésiens.
Loin de la France, les missionnaires se rappelaient avec
ferveur tant d'épisodes et de héros de leur Histoire de France, et
ce premier de tous, Saint Denis, Evêque et missionnaire. Dans
l'acte de baptiser Clovis n'avait-il pas ajouté cette objurgation,
"Adore ce que tu as brûlé et brûle ce que tu as adoré !". Eux aussi
étaient missionnaires en pays païen et s'apprêtaient à baptiser
un roi. A leur cas la première partie du dit du Saint Evêque ne
s'appliquait guère, mais la seconde promettait d'autant plus que
ces idoles, toutes en bois dur et bien sec, était déjà en forme de
bûches. De la bûche au bûcher il n'y avait qu'un pas à faire.
Maigret, dans ses notes journalières, s'en tient aux faits. Mais
l'entrée du 6 juillet 1835, exceptionnellement, peut aussi
s'entendre comme symbolique, "Dans ce moment on allume un
bûcher pour les brûler tous ensemble (les faux dieux). On y
mettra même les restes de celui qui a brûlé toute la nuit devant
notre cabane et qui a servi à faire chauffer les tisanes de M.
Cyprien."
pas un
Monsieur Cyprien, c'est Antoine Liausu, prêtre mais aussi
médecin. En effet, il a suivi à Paris les cours du fameux docteur
Récamier "dans le désir de se rendre utile aux sauvages". Dans le
il représente la science, et c'est la Science qui sera,
du progrès. Les
idoles, elles, sont l'image évidente de l'obcurantisme. La Science,
représentée par les tisanes de Monsieur Cyprien, juchée sur les
cendres de l'ignorance, quel tableau !
Entre le jour où Maigret écrivait et l'aujourd'hui les valeurs ont
changé. Les tisanes chaudes nous laissent froids. Par contre, on
ne peut que déplorer un zèle qui détruisit sans s'en soucier tant
d'oeuvres d'art qui feraient aujourd'hui l'orgueil de nos musées.
Il semble bien que, dans le cas des Gambier, l'indigène passa
docilement de l'appréciation d'un art héroïque à celle d'un art
fadasse. A moins que, comme il arriva dans l'Amérique latine,
les dévots du beau Saint Michel Archange terrassant un Diable
cornu ne trouvèrent bon de prier et à l'un et à l'autre, au cas où les
péripéties du corps-à-corps tourneraient.
petit
groupe
au cours
du siècle, le symbole de la civilisation et
Le missionnaire de 1830 suivi le goût de son époque. Le
missionnaire du temps présent, lui aussi, accepte l'esthétique à la
mode, mais les vents ont tournés. Au lieu de le dédaigner, il fera
un effort sincère pour apprécier l'art des indigènes à sa charge.
Cela marque un progrès dans l'histoire du goût mais, pour le
missionnaire, cela aussi a ses inconvénients. S'il est logique,
cette attitude éclairée ne pourra que mettre un frein à son zèle,
puisque tout art valide enfonce ses racines au plus profond d'une
Société des
Études
Océaniennes
culture et de croyances que,
est de transformer.
dans
ce cas,
le rôle du missionnaire
Jean CHARLOT
Société des
Études
Océaniennes
Oranges,
citrons et
pamplemousses
à Tahiti.
Le genre des Citrus est représenté en Polynésie Française par
les espèces suivantes :
Le Citronnier, Citrus medica L. ou Citrus limon (Taporo)
—
L'Oranger doux, C. aurantium L. ou Citrus sinensis Persoon,
(■anani)
L'Oranger amer ou Bigaradier, C. Bigaradia Risso
Le Mandarinier, C. nobilis Lour, ou C. reticulasts Blanco
Le Cédratier, C. médica L. (hitoro)
Le Lime acide, C. aurantifolia Swingle
Le Pamplemoussier, C. grandis Obseck ou Grape-fruit ou
—
—
—
—
—
—
C. decumana.
Seuls présentent une importance économique l'Oranger doux,
le Citronnier et le pamplemoussier. Les autres Citrus sont peu
répandus.
I
-
L'ORANGER -"TE TUMU ANANI"
L'oranger fut introduit à Tahiti par le capitaine Cook, qui en
planta quelques pieds à Matavai, district de Haapape, près de la
pointe Vénus. Ces arbres vivaient encore en 1880.
Trouvant à Tahiti des conditions écologiques idéales, l'oranger
se répandit rapidement dans toute l'île, sur les plages, dans les
vallées et sur les montagnes. La dissémination fut l'œuvre des
indigènes, qui, appréciant au plus haut point ce nouveau fruit, en
firent rapidement une grande consommation, non seulement
chez eux, mais aussi pendant leurs randonnées dans les hautes
vallées de l'intérieur à la recherche des feïs, des ignames
sauvages et des chevrettes. Les pépins, germant là où ils étaient
jetés, donnèrent naissance à ces magnifiques bosquets que l'on
rencontrait partout au siècle dernier.
Pendant plus de cent ans, sans aucune greffe, sans aucun soin,
Tahiti et les îles voisines produisirent d'énormes quantités de ces
oranges délicieuses, énormes, à peau fine, à pulpe très juteuse,
probablement les meilleures du monde.
Société des
Études
Océaniennes
58
PAUL PETARD
La maturité s'échelonnait de janvier à août. Les voiliers
anglais ou américains en provenance de Californie, arrivaient
généralement en février. Chacun d'eux mouillait dans une baie à
proximité d'un village et une grande case était construite au lieu
d'embarquement.
Les insulaires se divisaient en plusieurs groupes. Pendant que
les uns procédaient à la cueillette et au transport des fruits
jusqu'à cette case, les autres fabriquaient de grandes caisses à
claire voie, très légères avec des branches de purau réunies au
moyen de lanière d'écorce du même arbre. Elles devaient
contenir chacune 500 ou 1000 oranges.
Les fruits, récoltés encore verts ou jaune-verdâtres, de façon à
atteindre leur complète maturité en 3 semaines, étaient triés,
comptés, enveloppés un à un dans des feuilles sèches de
pandanus, et disposés avec précautions dans les caisses que des
pirogues
paiement
baleinières emmenaient jusqu'au navire. Le
faisait moitié en argent, moitié en marchandise, sur
la base de 25 frs le mille, rendu à bord.
ou
se
Chaque année l'archipel de la Société exportait
vers
la
Californie de 5 à 7 millions d'oranges, représentant de 1250 à
1750 tonnes. Des quantités beaucoup plus fortes étaient
sur place. En outre les Tahitiens préparaient en
cachette, dans les fonds des vallées, un vin d'oranges, Ava
Anani, en pelant les fruits, en exprimant le jus, en le filtrant et le
laissant fermenter un couple de jours dans un baril ou dans de
gros tubes en bambous soigneusement dissimulés dans la
consommées
brousse.
La préparation de cette boisson était interdite par la police, en
raison des orgies accompagnant ces libations, dont Cuzent a
retracé les péripétie d'une façon très pittoresque.
C'est aux environs de 1870 que l'Oranger de Tahiti a
commencé à subir les attaques d'insectes, des cryptogames et des
effets de diverses carences minérales.
A la fin du siècle, il ne restait plus,sur les plaines côtières, que
des pieds isolés, plus ou moins malades, les bosquets avaient
disparu. A leur tour furent frappés les arbres de la vallée, et seuls
demeurèrent indemmes les orangers poussant en altitude, audessus de 300 mètres.
A notre arrivée à Tahiti, en 1937, on ne voyait plus d'orangers
indigènes vivants
sur
la plaine côtière. Dans les grandes vallées
rencontrait çà et là quelques pieds, en très mauvaise
condition. Par contre les grands peuplements de l'intérieur de
l'île : plateau de Tamanu, vallons et pentes de l'Aorai, étaient
formés d'arbres vigoureux, très productifs, continuant a se
on
reproduire spontanément. Malheureusement beaucoup
d'orangers de montagne ont péri pour une autre raison : étouffés
par le lantana.
59
ORANGES, CITRONS ET PAMPLEMOUSSES
que les maladies étendaient leurs
la Californie développait ses propres plantations,
les E.F.O. cessaient d'exporter en Amérique puis devenaient un
pays importateur.
Actuellement l'orange de Tahiti, confinée en montagne, dans
un micro-climat lui permettant de survivre presque miraculeu¬
sement, toujours sans aucun soin et sans aucun engrais, est
Bien
entendu à
ravages,
et
mesure
que
devenue un article de luxe. Un filet de 23 fruits se vend 700 francs
C.F.P. La production annuelle ne dépasse pas trente tonnes
tandis que chaque année le territoire importe de l'étranger,
principalement de Californie, près de 700 tonnes de fruits. La
maturité s'échelonne de mars à octobre.
Dès 1938, le Service de l'Agriculture a entrepris
des plantations
expérimentales d'autres variétés de C. aurantium, greffées sur
bigaradier. Les arbres sont traités régulièrement par des
pulvérisations insecticides, ils reçoivent des épandages
d'engrais, pour parer aux carences en éléments minéraux.
D'autres plantations ont été entreprises postérieurement par des
particuliers.
Malgré tous les soins dont ils sont l'objet, ces arbres
fournissent des fruits à peau terne, couverte de taches
provoquées par des champignons, à la pulpe plus fibreuse et
moins juteuse, aux dimensions plus modestes que l'orange
indigène, et les Tahitiens préfèrent de beaucoup celle-ci.
Ils emploient les feuilles et les jeunes pousses pour le
traitement des contusions, fractures, entorses et foulures
associées comme toujours à d'autres plantes :
Raau Fati
:
34 feuilles d'oranger
34 feuilles de citronnier,
3 bols d'eau froide
complètement développées
Broyer les feuilles, placer la pulpe dans un linge propre,
exprimer le suc en tordant l'étoffe, le mélanger à l'eau, diviser le
liquide en deux parts. Boire chaque jour pendant 3 jours une
hauteur de 2 pouces mesurée dans un verre, avec le reste,
pendant 3 jours également, imprégner des compresses que l'on
applique sur la région malade.
Raau Mauiui oi te rima :
Une poignée de jeunes pousses de goyavier
Une poignée de jeunes pousses d'oranger
Une poignée de jeunes pousses de citronnier
Une jeune tige de cocotier variété Oviri débarrassée
de son
épiderme
L'eau de six noix de coco vertes
Même mode de préparation que ci-dessus.
chauffer jusqu'à ébullition boire
Société des
en
Études
Sucrer le mélange,
plusieurs fois.
Océaniennes
60
PAUL PETARD
La dernière forêt
d'orangers indigènes, couvrant près de 5
trouvait dans la petite île volcanique de Mehetia,
située à 60 milles à l'Est de Tahiti. En 1945, grâce à leur
isolement, ces arbres avaient échappé à la plupart des maladies
décimant ceux des grandes îles, et plusieurs tonnes de fruits
furent récoltés et acheminés sur Papeete.
A partir de 1950, les orangers de Mehetia ont commencé à périr
de vieillesse. Les jeunes pieds provenant des pépins germant sur
le sol n'ont pu se développer, leurs feuilles étant dévorées par les
chèvres sauvages. Actuellement la brousse a pris la place de cette
forêt relique, et Mehetia ne possède plus qu'une cinquantaine de
pieds, situés sur les flancs du volcan à une altitude d'environ 300
hectares,
se
mètres.
II
-
LE CITRONNIER
-
"TE TUMU TAPORO"
Dans toutes les îles, les habitants consomment de grandes
quantités de jus de citron surtout pour la préparation du poisson
cru.
Comme le citronnier se développe mal dans les sables
coralliens, les indigènes des Tuamotu creusent des fosses, les
remplissent de débris végétaux mélangés à de la terre noire
venant de Tahiti, et y plantent des Uru et des Taporo.
Au siècle dernier les citronniers étaient très abondants, très
productifs, et chaque année des quantités de fruits pourrissaient
sur le sol. Puis les maladies sont arrivées, avec le développement
des liaisons maritimes, aériennes entre la Polynésie et le monde
extérieur, et aujourd'hui la production locale de citrons est
inférieure à la consommation. Le citronnier résiste mieux que
l'oranger aux parasites qui infestent les îles, mais, s'il n'est pas
peu de fruits.
Le citron local est très différent de celui que
soigné, il végète et donne
l'on consomme en
Europe, et aux U.S.A., qui provient de Californie, d'Italie et
d'Afrique du Nord. Sa surface est lisse, il est plus petit, presque
sphérique, à peine mamelonné. Son parfum et sa saveur sont
différents. Son diamètre moyen est de 4 centimètres son poids
dépasse rarement 75 grammes, il est le plus souvent compris
entre 30 et 60 grammes.
Pour la préparation du poisson cru, les indigènes préfèrent le
fruit vert. Nous avons comparé les valeurs du PH+ des fruits
verts et des fruits mûrs, au moyen du PH mètre de Beckmann, en
opérant sur le jus à la température de +20°
Valeur
Jus de citrons verts
Jus de citrons jaunes
en
C.
PH+
2,20
2,12
La différence est très faible, et le fruit mûr peut parfaitement
remplacer le fruit vert dans tous ses emplois. Il n'existe pas à
ORANGES, CITRONS ET PAMPLEMOUSSES
61
notre
connaissance, dans tout le territoire, de grandes
plantations de Citrus medica. Les arbres sont disséminés dans
les cocoteraies, ou dans les jardins, on trouve exceptionnellement
4 ou 5 pieds réunis à proximité d'une case. La cueillette se fait au
moyen d'une perche, rou, plutôt qu'à la main, car les jeunes
rameaux porteurs de fruits sont couverts d'épines acérés dont les
piqûres sont très douloureuses.
La plupart des arbres cessent de produire pendant 2 ou 3 mois,
ordinairement durant la saison sèche.
Le citronnier sans épine a été importé depuis longtemps,
malheureusement il est encore peu répandu. Un petit verger créé
par Clément Coppenrath existe à Fautaua à proximité de
Papeete. Il ne se distingue du citronnier commun que par
l'absence d'épines, les feuilles et les fruits des deux variétés sont
semblables. Mais la variété sans épine donne des fruits toute
l'année sans interruption.
Les Tahitiens distinguent deux sortes de citrons locaux, qu'ils
qualifient de mâles et femelles. Cette distinction ne repose sur
aucun caractère botanique.
Le citron mâle, taporo otane, a une forme plus allongée, il est
plus sec. Le citron femelle, taporo ouahine, a une forme plus
arrondie, il est plus juteux. Un même arbre donne toujours soit
des fruits "mâles", soit des fruits "femelles". Dans la plupart des
recettes de médicaments, le sexe du fruit est indiqué.
Le zeste du citron renferme une essence composé surtout de
terpènes, principalement d-limonène ; son constituant
caractéristique qui lui donne son odeur, est le citral. Cette
essence est surtout fabriquée en Calabre et en Sicile. On l'utilise
en parfumerie, notamment pour la préparation de l'Eau de
Cologne.
La pulpe du citron, riche en acide citrique et en vitamine C, a
des propriétés artiscorbritiques, astringentes, diurétiques et
rafraîchissantes. La médecine européenne emploie le jus, en
gargarismes, contre les angines. La cure de citrons est
recommandée aux rhumatisants et aux hépatiques.
Le citron joue un rôle important dans la pharmacopée
polynésienne. Nous avons relevé plus de vingt formules dans
lesquelles interviennent soit le jus ou la pulpe des fruits, verts ou
mûrs, soit les feuilles ou les jeunes pousses, rarement seuls, le
plus souvent associés à d'autres plantes.
A
—
MEDICAMENTS PREPARES UNIQUEMENT AVEC CITRUS MEDICA
Remèdes contre la dysentrie (Raau Hi toto) :
Extraire le jus de 5 citrons, ajouter du sucre, faire cuire, laisser
tiédir et boire par petites gorgées.
Traitement de l'aménorrhée (Raau Vari hea) :
3 citrons mûrs
—
—
Société des
Études
Océaniennes
62
PAUL PETARD
L'eau de 1 coco mûr, Opaa
Presser les citrons, recueillir le
jus dans l'eau de coco.
Mélanger, verser dans une casserole, chauffer jusqu'à ebullition,
ajouter 1 cuillerée à soupe de sucre, laisser refroidir, boire en 2
fois dans la journée.
Répéter le lendemain.
—
Traitement des foulures :
Humecter 2 fois par jour la partie enflée avec de l'eau puis
frotter avec un citron coupé en deux. Saupoudrer de sel de
cuisine, laisser sécher. Recommencer chaque jour jusqu'à
disparition de la douleur et de l'enflure.
B
-
MEDICAMENTS PREPARES AVEC CITRUS MEDICA ET D'AUTRES
PLANTES
Les feuilles entrent dans des remèdes contre les contusions, les
convulsions, les céphalés. Les jeunes pousses pour le traitement
des foulures, lochies, Raau toara.
Les fruits mûrs : empoisonnements par les poissons,
intoxications chroniques par l'alcool, hernies, insuffisance
hépatique. Les fruits verts : taches cutanées, insuffisances
ovariennes.
III
-
LE PAMPLEMOUSSIER
Lors de son second voyage aux Iles de la Société, le capitaine
Cook amena de nombreuses plantes utiles, notamment des
Citrus, et parmi
ces
derniers, des pamplemoussiers et des
orangers.
Les premiers ne se répandirent pas dans toute l'île comme les
seconds. Dans certaines vallées, notamment Fautaua, on
rencontre encore les descendants de ces arbres. Leurs fruits sont
de mauvaise qualité, la pulpe est sèche et acide, la peau très
épaisse.
D'autres importations de diverses variétés
de pamplemoussier
eurent lieu à des
époques plus récentes. Quelques pieds
parvinrent à l'âge adulte et produisirent des fruits, le plus
souvent très acides et ne pouvant être consommés qu'avec
beaucoup de sucre.
Pour remplacer les orangers décimés par les maladies, le
professeur Harrison W. Smith, retiré à Papeari, voulut doter
Tahiti d'une pamplemousse de bonne qualité. Son choix se porta
sur la variété Sarawak. Nous empruntons à un rapport de M. J.
Boubée le récit de l'introduction et de l'acclimatation de cet arbre
extraordinaire qui est devenu l'une des richesses de la Polynésie
Orientale.
HISTOIRE DU PAMPLEMOUSSIER DE TAHITI (citrus decumana)
En 1919, étant en vue
des côtes de Bornéo, entre Kuching et
ORANGES, CITRONS ET PAMPLEMOUSSES
63
Baram
point, M. H.W. Smith, sur le pont d'un petit vapeur à
aubes, le Adeh, admirait le paysage au milieu d'un groupe de
passagers Malais. El Hadj Jeman, capitaine de ce vieux raffiot,
ayant remarqué que son passager possédai une tondeuse à
cheveux très perfectionnée pour l'époque, voulut la lui emprunter
pour procéder à un brin de toilette. L'instrument lui fut confié,
appelant son second, le capitaine lui demanda de rafraîchir ses
cheveux. Mais le second n'arrivait pas à manier l'outil
convenablement, tirant sur les cheveux sans pouvoir les couper.
M. Smith se proposa pour achever l'opération, à la grande
satisfaction de El Hadj Jeman.
Le lendemain, après avoir remonté le fleuve Baram, le vapeur
accosta Marudi. A l'heure du déjeuner, le capitaine envoya à son
coiffeur d'occasion une corbeille renfermant d'énormes et
délicieuses pamplemousses, d'une variété inconnue. Ces fruits
provenaient d'une plantation que le capitaine possédait aux
environs. Après s'être renseigné auprès de lui, M.H. Smith acquit
la conviction que l'arbre ayant donné ces fruits était un
producteur direct.
Pensant faire don à Tahiti de ce nouveau fruit, il envoya au
Docteur Williams, alors consul d'Angleterre à Papeete, un petit
sachet de graines avec une grande lettre de recommandations. A
son retour à Tahiti, en 1921, le Dr Williams lui remit trois jeunes
plants issus des graines en question. Il les repiqua dans sa
propriété "Motu Ovini" de Papeari. Un seul survécut, qui fut
transplanté dans la vallée de Vaiiti.
En 1930, on vit l'apparition des premiers fruits aussi
succulents qu'à Marudi.
En 1932, les graines des récoltes de 1930—1931 sont semées, les
premiers greffages par écusson sont pratiqués avec succès.
A partir de cette époque, M. Smith distribua des pieds greffés,
gratuitement, à tous ceux qui lui en demandaient. Puis il
entreprit, sur ces propres plantations la sélection méthodique, ne
prélevant les écussons que sur certaines branches portant les
plus beaux fruits et les plus riches en pulpe.
Les arbres actuels donnent des fruits souvent sans graines,
plus gros que ceux du pied d'origine.
DESCRIPTION DU PAMPLEMOUSSIER DE SARAWAK
Rameaux
épais, cassants, peu ramifiés, anguleux dans le jeune
âge. Feuilles grandes, épaisses, oblongues, à pétiole largement
ailé en forme de cœur. Fleurs blanches, odorantes, en grappes
terminales. Fruits sphériques, très volumineux, atteignant un
diamètre de 25 cm et un poids de 2 kgs, à l'écorce unie, lisse,
d'abord verte, puis jaune, pulpe juteuse et sucrée.
MULTIPLICATION
Les
même
graines sont semées dans une caisse contenant dans la
proportion de la terre, du terreau de fumier, du terreau de
Société des
Études
Océaniennes
64
PAUL PETARD
feuilles, du sable de rivière.
Quand les plantules atteignent 10 centimètres, on les repique
dans des pots remplis du compost ci-dessus, auquel on ajoute
deux poignées d'engrais complet par mètre cube.
Lorsque les sujets ont leur tige du diamètre d'un rayon, on
procède au greffage en écusson, en octobre de préférence. Les
yeux sont prélevés sur les branches des pieds-mères produisant
les fruits les plus sucrés et les plus gros.
Quand la jeune pousse de l'écusson a atteint 5 centimètres, on
coupe l'extrémité du sauvageon, et plus tard on taille à 10
cm, au-dessus de la greffe. On palisse avec un brin quelconque de
la jeune pousse, qui est très fragile, au chicot du porte-greffe. Ce
dernier est supprimé lorsque la pousse est devenue une branche
résistante. La multiplication peut se faire également par
marcottage.
PLANTATION
Les trous auront au moins 0,50 mètre cube et seront espacés
6 mètres. On dispose au fond une dizaine de bourres de coco,
coque
tournée vers le haut
ou vers
le bas suivant
que
de
la
l'on est dans
district sec ou humide. Par dessus les bourres de coco on met
une bonne couche de débris bien décomposé (de peaux, ou d'os, ou
de feuilles) ou bien des cendres ou du fumier.
On dispose ensuite un petit dôme de bonne terre sur lequel on
étale les radicelles. On ferme avec la terre du trou et on arrose
un
copieusement. Il
ne
faut
pas
planter trop profondément.
ENTRETIEN
Une fois le plant bien enraciné on procède à une taille de
formation consistant à diriger le jeune arbre sur trois branches
d'une vigueur égale. Par la suite il suffit de tailler les gourmands.
Chaque plaie est recouverte d'un cicatrisant (goudron végétal
exemple). Il faut tailler le moins possible. On arrose en
périodes de sécheresse.
par
TRAITEMENTS ET ENGRAIS
Les traitements indispensables pour les orangers, citronniers,
mandariniers, pourront être très réduits pour le pamplemoussier
de Sarawak, beaucoup plus résistant aux attaques des insectes et
des champignons.
Si la plantation a été faites comme il a été indiqué, aucun
engrais n'est nécessaire avant l'apparition des premiers fruits. A
ce moment il faut chaque année un apport d'humus et d'engrais
complet.
RECOLTE ET UTILISATIONS
Un pied greffé commence à produire au bout de 3 à 5 ans. Le
fruit est "mûr quand il commence à jaunir. En le tenant par
dessous et en lui imprimant un légère torsion, le pédoncule se
ORANGES, CITRONS ET PAMPLEMOUSSES
65
détache facilement.
Sur une coupe transversale on distingue facilement :
Le zeste ou épicarpe, d'autant plus jaune que le fruit est
plus
—
mûr.
Le mésocarpe, d'autant plus mince que l'arbre a été mieux
soigné. Dans les fruits manquant d'éléments fertilisants son
épaisseur peut atteindre plusieurs centimètres.
La pulpe ou endocarpe, divisée en plusieurs quartiers par
des cloisons blanches qui sont des prolongements du mésocarpe.
Pour déguster le fruit, il faut éliminer complètement le
mésocarpe et ses ramifications, qui possèdent une saveur amère
très prononcée. En prenant cette précaution, on obtient un
dessert délicieux, l'addition de sucre est inutile qu'il s'agisse de la
pulpe ou de son jus à condition de les consommer très
rapidement. Si l'on attend plus de six heures l'amertume
apparaît, d'autant plus forte que le stockage est plus prolongé. Ni
le refroidissement, ni la stérilisation, n'empêchent le
développement de cette saveur désagréable, même si on a retiré
tous les fragments de mésocarpe. En effet la pulpe contient un
hétéroside, dépourvu d'amertume, thermostable, qui s'hydrolyse
rapidement en libérant une substance amère.
Pour cette raison, il est impossible de commercialiser le jus du
pamplemoussier de Sarawak.
Les Américains ont découvert un enzyme ayant la propriété de
décomposer cette substance, et de fabriquer industriellement un
jus dépourvu d'amertume. Malheureusement, outre son prix très
élevé, cet enzyme a l'inconvénient d'exiger des manipulations
très délicates, en vue, de respecter certaines conditions de
température de PH+, de temps de contact, de centrifugation.
Le jus que l'on obtient finalement est d'un prix de revient très
élevé, et on a dû renoncer à le mettre sur le marché. Actuellement
il existe en Polynésie Française des milliers de pieds de Sarawak,
mais les Tahitiens, qui font une grande consommation
d'oranges, n'apprécient pas la Pamplemousse, qui est surtout
consommée par les Européens. Il y a donc surproduction.
Actuellement une petite exportation est expérimentée avec le
Japon.
—
—
MALADIE DES CITRUS EN POLYNESIE
Les Citrus sont attaqués par des insectes, des champignons,
des virus et sont victimes de maladies de carence dues à
l'insuffisance de certains éléments minéraux.
Ces maladies ont fait leur apparition vers les années 1860 —
1870 et sont devenues de plus en plus nombreuses et virulentes à
que se multipliaient les contacts avec le monde extérieur.
Elles ont amené la disparition des orangers indigènes partout,
sauf dans les grandes vallées, jouissant d'un micro-climat frais
et humide qui contrarie le développement des parasites.
mesure
Société des
Études
Océaniennes
66
PAUL PETARD
A basse altitude, les arbres les plus sensibles sont, par ordre
décroissant, les orangers, les mandariniers, les citronniers, les
bigaradiers et le pamplemcussier de Sarawak.
MALADIES PROVOQUEES PAR DES INSECTES ET DES ACARIENS
Les cochenilles causent les plus grands dégâts. Elles se fixent
A
-
feuilles et les jeunes rameaux. Mais il arrive
parfois que les branches et les troncs soient attaqués. Elles
épuisent les arbres en détournant à leur profit une partie de la
sève élaborée. Certaines sécrètent des poisons qui intoxiquent les
plantes
Les organes attaqués sont souvent recouverts d'un enduit noir,
appelé fumagine, causé par des champignons microscopiques
vivant aux dépens de leurs sécrétions sucrées. La fumagine
disparait quand les cochenilles sont détruites.
Celles qui causent les plus grands dégâts sont : le Pou blanc ou
Pou lanigère, Icerya seychellarus, la Cochenille virgule,
Lepidosaphes Beckii, le Pou rouge, Chrysomphalus dictyospermi, Parlatoria cinerea, Morganella longispina.
Les Aleurodes, insectes apparentés aux cochenilles, les
Acariens, les fourmis, provoquent aussi le dépérissement des
de préférence sur les
Citrus.
B
-
AUTRES MALADIES
D'après R. Millaud, les attaques des insectes et des Acariens ne
suffisent pas pour expliquer la disparition des orangers
indigènes aux basses altitudes. D'autres causes sont
intervenues, en particulier :
Maladies cryptogamiques provoquées par Diplodia
natalensis, Glososporium sp., Colletotrichum sp., et d'autres
champignons indéterminés.
Carences minérales portant sur l'azote, le phosphore, le
potassium, le calcium, le cuivre et le zinc.
—
—
—
Nécrose de l'écorce du collet.
TRAITEMENTS DES CITRUS
La lutte préventive contre les cochenilles consiste à supprimer
les arbres situés au voisinage des plantations et capables
d'héberger celles-ci, à détruire les fourmis au moyen d'appâts
arsenicaux, de chlordane, d'essence, d'eau bouillante.
Les traitements curatifs visant les Coccides et les Aleurodes
font appel à des pulvérisations d'huiles blanches émulsionnées
(Volck) activées par addition de Nicotine ou de Parathion. Les
Services Agricoles de Tahiti recommandent les formules
suivantes
:
1 litre, Eau : 100 litres
1,500 litre, Nicotine : 200 litres, Eau : 100 litres
Le Pacol est un nouveau produit à base de Volck et de
Parathion. Notons que le D.D.T. est inactif.
—
—
a) Pacol
b) Volck
:
:
67
ORANGES, CITRONS ET PAMPLEMOUSSES
Pour la destruction des Acariens
des mélanges ci-après :
on
pulvérise l'un
ou
l'autre
a) Bouillie sulfo-calcique : 1 litre, Etaldyne (mouillant) : 100
ml, Eau : 100 litres.
Zinèbe (Dithané) : 0,500, Huile blanche neutre : 1 litre, Eau :
—
—
100 litres.
Un essai de lutte biologique contre Icerya
tenté vers 1950 au moyen d'une coccinelle,
seychellarum a été
Novius cardinalis,
dont plusieurs couples furent amenés de Nouvelle Zélande par M.
J. Boubée. Malheureusement ce prédateur n'a pu s'acclimater et
a
disparu.
Agricoles distribuent un engrais complet pour
forme de granulés, renfermant tous les ions
métalliques y compris les oligo-éléments, nécessaires à la
croissance des Citrus, et permettant de lutter contre les carences
Les Services
agrumes, sous
minérales.
Les maladies cryptogamiques sont
enrayées par des
pulvérisations de bouillie bordelaise.
Paul PETARD
Société des
Études
Océaniennes
Chronologie
de l'île de
Pâques.
L'auteur de cet article, M. Albert Van Hoorebeek, a eu
par cinq
fois l'occasion de visiter l'île de Pâques dont il est un bon
connaisseur. Il a également recueilli sur l'île une documentation
importante dont il pense pouvoir un jour sortir une Bibliographie
de l'île de Pâques, qui comportera plus de 2000
références et aussi
un livre, La vérité sur l'île de
Pâques, où "il critique, parfois
âprement, ce qui a été fait, dit ou écrit sur l'île de Pâques depuis
siècle."
Cette intéressante
un
Chronologie de l'île de Pâques
a d'abord été
"Kadath" en 1977. M. Van Hoorebeek a
bien voulu autoriser la "Société des études océaniennes" d'en
publier une nouvelle version dont nous avons essayé de rendre
plus aisée la consultation par une présentation typographique
publiée dans la
revue
adaptée.
Dans une introduction publiée en tête de cette
chronologie,
l'auteur nous avertit que l'on ne trouvera mentionnés dans son
travail ni les bâtiments du XIX™ siècle qui ne firent
qu'une
rapide escale de quelques heures dans l'île, ni les navires
français assurant la poste entre Papeete et Valparaiso ou
chiliens venant ravitailler l'île après la prise de possession en
1888. Après 1935, l'auteur considère l'île comme sortie de son
"splendide isolement". N'est-elle pas, depuis 1967, régulièrement
desservie par les services de Lan Chile ?
XVI-, XVII- ET XVIII-.
1567
Alvaro de Mendagna de Neira, chef d'une expédition
commandée par le vice-roi du Pérou, Lope Garcia Castro,
quitte
Callao pour explorer le Pacifique. Le 10 janvier il découvre
notamment les îles Salomon. Il aurait vu l'île de Pâques, encore
qu'il n'en existe aucune présomption sérieuse. Les bâtiments
étaient "Dos Reyes" et "Todos los Santos".
Société des
Études
Océaniennes
69
CHRONOLOGIE DE L'ILE DE PAQUES
1686 ou 1687
Edward Davis, flibustier britannique, commandant le
"Bachelor's Delight" et venant des îles Galapagos, aperçoit, en
longeant la côte chilienne, une île basse, sablonneuse. D'autres
navigateurs, jusqu'au XIXme siècle, cherchèrent cette île, sans
jamais la trouver, en tout cas pas selon la description laissée par
le flibustier.
1722
Le dimanche de Pâques, le 5 avril 1722, le navigateur
hollandais Jacob Roggeven, à la tête d'une expédition composée
des bâtiments : "Afrikaansch Galei", "De Arend" et
"Thienhoven", aperçoit l'île de Pâques et lui donne le nom de
Paasch Eyland. Ce nom devait lui rester sous la forme de île de
Pâques, Easter Island, Osterinsel ou Isla de Pascua, ce dernier
étant son nom officiel. Le 10 avril, Cari Friedrich Behrens, chef
des "Marines" de cette expédition hollandaise, débarque sur l'île.
Tous les officiers, y compris le "Commandeur" Roggeveen, et les
commandants en titre des vaisseaux accompagnent Behrens. Un
peu d'énervement de la part de ceux qui débarquent... beaucoup
d'énervement chez les visités... une salve de mousqueterie et une
dizaine de Pascuans sont tués.
1764
le commodore Byron ne découvre pas
de son voyage dans l'océan Pacifique.
1767
A la recherche de l'île de Pâques,
1768
Le comte de
l'île de Pâques
au cours
Carteret découvre Pitcairn.
Bougaiville, commandant l'expédition française
composée de "La Boudeuse" et "L'Etoile" ne retrouve pas l'île de
Pâques, qu'il recherchait cependant dans l'océan Pacifique.
1770
Par ordre du vice-roi du Pérou, Don
Felipe Gonzalez
y
Haedo
prendre
du roi d'Espagne. Il commande les vaisseaux
part à la recherche de l'île de Pâques afin d'en
possession
au nom
au 21 novembre, il
prend possession de l'île, qu'il appelle Isla San Carlos dès le 16
novembre. Il effectue une première étude du peuple pascuan et
compose un bref vocabulaire. La première carte de l'île lui est
due, dessinée par Agûera.
"San Lorenzo" et "Santa Rosalia". Du 16
1774
Le "Resolution" et l'"Adventure", deux
ordres de l'Anglais James Cook, s'arrêtent à
mars. Le monde apprend ensuite l'existence
grâce
aux
sous les
l'île de Pâques le 11
des ahu et des moai
excellents croquis du dessinateur Hodges. Reinhold
Société des
Études
vaisseaux
Océaniennes
70
ALBERT VAN HOOREBEECK
Forster et son fils George étudient la flore et la faune de l'île. Une
nouvelle carte de l'île est dressée.
1786
Jean-François Galaup, comte de La Pérouse, à la tête d'une
expédition composée des frégates "La Boussole" et "L'Astro¬
labe", visite à son tour l'île de Pâques le 9 avril. Le géographe
Bernizet fait un levé complétant la carte de Cook. La Pérouse fait
semer des légumes et
débarque quelques animaux domestiques.
XIX-
SIECLE, JUSQU'EN 1862
1804
Le Russe Yrey
arrêt à l'île.
Lisiansky, à bord de la "Neva" effectue
un
bref
1805
Le schooner "Nancy" au cours d'un bref
arrêt, enlève douze
hommes et dix femmes pour sa campagne de chasse aux
phoques
à l'île Mas a Fuera, archipel
Juan Fernandez.
1808
Le capitaine Alexandre
Manu",
ne
peut débarquer
l'effraie.
Adams, commandant le "Kaahu; l'hostilité déclarée des habitants
1808
Le capitaine Amosa Delano voit et visite (?) l'île de Pâques.
1809
Le capitaine américain Winship, sur l'"Albatros", effectue des
observations météorologiques.
1811 (ou 1822 ?)
Le "Pindos" s'arrête à l'île de
Pâques.
1822
Otto von Kotzebûe, commandant le "Rurick"
face à l'hostilité des habitants. A son bord,
Adalbert
von
Chamisso et
1825
Le 16 novembre
ne peut débarquer
le savant naturaliste
le peintre Ludwig Choris.
F.W. Beechey, en compagnie de Sir F.
Belcher, à bord du "Blossom", effectue une visite et rapporte des
observations sur les cratères, les vallées, et les constructions
mégalithiques de l'île.
,
1826
P.P. Blyth (sans autre
1829
Le capitaine
détail).
Thibaud, de Nantes,
se
serait arrêté à l'île de
Pâques.
Société des
Études
Océaniennes
71
CHRONOLOGIE DE L'ILE DE PAQUES
1828
Le Belge
Moerenhout,
sans
débarquer.
1831
"Discoverer".
1838
Le 25 février, la "Vénus", commandée par
Petit Thouars, s'arrête brièvement à l'île.
l'amiral Aubert du
1843
Sous toutes réserves, aucune preuve n'existant : Mgr
E.
Rouchouze, premier Vicaire Apostolique de l'Océanie,
accompagnée de plusieurs religieuses et religieux, aurait pris
pied sur l'île après naufrage de son navire. Tous les membres de
cette expédition auraient péri sous les coups des insulaires.
1850
Première visite chilienne
chilienne, commandée
1852
La frégate
par
la frégate "Colo-Colo" de la Marine
Leoncio Senoret, s'arrête à l'île.
:
britannique "Portland" effectue
une
brève visite.
1856
Le "Prudent", commandée par J. Hamilton tente de faire
escale. Au cours d'un bref mais violent incident dès avant le
débarquement, lé second est tué. Hamilton décide de
s'arrêter davantage.
ne pas
1862
Le "Cassini", corvette
de F. Joseph Laurent
française à aubes, commandée par le C.
Lejeune, venant de Callao, s'arrête
quelques heures à l'île de Pâques le 7 septembre 1862 à la
recherche d'une île à guano. A son retour à Valparaiso, Lejeune
contactera les PP. de Picpus et son rapport favorable motivera
l'envoi d'une mission dans l'île.
C'est à la fin de 1862 que l'île reçoit la visite de négriers sud
américains à la recherche de main d'œuvre. Le 19 décembre, le
bâtiment péruvien "Cora", commandé par Antonio Aguire
rejoint sept autres bateaux devant l'île de Pâques. Ils battent
tous pavillon péruvien. Des divers bâtiments débarquent 80
hommes. Ils déposent sur les rochers des objets de traite afin
d'appâter les insulaires. Lorsque ceux-ci sont en nombre
suffisant, les hommes, armés se débusquent, tirent, encerclent la
foule et font de 500 à 1000 prisonniers. Le nombre exact n'en sera
jamais connu. Selon les estimations des missionnaires (venus
plus tard), ils auraient été 800 à être déportés aux îles à guano
(îles Chinchas), appartenant au Pérou. Selon les dernières
recherches et découvertes, quelques tombes, sur le continent
(Pérou), porteraient des noms pascuans. Ce détail laisse supposer
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Études
Océaniennes
72
ALBERT VAN HOOREBEECK
certains furent déportés à l'intérieur du
agricoles.
que
pays comme
ouvriers
1863
Suite
aux représentations exercées
par la France et les EtatsUnis, le Pérou renvoie les prisonniers encore en vie, une centaine.
Quinze hommes seulement
ce nombre semble
parfaitement
exact d'après les rapports des missionnaires
(année suivante) —
revoient leur pays. L' un d'eux au moins est vecteur de la variole.
L'épidémie qui s'ensuit fait des centaines de victimes. Un
comptage effectué en 1877 ne permit de retrouver que 111
habitants. Parmi les disparus, il y avait le dernier ariki ou roi
ainsi que tous les initiés.
—
XIX-
SIECLE, A PARTIR DE
1863
1863
Parti de Valparaiso le 26 février, le "Misti", bâtiment de 193
tonnes, commandé
par
le capitaine José Antonio Basagoiti,
touche l'île de Pâques pour y recruter des travailleurs. Il échoue
dans sa tentative, se rend à Rapa (la petite), le 1ER
avril, sans
plus de succès. Il mouille à Tahiti le 11 avril et semble ne plus
avoir quitté ce port.
1864
Venant de Valparaiso via Tahiti, Eugène
Eyraud, laïc, civil,
Français, débarque le 2 janvier de la "Favorite" afin
d'évangéliser les Pascuans "à son compte". Il n'est investi
d'aucune mission, le Vicaire Apostolique à Tahiti
ayant refusé
d'envoyer des missionnaires, eu égard aux rapports alarmants
reçus sur la situation à l'île. Eugène Eyraud y demeura neuf
mois, subissant un véritable martyre de la part des insulaires
qui, sans doute, voulurent se venger sur lui de tout ce que leurs
ancêtres avaient subi de la part des "Blancs".
Le 11 octobre la goélette "Teresa Ramos", ayant
à son bord des
représentants des Missions du Sacré Cœur, se présente devant
l'île de Pâques. Eugène Eyraud leur est apporté, véritable
loque
humaine. Personne ne débarque du bâtiment, la
barque seule est
approchée du rivage. (Père Barnabé et Frère Hugues).
1866
La goélette "Nuestra Senora de la Paz" ou "Notre Dame de la
Paix" arrive à l'île de Pâques le 28 mars. Entré
entretemps dans
les Ordres le Frère en religion Joseph, (Eugène), Eyraud, le Père
Hippolyte Roussel et trois Mangaréviens, leurs aides, en
débarquent afin de commencer la christianisation des habitants.
En octobre, la goélette "Tampico" construite à Nantes en
1856,
armée au Havre par M. Doublet et commandée par le Français
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Études
Océaniennes
73
CHRONOLOGIE DE L'ILE DE PAQUES
Jean-Baptiste-Onésime Dutrou Bornier, amène deux
missionnaires venant seconder la première équipe : le Père
Gaspard Zumbohm et le Frère Théodule Escolan. Ils débarquent
une importante cargaison comportant des arbres fruitiers, des
semences, un petit troupeau d'animaux divers.
1867
l'île, en vue de
les plantations de Brander à Tahiti. Il
n'aura aucun succès à l'île de Pâques. Un rapport à son sujet sera
envoyé plus tard à Paris par l'amiral de Lapelin.
En
février 1867, Dutrou Bornier s'arrête à
recruter du
personnel
pour
1868
Mai : Dutrou
Bornier, à bord de l'"Aorai", petit bâtiment qui
remplace le "Tampico" dont il a dû se séparer pour des raisons
financières, arrive à l'île de Pâques. Il a l'intention d'y créer une
petite exploitation comportant notamment l'élevage des
moutons. Peu de temps après son arrivée, le bâtiment est drossé
sur les rochers et coule : Dutrou Bornier est "condamné" à
demeurer sur l'île.
Le 1er novembre : le vaisseau de guerre anglais "Topaze"
commandé par Purvis et Powell, arrive devant l'île. Le médecin
du bord, J.H. Linton Palmer, y effectue de nombreuses visites. Il
Angleterre une très importante collection d'objets
appelé "La Briseuse de Vagues" (Hoa-Haka-Nanala), actuellement au British Museum.
La même année, l'île est visitée successivement par le
capitaine Peter Arup, Mgr Jaussen, Vicaire Apostolique
d'Océanie, évêque d'Axieri en résidence à Tahiti, et le Père
Frisner, missionnaire jésuite.
rapporte
en
dont le Moai
1870
Le 22 janvier, arrivée de la corvette chilienne "O'Higgins",
commandée par le capitaine de vaisseau Angelato Goni,
qu'accompagne le médecin Tomas Gmo Bate. Avec la
collaboration de membres de l'équipage, des cadets de la Marine,
l'expédition effectue un excellent travail ressortissant de la
géologie, l'hydrographie, la botanique, la zoologie et l'histoire,
cependant que le Dr Bate soumet tous les habitants à un examen
médical sérieux.
1871
A la suite de graves différends avec Dutrou Bornier, les
missionnaires reçoivent de Mgr Jaussen l'ordre de se retirer aux
Gambier "Hahina" et "John Burgoyne". Le 24 juin de la même
année, le vaisseau de guerre russe "Vitiaz",
commandé
par
Macklay, effectue une brève visite. Le commandant
passe ensuite à Tahiti où Mgr Jaussen lui offre une des deux
tablettes de bois (sinon les deux) conserves au Musée
d'Ethnographie de Léningrad.
Mikloukho
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74
ALBERT VAN HOOREBEECK
1872
En route
vers Tahiti, le contre-amiral de
Lapelin, à bord de la
Flore, visite l'île le 3 janvier. A son bord, un jeune enseigne de
vaisseau sachant admirablement
dessiner, Julien Viaud. Dans
"Reflets sur la sombre Route" ce même "marin", sous le nom de
Pierre Loti, rédigea une des plus belles
descriptions poétiques de
l'île de Pâques.
1873
Le 28 octobre, passage du
Manescau.
"Bruat", commandé
par
J.L.
1875
Nouvelle visite de la corvette chilienne
"O'Higgins",
commandée cette fois par Lopez (avec Vidal Gormaz).
1876
Le 6 août, Dutrou Bornier meurt assasiné.
1877
Deux visites du "Seignelay", navire de
guerre français, Cdt
Aube ; l'une du 1er au 6 avril (le 1er avril était le
jour de Pâques),
l'autre le 5 juillet. Alphonse Pinart publie deux récits de sa visite
au cours de
laquelle il fut reçu par la reine. La même année, le
"Blak Eagle", un navire américain
porteur d'un chargement de
bois coule non loin de l'île et son équipage, sain et
sauf, demeure
environ six mois sur l'île avant de pouvoir retrouver la vie
civilisée. (Capitaine Philips). Visite du
"Marama", navire
anglais, capitaine Nisse.
1878
Visite du "Beautemps-Beaupré" (France), commandé
par P.
des Essarts. Visite de Salmon, gendre de la reine Pomaré de
Tahiti.
1879
Salmon, héritier de Brander, ex-associé de Dutrou Bornier,
vient visiter ses propriétés indivises
cependant avec la veuve du
colon français, le fils légitime de celui-ci et sa
mère, tous
demeurant
en
France.
1882
Le vaisseau HMS
"Sappho" effectue des investigations
météorologiques pour le compte de la Royal Geographical
Society de Londres. Parmi les visiteurs : Bouverie F. Clack. La
canonnière allemande "Hyaene", commandée par
Geiseler, et en
mission pour le Musée Ethnologique de
Berlin, s'arrête à son tour
à l'île de Pâques. Le rapport de la mission est du
plus haut
intérêt.
1883
J. Williams.
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Études
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75
CHRONOLOGIE DE L'ILE DE PAQUES
1886
Nouvelle visite chilienne : la corvette "Abtao", commandée par
le commandant Selamanca, amène une mission dirigée par le
capitaine de corvette Policarpo Toro, prélude aux actions
tendant à amener l'île de Pâques sous le pavillon chilien. Arrivés
le 19 décembre, Williams J. Thomson et G. Cooke, sur le
"Mohican" (U.S.A., commandant B.F. Day), passent une dizaine
de jours sur l'île : ils la visitent entièrement, effectuant un relevé
des monuments, réalisent l'un et l'autre un vocabulaire. Le
rapport de Thomson à la Smithsonian Institution de
Washington est le premier document d'un véritable intérêt sur
l'ensemble des problèmes ethnographiques et ethnologiques
posés par l'île de Pâques.
1887
En octobre, Policarpo Toro, à bord de la goélette "La Paloma"
visite l'île en vue d'effectuer l'achat de terrains appartenant à
des propriétaires privés (ex-propriétés Brander-Salmon).
1888
Mgr Verdier,
successeur
de Mgr Jaussen, visite l'île avant de
céder les biens de la Mission à l'archevêché de Santiago. Visite
de P. Albert Montiton. Le 9 septembre, Policarpo Toro arrive à
bord de l'"Angamos", et prend officiellement possession de l'île
de Pâques au nom du gouvernement chilien. Pedro Pablo Toro
devient premier agent de la colonisation chilienne, à la tête d'un
groupe
de douze
personnes.
Visite de Salmon, le 14 décembre, à
bord de "La Paloma".
1889
Visite de la corvette
"O'Higgins". Escale du "Cormoran"
le trajet Valparaiso — Tahiti. Décembre, escale du
navire-école chilien "Pelcomayo".
(HMS),
sur
1891
Passage du "Middebhuis" danois. Escale,
Policarpo Toro, à bord du "Clorinda".
en
décembre, de
1892
Naufrage d'un (ou de deux ?) navire non désigné. Puis escale de
la corvette "Abtao", navire-école chilien. Ce voyage deviendra
partie intégrante de la formation des cadets de la Marine
chilienne.
1897
Arrivée de Merlet, représentant
de la Société d'élevage et
d'exploitation (location de l'île). Fin de l'année — début 1898, le
Père Georges Eich, Provincial de la Congrégation des Sacrés
Cœurs, en résidence à Tahiti, visite l'île de Pâques.
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76
ALBERT VAN HOOREBEECK
XX- SIECLE
1900
Le R.P. Isidore Butaye, religieux picpucien, passe 8
l'île s'occupant du soin spirituel des 213 pascuans.
jours dans
1901
"La Durance" (France) avec le Dr Delabaude.
1904
Alexandre
Agassiz, à bord de "L'Albatros" (U.S.A.).
1906
H.M.S. "Cambian" et H.M.S. "Flora".
1910
Le 13 décembre, passage du yacht anglais "Pandora", au cours
de son voyage autour du monde.
1911
H.M.S.
"Challenger" commandé par le capitaine G.R. Grant,
dans l'île du 13 au 25 novembre.
Le navire-école chilien "General Baquedana" au cours de sa
croisière annuelle, s'arrête à l'île de Pâques. Il est commandé par
le capitaine Arturo Swett-Oteagui. A bord également le Père
Valenzuela. Le bateau amène à l'île une expédition scientifique
composée de Walter Knoche, directeur de l'Institut Central d
Météorologie de Santiago, Edgardo Martinez, Ignacio Calderon
et Francisco Fuentes. Ces savants publieront de nombreux récits
et articles relatifs à leur séjour dans l'île.
passe
1913 et 1914
Père Don Ismael Chavez Luco (8 et 5 jours). Arrivée du
"General Baquedono". Le commandant de l'expédition trouve
l'île "en révolte" ; celle-ci est prêchée par une prêtressedevineresse : Anata. La seule présence des autorités apaise le
sans qu'il faille sévir. A cette époque, date non
précisée, Vives Solar est gouverneur de l'île. Il laissera
d'innombrables récits, publiés dans les divers journaux et
périodiques chiliens. Le 29 mars, arrivée de la plus importante
expédition scientifique, sous la direction de Mrs ScoresbyRoutledge, à bord du "Mana". Mrs Routledge est subventionnée
par la Royal Geographical Society de Londres. Elle demeure
quinze mois sur l'île. Au cours de son séjour, le "Mana" effectue
sept voyages vers le continent. Du 12 au 19 octobre, l'escadre
allemande du Pacifique, sous le commandement de l'amiral M.
von Spee, s'arrête à l'île pour effectuer un ravitaillement.
L'escadre comprend les bâtiments suivants : "Sharnhorst",
mouvement,
Société des
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77
CHRONOLOGIE DE L'ILE DE PAQUES
"Gneisenau", "Nùrnberg", "Dresden" et "Leipzig". Ils
participeront victorieusement, quelques semaines plus tard, au
large des côtes chiliennes, à la bataille de Coronel, puis ils seront
battus
aux
Falkland
Spee disparaîtra
au
début de l'année suivante. L'amiral
von
bâtiment.
le capitaine Thierichens, arrivée le 23
avec son
Commandé par
décembre du croiseur auxiliaire allemand "Prinz Eitel
Friedrich", remorquant le voilier français "Jean" capturé
quelques jours plus tôt dans le Pacifique (capitaine Joseph
Dillinger). Le vaisseau allemand débarque l'équipage du "Jean"
et celui du bâtiment anglais "Kildalton" coulé également dans le
Pacifique (commandant Sharpe). Déchargé de son charbon, le
"Jean" est coulé au canon dans la baie de Hanga Roa le 31
décembre.
1915
18 février
: le "Skerries" britannique s'offre de rapatrier les
équipages. Ils refusent, ne pouvant, selon un engagement
d'honneur, "reprendre les armes contre l'Allemagne". Le 26
février, passage du navire neutre "Nordvick". Il emmène
l'équipage du "Kildalton" et une partie des hommes du "Jean".
Le "General Baquedano" passe en juillet à l'île de Pâques, au
cours de sa croisière annuelle. Le capitaine Dillinger et cinq
hommes de l'équipage du "Jean" rentrent au Chili.
1917
En juin, la corvette chilienne "General Baquedano" s'arrête à
l'île. A son bord, l'Aumônier général de la Flotte, Mgr Rafael
Edwards Salas, accompagné du R.P. Bienvenudo de Estella et du
Frère Modesto de Adios. La corvette est commandée par le
capitaine J.P. Merino. Mgr Edwards et le R.P. de Estella écrivent
de nombreux articles dans des
revues
chiliennes et font
un
sur l'exploitation des habitants par la Société d'élevage à
laquelle l'île a été louée par le Chili.
Le 4 octobre, la "Lutèce" (France), capturée à Mopelia par
l'équipage du voilier-corsaire allemand "Seeadler" (le bâtiment a
coulé sur l'atoll Mopelia), arrive à l'île de Pâques, sous le nom de
"Fortuna", après un voyage de quelque 30 jours. Le "Fortuna",
ex-"Lutèce", coule sur les rochers de l'île. L'équipage est sauf. Il
était commandé par le lieutenant Kling. Le commandant von
Lûckner avait pris la mer à Mopelia, sur une barque non pontée
afin de tenter l'impossible : se mettre à l'abri. Il ne put réussir et
fut fait prisonnier par les Néo-Zélandais. Le "Seeadler" était un
bâtiment américain, le "Pass of Balmahas", capturé par les
rapport
Allemands.
1918
mars : le "Falcon", goélette chilienne ramène au pays
(Talcahuano) les marins allemands. Ils sont internés. Visite du
Le 4
Société des
Études
Océaniennes
78
ALBERT VAN HOOREBEECK
R.P. Bienvenudo de Estella et du R.P. Dominguo de Beire,
lesquels y demeurent durant six mois.
1920
R.P. Nicolas Correa à bord du "General Baquedano" (8 mois)
1921
R.P. Anzel C.
1922
R.P. Jose L.
Concha, idem, (4 jours)
Fernandoiz, idem, (4 jours).
1923
Trois visites successives du "General
Baquedano". R.P.
Ambrosio Scholz (15 jours). Mac-Millan Brown (Nouvelle
Zélande), ethnologue, étudie durant plusieurs semaines les
coutumes et les monuments de l'île.
1925
Mission baron
1927
R.P. François
von
Teuber. Saint George Expedition.
Abgrall (5 jours).
1930
Cari Skottsberg,
botaniste, effectue une étude de l'île
présente les résultats à plusieurs sociétés savantes.
1931
R.J. Casey
effectue
une
"reportage"
sur
;
il
en
l'île.
1932
Une mission scientifique patronnée par l'American Museum of
Natural History, la mission Templeton Crockes, visite l'île.
1933
L.J. Chubb.
1934
Le 28 juillet, une expédition franco-belge arrive à bord de
l'aviso français, "Rigault de Genouilly", et s'en retounera le 2
janvier 1935, à bord du navire-école belge "Mercador".
L'expédition se compose de l'ethnologue français Alfred
Métraux, de l'archéologue belge Henri Lavachery, et du médecin
Drapkin, chilien. Ils effectueront la plus importante étude
réalisée à cette date sur l'île de Pâques. Le gouvernement chilien
offre un moai à la France et un autre à la Belgique, le moai "Puhi
Hakanononga", ou "Hanga one one" actuellement aux Musées
Royaux d'Art et d'Histoire à Bruxelles. Métraux et Lavachery
consacreront de nombreux articles à leurs travaux et le livre de
Métraux, "Ethnology of Easter Island" demeure le fondement
sur lequel tout travail sur l'île de Pâques doit encore
s'appuyer.
Société des
Études
Océaniennes
CHRONOLOGIE DE L'ILE DE
79
PAQUES
1935
Herman Cornejo, délégué maritime et gouverneur et
Pedro
Atan, maire de l'île effectuent au mois d'août un recensement des
statues, débris et de tous les objets mégalithiques et lapidaires.
Ils les numérotent à la peinture blanche, en chiffres de 10 à 20 cm
de hauteur. Le comptage est terminé en novembre : 668 moai
dénombrés (y compris les pukao ou chapeaux-chignons, se
trouvant dans la carrière ou tombés des moai). Ce total n'est plus
exact, plusieurs moai ayant été "déterrés" depuis cette époque.
Durant la même année, une mission scientifique visite l'île de
Pâques. Elle se compose de : Angel Aguilera, Inspecteur des
Biens Nationaux, de Humberto Fuenzalida, naturaliste et du
R.P. Sébastian Englert, moine capucin et philologue, né en
Bavière le 17 novembre 1888. Ce dernier reste environ un
retournera dans l'île en 1937, et y demeure pendant plus
ans,
jusqu'à
son
décès
en
1969,
en
an.
Il
de 33
qualité de seul missionnaire
desservant l'île. Il est le plus important ethnologue, ethnographe
philologue ayant étudié les mœurs, us et coutumes de l'île et de
habitants. Parmi ses publications : Dictionnaire pascuanespagnol dès 1938, "La Tierra de Hotu Matua" (1938, réédition en
1974), "Tradiciones de la Isla de Pascua" (1939) et "Island at the
Center of the Wold" (1970).
et
ses
★
★
★
Il est désormais impossible, et sans intérêt d'ailleurs, de relever
les expéditions à caractère touristique ou scientifique
toutes
eu l'île de Pâques comme but. De nombreux navigateurs y
parfois séjourné durant plusieurs mois, et certains n'ont pas
hésité à écrire des histoires fantastiques, pour ne pas dire
fantasmagoriques, très "amusantes" à lire, mais sans le moindre
intérêt scientifique. Il faut mettre hors concours l'expédition
norvégienne de Thor Heyerdahl. Si le "Aku-Aku" de cet auteur a
été une aimable fantaisie, dans laquelle il reconnaît
implicitement qu'il a été "roulé" par les Pascuans, l'équipe qui
l'accompagnait a effectué le travail archéologique le plus
important de toute l'histoire de l'île. Depuis lors, William Mulloy,
un des savants de l'expédition, tout comme Figueroa, l'un
Américain, l'autre Chilien, ont relevé certains moai abattus au
siècle dernier, ont découvert des maisons-barques, ont ramené au
jour des "fours" et effectué un travail auquel il est impossible de
rendre un hommage suffisant. L'Histoire seule leur rendra
justice contre les charlatans.
ayant
ont
Société des
Études
Océaniennes
L'intérêt a peut-être encore augmenté depuis que les liaisons
aériennes sont devenues régulières. Il a paru indispensable de
noter dans cette chronologie les principales dates de l'insertion
de l'île dans le domaine aérien.
1951
Roberto
Parague, aux commandes de l'hydravion Catalina
"Manutara", effectue la première liaison aérienne Chili — île de
Pâques en 19 heures 20 minutes. Sir Gordon Taylor, Australien,
à bord de l'hydravion Catalina VH—AGB "Frigate Bird II" (en
fait son nom est "Manutara" en anglais), quitte Sydney le 13
mars. Il fait escale à Grafton, Nouméa, Suva, Samoa, Tahiti,
Mangareva et l'île de Pâques. La dernière étape est franchie en
17 heures (Valparaiso).
1967
Le 8 avril, ouverture de la ligne aérienne Santiago
Pâques
par
—
île de
avion DC—8 (44 places, 10 heures de vol).
1968
Le 8 janvier,
prolongement de la ligne jusqu'à Tahiti.
1970
Le 28 février, mise en
vol Santiago — île de
service de l'avion Boeing 707 ; le temps de
Pâques est ramené à 5 heures.
Albert Van HOOREBEECK
Société des
Études
Océaniennes
Comptes rendus.
Jean Neyret, S. M. — Pirogues océanienne. Tome I, Mélanésie. Tome II, Polynésie, Micronésie, Indonésie, Inde, Autres
Continents. Paris, Association des Amis des Musées de la Ma¬
rine, 1976—77, 187, 315
p.,
ill., cartes, bibliogr., 29,5
cm.
En ayant mené à bien la publication des Pirogues océaniennes
du père Jean Neyret s. m., le Commandant Vichot rachète
l'apparente indifférence de tous les marins et capitaines français
qui, depuis l'Amiral Paris, sont partis joyeux pour des courses
lointaines dans le Pacifique... et n'en ont pas ramené grand chose.
Le père Neyret apporte, en premier lieu, une documentation
irremplaçable, par sa richesse et son ampleur. Ce mariste nous
offre un véritable travail de bénédictin. Presque toujours il
compète, souvent il corrige l'œuvre de référence, classique en la
matière, Canoes of Oceania de Haddon et Hornell. Cela seul
suffirait à justifier de grands éloges. Il ne faut pas oublier en effet
que c'est une documentation en grande partie trouvée sur place
par observations et enquêtes. Les choses et les hommes
disparaissant, une œuvre comme celle du père Neyret ne pourrait
jamais se refaire, sans qu'on y perde de plus en plus, au fur et à
mesure que le temps passe.
Mais ce n'est pas là le plus important. Ce qui est capital, c'est
que le missionnaire Jean Neyret d'une part a navigué sur de
nombreuses pirogues, surtout en Mélanésie, et y a appris ce qu'est
une pirogue double ou à balancier(s), d'autre part possède un
esprit de synthèse lui permettant de toujours rattacher les
pirogues qu'il décrit aux pirogues voisines et aux hommes qui les
manient ou les maniaient.
Il faut insister là-dessus, car le profane en matière de technique
navale pourrait être trompé par la présentation de l'immense
travail du père Neyret : une suite d'analyses et de descriptions,
bien classées et bien mises en ordre. On croirait une sorte de
dictionnaire, ou plutôt une encyclopédie des pirogues
océaniennes, dont quelqu'un d'autre devrait tirer la
substantifique moelle en faisant la synthèse de tous ces faits
géographiquement ordonnés, mais sur le plan des structures
82
COMPTES RENDUS
sans liens les uns avec les autres. Or, ce n'est pas du tout le
Si la présentation est faite sous forme de notices individuelles
épars et
cas.
reprenant toutes les pirogues connues avec leurs variantes, la
description de chacune d'entre elles tient compte de la description
des autres et en profite.
Ceci demande de corriger une erreur d'approche couramment
faite par ceux qui n'ont ni le pied, ni le cerveau marin. Il n'y a pas
de bateau idéal ; il n'y a pas de bateau meilleur en soi qu'un autre
bateau. Un bateau ne peut être et n'est jamais qu'un compromis
entre les contraintes techniques de la construction navale ou de la
navigation et les besoins que le bateau doit satisfaire. Pour ne
citer que deux parmi les plus spectaculaires, le prao volant
micronésien n'est pas meilleur que la grande pirogue double des
Fidji ; il s'agit de deux types différents répondant à des
utilisations différentes.
On peut ajouter que cette rectification rend absurde ou
enfantin le problème qui est et sera encore posé par des chercheurs
peu na'ifs. La pirogue à un balancier a-t-elle
à deux balanciers ? ou l'inverse ? et où donc
un
précédé la pirogue
se
situe la double
pirogue ? Il est souvent possible de répondre à de telles questions
quand elles sont formulées de manière précise sur deux pirogues
voisines et c'est là que le travail du père Neyret est d'une grande
richesse. Mais si l'on veut remonter aux origines, il faut
certainement remonter à plus de deux mille ans en arrière, époque
à laquelle on sait qu'il y avait déjà des pirogues aussi
sophistiquées que les meilleures décrites par le père Neyret. Mais
on ne peut pas en savoir plus ; on ne pourra jamais en savoir plus.
Et cela n'a pas grande importance.
La technique de la pirogue correspond à l'absence d'outils de
métal. En effet, pour faire de vrais bateaux, suffisamment hauts
et larges pour avoir ce qu'on appelle une stabilité de forme, il faut
des planches nombreuses, des membrures également
nombreuses, tous morceaux de bois qu'il faut scier et sans métal
pourrait pas en scier suffisamment. Alors, quand on ne
peut faire que des pirogues basses et étroites, on est confronté au
problème de la stabilité : une pirogue ne peut pas avoir une
stabilité suffisante pour affronter la navigation en pleine mer
on ne
dans des conditions satisfaisantes de confort et de sécurité. D'où
la nécessité du contre-poids. Or, à partir du moment où un
navigateur a compris le principe du contre-poids et a songé à
mettre ce contre-poids en dehors de la pirogue (le trapèze de nos
dériveurs modernes n'est qu'une forme récente de contre-poids,
extérieur à la coque et dont le père Neyret mentionne certains
exemples océaniens), à partir du moment où ce navigateur a pris
conscience de ce qu'il faisait, il est tout naturellement conduit d'un
contre-poids quelconque à tous les systèmes possibles de contre¬
poids extérieurs avec ou sans flottabilité. En supposant que le
Société des
Études
Océaniennes
COMPTES RENDUS
83
premier découvreur du principe n'en aperçoive qu'une seule
application, il y a tout à parier pour que d'autres ensuite, en
voulant couvrir d'autres besoins, découvrent les autres
possibilités. En tous cas au point où nous abordons cette
préhistoire, il est sans espoir de vouloir remonter aux origines
Il y a un autre problème de cette sorte ; qui a découvert l'allure du
plus près, c'est-à-dire en biais, contre le vent ? Tout le monde, cent
ou mille fois, comme le disait mon vieil ami le regretté
Commandant Denoix : prenez un bateau bien dessiné et bien
construit, même et surtout si vous ne savez rien de la navigation, il
vous apprendra très vite toutes les allures du vent arrière au plus
près et avec un peu de chance, il vous apprendra aussi à chavirer...
même
avec un
Mais
balancier.
revenons au
travail du père Neyret. J'ai déjà dit qu'il était
que rempli, bourré d'informations et de dessins. Ce ne sont
malheureusement, des dessins originaux du père Neyret qui
ont été publiés. Leur reproduction eut dépassé les moyens
financiers des éditeurs. Ils nous en ont cependant donné quelques
uns à titre d'exemples.
Notons le en passant : il n'y a pas un seul plan, ce qui pourrait
être regrettable si les dessins avaient été faits comme sont faits la
plupart des dessins de bateaux, c'est-à-dire pour donner une idée
du bateau et de son allure générale sans les précisions, largeur,
longueur, lignes, etc. qui sont indispensables à une étude
d'architecture navale. Mais étant donné le nombre de pirogues
étudiées, des relevés précis in situ et des plans exacts auraient
nécessité deux ou trois et non pas un seul père Neyret. Soyons
donc raisonnable ! Si l'on peut demander beaucoup à la Société de
Marie et à ses missionnaires océaniens, on ne peut tout de même
pas en exiger des miracles ! D'ailleurs, ce "miracle" n'est pas
indispensable, car les dessins du père Neyret sont sur les trois
axes : vertical, horizonal et sections ; et fort bien exécutés. En les
soumettant à un ordinateur programmé comme il le faut, on
obtiendrait les plans demandés. Certes, ils n'auraient que le degré
d'exactitude des dessins du père Neyret et ne pourraient être
considérés comme des plans exacts des pirogues d'origine. Mais
les erreurs seraient certainement moindre que les différences
introduites par les constructeurs entre les pirogues successives
qu'ils construisaient.
Le père Neyret termine son travail par une revue des pirogues
non-océaniennes, ce qui ne correspond pas à un désir d'être
exhaustif, mais à un esprit qui ne fait pas d'analyses détaillées
pour la seule analyse des détails et qui essaye de replacer "ses"
propres pirogues dans un ensemble plus vaste.
Pour ces mers et côtes dont il n'est pas familier, le père Neyret
n'a pas toujours la meilleure documentation. Par exemple, il ne
cite pas l'admirable Bark Canoes and Skin Boats of North
plus
pas,
84
COMPTES RENDUS
America de Howard Chapelle (Washington, 1964) ; mais les
quelques pages qu'il consacre à cette exploration hors de son
domaine sont pleinement démonstratives. Ce sont les autres qui
doivent faire un effort pour chercher à atteindre le niveau de
connaissances auquel nous sommes maintenant arrivés pour les
pirogues océaniennes. Et ce n'est que justice. Les civilisations
océaniennes, dispersées sur des îles multiples, n'étaient-elles pas
fondées sur la navigation des pirogues ?
Paul Adam
René Galzin, Richesse et
productivité des écosystèmes in¬
sulaires, lagunaires et récifaux. Application à l'étude
dynamique d'une population de Pomacentrus nigricans du
lagon de Moorea, Polynésie Française, Montpellier, 1977.
(Thèse d'Université soutenue devant l'Université de Sciences
et Techniques du Languedoc-Montpellier).
Ce travail a été réalisé dans le cadre du programme d'étude de
l'Antenne du Museum National d'Histoire Naturelle et de l'Ecole
des Hautes Etudes (directeur B. Salvat), programme qui
s'intéresse à la richesse et à la productivité des écosystèmes
lagunaires et récifaux.
Après une brève description de l'île haute et volcanique de
Moorea et un rappel des principales recherches concernant le
secteur Nord-Ouest de cette île (Tiahura), cet ouvrage est
consacré à la faune ichtiologique de ce secteur.
L'inventaire qualitatif des poissans, réalisé en utilisant des
méthodes d'évalutations directes (observation et comptage en
plongée et empoisonnement par le roténone), a permis à l'auteur
d'identifier 167 espèces appartenant à 87 genres et 42 familles.
Ces évaluations directes permettant de noter un peuplement
moyen identique (14 à 15 individus par 10 m2) entre le récif
frangeant et le plateau récifal, peuplement supérieur à celui du
chenal (8 individus par 10 m2).
La finalité de ce programme multidisciplinaire en Polynésie
étant de quantifier la biomasse et la productivité de ces
écosystèmes coralliens, l'auteur a réalisé une étude de
dynamique des populations sur une espèce ichtiologique
prédominante (plus de 80 % en biomasse sur le récif frangeant).
Cette étude sur le Pomacentrus nigricans (Atoti) originale
quant à la technique de prospection utilisée (échantillonnage par
la méthode de marquage et recapture) a permis d'obtenir, non
seulement des renseignements sur la biologie, le comportement,
le régime alimentaire, la reproduction, la croissance de cette
Société des
Études
Océaniennes
COMPTES RENDUS
85
espèce, mais également des données sur les stocks et la biomasse
en poisson de ce lagon de Tiahura.
Les Atoti présentent une activité intense durant la journée, une
grande tendance à la territorialité et une alimentation omnivore
dans laquelle les algues occupent une place prédominante.
L'étude du cycle sexuel semblerait montrer que cette espèce
possède deux périodes de ponte pendant l'année, avril et octobre,
alors que le meilleur ajustement des courbes de croissance
(croissance linéaire et croissance pondérale) a été obtenu par la
courbe de croissance
en S de Gompertz.
technique de marquage et recapture, l'auteur a
estimé, en rapportant les résultats à l'ensemble de la faune
ichtiologique inventoriée, des biomasses moyennes de 61 g/m2
pour le récif frangeant, stricto sensu, alors que le maximum de
biomasse a été observé sur cette zone frangeante, près du chenal
avec
183 g/m2, avec, dans cette zone, une production de
Pomacentrus nigricans de 128 kg/hectare/an.
Par
cette
M. RICARD, du Museum d'Histoire naturelle de Paris et de
l'Antenne du Museum et de l'E.P.H.E. à Tahiti. Les peuple¬
ments de Diatomées des
lagons de l'archipel de la
Floristique, Ecologie, Structure des Peuple¬
ments et Contribution à la Production Primaire. (Revue
Algologique, Tome XII, fascicule 3-4, 1977).
Société.
La première étude floristique du phytoplancton de la Polynésie
Française a été réalisée grâce à l'observation de plus de 200
récoltes effectuées, au filet ou par bouteilles hydrologiques, dans
les eaux douces, marines et saumâtres des îles hautes de
l'archipel de la Société. Les populations de diatomées ont plus
particulièrement été étudiées ; elles sont caractérisées par une
grande diversité taxinomique puisque 70 genres ont été
répertoriés : ils incluent 580 taxons dont 44 sont nouveaux. Ces
diatomées appartiennent tout autant au phytoplancton qu'au
phytobenthos en raison des conditions hydrologiques
particulières qui régnent dans les lagons d'îles hautes. Dans la
liste récapitulative, chaque taxon identifié est accompagné de
remarques sur sa fréquence dans les différents biotopes, sur son
écologie et sur sa distribution géographique mondiale.
L'Etude des structures des peuplements des diatomées est
fondée sur la comparaison des fréquences relatives de 314 taxons
provenant de 48 récoltes au filet, réalisées mensuellement à la
surface des lagons de Faaa et de Vairao de janvier 1972 à
décembre 1973. Dans l'analyse statistique, les récoltes ont été
té des
Études
86
COMPTES RENDUS
petit nombre d'espèces dominantes, est caractérisée par le
passage progressif d'une population à faible dominance et à forte
diversité, vers une population à forte dominance et à faible
étudiées au moyen des indices de diversité et de dominance, ce
qui a permis de dégager une évolution cyclique des différentes
populations. Cette évolution, conditionnée par la présence d'un
diversité. Grâce à l'Analyse Factorielle des Correspondances, les
différences de composition et d'évolution des populations des
deux lagons ont pu être mises en évidence en relation avec les
conditions écologiques : la pluviosité est le facteur prépondérant
mais la température de l'eau joue également un rôle important.
La classification hiérarchique ascendante des récoltes des deux
lagons confirme la séparation fondamentale des populations de
Faaa et de Vairao ; en outre ont été précisés des groupes
d'espèces associées caractéristiques de Faaa et de Vairao, ou
bien communs à ces deux lagons : ces groupes sont définis en
fonction de leurs exigences vis-à-vis de la température et de la
pluviosité.
La production primaire micro- et nannoplanctonique a été
mesurée par la technique du carbone 14 incubé in situ dans les
lagons de Tahiti (Vairao et Faaa) et de Moorea (Tiahura) afin
d'évaluer la part des diatomées dans la production carbonée
totale des eaux de ces lagons. Les mesures de carbone 14 ont été
complétées par des comptages cellulaires au microscope inversé,
par des dosages de chlorophylle a en fluorimétrie et par des
pesées de seston recueilli par filtration. Les lagons de Tahiti (80 à
850 mgC m -2 j-l) sont plus productifs que celui de Moorea (4 à 40
mgC m -2 j -l) ; et les eaux de la frange océanique ont une
production carbonée élevée (485 mgC m -2 j -l) stable tout au long
de l'année contrairement à celle des lagons qui est plus forte en
été qu'en hiver en raison de l'influence prépondérante de la
pluviosité. Les diatomées représentent une part importante du
microplancton mais ne participent que très peu à l'élaboration de
la matière carbonée alors que le nannoplancton entre pour 70 à
90% dans la production primaire du phytoplancton : celui-ci ne
contribue que pour une faible part à la production carbonée
totale des écosystèmes coralliens.
Tahiti, la langue et la Société. Paris, 1977.
(Thèse de doctorat de recherche soutenue à Paris le 28 octobre
1977, à l'Université de Paris III, Sorbonne).
Vonnick BODIN,
La thèse de doctorat de recherches (Illème cycle) soutenue par
Mlle Vonnick Bodin le 28 octobre 1977, à la Sorbonne est une
date à marquer d'une pierre blanche. C'est en linguistique et en
Société des
Études
Océaniennes
87
COMPTES RENDUS
ethnologie, la première thèse soutenue par un Tahitien, et encore
par une Tahitienne. Au surplus il s'agit d'un très
remarquable travail destiné à changer le cours des études
jusqu'alors accomplies sur la Polynésie ancienne.
Jusqu'à maintenant, dans la suite logique des navigateurs,
missionnaires, militaires, conquérants et administrateurs, nous
avions le point de vue de l'étranger sur la tradition polynésienne,
et seulement ce point de vue. La thèse de Mlle Bodin, intitulée
"Tahiti, la langue et la société", se veut un regard intérieur. Nous
échappons cette fois entièrement à l'exotisme, pour regarder les
faits, interroger la tradition et les coutumes encore vivantes pour
les confronter avec la documentation en langue tahitienne
recueillie au début du siècle dernier. L'image de la vahine en
"more", auprès de son tane, tous deux languissamment rêveurs
ou dansant avec insouciance, disparaît remplacée par
l'interrogation passionnée, et passionnante, de la civilisation
tahitienne dans son expression propre et plus à travers le filtre
déformant des discours popaa. Il était temps.
Le travail de Vonnick Bodin détruit la vision idyllique et
abêtissante du Polynésien. Procédant de proche en proche,
suivant une méthode sûre, qui a fait ses preuves ailleurs, elle met
mieux
en relation toute information localisée avec celles concernant les
lieux voisins, ou dont on sait qu'ils sont en relation
traditionnelle. Elle fait surgir la complexité des structures
politiques anciennes et les limites que revêtaient dans l'espace
les regroupements mis en évidence. Bien des points de l'histoire
coloniale en surgissent éclairés. Mais ce n'est pas le seul résultat.
Tahitienne elle-même, Vonnick Bodin a découvert le visage
caché de sa culture avec émotion et surprise — pourtant son
travail est fondé sur des documents accessibles à chacun, mais
personne, depuis qu'ils ont été publiés, ne s'était attaché à
étudier les textes denses de "Tahiti aux temps anciens" de telle
façon qu'ils puissent livrer leur secret. Le livre si précieux de
Teuira Henry est peut-être en votre possession : seules dix sept
pages de cette "bible" ont servi de support à l'étude, tant les
phrases de la tradition comportaient d'information condensée
un faible volume.
C'est à partir d'une analyse de la langue de ces textes que
Vonnick Bodin a découvert que leur sens trop souvent défiguré
sous
par
les
erreurs
de notation et de traduction, donnait
une
image
des districts de Tahiti d'une précision inou'ie, que des foules de
détails intéressants, pertinents, y étaient contenus sur les
différentes classes de la société, que ce que les auteurs répétaient,
l'un après l'autre, sur les Ario'i, était en partie inexact. Sous son
regard étonné apparaissait une société puissamment structurée ;
la lutte pour le pouvoir et la suprématie sur les classes populaires
se jouait entre les "grands" d'une façon codée, obéissant à et
jouant de règles bien précises. L'ambition et le génie militaire
Société des
Études
Océaniennes
88
COMPTES RENDUS
tenaient compte de ces règles.
L'étude des généalogies s'imposait, Vonnick Bodin s'y est
attachée et ce travail s'est avéré si fructueux, permettant de
recouper
l'analyse des textes, qui vient très exactement de
se
voir
confirmer par les fouilles récentes réalisées au cours de l'été 1977
dans la vallée de la Papenoo, où le site principal correspond aux
points forts indiqués
l'analyse des textes de Teuira Henry.
de cette
française
première
étude, première par une autochtone, du Tahiti d'avant la
conquête, a été réalisée. En conclusion à la soutenance, Mlle
Bodin a été déclarée Docteur en linguistique avec la mention très
bien, c'est-à-dire la meilleure mention.
par
Nous ne saurions trop souligner l'importance
soutenance de thèse. C'est dans le cadre de l'Université
et donc avec une audience internationale que cette
Jean GuiART
Jacqueline de la FONTINELLE
E.H. Me CORNICK, Ornai, Pacific Envoy, Auckland University
Press. Oxford University Press. 1977, XVIII—364 p., ill. en noir
et en col. port, (front.), cartes, 24 cm.
Dépêchons-nous si
nous
désirons fêter à la bonne date le
second centenaire du retour d'Omai sur son île d'Huahine, en
octobre 1777... Il y fut d'ailleurs reçu à coups de pierres. Nous
premier polynésien qui s'en fut
dont on pensait connaître l'histoire,
plusieurs fois narrée ici ou là. Mais quand un authentique
scholar néo-zélandais s'attaque à un sujet et y "met le paquet"
on peut s'attendre à voir se renouveler un sujet. C'est le cas. Dès
la page de titre l'auteur nous fait découvrir un nouveau portrait
d'Omai ; une de ces charmantes et vivantes silhouettes dont
l'Angleterre était alors friande, dont elle avait en partie le secret
et qui est, aujourd'hui, un art totalement disparu... Et chaque
page de ce gros volume nous ménage quelques satisfactions de
serons
plus bienveillants
pour ce
"découvrir" l'Angleterre et
cet ordre.
Passons sur les voyages aller et retour vers l'Angleterre pour
arrêter sur les deux années du séjour à Londres, les plus
croustillantes. Aoutourou, le tahitien ramené par Bougainville
était mort de la petite vérole. Les esquimaux du Labrador
conduits à Londres en 1772 avaient connu le même sort. Le
nous
premier soin de Banks et Solander, les hauts protecteurs d'Omai
à Londres, fut de le faire vacciner. Le roi Georges, lors de sa
fameuse audience, avait suggéré de confier son lointain visiteur
au Baron Dimsdale. Ce noble chirurgien venait d'aller en Russiè
89
COMPTES RENDUS
inoculer la grande Catherine et son fils ; la réussite avait été
totale. Vite on conduisit Omai à Hertford, chez Dimsdale. Arrivé
à
Spithead le 14 juillet,
reçu en
audience le 17, Omai sera vacciné
le 29. On ne pouvait aller plus rapidement. Placé quelque temps
sous surveillance médicale, Omai passa sans encombre au
travers de toutes les suites, alors souvent fâcheuses, de
l'inoculation. Dès que les croûtes eurent disparu on le laisse
trotter et il peut inaugurer sa vie londonienne. Le 25 août, le
London Chronicle nous informe qu'il assiste à la "Mitre
Tavern", Fleet Street, à
un repas
de
corps
de la Royal Society. Et
chacun de remarquer que l'homme des Mers du Sud utilise
adroitement fourchette et couteau, sait boire le thé et beurrer ses
toast : le voilà lancé ; chacun admire sa rapide adaptation : ni
un
Patagon, ni
un
Persan,
pas
même
un paysan
du Danube !
Omai s'est tout de suite fait tailler un costume anglais à la mode
et va s'habiller avec goût, sachant d'emblée, au velours anglais
qu'on lui présentait, préférer un coupon venu de Gènes, ayant
plus de drapé et de souplesse. Car, s'il porte quelquefois le
costume national : poncho et ample toge de tapa dans lequel le
peindront Danse et Reynolds, il sort également vêtu à la mode
londonienne ; et c'est l'Amirauté qui règle les factures.
On le conduit aux courses, à l'Opéra. Un oratorio de Haendel,
le dépasse un peu. Il se tient bien au cours d'une performance de
Sadlers Wells, mais trouve le spectacle un peu longuet, y somnole
légèrement,
pour ne se
réveiller qu'à la pantomine finale, elle,
tout à fait de son goût. Il botanise, visite les cabinets de curiosité
où il n'aime pas les machines électriques qu'on fait tourner en
son honneur et qui lui causent de désagréables chatouillis. Des
âmes pieuses songent à son éducation religieuse. Il assiste à des
services
au Temple. Certains à Londres voudraient le voir
repartir accompagné de missionnaires — vingt ans avant le
Duff ! Un volontaire, dans une lettre touchante, se proposera
même pour cette tâche apostolique. Il se promène seul, jamais en
peine de son personnage. Partout il se fait des amis. Une
maîtresse de danse lui donne ses premières leçons. Elle reconnaît
ses qualités musicales, son sens du rythme, ses aptitudes
corporelles. Doué comme il est, son élève sera dans une semaine
ou deux un parfait cavalier. S'il danse bien, il n'a pas l'oreille du
linguiste ou ne prétend pas faire l'effort nécessaire pour
assimiler l'anglais. Solander lui donne pourtant des leçons : "S'il
prononce les "s" assez bien, il ne sort pas des "r"." Mais Omai
n'a pas besoin de l'anglais d'Oxford pour se faire comprendre ;il
s'en tire très aisément en accompagnant de gestes son modeste
vocabulaire et le tour est joué. Par contre, il mérite un bon point
du côté culinaire. Lors d'un repas il a préparé trois services. Les
convives n'en reviennent pas. Sa cuisine est excellente : une
certaine épaule de mouton mérite surtout les plus grands éloges ;
iei
90
COMPTES RENDUS
lui demande ses recettes. Et Londres d'apprendre à fabriquer
le four tahitien autour duquel Omai va tourner plusieurs heures
on
"en
regardant le soleil", sa montre à lui, de manière à ce que les
épinards qui remplacent le fafa national, soient cuits à point !
Tout cela fait, — le snobisme de la gentry londonienne est de
tous les temps ! — que les "gens biens" se demandent s'ils ont
affaire à un roturier ou à un homme noble, ce qui résoudrait tout.
Les jugements sont partagés à son sujet. Certains font de lui un
stupid fellow, un sauvage ignorant et superstitieux, qui parle mal
leur langue, n'a rien fait d'autre au cours de son séjour que de
jouer aux cartes et de courir le guilledou. D'autres, et c'est la
majorité, sont séduits par la gentillesse, la simplicité, l'heureux
naturel de ce bon sauvage dont les dépenses, si elles montrent la
vanité et la fantaisie, témoignent du moins qu'il ne jette pas
l'argent par les fenêtres.
Ceci dit, à travers cent autres petits faits amusants, ou curieux,
mais toujours authentiques, rassemblés par un érudit de bonne
classe, la première rencontre de l'Europe et de l'Océanie, deux
mondes qui ont à se connaître et à se reconnaître... L'auteur, au
gré de son récit philosophe un peu, à sa manière, qui est réaliste
et pertinente, sur les événements et les conceptions d'un chacun.
Nous avons beaucoup à profiter de ses reflextions.
Patrick O'REILLY
Société des
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 201