B98735210103_198.pdf
- Texte
-
BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCEKNIENNES
f
N°198
TOME XVI NU/MARS 1977
Société des études océaniennes
Ancien musée de
Papeete, Rue Lagarde, Papeete, Tahiti.
Polynésie Française.
B. P. 110
-
Tél. 2 00 64.
CONSEIL D'ADMINISTRATION
M. Paul MOORTGAT
Président
M. Yves MALARDE
Vice-Président
Mlle Janine LAGUESSE
Secrétaire
M.
Trésorier
Raymond PIETRI
assesseurs
Me
M. Roland SUE
Rudolph BAMBRIDGE
M. Henri BOUVIER
M. Temarii TEAI
Dr. Gérard LAURENS
M. Maco TEVANE
Me Eric
M. Raoul TEISSIER
LEQUERRE
Me Jean SOLARI
MEMBRES D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
R. P. O'REILLY
M. Georges
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se
BAILLY
faire présenter par un membre titulaire.
Bibliothèque
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d'Administration informe
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membres qu'ils peuvent
emporter à domicile certains livres de la Bibliothèque en signant une
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la date fixée. Les autres peuvent être
consultés dans la Salle de lecture du
Musée.
La
Bibliothèque et la salle de lecture sont ouvertes aux membres de la
de 14 à 17 heures, sauf le Dimanche.
Société tous les jours,
iei
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DES ÉTUDES OCÉANIENNES
(Polynésie Orientale)
Tome XVI — N° 11
198 — Mars 1977
n°
SOMMAIRE
Articles
Robert L. Clifford
J -C Thibault
D T HOLYOAK
J.M. CHAZINE
Bernard vlllaret
La fin imprévue du "Seeadler"
689
L'avifaune du mont Marau, Tahiti
700
Recherches archéologiques entreprises
dans la vallée de la Papenoo à Tahiti
Jacques Boullaire, le polynésien
707
712
Comptes rendus
Philippe godard
Jean Vonsy
Hugh Laracy
Brigitte poupel
Wallis et Futuna
Coqs de combat... en Polynésie française
Marist and Melanesians
Tuberculose... en Polynésie française ....
687
Société des
Études
Océaniennes
714
715
716
717
'
■
688
Société des
Études
Océaniennes
La fin
à
imprévue du "Seeadler"
Mopelia en juillet 1971
dans son numéro de mars 1973, p. 255-261, avait
déjà publié un article du Commandant Pierre Jourdain, intitulé
"A propos de l'échouement du "Seeadler" à Mopelia", dans lequel
notre collègue avait déjà prouvé que le Cdt Luckner avait
volontaire travesti la vérité concernant la fin de son navire.
L'article ci-après confirme les affirmations du Cdt Jourdain en y
ajoutant quelques détails inédits.
Notre Bulletin,
Les drames de la mer prennent parfois des aspects
imprévisibles et décevants. Ce fut le cas du corsaire Allemand
Seeadler dont la carrière fut interrompue en 1917 dans le
Pacifique Sud, après qu'il eut parcouru près de la moitié du globe
pendant la première guerre mondiale.
Les causes du désastre du Seeadler embarrassèrent
énormément le Capitaine de Corvette Comte Félix von Luckner,
de la Marine Impériale Allemande. Il avait parcouru avec succès
plus de 30.000 milles à travers l'Océan Atlantique et l'Océan
Pacifique, échappant à tous les navires de guerre Alliés envoyés à
sa recherche, pour en arriver à perdre son navire dans des
circonstances qui auraient certainement pu être évitées.
Pour Luckner, fier aristocrate et vétéran de sept années de
navigation à voile, la perte de son navire fut un choc difficile à
supporter. Il donna donc à ses officiers, ainsi qu'à son équipage,
l'ordre de garder toujours le secret sur les causes réelles du
désastre ; pour l'expliquer, on se mit d'accord sur une "version de
l'accident". La discipline joue un tel rôle dans les unités
Allemandes que la vérité ne fut jamais dévoilée tant que le Comte
fut en vie. Il mourut en 1968, à l'âge de 87 ans, demeurant le héros
d'une des grandes aventures de la première guerre mondiale.
L'histoire de la croisière du Seeadler détruisant les navires de
commerce ennemis vers la fin de la première guerre mondiale, fut
bientôt connue de millions de personnes à travers le monde, entre
les années 1920 et 1930 ; Luckner était sans cesse en voyage,
faisant à des gens de tous âges des conférences sur la croisière
689
aventureuse du Seeadler, la capture de 14 bâtiments Alliés et les
traitements toujours humains dont bénéficiaient les équipages
prisonniers. Ses mémoires furent adaptées par Lowell Thomas
dans un livre, "The Sea Devil" qui connut un grand succès1. Son
aventure fut reprise en 1969 par Edwin P. Hoyt dans son livre
"Knight of the Sea"2.
L'épopée du Seeadler commence avec son départ d'Allemagne le
21 décembre 1916, dans une tempête de Mer du Nord. Ce voilier
avait été construit à Glasgow en 1888 et baptisé Pass of Balmaha,
mais il avait été complètement transformé par la marine
Allemande en vue d'une croisière de douze mois consacrée à la
destruction des navires de commerce alliés en haute mer. A
Hambourg, l'intérieur du voilier avait été entièrement réaménagé
pouvoir y installer 400 couchettes, deux moteurs Diésel de
chacun, deux canons de 105mm disposés sur le pont avant,
avec un équipage de six officiers et 57 hommes sélectionnés et
entraînés en vue de cette expédition contre les navires de
pour
500cv
commerce.
Extérieurement, ce navire reconstruit avait l'aspect d'un troisclassique de 1500 tonneaux, du type de ceux qui transportent
habituellement des cargaisons lourdes, telles que grain, bois ou
charbon. Le Commandant avait soigneusement préparé et répété
une mise en scène destinée à le faire passer pour un bâtiment
Norvégien, l'Irma, transportant du bois à destination de
l'Australie ; ceci pour pouvoir passer, en mer du Nord, à travers le
blocus de la Marine Anglaise, qui immobilisait la flotte
mâts
Allemande dans
ses
ports.
Le navire profita d'une violente tempête pour traverser les trois
lignes du blocus Anglais mais, le matin de Noël, la tempête s'étant
apaisée, un croiseur auxiliaire Britannique intercepta l'Irma au
Nord de l'Écosse et envoya un détachement à bord pour
l'inspecter. Luckner avait placé sur le pont, pour les recevoir, des
matelots parlant norvégien ; il leur présenta des papiers de bord
trempés d'eau de mer et partant illisibles. Du bois entassé sur les
écoutilles rendait impossible l'inspection des cales ; la plus grande
parti e de l'équipage, les armes et les munitions étaient cachés sous
le pont. La mise en scène de Luckner, et les matelots "Norvégiens"
aux vêtements disparates trompèrent
l'équipe d'araisonnement et
l'Irma fut autorisée à poursuivre sa route3.
C'est avec soulagement et joie que l'équipage fit voile en
direction de l'Atlantique, faisant route vers le Sud pour s'attaquer
1
Les souvenirs du comte de Luckner étaient parus, en allemand, sous le titre
Seeteufel. Abenteuer aus meinen Leben, à Leipzig en 1921. Payot, en avait donné
une traduction française, en 1927, sous le titre : Le dernier corsaire,
1914-1918, dans
la célèbre collection : "Mémoires pour servir à l'histoire de la guerre mondiale".
2
Edwin P. Hoyt, Count
Publishing Corp. 1969.
von
Luckner
:
Knight of the Sea, New-York, MacKay
690
Société des Etudes Océaniennes
navires utilisant les routes allant d'Amérique du Sud à la côte
Ouest d'Afrique. Au Sud des Açores, ils se mirent à la recherche de
bâtiments de commerce Anglais et Français naviguant isolés. La
aux
technique du Seeadler consistait à naviguer comme s'il s'agissait
d'un grand voilier peu maniable jusqu'à ce qu'il parvienne à
portée d'interception de sa proie ; à ce moment, une section du
bastinguage s'abaissait, découvrant un canon, le pavillon
Allemand était hissé et quelques coups de semonce étaient tirés à
l'avant du navire pour le faire stopper ; s'il n'obtempérait pas,
quelques obus étaient envoyés dans sa cheminée et dans sa coque.
Une fois stoppé, l'équipage était transbordé sur le Seeadler et
installé dans les logements prévus à cet effet ; un détachement
était envoyé à bord du navire capturé, et, après avoir ramassé
toutes les provisions utilisables, des charges explosives étaient
placées dans les cales pour l'envoyer par le fond.
Pendant une période de deux mois, du 9 janvier au 11 mars 1917,
onze navires furent interceptés et coulés, les équipages étant pris à
bord du corsaire. Vers la mi-mars, la Marine Britannique était
parfaitement au courant de l'existence d'un corsaire Allemand
opérant dans l'Atlantique Sud, et les navires de guerre reçurent
l'ordre d'intercepter le corsaire fantôme. Des centaines de cargos
retardaient leur départ et les taux d'assurance maritime
montèrent en flèche.
En dépit de la campagne
de recherches Alliée, le Seeadler
plusieurs mois encore, demeurer un bateau mystère
introuvable. Dans son numéro du 26 avril, YIllustrated London
News faisait paraître, sur un dépliant central, un dessin du
corsaire avec, pour légende : "Un voilier armé utilisé comme
corsaire Allemand ; prêt à couler ses victimes après les avoir
attirés par de faux S.O.S. de détresse". Le texte expliquait ensuite
que les navires venant à son secours "aperçoivent un voilier en
panne, battant pavillon Norvégien et arborant les signaux de
détresse... Les navires venus au secours, sans méfiance, sont
aussitôt pris sous le feu des canons camouflés du corsaire et coulés
les uns après les autres... Cette ruse méprisable viole les principes
d'honneur les plus respectés sur les mers... Même un pirate
Barbaresque hésiterait à commettre un tel acte."
En fait, dès la mi-mars, Luckner avait pris la décision de quitter
l'Atlantique pour le Pacifique. Le 21 mars il chargea ses 264
prisonniers sur la barque Française Cambronne qui avait été
devait,
pour
capturée, avec instructions
de
gagner
Rio et d'y débarquer les
prisonniers Alliés. D'après ce que l'on sait, les prisonniers avaient
compte-rendu officiel de la croisière du Seeadler, Section Historique de la
suit : "Un croiseur marchand armé, le Patia, de la
lOème Escadre de Croiseurs, arraisonna le corsaire le jour de Noël, entre l'Islande
et les Iles Féroé, mais l'officier arraisonneur n'ayant rien trouvé de suspect, il fut
autorisé à poursuivre sa route."
3
Le
Marine Britannique, est comme
691
apprécié les bons traitements dont ils avaient été l'objet à bord du
Seeadler mais apprécièrent encore plus leur délivrance.
Le 18 avril, Luckner ayant doublé le Cap Horn, aperçut le
croiseur auxiliaire Britannique Otranto qui l'attendait, mais
réussit à lui échapper en s'enfonçant dans une tempête. Pour
éviter les trois autres croiseurs Britanniques qui le recherchaient
dans le Pacifique Oriental, il fit route dans le Nord-Ouest en
direction du Pacifique Central. Il évita également la Côte Ouest
des Amériques, ayant appris par sans-fil l'entrée en guerre des
Etats-Unis le 6 avril. Vers le début du mois de juin, le Seeadler
arrivait dans les parages de l'île Christmas, le long de l'Équateur,
et décidait d'en faire son terrain de chasse.
Dans le mois qui suivit, le Seeadler rencontra trois goélettes
Américaines : la A.B. Johnson, la R. C. Slade, et la Manila. Le récit
des membres de l'équipage de ces navires constituera l'essentiel
de
ce
qui suit.4
Le Capitaine Andrew B. Peterson de la Johnson décrivit
l'araisonnement de sa goélette qui transportait une cargaison de
bois depuis Raymond, Washington, jusqu'à Newcastle en
Australie : "Le 14 juin vers 16 heures, on aperçut un navire faisant
route dans le Sud-Est. La vitesse d'approche de cet étranger
indiquait clairement qu'il ne se déplaçait pas seulement à la voile,
également un moteur auxiliaire. Vers 17 heures,
un premier projectile fut tiré, explosant à
environ 4 mètres sur le
mais devait avoir
bord de la Johnson et éclaboussant l'homme de barre." Le navire
attaquant s'étant rapproché, on put distinguer le pavillon de
guerre Allemand. De son pont quelqu'un nous cria : "Amenez les
voiles et les embarcations prêtes à partir." Cet ordre fut exécuté, la
Johnson ne cherchant pas à s'échapper. Un officier et dix
hommes armés accostèrent dans une chaloupe et montèrent à
bord. Les papiers de bord furent immédiatement réclamés et
confisqués. Une demi-heure fut donnée à l'équipage pour
rassembler ses effets personnels avant de se rendre à bord du
corsaire. Là, ils furent logés dans l'entrepont avant, chacun
un
hamac et deux couvertures. Le détachement
Allemand demeura sur la Johnson pour transférer tous les
recevant
approvisionnements sur leur bâtiment.
Le lendemain, les Allemands tentèrent de couler la goélette de
529 tx. en faisant sauter les mâts, sans succès d'ailleurs, en raison
de la cargaison de bois entassée sur le pont. Trente huit obus
furent ensuite tirés, sans autre effet que d'engager la goélette ;
finalement ils y mirent le feu et appareillèrent, tandis que brûlait
le bois amassé sur le pont. Le 17 juin, la goélette R.C. Slade fut
4
Les déclarations des membres de l'équipage Américain sont données dans leur
intégralité dans le rapport du Consul Américain, Tahiti, daté du 1er nov. 1917. Ce
rapport de 120 pages, annexes incluses, avec 6 photos, est classé aux Archives
Nationales, Section Diplomatique, Washington.
692
Elle battait pavillon Américain et le
Allemand. La Slade n'opposa aucune résistance
et cependant 9 coups furent tirés dans sa direction avant qu'elle ne
puisse empanner. Robert Batty, marin de la Johnson à bord du
Seeadler déclara plus tard que les Allemands avaient décidé de
couler le bâtiment avant même d'avoir pu s'assurer de sa
nationalité. Toujours est-il que les Allemands transbordèrent
l'équipage sur le corsaire, et, après avoir vidé la goélette de ses
approvisionnements y mirent le feu pour la couler.
Le Capitaine FredE. Southard de la Manila relate quele8juillet
un trois-mâts apparut à l'horizon sur bâbord arrière et s'approcha
rapidement de lui. Le caractère spécial de cet étranger se
manifesta par un coup de canon suivi de quatre autres en rapide
succession. Le navire attaquant était un 3 mâts carré à coque
noire, avec doubles perroquets et cacatois, battant pavillon de la
Marine Allemande, et dont les canons n'apparurent que lorsque
les sabords furent ouverts. Après le premier coup de canon, la
Manila hissa le pavillon Américain sans chercher à s'échapper.
Comme d'habitude, une équipe d'arraisonnement vint à bord et
donna l'ordre à l'équipage de ramasser ses effets pour se rendre à
bord du Seeadler. Après avoir enlevé tout ce qui était
transportable, ils coulèrent ce bâtiment de 731 tx. en plaçant des
explosifs à l'avant et à l'arrière.
Les Américains prisonniers à bord du Seeadler étaient
maintenant au nombre de vingt neuf. Ils déclarèrent par la suite
que la nourriture avait toujours été de bonne qualité et en quantité
suffisante. Les Américains étaient autorisés à circuler librement
sur le navire et avaient à toute heure accès au pont. A aucun
moment les prisonniers ne furent maltraités par les Allemands.
Après environ deux mois d'allées et venues le long de
l'Équateur, Luckner constata que l'entreprise ne correspondait
pas à ses espérances, et, en juillet, décida de faire route dans le
Sud, à la recherche d'une île inhabitée où le navire serait en
sécurité dans des eaux abritées, tandis qu'on procéderait au
nettoyage de la coque, fort sale, et que l'équipage irait à terre. On
espérait aussi y trouver fruits et légumes dont l'équipage avait
grand besoin.
Le 31 juillet, l'île de Mopelia, dans l'archipel Français de la
Société, fut atteinte. Elle était située à environ 300 milles au N.O.
de Tahiti. Les Allemands s'en furent à terre pour se détendre et
pour y chercher de l'eau et des vivres. Ils y trouvèrent, en
abondance, des tortues, des langoustes, du poisson et des cochons,
ainsi que des noix de coco ; ce changement de régime fut très
apprécié.
Pendant qu'ils étaient occupés à terre, les Allemands frappèrent
une aussière sur le récif pour maintenir le navire parallèle à celuiaperçue
et interceptée.
corsaire pavillon
693
ci ; une seule ancre fut mouillée vers le large pour le maintenir à
distance. Luckner avait demandé aux capitaines JAméricains si
l'on pouvait mouiller sans risques près du récif et avait reçu
l'assurance que les voiliers le faisaient souvent. Fort de son
expérience passée dans les Mers du Sud, le capitaine Southard
n'ignorait pas à quel point les vents et les courants étaient
variables autour de ces îles, mais n'estima pas de son devoir d'en
informer les Allemands.
Ce fut le matin du 2 août que
le drame se déroula. L'alizé d'Est
de souffler. La plupart des Allemands, ainsi que
les trois capitaines Américains étaient à un pique-nique sur l'île,
ayant laissé un officier à bord. Les événements qui suivirent
furent racontés 55 ans plus tard par Adolph G. Miller, second de la
cessa
peu
Johnson
à
peu
:
"Le navire était mouillé
sous
le vent de l'île et
von
Luckner
pensait que les vents dominants le maintiendraient à distance du
récif. Il faisait calme plat. J'étais assis, les pieds dans l'eau, sur un
radeau de carénage, travaillant sur la coque ; de là où j'étais je
pouvais voir le fond et remarquai que nous bougions, nous
dérivions ; je dis à mon compagnon : "Çà veut dire qu'ils ne nous
emmèneront pas en Allemagne avec ce navire," et je répétai
plusieurs fois : "Vas-y ! Vas-y ! Vas-y !" jusqu'au choc final.
"Ils commirent l'erreur de hisser des voiles, ce qui accentua le
mouvement
en
avant. La chaîne
d'ancre s'enroula autour d'un
Le choc, enfin, déchira la quille
fut la fin du Seeadler.5
pâté de
coraux.
en
5 endroits. Ce
Charles Julius, marin breveté de la Johnson, rappelle que : "Le
commandant et son équipage qui se rendaient à terre, furent
rappelés
par
le lieutenant Preiss qui fit tirer le
canon.
Mais le
corsaire était condamné et toutes les tentatives pour le dégager du
récif furent vaines. Tout le monde se mit au travail pour débarquer
les vivres et les approvisionnements. Les Allemands mirent tout
d'abord à l'abri le vin et la bière, puis les munitions,
fusils et mitrailleuses. Les travaux de sauvetage durèrent dix
jours pendant lesquels les prisonniers furent maintenus à bord
jusqu'à ce que le niveau de l'eau dans les cales rende toute vie à
bord impossible ; ils furent alors amenés à terre et installés en
campement dans des tentes.
On comprend que Luckner ait été consterné par ce revirement de
la chance qui avait été avec lui pendant près de 8 mois. Soucieux
de ne pas être accusé de négligence dans la conduite de son navire,
il réunit ses officiers en conférence et il fut décidé que l'échouage
5
Déclaration du capitaine retraité Adolph G. Miller, 1445 Moultrie Ave. Norfolk,
Virginia. Bande d'enregistrement déposée au Musée des Navigateurs, Newport
News, Virginia.
694
Société des
Études
Océaniennes
du Seeadler était dû à une forte marée et rien d'autre / Alors que les
Allemands s'en tinrent pour toujours à cette version, un mousse
Américain avait surpris cette conversation. Il n'avait jamais
dévoilé qu'il avait des connaissances d'allemand.6
Au cours des années d'après-guerre, Luckner décrivit en termes
impressionnants le raz de marée qui souleva le Seeadler : A 9
heures trente, j'aperçus un soulèvement étrange dans l'Est. Nous
l'identifiâmes bientôt comme un raz de marée qui se précipitait
sur nous, alors que nous étions à l'ancre entre la mer et l'île. Je
donnai aussitôt l'ordre de couper l'aussière et de mettre en marche
le moteur ; mais celui-ci refusa de démarrer malgré nos efforts. Un
instant après, la vague, haute de 10 à 12 mètres, était sur nous.
Elle souleva le navire, et le précipita en avant, l'écrasant sur le
récif de corail... Nos mâts et notre gréément passèrent par dessus
bord, brisés comme des allumettes1.
L'impact fracassant du navire écrasa le récif dont des morceaux
volèrent dans toutes les directions. Le Seeadler se coucha au point
que son pont était presque à la verticale ; la mer balayait le pont,
avec elle des blocs de corail. Je m'accrochai à une
rambarde métallique et c'est ce qui me permit d'échapper aux
tonnes de corail projetées de tous côtés. Quelques instants plus
entraînant
tard, la
vague
s'était évanouie,
nous
laissant échoués et
au sec.
Commentaire du capitaine Adolph Miller, bien des années plus
tard : "Un raz de marée ? C'est une histoire à dormir debout !"8.
Cette opinion est confirmée par les déclarations ultérieures des
autres membres d'équipage Américains.
Il n'est fait mention d'aucun raz de marée pour le mois d'août
1917 dans les archives météorologiques de l'Archipel de la
Société9. S'il avait eu lieu, il aurait submergé Mopelia et causé des
dégâts à Bora-Bora, Maupiti et Raiatea et il n'existe
aucune
mention d'un tel événement dans les archives officielles
conservées à Papeete, capitale de cette colonie Française.
A terre, les Allemands et les Américains étaient installés dans
des camps contigus. Le poste de T.S.F. fut installé pour permettre
aux Allemands de continuer à écouter les nouvelles du Pacifique.
Une tente hôpital fut dressée mais jamais utilisée, le docteur étant
en état d'ébriété permanente. Les Américains furent employés à
6
Renseignement communiqué
Ralph Varady de Papeete. Mr. Varady et sa
au cours de l'après-guerre. Mr. Varady relate
la reconnaissande qu'il fit de l'épave du Seeadler à Mopelia en 1956, dans son livre
Many Lagoons, Morrow, New-York. Il relate une reconnaissance semblable dans
un article du Magazine Argosy, de Mars 1968.
mère furent des amis de
7
Thomas,
8
Miller,
9
Varady,
op.
op.
von
par
Luckner
cit.
cit.
op.
cit.
695
Société des
Études
Océaniennes
Luckner appelait en
"La dernière colonie Allemande."
Les Américains n'étaient plus aussi bien traités qu'à bord, et la
nourriture s'en ressentait également. Lorsque Fred J. Williams,
second de la Manila, s'absenta en compagnie de Charles Brown à
ramasser
des tortues et du poisson sur ce que
plaisantant
:
recherche de nourriture, revenant au camp avec des
coquillages, Luckner leur intima l'ordre de faire une tournée
quotidienne sur le récif pour ravitailler en coquillages le groupe
tout entier ; les Américains s'étant plaints des blessures que le
corail leur faisait aux pieds, le Commandant leur répliqua,
montrant le sol du doigt : "Voici votre tombeau." Ils continuèrent
donc leur collecte quotidienne10.
Le 23 août, Luckner appareilla avec trois officiers et deux
hommes dans une chaloupe de 10 m de long du Seeadler ; son but
était de rechercher un bâtiment susceptible d'emmener les
Allemands restés sur l'île. Ils firent route dans l'Ouest, avec les
alizés et ne revinrent jamais. Le 30 août le lieutenant Kling
emmena une équipe sur l'épave pour tenter de détruire les mâts qui
risquaient d'attirer l'attention des navires de passage ; il ne
réussit qu'à y mettre le feu, brûlant tout ce qui était au-dessus de
l'eau. Quatre jours plus tard les Allemands utilisèrent des
explosifs pour détruire les deux gros canons.
Le 5 septembre, on aperçut au large la goélette Lutèce de
Papeete ; elle faisait sa visite périodique à Mopelia pour y
ramasser le coprah préparé par les trois indigènes qui se
trouvaient dans l'île. Pedro Miller qui se trouvait à bord de la
goélette, décrivit plus tard la réception : Tout-à-coup une chaloupe
avec seulement quatre hommes apparut. Sans méfiance, nous
nous approchâmes l'un de l'autre, quand subitement du fond de la
chaloupe se dressèrent 20 hommes armés de fusils et de revolvers.
Une mitrailleuse était bien en vue. Quelqu'un sur la chaloupe
arborait un petit pavillon Allemand. Etant montés à bord, un
homme qui semblait être un officier nous dit : "Vous êtes
prisonniers, amenez votre pavillon."
Aussitôt les Allemands commencèrent leurs préparatifs de
départ sur la Lutèce, de 128 tx. Toute la journée fut passée à porter
à bord tout ce qu'ils pouvaient, détruisant ce qui n'était pas
transportable. Ils laissèrent aux prisonniers Américains quinze
sacs de farine, deux caisses de pétrole, du riz, biscuits, haricots,
allumettes, pour la plupart plus ou moins avariés. A 21 heures, les
Allemands appareillèrent.
la
Les vingt neuf Américains se rendaient bien
fâcheuse situation dans laquelle ils se trouvaient,
petite île à l'écart des routes maritimes, sans
10
Rapport du Consul Américain, Tahiti, 1er
696
compte de la
isolés sur une
T.S.F., et avec un
novembre 1917.
qui suivirent le départ des
ils
avaient
réparé
une
Allemands,
embarcation de 5 m de long,
abandonnée par ces derniers. Southard, de la Manila, Miller de la
Lutèce et trois Polynésiens se portèrent volontaires pour essayer
de gagner les îles voisines en quête de secours. Un vent debout
continuel les empêcha de gagner Bora-Bora, et après 9 jours de
mauvais temps, la petite embarcation était de retour à Mopelia.
Deux jours plus tard, l'embarcation repartait, faisant route
cette fois-ci dans l'Ouest avec l'alizé. L'équipage comprenait
Williams et Charles Thompson de la Manila, le capitaine Haldor
Smith et le second maître John W. Johansson de la Slade. Le
journal de bord — encore inédit — de Fred Williams relatant cette
traversée de 1100 milles dans un canot qui faisait eau est un
véritable exploit maritime. Sa navigation précise leur permit de
relever les Samoa Américaines après neuf jours de mer11. Le
commandant de la Marine des E.U., très surpris de cette arrivée,
fut prié de télégraphier au Consul Américain de Tahiti pour lui
signaler la présence des marins Américains abandonnés à
Mopelia12.
La conclusion de cette histoire se trouve dans les archives
officielles de Washington, Londres et Tokyo.
Le 21 septembre, l'expédition de Luckner fut capturée aux îles
Fiji. Les Allemands avaient parcouru dans leur chaloupe 2300
milles en 28 jours, sans avoir eu la chance de trouver un bâtiment
qui leur aurait permis de continuer leurs raids. A Suva, Luckner
fut interrogé par des officiers Anglais et Japonais. Le récit qu'il
leur fit était incomplet et intentionnellement inexact. Luckner fit
à l'amiral Japonais Kazuyoshi Yamagi, à bord du vaisseau
amiral Chikuma, le récit global de son voyage depuis Hambourg
jusqu'au Pacifique. Il déclara ensuite que le Seeadler avait pris feu
et avait été abandonné dans les parages des îles Cook.
"L'équipage ainsi que les prisonniers avaient été transférés sur la
Manila dont la position ne pouvait être — bien entendu — révélée.
Quant à moi, je gagnai les Fiji avec cinq subalternes et m'emparai
d'un bateau à coprah près de Levuka. Avec ce bateau je me
proposais de rejoindre la Manila pour récupérer mon équipage et
les rapatrier. Les prisonniers seront laissés à terre parla Manila."
Au cours des années d'après guerre, Luckner prétendit avoir
déclaré à l'amiral que la Manila l'attendait dans les parages de
Mopelia, ce qui avait amené l'amiral à envoyer immédiatement le
croiseur Usuma dans cette île. Il y avait trouvé les prisonniers
Alliés et les avait ramenés aux Fiji.
Les archives Japonaises spécifient que le Commandant n'avait
minimum de vivres. Dans les trois jours
11
12
consigné, dans un style clair et vivant dans le
capitaine Fred J. Williams.
Ce récit épique est
bord inédit du
Rapport du Consul Américain, Apia, daté du 5
697
octobre 1917.
journal de
donné aucune indication sur le lieu où se trouvait l'équipage du
Seeadler et les prisonniers — ceci pour protéger ses subalternes.
C'est pourquoi il n'existe aucun document établissant qu'il avait
demandé qu'on aille secourir ceux qui étaient restés à Mopelia ;
trace, non plus, d'une visite de croiseur Japonais à
Mopelia13.
A Mopelia les vingt cinq Américains et les seize hommes de la
Lutèce étaient—bien entendu—dans l'ignorance totale de ce qui se
passait dans les îles voisines. Heureusement leur attente ne devait
pas être trop longue.
Le 1er octobre, le consul américain à Tahiti, Mr. Thomas B.L.
Layton recevait du Gouverneur des Samoa Américaines, un
message radio en code, incomplet et brouillé. Deux jours plus tard,
le message intégral arriva :
aucune
CONSUL
AMÉRICAIN, TAHITI
ARRIVÉS ICI DE MOPELIA APRES DIX JOURS DANS UNE EMBARCATION
QUATRE HOMMES
STOP ILS... GOÉLETTE "LUTECE" ET CARGAISON CAPTURÉS CINQ SEPTEMBRE PAR
ALLEMANDS DU CORSAIRE "SEEADLER" ÉCHOUÉ A MOPELIA STOP TOUS LES ALLEMANDS
EMBARQUÉS MEME JOUR SUR "LUTECE" APRÈS INSTALLATION A BORD MITRAILLEUSE
FUSILS BOMBES ET APPROVISIONNEMENTS ET ENVOYANT ÉQUIPAGE A TERRE STOP VINGT
SEPT... HOMMES... ÉQUIPAGES DE TROIS GOÉLETTES AMÉRICAINES R.P. SLADE A.B. JOHNSON
ET MANILA COULÉES PAR CORSAIRE ET DIX-SEPT...DIGÈNES MAINTENANT ABANDONNÉS
MOPELIA STOP TOUS SAUFS AU DIX-NEUF SEPTEMBRE MAIS BESOIN
EAU
VIVRES ET SURTOUT
POYER14
Le Gouverneur
Français Gustave Julien convoqua aussitôt les
commerçants et les notables de Papeete, leur faisant part du
message reçu et leur demandant d'organiser d'urgence une
expédition de secours. Il leur demanda ensuite de mettre une
goélette à sa disposition. Seul Mr. A. J. Barberel, gérant de la Sté
Anglaise A.B. Donald s'offrit à fournir une goélette. Le lendemain
matin la goélette Tiare Taporo appareillait avec des vivres et des
médicaments. L'administrateur René Chazal se porta volontaire
pour diriger l'expédition de secours, accompagné du pharmacien
Albert Lespinasse.
Le 10 octobre, la Tiare Taporo rentrait à Papeete avec les vingt
cinq Américains et les dix neuf Français et indigènes rescapés de
Mopelia15.
Avant la fin de l'année, Luckner et ses compagnons furent
internés dans
un camp en
Nouvelle-Zélande tandis que l'équipage
Chili, y était interné.
Allemand de la Lutèce ayant atteint le
Plusieurs articles de journaux de
Journal Officiel, octobre 1917 ; La Dépêche, 25 août et 8 sept. 1967 ;
Journal de Tahiti, 24 mars 1971.
15
Bulletin de la S.E.O. Papeete, mars 1971.
Papeete
13
:
Lettre
à l'auteur de l'Institut
Historique de la Guerre, Tokyo, datée du
19 octobre 1971.
14
Rapport du Consul Américain, Tahiti, 1er novembre 1917.
698
Société des Etudes Océaniennes
Ainsi prend fin un mémorable événement de la première guerre
Mondiale, interrompu par la disparition inattendue du Seeadler,
victime d'une navrante imprévoyance.
Traduit de l'anglais par Bertrand JA UNEZ.
Robert L. CLIFFORD
Robert L. Clifford se trouvait dans les Samoa occidentales en tant que
conseiller économique des Nations Unies lorsqu'il entendit parler pour la
première fois de l'exploit du capitaine Fred Williams qui parcourut 1 100 milles
dans une embarcation non pontée à travers le Pacifique Sud pour porter secours
aux marins Américains abandonnés par Luckner sur l'île de Mopelia. Des
recherches ultérieures lui permirent d'écrire cette page d'histoire.
699
Société des
Études
Océaniennes
L'avifaune
du mont Marau,
Tahiti
La composition et la répartition de l'avifaune montagnarde de
Tahiti ne sont pas encore parfaitement connues, mais l'ouverture
de la route du mont Marau (1.493 m) facilite depuis 1973 l'étude de
ce milieu pour le naturaliste.
Les pentes du mont Marau sont admirablement bien boisées et
constituent la seule planèze peu érodée de Tahiti Nui. La
prospection y est donc plus aisée que sur les autres sommets de
l'île, comme l'Aorai et l'Orohena où toute descente
pentes est périlleuse, voire impossible.
le long des
La présente note décrit la répartition des oiseaux
étages inférieurs (en dessous de 700 m.) et dans
montagnarde (de 700
m.
d'altitude
au
dans les
la forêt
sommet).
Répartition des oiseaux
En dessous de 700 m. la forêt, défrichée ou brûlée, n'existe plus et
les pentes sont recouvertes soit de fougères, soit de cultures
maraîchères ; ces dernières, en raison de la forte pente du terrain,
favorisent l'érosion rapide des sols.
Les cultures et les graminées attirent plusieurs espèces
introduites dont les effectifs sont importants. Il s'agit de la Munie
poitrine brune, Lonchura castaneothorax, de l'Astrild à bec de
corail, Estrilda temporalis, de l'Astrild australien, Aegintha
temporalis et de la Tourterelle striée, Goepelia striata. Dans
l'ensemble, la végétation est peu dense et convient parfaitement
au Martin triste, Acridotheres tristis, qui est assez fréquent.
à
Dans le fond des
talwegs, qui abritent des rivières temporaires,
de "purau", Hibiscus tiliaceus où le
Gallus gallus et le zosterops à poitrine grise,
poussent quelques bosquets
Coq
sauvage,
700
Société des
Études
Océaniennes
Zosterops lateralis sont assez abondants. Dans ce milieu on
aussi deux représentants de l'avifaune tahitienne : le
Ptilope de la Société, Ptilinopus purpuratus, et le Martin-chasseur
vénéré, Halcyon venerata. Mais tous deux sont peu nombreux
alors qu'ils sont très communs dans les grandes vallées de l'île.
trouve
des roseaux, Circus approximons, chasse en
du haut de cette zone jusqu'au bord de la mer.
Quelques couples doivent nicher sur des pentes recouvertes de
fougères. Enfin, une autre espèce locale, l'Hirondelle de Tahiti,
Hirundo tahitica, fait de fréquentes incursions en dessous de 700
Le
Busard
permanence
m.
d'altitude.
A partir de 700 m., la végétation perd la plupart de ses éléments
introduits et forme une très belle forêt où Cyathea, Freycinetia,
Weinmania et Metrocideros sont les genres les plus
caractéristiques. Des essences plus rares sont aussi présentes,
comme Fuchsia et Fitchia par exemple. On rencontre de très
nombreuses épiphytes dans cette forêt dont la hauteur varie entre
6 et 15 m., les arbres devenant de plus en plus rabougris à
l'approche du sommet. Cette forêt montagnarde de Tahiti est la
moins exposée aux alizés de par sa position septentrionale. Par
endroits, comme l'a remarqué J. Raynal au cours d'une mission
botanique en Polynésie Française en 1973, des plaques de
fougères témoigneraient d'incendies anciens, provenant des
régions inférieures. Deux facteurs climatiques doivent être pris en
considération. D'une part la fraîcheur nocturne : la température
est fréquemment inférieure à 15°c en saison fraîche. D'autre part
la relative sécheresse : le mont Marau est situé dans le secteur
nord-ouest de l'île, le moins arrosé donc, et seule la zone supérieure
à 1.000 m. est souvent dans les nuages.
Le nombre des espèces d'oiseaux est restreint et leur densité est
faible, mais on y trouve les oiseaux les plus caractéristiques et les
plus rares de l'avifaune tahitienne.
Le sol est exploité partiellement et temporairement par le Pétrel
de Tahiti, Pterodroma rostrata, oiseau qui se nourrit
exclusivement en mer et revient à terre durant les quelques mois
période de reproduction. Ces oiseaux, en petit nombre,
ou par quartier. Ils établissent leurs nids
fond d'un terrier, creusé dans la terre, le plus souvent au pied
que
se
au
dure
sa
rencontrent isolément
d'un arbre.
La Marouette fuligineuse, Porzana tabuensis, occupe aussi le
sol, mais elle semble se limiter aux plaques de fougères, et est bien
répandue entre 800 et 1.300 m., probablement parce que les chats
sont absents à
ces
altitudes.
701
Société des
Études Océaniennes
Le couvert arborescent n'est
exploité
que par une
seule espèce
locale : le Monarque de Tahiti, Pomarea nigra, localisé entre 750 et
950 m. d'altitude. Les oiseaux, totalement sédentaires à l'âge
adulte, nichent et se nourrissent exclusivement dans la forêt
ombrophile. Leur densité moyenne est d'un couple pour deux à
trois hectares. Ils capturent leurs proies, composées
principalement d'insectes, sur les branches des arbres, rarement
en
vol. L'espèce dont T.R. Peale, membre de l'Expédition
amériaine de 1838-42 a signalé,la présence abondante à Tahiti au
siècle dernier, a fait l'objet de peu d'observations depuis cinquante
ans. S'il est établi qu'aujourd'hui le Monarque de Tahiti est un
hôte des forêts d'altitude, il est probable que nous assistons à une
réduction de son habitat, l'oiseau fréquentant autrefois les
régions littorales. Rappelons à ce sujet les innombrables
introductions d'oiseaux, de mammifères et de plantes dont Tahiti
a été le théâtre et qui ont profondément modifié la composition et
la répartition des oiseaux indigènes.
Deux autres espèces insectivores fréquentent cette zone,
l'Hirondelle de Tahiti, Hirundo tahitica, observée en plusieurs
localités où elle pourrait nicher par couple isolé dans les arbres, et
la Salangane de la Société, Aerodramus (:Collocalia)
leucophaeus. Cette dernière observée isolément ou par couple ne
se reproduit pas sur les pentes du Marau, mais vient de la vallée de
la Punaruu où les oiseaux nichent dans des petites falaises. Ces
deux espèces se nourrissent en chassant les insectes au-dessus de
Société des
Études
Océaniennes
la forêt,
probablement
en
raison de l'absence de gobe-mouches
attrapant leurs proies au vol.
Parmi les espèces introduites, deux seulement sont présentes : le
Zosterops à poitrine grise et le Busard des roseaux. La première
est très abondante, se déplaçant par rondes qui regroupent
jusqu'à la trentaine d'individus, perpétuellement à la recherche
d'insectes, de larves ou de fruits consommés à toutes les strates, du
sol au sommet des arbres les plus hauts. Plusieurs couples de
Busard des roseaux chassent souvent au-dessus de la forêt, plus
probablement à la recherche de rongeurs que d'oiseaux.
les pentes du mont
blancs, Phaethon
lepturus et du Puffin du Pacifique, Puffinus pacificus. Le Pailleen-queue niche dans les falaises de la vallée de la Punaruu, mais
Enfin deux autres espèces fréquentent aussi
Marau. Il s'agit du Paille-en-queue à brins
vole souvent au-dessus du Marau lors de ses évolutions aériennes.
A plusieurs reprises, le soir, des Puffins du Pacifique ont été
entendus, mais
nous ne
possédons
pour
l'instant
aucune preuve
de leur nidification.
Discussion
Cette brève revue de l'avifaune du mont Marau nous amène à
faire quelques remarques. Ainsi on doit noter l'absence de trois
espèces, pourtant bien représentatives de l'avifaune de Tahiti : le
martin-chasseur, (Halcyon), le ptilope, (Ptilinopus) et la fauvette,
(Acrocephalus). Le Martin-chasseur vénéré, abondant dans les
"forêts galeries" et les forêts secondaires de l'île, est totalement
absent dans cette région. D'ailleurs, les martin-chasseurs de
Polynésie sont tous absents en altitude et l'on peut supposer qu'ils
ne trouvent pas une architecture forestière convenant à leurs
mœurs discrètes, du fait de l'absence de grands arbres au bois
tendre dans lesquels ils pourraient établir des loges pour leur
nidification. D'autre part, à ces altitudes les reptiles sont absents
ou très rares et les insectes, coléoptères en particulier, s'ils sont
bien représentés en nombre d'espèces, sont peu abondants. Or
reptiles et insectes forment l'essentiel du régime alimentaire du
Martin-chasseur.
L'absence totale de pigeons est curieuse et finalement aucune
espèce frugivore n'exploite ce milieu, pourtant très riche en fruits
charnus. Le Ptilope de la Société n'est trouvé communément à
Tahiti qu'en-dessous de 700 m. d'altitude, alors que certaines
essences dont il se nourrit sont présentes au-dessus de cette
altitude. Toutefois, des espèces proches comme P. huttoni à Rapa
703
Société des
Études
Océaniennes
dupetithouarsii aux Marquises sont des hôtes réguliers des
montagnardes. Il ne semblerait donc pas que ce milieu soit
trop pauvre en fruits, mais plutôt que l'espèce tahitienne ait
évolué dans les régions littorales et les moyennes vallées, n'ayant
jamais colonisé les forêts d'altitude peut-être occupées par une
autre espèce, aujourd'hui rare (comme le Carpophage de la
Société, Ducula pacifica aurorae) ou éteinte.
et P.
forêts
La Fauvette à long bec, Acrocephalus caffer, localisée à
quelques vallées de Tahiti, occupait avant l'introduction du
Martin triste toutes les régions littorales et de moyenne altitude.
Souvent présente à des altitudes supérieures à 1.000 m. et dans des
conditions climatiques beaucoup plus sévères aux Marquises, son
absence totale de la forêt montagnarde peut s'expliquer en partie
par sa diminution au cours des dernières décennies mais surtout
par la division d'habitats avec le Monarque de Tahiti, les
monarques ayant toujours tendance à occuper dans une île les
milieux les plus boisés et les plus humides.
A cette pauvreté
des oiseaux locaux s'oppose l'importance prise
espèce introduite récemment, le Zosterops à poitrine grise.
Il occupe dans l'avifaune tahitienne une place désormais
prépondérante puisqu'il est aussi fréquent dans les régions
littorales que dans les régions élevées, jusqu'aux plus hautes
par une
altitudes.
Conclusion
La valeur
exceptionnelle, tant scientifique
que
didactique, de la
forêt montagnarde du mont Marau a attiré l'attention des
autorités et du public sur cette zone. Pour l'ornithologue, les
pentes du Marau présentent beaucoup d'intérêt, même si peu
d'espèces fréquentent cette région. La seule présence d'une
population relativement importante de Monarques de Tahiti
donne à cette région une valeur incomparable. La facilité d'accès
du milieu permet l'étude d'une espèce unique au monde et dont la
répartition du genre est très limitée : en plus du Monarque de
Tahiti, on ne connaît qu'une espèce de Pomarea endémique à
Rarotonga, îles Cook, et trois aux Marquises. D'autres espèces
très intéressantes : Pterodroma rostrata, Aerodramus
leucophaeus, fréquentent les pentes du Marau, ce qui renforce
notre souhait de voir protéger cette région. L'ouverture de la route
facilite donc les études de la flore et de la faune montagnardes de
Tahiti et la beauté de la végétation mérite d'être montrée au public
car elle n'est en rien comparable à celle trouvée sur le littoral. La
création d'un parc d'altitude est donc vivement recommandée,
mais sa superficie doit rester limitée et le reste de la région mis en
704
Société des
Études
Océaniennes
intégrale pour assurer la protection d'un couvert végétal
qui est le garant du réseau hydrologique qui alimente le nord-
réserve
ouest de Tahiti.
J.-C. THIBAULT et D.T. HOLYOAK
Les auteurs vont prochainement publier une étude intitulée : "Habitats,
morphologies et interactions écologiques des oiseaux insectivores de Polynésie
orientale" dans la revue "Oiseaux et Revue française d'Ornithologie."
705
Société des
Études
Océaniennes
-
-
les numéros renvoient
les
aux
pointillés délimitent la
sites repérés.
zone
Société des
ennoyée
Études
par
le barrage (cote 150 m).
Océaniennes
archéologiques
entreprises dans la vallée de la Papenoo
Recherches
à Tahiti
Comme le montre la carte jointe à cette note, la vallée de la
Papenoo, la plus grande vallée de Tahiti, remonte à l'intérieur de
l'île sur une longueur de vingt trois kilomètres. Son origine se situe
dans la caldeira formée par l'ancien volcan primitif, large creuset
que sillonnent de nombreux torrents convergeant pour former le
cours de la Papenoo. La vallée est large et s'écoule jusqu'à un
goulet situé à environ six kilomètres de la mer. Ce goulet, formant
chicane, est dû aux actions combinées des éruptions volcaniques
et des variations du niveau de la mer. Le cours de la rivière se
rétablit ensuite et s'élargit jusqu'à son embouchure.
L'emplacement
en
amont du goulet fut choisi pour
la
construction d'un barrage précisément en fonction de l'étroitesse
de la vallée et de son éloignement à l'intérieur des terres. Le
barrage, haut de quatre vingt dix mètres, aura son étiage
maximal à la cote cent cinquante mètres. L'étendue d'eau
recouvrira une zone de mille cinq cent hectares de reliefs, sur une
longueur de sept kilomètres et demi.
La vallée de la Papenoo avait déjà été prospectée en 1925 par
l'archéologue américain Kenneth P. Emory qui y avait trouvé de
nombreux vestiges décrits dans son ouvrage "Stone remains in
the Society Islands" : plates-formes pavées, sous-bassements
d'habitations, plates-formes d'archers, enclos divers et onze
marae. Comme en fait, lors de sa mission, Emory n'avait repéré
que trois emplacements situés aux extrémités de la zone
d'ennoyage du barrage, il fut décidé d'y effectuer une prospection
rapide. D'autant que Teuira Henry, dans son livre classique :
"Tahiti aux temps anciens," décrit cette vallée comme une vallée
refuge, — autrefois nommée te piha ia tete, — occupée en grande
partie par des exclus ou des réfugiés.
Les travaux furent conçus sous
la direction du professeur José
Garanger, dans le cadre de la R.C.P. 259 consacrée à
707
Société des
Études
Océaniennes
l'ethno-
histoire du Pacifique, avec la participation de chercheurs des
E.R.A. 52 et LA 183 du CNRS, à savoir : Michel Orliac,
préhistorien,
Marie Martin, ethnobotaniste et Albert Ducros, anthropologue.
Les prospections entreprises révélèrent immédiatement la
richesse des plates-formes alluviales situées de part et d'autre des
berges de la Papenoo. Ces bords de la vallée, abrupts comme tous
ceux de Tahiti, présentent de
larges terrasses alluviales sur toute
la longueur de son cours. Celles-ci, épaisses et fertiles sont coupées
par les différents affluents. Leurs embouchures, lorsqu'elles
avaient un relief calme se révélèrent riches en vestiges
archéologiques : structures de cultures et d'habitats.
La première campagne de fouilles s'est déroulée en juillet-août
1975 et a mis au jour quatre marae ainsi que deux ensembles
complexes de plates-formes pavées et des terrasses de culture
aménagées. A Noël 1975, une intervention de sauvetage fut
entreprise après le passage brutal d'un bull-dozer qui mit au jour
un ensemble de plates-formes
pavées avec pierres dressées et
terrasses de culture.
La deuxième campagne s'est déroulée durant les congés de
Pâques 1976 et mit au jour six sites dont quatre marae et une
grotte funéraire. La troisième campagne s'est déroulée en juilletaoût 1976 et a mis au jour quatre autres marae et de nombreuses
structures d'occupation : habitats et cultures. Une grotte funéraire
et un ensemble de structures, situées hors d'eau, ont été
prospectés.
Durant les campagnes de l'été 1976 à Pâques 1976, les sites ont
être repérés et seulement en partie débroussés ou décapés. Lors
de ces travaux, peu d'objets lithiques complets ont été collectés sur
ou à proximité des structures. Ils étaient
cependant presque
pu
toujours accompagnés d'éclats de débitage. Les prospections
s'étendaient alors jusqu'à la partie médiane de la zone noyée.
Au cours de la campagne de travaux de l'été 1976, la prospection
du fond de la vallée a été menée jusqu'à un niveau légèrement
inférieur à la cote cent cinquante mètres, mais des collectes
coordonnées de surface ont été entreprises sur les sites les plus
proches
du
entendons
carroyage
avec
futur
barrage.
Par collecte coordonnée, nous
systématique à l'intérieur d'un
des pièces archéologiques, débris ou déchets divers,
un
ramassage
relevé des abcisses et des ordonnées.
En effet, le programme des opérations prévoit la construction
d'un batardeau de vingt six mètres de haut pendant l'automne708
Société des
Études
Océaniennes
hiver 1977. Ceci risque, en cas de très forte crue — exceptionnelle il
est vrai — de noyer la vallée jusqu'au premier tiers.
Les emplacements comportant des vestiges archéologiques
importants sont repérés par les lettres TPP suivies du numéro
chronologique de leur découverte (T pour Tahiti, PP pour
Papenoo) suivant le système déjà adopté par les précédentes
missions CNRS-ORSTOM.
Les travaux des sites TPPOI-2-3 situés très près du barrage ont
donc été entrepris dès juillet 1976 avec une équipe réduite. De plus,
il s'est ajouté le fait que TPP03, d'une part était situé tout au bord
de la piste et courait de grands risques, et que, d'autre part, il
révélé être un atelier de taille particulièrement riche et
intéressant. Il faut ajouter également que l'initiation
s'est
expérimentale de jeunes gens et de jeunes filles aux
fouilles fines n'avait pu être encore réalisée, et
techniques de
ceci devenait
urgent.
Sur le site TPP03 furent collectés et
coordonnés environ deux
taille, quelques ébauches d'herminettes et des
charbons de foyer destinés à une analyse par le radio-carbone.
Quinze mètres carrés de fouilles fines furent réalisés, la couche
archéologique se situant entre moins dix et moins vingt cinq
cents éclats de
centimètres.
de trois habitations, des fouilles
bande de deux mètres par trente
cinq mètres. Une importante série d'éclats de débitage,
d'ébauches d'herminettes, une plombée de leurre à poulpe ainsi
que du charbon de foyer furent collectés : en tout plus de quatre
cents objets actuellement déposés au Musée de Tahiti et des Iles.
Une partie des sols où des sondages précédents avaient signalé
des pavages, a été dégagée ou décapée en TPP02 et TPP06. En
TPP02, dont une partie correspond au site soixante trois décrit
par Kenneth Emory, les extrémités cassées de quelques pierres
dressées ont été retrouvées sur le dallage lui-même. Ceci indique
qu'elles auraient été brisées alors que les sites étaient encore en
En TPPOI, à l'emplacement
fines furent effectuées sur une
usage.
D'autres sites qui n'ont pu être
dégagés faute de temps, ont été
à proximité de la piste ouverte par le bull-dozer pour
accéder à TPP06. Autour de chacun d'eux, des éclats de débitage
et des ébauches d'herminettes ont été ramassés. Ceci porte à sept
le nombre des ateliers de taille déjà repérés dans la partie médiane
qui va être noyée. Il est permis de penser que l'autre partie sera
repérés
sur ou
aussi riche.
709
Société des
Études
Océaniennes
Mme Marie Martin, une ethno-botaniste
venue en
mission de
Métropole, s'est attachée à établir un inventaire complet des
espèces botaniques de la partie noyée de la vallée. Dans le cadre
d'une étude palethno-botanique qui reste à entreprendre
pour
rendre compte de l'évolution écologique de la
vallée, trois
échantillons stratigraphiques de sols ont été prélevés à des fins
d'analyse. Ceux-ci ont été effectués sur des terrasses de culture, là
où l'humus et le sol
végétal étaient les plus épais.
D'autre part, M. Albert Ducros, un anthropologue, également en
mission sur le territoire, a entrepris d'étudier les ossements
trouvés dans les grottes funéraires. Ceci, afin de
pouvoir
déterminer la morphologie des occupants de la vallée au moment
des premiers contacts avec les européens.
Ainsi, en quatorze semaines de travaux, ont été repérés et
partiellement dégagés pour certains : douze marae importants par
leur taille ou leur structure et six autres emplacements dont
les
mesures
ont été relevées, comprenant sous-bassement
d'habitation, terrasses de culture et ateliers de débitage lithique.
L'ensemble s'étendant sur une surface de vingt mille mètres
carrés environ.
Ces résultats montrent l'extrême densité
d'occupation de la
vallée. Aucune datation ne peut encore être avancée et l'on ne sait
plus si les constructions des sites sont diachroniques ou
synchroniques. L'ensemble cependant correspond aux structures
pré-européennes récentes, rencontrées ailleurs. Il est toutefois
évident, compte-tenu de la façon dont les berges des affluents de la
Papenoo ont été utilisées
quelquefois, on a de véritables
remblais artificiels pris sur un à-pic ou une vire
que la pression
démographique a du être par moments très forte.
pas non
—
—
L'intérêt de l'étude de la vallée de la Papenoo, même si elle a été
entreprise au début comme une campagne faite par acquis de
conscience, apparaît clairement maintenant. Non seulement c'est
la plus grande vallée de Tahiti qui va disparaître sous
quatre
vingt dix millions de mètres cubes d'eau mais elle est inhabitée
depuis les premiers contacts avec les européens, et elle est restée
intacte : aux prospections individuelles clandestines
près... ! Le
débit de la rivière, même s'il est parfois d'une violence
inouie, n'a
pas sérieusement entamé les structures qui, placées sur les
terrasses alluviales hors d'eau, n'ont été soumises
qu'à la
sédimentation du ruissellement naturel.
Les douze marae déjà repérés forment une typologie qu'il sera
intéressant de comparer avec celles effectuées sur l'île et la
710
Société des
Études
Océaniennes
presqu'île
en
particulier et dont José Garanger
a
rendu compte
dans le "Journal de la Société des Océanistes", en 1964 pour
publication du CNRS
Tautira, et dans
une
Ta'ata. Il
de même
en va
avec
en
1975
pour
le Marae
les ateliers de taille et le matériel
lithique qui leur est associé. Ceci pouvant servir de comparaison
les travaux effectués en d'autres endroits des îles de la
Société et dont Bertrand Gérard a publié les "Outillages" à
avec
Papeete, en 1975.
L'importance, maintenant affermie, des travaux
archéologiques de la Papenoo pour l'étude, la diffusion et la
protection du patrimoine culturel tahitien, pose de nouveau des
problèmes souvent énoncés par le professeur Garanger.
Problèmes de deux sortes : humains et technico-financiers.
Problèmes humains, car il n'y a actuellement pas d'archéologue
local sur le territoire. Les questions d'archéologie sont traitées par
des spécialistes venus de Métropole. La formation de moniteurs
initiés aux techniques de fouilles est donc particulièrement
urgente. Problèmes technico-financiers, car les travaux de la
Papenoo ont été financés dans leur quasi-totalité par la SEBAPENERPOL ; hormis les salaires des métropolitains. L'on doit
remercier ici son Président pour la confiance qu'il a accordée à une
mission qui était hasardeuse au début. Pour cela, il a mis à notre
disposition tout le potentiel dont il pouvait disposer. De plus, les
camps n'auraient pu avoir lieu sans les actives bonnes volontés
du Délégué à la Commission des Monuments Naturels et des Sites,
de la section "archéologie" de "la ora te natura" et de bien
d'autres, tous bénévoles. Ceux-ci, se sont occupés, entre autre du
recrutement de "jeunes manoeuvres", essayant d'intéresser la
jeunesse locale à des travaux qui concernent un passé dont elle est
essentiellement l'héritière.
culturel qui
qui doit être développé, en formant des cadres plus
spécifiquement orientés, non seulement vers l'archéologie et ses
techniques mais également vers tous les domaines des sciences
C'est cet intérêt de la jeunesse pour un patrimoine
est le sien
humaines et naturelles.
Brutalement extirpée de son passé et ouverte aux engins
mécaniques par un choix technologique contemporain, la vallée
de la Papenoo peut pourtant donner une vision "globale" d'une
tranche du passé tahitien. Même poussés par le temps et les bull¬
dozers, il serait impardonnable de la laisser perdre...
J.M. CHAZINE
Musée de l'Homme - CNRS
711
Société des
Études
Océaniennes
Jacques Boullaire
le polynésien
Jacques Boullaire, le grand dessinateur et graveur, a disparu.
Nous, ses amis, nous réfugions dans la peine et le souvenir.
Souvenir qui restera imprimé dans notre esprit comme celui d'un
artiste passionné et consciencieux auquel rien n'échappait. "Un
cerveau prolongé d'une main et d'un crayon singulièrement
perspicace", avais-je écrit sur lui autrefois...
Nous qui avons vécu à ses côtés durant des années, ne pouvons
oublier avec quel enthousiasme calme il entreprenait, sur une
plage d'Océanie, de dessiner successivement une pirogue et son
souple balancier, une jeune vahine alanguie, appuyée sur un bras
en une gracieuse hyperflexion — due à la laxité articulaire propre
à la race polynésienne —, ayant adopté sans le savoir ce que nous
appelions la "pose Boullaire", puis le visage, les mains, les pieds
de la même vahine, et enfin le jeune cocotier proche, venant de
jaillir de sa noix brune comme une bête échappée.
Né en 1893, fils de notaire, il fait d'abord son droit, comme bien
d'autres. Puis, durant la première guerre mondiale, il va
s'illustrer, tout jeune encore, comme observateur-photographe
dans l'aviation, pour se tourner, une fois la paix venue, vers l'art
graphique qui occupait son esprit. Si la publicité des automobiles
Renault, banalement commerciale, devint soudain artistique et
élégante, c'est que Jacques Boullaire en fut, durant plusieurs
années, le conseiller. Mais son succès comme graveur s'étant
affirmé, il se consacra enfin tout entier à un art qui, pour lui, ne se
limitait pas seulement à la France — en particulier la Bretagne et
la Provence —, mais le conduisit vers les merveilleuses îles du
Pacifique où sa femme, Anne Hervé, également peintre de talent,
avait passé sa jeunesse. Je fus de ce premier départ, en juin 1937,
puis je séjournai à Moorea avec le couple Boullaire, et je vis le
dessinateur s'épanouir devant cet exotisme foisonnant qui le
passionnait.
712
Société des
Études
Océaniennes
Après la seconde guerre, dès qu'il fut possible de regagner la
Polynésie, nous embarquâmes, toujours ensemble, en mai 1949, et
vécûmes, au cours de trois années, d'admirables campings
insulaires, d'abord à Moorea, près du lac Temae, puis dans la baie
d'Opunohu et sur un minuscule îlot récifal. Nous étions cinq à
présent, car entre temps je m'étais marié et les Boullaire avaient
eu une fille, Aiu. Bientôt je pus réaliser un rêve caressé durant les
sombres années de la guerre : aller vivre dans la petite île déserte
de Piti-ù-Ta'i, située au voisinage de Bora-Bora.
en décembre 1950 que nous pûmes emménager, ma femme
moi, dans la case en palmes tressées, édifiée non sans peine sur
ce romantique îlot, cette "bête verte mollement couchée sur le
lagon" qui faisait le gros dos à notre approche...
C'est
et
Durant plusieurs mois, nous y vécûmes à deux en Robinsons,
jusqu'au matin où nous vîmes pointer dans le lointain du lagon le
canoë de nos invités : Jacques et Anne Boullaire, accompagnés de
leur fille et d'un poulet mascotte. Sous une grande tente, ils
passèrent alors plusieurs semaines, vivant en contact intense
avec la nature amicale et généreuse. De temps à autre, venue de la
grande île, abordait sur la plage de sable fin une grande pirogue à
voile, chargée de toute une famille — depuis le bébé jusqu'à l'aïeule —,
que Jacques Boullaire s'empressait de dessiner avec ravissement.
A cette époque s'approfondit notre chaleureuse et déjà ancienne
amitié. Je pense qu'à Piti-ù-Taï, Boullaire fut, comme nous,
suprêmement heureux. L'œil en radar, le crayon aux aguets, rien
n'échappait à son regard artiste, d'une scrupuleuse perspicacité,
depuis la palme de cocotier frissonnant sous l'alizé, le madrépore
échoué sur la plage, le poisson-colibri éclatant de couleur, le régime de
bananes, le crabe-tupa devant son trou, jusqu'au regard
mélancolique d'une femme tahitienne poursuivant son rêve
intérieur.
fois romantiques
s'est servi pour
graver, d'abord sur bois, puis au burin ou à la pointe sèche, ses
meilleures planches qui font de lui le témoin graphique
irremplaçable d'une Polynésie alors dans toute sa gloire. Les plus
célèbres de ces gravures portent les noms de "Te ahi ahi",
"Haumani", "Pahi Tuamotu" et "La goélette de Rurutu".
et
C'est de cette grande masse de documents, à la
fidèlement exacts, que Jacques Boullaire
Mais son succès fut aussi grand en tant qu'illustrateur de
de bibliophiles, notamment "Le Mariage de Loti",
Immémoriaux" de Segalen, et mes "Iles
de la Nuit".
713
Société des
Études
Océaniennes
livres
"Les
Et c'est l'image de sa longue silhouette, coiffée de paille et vêtue
de couleurs pastel, errant à l'aventure, à l'affût des splendeurs de
la Nature insulaire, que je garde fidèlement dans ma mémoire,
celle du poète par le crayon et le burin que fut mon talentueux ami
Jacques Boullaire.
3 décembre 1976
Bernard VILLARET
Comptes Rendus
GODARD, Philippe. Wallis et Futuna. Nouméa, édit.
Melanesia, 1976, ill., cartes, 224 p., 24,5 x 27,5 cm.
Voici
dont l'opportunité se faisait sentir et qui
plusieurs raisons, d'être remarqué ; car si les îles
Wallis & Futuna sont rattachées à la France depuis quinze ans (et
sous son influence depuis cent quarante ans), elles sont cependant
restées inconnues du grand public. Or, c'est à un large public que
l'auteur s'adresse (les illustrations sont commentées en français,
anglais et wallisien), sans prétendre aucunement à l'ouvrage
scientifique.
mérite,
un
ouvrage
pour
Largement illustré,
ce
volume
se compose
principalement de
deux reportages, l'un sur Futuna (1970), l'autre sur Wallis (1974)
complétés d'aperçus historiques. Certes un spécialiste de la
question pourra déceler, dans ces derniers, quelques erreurs, mais
si communément répandues qu'elles font partie de la légende des
premiers temps connus de ces îles. Ceci dit, l'auteur, en
observateur attentif et amical, nous entraîne à sa suite, à travers
ses admirables photos en couleur, au sein de ces îles, dont il nous
décrit, dans un style d'une rare élégance, la beauté des paysages,
la vie quotidienne des insulaires, leurs activités de pêche,
d'artisanat, de fêtes...
714
Société des
Études
Océaniennes
S'il parle avec tendresse de ces petits peuples d'une France
lointaine, il ne se départit pas, pour autant, — et c'est ce qui fait le
mérite et l'intérêt de cet ouvrage — d'une grande justesse de vue et
d'une sereine objectivité. Intéressant, en vérité, mais, par dessus
tout, un merveilleux livre d'images qu'on ne se lasse pas de
feuilleter.
Richard ROSSILLE
VONSY, Jean. Coqs de combat et combat de coqs en Polyné¬
sie française. Paris, 1975, 8, 57 p., carte, ill., 24 cm. (Thèse
pour le doctorat vétérinaire. Faculté de médecine de Créteil).
L'auteur de ce travail, né le 30 avril 1948 à Uturoa, réunit trois
qualités difficilement coexistentes. Vétérinaire professionnel, il
peut nous parler avec une parfaite compétence des coqs de
combat, en généticien, en nutritioniste et en entraîneur pour
lequel les méthodes n'ont plus de secrets et auquel tous les
procédés de dopage sont familiers. Habitant de la Polynésie, on
sent qu'il a toujours vécu dans la familiarité des propriétaires de
coqs et que toutes les phases de la préparation des bêtes :
amputation des appendices, affûtage des ergots, toilettage des
coqs, lui sont connues. De race chinoise enfin, il a le jeu dans le
sang et peut parler en connaissance de cause, et avec toute
l'affectivité voulue, des paris monétaires, bien plus compliqués
qu'il n'y paraît au premier abord, qui accompagnent les combats.
Retenons quelques données. Les combats de coqs sont le loisir
d'environ le quinzième de la population. Il s'agit d'un spectacle
gratuit. Les combats de coqs ont lieu de juin à décembre, le samedi
et le dimanche après-midi. D'où cette remarque de l'auteur "les
combats de coqs sont l'équivalent du tiercé dominical en
France"... avec cette différence que l'état ne retire aucun profit de
ces combats et que les races de pondeuses n'en sont en rien les
bénéficiaires ! Les éleveurs ne sont pas des professionnels ; mais
des amateurs. Pour un coq ayant déjà un passé, les paris ne
descendent jamais au-dessous de 5.000 Francs français et peuvent
atteindre... "des sommes énormes" ; l'auteur parle de 15, 20 ou
25.000 F français. Il y a environ 4.000 coqs de combat en âge d'être
entraînés tous les ans en Polynésie française. Un coq se bat
durant sa deuxième, troisième et quatrième année. A cinq ans, il
s'essouffle trop vite. "Lorsqu'un champion atteint l'âge limite du
combat, on le met à la retraite et il est toujours bien soigné. Il finit
par mourir de vieillesse." Dites, après cela, que les tahitiens
n'aiment pas les animaux !
Philippe VIEL
715
Société des
Études
Océaniennes
LARACY, Hugh. Marists and Melanesians. An history of
catholic missions in the Solomon islands. Canberra,
Australian National University Press, 1976, XIII, 212 p., cartes
sur
les plats,
bibliogr., 21
cm.
M. Hugh Laracy est professeur à l'Université d'Auckland. Sa
thèse doctorale, soutenue en 1969, portait sur l'histoire de la
mission catholique Mariste des îles Salomon. Il a eu le courage de
la réécrire en la dépouillant de tout le pesant appareil d'érudition
qui est devenu le triste apanage de ces travaux universitaires. Il a
laissé tomber toute la garniture accessoire de son travail pour n'en
conserver
que l'essentiel à l'usage d'un lecteur curieux de
connaître les premiers pas et les développements de la mission
mariste des Salomon. Cette histoire n'avait jamais été narrée
jusqu'à présent que d'une manière apologétique et très
fragmentaire ; nous n'avions pas la possibilité de prendre une vue
d'ensemble et intégrée de cet effort. Hugh Laracy l'a résumé avec
précision et clarté. Les Maristes tentent leur première expérience
dans les années quarante du siècle dernier ; courageuse mais mal
menée, c'est un échec. L'évangélisation est reprise à la charnière
du siècle et malgré les heurts causés par deux guerres, et par les
changements de puissances coloniales, elle finit par trouver sa
voie. Laracy a inscrit cette aventure évangélique dans l'histoire
du Pacifique ; il étudie, sur documents, les méthodes —ou
l'absence de méthodes— de l'évangélisation ; donne des
précisions sur l'appui ou l'hostilité des puissances coloniales ;
l'installation et les problèmes financiers ; la politique des maristes
concernant les langues indigènes, les écoles, l'ouverture au
sacerdoce catholique. Il insiste avec juste raison, sur les différents
problèmes d'acculturation religieuse (cargo cuits) et ouvre des
vues sur les relations avec les autres "missions" concurrentes.
Nous possédons enfin, dans ces pages aisément lisibles, une
"histoire" dans le sens plein du terme. Peut-être H. Laracy, qui a
pourtant été faire un tour sur le terrain avant d'aller consulter les
archives romaines, a-t-il été parfois trompé par l'abondance des
sources. Le Père Boch, préfet des Salomon du Nord, a beaucoup
possède de lui une abondante
esprit pessimiste et il voit souvent
les situations en noir. L'italien Rinaldo Pavese était lui aussi un
homme à la plume fertile ; mais ses vues étaient-elles toujours
sages et justes ? Par contre le père Jean-Baptiste Podevigne, qui
n'écrivait jamais, était un extraordinaire missionnaire actif et
efficace. Il avait par exemple des idées très justes et fort avancées
pour son temps sur le développement de l'art indigène et la force
nouvelle que pouvait lui apporter la foi chrétienne. Il avait dans
son district des églises et des chapelles remplies de surprenantes
décorations et de sculptures d'une rare intensité ayant trouvé, je
écrit
de
rapports,
et
on
correspondance, mais c'est
un
716
pense,
la voie d'un art indigène revitalisé et
ne
tournant pas auc
curios. La seconde guerre mondiale est venue balayer tout cela et
faire du Père Podevigne un aumônier de Leclerc. Les statues du
père Podevigne, tombées entre les mains des japonais
américains, sont à jamais perdues pour nous.
ou
des
Un bon livre, sérieux, bien informé et très dense malgré son petit
format. On aimerait voir la Polynésie Française susciter une
étude de ce genre. Souhaitons que l'œuvre des Picpuciens aux
Marquises, aux Gambier,
leur Laracy.
aux
Tuamotu et à Tahiti trouve bientôt
Patrick O'REILLY
POUPEL, Brigitte. Contribution à l'étude de la tuberculose
d'hier, d'aujourd'hui et de demain en Polynésie française.
Paris, Editions médicales et universitaires, 1974, 61 p., ill.
(Thèse pour le doctorat en médecine).
B.
Poupel situe brièvement la Polynésie aux plans
géographique et historique puis précise l'ambition de ce constat et
de cette réflexion de Santé Publique. Au travers des récits des
découvreurs et de leurs suivants est alors restitué l'état sanitaire
de la population à l'arrivée des européens et sont exposées les
médicales de l'ouverture au monde d'une
population sans défense. L'auteur, qui s'est entretenu avec un
Tahua, évoque les structures de soins traditionnelles et déplore
par ailleurs la minceur des archives officielles localement
accessibles concernant une époque somme toute récente. Cette
première partie réussit néanmoins à silhouetter un passé
tuberculeux chargé et peu connu.
conséquences
La deuxième partie campe la situation en Polynésie en 1973. Les
dimensions de l'endémie sont mesurées au moyen d'indices dont
la valeur réelle est discutée et l'atteinte des populations est étudiée
selon les archipels, l'environnement, les aspects cliniques, le sexe
et l'âge. Le rang phtisiologique de la Polynésie Française dans le
Pacifique est analysé et replacé dans le contexte de
ouverture
au
monde
au cours
sa
deuxième
des années 60.
Poupel présente ensuite les structures actuelles de lutte et fait
ses observations concernant l'écologie — qu'elle juge
de plusieurs types de communautés, urbaine à
déterminante
Papeete, suburbaine à Punaauia et de type "rural" aux Iles
B.
part de
—
Gambier où elle s'est rendue dans le cadre de cette étude.
717
Société des
Études
Océaniennes
La troisième partie indique les tendances épidémiologiques
actuelles dont on peut déduire la tuberculose de demain. Elle passe
en revue les orientations en matière de prévention, de dépistage et
de traitement qui tiennent compte tant des leçons internationales
d'un souci de rigueur épidémiologique. L'auteur n'élude pas
problèmes d'éducation, d'évolution politique et socioéconomique du Territoire, bases de toute action sanitaire en
profondeur.
que
enfin les
Ce travail, d'une lecture plaisante, est accessible au profane. Il
bien l'évolution contemporaine des tenants et
aboutissants d'un souci de santé communautaire. Il est illustré de
montre
carte, plans et photographies.
Dr. Ph. LEPROUX
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Océaniennes
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