B98735210103_194.pdf
- Texte
-
HOMMAGE
HENRI
JACQUIER
BULLETIN
DE
LA
Tome XVI
—■
SOCIÉTÉ
N° 7
-
DES
ÉTUDES
Numéro 194
—
OCÉANIENNES
Mars 1976
D'ADMINISTRATION
CONSEIL
M. Henri
M. Yves
Président
JACQUIER
MALARDÉ
Vice-Président
Mlle Janine LAGUESSE
Secrétaire
M. Paul MOORGAT
Trésorier
ASSESSEURS
Me
Adolphe AGNIERAY
Rudolph BAMBRIDGE
M.
Eric
M.
LEQUERRÉ
Me Jean SOLARI
M. Raoul TEISSIER
M. Temarii TEAI
M. Maco TEVANE
D'HONNEUR
MEMBRES
M. Bertrand JAUNEZ
Père Patrick O'REILLY
M.
Georges BAILLY
Pour devenir Membre de la Société
membre titulaire.
se
faire présenter par un
Bibliothèque
qu'ils peu¬
Bibliothèque en
ils ne rendraient
le livre emprunté à la date fixée. Les autres peuvent être
Le Conseil d'Administration informe ses membres
emporter à domicile certains livres de la
signant une reconnaissance de dette au cas où
vent
pas
consultés dans la Salle de lecture du Musée.
La Bibliothèque et la salle de lecture sont ouvertes aux mem¬
bres de la Société tous les jours, de 14 à 17 heures, sauf le di¬
manche.
Musée
Le Musée est ouvert tous les
17 heures.
jours, sauf le dimanche de 14 à
BULLETIN DE LA SOCIETE DES ÉTUDES OCEANIENNES
(Polynésie orientale)
Tome XVI
—
N° 7
-
N° 194
—
Mars 1976
HOMMAGE
A
HENRI
JACQUIER
SOMMAIRE
In memoriam
A l'École de Santé Navale
Charles Auffret
L'arrivée à Tahiti
Pierre Jourdain
Pharmacien à
Émile Massal
Président du
l'hôpital de Papeete
Syndicat d'Initiative
A la Société des
Études Océaniennes
vu par
Rodo, son marin
Les travaux d'Henri
Paul Moortgat
Patrick O'Reilly
L'écrivain et le raconteur
Jacquier
Gérald Coppenrath
Rodo Tuko Williams
Raoul Teissier
Jacquier
Hommages, par Kenneth Emory, Roger Heim, Thor Heyerdahl,
Robert Levy, Colin Newbury, Paul Emile Victor et d'autres...
593
Société des Etudes Océaniennes
In
Memoriam
quitté.
Depuis plus d'un an il vivait à Paris, dans son appartement de
la rue Chernoviz, fatigué et perclus de plus en plus. Il connut là de
longs mois de soins, d'interventions et de traitements divers où ses
Notre
président Henri Jacquier
amis mettaient toute
les
leur expérience
nous a
au
service des thérapeutiques
plus modernes. En vain.
regagnait donc presqu'm extremis sa maison de Paea à la
fin d'octobre dernier, désormais sans grand espoir, mais courageux.
Nous l'avons conduit le 10 novembre 1975 à sa dernière
Il
demeure
au
cimetière de l'Uranie.
M. le Gouverneur
Daniel Videau, l'archevêque de Papeete,
Mgr Michel Coppenrath, des membres du bureau de la Société des
études océaniennes, de nombreuses personnalités locales et de mul¬
tiples amis étaient venus prier et se recueillir sur sa tombe. Ils enten¬
dirent le concis et affectueux hommage funèbre du Dr Paul Moortgat,
notre trésorier, qui esquissa la carrière d'Henri Jacquier, le plaçant
« dans la lignée des esprits généreux, épris du passé, celle du frère
Allain, du père Rougier et du pasteur G. Ahnne, et de combien
d'autres, tous profondément épris de la civilisation maorie ».
595
Société des
Études
Océaniennes
Cest cette carrière, rapportée en
quelques brèves paroles un
après-midi ensoleillé de novembre devant une tombe fraîchement
ouverte, c'est cette personnalité pittoresque, cet esprit d'une incontes¬
table distinction que nous voudrions maintenant, en ce numéro
d'hommage, mettre en valeur d'une manière plus précise et plus
circonstanciée.
Ainsi
avons
avons-nous
trouvé le
qui furent
nom
demandé à diverses notabilités dont
nous
dans le carnet d'adresse d'Henri Jacquier et
lui à différentes périodes de son existence
quelques souvenirs. Chose curieuse et assez
symptomatique, nul ne repoussa notre proposition. Certains de
s'étonner : « Jacquier rirait bien s'il pouvait voir ce que vous mijotez
à son sujet!
Il était tout le contraire de la publicité
» mais
personne ne refusa quelques lignes à un ami disparu. Brefs hommages
ou contributions plus élaborées,
articles, interviews, bibliographie
de ses travaux, chacun y alla de son témoignage, et les pages qui
suivent apportent un amical et vivant hommage à Henri Jacquier,
en rapport avec
d'évoquer à
son propos
...
...
dont notre sommaire détaille les bienveillants collaborateurs.
Puisse
numéro
spécial de notre Bulletin contribuer à élever
distingué et cher président un discret et cordial mausolée
littéraire, fruit de notre amitié reconnaissante.
ce
à notre
596
Société des
Études
Océaniennes
A l'Ecole
de
Santé Navale
Le 23 octobre 1975,
jour où il quittait Paris pour toujours,
Jacquier me dédicaçait son livre Piraterie dans le Pacifique
Cette dédicace, qui m'avait déjà touché et me touche encore da¬
vantage aujourd'hui car j'ai la certitude maintenant que c'était
un
adieu, commençait par : « A mon vieux camarade Charles
Auffret en souvenir des années déjà lointaines de Brest, Bordeaux,
Marseille, et aussi en reconnaissance... » Je n'en dirai pas plus car cela
suffit à éclairer les liens qui nous unissaient. Comment, arrivés à nos
âges où l'issue naturelle approche et surtout quand on la sait et la sent
prochaine, ne pas évoquer cette période qui nous a fait sortir de l'ado¬
lescence pour devenir des hommes avec tous les devoirs que cette méta¬
morphose comporte. Et elle fut, pour nous deux en particulier, très
laborieuse en raison de notre origine modeste. Nous nous encouragions
mutuellement, nous nous conseillions et cette reconnaissance qu'il
m'exprime est pour « les conseils, toujours judicieux, qu'il m'a donnés ».
Je reproduis textuellement sa phrase sans changer le pronom personnel
« il » en « je ». J'étais amené à lui donner des conseils car il était assez
insouciant et trop confiant en ses facilités intellectuelles, surtout quand
il faut préparer un concours où il faut faire mieux que les autres et ne
pas avoir le regard fixé sur la note moyenne comme au lycée. Il était
spirituel et enjoué ne manquant jamais de mettre en évidence le côté
humoristique des choses et des gens. Et pour un Breton il était bavard,
ce qui lui valait d'être qualifié de « Kermoco ». C'est une expression
bretonne sans aucun doute créée par des marins qui avaient eu l'occacion de séjourner à Toulon pour rappeler ce caractère méridional.
Henri
en
Je n'ai pas encore précisé que ces années lointaines débutèrent
octobre 1926 à l'École Annexe du Service de Santé de la Marine à
597
Société des
Études
Océaniennes
Brest. Cette
école, il
avait trois en France en comptant celles de
préparait au concours d'entrée à l'École Princi¬
pale du Service de Santé de la Marine et des Troupes Coloniales, sise
145, Cours de la Marne à Bordeaux. Année studieuse où l'on bâtissait
y en
Rochefort et Toulon,
avenir. Le matin de 8 à 10 heures nous effectuions notre stage
officiel à la pharmacie de l'hôpital maritime. Comme à l'époque les
son
spécialités étaient rares nous apprenions à réaliser les différentes formes
galéniques : pilules, sirops, suppositoires, pommades et même
les
tisanes! Ensuite nous avions une à deux heures de cours et l'aprèsmidi régulièrement deux heures, sauf le samedi après-midi. Des phar¬
maciens de la Marine sélectionnés et qui avaient le titre de Professeur
nous enseignaient la physique, la chimie, les sciences naturelles (Anatomie et physiologie animales et végétales). Le niveau était suffisamment
élevé pour que, admis à l'École de Bordeaux, la Faculté des Sciences
nous permette de préparer le certificat de Chimie Générale en une année
au lieu de deux pour ses autres étudiants.
...
Henri Jacquier était très doué pour les sciences naturelles et sa
vocation aurait été plus médicale que pharmaceutique s'il n'y avait
préalable le P.C.B. de l'époque à préparer à la Faculté de
l'École Annexe pour des études médicales.
Évidemment toute sa vie en aurait été changée.
pas eu au
Rennes avant d'entrer à
Au mois de juin 1927 nous passâmes à Brest les épreuves d'entrée
à Bordeaux et à Rennes celles d'entrée à l'École du Service de Santé
Militaire de Lyon. Prudents et réalistes par nécessité, nous fûmes
admissibles aux deux et après avoir connu, l'oral passé, notre admission
à Bordeaux nous renonçâmes par goût et par économie à aller passer
l'oral de Lyon au Val-de-Grâce à Paris.
octobre 1927, bombant un torse de
vingt ans, le visage
franchissions la porte cochère du 145, Cours de la Marne
avec encore une inquiétude : celle de la visite médicale! La promotion
comptait 120 élèves médecins et 17 élèves pharmaciens. Quel torrent
de jeunesse s'engouffrait dans cette École — une merveilleuse et Grande
Et
épanoui,
École
en
nous
où nous allions retrouver 250 autres compères qui apparte¬
naient aux trois promotions qui nous précédaient. Quel mélange explosif
de gaieté et de farces cela allait constituer. Et les farces commencèrent
tout de suite par le traditionnel « bizutage » qui était spirituel et non
—
bête et méchant comme dans d'autres établissements où la presse
l'époque signalait des blessés et même un mort! Imaginez les idées
qui pouvaient germer dans le cerveau de ceux qui avaient alors une, deux
ou trois années de faculté et d'hôpital.
pas
de
La visite médicale passée, la première tenue octroyée était le
treillis bleu pour l'exercice avec l'inévitable calot bleu des poilus de
14-18 que chacun portait à sa manière. Et on nous gratifiait d'un numéro
de matricule qui allait devenir notre nouvelle identité pendant quatre
ans! C'est sous ce numéro qu'on nous convoquait, qu'on nous punissait.
Quand
nous
sortions et entrions à des heures bien précises, c'est
598
Société des Etudes Océaniennes
ce
numéro que nous énoncions au poste de garde qui assurait le pointage.
Grâce à nos occupations, à nos distractions et à la perspective de loin¬
tains horizons nous n'avons jamais fait de complexes. Heureux jeunes
gens!
A Henri
Jacquier fut attribué le matricule n° 995.
chambre de quatre : quatre lits, quatre bureaux,
casiers à livres. La première année nous fûmes
séparés car la répartition était autoritaire en fonction de l'ordre numé¬
rique des matricules. Les deux années suivantes où le choix était auto¬
Nous vivions par
quatre armoires, quatre
risé nous nous mîmes « en carrée »
Rivoalen et Laviec. En quatrième
avec
deux autres camarades bretons
année, la capacité de l'École étant
insuffisante, nous logions en ville en recevant une allocation de loge¬
ment qui était suffisante. Mais que dire des dix francs et des cinq paquets
de cigarettes mensuels perçus pendant quatre années par des jeunes
gens de 19 à 25 ans! Que représentaient dix francs à l'époque? Trois
places de cinéma. Quel était notre emploi du temps? Très chargé. Les
deux premières années, outre nos cours et travaux pratiques à la
Faculté de Pharmacie et à la Faculté des Sciences, nous étions astreints
à deux séances de préparation militaire par semaine. Et si à la fin de la
deuxième année nous subissions avec succès les épreuves dites de
P.M.S. nous étions gratifiés d'un galon dit « sabordé » car il était entre¬
coupé de quatre petits filets bleus qui indiquaient que nous n'étions
que des aspirants et non des officiers. Et nous revêtions aussi la fameuse
redingote avec parements de velours vert aux manches qui se portait
le dimanche et aux cérémonies avec col cassé et manchettes, l'épée au
côté. Vous imaginez la satisfaction des jeunes gens, à l'exception du
jour où ils préféraient se mettre en civil car il était interdit (à cet âge!)
de se promener avec une femme, sauf évidemment en cas de mariage
ou de fiançailles déclarées aux autorités.
Nous avions à fournir un gros travail intellectuel car, outre nos
études pharmaceutiques, nous étions dans l'obligation de préparer une
licence de chimie avec trois certificats imposés (chimie générale —
chimie biologique — chimie industrielle). Si notre préparation à Brest
ne nous avait pas permis de passer chimie générale en une année au
lieu de deux, nous n'aurions pu obtenir cette licence car Chimie Indus¬
trielle exigeait deux années de préparation.
Ce travail était contrôlé à l'École par une interrogation men¬
suelle dont la note était à la base de l'attribution des permissions de
minuit et de nuit. Et s'il arrivait que nous n'en ayons pas suffisamment
il fallait « faire le mur » avec tous les risques que cela comportait
administrativement et physiquement.
juillet 1931, après avoir subi depuis janvier quatre examens
pratiques, nous obtenions le diplôme de pharmacien.
En août nous prenions du service aux Laboratoires de Chimie de la
Marine à Brest jouxtant l'hôpital maritime. Nous retournions à notre
point de départ mais avec cette fois un diplôme en poche, un grade
Et
avec
en
travaux
599
une solde mensuelle qui nous rendaient indépendants car nous n'étions
plus à la charge de nos familles. Un grade? Il était modeste en raison
de notre âge et matérialisé par le galon acquis à l'École, débarrassé
de ses petits filets bleus.
et
Le travail était très intéressant et varié puisque les analyses
portaient aussi bien sur l'eau, le vin, les métaux pour l'arsenal, les car¬
burants, que sur le cuir, l'or des galons de la maistrance, la laine des
galons de quartier-maître et des pompons rouges. Nous portions un
intérêt particulier à l'analyse de l'air des sous-marins après recharge
des batteries, car un canot-major avec hommes d'équipage était mis
à notre disposition pour aller faire les prélèvements à bord. Et comme
il fallait être deux pour ces opérations le tandem se reconstituait. Il
fallait voir sa joie et sa fierté qui faisaient ressortir son tempérament
de marin.
Et la journée terminée, il fallait préparer pour la session d'octobre
le certificat de chimie industrielle que nous n'avions pu présenter à
la session de juin en raison de sa coïncidence avec nos examens de
pharmacie. Remercions
nos
supérieurs de l'époque et rendons hommage
à ceux qui ne sont plus de ce monde, pour leur compréhension et les
facilités qu'ils nous ont accordées à cette occasion. Après une quinzaine
de jours passés à Bordeaux en raison de la longueur des travaux pra¬
tiques,
nous sommes
rentrés
avec
le certificat
en
poche.
En janvier 1932, changement de décor. Nous abandonnons le
bleu et la coupe de l'uniforme de pharmacien de marine pour le kaki
de la vareuse avec caducées verts au col de pharmacien-lieutenant des
Troupes Coloniales, et la casquette pour le képi à fond noir, bande de
velours vert faisant le tour du képi surmontée de deux galons et mar¬
quée de l'ancre de marine sur le devant. Dans cette tenue nous rejoi¬
gnions l'École d'Application du Service de Santé des Troupes Colo¬
niales du Pharo à Marseille. Là
on
allait
nous
initier sérieusement à
notre métier de
pharmacien outre-mer. Il fallait pouvoir répondre à
toutes les taches susceptibles de nous incomber selon notre affectation.
Au cours de huit heures de présence quotidienne du lundi au samedi
inclus tous les secrets des analyses les plus diverses allaient nous être
révélés : denrées alimentaires, liquides biologiques, toxicologie.
Le lundi matin il fallait remettre le fameux
rapport » qui
comportait la description des techniques utilisées, les résultats, les
conclusions. Entre quinze et vingt pages au total, quels sombres diman¬
ches! Au début, tout au moins. Nous étions placés sous l'autorité
d'un jeune et brillant pharmacien-commandant célibataire et de quel¬
ques années seulement notre aîné. On lui demanda de reporter la remise
du rapport au mercredi suivant afin de pouvoir se détendre et respirer
un peu. Chose facile à Marseille au sens propre et au sens figuré surtout
quand on habitait sur la Corniche où les seuls moyens de locomotion
étaient les trams légendaires. Décidément nous étions faits pour ne
pas nous quitter. Avec notre camarade Le Bouder nous avons décou«
600
Société des
Études
Océaniennes
chambres sur le même palier dans un bel immeuble au troi¬
sième étage à deux pas de la mer. L'appartement où se trouvaient les
chambres était la propriété d'un tenancier de bar au rez-de-chaussée
vert trois
l'enseigne O Canotier. Original, non? Le dimanche matin, trois
camarades, dont deux étaient mariés, venaient nous rejoin¬
dre pour le pastis à l'intérieur ou sur la terrasse selon la saison ou le
temps. Après ce cérémonial, les quatre célibataires allaient déjeuner
à la même pension de famille.
Et au mois d'août sonna l'heure du concours de sortie, suivi du
choix des affectations qui apparut compliqué du fait qu'il n'y avait
pas de postes disponibles pour tous les sortants, que peu de postes
étaient offerts aux mariés pour cause d'économie, les territoires d'outre¬
mer préférant n'avoir qu'un voyage aller-retour à leur charge. Mais,
grâce à un excellent esprit de camaraderie les célibataires décidèrent
dans la mesure où ils avaient le choix de ne pas opter pour les postes
admettant un ménage. Mais nous savions aussi que notre cher cama¬
rade désirait aller à Tahiti. Tous ceux qui pouvaient choisir avant lui
tinrent parole et quand le tour de celui qui le précédait arriva il restait
la Guyane et Tahiti. Connaissant bien le caractère de celui qui le précé¬
dait nous fîmes circuler jusqu'à lui la rumeur que Jacquier tenait à
La Guyane pour des raisons fruits de notre imagination. Et triompha¬
lement il choisit La Guyane, mais il fut gratifié aussitôt par tout un
chacun d'une épithète typiquement marseillaise fleurissant dans les
films de Pagnol.
Et voilà comment Henri Jacquier put mettre le cap sur Tahiti
fin 1932 où fleurirent ses talents de marin, de conteur et de roman¬
cier. C'était le cadre qu'il lui fallait pour s'épanouir. Que serait-il devenu
s'il était allé à La Guyane? Question à laquelle il est impossible de
répondre : c'était son destin. Qu'il y repose en paix puisque ce fut
à
autres
certainement
son
dernier souhait.
ses camarades survivants, nous garderons de lui le souvenir
intelligent, charmant. Et, évoquant son souvenir, nous ne
manquerons jamais d'avoir un sourire en nous remémorant certaines
circonstances entre 1926 et 1933 où nous formions vraiment une commu¬
nauté qui a beaucoup chanté et beaucoup ri sans pour autant négliger
Nous,
d'un garçon
son
avenir.
Charles AUFFRET
Pharmacien Colonel
601
Société des
Études
Océaniennes
( H).
.
--vï:
'"'L
1 ^
■
,;v
'
vLo.-
-<
.;'■•«■
-
■■■■'
:
;
.
-
■•
^
'
•>'-
':.'''l
-r^:/
*v; "■
"'!
^
j...-
•
'
^
:•■■■■
"'"h
ïim
■
Société des
Études
Océaniennes
L'arrivée
à Tahiti de
mon
ami Henri
Jacquier
Le 18 décembre 1932 !... J'étais à Tahiti depuis un an comme
enseigne de vaisseau, second de la goélette Zélée, commandée par le
Lieutenant de Vaisseau Jean Hourcade, également « Chargé des inté¬
rêts de la Marine dans les Établissements Français d'Océanie ».
A cette époque, on ne comptait dans le Territoire que très peu
d'officiers de l'Armée et de la Marine. En plus des deux marins men¬
tionnés ci-dessus, il n'y avait que le Capitaine Maillot, commandant
le détachement d'infanterie et quelques médecins des troupes coloniales
affectés
soit à l'hôpital, comme le médecin-chef, lieutenant-colonel
Gouin, soit dans les archipels, où certains médecins remplissaient éga¬
lement les fonctions d'administrateur.
En conséquence l'arrivée d'un nouvel officier était un événement
j'attendais donc sur les quais de Papeete Henri Jacquier, pharmacienlieutenant, qui arrivait de Marseille, après un voyage de 45 jours, par
le S/S Espérance, cargo mixte des Messageries Maritimes, chauffant
au charbon. Pour autant qu'il m'en souvienne, il s'est
présenté en
civil. Mais les visites officielles se faisaient en « blanc complet » : pan¬
talon long, chemise et cravate, veste.
Dès son débarquement, j'emmenais déjeûner Henri Jacquier sur
la goélette Zélée, mouillée devant la poste.
et
Nous avions le même âge,
bataires. Nous sympathisâmes de
vieille amitié.
25 ans, et nous étions tous deux céli¬
suite et, de cet instant, débuta notre
Henri Jacquier prend donc ses fonctions à l'hôpital, remplaçant
le pharmacien civil Lherbier qui assurait l'intérim du pharmaciencommandant Liot, titulaire du poste et rapatrié depuis quelque temps.
603
Société des
Études
Océaniennes
Devenu grand ami de Lherbier, Jacquier lui achètera sa
février 1939 après avoir quitté l'Armée et s'être marié le
avec
pharmacie en
12 mars 1938
Mademoiselle Yvette Laguesse.
soir et les jours de congé. Avec
réprobateurs des fonctionnaires
et personnalités locales, nous nous offrions le dimanche, pour 10 francs
par tête, des repas soignés et bien arrosés à l'hôtel du Diadème.
nos
Nous nous revoyions souvent le
vahine respectives, et sous les yeux
De temps à autre nous louions une Ford pour quelques prome¬
nades à la Fautaua, à l'embouchure de la Papenoo et même le tour de
l'île sur la très mauvaise route coupée de nombreux radiers.
Il nous arrivait également de sortir en mer et dans le lagon avec
la Miève, petite vedette à moteur à essence que nous prêtait l'ami
Lherbier. Cette vedette, assez capricieuse, nous causait souvent des
ennuis. Un jour, à Paea, le moteur prit feu et nous avons été obligés de
faire un trou dans la coque et de couler la vedette près de la plage pour
éteindre l'incendie... nous repartîmes d'ailleurs dans la soirée après
avoir obturé le trou avec une chemise et un bout de bois cloué, vidé
l'eau, séché le moteur qui fonctionna très bien.
Nous allions le soir au cinéma Moderne, le seul cinéma de
Papeete. Il donnait des films muets, commentés en tahitien par un speaker
facétieux. Nous avions là, que l'on vienne ou non, nos places attitrées.
Je me souviens parfaitement d'un détail signalé tout dernièrement par
Aline lors d'un interview radio à savoir que
pendant l'entracte, les
spectateurs achetaient des cocos dont ils buvaient l'eau. La
jetée dans le ruisseau, était reccueillie
par
de petits
noix vide,
dont les
gosses,
familles utilisaient les restes.
Nous avons donc vécu très proches l'un de l'autre pendant
plus d'une année. Henri achetait une voiture alors que, de mon côté,
j'utilisais mes économies de midship à l'achat d'un petit terrain à Paea.
Je servis de parrain à Henri
membre de la « Société des
Jacquier lors de son inscription
Études Océaniennes » auprès de
Monsieur Bodin, bibliothécaire et conservateur du Musée, qui se trou¬
vait alors avenue Bruat, à l'emplacement du nouveau Palais de Justice.
comme
Le temps passait trop vite à notre gré et en janvier 1934, je
quittai Tahiti. Henri reprenait la location de la petite maison sur pilotis
que j'habitais à Vaininiore, à l'emplacement actuel de l'hôtel Ariana,
et que j'avais louée auparavant au Père Rougier...
Nous avons alors pendant 28 ans poursuivi nos carrières res¬
pectives, nous écrivant de temps à autre pour nous annoncer les évé¬
nements familiaux ou intéressants. Je voyais Henri à ses passages à Paris,
soit chez moi, soit à la « Société des Océanistes », au Palais du Trocadéro.
Revenant à Tahiti en avril 1962 à la Compagnie Française des
Phosphates de l'Océanie après avoir quitté la Marine, je retrouvais
mon ami Jacquier à la tête de la principale pharmacie de Papeete,
Président de la « Société des Études Océaniennes... » et nous reprenions
604
Société des
Études
Océaniennes
relations amicales. Je lui rendais souvent visite à Paea et dans sa
pharmacie à Papeete. Nous évoquions le passé et aussi le présent : sa
famille, la Moana, sa grosse vedette de pêche et de plaisance et son
équipier, le fidèle Rodo, sa maison de Concarneau, son appartement
de Paris, la préparation de son livre sur les frères Rorique...
En décembre 1972, n'étant pas de même avis que lui lors de
réunions du bureau de la « Société des Études Océaniennes », je donnais
ma
démission d'assesseur au Conseil d'Administration dont Henri
Jacquier était Président. D'un commun accord, cet incident n'altérait
nullement nos relations personnelles et notre vieille amitié restait intacte.
nos
quelques années des ennuis de santé mais
Une rechute au printemps 1975 l'obligeait à un retour
en France où je l'avais revu l'été dernier dans son studio de la Rue
Chernoviz à Paris. Il était diminué physiquement mais son esprit était
toujours aussi alerte. Revenu à Tahiti en octobre je le revoyais à Paea
Henri avait
il n'en
parlait
eu
il y a
pas.
où il s'était alité.
9 novembre 1975... La mort saisit Henri
alors que je m'apprêtais à lui rendre visite à
perdre
mon
Jacquier dans l'après-midi
Paea. J'étais bouleversé de
ami.
présenter Henri Jacquier dans ses
activités,
ces
quelques
lignes en témoignage de la
multiples
écrivant
solide et fidèle amitié qui me liait à celui que j'avais vu arriver à Papeete
et repartir de Tahiti vers le pays d'où l'on ne revient pas.
Je laisse à d'autres le soin de
Pierre JOURDAIN
605
Société des
Études
Océaniennes
Pharmacien
à
l'Hôpital de Papeete
1933-1937.
« Henri Jacquier est mort hier ! » téléphone ma secrétaire de
Papeete, à Paris où nous venons de rentrer. Ma gorge se serre, le cœur
cogne et les yeux pleins de larmes je me tourne vers ma femme et lui
tends le récepteur.
En septembre Henri m'avait dit son désir, son espoir de repartir
Tahiti;
pour
nous avions fait des projets... Maintenant affluent les sou¬
venirs des années de notre affectueuse amitié, ceux déjà anciens de nos
premières années communes au Service de Santé des Établissements
Français de l'Océanie, de 1934 à 1937.
Ma femme s'approche, elle se penche, elle écoute : « Henri
m'accueillit à Papeete le vendredi 19 janvier 1934 au débarqué de la
Ville de Strasbourg. A Bordeaux, à l'École de Santé Navale, nous
n'avions eu que peu de contacts; les pharmaciens formaient, toutes
promotions réunies, la première division et c'est seulement à l'occasion
d'activités sportives ou militaires communes que j'avais rencontré
Henri Jacquier.
Je n'eus toutefois aucune peine à le reconnaître, le cheveu châ¬
tain clair ondulé avec quelques reflets roux, le nez aquilin, le menton
volontaire, les yeux clairs pétillants d'intelligence et de curiosité; beau
garçon, robuste, bronzé dans sa chemisette et son short blanc. Amica¬
lement dans ses bras, d'un large sourire il me souhaite bienvenue à
Tahiti. Il m'entraîne vers sa voiture, une torpédo Ford immatriculée
sous le numéro 566. Il l'avait ce me semble, achetée d'occasion et il
la repassera, en troisièmes mains au pasteur Rey-Lescure; son délabre¬
ment faisait entre nous l'objet d'interminables plaisanteries.
Dans un torrent de paroles il m'installe à l'Hôtel Diadème.
607
pension journalière complète y était de 25 francs, avec remise de
% aux officiers; le copieux repas occasionnel ou supplémentaire
coûtait 7,50 francs. Puis il me presse d'endosser une tenue légère, me
conduit chez un tailleur, un cordonnier, qui le lendemain matin auront
à la mode locale coupé et cousu dans la nuit vêtements et chaussures.
Ensuite, c'est le tourbillon d'un week-end de bruits, de musique et
La
10
de chants, de couleurs, de senteurs et de nourritures insolites dans les
hauts lieux de la ville et des environs, de paysages entrevus dans une
course autour de l'île, de présentations à des amis et connaissances
d'Henri, de souhaits de bienvenue, de conseils... Pour tout ça, et
quatre, nous avions en tout dépensé une centaine de francs.
pour
Le lundi matin Henri me conduit à l'Hôpital dans le quartier
de Vaiami où je me présente au Médecin-chef, le médecin lieutenantcolonel Gouin de Bois-Joly — qui logeait dans ce qui avait été autre¬
fois le pavillon de la communauté des Sœurs — à mes camarades Caro,
Benoit, Perrin, Le Gall. Henri me conseille pour les fastidieuses visites
protocolaires alors encore de rigueur et Caro me passe, avec le bail
de son logement, sa bonne, sa voiture, sa clientèle, etc... et les services dont
11 s'occupe à savoir : médecine générale, laboratoire, dispensaire, trou¬
pes, prison, léproserie d'Orofara, districts de Tahiti de Papenoo à
Papara... et Moorea. Je devrai beaucoup à Henri de pouvoir m'y retrou¬
ver dans ces nombreuses responsabilités.
Henri est à Tahiti depuis décembre 1932. Seul pharmacien mili¬
taire, il est chargé de la pharmacie d'approvisionnement, de la phar¬
macie de détail de l'Hôpital colonial, du laboratoire de chimie et de
toute une série d'activités para-pharmaceutiques; ainsi se trouve-t-il
membre du Comité d'Hygiène, de la Commission de Contrôle du
coprah, de la vanille, du café, du contrôle des denrées alimentaires, etc...
Tout cela n'empêchait pas Henri de faire son possible pour aider
les malades et nous faciliter la tâche. Il concoctait parfois de curieuses
recettes, comme celle du savon de
chaulmoogra. Au traitement des
l'huile de chaulmoogra et ses dérivés s'ajoutait depuis peu
le bleu de méthylène, produits de maniement difficile, souvent mal
acceptés par nos malades. Henri Jacquier eut l'idée de préparer un
savon à base d'huile de chaulmoogra coloré au bleu de méthylène et
présenté sous forme de petits cubes du volume d'un dé à jouer ordinaire,
à avaler aux repas. Ce savon ressemblait beaucoup à celui que les blan¬
chisseuses utilisaient à Tahiti, il nous fallut des heures de persuasion
pour faire accepter ces petits cubes. Mais nous eûmes la surprise de voir
nos malades en absorber plus que nous n'en prescrivions car leurs
éructations s'épanouissaient en bulles savonneuses d'un bel aspect
bleu irisé. C'était du bubble gum avant l'heure.
lépreux
par
En janvier 1934 nous avions une solde et des indemnités qui
permettaient de bien vivre, au total environ 3 500 francs par
mois. Nous pouvions nous loger à notre goût, rétribuer une bonneblanchisseuse-cuisinière, prendre souvent nos repas en ville ou nous
nous
608
Société des
Études
Océaniennes
une gamelle, fréquenter restaurants, cercles, dancings, rouler
voiture, recevoir. Henri buvait peu mais fumait beaucoup; il habitait
abonner à
début 1934
une
petite maison de bois
sur
pilotis,
au
quartier de Vaini-
niore, à l'emplacement actuel de l'Hôtel Ariana. Pierre Jourdain ensei¬
de vaisseau sur la Zélée lui en avait cédé le bail à la fin de son séjour.
déménagera plus tard vers Auae, côté montagne, dans une vieille
maison de bois à étage, appartenant au pharmacien L'Herbier un peu
avant ce qui est maintenant le parking de l'Hôtel Tahiti.
gne
Il
En septembre, au retour d'une tournée aux Tuamotu, Henri
m'apprend que notre rémunération est ramenée à quelques 1 800 francs
mensuels, conséquence des décrets Laval réduisant à la fois les soldes
de base et le taux de l'indemnité de supplément colonial.
Henri est membre de tous les cercles de la ville
la cotisation
était plus que modeste, presque symbolique : 5 francs par mois — où
il parrainera mon admission. Le « Yacht-Club », le cercle « chic », où
l'on trouve beaucoup de touristes américains en rupture de prohibition,
des navigateurs tels Bernicot venu de France via Magellan sur un petit
—
côtre, et qui achèvera par l'ouest un tour du monde en solitaire; nos
amis de la Korrigane en septembre 1934, de Ganay, Van den Broek
d'Obrenan, Rastisbonne et, l'année précédente le baron Empain et
bien d'autres « touristes » dont Henri évoque pour ses amis les séjours
hautement colorés et tumultueux. Le « Yacht Club » est géré par Alec
Stergios. C'est un humoriste à froid, grand fumeur de cigares, bon
joueur de bridge qui, entre autres spécialités, a combiné un square egg
cocktail, cocktail à l'œuf carré. C'est très proche de l'alexandra et
dit-il à base d'œuf d'un oiseau de mer, un petit terne blanc dont un
spécimen naturalisé est, en bout du bar, posé sur un tas de cubes peints
aux couleurs marbrées de ses œufs. Alec raconte aux habitués qu'une
Américaine, grande amateur de cocktails nouveaux, un singe kinkajou
son index par le bout enroulé de son appendice caudal,
le itatae, et s'enquiert de ses habitudes, s'étonne de le voir
pondre des « carrés » et demande quelles autres particularités caracté¬
risent cet oiseau phénomène. Alec, lassé de tant de questions, assure que
pendant à
caresse
l'oiseau, après avoir pondu, flies backwards « vole en arrière ». —
Comment donc et pourquoi? demande encore notre ingénue, To cool
off! « Pour se rafraîchir » laisse tomber Alec, agitant son shaker pour
une tournée générale devant notre visiteuse médusée.
Nous retrouvions au « Yacht-Club », nos amis Yves Martin,
René Solari et parfois son père, Martial Iorss, Meersman, Vice-Consul
des U.S.A. et sa femme Marguerite, J.F. Stimson, le linguiste qui allait
alors souvent aux Tuamotu, Lew Philipps, ancien boxeur amateur et
sa femme Marcella, Ch. Nordhoff, N. Hall et H. Smith, A. Brander,
K.
au
Emory, le colonel Clay, vieil officier de l'armée des Indes qui vivait
PK 30, servi par un domestique fidjien, Curtis, Emile Savoye et
bien d'autres...
D'autres
jours,
on
même bloc d'immeubles à
allait au « Bougainville », installé dans le
l'emplacement de l'actuel Office du Tourisme,
609
Société des Études Océaniennes
au-dessus du salon de coiffure Georges Sage,
histoires de pêche, et du garage Etienne Schyle.
bien
connu pour ses
C'était le lieu habituel
de réunion de nos amis Montluc, Blouin, G. Ahnne... Il s'y organisait
des expositions des peintres Émile Bourcard, Mordvinoff, Grès, Huzé,
Gouwe et autres artistes de passage. Les joueurs de belote et les amateurs
de rhum punch s'y rencontraient. On y était moins collet monté qu'au
« Yacht-Club » et les petites alliées pouvaient venir s'y rafraîchir.
Le « cercle colonial » et son lieu sacro-saint, la plate-forme dans
le banian, était très fréquenté, à midi surtout, par les fonctionnaires
des bureaux voisins. Le grand Bill Bambridge — celui qui sous l'attirail
d'un chef tahitien dans le premier film des « Mutins de la Bounty »
refusait un verre d'alcool — y acceptait volontiers un gin fizz, ou
plusieurs.
Sur l'actuelle Avenue des Pomare, proche de l'actuel Foyer des
Jeunes Filles de Paofai le cercle « Pierre Loti » était présidé par notre
Médecin-chef, le Médecin-commandant Pierre Morin; bar, restaurant,
tennis
gérés par un truculent boucher et une accueillante et jolie
hôtesse. Il s'y organisait à l'impromptu de bien agréables soirées de
—
danse...
Concorde », dans le quartier
Puruhaari
présidait François Vernaudon. C'était un point de ralliement des belles
de nuit et de jour et de leurs admirateurs, — et parfois le célèbre
« Quinn's » à l'époque salon de thé l'après-midi où les dames de la Société
avaient leurs tables réservées, retenues par leurs maris en goguette, les
soirs d'escales des paquebots. Ce qui nous permettait bien des commen¬
taires goguenards.
Nous étions souvent Henri, Yves Martin, Robert Hervé,
Émile Bourcart et moi-même invités, en bout de table, à dîner dans des
familles qui comptaient des jeunes filles à marier; on y aimait nos
histoires, notre entrain, on étudiait le calendrier des bals annuels qu'orga¬
nisaient les cercles et les associations sportives. Henri y programmait
ses parties de tennis, un sport qu'il pratiquait assidûment. Armand Hervé,
l'oncle de Robert, tout près de l'Hôpital, nous accueillait volontiers en
fin d'après-midi. On y jouait souvent au « petit rapporteur », pour
passer le temps, avec autant d'humour et aussi peu de méchanceté.
Aux destinées de la
«
réception du 14 juillet, chez le Gouverneur Lucien Montagné,
puis Henri Sautot, tout le monde se connaissait et, hommage rendu à la
République, chacun traversait la rue pour danser jusqu'à l'aube au bal
public ou aux baraques.
Henri Jacquier me parlait souvent des recherches de ses prédé¬
cesseurs herboristes; il avait lu les comptes rendus de leurs travaux,
et pour apporter sa contribution, à toute occasion, il parcourait monts
et vallées de Tahiti et de Moorea. Ainsi il connaissait presque tous les
chefs de district : Teriieroo de Papenoo, Aubry à Faaa, Bessert dont
une fille épousera Nédo Salmon, à Paea, Hamblin de Vairao, Raiarii
à Tautira, Mataitai à Afareitu, etc.
A la
610
s'efforçait, auprès des tahuaa et de tous ceux (ou celles) qui lui
signalés, de recueillir leurs recettes de préparations médicinales
à base de plantes locales. Souvent nous passions nos fins de semaine
dans un district, hébergés par nos amis tahitiens, à la pêche sur le récif,
dans le lagon, ou dans la vallée, Henri herborisant. Nous poussions
parfois jusqu'au lac Vaihiria, à Vaipoiri par rivière et des grottes, sur
la côte sud de la presqu'île, et au Pari. A notre vocabulaire tahitien
nous pouvions alors ajouter quelques mots.
Il
étaient
Sa passion d'herboriste aurait pu, une fois, avoir de fâcheuses
conséquences. En septembre-octobre 1934 lorsque la Korrigane quitta
Tahiti, Henri obtient de son chef le Médecin-commandant Morin
l'autorisation de partir pour quelques jours avec ses amis afin de pour¬
suivre aux Iles-Sous-le-Vent les recherches botaniques déjà entreprises.
Quinze jours s'écoulent. « Henri ne revient pas ». Fureur de
notre Chef qui le menace, in absentia, d'un Conseil de guerre pour
« désertion à l'intérieur en temps de paix ». Les camarades d'Henri,
assaillons notre Chef, à tout instant, chaque jour qui passait, de tous les
arguments que nous pouvions imaginer pour justifier le retard de notre
ami : sensationnelles découvertes possibles, retards de goélettes, etc.
La sanction envisagée, s'adoucissait de jour en jour — on était passé
à 60 jours d'arrêts de forteresse, à « 30 jours d'arrêts simples » et lorsque
Henri arriva, un mois environ après son départ, avec un herbier assez
bien garni et un volumineux carnet de notes, ce furent des « félicitations
publiques » qu'il reçut... au cercle Pierre Loti. Nous avions bien choisi
le jour et le lieu de sa réapparition.
Nous passions de longues soirées à broder sur les histoires locales
à raconter, les parau parau dont Henri était friand, mais aussi, plus sérieu¬
sement à confronter nos remarques, nos impressions sur la vie à Tahiti,
à commenter nos lectures. Henri me disait les entretiens passionnants
qu'il avait
avec
eus, au
temps de ses relations avec le procureur
la reine Marau,
jusqu'à
son
décès
en
Charlier,
février 1934.
Il était particulièrement intéressé par les choses de la mer; à la
bibliothèque de la Société des Études Océaniennes il recherchait les
relations de voyage, les aventures insolites, les récits des aventuriers;
je crois me rappeler que déjà il portait intérêt aux pirateries des frères
Rorique. Ses moyens ne lui permettaient pas d'acheter et d'entretenir
un bâteau de plaisance; mais il ne manquait pas d'amis pour aller avec
eux taquiner l'espadon, le mahi mahi, le thon ou la bonite.
Le temps passait vite, nous avions beaucoup à faire dans ce pays
Henri et moi avions d'un seul coup adopté, et où tant de choses
que
retenaient notre curiosité et notre attention.
intéressait en rien. Elle
de nous solliciter. Nous
pouvions toutefois faire des gorges chaudes de la déconfiture des candi¬
dats malheureux et des fréquents retournements de veste. C'était le
La
n'aurait
« politicienne » ne nous
d'ailleurs que bien peu d'occasions
politique
eu
611
temps du Conseil supérieur des Colonies, où les de Taste, les Candace,
les Monnerville
briguaient les voix des tahitiens.
En août 1934, je fus affecté au Centre Médical de Taravao. Je
ne rencontrais plus Henri que deux ou trois fois par mois, mais assez
tout de même pour maintenir et développer notre affectueuse amitié,
répéter notre désir
bien-être de
nos
je
ces
commun
habitants
de mieux connaître
en
d'aider
partisane.
ce pays,
dehors de toute activité
au
Bien après l'époque de ces souvenirs, nous commencions souvent
entretiens, hier encore, par « Tu te souviens... » Oui Henri, de toi
me
souviendrai, jusqu'à
mon
dernier jour.
Docteur Emile MASSAL
612
Société des
Études
Océaniennes
Président
du
Syndicat d'Initiative
L'une des facettes les plus marquantes de la personnalité
d'Henri Jacquier restera l'activité qu'il dépensa généreusement en faveur
du tourisme en Polynésie à une époque où — il faut y insistef — ce
domaine était laissé à l'initiative privée : l'Office du Tourisme, service
administratif dans sa première conception lorsque sa direction fut
confiée à Godefroy de Noaillat n'a été mis en place qu'en 1959.
Un syndicat d'initiative
seconde guerre mondiale, par
avait été fondé à Tahiti dès avant la
l'homme extraordinaire qu'avait été le
père Rougier qui en avait été le premier président. Rougier sera un des
plus clairvoyants promoteurs du tourisme à Tahiti, « la seule industrie
qui puisse, disait-il d'une voix prophétique, je ne dis pas seulement faire
prospérer cette colonie, mais je dis la sauver... » Et pour ce faire, il
avait multiplié les prospectus, les articles, les réceptions, les fêtes :
« du franc semé, germera des Pounds et des Dollars!... »
Mais le père Rougier était mort et la seconde guerre mondiale
avait arrêté cet effort.
Un syndicat d'initiative vivotait encore en 1942, mais c'est
la tourmente, la paix rétablie qu'une poignée de ses membres, le
après
Doc¬
teur Cassiau, Me Hoppenstedt, MM. Jacquemin, Jay, Laguesse, Pasquier, van den Broeck d'Obrenan, Isaac Walker et Wilmet se réunirent
le 5 août pour en refondre les statuts.
En 1952, le nouveau
président, Charley van den Broeck devait
présenter à l'Assemblée Générale un remarquable rapport qui témoigne
du départ, certes encore bien modeste, du tourisme dans notre territoire :
la T.E.A.L. dont on sait qu'elle devait par la suite être absorbée par
Air New Zealand venait de commencer son service mensuel d'hydravions
613
Société des
Études
Océaniennes
qu'elle envisageait de rendre bi-hebdomadaire, Air Tahiti avait lancé
ses lignes intérieures tandis que les Messageries avaient mis en service
le Calédonien et le Tahitien; trois établissements de 2e catégorie accueil¬
laient les visiteurs, les Tropiques, le Royal Tahitien et l'Hôtel Faugerat,
mais, fort de son expérience de grand voyageur, Charley van den Broeck
préconisait déjà l'installation de complexes touristiques. Il importait à
ses yeux de procurer des loisirs : la pêche en haute mer, le yachting,
le percement de voies de pénétration et les excursions en montagne
dont Maurice Jay s'était fait l'ardent précurseur devaient y contribuer,
mais pour faire connaître Tahiti, un dépliant avait été commandé et
vite réimprimé à 100 000 exemplaires dont 75 000 en anglais. Le nombre
des touristes, de 207 en 1951 devait passer à 425 en 1952 et à 884 pour
les onze premiers mois de 1953.
Alors Henri
Jacquier secondait déjà le président.
Sans aucun doute ses recherches du Tahiti Ancien avaient
contribué à l'orienter vers une conception originale du développement
du tourisme qui préserverait le charme particulier de nos archipels et
présenterait
visiteurs des aspects de la civilisation polynésienne.
aux
La restauration du marne Arahurahu, à Paea, à laquelle son nom
doit rester attaché, traduit bien ce souci d'offrir à un public généralement
peu
averti
une
reconstitution du Tahiti
d'avant
la découverte.
Trois années furent nécessaires.
Henri Jacquier qui avait été élu président du syndicat en 1954
avait employé au départ une subvention de 30 000 FP de la Commission
du Pacifique Sud et de la Société des Études Océaniennes. Après avoir
obtenu des familles Bremond, Bourne et Passard le droit d'accéder aux
lieux et de les aménager, il reconstruisit le marae grâce à l'aide de l'armée
et du Service des Travaux Publics. Reconstituant grâce à ses recherches
les cérémonies religieuses dont ce site avait été le théâtre, il présenta
avec un souci d'authenticité un spectacle original, maintes fois
repris
par
la suite.
Le président se donna tout d'abord pour
association dont il fallut adopter à plusieurs
tâche l'animation d'une
reprises les statuts aux
exigences d'une société en évolution, la direction des assemblées générales
et des conseils d'administration auxquels participaient à l'époque
Robert Hervé, René Solari, Marcel Lejeune, Yves Martin, Pierre Cassiau,
André Juventin, Baldwin Bambridge... Les bureaux étaient alors situés
dans l'immeuble de la Société Commerciale et les assemblées se tinrent
d'abord à la Mairie, puis à la Chambre de Commerce. On imagine
aisément le temps et la diplomatie, comme l'allant, qui furent nécessaires
milieu de querelles de personnes et parfois d'intérêts
divergents inhérents à la société d'une ville moyenne, les solutions
adéquates, la cohésion indispensable et les formules novatrices.
pour trouver, au
Le personnel ne comprend alors qu'une secrétaire et un planton.
Mais Henri
Jacquier s'emploie parallèlement à faire connaître
614
Société des
Études
Océaniennes
notre pays et à promouvoir en
du tourisme tahitien.
France et à
l'Étranger le développement
1952, il avait participé à Honolulu à la fondation de la P.A.T.A.
Japonais, des Néo-Zélandais, des Philippins, des Chinois, des
Australiens, des Indous et des Américains.
En
avec
des
Arrivé
avec
des moyens
des plus précaires,
—
200 livres austra¬
liennes soit 28 000 FCP — il monte à la « French Exhibition » de Sydney
un stand tahitien devant lequel M. Menzies, alors Premier Ministre
d'Australie, et l'ambassadeur de France s'arrêtèrent longuement :
effort combien méritoire et payant quand on saura que le lundi de Pâques
de cette année 1956 150 000 personnes
Il
visitèrent l'exposition.
publie aussi des articles dans des revues françaises et étrangères :
citons parmi d'autres ses contributions à VEtruscan de Sydney en 1954,
à France Outremer et à Tropiques en octobre 1956 : « Nos possibilités
hôtelières sont encore modestes. Mais nous sommes un pays accueillant.
On va doubler les services aériens. A Tahiti vous trouverez le charme
d'un groupe d'îles du Pacifique Sud
accueilleront les touristes avec leur
De cette
hospitalité il
se
où des Français et des Tahitiens
hospitalité traditionnelle ».
fait le modèle : hommes politiques,
écrivains, scientifiques, journalistes voient par ses
soins leur séjour
facilité.
Paul Antonini, conseiller à l'Union Française, relatant son séjour
à Tahiti, le présente aux lecteurs français comme « un homme de grande
culture, quelque peu poète, passionné de son pays d'adoption et de son
histoire, obstiné à vouloir que Tahiti devienne le grand centre d'attraction
du Pacifique Sud. Et à l'entendre, à le suivre, on se laisse presque prendre
au jeu. Avec un tel animateur, Tahiti devrait réussir à gagner la partie
qu'elle a engagée en décidant la création d'un grand aérodrome inter¬
national et à améliorer ainsi sa situation économique quelque peu diffi¬
cile ».
Payant de sa personne il accompagne à Rapa Thor Heyerdahl
archéologues de sa mission qui vont y étudier pendant un mois
en mai et juin 1956 les curieuses fortifications disposées tout au long de
l'arête centrale de l'île : la mise à jour de ces forts taillés dans la mon¬
tagne qui abritaient jadis des habitations devait permettre l'étude des
objets anciens qui y furent découverts.
et les
Même les touristes les
plus modestes et anonymes font l'objet
de l'attention du Syndicat qui délègue des vahiné pour les couronner à
leur débarquement, fait entretenir certains sites et les signale, de la route
de ceinture, par des panneaux de signalisation qui présentent des notices
gravées sur des planches de bois supportées par des poteaux ornés de
tikis qui vont devenir un modèle courant à Tahiti. Il s'efforce également
d'obtenir des transporteurs une meilleure organisation pour la desserte
intérieure. Parfois l'accueil revêt un éclat particulier : en novembre 1956,
40 pirogues montées par des tahitiens en pareu vont escorter le Mariposa
615
o
dans la passe de Papeete tandis que le lendemain, sur la plage de Paofai,
orchestre souhaite bon vent à Eric de Bishop et aux équipiers de
son radeau.
un
Lorsque le 15 octobre 1960, un long courrier, le DC 7 de T.A.I.
posait pour la première fois sur l'aérodrome de Faaa, Henri Jacquier
n'était plus président du syndicat d'initiative où Émile Drollet lui avait
se
succédé
en
soigner
1959
:
de sérieux ennuis de santé l'avaient contraint à aller
France où je le rencontrais souvent dans un immeuble de
la rue du Faubourg Saint-Honoré que nous habitions l'un et l'autre.
Il restait passionné par la tâche entreprise et continua à
s'y consacrer
comme d'ailleurs à l'animation de la Société des Études Océaniennes.
se
en
Comme à la même
époque
son
ami, Pierre Cassiau, celles du
sport, il a tenu les rênes du tourisme tahitien pendant la période héroïque.
Depuis, ces domaines sont sortis de l'adolescence. Puisse ce rapide survol
de l'action menée par
Henri Jacquier pour
plus accueillante rappeler qu'il
d'adoption.
connue
et
la Polynésie soit mieux
bien mérité de sa patrie
que
a
Gérald COPPENRATH
616
Société des
Études
Océaniennes
A la Société
des
études océaniennes
ami l'Enseigne de Vaisseau P. Jourdain, quelques
après son arrivée à Tahiti, le pharmacien-lieutenant Jacquier
devenait membre de la Société des Études Océaniennes.
Parrainé par son
semestres
Dès le début de son séjour, nous venons de le lire, il avait montré
de vives curiosités pour le pays où il allait finalement conduire son exis¬
tence
son
sciences de la nature qui étaient de
professionnel aux études sur l'homme où le conduisaient
son esprit ouvert, il s'était intéressé au passé de Tahiti et
et, sautant du domaine des
apanage
culture et
des îles.
sa
En 1946 il se trouve porté au bureau de la Société. Là, on eut
remarqué l'attention qu'il porte aux affaires de cette association
culturelle, la sûreté de son jugement, sa saine appréciation des situations
et sa connaissance des hommes. Il est de ceux qui apportent des idées
nouvelles et en poursuivent les réalisations. Dégagé, par ailleurs de
toute coterie politique et parfaitement indépendant, il est, en 1953,
nommé président de la Société où il succède au pasteur Rey-Lescure.
Et, dès lors, les assemblées générales le confirment, pratiquement à
l'unanimité, dans ses fonctions présidentielles.
vite
Jacquier savait ce que représentait le marae dans la vie ancienne
polynésien et le rôle capital joué par ces monuments dans la culture
locale. Tahiti sans une seule de ces constructions en état de conservation
présentable aux touristes et dans laquelle les tahitiens puissent retrouver
quelques images et quelques souvenirs de leur passé, c'était pour lui un
scandale. Toutes proportions gardées, c'était la France sans le château
de Pierrefonds, les remparts de Carcassonne et la Sainte Chapelle!...
du
La
première réalisation notable du jeune président fut incontesta617
Société des
Études
Océaniennes
blement la reconstitution du
d'entreprise,
marae
Arahurahu de Paea. Sa volonté
obstination tenace, finirent par venir à bout de tous les
obstacles locaux ou personnels, de toutes les difficultés administratives
ou foncières. Grâce à une petite, toute
petite, — 30 000 F! — subvention
de la Commission du Pacifique Sud, à l'appui du Syndicat d'Initiative,
grâce surtout aux bras vigoureux des soldats du BIMAT dont un déta¬
chement, plusieurs semaines, coltina des pierres, défricha les lieux et
nivela le sol, le marae put être finalement remis en état et retrouva sa
forme
son
originelle.
Au lendemain de cette
opération, lors de l'Assemblée générale
1954, H. Jacquier pouvait affirmer à ses collègues : « Une
entreprise comma la reconstruction du marea de Paea, ne constitue pas
uniquement, à mes yeux, croyez-le bien, une réalisation intéressante
d'érudit ou de dilettante, mais également l'accomplissement d'une tâche
éducative, ainsi que la certitude d'avoir ajouté quelque chose d'appré¬
ciable au patrimoine du Territoire. »
du 9
mars
Ces propos
de notre président étaient parfaitement justes.
Pour marquer cette restauration du marae, Jacquier organisa
une fête tahitienne.
D'après les textes conservés par Teuira Henri et le
missionnaire Ellis, il reconstitua une ancienne cérémonie d'investiture
royale. Rosa, la grande cheffesse d'Arue, se chargea de rassembler et
d'exercer les acteurs du spectacle, dont Bengt Danielsson procura les
chants d'après d'anciens enregistrements sur cylindres du Bishop
Museum. Mme Winkelstroeter et René Pailloux s'occupèrent des
costumes et des somptueux accessoires du grand-prêtre.
Jacquier connut ce jour-là un remarquable succès; et bien plus
que le succès éphémère d'une fête folklorique réussie! Il n'y avait pas
seulement pour lui dans cette journée une attraction à l'usage des tou¬
ristes, un but de promenade pour les gens du cru, une occasion de sortie
pour les appareils photographiques et les cinéastes amateurs en mal
d'insolite. Les Tahitiens, ces hommes de l'immédiat, entrevirent
jour-là
cette
ce
aspect de leur histoire et se sentirent concernés. Ce spectacle,
vision spatiale et temporelle, devenait pour eux une restitution
un
évocatrice. Dans
ce
présent ils retrouvaient leur passé...
Il n'est que de voir comment Tutu, le tahitien qui plus tard sera
chargé d'interpréter le grand-prêtre lors de ces manifestations entrera
dans la peau de son emploi pour en comprendre l'importance. Nous
le verrons dans la suite des années passer du rôle de figurant à celui de
protagoniste. Les frontières qui délimitent la personne et le personnage
vont peu à peu s'estomper pour lui et presque disparaître. Il s'est
pris
au jeu et il a été pris par le jeu. Et avec quel sérieux! L'acteur est devenu
comme un fonctionnaire de caractère sacré, reconnu tacitement comme
tel par ses compatriotes. On le voit invité es-qualités hors de Tahiti et
participer à des fêtes à l'étranger... Quel beau sujet d'études pour un
sociologue frotté de psychologie!
Jacquier avait œuvré
pour
remonter cette vieille pente d'oubli,
618
redonner
courante
pouvons
sens de sa tradition et de sa personnalité pro¬
identité, dirait-on maintenant. Cette intention, monnaie
tahitien le
au
fonde, de
son
aujourd'hui, présentait alors une certaine nouveauté. Nous
la porter à l'actif d'Henri Jacquier.
Rapport moral » annuel de notre président a comporté
inlassablement, pendant vingt-cinq ans, des variations sur un même
thème, le Musée...
Le
«
Notre Société, telle
qu'elle avait été constituée
en
janvier 1917,
ses attributions essentielles la conservation des collections
d'histoire naturelle et d'ethnographie ainsi que des objets historiques
comptait dans
venus
par
la suite s'y ajouter. La colonie devait mettre à la disposition
de la Société
«
des locaux et le matériel nécessaire
D'abord installés dans
».
qui fut les locaux des Services judi¬
ce
ciaires, en ville, locaux actuellement démolis, le Musée et ses collections
émigrèrent ensuite à Mamao, dans la maison coloniale construite pour
le secrétaire
général,
au
milieu de
ce
qui avait été le jardin botanique.
Les locaux fort vétustés de l'ancien musée furent brutalement
démolis en 1956 pour permettre l'édification du nouvel hôpital à Mamao,
«
et, malheureusement, le relogement des pièces du musée et de la
biblio¬
thèque n'avaient pas été prévus. Après des semaines d'incertitude et de
désarroi, grâce au gouverneur Toby et à l'obligeance du capitaine Bailly,
l'immeuble de la rue Bréa fut un refuge provisoire... Il dure encore. »
Lors de l'Assemblée générale de 1965, Jacquier expose encore ses
désillusions au sujet du Musée. « Pendant plus de vingt-cinq ans, dit-il,
on nous a entretenus dans l'idée et dans l'espoir que l'ancien palais de
la reine Pomaré serait mis à notre disposition lorsque les services admi¬
nistratifs qui l'occupent actuellement seraient relogés. Aujourd'hui où
phase semble sur le point d'être atteinte, rien n'apparaît moins
certain en ce qui nous concerne. Il serait même question, paraît-il, de
raser le vieil immeuble ce qui, incidemment, nous paraît une erreur tant
du point de vue historique que du point de vue touristique. Il ne fait
cette
pas
de doute que la remise en état du palais de Pomaré coûterait peut-être
qu'une construction nouvelle, mais c'est précisément le cas
beaucoup de monuments entretenus en France par le ministère des
aussi cher
de
Beaux-Arts.
»
son deuil du palais Pomaré. L'année sui¬
bureau de la Société : «
Les pouvoirs publics nous
avaient entretenus de voir le Musée installé dans l'ancien palais Pomaré.
Jacquier devra faire
vante il déclare
au
...
pour reprendre une expression consacrée,
pioche des démolisseurs. En apprenant l'an dernier cette décision
irrévocable, nous avons été profondément déçus et un sentiment d'amer¬
tume, je l'avoue, se développe en nous, en constatant que la métropole
édifiait au même moment et à grands frais, à Nouméa, un Musée d'ethno¬
logie. En être rendu à ce point après cinquante ans de travail et d'efforts
Or, celui-ci tombe actuellement,
sous
la
619
persévérants était tout simplement décourageant! Je reconnais avoir
manifesté ma déception, l'hiver dernier, au Musée de l'Homme. » Et
pourtant notre président nous laissait entrevoir des jours meilleurs...
« Tout vient de changer, au VIe plan d'aménagement du Territoire il
est prévu un complexe à Atumaoro, où un Musée d'ethnologie doit
normalement prendre place... Ce complexe doit comporter un jardin
botanique, un centre de métiers d'art, un village polynésien et un aqua¬
rium... Comme on le voit, si ce projet prend corps et voit le jour, comme
je l'espère fermement, nous n'aurons pas à regretter d'avoir attendu
si longtemps »...
Plus
de cap, de
moins lentement, en changeant parfois en cours
gabarits et de normes, les créations administratives
ou
de route
finissent
toujours par se réaliser. Une fois le projet engagé dans le laminoir des
budgets et des plans, la machine finit toujours par sortir quelque chose.
Le Musée de Tahiti ne sera édifié à Atumaoro, il ne sera pas assorti,
du moins pour l'instant — d'un jardin botanique mais Jacquier aura
la satisfaction de voir un terrain acheté par le Territoire à la Baie des
pêcheurs, à la Punaruu, un Musée construit à cet emplacement, un conseil
d'administration mis en place, un directeur et un conservateur nommés...
Et l'on peut bien affirmer que ses dernières démarches d'égrotant pari¬
sien, en faveur de la Société qu'il présidait, auront été dans le sens de
la réalisation de ce Musée de Tahiti et des îles, la grande pensée de
—
son
règne.
A côté de ces grosses affaires, la parution aussi régulière que pas¬
sible du Bulletin de la Société lui apparaît comme une chose d'impor¬
tance « dans un pays où tout le monde ne veut voir que farniente et
volupté ». Il aime son Bulletin « sans prétention mais dont la tenue scien¬
tifique n'est pas négligeable ». Et il est heureux d'en rencontrer la collec¬
tion dans les plus grandes bibliothèques du Monde. Il a aussi à cœur
d'acquérir pour son Musée des objets nouveaux ou des collections
entières. Il se dérange pour le faire visiter aux personnalités de passage,
jamais plus heureux que lorsqu'il trouve devant lui un Jacques Soustelle.
A ces notabilités scientifiques il demande souvent une conférence
publique ou une causerie devant un cercle plus intime. Et comme il
reçoit avec bienveillance les chercheurs étrangers! Jeunes étudiants en
mal de thèse ou ethnographes chevronnés tous trouvent auprès de
Jacquier une réception et un appui dont ils gardent un souvenir enchan¬
teur.
Hôte cordial à Papeete, Jacquier sait aussi devenir à ses heures,
hors de Tahiti, un représentant de qualité. Élu membre du Conseil
d'administration de la Société des océanistes de Paris notre président,
qui appartenait à diverses sociétés savantes, avait souvent représenté le
Territoire dans des réunions scientifiques du Pacifique. On le voit délégué
de la Polynésie Française au VIIe Congrès des sciences du Pacifique
en Nouvelle-Zélande en 1949. Il sera également l'ambassadeur de Tahiti
620
Société des
Études
Océaniennes
lors d'une Exposition française, à Sydney, en février 1956. Il ira plusieurs
fois à Tokyo pour des manifestations officielles, particulièrement en
août 1958. Lors de la grande tenue de la Smithsonian Institution à
en avril 1966, il fera le déplacement, comme invité par
compagnie. La même année, le même mois, il participe à
Paris au Centenaire de Bougainville. Il est à nouveau le délégué de la
Polynésie française au XIe Congrès des sciences du Pacifique, à Tokyo,
Washington,
cette illustre
août 1967. Au moins rencontrons-nous toutes ces dates dans un album
de photographies où Jacquier avait rassemblé des souvenirs de ces
assemblées. Sans doute en bien d'autres occasions prendra-t-il le bateau
ou l'avion pour une députation tahitienne à travers le monde. En toutes
ces circonstances il se montrera lui-même : simple, compétent, racé et
cordial.
en
Docteur Paul
MOORTGAT,
Trésorier de la Société des
Études Océaniennes
621
Société des
Études
Océaniennes
1931 ""U88M
OFFICIER EN ACTIVITÉ DE SERVICE
CARTE
D'IDENTITÉ
Ci
Recouvrance, Brest, le 15 jan¬
1907, Henri Jacquier, sorti en
1931 de l'École de Santé navale de
Bordeaux est pharmacien de 3e classe.
On porte la redingote pour les inspec¬
tions, les revues et les soirées mon¬
Né à
vier
daines.
—•
Carte
de circulation
du
jeune officier.
Photographie dédicacée par le Gr. H. Sautot à Henri Jacquier : « en souvenir de la
manifestation émouvante du 4 novembre 1936. » Assis de gauche à droite : Morin,
alors médecin-chef de l'Hôpital; Alcide Faugerat; Édouard Ahnne; Aumant;
Édouard Charlier; Gr. H. Sautot; Balland, procureur général; Cdt Jeanpierre;
Georges Lagarde ; E. Laguesse ; Closier. — Debout, au second rang, de gauche à droite :
Giovanelli; ? ; Dr Diaz; A.H. Demay; Henry Jacquier; Cdt Peaucellier; Claire
Hintz; René Pailloux; Anna Lagarde; Vachier, Cdt le détachement; Nathalie Poroï;
Jacob, capitaine de Port; Marquelet, Dr des Postes; Didelot, du Trésor; Gérard,
imprimeur; Toto Buillard.(Photo Valenta)
En septembre
1947, Henri Jacquier et sa belle-sœur
Janine Laguesse accueillent au Musée de Mamao, au terme
de leur célèbre navigation, quelques membres de l'expédition
du « Kon Tiki ». De gauche à droite : Thor Heyerdahl;
Herman Waldinger; Janine Laguesse; Bengt Danielsson;
Henri Jacquier. (Cliché A. Sylvain)
Henri
Jacquier (de dos) en
compagnie d'Éric de Bisschop
(à droite). Photographie trou¬
vée dans les papiers d'Henri
Jacquier et se rapporte sans
doute à un départ de Thor
Heyerdahl qu'on voit couronné,
au second plan du cliché.
Société des
Études
Océaniennes
Au début de septembre 1958, lors du tour
de l'île fait sous la conduite du Gouver¬
le Général de Gaulle à
première visite à Tahiti,
Henri Jacquier, à la fois directeur du
Syndicat d'initiative et président de la
neur
Toby,
par
l'occasion de
sa
Société
des
charge
de présenter
études
océaniennes
eut
la
Général et à
Gaulle les principaux sites
en
particulier le marae
au
Madame de
de
l'île
et
d'Arahurahu à Paea.
Seventh Pacific Science Congress, New Zealand, 1949. — Henri Jacquier y
participe aux côtés du docteur Emile Massai et du professeur Roger Heim
(entourés d'un cercle blanc sur ce cliché). Étaient là également le professeur
Charles Jacob (au premier rang, à gauche) et les plus grands noms de la
science du Pacifique : au premier rang, Sir Gilbert Archey, Peter Buck et le
professeur Gregory, membre fondateur de ces Congrès. Fragment d'un grand
cliché circulaire pris à Auckland dans les jardins de l'université. (Communiqué
par le Dr E. Massai)
Société des Etudes Océaniennes
A
Dans un coin de sa maison de ville,
à Paofai, Henri Jacquier a rassemblé
ses
plus précieux livres océaniens,
fruits de
ses
monde.
Ils
recherches à
travers le
reposaient dans sa
bibliothèque, sous le regard énigmatique, pour lui tutélaire, d'une
ancienne sculpture chinoise. (Photo
J.C. Soulier)
Bluemarline
» de 260 kg péché
Henri Jacquier le 29 septembre
1971 au large de la baie de Maroe
«
par
à Huahine.
Le
«
Moana
»
est
à
quai. Jacquier aux côtés de son
équipage : les matelots Peter et
Tamariki; au second plan, en
cheveux
blancs,
Rodo.
(Terii
Photo)
iceaniennes
L'écrivain
et le
raconteur d'histoires
« Jacquier écrivain et raconteur...
» Ce titre me fut attribué
lors de la répartition des têtes de chapitres de ce numéro du « Bulletin »
consacré à honorer la mémoire du Président de la Société et à retracer
sa carrière.
A y réfléchir, sa première partie tout au moins ne me semble
très appropriée au personnage. Il n'y avait rien en Jacquier d'un
compositeur d'ouvrages littéraires, rien d'un écrivain professionnel.
J'allais écrire, il était bien trop « paresseux » pour cela, disons si vous
voulez, qu'il avait bien trop le goût de la vie et le sens du loisir pour
accepter les contraintes d'un double métier. En passant de la carrière
militaire à celle d'un titulaire d'officine, il s'était déjà mis une sérieuse
barque sur le dos; cela lui suffisait amplement. Notons-le du reste en
passant, il avait pris son métier à cœur et sera nommé représentant des
pharmaciens du territoire à l'ordre National, attaquant à ce titre, les
droguistes locaux qui prétendaient vendre librement comme raticides
des produits à base d'oxydes d'arsenieux ou les subrécargues des goélettes
et certains marchands de la place qui écoulaient à leur clientèle polyné¬
sienne des îles des painkiller ou chlorydrine Maxwell, produits populaires
parapharmaceutiques anglo-saxons contenant des calmants. Et puis,
peut-on devenir écrivain à Tahiti, où, il Ta écrit lui-même, « l'effort
de concentration nécessaire au développement d'une pensée ou à l'éla¬
boration d'une œuvre s'accommode mal de l'atmosphère de ce microcosme
colonial ». Ni Loti, ni Segalen, ni même t'Serstevens n'ont rien écrit à
Tahiti même et il faut la ténacité d'un James Norman Hall et son jume¬
lage avec Ch. B. Nordhoff, sans compter de solides contrats avec des
éditeurs exigeants! pour réaliser en six mois dans une annexe de l'hôtel
Tiaré à Papeete le best-seller que sera Mutiny on the Bounty.
pas
623
Jacquier, bien sûr, ne saurait se comparer à ces grands ténors.
type plus modeste d'écrivain occasionnel. Il écrit quand une
opportunité se présente à lui. Ses articles sur Valimentation des indigènes
de la Polynésie française, par ailleurs très fouillés et riches d'informations
C'est
un
variées, sont certainement nés de rapports professionnels raboutés et
d'observations de « missionnaire » qu'il ne veut pas laisser perdre. Un
autre jour, c'est la matière qui fait défaut pour le Bulletin de la Société
qu'il préside ou la prose abondante et facile du Pasteur Rey-Lescure
elle-même, ne suffit pas à remplir la revue. Des appels aux membres
pour « des articles concernant tant l'histoire de Tahiti que celle du Paci¬
fique » sont restés sans réponses. Poussé par la nécessité, Jacquier se
dévoue, et son dévouement nous mérite quatre ou cinq longues études
sur le Mirage et l'exotisme tahitien dans la littérature française,
enquête
menée avec brio et ferveur, loin des bibliothèques, qui nous montre la
permanence de ce thème qui a trouvé de fervents partisans chez des
hommes aussi différents que Paul Gauguin ou Alain Gerbault... et des
victimes dans tous les de Langle, les Lapérouse, les Marion du Fresne
et autres navigateurs moins illustres qui payèrent de leur vie toutes les
utopies des « faiseurs de systèmes ».
C'est en botaniste qu'il s'intéresse en 1960 aux 250 plantes intro¬
duites à Tahiti au cours des différents essais d'acclimatation publics
ou
privés jusqu'à l'ouverture de la station agronomique de Mamao
en
1880.
Mais du point de vue historique, la grande découverte de Jacquier,
c'est la reconnaissance et la publication, en 1961, du dossier Gauguin
conservé dans les papiers de Me Rodolphe Brault, avocat à Tahiti et
grand-père de
femme. C'est à Me Brault que Gauguin, alors à la
en difficultés aux îles
Marquises avec les gendarmes
et l'administration, avait confié la tâche délicate de sa défense. Et ces
pièces apporteront des clartés nouvelles sur les derniers mois du peintre
veille de
sa
sa
mort et
d'Atuana.
On trouvera dans l'appendice bibliographique qui
accompagne
hommage la liste des différents autres articles signés de son nom.
Il s'agit là de contributions épisodiques plus modestes, mais toujours
centrées sur des sujets tahitiens qui rentraient dans la sphère d'intérêt de
Jacquier et témoignent du sérieux de son esprit, de son inlassable curiosité
et de la précision de sa plume. Rien d'une production journalistique :
c'est un scientifique qui ne se paie pas de mots et apporte toujours à ses
lecteurs une information utile et rigoureuse.
cet
Les dernières années de la vie de Jacquier ont été marquées par
les recherches qu'il effectua pour écrire l'histoire des frères Rorique,
deux aventuriers belges héros, dans le Pacifique, d'un cas de baraterie
demeuré classique dans les annales de la justice maritime. Jacquier avait
mis dans l'étude de cette affaire le sérieux qu'il portait à tout ce qu'il
entreprenait. Son travail achevé, il avait
crit. Nous étions
en
1973,
une
eu du mal à placer son manus¬
mauvaise année pour l'édition française.
624
Société des
Études
Océaniennes
Jacquier m'avait dit ses difficultés avec les lecteurs des grandes firmes
parisiennes auxquelles il était allé présenter son ours. J'avais alors été
assez heureux pour l'introduire dans une maison plus modeste, établie
à l'ombre de Saint-Sulpice, les Nouvelles éditions latines qui avaient
un ou deux ans plus tôt reçu sur ma recommandation Aimer Tahiti, du
pasteur Daniel Mauer, un ouvrage sur Tahiti bien supérieur à toutes les
resucées tapageuses qu'on nous propose si souvent à grand renfort de
publicité. Ce livre avait bien « marché ». Piraterie dans le Pacifique fut
accepté dans la foulée. Une belle photographie d'Erwin Christian servit
de couverture qui figurait une blanche goélette dans une baie polyné¬
sienne. Et l'ouvrage agrémenté d'une illustration documentaire de qualité
était sorti en un temps record. Première satisfaction. Peu après, Jacquier
m'apprenait qu'il était en rapport avec un agent littéraire new-yorquais
et que son livre, avec quelques aménagements nécessités pour le mettre
au niveau du lecteur américain, était accepté par Dodd & Mead, une
firme de la Madson Avenue. Et Jacquier de ma parler, avec un visible
contentement, du chèque libellé en dollars reçu à cette occasion. C'était
bien la première fois que sa plume lui rapportait un peu, fort peu,
d'argent. Cette traduction sera une des dernières joies de son existence,
encore qu'il n'aie jamais, je pense, eu entre les mains un spécimen du
livre publié aux États-Unis... Peut-être allait-il devenir, vraiment, un
«
écrivain »?
A son arrivée à Tahiti, Jacquier s'est rapidement senti curieux
du passé de ces hommes près desquels il vit et dont il aime pénétrer les
vallées sauvages. Au cours de ces promenades, il questionne les anciens,
prend plaisir à les entendre raconter l'autrefois. Poussant plus avant
il a commencé par aller feuilleter à Mamao, avant de les emprunter, les
livres que possède la bibliothèque de la Société des Études Océaniennes
dont il devient membre. Les classiques d'abord : le Voyage aux îles du
grand océan du consul Moerenhout, bien sûr, et de Bovis, et le Journal
de Maximo Rodriguez vont lui devenir familiers. Ellis suit et John Wil¬
liams. Lecteur impénitent, il attaque également les grands voyageurs,
Cook, Bougainville et Dumont d'Urville. Les écrivains des Mers du
Sud et de Tahiti suivent, de l'abbé Baston à Victor Segalen, en passant
par Pierre Loti et R.-L. Stevenson. Ainsi fait-il peu à peu le tour de la
littérature concernant Tahiti, beaucoup plus en honnête homme possé¬
dant quelques loisirs et les occupant intelligemment, qu'en érudit qui
accumule des fiches. Pourquoi noterait-il? il est doué d'une excellente
mémoire habile à recueillir l'anecdote et assimile sans peine ce qu'il
lit paisiblement le soir sous sa véranda, en regardant le soleil se coucher
derrière Mooréa.
Bientôt, il se trouve pris au jeu et conserve ce qu'il peut réunir
Tahiti. Chose à peine croyable, il n'y avait pas, dans les années
trente du siècle, de libraire proprement dit à Papeete. Jean Ferrand a
bien tenté d'ouvrir un magasin de journaux, sans grand succès. Vers
sur
1935-36,
et
une
grenobloise, Mademoiselle Rolly, ouvre « La Boutique »
des Messageries Hachette. Mise en difficultés
devient dépositaire
625
lors de l'affaire Cong Ah, Rodolphe Klima en 1936 rachète le fonds à
la suite d'une liquidation judiciaire. Il s'installe d'abord sur le
quai du
Commerce,
en
dessous du Yacht-Club, puis
rue
de la Petite Pologne,
enfin non loin de la mairie. Il commence modestement à s'intéresser
aux livres. Mais il faudra attendre bien
après la seconde
et
guerre
mondiale
pour voir le « martiniquais » Tillet ouvrir le « Vaihiria », au coin de
l'Avenue Bruat, et surtout, J. Tirmont, à la fin des années
50, lancer son
«
Sagittaire
»
dont il fera,
en peu
d'années,
actif et bien acha¬
un centre
landé.
C'est donc
au cours de ses voyages
que Jacquier va rassembler
bibliothèque océanienne. L'autre jour, comme l'amitié de Madame Jac¬
quier me permettait de feuilleter certains des livres de son mari, j'ai
trouvé que plusieurs d'entre eux avaient conservé leur
prix d'achat
marqué en dollars ou en livres sterling, signes évidents de récoltes
sa
Avant guerre
Jacquier avait demandé
au
peintre Wolfgang Wolf
de lui dessiner
un
ex-libris.
faites aux États-Unis ou en Angleterre. Lors de ses
séjours en France,
Jacquier, lorsque l'occasion s'en présentait, ne manquait pas d'aller
faire un tour chez les bouquinistes des villes
qu'il traversait. A Paris,
je sais qu'il était en relations avec Chamonal, du côté de Notre-Dame
de Lorette et avec Max Besson, installé alors boulevard Saint-Germain.
Il rendait également visite, rue de
l'Échaudé, au savant Polak qui l'entre¬
tenait de cette bibliographie maritime française en voie de devenir un
des monuments de référence de ce dernier
quart de siècle, et à d'autres
spécialistes des voyages et de l'exotisme, qui avaient vite fait de recon¬
naître en lui un amateur qualifié avec lequel on
pouvait « parler Océanie ».
Et ils se mettaient pour lui en quête de bonnes
pièces.
C'est à Paris, chez
dans
1840
antiquaire du XVIe, qu'il avait trouvé
agréable cadre d'époque une fort belle gravure des années
figurant des « Navires dans la rade de Papeete ». Cette épreuve
un
un
626
tirait
toujours l'œil lorsque j'allais lui dire bonjour dans son plai¬
perchoir de la rue Chernoviz, car c'est sur le mur de la pièce où
nous travaillions que je l'avais rencontrée
pour la première fois et que
je ne l'ai jamais plus revue ailleurs depuis lors!
me
sant
Ainsi
rassemble-t-il
une
intéressante
dont il était heureux de faire les honneurs à
bibliothèque océanienne
ses
amis et
aux
visiteurs
de passage.
Il était fier des deux volumes anonymes : Rovings in the
Pacific from 1837 to 1849, by a merchant long resident in Tahiti, pré¬
tendant voir dans leur auteur, Edward Lucett, un lointain ascendant
de la famille de sa femme... « Henri était toujours à relire ses livres »
me dit Madame Jacquier, me confirmant dans mon impression qu'il
n'y avait aucun snobisme, aucune manie de collectionneur dans ses
choix. Jacquier ne recherchait pas le texte rare, l'édition originale, la
petite plaquette introuvable et souvent sans grand intérêt. Un livre
était pour lui source de connaissance, non objet de valeur : il lisait les
ouvrages qu'il achetait et il achetait des livres pour les lire. Le cas est
beaucoup moins fréquent qu'on ne saurait le penser.
Sans être donc à proprement parler un bibliophile chevronné,
membre d'une société d'amateurs de beaux livres, Henri Jacquier
montre assez d'attachement à ceux qu'il possède pour s'être offert un
un
libris; et même deux plutôt qu'un. Il n'a sans doute pas été satis¬
premier, au demeurant peu lisible et fait seulement de sa signa¬
ture en réserve sur un plet de livre fermé, puisqu'il s'est adressé à
Wolfgang Wolf, peintre allemand qui vécut à Punaauia vers 1935 pour
lui en établir un second. L'artiste ayant compris qu'il avait affaire à un
pharmacien tahitien a choisi un penu, le classique pilon indigène,
emblème magistral de sa profession. Il a gravé son sujet dans du lino¬
léum, matière alors à la mode, avec des blancs largement enlevés. Trai¬
té avec vigueur, le dessin a de la puissance et ne s'oublie pas. La partie
supérieure du manche de ce penu est orné d'une tête marquisienne
stylisée qui jouxte un corps et un visage féminin. Je laisse à un psycha¬
nalyste d'épiloguer sur le rapprochement de ces deux motifs, et constate
seulement que notre ami avait tenu à placer sa marque sur ses trésors
et qu'il laissera parmi les collectionneurs de ces titres de propriété une
trace de qualité.
ex
fait du
Henri Jacquier aime ses livres et sait que le climat de Tahiti
éprouve les imprimés. Les insectes ajoutent encore leurs ravages à
l'humidité ambiante et à l'air marin de la plage proche. Il a protégé
ses trésors en leur faisant construire une bibliothèque, et l'a demandé
à Victor Adams, un ébéniste de Papeete qui, peu satisfait du rendement
de son métier se tournera bientôt du côté des pompes funèbres et se
lancera dans la fabrication de cercueils. Ironie du sort, c'est lui qui
fabriquera à Jacquier sa dernière demeure... La bibliothèque de Jacquier
comportait des portes vitrées, lui permettant de jouir de ses livres,
même par la vue. Elle orne un des coins de sa maison de Paofai. Une
grande statue d'un moine bouddhique en porcelaine, la jouxte qui, de
son trône, auréolé d'une vieille soie chinoise lamée d'argent, semble
627
veiller
sur elle et la garder de son énigmatique
mystérieux sourire. Cettepièce était un don indirect de je ne sais trop quel capitaine, ami de sa
famille, qui avait désiré pour le talisman qui l'avait suivi tout le long
d'une hasardeuse carrière la sécurité d'un havre paisible.
De temps à autre Jacquier sort ses livres pour les aérer, les dépa¬
rasiter et lutter contre les colonies de mouches maçonnes et autres
pestes tropicales qui, en moins de rien, transforment en dentelles de
papier les plus épais in-octavo. Il prendra également soin de faire relier
les ouvrages auxquels il tient le plus. Les artisans sont rares à
Papeete.
Il aura recours à Félix Drollet qui avant de veiller sur les archives
locales avait, un temps, habillé les livres. Puis, c'est à un belge du nom
de Dupertuis, aujourd'hui disparu, auquel il confiera les raretés océa¬
niennes chères à son cœur, ou a Suzanne Geoffroy-Beuchet, qui excelle,
elle aussi, dans ce métier minutieux et difficile. Elle a parfois utilisé
le tapa qui ajoute encore une authentique note océanienne à ces livres.
«
Sa
grande connaissance des Mers du Sud, des îles Galapagos
Pâques, son érudition, son attention à la vie
et des Samoa à l'île de
locale
fournissait
une
matière abondante
au
conteur
talentueux
et
infatigable qu'était Henri Jacquier » a écrit Paul Moortgat dans le bel
éloge funèbre prononcé le lendemain de sa mort, au cimetière de l'Uranie.
Juste propos, il y avait chez Jacquier un éblouissant raconteur d'histoires.
J'avoue n'avoir jamais vu « dégager » Jacquier, avant guerre,,
Yacht Club de Tahiti, non plus que plus tard au Cercle Bougainville;
mais tous les survivants de cette époque s'accordent pour affirmer
au
que
là, le
verre en
mains, face
aux
Cassiau,
aux
Iorss,
aux
Montluc,
Van den Broek d'Obrenan, Jacquier se montrait à ses heures un
brillant causeur, trouvant à la fois parmi les membres de ces sociétés
des auditeurs de choix et des partenaires capables de lui donner la
aux
réplique. Tous...
non pas
Il racontait
fin des histoires
en
tous; j'ai entendu dire de lui : « Un bavard!
qui n'en n'avaient pas et qui étaient
outre dépourvues de tout intérêt ! » Réflexion de jaloux plutôt que
sans
constatation bien
véridique. Bon observateur des
gens
du
pays,
sai¬
sissant d'emblée le côté comique ou paradoxal d'une situation, habile
à signaler d'un mot, un de ces petits ridicules qui n'apparaissent pas
aussitôt à l'esprit du témoin occasionnel, perspicace traducteur de
gestes à peine perçus, de sentiments tout juste exprimés, Jacquier,
d'ailleurs sans aucune méchanceté, détaillait un comportement, analy¬
sait d'un mot plaisant un procédé et faisait rire en mettant au
jour
ce que tout le monde avait vu comme
lui, mais n'avait pas su percevoir
d'un même œil malicieux.
Parisien, il assistait volontiers aux diners des Océanistes qui
suivaient la séance du troisième vendredi. Le rendez-vous, ce soir là,
avait été fixé au Totem, le restaurant du Musée de l'Homme d'où l'on
prend
si belle vue sur le Paris du Champ de Mars et de l'École
disposition de la salle exigeait la répartition des convives
petites tables : on était nombreux. Comme, diplomatiquement,
une
Militaire. La
par
628
Société des
Études Océaniennes
monde
je m'efforçais de
caser mon
dérables et des
susceptibilités mondaines
en tenant
compte des affinités impon¬
Mettez Jacquier à ma
table, et venez vous asseoir avec nous » m'avait demandé le président
Roger Heim qui connaissait bien son homologue tahitien, en appréciait
l'esprit, la culture, et savait qu'on ne s'ennuyait pas en sa compagnie.
: «
Jacquier était alors en train de courir le monde à la recherche
le travail qu'il avait entrepris sur les frères
Rorique, les fameux aventuriers du Pacifique. Il était passé en Californie,
était allé voir ce qu'il pourrait grapiller en Belgique et venait de se faire
ouvrir les dossiers du conseil de guerre de Brest. Je savais cela, et avant
même que le muscadet qui accompagnait les filets de sole à la Dugléré
ait été versé, j'avais lancé le nom des Rorique. L'accrochage fut ins¬
de documentation pour
tantané. Le sort du diner était fixé pour nous.
Personne, bien sûr, n'avait jamais rien lu sur cette affaire, pour¬
classique dans les annales des pirateries maritimes. Nous eûmes
droit à un pétillant monologue.
tant
Notre ami était comme brûlé par un feu intérieur. Les anecdotes
fusaient, s'enchaînant les unes aux autres. Jouant tour à tour le rôle
d'accusateur et celui d'avocat-défenseur, il ménageait ses effets, jouait
du suspense comme un bon scénariste. La fourchette en l'air, nous
naviguions dans le Pacifique à bord de la Niuorahiti, voyions tuer le
capitaine et le subrécargue, disparaître trois personnes par suite d'une
soudaine et imprévisible épidémie, pousser à la mer deux matelots
qu'on noie sans vergogne, maquiller la goélette... « Ce Jacquier, tout de
même, quel homme! » me confiait le président Heim fort satisfait de
sa soirée, comme je le reconduisais vers la minuit à sa petite voiture
garée le long de la place du Trocadéro.
A propos de quoi, un autre jour, en était-il venu à raconter
devant moi la défense de Papeete en 1914, lors de l'attaque d'un croiseur
de bataille allemand. La disproportion entre les forces en présence était
patente. Sans prétendre en rien minimiser la valeur du patriotisme
local, Jacquier insistait sur le côté dérisoire de la défense. Je l'entends
encore, d'un ton jovialement sarcastique, nous montrer Destremau
organisant avec des camionnettes à plates-formes, réquisitionnées en
ville et sur lesquelles on avait tant bien que mal boulonné une mitrailleuse
Hotchkiss ou un canon de 37, des façons d'auto-mitrailleuses prêtes
à aller s'opposer à une tentative de débarquement. Je le vois encore,
gesticulant d'une mimique zigzagante, pour nous laisser entendre
comment Destremau multipliait son maigre potentiel militaire en le
faisant se déplacer sans arrêt afin de donner à l'ennemi l'impression
d'une troupe nombreuse... Le récit se terminait presque en canular.
Car, transposant d'une guerre, et interpolant les situations, Jacquier
en venait à parler d'une défense de Tahiti devant une invasion nipponne...
Emporté par son propre discours notre conteur dépassait les bornes du
vraisemblable pour tomber dans l'imaginaire... Le récit devenait légende...
Les récits
gastronomiques n'étaient
pas,
c'est bien le
629
Société des
Études
Océaniennes
cas
de le
dire, les moins
Lors d'un congrès qui réunissait en Nouvellescientifique du Pacifique venu de l'ancien comme du
nouveau monde, abandonnant pour quelques heures les doctes
prome¬
nades officielles qui devaient conduire les congressistes en des lieux
illustres : sources naturelles d'eaux chaudes ou sites archéologiques,
Jacquier entraîné par des pêcheurs du cru, s'était payé une journée
de bon temps. Guidé par les plus fines gaules, muni des bottes adéquates,
il avait attaqué la truite, la rainbow trout, à la mouche et était revenu
chargé d'une pêche miraculeuse. Très fier de son exploit, et de ses
truites encore vivantes, Jacquier était allé les porter au
cuisinier de
l'hôtel : « Comptez sur moi, monsieur, vous les trouverez ce soir, au
bleu, dans vos assiettes! » avait déclaré le maître-queu d'un air entendu.
Jacquier avait aussitôt alerté ses amis du Museum et de l'Académie
des Sciences les informant de l'aubaine qui les attendait. Catastrophe!
Le chef avait transformé la pêche de Jacquier en petits dés à coudre
qu'il avait fait cuire dans une eau qui n'avait rien à voir avec le courtbouillon de vin rouge vinaigré, de règle en ces sortes d'affaires!
savoureux.
Zélande le gratin
Lancé sur ce thème, il ne tarissait pas sur les imprévus de la
cuisine néo-zélandaise. Je me souviens de l'histoire qui clôtura ce jourlà la série. La délégation tricolore avait été conviée à un souper par
l'Alliance Française. Robes longues et smokings, Marseillaise parti¬
culièrement chaleureuse, on avait mis à Dunedin ou à Christchurch
les petits plats dans les grands. Les arrières-cousines de Katherine
Mansfield y étaient allé d'un acte de Musset... « On va sûrement avoir
droit à un fin gueuleton » avaient pensé les délégués français auxquels
les plus hautes spéculations sur les champignons hallucinogènes ou les
datations des ossements du Moa ne coupaient pas l'appétit. A la sur¬
prise générale, lorsqu'ils avaient eu accès à la salle du festin, tout s'était
résumé en a nice cup of tea. Les français mirent du temps à se remettre
de cette éphémère déception que les propos de Jacquier rendait éternelle¬
ment actuelle.
Comme j'écris ces lignes, que de traits me remontent en mémoire,
recueillis ici ou là de sa bouche au détour d'une conversation de table.
La grève des femmes de Rapa qui, pour je ne sais trop quel motif,
se refusèrent de continuer de travailler à dégager une
plate-forme for¬
tifiée d'un des pîtons de l'île, lors de son séjour là-bas avec Thor
Heyerdahl, avait le don de mettre en action les considérations ironiques
Jacquier. Terminons cette interminable sujet avec l'histoire de ce
congrès américain où la Smithsonian Institution fêtait quelqu'important
anniversaire. Les dirigeants de la savante société avaient prié leurs
invités de participer, en costume, à un meeting particulièrement solennel.
La cérémonie se déroula-t-elle sous des torrents d'eau ou par une de
ces effroyables chaleurs humides dont le District fédéral
possède le
secret et qui font de Washington, en certains
jours de cannicule, une
ville étuve, je ne sais plus trop. Mais pour Henri Jacquier, modeste
président, pas même décoré (eh! oui, Jacquier n'avait même pas la
Légion d'honneur...) d'une société sans uniforme, le comique venait
de
630
importants personnages déguisés dans leurs
d'apparat, rutilants de broderies et de palmes, avec leurs
épées, leurs grands cordons et leurs sautoirs, sous les excès de la tempé¬
rature. Alors que lui-même, au second plan, contemplait le spectacle
sous un parapluie ou dans le léger costume approprié au thermomètre...
On le voit, les histoires de Jacquier n'étaient jamais venimeuses
ou méchantes. Et leur support anecdotique parfois assez maigre. Tout
venait du brio du causeur. Un peu de ce que l'on constate de certains
brillants orateurs; leurs discours, réduits en syllogismes, se résument
à fort peu... mais on a tout de même été pris au piège et séduit, dans
l'instant, par un certain enchantement du verbe.
S'il y a dans le paradis un coin réservé aux raconteurs d'histoires,
j'y chercherais volontiers notre ami Henri Jacquier, pour le découvrir
sans doute du côté d'Homère ou de Rudyard Kipling, non loin des
Andersen, des Chaucer, des frères Grimm ou du bon Charles Perrault.
Quelque fut sa taille, petit ou grand, qu'importe! Il était de leur sang,
il était de leur race. Nul doute qu'ils n'aient su le reconnaître et
de l'inconfort de tous
ses
costumes
l'accueillir
comme un
des leurs.
Patrick O'REILLY
631
Société des Etudes Océaniennes
■
■
«
tomsm*
; i
;,.
-VV.
©
^
& m H
V-,;: ;v',v
^
-
H
-
'
Société des Etudes Océaniennes
■
■
Henri Jacquier
vu
par
son
Rodo,
marin
Cinquante cinq ans, le cheveu d'argent, le visage buriné, avec
rose tanné si caractéristique des hommes de la
mer, presque élégant, ce matin-là, le buste pris dans un très strict et
fin maillot bleu, frappé de la marque de je ne sais plus trop quel club
nautique de Hawaii, calme, une apparence ouverte, un temps de silence
avant une réponse toujours précise et allant droit au fait, une gentillesse
à la fois malicieuse et candide, tel m'apparut Rodo lors de notre pre¬
mière rencontre inopinée à la fin d'un déjeuner de marins que présidait
à Papeete le commandant Jourdain. « Vous avez de la chance, vous qui
cherchez des renseignements sur Henri Jacquier, pêcheur... me dit-il
en voyant Rodo entrer dans le restaurant... Voilà votre homme!...
Vous ne pouvez pas mieux tomber... Il fut « le » marin de Jacquier, le
patron de sa Moana! »
Dès le surlendemain, ponctuel comme la marée, Rodo venait
me rendre visite à la mission et je pouvais d'abord le questionner sur
cette
carnation d'un
lui-même.
Un membre des
une famille originaire de Katiu aux
Williams est né à Papeete en 1920. Il a de
Williams,
îles Tuamotu, Rodo Tuko
qui tenir : son père était le marin auquel Zane Grey, le célèbre écrivain
et pêcheur américain du milieu du siècle, avait confié son Frangipani
et son Golden Fleece. Après des études à l'école Centrale, il navigue.
Il se fait baptiser protestant au cours de son service militaire et, revenu
à la vie civile, part comme subrécargue sur le Ravarava, la goélette de
Lherbier, avec le vieux Gooding comme capitaine. Il connaîtra, à la
recherche de la nacre et du coprah, dans les Tuamotu, la riche moisson
des aventures qui attendent l'amateur. Il passera alors sur l'Aîto,
appartenant à Henri Grand. Sept ans ensuite, il travaillera sur le Fetia
633
Société des
Études
Océaniennes
hoa,
«
L'étoile amie
», une
vedette de
onze
mètres appartenant à l'amiral
Durand
Couppel de Saint Front, un aviateur de la marine nationale
venu prendre sa retraite à Paea,
pittoresque figure de marin, penseur
et dessinateur à ses heures, réalisateur d'inventions biscornues
qui
s'était fait construire
en
au
bord de la
France, il apprendra l'incendie
vera
mer
la maison de
avec une
ses
rêves et dont,
tristesse dont il
ne se
relè¬
pas.
C'est
au
début des années 60 que Rodo entre au service de
Jacquier qui vient de prendre possession du Tainui, « un bonifier qui
n'existe plus, il s'est échoué en 1966, à 2 milles de la
pointe de Tiaia,
à Moorea et s'est perdu. C'était un bonifier de 8 mètres de
long, avec
un moteur diesel, que lui avait construit un nommé
Théophile, un gars
qui fabriquait des vedettes, seul, à Mamao, de ses propres mains ».
Le Tainui, dans la vie maritime d'Flenri Jacquier, prend
place
entre les petites barcasses avec lesquelles il avait d'abord satisfait à
Tahiti son goût de breton pour les choses de la mer et une embarcation
plus importante et de meilleure prestance qui sera sa dernière acquisition.
Il avait débuté sa carrière maritime dans les eaux
polynésiennes
par une aventure qui avait défrayé la chronique locale et amusé ses
amis. Ayant peut-être sous-estimé les difficultés de cette
navigation,
il était parti pour Moorea avec la Miève, un canot à demi
ponté, gréé
de deux mats d'égale hauteur et d'un petit bout-dehors sur lequel
on
hissait deux petites voiles goélettes et un foc. Un petit roof abritait
un moteur Ford, un moteur d'auto de 18 CV,
réputé très capricieux
et d'un fonctionnement imprévisible. Jacquier était parti un beau matin,
avec une amie et un garçon de 17 ans, Victor
Mai, employé à la phar¬
macie Lherbier aux travaux les plus divers. Aucun des trois n'avait
jamais été à Moorea où l'on se dirigea. Le moteur ne les mena pas bien
longtemps. Dès la sortie de la passe de Papeete il tombait en panne et
refusait tout service... Nos navigateurs prirent le parti de hisser les
voiles et filèrent vent arrière en direction de Moorea, la brise étant de
l'Est et soufflant assez fraîchement. Au bout de quelques heures ils
arrivèrent devant une ligne de récifs sur lesquels la mer brisait
vigou¬
reusement, sans apercevoir la moindre passe. Jacquier ne sachant pas
manœuvrer son embarcation
pour serrer le vent et s'éloigner ainsi du
récif, fonça droit devant, dans les brisants, toujours plein vent arrière.
La chance voulut qu'il put ainsi franchir la passe d'Afareaitu sans être
chaviré et de se retrouver dans le lagon sain et sauf... Il se hâta de
mouiller la Miève près du rivage, passa la journée à Moorea et
regagna
Papeete le lendemain par la vedette d'Henri Villerme qui assurait alors
la liaison avec Tahiti. Il ne restait plus à Lherbier
qu'à faire remorquer
son bateau jusqu'à
Papeete!...
Son premier bateau personnel avait été le Kenavo, un
petit
youyou gréé en cotre, avec un moteur à gazoline, dont son beau-père
Emile Laguesse lui avait fait cadeau. Une embarcation si modeste
qu'elle n'avait pas été immatriculée au port! On m'en présente une
photographie où sa fille Annick, peut bien avoir deux ou trois ans :
634
dans les années 40. Vingt cinq ans plus tard, la Moana,
jouet coûteux que s'offre l'homme arrivé et qu'il a eu sans doute
plus de plaisir à rêver, à concevoir, à plaufiner à distance, à faire réa¬
liser dans un lointain chantier nordique, à voir débarquer d'un cargo
hollandais, à mettre à l'eau dans le port de Papeete qu'à utiliser, lorsqu'il
sera devenu une merveilleuse vedette de 38 pieds de long se balançant
devant le Vaima dans tous ses apparaux neufs.
Jacquier a désiré le mieux. La cabine est bien protégée, les
tangons bien à leur place; il a réclamé 6 couchettes en songeant aux
siens, et une douche. Il aura même l'air conditionné et le pilotage
automatique...
Deux moteurs de 160 chevaux permettent à la Moana d'attein¬
dre 18 nœuds. La vitesse de croisière était de 15 nœuds et le régime
« économique »
de 10 nœuds, me dit Rodo qui ajoute : « la réserve de
carburant ne permettait qu'un rayon d'action de 300 miles. C'était
parfois un peu court quand on poussait jusqu'aux Cook, vers Scilly ou
Bellingshausen. Et de me raconter des nuits passées en panne, du
côté de Maupiti pour ne pas manquer de carburant avant de gagner
Bora-Bora. La Moana fera sa première grande sortie en décembre
1968. On alla rendre visite à ses amis Kellum à Opunohu, Moorea.
Rodo m'ouvre les albums des photos qu'il a rassemblé au cours
des années passées au service de Jacquier; Rodo me laisse feuilleter
les journaux de bord de la Moana, où il a noté les événements de chaque
sortie. A travers les images de son patron, Rodo essaie de faire compren¬
dre au béotien que je suis, les difficultés, les péripéties et les surprises
de la grande pêche dans les eaux polynésiennes.
Et de me raconter comment on pêche à la traîne, près du récif,
avec de longues lignes, le thazar aux dents tranchantes, la carangue
ou le rapide baracuda. Et comment on peut, si l'occasion s'en présente,
lors du passage dans une bande de thons, par exemple, harponner
directement le poisson et tenter de remonter à bord une prise touchée
en pleine action et encore débordante de vitalité. Cependant la vraie
pêche n'est pas dans ces rencontres de hasard si excitantes puissent-elles
être; mais dans une sorte de corps à corps entre le pêcheur et sa proie.
Et de m'expliquer l'usage de ces instruments à moulinets et
freins réglables qu'on voit alignés comme à la parade dans les devan¬
tures des magasins d'armes de chasse et de pêche, ou dans le catalogue
de Manufrance. Rodo m'apprend que le vrai pêcheur — et Jacquier
était un vrai pêcheur — proportionne la résistance du fil de sa ligne à
l'animal qu'il poursuit, de manière à lui laisser sa chance. « Avec une
grosse ligne, commente Rodo, avec un reproche dans la voix, on tire
comme une brute et çà vient ». Ramener la plus belle pièce possible
avec le fil le plus mince possible : voilà l'idéal. Et tout l'intérêt de la
pêche sportive est dans cette lutte à armes presqu'égales entre l'homme
et l'animal. La bagarre est parfois longue et dure. Je lis dans le « Journal »
de la Moana : « Monsieur Bamberger, vice-président de la Chambre de
Commerce de Paris, invité de M. Jacquier, a pris un thon de 100 kilos,
nous sommes
c'est le
635
péché sur un fil de 130 livres. Il a fallu plus de 4 heures pour sortir cette
splendide bête de son royaume ». Et le pêcheur n'est pas nécessairement
victorieux. Rodo se souvient avoir vu son patron ferrer un espadon
à 4 heures de l'après-midi. La lutte se poursuivre de nuit, qui devait,
sous les feux des projecteurs, s'achever à 11 heures du soir par... la
cassure de l'hameçon et la libération de la bête. Et le cas n'est
pas rare :
« En face de la
passe de Tiva, lirons-nous dans le « Journal », nous
entrons dans un banc de thons. Sur 5 frappes, nous attrapons une
bonite; deux se décrochent; une est mangée par un requin, une quarième casse le fil d'acier par un bond ».
Il y a aussi des coups d'exception. Comme il arriva à Jacquier
avec « une » ligne, « une » canne, « un » hameçon de ramener, d'un
seul coup, « deux » mahimahi. La première bête fut accrochée par
l'ouie qui en se débattant coulissa sur la ligne, libérant l'hameçon
appâté sur lequel vint se prendre un second compère aussi vorace que
son prédécesseur.
On sent Rodo dans son élément dès
l'écoute sur la grande pêche. Il sait, — avec
qu'on le lance et qu'on
modestie, et pour autant
que l'on puisse savoir, en ces choses de la nature! — quels sont les
bons mois, les bons jours, les bonnes heures, les bons temps et les bons
vents aussi, pour telle ou telle espèce. Et ce qu'on peut chasser en haute
mer, dans le lagon, ou sur l'accore du récif. Une longue expérience lui a
appris comment se déplace le poisson. Il m'explique « En pleine mer,,
cinq ou six oiseaux volant bas, tout près de l'eau, dans du courant
et ce sont des mahimahi à la poursuite du fretin; il va falloir appâter
avec du poisson volant dont il raffollent. Et comment des tournoiements
de bandes innombrables piquant vers leurs proies signalent Yantiopu,
le thon au ventre rayé... Et que si les oiseaux volent plus haut, des fré¬
gates... et c'est une kyrielle de noms tahitiens que je ne sais noter : le
vaa, le thon blanc, le toheveri plus gros. Et voilà qu'il en arrive aux
monstres marins, aux espadons, aux merlins bleus dont les trophés
ornaient la maison de Jacquier à Paea, des pièces de 150, 200 kg et
davantage. On distribuait des parts de ces prises aux amis en rentrant.
Jacquier invite à son bord des notabilités de passage à Tahiti.
Rodo se souvient d'avoir piloté ainsi Marlon Brando ou Nelson
Rockefeller, le commandant de YOuragan ou celui de YAmiral Charner.
Parfois Jacquier entraîne des amis dans de grandes tournées. Léon
Marcillac ou Clive Rast. Mais le plus souvent il sort seul ou avec sa
famille. Les derniers temps, son petit-fils Éric, qui partage ses goûts
pour la mer et la pêche, l'accompagnera autant que le permettent les
vacances. Excellent marin, il n'aime pas les gens malades à son bord;
ils lui gâchent son plaisir, lui, beau temps, mauvais temps il est toujours
heureux sur sa Moana. Cependant il s'est inscrit au « Haura Club »
de Tahiti qui compte les plus notables chevaliers du moulinet de
l'île : Michel Prevot, Freddy Fourcade, Nick Rodgers, René Quesnot,
Jojo Mollon, Kati Vinika, Léo Lanigomazino et bien d'autres, aussi
habiles et aussi passionnés que lui.
636
Société des
Études
Océaniennes
Jacquier entra en possession à
de Raiatea, d'un îlot. Rien ne pouvait lui faire plus
de plaisir. Pour un temps, il va retrouver lâ-bas, à Motu Rauro, avec
un nouveau goût de vivre une seconde jeunesse, en s'installant dans
ce coin perdu de la Polynésie, à ses heures un nid de moustiques et de
nonos, une façon de résidence secondaire.
A la fin des années 60, Henri
Tahaa, l'île
sœur
Une maison de planches est montée en juin-juillet 1971. L'opéra¬
tion est agrémentée le 20 juillet par un « coup de vent d'ouest d'une
force peu commune ». Rodo doublera le mouillage de la Moana avec
le grand ancre et passera une nuit blanche pour veiller au grain. En
décembre de la même année on construit une annexe qui servira de
cuisine : le toit est posé le 1er janvier 1972. Souvent ces dernières années
Jacquier viendra là accompagné de sa femme et de ses petits-enfants,
passer de courtes vacances ou longs week-ends. Il plante de ses propres
mains des centaines de cocotiers ; on cultive pastèques et melons, toma¬
tes et choux. Pour gagner une nuit de mer il rejoint en avion Raiatea.
Ainsi au milieu des siens Jacquier est heureux sur son motu. Friand de
tous les produits de la mer, Lagilagi son fidèle fidjien prépare des
poissons-lune à la braise; on se régale d'oursins, de crabes, de vana
voir même de poulpes ou de bénitiers... Et Rodo de conclure : Jacquier
aimait la mer, son motu et son bateau... Comme il aimait son bateau!...
lui qui avait un appartement à Paris, lui qui avait roulé sa bosse partout
dans le monde, aux États-Unis, au Mexique, en Amérique du Sud,
en Asie, il ne se retrouvait vraiment chez lui qu'à Tahiti. Et heureux
pleinement qu'en mer sur son bateau. Les ennuis cessaient pour lui au
moment où il avait mis le pied sur sa Moana et avait déclaré à Rodo :
Que dirais-tu d'aller aujourd'hui de ce côté là?..
vrai
sportif. Il savait perdre et il savait gagner, gardant
toujours son calme. Acceptant sans se fâcher une déconvenue, un contre¬
temps. En 1971, comme j'avais reçu la visite des gendarmes avec le
propriétaire d'une vedette qui me réclamait de l'argent pour des dégâts
causés par la Moana faisant un sillage trop grand dans le port — ça
filait le bateau! et on avait cassé des feux de navigation — excès de
vitesse. J'ai payé. Il a ri! — et courageux. Il faut une grande force
physique pour ce genre de pêche. Ça développe les muscles des bras et
les pectoraux. Et par tous les temps!...
Et
un
« Oui, Jacquier était pour moi un grand et bon patron... Quand
j'ai appris qu'il était revenu de France mal en point, et sans beaucoup
d'espoir, j'étais à Honolulu. Je suis rentré à Papeete aussi vite que
possible, mais suis arrivé trop tard pour lui dire adieu! Je ne l'ai pas
retrouvé vivant... » Et je vois l'émotion s'emparer du candide et rude
visage de cet homme plus habitué à faire face au hasard de la mer
qu'aux impulsions et aux mouvements du cœur et qui se trouve désem¬
paré devant la disparition de celui qui si longtemps avait été pour lui
«
le patron ».
Patrick O'REILLY
637
Société des
Études
Océaniennes
Société des Etudes Océaniennes
Les
travaux
d'Henri
Jacquier
On trouvera ici, classée par ordre chronologique de parution,
la liste complète des notes et articles signés par Henri Jacquier dans
le « Bulletin » de la Société des études océaniennes dont il assumait la
présidence depuis 1950. Nous avons cité : B.S.E.O. Nous y avons
joint quelques titres d'articles, d'ordre scientifique ou touristique,
parvenus à notre connaissance à travers la classique Bibliographie de
Tahiti du Père O'Reilly. Nous savons qu'Henri Jacquier, en tant que
membre du Conseil central de la Section des Territoires d'outre-mer à
l'ordre national des Pharmaciens, envoyait à Paris des « Rapports tri¬
mestriels » sur les problèmes sociaux et économiques de sa profession
en Polynésie française; mais ces documents n'étant pas publics, nous
ne les avons pas signalés. Pas plus que nous n'avons mentionné, pour
ne pas allonger une liste déjà longue, ses « Rapports » aux Assemblées
générales de la Société des études océaniennes, rapports cependant
importants parce qu'ils en retracent année par année la marche et
signalent les directives données par Jacquier pour animer la Société
qu'il préside. Le rapport du 11 août 1966, par exemple nous présente,
avec précision, toute l'histoire des avatars du Musée de Tahiti.
Quoiqu'il en soit, en relevant ces articles
à nouveau, nous n'avons pu moins faire que d'être
des curiosités d'Henri Jacquier, la valeur de ses
nouveauté et
et en les parcourant
frappés par l'ampleur
articles, souvent leur
toujours le sérieux de leur documentation.
Raoul TEISSIER
639
Société des
Études
Océaniennes
BIBLIOGRAPHIE
JACQUIER, Henri.
Étude de l'alimentation des indigènes aux
Établissements français d'Océanie. (Annales de médecine et de
pharmacie coloniale, Paris, vol. 34, déc. 1936, p. 280-296, tabl.).
Le mirage de l'exotisme dans la littérature.
(B.S.E.O. Papeete,
t. 7, 1944, n° 72,
p. 1-27; n° 73, p. 50-76; n° 74, p. 91-114).
André Ropiteau. (Ibid., t. 7, 1945,
p. 125-126).
Les « Immémoriaux » de Victor
Segalen. (Ibid., t. 7, n° 76, 1946,
p. 214-223).
—
—
—
—
—
L'abbé
t.
—
Baston, précurseur des romanciers océaniens. (Ibid.,
7, n° 79, 1947, p. 308-316).
L'escale de Y Albatross à Tahiti.
382).
—
A la dérive de l'île de
1948,
—
p.
Pâques
(Ibid., t. 7, n° 81, 1947,
aux
495-498).
p.
379-
Tuamotu. (Ibid., t. 7, n° 83,
Contribution à l'étude de l'alimentation et de
l'hygiène alimen¬
taire en Océanie française. (Ibid., t. 7, n°
86, 1949, p. 584-606,
tabl., bibliogr.).
—
—
—
—
Vieux papiers de l'époque coloniale, [Francis Johnston et Edward
Lucett] Traduction de J. Laguesse. (Ibid., t. 8, n° 92, 1950,
p. 73-84).
Akaroa, un coin oublié de France aux antipodes. (Ibid., t. 8,
n° 96, 1951, p.
247-259).
Travaux archéologiques [Réfection du marae
d'Arahurahu]
(Ibid., t. 9, n° 105, 1953, p. 176-177).
Association internationale
p.
—
—
des
Amis
de
Pierre
178-179).
Réfection d'un marae.
fév. 1954, p. 25-26).
Loti.
(Ibid.,
(Nouvelles tahitiennes, Papeete, n° 1,
Id.
(Bulletin trimestriel de la Commission du Pacifique Sud,
Nouméa, vol. 4, n° 4, 1954, p. 27-31, ill.).
640
Société des
Études
Océaniennes
French Oceania.
p.
(Etruscan, Sydney, vol. 3, n° 4, March 1954,
19-22, ill., cartes).
[Compte rendu de la] fête du folklore au marae de Arahurahu
le 31 juillet 1954. (B.S.E.O., t. 9, n° 109, déc.
1954, p. 327-345, ill.).
à Paea, Tahiti,
Notes
1955,
La
p.
les pirogues actuelles de Raivavae. (Ibid., t. 9, n° 113,
494-496, ill.).
sur
p.
Polynésie Française. (Tropiques, Paris, n° 388, oct. 1956,
18-24, ill.).
Tahiti, terre de choix pour le tourisme international. (FranceOutre-Mer, Paris, sept.-oct. 1956, p. 70-73, ill.).
Le dossier de la succession de Paul
120, 1957,
n°
p.
Gauguin. (B.S.E.O., t. 10,
673-712, tabl.).
Énumération des plantes introduites à Tahiti depuis la décou¬
verte jusqu'en 1885. (Ibid., n° 130, 1960, p. 117-146).
Une
1960,
correspondance inédite de Paul Gauguin. (Ibid., n° 133-134,
p. 213-237, fac-sim.).
Jeanne Baret, la
première femme autour du monde. (Ibid., t. 12,
149-156, port.).
n°
141, 1962,
Le
mirage et l'exotisme tahitiens dans la littérature. Conférence
au lycée Paul Gauguin. (Ibid., n° 146, 1964, p. 357-369).
p.
donnée
plantes féculentes des Polynésiens. (Ibid., n° 148, 1964,
389-400).
Les
p.
Inauguration du Musée Gauguin le 14 juin 1965. (Ibid., t. 13,
n° 154-155, 1966, p. 605-608).
La découverte de Tahiti
verte de
[à propos du] Bicentenaire de la décou¬
Tahiti, 1767-1967. (Ibid., n° 158, 1967, p. 707-715).
Cinquantenaire
p. 716-719).
de
la Société d'études océaniennes. (Ibid.,
Cérémonie au marae « Arahu-Arahu », organisée par la Société
d'études océaniennes pour commémorer son cinquantenaire.
(Ibid.,
p.
720-724).
Inauguration
au
Jardin botanique d'une plaque à la mémoire
(Ibid., t. 14, n° 170, 1970, p. 306-308).
de Harrison Smith.
Piraterie dans le Pacifique. De Tahiti à
Nouvelles Éditions Latines, 1973, 217 p.,
l'île du Diable. Paris,
ill. h.-t., carte, 19 cm.
Une traduction de cet ouvrage en américain est annoncée comme
devant paraître en 1976 chez Dodd and Mead, à New York.
Études Océaniennes. (Journal de la Société des
Océanistes, Paris, t. 31, 1975, p. 251-253).
La Société des
641
Société des
Études
Océaniennes
o-y';
•
.
y'i
-y -..i,
y:^,y y
J':i :ii
'V
•
■■.■.■■■,■.
■■ f. :::>«•
yy-
y
yy:yv,
■
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 194