B98735210103_187-188-189.pdf
- Texte
-
BULLETIN
de la Société
des Etudes Océaniennes
TOME XVI, IM° 2-NOS 187-189-JUIN, SEPT, DEC. 1974
Ancien palais du
gouvernement
CONSEIL d'ADMINISTRATION
M. Henri JACQUIER
M. Yves
Président
MALARDÉ
Vice-Président
Melle Janine LAGUESSE
Secrétaire
M. Paul MOORGAT
Trésorier
ASSESSEURS
M. Adolphe AGNIERAY
M. Rudolph BAMBRIDGE
LEQUERRÉ
M. Eric
Me Jean SOLARI
M. Raoul
TESSIER
M. Temarii TEAI
M. Ma co TEVANE
MEMBRES D'HONNEUR
M. BERTRAND JAUNEZ
Pour être Membre
membre titulaire.
R.P. PATRICK O'REILLY
de la Société
se
faire
présenter
par
un
Bibliothèque
Le
Conseil
d'Administration
informe ses membres qu'ils
à domicile certains livres de la Bibliothèque
en
signant une reconnaissance de dette au cas où ils ne ren¬
draient pas le livre emprunté à la date fixée. Les autres peuvent
peuvent emporter
être
consultés dans la Salle de lecture du Musée.
La Bibliothèque et
membres de la Société
la salle de lecture sont ouvertes aux
tous les jours, de Ï4 à 17 heures, sauf
le Dimanche.
Musée
Le Musée est
à 17 heures.
14
ouvert
tous
les
jours, sauf le dimanche de
BULLETIN
de la Société
des Etudes Océaniennes
3
TOME XVI, N° 2-IM0S 187-189-JUIN, SEPT, DEC. 1974
J. Chastenet de Gêry
LES DERNIERS JOURS
DE LA
TROISIÈME
RÉPUBLIQUE
A TAHITI
1938-1940
Souvenirs d'un gouverneur
Société des
Études
Océaniennes
Le gouverneur Chastenet de
Société des
Études
Géry
Océaniennes
Le dessein
de cet essai est de
peindre le caractère de ces révolu¬
tions et d'écarter la multitude des
petits faits pour ne laisser voir que
les seuls considérables et, s'il se
peut, l'esprit qui les a conduits.
Voltaire
Dans le contexte des événements qui, en 1940, ont bouleversé le
monde, le ralliement des Etablissements Français de l'Océanie au
général de Gaulle n'a constitué qu'un incident. Pour mineur qu'il ait
été, celui-ci n'en prend pas moins place dans une fresque dont l'é¬
clairage, par trop orienté, laisse dans l'ombre certaines réalités et
fausse, du même coup, la perspective d'ensemble.
On était pourtant en droit d'espérer, qu'avec le recul du temps,
les passions se calmeraient et que cet apaisement serait de nature à
favoriser une certaine objectivité. Tel ne semble pas être le cas si
l'on en juge par les ouvrages relatant les événements dont Tahiti a
été le théâtre, voici pourtant plus de trente années.
Force est donc d'admettre que ces événements sont de ceux que,
seule, la postérité sera à même de juger en toute impartialité. Mais,
pour qu'il en soit ainsi, encore faudrait-il que les historiens puissent
disposer de dossiers complets, c'est-à-dire ren'fermant les différents
points de vue. C'est à cette fin qu'ont été rédigées les pages qui
suivent. Assorties d'un certain nombre de documents, elles n'ont
d'autre prétention que celle d'apporter un témoignage qui, confronté
avec
ceux
déjà fournis, devrait permettre une appréciation moins
partisane.
Avant de
partir, au début de 1937, pour la Polynésie, qu'on dési¬
le titre d'Etablissements Français de l'Océanie, et
dont m'était confiée la charge, j'eus avec Marius Moutet, Ministre des
Colonies, plusieurs entretiens. Il n'arrivait pas, m'exposa-t-il, à se
faire une idée de l'état d'esprit qui régnait dans cette lointaine colo¬
nie. Il se disait déconcerté par les rapports, les doléances et les
accusations qui lui parvenaient de là-bas ou de diverses sources, et
dont il ressortait, à l'évidence, qu'une étrange confusion régnait, dans
le pays. Il souhaitait, qu'arrivant avec un esprit neuf, je puisse détermi¬
gnait alors
ner
les
sous
causes
et l'évolution de cette situation trouble.
Quand, après 45 jours de mer,
j'arrivai à Tahiti au soleil levant, à
l'heure choisie où s'éteignait le phare de la pointe Vénus et où s'é¬
clairaient les sommets de l'île, j'éprouvai les mêmes sentiments que
tous les arrivants.
ge
Dominait surtout l'impression de mystère que déga¬
de loin cette île escarpée, surgie au milieu du Pacifique, et que
385
Société des
Études
Océaniennes
semble protéger, contre les atteintes de toutes sortes le récif, frange
où brise l'incessant ressac. La montagne l'occupe tout
entière. Elle descend jusqu'au rivage, ne laissant subsister qu'une
corniche plane sur le pourtour, d'où s'échappent de petites
circulaire
où
s'amorcent
les
sentiers
jusqu'au
des
vallées
rivières,
profondes.
Quand nous donnâmes dans la passe, que nous avançâmes lente¬
ment dans le lagon intérieur protégé des houles, s'imposa
ensuite
cette impression de calme et de silence si souvent relevée. Papeete
se réveillait et préparait aux nouveaux arrivés son
accueil, dans sa
cœur
nonchalance matinale.
J'y fus reçu par un administrateur des colonies, Henri Sautot,
qu'on avait fait venir des Nouvelle-Hébrides où il était en service,
afin d'assilrer l'intérim, après le départ précipité de mon prédéces¬
seur pour la France.
Il m'attendait au quai, entouré des chefs de districts endimanchés
et ceints de leurs écharpes. Nous nous engageâmes alors dans une
allée ombragée de grands arbres, longue d'une centaine de pas, qui
menait au gouvernement. Mais en y arrivant, trois affreuses choses
déshonorant
le cadre, se révélèrent à mes yeux.
Dfabord, sur un terre plein herbeux, un kiosque à musique en
béton, pur style 1900, que le plus déshérité des chefs lieux de canton
de France n'aurait pas osé revendiquer. Durant tout mon séjour, je
devais solliciter du maire, au moins le déplacement de l'odieux monu¬
ment. Soit que nos goûts différâssent ou qu'il y mit un malin plaisir,
il n'en fit rien. Respectueux, comme il se doit, des élus du suffrage
universel, je me résignai à contempler les rosaces en fer forgé et les
fleurs stylisées qui surmontaient l'édifice. Bien mieux, c'est avec un
indéniable machiavélisme qu'il constitua, peu après, une fanfare muni¬
cipale, laquelle, assez souvent, nous déversait, du haut du kiosque,
des airs martiaux strictement tirés du répertoire des musiques militai¬
res britanniques.
Ensuite, à gauche de l'entrée du parc, se dressait une imposante
guérite de factionnaire, au gabarit d'un grenadier poméranien, zébrée
de rayures bigarrées, luisante de peinture fraîche. Là, j'étais sur mon
domaine, et mon premier acte d'autorité fut de condamner le ridicule
édifice à
une
immédiate
disparition.
Enfin, s'inscrivant en courbe au-dessus de l'entrée, une banderole
de tôle, terminée en volutes, portait en larges lettres : GOUVERNEMENT.
J'eus soudainement la vision de plaques de tôles semblables qui, ja¬
dis, dans toutes les communes de France, désignaient la GENDARME¬
RIE NATIONALE. Sans nul doute devait elle être portée à l'inventairecomptable de quelque service. Ne voulant donc pas causer de préjudice
fonctionnaire qui l'avait en charge, je m'abstins d'y porter une main
sacrilège. Mais je n'eus de cesse que j'eus vu la fâcheuse inscription
disparaitre sous les retombées de plantes grimpantes. J'en mis moiau
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Société des
Études
Océaniennes
même les boutures en terre, j'orientai les branches et je fus émerveil¬
lé de l'exubérance de la nature sous ces climats, qui en peu de temps,
seconda exactement mon dessein.
Franchie la grille et sensiblement en retrait, m'apparut enfin, au
milieu des tipaniers et des flamboyants, l'hôtel du gouverneur recou¬
jusqu'au toit de plantes feuillues.
vert
Et, puisqu'on a, parait-il, depuis, démoli cette vénérable bâtisse/
qu'on me laisse m'attarder sur elle un instant. Sans doute est-il nor¬
mal qu'aux nécessités du présent on sacrifie le passé, mais on peut
accompagner la disparition des vieilles choses d'un geste d'adieu,d'un
pleur d'attendrissement !
C'était une assez grande maison à un seul étage, avec de larges
vérandas soutenues par des colonnes, dans ce style colonial rococo
que rappellent, dans les films, les résidences des états sudistes amé¬
ricains, à l'époque de la guerre de Sécession.
l'intérieur, dans le vestibule d'entrée, on butait tout de suite
escalier en colimaçon, étroit et mal commode, qui menait aux
appartements de l'étage. Le rez-de-chaussée ne contenait que de gran¬
des pièces à peu près vides avec tout au plus les restes d'un mobi¬
lier délabré. L'une d'elles était ouverte de deux côtés sur le parc. Il
fallut la garnir de rideaux mobiles, pour protéger les visiteurs du soir
du "hupe", ce vent qui, descendant de la montagne à la tombée de la
nuit, souffle vers la mer. Aux jours de réception, force était de mas¬
quer le dénuement en meubles et les lézardes des parois, sous des
profusions de plantes vertes et de fougères arborescentes.
Cette malheureuse construction était, du haut en bas, tellement
rongée par les termites, qu'il fallut successivement remplacer, par
des buses en béton, les colonnes primitives de bois en faux dorique,
qui, sous une illusoire pellicule de peinture, ne contenaient plus que
quelques poignées de poussière. Les peintres, de leur côté, se lamen¬
taient qu'au contact le plus atténué, leurs pinceaux passaient au tra¬
A
sur
un
des panneaux.
C'était désuet, charmant et absurde. Ainsi ne sortais-je pas des
transes, quand je suivais les évolutions des couples sur des planchers
vers
je savais vermoulus, surplombant des caves, où des infiltrations
pluies entretenaient une nappe d'eau d'un pied, impos¬
sible à étancher, comme si une source souterraine l'alimentait, et que
recouvrait au surplus une couche de pétrole, car elle constituait un
milieu idéal pour la prolifération des moustiques.
que
sournoises de
Mais c'était aussi un lieu émouvant, quand on ressucitait les fan¬
tômes, liés à l'histoire locale, de ceux qui avaient défilé en ces
lieux, sans doute : la grande Pomaré, les amiraux Dupetit-Thouars et
Bruat, les commandants Lavaud et Chessé, les grands chefs tahitiens,
Tati, Paofai, Parai ta', encore vivants dans les mémoires, et tant de
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Société des
Études
Océaniennes
capitaines marins, quand on songeait à ces actes officiels, traités de
protectorat et d'annexion, qui y avaient été discutés et signés, quand
enfin on y relisait la correspondance entre un ministre lointain et son
représentant local, dans ce style fignolé, agrémenté des formules de
courtoisie de l'époque, auquel notre administration moderne a substi¬
tué de laconiques expressions dénuées de toute civilité.
Un vaste parc,
planté de mapés, de manguiers géants et de flam¬
boyants, entourait l'hôtef du gouvernement. Dans le grand bâtiment qui
le flanquait dans un angle, et où étaient alors installés les Services du
Trésor, bien des gens s'obstinaient à voir l'ancien palais de la Reine
Pomaré. Tout au plus fut-il occupé par le Roi Pomaré V, le dernier sou¬
verain mort en 1891. Après avoir compulsé des archives, recoupé diver¬
ses relations et gratté assez profondément l'humus dans un coin du
parc, je pus retrouver, sous de beaux néfliers, les pierres de fondation
de la vraie résidence de la Reine, une simple construction légère qui
n'avait pu résister au temps. C'était donc là l'emplacement de la de¬
meure qui abrita la jeune souveraine Aimata dont la
liberté d'allure
désespéra l'austère pasteur Nott et ses confrères, cette résidence dont
Loti nous a laissé une description colorée quand, le soir, la maison
éclatait de lumière et des chants des suivantes dont la Reine vieillie
aimait s'entourer.
En face, à l'autre bout du parc, le long du chemin qui menait à la
mission, une source jaillissait, retombait dans un bassin naturel et
formait une petite rivière qui allait se perdre dans la mer. C'est de
cette eau,
si pure et si limpide que la grande reine n'en voulait pas
d'autre pour boire,même durant ses déplacements, que la ville de Pa¬
peete aurait tiré son nom. (pape : eau, iti : petite).
De Henri Sautot, qui avait, deux années durant, occupé le poste de
gouverneur par intérim, je n'eus guère à compter pour me mettre au
courant des affaires de la colonie. Pressé de regagner son poste, il
prit passage, dès le lendemain, sur le paquebot qui m'avait amené.
Dès le premier soir, je me plongeai donc dans l'examen d'une
série de dossiers qui, sans doute en raison de leur caractère confiden¬
tiel, avaient été enfermés dans le coffre de mon nouveau bureau. Et si
j'en fais mention, c'est parce que j'y trouvai matière à ma première
surprise, dans ce pays qui m'en réservait bien d'autres.
Le premier courrier, parvenu en même temps que moi, contenait un
pli de la Direction des Affaires Politiques. On s'y étendait, avec
complaisance, sur la présence à ce moment, à Paris, d'un habitant de
la colonie dont on avait fort apprécié, me disait-on, les informations
et la connaissance approfondie des milieux tahitiens. J'aurais avanta¬
ge, ajoutait la dépêche, à le recevoir lors de son retour, pour bénéfi¬
cier de son expérience et de ses conseils...
Il me revint alors que, parmi les dossiers du coffre parcourus la
veille, il s'en trouvait un concernant le personnage en question. Il
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Société des
Études
Océaniennes
lettre, expédiée confidentiellement quelques années
même Direction, où l'on mettait très précisément le
gouverneur de l'époque en garde contre cet individu, étranger au sur¬
plus, tenu pour suspect et à maintenir sous surveillance. A laquelle
des deux communications devais-je me référer ? Je pris un malin
plaisir à poser la question au Département, je n'obtins pas de répon¬
se. Néanmoins je pus me convaincre par moi-même, peu après, que la
première était celle à laquelle il fallait se ranger. Mais la morale que
j'en tirai fut que les incompréhension du Ministre s'expliquaient, pour
peu que ses informations, sur la colonie, fussent aussi... partagées.
Par le même courrier, j'apprenais le décès subit du délégué des
E.F.O., au Conseil Supérieur des Coloniès. On sait qu'il existait
alors, auprès du Ministre, un Conseil consultatif formé de représen¬
tants, élus par celles des colonies qui ne possédaient pas une repré¬
sentation parlementaire. Celui qui disparaissait ainsi était un séna¬
teur, fort aimable et courtois, avec lequel j'avais pris contact avant
de quitter Paris. Il ne m'avait pas caché qu'élu à distance, il ne
connaissait rien des affaires et même de l'Océanie tout court. Il s'en
remettait à moi pour le tenir au courant des questions pouvant l'inté¬
resser, et me promettait son appui.
contenait
plus tôt
Et
une
par cette
voilà que, sans avoir eu le temps de déceler
les différents
d'opinion, les tendances ou les oppositions, je me trouvais
brusquement "plongé dans le bain" puisqu'il fallait sans retard lui
donner un successeur. Et si je relate ce fait, c'est pour donner à
comprendre ce que représentait une consultation électorale, avec des
électeurs répartis sur une centaine d'iles, dispersées elles-mêmes sur
une surface aussi étendue que l'Europe. L'opération ne pouvait man¬
quer d'être longue et compliquée. Elle se révéla de plus assez origina¬
courants
le.
Il fallut d'abord préparer le matériel au chef-lieu, puis faire parve¬
nir, jusque dans les districts les plus éloignés, les urnes, les listes
électorales, les proclamations des candidats et les bulletins. Ce fut,
pour la goélette dont je disposais, une première longue tournée. Après
son retour à Papeete pour ravitaillement, elle dut entreprendre à nou¬
veau le même périple, afin de ramasser les résultats.
Quand elle revint au port, après nombre de semaines, ellé ramena
les urnes vides, les bulletins intacts sous leurs bandes d'emballage,
les ballots de proclamations, ainsi que les procès-verbaux dûment
signés par les chefs de districts... mais en blanc. Et tout cela ac¬
compagné de lettres manuscrites émanant de chacun d'eux, et conçues
à peu près dans les mêmes termes :"Nous ne connaissons pas tes
candidats. Comment veux-tu que nous fassions un choix ? Puisque tu
es là pour t'occuper de nous, fais donc pour le mieux".
Consternation. Que faire en présence de ce cas de conscience ?
Compte tenu des rappels de la métropole, qui ne concevait pas les
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Société des
Études
Océaniennes
retards apportés à cette consultation, il ne fallait pas songer à répé¬
ter
l'opération.
Deux candidats étaient
ce
et
un
en présence : un obscur avocat de provin¬
secrétaire d'état, à la tête de la marine marchande au sur¬
plus, donc susceptible d'aider la colonie à propos de ses transports
maritimes. Le bon sens voulait que ce dernier l'emportât. Après tout,
le principe du suffrage universel avait été respecté dans son principe
et dans ses intensions. Sans donc avoir eu la pensée de lui manquer
de révérence et après avoir qualifié la procédure "d'élection par délé¬
gation", afin d'apaiser ma conscience administrative, je déclarai le
sous-secrétaire d'état favorisé par les suffrages.
je me familiarisai avec la mentalité locale, en visitant
les districts, où j'étais reçu par les indigènes, avec
cette urbanité familière qui les caractérise.
Peu à peu,
un
à
un
tous
Pour atteindre les
plus éloignés, dans les archipels des Marquises
l'est, j'utilisais l'aviso, dépendant de la division
navale de Chine qui, durant 2 ou 3 mois par an, était détaché en Océanie. Les iles plus proches m'étaient accessibles avec la goélette du
gouvernement, un petit bâtiment mixte de type local.
Celle qui existait à mon arrivée, la Mouette, était de construction
ancienne, si ancienne même qu'un jour, en pénétrant dans le lagon
d'Amanu, après avoir heurté le récif, elle se fit une voie d'eau. Cer¬
tains de ses bordés étant en mauvais état, on pouvait après coup
frémir à l'idée de ce qui aurait pu se produire en haute mer.
Je la remplaçai alors par une belle barque, construite par les
habitants de Tubuai, la Tamara, à qui je la rachetai après passage
entre les mains d'un commerçant chinois. Grâce à l'ingéniosité du
chef des Travaux Publics, avec seulement les conseils d'un ancien
capitaine au long cours, nous la transformâmes, de bateau de charge,
en un bâtiment pour passagers. Avec cette petite unité de 95 t, lon¬
gue de 23 m, munie d'un moteur de 135 chevaux, je pus étendre le
rayon de mes tournées, qui se prolongeaient parfois plusieurs semai¬
nes, en liaison permanente par T.S.F. avec mes services.
Les retours de ces voyages ne manquaient pas de pittoresque,
avec cette goélette transformée en arche de Noe. Les haubans s'or¬
naient de régimes de bananes et de fruits, le pont fourmillait de petits
cochons, de volatiles, de tortues de mer, dons des insulaires visités,
et qui s'en allaient aussitôt porter un peu de joie chez les lépreux
d'Orofara.
Peut-être tous ces détails paraitront-ils oiseux. Je pense pourtant
qu'il peut s'en dégager quelques données géographiques ou ethniques,
ou des impressions, qui permettent de fixer une époque, de mieux ima¬
giner la physionomie de ces lointaines dépendances et de ceux qui les
peuplaient.
et des Tuamotu de
390
Cette population était, à la base,
constituée par les autochtones,
centaine d'îles jetées au hasard à tra¬
vers les immensités marines et formant plusieurs archipels : Iles de la
Société, Marquises, Tuamotu, Iles Australes. Toutes n'étaient cepen¬
dant pas également habitées, et certaines même à peu près désertes,
sauf au moment où la récolte des cocos (le rahui) et la fabrication du
coprah (extraction de l'amande après dessication) amenaient des îles
voisines les propriétaires des cocotiers, ou bien quand leurs lagons
étaient ouverts à la pêche aux huitres perlières, par décision adminis¬
trative, selon un ordre de succession régulier.
C'était une population douce et attachante, constituée par des
êtres fins, cachant, sous une indolence apparente, un sens aigu de
l'observation et une philosophie simplifiée. Gâtés par la nature, leur
avenir ne semblait pas s'étendre au delà de chaque journée, qui rame¬
nait, presque toute l'année, un soleil éclatant et ne leur imposait que
des activités limitées : cette récolte du coprah qui semblait bien
faite pour eux, plus un jeu qu'un labeur, ou bien, quand la faim les
poussait, la pêche d'une carangue dans le lagon, d'un coup adroit de
trident. Pour le reste des besoins domestiques, ils s'en remettaient au
chinois, qui, avec sa voiture cahotante et ses poids souvent frelatés,
les atteignait jusque dans les coins les plus reculés. Providence re¬
torse de ces insouciants, à laquelle, disait-on, certains s'adressaient
même, pour se procurer, sans effort, l'eau chaude destinée à la confec¬
tion du thé du soir ! Artistes, dans leurs manifestations musicales et
chorégraphiques en particulier, ils adoraient les longs bavardages
parauparau,
et ils étaient sensibles à ce genre de poésie que
déployaient leurs orateurs. Ce personnage, officieusement désigné par
le suffrage de tous, figurait dans toutes leurs réunions à côté du chef
officiel et avait charge d'exprimer aux étrangers, en termes fleuris, les
souhaits qui s'accompagnaient de charmantes attentions.
Mais on aurait tort de sombrer dans cette erreur (si fréquente en
matière de politique indigène) de considérer ces gens de complexion
si différente de la nôtre, capables de penser, de raisonner, de sentir à
notre manière et d'interpréter leurs sentiments selon nos propres
concepts. Leur cerveau a été façonné par une hérédité millénaire
adaptée à leur insulatiré. Les notions abstraites, comme la beauté,
l'avenir, le devoir, n'existent pour eux que par rapport aux consé¬
quences matérielles qui peuvent en découler. D'ailleurs, il n'y a pas
de mots à racines tahitiennes pour les exprimer. C'est ainsi que
l'amour, la fidélité, le sentimentalisme, sont des conceptions qui
des Maoris
dispersés
sur une
,
marquent, entre eux et nous, une immense distance psychique à fran¬
chir. Nos querelles, pour des motifs qui échappent à leur entendement,
plongent dans l'étonnement ou l'hilarité, sans que notre crédit en
Pourquoi exagérer les événements qui com¬
posent la réalité ? A ce qui presse, il est si commode de répondre
les
soit beaucoup augmenté.
ananahi
I Demain.
391
S'ils
ne
manquaient
aucune
occasion de manifester leur attache¬
gouvernement local, par leur soumission et dans leurs modes,
d'expression, s'ils aimaient la France à travers lui, ce n'est pas les
ment au
amoindrir
de
constater qu'elle ne suscitait qu'un sentiment assez
du moins qui ne faisait pas vibrer en eux l'idée de patrie
telle que nous la concevons. Il faut tout de même les comprendre !
Ensuite, jusque dans les archipels les plus retirés, existait une
forte représentation chinoise. A l'origine, ces asiatiques avaient cons¬
titué une forte main d'oeuvre, pour la culture du coton, et plus tard, de
la canne à sucre, implantée dans la plaine d'Atimaono. Ils se sont con¬
sidérablement multipliés depuis par l'immigration de congénères venus
de Canton. Ils sont devenus commerçants, artisans, restaurateurs,
préparateurs de vanille, cultivateurs de primeurs dans les vallées...
et aussi usuriers. C'était une communauté tranquille, repliée sur elle
même et impénétrable, avec ses écoles, ses temples, ses tribunaux
secrets, son administration intérieure sous le signe du Kuo Min Tang.
Sans pourtant être en mesure de s'en passer, les Tahitiens les tenaient
de détourner leurs femmes en leur prodiguant des cadeaux. Il en résul¬
tait des métissages heureux qui contribuaient à sauvegarder une race
dont les types purs disparaissaient de plus en plus.
vague, ou
Avec
quelques fonctionnaires ou représentants de professions
français, existait en outre une proportion non négligeable
d'étrangers, surtout anglo-saxons. Ils constituaient une colonie séden¬
taire plutôt riche, évoluée, vivant le plus ordinairement dans des
propriétés à la campagne. Leur simple présence favorisait l'influence
anglo-américaine. C'est ainsi que fourmillaient de nombreuses sectes
protestantes, qui justifiaient les allées et venues de pseudo pasteurs,
surtout américains, dont les préoccupations affairistes débordaient
souvent le simple prosélytisme religieux. Certains représentants de
ces églises avaient même pris l'habitude d'organiser, sous forme de
quêtes, de véritables extorsions. En exaltant à haute voix la générosi¬
té des uns, en spéculant sur la vanité ou l'amour propre des autres,
pour les encourager à renchérir, ils en arrivaient à une basse exploita¬
tion de la nafveté indigène.
Les ties où ils opéraient surtout, ordinairement les plus proches de
Tahiti et les plus accessibles, étaient également les points d'at¬
traction des touristes étrangers, parmi lesquels beaucoup d'Améri¬
cains venus sur leurs yachts. Ceux-ci, avides de folklore océanien,
s'étaient accoutumés à faire organiser de grands tamaaraa (repas) ou
des séances de danses, par les groupes locaux, en prodiguant les
dames-jeannes de rhum. Et tout se terminait par des beuveries. Je ne
pus que renforcer la stricte observance d'une réglementation déjà mise
au point, qui interdisait l'accès de ces îles, sauf autorisation spéciale
à ceux qui n'en étaient pas originaire ou pas fixés par leurs affaires,
ce dont nul ne se plaignait d'ailleurs.
libérales
392
Société des
Études
Océaniennes
Enfin pour terminer l'exposé de la société composite de nos pos¬
il faut parler d'un élément nombreux et influent, français
sessions
naturalisation plus ou moins récente, mais gardant, dans certains
des marques de son origine étrangère.
Celle des uns se rattachait à des escales, anciennes ou récentes,
de navigateurs ou de déserteurs de toutes nationalités. L'ascendance
d'autres remontait à des gens venus dans le pays pour des raisons
variées, attirés par le commerce ou l'aventure et, pour beaucoup, à
par
cas,
des
militaires coloniaux démobilisés
sur
place.
Ils étaient commerçants patentés, gérants ou employés
de maisons
d'export-import, négociants en coprah ou en vanille, associés à des
entreprises avec des réussites inégales. Dans certaines familles.dont
les sentiments français n'étaient pas toujours évidents, on usait de
l'anglais comme langue courante, on était entiché de ce qui était
anglo-saxon, et, souvent en rapport d'affaires ou de famille avec les
U.S.A. auxquels on opposait, non sans dénigrement, ce qui était
français. Ils représentaient l'élément le plus influent du pays, et
c'est parmi eux que se recrutaient les corps élus. De culture souvent
sommaire, ils manifestaient une particulière dilection pour l'intrigue et
la contestation, que favorisait encore l'activité réduite ou le désoeu¬
vrement de certains d'entre eux. Il y existait des jalousies de clans
ou
de famille, des coteries provoquées, moins par des divergences
d'opinion politique ou religieuse, que par des questions d'intérêt ou
d'amour propre.
1934, une certaine affaire Rougier et la faillite de la maison
chinoise, Kong Ah, avaient déchainé les passions et traî¬
naient encore leurs séquelles en 1937. Interminablement on s'était as¬
signé en justice, on avait échangé des accusations et des demandes
reconventionnelles. La magistrature avait été compromise et éclabous¬
sée, et parmi les personnes qui avaient été mêlées à la cause, rares
étaient celles qui n'avaient pas tâté de la prison. Un des membres de
la municipalité, et non des moindres, qui, flanquant M. Sautot, me re¬
çut à mon débarquement, en sortait lui-même. Et c'est cet imbroglio, à
base de coups fourrés et de petites vengeances mijotées, qui avait
créé, dans l'île, cet atmosphère trouble dont j'avais vu le Ministre si
fort embarrassé à mon départ de France.
Vers
de
commerce
économique de la colonie reposait en grande partie sur
rotations des navires des deux compagnies qui la desservaient.
Tout son ravitaillement (farine, riz, sucre, conserves, pétrole, lait,
Le rythme
les
beurre,
etc) était importé d'Australie, de Nouvelle-Zélande et des
Steamship Co. qui reliait Sydney à San Francisco.
Etats-Unis par l'Union
393
Je n'ai
de
mes
des
point tiré mes principes
préjugés, mais de la nature
choses.
Montaigne
Tous les 45 jours, les navires de la ligne Marseille Nouméa, des
Messageries Maritimes, faisaient escale à Papeete. Ils y embarquaient,
au retour, le coprah, ramené des îles où il était produit, et qui consti¬
tuait le plus gros de nos exportations vers la France. Par cont,re, à
l'aller, ces bateaux arrivaient presque sur lest et ne nous apportaient
pas grand chose. Maintes fois, j'ai fait remarquer combien il était
anormal et paradoxal qu'ayant touché Alger et Fort de France, pays,
respectivement;du vin et du sucre, ils nous laissent dans la néces¬
sité de faire venir
ces denrées d'Australie. Ces navires transportaient
pseudo-reporters en mal de copie qui, sur de hâtifs
renseignements recueillis durant une brève escale, s'empressaient de
rédiger des articles à sensation. Il en fut ainsi de celui qui avait
de
aussi
ces
dénoncé,comme scandaleux,la présence d'un Américain à la tête du
Syndicat d'Initiative. Le mieux fut que la Direction des Affaires poli¬
tiques du Ministère s'empara de la nouvelle et requit assez sèche¬
ment des explications. Elle ne poussa pas plus avant ses avantages
lorsque je lui eu demandé, en retour, qui pourrait lui sembler mieux
qualifié à ce poste, pour s'occuper des questions locales du tourisme,
que ce Monsieur Salmon, qui se trouvait être un authentique membre
de
la famiIle Pomaré ?
ces courriers espacés, nous n'étions reliés directe¬
métropole ni par câble, ni par T.S.F. C'est par le relais
britannique de Suva, la capitale des îles Fidji, que notre modeste
station recevait les radio-télégrammes, aussi bien officiels que pri¬
vés, de même que les nouvelles dont s'alimentait notre petit bulletin
quotidien.
On voit à quels troubles et à quel isolement pouvait aboutir cette
organisation des transmissions en temps de guerre !
Mais, en temps de paix, ce n'étaient pas forcément les distances
et les lenteurs des communications qui pouvaient intervenir pour
compliquer l'administration de notre possession. Il y avait notamment
la difficulté de faire comprendre aux Services Centraux dont nous
dehors de
En
ment
à
la
dépendions, qu'une réglementation, élaborée dans les bureaux de la
métropole pour tous les territoires, s'accommodait mal souvent à nos
contingences locales. Des problèmes insoupçonnés se posaient aussi
quand se trouvait, au départ,tel ministre connu pour son non-confor¬
misme et son mépris des textes, dont l'arbitraire balayait superbe¬
ment toutes les objections d'un laconique :"J'ai promis, il faut le
faire
!"
394
Société des
Études
Océaniennes
Joignez enfin que les distractions étaient rares, et il apparaitra
toutes les conditions étaient réunies pour favoriser, dans ce
petit monde au bout du monde, parmi ces gens confinés dans un espa¬
ce réduit, l'éclosion des passions, des explosions de mauvaise hu¬
meur, la diffusion de fausses rumeurs, l'enveniment des querelles
dont, depuis Pritchard et au fil des années, ont été gonflés les dos¬
que
siers du Département.
Tahiti, terre enchantée, terre pernicieuse !"
récents des incidents qui l'avait agitée, je
prise de fonction, d'analyser les éléments composi¬
tes de la société locale dont j'ai parlé. Je me demandais s'il n'exis¬
tait pas, en fin de compte, un moyen d'arracher ces gens à leurs
préoccupations égoistes et de les faire participer, de bonne volonté,
à quelqu'entreprise commune d'intérêt général. C'est ainsi que me
vint l'idée de les convier à la préparation d'une foire-exposition.
Pour moi, c'était un test. Pour ceux à qui je m'en ouvris d'abord,
cela apparut comme une conception bouffonne de nouveau débarqué.
Les détracteurs ne manquèrent pas, et jusqu'au Conseil Privé, on ne
manque pas de me démontrer la vanité d'un tel projet.
Je notai ces réactions, mais néanmoins je m'obstinai. Aux gens de
la campagne que j'allai voir, et entre lesquels je créai une sorte de
rivalité, je suggérai de produire des taros, des ignames, des urus et
tous les produits agricoles que savaient si bien cultiver leurs ancê¬
tres. Je poussai certains citadins à rechercher des objets anciens,
armes, vêtements, parures de chefs, qu'on conservait encore jalouse¬
ment dans certaines familles. D'autres s'attachèrent à récupérer de
vieux textes ou des manuscrits. Des artisans, dont certains avaient
abondonné leurs travaux, se remirent à l'oeuvre. Des lointaines Mar¬
quises, Mgr David Lecadre près de qui j'avais trouvé un écho, nous
expédia une remarquable collection d'ustensiles domestiques en bois.
Certains étaient ornés de sculptures si fines, que les fabricants
avaient dû utiliser, pour les exécuter et selon une vieille tradition,
Dans
les souvenirs
m'efforçai, dès
ma
des dents de souris emmanchées.
Bref il se créa une sorte d'émulation qui imposa silence aux
derniers détracteurs, ce dont je fus le premier surpris. Et il en fut
ainsi durant toute la période de préparation que nous avions prévue,
à
dessein, assez longue.
Sur l'hippodrome remis à neuf, et dans cette atmosphère de,joie
que leur procure toujours le travail en équipe, des habitants des
districts proches vinrent édifier de ces constructions légères dont
ils ont l'habitude, pour servir de pavillons aux exposants. Il y eut
ainsi des stands de produits agricoles (pour les plus beaux desquels
furent distribués des prix), d'objets et d'armes historiques, d'ameu blement, d'articles de fabrication locale mis en vente (colliers, cha¬
peaux, nattes, sculptures), etc.
395
Société des Études Océaniennes
pas
Si cette manifestation, en définitive, fut un succès, je ne prétends
conclure qu'elle eut de grandes conséquences. Mais elle fut, je
le redis, un test, prouvant que ces gens quand ils y trouvainet inté¬
rêt, pouvaient oeuvrer en commun et occuper leurs heures de loisirs
à autre chose qu'à leurs chamailleries habituelles.
Les
années 1938 et 1939
en
partie, s'écoulèrent
sans
incidents
notables. On vivait à Papeete dans la torpeur routinière, sous le ciel
immuablement bleu et sous un climat idéalement égal. Mais la con¬
templation, par de là le lagon et le récif, du "bleu" sans limite (la
mer franche débarrassée des perfides rochers coralliens) ou des loin¬
tains de l'ile de Moorea, avec ses montagnes dentelées (où certains
prétendaient découvrir les formes d'une femme couchée), dégageaient
une
sorte de sentiment concentrationnaire. Sur ces citadins, peu
portés en général vers les spéculations intellectuelles, pesait leur
confinement, loin de ce qu'ils connaissaient ou imaginaient du monde
moderne. Ils n'avaient que trop tendance dès lors, dans cette petite
agglomération aux cases ouvertes à tous les vents, à plonger chez
leurs voisins, à les épier sans indulgence, puis à nourrir de leurs
observations les médisances et les calomnies qui couraient la ville.
Moi-même après avoir tenté d'établir des contacts à grilles ouver¬
tes, avais-je dû y renoncer, après des essais désastreux. Il s'avé¬
rait qu'une certaine prise de distance s'imposait, ne fusse, que pour
échapper à des familiarisés. Mieux valait limiter le choix de ses rela¬
tions que se laisser envahir !
Le centre d'intérêt de la ville était le lagon, où l'on assistait aux
allées et venues pittoresques des goélettes. Les unes entreprenaient
des parcours réguliers à travers les archipels et embarquaient des
passagers. Leurs appareillages, avec l'installation des voyageurs
sur les ponts, dans un curieux pêle mêle de gens et d'animaux, étaient
d'un attrait sans cesse renouvelé. Pour d'autres, les subrécargues,
chinois pour la plupart, diçsjmulaient soigneusement leurs destina¬
tions vers les îles plus lointaines et moins souvent visitées, afin
d'éviter la
concurrence.
Mais toutes conservaient la tradition de l'a¬
venture, emportant dans leurs cales les produits courants de la vie
moderne : farine, pétrole, bougies, sucre, qu'elles allaient "troquer"
le
coprah des insulaires.
une
embarcation légère, le plat-bord au ras de l'eau,
franchissait la passe. C'était un cotre indigène, venant ordinairement
des Tuamotu, qui apportait directement son contingent de coprah. Ils
étaient le désespoir du capitaine de port, ces patrons de cotres,
réfractaires à tous les règlements écrits de navigation et de sécurité,
que méprisaient ces marins, maîtres de la mer depuis des millénaires,
accoutumés à naviguer à l'estime en bravant tous les risques.
Et puis, fréquemment, apparaissaient des yachts, amenant des
touristes attirés par la fascination des "mers du sud". Qu'il s'agisse
contre
Parfois
396
Société des
Études
Océaniennes
grand luxe des milliardaires ou de ceux de proprié¬
modestes, il faudrait un volume pour relater les incidents
tragico-comiques que provoquaient leur passage.
C'est parmi eux que, discret et effacé, se présenta un jour un
"navigateur solitaire" particulièrement sympathique, qui faisait son
tour du monde : Bernicot. Atteint par la retraite, ce capitaine au long
cours s'était fait construire un petit voilier et, sans publicité, avait
entrepris son périple par le cap Horn. Il fallut presque forcer sa
réserve naturelle pour qu'il acceptât les offres de la Marine pour
compléter ses approvisionnements en matériel nautique. Et c'est avec
la même simplicité qu'au terme de son escale, nous le vîmes partir
pour la Réunion. Il emportait un courrier, avec une lettre de recom¬
mandation que j'adressais à mon ami le gouverneur de. la Réunion, par
des
navires de
taires
des voies inédites.
la rade s'animait avec la présence de navires de
étrangers. Ce fut un jour un grand voilier-école des cadets
japonais. Ils firent la joie de tous, par les mesures prophylactiques
contre les dangers des pays tropicaux : masques faciaux de protec¬
tion, bidons d'eau stérilisée à bord etc, dont ils s'entouraient, en
descendant à terre. Et, tous atteints d'espionnite aiguë, ils parcou¬
raient, carnets en mains, la ville et ses environs, notant les détails
les plus insignifiants, sondant les abords du wharf, mesurant le dia¬
mètre des bouches de ravitaillement en fuel...toutes indications
fournies par les almanachs et instructions nautiques.
Mais, plus souvent, il s'agissait de bâtiments, dépendant des
dominions anglais, dont on admirait la belle tenue des équipages et
l'allure des états-majors (tous britanniques), mainteneurs des plus
Souvent aussi
guerre
traditions maritimes.
Il n'en était malheureusement pas tout à fait de même avec les
unités battant le pavillon aux stars and stripes. Est-ce la "prohibi¬
belles
tion", imposée à bord, qui poussait les équipages à se dédommager si
largement à terre ? Je fus plusieurs fois en conflit avec leurs com¬
mandants, car je trouvais désolant l'exemple étalé par eux aux yeux
de nos tahitiens, que j'avais tant de mal à détourner de l'abus de
l'alcool.
après une démonstration particulièrement regrettable de
d'eux, qu'arriva notre vaisseau école Jeanne d'Arc qui, par sa
l'admiration
tenue, corrigea l'impression défavorable et suscita
C'est
l'un
des
habitants de Tahiti.
assez longtemps d'avance, nous avions eu le temps de
qu'il
préparer la réception
méritait. J'avais proposé comme
thème, aux chefs locaux, de lui organiser un accueil analogue à celui
réservé jadis à Bougainville par leurs a'ieux.
Et c'est ainsi qu'au jour où la Jeanne d'Arc fut signalée, la rade
fut interdite à toute embarcation POPAA (européenne). Dès que le
croiseur fut engagé dans la passe, la plus pittoresque des floti 11es se
Prévenus
lui
397
Société des
Études
Océaniennes
détacha du rivage, se porta vers lui et lui fit cortège jusqu'à son
mouillage. Il y avait là, reconstitués par les tahitiens à cette oc¬
casion, d'anciennes pirogues de guerre, des pirogues doubles à plate¬
formes, des embarcations légères fleuries et des radeaux flottants sur
lesquels évoluaient des groupes de danseuses en paréos à fleurs,
l'hibiscus à l'oreille, portant au cou des colliers de coquillages, les
bras chargés des couronnes et des colliers du tiaré parfumé qu'on of¬
fre aux nouveaux arrivants, tandis qu'à grands coups de pagaie, les
tanés en chantant rythmaient les danses.
Le temps malheureusement se montra inclément. De cela même le
chef Teriieroo, orateur désigné pour prononcer le discours d'accueil,
sut tirer parti... Au commandant du croiseur qu'il salua, au moment de
sa descente à terre, il déclara : "Tu regardes le ciel assombri ! Mais
en réalité les gouttes qui tombent ne sont que les larmes que lais¬
sent couler nos aïeux, ravis et émus à
la vue de ton navire !"
Le 14 juillet, "le juillet" ainsi qu'on disait, était un moment
mémorable de l'hiver, et qui représentait moins la commémoration
d'un anniversaire, qu'une fête folklorique locale à grand éclat. L'année
du passage de la Jeanne d'Arc
on dérogea à la tradition en ce que,
le plus sérieusement du monde, il fut donné officiellement avis que
"le juillet aurait lieu en avril", afin de faire participer le croiseur
aux réjouissances habituelles.
,
A cette occasion, en effet, toute la population de
d'une bonne partie de l'archipel, déferlait sur le chef
voyait, dans cette attente, des campements, on ouvrait
les bâtiments publics, toutes les écoles, on mettait à
tion
l'île, et celle
lieu. On pré¬
pour la loger
leur disposi¬
les vérandas des maisons privées.
Durant
une quinzaine se déroulaient des régates, des concours de
de lancement du javelot. Compétitions mystérieusement et
longuement préparées jusqu'au fond des campagnes, sous les yeux des
habitants des villages qui, de leur côté, s'affairaient à la confection
des costumes et des accessoires. Le jour venu des concours, ils se
montraient aussi ardents supporters de leurs groupes que les plus fa¬
natiques Anglais attachés aux couleurs de leur club.
danses,
manifestation prolongée, à l'aspect de grande kermesse,
manèges et ses loteries, (les fameux 'tavirii) n'était pas
inquiéter à l'avance missionnaires et surtout pasteurs. Ils n'é¬
Cette
avec
sans
ses
taient pas sans appréhender
- et non
sans raison - que cette atmos¬
phère de fête et cette excitation se prolongeâssent en plaisirs moins
innocents, le soir à l'abri des cocotiers de la plage. Je fus heureux
d'avoir pu obtenir leur neutralité, voire même leur concours (hospitalité
assurée dans leurs temples aux voyageurs), en prenant, d'accord avec
eux, des mesures de police destinée à sauvegarder la morale, et en
faisant observer un strict couvre feu à partir d'une heure raisonnable.
398
Société des
Études
Océaniennes
Qu'il est besoin que te peuple
ignore beaucoup de choses vraies
et en croit beaucoup de fausses.
Scevola
Les
manifestations
dictatoriales
et
expansionnistes
d'Hitler
:
concentration de tous les pouvoirs entre ses mains (1938), l'an¬
nexion de l'Autriche (mars 1938), la conférence de Munich (sept. 1938),
la
liquidation de la Tchécoslovaquie (mars 1939), chargées de mena¬
de plus en plus directes contre la paix, accompagnées en France
de mesures de mobilisation partielle, n'affectèrent guère à Tahiti le
fond de la population.
Nous atteignimes enfin le 3 septembre 1939, et nous eûmes à ap¬
poser, nous aussi, les fameuses affiches blanches aux drapeaux
croisés et à ouvrir les plis secrets de mobilisation.
la
ces
Nous pouvions compter sur environ 5.000 réservistes. Mais, faute
d'équipement et d'armement, tout au plus 200 furent rappelés et incor¬
porés à la Compagnie autonome d'Infanterie Coloniale des E.F. O. On
installa des postes de guet autour de l'île. On monta sur des camions
réquisitionnés quelques armes automatiques, ainsi que deux pièces de
47 mm. On entreprit également d'installer sur le mont Faiere une bat¬
terie composée de deux pièces de 100 mm récemment arrivées, et,
sur un emplacement légèrement supérieur, deux pièces de 65.
Mais tout cela, qui restait dans la limite de nos moyens et répon¬
dait aux instructions pour la "Mise en défense de Tahiti en temps de
guerre", était parfaitement dérisoire. Il n'y avait guère de quoi récon¬
forter les esprits avisés, même en comptant sur la présence de l'aviso
Dumont d'Urville près de nous.
J'étais plutôt inquiet de l'avenir. Depuis longtemps, dans les re¬
vues des dominions, j'avais suivi
les exposés de la stratégie japo¬
naise dans les mers du sud et appris à redouter aussi les "raiders"
ennemis. Il était notamment un personnage que je n'aurais pas été
étonné de voir surgir, le commandant allemend Von Luckner, celui qui
s'intitulait "le dernier corsaire", qui, durant la grande guerre, avait
écumé l'Atlantique, puis le Pacifique, avec le See Adler et qui, après
avoir coulé quelques 14 navires alliés et après 250 jours de mer,
était venu se perdre sur l'îlot de Mopelia à 250 milles de Tahiti.
Or, ne l'avions-nous pas vu en 1937 débarquer à Papeete sur son
yacht personnel, le See Teufel. Grand seigneur, courtois et désinvol¬
te, avec un humour parfois un peu lourd, il venait, proclamait-il,
revoir, en touriste, les lieux de ses anciens exploits et de son échouement.
399
Société des
Études
Océaniennes
Le passage à l'état de guerre, s'il avait provoqué une
émotion
sincère, n'affecta guère à Tahiti le courant de la vie. La rotation des
navires se poursuivit normalement et on n'y eut à subir aucune priva¬
tion. Il était dans l'ordre normal des choses que le bruit lointain du
fut couvert par le grondement du ressac sur le récif ! Puisqu'aucun contingent n'avait été appelé à servir hors de la colonie, on
n'y
connut même pas l'angoisse des familles françaises pour les combat¬
tants du front.
C'est seulement au moment de l'armistice que la nervosité com¬
canon
mença à se
transmettait
manifester. Pour compléter les brèves nouvelles
que nous
le
poste de Suva, nous nous efforcions de capter, en
l'air, les émissions des stations neutres les plus proches, qui étaient
souvent
cause.
tendancieuses, imprécises
m'expliquer
nous
sons,
même défavorables à
ou
notre
L'Indochine même était presqu'inaudible. On a tenté depuis de
ces
lacunes dans les transmissions,
trouvions dans
une
mystérieuses à
zone
mon
de silence
entendement,
le fait que nous
où, pour des rai¬
propagation des ondes
par
reconnue
la
était entravée.
Je consacrai en grande partie ces semaines à des tournées de
districts pour redonner confiance aux indigènes. Au fur et à mesure
que la gravité du drame lointain prenait corps, en effet, une sorte de
panique, infondée et contagieuse, leur faisait redouter une annexion
par
l'Angleterre ! Je profitai de
ces
déplacements,
pour
faire intensi¬
fier l'application du programme, déjà mis en oeuvre, du développement
des cultures vivrières. Il fallait une pression constante, pour ramener
nos gens des
campagnes à ces travaux agricoles, qu'ils avaient à peu
près abandonnés, les laissant aux Chinois. J'y voyais pourtant un re¬
mède à un éventuel manque d'importation et à un éventuel manque d'im¬
portations et à la rareté des denrées, et je n'eus qu'à
me
féliciter des
résultats obtenus.
Nous arrivâmes ainsi à cette journée de confusion totale, sinon
de panique, que fut le dimanche 23 juin 1940. Ce fut comme un masca¬
ret
provoqué par les rumeurs imprécises qui couraient, déformées
elles-mêmes, à mesure qu'elles se transmettaient de l'un à l'autre.
Il était question d'une demande d'armistice, ce qui consternait les
uns, et d'une décision de toutes les colonies de poursuivre la lutte,
dont d'autres faisaient état. (Une transmission de Nouméa, après
consultation de l'Indochine, nous confirma d'ailleurs, le 27 juin, dans
cette idée). Provenant de source américaine, on parlait aussi de l'ap¬
pel du général De Gaulle, le 18 juin.
Puis, brochant
le tout, l'aviso "Dumont d'Urville" captait le
qui, reproduisait l'essentiel d'un ordre du
jour N° 1330 de l'Amiral Darlan, prescrivait de continuer à combattre à
outrance jusqu'au bout,
sur
20 juin, un message radio
400
e;
Là, il y avait quelque chose de déroutant. Car si l'on tient compte
le gouvernement Pétain (où l'Amiral Darlan détenait le Ministère
de la Marine) avait été constitué le 16 juin, que le 17 puis le 20 le
Maréchal avait confirmé la demande d'armistice "devenue inévitable",
dès lors cette invitation à poursuivre les combats, arrivant trois jours
après l'envoi des plénipotentiaires, était pour le moins inconcevable.
que
Une explication m'en fut communiquée,
le 28 juin par le Naval,
Staff (Intelligence) de Wellington.
L'Amirauté
certain que les Allemands utilisaient depuis le
anglaise tenait pour
20 juin le code naval
diffuser de faux ordres, attribués à l'Amiral Darlan.
français pour
( Doc. 1 ).
Le Capitaine de Frégate de Quiévrecourt, commandant l'aviso Dumont d'Urville et le Capitaine Corvette Grange, commandant la Marine
dans les E. F. 0. qui naviguait au plus près dans son sillage, sans
s'arrêter à cette anomalie, se firent d'abord l'écho sans réserve de ces
instructions, dans deux ordres du jour simultanés, adressés, ce 23 juin,
à leurs équipages respectifs. "Un ordre du jour du commandant en Chef
des Forces Maritimes, prescrivant une continuation de la lutte avec la
dernière énergie est parvenu ici il y a trois jours" y lit-on. Ensuite,
cédant à une de ces inspirations malencontreuse dont il avait le se¬
cret, Quiévrecourt, aidé de Grange, entreprit en toute hâte, et à mon
insu, des démarches près des membres des corps constitués, durant
que le lieutenant Ravet, faisait le tour de l'île pour alerter les chefs,
afin de m'amener par une pression générale et concertée, à expédier
un
message d'adhésion à de Gaulle.
Ces deux marins n'en étaient pas à leur première affaire. N'a¬
vaient-ils pas, peu avant, tenté de me faire créer, sous leur autorité,
une sécurité militaire afin de réprimer les agissements des éléments
exaltés... auxquels ils allaient précisément fournir, par leur attitude,
les meilleurs prétextes à agitation,. D'ailleurs ce ne fut pas la seule
manifestation intempestive du
C. de F. de Quiévrecourt. Une autre
fois, une altercation avait éclaté au Cercle entre deux personnalités
locales, qui avait abouti à un échange de témoins. C'était anodin,
car on eut vainement cherché des armes de combat à Papeete. Mais
Quiévrecourt, ayant été contacté comme homme d'expériencp en la ma¬
tière, accepta de diriger la rencontre.
Et afin que les adversaires pussent en découdre il leur découvrit
des armes : des épées de même modèle d'officiers non combattants,
l'une provenant du pharmacien Liot, l'autre du Commissaire du Dumont
d'Urville !
Mais revenons à la journée du
23 juin. A 15 heures, c'est le maire,
Georges Bambridge qui se manifesta, puis une heure plus tard, ce
furent les trois conseillers privés : MM. Ahnne, Martin et Lagarde.
J'avais motif de m'étonner de ces démarches, en ce dimanche aprèsmidi, de la part de ces personnages ordinairement fidèles aux tradi401
tions
d'apathie dominicale et peu portés par nature, à des motions
belliqueuses.
Et puis, tout devint clair à mes yeux le lendemain matin, quand
des représentants de la Chambre de Commerce, de la Chambre d'Agri¬
culture des Anciens Combattants, du Conseil Municipal etc. défilè¬
rent, m'apportant tous le libellé d'un même télégramme, en même
temps que les chefs indigènes, convoqués au chef-lieu, étaient
hébergés à la cantine de la caserne.
Il ne m'apparut pas pourtant que les convictions fussent bien as¬
sises. Ainsi, la démarche de la Chambre de Commerce fut presqu'aussitôt suivie d'une lettre (signée de plusieurs de ses membres, dont le
maire Bambridge ès qualités) qui apportait un correctif :
"Il doit s'entendre que la Chambre de Commerce s'en remet à
votre jugement, en ce qui concerne la personnalité, l'organisme ou le
gouvernement actif de défense, auquel doit, en définitive, être adres¬
sé le câble en question."
J'eus aussitôt un entretien d'un ton assez vif avec le capitaine
Broche, convoqué en même temps que le commandant Grange, son
supérieur, pour qu'il me fournisse des explications sur l'initiative
intempestive du Lt Ravet dans les districts. Son embarras, quand il
se tourna vers Grange, fort gêné lui-même, m'en dit long sur la dupli¬
cité de
Il
ce
dernier.
faut admettre tout de même que, dans
l'état de
nos
connais¬
moment, ce projet de câble pouvait, à la rigueur, s'ac¬
corder avec les déclarations récentes du Président du Conseil Paul
sances
du
les émissions captées nous avaient laissé
départ du Gouvernement Français hors de la métro¬
pole, et de la détermination de l'ensemble de l'Empire Colonial. Mais,
insensiblement, une impression avait commencé à se dégager que la
Syrie, le Maroc, l'Afrique du Nord, semblaient
modifier leur at¬
titude première et vouloir se résigner à l'armistice,
Je réussis donc à convaincre mes visiteurs que,si nous avions
le désir de manifester notre fidélité à la France, c'est au Président de
la République que devaient être exprimés nos sentiments. Et c'est à
lui, en fin de compte, que fut adressé le télégramme (voir. doc. n° 2)
Dans un avis à la population, je prescrivai en même temps "le
calme dans l'expectative".
Reynaud, et
avec ce que
supposer, quant au
Nombreux furent ceux qui en convinrent avec moi et qui aussitôt
m'exprimèrent leur accord. Les deux officiers de marine qui, tôt après
eussent bien voulu faire oublier leur incartade, l'admirent également.
Et dans le massage qu'adressait le C. de F. de Quiévrecourt à l'Ami¬
ral des Forces Navales d'Extrême Orient dont il dépendait, on cherche¬
rait vaienment traces des motifs qui avaient guidé ses activités (voir doc. n° 3). C'est que les événements qui se précipitaient, et
notamment les agressions dont la Flotte fut victime à Mers el Kébir,
402
Société des
Études
Océaniennes
juillet, et à Dakar, leur apportèrent une notable déconvenue.
m'en entretenir aussitôt qu'il en eu connaissance, de Quiévrecourt traduisait ses sentiments en ces termes : "J'en ai gros sur la
le 1er
Venu
atate " !
N'empêche
que
leur fâcheux comportement du 23 juin jeta la se¬
du coup de force qui devait aboutir quelques semaines plus
tard. Le Cdt de Quiévrecourt sut apporter un peu plus tard la note hé-
mence
roico-comique à cet incident. Il avait rejoint Nouméa avec son navire
lorsque l'Amiral Muselier, qui avait eu connaissance de son initiative
à Tahiti, lui lança sur les ondes une invitation à venir le rejoindre à
Londres. Mais trop heureux de pouvoir se dédouaner, il lui aurait répon¬
du en clair par un seul mot, classé dans l'histoire. Et certains se se¬
raient gaussés que cette prise publique de position ait coincidé op¬
portunément avec une promotion dont il fut l'objet à ce moment.
Subsistaient
encore
cependant quelques irréductibles, puisque le
25 juin, je devais, par des mesures de police, faire échouer une dé¬
monstration de masse, montée par l'agent anglais Walker avec le con¬
cours
de matelots du Dumont d'Urville, en subsistance à la base
maritime,
en
attendant leur retour en France.
un souci en chassait tout de suite un autre, en cette
période troublée, le directeur de la Banque d'Indochine venait tardive¬
ment, le soir du même jour, m'informer que notre compte en livres
sterling était insuffisant pour régler nos prochaines commandes de
vivres en Australie et que notre avoir en dollars était bloqué en Améri¬
Et
comme
C'était toute l'économie locale compromise si on ne parait pas
que.
cette
menace.
Depuis le 24 juin, j'avais été l'objet de démonstrations succes¬
sives, évidemment concertées, des autorités des diverses posses¬
sions britanniques dans le Pacifique : Premiers Ministres d'Australie
et Nouvelle-Zélande, Haut Commissaire pour l'Ouest Pacifique (Suva)...
Ils mêlaient à de courtoises condoléances pour nos malheurs, l'es¬
n'abandonnerions pas nos alliances. Le tout fut complé¬
longue communication télégraphique du Gouvernement
Britannique lui-même, qui pouvait être interprétée un peu comme une
mise en demeure, sinon comme un ultimatum, (voir doc n° 4).
Si je fis des réponses prudentes et assez brèves aux premières de
ces communications, je m'attachai davantage à la dernière. En effet,
le 29 juin encore, nous étions toujours peu fixés sur la situation
générale en métropole et sur le mouvement, de Gaulle.
J'estimai l'occasion favorable et je profitai de ma réponse au com¬
muniqué du gouvernement britannique pour aller aux sources et tâcher
d'obtenir quelques précisons, (doc. n° 5). Et la réponse du 1er juillet
du Secretary for Foreign Affairs fut la suivante, que je reproduis
exactement mais dont on aura à tirer plus loin des conclusions :
(doc. n° 6)
poir
té
que nous
par
une
403
'C
From the Secretary of State for Foreign Affairs 1st July 1940.
Londres.
Gouvernement.de Sa Majesté reconnait le Gl de Gaulle
chef de tous les Français Libres, où qu'ils puis¬
sent être, qui se joindront à lui en vue d'aider la cause
Le
comme
des Alliés.
Cette
été
a
indication
reconnu comme
ne
signifie
le Chef
ou
pas que
le Gl de Gaulle
l'instaurateur d'un gouver¬
(alternative government), ou que le Gouver¬
Majesté a c^ssé d'avoir des relations avec
chargé d'affaires à Londres qui représente le gouverne¬
nement
reconnu
nement de Sa
le
ment de
Rien
en
liement
Bordeaux.
apparence,
d'ensemble de
dans
la
ce contexte, qui put justifier un ral¬
colonie à de Gaulle. Rien non plus qui
parut mettre en cause la légitimité de l'autorité dont le gouvernement
semblait reconnaitre l'existence. Le langage diplomatique
n'aurait-il été inventé que pour mieux dissimuler sa pensée ?
anglais
Les
imaginées,, l'imbroglio du 23 juin, servi¬
se trouva-t-il
des gens pour regrouper, sous la bannière de la Ligue des Droits de
l'Homme, ranimée par un nommé Charron, récemment arrivé dans la
colonie, les étemels insatisfaits, les égoismesparticuliers, et tous les
choqués dans leurs sentiments républicains, par les tendances sup¬
posées de Vichy et par les principes de la Révolution Nationale.
Plusieurs circonstances s'associèrent, pour favoriser le rassemble¬
ment
I
nouvelles, vraies
ou
faire ressurgir les anciennes animosités. Ainsi
rent à
de
-
ces
mécontents
:
Il y eut d'abord le marasme économique, caractérise en parti¬
culier par
l'arrêt des transactions sur le coprah. Faute de navires pour
transporter ce produit en France, les goélettes locales avaient cessé
d'en ramener des ties, et elles demeuraient immobilisées dans le port.
Les docks étaient bourrés à refus d'un stock énorme et inutile (7 600 t
en fin juillet), qui,
au surplus, faisait planer la constante menace
d'inflammation spontanée par fermentation. Nous en avions fait l'ex¬
périence le 22 mars 1939. Ce matin-là, 3 000 tonnes de coprah avait
pris feu spontanément, provoquant un gigantesque incendie. Il fallut
les efforts de tous durant la journée entière, pour protéger la ville me¬
nacée. Tout était ainsi bouleversé dans les conditions du négoce habi¬
tuel
et dans les habitudes de la vie ordinaire.
Il y eut les mesures, assez malencontreusement généralisées
Vichy (23 août) contre les dociétés secrètes, encore qu'elles
fussent sans objet à Tahiti, où la franc-maçonnerie était non seule¬
ment en sommeil, mais depuis si longtemps en léthargie complète que
deux francs-maçons eussent pu se rencontrer sans se reconnaitre.
II
de
404
Société des
Études
Océaniennes
Le maire
Bambridge, qui
en
était
un
des derniers représentants, n'a¬
vait pas paru spécialement affecté par ces dispositions.
III - Il fallait compter avec l'angoisse dans la population
depuis
le 23 juillet 1940, avait été arrêté tout trafic privé d'ordre fami¬
lial par radio, et que le Service Radio PTT avait voulu étendre la mesu¬
re aux messages habituellement codés des commerçants, des banques
et des consuls étrangers.
IV
Et puis enfin la peur, cet élément toujours agissant sur les
masses, et inévitablement exploité par les agitateurs dans toutes les
époques troublées.
que,
-
Quelque temps auparavant, en mai, nous avions été privés de
durant deux ou trois semaines.' Non pas du fait de la guerre,
mais d'un accident de navigation survenu au navire qui devait nous
en faire livraison. Et durant quelques jours, sans en avoir été bien
affectés, popaas et indigènes, avions dû nous contenter du ara,
fruit de l'arbre à pain. Seulement, surtout sur les autochtones, sensi¬
bilisés par ce minime incident, la crainte entretenue d'un blocus
généralisé ne manquait pas d'avoir une répercussion qu'on ne laissa
pas de largement utiliser.
farine
J'étais particulièrement en souci, à ce propos, de nos indigènes
archipels éloignés et déshérités, que les éléments de la flotiIle
locale, immobilisés par l'arrêt des transactions ne visitaient plus.
J'eus même un moment la pensée de les regrouper sur quelques points,
des
où
l'on pourrait mieux
pourvoir à leurs besoins. Je m'en ouvris à
Mgr Mazé qui, avant de devenir évêque de Tahiti
avait longtemps navigué entre les îles Tuamotu à
cotre. "S'ils n'avaient que du coco ou que du pahua
et dépendances,
la barre de son
(ou bénitier, ce
coquillage terriblement coriace dont ils font grande consommation),
ce pourrait être inquiétant. Mais un peu de coco et un peu de pahua,
ils s'en tireront. Et puis ils ont le lagon et la pêche", m'expliqua-t-il.
Il fallait donc à tout prix sonder les intentions des Britanniques,
et desserrer l'étau menaçant. Je n'entrerai pas dans tous les détails
des négociations qu'il fallut poursuivre à ce sujet, grâce à l'intel¬
ligent intermédiaire du Consul, avec le Foreign Office de Londres, le
Haut Commissaire de Suva, les Premiers Ministres d'Australie et de
Nouvelle-Zélande etc.
un moment compromis par de fâcheuses instructions sen¬
émanées de Vichy, interdisant l'approche des navires anglais
à moins de 30 milles des côtes françaises, l'accès et le séjour dans
Tout fut
sées
ports. Radios suspects, d'ailleurs, qu' il fut impossible d'identifier,
mais qui furent captés le 4 juillet à 8 heures,.et dont les autorités
nos
montrèrent assez émues. Je dus aussitôt (5 juillet)
antérieurement données, et y ajouter ma
garantie personnelle, que les navires attendus ne seraient ni molestés
britanniques
renouveler
ni
se
les
assurances
retardés.
405
Société des
Études
Océaniennes
Moyennant quoi j'obtins finalement :
a
qu'aucune action ne serait engagée contre l'aviso Dumont
d'Urville présent dans nos eaux (6 juillet),
(voir doc. n° 7)
b
les facilités nécessaires pour régler nos commandes en Austra¬
lie. Le Directeur de la Banque d'Indochine m'informait,dès le 1er juillet
-
-
au
matin( du virement de fonds à Sydney, permettant l'embarquement
de
nos
provisions sur le bateau en partance le 3. Le lendemain nous
prévenus du débloquage de notre compte livres à Londres.
c
l'assurance que les bâtiments anglais feraient leurs escales
régulières à Papeete, dans la mesure où leur sécurité était assurée,
(voir
doc. n° 8)
d
l'assurance que tout serait fait pour maintenir nos relations
étions
-
-
commerciales.
l'assurance du Premier Ministre de la Nile Zélande qu'il n'avait
le moindre désir de créer des difficultés dans l'administration
des Etablissements Français d'Océanie. (ibid.)
f
la remise de tous les télégrammes venant de la métropole qui
avaient été retenus à Suva. Mais ils me furent adressés sans dates,
ce qui représenta un fameux imbroglio.
On doit donc tenir pour bien établir, dès ce moment, nos relations
avec nos voisins reposaient sur un gentleman agreement qui ne fut à
aucun moment mis en cause. Finalement, le Consul le reconnaissait
dans sa lettre du 1er septembre, où il faisait ressortir la "satisfaction
réciproque" que nous devions tirer de nos négociations. (C.F. doc n° 9)
Bien entendu, je ne fis pas mystère de ces transactions et en
divulguai largement les résultats.
(voir doc n° 9 bis)
Mais^ bien, que l'heureuse issue n'en fut pas discutée par le
conseiller Martin (réunion du Conseil Privé du 9 juillet), par plusieurs
chefs de services réunis quelques jours après, - bien que j'en ai fait
état lors de l'ouverture des Délégations Economiques et Financières
le 19 août, - bien que le fait fut admis par les agitateurs dans un de
leurs tracts
bien qu'au matin même du jour du coup de force, (2 sep¬
tembre) nous ayons encore reçu l'assurance de l'arrivée du navire
ravitailleur, les meneurs continuèrent à user mensongèrement de l'ar¬
gument du blocus, pour influencer la masse. Ainsi le sectarisme le
-
pas
-
-
cédait à la raison
et la
malhonnêteté à l'évidence '
Pourtant, comme toutes les choses portées à l'extrême, l'agitation
semblait perdre un peu de son souffle au début du mois d'août, quand
une particularité nouvelle vint la ranimer.
Un groupe, formé par les sieurs Constant, A. Gerbault, Florisson,
Lainey, Rusterholz, imagina de crée^à grand bruit, un "Comité des
Français d'Océanie", pour mener une campagne anti-juive et anti
maçonnique, en faveur du gouvernement de Vichy. Manquant tous de
pondération, plusieurs de moralité douteuse, certains quelque peu
déséquilibrés, ils étaient peu recommandés pour rallier les suffrages
des gens, même des moins raisonnables. Ils ne réussirent qu'à jouer
406
o
les agents provocateurs et à déchaîner la fureur de leurs adversaires,
qui se traduisit en tracts et en propos violents. Je fus moi même pris
à parti par eux et objet de menaces (comme de saboter la réunion des
Délégations Economiques et Financières), pour n'avoir pas voulu sou¬
tenir leur action, génératrice de désordre.
Il y eut même encore des gens pour envenimer cette colère des
Purs contre les Impurs, tel ce N.., israélite suisse besogneux, plus
ou
moins inféodé à la colonie chinoise, vaguement conseiller du
Kuo Min Tang, qui imagina de faire courir une liste, apocryphe d'ail¬
leurs, des soit disant adhérents à ce Comité des Français d'Océanie,
pour les faire boycotter par les commerçants chinois.
En d'autres circonstances, on aurait peut-être pu trouver plaisant
les palinodies de cette douzaine et demi de fantoches des deux bords,
qui prenaient des attitudes de héros, qui multiplaient les appels du
pied et les proclamations ampoulées où, à défaut de style et d'idées,
leurs sentiments haineux se dissimulaient derrière de grands princi¬
pes, et dont, au demeurant, quelques malins tiraient les ficelles.
Malheureusement, c'était le destin de la population tahitienne qui était
en cause.
Peut-être tous
ces
d'esprit qui régnait,
détails suffiront-ils à donner
au moment
où survint
un
une
idée de l'état
événement capital pour
l'avenir.
juillet arriva à Papeete le paquebot mixte ville d'Amiens,,,
Messageries Maritimes. Il avait quitté Marseille vers le début de
mai pour un voyage régulier. Il en était à son retour, après avoir touché
Nouméa, son point terminus. Mais, en raison des termes de l'armistice
et des difficultés maritimes de l'époque, il se trouva immobilisé à
Le 1er
des
Papeete.
Il avait un équipage composé partiellement, dans le personnel
machine, de Sénégalais embarqués comme chauffeurs et soutiers, ces
derniers, fortement encadrés par des délégués qui les poussaient à la
contestation. C'était au surplus un navire mal commandé, dont, à
l'aller déjà, le commandant avait entendu se décharger sur notre servi¬
ce de l'Inscription Maritime du soin de régler des incidents d'ordre
intérieur, allant jusqu'à vouloir débarquer certains de ses passagers.
Lors de ce voyage de retour, à la menace de ses hommes de mettre
sac à terre en arrivant à Tahiti (ce qu'ils firent du reste), leur com¬
mandant avait répondu "qu'il en serait bien aise et qu'ils n'auraient
qu'à se débrouiller avec les autorités locales..."
Leurs principales revendications portaient sur une question de
paiement de salaires. Le règlement normal de la marine marchande
prévoyait qu'ils étaient, durant le voyage, sous un régime d'avances,
le parfait paiement de leur acquit ne devant être effectué qu'au retour
au port. Mais ce retour étant différé sine die, par cas de force majeure,
j'estimais que leur réclamation de règlement intégral n'était pas sans
407
fondement. L'agent de la Cie s'y refusa. Le ministère que j'en saisis,
en
faisant ressortir les circonstances, accepta passivement égale¬
ment le point de vue des Messageries Maritimes. Une loi postérieure
du 4
mars
1941, modifiant le code du travail maritime, devait leur don¬
interprétation.
entièrement raison et justifier mon
ner
Il s'en suivit que la majeure partie de l'équipage,et particulière¬
les chauffeurs et soutiers africains exaspérés, pris en main par
ment
les quelques éléments communistes du
lieu, perdirent toute retenue,
répandirent en ville où plusieurs Tahitiens furent blessés par eux
Cependant que l'état-major du navire s'installait tranquillement à
terre dans une villa louée, "Le Pavois", se désintéressait des hom¬
mes, se contentant de déposer une série de plaintes pour refus d'obéis¬
sance. Si bien qu'il fallut, à deux reprises, réquisitionner la troupe,
afin de faire exécuter des mandats de justice, des sentences et proté¬
ger même le tribunal.
se
Dans cet état explosif de l'opinion, tous les éléments d'un soulè¬
subversif étaient réunis. Il ne fallait qu'une initiative, pour
vement
faire participer tous les nostalgiques des anciennes disputes, les
patentés, les inquiets menacés dans leurs intérêts
privés, et pour cristalliser autour d'un principe ou d'une idée quelcon¬
que toutes les oppositions.
C'est à quoi s'employèrent :
un jeune médecin capitaine, le Dr. Emile de Curton,affecté assez
récemment à la subdivision des îles sous le-Vent,
un ancien officier de marine, Jean Gilbert, fixé depuis quelques
années à Tahiti, quand il avait épousé la fille de l'industriel Martin
dont il était devenu l'associé, et qui exerçait en outre les fonctions
de Consul de Suède,
un adjoint des Services Civils, M. Sénac, chargé de la subdivi¬
y
contempteurs
-
-
-
sion administrative des Tuamotu.
session annuelle des Délégations Econo¬
miques et Financières, fixée au 19 août, que tous les trois, appelés à
y figurer de par leurs fonctions, se retrouvèrent au chef lieu.
La maison de l'industriel E. Martin, beau-père de Jean Gilbert,
devint dès lors leur lieu de rassemblement et un foyer d'agitation.
C'est de là, qu'assistés du Docteur Jacques Gilbert (frère du Lieute¬
nant de Vaisseau, et ancien combattant, a-t-on dit, des brigades inter¬
nationales de la guerre d'Espagne) et de Yves Martin, ils menèrent une
campagne sourde pour s'assurer du concours, ou au moins de la neu¬
tralité des militaires, lier parti avec les extrémistes, les commer¬
çants inquiets, et se gagner des complicités anglaises (l'ancien
consul britannique Gorton et l'agent Walker beau-frère du conseiller
privé E. Ahnne);
C'est à l'occasion de la
408
Société des
Études
Océaniennes
L'orientation
à donner à leur opposition demeura d'abord assez
indécise. Le 24 août, ils formèrent un Comité sans titre, qui
ne visait qu'à exprimer l'hostilité au gouvernement de Vichy, donc es¬
sentiellement politique.
Ce n'est que le 31 août, après qu'eut été connu le ralliement du
Cameroun, qu'à l'imitation, lui fut donné la dénomination de Comité
de la France Libre des E. F. 0., et publié un manifeste. Il était devenu
un foyer d'action patriotique, (doc. n° 11).
Le 31 août au matin, je fus avisé que, la veille au soir, en grand
mystère, on avait prévu une manifestation populaire qui devait venir
m'imposer ses décisions. Je réussis, malgré l'heure matinale, à déjouer
en partie la manoeuvre. A 9h.30, c'est seulement le maire G. Bambridge, toujours en avant garde, qui, buté, se présenta pour m'annoncer la
venue d'une délégation des corps constitués. Celle-ci, (une douzaine
de personnes environ) arriva à 11h.30, sous les yeux d'une foule pai¬
sible et silencieuse, qu'on avait rassemblée autour du gouvernement.
vague ou
ceux qui la composaient, le Dr Rabinovitch, Président
d'Agriculture, prit la parole pour excuser le conseiller
privé E. Ahnne empêché. Puis il me donna lecture d'une courte adresse
"au nom des soussignés représentants des élus qualifiés et des nota¬
bles de la population". Ensuite, ajouta-t-il, "en raison d'une situa¬
tion qui a pour résultat d'entrainer l'arrêt complet du ravitaillement
et de l'économie du pays, (c'était décidément l'argument scie), j'étais
mis en demeure d'adhérer à la France Libre, ou tout au moins d'autori¬
ser un plébiscite, afin de recueillir à ce sujet le sentiment de la popu¬
Le
doyen de
de la Chambre
lation.
adresse portait en tête, le nom de "Jouve,
l'équipage de la Ville d'Amiens", le meneur principal des mutins.
liste des 30 noms qui suivaient ne présentait pas davantage, pour
plupart, des élus ou des notables, (doc. n° 12).
A considérer que cette
pour
La
la
Je
réfutai
cette
motion
en
excipant
que
les motifs
sur
lesquels
elle feignait de s'appuyer n'étaient qu'apparence. Je refusai surtout
de donner mon accord à l'organisation d'un plébiscite populaire.
La
délégation finit par se retirer, un peu indécise, en m'informant
retour pour le surlendemain lundi 2 septembre.
Chez les conseillers privés, chez les chefs de services, que je
réunis aussitôt pour discuter de la situation, je sentis un parti pris
évident. Chez ces derniers notamment, je dus enregistrer diverses
professions de foi politiques contre le gouvernement de la métropole
(Ducasse, Brunet, Delage, Lemonnier). Mais je fus frappé,aussi bien
chez les uns que chez les autres, que leurs déclarations de principes
n'aboutissent qu'indirectement et secondairement, au rattachement de
de
son
la
France Libre de Londres.
409
Société des
Études
Océaniennes
Fidèle à sa promesse, la délégation se présenta à nouveau ce
septembre 1940, à 14 h 30, non plus dans l'ordre et la dignité, mais
dans une atmosphère organisée d'émeute. Je la reçus, non pas à mon
bureau du gouvernement, mais dans le local plus vaste du Conseil
Privé, situé dans un petit bâtiment extérieur proche, où étaient instal¬
2
lés
les services du Cabinet.
Cette
délégation s'était renforcée d'un certain nombre de gens
titres, assez surexcités. Les issues furent aussitôt occupées
par les mutins de la ville d'Amiens. On entendait à l'extérieur des
orateurs qui ameutaient la foule. On sentait la nervosité grandir et on
pouvait tout redouter d'agents provocateurs.
M. Edouard Ahnne, qui jouait cette fois son rôle de doyen d'âge,
entreprit tout de suite de me donner les résultats de ce plébiscite, qui
s'était poursuivi la veille en dépit de mon opposition. Il comptait faire
état de la volonté populaire qui se serait exprimée par 5 564 voix en
faveur du Général De Gaulle contre 18 à Pétain, mais je l'interrompis
en me refusant à reconnaitre la moindre valeur à cette opération où,
l'on avait, au surplus, fourni la réponse toute prête à la question posée.
Ma protestation fut elle-même interrompue par l'intervention du trio du
Curton-Sénac-GiIbert (les deux officiers en uniforme), qui s'était glis¬
sé derrière la délégation. Ils se démasquèrent alors et intervinrent, au
secours d'un Ed. Ahnne un peu désarçonné. Je devais, exigèrent-ils
me prononcer immédiatement par un oui ou non formel au mouvement.
Je ne pus que dénoncer son caractère révolutionnaire, ses arrièrespensées politiques et ses conséquences néfastes pour la colonie et
pour la population bernée. J'eus du mal, sous les interruptions, à faire
ressortir le vain prétexte de ce ralliement à l'Angleterre puis, l'empire
britannique nous avait accordé, sans contre-partie, tout ce qu'il pouvait.
Mais j'étais en présence de gens décidés à l'avance à ne rien en
tendre : "Conservez vers vous la Vérité, lorsque convient mieux le
Mensonge", n'est-ce pas le conseil du plus cynique des auteurs ?
Sommé de résilier à leur profit mes fonctions, je m'élevai contre ce
que je leur déclarai ne pouvoir être qu'une usurpation de leur part,
je récusai même toute exploitation qu'ils pourraient faire d'une pré¬
tendue démission volontaire. Du coup, ils tentèrent de trouver un
accommodement, et ils se concertèrent rapidement pour me rédiger,
spontanément, l'assurance qu'ils avaient obtenu le gouvernement de
la colonie "contre mon gré, pour éviter toute effusion"
(sic),certaine¬
ment pas de cordialité ','et toute violence".
Ce qui ne les empêchera pas, dès le lendemain, de propager la
nouvelle de mon retrait VOLONTAIRE. Alors, comme j'en avais eu le
pressentiment, connaissant mes gens, je réussis à faire passer au
Consul britannique, une note dans laquelle j'entendais rétablir les
faits et réaffirmer mes droits, (voir doc. n° 13.) .
Donc, finalement, complètement isolé, sans aucune assistance
de mon chef de cabinet et des chefs de service, je me retrouvai séquessans
410
Société des
Études
Océaniennes
au premier étage du gouvernement, privé
bureau, de ma voiture et du téléphone.
tré
de l'usage de mon propre
télégramme au Comité de la France Libre de Londres fut adres¬
jour même, sous la signature Martin-Sénac, via Wellington,
(doc. n° 14)
La grille principale du parc fut remise à la garde des communistes
et des matelots de la
ville d'Amiens un moment munis de brassards.
La grille annexe, cadenassée, resta sous la surveillance d'un poste
d'agents municipaux. Des marins de la base constituèrent une garde
de nuit supplémentaire, à l'intérieur du jardin, tandis que Sénac, qui
s'était octroyé la direction de la Sûreté, effectuait à motocyclette
des rondes bruyantes à travers le parc.
Malgré toutes ces précautions, je demeurai en contact avec l'exté¬
rieur. J'appris ainsi qu'une partie de la population, atterrée par le
tour des événements, avait pris conscience qu'elle avait été jouée et
qu'elle supportait mal les mesures policières prises par les meneurs
(perquisitions, arrestations).
Une des premières dispositions adoptée par le nouveau gouverne¬
ment provisoire qui s'était instauré, fut d'adresser à la Nouvelle-Zé¬
lande, un appel, afin de trouver près d'elle,des débouchés aux produits
locaux. En réponse, le gouvernement de Wellington s'empressa de
dépêcher le croiseur Achilleus qui mouilla à Papeete le 10 septembre.
Il amenait ce délégué-conseil qui m'avait été proposé dès l'armistice,
mais dont j'avais éludé la visite, estimant inopportune cette ingéren¬
Un
sé
ce
le
dans
nos
affaires.
Cependant, il n'y avait pas que moi à prendre conscience du revire¬
qui se manifestait dans l'opinion. Et les auteurs et bénéficiaires
du coup de force, s'en étant émus, ainsi que le maitre Bambridge en
fit publiquement l'aveu n'avaient qu'une hâte, me voir quitter la colo¬
nie au plus tôt.
Le 12 septembre au matin, le cargo mixte néo-zélandais Limerick,
de l'Union Steam Ship Co., arrivait à Papeete. Le soir à 17 heures,
tout ayant été concerté avec les autorités néo-zélandaises, - l'Inten¬
dant Mansard
devenu Gouverneur de Tahiti (sic) par décision du
ment
11 septembre
du Gl de Gaulle (voir doc. n° 15),
flanqué du L. de V. J.
Gilbert, venait m'informer que je devais y embarquer dans les 24 heu¬
res à destination de Vancouver. Cette mesure était inspirée "d'im¬
périeuses raisons françaises",selon le style majestueux qui devenait
à la mode. Ma vive réaction fut que le départ fut repoussé au samedi 14.
Et si les exaltés du Comité local de la France libre avaient pu
entretenir des doutes sur leur popularité et sur l'estime où on les
tenait, ils en eurent une éclatante démonstration à cette occasion.
Toute la nuit précédent notre départ, nous l'avions employée
à
emballer ce que nous pûmes de nos affaires, quitte à en laisser une
411
Société des
Études
Océaniennes
partie derrière nous. A plusieurs reprises, nous fûmes inter¬
la visite furtive des "mutois",agents de la police munici¬
pale, préposés à la surveillance d'une des issues qui, l'un après
l'autre, tout émus, vinrent nous demander ce qu'ils pourraient faire
pour nous et nous serrer les mains.
Et puis, bien avant l'heure de l'appareillage du Limerick, une
foule dense avait envahi les docks et les quais, mollement contenue
par les soldats tahitiens, durant que des patrouilles du croiseur
Achilleus parcouraient les rues.
A notre arrivée à bord, en auto de louage, puisque je ne dispo¬
sais plus de ma voiture, de très nombreuses personnes nous tendirent
bonne
rompus par
ces couronnes de fleurs et ces colliers d'adieu qu'on
partants. Les cris d'au revoir et de sympathie de la foule,
l'émouvant chant d'adieu "Mauruuru a vau"
durant que nous mon¬
à bout de bras
remet aux
,
tions à bord, couvrirent largement les invectives et les injures dont
nous abreuva l'équipage de la Ville d'Amiens, amarrée sur notre ar¬
rière, et qui avait retrouvé, pour l'occasion, le chemin de son bord.
Le nouveau gouvernement provisoire n'eut qu'un souci, son coup
débarrasser de ces auxiliaires encombrants. Il fit remise
aux anglais qui,
"réquisitionné" par eux, fit route le
19 septembre pour la Nouvelle-Zélande.
Leur hâte de nous voir partir, fit oublier aux gaullistes de Tahiti,
non seulement les règles élémentaires de convenance, mais aussi les
conventions internationales en temps de guerre.
Je fus rejoint en effet sur le Limerick par trois officiers de marine
le C. de C. Grange, commandant la Marine dans le Pacifique, le L.de V.
La Haye, de l'Aéronautique navale, et l'ingénieur mécanicien Hue,
ainsi que par quinze de leurs gradés. Ce qui fait que, sur ce cargo sans
médecin, admis à n'embarquer que 12 passagers, nous nous trouvâmes
au nombre de 27 personnes, dont trois femmes et six enfants de 3 à
réussi,
du
10
se
bâtiment
ans.
412
Société des
Études
Océaniennes
Les
voix
quand
publique, il
voir
dû se
contredit la
suffit pas d'a¬
historiens auraient
souvenir que
été
témoin
ne
on
pour
prouver
ce
qu'on avance.
Voltaire
Telle fut cette tempête au pays des cyclones dont on a
tirer que, le 2 septembre 1940, l'Océanie Française tout entière,
vée
par
un
grand élan de patriotisme, décida de rallier
voulu
soule¬
la France
Libre pour s'associer à la délivrance de la patrie opprimée.
De cet événement, pour en reconstituer le caractère réel,
il est
nécessaire de revenir sur certains détails.
Tout a découlé de la consultation populaire du 1er septembre. Or,
première impudence consista à la présenter aux électeurs comme
une opération autorisée par le gouverneur.
Comment aurais-je pu accréditer des gens sans qualité officielle,
pour y procéder dans des conditions aussi anormales ?
Comme ils ne possédaient ni organisation, ni moyens matériels,
et surtout qu'ils ne disposaient pas des listes électorales, ils eurent
recours à la fantaisie et à l'improvisation.Ils se contentèrent d'ouvrir,
la
çà et là, des registres où tout le monde, femmes et enfants compris,
fut invité à signer, sans contrôle et plutôt deux fois qu'une. On fit du
porte à porte. Même des chinois furent admis à signer. Mais très peu
de "popaa" participèrent.
Comme le temps aussi les pressait, (il fallait que tout fut terminé
en 24 heures, et l'on sait les détails que requiert là-bas une consul¬
tation électorale), ils n'entreprirent leur opération que dans les seules
iles de Tahiti et Moorea.
Et puis, que leur demandait-on à ces électeurs ? Les sachant
incapables de faire un choix entre Vichy et Londres, on s'avisa d'un
stratagème. En exploitant l'incident qui nous avait privé de pain quel¬
ques mois plus tôt, on inventa un slogan frappant : "Pétain, famine !
De Gaulle, farine !" Puis en évaluant, à priori, à six mille le nom¬
bre des électeurs présents dans ces deux îles, on déclara que 5 564
d'entre eux, exactement, avaient voté favorablement.
Comment aurais-je pu me
malhonnêtement conduite,qui
que
laisser convaincre par cette entreprise,
n'était qu'un viol de l'opinion publi¬
?
du qualificatif de "parodie" dont il fut usé pour qualifier
plébiscite, M. Emile de Curton, dans sa récente narration du "Ral¬
liement à la France Libre des Etablissements Français de l'Océanie",
(Paris, 1973), a précisé : "Je n'affirmerai pas qu'il ait été un modèle
de consultation populaire. Mais entre le choix des populations tel
A propos
ce
413
Société des
Études
Océaniennes
qu'il s'est manifesté
neur
dans
référendum
jour-là et la politique décidée par le Gouver¬
son cabinet,je suis convaincu que c'est le
exprimé le sentiment des habitants de Tahiti et
ce
le secret de
qui
a
Moorea".
Ainsi,M. de Curton confère
un
grand poids
au
sentiment exprimé
par les habitants
alors même qu'il
de Tahiti et de Moorea à l'occasion de ce plébiscite,
constatait antérieurement les difficultés rencontrées
par "la grande masse des habitants de l'Océanie pour apprécier des
événements qui se situaient en fait dans des pays qu'ils parvenaient
mal à localiser sur la carte et dont les rapports avec le seul petit
coin d'Europe qui leur était familier ne paraissaient guère évidents"
(P. 45).
Et c'est cette interprétation libre, d'une prétendue adhésion
enthousiaste de toute l'Océanie, qui fut impudemment câblée à Londres
le 2 septembre, et que, consommant jusqu'au bout l'imposture, le
Comité de Londres crut ou feignit de croire, (voir doc. n° 14)
Seulement les triomphateurs avaient fait trop vite abstraction de
se dressa contre eux.
Ils eurent d'abord à compter avec les médecins militaires. Ceux-ci
l'opposition qui
ne
méconnaissaient pas le caractère de leur collègue de
Curton,qui
n'avait pu
,
dissimuler son dépit de n'avoir pas obtenu le poste de
chirurgien de l'hôpital, convoité par lui lors de son arrivée dans le
Territoire. Dans une lettre collective du 20 octobre (voir doc. n° 16)
qui ne put parvenir au Ministère des Colonies qu'à la fin de janvier
1941, ils exposèrent leur position vis-à-vis du mouvement de ral¬
liement. Celle-ci valut à leur médecin-chef d'être expulsé vers l'Aus¬
tralie, le 18 septembre, et aux autres médecins des vexations et même
des mesures d'internement à Moorea, où ils allèrent rejoindre d'autres
fonctionnaires qui ne s'étaient pas ralliés davantage.
Il y eut ensuite la résistance des magistrats, avec le chef du
service judiciaire, M. Ardant. Ce dernier, avec l'appui de l'armée,
le capitaine Broche en tête, et l'accord du Gouverneur Mansard, tenta
même de provoquer la "fin du cycle", et de revenir à la légalité.
Ayant échoué, il fut également embaraué d'office pour l'Australe.
Il faut
sionnaires
encore
citer le bureau des Anciens Combattants, les mis¬
pasteurs, les représentants des professions libérales,
dont certains furent déportés dans l'îlot de Maupiti.
D'autres encore, outrés aussi de la mauvaise foi étalée lors du
fameux plébiscite, furent les officiers de réserve, appelés à faire con¬
naître s'ils étaient volontaires pour encadrer le futur bataillon dont on
et
envisageait la formation. Parmi ceux qui répondirent, on dut enregistrer
le refus de trois
capitaines, de cinq lieutenants et de trois autres
gradés.
Dans
cette
énumération, il
de marine et leurs quinze
ne
faut pas omettre les trois officiers
avec moi sur le Limerick.
gradés, embarqués
414
Société des
Études
Océaniennes
L'interrogatoire de chacun d'eux, sous forme d'une enquête de police
judiciaire, fut recueilli durant notre traversée (voir doc. n° 17 bis).
Presque tous nous quittèrent à Vancouver pour prendre du service
dans
l'aéronavale canadienne.
définitive, pas mal de monde et ouvre
large brèche dans I' "unanimité", proclamée par l'amplifi¬
lyrique qui rédigea le télégramme du 2 septembre au Comité de
Tout
une
cela représente, en
assez
cateur
Londres.
Les répressions policières et l'arbitraire - suavement qualifiés
"illégalités mineures" - de ceux qu'on a appelé les "enragés du
Pacifique", s'étant renforcés au contact des résistances, on enregis¬
tra bientôt des défections, même parmi les plus ardents de la premiè¬
re
heure, comme Lagarde, conseiller privé, Bambridge, maire, ou
Brunet, chef des services administratifs.
On en était revenu aux plus belles époques des troubles et aux
confins de la guerre civile. Et de Gaulle, à son
tour, désorienté par
les doléances et les plaintes que provoquaient les brimades, les
conflits d'ambition et d'autorité, qu'il appelait superbement des "fos¬
ses
d'intrigues", n'eut d'autre ressource que d'envoyer sur place,
successivement, deux enquêteurs, le gouverneur
général Brunot et
l'amiral
Thierry d'Argenlieu (juin et septembre 1941 ).
Si l'on admet, comme certains l'affirment, que l'histoire
se
renouvelle deux fois, une fois en tragédie et l'autre en farce, il faut
convenir que la phase qui commença alors tient de la seconde.Elle se
termina par l'envoi du groupe de Curton-Sénac à Moorea, où ils al¬
lèrent rejoindre leurs précédentes victimes, au camp d'internement
qu'ils avaient fait ouvrir pour elles,ainsi qu'à la nomination d'un nou¬
veau
gouverneur, le colonel Orselli, le quatrième en douze mois !
On n'est jamais trahi que par les siens.
Il n'y eut pas d'ailleurs que des français pour réprouver les agis¬
d'
sements
des nouveaux maîtres.
10 septembre, le com¬
malgré les barrages,
long entretien. Il ne me
le déplaisir que lui causait la mission dont il était chargé,
de considération pour les gens dont il était venu confirmer
jour même de son arrivée à Tahiti, le
mandant britannique du croiseur Achilleus,
exigea de me rendre visite et nous eûmes un
Le
cacha pas
et son peu
le
pouvoir.
Obligé de les recevoir à son bord, on m'a dit,ce qui était assez
dans son caractère, que le commodore Parry s'était montré très froid
à leur égard, mais qu'en qualité de marin, il s'était
invitation au lieutenant de vaisseau Gilbert.
son
refusé à étendre
Ensuite, dès qu'il apprit notre embarquement pour Vancouver, il fut
indigné de nous voir quitter Tahiti, pour gagner une région canadienne
(située à plus de 40° au nord), en vêtements tropicaux, à défaut d'ef¬
fets de drap qui nous manquaient après 4 ans de séjour. Il recueillit
hâtivement dans les magasins de son bord ce qu'il put trouver de lai415
Société des
Études
Océaniennes
qu'il
nages,
nous
terminant ainsi
Marine
sauront
Il
:
fait parvenir, avec une lettre pleine de sensibilité se
"Je suis sûr que les amis que vous comptez dans la
britannique seront en toute sympathie avec vous, quand ils
ce qui s'est passé à Tahiti", (voir doc. n° 17).
en
fut de même à bord du Limerick où le capitaine s'ingénia à
de confort, surtout aux marins qui, faute de loge¬
durent camper à plat pont. A Vancou¬
ver aussi, nous fûmes l'objet, de la part des autorités canadiennes,
des attentions les plus délicates. Et le délégué du Gouvernement, qui,
vint d'Ottawa me rencontrer à Montréal, eut des expressions assez du¬
res à l'égard des gaullistes tahitiens
Les échos des événements, dont Tahiti, aussi bien que Nouméa,
furent le théâtre, débordèrent largement les archipels voisins et fu¬
rent répercutés par la presse anglo-saxonne. Celle-ci concluait, comme
le fit expressément en juin 1942 le "New York Times", par le souhait
"que les français libres soient capables de s'opposer à l'ennemi
commun, au lieu de dépenser leurs énergies en dissentiments inté¬
nous
donner
un
peu
ments suffisants pour passagers,
rieurs".
S'il apparaît donc que le ralliement de la colonie au général de
Gaulle ne répondait nullement à un voeu unanime, à quels mobiles
alors a répondu le groupe Sénac en déformant la réalité ?
Il est à remarquer que le clan Martin-Gilbert, auquel s'étaient ennexés de Curton et Sénac, était inspiré des mêmes sentiments politi¬
ques.
Dès la formation du gouvernement Pétain, on y dénonça tout
de
premier signe d'un assaut contre le régime républicain".
Dans tous les manifestes qu'ils répandirent, ils ne cessèrent de se
poser en défenseurs de l'intégralité républicaine, et tous les adeptes
que leur sectarisme leur permit de rassembler, ne furent que des gens
d'opinions extrêmes (Charron, Davio, Lavigne, Ménard etc. et leur
"force d'intervention"). Quant à tous les opposants que leur outrance
déchaîna contre eux, ils furent tous indistinctement confondus sous
l'appellation d' "éléments fascistes de Tahiti".
De Curton et Gilbert étaient, en plus, animés de ressentiments
personnels qui, mis au service de leur ambition, permirent à l'un
d'exercer durant huit mois les fonctions de gouverneur, et à l'autre de
se nommer tout de suite commandant de la marine,
(voir doc. n° 18).
Et puis, toute révolution, tout mouvement subversif a son doctri¬
naire, son illuminé, qui trouve, en favorisant le désordre, son plein
épanouissement. C'est ce que fut Sénac," d'un radicalisme intransi¬
geant teinté d'anarchie", reconnaitra de Curton. Il avait grandi, en ef¬
fet, dans le giron du parti radical, dont son père avait été un des
pontifes. Il venait d'être choqué dans sa carrière car, après une pro¬
motion arbitraire d'administrateur des colonies, il avait été ramené,
par décision du Conseil d'Etat,dans un cadre subalterne, où encore il
n'accéda au grade supérieur que grâce à une intervention choquante.
suite
"le
416
Société des
Études
Océaniennes
(voir
doc. 18). Il s'était constitué le rédacteur et le propagateur des
tracts, où il se dressait en contempteur violent du gouvernement de
Vichy et de l'Administration en général, tout en y développant les
grands thèmes du parti jadis tout-puissant, sans oublier la petite note
de marque anti-cléricale. Ainsi brandissait-il la menace d'introduction
prochaine, dans la colonie, d'une "religion d'état".
Mais le trio convaincu dès le début, du peu de crédit dont il dispo¬
sait et sentant le sol mouvant
pieds, éprouva-t-il la néces¬
de respectabilité, en créant
un
Gouvernement Provisoire.
Et ils poussèrent en avant, pour cela
les trois membres non fonctionnaires du conseil privé.
Le doyen en était M. E. Ahnne, ancien directeur d'une école pro¬
testante, homme âgé et empreint de dignité. Un de ses fils, après
avoir poursuivi ses études outre-mer en qualité de boursier de la colo¬
nie, était installé à Papeete comme avocat-défenseur. Celui-ci avait
malheureusement l'habitude de manifester publiquement ses sentiments
anti-français. Aussi, après une scène particulièrement scandaleuse,
avait il été suspendu de ses fonctions pour trois mois. M. E. Ahnne
supporta mal cette atteinte indirecte à sa respectabilité et il remâcha
son amertume. Sans doute vint-il s'y ajouter un complexe, dû aux agis¬
sements inconsidérés de son beau-frère Walker, sujet anglais, agita¬
teur violent aux incartades répétées.
Le second était E. Martin, propriétaire de l'usine électrique fournis¬
sant le courant à la ville ainsi que d'une brasserie. Plutôt apathique
et effacé de nature, il finit par adopter une attitude combative, sous
l'influence de son gendre Gilbert, du frère de celui-ci, de son propre
fi Is et de leurs amis.
Enfin le troisième était Lagarde, ancien chef retraité du service
des douanes. D'esprit caustique et d'un humour sans indulgence, au
courant de toutes les intrigues et de tous les potins locaux, et pour
cela redouté de tous ceux qui craignaient de lui servir de cible.
Ces trois hommes étaient depuis longtemps inféodés au pays. Le
fenua Tahiti
était devenu leur patrie. Ils étaient plus ou moins
solidaires des négociants, connaissaient et partageaient leurs sou¬
cis au sujet de l'exportation des produits, savaient combien les pro¬
priétaires des stocks de coprah restaient lourdement engagés vis-à-vis
des banques, par le jeu des traites.
sité de
se
camoufler derrière
sous
une
ses
apparence
,
Et puis, ils étaient parvenus à un âge où l'aventure a perdu ses
attraits, où les charges de famille et l'instinct de prévoyance rendent
circonspects, où le passage brusque du passé traditionnel au futur
indéterminé impose la prudence, où on a du mal à se plier aux nouveau¬
tés.
Ainsi
cette
gérontocratie, attachée au passé, ne retrouva-t-elle
rien de mieux, pour, marquer son
accession au pouvoir, que d'appeler
417
Société des
Études
Océaniennes
le
peuple à célébrer solenellement l'avènement de la 3e République
(voir doc. n° 19) ! Pauvres tahitiens qui déjà avaient dû renoncer à com¬
prendre les péripéties des querelles popaa à qui l'on demandait main tenant de commémorer, dans la joie et les fêtes, un certain 4 septem¬
bre 1870 et de rester fidèles "au régime républicain démocratique en
se ralliant au général de Gaulle" (voir doc. n° 20).
avoir toujours à
sonder les reins et les coeurs, il arrive
le simple rapprochement des faits éclaire les mobiles
secrets des hommes. Or le 2 juillet précédent, une réunion avait eu
lieu à la Chambre de Commerce, pour étudier notre crise financière
intérieure et pour chercher une solution au blocage des produits. Une
pétition y avait été préparée et mise en circulation, afin de réclamer
l'intervention d'un pays étranger qui prendrait en charge les inté¬
rêts de la colonie. Et ce sont précisément les trois augures du Gou¬
vernement Provisoire qui avaient soutenu cette thèse, à une réunion
du conseil privé, et qui, en suggérant un appel aux U.S.A., moyen¬
nant certains ABANDONS DE SOUVERAINETE, avaient provoqué de
ma part une assez violente prise à parti. Il est assez
plaisant de se
souvenir au'un des griefs allégués contre moi fut « d'avoir fait courir
les plus grands dangers à la Colonie » en favorisant l'hégémonie
économique d'un pays étranger ! Vérité en deçà, erreur au delà !
En tout cas, le divorce (oui se termina par l'éclatante rupture de
Lagarde) fut patent, dès le début, entre eux et le groupe de CurtonSénac. Il y avait éauivoque entre le "ralliement à de Gaulle" que
prônaient les seconds et le ralliement "à l'Angleterre" aue soute¬
naient les premiers. C'était plus qu'une nuance, car pour les jeunes,
animés d'une foi jacobine, leur formule contenait une fin en soi,
tandis que pour les prudents du Gouvernement Provisoire, la leur
traduisait les préoccuptaions beaucoup plus réalistes. Ils étaient en
quelque sorte, des Bien Pensants, animés un peu par la peur et beau¬
coup par les soucis matériels. L'appel qu'ils adressèrent, dès le len¬
demain de leur prise de pouvoir, à la Nouvelle-Zélande pour réclamer
son assistance, montre que, poursuivant leur idée, tout était surbordonné à la restauration, à tout prix, de l'économie locale. Et que pou¬
vaient faire, au demeurant, les Anglais,pour favoriser l'écoulement
Sans
parfois
que
de
stocks
nos
de
coprah,dont les entrepôts de leurs îles étaient
pareillement encombrés ?
L'avènement de ce Gouvernement Provisoire fut accompagné par
publication d'un manifeste qui, du reste, en dit long à ce sujet. La
question du ralliement à la France Libre y est traitée en deux lianes,
avec, pour but, était-il bien spécifié : "Libération du Territoire de la
France métropolitaine et pour la RESTAURATION
D'UNE FRANCE
la
REPUBLICAINE SAINE".
418
Société des
Études
Océaniennes
Par
s'étale sur trois pages, le projet, extravagant, d'un
de gouvernement fantaisiste, dont ces extraits
suffisants pour donner une idée de l'ensemble :
contre,
véritable
sont
«
En
programme
raison de l'insuffisance des effectifs militaires et pour as¬
la colonie, sa Sécurité et son Ravitaillement, il est prévu de
solliciter la protection des alliés, dominions ANGLAIS OU DE L'AME¬
à
surer
RIQUE
(SUIVANT LE VOTE DE LA POPULATION POLYNESIENNE)
pendant toute la durée des Hostilités existant entre la France et
l'Allemagne et l'Italie.
"Programme d'Action"
,
SUR LE PLAN SPIRITUEL
:
...
La France Libre des E.F.O.
"Coopération, Solidarité et Amour Fraternel"
a
pour
idéal
.
SUR LE PLAN ECONOMIQUE
a
Ravitaillement
assuré de la colonie par les pays alliés en
-
produits de toutes sortes, farine, sucre, huile, viande, lait, savon etc.
Assurance de l'écoulement des produits locaux...
b
Supression. de certains emplois féminins non indispensables
dans l'Administration en s'inspirant de l'esprit : La femme au fover.
SUR LE RACISME"
-
La France Libre des
moeurs
et
E.F.O. déclare incomptatible cet esprit avec
des
l'atavisme polynésien (sic).»
Le même gouvernement provisoire, dans un avis à la population
publié au Bulletin de Presse du 3 septembre, donnait des détails sup¬
plémentaire sur son programme d'action :
Changement de direction politigue dans la colonie, par la
reprise des relations diplomatiques avec le gouvernement anglais et
la réouverture de consulat. Redressement économique de la colonie,
par la reprise des relations économiques avec la Nouvelle-Zélande et
l'Australie. ( voir. doc. n° 20).
C'est ce qu'on peut appeler la politique des portes ouvertes.
"Il n'y a de nouveau que ce qu'on croyait oublié" ! Heureusement
n'avait-on pas, attendu l'exposé de ces généreuses intentions, pour
assurer les besoins des habitants, grâce au gentleman agreement dont
il a été parlé ci-dessus.
-
Seule la question de réouverture du consulat britannique demande
une
précision
:
à l'annonce d'une décision maladroite de Vichy, le
avait déci¬
n'avait pas
duré et, le 1er septembre, il m'avait informé de la reprise de ses ser¬
vices. Et, en tout cas, ce n'était pas contre un consulat fermé et pour
en assurer la réouverture, que se déploya, en mai 1941, ce commando
nocturne, dirigé par Walker, le beau-frère anglais d'Edouard Ahnne,
qui s'empara du Consul qui fut molesté, occupa les lieux, se saisit
Consul britannique, de lui-même et malgré mon opposition,
dé de se retirer dans l'intérieur du pays. Mais sa retraite
419
Société des
Études
Océaniennes
des
archives et des codes. D'ailleurs, à
la suite de cet exploit, on
le considérer comme disqualifié et le mettre hors d'é¬
nuire", (voir doc. n° 21 ).
dût, parait-il
tat
de
,
Tant il est vrai que
altéré de gloire
que
l'homme est plus
de vertu.
Juvénal
s'impose : pourquoi, investi de l'autorité,
de la force publique ?
motifs, l'un de simple logique et l'autre de fait.
Le premier pose une énigme.
Après les incidents du 23 juin relatés plus haut, au cours des¬
quels des officiers de marine avaient tenté timidement un premier es¬
sai de ralliement, plusieurs jours s'étaient écoulés sans nous ap¬
porter d'informations quant au rôle et à l'action du Comité de Gaulle
Dernière question, qui
pas usé
Pour (Jeux
n'ai-je
à
Londres.
En face de cette incertitude persistante, je m'adressai directement
Foreign Office, à qui je demandai "quel pouvait être le Gouverne¬
ment national et indépendant reconnu, auquel il était loisible de se
rattacher". (Télég. du 29 juin). Et la réponse qui me parvint, le 1er
juillet 1940, fut celle-ci, dont je donne, à nouveau, la transcription
intégrale :
From The Secretary of State for Foreign Affaires 1st July 19 h 40
Le Gouvernement de Sa Majesté reconnait le Gl de Gaulle
comme
chef de tous les Français Libres où qu'ils puissent
être, qui se joindront à lui en vue d'aider la cause des Alliés.
Cette indication ne signifie pas que le Gl de Gaulle a été
reconnu
comme le chef ou
l'instaurateur d'un gouvernement
reconnu (alternative government), ou que le Gouvernement de
Sa Majesté a cessé d'avoir des relations avec le chargé d'af¬
faires français à Londres qui représente le Gouvernement de
au
Bordeaux.
a posteriori, ce texte ambigu peut prêter à équi¬
Mais, sur le moment, il permettait trop bien de comprendre
pourquoi les représentants des possessions anglophones du Pacifique
s'étaient montrés pleins de bonnes intentions à notre égard,au moment
de l'armistice, et pourquoi le modus vivendi, établi entre nous et
jamais contesté ensuite, nous avait procuré une "satisfaction réci¬
proque". On pouvait normalement en déduire que le Gouvernement
anglais, n'ayant pas perdu espoir d'entretien des relations diplomati¬
ques avec le Gouvernement français, ne souhaitait pas provoquer
notre rupture avec lui. Ce que le Consul d'ailleurs me fit comprendre
A la réflexion et
voque.
de vive voix.
420
Société des
Études
Océaniennes
puisque le Gl de Gaulle n'était admis qu'à rassembler
volontaires, la possibilité n'apparaissait pas qu'il put rallier, en
bloc, un territoire, qu'on ne lui reconnaissait pas qualité pour admi¬
Et surtout,
des
nistrer.
C'est cette interprétation à laquelle je m'arrêtai. Il n'empêche que
je fus trompé par la duplicité de ce communiqué officiel anglais, puis¬
que, presque aussitôt, le Comité de la France Libre de Londres se mit
à légiférer et à
rent vers lui.
tenir
pour ses
fiefs, ceux des territoires qui
se
tournè¬
En second lieu, une
raison de fait me mit dans l'impossibilité de
à la troupe pour maintenir l'ordre.
Le commandement militaire à Tahiti était exercé par le capitaine
de corvette, commandant la Marine, Grange. C'était un officier timoré,
inconsistant, n'ayant que peu d'autorité et de crédit auprès de ses
subordonnés. Son manque d'initiative et la peur des responsabilités
lui faisaient exiger, à la moindre occasion, un ordre écrit pour se
faire
appel
couvrir.
juin, il avait automatique¬
Cdt de' Quièvrecourt avait
conçu l'envoi d'un télégramme à de Gaulle. N'ayant pas persévéré
dans ces dispositions. Grange se trouva forcément en fausse position
au moment du coup de force. Son "dégonflage" ainsi que le qualifia
Lagarde, lui valut pas mal d'avanies, en particulier le manque d'é¬
gards dont fit preuve son adjoint Gilbert, qui l'expulsa sans autre
forme pour prendre sa place. Je ne pouvais donc pas compter sur lui.
Restait le capitaine Broche, commandant la Cie autonome d'Infante¬
rie indigène. C'était un officier de 34 ans, arrivé dans la colonie en
1939, ardent et sympathique. La guerre survenue, son tempérament
militaire ne put s'accomoder d'être maintenu loin du front. Aucun ordre
ne nous étant parvenu de diriger un contingent vers
l'Europe, son
désir de se battre s'exaspéra, tourna à l'obsession et finit par lui en¬
lever tout discernement, (voir doc. n° 22). Il voulut démissionner pour
aller s'engager en Australie, il pressait de télégramme pour cela le
Cdt Supérieur de Troupes du Pacifique à Nouméa. C'était devenu de
l'aveuglement, et nous ne cessâmes de la ramener au sens de son
devoir, en l'occurence, à l'obligation de servir au poste qui lui était
échu. C'est dire qu'il était prêt à tout accepter pour réaliser son dé¬
sir, et que dans le mouvement de ralliement dont il connut la prépara¬
tion, - sans pourtant sympathiser avec ses promoteurs - il entrevit la
chance de parvenir à ses fins et de partir à la guerre.
Le 1er septembre donc, alors que se déroulait le plébiscite truqué,
et que j'envisageais des troubles pour le lendemain, j'essayai en
vain, toute la journée, d'entrer en relation avec Broche. Il ne répondit
pas à mes convocations et resta introuvable. Ce n'est que le lendemain
à 14 heures, alors que commençait à s'ameuter la foule, qu'il se préOn se souvient, au surplus, que le 23
emboité le pas, quand le brouillon
ment
421
Société des
Études
Océaniennes
Mais, buté et obstiné, ce fut pour me faire connaître sa déci¬
la neutralité, "la troupe consignée dans ses
quartiers", décision dont je lui démontrai, sans succès, qu'elle était
incomptatible avec ses fonctions et son devoir d'obéissance.
senta.
sion de maintenir dans
ainsi que le champ libre fut abandonné aux émeutiers.
septembre, dans une assez longue lettre au Gouvernement
provisoire, (voir doc. n° 23), faisant ressortir "son expectative en
dehors de toute considération d'ordre politique". Broche acceptait de
reconnaître le nouveau régime. II y mettait toutefois un certain nom¬
bre de conditions, notamment la création d'un corps expéditionnaire
"qui serait employé uniquement contre les ennemis de notre pays, et
suivant les ordres, éventuellement, des autorités militaires britan¬
niques". Nous sommes loin des assurances de fidélité et de soumis¬
sion qu'il me donnait dans la lettre du 17 juin précédent, ou, parlant
au nom des "militaires d'activé et de réserve", il assurait :
"nous
sommes tous groupés sous vos ordres".
Son voeu fut amplement satisfait. Nommé le 20 septembre comman¬
dant supérieur des troupes du Pacifique à Nouméa (poste tenu habituel¬
lement par un colonel), fait chef de bataillon le 1er février 1941, il
fut placé à la tête du Bataillon du Pacifique qui quitta Nouméa le
9 mai 1941, Promu lieutenant-colonel le 1er octobre 1941 et maintenu
dans son commandement, il devait trouver une mort glorieuse à Bir
Hakeim le 9 juin 1942.
C'est
Le 3
Pour
rallier le réticent capitaine Broche, le Gouvernement Provi¬
soire fut contraint
d'accepter les conditions formulées par lui dans sa
septembre 194Q. Parmi elles se trouvait cette particulière
exigence ainsi exprimée :
«
Il est demandé au nouveau gouvernement de préparer l'envoi
d'un corps expéditionnaire d'un effectif de 1 000 hommes (un batail¬
lon d'infanterie à 4 compagnies) entrant dans la composition d'un
corps expéditionnaire français du Pacifique».
Il faut admettre que c'était dans la logique des choses, et même
que, si la volonté de la population, exactement affirmée et dans tou¬
tes ses couches, eut été réellement de courir à la défense de la mère
patrie, c'était la mobilisation générale des 5.000 réservistes disponi¬
bles qu'on aurait dû envisager. (Il est entendu que je cède unique¬
ment à la logique nrïais non pas au regret).
En tout cas on reste confondu devant la réaction et le désarroi
des triomphateurs du moment, en face des exigences de Broche.
"Celle qui nous paraissait la plus exorbitante
(sic), était la
constitution d'un corps expéditionnaire d'en effectif de 1 000 hommes,
un bataillon d'infanterie à quatre compagnies, était-il précisé ! Ce
n'étaient certes pas les volontaires qui. manquaient. Mais pouvait-on
priver un pays de 40 000 habitants d'un millier de jeunes, représenlettre du 3
422
Société des
Études
Océaniennes
tant
la partie la plus active de la population
"En
ce
qui concernait le
corps
expéditionnaire réclamé
par
le
commandant de la Cie Autonome d'Infanterie Cle de Tahiti, un compro¬
mis fut alors élaboré entre le Gouvernement Provisoire et le capitaine
Broche". (De Curton).
Il ressortit de ce "compromis" que ce fut seulement un contingent
de 300 volontaires, qui partit pour Nouméa, afin de s'intégrer au
bataillon du Pacifique qui s'y constituait.
Effectivement, il est à constater que, dans toute leur propagande,
les auteurs du coup de force n'évoquèrent que "la France Libre", mais
jamais la "France Combattante". Alors, sachant fort bien que la colo¬
nie était hors d'état d'apporter quoi que ce soit d'efficace aux Al¬
le plan économique, s'ils trouvèrent par ailleurs "exorbitant"
contribution militaire,
que restait-il, que signifiait tant d'af¬
fectation patriotique et sur quoi débouchait en fait ces appels au
ralliement ?
liés
sur
une
N'y aurait-il pas là de quoi justifier les allégations émises contre
certains, dont les arrière-pensées n'auraient été que d'obtenir des
avantages pour les intérêts locaux, en ne fournissant que le moins
possible en contre partie ? Et, effectivement diverses énonciations de
leurs proclamations sont ainsi formulées qu'elles ne démentent pas
ces imputations.
En tout cas, en ces temps où il est sans cesse question d'ef¬
ficacité, il faudrait déterminer si la minime participation ainsi consen¬
tie par les E.F.O. à la guerre, suffit à compenser les troubles et les
bouleversements internes qui en furent quand même la conséquence et
eurent pour eux tant de répercussions.
En ce qui me concerne, ayant reconnu notre impuissance à interve¬
nir efficacement dans le conflit, j'avais estimé que mon rôle était de
faire franchir à l'Océanie cette épreuve sans trop de dommage. Quel¬
qu'un du reste m'a donné raison qui a dit : "Avez-vous remarqué
qu'aucun vrai problème n'a de solution ? Le mieux qu'on puisse faire
pour lui est de le faire attendre". Et ce quelqu'un, c'est de Gaulle
lui-même.
Tahiti ont entendu
façon, le mélange complexe d'intérêts, d'excitation
irréfléchie, assaisonnée de ce qu'il fallait de patriotisme, a engendré
cette équivoque qui se prolonge aujourd'hui.
Mais si l'on estime en définitive, que la fin a justifié leurs moyens,
on
a pu constater que ceux-ci
ne furent pas de nature à satisfaire
tous les honnêtes gens. Et on peut leur appliquer le jugement qu'un
conventionnel portait sur ses collègues : "Ils voulurent être libres,
ils ne surent pas être justes" !
Si les artisans du mouvement de libération de
le résoudre à leur
423
Société des
Études
Océaniennes
CONCLUSION
fut confiée l'administration des E.F.O., je connais¬
spécial de cette colonie. Elle ne nous était pas échue
conquête, elle avait ses origines dans le don de ses légitimes
Lorsque
me
sais le statut
par
souverains.
Après le protectorat établi, en 1847, sous la Reine Pomaré IV,
était intervenue la déclaration faite le 29 juin 1880 par le Roi Pomaré V.
Elle consacrait la réunion à la France des Iles de la Société et Dépen¬
dances : "Parce que nous apprécions, confirmait cet acte, le bon
gouvernement que la France a donné aujourd'hui à nos Etats, et parce
nous connaissons les bonnes intentions de la République Fran¬
que
çaise à l'égard de notre peuple et de notre pays, dont elle veut aug¬
menter le bonheur et la prospérité".
"C'est un geste de confiance et d'amitié que nous sommes heu¬
reux de donner à la France", disait encore le souverrain en
ajoutant :
"C'est ma parole et il faut qu'elle soit observée" !
C'est aussi la parole de la France qui était engagée. Et c'est dans
les limites de ces déclarations que résidaient nos obligations vis
à vis du peuple tahitien. Elles étaient résumées dans ces paroles
même de la Reine Pomaré : "Je suis toujours entre vos mains et
conseillez-moi pour mon bien" !
Ce pays n'était pas un désert sans âme, mais une nation vivante.
Son charme, si vanté depuis le temps des découvreurs, ne tenait pas
seulement aux splendeurs qu'y déployait une nature exceptionnelle,
mais à l'attirance qu'offraient ses habitants, dans la nature qui leur
servait de cadre.
Il y avait là une race qui possédait son génie propre, sa sensibili¬
té,
ses
tabous,
ses moyens
d'expression,
son
code de morale, basé
le me haama:ça fait honte et, bien qu'elle ignorât l'écriture, ses
traditions que décrit Cook alors qu'elle en était encore, de quelque
sur
façon, à l'âge de pierre.
Nous nous étions engagés à veiller sur sa croissance et son évo¬
lution, comme on veille sur la formation d'un être fragile.
Je m'y étais attaché dès mon arrivée, mais mesurai vite l'écart,
entre les besoins et mes moyens. Maintes fois j'ai tenté d'attirer sur
elle l'attention d'une mère patrie, trop lointaine et trop accaparée par
ses propres préoccupations. Le peu que je pus obtenir fut pour le plus
déshérité, sans doute, de nos archipels, celui des Marquises. Tant de
maisons qu'ils voyaient là tomber en ruine dans leurs vallées, avaient
convaincu les indigènes d'accepter, avec résignation, le destin inexo424
Société des
Études
Océaniennes
rable auquel ils se croyaient voués. Et ils ne s'en consolaient que par
absorption abusive de boissons distillées, dont ils avaient appris
au contact des baleiniers américains, et dont ils avaient
porté l'art à son maximum. Au bout de trois ans, grâce notamment à
des mesures de prophylaxie et d'assistance médicale renforcées, j'ai
pensé atteindre un équilibre, mais précaire, entre les naissances et les
une
la fabrication
décès.
En tout cas, ce ne furent pas les conseils gratuits qui me firent
défaut. Que de fois ai-je entendu répéter, au sujet des maoris, en
général aimables dans leur indolence et réfractaires à l'effort continu,
qu'il fallait leur "créer des besoins" ! Je n'ai jamais pensé que, pour
améliorer le sort de ceux que j'ai connus heureux, dans ce qu'on vou¬
lait appeler leur pauvreté, il suffirait de susciter des désirs qu'ils ne
pourraient satisfaire, ni qu'en multipliant artificiellement leurs ap¬
pétits ou leurs envies, sans leur avoir parallèlement inculqué le
goût du travail, c'est à dire profondément modifié leur nature, on
aurait chance d'améliorer leur vie sans en faire des déracinés.
Il ne s'agit pas d'imaginer que je souhaitais les voir demeurer
dans
un
conversatisme rétrograde. Il était inévitable que les dévelop¬
pements de la technique et les rapports répétés avec le monde exté¬
rieur dussent influer sur leur insouciante existence. Mais j'espérais
que l'échéance n'en serait pas trop brutale et que la norme de crois¬
sance de leurs besoins resterait sélective, correspondant à l'accrois¬
sement de leurs ressources, donc équilibrée et pour tout dire "civili¬
sée".
Or, il est indéniable que, parmi les avatars qu'a connu en peu de
temps la race maorie, la mise en contact direct avec le monde en guer¬
re
en
a
précipité l'évolution.
en effet peu après le retour d'Europe du contingent tahitien
s'est manifestée, on pourrait dire paradoxalement, cette chose
qu'on n'aurait jamais pu concevoir auparavant : ce mouvement autono¬
miste qui entraîna les troubles de 1947.
Et là-dessus, une voix souveraine se fit entendre : "Le Pacifique
sera demain le théâtre principal des hommes, pour une durée dont on
ne peut prévoir les limites".
Et quand les Tahitiens comprirent le
sens de ces mots, qui
était de les faire entrer de plain pied dans
l'ère atomique, ils protestèrent en invoquant leur droit à disposer
d'eux-mêmes, ils s'élevèrent contre celle qu'on avait si dévotieusement, jusque là, dénommée la Puissance Protectrice.
"Cadeau empoisonné", dirent les uns. "Tu es chez nous un étran¬
ger, accepte tes hôtes tels qu'ils sont", soutinrent les autres. Le parti
séparatiste eut beau jeu de faire chorus.
Mais le Moloch n'entendit rien. Il amena ses machines et ses
travailleurs étrangers, il disposa des lieux, il bouleversa les sites
pour y installer ses techniciens et ses champs d'expériences. Au
C'est
que
425
Société des
Études Océaniennes
mépris du bon sens, il se trouva quelqu'un pour affirmer : " A l'heure
où les nations s'efforcent de se grouper au sein de larges communau¬
tés, l'isolement d'une collectivité peu nombreuse n'est pas sans grand
danger".
Alors, pour obliger la Polynésie à sortir, d'elle même, de ce que
l'on appelait avec un certain mépris " l'âge du corail et du cocotier"
où elle s'obstinait à vivre encore, tout a été bouleversé à pas de
géant. On y a déversé l'argent sans égard pour son état social, quintu¬
plé la valeur du franc, déchaîné l'appât du gain, crée les apparences
d'une prospérité factice, multiplié de fallacieuses promesses. Est-ce
pour le bien-être des Tahitiens qu'on est arrivé à les faire passer,
sans étapes, d'une économie de subsistance à une économie monétaire
moderne ?
Et
aura abandonné la place, que laissera-t-iI der¬
? Le tourisme, pour assurer la vie économique. Le tourisme
quand le Moloch
rière lui
qui, ainsi envisagé, ne sera qu'une prolongation du mal.
On pourra sans doute, avec une publicité bien orchestrée, amener
des foules attirées par le mirage entretenu des Mers du Sud, les dis¬
traire avec un folklore reconstitué au moyen de figurants amorphes ou
importés. Mais on aura étouffé le caractère propre de ces êtres sensi¬
bles et simples qui, par leur naturel même, constituaient l'attrait de
ces
îles de charmes.
de visiteurs abusés n'apparaitra plus qu'une race plus ou
moins métissée et pervertie. Aussi totalement que chez les Incas,
les Caraïbes ou les Indiens, le génocide aura été accompli.
Aux yeux
//
faut
avoir
attention
a
ne
point augmenter par l'aigreur des
paroles ta tristesse des choses.
Aussitôt le point final posé, j'ai relu ces lignes. Je suis demeuré
perplexe et gêné, en constatant que j'avais traité les protagonistes
sans
indulgence, et peut-être avec une sévérité forcée. Ces gens,
après tout, j'avais eu avec tous des relations fréquentes, de bon ton
avec beaucoup et même sympathiques avec certains. Il y avait là un
petit conflit philosophique ? Bien que je me sois cru détaché des émo¬
tions anciennes, n'avais-je pas cédé à des ressentiments endormis
et à la partialité ? Je me suis alors replongé dans le passé, j'ai repris
mes analyses, relu mes documents et suis remonté aux sources. J'ai
dû, de ce fait, modifier certains jugements et atténuer certaines ap¬
préciations. Mais, dans le principal, il est impossible de dénier qu'il
ait eu beaucoup de mauvaise foi, de sectarisme et d'intéressement
dissimulé, dans ce mouvement... qui eut aussi ses bouffons.
426
Société des
Études
Océaniennes
A propos
entre
du drame de
son
ralliement, Tahiti s'est trouvé,
en
1940,
deux choix.
On peut estimer qu'il existait certains pour le considérer unique¬
sous l'angle du service de la patrie, comme un acte de
portée
ment
nationale, n'ayant pas à s'encombrer de questions secondaires et de
péripéties locales. L'opération était à envisager, pour eux, sur le
plan mondial, sans que dussent être retenues ses répercutions im¬
médiates
sur l'avenir du peuple tahitien.
moi, c'était une pièce qui devait se jouer sur une scène plus
circonscrite, où la pureté et la survivance d'une race était en jeu.
"Hors de l'eau est sortie Tahiti, et nogs dessus". Cette affirmation
concise de Opuhara, héros légendaire de l'épopée
tahitienne, ne pou¬
vait pas être oubliée.
Considérant que nous étions sans moyens pour participer ef¬
ficacement à la guerre, je me devais de peser les
avantages et les
dommages pour la vie de la colonie, aussi bien que les intérêts maté¬
riels et moraux de gens dont je n'avais pas le droit de
tromper la con¬
Pour
fiance.
Il y avait donc, entre ces deux options, une opposition
qui ne
pouvait que dégénérer en conflit. Encore cette divergeance eut-elle pu
se
régler dans l'honnêteté !
427
Société des
Études Océaniennes
DOCUMENTS ANNEXES
1
From Naval Staff
27
(Intelligence) WELLINGTON
juin 1940
The Admiralty have evidence that the Germans have since 20th
June been using French Naval Code to issue instructions purposing
to come from Admiral Darlan... policy
waiting for orders from Admiral
Darlan is therefore playing in to germans hands. The Admiral's last
message
dated June 20th ended
Whatever orders
intact.
received
:
never
abandon
to
ennemy
a
ship
war
2
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE BORDEAUX
Papeete 23 juin 1940
Toute
la
population des Etablissements Français d'Océanie en
événements actuels déclare qu'elle est prête à se
ranger aux côtés de l'Empire Britannique et des autres colonies de
l'Empire Français pour continuer la lutte contre l'envahisseur.
présence des
graves
428
Société des
Études
Océaniennes
3
Amiral
FNEO
Papeete 28 juin 1940
Grosse effervescence dans EFO exploitée par éléments troubles,
Gouverneur a fait connaître Président de la République avant armisti¬
ce voeu continuer lutte sous pression populaire - S'est efforcé depuis
-
faire
ments
comprendre nécessité attendre dans calme déroulement événe¬
qui nous dépassent.
4
Traduction
:
From
Secretary of State for Foreign Affairs London
28 juin 1940
L'actuel gouvernement français, en acceptant, sous la pression
l'ennemi, les conditions de l'armistice a été empêché d'exécuter
l'engagement solennel de la France à l'égard de son alliée britannique.
Il s'est résigné lui-même au fait accompli de l'occupation allemande,
de la France Métropolitaine.
Mais cette occupation ne s'étend pas aux vastes territoires de
l'Empire d'Outre-Mer qui subsiste avec ses frontières, ses défenses
et ses immenses ressources économiques intactes.
L'Empire Français d'Outre-mer a encore une partie vitale à jouer
dans la lutte pour la civilisation en vue d'une issue favorable.
Le Gouvernement Britannique et le peuple britannique sont réso¬
lus à continuer cette lutte jusqu'au bout et notre victoire signifiera
la restauration de la grandeur de la France.
Nous faisons appel aux autorités civiles et militaires de tous les
territoires de la France d'Outre-Mer pour se placer à notre côté et pour
combattre, la main dans la main avec nous, jusqu'à ce que la victoire
soit atteinte et ainsi soit accompli l'engagement de la République
Française.
de
429
Société des
Études
Océaniennes
Nous
faisons appel à eux pour agir
ains^même s'ils recevaient
des ordres du Gouvernement
Français en France de se rendre à l'en¬
nemi, car ce gouvernement est déjà sous le contrôle de l'ennemi et
ne peut être plus longtemps reconnu comme représentant de la France.
En outre, ce Gouvernement n'a aucun mandat constitutionnel pour
rendre le territoire national.
la liberté, l'indépendance et l'autorité constitution¬
sur le sol français, nous ferons tout ce qui est
pouvoir pour maintenir l'intégralité et la stabilité économique
les territoires français d'Outre-Mer, pourvu qu'ils se placent
Jusqu'à
ce que
nelle soient rétablies
en
notre
de tous
à
nos
côtés.
garantissons en outre que ces territoires seront approvision¬
fonds afin d'assurer le paiement des soldes et pensions de
Nous
nés
en
les fonctionnaires civils et militaires dans toutes les
tous
l'Empire Français qui sont disposées à coopérer
parties de
avec nous.
5
A
Monsieur le Consul de Sa Majesté Britannique.
Papeete 29 juin 1940
J'ai l'honneur d'accuser réception du message du Gouvernement
de la Grande Bretagne en date du 28 juin.
de
J'ai déjà porté à votre connaissance que les voeux des habitants
la colonie sont de voir se maintenir les liens d'amitié avec la
Grande-Bretagne en vue de remporter la victoire et de demeurer sous
la domination française.
A cet effet, étant isolé et sans nouvelles précises, je vous serais
obligé de me faire connaître s'il existe un gouvernement national et
indépendant, admis à administrer et à contracter des alliances, auquel
nous serions susceptibles de nous rattacher. L'action individuelle de
chaque colonie française doit être nécessairement conjuguées avec
celle des autres colonies, se maintenir dans le cadre général de nos
institution et être subordonnée à une autorité supérieure.
Je serais désireux de connaitre également dans quelle mesure et
de quelle façon pratique le Gouvernement de la Grande-Bretagne estime
que l'aide et l'assistance de l'Océanie Française pourrait lui être le
430
Société des
Études
Océaniennes
plus favorable et de quelles autorités, respectant le principe de la
souveraineté nationale, émanerait les instructions en tout ce qui
pourrait excéder les pouvoirs normaux du Gouvernement local.
J. de Géry
6
From the Secretary of State for Foreign
1st
Affairs LONDON
July 1940
Reading
The following statement
was
issued here last night
:
His Majesty's Government recognize Gl de Gaulle as the leader of
theymaybe who rally to him in support of
all free Frenchmen wherever
the allied cause.
This statement does
not mean that the
Gl de Gaulle has been
reco¬
gnized as the head or organiser of an alternative government or that
his majesty's government has ceased to have dealings with the french
Charge d'Affaire in London who still represent the Bordeaux Govern¬
ment.
The Prime Minister's statement on June 25th was that we cannot
yet tell what our futurs relations with the Bordeaux Government will be.
Secretary of State for
Foreign Affairs
431
Société des Etudes Océaniennes
7
From The Senior Staff Officier
Wellington 6 juillet 1940
I am directed by the Chief of the Naval staff to inform you that
while situation remains as at present no (repetition NO) intention is
whatever of taking action against the Dumont d'Urville.
S. Nav. St. Officier (Intelligence)
8
British and allied merchant ships may be permitted to call at
Papeete provided that it continues to be safe and in british interests
them
to so.
Sen. Naval Staf Officier
St. Officer to Br. Consul
Wellington 9 juillet
From Sen, Nav.
les autorités françaises que nous faisons tout
qui est possible pour maintenir avec Tahiti des relations normales
de navigation et de commerce. Aussi longtemps que les conditions
actuelles se maintiendront, un courant normal de trafic sera maintenu.
Vous pouvez assurer
ce
From the Minis, for External Affairs Canberra 9
juillet
(Government: of the Australian Commonwealth is prepared to :
a
allow british and allied shipping to go to the French South Pacific
Islands, unless is a good reason to take contrary in individual cases
b
to allow french boats ordinaly engaged in the grade to proceed
The
-
-
freely
432
Société des
Études
Océaniennes
Wellington 13 août 1940
In
according with the undertaking given by
your
Excellency
on
the
25th July guaranteeing the safety of all british and allied vessels
within the territorial waters of French Oceania arrangements have
been made for a british vessel wich will be carrying foodstuff to call
at
Papeete in the
I
near
future
should be most
surance
as
to the
grateful for a renewal of your, Excellency's
safety of such vessels.
as¬
Wellington 27 août 1940 (13 heures 35)
Je m'empresse de donner à votre Excellence l'assurance que je
n'au aucun désir de créer une situation qui pourrait être embarras¬
sante pour vous, ou pour l'Administration de l'Océanie
Française.
En conséquence, je suis d'accord pour ne pas insister sur l'envoi de
la mission dont il avait été question, jusqu'à ce que, à une date ulté¬
rieure, vous puissiez apprécier si les circonstances permettent de re¬
considérer la proposition.
Peter Fraser
1er Minis, de Nile Zélande
9
BRITISH CONSULATE
Papeete Tahiti le 1er septembre 1940
Excellence,
J'ai
l'honneur de
informer que, comme
suite à la demande conte¬
laquelle les Gouvernements de
Sa Majesté Britannique en Grande-Bretagne, en Australie et en Nile
Zélande ont donné leur agrément, j'ai réouvert aujourd'hui le Consulat
nue
dans
votre
vous
lettre 73 du 24 juillet, à
433
Société des
Études
Océaniennes
de
Grande-Bretagne à Papeete.
Je puis assurer Votre Excellence que, comme liaison entre vous
et les Premiers Ministres d'Australie et de Nile Zélande, les services
de ce consulat sont, sans réserve, à votre disposition. Je tiens pour
un privilège particulier de pouvoir, en raison des attributions qui me
sont accordées, m'intéresser, aussi bien à titre officiel que privé;au
bien être de l'Océanie Française.
Je profite de cette occasion pour remercier Votre Excellence de la
façon la plus sincère, de votre aimable courtoisie et de votre bienveil¬
lance au cours des négociations de ces semaines passées. Il en res¬
sort que, d'une collaboration dont nous ne pouvons que nous réjouir,
est sortie une solution satisfaisante aux importants problèmes que
nous avions à résoudre en matière de finances, de navigation et de
ravitaillement.
Une
entente
été réalisée entre
a
qui, j'en suis sûr,
nous a
procuré
une
nos gouvernement s respectifs
mutuelle satisfaction et qui doit
continuer à influencer favorablement le bien-être de l'Océanie Fran¬
çaise.
EDMONDS H B M Consul
Affiché à Papeete le 2 septembre au matin
Papeete le 2 septembre 1940
télégramme ci-dessous, la population est informée
renouvelées ce matin par les gouvernements
de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie que le ravitaillement de
Tahiti et le trafic commercial maritime seront assurés comme par le
passé.
Conformément
que
les
au
assurances sont
From the Prime Minister of Nile Zealand to Consul Br.
Wellington 2nd
September 1940
Excellency the Governor of French Oceania that
ship will certainly call at Papeete.
You may assure his
434
Société des
Études Océaniennes.
10 bis
LIBERTE
Un
les
EGALITE
FRATERNITE
Comité nazi vient de se former à Papeete en
hitlériennes en Océanie.
liste des nazis se compose de 66 signatures
vue
d'appliquer
mesures
La
communiquerons ultérieurement. Ces
dans
gens
;
nous
vous
la
veulent créer du désordre
l'île.
Des efforts inouïs ont été tentés par
les autorités locales, aidées
le Consul d'Angleterre, pour ravitailler le pays, cela malgré la
rupture
diplomatique de la Métropole avec l'Angleterre.
Malgré cela les nazis de Papeete veulent créer un mouvement antianalais. anti-étranger, anti-chinois ; FASCISTE en un mot.
Faut-il rappeler la phrase
qu'Hitler a prononcée dans un récent dis¬
cours ? "Les
Français, ce peuple négroide, doit être châtié".
par
Réjouissez-vous, Tahitiens.
Nous poserons
quelques questions.
Est-ce le gouvernement de Vichy qui nous envoie de la farine et
des vivres ? Est-ce le gouvernement de Vichy qui nous envoie des
touristes qui nous apportent dollars et livres sterling ?
Est-ce Rome, est-ce Berlin ?
Exportateurs de vanille, exportez-vous votre vanille sur Vichy ?
Vichy qui s'occupe d'écouler les milliers de tonnes de
coprah qui pourrissent sous les hangars de la Douane ?
Est-ce
Mais les nazis tahitiens voudraient nous interdire d'écouter la
radio de Londres ; ils préfèrent celle de Berlin ; ils approuvent notre
défaite et sont prêts à devenir les valets d'Hitler.
Nous aussi
appliquerons le
programme TRAVAIL FAMILLE PATRIE,
T.F.P.T., Travaux Forcés à Perpétuité.
Nous ajouterons à Travail Famille Patrie notre magnifique devise
mais
non
l'axiome nazi
républicaine
LIBERTE
Restons
;
:
EGALITE
FRATERNITE
calmes, mais
ne nous
laissons pas faire. Attendons.
VIVENT LA FRANCE ET NOS ALLIES
VIVE TAHITI
Un groupe
et
de Français, de citoyens
sujets tahitiens.
435
Société des
Études
Océaniennes
11
LIBERTE
EGALITE
FRATERNITE
31 août 1940
Entre les adhérents au programme
un
ci-dessous, il a été constitué
Comité qui prend le nom de :
COMITE DE LA FRANCE LIBRE DES E.F.O.
ESPRIT DU COMITE DE LA FRANCE LIBRE : Le Comité de la
LIBRE des E.F.O. est constitué dans la colonie, à Papeete
par
sans
des FRANÇAIS de COEUR, FIDELES AU REGIME
distinction d'opinion politique et religieuse ;
FRANCE
(TAHITI)
REPUBLICAIN,
MANIFESTE, ainsi que le Chef de la Colonie l'a proclamé dans le
Bulletin de Presse des 23-24 juin 1940, sa VOLONTE de continuer la
LUTTE contre les ennemis, ALLEMANDS et ITALIENS, aux côtés de nos
alliés ANGLAIS.
LE COMITE de la FRANCE LIBRE
DES E.F.O., MANIFESTE SA VOLON¬
TE de se RALLIER au Général de GAULLE, Chef des Armées Françaises
Libres pour LUTTER contre toutes les forces nazies et fascites, pour la
Libération du TERRITOIRE de la FRANCE METROPOLITAINE et pour la
RESTAURATION D'UNE FRANCE REPUBLICAINE SAINE
DANS CET ESPRIT,
DECIDE et DEMANDE AUX AUTORITES des E.F.O. de ne pas recon¬
viable, dans la colonie, le Gouvernement de Vichy, qui n'a
entière, qui n'a AUCUN POUVOIR pour
des FRANÇAIS LIBRES demeurant dans
ladite colonie des E.F.O.
Le Comité de la France Libre ne reconnaissant, en FAIT, que les
LOIS REPUBLICAINES ANTERIEURES à l'Armistice, et non CELLES
créées par la nouvelle Constitution du maréchal PETAIN, Chef de
l'Etat Français, et promulguées, jusqu'à ce jour, au Journal Officiel
de la Colonie de E.F.O.
En conséquence.
Le COMITE de la FRANCE LIBRE des E.F.O. demande aux Autorités
locales l'APPLICATION, dans toute son INTEGRALITE, et le RESPECT,
dans toute leur sincérité, des mots symboliques :
naître
AUCUNE LIBERTE, pleine et
défendre les intérêts vitaux
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
LIBERTÉ
ÉGALITÉ
FRATERNITÉ
436
Société des
Études
Océaniennes
nés des 1ère, Même et lllème REPUBLIQUES, et de la LEGISLATION
REPUBLICAINE : DROITS DE L'HOMME et du CITOYEN, etc...
Le COMITE de la FRANCE LIBRE des E.F.O., DEMANDE, en raison
en matériel
de l'insuffisance des effectifs militaires et de leur force
SECURITE, et son RAVITAILLEMENT, aux autorités locales :
PROTECTION des ALLIES (Dominions anglais ou de l'Amérique
suivant le vote de la population polynésienne) pendant TOUTE LA
pour sa
La
DUREE
DES HOSTILITES existant entre
la France
et
l'Allemagne et
l'Italie.
SUR LE PLAN SPIRITUEL
:
PROGRAMME D'ACTION
Le COMITE de la FRANCE LIBRE des
E.F.O. a pour idéal : "COOPERATION, SOLIDARITE et AMOUR FRATER¬
NEL". Il respecte toutes croyances politiques et religieuses selon les
principes républicains nés des 1ère, llème et lllème Républiques.
Il répudie toute action fasciste ou nazie tendant à porter atteinte
à la REPUBLIQUE FRANÇAISE, aux LIBERTES des FRANÇAIS LIBRES
D'OCEANIE, à leur EXISTENCE et à l'avenir de LEURS ENFANTS,
SUR LE PLAN ECONOMIQUE : a) RAVITAILLEMENT ASSURE de la
Colonie, par les pays alliés en produits de toutes sortes : farine,
sucre, huile, viande, lait, .savon etc...
ASSURANCE DE L'ECOULEMENT des PRODUITS LOCAUX.
b) Renvoi en France de tous les métropolitains fascistes
assimiliés, parasites, en un mot de tous les causeurs de troubles
dans la colonie, et de tous les inutiles.
c) Attribution des fonds recueillis provenant de la
SOUSCRIPTION PUBLIQUE, faite dans la colonie des E.F.O. en faveur
de la DEFENSE NATIONALE (MATERNITE NATALITE)
d) Supression de certains emplois féminins, non indis pensables, dans l'ADMINISTRATION, en s'inspirant de l'esprit : "LA
FEMME AU FOYER". Exception pour les sages-femmes. Infirmières,
ou
Institutrices.
SUR LE PLAN SANITAIRE : Hygiène publique, lutte contre )es
taudis et lieux insalubres (foyers d'épidémie et de tuberculose) Educa¬
tions physique et sportive de la jeunesse en vue d'une
PHYSIQUE et MORALE.
REGENERATION
Promulgation et application de certaines
vigueur dans la colonie des E.F.O. :
Assurances pour les accidents du travail - Aide aux mères encein¬
tes et en couches - Assistance aux familles nombreuses - Prime à la
Assistance aux vieillards - Protection de l'enfance - Educa¬
natalité
tion de la jeunesse - Création d'organismes corporatifs - Lutte contre
SUR LE PLAN SOCIAL
LOIS SOCIALES
:
non en
-
l'alcoolisme.
437
Société des
Études
Océaniennes
SUR LE RACISME : Le Comité de la France Libre des E.F.O. déclare
incompatible cet esprit, avec les moeurs et l'atavisme polynésien.
PROPAGANDE : Le Comité de la FRANCE LIBRE des E.F.O. exerce,
OUVERTEMENT, une LUTTE à MORT contre les FASCISTES en Océanie
Française.
Prie les autorités de l'autoriser à employer tous moyens de propa¬
gande (Radio, Presse, Cinéma, Affichage, Réunions publiques) pour :
LA LIBERATION DU TERRITOIRE DE LA FRANCE METROPOLITAINE
et pour la
RESTAURATION D'UNE FRANCE REPUBLICAINE SAINE
S'associer au MOUVEMENT REPUBLICAIN
Soutenir le Comité de la France Libre des E.F.O. ;
C'est ACCOMPLIR, non seulement un DEVOIR PATRIOTIQUE envers
la REPUBLIQUE FRANÇAISE, mais c'est PARTICIPER à l'OEUVRE GRAN¬
DIOSE, CIVILISATRICE et HUMANITAIRE de la DEMOCRATIE FRANÇAI¬
SE
VIVE LA FRANCE REPUBLICAINE
Le Comité
de la F.L. des E.F.O.
12
Papeete le 31 août 1940
Monsieur le Gouverneur,
soussignés, représentants élus ou qualifiés de la population,
de vous demander, pour répondre au
éviter une agitation qui va grandis¬
sante, d'adresser ce jour même un télégramme au Gl de Gaulle, lui
déclarant nettement que la colonie se range à ses côtés et au côté de
notre alliée britannique.
Au cas où pour des raisons personnelles que nous respectons,
mais qui n'en ont pas moins pour résultat d'entraîner l'ARRET COMPLET
DU RAVITAILLEMENT et de l'économie du pays, vous ne croiriez pas
devoir accéder à notre demande, nous vous prions de faire plébisciter
cette demande par la population.
Nous sommes d'ailleurs prêts, si vous le désirez, à organiser
nous-mêmes ce plébiscite, qui vous convaincra, nous en sommes
sûrs, que notre demande n'est que l'expression de l'immense majorité
de la population contre laquelle il nous parait impossible de gouverner.
Nous
estimons qu'il est de notre devoir
vœu de nos compatriotes, et pour
438
Société des
Études
Océaniennes
Princesse Terii nui 0 Tahiti Pomaré
Pour
l'équipage du "Ville d'Amiens" : Jouve
F. Vernaudon
E. Ahnne
E.
A. Drollet
Martin
P.
Lagarde
G. Bambridge
Dr.
Langomazino
M. Sénac
S. Rabinovitch
La vigne
L. Martin
Davio
Teriieroo
G. Spitz
A.
Bambridge
Laurey
A.
Poroi
Redeuilh
E. Vienot
Richmond
Maretefau
E. Juventin
W. Adams
Bronfield
Brander
Winchester
etc
G. Ahnne
Frogier
R. Charon
Ch. Levy
Manhes
Boher
Papeete le 3 septembre 1940
Monsieur le Consul,
exprimer ici ma formelle protestation contre le coup
permis, hier, à certains agitateurs locaux d'usurper le
gouvernement de la colonie. Je n'ai cédé qu'à la violencé, mais je
n'ai ni résilié mes fonctions, ni renoncés à les exercer.
Ayant été mis dans l'impossibilité de diriger effectivement mes
services et de faire exécuter mes ordres, je suis amené,par la force
des choses, à retirer l'engagement formel que je vous avais donné en
MON NOM PERSONNEL, et que vous avez fait connaitre à votre gouver¬
nement, concernant les garanties de sécurité des navires britanniques
Je désire vous
de force
qui
a
devant faire escale à
Papeete.
équivoque possible, et pour conserver également
estime à laquelle je tiens particulièrement, je désire
Pour éviter toute
à
vos
yeux une
439
Société des
Études
Océaniennes
préciser les raisons pour lesquelles j'ai été amené à refuser de m'associer à un mouvement qui semblerait s'inspirer du désir d'un rap¬
prochement plus étroit avec la Grande-Bretagne en vue de poursuivre la
guerre.
1 - Les meneurs de ce mouvement
prétendent à tort répondre à un
unanime de la population. Ils font état pour cela, d'un plébiscite
hâtivement effectué seulement à Tahiti et à Moorea. Là ne se trouvent
rassemblés que la majorité des 22 000 habitants de la circonscription
voeu
et Dépendances". Or malgré toutes les pressions exercées,
parodie de referendum ne leur a pourtant rapporté que 5564 signa¬
tures favorables (les femmes ayant été admises à signer). Il ne faut
pas oublier que l'ensemble des circonscriptions de la colonie donne un
"Tahiti
cette
total de 45 000 habitants.
la guerre entrai¬
le gouvernement de Vichy, comme con¬
séquence. Mais ici au contraire, il résulte de déclarations qui m'ont
été faites publiquement que ce sont des ressentiments d'ordre politi¬
que contre l'attitude ou les tendances du gouvernement du Mal Pétain
qui ont conduit une minorité à provoquer, comme conséquence, le rat¬
2
ne
Un rattachement
-
à l'Angleterre pour poursuivre
évidemment la rupture avec
tachement à l'Angleterre.
3
Ce mouvement, s'il eut
-
répondu au voeu collectif, pouvait se
développer dans l'ordre et prendre le temps
de s'organiser dans le
calme afin de ne pas entraver le fonctionnement de la vie locale. On
a au contraire recherché l'effet de surprise, usé d'une précipitation
suspecte, procédé à l'occupation de la ville mise quasi en état de
siège, fait appel au concours violent de l'équipage d'un navire en
révolte. J'ai reçu un ultimatum pendant qu'on gardait les issues,
qu'on haranguait la foule ameutée. Tous
les abus d'autorité ont été
commis.
Or ce sont là
les caractéristiques d'un mouvement
naire, plus anxieux de forcer le sentiment populaire que de
révolution¬
le représen-
TER.
conditions, à une adhésion qui, en toute éventualité
être suspectée, puisqu'obtenue sous l'empire de la violence,
j'ai estimé plus honorable d'opposer un refus catégorique aux mem¬
bres d'un Comité et d'un prétendu Gouvernement Provisoire qui, ne
tenant leurs pouvoirs ni de la légalité ni de la volonté populaire libre¬
ment exprimée, se les sont octroyés à eux mêmes à des fins qu'il est
permis de ne pas tenir pour absolument désintéressées.
Pendant la plus grande partie de l'année écoulée, nous sommes
demeurés unis, vous et moi, par l'espoir de la victoire remportée en
commun. Je continue à faire des voeux pour le succès des armes de la
Grande-Bretagne auquel est liée la libération demon pays.
Dans
aurait pu
ces
J.
deGERY
Gouv. des E.F.O.
440
Société des
Études
Océaniennes
14
D
L T Général De Gaulle LONDON
via Wellington
Répondant au sentiment intime de toute la population de la colonie
Monsieur le Gouverneur promettait le 25 juin 1940 le rattachement des
E.F.O. à nos alliés pour continuer la lutte contre l'envahisseur.
Aujourd'hui
la population UNANIME des E.F.O. estime que les
de Vichy à un état
de complète soumission à l'ennemi et lui enlèvent toute liberté et tout
droit de représenter les Français Libres.
En conséquence nous reconnaissons votre comité comme le vrai
gouvernement de la France Libre et nous rallions à vous pour continuer
termes
la
de l'armistice ont réduit le gouvernement
lutte.
Pour Comité de Gaulle Tahiti
Martin Sénac
C.F. doc. n° 15
LONDRES 11 septembre 1940
Intendant militaire MANSARD
Je vous nomme GOUVERNEUR DE TAHITI Stop. Je compte que vous
maintiendrez haut le drapeau de la France Libre. Stop. Prenez contact
avec
Sautot Haut Commissaire pour le Pacifique. Stop. Mon
nir.
Général de Gaulle
441
Société des
Études
Océaniennes
bon souve¬
16
Papeete le 20 octobre 1940
Les Officiers du Corps
ralliés
nement
faire
de Santé en service dans les E.F.O. et non
Comité du Gl de Gaulle dont dépend actuellement le gouver¬
local, ont rédigé le présent compte rendu afin d'essayer de
au
parvenir
situation
au
Gouvernement Français des renseignements sur leur
des instructions. TOUTES COMMUNICATIONS
TELEGRAPHIQUES LEUR ONT ETE REFUSEES AVEC L'ADMINISTRATION
CENTRALE.
et
solliciter
Un exemplaire a été remis à destination du Gouverneur Général de
l'Indochine, l'autre étant adressé à son Excellence l'ambassadeur de
France auprès du Gouvernement des Etats Unis. 1
Des événements d'INSTIGATION POLITIQUE se sont produits, à
Tahiti depuis le 31 août. Ils ont abouti, le 2 septembre, à la destitu¬
tion du Gouverneur, Monsieur de Géry, a la constitution,d'un gouverne¬
ment provisoire et au rattachement des E.F.O. au Comité du Gl de Gaul¬
le sous l'égide de ce nouveau gouvernement.
Le gouvernement provisoire convoquait le 2 septembre tous les
Chefs de Service et leur demandait de continuer à assurer leur service
comme par le passé, sans aucun engagement de leur part. Cette propo¬
sition fut acceptée dans l'ensemble, en vue de sauvegarder les inté¬
rêts de la Colonie, ESSENTIELLEMENT INDEPENDANT DE TOUS MOU¬
VEMENT POLITIQUE.
En dépit des assurances du gouvernement provisoire, c'est pour¬
tant au ralliement des Officiers du Corps de Santé que s'employa,
le 5 septembre une propagande très active de certains éléments
au gouvernement provi¬
dès
du mouvement local. Son résultat fut la remise
soire de déclarations officielles de chacun de
formité avec les termes de
les Chefs de Services.
sa
ces Officiers, en con¬
demande, adressée le 2 septembre à tous
Cependant, le Gl de Gaulle câblait le 10 sept, à M. l'Intendant
militaire Mansard
sa
nomination
comme
Gouverneur des E.F.O. M. Man¬
répondait le 11 au Gl de Gaulle par un câble l'informant de son
acceptation et il lui faisait part du ralliement à son mouvement de
sard
TOUS LES MILITAIRES ET CIVILS DE LA COLONIE.
Cette démarche déformait complètement la vérité ; elle engageait,
de plus, la plupart des Officiers du Corps de santé dans une voie à l'é¬
cart de laquelle ils avaient tenus à demeurer constamment. En plein
accord avec la majorité des Officiers placés sous ses ordres, le méde¬
cin commandant Alain se présentait le 15 septembre au cabinet de
M. Mansard pour effectuer une mise au point. Or il lui était demandé
442
Société des Etudes Océaniennes
le
16 septembre
de se soumettre officiellement au mouvement local
refus, le gouvernement décidait son expulsion, et en principe
son
rapatriement vers la France, via la Nouvelle-Zélande, dans des
conditions très imprécises.
Les médevins capitaines Pujo et Rosmorduc, les médecins lieu¬
tenants
Foucard, Mi Met, Loison et le pharmacien-lieutenant Pétard
jugèrent cette mesure illégale et injustifiée. Leur Chef de Service, le
médecin-commandant Alai^n'avait en effet que transmis au Gouverne¬
ment local l'expression d'une position adoptée en commun. Ils s'esti¬
Sur
son
mèrent donc solidaires de leur Chef direct et informèrent le gouverne¬
ment local qu'ils ne pouvaient reconnaître sa légalité ni celle de ses
décisions.
Le médecin-commandant Alain était néanmoins embarqué le 19 sep¬
tembre à bord du S/s Ville d'Amiens, (vapeur français remis aux auto¬
rités britanniques) à destination première de la Nouvelle-Zélande.
Il
a
été demandé
surer
leurs
Santé
des
aux
médecins cités plus haut de continuer d'as¬
services, en attendant que leur rapatriement puisse être
réalisé, ce rapatriement étant nécessité aux yeux du gouvernement
local par la position adoptée par ces officiers. Ceux-ci ont accepté
pour assurer la continuité des services sanitaires de la colonie, sous
réserve qu'aucune modification de cette position ne leur soit impo¬
sée et qu'ils ne reconnaîtraient l'autorité d'aucun Chef du Service de
Santé nommé par les autorités ralliées au Comité de Gaulle. Ils ont, de
plus, demandé à être autorisés à câbler à l'Inspecteur du Service de
Colonies pour demander des
instructions. CELA LEUR A
ETE REFUSE.
Tous les officiers du service de santé colonial protestent
énergi-
quement contre les mesures prises localement à l'égard du service de
santé et ils tiennent à assurer le Gouvernement Français de leur fidé¬
lité et de leur confiance. Ils sollicitent des instructions qui leur per¬
mettent de normaliser une situation dont le dénouement risque à tout
instant de compromettre la mission d'assistance médicale qui leur a
été confiée dans
les
E.F.O.
Ils demandent si
leur attitude adoptée
dans le respect de la discipline demeure, quelles que
séquences,
en
soient ses con¬
accord avec les directives du Gouvernement Français.
Med. Cap. Pujo (Arch, des Marquises)
Med. Cap. Rosmorduc
Med. Lt. Foucard
Med. Lt. Mille
Med. Lt. Fagot en mission Iles S. le Vent)
Med. Lt. Loison (Arch, des Marquises)
Pharm. Lt. Petard
1
-
qui est
C'est
ce
second document, transmis par les Affaires Etrangères
parvenu au
Ministère des Colonies le 30 janvier 1941.
443
Société des
Études
Océaniennes
17
H.M.S. ACHILLEUS
14 septembre 1940
Dear Monsieur de
Géry,
I must thank you
for receiving me in such a friendly way last night.
that I wish we met under happier circumstances.
Bon voyage and may your luck soon turn. I am sure that your naval
friends will be very sympathetic when they hear what had happened in
I
can
say
Tahiti.
Yours
sincerly
PARRY
of warm clothing. I am afraid they are not at all elegant, but they will fill a gap till you can
get something better.
As
I understand you are probably short
C.F. doc. n° 17 bis
Bord Limerick le 16 septembre 1940
Le Gouverneur CHASTENET DE GERY
à
Monsieur le Capitaine de Corvette GRANGE,
Commandant la Marine dans le E.F.O.
Je
vous
prie de bien vouloir désigner
un
des officiers qui
nous ac¬
compagnent pour recueillir, à titre d'officier de police judiciaire, la
déposition de chacun des membres du détachement embarqué avec nous.
L'enquête devra porter principalement sur les points suivants :
sur chacun des gradés en question pour les faire adhé¬
rer au mouvement qui s'est développé à
Papeete au début de septem¬
bre 1940, faits particuliers à chacun d'eux ou événements parvenus à
leur connaissance digne d'être notés.
action exercée
444
Société des
Études
Océaniennes
Chaque officier devra fournir également
mêmes questions.
un
mémoire répondant aux
Le Gouverneur des E.F.O.
CHASTENET DE GERY
Suivant ordre de Monsieur le Gouverneur des E.F.O. en date du
16 octobre 1940 une enquête de police judiciaire a été ouverte afin de
déterminer l'attitude des éléments de la Marine à Papeete au cours du
début de septembre 1940. Cette enquête s'est bornée à recueillir,
durant la traversée PAPEETE-VANCOUVER, les déclarations des 15
sous-officiers ou Quartiers-Mai très embarqués d'autorité sur le cargo
"Limerick" le 14 octobre à destination du CANADA, en même temps
que
nant
M. LE GOUVERNEUR, le Capitaine de Corvette GRANGE, le Lieute¬
de Vaisseau LAHAYE et l'Ingénieur Mécanicien HUE.
Les Gradés sont
:
1er Maître
-
Maitre
-
Maitre
-
2è
BATTAGLIA
TREBAOL
(GICQUEL - GOURVES - PAUGAM MORHANGE - REUSCH - CHARPEN¬
TIER - GELEBART - GRENOUILLER
et
Quartiers-Maitres
GUILLOUX)
GIDOUIN
BERT
-
HÉILLES
-
POTTIER et
Leurs déclarations sont résumées dans le présent compte-rendu.
On rappellera d'abord que les unités de la Marine présentes à ce
Tahiti étaient placées sous le commandement du capitaine
de Corvette Grange ayant comme Adjoint le Lieutenant de Vaisseau de
réserve pilote d'avion Gilbert. Elles comprenaient: une base d'avia¬
moment à
tion à l'effectif d'environ 50 hommes commandés par le Lieutenant de
Vaisseau pilote Lahaye et la vieille canonnière mixte "ZELEE"(Ensei-
de Vaisseau de réserve Praud). Un détachement d'environ 50 hom¬
également provenant de l'aviso "DUMONT D'URVILLE",en instan¬
ce de rapatriement, mais immobilisé
par les événements, était, depuis
le mois de juillet à peu près, en substance à la base d'aviation. Un
officier du "DUMONT D'URVILLE" l'Ingénieur Mécanicien de 1ère
classe Hue se trouvait dans ces conditions retenu à Papeete.
gne
mes
Quel était tout d'abord, au moment des événements l'état d'esprit
et celui de la population à Papeete ?
de la Marine
445
Société des
Études
Océaniennes
Il est signalé par les Quartiers-Mai très, Helles,Bert et Pottier, qui
vivaient plus intimement avec l'équipage, qu'un certain Quartier-Maitre
Pommier,soutenu par ses camarades Delefosse et Perragu, parlait
fréquemment du Général de Gaulle dont il possédait une photo dans
son caisson et dont il prônait l'action. Cette activité, suite de l'ef¬
fervescence qui s'était produite en juin en faveur de la continuation
de la guerre aux côtés de l'Angleterre,.n'a pas attiré de façon autre¬
ment spéciale l'attention des Sous-Officiers. Le Maitre Battaglia, les
Seconds-mai très Gelebart et Morhange indiquent seulement que les
Quartiers-Mai très mentionnés plus haut fabriquaient des Croix de
Lorraine un peu partout dans le centre et qu'ils auraient eu, ajoute le
Second-Maitre Charpentier, des conciliabules avec le Second-Maitre
Legall et les Quartiers-Maitres Leloch et Revault.
Un fait mérite pourtant de retenir l'attention dans les dépositions
du Maitre TREBAOL et du Quartier-Maitre BERT qui, en parlant de l'ac¬
tivité du Quartier-Maitre POMMIER, indiquent incidemment qu'il fut
rencontré à plusieurs reprises en compagnie d'un certain G. WALKER,
équivoque, de nationalité anglaise, propriétaire d'un chan¬
aurait appartenu
valeur du rensei¬
gnement en question est de permettre un recoupement avec d'autres
indices recueillis par les autorités locales, qui laissent supposer
certaines influences étrangères occultes dans le déclenchement du
personnage
tier de constructions navales voisin du centre, qui
au Consulat britannique il y a plusieurs années. La
mouvement.
Quant à la population civile avec laquelle les déclarants, dans la
petite agglomération de Papeete, vivaient en contact assez étroit, il
n'apparait pas qu'elle fut travaillée d'avance de façon particulière¬
ment active ou qu'elle manifestât des dispositions spontanées en
faveur du rattachement à l'Angleterre. C'est surtout
Dar
des réminis¬
postérieures aux événements que certains ont rattaché à ceuxci divers propos surpris ou divers faits constatés.
cences
Ainsi
le Second-Maître PAUGAM avait vaguement entendu dire peu
"qu'on serait bientôt ravitaillé en vivres et en marchandises
grâce à DE GAULLE". Le même avait été pressenti
discrètement par M. Yves MARTIN (fils du Conseiller privé MARTIN et
beau-frère du Lieutenant de Vaisseau GILBERT) sur son attitude éven¬
tuelle si la colonie se rattachait à DE GAULLE.
avant
de toutes sortes
A part cela, tous déclarent que ce n'est que le 31 août ou même le
1er septembre qu'ils ont appris qu'un mouvement était en cours en fa¬
veur
de
ce
rattachement,
sous
la forme d'un plébiscite populaire.
446
Société des
Études
Océaniennes
Il convient pour la clarté de l'exposé, de suivre maintenant l'ordre
chronologique des événements.
Le samedi 31 août tout à fait à la fin de' la
de
la
population
va sommer
matinée, une délégation
le Gouverneur de prendre l'initiative du
mouvement ou tout au moins d'autoriser un
des îles Tahiti
référendum des habitants
Or, il apprend que ce référendum est déjà
lancé dans les districts depuis le matin (1er Maître BATTAGLIA Second-Maitre GRENOULLER).
et Moorea.
Les signatures des marins de la base sont sollicitées par le
Quartier-Maître POMMIER dès avant le déjeuner, puis dans l'aprèsmidi. Ceci à l'insu des Sous-Officiers, ce qui explique que, après le
déjeuner,
chissant
il rentre au centre
non par
la clôture (Quartiers-Maitres
la porte d'entrée mais
:
POTTIER
-
HEILES
-
en fran¬
BERT -
GIDOUIN).
Aux marins hésitants, le Quartier-Maitre POMMIER déclarait qu'ils
étaient couverts par le Lieutenant de Vaisseau GILBERT qui était con¬
sentant,ayant signé lui-même et par le Commandant GRANGE qui était
favorable. Le Quartier-Maitre BERT, qui rapporte le fait, ajoute qu'on
faisait valoir à la population tahitienne la nécessité de signer "pour
avoir du pain" (allusion au fait que la colonie avait manqué de farine
pendant trois semaines, par suite du retard d'un navire ravitailleur
venant d'Australie. On tendait à faire croire ainsi faussement aux
Tahitiens que le ravitaillement de la Colonie était menacé, par repré¬
sailles de l'Angleterre, tant que ceux-ci ne se seraient pas ralliés).
Prévenu aussitôt par des intermédiaires qu'a alerté le QuartierMaitre BERT, le Commandant GRANGE se rend au centre et prévient
les gradés de service que les manifestations politiques étant interdi¬
tes, les signataires des listes sont passibles de 30 jours de prison
(Second-Maitre GICQUEL). Le Lieutenant de Vaisseau LAHAYE inter¬
vient à son tour et prend les clés de l'armurerie (Second-Maitre GIC¬
QUEL).
Le Quartier-Maitre BERT déclare que ce même jour,vers 17 heures
15, il a surpris une conversation entre les Quartiers-Maitres LELOCH
(Radio) LAMMER et DUC, d'où il résultait
seau
être
que
le Lieutenant de Vàispuisse
GILBERT avait donné des ordres pour qu'aucun radio ne
émis,par le poste de la Zélée,à destination du Dumont d'UrviIle
le poste. Il importait
l'aviso fut maintenu dans l'ignorance des événements.
alors à Nouméa, et qu'il fallait au besoin saboter
que
le Quartier-Maitre BERT, fit ap¬
Second-Maitre Radio GOURVES, lequel confirme les faits, pour
Le Commandant GRANGE avisé par
pel
au
447
surveiller le poste
sage
de la Zélée et au besoin le remettre
fut passé dans la nuit en présence des Officiers.
lendemain
Le
matin,
dimanche 1er septembre,
en
état. Le
mes¬
le Commandant
GRANGE et le Lieutenant de Vaisseau LAHAYE rassemblent l'équipage
au centre à 8 heures. M. LAHAYE donne lecture d'un ordre du service
du Commandant,précisant l'interdiction aux marins de participer au
mouvement en cours et
ensuite les hommes
tre
BATTAGLIA
-
au
les sanctions encourues.Le Commandant exorte
calme et au respect de la discipline (1er Mai-
Second-Maitre
GRENOUILLER
-
Second-Maitre CHAR¬
PENTIER). M. LAHAYE fait doubler les factionnaires et surveiller spé¬
cialement l'armurerie.
lundi
Le
2
septembre, dès le matin, le Lieutenant de Vaisseau
LAHAYE s'entretient avec les gradés, fait rappeler les permission¬
naires et rentrer les corvées extérieures (1er Maitre BATTAGLIA).
Vers 14 heures 20, une délégation menant une manifestation popu¬
laire s'empare du Gouvernement. Un Gouvernement provisoire est pro¬
clamé
vers
15 heures.
Le Lieutenant de Vaisseau
GILBERT escorté
d'une bande de civils comprenant surtout
bot Ville d'Amiens, envahit la résidence
des marins mutinés du paque¬
du Commandant de la Marine,
celui-ci est maintenu prisonnier sous la garde de civils. Le 1er Mai¬
tre BATTAGLIA - Second-Maitre GUILLOUX-Quartier-Maitre BERT).
Peu
après, le Lieutenant de Vaisseau GILBERT accompagné du
Quartier-Maitre POMMIER et escorté des mêmes civils, dont plusieurs
noirs de la Ville d'Amiens, arrive à la base où, au personnel ras¬
semblé
il tient le discours suivant qui a été reconstitué aussi exac¬
,
tement
que
possible
par
la collaboration des 15 déclarants
:
"Mes amis, le Gouverneur n'ayant pas voulu se rallier au Comité
GAULLE, un Gouvernement provisoire vient d'être proclamé. Le
s'étant retiré, un triumvirat a été formé, composé
de MM. AHNNE, LAGARDE et MARTIN. Le nouveau Gouvernement vient
de me nommer commandant de la Marine. J'en prends immédiatement
DE
Gouvernement
les fonctions et les responsabilités.
Le Gouvernement de Vichy est couvert par le nom de PETAIN, le
grand soldat, que je suis le premier à saluer et à respecter. Mais vous
comprenez qu'étant donné son grand âge (84 ans),ce n'est qu'une cou¬
verture derrière laquelle se cachent ies volontés d'Hitler et de Mus¬
solini.
De quoi est composé le Gouvernement de Vichy ?
448
Société des
Études
Océaniennes
De
LAVAL, communiste en 1914, 100 fois millionnaire en 1940 ;
MARQUET, S.F.I.O. en 1936, fasciste maintenant ; des Marcel DEAT
celui même qui repoussa les projets d'augmentation de l'aviation.
de
Ainsi
une Commission de Contrôle allemande est arrivée à
DAKAR,
jours après cette Commission s'était emparée de tous les roua¬
ges de la Colonie. C'est le sort qui nous était réservé si nous n'a¬
vions pas rallié le Comité DE GAULLE.
dix
D'ailleurs, nous avons été trahis de tous les côtés par la fameuse
5ème colonne, les communistes et les cagoulards. Ainsi les membres
de la 5ème colonne se présentaient devant les préfets comme agents
de liaison du commandement et faisaient évacuer les villes.
Il y a deux mois, le Commandant GRANGE, le Gouverneur et le
Commandant du Dumont d'Urville étaient d'accord pour rallier la Co¬
lonie au Comité DE GAULLE si une grande colonie le faisait. Pour¬
quoi maintenant
ne
sont-ils plus de cet avis ?
L'A.E.F., le TCHAD, les NOUVELLES-HEBRIDES, le CAMEROUN se
déjà ralliés. A TAHITI nous n'avons encore rien fait.
sont
Notre geste est évidemment un GESTE SYMBOLIQUE, mais la Colo¬
nie fournira un corps expéditionnaire dont je serai d'ailleurs le premier
volontaire. J'ai
Angleterre
frère Capitaine aviateur, qui est
un
certainement
en
en ce,moment.
Dimanche le Commandant
parlé. Il vous a présenté notre
politique. Ce n'est pas un mouvement politique ni
d'intérêt personnel. Ne pensez-vous pas qu'il serait mieux pour moi
de rester tranquille ?
vous
a
mouvement comme
On
vous a
dit,
en restant
fidèles
au
Gouvernement, d'être de bons
Français.
Pas
Français, le Général DE GAULLE qui s'est couvert de gloire,
ayant été le seul à résister victorieusement aux Allemands avec sa
division de tanks, qui avant la guerre avait réclamé une armée motoririsée et 10 000 avions ?
Pas
Français,
l'Amiral
MUSELIER,
le Général
BLANCHARD,
le
Général NOGUES ?
Vous, militaires, vous êtes des hommes libres. C'est à nous main¬
quelque chose. J'appliquerai à la base une discipline
ferme et sévère. Vous la subirez facilement car c'est une discipline
tenant à faire
librement consentie.
449
Société des
Études
Océaniennes
Ceux
ne
à
me
qui ne se rallieront pas au mouvement, et je ne force person¬
suivre, seront rapatriés par voie neutre et dans les plus brefs
délais,"
Cette allocution ainsi
reconstituée, et dont l'essentiel se retrouve
déposition du second-maitre GICQUEL, aurait été complétée
par certaines considérations politiques reproduites dans la proclama¬
tion du Gouvernement provisoire publiée dans le Bulletin de Presse de
la Colonie du 3 septembre.
Autour du Lieutenant de Vaisseau GILBERT se rangent aussitôt tous
les quartiers-maitres et marins, le quartier-maitre DELEFOSSE en tête
dans
la
seulement deux S/Officiers : les Seconds-Maitres LE GALL et VADURET. TOUS LES AUTRES OFFICIERS MARINIERS regagnent en silence
et
le poste
des Maitres où le Lieutenant de Vaisseau GILBERT les rejoint.
Là, il reprend pour eux son argumentation, invoque les circonstances
actuelles devant lesquelles doivent céder "les préjugés militaires et
les traditions de la Marine" (M. TREBAOL - S.M. GRENOUILLER) et an¬
nonce qu'il recevra individuellement les Officiers mariniers le lende¬
main matin pour recueillir leur réponse.
Au cours de ces entrevues, le mardi 3 septembre, chacun des gra¬
dés lui signifie son refus de le suivre, lui opposant souvent des argu¬
ments émouvants et lui assénant de dures vérités. Certains étaient
avisés des arrières desseins du mouvement pour lui repro¬
(Second-Maitre GICQUEL, Second-Maitre
PAUGAM). Il lui faut également reproché d'avoir trahi son Commandant
trompé ses camarades et déshonoré son uniforme - (Second-Maitre
REUSCH), d'avoir volé des documents à son Commandant - (QuartierMaitre BERT) de n'avoir à la base de son mouvement que des com¬
munistes et des francs-maçons - (Quartier-Maitre HEILLES).
déjà
assez
cher
ses
VUES POLITIQUES
De ces
seau
-
dépositions, il semble ressortir
que
le Lieutenant de Vais¬
GILBERT éprouva une certaine déception à constater, malgré les
leur fit valoir, que tous ces S/Officiers s'écartaient
lui, spécialement les deux pilotes du centre.
arguments qu'il
de
Bien qu'il ait affecté de ne
vouloir exercer sur les décisions de
pression, cette assurance semble contredire par l'inci¬
dent du Second-Maitre SAUGNAC. Au cours d'un exercice en vol, il
avait eu la main sectionnée par l'hélice d'un appareil et venait de
sortir de l'hôpital au moment des événements. Le Lieutenant de Vais¬
seau GILBERT souhaitait le garder avec lui, refusa de le laisser em¬
barquer sur le Limerick avec ses camarades et lui aurait déclaré que
s'il lui restait fidèle il lui assurait les soins nécessaires pour la
rééducation de son membre mutilé, sinon "qu'il le laisserait tomber".
chacun
aucune
450
Société des
Études
Océaniennes
les gradés qui
Tous
refusèrent d'adhérer
au
mouvement reçurent
l'ordre d'évacuer le centre.
Les Quartiers-Maitres
BERT, POTTIER et HEILLES rapportent que le
septembre, sans autre avis ni motifs signifiés, ils furent
conduits à la prison de la caserne
de l'Infanterie Coloniale, sur un
simple ordre du Lieutenant de Vaisseau GILBERT. Ce n'est qu'à force
de réclamations près des gradés de la caserne et du Capitaine BRO¬
CHE Commandant la Compagnie, qu'ils réussirent à être exemptés du
strict régime disciplinaire, à savoir qu'ils étaient punis "jusqu'à
nouvel ordre" et enfin à être reçus par le Lieutenant de Vaisseau
GILBERT. Celui-ci les libéra le 11 septembre seulement après avoir
informés que leur détention avait été motivée par l'opposition qu'ils
avaient faite à "son" mouvement et par leur fidélité à leurs officiers.
matin du 4
les
Ce n'est que le 12 septembre au soir,ou même
15 gradés interrogés reconnaissent avoir été
le 13 au matin,que
prévenus de leurs
embarquements sur Ie Limerick, à destination du Canada, pour le 14 au
matin.
Il reste enfin à extraire des dépositions recueillies certaines dé¬
clarations d'ordre divers.
Les premières ont trait à l'état d'esprit des gradés de l'Infanterie
Coloniale et du Capitaine BROCHE, Commandant la Compagnie, au
cours des incidents. Les Quartiers-Maitres BERT et HEILLES déclarent
qu'au cours de leur incarcération à la prison de la caserne ils ont
s'entretenir avec divers S/Officiers et avec le Caporal LUCIANI
de qui ils ont recueillis les renseignements suivants :
pu
Le 2 ou le 3 septembre le Capitaine BROCHE aurait rassemblé sa
Compagnie et lui aurait dit que,pour eux,il n'était pas question de
politique mais de se joindre au mouvement de GAULLE pour défendre la
France, qu'il aurait aussi réuni le personnel européen en présence du
Lieutenant de réserve RAVET,pour s'assurer que tous étaient décidés
à le suivre et qu'au cours de cette réunion le Caporal LUCIANI aurait
demandé des explications sur le vol de documents dont était accusé
le Lieutenant de Vaisseau GILBERT.
que,dès le samedi 31 août, parlant à son Commandant des
lesquels il pouvait compter, le Quartier-Maitre BERT lui au "Quant à la caserne, n'en parlons pas, BROCHE est avec
A noter
gens sur
rait dit
:
eux".
De
tembre
son
côté, le 1er-Maitre BATTAGLIA déclare que le lundi 2 sep¬
vers
14 heures,
il
se trouve
dans le bureau du Commandant
451
Société des
Études
Océaniennes
GRANGE, pour une communication de service, quand arriva le Capitaine
BROCHE. Au cours de l'entretien entre les deux Officiers il entendit
le Capitaine BROCHE affirmer au Commandant "qu'il n'y aurait aucun
homme à marcher contre le mouvement".
Enfin,
du
qui concerne l'emploi de la force par les instigateurs
insurrectionnel du 2 septembre, les déclarations
en ce
mouvement
et
suivantes doivent être relevées
:
Peu de jours avant le départ du Limerick, le Second-Maitre CHAR¬
PENTIER, dit qu'il eut l'occasion de s'entretenir avec le chauffeur du
Gouvernement. Celui-ci déplorait les événements et la façon dont
était traité le Gouverneur qui était prisonnier au Gouvernement. Il ajou¬
ta
que
Papeete
des armes avaient été réparties et cachées aux environs de
en vue de réprimer toute action contre le ralliement à de GAUL¬
LE.
Le Second-Maitre MORHANGE rapporte qu'un matelot, resté à la
base, aurait confié à un de ses camarades que des mitrailleuses étaient installées sur le terre-plein du centre et que chaque homme y
couchait avec son fusil à proximité, en vue de repousser une éventuel¬
le attaque de l'ingénieur-Mécanicien HUE et des officiers mariniers non
dissidents.
Dans
le même ordre d'idées, enfin, le Second-Maitre REUSCH ra¬
11 septembre, il a rencontré un marin du paquebot
L'équipage de ce navire était en rebellion contre
l'Etat-Major du bord et sa mutinerie avait nécessité par deux fois la
réquisition de la troupe par les autorités locales. Ce marin, que le
Second-Maitre REUSCH sut par la suite se nommer JOUVE et être un
des meneurs de La Ville d'Amiens, lui déclara'qu'ils
avaient bien
fait de ne pas réagir car il avait toute autorité pour rallier tous les
noirs de La Ville d'Amiens et les ramasser". C'est en effet sur ces
extrémistes que se sont appuyés les instigateurs du coup de force
pour faire aboutir leur mouvement.
conte que
le 10
Ville d'Amiens
ou
.
452
Société des Études Océaniennes
18
Vichy 8 août 1940 à Gouverneur Papeete
Diplomatie informe Consul Suède GILBERT admis
retraite sera pas remplacé
LEMERY
18
bis
Paris 28 mai 1938
Gouverneur Papeete
55
-
le
-
Sénac réparation équitable je vous serais obligé de
Adjoint Principal hors classe
En vue accorder
nommer
Prière câbler décision.
MANDEL
/
Papeete 1er juin 1938
Colonies Paris
Suis désireux marquer sollicitude Sénac mais promotion suggérée
53
en opposition formelle disposition arrêté local 31 juillet 1931 ne man¬
quera pas soulever légitimes protestations et
poursuites conten-
tieuses.
De
56
-
Géry
Gouverneur Papeete
Paris 2 juin 1938
- J'ai promis nommer Sénac - Il faut donc le faire - Mais
difficultés que redoutez je vous prie de vouloir bien prendre un
arrêté modifiant un arrêté du 31 juillet 1931.
Réponse 53
pour
MANDEL
Papeete 3 juin 1938
Colonies Paris
jour arrêté modifiant art. 21 arrêté 31 juillet 1931
adjoint principal en faveur de fonction¬
naires ayant rendu services exceptionnels - Prière câbler double ap¬
probation : 1' Modification de ce texte - 2' Nomination Sénac qui sui¬
54
-
Je
prends
ce
permettant nomination directe
vra.
De
Géry
453
Société des
Études
Océaniennes
Paris 11 juin 1938
Gouverneur Papeete
59
Réponse 54 - J'approuve modification arrêté 31 juillet 1931 ainsi
nomination Sénac.
-
que
Paris 13 juin 1938
Gouverneur Papeete
61
Adjoint Sénac rejoindra prochainement Tahiti - Je vous
lui maintenir affectation antérieure archipel Tuamotu.
-
prie de
MAN DEL
Bulletin de Presse du 4 septembre 1940
PROCLAMATION
du
Gouvernement Provisoire
ce
de
septembre 1870, après la capitulation de Sedan, la déchéan¬
l'Empire et l'avènement de la 3e République étaient proclamés
la volonté nationale.
Le 4
par
septembre 1940, la population de Tahiti affirmait la volonté
régime républicain démocratique en se ralliant au
Gl DE GAULLE et à l'Empire Britannique.
Le 2
de rester fidèle au
Pour commémorer ces deux
événements, le Gouvernement Provisoi¬
décidé que le 4 septembre 1940 sera jour férié. Les bu¬
reaux
et chantiers de l'administration seront fermés. Les maisons
de commerce sont invitées à suivre cet exemple. Les établissements
scolaires seront fermés. Les établissements publics seront pavoisés.
re
de Tahiti
a
gouvernement provisoire invite toute la population à célébrer,
le calme et la dignité dont elle a fait preuve jusqu'à présent,
anniversaire qui, tout en étant jour de fête, doit être également un
Le
avec
cet
jour de deuil, en songeant à l'affliction et aux misères de
opprimée par les régimes hitlériens et fascistes.
LE CONSEIL
la France
(Sic) PROVISOIRE
Ed. Ahnne. Lagarde, Martin, Bambridge.
454
Société des
Études
Océaniennes
20
Bulletin de Presse du 3 septembre 1940
AVIS A LA POPULATION
Répondant au sentiment intime de toute la population de la Colo¬
nie, Monsieur le Gouverneur promettait, le 25 juin 1940, le rattache¬
ment des E.F.O. à nos ALLIES pour continuer la lutte contre l'envahis¬
seur.
avis à la population paru au Bul¬
25/6, n'était suivi d'aucune réalisation effective.
Cette promesse, diffusée par un
letin de Presse du
Bien
au
contraire
:
1) Le Gouvernement local recevait et acceptait de recevoir du Gou¬
Vichy des ordres dont l'origine allemande se révélait de
plus en plus. Ces dernières semaines, cette soumission du Gouverne¬
ment de Vichy éclatait dans la forme de ces télégrammes dont cer¬
tains commençaient par: "sauf autorisation du Gouvernement allemand",
et ne tendaient rien moins qu'à des actes d'hostilité vis à vis de nos
ALLIES : "Saisie des bateaux alliés ou renseignements sur leur desti¬
nation, refus de visa de sortie des ressortissants des pays envahis
par l'Allemagne".
2) Le Gouvernement local passait à l'application des textes de
Vichy, textes accompagnés de menaces de sactions immédiates.
3) Les circonstances de l'Armistice et les conditions acceptées
par le Gouvernement de capitulation nous étaient peu à peu connues,
il devenait évident que : a) cette capitulation a été signée avant que
tous les moyens de résister aient été épuisés ; b) Cette capitulation
a mis dans les mains de nos ennemis qui vont les utiliser contre nos
ALLIES, nos armes, nos bateaux, notre or ; c) L'espoir du Maréchal
PETAIN, de voir mettre fin aux hostilités de façon honorable et de ne
se voir pas proposer des conditions d'Armistice déshonorantes, était
déçu; d) Le Gouvernement de Vichy apparaissait de plus en plus réduit
à un état de complète soumission à l'ennemi qui lui enlevait toute
liberté et tout droit de représenter les Français Libres.
vernement de
succession de faits, un Comité d'action, pour une
formait le 24 août, le Gouverneur refusait toujours de
faire un acte de rattachement officiel au Gouvernement de la France
Libre, autorisait sous la pression de l'opinion publique, un plébiscite
local. Malgré sa promesse de neutralité faite au Conseil Privé, il
laissait partir un appel d'alarme lancé par le Commandant de la Marine
"Dumont d'Urville" et à l'Amirauté française, et des menaces de
Devant
France
cette
libre,
se
sanctions contre les
militaires/ou marins qui avaient exprimé le désir
455
Société des
Études
Océaniennes
France Libre.
Aujourd'hui 2 septembre, anniversaire de l'ouverture des hostili¬
tés contre les Etats fascites d'Europe, le résultat de ce plébiscite a
été transmis à Monsieur le Gouverneur.
La population unanime de Tahiti a déclaré approuver le manifeste
du Comité "FRANCE LIBRE", et par 5564 suffrages contre 18, a décidé
de reconnaitre le Comité du Général de Gaulle comme Gouvernement
de la France Libre et décidé de poursuivre la lutte aux côtés de nos
de continuer à combattre pour une
ALLIES.
voulant pas couvrir de son nom la manifestation
l'opinion d'une colonie unanime, s'est démis de ses fonctions.
Le Comité a offert à MM. AHNNE, LAGARDE, MARTIN, membres
du Conseil Privé, et à M. BAMBRIDGE, maire de Tahiti et Président des
D.E.F, de remplacer le chef de la colonie défaillant. Ils ont accepté
la charge de former un Gouvernement Provisoire.
Leur programme se résume en les points suivants :
1) Reconnaissance officielle du Gouvernement du Général de Gaul¬
le qui nous désignera alors un Gouverneur de son choix à qui le Gou¬
vernement provisoire local remettra ses pouvoirs :
2) Abrogation immédiate de tous les actes du Gouvernement de
Vichy parus au Journal Officiel de la colonie, et rupture officielle
des relations avec le Gouvernement de la France envahie. Rétablis¬
sement de la République Française.
3) Mesures intérieures de sûreté comportant surveillance des res¬
sortissants allemands, des éléments fascistes, de tous individus sus¬
ceptibles de créer une agitation malsaine. Aucune atteinte à la liberté
individuelle ne sera maintenue et le nécessaire sera fait, pour que les
Le Gouverneur ne
de
désireuses d'être rapatriées le soient, dès que possible,
voie neutre.
4) Changement de direction politique dans la Colonie par la repri¬
des relations diplomatiques avec le Gouvernement anglais et la
personnes
par
se
Consulat.
5) Redressement économique de la colonie par la reprise des rela¬
tions économiques avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie et par la
réorganisation du service des Affaires politiques et économiques.
réouverture du
Le
Comité de la France Libre
dans les Etablissements
français d'Océanie.
456
Société des
Études
Océaniennes
21
BRITISH
CONSULATE
French Oceania
PAPEETE TAHITI
1 st Septembre 1940
Excellency,
that, in compliance with your request
letter n° 73 of 24th July 1940 and as subsequently agreed
to by His Britannic Majesty's Governments in Great Britain. Australia
and New Zealand, I have to-day reopen
the British Consulate at
I
have honour to inform you
to me in your
Papeete.
May I assure Your Excellency that, as a liaison betwen yourself and
the Prime Ministers of Australia and New Zealand, the services of this
consulate are unreservedly ar Your disposal. I count it a special privi¬
lege that, by virtue of the status to which I have been appointed, the
wellbeing of French Oceania may now be one of official as well as
personal concern.
beg to take this opportunity of thanking Your Excellency in the
manner possible for Your kindly courtesy ans goodwill during
the négociations of the past few weeks.
It would appear that the per¬
sonal cooperation which we have been able to enjoy has resulted in
the satisfactory solution of the major problems by which we where
faced in the matters of finance, shipping and foodstuffs.
I
sincerest
or agreement has been reached between our respective
which I feel sure, has brought us mutual satisfaction,
and which must continue to have a marked effect on the welfare of
French Oceania.
.
I have the honour to be. Sir,
Your Excellency's most humble obedient servant,
Signé : F. EDMONDS
H.B.M. Consul
A
mesure
Governments
457
Société des Etudes Océaniennes
22
PIECE 9-10
Compagnie autonome d'infanterie coloniale de Tahiti
9 N° 656
Demande de câble
Destinataire Monsieur le Lieutenant Colonel Commandant Supérieur des
Troupes du Pacifique à Nouméa
S/c de Monsieur le Gouverneur des E.F.O.
TEXTE
Population Océanie et autorités unanimes continuer lutte.
:
Demande instructions.
Papeete le 24 juin 1940
Le
Capitaine BROCHE Commandant la Cie
autonome
d'Infanterie Coloniale de Tahiti
Signé
:
BROCHE
10 N° 675
Demande de câble
Monsieur le Lieutenant Colonel Commandant Supérieur
des Troupes du Groupe du Pacifique à Nouméa.
S/c de Monsieur le Gouverneur des E.F.O.
Destinataire
TEXTE
:
:
Capitaine BROCHE offre démission pour continuer services
Allemagne, Nombreux volontaires à Tahiti. Demande
contre
instructions.
Papeete 29 juin 1940
Capitaine BROCHE Commandant la Cie
autonome d'Infanterie Coloniale Tahiti
Signé : BROCHE
Le
458
Société des
Études
Océaniennes
23
Cie Autonome d'Infanterie Coloniale de Tahiti
Lettre
Comité
au
du
Gouvernement
3 septembre 1940
Provisoire
des
Etablissements
Français d'Océanie
A la suite de la convocation que vous m'avez adressée hier aprèsmidi et à laquelle je me suis rendu, accompagné de Monsieur l'Inten¬
dant MANSARD et du Capitaine HOUSSIN, vous m'avez signifié ce
"La population de Tahiti et de Moorea consultée depuis
a manifesté à une majorité écrasante (5560 voix contre
18) sa volonté d'adhérer au Comité du Général de Gaulle pour continuer
la lutte contre l'Allemagne et l'Italie aux côtés des colonies libres
de l'Empire Français et avec l'aide des Britanniques, Les assemblées
élues, les notables, tant européens que tahitiens prennent la tête de
ce mouvement. Quelle sera l'attitude de l'année à Tahiti ?
qui
suit
:
samedi dernier
Ma
réponse a été la suivante :
Les
militaires de la Compagnie autonome d'infanterie coloniale de
sont restés jusqu'ici dans une expectative stricte et ne sont
Tahiti
intervenus
façon au cours des dernières manifestations.
carrière, les cadres de réserves et les
tahitiens actuellement en service à la Compagnie désirent
en
aucune
Les militaires et les cadres de
soldats
tous continuer la lutte contre les ennemis de notre patrie. Aucune
considération d'ordre politique ou économique ne nous guide.
Si cette volonté de continuer la lutte pour sauver notre pays est vrai¬
partagée par la population de la colonie, rien ne s'oppose à ce
donnions notre adhésion au mouvement sous les réserves
suivantes que j'ai l'honneur de vous rappeler :
1) Aucune violence ne sera exercée contre la personne de Monsieur le
Gouverneur, de Monsieur le Capitaine de Corvette Commandant la
Marine, des Officiers et de toutes autres personnes qui n'ont pas
ment
que
nous
adhéré
2) En
au
mouvement.
aucun cas,
les militaires de la Compagnie autonome d'Infanterie
coloniale de Tahiti ne seront appelés^à faire usage
contre d'autres Français quels qu'ils soient le cas de
se et le maintien de l'ordre public exceptés.
de leurs armes
légitime défen¬
3) Il est demandé au nouveau gouvernement de proposer l'envoi d'un
corps expéditionnaire d'un effectif de 1 000 hommes (un bataillon d'in¬
fanterie à 4 compagnies), entrant dans la composition d'un corps expé¬
ditionnaire français du Pacifique.
459
Société des Etudes Océaniennes
4) Dans cette éventualité, il est formellement stipulé que le corps ex¬
péditionnaire, unité française, sous le drapeau français, commandé par
des cadres français, sera employé uniquement contre les ennemis de
notre pays, en collaboration et suivant les ordres, éventuellement, des
autorités militaires britanniques.
5) Les allocations militaires, continueront à jouer de la même façon
qu'auparavant en faveur des militaires mobilisés.
6) Le gouvernement provisoire prend à sa charge les dépenses d'ordre
militaire de la C.A.I.C.T.
7) Monsieur l'Intendant Militaire MANSARD est chargé
l'Armée coloniale au sein du Gouvernement Provisoire.
de représenter
Papeete le 3 septembre 1940
Capitaine BROCHE Commandant la
Compagnie Autonome d'Infanterie Coloniale de
Le
Tahiti.
460
Société des
Études
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Le
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 187-188-189