B98735210103_170.pdf
- Texte
-
BULLETIN
DE
LA
Société des Ëtirdes Océaniennes
TOME XIV
N° 9
N° 170 MARS 1970
Société des
Études Océaniennes
CONSEIL d'ADMINISTRATION
Mr. Henri
Président
JACQUIER
Mr. Bertrànd JAUNE Z
Vice-Président
Melle Janine LAGUESSE
Secrétaire
Mr. Yves MA LARDE
Trésorier
ASSESSEURS
:
Mr.
Adolphe AGNIERAY
Me.
Rudolph BAMBRIDGE
Cdt Pierre JOURDAIN
Mr. Paul MOORGAT
Mr. Teraariî TEAI
Mr. Raoulx TEISSIER
Mr. Maco TEVANE
Pour être reçu Membre de
membre titulaire.
la Société
se
faire présenter
par
un
Bibliothèque.
Le
Conseil
d'Administration
informe
ses
membres
peuvent emporter à domicile certains livres de la
qu'ils
Bibliothèque
signant une reconnaissance de dette aif cas où ils ne ren¬
draient pas le livre emprunté à la date fixée. Les autres peu¬
vent être consultés dans la Salle de lecture du Musée.
en
La
Biblrôthèque et la salle de lecture sont ouvertes
membres de la Société
le Dimanche.
tous
aux
les jours, de 14 à 17 heures, sauf
Musée.
Le Musée
à 17 heures.
est ouvert tous
les
jours, sauf le dimanche de 14
BULLETIN
DE
LA
Société des Etudes Océaniennes
POLYNESIE ORIENTALE
TOME XIV No 9
No 170 Mars 1970
SOMMAIRE
Compte rendu de l'Assemblée Générale du 16
décembre 1970
ANTHROPOLOGIE
-
Théorie rapaienne de
Allan HANSON
la
conception par F.
TOURISME
-
Une ascension à Tahiti
par
Lucien
GAUTHIER
TOPONYMIE
-Un
coin
du
district d'Arue
par
S.
BARON
ARCHEOLOGIE
-Rapport sur la mise en valeur du pétroglyphe de la vallée de Tipaerui et sur la dé¬
couverte
d'autres gravures par C. BESLU
DIVERS
-
Inauguration
au
Jardin Botanique
d'une pla¬
que a la mémoire de Harrisson SMITH par
H. JACQUIER.
HISTOIRE LOCALE
-
Corsaires du Grand Océan, l'héroisme méconnu
d'un Tahitien par Temarii TE AI.
Société des
Études
Océaniennes
Société des
Études
Océaniennes
Procès vebal
de l'assemble
generate
du 16 Décembre 1969
L'Assemblée a
séance est
La
sents et
17
eu
lieu dans la salle de lecture du Musée.
ouverte
Etaient presents parmi
nistration :
Mr. H. JACQUIER
Mr. B. JAUNEZ
Melle. J. LAGUESSE
Mr. Y. MALARDE
Cdt. P. JOURDAIN
Mr. R. TEISSIER
Mr. T. TE AI
Mr. M. TEVANE
Mr. P. MOORGAT
Absent
:
à
17h30,
37 membres
sont
procurations déposées.
les membres du
pré¬
conseil d'admi
Président
-
-Vice-Président
-Secrétaire
-Trésorier
-
Mr. R. BAMBRIDGE,
Le Président donne lecture de
Mesdames,
Messieurs,
Assesseur
excusé,
son
en voyage.
rapport de fin
d'exercice
:
Il y a deux ans nous célébrions ici le cinquantenaire
de
Société d'Etudes Océaniennes. Nous avions même eu la
grande satisfaction de saluer à cette occasion un des mem¬
bres fondateurs assistant à cette réunion : la Princesse
la
TEKAU.
de
Aujourd'hui voici
notre
croisière
centenaire.
vers son
Société s'acheminant à
vitesse
Sans doute
serait-il prématuré de vous donner rendezpour le 1er Janvier 2017. Je peux vous dire que
très certainement bien avant cette date, nous serons ins¬
tallés ailleurs et d'une façon décente.
En effet, commeous l'avez sans doute appris le Con¬
seil du Gouvernement et l'Assemblée ont
adopté le princi¬
vous
ici
de la création d'un nouveau Musée, plus exactement
" Centre d'Etudes des Sciences Humaines " sur un
terrain acquis par le Territoire à Punaauia à l'embouchu¬
re de la rivière Punaaruu.
Un comité dont le Président est le Gouverneur et dans
lequel figurent le Président et le Trésorier de la Société
des Etudes Océaniennes a été formé et s'est
déjà réuni à
plusieurs reprises.
pe
d'un
276
Société des
Études
Océaniennes
Prévost et Régault sur
Mr Bengt Danielson
et Madame Lavondés ont été examinés, corrigé s et remanié s.
Actuellement, on étudie le système d'administration
qui pourrait convenir pour un tel centre lequel compren¬
drait oûtre le Musée proprement dit, une salle de conféren¬
plans dressés par MMrs
Des
les indications de
ce
et
muséologues
de projection,
comme
des laboratoires, des logements pour
les chercheurs de passage etc...
-Trois solutions seraient possible :
I) - la formule administrative
-2)-la formule donation
3)-la formule Association.
-
Pour des raisons
écartée d'emblée
Reste donc la
budgétaires la première solution a été
de donateur la seconde également.
et faute
troisième.
fait pas de doute que notre Société qui apportera
avec ses collections et sa bibliothèque à peu près tout l'ac¬
tif de ce " Centre des Sciences humaines ' devrait jouer
Il
ne
rôle en proportion dans son administration.
J'ai présenté à ce sujet une suggestion où la Société
d'Etudes Océaniennes serait locataire des locaux qui lui
sont nécessaires pour un loyer qui pourrait être de prin¬
un
cipe.
L'administration de tout le
centre pourrait se
faire un
co-propriëté, c'est-à-
peu comme celui d'un immeuble en
dire par des représentants du Gouvernement,
de l'Assem¬
blée, de l'Orstom et de la S.E.O.
Pour cela il serait indispensable que notre Société ré¬
gie jusqu'ici par des statuts inspirés de la loi de 1901 sur les
sociétés puisse être reconnue d'utilité publique par le Con¬
seil d'Etat.
J'ai
eu
l'occasion d'étudier avec Me Coppenrtfth, notre
modalités de cette demande de recon¬
avocat-conseiller les
naissance qui, il faut le reconnaître
Je ne tiens pas ici
à vous énumérer
sont assez longues
une liste fastidieuse
mais schématiquement disons qu'il faut tout d'abord modi¬
fier les statuts de façon à les rendre conformes à un mo¬
dèle type. Les nouveaux statuts devant être approuvés
au
cours d'une assemblée générale extraordinaire convo¬
quée à ce sujet. Je peux vous dire d'ailleurs que ces modi¬
fications ne seront pas importantes étant donné que Me de
Montlozun, ancien Procureur et Président de la S.E.O. et
Me de Montluc qui avaient élaboré les statuts actuels en
1949 avaient déjà pensé à une éventuelle reconnaissance
en
utilité publique. Je demanderai seulement à tous nos
sociétaires résidant dans le Territoire de bien vouloir
assister à cette réunion afin d'atteindre le " quorum re¬
quis ".
La seconde
plète
et
formalité
consiste
leur
dans
com¬
Société aus¬
résidant à Tahiti qu'en France et à l'Etranger
qualité, leur adresse exacte et leur âge.
cet ordre d'idée je vous demanderai aussi de bien,
si bien ceux
avec
à dresser la liste
détaillée de tous les membres de notre
277
vouloir
répondre à
dressée
sous
une lettre circulaire
qui vous sera a-
peu.
ces formalités sont un peu longues, je ne pense pas
autant que les bâtiments du nouveau musée soient achevés avant la reconnaissance d'utilité publique.
Mais revenons maintenant à des considérations plus
Si
pour
pratiques.
BULLE TIN, Comme vous avez pu le constater notre Bulletin qui est
baromètre de notre activité a paru régulièrement, l'un
d'eux en raison de son volume étant constitué par un numé¬
ro double.
Il s'agit de l'excellent travail de notre collè¬
gue RAOUL TESSIER sur les cyclones en Polynésie. Ce nu¬
méro a été lu avec beaucoup d'intérêt et plusieurs organis¬
mes dont la Marine Nationale nous ont demandé de leur cé¬
der plusieurs exemplaires.
le
MUSEE BIBLIOTHEQUE.Le manque de fonds ne nous a pas permis cette année
d'enrichir nos collections. Cependant en ce qui concerne
la bibliothèque le Territoire que j'avais prévenu et sollici¬
té afin qu'on puisse se procurer certains documents intéres¬
sant
Tahiti mis en vente à la Salle Drouot le 8 Juin der¬
nier, a fait preuve d'une compréhension remarquable ainsi
d'ailleurs que l'Assemblée Territoriale. Grâce a la parti¬
cipation financière de l'Office du Tourisme, grâce aussi à
notre collègue Moorgat qui a pu se déplacer à temps pour
assister à la vente vous pouvez aujourd'hui contempler ces
pièces rares et intéressantes que Mr le Gouverneur ANGELI
a
confiées à la garde de la Société d'Etudes Océaniennes.
Nous comptons d'ailleurs prochainement publier ces
textes in-extenso dans un numéro du Bulletin.
Comme vous le savez ces pièces proviennent de la dis¬
persion d'une remarquable et peut-être unique bibliothèque
océanienne privée celle du R.P. O'Reilly, si l'on excepte
toutefois celle de Bjarne Kropelien de Oslo dispersée elle
aussi l'an dernier.
Il ne faut pas oublier d'autre part que le R.P.
O'Reilly
a l'an dernier fait
parvenir gracieusement à notre Société
une
grande caisse pleine de volumes en provenance de sa
bibliothèque.
Dans
quelques instants notre Trésorier vous fera l'ex¬
la situation financière. Sans anticiper sur ce
vous dire je peux vous déclarer d'ores et déjà
que cette situation n'est pas brillante, qu'elle risque même
de devenir franchement mauvaise et
catastrophique si nous
ne
sommes pas renfloués au cours du 1er Semestre 1970.
La raison en est que depuis deux ans il n'a
pu nous être ac¬
cordés comme subvention que la moitié et même moins
posé de
qu'il va
nécessaire demandé. A ce train notre modeste
réserve financière a fondu rapidement et comme une socié¬
té culturelle comme la nôtre ne peut décemment pas orga¬
niser de tombola, je ne vois pas comment on pourrait re¬
dresser la situation à moins de cesser la publication du
du montant
Bulletin
ou
de
congédier
notre
Secrétaire.
278
Société des
Études Océaniennes
Je ne voudrais cependant pas vous quitter sur des pers¬
pectives trop pessimistes. J'ai tout lieu de croire et Mon¬
sieur Langlois m'en avait donné l'assurance qu'on ne nous
laisserait pas sombrer dans l'oubli.
Dans quelques instants nous vous demanderons de bien
vouloir procéder à l'élection du nouveau bureau qui con¬
formément aux statuts est élu pour deux ans. La liste
nous vous présentons ne l'est qu'à titre d'indication :
après consultation des membres du bureau vous pouvez
que
bien entendu rayer, remplacer, intervertir
les noms selon
préférences.
vos
avons eu la tristesse de perdre cette année un de
plus anciens assesseurs Mr Terai Bredindécédé au mois
Nous
nos
de Juin.
Nous
voués
et
perdu
avons
en
lui
un
de nos membres les plus dé¬
le regrettons bien sincère¬
les plus ponctuels. Nous
ment.
Pour le remplacer nous avons pensé à Mr Adolphe
AGNEERAY qui pressenti a bien voulu faire acte de candi¬
dature.
Je suis persuadé que vous réserverez le meil¬
leur accueil à Mr AGNIERAY.
Mesdames
attention
et
et
je
Messieurs,
je passe la parole
à
trésorier expose ensuite
résume ainsi :
Le
Recettes de
remercie de
financière qui se
164.811.00
Frs
l'année 1968
1 154.568.00
1
Frs
L'Assemblée approuve les .comptes et donne
sorier qui donne lecture ensuite du projet
1969renouvellement du conseil
dre du jour, il est ensuite
Le
Le
tats
319.374.00
809.411.00
509.963.00
Dépenses de l'année 1968
Disponible au I-I-69
votre
Trésorier!
la situation
I-I-68
Report disponible au
vous
notre
quitus au Tré¬
de budget pour
*
,
d administration étant à 1 or¬
passé au vote.
dépouillement des bulletins de vote a donné les résul¬
suivants
Suffrages
:
exprimés
54
:
Mr. H. JACQUIER
- Mr. JAUNE Z
Secrétaire - Mlle. J. LAGUESSE
Trésorier - Mr. Y. MALARDE
Président
-
Vice-Président
Assesseurs :
Mr. R. BAMBRIDGE
Cdt. P. JOURDAIN
53
53
53
53
53
53
53
Mr. R. TEISSIER
Mr. M. TEVANE
54
279
Société des
Études
Océaniennes
Mr. T. TEAI
53
53
53
Mr. P. MOORGAT
Mr. A. AGNIERAY
Les résultats sont publiés et
seil d'administration.
représentent le
nouveau con¬
Le Président remercie les membres de la confiance
qu'ils
continuent à accorder au conseil d'administration.
Personne n'ayant fait d'objections sur la manière dont le
vote a été conduit, les bulletins de vote sont
incinérés, la
séance est levée à 19 heures.
280
Société des
Études
Océaniennes
Société des
Études
Océaniennes
THEORIE RAPAIENNE DE LA CONCEPTION
Les Polynésiens Français font peu de cas de la médecine
occidentale. Les observations que j'ai faites sur les Tahitiens et les Rapaiens indiquent que la maladie est traitée
premier lieu au moyen de remèdes à base de plantes.
C'est seulement quand ceux-ci s'avèrent inneficaces qu'ils
font appel à un médecin occidental. Leur répugnance a uti¬
liser les soins mis à leur disposition pose un problème
grave à tous ceux qu'intéresse 1 amélioration du niveau de
santé dans ces territoires.
en
La
du problème, à mon avis, réside dans le fait
Polynésiens ont une théorie du corps humain,
quant à ses fonctions normales et ses multiples déranments, totalement différente de celle qui prévaut en méde¬
cine occidentale. Leur peu d'intérêt pour la médecine oc¬
base
les
que
cidentale
et
leur comportement qui parait absurde aux
des Occidentaux peut se comprendre en fonction de
cette théorie.
Pour en donner un exemple, voici une des¬
cription d'une partie de la théorie papa inné : celle de la
conception.
Les Rapaiens ont plus d'enfants qu'ils n'en
veulent;
ils aimeraient les vêtir
convenablement et en envoyer
un
ou deux
à Tahiti pour pousser leur éducation au delà
des possibilités locales. Ces choses nécessitent de l'ar¬
gent, or ils en ont peu et ainsi les familles nombreuses
ont du mal à atteindre ce but pour l'un quelconque de leurs
enfants. D'après leurs déclarations, la famille idéale de¬
vrait avoir 2 ou 3 enfants ; en réalité cette limite a tendan¬
ce
a
être dépassée.Les femmes fertiles faisant partie de
mon étude (86 % de la population totale) âgées de 45 ans et
plus ont eu de là 14 enfants chacune, avec une moyenne de
6,3 naissances par femme. Quelques enfants meurent en bas
âge, mais en moyenne,une femme de Rapa peut espérer éle¬
yeux
ver
environ 5 enfants.
Cette étude fut faite au cours des étés 1960 et 1961, de
Juin à Décembre
1963 à Tahiti et de Décembre 1963 à
Novembre 1964 à Rapa. Je remercie l'administration et
la
population de la Polynésie pour l'aide qu'ils m'ont ap¬
et remercie aussi la "National Science Founda¬
tion Graduate Fellowship" qui finança l'expédition de 1963-
portée
64.
281
Société des
Études
Océaniennes
Les
rence
Rapaiens sont parfaitement
leurs espérances et la
entre
que peu perplexes. De
ports sexuels pendant
conscients de la diffé¬
réalité et en sont quel¬
nombreux ménages
évitent les rap¬
la période ou ils croient
la femme
susceptible d'être fécondée, mais constatent que
l'on ne peut nullement faire confiance à cette méthode. " Je ne
comprends pas" déclare une femme d'une trentaine d'années,,
qui attend son huitième enfant;"tous les mois nous nous
abstenons pendant les 3 ou 4 jours qui suivent mes régies
et pourtant je suis régulièrement enceinte." Ceci nous ame¬
na a discuter de la question de sàvoir quand se présente la
période de fertilité de la femme. Nous essayâmes de leur
faire comprendre qu'ils auraient plus de succès s'ils évi¬
taient les rapports pendant la dizaine se situant entre deux
menstruations. Elle écouta poliment mais il était évident
qu'elle n'était pas convaincue et elle ma intint son point de vue)
à savoir "que la période de fertilité se situait pendant les
premiers jours qui suivent les règles. Après avoir inter¬
rogé de nombreuses personnes, force fut de constater que
cette croyance était générale.
Pensant avoir apporter notre contribution dans ce
domaine, ma femme et moi nous efforçâmes de les convainr cre, mais le résultat fut décourageant. No s citations, tirée s dé
la science médicale et représentant pour nous i'epitomé
de la vérité eurent pour seul effet de les convaincre que les
docteurs Américains n'en savaient guère plus que nous sur
les mystères de la vie.
C'est seulement plusieurs mois plus tard, après que ma
femme eut quitté Rapa en raison de sa grossesse impré¬
vue
(ce qui n'aida pas à renforcer notre point de vue
quë j'appris les raisons de la croyance des Rapaiens con¬
la
plus
cernant la
période fertile de la femme. A ce moment là
je réalisai a quel point notre position avait dû leur parai-tre absurde.
De même que les nôtres, leurs raisons sont
basées sur une théorie de l'anatomie et de la physiologie
de
la
conception. La différence d'opinion concernant la
période fertile provient de ce que leur théorie est tout à
fait différente de la nôtre.
Selon les Rapaiens, un foetus est formé par le sperme
pénétrant l'utérus et s'unissant au sang qui s'y trouve. L'e¬
xistence des ovaires, des trompes de Fallope et des ovu¬
les est ignorée. La menstruation cesse après la concep¬
tion, car tout le sang est consacré à la croissance du foe¬
tus.
Si la conception n'a pas lieu, le sang ayant perdu sa
frâicheur est expulsé par la menstruation et remplacé par
du sang frais. L'utérus s'ouvre et se ferme à intervalles
réguliers, s'ouvrant chaque mois pour permettre au vieux
sang de s'écouler. Le raisonnement des Rapaiens est que
l'uterus doit être
fermé la plupart du temps, car autre¬
le sang s'en écoulerait en permanence.
La notion indigène de la période de fertilité
en fonction de ce mécanisme de l'utérus. Le sperme ne
ment
s'interprè¬
te
pénétrer lorsque l'utérusestfermé, il n'y a donc au¬
possibilité de conception pendant la plus grande par tie du
pouvant
cune
282
Société des
Études Océaniennes
cycle. La conception pourrait
facilement résulter
d'un rap¬
la menstruation, mais des notions de conta¬
mination de l'homme par le sang l'interdisent. Toutefois,
l'utérus se fermant lentement après l'expulsion du sang,
un rapport dans les quelques jours qui suivent la menstrua¬
tion provoquera probablement la fécondation. Etant donné
cette théorie,
il ne faut pas s'étonner de la méfiance des
Rapaiens lorsque nous leur conseillâmes d'eviter la dizaine,
de jours située à é.uale distance de deux périodes.
Comprenant leurs raisons de placer la période de ferti¬
lité comme ils le font, il me fut enfin possible d'engager
sur ce sujet des conversations intelligibles de part et d'au¬
tre et de réfuter leurs arguments de manière pertinente.
Le simple énoncé de nos notions d'anatomie et de physio¬
logie de la conception était toutefois insuffisant pour les
convaincre. En apparence, notre façon de penser n'est guère
plus acceptable que la leur : elle est plus compliquée et à
recours à des organes et mécanismes dont ils n'avaient
aucune connaissance préalable. Par bonheur, l'arrivée de ju¬
meaux permit de faire avancer la discussion. Ils n'ont en effet
aucune explication pour la conception des jumeaux et admetmettent qu'ils sont étonnés chaque fois qu'il s'en présente.
J'expliquai les jumeaux fraternels par le principe de la dou¬
ble ovulation. Quelques personnes, raisonnant de façon scien¬
tifique tout a fait valable, admirent que puisque notre théo¬
rie allait plus loin que la leur, elle devait etre meilleure.
Un hom me se mit à rire et déclara : "nous nous abstenons
quand cela ne fait aucune différence, et lorsque c'est dan¬
gereux, c'est le moment que nous choisissons ! a 3'2 ans,
père de huit enfants, il déclara qu'il ferait un essai de
cette nouvelle méthode. Si l'augmentation de la population
port pendant
se
ralentit au cours de ces prochaines années, ce sera
peut-être grâce à l'exemple contagieux de la prudence re¬
visée de
cet
homme.
exemple nous montre qu'il serait naif d'imaginer
que les Polynésiens vont automatiquement et qvec enthou¬
siasme adopter les bienfaits de la médecine scientifique
occidentale, simplement parce qu'ils ont été mis à leur dispo¬
sition. Cette adoption totale doit être précédée d'une édu¬
cation qui leur permettra d'apprendre les éléments de ba¬
se des notions occidentales de l'anatomie, de la physiolo¬
gie, des maladies et de leurs traitements.
Cette éducation ne peut être semblable à celle d'un en¬
fant de notre civilisation, qui n'est exposé à aucune autre
idée sur ces sujets. Les Polynésiens ont déjà leur théorie.
En fait, la raison pour laquelle ils ne sont pas convaincus
de la valeur de la thérapeutique occidentale est que ses
diagnostics et ses traitements sont souvent incompatibles
avec leur théorie indigène (1).
Cet
( 1 ) Voir Steven Polgar " Health ans Human
Anthropology, III (Avril 1962, 165.
283
Behavior " Current
C'est
pourquoi le processus éducatif doit,dans beaucoup
les faire changer d'opinion.
exemple de Rapa, le simple
exposé du point de vue occidental ne leur est peut-être
même pas intelligible, et encore moins convaincant. L'ex¬
posé doit être fait en termes qui lui soient accessibles
et de manière à expliquer de façon claire les ressemblan¬
de
ses
aspects, tendre à
Ainsi que
le montre notre
ces et les différences entre les
théories occidentales et
les théories indigènes. Une telle ékucation nécessite avant
tout, une compréhension de la théorie indigène du corps,
ses maladies et ses remèdes. C'est
pourquoi des études doi¬
vent être entreprises avec soin dans ce domaine, non swulement pour étendre nos connaissances de la culture Poly¬
nésienne, mais aussi
santé
au
pour
le succès des programmes de
bénéfice de la population.
F. Allan Hanson
University of Kansas
Lawrence, Kansas USA
284
Société des
Études
Océaniennes
UNE ASCENSION A TAHITI
(1)
Lor squ'en
re
se
1904 je débarquai à Tahiti,
confond
Moorea,
avec
j'admirais
à l'heure^ où l'auro¬
la nuit dans un ciel mordoré fuyant sur
en silence l'arête de l'Aorai se déta¬
une gigantesque ombre chinoise au-dessus
Papeete. Je projetai aussitôt d'aller voir un jour ce
qu'on pouvait bien découvrir de là haut.
chant
comme
de
Ce n'est que treize ans plus tard que je pus réaliser mon
rêve. Les difficultés d'une ascension à Tahiti sont tout au¬
celles de nos montagnes d'Europe : couvertes
végétation luxuriante, le débroussage d'un sentier est
indispensable; une ascension n'est possible que de très
rares jours de l'année, rien à tenter sous la pluie où l'on
tres
que
d'une
risque fort de revenir en loques: telle cette escouade de
l'Infanterie qui voulut suivre nos traces sans se soucier de
nos recommandations; nos jeunes soldats surpris par une
averse diluvienne
revinrent en piteux état sans avoir at¬
teint le but. Malgré des averses quotidiennes, la soif est le
plus terrible adversaire; chaque goutte est aussitôt absor¬
bée par l'épaisse couche d'humus d'où la nécessité de se
pourvoir de liquide. Mais sous un soleil de feu, il est non
moins indispensable de réduire la charge au minimum,
problème qui m'obligea à prendre certaines dispositions.
Le grand couteau à débrousser remplace le piolet. Il est
imprudent de s'aventurer seul; les montagnes tahitiennes
sont rarement parcourues, sauf par quelques chasseurs de
cochons sauvages, qui ne vont guère au delà de 5 à 600m.
Personne
dent.
Je
ne
viendrait
donc
vous
chercher
en
cas
d'acci¬
qu'une précédente ascension avait été faite il y
quelque 30 ans, par un colon blanc accompagné d'une
savais
avait
équipe d'indigènes. Le chemin qu'il avait choisi suivait la
vallee de Papenoo, assez éloignée de Papeete. Il fallut 8 à 10
jours aux ascensionnistes pour atteindre leur but; le chef
de l'expédition, Spitz photographe, était revenu très dépri¬
mé par la mort d'un de seshommes. Je résolus donc de cher¬
cher un chemin plus proche et beaucoup plus rapide en
(]) Une partie de cette relation a été publiée dans le Jour¬
nal Officiel No 23 du 1/2/17 et dans le bulletin de la Socié¬
té d'Etudes Océaniennes No 2 - tome 1 - Septembre 1917.
285
Société des
Études
Océaniennes
qui surplombait la vallée de Faaiti. A quel¬
kilomètres de la ville, il existait déjà un sentier qui
conduisait à une maisonnette en planches, construite à 500 m.
d'altitude, par un montagnard cévenol, au pied d'une petite
suivant la crête
ques
source, dernière trace d'eau courante; au-dessus plus rien
qu'une épaisse brousse. Je consacrai de nombreux diman¬
ches à tracer un étroit sentier qui me conduisait à 7 ou 800 m.
Déjà de cette hauteur la vue était intéressante, ce qui m'en¬
courageait. Malheureusement, la brousse, de plus en plus
haute et touffue, au fur et à mesure que je montais, absor¬
bait mes dernières forces. Je me rendis compte
que je ne
pouvais seul aller plus loin. Je pris alors une resolution
radicale, mais risquée car j'étais passible de prison, am¬
nistié par 30 ans passés je puis en causer: profitant d'une
sécheresse exceptionnelle, je mis le feu à cette brousse
inextricable. En un instant, l'incendie prit de telles propor¬
tions que je regrettai mon geste. Je m'éloignai rapidement
et rentrai tranquillement chez moi sans souffler mot de
l'affaire ; j'en parlai seulement à mon ami intime T...
Pendant plus d'une semaine la montagne flamba comme une
torche. De la ville on voyait d'immenses lueurs qui tein¬
lumières sinistres. Personne ne compre¬
feu avait pu prendre à une telle hauteur.
Je me demandais quand il s'arrêterait. Ce qui m'alarmait
sérieusement c'est qu'il gagnait non seulement en hauteur
mais aussi en profondeur ; je tremblais pour la maison¬
nette.
Fort à propos, une pluie diluvienne l'arrêta net à
cent mètres de celle-ci. Profitant du premier beau diman¬
che, je filai comme un dard reconnaître les effets du feu.
Sur plusieurs km la montagne était nue comme un oeuf ;
mon
sentier n'existait plus. Je pus sans effort atteindre
1100m. Inopinément je fus en présence d'un panorama
qui me laissa stupéfait. Devant moi s'élevait la masse ma¬
jestueuse de l'Aorai dont les cinq crêtes étaient illuminées
par l'or du soleil levant. A 1500m plus bas se dessinait la
sombre vallée de la Faaiti d'où montait le grondement
d'un torrent disparaissant sous la verdure. A droite le
crête abrupte, en lame de couteau, du Pic des Français
paraissait rejoindre l'Aorai parallèlement à celle que je
suivais. Par dessus ce pic, le Diadème se détachait net¬
tement dans un ciel
sans nuages. A sa base une crête le
reliait au Mt Marau. Derrière celui-ci l'île de Moorea,
hérissée de pics chaotiques de 1200m, surgissait au sein
de l'Océan comme un immense Léviathan. Aux confins de
l'horizon les premières îles atolls des Tuamotus formaient
des points à peine perceptibles à 200 miles en mer.
taient la nuit de
nait
comment
le
création de la
chaotique et titanesque grandeur, je son¬
geais au moyen d'en fixer le souvenir. Bien décidé à
tenter
l'aventure, il fallait pour réussir, non seulement
attendre une journée de beau temps mais devancer nuages
et brouillards qui montent invariablement des vallées aux
premières heures du jour. Cette nécessité m'obligeait à
quitter la maison dans la nuit, puis à traverser à gué dans
Tout
en
Nature
contemplant cette fantasmagorique
dans
sa
287
l'obscurité, la Fautaua plus ou moins haute et ensuite à es¬
calader 1100m à une allure record.
belle nuit étoilée je partis chargé d'une camé¬
d'un archaique pied en bois et de beaucoup d'espérance.
Je fus exact au rendez-vous. A l'heure précise, sans hâte,
je pris une vue suffisante pour donner une idée du paysage
moins les coloris qui en relevaient le charme. Ensuite, je
fis un tour d'horizon. La crête s'enfonçait brusquement
dans une dépression profonde d'une centaine de mètres
pour remonter presque verticalement très au-dessus du
point où j'étais. Convaincu de l'impossibilité d'aller plus avant par mes propres moyens, je résolus de faire part de
mes
projets au Gouverneur. Je voulais tenter d'atteindre
Enfin par une
ra,
en
suivant la même crête et découvrir de là-haut
emplacement favorable à un sanatorium. Je reçus de Mr.
Bouge, alors jeune secrétaire général, devenu par la suite
Gouverneur des Colonies, le plus chaleureux encouragement.
Il mit à ma disposition les prisonniers les plus sûrs. Bien
équipés et approvisionnés, je conduisais mes hommes jus¬
l'Aorai
un
qu'à la dépression,
leur recommandant de ne pas oublier
de place en place pour recueillir
l'eau. Six jours après, les débrousseursdescendirentpréten¬
dant avoir été arrêtés par un infranchissable rocher. Très
déçu mais soupçonnant fort mes lascars d'avoir eu peur
des tupapaus (revenants) je partis m'assurer par moi-mê¬
de
laisser
une
en
touque
me de cette soi-disant impossibilité. Je constatai que mes
braves prisonniers avaient consciencieusement débroussé
un sentier de 50cm à travers une forêt de fougères arbores¬
centes et d'arbustes. Non sans peine j'arrivai à 1450m, là,
effet, un gros rocher barrait la crête et en était séparé
par une assez large crevasse. Ayant pris la précaution de
me munir d'une forte corde je fis un noeud à l'extrémité et
réussis à la coincer dans la fourche d'une grosse branche.
en
Je pus
ainsi, sans danger, atteindre le fond de la crevasse
caché par la végétation et contournant aisément le rocher,
rattraper la crête. Celle-ci continuait toujours dans la direc¬
tion de l'Aorai, donc possibilité d'aller plus haut. Avant de
redescendre je relevai la température: 26 degrés au soleil,
15 degrés à 1 ombre à 11H, soit 13 degrés de moins qu'à Pa¬
peete. Plein d'enthousiasme je demandai à Mr. Bouge de me
confier une nouvelle équipe.
Les deux plus courageux de la première consentirent à conti¬
nuer le sentier, la peur des revenants retint les deux autres.
Pour la seconde fois je remontai avec mes deux hommes
jusqu'au fameux rocher que je surnommai le "Rocher du
Diable", et, après leur avoir montré comment le contour¬
ner,
je les çjuittai en leur souhaitant bonne chance. Dix
jours se passèrent sans nouvelles. Qu'étaient devenus mes
débrousseurs? Je
m'apprêtai à regrimper là-haut une fois
de plus quand leur presence me fût signalée par des indigè¬
nes.
Ils m'assurèrent que le sentier était terminé jusqu'au
faîte. Il ne me restait plus qu'à aller voir.
289
Société des
Études
Océaniennes
La
saison des pluies
s'approchant:, il fallait se
hâter ou re¬
le che¬
l'aventure à l'année suivante. Je calculai que
à parcourir devait être approximativement de
Bien entraîné je comptais faire l'ascension
mettre
15 à 17
en une
journée aller et retour selon l'état du sentier. Pour mes
hommes, qui avaient pris leur temps, c'était une impossible
gageure. Bref le dimanche 7 octobre par un ciel étoilé j'al¬
lai vers 3H prendre à la prison Teau le plus robuste des
débrousseurs. Nous partageâmes provisions, matériel, ap¬
pareil etc... et partîmes dans la nuit sans perdre de temps.
Par malheur vers 800m le temps commença à se gâter, nous
fûmes surpris par la pluie et contraints de redescendre, na¬
vrés. Je reconduisis Teau à sa cellule et passai la nuit sans
fermer l'oeil. Enervé je me levai à 2H30. Le ciel me parais¬
sant parfaitement pur, après un moment d'hésitation je dé¬
cidai de recommencer la tentative. M'habillant en hâte j'al¬
lai rechercher Teau qui dormait tranquillement. Il fût prêt
instant. Nous reprîmes nos ballots intacts et sans pren¬
dre la précaution de manger nous atteignîmes 1100m d'une
seule traite. Là seulement nous nous aperçûmes que dans
notre précipitation, nous avions oublié de renouveler nos
provisions fort entamées la veille. Il ne nous restait qu'un
kilo de pain, une livre de boeuf et une orange. Nous fîmes un
frugal repas: la moitié du beouf salé et du pain y passèrent,
A peu près restaurés nous nous engageâmes dans la maudi¬
min
Km.
en un
te
dépression que j'avais
baptisée 'Crête du Désespoir"
des¬
détrempé
la pluie.
à descendre à
arrête
elle m'avait déjà coûté de sueur. Nous enfoncions au
sus du genou dans l'humus spongieux
par
Nous mîmes plus de trois quarts d'heure
la
et
la remonter. Le sentier suivait exactement une
effri¬
tée tantôt assez large, tantôt si étroite que nous devions pas¬
ser à califourchon. Elle descendait brusquement pour re¬
tant
prendre plus haut ce
qui rendait la marche bien
pénible.
s'étaient peu
l'eau.
mes recommandations les prisonniers
souciés de placer des touques vides pour recueillir
La soif commençait à se faire
sentir.
trouvâmes enfin un bidon rempli d'eau. Teau but tant
Malgré
désagréablement
put, je commis l'imprudence
combien je le regrettai par la
de ne pas suivre son
suite.
Nous
qu'il
exemple,
Rocher du
n'est que vers Ilh que nous atteignîmes le
Nous trouvâmes là une boîte de conserve de
son débordant d'une eau nauséabonde que je bus
dernière goutte. Nous achevâmes mélancoliquement
Ce
Diable.
pois¬
jusqu'à la
notre
Km de cet
salé aidant.
Après avoir tant souhaité une journée ensoleillée, je ne rê¬
vais qu'averses, lacs et rivières et fus pris d'une irrésis¬
tible envie de faire demi-tour.Pourtant c'était ma dernière
chance. Recru de fatigue je titubais bien souvent. Je repar¬
tais pour retomber plus loin. Echouer près du but après
tant d'efforts ! Mais Teau ne m'avait-il pas assuré que je
trouverais une touque d'eau sur la première crête de l'Aorai! Epuisé, vidé je restai prosterné un bon moment le nez
boeuf et notre dernière croûte de pain. A quelques
endroit la soif me reprit plus ardente, le boeuf
dans l'herbe.
290
Société des
Études
Océaniennes
ma première pensée fût pour la bienheureu¬
l'aperçus reposant dans la fougère en plein so¬
leil remplie d'une eau limpide. Malgré une envie terrible je
n'y touchai pas désirant partager le précieux breuvage avec
Teau, très en arrière, qui en avait certainement autant be¬
soin que moi. J'en pris la température: 19 degrés 5 contre
43 à Papeete maximum de la journée. A l'air le thermomè¬
tre accusait 16 degrés 5 au soleil et 12 degrés 5 à l'ombre.
Il était 16H et l'altimètre indiquait 2020m. Jetant ensuite un
coup d'oeil sur le spectacle qui se déroulait devant mes yeux
éblouis j'en oubliai soif et fatigue. J'aurais voulu'décrire
Aussitôt remis
se
touque. Je
enthousiasme et chanter bien haut une
Créateur devant tant de splendeur. Peu de'sites
surpassent la vue de l'Aorai. Tels les Italiens pour Naples,
on pourrait dire "voir l'Aorai et mourir".
sous
le coup de mon
hymne
au
une
autre plume que la mienne pour dépeindre
scène incomparable. Ceux qui ont visité la Suisse si
réputée ont vu plus haut mais pas plus beau, c'est autre.
Le temps était idéal. Dès la première crête de l'Aorai fran¬
chie le bloc énorme de l'Orohena, jusqu'ici inviolé, appa¬
raît tout entier dans la majesté de ses 2300m. A ses
pieds
une large vallée de verdure profonde de 15 à 1600m séparé
Il
faudrait
cette
les deux
géants tahitiens
végétation
comme un merveilleux tapis. De
pareil fusent les feuilles dentelées
d'innombrables fougères arborescentes retombant
enjparasols. Quel délice pour les yeux! Au fond de cet ocean de
cette
sans
verdure s'élevait le bruit d'un
multitude de petits ruisseaux qui
torrent
alimenté
par une
disparaissaient et repas¬
saient en cascades, ruisselants le long du flancde l'Orohena.
Tel était l'aspect de la fantastique vallée de la Mahina.
D'autres vallées
et d'autres pics inconnus surgissaient dans le
lointain. Plus près s'étendait le massif de Papara. A droite,
donnant l'impression d'être à mes pieds mais a mille mètres
dessous, le Diadème prenait la forme d'un gros lion
couché. Puis l'ilôt atoll de Motu-Uta s'étendait au milieu de
en
la baie de Papeete. Quelques toits désignaient seuls la peti¬
te ville enfouie sous ses grands arbres. Plus loin le soleil
couchant s'enfonçait dans l'Océan infini jetant mille feux
derrière l'île de Moorea dominée tout entière. Imaginons
!un instant un lieu de repos à cette altitude. Quel sera l'é¬
merveillement de l'heureux mortel qui assistera chaque
soir à la féerie, tous les jours renouvelée, de couchers de
soleil tropicaux embrasant le ciel dans le décor de ces pics
mooréens à 25 km en mer. Utopie réalisable et qui le sera
un jour.Au nord le vert sombre de milliersde cocotiers ser¬
pentait le long du littoral sur plus de cinquante km. Sauf du
côté^
de l'Orohena on découvrait
tez à ce tableau les
le
toute l'île de beauté. Ajou¬
jeux de lumière d'un soleil couchant, tel¬
m'apparut la vue de l'Aorai»
Après
une
demi-heure d'anxieuse attente la tête chevelue de
Epuisé par la soif et la rapi-
Teau surgit de la broussaille..
292
Société des
Études
Océaniennes
entraîné, il
l'autre. Je lui
le soleil déclinait et le pano¬
dité de notre course, pour laquelle il n'était pas
semblait ne pouvoir mettre un pied devant
hâter car
s'estompait de minute en minute. Enfin quand il fût
près de moi, je saisis la touque pour la lui tendre mais dans
ma précipitation je ne m'aperçus pas qu'elle était
d'un côté. En voulant rétablir l'équilibre la moitié du pré¬
cieux liquide fut perdue. Nous nous partageâmes ce qui res¬
tait. Alors je pris fébrilement quelques vues. Il faisait dé¬
jà trop sombre, je dus me contenter des sommets
éclaires, l'ombre s'étendait sur la vallée de la Mahina.
criais, en vain, de se
rama
percée
restés
Nous
continuâmes à suivre
la crête qui
formait sur une
ondulations en dos d'âne très
prononcées, pénibles à descendre et à remonter toujours
plus haut. La dernière se terminait en une plate-forme
arrondie suffisamment vaste pour y élever une construc¬
tion. A mon regret, je ne pus l'atteindre que le lende¬
main. La nuit qui tombe rapidement sous les tropiques,
nous
surprit vers 18H30 sur une étroite crête^ de 60cm
de large à 2150m par 8 degrés. Notre lampe électrique
longueur de
5 à 600 m cinq
permettait pas d'aller plus avant sans risque.
grelottions sous nos minces chemises de toile trem¬
pées de sueur. Pour comble de malchance une bouteille
remplie de rhum, dont je me réjouissais de régaler Teau,
s'était débouchée en cours de route inondant le deux tri¬
cots de rechange qui l'enveloppait. Nous n'en mîmes pas
moins chacun un sur le dos. Et c'est ainsi que nous pas¬
sâmes cette interminable nuit, serrés l'un contre l'autre,
sans pouvoir échanger une parole, claquant des dents,
sant bouger de crainte de rouler plus bas. J'avais quel¬
ques appréhensions pour le brave Teau, enfant des pays
Un vent froid soufflait venant de^ l'Orohena. Le
chauds.
thermomètre marquait 7 degrés 5, température la plus
basse enregistrée. Nul doûte que certains jours elle ne
descende à I degré ou 2 degrés. Malgré notre inconfor¬
table position, je n'oublierai jamais la sensation de bien
ne
nous
Nous
n'o¬
air aussi frais dont
sehsation depuis bien des
passai le temps à
la lune, les étoiles. Plus brillantes que je ne
jamais vues à Tahiti, elles dessinaient les pics
que j'éprouvais
à respirer un
poumons avaient
la
années. Ne pouvant fermer l'oeil, je
être
oublié
mes
regarder
les avais
netteté sans pareil.
A plus de 2000m en dessous de nous, les ampoules électri¬
ques marquaient les rues de Papeete endormi, comme au¬
tant de petites étoiles. Enfin vers 4H30, l'aurore naissan¬
te embrasa la crête de l'Orohena. Sans perdre un instant
Teau, peu sensible aux beautés de la nature, reprit seul
le chemin du retour. Malgré la soif je restai encore une
bonne heure sur la plate-forme culminante de l'Aorai à
qui nous
entouraient avec une
2200m.
L'année suivante au cours
plaisir de la fouler une
d'une 2e ascension,
293
Société des
j'eus le
seconde fois en compagnie
Études
Océaniennes
de
M.P.,
alpiniste passionné et de quelques porteurs. Après
procès verbal, que je déposai dans
rhum, je redescendis à mon tour,
toujours tenaillé par la soif, je m'agenouillai maintes
fois
pour lécher la rosée accumulée pendant la nuit sur
les étroites feuilles d'un roseau
qui ne pousse qu'à cet¬
te
altitude. Vers IIH, je retrouvais la touque
d'eau que
j'avais dédaignée à la montée. Teau y avait fait large¬
avoir rédigé un petit
la
bouteille vide de
ment
honneur. Je
de cette
m'apprêtais à en faire autant mais au
glacée ma gorge en fqu s'enfla à
je crus ma dernière heure venue. Je fus
contact
tel
point que
bon quart
un
te
eau
d'heure avant de reprendre mes sens. Cet¬
j avalais prudemment goutte à goutte tout le res¬
de l'eau avec un délice sans égal. Ce fut le dernier
fois
tant
incident.
De
remit tout
à
retour
fait
à
la
maison
un
excellent
d'aplomb.
Lucien GAUTHIER.
♦
294
Société des
Études
Océaniennes
repas me
Un coin du district d'Arue
Une
plage d'Arue est bien connue des vieux tahitiens.
venaient, jadis, s'y distraire en faisant sur les va¬
gues les glissades que les jeunes d'aujourd'hui croient
nouvelles parce qu'ils les nomment "surf '. C'est la plage
située entre le tombeau du Roi et la Nouvelle école du
Ils
district.
Cette
plage s'appelle TU-ATI-FAU ( Tu
:
la réunion
;
Ati : tamanu ; fau : purau) c'est-à-dire : la réunion du Ati
tamanu) et du purau ( ou burau). Elle est enserrée à l'ouest
par la pointe sur laquelle est édifiée le mausolée de Pomare V
:
Otu-A'i-A'i (Otu : pointe ; A'i-A'i : jolie),, la jo¬
lie pointe. Cette pointe s'avance vers la passe Ava-ihe
(la passe du
ihe,
sorte
de petite aiguillette) dont elle est
séparée par le banc de corail To'a-Tere (le banc qui bou¬
ge). A 1 est, la plage s'achève devant les propriétés LEBOUCHER et NOBLE, en un endroit plus abrité, appelé
à
titre : Fa'a-uru-a va'a (l'endroit où la pirogue
accoster). Au delà, après le ruisseau Vai-Na-hiti (l'eau
où vivent les deux libellules), s'étend un large banc de co¬
rail sur lequel on peut circuler presque à pied sec : Te
Pua i Ho'oi ( le banc de Ho'oi), que recouvre peu à peu
le remblai qui doit agrandir l'esplanade du groupe sco¬
laire. Sur cette esplanade, témoin du début de l'époque
missionnaire
:
la tombe où reposent Nott et Mac Kean,
juste
va
et,
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 170