B98735210103_163.pdf
- Texte
-
BULLETIN
DE
LA
Société des Etudes Océaniennes
TOME XIV
N° 163—
—
JUIN
N° 2
1968
CONSEIL d'ADMINISTRATION
Mr. Henri
Président
JACQUIER
Mr. Bertrand JAUNEZ
Vice-Président
Me,:e Janine LAGUESSE
Secrétaire
Mr. Yves
MALARDÉ
ASSESSEURS
Trésorier
:
Mr. Terai BREDIN
Me.
Rudolph BAMBRIDGE
Cdt
Pierre JOURDAIN
Mr. Raoulx TEISSIER
Mr. Temarii TEA!
Mr. Maco TEVANE
Mr. Paul MOORGAT
Pour être reçu Membre
membre titulaire.
de la Société
se
faire présenter par
un
Bibliofhèque.
Le
Conseil
d'Administration
informe
ses
membres
qu'ils
peuvent emporter à domicile certains livres de la Bibliothèque
en
signant une reconnaissance de dette ai/ cas où ils ne ren¬
draient pas le livre emprunté à la date fixée. Les autres peu¬
vent être
La
consultés dans la Salle de lecture du Musée.
Bibliothèque et la salle de lecture sont ouvertes aux
tous les jours, de 14 à 17 heures, sauf
membres de la Société
le Dimanche.
Musée.
Le Musée est ouvert
à 17 heures.
tous
les
jours, sauf le dimanche de 14
BULLETIN
DE
LA
Société des Etudes Océaniennes
POLYNESIE
ORIENTALE
TOME XIV- N°2
N ° 163— JUIN 1968
SOMMAIRE
HISTOIRE
Commémoration
du
bicentenaire
de
l'arrivée de Bou¬
gainville à Tahiti.
Autorou, le premier Tahitien qui a découvert l'Euro*
pe. Par Paul Moortgat.
ARCHEOLOGIE
Une
perle.biconique trouvée
aux
Iles de la Société.
Par Yosihiko Sinoto.
Sépultures décpuvertes accidentellement dans le dis¬
trict d'Arue, à Tahiti. Par Anne Lavondès.
Société des
Études
Océaniennes
louis
Antoine
de
bougainville
Société des Études Océaniennes
BICENTENAIRE
DE
L'ARRIVEE DE BOUGAINVILLE
A TAHITI (
Le
Tahiti commémorait
6 avril 1968,
l'arrivée
1768-1968 )
le bicentenaire de
de
Hitiaa du navigateur français Louis Antoine
à
Bougainville, avec la Boudeuse et l'Etoile, Une première cé¬
rémonie eut lieu dans la matinée à Hitiaa,
à l'endroit même
du débarquement.
En présence
du contre - amiral Tellier ,et de nombreuses
personnalités civiles et militaires et de toute la popula¬
tion du district,
le gouverneur Sicurani devait inaugurer la
stèle
A
à la mémoire de
Bougainville.
Sicurani arriva sur les lieux,
un détachement de Marine
qui
honneurs, puis les autorités présentes.
9 heures, le gouverneur
salua la fanfare
rendaient les
du BIMAT
et
Après un himene de bienvenue, le
rice Viriamu,
prononça l'allocution
chef de Hitiaa, M. Mau¬
que nous
reproduisons :
"Messieurs,
"C'est
avec
une
intense émotion que moi-même et la popu¬
districts voisins vous accueillons
lieu où, il y a de cela deux cents ans,
1768, Louis Antoine de Bougainville débarquait à
lation de Hitiaa et des
"aujourd'hui
"le
6 avril
en ce
"Tahiti.
neuf jours dans le district où il
lointain prédécesseur, le chef Ereti.
"Il devait séjourner
"était reçu par mon
"Pendant
ces
neuf jours,
"sympathie devaient s'établir
rapports d'amitié et de
entre les Français et les Ta-
des
"hitiens.
32
Société des
Études
Océaniennes
"La confiance
"des
si
rapidement acquise fut telle que l'un
n'hésita pas à suivre de Bougainville
nôtres, Ahutoru,
"à bord de la Boudeuse et à se rendre avec
lui
"il devait être présenté au roi Louis XV.
"De
"Tahiti,
en
France, où
Bougainville fut le premier Français .à connaître
Ahutoru le premier Tahitien à connaître la France.
"Depuis, l'union entre notre pays et notre "metua vahine"
se renforcer,
et c'est
naturellement
"que je conclus ces quelques mots de bienvenue en disant :
"n'a jamais cessé de
"Vive la Polynésie
"Vive la France
française
Le gouverneur Sicurani
termes suivants
!
!"
prit ensuite la parole
dans les
:
"Mesdames, Messieurs,
"Le 19 juin de l'année
dernière, sur le rivage de la
"Pointe Vénus, nous commémorions le deuxième
anniversaire de
"l'arrivée à Tahiti du
capitaine 5amuel Wallis ; au prin¬
temps de l'année prochaine, dans le même décor de la baie
"de
Matavai,
nous célébrerons le deux-centième anniversaire
du capitaine Cook. Mais aujourd'hui,
6 avril
"196B, c'est pour honorer la mémoire d'un Français, le pre"mier Français à avoir fait le tour du monde
et à avoir fou-
"du passage
'•lé le sol de
Tahiti,
que nous sommes réunis
sur
cette terre
"de
Hitiaa. C'est par cette passe, en effet, là devant
nous,
"que, le 6 avril 1768, une frégate dénommée "La Boudeuse" et
"une flûte baptisée "L'Etoile" sont entrées
dans les eaux de
"ce lagon et que,
du même coup, Bougainville et Tahiti sont
"entrés dans l'Histoire.
"Trois découvreurs en
"ser pour une coquetterie.
"si Tahiti
quelques mois, cela pourrait pasMais, n'est-ce-pas plutôt comme
avait voulu mettre
à l'abri du hasard les échos
"d'un aussi grand événement ? La
précaution n'a pas été inu"tile : avec le recul du
temps, on voit bien en effet que si
"Tahiti a eu plusieurs
parrains, il n'était réservé qu'à un
"seul de faire retentir son nom aussi haut et aussi
loin..0
"Constater
ce
fait, ce n'est pas chercher à établir enWallis, Bougainville et Cook je ne sais quel ordre de
"prééminence. Ils sont inséparables dans notre
souvenir.et,
"comme nous les avons
réunis, cette année, dans le bronze
"d'une même médaille, nous les
réunirons, l'an prochain, sur
"tre
"la pierre d'un même monument.
Mais
nous
accusera-t-on de
"partialité,
Français et Polynésiens que nous sommes,
si,
"laissant à.Wallis l'honneur du
premier arrivé et à Cook le
"palmarès d'une incomparable moisson
scientifique,
33
Société des
Études
Océaniennes
nous sa-
34
en Bougainville
le premier peintre de Tahiti, celui
"qui lui a donné véritablement naissance et qui a été à l'o—
"rigine de la fascination qu'elle n'a plus cessé, depuis
"lors, d'exercer sur les imaginations ?
"luons
"Quel était donc
cet homme que le roi de F'rance et la
rencontre de Tahiti en cette année
"Destinée envoyaient a la
"176B ?
sort du commun. Homme de
n'était pas rare sous l'An¬
cien Régime-,
Louis Antoine de Bougainville est aussi di¬
plomate, marin, savant et philosophe. Quand il arrive dans
"le Pacifique,
il n'a encore que 38 ans, mais déjà sa car"rière frappe
par
la diversité des talents et par l'éclat
"Le personnage,
assurément,
"cour et homme de guerre -ce qui
"des services». Elève de d'Alembert, secrétaire d'ambassade à
"Londres,
auteur à 27 ans d'un "Traité de calcul intégral",
"il choisit enfin le métier des armes et part pour le Canada
"aux côtés de Montcalm. Il s'y distingue si bien qu'à 3D ans
"le voilà colonel et chevalier de St-Louis.
Quatre ans plus
"tard, il quitte l'Armée pour la Marine et prend part, comme
"capitaine de vaisseau, à deux expéditions aux Malouines,
"dans
l'extrSme sud
de
la tête
"pour prendre
l'Atlantique, avant d'être choisi
de la première expédition française
"autour du monde...
"moins brillant.
Le
reste
de sa carrière ne sera pas
Chef d'escadron pendant la Guerre d'Indé¬
il
sous
la Révolution,
maître de recherche à
"l'Ecole Normale et membre de l'Institut ;
Napoléon le fait
"sénateur et comte d'Empire,
jusqu'à ce qu'enfin, en 1811,
"sa dépouille reçoive la consécration suprême du Panthéon...
pendance d'Amérique,
"commandant
de
la
flotte
est
nommé,
de Brest,
"Que de titres et d'honneurs ! Et pourtant, qu'en reste¬
aujourd'hui et qui,
hors le cercle des érudits,
"connaîtrait encore le nom de Bougainville si, en 1771, n'a"vait paru le "Voyage autour du monde"
et si ce livre, en
rait-il
"même
temps qu'un grand navigateur, n'avait révélé
"étonnants
d'observateur et
d'écrivain ?
des dons
C'est que Bougain-
possède à la fois l'esprit de méthode du savant et la
et que sa curiosité est encyclopé"dique. Elle l'entraîne aussi bien vers les sciences de la
"nature
que
Il y a en
vers l'étude des sociétés humaines.
"lui du géographe,
du naturaliste, et déjà, même si le mot
"n'existe pas encore, de l'ethnographe. Les moeurs, les ins¬
titutions, le langage, la religion, le caractère : Bougain"ville rend compte de tout,
et il le fait avec un accent de
"vérité et un bonheur d'expression qui maintiennent l'atten¬
tion toujours en éveil. Mais quand le sujet le porte, quand
"le voyàgeur et le poète rencontrent Tahiti et. les Tahitiens
"du XVIIIème siècle,
alors le tableau s'élargit, s'éclaire
"et prend une force d'évpcation extraordinaire.
C'est à ce
"tableau surtout,
c'est aux pages consacrées à la Nouvelle"Cythère que le "Voyage autour du monde" doit l'accueil en"ville
"sensibilité de l'artiste
35
Société des Études Océaniennes
Société des
Études
Océaniennes
"thousiaste
lui ont fait les contemporains, d'autant
que
la peinture de l'âge d'or océanien venait apporter
"à la philosophie naturiste
de l'époque une justification
"aussi éclatante qu'inattendue.
Le paradis n'était donc pas
"plus
que
"un rêve ?
"Il existait
bien, quelque part
"où les hommes vivaient heureux
un jardin
la terre,
liberté, un peuple
qui ne respirait que le
sur
dans la
""qui avait la gaieté du bonheur...
"repos et le plaisir de vivre" ?
"L'engouement est aussi soudain
"le devient l'homme à la mode
et
que
général. Bougainvil-
Ahutoru
la curiosité des
Les philosophes, Diderot le premier,
"salons.
"cet exemple
authentique
pour
s'emparent de
leurs attaques contre
civilisation. Le mythe de
étayer
"les méfaits de la morale et de la
"Tahiti est né...
"Pourtant,
le "Voyage autour du
polynésienne.
"Bougainville, en effet, n'omet pas de noter la dispropor¬
tion cruelle
-l'expression est de lui- des rangs et des
"conditions ; il révèle que ces hommes apparemment si paisi"bles
se
font
la
guerre
de tribu à tribu ; que l'on ne
"laisse pas, à Tahiti aussi, de bâtonner et de pendre ;
que
"la religion va jusqu'à des pratiques atroces...
"monde"
ne
"Mais les
lecteur
au
cache
rien des
attentif,
ombres de la société
demeurent les plus for¬
lyrique que Bougain"ville s'éloigne de Tahiti; "Adieu, peuple heureux et sage !
"Soyez toujours ce que vous êtes. Je ne me rappellerai ja"mais sans délices
le peu d'instants que j'ai passés au mi"lieu de vous et,
tant que je vivrai, je célébrerai l'heu"reuse île de Cythère. C'est la véritable Utopie.""
tes et c'est
premières impressions
sur
une
invocation toute
"Soyez toujours ce que vous êtes !". Comment un tel voeu
"pouvait-il être exaucé, quand celui-là même qui le prononce
"vient d'attirer
"vait-il même
sur
Tahiti
l'attention universelle
?
Pou-
Bougainville qui a grandi dans
"le siècle des lumières
et
qui appartient à cette famille
"d'esprits dont les recherches et les intuitions contribuent
"à élever
sans
l'exprimer,
cesse
ce
le niveau de la connaissance ?
"Mathématicien, explorateur et ethnographe, Bougainville
"compte parmi les précurseurs des temps modernes. Ce monde
"d'aujourd'hui où l'on se déplace toujours plus vite, il a
"travaillé à le faire naître.
Mais peut-être
cet esprit si
"pénétrant n'avait-il pas la force d'imaginer ce prodige :
"Tahiti à moins d'une journée d'avion !
L'eût-il pu d'ail¬
leurs, que l'homme de sciences en lui n'en aurait conçu que
"de l'enthousiasme.
Mais qu'aurait-il éprouvé s'il avait eu
"la révélation de cet autre prodige : que le mythe de Tahiti
"allait résister à
tous les progrès de la science et
qu'il
"garderait encore, deux siècles après sa naissance, presque
"tout l'éclat de sa première jeunesse ? Si bien que ce voeu
"qui paraissait utopique, le voilà réalisé, du moins dans
37
Société des
Études
Océaniennes
"son
esprit.. Tahiti n'est pas demeurée telle qu'au moment de
;
mais, au-dessus de la réalité -si belle
"sa découverte
"qu'elle soit, comme nous pouvons l'éprouver parle spectacle
"que nous avons sous les yeux- brille une réalité plus haute,
"une image pure et idéale qui est comme le rSve éveillé
du
"paradis perdu.
"C'est la gloire de Tahiti de l'avoir inspirée
"Bougainville de l'avoir peintei
"Tous les hommes lui
et
de
doivent de la reconnaissance, de
respect et de cette piété dont
"nous faisons honneur à ceux qui ont enrichi notre
patri"moine de culture et de sensibilité.
C'est dans ces senti¬
ments
que
je vais maintenant dévoiler la pierre et la
"l'admiration
en
et aussi de
ce
"simple plaque -les grandes choses parlent d'elles - mêmes"que nous avons érigées en ce lieu pour témoigner, après
"deux siècles, d'une mémorable reconnaissance".
La stèle fut ensuite dévoilée par
le gouverneur Sicurani.
énorme bloc de pierre de deux
tonnes environ, provenant du
lit de la rivière Papenoo, sur
laquelle est fixée une plaque de bronze portant l'inscrip¬
Elle est constituée
par
un
tion
:
"Au cours de son, voyage autour du monde.avec la fré¬
gate La Boudeuse et la flûte L'Etoile, Louis Antoine de Bou¬
gainville a débarqué sur ce rivage le 6 avril 1768".
Le cortège officiel se dirigea ensuite
l'inauguration du parc Bougainville.
Ce
Etudes
"L'absence
"la
Papeete
pour
fut au tour de M» Moortgat, au
nom de la Société des
Océaniennes, de faire l'éloge du navigateur français :
du
président Henri Jacquier et divers empSpermis à un membre ancien du bureau dé
Société des Etudes Océaniennes de prendre la parole lors
l'inauguration de ce nouveau parc Bougainville.
"chements
"de
sur
"Le
n'ont
pas
plus jeune membre du bureau,à qui échoit cet honneur
et
qui vous prie de croire combien il en ressent
"immérité
"toute
l'indignité,
"la modestie
de
vous
son
demandé sincèrement de lui pardonner
et la simplicité de son élo¬
érudition
quence.
"L"ancienne rue Bougainville avait été absorbée par l'é¬
largissement delà partie inférieure de l'avenue Bruat voici
"une quarantaine d'années.
"Aujourd'hui, à l'occasion de ce bicentenaire, il était
"juste, et la Société des Etudes Océaniennes remercie vive¬
ment Monsieur le Maire Pambrun ainsi que son conseil muni"cipal, d'accorder à l'un de ses personnages historiques les
"plus illustres l'hommage solennel de la cité, en lui ré"servant ce qui deviendra le joyau végétal de Papeete.
38
Société des
Études
Océaniennes
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6 AVRIL
39
Société des
Études
Océaniennes
1?S8
d'évoquer la figure d'un héros de la
d'un héros très humain, averti des contradictions et
"des faiblesses des hommes,
qui aima les aventures et n'eut'
"rien d'un aventurier,
d'un héros à la tête solide où les
"passions laissent place aux idées et aux préoccupations in"Je m'efforcerai
"mer,
"tellectuelles.
physique agréable, une fermeté de caractère ne dégra¬
ses
dons de générosité, une auréole de
"connaissances qui le distingue, Bougainville laisse espérer
"le jeune homme d'élite
qu'un chef ou un diplomate désire
"toujours s'adjoindre : à 27 ans, il est reçu membre de la
"Société Royale de Londres, à 30 ans, il reçoit la croix de
"St-Louis des mains du roi et le brevet de colonel.
"Un
dant aucun de
premiers succès ne comblent point son voeu
de tout approcher : livré aux agréments
"rudesses de la vie militaire,
il n'oublie point ce
"Ces
et
"savoir
de tout
et aux
qui lui
académique et son dessein de franIl formait un rêve : il souhai"tait d'accomplir une oeuvre
qui lui plût, qui satisfît sa
"curiosité,
qui le libérât des contraintes et lui valût
"quelque gloire ; seul, un exploit maritime pouvait répondre
"est propre, son ambition
"chir les communes lisières.
"à
voeux.
ces
dans
"celle
alors Une bonne expérience humaine ; il à
des hommes de robe, mais surtout dans
hommes d'épée et aussi parmi ceux qui se préoccu¬
possède
"Il
"vécu
la société
des
Paris, il a eu l'oc¬
et de se former aux
pent de gouverner leurs semblables. A
casion d'apprécier l'esprit de mesure
"disciplines du doute.
époque où l'on peut penser encore qu'un homme est
"capable d'embrasser la somme des connaissances, il jouit de
"la culture la plus étendue.
Son classicisme comprend aussi
"bien les modernes que les anciens î il s'amuse d'Homère au"quel il a souvent recours dans ses boutades et il cite vo¬
lontiers 'Platon et Virgile.
Il n'ignore ni Rabelais ni'Mon"taigne. Son maître avant tout reste Montesquieu, mais il
"connaît parfaitement Voltaire et Rousseau.
"A
une
si
d'usage,
"Le cliché
"à force
"certains
"faible
de
pour
ses
libéralement utilisé et fatigué, appauvri
de "l'honnête homme" que lui décernent
biographes, me paraît délibérément trop
cet esprit
encyclopédique.
"La thèse récente de Martin - Allanic nous confirme son
"aptitude rare pour les sciences exactes, même les plus abs¬
traites,
pour les mathématiques et la physique,
dont il
"suit les applications en astronomie, en navigation, en geo¬
graphic. L'étude des scienoes naturelles, en
"celle de la zoologie et de la botanique, semble un délasse-
particulier
"ment pour sa
"dans
"avec
perpétuelle curiosité.
Il se fait accompagner
grand voyage par un excellent astronome, Véron,
qui il travaille, entraînant les officiers de son état
son
"major aux
observations astronomiques et
nautiques. Il atta-
40
Société des
Études
Océaniennes
"che
divers problèmes que posent ces études
calcul des latitudes et des longitudes, de
"la déclinaison magnétique,
des mouvements des fluides, de
"la mécanique du navire...
sa
pansue
"scientifiques
aux
s
"Militaire
goût autant que par ambition, il étudie
pratique- la tactique et la stratégie,, Il
"pousse le problème de la guerre jusqu'à la raison d'Etat et
"au droit des gens. De guerrier, il sait se faire
juriste et
"diplomate.
"en théorie
par
et
"Sa probité intellectuelle est
"un groupe
d'îles
"l'incertitude
non
sans
faille
:
rencontrant
identifiées, Bougainville demeure dans
sujet de
terres que nulle carte ne siproclamer le premier découvreur :
"il laisse leur nom en blanc. La postérité a reconnu la sin¬
cérité et la modestie du circumnavigateur en donnant à la
"plus grande des îles Salomon le propre nom de Bougainville.
au
"gnale et dont il n'ose
ces
se
"Sa science est sans sectarisme s
ne
pouvant réaliser
"son voyage au pôle nord, il confie à ses
collègues anglais
"la masse de ses travaux préparatoires et de sa documenta-
"tion.
"Dans
"La Rose de sable",
son
roman
ses
personnages
Montherlant prête à
n'eût pas désavoué
"Bougainville : "Sitôt qu'il y a intelligence, il y a nuance
"et sitôt qu'il y a nuance, il n'y a plus de
parti,, J'aime
"la réalité et j'aime la justice
:
deux raisons de n'Stre
"pas partisan".
"l'un
de
ce
propos
que
"Ce
grand intellectuel reste profondément humain : il est
à s'intéresser aux conditions d'existence
"du marini
Commandant de bateau, il reçoit la plus enviable
"des marques d'estime : malgré les
dangers côtoyés et les
"souffrances endurées au cours du voyage autour du monde,
"état- major et équipage demandent à
embarquer de nouveau
"un des premiers
"sous son commandement.
Il sera d'ailleurs membre de la So¬
ciété des Observateurs de l'Homme. Son souci de l'humain .le
"fera considérer par
moderne
un
l'époque
comme
pionnier de
"1'e thnologie.
"Bougainville n'est
seulement un explorateur curieux
' intéressent les peuples étrangers
"qu'il rencontre, il est aussi un enquêteur sérieux. Son ré"cit a parfois la valeur d'une étude
économique et politi"que. A Batavia surtout, il a montré cette conscience pro¬
fessionnelle, cet esprit: judicieux qui font les bons
"consuls.
pas
"de paysages nouveaux qu
"L'amitié fraternelle qu'il porte à Aoutorou Poutavery,
ayant découvert l'Europe, l'importante
"somme d'argent qu'il consacre à son séjour et à son
retour,
"et cent autres gestes témoignent de la
générosité de l'hom"me. Sa modestie mettait la satisfaction d 'être utile au"le premier Tahitien
"dessus de l'honneur d'être admiré.
4 1
Société des
Études
Océaniennes
"Pour
quiconque étudie la vie de ce dragon devenu marin,
garda jusqu'à 1'extrême vieillesse de l'apathie in¬
tellectuelle et physique,
deux qualités enviables s'impo¬
tent tout" au long de la découverte, de cette existence : une
"simplicité qui sécîuit, une intelligence qui fascine0
"qui
se
"Bougainville appartient à cette catégorie d'hommes que
déplore de ne point avoir vu naître chez elle.
"toute nation
"Son corps repose
"Son
"le
coeur
"Quant à
en
cimetière
au
de St-Pierre de
esprit, permettez-nous de
Nouvelle-Cythere.
son
sa
"Son buste,
toire
Panthéon,
Montmartre, dans
familial,
caveau
"meure
au
pour
ce
"connaissances
penser
qu'il de-
témoignera à travers l'His¬
face à la mer,
grand marin et homme de réflexion, avide de
et d'aventures, pour la plus grande gloire de
"la France et de Tahiti",
M,
ration
Georges' Pambrun, maire de Papeete, termina l'inaugu¬
du parc Bougainville en ces mots :
"Monsieur le Gouverneur,
Mesdames, Messieurs,
"En décidant à
l'unanimité, lors de sa séance du 25 mars
donner le nom de Bougainville à l'un des plus
"beaux parcs de notre cité,
le conseil municipal a voulu
"marquer de façon éclatante sa participation à la commémora"dernier,
"tion du
de
bicentenaire de l'arrivée
à Tahiti de Louis Antoine
"de
Bougainville et accomplir de ce feit un acte de souve"raine justice à l'égard du premier navigateur français
qui
"ait foulé, notre
"Des
premiers navigateurs à avoir abordé| Tahiti
siècle,
seul Bougainville, en effet, n'a plus
notre capitale.
trois
"au XVIIIème
"sa
dans
rue
sql.
possible, certes, de donner à une de nos arà l'instar de ses
"deux compagnons anglais : Wallis et Cook.
"Il eût été
"tères
le
nom
de cet illustre personnage,
actuelle toutefois, le conseil mule parc Albert 1er gagnerait logique¬
ment à être dénommé
"parc Bougainville" puisqu'il devra
"bientôt recevoir le monument Bougainville,
appelé à être
"déplacé du fait des travaux d'aménagement du front de mer.
"Dans la conjoncture
"nicipal
a
estimé que
éviter toute polémique autour de cette décision
j'ajouterai tout de suite
le conseil municipal,
"qu'il étudiera prochainement l'éventualité de donner à une
"Et pour
"prise
par
place de Papeete le nom de "Albert 1er", ce vaillant
belge qui a joué un rôle si important lors de la pre¬
mière guerre mondiale.
"autre
"roi
4 2
Société des
Études
Océaniennes
précisé -et comme il est de tradition-,
panégyrique de M. Bougainville,
"Ceci
"faire
je
devrais
ici le
"Vous l'avez fait ce matin à
Hitiaa, Monsieur le Gouver¬
neur.
"Vous
venez
de
"C'est
à l'instant, Monsieur le Vicedes Etudes Océaniennes.
le faire
president de la Société
pourquoi je ne m'étendrai pas
davantage sur ce
"sujet.
"Simplement, je voudrais dire qu'il m'est particulièreagréable de procéder à l'inauguration de ce "parc Bou"gainville", en souvenir de cet homme qui a tant fait pour
"la renommée de nos îles et qui les
a auréolées de cette
"sorte de mythe paradisiaque qui subsiste encore aujourd'hui.
"ment
"Oui
!
Pour
"Louis Antoine de
avoir
fait
Bougainville
connaître et aimer nos îles,
a bien mérité de la Polynésie
"française.
"Et, en dévoilant cette plaque qui porte aujourd'hui son
"nom, il me semble qu'il vient, une fois encore, de débar"quer à Tahiti.
Mesdames, Messieurs, désormais,
s'appellera "Parc Bougainville".
"Monsieur le Gouverneur,
"ce
parc
"Vive la France
"Vive la
Der
Papeet
!
Polynésie française !".
de pirogues et des régates dans
clôturèrent cette journée.
courses
4 3
Société des
Études Océaniennes
la rade de
OCEANISTES
LES
CELEBRENT
La
PARISIENS
BOUGAINVILLE
Société des Océanistes se deyait de marquer par des
sa mesure le deuxième centenaire du passage
manifestations, à
de
Bougainville à Tahiti en avril 1760;
Dans la matinée
du vendredi 26 avril I960,
l'illustre navigateur,
des
fleurs
furent
en
hommage à
déposées sur sa
cimetière de Saint-Pierre de Montmartre, par M.
de la Société, en présence des descen¬
dants de Bougainville,
de l'amiral Cabanier, ancien chef
d'état-major de la Marine nationale, et de quelques person¬
tombe,
au
Roger Heim, président
nalités.
de la Société se tint le même jour
princesse de Polignac. Un piquet de marine
La séance mensuelle
dans l'hôtel de la
y
rendait les honneurs,
témoignant de la part prise à notre
hommage par la Marine nationale.
Après
une
très .brillante présentation de Bougainville
membres de la Société, experts curieux
la mer,
historiens maritimes ou connaisseurs
océanien, voulurent bien aider les nombreux
par
M. Heim, quelques
des
choses de
de l'exotisme
assistants
à la séance à mieux
connaître Bougainville et son
voyage;
d'après des documents inédits ou peu connus, le
à monter à bord
fit faire le
tour.
Puis, le docteur Adrien Carré, médecin général de la
Marine, nous passionna en nous révélant les problèmes posés
au XVIIIème siècle par l'alimentation de quatre cents marins
menacés par le scorbut.
M. Etienne Taillemite, conservateur
du
département de la Marine aux Archives nationales, nous
Ainsi,
commandant Denoix,
après nous avoir invités
de "La Boudeuse" et de "L'Etoile",
nous
en
44
Société des
Études
Océaniennes
guida sur les pas de Bougainville lors de l'escale à Tahiti.
lui, nous saluâmes la reine Oberea et fîmes la connais¬
sance d'Autourou en partance
à Paris pour y rendre à Bou¬
gainville sa visite dont M. H. Jacquier, président de la So¬
ciété des Etudes Océaniennes,
nous
entretint avec autant
d'agrément et d'esprit que de savoir,
nous ouvrant les yeux
sur
les répercussions philosophiques du voyage
de Bougain¬
Avec
ville.
de
cette
séance fut tirée par l'amiral
qui traça un magistral panorama de la permanence de
Marine française dans le Pacifique.
La conclusion
Cabanier
la
L'Institut et le Museum d'Histoire naturelle, l'Académie
et celle des Sciences d'outre-mer,
ainsi que de
de Marine
nombreuses sociétés
savantes, avaient tenu à
senter à cette séance.
sait
Un des salons
se
faire repré¬
de la Fondation expo¬
quelques souvenirs de Bougainville et des pièces origi¬
nales concernant
son
voyage.
Le soir,
un dîner,
présidé par l'amiral Cabanier et la
baronne de Vazelhes et auquel assistèrent toutes les person¬
nalités
avaient
à notre manifestation, fut
gauche;; Deux grScieuses
et authentiques Tahitiennes, en costume, y accueillaient les
participants à la manière de leur île, offrant à chacun des
fleurs fraîches de "tiare" arrivées le matin même par avion;
Les invités,
dans la salle agréablement décorée de fleurs
exotiques et de coquillages polynésiens, et sous une large
carte décorative
en couleurs
figurant la route de Bougain¬
ville, trouvaient devant eux, dans un étui de vannerie arri¬
vé lui aussi directement des îles,
la magnifique brochure
réalisée par le Tourisme.de la Polynésie française et consa¬
crée à Bougainville.
qui
servi dans
un
participé
restaurant de la rive
la baronne de Bronac de Vazelhes,
du grand navigateur français, voulut
bien, par une faveur dont leS Qcéanistes apprécièrent tout
le prix, permettre de considérer désormais,à titre posthume,
Au
cours
arrière
de
ce
repas,
petite-fille
Louis Antoine de Bougainville, son trisaïeul, comme un membre
d'honneur de la Société dBs Océanistes.
Par de chaleureuses
acclamations, l'assemblée témoigna sa joie et son honneur de
compter désormais parmi ses membres un Océaniste de cette
qualité.
Ainsi Paris s'associa-t-il, de loin, aux fêtes brillantes
qui, à Tahiti, marquaient cet anniversaire.
Un numéro spécial
du "Journal de la Société des Océa¬
nistes", qui paraîtra en décembre 1968, sera consacré à Bou¬
gainville... en attendant cette édition critique du "Voyage
autour du monde" que la science française doit à Bougainville
et
que la Société des Océanistes espère bien pouvoir,
dans
un avenir assez proche, présenter à ses utembres;
45
Société des
Études
Océaniennes
Roger HEIM, président de la Société, en présen¬
des descendants de Bougainville, de l'Amiral CA
BANIERj, de M.H. JACQUIER et de quelques personna M.
ce
lités.
Photo DESSIRIER
46
Société des Etudes Océaniennes
La Tombe de Bougainville au
re
de
Cimetière de St. Pier¬
Montmartre®
Photo DESS1RIER
47
Société des Etudes Océaniennes
AUTOROU
Le
premier Tahitien
qui a découvert l'Europe
P. Moortgat.
Dans les
premiers jours d' avril 1768, Bougainville lou¬
devant Tahiti...
voyé
"Il y
avait dans deux pirogues qui étaient amarrées en¬
qui, ne pouvant gagner la Boudeuse qui al¬
lait trop vite,
se rabattit sur l'Etoile.
Il faisait signe
des mains, des pieds et de tout son corps qu'il avait grande
envie de venir à bord... Cette double pirogue était armée de
dix esclaves...
Nous filions pour lors deux lieues à l'heu¬
re
; ces gens pagayaient de toutes leurs forces.
Dès qu'ils
furent à portée, on leur jeta une amarre.
Le chef sauta sur
l'avant des pirogues, s'affourcha un pied sur chacune, et
faisant une
force
inconcevable
pour retenir l'amarre
que
nous craignions beaucoup qu'elle eût cassé ou
que l'homme ne
fût projeté à la mer ;
c'est pourquoi on lui disait de lar,guer l'amarre,
ce qui ne fit que le ranimer.
Enfin,
après
environ un demi quart d'heure de
travail, il parvint à ac¬
coster le navire, à attraper la chaîne des haubans, à monter
à bord avec son rameau de palme à la main.
semble
un
Note
sauvage
;
Eloigné des
grandes bibliothèques,
nous
ne pou¬
une monographie sur Autorov.
C'est
de J.P. Martin - Allanic qui a permis ce
collationnement d'extraits des différents journaux de bord.
vions
songer à
l'admirable thèse
faire
(Bougainville navigateur
et
les découvertes de son temps,
de Franco, Paris
J.P. Martin-Allanic, Presses Universitaires
1964).
48
Société des Études Océaniennes
"Il renvoya
aussitôt la
pirogue,
présenta
son rameau
à
Lafontaine qui était le plus grand des officiers du vais¬
seau,
lequel lui présenta le capitaine auquel il donna son
M,
rameau
en
disant
"tayeau".
"Il était vêtu de trois ou quatre pagnes de coton blanc,
qui avaient un trou pour passer la tête. Cela faisait comme
une grande chemise sans manches, ouverte des deux côtés. Cet
homme n'a point paru étonné d'être avec nous.
fait signe à notre sauvage pen¬
pirogue à bord pour le prendre,
et on lui faisait signe de s'en aller à terre.
Il fit signe
qu'il voulait rester à bord. M. La Giraudais proposa au sau¬
vage de s'en aller chez lui, que nous allions loin ; il nous
fit signe que
c'était égal, qu'il voulait nous suivre. Il
très
lestement
monta
alors
dans les premiers haubans
et
après avoir parlé un moment' à une trentaine de pirogues qui
nous
environnaient, elles disparurent ; il n'y eut plus
moyen de le renvoyer.. M. de la Giraudais, qui ne connaissait
pas les
intentions de M. Bougainville, ne se souciait pas
d'emmener ce sauvage
et aurait bien voulu qu'il s'en fut
allé...
Autorou
revint à M. Lafontaine auquel il faisait
beaucoup de caresses, l'embrassa et lui donna un de ses pa¬
gnes dont il était vêtu, .avec lequel il l'enveloppa. M. La¬
fontaine, en représailles, lui donna une chemise, une grande
culotte, avec une veste qu'on eut beaucoup de peine à assor¬
tir par la largeur de l'écarrure.
CJliand il fur décoré de
cette demi-toilette,
il désira et demanda un chapeau, qu'on
lui procura,
pn peut facilement croire qu'il nous amusa
beaucoup avant d'être habillé, par la manière dont il s'y
prit. On lui présenta un miroir dans lequel il ne parut pas
surpris de se voir, mais il témoigna un grand étonnement
d'en voir un autre derrière lui...
L'heure de la prière ar¬
riva ;
on sonna la cloche au bruit de laquelle il regardait
de touts part en l'air
;
à la prière, il se mit à ;gsnoux
comme tous et fut très posé. A'la fin, on cria "Vive le roi"
et il fit chorus.
Il s'amusa à aller ensuite s'aplater avec
les matelots,
s'asseoir, par terre à côté d'eux.et manger
quelques'cuillerées de soupe alternativement à l'une et à
l'autre gamelle. Tout lui paraissait curieux. Il s'informa à
quoi servaient les canons ; quand on lui en eût fait la dé¬
monstration qu'ils servaient à tuer, il pâlit et resta sans
contenance pendant quelques temps.
Je crois qu ' il connais¬
sait les fusils ;
lorsqu'il en vit dans la grande chambre,
il se mit à dire "pou pou" et il fit signe que cela faisait
mourir...
Notre heure de repos arrivée,
il se mit à table
comme
nous,
il regardait tous nos mouvements pour nous imi¬
Tout ce qu'on lui servait,
ter.
il le flairait avant de le
gdÛter. On lui a donné de l'eau qu'il nous a paru boire avec
plaisir et avidité en prononçant "vaye", c'est-à-dire de
l'eau.
Il ne voulut point de vin ni de ragoût. Dès qu'il
"A
six
heures, l'on
sionnaire de faire venir
a
une
49
Société des
Études
Océaniennes
s'aperçut
que les mousses étaient pour servir,
faire rendre
les
mêmes
honneurs
il eut grand
d'échanger
souvent. Ce qu'il parut trouver de meilleur a été des confi¬
tures sèches.
Il buvait très fréquemment de l'eau,
ce qui
nous fit craindre qu ' ils
n'en, eussent point chez eux ; les
signes que nous lui faisions nous laissant l'équivoque de
savoir s'il nous disait d'y en porter ou qu'il y en avait...
Peu à peu,
la plus grande partie de l'équipage était accou¬
rue
dans
la grande chambre pour
voir le sauvage.
Lui-même
regardait tout ce monde avec curiosité. Soudain, s'adressant
au
domestique de M. Commerson,
il lui fit à l'instant,
de
dessus le banc où
il était assis,
des propositions par si¬
gnes qui
ne laissaient nulle équivoque,
en criant "ayene",
ce
qui veut dire "fille" dans la langue du pays. Comme dans
la foule,
ce domestique se trouva accosté de notre armurier
nommé Labarre, qui avait une figure fort efféminée ;
on lui
frappa sur l'épaule en le montrant, lui demandant si c'était
lui, mais avec toute la vivacité et l'ardeur qu'il put ras¬
sembler, il montra que c'était l'autre objet, lequel perdit
contenance et, tournant les talons, s'en alla en baissant la
tête. Mais d'après cet instant, notre sauvage ne voulut plus
manger et n'était à rien de ce qu'on pouvait lui dire.
soin de
"On
se
tiré
des
et
fusées
qu'il a vues avec grand étonnelequel il n'a pas voulu res¬
ter, ayant préféré être
sous le gaillard,
sur les voiles.
Toute la nuit,
il n'a fait que monter à chaque instant pour
voir, par les étoiles, où nous allions...".
ment.
a
On lui
a
fait
un
lit
sur
A la foule qui acclame 1'état-maior de la Boudeuse lors¬
qu'il débarque, s'en mêle bientôt une autre précédée d'Autorou qui s'était fait peigner, poudrer et
habiller à la fran¬
çaise.
A son arrivée, une troupe d'environ trois cents sau¬
vages s'assemblèrent sur le rivage,
l'y reçurent dans leurs
bras et l'emportèrent sur leurs épaules,
en triomphe, sous
une rangée d'arbres.
A l'ombre
qu'en procurait leur feuillage, ils s'assirent
lui, faisant un cercle considérable ; il leur fit
un palabre
d'une heure et ensuite ils se levèrent tous en¬
semble, en jetant des cris de joie.
autour de
Le Vendredi 15
aperçoivent
dans leurs
avril au matin,
dès que les indigènes
les premières voiles se déployer,
ils montent
pirogues et atteignent la frégate.
"Un moment après que nous avons été sans voiles, écrit
Bougainville, le cacique est venu à bord nous faire ses
adieux, un présent d'une grande voile à bateau, et il nous a
amené un de ses Indiens, nous priant de le prendre avec nous
et de le ramener. J'ai accepté cet Indien, lequel peut deve¬
nir de la plus
grande utilité à lq nation, et l'ai nommé
Louis;
50
Société des
Études
Océaniennes
"En
y avait une fort jolie fille que
il lui a donné trois perles qu'il
avait à ses oreilles, l'a baisée encore une fois,
et malgré
les larmes de cette jeune amante,
il s'est arraché de ses
bras et a remonté à bord".
Cet intrépide insulaire
n'était
Louis
autre
a
nous
quittant,
été embrasser
il
;
qu'Autorou.
"Cet Indien,
qui est un des principaux de l'île d'après
prince de Nassau, ne répond point du tout à ce que nous
avons
dit de cette nation par sa taille et sa figure, mais
il a en outre toute l'intelligence possible,
ce qui répare
bien le manque de beauté que la nature a tant prodigué à ses
compatriotes."
le
Les
deux bâtiments
"Lorsque
appareillent...
été venue, l'Indien a observé Ibs
a
nommé une douzaine,
nous a montré dans
les étoiles par quelle aire de
vent nous restait son pays,
et qu'en gouvernant au nord-nord-ouest,
nous arriverions en
deux jours à
une terre, habitée par une nation alliée de
la
sienne, garnie de tous les rafraîchissements que nous pour¬
étoiles,
rions
nuit
la
nous en
a
désirer et surtout des femmes à
fait entendre
notre service.
Il
nous
' il y était né ou qu'il y avait fait un
enfant, ses gestes marquant également les deux choses...
Voyant qu'on continuait la même route et croyant sans doute
qu'on ne l'avait pas bien compris, il s'est jeté à la barre
et, se saisissant de la roue,
il voulait mettre le vaisseau
dans
la
route
qu'il indiquait. Il est bien clair que ces
peuples naviguent hors de vue de toute terre et; se pilûtènt
par les étoiles...
Notre Indien veut toujours qu'on aille à
la terre qu'il indique et s'afflige fort de notre refus.
Il
ne pense
qu'à ses femmes, il nous en entretient sans cesse,
c'est son unique idée ou du moins,
toutes les autres chez
lui se rapportent à celle-là. Il nous fait entendre que s'il
n'y en a point pour lui où nous allons, il lui faut couper
a
qu
le col".
Quelques jours plus tard, Bougainville reçoit encore les
pressantes d'Autorou ; il note : "Notre In¬
dien
bien
voudrait
l'on s'arrêtât à toutes ces îles,
que
uniquement pour y sacrifier à Vénus. C'est le seul objet
dont il soit occupé; c'est à lui "seul que se rapportent tou¬
sollicitations
tes
son
ses
idées...".
Suivant la
coutume,
protecteur
et
ami
il échange
et
son
nom
contre celui de
qu'il
prend celui de Bougainville
Boutaverie. C'est
ce nom qu'il sera nommé dans
concernant, mais qui devient pai>fois Poutavery, Poutaveris...
Bougainville le désigne plus
généralement sous son nom indigène "Aoutourou". Dans la re¬
lation de voyage de Marion-Dufresne, il est désigné
sous le
nom de
"Msyoa, improprement appelé Poutavery".
prononce
les
documents
sous
officiels le
51
Société des
Études
Océaniennes
"Cet Indien
nesse.
vire.
a
beaucoup d'intelligence et beaucoup de fi¬
Il examine et dépeint tout ce qui se fait dans le na¬
Il sait à quoi chacun est employé, surtout les timo¬
niers
des
mette
à la barre.
deux
quarts, et ne veut pas que personne autre se
Toutefois, il n'a pas appris jusqu'à pré¬
sent un seul mot de français
;
premièrement parce qu'il est
très paresseux,
en second lieu,
parce que notre langue est
presque impossible à. prononcer pour un homme dont la langue
est toute en voyelles.
Les mêmes causes qui autorisent à
dire que la nêtre est peu musicale la rendent inaccessible à
ses organes.
Il craint comme la mort toute espèce de douleur
et le moindre malaise.
Il est d'un caractère timide,
doux.
Il est au désespoir de voir souffrir ; les châtiments, qu'il
faut nécessairement infliger, lui sont un supplice.
L'habi¬
tude d'une vie molle donne nécessairement ce
caractère, ce
qui le rend indolent et doux".
Aux Nouvelles
l'Indien'de Cythère est chargé
indigènes, "mais Louis n'a
point entendu leur langue et n'a nullement envie de vivre
avec eux", remarque Bougainville.
"Il a témoigné beaucoup de
mépris pour ces insulaires. L'Indien s'ennuie extrêmement de
ne
point aller à terre ; cependant, il conserve sa gaieté, à
quelques intervalles près dans lesquels il a de l'humeut.
Son caractère est porté à la raillerie.
Il contrefait avec
grâce et légèreté tous ceux dont la figure ou les manières
prêtent au ridicule. Il remarque tout et démêle avec finesse
le comment et le pourquoi. Sur tout ce qui le frappe, il im¬
provise des espèces de récitatifs obligés. Il n'oublie ni le
d'entrer
en
-
Hébrides,
relations
bien ni le mal
avec
les
qu'on lui fait,
reconnaissant
dont les phases
lui sont connues,
une grande influence sur les vents
et le
temps. Il nous a fait entendre, un soir qu'elle était extrê¬
mement brouillée,
quer dans son pays, lorsque la lune avait
ces aspects,
on lui sacrifiait deux hommes,
soit esclaves,
soit gens du peuple, "toto einou",
jamais de femmes, et que
c'était 1' "eatoua"
qui les immolait en les assomant. Il
être vindicatif.
sans
nomme
Au
il
cet état de la lune "marama tamai"
comprendre
un
mais
encore ce que
cours
est
Il attribue à la lune,
et
nous
ne
pouvons
c'est".
d'une partie de pêche, un matelot est mordu par
serpent...
"... Le Cythérien nous a fait entendre que dans son pays
il
de la côte., qui mordaient
qui étaient mordus en mou¬
raient, Leur médecine est je crois fort peu avancée.
Il est
émerveillé de voir le matelot sur pied (l). Fort souvent, en
examinant les productions de nos arts,
tous les moyens par
lesquels ils augmentent nos facultés et multiplient nos for¬
ces, cet insulaire tombe dans l'admiration de ce qu'il voit
y avait des sasrpents le long
les hommes à la mer, et
que ceux
52
Société des
Études
Océaniennes
rougit pour son pays. "Aouaou Taïti"(2), nous dit-il avec
douleur.Il sera plus surpris encore quand il pourra compren¬
et
dre
ses
que cette ignorance même est la sauvegarde du bonheur de
compatriotes".
Après
consigne :
escale aux
une
Indes néerlandaises, Bougainville
un
mot de l'impression qu'a faite la vue
établissement européen sur notre Cythérien. On con¬
"Je dois dire
de
cet
çoit que sa surprise a dû être forte à la vue d'hommes de
notre couleur, de maisons, dé jardins, d'animaux domestiques
en grand nombre et tant variés,
de 1' hospitalité exercée
d'un air franc
et
vis des Hollandais
de connaissance.
Il s'est conduit vis-à-
esprit. Il a commencé par leur faire
entendre que, dan s son pays; il était un chef et qu'il voya¬
geait pour son plaisir avec ses amis. Dans les visites, à la
promenade, à table, il cherchait à nous copier exactement.
La première visite que
je fis à terre, je ne le menai pas.
Il s'imagina
que
c'était parce que ses genoux étaient ca¬
gneux et voulut absolument faire monter dessus des matelots
pour les redresser. Il nous a demandé souvent si Paris était
aussi beau que ce comptoir".
avec
(1) Voici la thérapeutique
le jeune matelot avait été mor¬
du au pouce et au cûté. "Il eut, sur le champ, de la peine
à marcher.
Il est revenu à bord un. quart d'heure après,
et en mangeant sa soupe,
il a jeté les hauts cris.
On
l'a monté sur le gaillard d'arrière après lui avoir fait
avaler de la thériaque
et lui en avoir frotté le cûté.
On l'a fait promener de force par deux hommes qui se re¬
layaient, pour provoquer la sueur. Le major ensuite a
scarifié ét frotté de thérieque le cûté mordu et c.n lui
a fait prendre de l'eau de luce.
On a continué la prome¬
nade
jusqu'à ce qu'il ne put absolument plus se soute¬
nir,
AussitÛt qu'il a été couché,
il est entré en
convulsions,
perdant connaissance dans les moments où
elles
étaient
les
plus -fortes. Il se plaignait d'un
grand mal au ventre. M; de. Connierson, appelé en consul¬
tation, a approuvé ce qui avait été fait jusqu'à son ar¬
rivée
et
a suivi le traitement jusqu'à dix heures, que
le malade a commencé à amender,
la sueur s'établissant
et le sommeil versant déjà ses pavots Salutaires...".
(2) Bougainville traduitcette_expression par "Fi de Tahiti".
53
Société des
Études
Océaniennes
La Boudeuse (1) arrive à 5t-Mslo le 16 mars 1769 dans l'a¬
près-midi, et le soir mSme, une voiture emporte au grand ga¬
lop vers la capitale/Bougainville, le prince de Nassau et
Autorou.
Après trois journées- de voyage et une halte à Ver¬
sailles, Autorou se trouve installé dans la demeure de Bou¬
gainville à Paris, Les philosophes désapprouvent aussitSt
l'exil temporaire de l'Indien et le navigateur est contraint
de
répondre
:
"Je suis obligé de
bonne
me
justifier d'avoir profi¬
volonté d ' Autorou pour
lui faire faire un
' assurément il ne croyait pas devoir Être aussi
long.
Le zèle de cet indigène pour nous suivre n'a pas été
équivoque. Dès les premiers jours de notre arrivée à Tahiti,'
il nous l'a manifesté de la manière la plus expressive et sa
nation parut applaudir à son projet. Forcés de parcourir une
mer inconnue et certains de ne
devoir désormais qu'à l'huma¬
nité des peuples que nous allions découvrir, les secours et
les
rafraîchissements
dont
notre
vie dépendait, il
nous
té
de
voyage
la
qu
était essentiel
d'avoir
avec
nous
un
homme d'une des îles
les
plus considérables de cette mer. Ne devions-nous pas
présumer qu ' il parlait la même langue que ses voisins,
cue
ses moBurs étaient les mêmes
et
que son crédit auprès d'eux
serait décisif en notre faveur quand il détaillerai! et no¬
tre ccnauite vis-è-vis de ses compatriotes et nos procédés à
son égard ? D'ailleurs,
en supposant que notre patrie voulût
profiter de l'union d'un peuple puissant situé au milieu des
plus belles contrées de l'univers,
quel gage pour cimenter
l'alliance que l'éternelle obligation dont nous allions en¬
chaîner ce peuple en lui renvoyant son concitoyen Lier trai¬
té par nous et enrichi des
connaissances utiles qu'il leur
porterait '? Dieu veuille que le besoin et le zèle qui nous
ont inspirés ne soient pas funestes au couregeux Au-torcu. On
m'a souvent demandé et on me demande tous les jours ppurquoi,
emmenant un habitant d'une île où les hommes sont en général
très beaux, j'en ai choisi un vilain. J'ai répandu et je ré¬
ponds ici, une fois pour toutes,
que je n'ai pas choisi
:
l'insulaire est venu avec moi,
s'est embarqué sur mon vais¬
seau de sa propre volonté, je dirai
presque contre le mienne".
Les premières
personnes
qui s'intéressent à l'Indien
sont les
savants, et tout d'abord La Condamine et Pére.ire,
interprète du roi,
La Condamine résume
il envoie
copie
ses
observations
dans
une
note
dont
président de Brosses : "... Le jeune in¬
sulaire est un homme de trente ans,
d'une taille médiocre,
environ cinq pieds deux pouces (1),
sa couleur est basanée,
au
semblable à celle des Indiens orientaux
de la cfite
d'Afrique.
Il
a
les
et
à celle des Mau¬
les cheveux et les
sourcils noirs...
Ses traits n'ont rien d'irrégulier ni de
difforme. Les renards que l'insulaire porte sur Bougainville,
res
yeux,
(l) L'Etoile arrivera dans le port de Rochefort le 24 avril
1769. Elle avait quitté l'Ile de France quelques semai¬
nes après la Boudeuse,
'(1) 1,67 m.
54
Société des
Études
Océaniennes
sa
façon
de
se
tenir
près de lui, montrent qu'il l'aime
l'é¬
fort, L.e navigateur lui pose affectueusement la main sur
il explique qu'il a beaucoup d'attentions pour lui,
petites fantaisies, ses impatiences, et surtout,
il a soin de ne pas blesser son amour-propre,,.
Il est fort
impatient et paraît s'ennuyer quand il ne change pas d'occu¬
pation", La Condamine obseirve que ce qu'on lui dit et qu'il
n'entend pas,ne peut fixer son attention.
Au cours de cette
réunion de savants,
Bougainville montre un tableau qui re¬
présente une Vénus presque nue, Autorou s'en approche, fait
paule,
ménage
ses
semblant d'abord d'écarter Je
linge qui la couvre très légè¬
et, ne rougissant pas d'appeler les choses par le nom
qu'on leur a donné, montre du bout du doigt ce qui, dans le
tableau, est caché par la draperie et répète : "Eros,. Eros",
de façon très douce, "En répétant ce mot, note La Condamine,
le jeune homme
approchait et retirait alternativement son
doigt du tableau et, chose singulière, il portait ensuite le
bout de son doigt sous son nez et le prômenait d'une narine
è l'autre. Ensuite, il le portait sur la pointe de sa langue
et faisait d'abord un geste de mépris et une grimace de dégopt et de mépris. Puis il présentait de nouveau son doigt
au tableau,
le reportait à son nez et à sa bouche et faisait
un signe tout différent
du premier, en ouvrant les yeux et
penchant un peu la tête, et disait "moua, moua".
D ' après
Bougainville, cela signifie dans sa langue "bon, bon".
rement
sur ces deux gestes opposés et contra¬
dit La Condamine,
j'imagine qu'il voulait faire
entendre qu ' il venait de goûter de deux mets différents et
qu'à l'odeur et au goût, il jugeait que le premier était un
poison et que le second était agréable et salutaire. En ef¬
fet, il est très vraisemblable qu'ayant le sens de l'cdorat
assez exquis pour distinguer
par ce seùl sens la différence
des deux sexes, ces peuples ont acquis, par ce. même sens, en
s'aidant encore par celui du goût, si une femme est saine ou
"En réfléchissant
dictoires,
malade".
La Condamine ayant, à propos d'Autorou,
prononcé le mot
"sauvage", Bougainville proteste : "On a tort de lui donner
ce nom... Je m'y oppose fortement et avec raison... Je
con¬
cède qu'ils n'ont pas fait de
grands progrès dans les arts,
mais seulement qu'ils' ont ceux qui leur sont nécessaires
ou
d'une grande utilité et quelques-uns même de pur agrément",
se
re.ndre compte du degré d'intelli¬
d'Autorou ; il lui fait manier son cornet acoustique :
appliqué à son oreille, il reconnaît que cela augmente le
son ;
de même pour les lunettes qui font voir plus distil
tement.
La Condamine lui fait signe que son cornet l'aidB à
entendre;
Autorou sourit et répond en deux mots de son lan¬
gage : "Taria amoe". "Oreille morte",
traduit Bougainville.
La Condamine et Péreire entreprennent d'étudier la mécanique
de lfi langue au
IMouveau-Cythérien et M. Péreire a commencé
par
lui faire entendre successivement tous les sons dont
La Condamine veut
gence
55
Société des
Études
Océaniennes
nous
nous
Autorou fait tout
servons.
ce
qu'il peut
pour
imiter... L'insulaire essaye d'abord d'articuler, puis,
me il ne
peut pas, il se bouche les oreilles. Il n'a pu
solument articuler
aucune
des
les
com¬
ëb-
qui commencent les
syllabes de ca, da, ga, sa, ra, non plus que le son que l'on
nomme "1 mouillé",
ni par une des voyelles appelées nasales.
Ce n'est pas tout : il n'a pas su faire de distinction entre
les.articulations cha et ja et n'a prononcé qu'imparfaite¬
ment le
consonnes
b et le 1 ordihaires...
dimanche 3D
avril, Bougainville fait habiller de neuf
la présentation au roi
après la messe. Autorou est ébloui par le luxe de la cour et
par la majesté du souverain.
Celui-ci s'arrête, curieux, et
interroge Bougainville sur son insulaire, sur le pays d'où
il vient, sur ses moeurs.
Le roi se montre fort intéressé et
demande au navigateur d'aller présenter son protégé aux jeu¬
nes
princes. Les ducs de Berry, de Provence, d'Artois sont
aussi curieux des
singularités de ce monde que leur aïeul.
Bougainville passe chez eux et leur répète tout ce
qui
peut les intéresser.
Le
Autorcu et l'emmène à Versailles pour
Autorou est à la mode et son ami le produit chez les
grands, è le ville, à tous ceux qui peuvent lui être utiles
dans ses
projets concernant l'influence française dans la
mer du Sud,
à tous ceux dont les observations peuvent enri¬
chir la science : Buffon, Mademoiselle de Lespinasse, Helvétius, le baron d'Holbach, le prince de Conti, Diderot...
A côté de remarques pertinentes, Bougainville peut enre¬
gistrer de la part du public même cultivé les bourdes les
plus absurdes. L'origine d'Autorou,
que Bougainville, sans
autrement
préciser, dit être d'une île de l'océan Pacifique,
laisse
teur
place à des attributions étonnantes. Comme le naviga¬
cache avec le plus grand soin la latitude, la longitude
ce qui pourrait faire connaitre la position de l'île
qu'il prétend avoir découverte, certains croient qu'Autorou
est un Patagon,
et c'est ainsi que Bachaumont le décrit :
"M. de Bougainville, après avoir présenté au roi,
aux prin¬
ces et aux ministres
le sauvage qu'il a ramené de son voya¬
ge, se fait un plaisir de le produire chez les particuliers
curieux de le voir.
Sa figure n'a rien d'extraordinaire, ni
an beauté ni en laideur.
Il est d'une taille plus grande que
petite, d'un teint olivâtre ; ses traits sont fort prononcés
et tout
et annoncent un homme
de trente
ans.
Il est
fort bién
cons¬
point d'intelligence. Il s'exprime encore
mal en français et mélange sa langue avec celle-là. Ce Pata¬
gon se fait très bien à ce pays-ci ;
il affecte de n'y rien
trouver de frappant; Il n'a témoigné aucune émotion à la vue
titué et
de
ne
toutes
manque
les
beautés du
beaucoup notre cuisine,
sence
d'esprit ; il se
chateau de Versailles. Il
aime
boit et mange avec una grande pré¬
grise volontiers ; mais sa grande
56
passion est celle des femmes auxquelles il se livre indis¬
tinctement
(elle est généralement celle de ses compatrio tes)...".
son insulaire sont en butte aux ques¬
sortes de la part des curieux.
"L'empresser
Bougainville et
tions de toutes
voir Autorou a été vif, écrira Bougainville, cu¬
qui n'a servi presque qu ' à donner des idées
fausses à
des hommes persifleurs par état, oui ne sont ja¬
mais sortis de la capitale,
qui n'approfondissent rien et
qui, livrés à des erreurs de toute espèce, ne voient que
d'après leurs préjugés et décident cependant avec sévérité
et sans appel.J'ai presque toujours remarqué qu'accablé de
questions comme je l'étais, quand je me disposais a les sa¬
tisfaire, les personnes qui m'en avaient honoté étaient déjà
loin de moi...
Quoique Autorou estropiât à peine quelques
mots de notre langue,
tous les jours, il sortait seul, il
parcourait la ville et jamais il rte s'est égaré. Souvent, il
faisait des emplettes et presque jamais il n'a payé les cho¬
ses au-delà de leur veleur.
Le
de nos spectacles qui
seul
lui plût était l'Opéra,
car il aimait passionnément la dan¬
se".
Bougainville, qui fréquentait assidûment les théâtres
avec
son
ami Helvêtius
et son cousin Neuville, l'y avait
conduit.
Il le mena dans les coulisses où il le présenta à
Sophie Arnould et à Mademoiselle Clairon. Un soir, il pré¬
tendit tatouer Mademoiselle Heinsel, jeune danseuse alleman¬
de, à la mode de Taîti.
ment pour
riosité stérile
Il connaissait
parfaitement les jours de ce spectacle ;
allait seul, payait à la porte comme tout le monde et
sa place favorite
était dans les corridors. Parmi le grand
nombre de personnages qui ont désiré le voir,
il a toujours,
remarqué ceux qui lui ont fait du bien et son coeur recon¬
naissant ne les oubliait pas.
Il était particulièrement at¬
taché à Mme la duchesse de Choiseul
qui l'a comblé de bien¬
faits et surtout de marques d'intérêt et d'amitié auxquelles
il était infiniment
plus sensible qu'aux présents. Aussi
allait-il voir de lui-même cette généreuse bienfaitrice tou¬
tes les fois qu'il savait qu'elle était à Paris.
il y
Ce n'est que dans les jardins qu
des motifs d'évocation
de
son
île
' Autorou peut retrouver
lointaine,
bien souvent devant les arbres rencontrés
n'est pas
:
en
murmurant
(ce
"Aïta Taîti"
Tahiti)i
Tandis que l'on
discute de Taîti.et des Taïtiens de fa¬
très philosophique, Bougainville ne peut éternellement
supporter seul les frais d'Autorou è Paris. C'est à tort
qu'il avait imaginé que la France l'adopterait et qu'il n'y
resterait pas à sa charge.
Les bureaux de la Marine n'ont
pas un instant supposé
qu'ils pourraient défrayer Bougain¬
ville des dépenses du Tahitien qu'il avait amené :
"Je n'ai
çon
57
Société des
Études Océaniennes
épargné ni l'argent ni les soins pour lui rendre son 66jour
Paris agréable et utile...".
Or,
Pougainville n'a qu'une
faible
et il faut envisager le retour. Le charmant
fortune
sauvage est à Paris
depuis plus ' de huit mois pendant les*,
quels il n'a témoigné aucun ennui, mais son ami estime qu'il
connaît maintenant assez notre civilisation pour édifier ses
compatriotes sur nos moeurs et sur notre puissance.
à
"Il y a
triple avantage à
:
remplir une
vel!. e-Cythère
liens d'amitié
vrions
les
nous
avec
reconduire Autorou à la Nou¬
sacrée, renouer des
promesse
les habitants
de
cette
établir, faire à l'aller et
au
île
où
nous
de¬
retour de nouvel¬
découvertes".
Le
projet sourirait au duc de Praslin et il confierait
à Bougainville le soin de fonder cette nouvelle
volontiers
colonie
et
d'étendre la domination du roi
chipels, mais la situation des finances
arrêter
un
Choiseul
instant
"Mi
et
le
duc
ne
sur
d'autres
ar¬
permet pas de s'y
de Praslin écrit
à
son
cousin
de
Bougainville a amené en France un des
principaux habitants de Taîti, nommé Poutaveri. Il est juste
de lui procurer le moyen de retourner dans son pays et
je me
propose de l'y faire reconduire...
Je vous prie de vouloir
bien
faire
solliciter auprès du ministère espagnol les or¬
dres nécessaires pour que le bâtiment qui transportera l'In¬
dien Poutevery puisse relâcher aux Philippines et s'y procu¬
rer les secours
dont il aura besoin". Et quelques temps plus
tard, il envoie des instructions au gouverneur et à l'inten¬
dant de l'Ile de France (1) relatives au retour d'Autorou.
:
"J'ai fait embarquer,
sur le vaisseau Le
Brissori, le
eue M,
de Bougainville a emmené en France...
L'intention du roi est qu'il soit transporté dans l'île de
nommé Poutaveri
Taîti,
patrie, sans cependant qu'il en coûte à Sa Majesté
d'un armement uniquement pour cet objet.
Il faut
donc
vous
cherchiez les moyens de le faire reconduire
que
par quelqu'armement particulier qui pourrait entreprendre ce
voyage dans des vues de commerce fondées sur le passeport de
la cour de Madrid, portant permission au capitaine, du navire
français, qui sera chargé de transporter Poutaveri, de relâ¬
cher aux Philippines,
autant qu'il y sera forcé par la con¬
les
sa
frais
trariété des vents et autres nécessités...
le
où
Dans
cas
ne
aucun
armateur particulier qui voulût
trouveriez
vous
faire cette
expédition,
tiner
35.000 I...
M. de Bougainville consent ,d'y des¬
lui sont dues par M. Hermans, à
l'Ile de France,
et à cet effet, je joins sa procuration en
blanc, au moyen de laquelle voue pourrez toucher cette somme
et en disposer pour fournir à cet armement,
lequel _se fera
alors avec un des petits bâtiments du roi,
qui ne doit pas
faire plus de 1.P00 écus par mois et qu'il faudrait charger
à
plein et uniquement en vivres, .le désirerais que vous
puissiez y mettre quelques outils de fer dont on pourrait
les
qui
(1) Ile Maurice.
58
Société des
Études
Océaniennes
présent aux Taïtiens au nom du roi, ainsi que des
grains et des graines de toutes espèces. Peut-être pourraiton y transporter l'espèce des-boeufs et des moutons,
en les
embarquant très jeunes pour occuper mcins de place... En at¬
faire
trouviez de rehvcyer Poutaveri à Taïti, vous
garderez à l'Ile de France, et comme il n'entend point la
langue, vous le confierez à quelqu'un qui puisse en prendre
soin. Peut-être que l'un des Pères.Lazaristes pourrait s'en
charger, en payant ce qui sera nécessaire pour son entretien
dont vcus fixerez le prix le plus convenable".
tendant que vcus
le
Voilà
donc
cher Tahitien assuré.
le retour de son
Bou¬
gainville l'accompagne chez diverses personnes dont il doit
prendre congé : chez les ministres, le duc de Choiseul, Je
duc de Praslin, Bertin, etc..,
Notre Indien a fait à la du¬
chesse de Choiseul,
qui s'est intéressée à lui avec tànt
d'amabilité et de constance,
Jes adieux les plus touchants.
"Madame de Choiseul,
note Bougainville, a porté l'humanité
jusqu'à consacrer une somme d'argent pour transporter à
Taïti un grand nombre d'outils
de nécessité première, des
grains, des bestiaux, qui seront achetés à l'Ile de France".
février, l'heure des adieux entre les
les deux frères au même nom, Louis Pouta-
Enfin vient, le 27
grands amis,
deux
Malgré les promesses que l'on se fait de se tetrouver
là-bas, dans l'île heureuse, on connaît les difficultés de
l'entreprise et l'on a l'obscur pressentiment que l'on se
quitte sans espoir de retour. Autorou s'est attaché profon¬
et ses larmes naïves d'homme simple, ses
dément à son ami
étreintes
démontrent avec abondance
la sincérité de son
coeur, et dans la voiture qui l'emmène a La Rochelle où l'on
very.
arme
le Erisson,
Bougainville
voit
serré, l'amitié la plus touchante, la
aura peut-être
de toute son existence..
disparaître, le coeur
plus abandonnée qu'il
en
qui emporte Autorou, ayant mis à la voile à
arrive à Port-Louis de l'Ile de France
23 octobre, après une excellente traversée.
Autorou est
bonne santé, ''fort aimé
de tous ses compagnons de voyage
et
très
Le Brisson,
la
le
fin de
mars
1770,
content d'eux tous.
"Pendant la
traversée, sachant qu'il revenait è l'Ile de
il a toujours parlé à tous les offi¬
plaisir qu'il aurait de retrouver son
France, écrira Poivre,
ciers du vaisseau du
de l'inten¬
l'y
ami Polary
(c'est ainsi qu'il prononce le nom
dant)... J'avais déjà reçu ici Poutavery, Bn 1768 ; je
pendant tout
avais accueilli à la ville et à la campagne ;
son séjour dans cette île,
il avait eu le couvert chez moi ;
je lui ai rendu tous' les services qui ont
;
il est parti d'ici mon ami et il revenait dans cette
plein de sentiments d'amitié et de reconnaissance pour son
dépendu de moi
île
59
Société des
Études
Océaniennes
ami Polary.
Vous ne sauriez croire à
naturel porte la mémoire des bienfaits
quel point cet homme
et le sentiment de la
reconnaissance...
voulu le conduire au gouvernement. Il
tout en mettant pied à terre, il a couru
par le chemin le plus court, droit à ma maison ; il m'a fait
toutes sortes de caresses à sa façon et m'a tout de suite ra¬
conté tous les petits services que je lui avais rendus; Quand
il a été question de se mettre à table, il a aussitôt montré
Son ancienne place à c8té de moi et
a voulu la reprendre...
Cet Indien m'e singulièrement intéressé depuis le moment que
j'ai su son histoire et sen honnêteté naturelle m'a fortement
attaché à lui ; aussi me regarde-t-il comme son père et ma
"Arrivé ici,
ne
on a
l'a pas voulu
maison
comme
:
la sienne".
Le gouverneur et l'intendant
examinent le problème de
l'expédition à entreprendre. Or. est é fin octobre, dans un
moment où tous les
navires de l'île sont' dehors.. On ne pour¬
prochaine. Le bâtiment destiné
route- par le sud et passera entre la Nou¬
velle-Hollande et la Nouvelle-Zélandé.
"C'est pourquoi,
écrit Poivre, je ne veux le faire partir que VBrs l'équinexe
de septembre de l'année prochaine, afin que nos navigateurs,
forcés peut-être par les. vents de s'élever beaucoup dans lé
sud, jouissent de toute la belle saison qui, dans l'hémisphè¬
re austral,
que les
commence à la fin de septembre,. alors
nuits sont plus courtes et les mers plus belles"; "Je donne¬
rai- à Poutavery, pour lui, pour se famille et pour les chefs
taïtiens, des présents convenables ; je lui donnerai, outre
les outils et instruments en fer de toutB espèce, des grains
à semer et surtout du riz, des boeufs et des vaches, des ca¬
bris, enfin, tout ce qui me paraîtra, d'après ses rapports,
devoir être utile aux bons Taïtiens,
qui devront s la géné¬
rosité française
une
partie de leur bie"-Être. Tel sera
l'emploi des, fonds allouée par la duchesse de Choiseul .
ra
rien faire avant l'année
pour
Taîti fera
Autoiou
sa
n'ayant
aucune
occupation,
se promàne,
ve
voir
a déjà connus lors de son premier séjour. Il par¬
le volontiers à
qui l'aborde. C'est ainsi qu'il rencontre,
ceux
peu
qu'il
après sop arrivée, Bernardin de Saint-Pierre, oisif lui-
même.
"Quelques jours avant de partir, note l'écrivain, je
revis Autorou,
l'insulaire de Taïti que l'on ramenait dans
après lui avoir fait connaître les moeurs de l'Eu¬
trouvé, è son passage, franc, gai, un peu
retour, je le voyais réservé, poli et ma¬
niéré.
Il était enchanté
de l'Opéra dont il contrefaisait
les chants et les danses.
Il avait une montre dont il dési¬
gnait les heures par leur usage ; il y montrait l'heure de
se lever,
de manger, d'aller à l'Opéra, rie se promener, etc..
son
pays
rope;
Je l'avais
libertin ;
à son
60
Société des
Études
Océaniennes
Cet homme était
plein d'intelligence ; il exprimait par des
signes tout ce qu'il voulait... Autorou'paraissait
s'ennuyer
beaucoup à l'Ile de France ; il se promenait toujours seul.
L'abbé Rochon,
astronome de l'expédition Kerguélen et
esprit encyclopédique, essaye d'interroger
Poutavery sur la
flore de Taïti.
Après .avoir revu les plantes apportées par
Bougainville,
on tente de lui faire désigner d'autres
végé¬
l'on supposé vivre dans sa patrie. Poutavery ne
peut fixer longtemps ses idées sur des questions aussi sé¬
taux
que
rieuses et ne demande
qu'à
"Il ne pensait qu'à rire,
s'amuser, un peu comme uri enfant.
notera l'abbé Rochon ; il ne trou¬
vait aucune joie dans l'entretien
des savants,
car il avait
trop vu en France les gens qui n'ont pas
pour
les hommes
doctes tout le
respect qu'ils méritent".
Lb 1B
octobre 1771,
eprès une escale de près d'un an à
France, Autorou prend congé, en pleurant de ses amis
embarque à bord du Mascarih, commandé par Marion-Dufres-
l'Ile de
et
pour rentrer
ne,
enfin à Taïti.
Le lendemain,
le Mascarin,
qui est accompagné d'un bateau de plus faible
tonnage, le
Marquis de Castres, mouille en - rade de St-Denis de l'île
Bourbon (1).
Autorou descent à terre
où
il est reçu avec
mais, fiévreux,
il regagne prématurément le
che.
A cinq heures de
1'après-midi arrive M.
rurgien, envoyé par
dE Eellecornbe
pour
était sa maladie; Il J'e visité et rie lui a
do
fièvre,
n'a
et
rien
curiosité,
nord et.sevcouLe Comte, chi¬
"savoir quelle
trouvé que peu
dit autre chose sur son état". Le
la fièvre continue.
Néanmoins, Marion
rufrusne décide de partir et
appareille à quinze heures. Les
lendemain
dimanche,
deux navires
font
lundi
le
matin,
route
sur le
cap de Bonne-EspérancB. Le
chirurgien du bord fait sa visite et trouve
chez Autorou les
symptômes de la petite vérole, dont
l'érup¬
tion ne se manifeste
que le soir.
Il avise Marion—Dufresne.
Celui-ci
est
fort
ennuyé,
car il
a
ouvert le matin
aussitôt l'île Bourbon perdue de
vue, les plis cachétés
tenant les instructions secrètes de Des
neur
de l'Ile de France.
Farmi celles-ci
"faire
son
role
se
die
était
déclarait dans
à
l'Ile
Marion-Dufresne
de cette maladie
ce
(1) Ile
n'est pas
de la
ses
le
con¬
gouver¬
trouve
une
qui lui prescrit de
malheureusement la petite vé¬
vaisseaux". En effet, cette mala¬
si
de France
depuis plusieurs mois,
d'alarmant pour la colonie.
eu
gienHnajor. Il n'est
car
s'en
retour aux îles
n'avait rien
me
Roches,
même,
mais
interroge confidentiellement le chirurpas douteux qu'Autorou ait pris le ger¬
à l'Ile de France.
Son état est grave,
la première fois qu'il
a
la petite vérole.;
Réunion.
61
Société des
Études
Océaniennes
il
était
déjà tout marqué, et chez lui, la petite se com¬
plique de la grande. Le commandant pense que si l'on retour¬
ne aux îles et
qu'Auttirou vienne à mourir, c'est la fin de
1'expédition. Il préfère dissimuler ses instructions et cou¬
en
rir
sa
chance.
Le
chirurgien croit qu'Autorou peut Être sauvé, mais la
fatigue beaucoup. Il pense que si l'on
pouvait mouil¬
ler
quelque pert pour délivrer le malade des incommodités
causées par le
vaisseau, sa guérison en serait rendue plus
facile.
Il n'aurait plus
que l'opiniâtreté de la maladie
à
combattre. En conséque ce, dès le soir
même, ce lundi 28 oc¬
tobre 1771» à six heures,
Marion-Dufresne réunit le conseil,
composé des officiers- majors, de l'écrivain, du
chirurgienmajcr et des principaux de l'équipage. Il fait
la
expliquer
maladie d'Autorou 'et
fait exprimer l'opinion
qUB le mieux
serait de relâcher à
Fort-Dauphin, dans l'île dp Madagascar,
dont on est proche,
"pour passer le temps nécessaire à la
guérison de Poutavery et pour prévenir les suites
dangereu¬
ses
qui pourraient arriver en allant en droiture au
Cap. Le
conseil décide à l'unanimité,qu'il est à
propos de relâcher
à Fort-Dauphin";
le
mer
modifie la route en
conséquence et l'on fait signal
Marquis de Castres de suivre la même route. "Le mercredi
30, note Marion-Dufresne au procès-verbal de la
relâche,
suivant le rapport du
chirurgien, Poutavery est autant bien
que le pouvons désirer,
mais pour le mettre plus à son aise
que dans une petite chambre sous le gaillard
d'arrière, 0 la
chute de l'escalier, ou'il
occupait, avons fait faire du cô¬
□n
au
té de
tribord, en déplaçant un canon, un emplacement de huit
pieds de longueur et cinq pieds de largeur, et un autre dou¬
ble entourage de cinq pieds pour éviter toute
communication,
et ayant tous les
jours attention de parfumer le vaisseau et
jeter le vinaigre".
Le Mascarin mouille à
very commence à être
Fort-Dauphin, cependant que Pouta¬
temps critique de l'éruption.
dans le
Tout le monde est anxieux.
les
On
se
détails que l'on peut connaître.
demande l'un à l'autre
"Le malheureux Poutavery ne faisait
pas démiçux, écrira
lieutenant Roux, malgré
tous les soins que l'on prenait
de lui. La lendemain, il faisait
plus mal ; on ne pouvait le
soulager d'aucune manière".
le
Le
chirurgien informe le commandant que la fièvre aug¬
qu'il craint que la petite vérole ne devint confluente;
En outre,
Poutavery était un homme dont la constitu¬
tion était épuisée par les
débauches, ayant en outre une
dartre qui était fort
ancienne, qui occupait tout le scrotum
mente et
62
Société des
Études
Océaniennes
qui suintait une
peine perceptible.
et
humeur fort Scre.
Poutavery s'éteint
heures du soir.
le mercredi
La nouvelle se
Le pouls devient à
6 novembre 1771»
à neuf
répand vite à bord où tout le
monde est consterné.
toucha d1 autant. plus, écrit le lieutenant
était en partie cause de cette expédition et
qu'il était "bon hcmme".
"Sa mort nous
qu'il
Roux,
demi, Cuimar de la Gitonnière, chirurgienFort-Dauphin, et le sergent Tabar sont à bord pour
y constater le décès de Poutavery
ainsi que la cause de sa
maladie
"que nous avons dûment reconnu Être la petite vé¬
role, ce
que nous affirmons véritable", inscrivent-ils
au
procès-verbal du Mascarin, "Et de concert avec Messieurs les
A
minuit et
major au
officiers-majors et chirurgien de la dite flûte,
jugé unanimement devoir le faire jeter, avec tous les
effets qui avaient pu lui servir pendant tout le temps de sa
capitaines,
avons
maladie...".
du pauvre Autorou est cousu dans une toile les¬
boulet, avec ses vêtements, son linge et les objets
à son usage.
L'équipage est réuni comme à l'ordinaire pour
cette.funèbre cérémonie. Bien que le défunt ne fut pas chré¬
Le corps
tée d'un
tien, l'aumônier dit la prière des morts, et le corps
mouillé, comme une ancre, dans l'océan, à tout jamais.
est
monde qu'il avait voulu parcourir,
dit Louis Poutavery, frère adoptif de Bou¬
Ainsi disparut de ce
Mayoa Autorou,
gainville;
connaît aucun portrait de Autorou. Les ma¬
Bougainville, intitulés "Récit... sur le séjour
de Boutaveri en France" et "Impressions de voyage de Aoutourou", manuscrits dont on connaît l'existence, dans le fonds
Margry, à la Bibliothèque Nationale, et qui ont été utilisés
par les premiers chroniqueurs, semblent avoir été perdus.
Mote
:
On ne
nuscrits de
Cf. O'Reilly et Reitman,
de journaux
qui
mentionnent les articles
et les ouvrages publiés à
l'occasion du séjour
premier Tahitien ayant découvert l'Europe (Bibliographie
de Tahiti et de la Polynésie française, Société des Océanistas, Parie 1967).
du
63
Société des
Études
Océaniennes
ARCHEOLOGIE
UNE PERLE BICONIQUE
SOCIETE
TROUVEE AUX ILES DE LA
Alors
que
je prospectais
le
"marae"
dans le district de Parea à Huahine-Iti
de la pointe Tiva
(Iles de la Société),
local, Tihoti Russel, me remit un objet cu¬
qu'il avait déjà jeté une fois, pensant que ce n'était
rien.
Il s'agissait d'un fragment d'ornement biconique (1)
dont on n'avait encore jamais signalé l'existence aux Iles
de la Société.
Cet exemplaire a été trouvé en surface,
sur
le talus qui borde la route allant vers la pointe Tiva.
Les
talus
qui se trouvent de chaque cSté de la route se sont
formés au moment de la construction :
par conséquent, l'en¬
droit où l'objet a été
trouvé n'indique pas sa position
réelle.
Des recherches minutieuses
aux alentours immédiats
mon
assistant
rieux
n'ont rien révélé de
plus.
Suivant le Dr Duff, "le terme "réel" (bobine) est appli¬
qué ici (en Nouvelle-Zélande) à une catégorie bien détermi¬
née de perles tubulaires,
présentant une arête typique au
centre et à chaque extrémité, le plus souvent découpées dans
un os de "moa", faites fréquemment d'ivoire de cachalot, ra¬
rement d'un autre os"
(Duff, 1956, p. 85). Il y a en fait
plusieurs variantes dans la forme. Sur l'une d'elles, les
arêtes des extrémités sont supprimées.
Le fragment trouvé à Huahine
ne représente que le tiers
l'objet complet, mais il est assez gros pour que l'on
puisse reconstituer sa forme primitive (fig. l). Le trou a
été percé à partir des deux extrémités,
mais les cavités ne
se rejoignent pas,
l'ornement s'étant brisé, à ce stade du
La surface externe était bien polie.
travail.
Le matériau
utilisé est la stalactite. L'objet mesure 33 mm de long, en¬
viron 8 mm de diamètre aux extrémités et à peu près 18 mm de
de
diamètre
au
centre.
La découverte de cet ornement soulève
problèmes
rigine.
:
immédiatement deux
l'un concerne la matière première, l'autre l'o¬
64
Société des
Études
Océaniennes
Les objets en stalactite sont très rares
aux Iles de la
Société. Les seuls exemplaires connus sont : un petit pilon
à remèdes
provenant du "marBe" Anini à la pointe Tiva, un
pilon de taille moyenne trouvé sur l'atoll de Tupai au nordest de l'île de Bora-Bora, et un pilon semblable à Tahiti.
Je n'ai pas pu déterminer avec certitude s'il existe des
dépôts de stalactite aux Iles de la Société, mais la chose
est possible
et ne doit pas être entièrement exclue.
Comme
ces
objets sont de taille plutôt réduite, il se peut qu'il
existe
de
petits dépôts quelque part dans les îles. Mais
d'autre part,
les deux pilons moyens ressemblent énormément
à ceux des îles Australes
(Emory : communication personnel¬
le) où les pilons étaient souvent fabriqués en stalactite.
Il est possible que les pilons aient été introduits aux.Iles
de la Société en même temps que des matières
premières.
.
Pour la
question des origines, il est nécessaire de pas¬
la distribution des ornements
biconiques en Po¬
lynésie. On les connaît maintenant à Tikopia, aux Marquises
et en Nouvelle-Zélande.
ser
en
revue
Duff
Bar.
a
signalé 121'exemplaires
57 d'entre
reste
se
le site de Wairaupour
trouvaient dans des sépultures
et le
provenait de couches de débris.
Le même
vé
eux
nombre
à peu près de ces ornements a été retrou¬
sites de la période
des chasseurs de "moa"
dans d'autres
(Moa Hunter)
Nouvelle-Zélande
(Duff, 1956, p. 85) et ils
pendentifs maori en dent de cachalot.
C'est pourquoi,
lorsque des pendentifs semblables ont été
découverts dans des sépultures de Maupiti,
aux
Iles de la
Société, on s'attendait à trouver également des ornements
biconiques, mais il n'y en avait pas. Aux Marquises, sur la
dune de Hane (Sinoto, 1967i P. 299),
des; pendentifs en dent
de cachalot,
comparables à ceux de Maupiti et de NouvelleZélande, ont été mis à jour parmi des débris et sur le pava¬
ge d'une maison.
en
étaient associés
aux
On connaît des ornements biconiques dans les collections
historiques et ethnologiques concernant les Marquises : les
découvertes archéologiques faites dans les sites de Nukuhiva
et de Hane
montrent qu'ils appartiennent à un contexte plus
tardif
en dent de ca¬
que celui des pendentifs marquisiens
chalot (Suggs, 1961, p. 140 ; Sinoto, 1967f Pi 292).
Firth
coniques
signale à Tikopia l'existence de ces ornements bi¬
objets ethnographiques.
comme
jusqu'à présent aucune preuve permettant
quel contexte appartient l'ornement dé Parea, mais il paraît certain qu'à l'époque de la mise en pla¬
ce
des sépultures de Maupiti,
les objets de ce type n'exisOn ne
de
possède
déterminer
à
65
Société des
Études
Océaniennes
Figure? I A reel ornament found from Par©», duaLine
ïii, Society Islands. a9 reel fragment, b, its re¬
constructed form
Sinito figure
taient pas aux Iles de la Société. L'apparition plus tardive
ces ornements
aux
Iles de la Société
est confirmée par
de
les
découvertes faites
aux Marquises,
que la matière premiè¬
d'origine locale, l'aspect mal fini de l'ob¬
jet laisse supposer qu'il a été fabriqué sur place. Pourtant
re
soit
ou
non
rareté actuelle
montre que sa présence aux Iles de la-So¬
accidentelle, mais ceci pourrait changer si on en
trouvait d'autres exemplaires.
sa
ciété est
(1) Appelé
de
l'auteur "réel ornement" : ornement en forme
d'après la terminologie utilisée par Roger
Nouvelle-Zélande (N.D.I.).
par
bobine,
Duff
en
BIBLIOGRAPHIE
The Moa- Hunter Period of Maori Culture
(2nd éd.), Wellington Government Prin¬
Duff, Roger
1956
ter.
Firth, Raymond
1951
....
Notes of some Tikopia Ornaments. Journal
of Polynesian Society 60 (2/3) : 130-133.
Sinoto, Yosihiko H. A Tentative Prehistoric Cultural Sequence in
the Northern Marquesas Islands.
1967
Journal
of
the
Polynesian Society 75
(3) : 286-303.
Suggs, Robert C.... The Archaeology of Nukuhiva, Marquesas
1961
islands, French Polynesia. Anthropologi¬
cal Papers of the American Museum of Na¬
tural History, 49, part. I, New York.
66
Société des
Études
Océaniennes
67
Société des
Études
Océaniennes
SEPULTURES DECOUVERTES ACCIDENTELLEMENT
DANS LE DISTRICT D'ARUE, TAHITI
En février
1968,
des
sépultures ont été découvertes
par
M, Albert Lévy dans sa propriété sise à Arue, au point kilo¬
métrique 7,5. M. Lévy a prévenu le Musée de Papeete de cette
trouvaille
et
fait
recouvrir
les ossements
en
attendant
qu'ils puissent Être retirés.
Le
site
trouve à vingt mètres de la cSte, sur une
fortement attaqué par la mer, et il est certain
qu'à 1* époque où les sépultures ont été creusées, la mer
était plus éloignée.
Selon plusieurs informateurs, cet en¬
droit n'a été habité que récemment; Les mêmes personnes,
toutes Sgées,
s'accordent pour préciser qu'un ancien cime¬
tière se trouvait à proximité,
mais de l'autre cêté de la
route actuelle,
côté montagne, et qu'on n'a jamais entendu
dire que des tombes aient existé du cêté de la mer.
se
sorte de cap
Deux trous
très
proches 1' un de l'autre avaient été
des puisards ; les os aperçus dans le
trou situé à l'ouest semblaient appartenir à deux squelettes
tandis que dans l'autre trou^
un
seul squelette avait été
repéré. Ce dernier a été choisi pour la mise à jour du sque¬
lette à cause de la position favorable du corps et parce
que l'excavation était plus avancée;
Aux dires du proprié¬
taire, aucun objet n'a été trouvé au cours des travaux, mais
les
travail leurs
ont
nombreuses
extrait
de
pierres qui
étaient placées au-dessus du squelette.
creusés
pour
faire
L'excavation a été légèrement agrandie et le squelette
dégagé aussi soigneusement que possible. Jusqu'au niveau de
la sépulture, le sol est fait de sable noir humifère avec
beaucoup de racines. Au-dessous, on trouve un lit de sable
volcanique stérile. Le sol, même dans les zones qui n'ont
pas été touchées au cours des travaux, semble avoir été bou¬
leversé.
On trouve
abondance
en
et
à tous les niveaux des
galets de rivière, des pierres réfractaires poreuses que
l'on utilise.pour les fours polynésiens et de très nombreux
éclats informes;
Ces pierres, autant qu'on puisse s'en ren¬
dre compte,
formaient pas de structure organisée. Par
ne
contre, de très nombreuses traces de foyers, avec présence
de charbons,
les accompagnaient; Les coquilles de "turbo"
sont fréquentes également.
Aucun objet vraiment digne d'in¬
térêt n'a été recueilli, mais de nombreux éclats qui peuvent
être des déchets de taille ont été retirés ; l'un d'eux a
été retouché sur deux côtés,
il s'agit probablement d'une
sorte de grattoir;
.
68
Société des
Études
Océaniennes
fer, trop altéré pour être identifiable, se
à 10 cm à la verticale. Enfin,
tout autour de la partie supérieure du
squelette apparais¬
sait une ligne claire dans laquelle on a pu reconnaître des
particules de bois. Ces traces faisaient une coupe en V très
ouvert et semblaient se réunir en touchant le corps, à peu
•
Un
objet
en
trouvait au-dessus du crâne,
près dans l'axe de celui-ci. Mais aucun vestige n'était
sible au niveau des jambes ni au-dessous du corps.
vi¬
Le squelette se trouvait à 75 centimètres de profondeur,
orienté sud-est nord-ouest. Il était intact, en position al¬
bras réunis
longée,
sur
bassin.
le
Les os étaient rendus
l'humidité et les racines. Il
s'agit d'un Polynésien jeune, qui mesurait environ 1,65 m.
Les dents sont complètes, en bon état, peu abrasées. Le crâne
est dolichocéphale. L'ensemble du squelette se trouve actuel¬
très friables et cassants
lement
au
Musée de
par
Papeete.
dégagement, un nouveau squelette est appa¬
dont les jambes disposées de profil étaient parallèles
au buste du premier squelette; Ceci amène à quatre le nombre
des squelettes repérés dans ce site et il est probable qu'on
pourrait en découvrir d'autres.
Au moment du
ru,
mais
Tous les squelettes sont sensiblement au
il n'est pas certain qu'ils aient tous la
même niveau ,
même orienta¬
tion;
de tout objet associé au squelette mis à
est impossible de donner un âge à ces sépultures.
Elles
ne
sont
pas
très récentes puisque des gens âgés,
connaissant bien le district, en ignoraient l'existence.
En l'absence
jour,
il
ne
sont certainement pas anciennes,
car les
ont
été
corps
enterrés à une profondeur trop importante pour
une époque
où on n'avait ni pelles ni pioches, et d'autre
part, la face était tournée vers le haut alors que dans les
Mais elles
la face était générale¬
sépulture (communications
personnelles de J. Garanger et de Y. Sinoto). Enfin, la pré¬
sence
d'un objet en métal à un bas niveau, des traces de
bois qui pourraient bien représenter les vestiges d'un cer¬
cueil, laissent à penser que ces sépultures sont postérieures
à l'arrivée des Européens.
Il est possible qu'il é'agisse
de la partie la plus ancienne de l'ancien cimetière, déjà
comblée et désaffectée à une époque où la partie qui se
sépultures polynésiennes anciennes,
ment tournée
trouve
de
vers
l'autre
utilisée. Dans
centaine
ce
le
fond
cfité
cas,
de
de
la
la
route actuelle
était
encore
les sépultures pourraient dater d'une
d'années environ.
Il faut remercier ici particulièrement le
propriétaire
terrain, M. Albert Lévy, d'avoir prévenu le Musée de Pa¬
peete sans tarder et d'avoir bien voulu laisser les. travaux
du
69
Société des
Études
Océaniennes
En
attente
pendant quelques temps, sans toucher aux osse¬
a pu ainsi terminer la mise
à jour du squelette
photographier en parfait état.
ments
et
:
le
Les
on
squelettes trouvés accidentellement
de tra¬
Musée de Pa¬
peete sous forme de débris absolument dénués d'intérêt,
épars dans un carton, mais ils sont remis au Musée surtout
parce qu'on souhaite se débarrasser d'objets gênants. En se¬
rait-il de même s'il s'agissait de pierres travaillées (herminettes, pilons, etc...) ou d'ornements anciens ?
vaux
de terrassements arrivent trop souvent
au
cours
au
Il importe de signaler ici qu'il n'existe pas encore-en
Polynésie française de section permanente d'archéologie,
mais
que
seules
des missions archéologiques temporaires
viennent dans le territoire. La plus fréquente à l'heuré ac¬
tuelle est la mission américaine du Bishop Museum de Hono¬
lulu, dirigée par le Dr Sincto ; elle travaille aux Iles
Sous-le-Vent et aux Marquises et est de passage à Tahiti en¬
viron deux fois
par an.
Aussi, toute découverte fortuite présentant un intérêt
archéologique (structures de pierres et objets paraissant
anciens, sépultures, ossements et cercueils dans des abris
sous
roche ou dans des
grottes) devrait-elle être signalée
le plus rapidement possible au Musée de Papeete afin que les
archéologues puissent en être informés, soit directement,
soit par correspondance,
car eux seuls sont habilités à dé¬
cider des mesures à prendre. S'il s'agit de trouvailles fai¬
cours
tes au
de travaux de terrassements, les travaux de¬
vront
être
arrêtés
immédiatement
: il est très important
alors
de
tout laisser
fouler le moins
en
place,
de
possible le site et
ne
ses
rien
toucher,
et de
alentours immédiats.
Si, pour une raison quelconque, il est absolument impos¬
d'interrompre les travaux, il est tout de même indis¬
pensable d'avertir sans délai le Musée de Papeete qui pourra
prendre les mesures d'urgence nécessaires.
sible
Si, par malchance,
personne du Musée de Papeete n'est
disponible à ce moment-là, il appartient au propriétaire ou
à l'auteur des trouvailles de prendre lui-même ces mesures :
situer
la
sur
la
carte
lieu de la découverte
le
de
la manière
faire un croquis
sommaire des lieux en
du site, dégager
le matériel (objets en pierre ou
ossements) avec le plus de
précautions possible, mais n'en sortir que le strict néces¬
saire pour l'achèvement des
travaux en cours. Il va sans
dire que
des photographies prises pendant les différentes
étapes du dégagement, avant, pendant et après, sont extrême¬
ment utiles pour les recherches futures 'et
pour préciser le
contexte dans lequel se trouvait le matériel découvert
plus précise possible
;
si on le peut,
notant l'emplacement
70
Société des
Études
Océaniennes
Rappelons
en passant que
les chercheurs ne peuvent pas
à la disposition des amateurs de sensation ar¬
chéologique, dont certains sont parfois animés davantage par
un souci de
publicité personnelle que par celui d'aider vé¬
ritablement la recherche.
Les
lieux
qu'ils découvrent à
être toujours
grands bruits sont la plupart du temps déjà connus des gens
du pays ou des archéologues professionnels
;
sinon, le cas
est encore plus grave,
car ce
sont souvent les mêmes gens
qui font des prélèvements indus dans des sites qui peuvent
être ainsi irrémédiablement détériorés.
Car
il
faut savoir
qu'en pratiquant des fouilles sans avoir la compétence vou¬
lue, en restaurant un monument ancien qui s'écroule, en pré¬
levant ou simplement en déplaçant un objet dans un site funé¬
raire, on modifie le site de telle manière qu'il devient inu¬
tilisable et illisible pour l'archéologue qui viendra par la
Comme l'amateur n'est généralement pas du tout armé
suite.
pour tirer parti de ses découvertes et en faire l'étude, le
site est ainsi perdu à jamais.
Par
contre, les amateurs
soucieux de publicité, mais
les témoins du passé, peuvent
se
rendre très utiles en Signalant toutes leurs découvertes.
Et s'ils
explorent une région en faisant l'inventaire des
structures anciennes
(marae, terrasses de maisons) qui s'y
trouvent, s'ils savent pointer l'emplacement exact de ces
structures sur une carte,
faire une bonne description des
lieux et des sites,
noter les dimensions et l'orientation
des structures,
et s'ils ajoutent à cela, sans toucher à
rien, des croquis ou des photographies prises judicieusement
sous
plusieurs angles, ils auront fait un excellent travail.
intéressés
Toute
véritablement
fouille
peu
par
méthodique pratiquée
par
un
archéologue
reconnaissance des sites.dans une zone don¬
née» En Polynésie,
cette prospection est rendue particuliè¬
rement longue et ardue du
fait de l'abondance de la végéta¬
tion qui masque les structures et de terrains souvent escar¬
pés et d'accès malaisé. Aussi toutes les indications que
l'archéologue pourra recueillir à l'avance seront pour lui
un gain
de temps précieux. Encore faut- il que ces indica¬
commence
tions
par une
soient
honnêtes et
précises.
De plus, si
un .tel
travail de prospection était fait
systématiquement, il deviendrait possible, en centralisant
les renseignements obtenus, de dresser un inventaire de plus
en plus complet des sites du territoire.
Un inventaire de ce
genre, en plus de son intérêt propre,, permettrait de contrêler les sites et de voir ce
qu'il advient d'eux au cours des
années.
Dans
le
passé et malheureusement
encore dans le présent,
anciennes, surtout des marae, ont
été détruits, soit pour faire place à de nouvelles construc¬
tions, soit simplement parce qu'on désirait en réutiliser
de
les
nombreuses structures
matériaux.
71
Société des
Études
Océaniennes
l'amateur éclairé, au lieu de considérer les ob¬
qu'il trouve comme de simples "souvenirs" à
conserver
sur
un
coin
de bibliothèque, peut faire oeuvre
utile en confiant ces objets à
un musée où ils pourraient
être inventoriés et exposés pour le bénéfice du plus
grand
nombre de gens.Ainsi ils ne seront perdus ni pour la science
ni pour le public qui s'intéresse au patrimoine
polynésien.
Enfin,
jets anciens
Il faut
rappeler qu'à son entrée au musée, un objet ne
sa
valeur que si son origine exacte et les
conditions dans lesquelles il a été découvert ou acquis sont
connues.
Il est facile
pour le
collecteur d'inscrire sur
l'objet même un numéro de référence, peint discrètement à la
gouache, et d'établir pour chaque objet une fiche brève. Sur
cette fiche,
on notera le numéro donné à l'objet, l'endroit
exact où
il a. été trouvé (en précisant le nom de l'île, ce¬
lui du district ou de la vallée, et si possible le nom de la
terre,
du lieu-dit, ou celui du propriétaire du terrain
(pour Tahiti, indiquer le point kilométrique). On inscrira
également comment l'objet a été trouvé (en surface, dans la
terre, dans le lit d'une rivière, etc...) et à quelle date.
prend
toute
Enfin, toutes les indications que l'on peut recueillir
l'objet sont très utiles et doivent être notées sur la
fiche qui l'accompagne : indications sur la matière dans la¬
quelle il a été fabriquq, sur la manière de s'en servir,
etc... Quand ces indications'sont empruntées à un livre ou à
un article,
il est indispensable d'en donner les références
exactes
(nom de l'auteur,
titre de l'ouvrage, numéro de la
sur
page).
Exemple de fiche descriptive
:
684.
N°
Nom de l'objet
:
Pendentif.
Nom vernaculaire
:
Lieu d'origine
Iles
:
Ei.
Matière et technique
Marquises, Nukuhiva, Taiohae.
Coquillage sculpté, poli, percé,
:
de cachalot.
imitant la dent
Description
:
Forme légèrement incurvée. Section trans¬
près circulaire.
Le sommet est traversé par
une large perforation pour la suspension. La base se
termine
en pointe
arrondie. Très bon état.
versale
à
peu
Dimensions
;
Longueur, 6,6
Mode et aire d'usage
anciens
:
cm
;
diamètre maximum, 1,6
Utilisé
comme
ornement
par
cm.
les
Marquisiens.
Quant,
mis
:
par
oui et comment l'objet
Objet trouvé dans
un
champ
72
de
a
été trouvé et trans¬
manioc appartenant à M.
Taufiro
de
Taiohae
et
situé
à
environ
1D0
mètres
de
la
Transmis au. Musée de Pa¬
M. B. G. Decker et le Bishop Museum de Honolulu en
mer.
Don de M. Taufiro, mai 1964.
peete
par
décembre 1964.
:
Linton E;, The Material
Marquesas Islands, 1923, p. 427 - Handy Esc.,
The Native Culture in. the Marquesas, 1923, p. 290 - Rollin,
L;, Les Iles Marquises, 1929, p. 133.
Références bibliographiques
Culture
of
l'usage d'un même type de fiche se généralisait parmi
collectionneurs, des collections importantes pourraient
Stre intégrées au musée, sans perte de temps et surtout sans
perte de savoir, car les connaissances qu'on peut avoir sur
un
objet diminuent rapidement quand il passe de main en
main.
Enfin, si cette méthode était pratiquée systématique¬
ment, elle permettrait dB faire aisément l'inventaire de
toutes les collections du territoire,
inventaire qui serait
très précieux pour les archéologues ; il est nécessaire pour
un
ces derniers d'examiner
grand nombre d'objets, herminettes en pierre,
pilons, ornements, hameçons, etc... afin de
distinguer et de classer des types parmi ces objets et d'é¬
tablir à partir d'eux des séquences culturelles.
Si
les
travail de documentation, à faire sur le terrain ou
soi, devrait intéresser l'écolier qui pourrait interro¬
ger parents et grands-parents sur l'origine de tel objet an¬
cien qui se trouve chez lui,
aussi bien que le collection¬
neur invétéré qui se doit de
noter pour la postérité tout ce
qu'il sait des objets qu'il possède, en passant par l'ama¬
teur désireux de trouver une
activité intelligente et utile
Ce
chez
pour
meubler
ses
loisirs.
Anne Lavondès.
73
Société des
Études
Océaniennes
~
;•
-y-
ip.
R.
BRISSAUD
Société des Etudes Océaniennes
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 163