B98735210103_126.pdf
- Texte
-
de
Sa
Société des Etudes Océaniennes
;§§gg
mmm
kBÀM.
N°
126
-
TOME
MARS
Anthropologie
Histoire
—
—
I
1959
Ethnologie
—
Philologie
Institutions et Antiquités des Populations
Littérature
Astronomie
PAPEETE
—
—
et
Océanographie
Maories
Folklore
—
Sciences naturelles.
IMPRIMERIE DU GOUVERNEMENT
Conseil d'Âdmînîsfrdion
Président
M. H.
Vice-Président
M. JAUNEZ
Secrétaire-Archiviste
Melle LAGUESSE.
Trésorier
M. LIAUZUN.
JACQUIER.
Assesseur
M.
Cdt. PAUCELLIER.
Assesseur
M.
Rudolphe BAMBRIDGE.
Assesseur
M. Terai BREDIN.
Assesseur
M. Martial IORSS.
Assesseur
M. Siméon KRAUSER.
Assesseur
M. Yves MALARDE.
Secrétaire-Bibliothécaire
du
Musée
Pour être reçu Membre de la Société
membre titulaire.
se
Mlle
NATUA.
faire
présenter
par
un
Bibliothèque.
Le Bureau de la Société informe ses membres
que désormais
ils peuvent emporter à domicile certains livres de la Bibliothè¬
que en signant une reconnaissance de dette en cas où ils ne
rendraient pas le livre emprunté à la date fixée.
Le Bibliothécaire
La
Bibliothèque
leurs invités
Dimanche.
tous
présentera la formule à signer.
est ouverte
les jours,
La salle de lecture
14 à 17 heures.
est
aux
membres de la Société et à
14
de
ouverte
au
à 17
heures, sauf
le
public tous les jours de
Musée.
Le Musée est ouvert tous les jours, sauf le lundi de 14 à 17
heures. Les jours d'arrivée et de départ des courriers : de 9 à
11 heures et de 14 à 17 heures.
.Société des Études Océanienne:
Charles
Alfred
LE
MOINE
Peintre de la Polynésie Française
1872
Société des
»
1918.
Études
Océaniennes
Charles
Alfred
Peintre de la.
fVIOINE
Polynésie Française
1872
Artiste
LE
»
1918
professeur de dessin, élève de Lucproclame Le Moine dans une lettre1
écrite de Papeete en 1904, lettre dans laquelle il désirait
assurer
son
pavillon et imposer son autorité en matière de
Beaux-Arts. On sent beaucoup de fierté dans celte incidente,
et
que Charles Le Moine, qui venait alors de dépasser la
trentaine et vivait depuis trois ans installé à Tahiti, considérait
ces
trois qualifications comme un essentiel auquel il se mon¬
trait fort attaché.
«
Olivier
peintre,
Mer son
Un demi-siècle
sur
son
Moine
»
—...
plus tard,
nous ne sommes
guère plus avancés
compte. Si Tahiti conserve encore le souvenir de Le
si Von
parfois de ses œuvres suspendues
Papeete, il faut reconnaître que sa
signature n'éveille aucune réaction chez les experts parisiens
et les marchands de tableaux les
plus qualifiés. Charles Le
Moine n'a pas droit ci une mention au Grand Larousse. Chose
plus curieuse, il ne figure ni dans la plus récente édition (1953)
du Dictionnaire des Peintres, Sculpteurs, Dessinateurs et Gra¬
veurs de Benezit, ni même dans l'immense Âllgemeiner Lexikon
der bildenden Kuunstler fZe Thieme. Si on en peut juger par
un
rapide dépouillement du Répertoire d'Art et d'Archéologie
aucun
article ne lui a jamais été consacré depuis 1902. Pas
la plus petite mention lors d'une Exposition ; pas le moindre
article nécrologique. C'est donc vraiment un inconnu presque
total, un disparu cent pour cent autour duquel nous devons
tenter de grouper quelques documents épars et de rares souve¬
nirs pour les lecteurs du Bulletin de la Société des Etudes
aux
et
murs
rencontre
des maisons de
Océaniennes.
*
Société des
*
Études
*
Océaniennes
—
4
—
AUTOUR DE L'HOMME
Elève de Luc-Olivier Merson.
«
Né à Nogent-sur-Seine
ès-lettres ; études à l'Ecole
de Luc-Olivier Merson »...2
Ces
(Aube), le 24 Mai 1872 ; bachelier
des Beaux-Arts où il est l'élève
précisions tirées du dossier personnel de Charles Alfred
Le Moine
nous
fessionnelle.
apprennent son âge exact et sa formation pro¬
la dernière décade du siècle dernier, ce
Dans
provincial s'en vint à Paris, y entra à l'école des Beaux-Arts
et y eut comme maître Luc-Olivier Merson.
On sait ce que représente alors et cet homme et cette
maison. Luc-Olivier Merson, 1846-1920, est trop connu comme
le minutieux graveur des billets de banque français, où des
travailleurs médiévaux à bonnets à oreillères et en chaussure
à la poulaine manœuvrant des presses à imprimer, pour qu'il
soit nécessaire de décrire le genre de cet artiste, consciencieux
ordonnateur de sages cartons de tapisseries ou de scènes
historiques. Qui ne connaît le Repos de la Sainte Famille en
Egypte, ou Jeanne d'Arc reconnaissant le Dauphin ? Membre
de l'Institut, il sera professeur aux Beaux-Arts. Il quittera du
reste la maison en claquant les portes après quelques années
d'enseignement pour « protester contre le relâchement des
études et l'insuffisance des connaissances en dessin »... Et Dieu
sait pourtant si l'académisme, le solide dessin, et l'art officiel
régnent en maître autour des Beaux-Arts de l'époque. Ce sont
les Cabanel et les Cormon, les Bouguereau et les Rochegrave,
les Bastien-Lepage, les Dagnan-Bouveret et les Carolus Duran
qui font des médailles d'honneur aux Salons, peuplent l'Institut,
attrapent les commandes, peignent les grandeurs du jour et
s'en vont à Rome diriger la Villa Médicis. Hors de cette
ligne, point de succès, point d'honneurs. Aucun maître patenté
ne
regarde vers les impressionnistes et les jeunes écoles.
Cézanne n'obtiendra jamais d'être accroché au Salon officiel.
«
Influencé par l'exemple de Gauguin et la lecture du
Mariage de Loti, il se laisse séduire par l'attrait de l'aventure
au
pays de Rarahu où il arriva en 1901 ».3 Telles sont,
d'après une notice signée de Monsieur le Gouverneur Bouge,
lors d'une exposition de peinture où figurait Le Moine, les rai¬
sons qui entraînèrent le peintre
à Tahiti. Elles sont plausibles,
encore
que la dernière manifestation de Gauguin, la vente
précédent son second départ en Océanie, datât de 18.95. Episode
Société des
Études
Océaniennes
bien mince pour
susciter, cinq ans plus tard, un départ pour
îles, Rarahu, elle, était toujours en vente chez CalmanLévy. Elles sont plausibles, encore qu'elles ne correspondent
guère aux souvenirs d'un voyageur qui, en 1902, eut l'occasion
de faire le trajet
San-Francisco—Papeete sur le vapeur Zelandia de l'Union Steam Ship Co. of New Zealand en
compagnie
les
de Lemoine. Ce navire avait recueilli
qui,
une
dizaine de passagers
mois durant, avaient en vain attendu le Mariposa
avarié. Parmi eux, Emile Lévy, revenant d'un
voyage en
France ; un fonctionnaire tahitien, Charles Brault, accompagné
de sa femme et de deux petites filles d'une dizaine d'années ;
le géomètre Frank Ha user qui arrivait de
Madagascar et venait
tâter de l'Océanie ou il ne devait pas faire de vieux os, Lucien
Tournois, qui tenait en poche un contrat de travail avec la
Société Commerciale de l'Océanie et, enfin, notre ami Charlesun
Alfred Le Moine.
Lucien Tournois, un alerte octogénaire, conserve un souvenir
très précis de son compagnon de voyage, homme d'une tren¬
taine
d'années qui n'avait rien d'un « touriste banane ». Un
petit bourgeois français qui s'en va aux îles pour y chercher
fortune. Les passagers surent vite qu'il possédait une trentaine
de mille francs
six ou sept millions de notre monnaie ! —
et avait le désir de les faire fructifier. Il
parlait d'acheter
un
domaine. Le futur colon se voyait déjà à la tête d'une
plantation. Envisageant les choses à l'anglaise, il s'en irait à
cheval, avec des bottes et une cravache, pour inspecter ses
—
travailleurs
et
veiller à la bonne tenue de
ses
cocoteraies. Ni
la cravate
lavalière, ni les cheveux longs, ni le feutre à larges
bords d'un artiste. A bord du Zelandia, Le Moine est plus que
correctement habillé. Il écoute Frank Hauser qui fait de la
musique au salon et prend ses premières leçons de tahitien
des petites Brault qui parlent la langue comme des enfants du
pays. Lucien Tournois ne se souvient pas de l'avoir vu une
seule fois, au cours de ces dix ou douze jours de
voyage,
manier le crayon ou le pinceau. Jamais un mot de peinture.
Absolument rien, dans son comportement ou ses propos, qui
puisse donner à supposer qu'on a affaire à un artiste.
Entre la version
romantique de l'artiste auquel sa famille
les vivres et qui poursuit une irrésistible vocation de
peintre, et le témoignage plus terre à terre du compagnon
qui ne voit qu'un fils de famille allant croquer son patrimoine
au soleil sous des prétextes
d'agronomie coloniale, ou se trouve
coupe
Société des
Études
Océaniennes
la vérité ? Sans doute
la face
et
«
jouée
»
quelque part entre le côté
de l'affaire...
«
légende
»
en soit, voilà Le Moine à Papeete. Il a été recom¬
Procureur Charlier. La notice du Gouverneur Bouge
Quoiqu'il
mandé
au
le
« avec une belle prestance, une allure sportive
gai ». Un autre témoin de cette époque, G. Le
Bronnec,4 ajoute : « il m'a souvent affirmé qu'il était le cousin
d'Alfred de Musset dont il avait du reste le physique, y
compris la barbe. » « Charmant conteur, aux réparties spiri¬
tuelles, il avait le franc parler des artistes. Charles Le Moine,
durant les premières années de son séjour océanien, travailla
beaucoup. Ses œuvres : paysages, scènes de genre, pochades
et études se vendirent assez bien, mais à des prix modestes. »
nous
et
un
présente
caractère
Un fonctionnaire
à
la
douce
Son art et
ses leçons de professeur ne doivent pourtant pas
rapporter de quoi vivre. Moins de deux années après son
arrivée en Océanie, nous le voyons postuler un emploi dans
la « fonction publique ». En bon français qu'il est, à ses heu¬
lui
il
res,
ne
fait rire
ménage
de
pas
ses
critiques à l'Ad-mi-nis-tra-ti-on,
et daube sur les budgétivores qui
mais dans un moment difficile, il n'a rien de
ses
l'envahissent
;
plus pressé
que
paperasses
d'aller lui demander asile. Son diplôme de
bachelier lui est fort utile en la circonstance, et ses relations
avec le Procureur Charlier... Le 21 août
1903, il est nommé
Lieutenant de
Juge par intérim. La vie est belle qui lui ga¬
beaucoup de peine, un émargement mensuel au
budget local. Nous le verrons trois ans plus tard, le 19 janvier
1906, nommé Agent-Spécial aux îles Gambier. Il remplit dans
cet archipel, à dater du
1er novembre 1906, les fonctions
d'Administrateur et de Juge de Paix à compétence étendue.
Inaptitude reconnue ou goût du changement de la part de Le
Moine, en Mars 1911, le voici instituteur aux Marquises ;
d'abord à Vaitahu, jusqu'en Octobre 1913, puis à Atuona,
rantit,
sans
d'Octobre 1913 à Mai 1915.
Le
de
dossier
de
ce
fonctionnaire a été conservé. Les notes
d'un Courteline océanien ; elles
Le Moine semblent tirées
cependant textuelles : « Caractère assez entier, franc et
indépendant, méritant haute estime. Esprit cultivé, vif et
délié. A su se plier sans acrimonie à une existence toute de
solitude et d'inconfort. Dirige à la douce l'école publique
de Vaitahu, consacrant ses loisirs à la peinture. Santé excelsont
Société des
Études
Océaniennes
Marchand
de poisson.
Peint
Marquises.
Signé.
Propriété
M. René Grand, à Papeete.
En
bas.
Virikine
aux
de
Fi g. 2. — Liï Moine. —
Makuita.
Vierge tendre.
Signé. Cadre dyssimétrique en bois
sculpté. Collection de M. Julien Lévy,
à Papeete.
Société des
Études
Océaniennes
Fig. 3.
—
Le Moine.
lavandières.
Toile
sienne.
—
Les
marquiCes deux
Signée. —
Marquisiennes un peu lourdes
peintes dans une légère lu¬
mière
diffuse
certaines
de
font
Renoir.
à
songer
jeunes filles
au
soleil
Collection
M. Julien Lévy, à
de
Papeete.
Société des
Études
Océaniennes
lente ».5
Et
d'une écriture distinguée le Résident des Mar¬
quises conclut : « Remplit le mieux possible des fonctions
pour lesquelles il paraissait peu désigné. Mais ne désire pas
une école plus nombreuse que je ne
suis pas d'ailleurs d'avis
de lui confier ». (Àtuona, le 12 Septembre 1912). Il eut
pourtant de l'avancement après cette note et s'en vint au chef
lieu. Un rapport, daté du 24 décembre 1914, caractérisait ainsi
la situation deux ans plus tard: «M. le Moine, au vu et au su
de tous, ne fait à peu près jamais la classe. Ce n'est un secret
pour personne que cette fonction lui est fastidieuse, qu'il n'est
venu en Océanic qu'en touriste et
pour faire de la peinture,
et qu'il n'a accepté d'être instituteur que pour s'assurer la
matérielle. Il l'a déclaré lui-même à l'Inspecteur Revel ; mais
il le fait un peu trop voir ; se bornant eu pratique à percevoir
ses
appointements mensuels »...6 Et le rapport de citer des
faits aussi incroyables que piquants. La maison qu'on a attribué;
à Le Moine est séparée de son école par une rivière non
pontée. Cette rivière lui est un prétexte permanent d'absence.
Est-elle à sec : il ne peut la franchir, faute de pont ; dès
qu'elle a un peu d'eau, Le Moine n'ose la traverser, « car
une
crue subite le
couperait de sa résidence »... Après deux
ans, aucun enfant de la vallée ne parle un mot de français.
Les parents n'envoyant pas leurs enfants à l'école, les garçons
parce que le maître passe des quinze jours sans y venir, les
filles, car leur vertu y est en danger au cours de leçons par
trop particulières... Un jour le Résident, tout ébaudi, a trouvé
sur la
porte de l'école une pancarte annonçant : « Les vacances
de l'Ecole d'Atuona commenceront le 24 Novembre (1914),
la date de la rentrée sera fixée ultérieurement ». A la suite
d'incidents survenus avec le signataire de ce rapport, le mé¬
decin Résident l'Hermier des Plantes, le 12 Mai 1915 Le
Moine donnait sa démission. Dans la lettre annonçant sa réso¬
lution, Le Moine
se déclarait « résolu à s'établir de façon
l'Archipel des Marquises ».7 En fait il rentrera
à Papeete et y séjournera dans une case située rue de la
Glacière, un peu plus loin que l'Etude du notaire Vincent,
jusqu'en 1918, époque à laquelle, sur les instances de sa
mère, il quittera Tahiti pour la France, « très diminué physi¬
quement, n'ayant pas su éviter les conséquences de la vie
indigène facile et dangereuse ». Les derniers mois de sou
séjour à Papeete, à demi-paralysé, il se faisait conduire en voi¬
ture pour « chercher le motif de plein-air », et sa dernière toile,
en possession de M.
le Gouverneur Bouge, Le Punaru, a été
définitive dans
Société des
Études
Océaniennes
—
8
—
peinte dans ces conditions. Il meurt à Sceaux, le 24 Dé¬
cembre 1918, dans une maison de santé et est enterré au
cimetière du Montparnasse où il repose entre Théodore de
Banville et Jules Cambon dans un caveau de famille qui ne
porte pas son nom.8
«
Montmartre
ne reverra
jamais le peintre marquisien
»
années passées par Le Moine en Océanie n'ont
laissé de traces littéraires. Seul, à notre connais¬
sance, l'écrivain américain Frédéric O'Brien, dont les divers
récits océaniens firent fureur au lendemain de la première
guerre mondiale, mentionne le peintre, lors de son passage
aux
Marquises, en 1913. A sa première visite à Atuona, à côté
de l'école déserte, il trouve vide la case du maître qu'il nous
dépeint « encombrée de toiles, d'études, de tubes de peinture
et de vieux ustensiles de ménage. Suspendues aux murs ou
appuyées par terre contre la cloison, une douzaine de peintures
ou
de dessins d'une jeune fille d'une éclatante beauté. Son
sourire, ses veux clairs, remplissaient la case de son charme.
Ici, elle s'appuyait contre un arbre, la nudité de son corps
bronzé faisant chanter les verdures du feuillage. Là, on la
voyait sur une plage blanche, un paréo rouge autour des reins,
une
fleur d'hibiscus dans les cheveux ». La vieille marquisienne qui pilotait l'Américain l'instruisit : « C'est Hinatiti,
ma nièce. Elle a treize ans. Une jolie « citrouille », hein !
Le Moine aime beaucoup mieux faire des « statues » comme
celle-là que d'apprendre à lire aux gosses ».9
Et O'Brien d'ajouter : « Les peintures mettaient comme
une
joyeuse fanfare colorée dans ce studio assez crasseux.
Un vieux plumard, une ou deux chaises démantibulées, une
table barbouillée de peinture, un soulier dépareillé, une pipe
et une vue de la Seine attestaient les origines européennes de
Le Moine ; mais l'absence de tout confort européen, le manque
de vaisselle et d'éclairage m'assuraient que Montmartre ne
reverrait jamais le peintre marquisien. Les yeux de la fille
suspendue aux murs en tant d'exemplaires disaient que Le
Moine était bien devenu un marquisien ».
O'Brien ne rencontra pas Le Moine ce jour-là, mais un
peu plus tard les deux hommes devaient faire connaissance.
Je me levais un matin, écrit O'Brien, pour trouver sur la
terrasse pavée de ma maison un homme qui fumait tranquille¬
ment une cigarette. A contre jour, sur le fond de la forêt,
Les
seize
guère
«
Société des
Études
Océaniennes
—
c'était
9
—
figure curieusement pittoresque : un petit français,
plus stricte d'une toile bleue
passée. Il portait des bottes étincelantes. Ses yeux bleus cli¬
gnotaient au-dessus d'une barbe soignée. Lorsqu'il se leva
pour me saluer, je remarquai que les doigts qui tenaient la
cigarette étaient longs, minces et nerveux... C'était Monsieur
Charles Le Moine, le peintre d'Atuona, dont j'avais envahi le
studio en son absence. Nous nous assîmes pour un breakfast, du
café et des cigarettes, moi charmé de sa conversation, lui heu¬
reux
d'entendre parler du monde qu'il avait quitté. Il avait
étudié à Paris, administré aux îles Gambier, avant de fixer
ses
jours parmi les cocotiers et les fougères de ces îles perdues.
Sa vie était réduite à su peinture. Il cherchait à rendre
l'atmosphère si caractéristique des Marquises, ses beautés,
sa
sauvage séduction.
Je lui dis que c'était pitoyable de voir que bien peu
de grands peintres avaient eu l'occasion de venir fixer les
dernières splendeurs et le charme des Marquises.
Les gens de ma profession sont trop pauvres, répliqua
et
sec
une
habillé de la manière la
«
«
Le Moine
l'argent
levant les bras. Une société où
en
tout
repose sur
artistes la liberté qu'ils avaient
aux
temps anciens dans ces îles. Nous sommes attachés à une
roue qui
tourne inexorablement. Qui pourrait venir de France
et vivre ici sans argent ? Moi-même pour pouvoir
peindre,
j'ai du faire le gendarme et le pédagogue. Même ici ! Un
grand peintre a vécu dans cette vallée, et y est mort : Paul
Gauguin. Un maître ! » 10
ne
peut offrir à
ses
Et Le Moine de conduire O'Brien visiter
de Gauguin. Ensemble ils furent ce
case
sa
tombe abandonnée et y
qui restait de la
jour-là reconnaître
porter des fleurs...
ce
Expert occasionnel de la vente Gauguin.
Outre cette
visite, le seul événement notable qui ait laissé
des traces dans l'existence de Le Moine est
sa
rencontre
avec
Gauguin, rencontre assez fâcheuse pour la mémoire de Le
Moine, rencontre d'ailleurs posthume en ce qui concerne Gau¬
guin, car les hommes n'ont pas pu se croiser vivants. Gauguin
avait quitté Tahiti pour les Marquises l'année même de l'arri¬
vée de Le Moine
en
Océanie !
Après la mort du Solitaire d'Atuona, en Mai 1903, une partie
ses
biens, « tout le mobilier susceptible de trouver ama¬
teur... à des prix avantageux » — mobilier,
vaisselle, linge,
de
Société des
Études
Océaniennes
—
10
—
— fut vendu sur place. Le sur¬
tableaux, esquisses, dessins, curiosités, livres, annes,
harmonium, tubes à peinture, palette, pinceaux»— le Curateur
successious vacantes, déclara « plus avantageux de le
aux
faire vendre à Tahiti ». Quinze caisses, dûment numérotées,
contenant tout ce qui avait valeur d'art, furent donc chargées
ustensiles de cuisine, outils
plus
—
«
sur l'aviso La Durance et transportées à Papeete.
dispersion aux enchères publiques eut lieu le 2 septem¬
bre. Le Moine y fut mêlé, ayant été appelé comme expert pour
la préparation de la vente. Voici comme il rapporte l'histoire
dans une lettre à Daniel de Monfreid, dont nous préciserons
plus tard l'occasion.
Quoique je ne sois pas fonctionnaire, écrit Le Moine,
j'ai assumé moi-même une certaine responsabilité à cette
occasion, comme vous allez le voir ! Lorsque les objets prove¬
nant de la succession de Gauguin arrivèrent à Papeete, M.
Vermerscb, receveur de l'Enregistrement, me pria, en qualité
d'artiste peintre ( professeur de dessin, élève de Luc-Olivier
Merson) de vouloir bien inventorier avec lui les peintures,
dessins et sculptures de Gauguin. J'acceptai volontiers, alléché
par la réputation de l'artiste et par le vif désir de contempler
des œuvres d'art, joie bien rare ici. Notre désillusion fut
grande, à M. Vermersch et à moi, de ne trouver que six ou
sept esquisses peintes sur des toiles d'emballage, sans cadres
ni châssis pour la plupart, écaillées, craquelées, incapables
d'être convenablement emballées et de supporter le voya¬
ge.
Le tout au milieu d'un morceau de paperasses in¬
formes, croquis vagues, obscénités, ébauches de sculptures,
dans un état de saleté invraisemblable. Il est certain que Gau¬
guin lui-même n'attachait aucun prix à ces œuvres, et notre
opinion a été confirmée dans ce sens lorsque nous avons appris
qu'il avait fait récemment un envoi eu France, par l'entremise
le 11 Août
Leur
«
de la Société Commerciale de l'Ocêanie...
«
Je passai toute une après-midi à classer les dessins,
esquisses et paperasses... dont une grande quantité, plus ou
moins froissées et maculées de tâches douteuses, furent mis
aux ordures, c'est-à-dire à leur place. Le reste,
à peine plus
présentable, fut mis eu vente, ainsi que les peintures, sculptu¬
res, livres, etc... et fut adjugé à quelques amateurs sérieux,
ou à des jeunes gens amusés par les obscénités dues à ce que
appelez la géniale mentalité de Gauguin et que j'appelle,
son imagination malpropre ».11
C'est à vous décourager de suivre ses bons mouvements et
nous
moi,
Société des
Études Océaniennes
—
11
—
d'accomplir des gestes désintéressés ! L'après-midi passée par
Le Moine à classer les dépouilles de la case-atelier de Gauguin
lui vaudra à tout jamais et la hargne des collectionneurs
d'aujourd'hui à la recherche des moindres esquisses du maître
(qu'ils laissaient alors, ces éclairés volant au secours du succès,
froidement mourir de faim en attendant de spéculer sur ses
ossements) et la vindicte de la pléiade des amis de Gauguin
mort, (ces innombrables qui, en 1903, autour du Gauguin
vivant, se seraient si aisément comptés sur les doigts d'une
seule main !) Jean de Rotonchamp lui souhaite ironiquement
les « palmes académiques » ; Daniel de Monfreid rit de sa
lettre et on y répond « humoristiquement entre amis ». Et de
quels sarcasmes Jean Loize n'accable-t-il pas ce « personnage,
pour qui les nus sont des obscénités » 12 de quels ricanements
ne
commente-t-il pas « l'aveu naïvement cynique de la des¬
truction d'une grande quantité de dessins et d'esquisses ».13
Reportons-nous à 1903 et soyons objectifs. Vu l'état du
problème Gauguin à l'époque, tout ce qui pouvait être fait
sur
place l'a été fait correctement. Une concierge ou la femme
de ménage, dans un atelier parisien, eut sans doute causé des
dommages du même ordre lors d'un nettoyage après décès.
Le Moine et son collègue Bopp du Pont, — c'est sans doute
à cet artiste local qu'avait fait appel le Receveur Vermeersh
comme
second expert ; il le décrit comme « un peintre plus
âgé que Le Moine... élève de Harpignies »,14 — ont rempli
de leur mieux la tâche qui leur avait été dévolue. Ils ont
senti la valeur des manuscrits du peintre (Noa Noa, Avant et
Après), de ses carnets, de ses photographies. Us ont sauvé
des peintures « exécutées sur des toiles d'emballage, sans
châssis ni cadres, pour la plupart écaillées, craquelées » et
que Gauguin n'aurait certainement jamais mises en circulation.
On nous parle toujours du Paysage Breton sous la neige vendu,
à l'envers, 35 francs à Segalen, (qui s'excita et fit de la litté¬
rature sur cette toile, sans voir qu'il s'agissait là d'un reliquat
cie la période de Pont-Aven que Gauguin traînait avec lui
depuis 15 ans, toile qui n'avait rien qui puisse intéresser les
gens du cru) et on oublie de mentionner que la meilleure
toile du lot fut payée par le lieutenant de Vaisseau Cochin,
150 francs pins les frais... A peu de choses près, le prix offert
alors par les rares amateurs français... Nos deux experts ont
trié les esquisses et les croquis selon leurs normes. Ont-ils
eu la main un peu lourde ? On leur reproche d'avoir fait un
choix, en leur avançant... que Gauguin lui-même se servait
Société des
Études
Océaniennes
—
de
«
fort
beaux
Devons-nous
les
Gauguinistes
que
dessins
12
pour
accabler
pour
—
envelopper
ne s'être
ses
pas
chaussures ».15
montrés plus
Gauguin ?
plus que leur sincérité est indéniable — cette
sincérité, dirait Jean Loize, au nom de laquelle s'accomplissent
les plus grands crimes. Ils ne profitèrent en rien de la vente 16 :
Bopp du Pont en tira deux chevalets à cinquante centimes. Le
Moine y dépensa un peu plus : 5.50 frs, en trois enchères. Il
obtint pour ce prix un lot de pinceaux (1 fr. 50) un lot de
papier (2 frs) et 4 cadres (2 frs). Ces plus que modestes
enchères lui valurent un coup de plume de Segalen qui nous
le « professeur de peinture » essayant « d'un air
montre
entendu, la souplesse des poils des pinceaux sur l'ongle de
son
pouce gauche ».17
D'autant
Défenseur de l'honneur iuhilien.
Ces renseignements concernant
le rôle de Le Moine lors de
Gauguin, proviennent d'une lettre écrite de Papeete
par l'artiste, le 25 Février 1904, en réponse à deux articles
publiés par Marius-Ary Leblond et Daniel de Monfreid dans la
Dépêche de Toulouse d'Octobre 1903. Le Moine y protestait
contre certaines insinuations malveillantes à l'égard des Tahi-
la vente
tiens.
Cette
lettre
(de Daniel de Monfreid) contient une série
de la population tahitienne et, en
particulier, de quelques fonctionnaires. Vous accusez tout sim¬
plement les gens d'ici d'avoir mis au pillage la maison de ce
pauvre Gauguin, maison qui devait, à n'en pas douter, renfer¬
mer d'inestimables trésors d'art. Comme il
n'y avait rien, pres¬
que rien, en fait d'oeuvres d'art, vous en concluez intelligem¬
ment qu'on a dû les voler. Vous allez même
plus loin et vous
laissez entendre qu'un si grand homme ne pouvait mourir
subitement et qu'il a dû être supprimé par une bande de fli¬
bustiers ou de g réduis ameutés...
Je veux... vous rassurer sur la mort de Gauguin ; il n'a
pas été supprimé comme vous le supposez, ou, s'il l'a été, ce
n'est pas ceux qui convoitaient ses dépouilles, car personne ne
les convoitait, ce ne peut être que par certaine maladie sale,
qu'il avait sans doute traitée par le mépris, comme il avait
«
calomnies
de
à
l'adresse
«
l'habitude de traiter
Outre
cette
le monde ».18.
tout
accusation
assez
curieuse
d'avoir
Gauguin, Monfreid semblait faire reproche
Société des
Études
Océaniennes
aux
supprimé »
Tahitiens de
«
13
—
l'avoir
dépouillé... d'une
«
somme assez
il était arrivé à Tahiti. Ici
Je
—
encore
ronde » avec laquelle
contre-attaque.
Le Moine
bien
croire, écrit-il, qu'il était riche, en arrivant...
vécu longtemps aux frais de quelques per¬
sonnes bienveillantes
parmi lesquelles des fonctionnaires, qu'il
s'est empressé de vilipender pour leur bien prouver sa recon¬
naissance. Je ne vous conseille
pas de faire une enquête pour
savoir
l'emploi qu'il a pu faire de la somme assez ronde, vous
pourriez vous trouver nez à nez avec de curieuses révélations,
plutôt réalistes et très capables de ternir l'auréole de sa géniale
«
mais
veux
je sais qu'il
a
mentalité.
Cette
lettre,
foi fort bien tournée et pleine de bon
prise de position personnelle.
ma
sens,
terminait par une
se
«
de
Vous allez m'accuser
jalousie
sans
doute
d'obéir à
un
sentiment
écrivant ces lignes, ou dire qu'ayant l'intelligence
trop pauvre pour apprécier le talent de Gauguin, je suis bien
aisé de médire de lui maintenant qu'il est mort. J'ai l'âme
plus généreuse et suis trop respectueux de tout effort artisti¬
que, trop amateur de toute tendance personnelle, pour ne
pas accorder à l'artiste que fut Gauguin l'admiration qu'il
mérite
en
».
Monfreid
réception le 4 Avril 1904 à Le Moine
»
qui lui a procuré « quelques
instants d'humeur gaie » qu'il a « fait et compte faire encore
partager à ces amis ».
Cette fléchette lancée, Monfreid terminait son épître par
des considérations pleines de sérénité, s'en remettant au juge¬
ment de l'avenir : « Gauguin est mort, ceux qui l'ont persécuté
mourront à leur tour... et l'art survit en dépit de nos querelle ;,
mou
cher Monsieur. Méditez cette chose si simple...19 »
Ainsi les deux « querelleurs » couchaient-ils sur leurs po¬
de
sa
lettre
accusa
«
si
divertissante
sitions.
AUTOUR
Aucun
DE
L'ŒUVRE.
catalogue n'a été dressé.
Personne
ne
s'étant intéressé à faire connaître Le Moine,
catalogue de son œuvre n'a jamais été dressé. Il a bien
dû, entre 1901 et 1919, présenter quelques toiles à Papeete.
Mais la bibliothèque de la Société des Etudes Océaniennes ne
semble pas avoir conservé à son sujet un de ces feuillets
aucun
Société des
Études
Océaniennes
/
14
—
I
—
!..
imprimés qu'on distribue aux visiteurs lors des expositions
locales. On part donc de zéro, et l'on en est réduit à ses pro¬
pres observations pour parler des œuvres de Le Moine. Lors
d'un séjour à Tahiti, en 1957, j'eus l'occasion d'être reçu
dans plusieurs maisons ou y prenant un repas, d'être assis en
face d'un Le Moine. N'étant pas alors directement intéressé
par l'artiste, j'avoue n'avoir pas tiré mon carnet pour noter
le titre des toiles et leur format. C'est simplement en fin de
séjour, chez M. Julien Lévy, devant une importante collection
de Le Moine, que j'ai pensé que ce peintre, demeuré inconnu,
méritait sans doute une petite étude.20 Monsieur Julien
Lévy
a
bien voulu me permettre de photographier quelques-unes
de
ces
toiles
et
m'a donné la liste des titres de celle
possession. La voici
«
Vers la vie
«
Jument blanche contre deux étalons
Deux étalons »
«
«
Courses
Porteur de fei
«
La Fachoda
«
L'attente
«
La belle Hina
chevaux
chasseurs
Combien êtes-vous ?
La
»
»
«
Une fête à Punaauia
«
Virikine Makuita
«
Les laveuses
«
Regards furtifs »
Les petits pécheurs
«
«
«
M.
Sur
»
»
»
flanc
un
des
»
Marquises
Tahi tiennes d'Autrefois
Jeanne Gratet »
Monsieur
René
»
»
«
«
»
»
«
«
Marquises
aux
»
»
des
Kapuita
sa
»
«
de
en
:
Emile
Grand
Lévy
»
»
»
m'autorisa
également à photographier un
marquisien représentant un jeune vendeur de poisson
proposant ses prises. Chez Me de Montluc, j'ai pu prendre un
cliché d'une marine, figurant deux petits voiliers dans le
port
de Papeete. M. le Gouverneur Bouge,
qui possède de nombreux
dessins de Le Moine, conserve aussi dans sa collection Le
Punaru, un paysage tahi tien, une de ses dernières toiles qu'il
peignit quelques semaines seulement avant son départ définitif
de Tahiti. En 1904, me signale également
M. le Gouverneur
Le Moine
Société des
Études
Océaniennes
—
Bouge,
15
—
toile d'environ 0.60 x 0.40, représentant une danse
achetée par la colonie et offerte à la Reine
d'Italie en remerciement des secours apportés par le croiseur
Calàbria aux sinistrés du cyclone de 1903, qui ravagea les îles
Tuamotu et fit des centaines de victimes. On me signale éga¬
lement qu'un allemand, M. H. Rambke, mort à San Francisco,
aurait possédé plusieurs Le Moine. Un des tableaux de cette
collection, une grande composition intitulée Les derniers Marquisiens, aurait été acquise par le Musée de Hambourg. A-t-elle
survécu à la seconde guerre mondiale ? Est-ce le même collec¬
tionneur qui possédait un Combat d'étalons aux îles Marquises,
œuvre
importante, dont Monsieur Julien Lévy possédait une
reproduction ?
une
tahitienne fut
fteijcuds
Cette liste de toiles
sur
quelques tuiles.
peut nous donner de l'œuvre peinte
qu'un aspect fortuit et tout accidentel. Elle nous
nous apporte du moins l'évidence des
multiples aspects de son
talent. Le fait que nous y trouvions, outre des marines, des
portraits et des paysages, des études d'animaux, des peintures
religieuses et des scènes anecdotiques, nous prouve que Le
Moine s'est exercé en des genres fort différents.
Nous avons pu faire reproduire quelques-unes de ces toiles,
Les regarder, les analyser, nous permettra d'entrer en contact
avec les
conceptions du peintre, ses procédés et sa manière.
La première illustration (Fig. 1) nous présente un Marchand
de -poisson marquisien, en possession de M. René Grand, de
Papeete.
Un jeune pécheur revenant de la mer avec ses prises sus¬
pendues en équilibre aux deux bouts d'un bois porté sur
l'épaule suffit à mettre quelque animation dans cette fin
d'après-midi marquisienne. Il a interrompu les tâches ménagè¬
res et
ia lessive. Deux filles le regardent par dessus la balus¬
trade de la véranda où sèche du linge. L'une s'appuie sur un
ne
de Le Moine
balai.
Une
marna
aux
cheveux
blancs
circule.
Des
enfants
les marches de l'escalier. Plus curieuse que les
autres, ou tout simplement chargée de la cuisine ce soir-là,
une femme est venue voir ce qui accompagnera
pour le souper
l'uru quotidien. L'affaire vient d'être conclue. Le chat de la
maison, lui-même, semble d'accord, qui flaire avec l'intérêt
la filoche de poisson. La femme en prend possession d'une
main experte pendant que, de l'autre, elle semble indiquer
jouent
sur
Société des
Études
Océaniennes
—
au
garçon
d'avoir à porter
installée la cuisine. On
se
sa
16
—
pêche jusqu'au faré niau où
trouve à
est
l'ombre d'une maison de
planches. Une branche d'arbre à pain,
mettre une note végétale dans
ce
Sans
maison
vient
Le
doute sommes-nous
Moine : le fini de la
devant
la
feuilles découpées,
décor de charpente.
aux
de
l'Instituteur
menuiserie, les impostes vitrées qui
surmontent les portes, les claies
qui empêchent les porcs de
venir s'installer sous la maison, le
rocking chair dont s'orne
la vérandah, tout semble autoriser cette
supposition.
Virïkine Makaita (Fig.
2). C'est une calme et hiératique
jeune femme polynésienne aux cheveux longs déployés sur le
dos, au paréo modestement noué sous les bras. Elle est figurée
de profil, nimbée, une fleur de tiaré sur
l'oreille, devant un
fond de plage avec une cocoteraie, une
case et des pics monta¬
gneux. Cette toile, d'une facture unique dans l'œuvre de Le
Moine, M. Julien Lévy qui en est propriétaire nous assure que
le peintre a voulu
y imiter le « genre Gauguin ». L'œuvre
est en effet plus
dépouillée, de tons plus vifs, les plans y
sont
cernés et
vée
là-bas
comme
dans
un
dessinés d'un trait noir. Elle
cadre
motifs floraux.
est conser¬
dissymétrique de bois sculpté de
Les Lavandières (Fig. 3). Dans
un décor forestier composé
d'un tronc d'arbre à pain et d'une case
indigène recouverte de
feuilles de cocotier, deux femmes
marqui siennes, en buste, fi¬
gurent au premier plan, sur la droite. L'une est de face, en
robe bleu ciel, l'autre de
profil, avec un paréo saumon. Elles
reviennent de la rivière, un paquet de
linge essoré sur l'épaule,
et traversent une zone d'ombre clairsemée de
petites tâches
de soleil perçant au travers le
feuillage qui pointillent leurs
corps et leurs lourdes chevelures noires de tatouages lumineux.
(Collection Julien Lévy).
Fête
à Punaauia
(Fig. 4). Sur la pelouse, au bord de la
ombragée de grands arbres tropicaux, cocotiers, banians,
arbres à pain, quelques
baraques en matériau rustique ont été
dressées. Sous un hangar décoré de
drapeaux et de guirlandes,
on devine une
grande table garnie, quelque buffet chargé de
fruits, de friandises et de rafraîchissements. Descendus d'une
charrette anglaise, des arrivants, vêtus de
blanc, embrassent
des connaissances. Les enfants ont
déjà été priés d' « aller jouer
sagement dans un coin à l'ombre ». Us y rejoignent une
« américaine »
dételée, dont l'équipage a été, lui aussi, re¬
chercher un peu de fraîcheur. Un
porteur de fei aux mollets
route
Société des
Études
Océaniennes
—
puissants fait
assises dans
son
17
—
entrée dans la foule. On
cause.
Des femmes
coin s'occupent de leurs enfants en attendant
l'ouverture de la fête. La robe mission domine et le canotier
un
de
paille, alors régnant. (Collection Julien Lévy).
Kapuita (Fig. 5). Debout, alignés sur l'herbe comme pour
une leçon de
gymnastique, un groupe d'indigènes occupe pres¬
que toute la largeur de la toile. Les hommes, en pantalons
longs, ont le torse nu ; les femmes, couronnées de fleurs,
portent la robe mission. Leur attitude de repos contraste avec
le dynamisme quelque peu acrobatique d'un homme qui, sur un
pied, au tout premier plan, se livre à quelque mouvement
de danse. Derrière, dans la grande clairière où se passe la
scène, 011 discerne une foule de spectateurs intéressés par
le spectacle. La toile est intitulée : « La Kapuita ». Il s'agit
d'une danse marquisienne. Il y a souvent dans les danses
polynésiennes, un bouffon, meneur de jeu, chargé d'animer
l'ensemble. (Collection Julien Lévy).
Danseuses (Fig. 6). Couronnée de fleurs, les cheveux dé¬
ployés, revêtue d'une camisole à manches dont s'échappe une
longue robe blanche une jeune femme danse, les mains retour¬
nées sur les hanches, les pieds nus, les yeux mi-clos de plaisir.
Trois compagnes suivent du regard ses évolutions. La plus
éloignée est débout, avec un canotier fleuri et une jupe mission
dont l'empiècement carré est souligné d'un triple galon blanc.
La
Les
deux autres sont assises à terre. L'une, vêtue de clair,
joue d'un accordéon qu'elle appuie sur sa cuisse droite allongée.
L'autre bat des mains pour rythmer la danse. Une des bre¬
telles de sa chemise, tombée sur le coude, laisse voir un sein
alléchant qu'explique peut-être un enfant, qui trotte autour
de la scène ; à moins qu'il ne faille voir là une discrète
pointe d'érotisme. Un corniaud se lèche dans un coin. Une
silhouette de cheval se perd sur le fond sombre. A l'arrière
plan, sous la vérandah d'une maison rustique, un homme assis
par terre. (Collection Julien Lévy).
Apprends-moi à tresser (Fig. 7). Dans l'ombre de sa véran¬
dah, une femme d'âge mûr, assise à l'indigène, s'occupe à un
travail de vannerie. Elle a disposé devant elle les quelques
accessoires
nécessaires
à
sa
fabrication.
Peut-être
bien
aussi
pipe ? En tous cas, il semble bien qu'on puisse reconnaître
à l'extrême droite, de la peinture, une de ces « formes »
qui servent à la confection des coiffes des chapeaux de paille ;
on en voit
un suspendu à la paroi intérieure de la case.
Une jeune fille en robe blanche est venue s'installer auprès
une
—
Société des
Études
Océaniennes
—
18
—
d'elle. Sa belle chevelure noire flotte
sur ses épaules. Elle est
positions de repos que nous jugeons
inconfortables mais qui sont l'apanage des femmes polynésien¬
nes. Intéressée
par l'ouvrage, elle a posé des questions. Alors
on
lui montre comme se tressent les brins ; l'art difficile
de commencer ou d'achever 1111 travail. Les deux visages,
concentrés par l'attention, sont penchés sur les mains qui
montrent le faire délicat. Ainsi se transmettent d'âge en âge
les traditions, les tours de mains et les techniques. (Collection
Julien Lévy.)
Sur un flanc des Marquises (Fig. 3). Le décore de cette toile
est
l'âpre et verdoyante gorge d'une vallée marquisienne.
Deux chevaux y passent sur un chemin de terre rouge. Un
couple de jeunes marquisiennes monte la première bête, un
accroupie dans
une
de
ces
étalon alezan. La femme est assise à califourchon
derrière le
cavalier
qu'elle étreint. Le second animal, de robe blanche,
est chevauché par une jeune femme en jupe longue qui semble
éprouver quelque difficulté à se faire obéir de sa monture
qu'elle conduit d'un mouvement de bras certainement peu con¬
forme avec les meilleures traditions du cadre noir. (Collection
Julien Lévy).
Un témoin de fa vie
polynésienne du début du XXme slèele
On le voit par ces descriptions, Le Moine se comptait dans
l'anecdotique et la toile centrée autour de fait divers. Il est
pour cela bien de son temps et le frère des artistes des FigaroSalon fin de siècle de nos enfances, où nous trouvions beaucoup
de
fillettes en robes à volant s'amusant avec des chats, de
capucins gourmands, d'enfants de chœur farceurs et de joyeux
cavaliers lutinant d'accortes servantes... Comme eux, il s'in¬
téresse davantage aux futilités visibles qu'à l'essentiel à dé¬
couvrir. Son esprit est, hélas, cà l'accord de la légèreté de la
belle époque ».
Aux Marquises, d'où proviennent presque toutes les toiles
vues, Le Moine apparaît comme le témoin sans imagination
d'une génération sans grandeur. Ces marquisiens, qui sous la
conduite de leurs chefs avaient édifié les marae et peuplé leurs
vallées de grandioses likis ; ces hommes qui, sous la conduite
d'un Père Laval, avaient su bâtir d'impressionnantes cathé¬
drales, Le Moine nous les montre eu train de laver du linge,
de pêcher à la ligne 011 d'attendre leur déjeuner ! A défaut
des actions épiques d'autrefois, à défaut des hardies naviga«
Société des
Études
Océaniennes
—
19
—
pas su discerner les restes de
civilisation touchée à mort : les derniers
cette mer¬
sculpteurs
et tatoueurs, les danseurs et les sorciers encore exercés et, au
fond des vallées, loin des inquisitions des gendarmes et des
remontrances des missionnaires, les grandes fêtes orgiaques au
vin d'orange, survivances des splendeurs passées. Il aurait pu
être l'illustrateur des légendes anciennes et joindre son nom
et son crayon à la plume du Segalen des Immémoriaux.
Non, sa classe achevée, paisiblement installé sous sa véranclah, le peintre-instituteur regarde autour de lui et se satisfait
de ce qu'il a sous les yeux. Avant l'ère de l'instantané, avant
celle du cinéma, d'ailleurs si décevants en ce que leurs
manipulateurs nous rapportent à grands frais de si loin, il
restera comme un témoin de la vie marquisienne au début du
XXe siècle. Le caractère anecdotique qui rabaisse sa peinture
à nos yeux, — en attendant quelque regain de la scène de
genre —, ia sauve comme document. On voit très bien ses toiles
figurant avec honneur entre un dessin de Webber et une
gravure de Boullaire dans quelque rétrospective de l'ancienne
Polynésie : ou bien suspendues en bonne place dans la section
historique de ce musée Tahitien que Papeete devrait se hâter
de posséder pour y instruire ses visiteurs et leur faire prendre
une
vue
rétrospective d'un passé, maintenant centenaire. Le
chercheur désireux de se renseigner sur les costumes, l'habitat
ou
les mœurs, l'amateur d'images anciennes ou l'érudit en
quête d'informations inédites, le sociologue pour ses recherches
d'acculturation, le simple curieux heureux de pouvoir comparer
les jours anciens au temps présent, tous s'arrêteraient avec
intérêt et profit devant bon nombre des toiles de Le Moine.
Ils y trouveraient une sincère description graphique de l'exis¬
tence la plus terre à terre des marquisiens. Car si Le Moine
est incapable de transposer, de recréer, s'il ne peut peindre
qu'avec une rétine servile et sans une vision personnelle des
Marquises, s'il ne peut éclairer ces îles de sa propre lumière,
s'il ne peut en faire des Le Moine, au moins a-t-il appris aux
tions
révolues, il n"a
veilleuse
Beaux-Arts
à
dessiner.
Une trentaine de dessins
au
creyon
Conté.
possède de nombreux dessins de
départ de l'artiste pour
la France, il a pu faire son choix d'amateur éclairé dans les
cartons où le peintre, alors naturellement désireux de mon¬
nayer ses travaux, avait serré ses études. Il a recueilli ainsi
M.
le
Gouverneur Bouge
Le Moine. En
poste à Tahiti lors du
Société des
Études Océaniennes
—
20
—
trentaine de crayons de Le Moine.21 Elles vont des
esquis¬
rapidement jetées à des pièces d'un fini minutieux. Il y
a
là des silhouettes d'amis européens, des nus, des
croquis
d'attitudes féminines, des notations de tatouages,
quelques
paysages, mais surtout une série de visages indigènes et de
portraits vers lesquels le collectionneur s'est porté de préfé¬
rence. D'instinct il incline ses choix vers le
peintre de Tahiti,
une
ses
vers
un
Le Moine documentaire.
Celui-ci travaille le plus
souvent au crayon conté, sur un
canson
volontiers légèrement teinté gris-bleu, ivoire ou vert
d'eau clair. Il rehausse volontiers son dessin de craie ou de
gouache blanche, d'une fleur rouge. Sans grande habileté dans
le trait pur, — esquisse
rapide, silhouette ou pochade —, Le
Moine est beaucoup meilleur dans les études un
peu poussées
où son métier vient
suppléer à la virtuosité de la main, à
l'acuité elliptique de la vision. Pleine de rondeurs ombrées et
de savants dégradés, sa manière
est, certes, léchée et académi¬
que, mais elles nous vacit des têtes solidement construites,
modelées selon les règles et qu'on devine ressemblantes. Elles
illustreraient parfaitement un article sur les
types humains
de la Polynésie française. On
y reconnaît aisément les origines
des divers archipels, les
métissages asiatiques ou européens.
L'auteur a très bien discerné et traduit ces
imperceptibles
nuances
qui permettent à un physionomiste d'identifier un
indigène et de situer son île natale, au premier coup d'oeil et
avant même de l'avoir entendu
parler.
Voici
des visages d'enfants aux regards
déjà lourds et
nostalgiques, des types d'hommes musclés, des inarquisiennes
charnues, auréolées d'épaisses chevelures noires leur tombant
sur les
épaules, des tahitiennes anonymes, dans lesquelles les
hommes nés sous le Président Carnot reconnaîtraient telle ou
telle beauté de l'époque. Voici la vahiné d'un commandant de
la Marine, — s'agirait-il d'une élude
pour son portrait ? Un
buste de femme déjà âgée, surmontée d'un vaste
chapeau de
paille posé à plat sur le haut de la tête, demeure la meilleure
pièce du lot. Le Moine a remarquablement saisi et rendu là,
outre la physionomie osseuse et
parcheminée, cette attitude
de noblesse un peu
lasse, cet œil désabusé bien que vif
encore
qui caractérise la marna, la grand'mère tahitienne,
telle qu'on peut la voir le dimanche au
temple, droite, fière,
inlassablement attentive au pied de l'estrade ou,
inlassablement,
parle le pasteur. Alors que ses toiles, jamais datées, portent
généralement son nom en capitales, Le Moine signait rarement
Société des
Études
Océaniennes
21
—
—
de ses initiales :
de bouclier aux deux majus¬
cules L M encastrées. A-t-il seulement mis son nom au bas
de cette œuvre si achevée et qu'on aimerait conserver devant
les yeux comme une parfaite image de noblesse et de séré¬
nité ? Cette absence de signature sur ces dessins témoignent en
faveur de la modestie de leur auteur. Le Moine ne semble pas
ses
dessins, et seulement d'un
le C de Charles servant
avoir
été
monogramme
comme
spécialement atteint
Rien d'un révolutionnaire
ou
par
le prurit de la notoriété.
d'un m'as-tu-vu ? Il n'avait pas
la prétention d'ébranler les grandeurs reçues, mais seulement
d'imiter les maîtres. C'était plutôt un simple. Les dessins
tombés entre les mains du Gouverneur étaient pour lui des
exercices préparatoires, des gymnastiques pour s'entretenir la
main, des sortes de gammes picturales. Il y voyait, sans doute,
plutôt des souvenirs que des productions accomplies, dignes
d'une reconnaissance en paternité.
En guise
Us meilleurs
de conclusion.
aspects d'un peintre inconnu.
La volonté d'effacement, chez Le Moine, est évidente, encore
qu'on en discerne assez mal les raisons profondes. A vrai dire,
quelques légers mystères demeurent sur l'existence de cet
artiste, les raisons de son départ pour l'Océanie et la durée
insolite de son séjour là-bas. Mais il faut avouer qu'il ne sem¬
ble pas avoir jamais envoyé de toiles aux divers Salons pari¬
siens durant les quinze premières années du siècle. Chose plus
curieuse encore, sa famille n'a pas recueilli son héritage pic¬
tural. Interrogé à ce sujet, une de ces nièces veut bien écrire :
Si extraordinaire que cela puisse vous paraître, pas plus ma
sœur que moi ne possédons, même une esquisse, de mou oncle
Charles. Quand il est rentré à Paris en 1918, il n'avait qu'un
fort mince bagage et pas de tableaux. S'il en a emporté de
Tahiti, que sont-ils devenus ? »
«
Les
événements
accentuèrent
encore
cet
effacement, voulu
Après 18 ans d'absence, Le Moine vient mourir en
France. Il n'y est pas connu. Nous sommes à la fin de 1918 :
la première guerre mondiale s'achève ; l'époque ne se prête
guère à la mise sur le pinacle d'un artiste dont personne n'a
jamais vu une toile. Par ailleurs, à Tahiti oit le nom de Le
Moine est familier, qui s'intéresse à lui ? Paris a-t-il songé
à prévenir Papeete ? Sa mort lointaine y sera passée totalement
ou
non.
Société des
Études
Océaniennes
22
—
—
inaperçue, Aura-t-il été l'objet, là-bas, de la moindre mani¬
festation de sympathie ? Aura-t-il eu droit à dix lignes d'adieu
dans
une
1918.
feuille locale ?...
Alors le silence
1958. Peut-être
se
fait et l'oubli...
était-il
expédient, après quarante ans pas¬
sées, de faire le point au sujet de Le Moine. Il n'y avait pas,
du reste, à son propos, de jugement à reviser, de procès
à
ouvrir, de courant à remonter. Nous étions en face d'un ignoré
total.
Cet article a tenté de rassembler quelques données autour
de l'homme et auteur de son œuvre. Sa rédaction a contraint
auteur
son
de
à des vérifications
carence,
à
existence. Ainsi
nom,
d'état-civil, à des constatations
quelques prospections aux alentours de son
Le Moine n'est-il plus pour nous un simple
agrémenté de dates inexactes. C'est un vivant dont nous
même retrouver les traits (Fig. 9), la svelte silhouette,
pouvons
l'air heureux de vivre et le canotier bon enfant.
Cet article, à le relire sans parti pris, on y trouve que son
signataire y a parfois la dent un peu dure, la plume un peu
trop acerbe. L'ombre de Gauguin (qui du reste, disons-le en
passant, vieillit assez mal, et dont la peinture, inégale, fait
parfois figure d'enfant pauvre à côté des Renoir et des Cézanne
dans les nouvelles salles des Impressionnistes au Jeu de
Paume)
écrase les malheureux peintres de Tahiti. Mais sans-doute estce
une erreur
de tout ramener à ce génial et peu commun
dénominateur. A côté des éblouissantes et inaccessibles cimaises,
il y a de la place pour des œuvres plus modestes, solides
néanmoins et sérieuses. Elles ne tiendront pas, l'hiver, la
vedette aux grandes enchères de la Galerie Charpentier ou
chez Parle Bernett, mais elles demeurent tout à fait suscepti¬
bles de satisfaire un amateur dépourvu de snobisme ou du
goût de la spéculation, d'animer un panneau un peu morne,
ou de
remplir de souvenirs la maison du voyageur rentré au
pays. Beaucoup d'amis des îles préféreraient posséder chez
eux
l'original d'un bon Le Moine plutôt qu'une méchante
reproduction du cheval blanc ou de la femme aux mangues.
Qui pourrait les blâmer ?;
Car, si notre ami Le Moine n'est pas un peintre maudit,
ce
n'est pas non plus un mauvais peintre ni un peintre du
dimanche. Si sa peinture est sage et consciencieuse, ses toiles
sont
au
moins fort bien construites. Il sait aussi composer, ce
qui n'est
pas
donné à tout le monde. Ombres et lumières
Société des
Études
Océaniennes
Fig. 4.
tête
—
Le Moine.
à Punaauia.
—
Une
—
Toile
la-
Iiitienne.
Signée. Collection
de M. Julien Lévy.
—
Fi g. 5. — Le Moine. — La
Kapuita. Danse marquisienne.
Signée. Collection de M. Ju¬
lien Lévy.
—
Fig. 6.
—
Le Moine.
—
Talii-
tiennes d'autrefois. — Signée.
Collection de M. Julien Lévy.
—
24
—
quelque philosophe esthéticien. A ces doctes, à ces cœurs
plus sensibles, à ces cervelles plus cultivées, je passe mainte¬
nant la parole. Leur souhaitant bonne chasse et bonne chance.
Ils n'auront pas, sur Charles Le Moine, de lecteur
plus curieux
et plus attentif
que le
Jas
de
la
Prénade
Père
(Loire), Août 1958.
O'REILLY.
NOTES
1.
—
2.
—
Citée par Jean de
Rotonchamp, Paul Gauguin, 18481903, Paris, Crès, 1925, p. 229.
Renseignements biographiques fournis par M. le Gou¬
verneur
Bouge, qui les a recueillis dans le dossier
administratif de Le Moine.
en
Auvergne, durant les
—
Cet article fut écrit
loin de toute sour¬
renseignements. Suivant la pente naturelle
d'un esprit critique, de retour à
Paris, je fis quel¬
ques sondages au sujet de Le Moine. Il s'avère, hé¬
las, que les précisions biographiques essentielles four¬
nies par le dossier tahitien de Le Moine s'avèrent
ce
vacances,
de
erronnées.
1°
Date
et lieu de
naissance. L'Etat-Civil de
Seine (Aube), me répond : « Nous n'avons
pas traces de la naissance de Charles Alfred Le
Moine en 1872, ni dans les années antérieures et
postérieures ». Après des recherches difficiles, je
trouve, qu'en fait, Le Moine est né à Saint-Aubin,
commune voisine de
Nogent sur Seine. 2° — Etu¬
—
Nogent
sur
des à l'Ecole des Beaux Arts à Paris. D'une visite au
secrétariat de l'Ecole, Quai Malaquais, je ressorts
avec la certitude matérielle
que Le Moine n'a jamais
été inscrit comme élève à l'Ecole des Beaux Arts.
Son nom ne figure pas dans les fichiers des anciens
élèves. Un dépouillement personnel du cahier des
inscriptions m'assure en outre que Le Moine n'a ja¬
mais fait partie d'un des ateliers de
peinture de
l'Ecole. Vers 1890, il y avait trois ateliers, celui de
Cabanel (1874) passé à Aimé Morot et à Cormon;
Société des
Études
Océaniennes
—
celui de Lehman
enfin, celui de
25
—
(1875) qui sera celui de Bonnat ;
(1874). Aucun Le Moine
Gérome
dans ces trois ateliers. 3°
Elève cle Luc-Olivier
Merson. Ce peintre enseigna à l'Ecole des Beaux Arts,
dans l'atelier Bonnat, de décembre 1905 à 1911. Le
Moine vivait alors à Tahiti. II est donc impossible
—
que
ve
Le Moine ait été, à l'Ecole des Beaux Arts, élè¬
de Luc-Olivier Merson. Sur la
vue
de
ma
décon¬
le secrétaire de l'Ecole m'assure que le cas
Le Moine est fréquent. Beaucoup de jeunes gens, et
principalement les étrangers, après avoir passé quel¬
que temps dans les alentours du Quai Malaquais et
traîné dans les cafés de la rue Bonaparte, affirment
avoir été « élève des Beaux Arts », ou avoir « fré¬
quenté l'Ecole », prétentions de gloriole qui ne re¬
posent sur aucun titre positif. Il n'est du reste pas
du tout exclu que Le Moine ait suivi dans quelqu'atelier privé, des leçons de Luc-Olivier Merson ;
mais il n'a jamais été « élève de Luc-Olivier Mer¬
venue,
son
à l'Ecole des Beaux Arts
3.
—
Extrait
4.
—
Résident
».
d'une notice inédite, rédigée en vue de
l'Exposition « Les Arts de la Paix dans l'Empire
Colonial Français » tenue l'hiver 1945-1946 aux Ga¬
leries La Fayette, exposition à laquelle M. le Gou¬
verneur
Bouge avait participé en prêtant plusieurs
œuvres
de Le Moine. Cf. O'ReilIy, les Arts de la
Paix dans l'Empire Colonial Français, (Journal de
la Société des Océanistes, Paris, t. 2, 1946, p. 229230).
aux Marquises
depuis plus d'un demi siè¬
cle, M. G. Le Bronnec, qui a déjà tant fait pour
une meilleure connaissance de la vie de
Gauguin à
Atuona, aurait beaucoup à nous apprendre sur la
période marquisienne de l'existence de Le Moine
dont il fut l'ami et le confident.
5.
—
Dossier
personnel de Le Moine à Tahiti. La note
signée du Dr. Lailhègue qui, ailleurs, traite Le
Moine : « d'instituteur par occasion ».
est
6.
—
7.
—
Rapport signé de l'Administrateur l'Hermier des
Plantes, le 25 Décembre 1914.
Lettre de démission de Le Moine. Dossier
Société des
Études
Océaniennes
personnel.
—
8.
—
26
—
Enquête menée à Paris, en Août 1958. Le Moine est
mort à Sceaux, dans la maison de Santé du Dr
Redon, actuellement comprise dans une zone de
constructions modernes, et fermée
depuis plusieurs
années.
Le Moine
est
enterré
dans
une
concession
perpétuelle du cimetière du Montparnasse (Xllle
division, 1ère ligne Sud, 45ème tombe), appartenant
à la famille Boulouze. Madame Le
Moine, mère de
notre artiste, qui résidait à Paris,
29, rue de Condé,
était née Camille Eugénie Alice Boulouze. Elle mou¬
rut à Paris, 17 mois
après son fils. La famille
Le Moine possédait elle-même une concession dans
le même cimetière. Elle conserve les restes du
père
de notre peintre, Edmond Gustave Le
Moine, décédé
en
1893, de son frère Louis Charles Henri, décédé
en
1910, de sa sœur, Marie Charlotte Berthe, décé¬
dée en 1915, qui avait épousé
un Jean-Louis Paul
Petit.
9.
—
10.
—
11.
—
Frédérick O'Brien. White shadows in the South Seas.
New-York, The Century Co., 1920,
12.
—
p.
64.
id. p. 144 -145.
Lettre de C. Le Moine, datée de
Papeete, le 25
Février 1904, citée intégralement par Jean de Ro-
tonchamp, Paul Gauguin, 1848-1903. Paris, Crès,
1925, p. 229-230.
Brouillon de la lettre-réponse de Daniel de Motifreid
à Le
Moine, citée par Jean Loize dans les Amitiés
peintre Georges-Daniel de Monjreid et ses reli¬
ques de Gauguin, Paris, 1951, n° 357, p. 130.
id. n° 356, p. 130.
id. n° 359, p. 132.
id. n° 359 bis, p. 133.
du
13.
—
14.
—
15.
—
16.
—
Procès-Verbal de la Vente Gauguin à. Papeete,
dans
Dossier de la Succession Paul Gauguin. Papeete —
Tahiti, Société des Etudes Océaniennes, 1957,
p.
39-
43.
17.
—
Victor Segalen, Hommage à
de Paul Gauguin à Georges
Gauguin, dans Lettres
Daniel de Monjreid,
Paris, Pion, 1930 p. LI-LIT. C'est dans ce texte que
Segalen parle de Le Moine, sans le nommer, comme
« d'un
professeur de peinture sans élève devenu
écrivain public ».
Société des
Études
Océaniennes
_
18.
—
27
—
Rotonchamp, Paul Gauguin, 1848-1903, Paris
Crès, 1925, p. 229-231. Cette lettre citée en entier
par de Rotonchamp, a figuré en 1951 à l'Exposition
organisée par Jean Loize dans sa galerie de la rue
Bonaparte, à Paris, autour des souvenirs de Monfreid.
Le catalogue de l'Exposition portait : « 8 pages re¬
Jean de
par Monfreid en Mars 1904 (terminées par la
plus enchevêtrées des signatures) émanant de l'ex¬
pert occasionnel de la vente Gauguin, précisant son
rôle (destructeur) préalable... La lettre, recomman¬
dée (8 sous au lieu de 3) était partie de Papeete le
çues
27
Février
1903...
Monfreid
avait
noté
dans
son
Reçu de Tahiti deux lettres...
d'un type furieux contre
Gauguin, contre moi, à propos de mon article du
10 Octobre dans « La Dépêche ». Je me propose
d'y répondre humoristiquement. « Jean Loize, les
amitiés du peintre Georges Daniel de Monfreid et
ses
reliques de Gauguin, Paris 1935, I, N° 356, sous
le titre « Paperasses aux ordures », p. 130.
journal le 26 Mars
L'autre
très
Loize, les amitiés... N° 357,
19.
—
Jean
20.
—
Le travail
Galvadon,
remercie
21.
—
: «
amusante,
a
été fait
avec
p.
130.
Tony
de Papeete, que je
la collaboration de
un jeune photographe
ici de son obligeance.
Bouge en a exposé une douzaine,
Galeries La Fayette « Grands dessins
au crayon, sur papier gris, brun ou bleuté, en vogue
à la fin du siècle dernier, dessins parfois relevés
d'une pointe de gouache de couleur... Etudes de têtes
ou
d'attitudes, études de femmes ou d'enfants, les
dessins de Le Moine sont d'un crayon fort académi¬
que,... mais détaillés, précises, œuvrés à plaisir et
par dessus tout véridiques. Nous sommes très loin
de Gauguin, mais très près des modèles, saisis de
près, bien observés, bien rendus, dans une réalité
quotidienne. Le regard lointain des tahitiens, leur
mine, leur sourire, tout est là sur un visage dessiné
par Le Moine ». P. O'Reilly, Les Arts de la Paix
dans l'Empire Colonial Français (Journal de la So¬
ciété des Océanistes, Paris t. 2, 1946, p. 230.)
M. le Gouverneur
en
1945,
aux
Société des
Études
Océaniennes
'
Société des
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ment Intérieur. Bulletins N° 17 et N° 29).
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une
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être
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24 du Règle¬
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2
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 126