B98735210103_103.pdf
- Texte
-
"BULLBTIN
DE
LA
SOCIÉTÉ DES ÉTU
JUIN
Anthropologie
Histoire
—
des
—
1953
Ethnologie
Institutions
et
—
Philologie.
Antiquités
populations maories
Littérature et Folklore.
Astronomie
—
PAPEETE
Océanographie
—
—
Sciences naturelles
IMPRIMERIE DU GOUVERNEMENT
Société des
Études Océaniennes
CONSEIL
D'ADMINISTRATION
m. h. jacquier.
M. Rey-Lescure.
Meile Laguesse.
M. A. Bonno.
Président
Vice-Président
Secrétaire-Archiviste
Trésorier
M. leCom1 Paucellier
M. Terai bredin.
Assesseur
Assesseur
M. Martial Iorss,
M. Siméon Krauser.
Assesseur
Assesseur
Secrétaire-Bibliothécaire du Musée Mlle Natua.
Pour être reçu Membre
membre titulaire.
de la Société se faire présenter par
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BIBLIOTHÈQUE.
Le Bureau de la Société informe ses Membres que dé¬
sormais ils peuvent emporter à domicile certains livres de
la
en signant une reconnaissance de dette en
rendraient pas le livre emprunté à la date
Bibliothèque
cas
où ils
ne
fixée.
présentera la formule à signer.
Bibliothèque est ouverte aux membres de la Société
leurs invités tous les jours, de 14 à 17 heures, sauf le
Le Bibliothécaire
La
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de 14
à
17
public tous les jours
heures
MUSÉE.
jours, sauf le lundi de 14 à 17 h.
jours d'arrivée et de départ des courriers : de 9 à 11 et de 14
17 h.
Le Musée est ouvert tous les
Les
à
LE BULLETIN
Le Bureau de la Société accepte l'impression de tous les articles
qui paraissent dans le Bulletin mais cela n'implique pas qu'il
épouse les théories qui y sont exposées, ou qu'il fait sien les
commentaires et les assertions des divers auteurs qui, seuls, en
prennent toute la responsabilité.
Aux lecteurs de former leur appréciation.
Le Bulletin
ne
tait pas de publicité.
La Rédaction.
ai*W&3L2E3?8&r
de
la
SOCIÉTÉ D'ÉTUDES OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
TOME IX
i\o lOÎÎ.-
(No 2)
JUIN
195îî
som 3v3i .a. x 1rs
Pages
Histoire.
Les
terrains
taine de
de
Thierry en Nouvelle-Zélande
le commandant J. Cottez, capi¬
frégate (R), membre correspondant de
(1820-1846),
par
la S.E.O
35
Histoire locale.
Rurutu, île
sans
passé,
par
Eric de Bisschop...
51
Ethnographie.
Mœurs et coutumes de l'ancien Tahiti
d'après le
vocabulaire, par Rey Lescure
Le
Topatari (Martial)
Société des
82
84
Études
Océaniennes
-
,
Société des
Études
Océaniennes
■raSSESSE"
Les Terrains de THIERRY
en
Nouvelle-Zélande
( 1820- 1846 )
Deux lettres publiées en 1949, par les soins de la « Wesley Historical Society» de Takapura (Nouvelle-Zélande)
semblent devoir mettre le point final à une question sou¬
vent discutée,
celle des terrains, achetés au début du
NLXème siècle, dans l'île Nord de cet archipel, par lè
fameux Baron Charles de THIERRY
(1793-1864).
Nous supposerons connue, l'histoire fie ce personnage.
Elle a été rapportée d'une façon amusante, mais fausse
sur bien des points, par Maurice BESSON, dans un article
du «Temps Colonial» reproduit, à son tour, par un
letin de la Société des Etudes Océanienne . (1)
Bul¬
suivre, nous
de Thierry,
descendant d'émigrés français, avait, vers 1820, en GrandeBretagne, par l'intermédiaire d'un Pasteur, le Révérend
Thomas KENDALL, amorcé l'achat de vastes terrains, si¬
Pour la complète intelligence de ce qui va
bornerons à rappeler que Charles, Baron
nous
en
Nouvelle-Zélande. Il avait remis à cet effet, à
Kendall, une somme de 855 livres, ( dont 800 pour l'achat
proprement dit, le reste à titre de commission). Il s'ef¬
força, par la suite, vainement d'ailleurs, d'y créer une
colonie avec l'appui d'une grande puissance.
Thierry espérait, tout d'abord, devenir propriétaire de
tout le nord de l'île Nord, depuis l'extrémité septentrio¬
nale de cette île, jusqu'à la hauteur de Tauranga, 40 ki¬
lomètres plus au sud que l'emplacement où s'est, depuis,
tués
édifié Auckland.
Arrêtons-nous
un
instant
sur
les
sommes
versées pour
acquisition. Elles peuvent paraître modestes, mais
un
calcul très simple montrerait que pour avoir une idée
assez exacte de leur valeur en France actuelle ( Décembre
cette
(1)
Bulletin S.E.O. n° 39 de Février 1931 — Voir
parlant de THIERRY, dans les numéros 82 et 85
—
articles
Bulletin.
Société des
Études
Océaniennes
aussi mes
du même
—
36
—
1952), il faudrait multiplier ces sommes par le coefficient
( 25 x 400 ) soit 10.000.
Thierry avait donc versé à Kendall une somme corres¬
pondant à 8 millions PINAY ; le pasteur avait reçu,
en
outre, une commission correspondant à 550,000 fraies
actuels, ce qui, malg-é la dépréciation progressive du franc,
représente, heureusement, encore quelque chose.
En 1822, Thierry reçut bien, en contre-partie des som¬
mes versées, un acte de
propriété, en bonne et due forme,
pour des terrains si tués en Nouvelle-Zélande.
Mais, en fait, Kendall avait été un commissionnaire in¬
fidèle : gardant, pour lui, la plus grande partie de l'ar¬
gent remis — presque la totalité — il s'était contenté de
faire fabriquer, sans doute à la Baie des Iles, par un.
artisan
local, trois douzaines de haches,
Muni de cette marchandise de
en
mauvais acier.
traite, considérée, à l'é¬
grande valeur, il
Nouvelle-Zélande
à certains Chefs indigènes, quelques terrains dans un en¬
droit sauvage, sur les bords du Waihou, petite rivière se
jet tant dans la Baie d'Hokianga.
Ces terrains, généralement boisés, situés dans l'ouest
poque, par les
avait « acheté »
indigènes,
en
comme dune
1822, à son retour en
de l'extrémité nord de l'île
Nord, s'étendaient sur les deux
Waihou, depuis la baie, en pointe, jusqu'à la
source de cette rivière. Ils
représentaient ce que le pas¬
teur appelait pompeusement les «Quatre Districts» : Te
Tuone ; Te Papa ; Waihou ; Ut a Km a.
Le nom du premier terrain ne figure pas sur les cartes
actuelles de Nouvelle-Zélande, il évoque, sans doute, une
idée de sables ( One signifie sable, en maori ) ; il devait
rives
du
être situé
sur
Te
la rive ouest.
Papa signifie
ractéristique de la
des « Hue » ( sorte
Uta Kura désigne
niers
noms
se
velle-Zélande.
Dans
«la plaine» ; Waihou est le nom ca¬
rivière et provient vraisemblablement
d'arbres ) qui croissent sur ses bords.
des «Terres Rouges» ; les trois der¬
retrouvent
sur
la carte officielle de Nou¬
( feuille 14 ) et Schéma joint.
mémoires, connus sous le nom de « Historical
of an Attempt of Establishement in New-Zealand », récit de valeur assez inégale, sélectionnés dans un
texte plus diffus de l'auteur,
par Lindsay Buick, en vue
de leur publication ultérieure, Thierry raconte avec une
ses
Narrative
Société des
Études
Océaniennes
—
37
—
certaine complaisance, son arrivée fastueuse à Hokianga,"
le 4 novembre 1837, son pavillon hissé en tête de mât,
salué d'une salve de vingt et un coups de canon, par les
batteries de terre, comme l'aurait été celui d'un véritable
souverain.
Passons rapidement sur les incidents divers qui ont
marqué son débarquement à Horeke (2) pour aboutir à
la question des terrains, soi-disant «achetés».
Thierry apprend avec une certaine surprise, mêlée d'in¬
dignation, que ses droits de 1822 sont fortement contes¬
tés. tant par les Chefs indigènes, que par les Blancs ins¬
tallés sur des parcelles déjà vendues antérieurement à
lui, et malgré cela, ou peut-être même à cause de cela,
astucieusement cédées une seconde fois, par leurs anciens
propriétaires, à des Européens plus ou moins naïfs.
Evidemment, il n'est plus question pour Thierry de s'ins¬
taller sur le domaine quasi royal, dont Kendall en 1820,
avait fait miroiter la possession, à ses yeux éblouis.
Pour avoir une idée de l'importance de ce premier do¬
maine
entièrement chimérique — il faut remarquer que
—
l'île Nord de la Nouvelle-Zélande affecte semiblement, la
même forme de botte que l'Italie du Sud, mais elle est
orientée différemment. Imaginons que le Sud de l'Italie
se rabatte
autour d'une charnière Est-Ouest, passant par
Naples, et nous aurons une représentation à peu près fi¬
dèle de l'extrémité nord de l'île Nord de la NouvelleZélande.
Le domaine
promis par Kendall, partant de la pointe
soulier, aurait dû atteindre le coup de pied de la
botte, s'étendant depuis le Cap Nord, sur une presqu'île
du
allongée, de largeur irrégulière, flanquée d'archipels nom¬
une masse plus compacte, de forme
à peu près carrée, posée sur le parallèle de Tauranga
(L = 37o55'). Cet ensemble se serait étalé sur une lon¬
gueur d,e pfès de 450 kms et aurait mesuré environ :
breux, s'entant dans
30.000 km2
(Partie terre ferme
( Presqu île : 20.000
:
9.000
j(
.
Si l'acte de vente de 1822 semblait
(2)
3^ km2
présenter
Petit centre dans l'intérieur de la Baie
Sud, et à 15 Miles des Passes.
—
la rive
Société des
Études
Océaniennes
un carac-
HOKIANGA
sur
—
38
—
grand, revêtu de nombreuses si¬
des noms sauvages des Chefs de dis¬
graphies, signes étranges, allant de la
simple croix au décoratif « Moko », il se révélait, mal¬
heureusement, à l'usage, étrangement fragile, et contes¬
tère d'authenticité très
gnatures et chargé
tricts, appuyés de
table.
Cependant, après de laborieuses tractations avec les
indigènes, en présence des Européens notables de
la région, et principalement des Missionnaires Wesleyens
(MMrs Turner, Hobbs, Noot, etc...) un chef local Ta-i
mati Waka Nene, le même qui avait déjà vendu, autrefois,
des terrains, (1822) consent à céder à Thierry, sur les
dits terrains... une propriété. Une sorte de « commission
Chefs
d abornement
»
se
rend
sur
les lieux. Nous allons rendre
compte, ci-après de ses travaux. Comme tous les témoi¬
gnages des membres de cette commission sont convergents,
suffira de recueillir les paroles du Révérend Tur¬
Il dit à peu près ceci, dans une lettre, adressée en
novembre 1837, à son collègue Hobbs :
il
nous
ner.
«
Du Pouridi
( point de débarquement ) nous longeâmes
le bord de la rivière (Waihou) sur une distance d'environ
3 miles. (3) En ce point, une lettre « T » fût alors gravée
au couteau, par Thierry, sur un arbre, pour servir d'abornement. De ce jalon, la route cavalière se trouvait à une
distance d'environ 4 miles ».
Si l'on veut bien se reporter à la feuille 14 de
officielle de la Nouvelle-Zélande, on voit bien
de la rive oriental du Waihou, une surface de
la carte
le long
terrains
peu accidentée, affectant une forme poly¬
gonale voisine de celle d'un triangle rectangle, dont le
grand côté ( Pouridi — arbre marqué T est couché sur
la rivière
un des sommets de ce triangle atteint la route
cavalière (?) allant d'Uta Kura à Okaitau, et sa hauteur
relativement
^
—
serait sensiblement de 1
m.
50 à 2 miles.
Cette identification
paraît confirmée d'ailleurs, par l'en¬
quête menée sur les lieux, en 1951, ( un peu à notre
demande ), par le personnel de YAlexander Turnbull Library d'Auckland (4). En effet, ses délégués ont interrogé
deux vieux indigènes habitant sur le6 terres jouxtant
mille anglais (1609 mètres), terrestres
(3)
—
Miles
(4)
—
Voir Annexe I.
:
Société des
Études
Océaniennes
—
39
—
qui auraient été attribuées à Thierry, et ceux-ci se
rappellaient parfaitement que cette dernière propriété était
reconnue
autrefois, comme « pakeha land», c'est-à-dire
une
terre d'Européen ». L'un de ces indigènes réside
encore dans le district de Waihou, l'autre sur celui d'Uta
Kura, en deçà de l'ancienne propriété Thierry.
Le Baron a écrit, lui-même, que les terres concédées
par Tamati Waka Nene ont fini par constituer une pro¬
priété d'environ 1.000 acres ; par ailleurs, les commis¬
saires bénévoles déclarent avoir longé la rivière sur 3
miles, et être arrivés au point situé à 4 miles de la route
cavalière, sans toutefois avoir atteint la limite intérieure
de ce terrain. De ces deux témoignages, il résulte bien que
sa
propriété devait avoir une forme voisine de celle dé¬
crite précédemment.
Sa maison aurait été construite au haut d'une petite
colline, ou éboulement de terrain, situé sur la bissectrice
de l'angle aigu formé par le ruisseau Te Papa et la route
Rangiahua-Koreke. à un mile, environ, de la rivière
celles
«
Waihou.
Wade, (5) autre Pasteur de
l'époque, qui s'est rendu sur les lieux, et a eu l'occasion
de définir cette position : 3 miles Sud et Est de Rangiahua, et, 7 miles de Mangungu, doivent alors être comptées
sur la route, et non en ligne droite. Ce fait est d'ailleurs
confirmé par une note de Dumont d'Urville, (6) dans son
Voyage de VAstrolabe et de la Boussole ». Lui aussi, a
dressé une carte de cette région, d'après les indications in¬
certaines, données par les missionnaires. Et pour tout faire
Les distances données par
n 1936
LINDSAY BU1CK : Historical Narrative of an
Attempt
of establishment in New-Zealand, from Thierry papers, Auckland
SERVICE GEOGRAPHIQUE DE NOUVELLE-ZELAN¬
DE
—
:
Révérend WADE
:
carte n° 14
LES BULLETINS DE LA S.E.O. et de la SOCIETE DES
OGEAN1STES ( Bibliographies )
Toutes les relations des navigateurs de l'époque :
DUMONT D'URAILLE,
DUPETIT THOUARS, CEGILLE,
ARAGO, GUILLOU, PICKERING, WILKES, etc..
Enfin, les ARCHIVES NATIONALES, et mes investi¬
gations personnelles, (en 1949-50) à Paris, auprès d'une
certaine Demoiselle de THIERRY, naturalisée Française,
mais d'origine Hongroise.
Société des
Études
Océaniennes
—
51
—
3EEÏSTOÏÏIE &0CA.3LSS
RURUTU, île
par
sans
passé ?
Eric de Bischop
Rurutu devrait en toute logique, permettre aux investi¬
gations de l'ethnologue de riches découvertes, pour cette
raison majeure : son relatif isolement. Si le grand capi¬
taine Cook la découvrit dès 1769, elle resta quasiment
oubliée jusqu'en 1821, date à laquelle elle reçut la visite
de ses premiers évangélisateurs.
Pourquoi si peu de contact avec le monde extérieur ?
Pour la même raison certainement qui empêcha Cook d'y
débarquer ; l'absence de mouillages surs. Les baleiniers
qui, au début du 19ine siècle, s'étaient donné rendez-vous
dans les «Mers du Sud» préférèrent toujours en effet
relâcher en morte saison, dans les îles à lagons, comme
dans celles qui
offrir quelques rades de bonne tenue
Tubuai et Raivavae du même groupe, ou
pouvaient leur
comme Rapa.
apportaient toujours dans les îles polyné¬
qu'ils fréquentaient des éléments de perturbation
culturelle que nous ne prenons pas toujours assez en con¬
sidération : sans doute faut-il être marin, avoir connu
l'époque de la marine « en bois » et la mentalité spéciale
d'équipages, qui n'étaient pas de même substance, pour se
rendre compte des remous causés et des sillages laissés
dans une île idyllique par une cinquantaine de gaillards
qui, pendant de longs mois venaient de vivre une vie de
chien dans des mers souvent hostiles. Que de coutumes
après chaque séjour durent avoir été bousculées, que d'ha¬
bitudes nouvelles, et non des meilleures, avoir été adoptées,
et combien de familles durent pouvoir s'enorgueillir de
la note claire de quelques blondinets ou rouquins dans le
Ces
navires
siennes
cercle de leur descendance
C'est aussi à
cause
?
de cet isolement maritime que Rurutu
pouvoir garder son « autonomie », comme d'ailleurs
voisine de l'ouest Rimatara, également île sans lagon.
Jamais en effet, Rurutu ne paya tribut ou hommage à
dût de
sa
aucun
des chefs ou rois d'autres îles,
Société des
Études
elle resta
Océaniennes
en
parti -
_
52
—
culier
toujours indépendante de Tahiti et de ses Pomare
frappant avec ses voisines de l'est, Tubuai
et Raivavae. Les habitants actuels de cette île
pourraient
tirer de ce fait quelque orgueil, s'ils ne l'ignoraient pas
complètement.
Cette « indépendance » dura jusqu'en 1839, quand à la
demande de toute la population, il fut demandé à îa Fi ance
de prendre l'île sous son protectorat. D après quelques
contraste
en
vieux de
l'île, et sous toutes réserves, la raison de cette
décision aurait été la sévérité excessive des lois
qu'avaient promulguées les Pasteurs indigènes pour main¬
grave
tenir l'île dans la moralité et la décence chrétienne.
Quel¬
ques années seulement plus tard en 1900. l'île fit solennel¬
lement abandon de son Territoire à la France et devint
colonie
régime de lois indigènes codifiées, autrement
plus souple et humain que le précédent fut instauré, et le
bon roi Teuruarii IV ayant déposé le fardeau dé sa cou¬
ronne
se
ceignit démocratiquement d'une large bande de
soie aux trois couleurs de la République, insigne de « Chef
:
de l'île»
un
et
«Président du Conseil de district».
%
*
*
Envoyé à Rurutu en mission topographique et cadas¬
trale, je crus que ma passion pour les «Etudes» polyné¬
siennes
allait
donc
pouvoir y être pleinement satisfaite.
déchanter, contrairement à ce que
j'avais espéré, je puis aujourd'hui après plus de deux ans
de séjour sur les lieux, affirmer qu'il est au contraire rare
de trouver une île polynésienne ou tout ce qui aurait pu
nous parler du
passé avait été à ce point effacé, à ce point
ignoré, à ce point hélas méprisé !
A ce pitoyable état de choses, il y a aussi une raison :
celle-ci date de 1821. Nous en parlerons plus loin en détail.
Il
me
fallut très vite
%
La durée de
m'ont
une
De
permis
*
*
séjour et les exigences de ma mission
contact étroit avec les indigènes et donné
mon
un
connaissance
parfaite des moindres recoins de l'île.
la population, il in'apparut bien vite
je perdais mon temps et finirais par perdre ma pa¬
ce
contact
avec
que
tience
en m'acharnant à vouloir extraire d'elle la moindre
information sur le passé de leur île et les différents as¬
pects de la culture de leurs ancêtres.
Société des
Études
Océaniennes
—
53
—
cependant dès les premiers mois recueillir quel¬
légendes sans intérêt d'ailleurs et entière¬
ment confuses, connues seulement de deux ou trois per¬
sonnes
qui les racontaient à quelques mois d'intervalles
Je pus
ques
vagues
des variantes surprenantes : tous mes efforts de re¬
coupement se révélèrent chaque fois vains. Ce fut der¬
nièrement seulement que l'un de ces « informateurs »
m'avoua en souriant que toutes ces anciennes légendes
avec
de l'histoire contemporaine, très contemporaine
puisqu'elles avaient été arrangées pour satisfaire
'il y a quelques années la curiosité d'un ethnologue amé¬
ricain de passage ici qui devait écrire « un livre » sur les
Australes. Nous voyons du moins que s'il est une qualité
polynésienne toujours présente dans cette île, c'est cer¬
tainement celle qui incite tout indigène à dire ce qu'il
faut autant par souci de « paraître savoir » que par plai¬
sir de satisfaire la curiosité de l'étranger de passage. C'est
à cette « qualité » que l'ethnologie du Pacifique doit une
bonne part de son obscurité et de ses confusions.
Dans mes randonnées par monts et par vaux je fus
certainement plus favorisé... en même temps que davan¬
tage déçu. Je trouvai, dans les endroits aujourd'hui les
plus désertés, les plus inaccessibles, tant la végétation et
la brousse les ont envahis, des amas de grosses pierres
basaltiques dont certains représentent peut-être des ruines
de marae ou de Au (Ahu) bien que beaucoup puissent
également n'avoir été que les plus récentes ruines de
vulgaires parcs à cochons qu'il fut commode d'édifier en
ces
endroits avec des pierres autrefois sacrées mais la
plupart me parurent davantage pouvoir être classifiés
comme
soubassements d'anciennes habitations. Je remar¬
quai aussi à flanc de collines d'indéniables traces d'an¬
ciennes cultures en terrasses certainement consacrées à la
culture du taro. Etant donné que les terrains propices ^
cette culture, terrains plats et facilement irrigables, sont
nombreux dans l'île, en particulier à proximité des villa¬
ges, cette occurenee à elle seule indiquerait une population
autrefois beaucoup plus dense, peut être aussi plus divisée.
étaient
même
qui devait me surprendre davantage fut par toute
l'existence de nombreux monolithes d'une • hauteur
variable, de 0 m 50 à 2 mètres, formant de vagues ali¬
gnements ou rectangles, longeant ou enclosant des dal¬
lages de grosses pierres. Certains de ces monolithes marCe
l'île
Société des
Études
Océaniennes
54
-
—
quent certainement l'emplacement d'anciennes
D'autres
pourraient très bien avoir
( pierres pour appui ) qui servaient
chefs ou des prêtres quand, assis à
conseil ou rappelaient les exploits
sépultures.
été de ces Ofai Tarai
à reposer l'échiné des
leur pied ils tenaient
de leurs Aito, ou les
miracles de leurs dieux.
N'étant pas
archéologue je me gardera' bien de tenter
positions, alignements, orientations, etc... de ces pier¬
res, une étude comparative avec semblables occurences en
d'autres îles polyné iennes. Mon savant ami Kenneth
Emory du Bishop Muséum est très probablement le seul
qualifié de nos jours pour oser émettre une opinion à ce
sujet.
Mon ignorance et. ma prudence m'autorisent pourtant à
faire sur l'existence de ces pierres une petite remarque,
qui, sans être ethnologique, me paraît quand même lo¬
gique, celle-ci : qu'à une époque donnée de son histoire
Rurutu a certainement dû être surpeuplée.
des
%
*
*
M'armant d'une infinie
patience, je tentai par tous les
de recueillir quelques informations relatives au
passé de ces pierres. Je ne rencontrai qu'ignorance et in¬
souciance. La réaction des indigènes devant ces pierres,
dont ils ignoraient souvent même l'existence, fut assez
caractéristique de leur mentalité actuelle : pour les plus
simples elles ne signifiaient qu'endroits à Tupapau ( re¬
venants), les plus évolués affectaient de les regarder avec
un
mélange calculé de mépris ou de nonchalance, bien
que parfois laissant percer une pointe de crainte. A leurs
yeux « cela » n'avait aucun intérêt, « cela » datait des
temps révolus de 1' « obscurité », de 1' « ignorance », des
temps ou l'île était encore dans le Poiri Fee (dans le noir
de la pieuvre), «cela» appartenaient aux choses qui
«faisaient honte» aux choses du temps des « etene »
( sauvages ).
moyens
Certaines institutions de
ces
«etene»
auraient
eu
pour¬
tant du
bon, la connaissance et le caractère eac-ré des gé¬
néalogies par exemple, surtout en ce moment où l'admi¬
nistration
terres
terres
ciens
décide
de
cadastrer
l'île
d'en répartir les
Or, certaines de ces
auraient été attribuées par un ancien Roi à d'an¬
Arii, il y aurait eu, sur la foi de la généalogie
vacantes
aux
et
familles locales.
Société des
Études
Océaniennes
—
55
—
royale, la seule ayant survécue, 15 à 17 générations soit
moins 400 ans, autrement dit aux environs du temps
de notre bon Roi François 1er.
Rares sont de nos jours les « Rurutu » qui peuvent re¬
monter à plus de trois générations. Toutes les familles
se
prétendent être les descendants directs de ces familles
anciennes d'cirii, on conçoit aisément l'acuité du problème
et l'urgence de sa solution, mais poser
le problème poul¬
ies « Rurutu », c'était le résoudre... pour certains débrouil¬
lards tout au moins, n'ayant plus de généalogie ils en in¬
ventèrent une, et leur illustre parenté devint ainsi, du
moins le crurent-ils, définitivement établie. Rien n'est
plus difficile autant que dangereux que de se créer une
lignée d'ancêtres bien à soi, car on a toutes chances en
remontant tant soit peu dans le temps de se trouver ino¬
pinément en face d'un parent que beaucoup d'autres dans
l'île pourraient, avec autant de prétention, aussi reven¬
diquer, leur permettant ainsi de s'intégrer à leur tour
dans l'illustre lignée et l'intéressante attribution de terres.
au
*
*
*
cependant restée racialement très< polynésien¬
et défauts des « païens » d'autrefois se
retrouveraient sûrement chez les « évangélisés » d'aujour¬
d'hui. Beaucoup d'activités de la vie n'ont peut-être chanqées que d'apparences ou étiquettes : îa fréquenta ion du
Temple et des maisons de réunion a remplacé celle des
Marae, le Pasteur a gardé beaucoup des attributions et
privilèges des Taliua, les arts manuels se manifestent en
d'autres productions, et si la qualité artistique a disparu,
il ne faudrait sans doute que peu de chose pour la faire
revivre, la même passion pour le tara existe, la même
façon de préparer les aliments de base et de les cuire, etc.
Il n'est à mon avis que deux occupations majeures au¬
jourd'hui disparues qui toutes deux contribuaient à la
formation d'une élite : le goût de la navigation et l'ex¬
citation d'une petite guerre intestine.
Malgré cet état de choses d'appaence si favorable à
l'ethnologue, je suis persuadé que l'enquêteur le plus
méthodique, le plus inquisitif, le p h déductif, à moins
d'être doué d'une puissante imagina "on n'arrivera jamais
à sortir de ces indigènes en les questionnant et en les re¬
gardant vivre, le moindre élément susceptible de nous
Rurutu est
ne,
les qualités
Société des
Études Océaniennes
—
56
—
l'ancienne culture de l'île,
religieuse...
Je reste par ailleurs persuadé également que si un jour
un de ces «ethnologues»
dont je connais quelques échan¬
tillons, venait à débarquer dans cette île, nous le verrions
après quelques mois de séjour, repartir enchanté de sa
«mission», riche d'une documentation nouvelle, de «ré¬
vélations de vieillards », de « vieilles » légendes et surtout
d'impressionnantes «généalogies» qui bientôt disséquées
et étudiées scientifiquement lui permettront de publier un
bulletin » définitif sur l'ethnologie de Rurutu, étude
complétée à coup sûr par une «théorie d'origine» ap¬
portant une approbation supplémentaire de la théorie
officielle qui, comme chacun sait, a solutionné le pro¬
blème des migrations polynésiennes en les faisant prendre
leur essor vers le Pacifique de quelque région,, toujours
une idée acceptable de
matérielle que sociale et
donner
tant
«
mal définie
d'ailleurs, du Sud-Est asiatique.
je répète que si nous tenons à dissiper
persistantes du problème polynésien il importe
d'abord, entre autres choses, d'essayer de nous faire une
peinture aussi exacte que possible de ce que fut la Po¬
lynésie à l'époque de la découverte, il faudrait donc étu¬
dier d'un peu plus près et en y donnant plus d'importance
toutes les observations, impressions, remarques et infor¬
mations que nous laissèrent ceux qui furent assez heu¬
reux pour connaître cette Polynésie là.
Qu'on n'aille pas me répéter que ceci n'offre guère
d'intérêt scientifique sous prétexte que ces hommes des
premiers contacts n'auraient pas reçu l'éducation et l'en¬
traînement nécessaires. Mon avis est que les observations
émanant d'un Gook, d'un Bougainville, d'un Ellis, pour
ne citer que ceux-là, sont d'une autre valeur à tous points
de vue que les meilleurs études du plus distingué de nos
actuels ethnologues fut-il diplômé des plus fameuses Uni¬
versités d'Europe ou d'Amérique.
De ce qui précède, l'exemple de Rurutu va nous donner
une
preuve typique et une intéressante illustration car,
non seulement les indigènes de cette île ignorent aujour¬
d'hui tout de leur cultiue ancest aie mais ils n'ont même pas
gardé le plus petit souvenir d'un événement relativement
récent qui cependant boulversa de façon brutale toute
leur organisation religieuse, de 1' « arrivée de l'Evangiie ».
Que de fois ai-je demandé : quel fut votre premier misUne fois
encore
les brumes
'
Société des
Études
Océaniennes
57
—
—
Question toujours restée sans réponse. Elle
sionnaire ?
qui pouvaient très bien
les petits enfants des contemporains de cette
s'adressait souvent à des vieillards
n'être que
révolution.
Qu'est donc devenue cette fantastique mémoire poly¬
qui permit, par la seule tradition orale le main¬
tien a travers les siècles de tant de légendes, de chants,
nésienne
d'invocations
et
surtout
de
généalogies qui de père en
fils seraient parvenus jusqu'à nous avec une religieuse
exactitude ? Que penser ? Sinon que ceux qui détenaient
la « connaissance » auraient depuis la découverte, disparu,
car il en restait encore à cette époque là ou que certaines
facultés humaines telles que
la mémoire n'auraient guère
beaucoup d'années pour s'atrophier... à moins
que le désir qu'eurent les premiers « évangélisa Leurs » de
besoin
de
détruire
souci
ou
le passé s'accompagnât chez les
de la crainte d'en parler, l'oubli
indigènes du
s'expliquerait
manière.
impossible de découvrir à Rurutu la moin¬
mieux, je crois, de cette
Il fut donc
chose... sur Rurutu. Aussi dès mon
dre
premier retour
d'absence, je me précipitai au
Musée. Ge que j'y trouvai sur « Plie sans Passé » m'en¬
chanta. J'allai pouvoir dès mon retour, apprendre aux
Rurutu
un peu de leur Histoire Ancienne et contem¬
poraine, leur faire remarquer que leurs « pa' ens » d' «etene
qu'ils méprisent tant aujourd'hui les avaient peut-être
bien valus, eux les modernes « évangéjisés ».
à
Papeets, après deux ans
«
»
»
de notre bulletin je ferai revivre dans
quelques informat ons d'inté-êt histo i pie et
ethnologique, information en grande fa ••lie extraite, sou¬
vent mot à mot,
de la relation si intéressante de la
Découverte » par le capitaine Gook lui-même, ainsi que
des témoignages laissés par plusieurs pasteurs sur les pre¬
mières années de leur apostolat.
Je terminerai par quelques mots d'appréciation, toute
personnelle, sur la survivance possible de quelques qua¬
lités polynésiennes ancestvales dans le «Rurutu» actuel.
Aux
cet
lecteurs
article
«
*
*
*
LA DECOUVERTE
Rurutu fut aperçu
taine
pour
la première fois par le capi¬
Gook, le dimanche 13 août 1769. Diminuant
Société des
Études
Océaniennes
aussi-
—
58
—
tôt de toile, Cook passe la nuit dans le NE de l'ile, au
petit jour il s'en approche, la contourne par le sud
( Naliroa ) et se tenant sous le vent en remonte la côte
ouest, longeant son récif. Il met une embarcation à la
le commandement du lieutenant Gore : cet offi¬
mission de débarquer, si possible et d'essayer d'ap¬
mer
sous
cier
a
prendre s'il existe
un
mouillage. Prennent
embarcation Messieurs Banks
passage sur cette
Solander, ainsi
que l'in¬
digène de Tahiti Tupaia, bien connu aujourd'hui de tous
les ethnologues du Pacifique. Il est Fauteur de la fa¬
meuse
carte dont beaucoup ont parlé et se sont servi,
peut-être même sans l'avoir vue, pour tirer d'importantes
et fausses conclusions, mais ceci est une autre histoire
dont je parlerai un jour plus longuement.
et
Grand émoi à terre à l'approche de cette étrange em¬
barcation, des indigènes courent le long de la plage ( Na^
rui ) brandissant leurs lances, quelques-uns vont jusqu'au
récif, se jettent à l'eau, nagent vers les nouveaux arrivés
mais
craignent d'en approcher. La baleinière double une
rocheuse, la falaise de Arapiia, une nouvelle plage
apparaît, qui elle aussi, se peuple d'indigènes également
armés de lances, la côte paraît plus propice ici à un dé¬
barquement (Avéra), une pirogue pousse de terre et s'ap¬
proche, prudemment. Les Anglais montrent quelques clous,
elle s'approche davantage de trop près même car trois
indigènes sautent soudainement dans la baleinière des An¬
glais, et, sans perdre de temps l'un d'entre eux « fait les
poches » de Mr Banks et lui subtilise sa corne à poudre...
d'où petite mêlée, la pirogue s'approche alors « à toucher »
et Gore soupçonnant ces indigènes de vouloir lui voler sa
propre embarcation fait tirer une salve de semonce, nos
trois gaillards effrayés par le bruit, sautent sans plus at¬
tendre par dessus bord et la pirogue regagne le rivage, à
coups accélérés de pagaiesr le malheur veut qu'un des in¬
digènes soit, « par erreur » légèrement blessé à la tête,
ce qui ne devait pas par la suite favoriser les choses.
avancée
Ouvrons
ici
petite parenthèse. Nous voyons qu'à
dans la plupart des îles du Pacifique, l'ar¬
rivée de l'homme blanc fut sinistrement accompagné de
sang versé, ce serait décerner à notre race un brevet de
lâcheté autant que de sottise qu'elle ne mérite certaine¬
ment pas. Les capitaines, officiers et équipages de ces na¬
ilurutu,
une
comme
vires de la
«
Découverte
»
Société des
eûrent
Études
assez
de bon
Océaniennes
sens
pour
—
59
—
Comprendre
que pour débarquer
visionner de vivres frais, y vivre
dans une île, s'y appro¬
le cas échéant, ou même
tout simplement y recueillir quelques informations utiles,
il importait, avant toutes choses de créer une ambiance
pacifique, une ambiance de confiance réciproque, et l'on
atteint pas ce but en commençant à massacrer les gens.
D'autre part il serait ridicule de croire, comme le fit
le lieutenant Gore, que les indigènes de la pirogue eûrent
réellement l'intention de s'emparer de cette embarcation,
d'en occire en conséquence tous ses occupants, alors qu'un
grand « pahi » qui dut leur inspirer autant de frayeur
que d'étonnement, croisait à proximité. Eux aussi peuvent
être crédités d'un peu de bon sens, nous savons quelle
crainte respectueuse inspira toujours en Polynésie le Blanc,
pour que l'idée même d'une telle entreprise effleurât mê¬
me
leurs
brevet
de
cerveaux,
courage
ou alors ce serait leur décerner un
et une folle audace, qu'eux aussi ne
méritaient pas.
Alors ? Simplement
ceci : tout ce sang stupidement
provint dans la majorité des cas d'un simple malen¬
tendu de notre part, je m'explique. Remarquons que tou¬
tes les bagarres généralement, commencèrent sous pré¬
texte que l'indigène avait volé, ou voulu voler, quelque
chose au Blanc, dans le cas présent, une corne à poudre.
Nous oublions trop souvent deux choses : la première
que l'indigène du Pacifique n'avait pas été élevé comme
nous dans la sacro-sainte tradition de la «propriété per¬
sonnelle et privée », qu'il était, et le reste plus qu'on
ne le
croit, un «communautaire», s'il avait parfois l'u¬
sage personnel de certaines choses, il lui apparaissait
tout à fait naturel de voir son voisin s'en servir chaque
fois que le besoin s'en faisait sentir, la lui « prendre »
était même souvent une marque d'estime, tant pour l'ex¬
cellence de la chose prise que pour celui qui en avait
l'habituel usage. La seconde tient uniquement à l'igno¬
rance de la plus élémentaire psychologie : l'indigène est,
comme
tout être humain,
curieux, le « nouveau », le
différent » l'intrigue, l'intéresse.
Peut-on vraiment croire que ce « Rurutu » ait voulu
voler la corne à poudre de Mr Banks ? Et pourquoi '
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