B98735210103_071.pdf
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Bulletin
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TOME
VI
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Anthropologie
Histoire
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des
—
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N» 71
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IÉ
(N° 10)
1944
Ethnologie
Institutions
—
-
Philologie.
et
Antiquités
populations maories.
Littérature et Folklore.
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t
Astronomie
—
Océanographie
IMPRIMERIE
*
DU
Sciences naturelles
OOUVBRKBMBNT
PAPEETB
Société des
—
(TAHITl)
Études
Océaniennes
Les articles
teur
à la
publiés dans le Bulletin, exceptés ceux dont l'au¬
ses droits, peuvent être traduits et reproduits
condition expresse, que l'origine et l'auteur en seront men¬
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tionnés.
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Membre à vie résidant à
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ses
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trente dollars.
Avantages de
faire recevoir Membre a vie pour cette som¬
(Article 24 du Règlement Inté¬
rieur, Bulletins N° 17 et N° 29).
me
versée
une
se
fois pour toutes.
i° Le Bulletin continuera à lui
êtreadressé, quand bien même
il cesserait d'être Membre résidant à Tahiti.
20
Le Membre à vie n'a
paiement de
sa
plus à se préoccuper de l'envoi ou du
cotisation annuelle, c'est une dépense et un souci
de moins.
Kn
conséquence: Dans leur intérêt et celui de la Société,
sont invités à devenir Membre à vie:
TOUS CEUX
qui, résidant hors Tahiti, désirent recevoir le
Bulletin.
TOUS LES
jeunes Membres de la Société.
TOUS CEUX
qui, quittant Tahiti s'y intéressent quand même.
Société des
Études
Océaniennes
de la
OCÉANIENNES
SOCIÉTÉ D'ÉTUDES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
——m——
TOME VI
IV»
71.—
(No 10)
JUIN
1944.
S O INTIMA-TIEDIE
Pages
Mentalité
Le
indigène.
mariage de Tara (E. A)
401
Histoire.
Vieux
papiers de l'Amiral Bruat (Capitaine de Cor¬
vette
Cottez)
415
Linguistique.
Analogies dans le langage tahitien (Rey-Lescure).
431
Folklore.
La
Légende du pahua (bénitier) (Lherbier)
442
Divers.
Dons pour
le Musée et la Bibliothèque
4
Société des
Études
♦
Océaniennes
448
Société des
Études. Océaniennes
mmwTiLSsiiras©èira
Le
Mariage de Tara (1)
La "Recherche"
approchait de Tahiti; après 34 jours de
le paquebot mixte des Messageries Maritimes qui fait
le service entre Marseille et Nouméa venait de
passer les
mer,
derniers atolls
des Tuamotous
avec
leurs
couronnes
ver¬
doyantes de cocotiers qui semblent flotter sur les eaux.
Le lendemain, à l'aube, on verrait se dresser à l'horizon
les cimes altières et crénelées de l'Orohena et du Diadème.
Sous le ciel étoilé des tropiques où étincelait la Croix-du-
Sud, doucement bercés par les molles ondulations de la Mer
Pacifique, les quelques passagers de première classe, colons
ou fonctionnaires, réunis, comme tous les soirs sur le
pont,
s'entretenaient de cette terre, toute nouvelle pour les uns,
mais où les autres allaient
presque retrouver une seconde
patrie
Parmi
ces derniers, le
pasteur Verger était certainement
plus autorisé à parler de ces îles où, depuis plus de 30 ans,
s'exerçait son ministère. Spirituel et lettré, agréable conteur,
le
il connaissait à fond la
langue, le caractère et la mentalité
tarissait pas d'anecdotes à leur sujet.
Ce soir-là, continuant une conversation
qui s'était dérou¬
des
Indigènes et
ne
lée
déjà pendant bien des jours, il venait de narrer quelques
expériences de sa longue carrière, de citer quelques traits
de
ses
chers Tahitiens dont il
ne
cherchait d'ailleurs pas à
pallier les défauts, quand un jeune magistrat dont Tahiti était
le premier poste colonial, lui fit l'observation suivante :
En somme, M. le Pasteur, il me semble
que vous devez
avoir une tâche singulièrement
ingrate et difficile : Vos Ta¬
hitiens sont un peuple aimable et
charmant, je le veux bien,
mais un peuple insouciant, versatile,
léger et faible qui ne
songe qu'aux plaisirs et aux distractions de l'heure présen¬
te. 11 doit être bien difficile
d'évangéliser ces gens et de les
intéresser aux sérieuses questions de la
religion.
—
(1) Tous droits de traduction
et
reproduction réservés.
Société des
Études
Océaniennes
—
402
—
Erreur, erreur profonde ! mon jeune ami, répondit en sou¬
pasteur. Ce peuple si volage et si insouciant est cer¬
tainement plus facile à évangéliser que les paysans de nos
campagnes de France ou les ouvriers de nos villes.
D'abord, tous les Polynésiens ont toujours été foncière¬
ment religieux. Autrefois, avant l'introduction du christia¬
nisme, ils avaientune quantité de dieux qu'ils devaient crain¬
dre, servir, adorer, je ne dis pas aimer, sous peine des châ¬
timents ou des malheurs les plus terribles. Il y avait des
dieux pour tous les états, toutes les professions, toutes les
—
riant le
pour les guerriers, les navigateurs, les artisans, les
pêcheurs et même un dieu pour les voleurs.
Le culte occupait donc une place considérable dans la vie
de ces peuples: on ne construisait pas une case, on ne lan¬
çait pas une pirogue, on ne partait pas pour la pêche, encore
moins pour la guerre, sans avoir accompli de multiples cé¬
rémonies pour implorer le secours des dieux ou détourner
castes :
leur
courroux.
Aussi, quand les Tahitiens eurent compris, qu'au lieu de
tous leurs dieux menaçants, vindicatifs et cruels, le christia¬
nisme leur
Dieu de justice et d'amour, embras¬
religion sans difficulté et souvent avec
enthousiasme. Religieux, ils étaient; religieux, ils sont res¬
tés, et j'espère qu'ils le resteront toujours, malgré les doc¬
trines nouvelles que, sous prétexte de civilisation, on cher¬
che parfois à leur inculquer aujourd'hui.
Et puis, ajouta le pasteur avec une nuance d'ironie, je me
demande si nos Indigènes ne sont pas quelquefois plus près
de la vérité que nous, les soi-disant civilisés.
Souvent mieux que nous, ils comprennent la Bible et se
l'assimilent; sans doute, parce que primitifs eux-mêmes, ils
sont plus près que nous de ces primitifs qu'étaient les hom¬
apportait
un
sèrent-ils la nouvelle
mes
de l'Ancien Testament.
Ils vivent de leur vie, ne s'étonnent
de leurs fautes et de leurs
comme
eux,
ils
ne
erreurs
ni
ne se
pensent qu'à admirer la patience et l'in¬
finie miséricorde de Dieu à leur égard.
Ne sont-ils pas également les frères
Galilée
la leur.
scandalisent
et, se sentant pécheurs
de ces pêcheurs de
qu'étaient les apôtres et dont la vie ressemble tant à
Comme eux, ils ont souvent péché toute la nuit sans
Société des
Études
Océaniennes
403.
—
—
rien prendre,
mais ils ont connu des pêches miraculeuses;
pendant la nuit d'orage, ils ont été le jouet des
vents et de la tempête. Ils les comprennent et ils les aiment,
partagent leurs espérances et leurs tristesses et reçoivent
avec joie le message d'amour que le Christ apporta à tous
comme
eux,
les hommes.
Et tenez,
faire
ce
Messieurs, puisque nous n'avons.rien de mieux à
soir, pour vous donner une idée de la manière dont
Indigènes vivent
nos
dans
encore
nous
si lointain, laissez-moi
ment
authentique qui s'est passé, il
vous
ce
passé biblique pour
un épisode absolu¬
conter
y a une
vingtaine d'an¬
nées, mais pourrait se reproduire demain, si les circonstan¬
ces
s'y prêtaient.
Et voici le récit que
fit le pasteur Verger, tandis que la
inlassablement sa route vers Ta¬
"Recherche" poursuivait
hiti.
*
*
*
C'était à la fin de
décembre, quelques jours avant Noël et
disparaître derrière la montagne percée de
Mooréa, quand la "Potii Rimatara", c'est-à-dire la "Fille
de Rimatara" franchit, toutes voiles dehors, lapasse de Papeete pour se rendre aux îles Australes.
Belle goélette de45 tonneaux, construite dans lesîles parles
Indigènes qui sont d'habiles charpentiers de marine, la "Potii
Rimatara" avec ses solides membrures et sa quille en bois de
le soleil allait
tamanou ne redoutait pas
les coups de mer ; bonne marcheu¬
également, sous ses trois focs et ses deux voiles carrées,
elle comptait bien franchir en 3 ou 4 jours, les quelque trois
cents milles qui séparentRurutu de Tahiti. D'autant plus que
son capitaine tenait beaucoup à arriver dans son île pour les
se
fêtes de Noël et de Nouvel An.
Ce
capitaine, nous l'avons bien connu: Tianoa, un pur
qui ne connaissait que sa langue et quelques termes
nautiques en français et en anglais ; il savait lire et écrire,
ses quatre règles, mais n'avait passé aucun examen. Quand
Maori
l'île de Rurutu s'était, librement donnée à la France, il avait
été entendu
alors
en
avec
l'Inscription Maritime
que
les capitaines
fonctions conserveraient le droit de commander
petit cabotage.
Société des
Études
Océaniennes
au
—
Tianoa était
un
404
—
vieux loup de mer
qui connaissait à fond
îles, leurs passes et leurs récifs. Très sobre, pru¬
dent, excellent manœuvrier, il ne naviguait qu'à l'estime,
toutes les
jamais fait fausse route ou perdu un bateau.
j'ai voyagé avec lui et parfois, quand la mer
était grosse et le temps bouché, je lui disais avec un peu
d'inquiétude: Tianoa, tu ne fais jamais le point comme les
autres capitaines. Gomment fais-tu pour retrouver ta route
sur cet Océan toujours le même et toujours en mouvement?
Il riait alors de toutes les rides de son vieux visage tanné
par le vent et par les embruns et, levant ses petits yeux per¬
çants vers le firmament : Ma route me disait-il, elle est tracée
et balisée là-haut par les phares que le bon Dieu a placés
pour les marins — Puis, retroussant ses narines broussailleu¬
ses : la terre, je la sens, j'en connais l'odeur depuis mon en¬
fance. Je la trouverai toujours.
Très religieux, il était diacre de son église de Moeraï, c'està-dire aide du pasteur qu'il remplaçait parfois et, pendant
ces longues veillées où nos Indigènes aiment à méditer et
chercher le sens de quelque obscur passage delà Bible, il se
faisait remarquer par son éloquence et ses aperçus pleins
d'originalité.
Comme règle de conduite, il ne connaissait que la Bible,
la discipline ecclésiastique et les règlements maritimes.
Brave Tianoa! il était, peut-être uu peu trop sûr de luimême. C'est l'orgueil qui le perdit.
L'équipage se composait de cinq matelots indigènes dont
l'un faisait fonction de cuisinier ; il y avait en outre une di¬
zaine de passagers hommes et femmes qui retournaient dans
leurs îles et deux jeunes filles venues au chef-lieu pour les
fêtes de 14 juillet et qui avaient prolongé leur séjour pour
fêter l'arrivée de quelque navire de guerre.
Mais le personnage le plus important, le seul blanc à bord
était M. Tara, agent spécial de Rurutu qui rejoignait son
poste en famille, après avoir apporté au chef-lieu le montant
des impôts et réglé quelques questions administratives.
Tara était son nom tahitien : je préfère ne vous donner que
celui-là, car il a encore des descendants dans nos îles. Tara
signifie la corne et ce surnom lui avait été donné à cause de
deux petites cornes en corail rouge qu'il portait toujours susmais il n'avait
Bien souvent
Société des
Études
Océaniennes
—
405
—
pendues à sa chaîne de montre, sans doute pour conjurer le
mauvais œil, car il était Corse.
Et, à ce propos, continua le pasteur Verger, je dois vous ex¬
pliquer que la langue maorie n'ayant que 13 lettres dont cinq
voyelles, et tous les mots se terminant invariablement par une
voyelle, nos Indigènes ont beaucoup de peine à prononcer la
plupart des noms propres européens. Aussi, pour simpli¬
fier, donnent-ils presque toujours aux étrangers un nouveau
nom qui souvent n'est qu'une déformation du nom véritable.
C'est ainsi que Pierre est devenu Petero ; William, Viriamu; Charles, Tehare ou Taro ; Siméon a fait Timeona; Hégésippe, Titipa ; Jourdain, Ioritana, et Bougainville lui-même
était devenu Poutaveri.
Souvent aussi, ce nouveau nom est tiré de
quelque parti¬
qui le reçoit. Nous avons tous connu Heitiare, cet officier de marine qui était toujours couronné de fleurs;
Matatitia, cet Allemand qui ne quittait jamais ses lunettes.
Un autre s'appellera Pupure parce qu'il a les cheveux blonds
ou roux, ou encore Matafera s'il est borgne. Tous les Chinois
sont des Matapiri, à cause de leurs yeux bridés.
Et c'est ainsi que l'agent spécial de Rurutu était universel¬
lement connu sous le nom de Tara à cause des deux petites
cornes qui s'étalaient sur sa robuste poitrine.
Venu dans la Colonie comme gendarme, il y avait pris sa
retraite, séduit par la facilité de la vie et la douceur du cli¬
mat, et était entré dans l'administration civile comme Agent
Spécial, c'est-à-dire qu'il cumulait à Rurutu, les diverses
fonctions, peu absorbantes d'ailleurs, de percepteur, juge
de paix, agent des postes, gardien de prison. Bref, il repré¬
sentait la France dans cette île où il n'y avait pas un seul
Européen, et il en était fier.
Brave homme d'ailleurs qui s'était fait complètement à la
vie indigène, parlait très couramment le tahitien et n'ennu¬
yait pas ses administrés, tant qu'ils payaient régulièrement
leurs impôts.
Après quelques aventures amoureuses, il avait fixé son
choix sur une robuste fille des Pomotous avec laquelle il vi¬
vait depuis près de 20 ans et qui lui avait donné de nombreux
et beaux enfants, cependant il ne l'avait jamais épousée.
Et quelquefois, quand il était à Papeete, en train de prencularité de celui
Société des
Études
Océaniennes
—
406
-
Cercle Bougainville, avec quelques amis, si
Eh bien! Tara, à quand la noce? il
avait coutume de répondre : Ce n'est pas encore aujourd'hui,
on verra plus tard. Maintenant, j'ai encore mes vieux, là-bas
dans mon petit patelin et ça leur ferait de la peine, à cause
de la couleur. Et puis, vous savez ces bonnes femmes-là,
tant qu'on est comme ça ensemble, tout va très bien et elles
marchent droit. Mais il suffit qu'on les épouse pour qu'elles
nous jouent des tours et vous rendent la vie impossible.
Et, silencieusement, les amis approuvaient, car tous ils
avaient, peu ou prou, fait l'expérience de cette vérité.
**#
dre
rapéritif,
au
l'un d'eux lui disait:
Le lendemain de son
départ, la "Potii Rimatara" était
Tahiti de Mooréa, roulant
qui
pendaient tristement: pas un souffle de vent, mais un ciel
bas et bouché qui n'annonçait rien de bon.
En effet, vers le soir, survint un coup de maraamou, ce
vent du sud qui, souvent, à cette saison de l'année remplace
les alizés. La mer grossit subitement et tous les passagers
qui dormaient généralement sur le pont se réfugièrent dans
la cale pour éviter les vagues qui balayaient la goélette de
l'avant à l'arrière. Tianoa en avait vu bien d'autres : Cram¬
ponné à la barre, le torse nu, ses cheveux gris ruisselants
d'eau de mer, toute la nuit il tint tête à la tempête, s'effor*çant de maintenir son petit navire dans la bonne route. Mais
le lendemain, la violence du vent ne fit qu'augmenter, il fal¬
lut mettre à la cape et, à sec de toile, se laisser emporter au
gré du vent.
Ce mauvais temps dura deux jours, puis une pluie torren¬
tielle survint, et le vent se calma, mais la mer restait hou¬
leuse et le ciel était si bas et si sombre qu'on ne pouvait se
diriger ni sur le soleil, ni sur les étoiles.
Tianoa était inquiet: la terre devait être proche, mais il
n'en sentait pas l'odeur.
encore
bord
On
dans le chenal qui sépare
sur
bord avec ses voiles qui faseyaient et ses focs
louvoya ainsi pendant
plusieurs jours. Enfin, le soleil
montré, le brave capitaine alla chercher dans
son coffre un antique octant en bois qui devait bien dater du
temps de Cook et essaya de prendre une hauteur méridien-
s'étant un peu
Société des
Études Océaniennes
—
ne;
407
—
puis, à l'aide d'un vieil exemplaire de la
Connaissance
des Temps, il se plongea longuement dans des calculs qui le
faisaient suer à grosses gouttes. Et, une fois encore, il rec¬
tifia la direction de son bateau. Mais le lendemain matin,
toujours aucune terre en vue : rien que l'immensité du
ciel
et de l'océan !
£h bien, vieux ! lui dit ce matin-là Tara, il serait temps
d'arriver, les provisions et l'eau sont bientôt épuisées. Il me
semble que tu n'es plus bien sûr de ta route.
Non, dit Tianoa, je dois être dans le bon chemin, mais il
y a certainement à bord quelque chose qui ne va pas. La
goélette ne m'obéit plus; on croirait que quelqu'un d'autre
—
—
dirige.
la
épaules, mais instinctivement il toucha sa
petite corne pour conjurer le sort.
Toute la journée Tianoa se plongea dans la lecture de sa
Bible, comme il le faisait chaque fois qu'il avait besoin de
quelque encouragement ou de quelque lumière.
Et, le soir, lorsque les passagers et l'équipage se réunirent,
comme à l'ordinaire, pour le culte, le capitaine ouvrit le Li¬
vre au chapitre VII de Josué et lut l'histoite de Hacan, fils de
Tara haussa les
Zara.
Gomment, lors de la prise de Jérico, malgré la défense ex¬
presse
né
une
de l'Eternel de faire aucun butin, Hacan avait détour¬
belle robe de Scinhar, deux cents sicles d'argent et un
lingot d'or qu'il avait enterrés dans sa tente.
Et, à cause de cet interdit, la malédiction de Iéhovah s'é¬
tendit sur tous les Israélites qui furent complètement, battus
par les Amorrhéens.
Mais Josué découvrit le coupable : l'interdit fut détruit par
le feu et Hacan fut mis à mort avec toute sa
Les enfants d'Israël
parce que
famille.
triomphèrent alors de leurs ennemis
l'interdit avait disparu du milieu d'eux.
tyles amis, dit Tianoa après avoir achevé cette lecture, je
suis convaincu que si notre bateau ne trouve plus sa route,
c'est qu'il y a de l'interdit à bord. Si l'un d'entre vous a com¬
mis quelque faute, a embarqué en fraude quelques mar¬
chandises, qu'il l'avoue franchement. Certes, il ne subira pas
le sort de Hacan, mais nous détruirons l'interdit et la malé¬
—
diction
qui repose sur notre goélette sera levée.
Société des
Études Océaniennes
—
408
—
Tara haussait les
épaules, mais tous les autres, passagers
consterné et jetaient au¬
tour d'eux des regards inquiets.
Qu'on apporte sur le pont tous les coffres et qu'on les ou¬
vre dit le capitaine. Et l'ordre fut immédiatement exécuté
par deux matelots.
Les premières recherches ne donnèrent aucun résultat:
rien que des effefs d'habillement ordinaires et quelques pro¬
et
matelots, gardaient un silence
—
visions.
Mais, quand on ouvrit une belle
malle de Chine apparte¬
filles, le front du vieux capitaine s'as¬
sombrit en voyant les trésors qu'elle contenait:
Qu'est cela ? s'écria-t-il, en déployant, d'un air de pro¬
fond dégoût, de légers tissus aux couleurs éclatantes?
Et, successivement, ses mains noueuses tirèrent du coffre
diverses robes en crêpe de chine, des chemises ros.es. un as¬
sortiment de bas de soie, des souliers vernis à hauts talons,
des dessous élégants et soyeux comme en portent les dames
européennes.
Il connaissait la vie le brave Tianoa ; il savait bien que si
les officiers de marine sont généreux et les vieux Chinois en¬
core plus, toutes ces belles choses ne se donnent pas pour
nant
aux
deux jeunes
—
rien.
Malheureuses ! dit-il aux deux Tahitiennes qui se cachaient
figure, comment avez-vous acquis tout cela? C'est le prix
de votre inconduite et de votre prostitution. Voilà l'interdit
—
la
que vous avez
apporté à mon bord.
indignation s'accrut encore quand il ouvrit deux jo¬
lis petits sacs à main ornés de miroirs et qui renfermaient
tout un assortiment de tubes, de flacons, de boîtes à poudre
avec des houpettes et de petits bâtons rouges ou noirs,
Voilà, voilà, dit-il, tous ces fards, dont l'impie Jézabel
avait coutume de se peindre le visage. Et vous rapportez
tout cela dans notre île paisible pour séduire le cœur et trou¬
bler les sens de nos jeunes hommes.
Non, non, il n'en sera pas ainsi. A la mer tout cet interdit !
Et, sans aucune hésitation, il jeta par dessus bord toutes
Et
son
—
—
ces
richesses.
Quelque temps, sur les flots embrasés par le soleil cou¬
chant, on vit flotter une paire de souliers mordorés qui sem-
Société des
Études
Océaniennes
409
—
blaient
—
petite pirogue double, une chemise de soie s'en¬
voile. Puis la nuit tomba et tout disparut.
Tara, un peu inquiet, se demandait s'il n'aurait pas dû in¬
tervenir, s'opposer à cet acte de justice un peu trop som¬
maire. Mais tous se taisaient et semblaient pleinement ap¬
prouver la conduite du capitaine. Quant aux deux jeunes
filles, elles n'avaient pas dit un mot de plainte ou de protes¬
tation; seulement de grosses larmes ruisselaient sur leurs
joues brunies.
Quant à Tianoa, sûr de son bon droit, le cœur tranquille
maintenant que l'interdit avait disparu, il retourna prendre
sa place au gouvernail et se replongea dans ses méditations.
fla
une
comme
une
#
*
*
Malheureusement, contre son attente, ni le lendemin à l'au¬
be, comme il l'espérait, ni les jours suivants, aucune terre
n'apparut.
La situation devenait
taient
inquiétante: les vivres du bord éépuisés et depuis quelques jours déjà, le cuisinier pui¬
sait dans la farine elles
conserves
distinées
au
Chinois seul
négociant de Rurutu. On s'arrangerait toujours avec lui, à
barrique qui servait de caisse à eau
était presque vide et les enfants de Tara ne cessaient de
l'arrivée. Mais la vieille
demander à boire.
Sans doute, se disait Tianoa, tout l'interdit n'a pas disparu
mon bord ; il en reste encore, il faut que je le trouve ! Et
de
il
se
plongeait à nouveau dans ses méditations et dans la
lecture de
sa
Bible.
avait dix-neuf jours qu'on avait quitté Tahiti,
capitaine réunit à nouveau tout le monde' sur le pont. Son
Un soir, il y
le
front était soucieux mais il avait l'air résolu d'un homme
prêt à faire tout son devoir quoi qu'il puisse lui en coûter.
Il ouvrit sa Bible à un feuillet marqué d'avance : c'était ce
mystérieux livre de Jonas le prophète. D'une voix forte et
convaincue, il lut, dans le texte tahitien tout le premier cha¬
pitre.
Comment Jonas ayant reçu l'ordre d'aller prêcher la repentance aux habitants de Ninive, s'y refusa et, afin de fuir
la face de l'Eternel, s'embarqua sur un bateau qui allait à
Tarsis. Mais une tempête s'éleva et le navire était en danger
Société des
Études
Océaniennes
—
de
se
telots
410
—
briser par la force du vent et de la mer. Alors les ma¬
se dirent l'un à l'autre : « Venez et jetons le sort afin
que nous
connaissions celui qui est la cause de ce péril qui
Ils tirèrent donc au sort et le sort tomba sur
nous menace ».
Jonas.
Et les matelots
jetèrent par-dessus bord le passager indé¬
ne fit aucune résistance.
La lecture terminée, un grand silence se
sirable
qui
fit. Personne ne
demandait d'explication, mais tous avaient compris :
vait un Jonas à bord de la "Potii Rimatara" !
il
y a-
Enfin, le brave capitaine après avoir un peu hésité, toussa
s'éclaircir la voix et, se tournant résolument vers l'a¬
pour
gent spécial qui était couché sur le pont à côté de son épou¬
Tara-, dit-il, ne sois pas fâché de ce que je vais te dire :
se :
il y a encore de l'interdit à bord,
le prophète Nathan le déclara au
il y a un Jonas. Et comme
roi David, je te dis ; c'est
toi
qui es cet homme-là !
ces paroles prononcées avec force, Tara se redressa en
sursaut et, d'une voix où la colère se mêlait à l'inquiétude,
A
il s'écria
:
Que veux-tu dire ? Moi Agent spécial, moi, un
gendarme, un parfait honnête homme qui n'ai rien à
me reprocher, je serais la cause de la triste situation où ton
incapacité seule nous a plongés? Moi, un nouveau Jonas?
—
«
Comment ?
ancien
Mais tu déraisonnes, vieux
»
!
élever la voix, Tianoa répondit :
« Ecoute-moi et ne t'irrite pas. C'est vrai, tu es un honnête
homme, nous te connaissons tous depuis longtemps et nous
te respectons, mais tu es en état de péché, car cette femme
avec laquelle tu vis, n'est pas ton épouse, ni devant Dieu, ni
—
Sans
se
troubler,
devant les hommes
sans
» :
article de notre discipline ecclésiastique qui in¬
terdit formellement à tout membre de l'église de vivre sous
le même toit qu'un couple irrégulier. Ce bateau est pour le
Il est
un
qui. comme moi, sont
l'église se trouvent solidaires de ton péché.
Un murmure d'approbation accueillit la déclaration du ca¬
pitaine.
Quant à Tara, il était tout à la fois rassuré, - car il avait
peut-être bien, dans son passé, quelques petits péchés à se
moment notre demeure et tous ceux
membres de
Société des
Études Océaniennes
—
414
—
- mais abasourdi, car il ne comprenait pas qu'on
fît tant d'histoires pour une chose de si peu d'importance,
Mais un auxiliaire inattendu vint à l'aide du capitaine.
reprocher
Madame Tara
se
leva lentement et majestueusement, car
elle était forte et corpulente comme une tour:
«
—
curé
Tara, dit-elle, le capitaine a raison. Combien de fois le
ne m'a-t-il pas avertie que nous vivions en état de pé¬
qu'il fallait nous marier - Souvent, je te l'ai
demandé, mais toujours tu me répondais: Attends! at¬
tends ! Et maintenant, il est trop tard, le bon Dieu nous a
punis; nous ne reverrons jamais notre maison, nous mour¬
rons tous, toi, moi et ces pauvres enfants innocents.»
L'émotion lui coupa la parole et elle s'effondra sur le pont
en sanglotant.
Ta! ta! la vieille calme-toi! grogna Tara. Tout ça, c'est
des bêtises. Quant au mariage, on verra quand nous serons
à terre, mais d'abord, il faut y arriver. Pour le moment, il
n'y a rien à faire.
Mais si, mais si ! s'écria Tianoa ; il y a un moyen de tout
arranger: nous sommes en mer, et, en ma qualité de capi¬
taine, la loi m'autorise à te marier civilement. Je puis le
ché mortel et
—
—
faire tout de suite si tu y consens.
Pas si
—
vite, dit Tara, nous verrons demain, je veux y
ré¬
En attendant tâche de trouver ta route, c'est
plus sûr ; moi j'ai sommeil. Et il se roula dans sa couverture
pour échapper aux lamentations de sa femme et aux regards
fléchir
un
peu.
irrités des matelots.
Agentspécial ne dormit guère :
religieuses étaient assez vagues et il n'avait jamais
pratiqué ; pourtant d'anciens souvenirs d'enfance lui reve¬
naient à l'esprit, du temps où, au catéchisme, le bon curé
parlait du péché, du purgatoire et des horreurs de l'enfer.
Puis, dans son âme de Corse, subsistaient certaines supers¬
titions : le mauvais œil, la jettatura. Cet interdit dont le vieux
Tianoa parlait avec tant d'assurance, n'était-ce pas un sort
jeté sur le bateau ! Et il se rappelait des histoires de bateaux
Mais, cette nuit-là, le brave
ses
idées
fantômes errant éternellement, à l'aventure, sur
l'Océan sans
bornes.
*
Sans doute,
de
comme
tout le monde,- il connaissait
l'histoire
Jonas, mais il l'avait toujours considérée comme une lé-
Société des
Études
Océaniennes
_
412
—
gende des temps préhistoriques. Et voilà qu'aujourd'hui, elle
s'imposait à lui avec une effrayante réalité.
Certes, les matelots et le capitaine de la "Potii Rimatara"
étaient de braves gens qui hésiteraient longtemps avant de
jeter par-dessus bord un homme surtout un Agent spécial,
représentant de la France.
Mais si le voyage se prolongeait, si la faim et la soif les
tourmentaient et troublaient leurs esprits, on ne savait pas à
quels excès pouvaient se porter ces Indigènes à demi-civi¬
lisés !
on en voyait encore assez souvent dans les
de Rurutu, mais cette manière d'achever son voya¬
ge ne lui souriait guère. Et des pensées que le silence et les
ombres de la nuit rendaient de plus en plus funèbres se pres¬
saient dans la tête du pauvre Tara qui ne pouvait trouver le
Des
baleines,
parages
sommeil.
Enfin, après tout, se dit-il, ce qu'on me demande n'a pas
grande importance; une simple formalité qui ferait plaisir à
la bonne femme et à tout le monde. Il ne croyait guère à un
miracle, mais peut-être le bon Dieu lui saurait-il gré de ce
bon mouvement. Et sa résolution prise, plus tranquille, il
—
s'endormit.
lendemain,
aucune terre n'étant signalée, Tara alla
capitaine et lui dit: « Je ne crois pas à toutes ces
histoires d'interdit, mais puisque tu y tiens, marie-moi : on
verra bien ce qui arrivera ».
Immédiatement, la bonne nouvelle se répandit dans tout
le bateau. Madame Tara triomphante alla revêtir sa plus
belle robe et débarbouiller un peu sa progéniture. Le capi¬
taine endossa le veston noir qu'il ne sortait que pour aller au
temple, le timonier fit allègrement tinter la cloche du bord.
Puis, quand tout le monde fut réuni sur le pont, Tianoa choi¬
sit lui-même les quatre témoins requis par la loi, posa aux
deux vieux conjoints les questions d'usage, leur rappela les
devoirs réciproques des époux et, solennellement, les décla¬
ra unis devant la loi. A sa demande, Tara lui-même rédigea
en français un procès-verbal de la cérémonie que signèrent
tous ceux qui savaient écrire.
Et, afin que cette union fut plus solide, le capitaine pro¬
céda ensuite au mariage religieux selon le rite protestant
Le
trouver le
Société des
Études
Océaniennes
—
413
—
longue prière où il implorait la bénédic¬
nouveaux époux.
Il consigna soigneusement cet événement important dans
son livre de bord et, certain maintenant d'arriver à bon port
puisque l'interdit était levé, il reprit tranquillement la direc¬
tion de la goélette.
Quant au repas de noces, il ne fallait pas y songer étant
donnée la pénurie des vivres, mais Tara, tout à fait récon¬
cilié avec son sort, déclara qu'à l'arrivée à Rurutu, il offri¬
rait le festin d'usage auquel il conviait, d'ores et déjà, tous
et termina par une
tion de Dieu
sur
les
les passagers.
Ce
soir-là, l'Agent spécial s'endormit du sommeil du juste ;
partagé entre la crainte
et l'espérance, fouillant inlassablement, de ses yeux per¬
çants, les ombres de la nuit comme pour en faire sortir la
Mais Tianoa lui, veilla toute la nuit
terre tant attendue.
Et soudain, comme les
premières lueurs de l'aube blan¬
joyeuse et retentissante qui
chissaient l'horizon, d'une voix
réveilla tout le monde,
il criait: Fenua ! fenua ! et tombait à
remercier Dieu.
Oui, il n'y avait pas à s'y tromper; c'était bien une terre
dont on voyait se dessiner les contours dans la brume mati¬
nale. Mais, au lieu des croupes arrondies des montagnes de
Rurutu, bientôt on vit majestueusement sortir des flots deux
pics élancés que chacun reconnut de suite : l'Orofena et l'Aorai, les deux sommets les plus élevés de Tahiti !
Pendant tout ce périple, la "Potii jRimatara", jouet des
genoux pour
courants et des vents
contraires, avait tourné
en
rond
au¬
tour de Tahiti.
Èt, le soir, elle rentrait au port de Papeete qu'elle avait
quitté vingt et un jours auparavant.
#
Tara fit
riez-vous
son
*
#
rapport à l'Inscription maritime, peut-être
encore
le retouver dans les archives. Il le fit
poursans
passion et sans acrimonie contre le capitaine, se bornant à re¬
later les faits. Le Commissaire à trois galons qui le lut n'y com¬
prit rien, sinon que Tianoa ne savait pas faire le point. Et, com¬
me il fallait une sanction, le brave capitaine fut suspendu de
Société des
Études
Océaniennes
414
—
—
fonctions
pendant 6 mois, pour avoir fait preuve d'inca¬
service.
Mais cette punition n'altéra en rien sa foi et sa sérénité il y a tant de choses que ces étrangers ne comprennent pas
il savait bien lui, que s'il n'avait pas marié Tara, jamais
plus on n'aurait entendu parler de la "Potii Rimatara".
ses
pacité dans
son
-
#
Nous
*
*
remercions
beaucoup, Monsieur le Pasteur, dit
jeune magistrat, de ce récit qui nous a vivement intéressés.
Pour ma part, je ne puis qu'admirer la foi et l'énergie de
votre capitaine.
Cependant, permettez-moi d'espérer que Dieu sera plus
miséricordieux à notre égard, car s'il nous appliquait la loi
de l'interdit, je crois bien que jamais la "Recherche" n'arri¬
vous
le
verait à Tahiti.
E. A.
Société des
Études
Océaniennes
—
415
—
3EEÏS^©imi2
Vieux
papiers de l'Amiral BRUAT.
INTRODUCTION
L'Amiral
Bruat, né à Colmar
en
1796, rnort
en mer en
1855,
parcouru dans la Marine une glorieuse carrière. Nous ne
le suivrons pas dans ses diverses
campagnes. Après avoir
été décoré à Navarin, rappelons qu'.il avait été fait
a
prison¬
nier par les Barbaresques en 1829 à la suite du
naufrage de
son navire "Le Silène". Il ne fut libéré de
captivité qu'après
la prise d'Alger. Comme Amiral, il
une
prit
part décisive à
de Crimée et succéda à l'Amiral Hamelin dans le
la guerre
commandement de la flotte de la Mer Noire. Elevé à la di¬
gnité d'Amiral, il mourut en mer d'une attaque de choléra,
"'Montebello", à l'issue de la campagne de Cri¬
à bord du
mée.
Il fut le
premier "Gouverneur des Etablissements Français
d'Océanie et Commissaire du Roi près de la Reine des Iles
delà Société (1844-1847)". Il joua dans l'organisation du
protectorat
rôle capital.
l'obligeance d'un de ses neveux, Monsieur
SCHAEDERLIN, Président du Tribunal de Colmar, le prêt
des documents cités au cours du présent article. Nous
prions
ce distingué magistrat de trouver ici
l'expression de notre
bien vive gratitude.
Les papiers communiqués contiennent
(1) huit pièces nu¬
mérotées de 1 à 8 par ordre chronologique. Nous avons ac¬
compagné chaque document d'un bref commentaire et de
quelques notes.
un
Nous devons à
(i) (Outre le compte-rendu des séances des Assemblées indigènes
1843 à 1847) dont nous ne saurions trop recommander la lecture
de
aux
amateurs de
l'art oratoire des anciens chefs tahitiens.
PIECE 1.
Pièce
*
qui n'est pas de l'écriture de BRUAT, mais qui a été
préparée sur son ordre et approuvée par une note de sa
main, qui se trouve à la fin.
Société des
Études
Océaniennes
—
4-16
—
Cette pièce, sans doute inédite, est le projet de la lettre
PRITCHARD, qui fut le point de départ de la crise franco-
à
britannique.
Brouillon.
Monsieur,
Monsieur le Gouverneur des
possessions françaises dans
réitérées le juge
"Dublin", son
Excellence m'a donné l'ordre de vous avertir que n'ayant
plus aucun caractère officiel vous devez désormais vous abs¬
tenir de vous mêler de toute affaire qui ne soit pas
person¬
l'Océanie ayant
appris que
sur vos instances
TAANIU s'est rendu à bord de la frégate
nelle et surtout d'intervenir dans celles du pays.
Si
à
vous
preniez
encore
part, Monsieur, à un fait étranger
résident et que Monsieur le
il se verrait à regret obligé
propres aflaires de simple
Gouverneur vint à l'apprendre,
vos
de
vous
éloigner de l'île.
Veuillez
de la
recevoir, Monsieur, l'assurance des sentiments
parfaite considération
avec
laquelle je suis votre très
humble et très obéissant serviteur.
Delà main de BRUAT:
"J'approuve
en
tout la rédaction.
Monsieur PRITCHARD n'étant plus qu'un
il suffira de lui envoyer un sapeur".
simple individu,
Lettre adressée à PRITCHARD fin janvier ou début février
1844, après l'arrivée du "Basilik" (janvier 1844), sans doute
après le départ du "Dublin" (1) (17 janvier 1844) et avant
l'arrestation 4e Pritchard (21 février 1844). N'est pas écrite
par l'Amiral BRUAT; a peut-être été rédigée par le C. F.
D'Aubigny, Commandant particulier de Tahiti. La note pi¬
quante de la fin est de l'Amiral BRUAT.
Pritchard
quitta définitivement Tahiti le 13
mars
1844
sur
le "Cormorant".
(1) Pritchard. sur l'invitation du Commandant du "Dublin"
(Capitaine Tucker) avait amené le pavillon de son consulat
et le Commandant du "Basilik", Capitaine Hunt, assurait la
représentation consulaire de la Grande-Bretagne.
"Dès que
le Capitaine Tucker eut pris la mer, Pomaré épeuple disant qu'elle avait été obligée de débar¬
quer car l'Amiral avait besoin de son bateau, mais qu'un
crivit à
son
Société des
Études
Océaniennes
—
417
—
plus petit navire assurerait la garde de leurs intérêts - " Walpole - Four years in the Pacific" (p. 142). Elle se réfugia alors à bord du "Basilik".
PIÈCE
2.
Paofai, (1) le 22 mars 1845.
Piapa, salut à toi et à toute ta famille dans ta demeure à
Papenoo.
Voici ce que je vais te dire. Je te demande pourquoi de¬
meures-tu dans ces endroits-là? T'obstines-tu ainsi comme
celui dont la
pensée est obscurcie par les ténèbres? La lu¬
mière n'a-t'elle pas encore pénétré jusqu'à toi? Voilà bien
dix mois d'écoulés depuis que tu es bercé de mensonges
pour l'arrivée du secours pour vous autres. Quand arriverat-il? Considère bien, tâche de te rendre sage, et choisis bien
ton
temps pour réfléchir. Regarde ce Thompson (2). C'est
bien lui dans qui les Tahitiens ont reposé leur confiance et
c'est par Thompson que devait arriver le secours aux Tahi¬
tiens. Le voilà bien, ce secours ; assurément il n'y a pas ré¬
ussi, il n'est pas fort; il a été lui-même semblable à un
qu'on avait mis en prison ; les Français ont su arrê¬
ter son élan, il ne lui a pas été permis de descendre à terre,
ni à lui ni à aucun de ses gens, et les Tahitiens eux-mêmes
homme
n'ont pas pu
aller à bord de son navire, les portes furent
trop bien fermées, elles étaient trop fortes. Et lui aussi, ce
Consul, vous vous êtes fiés tous à lui, son langage était com¬
me un oracle. Eh bien ! le voilà parti, votre secours à vous
autres. Et est-ce donc là tout ce que vous avez
gagné ? Leur
langage était-il celui de la vérité ? Non ! Assurément, ce n'é¬
tait qu'un mensonge. Leur parole n'a pas pu atteindre la ra¬
cine, elle n'a enlevé que la cime et cette parole, à eux, est
comme un grand mensonge.
La bonne parole c'est celle que je te fais connaître : Ouvre
bien l'œil dans Papeete et vois, pour que tu reconnaisses que
ce que les Français ont lié par leurs paroles ne peut se dé¬
nouer. Les Français n'abandonnent point Tahiti. Ecoute-moi,
ne te laisse pas tromper par des mensonges.
Voici d'autres bonnes paroles que je te fais connaître afin
d'éclairer ta pensée. Deux grands combats (3) ont été livrés
Société des
Études Océaniennes
—
448
—
à
Maroc, le fils de Louis-Philippe a gagné celui sur mer, c'est
qui commandait tous les hommes à bord des n-avires de
guerre français dans ce combat, il est amiral français, et le
Grand Capitaine des troupes françaises qui demeurait à terre
a
gagné l'autre sur terre ; il commandait six mille soldats,
lui
il
a
battu tous les soldats de Maroc, ils étaient quarante
mille, ils ont perdu toute leur artillerie, les Français s'en
sont emparés. Voici la lettre elle-même
(note télégraphiée)
qui te donnera connaissance de ces combats à Maroc.
Ne cause plus de méchanceté, c'est parce que
je t'aime
que je t'envoie ces bonnes paroles.
Voici encore une parole: Je ne détournerai pas ma face,
(je ne trahirai pas) ayant déjà réussi d'entrer au Gouverne¬
ment français où j'ai un bon emploi et je suis un homme de
Louis-Philippe.
Mare
Traduit par Ed.
miral Bruat).
Fergus (5)
Lettre adressée
au
Bulletins 56 et 57 de la
-
(4).
(Ces 4 mots de la main de l'A¬
chef des
insurgés de Mahaena (voir
S.E.O.)
Des tractations analogues avaient été menées verbalement
dès mai 1844 par
des députés de l'Assemblée Législative in¬
digène (voir compte-rendu des séances des 1, 2, 3, 4 mai
1844).
(1) Paofai : dans le SSO de MOTU-UTA - partie Ouest de
Papeete.
(2) Thompson - Commandant de " Talbof' fin 1842 début
1843
Appareille de Tahiti en janvier 1843 après nous avoir
-
-
suscité de nombreuses difficultés.
(3) Allusion
au
bombardement de Mogador par le Prince
de Joinville. et à la bataille de
l'Tsly.
(4) Mare (orateur pour Papeete à l'Assemblée Indigène).
(5) On trouve dans Cuzent - Souvenirs d'Océanie (Brest-
Evain-Roger-1855, page 9) - "En 1835 un certain baron Thier¬
donna le plaisir de se proclamer roi de Nuka Hiva Il
eut pour Colonel aide de camp un Mr. Ed.
Fergus" - Coïn¬
ry se
cidence
-
ou
identité?
Société des
Études
Océaniennes
—
419
—
PIÈCE No
3.
DISCOURS DU GOUVERNEUR BRUAT
AVANT
L'ATTAQUE DE PAPENOO
(Mai 1846)
(La pièce est entièrement de la main de BRUAT)
Amis
chefs, juges, officiers publics réunis dans cette en¬
ceinte, soyez sauvés parle vrai Dieu.
Voici
quelle est
ma
parole
Le trouble s'est levé
:
cette
terre, il y règne depuis long¬
temps, et tous nos efforts réunis n'ont pu l'éteindre. Jusqu'à
ce jour nous avons usé de
trop de patience et trop souvent
pardonné des provocations insensées. Vous savez, vous-mê¬
mes, combien j'ai désiré maintenir la paix parmi les popu¬
lations sur lesquelles doit s'étendre le protectorat de la
France. Vous savez vous-mêmes combien j'ai désiré et com¬
bien je désire encore éviter à ce pays les malheurs de la
guerre. Mais la patience et la bonté ont aussi des limites et
ne doivent pas
dépasser une juste mesure. Les fauteurs de
troubles réunis à Papenoo n'ont tenu aucun compte de mes
intentions généreuses et des sacrifices que nous avons faits
pour conserver cette paix dont ils paraissent ignorer le prix.
Non contents d'insulter
sur
au
Gouvernement
en
renversant les
nominations faites par
le régent en désignant d'autres chefs
et d'autres juges pour remplir les postes à l'occupation des¬
quels il avait pourvu, non contents d'usurper un pouvoir qui
n'appartient qu'au Chef véritable de ce Gouvernement, en
formant des corps de soldats enrôlés sous un drapeau qui
ne peut être aujourd'hui qu'un
signe de rébellion, ils ont
franchi les limites établies de temps immémorial depuis
vos
ancêtres et reconnues par ceux mêmes qui les ont violées.
Leurs soldats armés contre le Gouvernement établi sont
ve¬
occuper la pointe d'Ahonu sur le district même du chef
Tariirii. Je leur ai fait dire de ne point accomplir d'actes sus¬
nus
ceptibles de produire des troubles sur les terres d'un chef
rangé sous le protectorat et de retourner à Papenoo. Les
.hommes tranquilles, les femmes et les enfants n'étaient
pas
compris dans cette exclusion nécessaire et je leur avais spé-
Société des
Études
Océaniennes
—
420
—
cialement fait savoir que les soldats seuls devaient évacuer
un territoire où les hommes du chef Tariirii avaient seuls le
droit de vaquer à leurs fonctions
service de
officielles et de remplir leur
police.
Ces hommes ont renvoyé les messagers que j'avais en¬
voyés en leur adressant des injures et des menaces de guer¬
re ; voulant épuiser les moyens de douceur par
lesquels j'a¬
vais jusqu'à ce jour espéré de ramener dans l'ordre les fac¬
tieux, armés contre le Gouvernement, j'envoyais un nouveau
message à ces soldats pour leur faire savoir que je ne m'op¬
poserais pas davantage à leur séjour à Ahonu et que je leur
envoyais la paix.
Ce message transmis à Papenoo n'a pas été reçu. Les fac¬
tieux m'ont fait répondre qu'ils ne voulaient admettre au¬
cune parole de paix et que leur désir était de combattre. Je
n'ai point donné d'attention à ces paroles insolentes ; j'ai ten¬
té de nouveau de rétablir l'ordre et la paix sans en venir aux
extrémités malheureuses de la guerre. J'ai fait savoir aux
chefs réunis à Punaauia les faits récents accomplis. Us ont
condamné eux-mêmes la conduite des hommes de Papenoo
et ont envoyé des messagers porter à cette population tur¬
bulente des paroles de paix et l'engager à ne pointcommettre
d'actes hostiles contre le Gouvernement. Ce message n'a pas
été reçu plus que les miens.
Les chefs et les hommes de cette armée ont d'un
commun
accord témoigné de leur obstination à désirer une guerre dé¬
finitive, et les messagers de Punaauia sont retournés dans
leur district sans avoir voulu prendre aucune nourriture par¬
mi
ceux
qui n'avaient
reçu
leur message pacifique que par
des exclamations de guerre.
Les hommes de Papenoo ont
sont venus
élevé des fortifications. Ils
jusque dans Arue commettre des vols sur les
chefs rangés sous le Gouvernement.
Fatigué de tant d'agressions répétées, j'ai voulu voir par
qu'ils ont accomplis,
je me suis rendu jusqu'à Papenoo sur le bâtiment à vapeur(l). J'ai vu les forts récemment élevés et les hommes
occupés à les continuer. Il m'eut été facile, si mon désir
n'eut pas été de tenter encore la paix, il m'eut été facile de
tuer les travailleurs qui s'enfuyaient à mon approche ; mais
moi-même les travaux de fortification
Société des
Études
Océaniennes
—
421
—
je n'ai pas voulu que les hostilités puissent m'être attribuées.
lait tirer un seul coup de fusil. A peine étais-je
les insurgés ne tenant aucun compte de mes dé¬
monstrations pacifiques sont venus en armes jusqu'au pied
de la Fautaua (?) et y ont détruit les propriétés de nos alliés,
Je n'ai pas
rentré que
tué et volé leurs cochons. Le lendemain ils sont revenus en
plus grand nombre jusqu'à la rivière de Vaipoopoo. Ils ont
rencontré les hommes du Chef Tariirii et ont fait feu sur eux,
riposté, la fusillade s'est ainsi engagée à deux
reprises différentes et l'un des insurgés a été atteint. Ainsi
vous le voyez, la guerre est aujourd'hui commencée, nous
n'avons plus à songer à la paix. Les hostilités sont engagées
et ce n'est pas nous qui les avons fait naître.
ceux-ci ont
Je
vous
demande donc
aujourd'hui si
nous pouvons sup¬
porter plus longtemps des provocations pareilles, si nous
pouvons souffrir que des hommes réunis pour produire le
trouble et renverser les lois nomment des chefs et des juges
en
Si
place de ceux élus par le Régent
hommes doivent impunément continuer leurs vols et
ces
dépradations sur le„s propriétés de ceux qui se sont
rangés sous le Gouvernement, si nous ne devons point pro¬
téger et soutenir ceux qui veulent l'ordre sous le protectorat
de la France, aussi bien dans leurs propriétés que dans leur
personne, si définitivement une guerre déclarée n'est pas
préférable pour ramener l'ordre à l'état de trouble où nous
vivons depuis si longtemps.
Je vais donc combattre les factieux et rétablir la paix par
la force des armes puisque la patience et la bonté n'ont pu
l'obtenir. Je vous ai réunis pour que ceux qui désirent se
joindre à moi me le fassent connaître et se rangent à ma
leurs
suite.
BRUAT.
Discours du Gouverneur BRUAT avant
l'attaque de PapeEntièrement écrit de la main de l'Amiral.
Tous les moyens de conciliation ayant échoué BRUAT dé¬
cide de passer à l'action contre les insurgés de Papenoo.
(1) Tariirii : voir compte-rendu séances des Assemblées
législatives des 2," 5, 6, 7 et 8 mai 1845.
"TUPUNA" (un chef de Moorea) exprime sa satisfaction
noo
(mai 1846)
-
Société des
Études
Océaniennes
—
422
—
le Commissaire du Roi ait bien voulu se rendre au
pouvoir dire combien
la présence dans cette assemblée des chefs qui, jusqu'à ce
jour, étaient restés au milieu des insurgés lui est agréable.
de
ce
que
milieu d'eux: il est surtout heureux de
"Enfin, dit-il, TARI1RII et ses Huiraatiras de Mahina, TERAHI TE ARII et le Chef de Orouamanoroua sont ici avec
devenez
le gouvernement du protectorat. Chaque jour vous
plus fort: car vous êtes le rocher derrière lequel on
vient
mettre à l'abri. Nous tous de Moorea nous vous som¬
nous sous
mes
se
attachés, mais
nous
voudrions des soldats et des navi¬
protéger.
(2) A l'Est de la Pointe Vénus.
res
pour nous
(3) Le '%Phaeton\
PIÈCE N° 4.
Papenoo, 30 mai 1847.
BRUAT,
Voici
quels sont les différents objets dont l'envoi me serait
plus agréable.
Ce sont : les choses qui composent un service de tab'e, des
couteaux, des fourchettes, des grandes et petites cuillères,
des verres, des tasses, une grande théière, ainsi qu'un autre
vase pour contenir du café, et tous les autres objets qui con¬
viennent au service de table... des sièges, une grande table,
des candélabres, une commode, de grandes glaces pour les
appartements, ainsi qu'une pendule, des rideaux de fenêtres,
et les différents objets qui conviennent à l'embellissement
d'une maison,
des carreaux de vitre
les objets
nécessaires pour la cuisson des aliments, et tout ce qui sert
le
à la cuisine.
Je désire
également quelques belles étoffes de soie, de jo¬
mousselines, des étoffes imprimées, et toutes les belles
choses de France, une grande épingle (pour broche de fem¬
lies
me) ainsi qu'une couronne d'or, des bracelets et des boucles
d'oreilles
des
épaulettes pour ARIIFAAITE TANE (1) et de jolis ha¬
ARII AUE et TAMATOA (3).
bits militaires pour
POMARE, femme Reine.
Société des
Études
Océaniennes
—
423
—
la Reine Pomare à BRUAT.
prise de Fautaua par le Commandant BONARD, les derniers insurgés firent leur soumission.
La paix ainsi établie a fait l'objet de divers comptes-ren¬
dus de l'Assemblée indigène.
P.V. du 22 décembre 184G - (Paix avec les insurgés de PuLettre adressée par
A la suite de la
naauia).
- (Paix avec les messagers de
Papenoo).
P.V. du 1er janvier 1847 (Assemblée publique pour recevoir
les chefs et le peuple de Papenoo).
P.V. du 7 février 1847 (Entrevue du Gouverneur BRUAT et
de S.M. la Reine Pomaré à Papetoai (Moorea): celle-ci est
réintégrée avec tous ses droits dans le gouvernement du
P.V. du 24 décembre 1846
l'Armée de
Protectorat.
Le Gouverneur
BRUAT fit traduire par l'interprète
DAR-
paroles suivantes :
qui êtes réunis dans la même enceinte, je vous
annonce avec satisfaction que la paix est désormais rétablie
d'une manière solide et que le pays va de nouveau rentrer
L1NG les
"Vous tous
prospérité. La Reine Pomaré est arrivée, Elle s'est
soumise au Gouvernement du Protectorat, tel qu'il
est établi aujourd'hui.
Je vous fais donc connaître qu'au nom du Roi Louis-Phi¬
lippe je la rétablie dans ses droits, et dans son autorité qu'elle
dans la
tout à fait
exercera
comme
dorénavant
sur
toutes les terres de son royaume,
Reine reconnue dans le Gouvernement du Protecto¬
rat".
paix d'une façon plus matérielle, le gou¬
à la Reine de lui faire quelques cadeaux.
pièce 4 contient la réponse de la Reine à ces avances.
Pour sceller cette
vernement propose
La
(1) ARIIFAAITE TANE
-
Epoux de la Reine.
(2) et (3) ARIIAUE mort en 1855 et TAMATOA :
enfants de
la Reine.
PIÈCE No 5.
Papeete, 3 avril 1848.
BRUAT,
Salut à
vous
par
le vrai Dieu et par Jésus Messie. Je vous
Société des
Études Océaniennes
424
—
écris cette lettre
pour
aujourd'hui avec
—
un
vif sentiment pour vous,
que mon fils nouveau-né a reçu le nom du
taïtien se rend ainsi Tuavira (Jo in ville).
deux
s'appelle aussi Teriitua.
parole. Comment faut-il que fasse ARII; le Gouverneur (1) ne donne pas ses appointements
le titre de chef que vous lui avez confié sur la terre de
noms
Voici
AUE
pour
fais savoir
fils du Roi qui en
Cet enfant porte
votre femme et pour vos deux filles. Je vous
et
une
Isaathati
autre
(2) (Fils du Président des Pasteurs Roo Tareui). 11
traitement.
le Gouverneur m'a dit à cet égard : Donnez à
votre fils une partie du traitement que vous recevez pour
votre titre de Reine. Je lui ai répondu que ^ous ne m'aviez
pas dit que les choses devaient se passer ainsi. Vous cher¬
cherez votre pensée, vous en parlerez au Roi, et vous nous
donnerez tous les deux les émoluments de ce grade.
reçoit
ne
Voici
aucun
ce
que
Je n'ai pu
m'accorder avec le nouveau Gouverneur (1). Il
prête point l'attention à mes paroles. Un jour il m'écoute
et le jour suivant il ne tient aucun compte de ce que je lui
dis. L'interprète que vous avez nommé, Darling (3), n'écoute
point non plus ou ne rend pas mes paroles lorsque je les lui
transmets. Voici ce que j'ai à vous dire maintenant: Cette
lettre est pour vous seul. Ne la faites point connaître au Gou¬
vernement qui serait fâché contre moi, qu'elle reste avec
vous. Robillard (4) lira les paroles qu'elle contient.
ne
Ma
parole est achevée.
Soyez sauvé par le vrai Dieu.
POMARE VAHINE, Reine.
Lettre adressée par la Reine Pomaré à BRUAT dans la¬
quelle elle annonce la naissance de son fils TUAVIRA JOINV1LLE.
(1) Le Gouverneur auquel il est fait allusion est le
LAVAUD, plus tard contre-Amiral.
Capitaine
de Vaisseau
(2) Peut-être AFAAHITI
dans la presqu'île de TAIARAPU.
(3) Père de l'Interprète du Gouvernement à l'Assemblée
indigène depuis 1843.
Un DARLING figure dès 1835 comme Président des Pas-
Société des
i
Études Océaniennes
425
—
—
l'Eglise Protestante (Cf. Vincendon Dumoulin et De960).
(4) ROBILLARD (de). Henri, Joseph, Théodat, né le 23 dé¬
cembre 1822, entré en service en 1837, Enseigne de Vaisseau
du 16 novembre 1843 et Lieutenant de Vaisseau du 22 juil¬
let 1848
Capitaine de Frégate en 1864 - disparait de l'An¬
teurs de
graz, page
-
nuaire de la Marine entre 1868 et 1869.
Cet
officier
BRUAT
;
se
trouvait à
Tahiti
en
même
temps que
l'Ingénieur Hydrogra phe de la Marine Gaussin dans
l'introduction de
son
livre
:
"Du Dialecte de Tahiti et des lies
Marquises et en général de la langue polynésienne" Paris
Firmin Didot 1853
dit : ''Nous mentionnons avec plaisir Fu¬
tilité de nos rapports avec Monsieur de ROBILLARD, Lieu¬
tenant de Vaisseau, notre camarade de voyage. Nous avons
eu l'occasion de lire les premiers commencements d'une
grammaire polynésienne entreprise par cet officier.. . Nous
regrettons que cet instrument de travail n'ait pas été conti¬
nué ou publié...
-
PIÈCE N° 6.
Raiatea 20 mati 1852.
E PURUA e,
la
ora na oe.
Teri tau parau ia oe haere mai oe i uta nei, e teie neie a,
e haa maoro, e mea rahi te peapea i teie nei, hoe
toa mai te Poti rahi.
ei eiaha
Tirara parau.
POMARE, Vahiné.
Raiatea, le 20 mai 1852.
A
BRUAT, Salut.
Bonjour à toi.
Voici ma parole à toi. Viens à terre de suite. Sans délai.
Il y a de nombreux troubles maintenant. Je suis plongée dans
l'affliction. Amène aussi la grande embarcation.
Ma parole est terminée.
POMARE, Vahiné.
Société des
Études
Océaniennes
—
Billet
en
426
—
Tahitien et traduction française d'une lettre adres¬
sée par la Reine Pornare à BRUAT le "20 mai 1852.
A la suite d'une nouvelle insurrection de ses sujets,
Reine avait
ne
fut
abdiqué en faveur de son fils
pas suivie d'effet (P. Deschanel).
PIÈCE No
-
la
Cette abdication
7.
Tahiti, le 29 octobre 1857.
Madame l'Amiral
BRUAT,
Nous vous adressons la copie de notre pétition à sa Ma¬
jesté l'Empereur des Français.
Nous avons pleuré la perte immense que vous avez faite
dans la mort de votre illustre époux et à nous notre vénéré
Père et Protecteur.
BRUAT est mort
tecteur si
ce
(1). Nous n'avons plus
en
France de Pro¬
n'est vous, Madame.
Et
l'Empereur qui a si bien apprécié BRUAT et a si digne¬
su vous récompenser par la place que vous occupez
près de son fils (2).
Notre pétition a pour but de nous sortir de l'abîme où nous
ment.
sommes
tombés.
Les choses vraies que nous
raient votre bon
aurions à
vous
dire afflige¬
cœur.
Depuis votre départ, où est le Bonheur que BRUAT nous
promis ?
Les Gouverneurs se sont succédé et chaque Gouverneur
nous a apporté une nouvelle déception.
Nos lois sont un vrai chaos, nos procès attirent les haines
entre les familles, nos terres sont sans culture, et les lois mal
comprises de nous et de ceux qui doivent les faire exécuter
épuisent nos économies et nous restons dans la misère. Notre
rade est déserte et à chaque arrivée d'un Gouverneur nous
avons la douleur de voir l'intrigant et le malhonnête homme
grandir par son astuce et sa fourberie.
Nous sommes lassés, fatigués, et nous préférons devenir
Français que de rester Tahitiens, car un Tahitien on le mé¬
avait
prise assez pour venir, dit-on, chez lui réclamer l'hospitalité
au nom de l'Empereur et lui jeter l'Infamie à la tête pour
Société des
Études
Océaniennes
—
427
—
prix de la
vertu de nos filles ou de nos femmes ; et l'on pro¬
deux ou trois pièces d'étoffe pour prix de l'injure. Ces
temps sont passés, Madame, où nous ignorions les vertus et
la probité. '
BRUAT et vous, vous avez été les premiers à nous donner
ces
principes et si, depuis votre départ., de semblables exem¬
ples nous avaient été donnés, nous serions dignes d'être ho¬
norés de vous, et dignes de porter le nom de Français. C'est
donc ce titre de Français que nous désirons, c'est cette éga¬
lité devant la loi que nous réclamons.
C'est enfin la considération que l'on doit à l'homme de bien
et de bonne pensée que nous réclamons, nous sommes fati¬
gués du mépris que l'on fait de nous.
Nous sommes fatigués d'être torturés de toutes manières:
les impôts nous écrasent, des travaux dont nous ne compre¬
nons pas la nécessité nous forcent enfin à un travail
journa¬
lier (la fare apoo raa (3) avec un dôme en cuivre en est la
preuve). Nos pensées religieuses ne sont plus libres. A qui
devons-nous croire quand celui qui se dit Ministre de Dieu
pose
a
tant de
Nous
tyrannie
savons
semblable.
l'Empereur peut dire Tahiti
pour son
que
sera
désor¬
mais terre Française.
La Reine étant
mé
son
fils roi de
n'existent
aujourd'hui
Raiatea,
a
aux Iles Sous-le-Vent a procla¬
déchiré les traités de 1847, ils
plus.
Nous demandons
qu'il plaise à la Majesté de
nommer une
Commission d'enquête et que contradictoire à tous nouveaux
arrivés ici ces officiers s'informent près de nous et nous leur
dirons aussi ceux des Français que nous estimons depuis
•
longtemps et qui connaissait bien notre langue, nos mœurs,
nos misères et nos ressources et ceux aussi qui nous diri¬
gent dans la démarche que nous faisons.
Recevez, Madame, notre prière en considération et que
votre haute protection nous protège auprès du plus puissant
Empereur du Monde, nous qui sommes si petits.
Recevez, Madame, les salutations respectueuses de vos
très humbles et soumis serviteurs.
Tariirii Tavana
(4) no Hapape, Toohutu... Toohituo Tai(5) Peretiteni no te apoo raa Oriri raa Ture, Taamu
Taamu Toohutu, Vehiatua (6) Tavana.
rapa
Société des
Études
Océaniennes
428
—
—
Lettre de doléances écrite à FAmirale
pe de chefs indigènes, sans
Protestants.
BRUAT par un grou¬
doute à l'instigation des Pasteurs
pétition de 1860 (Arbousset - p. 183 et 209).
(1) Mort à bord du 'lMontebello", d'une attaque de choléra,
Voir la
en
rentrant de
Crimée, le 14 Novembre 1855.
(2) Gouvernante des enfants de France depuis le 4 mars
1856.
(3) Fare Apooraa : Maison de l'Assemblée.
(4) Chef de Haapape, rallié en 1845.
(5) Un des Secrétaires de l'Assemblée Indigène.
(6) Nom d'un ancien roi de Taiarapu.
PIÈCE No
Sur
8.
l'enveloppe : Urgent.
A Madame l'Amirale BRUAT
Gouvernante des Enfants de France.
Papeete, le 20 octobre 1862.
Madame
Salut à
Je
vous
BRUAT,
dans le vrai Dieu.
vous annonce
l'arrivée de Tuavira
pour lui à son arrivée en
Mère. Je pleure mon fils,
bonté,
en vos
mon fils. Soyez bonne
France. Remplacez-moi et soyez sa
mais je me confie en vous,' en votre
soins pour mon fils. Vous chercherez une bon¬
école pour lui. Comme vous avez eu soin de de Feitza,
ainsi vous serez bonne pour Tuavira, pour qu'il ne lui arrive
ne
rien de mal
en son séjour en France. Mon désir est qu'il ha¬
bite la même localité que vous et que vous soyez son bon
soutien et sa bienfaitrice. Je suis bien inquiète à son sujet,
à
de
séjour en une terre lointaine, sans aucun pa¬
soutenir. Mais comme je vous connais bien et
aussi, mes pensées se sont reposées sur vous.
joie sera grande si vous le recevez bien à son arrivée en
cause
ce
rent pour le
votre bonté
Ma
France. Vous voudrez bien aussi faire connaître l'arrivée de
mon
fils à
Je
vous
l'Empereur.
signale aussi deux autres enfants de
Société des
Études
Océaniennes
ma
parenté
—
429
—
TEMAUIARII et VIRI. Soyez bonne pour eux,
le même lieu que Tuavira.
Cette
qu'ils habitent
parole est finie.
vous témoigne son attachement pour vous
Ariifaaite
pour vos
Salut à
Je
que
et
demoiselles.
vous et à votre parenté.
prie Dieu que votre séjour en
vos jours soient longs en cette
La Reine des
France soit heureux et
vie.
Iles de la Société et
Dépendances,
POMARE.
Lettre écrite le
mirale BRUAT,
lui annoncer
20 octobre 1862
parla Reine Pomare à l'A-
gouvernante des Enfants
de France, pour
l'arrivée à Paris :
1°) de son fils TUAVIRA (1) (mort en 1875).
2°) de deux enfants de sa parenté TEMAURI ARII A MAHEANU et VIRI ATERAIMANO et demander qu'ils soient
logés tous trois ensemble, surveillés et soignés par l'Amirale
BRUAT.
(1) TUAVIRA (dit
Joinville)... chef du district
d'Hitiaa
DARBOUZET l'emmena avec lui en
1856 à la Nouvelle-Calédonie. En 1862 il est venu en France
sur la frégate F llIsis" avec 6 autres enfants de son âge. Bien
que TUAVIRA fut protestant, ainsi que ses amis, on les pla¬
ça à Nantes au pensionnat de '-Notre Dame de toutes les
Aides", communauté à laquelle appartenaient les frères de
la Doctrine Chrétienne établis à Tahiti.
TUAVIRA fut marié à Isabelle Schaw dont il eut un fils ap¬
pelé HINOIARII marié à la reine de Bora-Bora TERIIMAEMonsieur le Gouverneur
TAMATOA.
avril 1875.
Souvenirs de l'Océanie
VARUA Fille de
TUAVIRA décéda le 4
Voir: Cuzent
-
-
Brest
-
Evain-Roger
1885.
CONCLUSION.
papiers, réunis un peu au hasard, tracent cependant
principaux événements qui se sont
succédé à Tahiti depuis notre occupation jusque vers 1860.
Ces
assez
bien la courbe des
Société des
Études
Océaniennes
—
430
—
Affaire Pritchard, insurrection de
Papenoo, pacification de
plaintes dis¬
crètes au sujet de notre politique indigène, nouvelle insur¬
rection et cri angoissé de la souveraine, doléances des chefsconséquence de nos fautes (Cf. Deschanel OCÉANIE, p. 224)
enfin émouvant appel d'une mère à une autre mère, lors de
l'exil de son fils chéri, sur une terre lointaine, rançon royale
de notre protectorat.
De l'ensemble de ces documents, il résulte que le Gouver¬
neur Bruat, avait conquis, avec la terre de Tahiti, le cœur
l'île et rétablissement de l'autorité de la Reine,
des habitants et l'affectueuse confiance de la reine Pomare.
Plus
qu'un marin habile et qu'un soldat heureux, Bruat s'é¬
un grand colonial.
tait révélé
Capitaine de Corvette COTTEZ.
Membre de la Société de
Société des
Études
Océaniennes
Géographie.
—
431
—
Analogies dans le langage
Il
ne
semble pas
tahitien.
que.le Tahitien ait des proverbes comme
beaucoup d'autres peuples, les Africains par exemple;
bien, s'il en a, ils doivent être peu nombreux et il serait
téressant de les rassembler.
ou
in¬
Les proverbes sont toujours l'expression de la sagesse des
peuples. A défaut de proverbes, notre attention a été attirée
par des mots qui avaient deux sens, même plusieurs, le pre¬
mier étant le sens propre et le second le sens figuré.
Ces images sont empruntées le plus souvent à ce qui se
rapporte chez le Tahitien à la vie de tous les jours : la mer,
la guerre, les plantes ; nous retrouvons dans certaines d'en¬
tre elles des expressions familières en français.
Pour plus de commodité, nous placerons ces expressions
sous quatre rubriques: la mer, la guerre, les plantes et di¬
vers, en nous servant pour ce travail du Dictionnaire Tahitien-Anglais publié en 1851 par la Société des Missions de
Londres.
A.— ToJit cc
1. Aaa
qui
se
rapporte à la mer.
Etat d'agitation de l'eau parle
esprit agité par la crainte.
Eau
vent,
généralement calme agitée par
le vent, esprit agité par menaces
de guerre ou par des apparitions
imaginaires.
2.
Aahipatao
Un thon prudent qui ne veut pas
être
péché.
Une personne
à qui on ne peut en
imposer.
3. Aahitiamatau
Un thon qui s'est
dégagé du hame¬
çon.
Une personne
à qui on en a impo¬
reprise.
sé, mais qui s'est
4. Aainu.
Amorce pour poisson.
Incitation à faire quelque chose.
Société des
Études
Océaniennes
432
—
5. Aavere
—
Nom d'un
seau,
poisson hardi à long mu¬
guerrier qui préfère le front
de bataille.
6.
Apaapauai
Petit poisson à larges nageoires.
Personne fastueuse.
7.
Arupapai tohe....
Mer qui enfle derrière soi.
Médisance
8. Arutiraorao
qui fait son chemin.
Mer contestée.
Conflit d'intérêt.
9. Auahori
Poisson migrateur.
Personne changeante.
10. Auatitai
Pièce de bois trempée dans la mer,
dont aucune étincelle ne peut sor¬
tir par
friction.
qui peut supporter beau¬
sans se mettre en colère.
Personne
coup
11. Faaehu
Remuer de Peau.
Elever des querelles.
12. Faatere Rarirari..
Imprudent et mauvais timonier.
Celui qui conduit ses affaires avec
imprudence et qui, par là, s'oc¬
casionne à lui-même des ennuis.
13. Feetono
Poulpe remarquable par sa coriacité.
Personne
qui ne se donne pas fa¬
cilement, obstinée.
14.
Huapareva
Un œuf d'oiseau trouvé souvent sur
des débris flottant sur la mer.
Personne
d'origine et de parenté
médiocre.
15. Mamamehai
Voie d'eau dans un canot.
Faute du Gouvernement ou de
qui conduisent des affaires
bliques.
16.
Maohuaiape
17.
Maomaomatapiti,,
pu¬
Espèce de grand requin.
Femme qu'on ne peut gouverner.
Petit du requin.
Celui qui débute dans
quoi,
Société des
ceux
Études Océaniennes
n'importe
433
—
—
Espèce de requin féroce.
18. Maotarera
Personne vorace.
19. Moana tere ore
hia.
laquelle on n'a pas encore
vogué.
Mer sur
Femme inconnue.
20.
Operupai te aha...
Le
poisson Operu qui saute
hors du
filet
Homme
qui se sauve d'entre
guerriers.
les
mains des
21.
Pirogue qui reste dans son hangar.
Personne qui reste souvent à la
Pahitaîarau
maison.
Petit poisson qui s'échappe souvent
adroitement, laissant les autres
22. Paoutuiaro
se
perdre.
Celui qui laisse les autres en diffi¬
culté mais qui se sauve lui-mê¬
me.
23.
Papaatua etaeta
24.
Poematauini
25.
Popotaia
..
dure.
guerrier impitoyable.
Petit crabe à carapace
Un
Jolie perle.
Belle personne.
Diriger de manière à échapper à
un engagement sur mer.
Celui qui sait prendre bien soin des
enfants.
26.
Excellent et grand
chire les filets.
Puarauraata
poisson qui dé¬
Guerrier intrépide.
27.
Espèce d'anguille.
Puhiairoto
Ennemi secret.
28. Rauraumoo
Espèce de crabe.
29. Tanoo
Timonier.
Celui qui dirige
Personne de bonne
30. Titiaveravera....
extraction.
les affaires du pays.
Être à découvert et sec comme un
récif un jour de chaleur.
Etre désolé parla guerre.
Société des
Études
Océaniennes
—
31.
Totaraupoonui
...
434
—
Construction particulière de piro¬
gue où l'avant n'est pas en pro¬
portion avec l'arrière.
Mode
judicieuse
peu
d'attaquer
l'ennemi.
32.
Tupatupaahutoru..
Crabe
vivant
dans
le
creux
des
murs.
Personne qui rampe sans honte en
présence d'un chef pour le taqui¬
ner en demandant l'aumône.
33. Uruamataono
Poisson hardi et rapide.
Guerrier intrépide et sans peur.
34. Uruana
Masse de corail dans la
Lieu dangereux.
35. Arahoua
Partie de canotdevantêtre attachée
avec de la fibre de coco.
Vieille personne décrépite.
36. Auataetae
Personne de complexion
délicate,
ayant la peau jaune.
Se rapporte au poisson Aua
qui est
affecté par la chaleur du soleil
dans la rivière, qui devient
mer.
jaune
et meurt.
37. Aua Tamino
38. Aueha
Poisson d'eau douce.
Personne errante comme le Aua.
Espaces entre les mailles
Nom donné à
39. Feori
un
Changer d'habitat
son
qui,
ou
le pois¬
saisons, a-
comme
en certaines
bandonne
d'un filet.
vieillard.
change
sa
résiden¬
ce.
Oisif
40. Rehovahaiti
qui émigré.
Comme le grattoir fait avec la
por¬
celaine tigrée.
Personne qui fait naître par ses chu¬
chotements des querelles entre
amis.
#*#
Société des
Études
Océaniennes
435
—
B.—
Expressions ayant
41. Amata
—
rapport avec la guerre.
Premier des deux bâtonnets em¬
ployés pour produire le feu par
Auahi
friction.
Début de la guerre.
Mettre ou procurer un [ni (cible
dans laquelle on lance des dards)
Personne qui va avec prudence
dans une affaire en observant un
juste milieu.
Faaini
42.
43. Faatea
....
Appliquer une feuille sur une
bles¬
sure.
Réconforter un affligé.
44. Fana
horo aoao...
Arc difficile à
Personne à
tendre.
mauvais caractère,
dif¬
ficile à conduire.
45.
Fatifatiairi
Blessure superficielle.
Contrée soumise en temps
pendant que les
re,
sont encore en
46.
Ohetapu
47. Vaiafa
48.
Vairoiroi
49. Fetuaruru
de guer¬
dirigeants
vie.
Flèche qui ne vole pas bien et
désappointe l'archer.
Homme qui commence un
et qui ne le termine pas.
travail
Chute d'eau.
Commencement des hostilités.
Eau calme.
Paix profonde.
Terme de la guerre
nion et la
impliquant l'u¬
vigueur.
Personne façonnant un ballot
toffes d'écorces pliées.
#
C.—
qui
#
d'é¬
#
les plantes.
le terrain d'un ma¬
Expressions ayant rapport avec
50. Aereere
Vibrer comme
rais quand on y marche.
Commotion de l'esprit en appre¬
nant de mauvaises nouvelles.
Société des
Études
Océaniennes
436
—
—
51. Ataava
Pousse de Ava.
Personne sans mérite.
52. Atoauru
Briser des petites branches.
Avoir une connaissance
cielle des choses.
53.
Autepohoa
superfi¬
Espèce inférieure de Aute.
Personne de caractère indifférent.
54.
Faatoropaaa
Ramper
me
comme la racine de l'igna¬
à travers le fouillis des
peti¬
tes racines.
Trouver les causes
par les effets.
55.
Fatifatirara
56. Fatiueue
Casser les branches tandis
que le
tronc résiste.
Enlever les mauvais effets tandis
que la cause subsiste.
Brisé
ou plié mais retenu
encore
les fibres.
Celui qui s'accroche à son idée.
par
57.
Haapitumu
58.
Haraurau
Espèce de bananier.
Garçon paresseux et inutile.
Nom du mauvais taro
ape.
sans valeur.
Homme
59.
Hutupanutai
Noix de Hutu qui va à la
dérive et
qui est rejetée sur la plage.
Désignation méprisante d'étran¬
ger; quelqu'un sans parents, sans
amis et
60. Maea
Maroapu
62. More
63. Noiati
64. Oaha
maison.
Aubier de l'arbre.
Personne
61.
sans
sans
importance.
Noix de coco vide.
Personne frivole.
Ecorce de Burau avec
laquelle on
tresse des cordes.
Guerrier marchant sans ses
accou¬
trements.
Texture filandreuse du Ati.
Personne obstinée dans ses dires.
Buisson à longues feuilles.
Personne séditieuse.
Société des
Études
Océaniennes
—
65.
—
Arbre rempli de sève.
Oporovainui
qui n'est pas pro¬
voquée aisément.
Personne ferme
Restes de nourriture.
Discours qui n'a pas de sens.
66. Pavaha
67.
437
Fleur de pois sauvage.
Puapipi
Discours tortueux.
68. Puatauma,
Buisson avec longues feuilles épi¬
neuses qui déchirent les habits.
Personne qui en pousse ou en tire
une autre par ses habits.
69. Puruhi
Nom d'arbre.
Guerrier timide ; coq
lâche au com¬
bat.
70.
Rarafarapanu
.....
Branche de pandanus emportée par
la
mer.
Vagabond.
71.
Raufarapapa
Feuille de pandanus qui craque en
brûlant.
Personne
72. Rauhairi
bavarde et bruyante.
Fané.
Qui a perdu son emploi ou sa
digni¬
té.
73.
Rauhurupe
Vieille banane.
Personne
décrépite
—
Un grand-
père.
74. Rauhutu
75.
Raumaire
Feuille de Hutu.
Personne insignifiante.
Feuille de Maiore.
Femme de chef
76. Tataraohu
inférieur.
Pendre comme une
branche flétrie,
Etre vaincu.
77.
Tiupoorua
Racine de Ti de laquelle sortent
deux
tiges.
qui a auprès d'elle sa
femme, et une autre, secrète.
Personne
78. Toromiro
Arbre sacré Amae.
Personne
Société des
Études
considérable.
Océaniennes
—
79.
Unaunatupapa....
438
—
Elégance d'un arbre qui pousse sur
le roc mais qu'un
coup de vent
fait tomber.
Grandeur sans grand fondement.
80. Uuratamafaarere
.
Espèce de Taro dont les
pousses
croissent loin de la mère.
Premier né d'une famille, et parce
que sacré, est séparé des autres.
81. Uuratamahere
....
Espèce de Taro dont les rejetons
poussent épais sur la mère.
Parent
avec
nombreux
descen¬
dants.
82. Haaava
Une bonne flèche pour l'arc.
Homme sage.
83.
Igname poussant dans les rochers
Uhipapa
et difficile à atteindre.
Guerrier assuré qui ne se laisse pas
facilement maintenir
#
D.—
84.
Aaupiti
*
#
Expressions diverses.
Personne partagée, hésitante, qui
a deux cœurs.
Personne qui a son père dans un
endroit, sa mère dans un autre.
8-5. Aavao
Perruche qui fréquente l'intérieur
de l'île.
Homme de l'intérieur, peu familia¬
risé avec la mer.
86
Queue de quadrupède.
Dernière partie d'un discours, d'un
Aero
travail.
87. Aetoerau
88. Aneane
Vent
agréable d'ouest.
Esprit en de bonnes dispositions.
Temps clair
avec
Clair et décevant
cours
89. Ahataina
ciel
une
bour.
Obstiné, tétu.
Études
nuage.
dis¬
un
hypocrite.
Tendu comme
Société des
sans
comme
Océaniennes
corde de tam¬
—
90 Ahiahi rumaruma.
439
—
Soir nuageux
Personne
91. Anaanaumupo....
irritée.
Clarté d'un four
nuit.
Homme aux
tahitien dans la
beaux discours dont
les mots ne sont pas crus.
92.
Main vide.
Apurima ore
Personne
qui
en
désappointe une
autre.
Partie du foie à laquelle la vésicu¬
le biliaire est attachée.
Personne hardie et courageuse.
93. Afceau
Fiel crevé.
94. Auafa
Compagnon
audacieux dépourvu
de crainte.
95.
panier de filet employé
porter la statue du dieu.
Homme bien informé.
Sorte
Eterauaha
de
pour
Nuage à
96. Fa
branche perpendiculaire
considéré comme augure.
Personne
sion.
97. Faa iti ma te
apiapi
qui est un objet d'aver¬
Petite vallée resserrée.
Situation difficile.
98. Faîau
Attacher ensemble.
Faire un contrat.
99. Fenu motu
Corde cassée ou tordue.
Un ami qui abandonne.
100. Fetu verovero
101. I-Iaamu
Etoile scintillante.
Celui qui aime la guerre.
pierre.
rapidement une
Jeter une
Jeter
accusation
contre une autre personne.
102. Huerereue
Petite mouche.
Personne paresseuse
té et d'autre.
103.
Ihipapa
qui va de cô¬
Extirper les racines.
Action de bannir une famille.
Société des
Études
Océaniennes
440
—
104. Maoia
105. Marama
—
Entorse, foulure.
faaipa
...
Souffrance causée par une faute.
Lune qui se tient debout
par rap¬
port à ses cornes.
Personne qui garde
ses
rendez-
vous.
106. Nina
Recouvrir avec terre ou eau.
Enterrer un rapport déplaisant.
107. Oroau
Caverne enfoncée dans la terre.
Personne vorace et gourmande.
108. Paaamotu
Liane cassée de la racine.
109.
Arrangement rompu.
Etre entier, sans craquelure.
Etre ligué ensemble ; être
complet
Papaate
dans
une
branche de connaissan¬
ce.
110.
Papaatua
Une pile de plusieurs
parts.
Accumulation de crimes répétés.
Cordon ombilical malade.
Personne sans importance.
rau
111. Pitohaare
112.
Puaaipapati
Porc
qui mange une plante rempante appelée papati.
Personne attachée à sa résidence.
113. Puroto
Balle du jeu opoia.
Personne qui est l'âme d'une entre¬
114. Ravahine
Nom d'un célèbre
prise.
Déception
115.
Reiamaroura
imposteur.
sous un bon
prétexte.
Oiseau.
Personne qui mange rapidement.
Main droite de dieu, maladie sou¬
daine supposée infligée immé¬
diatement par la main du dieu.
Dispute et mauvais vouloir entre
116. Rimaatua
personnes.
117.
Ruruapaa
Nom de certaine
Fausse sécurité
118. Ruuruuiriamore
..
Se ceindre
corce
Faire
Société des
Études
avec
prière.
une
ceinture d'é-
de Burau.
un
arrangement défectueux.
Océaniennes
—
444
—-
Viser.
119. Tano
Diriger
son
sur un
objet.
Abîme, précipice.
120. Taoo
Rupture
temps de guerre.
en
Démêler.
121. Tatarahiro
Examiner
une
affaire à fond
Pierre du Marae
sur laquelle s'ap¬
puyait l'officiant en disant ses
prières.
Faire confiance à quelqu'un pour
122. Tiaturi
avoir du
123. Toreamatahere
esprit
secours.
Oiseau torea
...
chappe
Personne
qui est prudent et épiège.
prudente à qui on n'en
au
impose pas.
124. Tutuiavera
Incendier la montagne.
Celui qui excite cl es querelles.
125. Umuhonu
Four dans lequel cuit une tortue.
Quelque chose de délicat.
126. Uoa
Eclat de la lune ou du soleil.
Mort naturelle paisible.
127. Faaeva
Etre vain de ses habits.
Personne qui ne met pas
à la tâche.
Petite
128. Puora
mare
la main
dans le lit d'une riviè¬
qui a séché.
Un parent vivant qui reste le tu¬
teur d'un enfant marié à qui on
peut porter préjudice.
re,
129.
Faatuputupuatau
.
Longue patience maintenant à son
terme.
Expression prise de l'état de la mer
sur les récits qui semble calme
et qui vient briser tout à coup.
130.
Opoi
Brandon.
Homme
actif
dans
les
exploits
guerriers.
REY LESCURE.
Société des
Études
Océaniennes
~
442
Le Bénitier
—
(Pahua).
Légende de Raivavae.
La légende du bénitier
(pahua) me fut racontée à Raivavae
des hommes les plus âgés du district
d'Anatonu et Teoranaha du district de Rairoa.
par
Tehauturoa,
un
Un "Varua ino", sorte de génie malfaisant
Uaru, aborda
jour, il
qui s'appelait
très longtemps, à la nage, dans
l'île de Raivavae. Il venait de Tupuai, où il avait commis tant
de méfaits qu'il ne trouvait
plus sa subsistance, car on se
méfiait beaucoup de lui et toutes ses ruses étaient connues
et
un
y a
déjouées.
Il savait que les gens de Raivavae étaient
niaient le harpon de " aito " (bois de
forts, qu'ils
ma¬
fer)
avec une grande ha¬
bileté, que leurs filets étaient très grands et leur lagon
très
poissonneux.
Avec précaution, afin de ne rencontrer
personne, il aborda
non loin de l'îlot rocheux Hotuatua et il alla
dormir
un peu, au flanc de la
montagne, dans la brousse des " tuitui " (bancouliers) et des "fara"
la terre
faim le tenaillait et il descendit
(pandanus). Au réveil, la
le rivage.
vers
Après avoir traversé les champs de " taro " (arum), il ar¬
riva près d'une petite maison, non loin de la mer et il
enten¬
dit une voix de femme qui venait de cette maison.
C'était la voix de Maihiti,
et
jeune
jolie vahine qui habitait
mariage avec Terii, un jeune et vigoureux pê¬
cheur qui la rendait heureuse. Terii était
parti à la pêche, sur
là, depuis
son
le récif aux environs du " motu "
breux autres pêcheurs.
Maihiti disait
revenu.
sa
Il avait été
(îlot) Araao,
avec
de
nom¬
peine, car son " tane" (mari) n'était pas
désigné par le sort pour demeurer sur le
ipotu Araao et veiller sur le bassin creusé dans le corail
pour
y conserver les poissons perroquets et autres que les pê¬
cheurs avaient pris dans leurs filets.
Ces
poissons, pris
au
filet étaient réservés
Société des
Études
Océaniennes
aux
chefs ha-
—
443
—
pierres dressées qui ne devaient pas
de poissons blessés par le harpon.
En revenant, du motu. les pécheurs qui étaient joyeux parce
que la pèche avait été fructueuse et rapide, étaient venus
portera Maihiti sa part de poissons harponnés, lui avaient
dit que son tane avait été désigné par le sort, pour garder le
bassin aux poissons et l'avaient, même plaisantée sur son
veuvage momentané. Ils ne pensaient, pas queTerii qu'ils ai¬
maient bien tous, verrait, la mort de bien près au cours de
cette garde S'ils l'avaient pensé, ils n'auraient, certes pas
plaisanté à ce sujet.
Demeurée seule, la pauvre vahiné disait, sa peine et se la¬
mentait. tout en préparant son repas composé, de poissons
enveloppés de la feuille du '' t.i " et, de taro. Mais son cha¬
grin était, grand et elle n'avait guère faim.
Uaru. s.e cachant dans la brousse des " puraus " (hibiscus.)
et des ''rniri" (basilics), entendait tout ce. que.disait Maihiti
qui ne pouvait se consoler d'être privée de son cher tane.
Elle faisait, à l'absent les reproches les plus passionnés et
ne comprenait pas qu'il n'eût pas encore abandonné son
bitant des marae de
manger
la rejoindre et goûter avec elle les joies de
Elle reprenait sans cesse sa plainte et ses
reproches, de sorte que le varua ino était ainsi renseigné à
poste pour venir
l'amour partagé.
souhait.
Sans bruit, il s'éloigne et traverse
le chenal qui sépare la
grande terre du motu rocheux Hotuatua, au sommet duquel
il grimpe et se cache bien.
Alors il observa attentivement Araao et sa vue perçante
lui permit de distinguer le tane de Maihiti allongé sur la
plage, auprès de quelques tisons presque éteints, non loin
du bassin où grouillaient de nombreux poissons.
espérant que Terii s'endormi¬
mais il est probable que lui aussi regrettait la maison
et les bras de sa vahine et que ce désir le tenait éveillé, car
il ne dormait toujours pas.
Uaru attendit un moment,
rait
;
Le varua ino se
sans
demandait en vain comment il pourrait,
l'éveil aux gens de Raivavae, s'em¬
lutte, et sans donner
parer de tous ces beaux poissons et se
tre à l'abri dusoleil dans la petite grotte
sur
ïjotuatua et
régaler. Il alla se met¬
rocheuse qui se trouve
c'est là qu'il conçut le plan d'utiliser le don
Société des
Études
Océaniennes
—
qu'il possédait de
444
transformer
sa
—
figure et
sa
voix, à l'imita¬
tion des personnes
auxquelles il voulait ressembler.
Il modifia donc ses traits et sa voix
pour ressembler à Mai-
hiti, puis se rappelant bien tout
ce qu'il lui avait entendu dire,
Bientôt, vers la tombée de la nuit, il abor¬
da l'îlot Araao et, peu
après, il rejoignait Terii à qui il se mit
à faire toutes sortes de
reproches— « Pourquoi me délaissetu ? Pourquoi n'es-tu
pas venu ? Ton amour pour moi, n'est-il
pas plus fort que tout le reste? Vois, je rie
puis rester seule
et je suis venue sans crainte du " ma'o "
(requin) et du " patui " (autre poisson très
carnassier), pour te rejoindre ».
Dans notre maison, j'avais tant de
peine que je ne pouvais
manger. Maintenant que je t'ai rejoint, je suis bien heureu¬
se et
j'ai grand faim — Emu de ces tendres reproches, Terii
se précipite. Il
prend les plus beaux poissons du bassin, il
les apprête ; il donne une
première part à manger crue à sa
femme pendant qu'il fait cuire le reste. Elle
mange avec avi¬
dité, puis dit « j'ai faim encore. » Terii retourne au bassin,
apprête de nouveaux poissons, trois fois, sa femme rede¬
il
se
mit à la nage.
mande à manger, trois fois, il la satisfait.
Cependant, un
doute le prend devant un
appétit aussi subit et formidable.
Il observe mieux sa
femme, remarque ses membres énor¬
mes, puis il distingue, sous le " more "
(vêtement d'écorce)
une double
ligne de quatre " titi "
(mamelles)
et il comprend
terrifié qu'il se trouve en présence d'un de ces terribles
varua ino dont les anciens racontent,
les méfaits avec tant de
frayeur.
Alors,
sans que le varua le lui redemande, il retourne au
bassin, prend tous les poissons qu'il contient encore
et, sitôt
cuits, il les donne à Uaru. Cette fois, le varua ino est rassa¬
sié, il dit: « Ua paia roa vau » (j'ai assez
mangé) et il de¬
mande à dormir. Terii
s'empresse de le conduire au fare de
pandanus, abri des pêcheurs, et tout de suite, Uaru tombe
dans un profond sommeil.
Alors, sans perdre de temps, Terii prend le grand filet et
il en recouvre le fare
; il l'attache de toutes parts, puis allant
chercher des troncs de
pandanus, branchages, sable, blocs de
corail, il en recouvre la maison. Toute la nuit, il s'affaire
ainsi, espérant que le varua ne pourra se dépêtrer aisément
de cette prison et
qu'il aura le temps de fuir jusqu'à terra.
Société des
Études
Océaniennes
—
445
—
Lorsque l'aurore paraît, le varua s'éveille, il appelle le
gardien avec la voix de sa femme, mais Terii se garde de
répondre et s'enfuit. Le varua furieux, en voyant qu'il est
emprisonné, se met en devoir de se frayer un passage à tra¬
vers tous les obstacles accumulés. Libéré après un long
effort, il court au bassin, mais il est vide de poissons. Alors
il voit sur le sable la trace des pas de Terii et, réfléchissant
qu'il faut à tout prix qu'il l'empêche de faire connaître sa
présence aux gens de Raivavae, faute de quoi il ne pourra
plus duper personne et satisfaire son appétit, il se met à sa
poursuite.
Cependant Terii s'éloigne aussi vite qu'il le peut. De temps
en temps, il se retourne anxieux pour voir s'il n'est pas pour¬
suivi. Bientôt, il atteint l'extrémité d'Araao, à l'opposé du
fare où se débat Uaru. Il gagne à la nage, un premier motu
voisin, le traverse en courant, puis il en atteint un second,
puis un troisième. Mais il voit alors avec frayeur que le va¬
rua ino s'est délivré et qu'il court rapidement sur le rivage
d'Araao pour le rattraper. La peur l'aiguillonne, il traverse
encore un autre motu, encore un chenal et il aborde au motu
Uumiri. Uaru est déjà sur le motu voisin ; Terii n'a plus qu'un
seul espoir: atteindre au plus vite le fare de Uupa, un bon
varua qui habite sur le motu Uumiri une maison de pandanus gardée par de gros chiens. Jamais Uupa et ses chiens ne
font de mal aux pêcheurs qui leur donnent toujours une part
de leur pêche.
Cette fois, Terii a les mains vides, mais il court aussi vite
qu'il le peut vers le fare de Uupa.
Uaru est déjà sur le motu Uumiri, il gagne de vitesse le
pauvre Terii, bien fatigué, qui bute et trébuche dans les ra¬
cines de pandanus et les lianes. Uaru se rapproche de plus
en plus: il n'est plus qu'à vingt brasses de Terii bientôt,,
il n'est plus qu'à dix brasses, mais le fare est là tout proche
et la porte est ouverte. Dans un dernier effort, Terii appelle
à l'aide : « Hé ! Uupa, lâche tes chiens ! »
Il est grand temps : un chien paraît, comme Terii exténué,
prêt à tomber, franchit la porte et comme Uaru allonge le
bras pour le saisir. Heureusement, Terii est couvert de sueur
et la main de Uaru glisse, ses ongles ne saisissent et n'ar¬
rachent qu'un grand lambeau de la peau du dos de Terii.
Société des
Études
Océaniennes
—
446
—
Avidement, il la mange aussitôt, en disant: « Monamona
a'e nei to'u vaha. » (Ceci est doux à ma honche).
A peine Uaru a-t-il fini ces mots, que le grand chien bon¬
dit sur lui et, d'un coup de gueule, lui arrache avec une par¬
tie de
vêtement
son
et s'enfuit
un
de
ses
jusqu'à la plage
titi. Le
varua
hurle de douleur
laver sa plaie avec l'eau de
la mer. Mais il veut absolument prendre Terii ; le goût de son
sang l'a mis en appétit et il veut se rassasier de sa chair.
Trois fois de suite, il revient vers le fare, trois fois, il veut
saisir Terii réfugié dans un coin ; mais, chaque fois, le grand
chien l'attaque et chaque fois, après un court combat, Uaru
doit reculer après que le chien lui a de nouveau arraché une
pour
mamelle.
Enfin Uaru est forcé de renoncer à la lutte et fuyant Uumiri, il gagne à la nage le grand motu Vaiamanu. Il s'y endort
fatigué et, à son réveil, il voit sur le rivage une pirogue
amarrée et deux pêcheurs auprès d'elle. Il s'approche d'eux
qui, heureusement, connaissent déjà la terrible aventure de
Terii qui a pu rejoindre Raivavae. De suite, ils ont reconnu
le varua ino, mais ils ne laissent rien voir de leurs senti¬
ments et lui font bon accueil
lorsqu'il vient près de leur pi¬
qu'ils viennent de
rogue et qu'il prend et mange des pahua
recueillir.
^
Uaru trouve que cette
nourriture est bonne et il demande
pêcheurs comment ils l'appellent et comment il pourrait
s'en procurer par lui-même. Les pêcheurs lui disent que
cette nourriture est le pahua, qu'il y en a en abondance sur
le récif et qu'ils peuvent lui montrer comment il faut faire
pour en prendre. Ils le conduisent alors à un endroit du récif
où le corail est très dur et ils lui montrent, au fond de l'eau,
de nombreux et grands pahua. Ils lui disent qu'il vont, en
chantant, faire ouvrir ces pahua et qu'il n'aura, sitôt les pa¬
hua bien ouverts, qu'à plonger pour les atteindre, puis in¬
troduire ses deux mains entre les valves pour prendre les
chairs qu'il envie et dont il se régalera.
aux
Alors il
se
mettent à chanter
sur un
ton très doux et len¬
tement et les
pahua s'ouvrent l'un après l'autre, au son de
voyant cela, le varua ino plonge vers eux et in¬
troduit ses deux mains entre les valves du plus grand des
pahua. Aussitôt, les pêcheurs se mettent à chanter une chance
chant. En
Société des
Études
Océaniennes
—
Ml
—
élevé et tous les pamains de Uaru se trou¬
vent prises par le plus grand d'entre eux.
Il se débat furieusement pour se dégager, mais les pê¬
cheurs s'approchent et le transpercent plusieurs fois de leurs
harpons de aito. Uaru, le varua ino, meurt noyé et percé de
nombreux coups ; son esprit remonte à la surface de la mer
rougie de son sang, comme une grosse bulle qui se déchire
à toutes les pointes du corail. Et le maramu (vent du sudest) l'emporte très loin de Raivavae où on ne l'a plus jamais
son
saccadée et brève, sur un ton très
hua
se
ferment à l'instant : les deux
revu.
LHERBIER.
Société des
Études
Océaniennes
—
448
Dons pour
De M. le Médecin
Une très belle collection
—
le Mnsée.
Capitaine Mayrac :
d'objets mélanésiens anciens de
Nouvelle-Calédonie, comprenant:
2 linteaux de
porte, sculptés de lm76xOm65.
sculptées lm50 et lm70 de H.
poteau de case, sculpté lm30 de H.
fronde de fibres de banian et poils de roussette.
douzaine de pierres de fronde.
sac à balles de fronde, en fibres de banian.
hache en serpentine.
bracelet d'homme en coquillage poli.
collier de grelots en coquillage pour rythmer la danse
2 flèches faîtières de cases,
1
1
1
1
1
1
1
du
pilou-pilou.
De M. Eastham Guild
:
Deux
poissons remarquablement naturalisés et montés sur
bois :
espadon mesurant 2m60, poids: 180 lbs.
thon d'une espèce rare (Semathurus Guildi), long : lm50,
poids : 174 lbs.
de beaux supports en
1
1
De M. A. Taran
:
1 hache mélanésienne de
chef, montée
provenant de Nouvelle-Guinée.
avec
ornements,
Bibliothèque.
Don de M. Paul I. Nordmann
The Golden
:
Bough, by I. G. Frazer. Mac Millan C°. New-
York, 1943,
Société des
Études
Océaniennes
SOCIÉTÉ
BUREAU DE LA
M. E. Ahnne.
Président
Vice-Président
M. le Dl> ROLLIN.
Trésorier
M. A. Cabouret.
Secrétaire-Archiviste
M. P. I. Nordmann.
Assesseur
M. M. Rey-Lescure.
Assesseur
M. A. Poroi.
Secrétaire-Bibliothécaire-Conservateur du Musée Mlle Ahnne.
Pour être reçu Membre
membre titulaire.
de la Société se faire présenter par
un
BIBLIOTHÈQUE.
Le Bureau de la Société
informe ses Membres que dé¬
peuvent emporter à domicile certains livres de
Bibliothèque en signant une reconnaissance de dette en
cas où ils ne rendraient pas le livre emprunté à la date
sormais ils
la
fixée.
présentera la formule à signer.
Bibliothèque est ouverte aux membres de la Société
leurs invités tous les jours, de 14 à 17 heures, sauf le
Le Bibliothécaire
La
et à
Dimanche.
La salle de lecture est ouverte au
de 14
à
17
public tous les jours
heures
MUSÉE.
Le Musée est ouvert tous les
Les
à 17
jours, sauf le lundi de 14 à 17 h.
jours d'arrivée et de départ des
h.
Pour tout achat de
s'adresser
au
courriers : de 9 à 11 et de 14
Bulletins, échanges ou donation de livres
Président de la Société, ou au
Bibliothécaire du
Musée, Boîte 110, Papeete.
LE BULLETIN
l'impression de tous les articles
qui paraissent dans le Bulletin mais cela n'implique pas qu'il
épouse les théories qui y sont exposées, ou qu'il fait sien les
commentaires et les assertions des divers auteurs qui, seuls, en
prennent toute la responsabilité.
Aux lecteurs de former leur appréciation.
Le Bureau de la Société accepte
La Rédaction.
Société des
Études
Océaniennes
Société des
Études
Océaniennes
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 71