B98735210103_065.pdf
- Texte
-
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Bulletin
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DE
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11
o
0
Société
la
des
ÉTUDES OCÉANIENNES
IV" 65
TOME VI
(N° 4)
MARS 1939
Anthropologie
—
Ethnologie
—
Philologie.
WWWVWVWVW
Histoire
—
des
Institutions
et
Antiquités
populations maories.
Littérature et Folklore.
WWlV/WWWVi
Astronomie
—
Océanographie
—
Sciences naturelles
VWWWAAW/WVi
Tourisme.
Z MPRIMBRI S
A
DU
OOUVBRNE HINT
PftPEETE
(TAHITI)
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publiés dans le Bulletin, exceptés ceux dont l'au¬
ses droits, peuvent être traduits et reproduits
condition expresse, que l'origine et l'auteur en seront men¬
Les articles
teur
à la
réservé
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versée une fois pour toutes. (Article 24 du Règlement Inté¬
rieur, Bulletins N° 17 et N° 2q).
me
i° Le
Bulletin continuera à lui être adressé,
quand bien même
il cesserait d'être Membre résidant à Tahiti.
2°
modique somme assure à la Société un
supérieur à la cotisation annuelle de 30 fr.
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30 Le Membre à vie n'a plus à se préoccuper de l'envoi ou du
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de moins.
En
conséquence : Dans leur intérêt et celui de la Société,
a devenii Membre à vie:
sont invités
TOUS CEUX
qui, résidant hors Tahiti, désirent recevoir le
Bulletin.
TOUS LES
jeunes Membres de la Société.
TOUS CEUX qui,
quittant Tahiti s'y intéressent quand même.
DE
LA
SOCIÉTÉ D'ÉTUDES
OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
TOME VI
IV"
«5.-
(N°4)
1939.
M AH S
SOIMIIMI A. T IR.IE
Pages
Histoire.
Une
erreur
historique,
par
le D1' Rollin
Le Palais de la Reine Pomare, par
125
X
Lettre inédite du Général Riboui t, par
129
Kroepelien
...
134
Contribution à l'Histoire des Iles-Sous-Ie-Vent, par
Rey Lescure
141
Tourisme.
Quinze jours en montagne par J. et Y. Malardé (fin)...
152
Littérature.
Le Miroir de Vénus, par
168
I. P. Alaux...
Divers.
Bibliothèque
-
Dons et achats
Société des
Études Océaniennes
. .
169
IlIST'OiSH
rerar—
Une
ï,a
A
erreur
historique:
pscudo-" Pierre de Marchand'' de
une
Taiohae
Taiohae.
débarcadère de
monolithe d'envi¬
peut lire cette ins¬
centaine de mètres à l'Ouest du
se
dresse au bord de la plage un
trois mètres de hauteur sur lequel on
cription gravée dans le bronze:
Au nom du R.oy de France,
ron
"
le 23 Juin 1791,
ETIENNE MARCHAND,
Groupe Nord-Ouest
découvreur du
Marquises,
prit possession de l'île Nuku-Iiiva
Cet obélisque qui. jadis, servait de borne entre les deux
tribus Ilakapehi et Ikoelii de Taiohae a une double légende.
La plus ancienne, transmise de génération en génération,
affirme que. dans des temps très reculés, cette pierre fut
amenée pendant une nuit de l'île Ua-Pou et dressée sur son
emplacement actuel par des fourmis.
La seconde, datant du milieu du dernier siècle en a fait
la " Pierre de Marchand
D'après celle-ci ce serait sur ce
menhir, comme le dit l'inscription rivée il y a une dizaine
d'années, que le Capitaine Etienne Marchand aurait, en l'an
1791, placé une pancarte de prise de possession. Depuis l'oc¬
cupation française de 1843 la " Pierre de Marchand " est en¬
trée dans l'Histoire, probablement dans le but d'affirmer et
justifier à cette époque nos droits sur l'île de Nuku-Hiva.Malheureusement la simple lecture de la "Relation du
Voyage autour du Monde par Etienne Marchand" parClaret
Flaurieu d'après le Journal de Route du Capitaine Chanal,
second à bord du " Solide", (Paris, An VI de la République),
ouvrage devenu rare, nous révèle que jamais Etienne Mar¬
chand ne toucha terre en cette île et qu'il ignora sans-doute
longtemps l'existence même de Taiohae.
Le premier navigateur qui débarqua sur la plage du primdes Iles
Société des
Études
Océaniennes
—
126
—
cipal port marquisien fut l'anglais Ilergest, commandant du
"
Daedalus
qui leva le plan de " Anna-Maria Bay " (Taiohae)
après le pas¬
sage de Marchand dans le Groupe Nord-Ouest des Iles Mar¬
quises.
dans le courant du mois d'avril 1792, neuf mois
A la suite des
renseignements fournis par Lapérouse sur
possibilité de créer avantageusement un commerce des
pelleteries du Nord-Ouest canadien la Maison Baux de Mar¬
la
seille affréta dans
ce
but le brick le "Solide ', commandé
Etienne Marchand.
Ayant doublé le Cap Horn, le " Solide mouillait le 1.4 juin
1791 dans le port de la Madré de Bios (Vailahu, sur la côte
Ouest de l'île Tahuata), havre connu depuis Mendana (1595)
et qu'avaient ensuite fréquenté Cook en 1774 et Ingraham,
par
de Boston, un mois seulement avant Marchand.
La relation de Chanal (p.225) nous raconte comment Mar¬
chand découvrit le Groupe Nord-Ouest des Marquises :
Le
jour que le " Solide ", avait ancré dans la baie (de Vaitahu), le 14 juin, au coucher du soleil, par un temps des plus
clairs, on aperçut à l'horizon une tache fixe qui présentait
«
l'apparence du sommet d'un pic élevé et restait, à l'égard de
la baie, à l'Ouest-Nord-Ouest et Nord-Ouest-Ouest du Monde.
Le lendemain, à la même heure, l'horizon se trouvant de
même dégagé de vapeurs et l'air étant parfaitement diapha¬
ne, on releva la même tache dans la même direction que la
veille. On ne put pas douter que cette tache ne fut une terre ;
et comme aucune carte n'en indique dans cette partie, qu'au¬
cun voyageur n'en fait mention, ce ne pouvait être qu'une
terre inconnue, et l'on se proposa de la reconnaître ».
p. 229: « Le Capitaine Marchand fit voile, le 20 Juin à minuit,
de la baie de la Madré de Bios (Vaitahu) et se dirigea d'a¬
près le relèvement qu'il avait fait et qui lui indiquait la posi¬
tion d'une terre à peu de distance du Groupe des Mendoça
(Marquises-Sud). Au point du jour il eut la satisfaction de
découvrir dans le Nord-Ouest une terre haute vers laquelle
il força de voiles pour la reconnaître ».
Marchand découvrit ainsi l'île Ua-Pou qui fut appelée « Ile
Marchand » par ses officiers. Il débarqua le 22 Juin à Hakahetau et (p. 244) « crut devoir prendre possession, au nom
Société des
Études
Océaniennes
—
'127'
—
Française, de l'île dont il venait de l'aire la dé¬
possession qui entraînait de droit, dans l'opinion
celle des autres îles qu'il pouvait découvrir dans le
de la Nation
couverte,
reçue,
même parage ».
Continuons à suivre Marchand:
p. 240: « Depuis le moment où l'on eut
de la Baie du Bon-Accueil (Vaieo), la
doublé la pointe Nord
plus occidentale de la
côte de l'Ouest (de Ua-Pou), on aperçut clairement, à envi¬
ron neuf lieues de distance, une seconde île (Nuku-Hiva). En
même temps, on croyait voir, à une plus grande distance
d'autres terres et cette apparence ne varia point
pendant toute la matinée (du 22 Juin) ».
p. 250: « Vers quatre heures de l'après-midi on prit la bor¬
dée du Nord pour reconnaître la nouvelle terre qu'on avait
découvert sur cette direction. On louvoya pendant la nuit.
Le vent fut variable et de fortes rafales qui obligèrent de ré¬
sous
le vent,
duire la voilure occasionnèrent une dérive assez considéra¬
: ce contre-temps empêcha qu'on ne pût le
(le 23 Juin) s'élever assez dans le vent pour re¬
connaître la nouvelle terre d'aussi près qu'on se l'était pro¬
posé ».
p. 252: « On jugea que cette île (Nuku-Hiva) doit être fertile
et offrir un séjour agréable : on ne l'approcha pas d'assez
près pour savoir si elle est peuplée mais tout annonce
qu'elle doit l'être. Le Capitaine Marchand la nomma île Baux,
ble dans l'Ouest
lendemain
propriétaires du navire le " Solide
la rallier ;
et ne voulant pas perdre un temps précieux dans une recon¬
naissance qui n'eut pu que satisfaire la curiosité, sans pro¬
mettre aucun avantage, on fit route au Nord-Nord-Ouest. En
suivant cette direction on avait tout, à la fois pour objet de
reconnaître une autre terre moins considérable qui se pré¬
sentait entre le Nord Ouest-Nord et le Nord-Nord-Ouest, et
de découvrir avant la nuit un espace de mer libre assez éten¬
du pour qu'on put y louvoyer avec sûreté. On était pressé
de se rendre à la côte Nord-Ouest, de l'Amérique la saison
s'avançait et il n'était pas raisonnable de s'engager dans des
découvertes qui en portant le vaisseau sous le vent de sa
route, devaient allonger beaucoup sa navigation : ç'eut été
compromettre par un retard le succès d'une expédition dont
le commerce des pelleteries était l'unique objet ».
du
nom
des armateurs
Cette île était
trop au vent pour qu'on put espérer
Société des
Études
Océanienne
—
Continuant donc
sa
route
128
vers
—
l'Amérique du Nord, Mar¬
ilôts Motu-Iki qu'il
chand reconnut successivement les deux
appela les « Deux-Frères », l'île Eiao (île Masse) et
(île Chanal) du nom de ses deux lieutenants.
Ilatutu
et
l'inscription gravée sur la pseudo-cc Pierre de Marchand »
de Taiohae ne peut être désormais considérée que comme
l'expression symbolique de la prise de possession par la
France du Groupe Nord-Ouest des Iles Marquises, cérémo¬
nie que notre découvreur effectua réellement le 22 Juin 1791
sous les frondaisons du grand « tobua » de Hakahetau, en
l'île Ua-Pou, a 23 milles dans le Sud de Nuku-IIiva.
Il était bon qu'un de ceux qui contribua à propager la lé¬
gende de la « Pierre de Marchand » tînt à en redresser l'er¬
Jamais il n'eut l'occasion de revenir dans ces parages
reur. »
...
Dr Louis ROLLIN.
Société des
Études Océaniennes
'
—
129
—
Le Palais de la Reine Pomaré
Plusieurs journaux se sont l'ait l'écho d'un article paru dans
"Epoque" du 31 août 1937 intitulé : Le Palais de la Reine
sera-t-il classé monument historique...- De sordides
bureaux déshonorent l'ancienne résidence royale célébrée
par "LOTI".
Pour mieux justifier cette proposition de classement, à la¬
quelle on ne peut que se rallier, on ne saurait certes en vou¬
loir à l'auteur de l'article d'avoir recouru au mode lyrique
cher à LOTI et d'avoir quelque peu outré ses tableaux. Le
monument, propriété de la Colonie, a en effet été transformé
en bureaux, mais pas aux "croisées grillées", car il n'y existe,
donnantsur les vérandas, que des portes-fenêtres, etpas'sor¬
dides" au point que beaucoup de nos préfectures mêmes
pourraient tirer une certaine vanité de bureaux du Trésor
1
aménagés.
Quoi qu'il en soit, on aurait tort de pénétrer dans ce mo¬
nument "envahi et souillé par les barbares" afin d'y gémir
sur de prétendues profanations ou d'y venir rechercher le
cadre où se sont déroulées les scènes du Mariage de Loti ;
de même, ce serait une erreur de croire que le palais fut le
« cadeau d'un Roi
de France à une souveraine qui acceptait
aussi clairs et aussi bien
notre
protectorat ».
ni la Reine POMARE IV, ni même son fils et suc¬
cesseur le Roi POMARE V n'y ont effectivement résidé.
En effet,
Non, ce n'est pas sur son perron « qu'aimaient s'asseoir,
auxnuits defêtes, les Tahitiennes admises dans les jardins »;
le Trésor actuel n'est pas l'ancien « salon d'apparat » avec
capitonné de rouge surmonté du por¬
pied de la Reine ; ce n'est pas dans ce palais non plus
que pouvaient briller « les meubles de l'époque, dons gra¬
cieux du Roi LOUIS-PHILIPPE», car il ne fut jamais meublé.
au
fond le trône doré et
trait
en
Voyez d'abord le plan joint, dressé en 1876, un an par con¬
séquent avant la mort de la Reine. Le bâtiment où se dérou¬
lèrent les fêtes de l'époque de POMARE IV est en arrière du
palais actuel et il n'en subsiste, à l'heure présente, pas le
moindre vestige.
Mais la
méprise de l'auteur de l'article, généralement par-
Société des
Études
Océaniennes
—
130
—
tagée par les visiteurs, pose un point historique qu'il est in¬
téressant de préciser quant à la construction du palais.
Le 29
juin 1859 fut créée, par décision du Commissaire Im¬
périal de Tahiti, une Caisse, dite de la Heine, destinée à sui¬
vre la comptabilité de la « Liste civile » alimentée elle-même
par une taxe annuelle unique (1 fr. ou 2 fr. par sujet suivant
sa situation de famille). Vers 1857, la Reine avait fait savoir
à ses sujets qu'elle désirait se faire construire un palais ; aus¬
sitôt. des districts, commencèrent à arrivera Papeete les ma¬
tériaux nécessaires ; ce furent les prestations réglementaires
à l'époque qui fournirent d'abord la main-d'œuvre. Un ar¬
chitecte fut désigné en mars 1861 ; un crédit de 36.000 fr. ou¬
vert sur la Caisse de la Reine en janvier 1862. Les plans et
devis établis à cette époque fixaient la dépense totale à
100.000 francs.
En 1866.
civile
«
un
pour
la Reine
l'impôt de la liste
aider à l'achèvement du Palais de Sa Majesté
texte augmenta légèrement
».
impôt de la liste civile disparut avec le protectorat,
lorsqu'en 1880 POMARE V fit don à la France de la souve¬
raineté pleine et entière des archipels de la Société dépen¬
Cet
dant de la couronne de Tahiti.
Mais, en cette année 1880, soit 3 ans après la mort de la
Reine POMARE IV et l'avènement de son fils le Roi POMA¬
palais élait loin d'être achevé. Aussi une clause
comportait, vis-à-vis du Roi,
l'engagement pris au nom de la France par le Commissaire
de la République de faire terminer le plus tôt possible la
RE V, le
annexe
de l'acte de cession
construction.
Toute
une
correspondance entre le Gouvernement local et
le Ministère de la Marine,
au cours
des années "1881 et 1882,
traite des crédits
nécessaires pour ces travaux. Ceux-ci
avaient été menés si lentement et, probablement aussi, avec
une telle intermittence que dans les devis de l'époque il est
question autant de
verneur
«
réparations
» que
bre 1881. Nouvelle évaluation en
fr.
en
d'achèvement. Le Gou¬
DES ESSARTS sollicite à cet effet 40.000 fr. le 12 octo¬
raison de 1'
«
abandon
Société des
»
où
Études
juin 1882 s'élevant à 50 000
a été laissé le palais. Les
Océaniennes
—
travaux sont
m
-■
repris le 6 août ,1882 et ne prévoient outre la
consolidation du gros, œuvre, aucune dépendance, grille,
embellissement et aucun ameublement. Et cependant la dé¬
pense atteindra 77.335 fr., en dépassement
les crédits ouverts par le Département.
de plus 37.000 sur
quelques appréhensions que M.
qui, devant l'o¬
bligation de liquider en môme temps certaines dettes de feue
la Reine, s'était refusé à déléguer plus de 40.000 fr.
Mais le Gouverneur, pour exécuter l'engagement de 1880,
crut devoir pousser activement les travaux.
Le résultat.eu fut consacré par l'échange des lettres sui¬
vantes datées du 21 juin 1883 :
Ce n'est du reste pas sans
DES ESSARTS
rendit compte au Ministère
en
A Sa Majesté
N° 143
le Roi POMARE V
Papeete.
Sire,
«
J'ai l'honneur de remettre entre les mains de Sa
désiré l'achèvement et qui est
Majesté,
terminé
«
le Palais dont elle
«
aujourd'hui.
« Je désire
qu'il perpétue dans les âges les plus lointains
le nom des POMARE et le souvenir, qui sera toujours cher
aux Tahitiens, du jour de leur réunion à la France ».
«
«
a
DES ESSARTS.
Au Gouverneur des Etablissements
français de l'Océanie
Monsieur le Gouverneur,
«
«
satisfaction la nouvelle de l'achèvement
Royal et je vous prie de transmettre l'expression
gratitude à M. le Président de la République et à M.
J'ai reçu avec
du Palais
«
de
«
le Ministre de la Marine.
«
voulez bien faire pour ma
personnellement des vœux que vous
famille ; je suis heureux de l'avoir
placée avec mon peuple dans les mains de la France ».
«
«
ma
Je
vous
remercie
POMARE V.
procès-verbal de remise fut enregistré à laConservation
Hypothèques, au Registre de transcription des actes de
mutation immobilière, volume 18, numéro 124.
Le
des
Société des
Études
Océaniennes
—
132
—
copie de ces pièces au Département de la
Marine, le Gouverneur écrivait le 17 juillet 1883 :
En transmettant
«
....
Je
me
permettrai d'appeler de nouveau votre bien-
«
veillante attention
«
d'ameublement
«
Le
«
de la toiture et l'achat, d'un mobilier de rez-de-cliaussée,
«
que
«
toute la valeur de l'œuvre que nous venons
Il
sur
l'état, des travaux de 2me urgence et
qui était joint à ma lettre du 14 mars 1883.
Roi a insisté plus particulièrement sur le remplacement
je dois
ne
signaler comme nécessaires pour donner
de terminer. »
donné alors suite à cette proposition ; le bâti¬
vous
fut pas
ment demeura en l'état. En 1938 l'Administration locale pro¬
céda à d'importantes réparations pour
et consolider le belvédère.
A la mort du
refaire la charpente
Souverain,
survenue le 12 juin 1891, la suc¬
très difficile à liquider et une foule de ques¬
tions litigieuses furent soulevées par les héritiers ou ayants
droit. C'est dans ces conditions que le tuteur des mineurs
POMARE V ayant été amené en 1897 à offrir à la Colonie la
cession du Palais, le Gouverneur GALLET ne put donner
suite à cette proposition, en raison, précisément, des reven¬
dications élevées sur la propriété du terrain où s'élevait le
cession apparut
Palais.
Après arrangement intervenu entre les héritiers, le sol et
la
construction, mis
en
vente à la barre du Tribunal, furent
acquis le 16 octobre 1900 par un négociant de Papeete au
prix de 60.050 fr. Celui-ci en fit une rétrocession le 23 no¬
vembre 1900 à la Caisse Agricole pour le prix de 64 136 fr.
et par acte en forme administrative, la Colonie en devint à
son tour propriétaire le 23 août 1901.
Voici donc l'histoire de ce Palais. Si cette rapide reconsti¬
tution historique le dépouille de certaines évocations poé¬
tiques qu'on y voudrait rattacher, il n'en résulte pas moins
que, par son architecture qui en fait une des parures de Pa¬
peete et par tout ce qu'il évoque d'une période saillante de
l'histoire du pays, il mériterait son classement comme mo¬
nument historique.
X.
Société des
Études
Océaniennes
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2.§1
—
C
—
D
Lettre de P. F. Ribourt.
Aide de
Camp du Gouvernent' de Tahiti ( 1 84ÎJ).
La lettre
originale achetée à Londres, il- g a quelques années,
fait partie de la collection de notre Sociétaire, M1' IL Kroepelien, d'Oslo, qui a bien voulu nous autoriser à la publier
(Note de la Rédaction).
Papeete, 28
mars
1848.
Mon cher Monsieur Bouillon,
N'attribuez
long silence à votre égard ni à l'indiffé¬
des lettres de ma famille
que votre santé et celle de madame Bouillon étaient géné¬
ralement bonnes, j'apprenais vos succès à l'instruction pu¬
blique : vous pouviez aussi grâce à mon père ou à mon frère,
me suivre dans ma vie errante, et connaître toutes mes aven¬
tures. Ma paresse s'accommodait assez de ce mode de cor¬
respondance. Maintenant ma famille est à Clamecy. Aleuri
est en route pour St Pétersbourg, s'il n'y est déjà arrivé, je
n'ai plus aucun moyen de savoir de vos nouvelles que de
mon
ni à de l'oubli. Je savais par
rence
vous en
demander à vous-même.
—
Serez-vous
assez
bon
prendre quelques fois un peu de vos loisirs et me dire
que devient ce monde où vous vivez et ce que vous y de¬
pour
ce
Et en vérité ce sera faire une œuvre de charité en
même temps qu'un sacrifice affectueux. — L'absence de nou¬
velles est le côté le plus triste de notre position. Sans cela
venez.
on
—
attendrait presque patiemment la tin de son exil au milieu
des
occupations sans nombre de chaque jour, mais il y a un
peine mes plus fraîches lettres étaient de février 1847.
Une année de date cela est trop - convenez-en - et la patien¬
ce peut échapper aux mieux doués. —Enfin un bâtiment est
venu de Brest m'apporter une douzaine de lettres de toutes
dates.
Cela m'a fait grand plaisir, sans doute, mais ne m'a
pourtant pas dédommagé de toutes mes inquiétudes pas¬
sées.
J'aimerais recevoir moins et plus souvent et ne pas
être obligé de me mettre si souvent en frais d'imagination
pour inventer des causes probables à tous ces retards. —
mois à
—
—
Vous
savez
certainement toutes les choses de Tahiti par
Société des
Études
Océaniennes
les
lettres que j'ai écrites à ma famille ; je ne vous ennuierai
donc pas des mêmes détails. Et puis, toutes ces habitudes
si différentes des nôtres, tous ces usages qui me frappaient
si fort à
mon
arrivée, tout cela m'est devenu tellement fami¬
lier, qu'il me semble que personne maintenant ne
doit s'y
plus que moi. —Tahiti d'ailleurs aujourd'hui
n'est-ce pas l'Europe, moins toutes ses horreurs pourtant. —
Quand je lis vos journaux et que je regarde autour de moi
ce peuple si simple, si doux, si bon, je me demande de quel
côté sont, les sauvages et si la vertu ne s'est pas venu réfu¬
gier ici avec nous ? Je ne sais que vous dire de moi et de ma
vie ici : elle est devenue des plus monotones quoique des
plus occupées. Vous savez que j'ai trouvé dans le gouver¬
neur non un chef mais un ami, et dans sa famille presqu'une
intéresser
non
famille.
Ma
tions
En
ce
position ici était très délicate : il m'a rendu mes fonc¬
plus faciles et plus agréables que je n'osais l'espérer. —
moment,
nous
faisons des lois. Nous avons, comme
notre chambre des députés ; nous avons eu notre séan¬
ce royale, et nous avons nos discussions de chaque jour.—
Vous verrez tout cela je suppose un jour dans vos journaux
de France.
Cela vous paraîtra bien ridicule, mais peutêtre nécessaire. — Nous avons bâclé déjà une vingtaine de
lois bien inexécutables à mon sens, mais qui pourront ser¬
vous,
—
d'épouvantail pour le présent et de jalons pour l'avenir.
vous étonnerez peut-être de ce que j'avais à faire, moi
pauvre aide de camp, dans cette cuisine législative. Je jouais
tout simplement dans la pièce le rôle de commissaire du roi :
je défendais des opinions qui n'étaient pas souvent les mien¬
nes, je m'essayais en un mot au rôle de député, pour le cas
où il viendra un jour à l'esprit de mes concitoyens, ce qu'à
Dieu plaise, qu'il y a en moi matière à faire un-grand homme
de cette espèce.
L'école n'est pas ici après tout si mauvaise que vous pour¬
riez le croire.
Ce peuple est naturellement et bien réelle¬
ment éloquent: les discours que j'entends' m'étonnent sou¬
vent par leur adresse et leur profondeur, toujours par leur
convenance. Vos illustres auraient souvent beaucoup à ap¬
prendre des nôtres et feraient rarement mieux. — Je com¬
mence à comprendre ce langage si différent des nôtres en
vir
Vous
—
Société des
Études
Océaniennes
—
136
—
Europe : je serai certainement un des habiles quand je devrai
quitter Tahiti. Je saurai mon île à fond, habitudes, mœurs,
besoins, langage, tout. Si le gouvernement veut être sage, il
de deux grosses
épaulettes les épaules de votre ser¬
viteur et il me renverra
ici faire le bonheur de ce pauvre peu¬
ornera
ple qui mérite bien vraiment qu'on lui fasse le sacrifice de
quelques années de vie... à 60 mille francs par an. Après les
lois viendront les voyages : c'est là le beau côté de ma posi¬
tion, à mon gré. — Six mois de navigation n'ont pas encore
éteint
ma
soif de tout voir, de tout
connaître.—Nous ferons
écoles et à couronner des
rosières. Croiriez-vous que dans cette île que vous appelez
sauvage parce qu'elle est presque à vos antipodes et que ses
habitudes ne sont pas les vôtres, sur 12 mille habitants, il y
en a 10 mille au moins qui savent lire et écrire. Que la Fran¬
ce pays des lumières et des pommes de terre frites —
ce
comme dirait Macaire, en offre donc autant. — Nous n'avons
pourtant pas encore de ministre de l'instruction publique. —
Après Tahiti nous visiterons les Paumotous, que vous trou¬
vez sur la carte sous le nom d'Archipel dangereux: c'est en¬
core là de nos dépendances, c'est aussi le théâtre de mes ex¬
ploits passés, comme vous l'avez sans doute appris. C'est
ma campagne d'Italie à moi et vous devez vous estimer heu¬
reux que je ne sois pas ce matin en disposition de vous la
Nous irons voir ensuite les Iles
conter une nouvelle fois.
sous-le-vent qui sont les îles de l'archipel de la Société autres
que Tahiti.— Autrefois Pomare régnait souveraine unique sur
tout ce groupe. — Lors de la guerre, elle imagina, à l'instiga¬
tion de l'Angleterre d'en denier le gouvernement, croyant
soustraire ces îles à notre domination. L'Angleterre là-dessus
de faire déclarer leur indépendance et la France de la recon¬
naître avec elle: Aujourd'hui Pomare se mord les ongles et
voudrait bien ravoir ces très beaux fleurons de sa couronne
mais il est trop tard. Après Raiatea, Huahine, Borabora nous
irons peut-être voir encore les Marquises, notre première
possession dans ces mers. Cependant il est plus probable
qu'il n'en sera pas ainsi et que cette dernière excursion sera
remise à l'année prochaine. C'est pourtant à mon avis une
des plus intéressantes à faire. Les Marquisiens sont encore
les hommes de la nature. Seuls de ces mers, ils ne se sont
d'abord le four de l'île à élever des
—
—
Société des
Études
Océaniennes
—
137
—
pas encore effacés au frottement de
ont conservé leur ïmpreinte originelle
vertus.
—
Ils ont
eu
la vie civilisée. — Ils
et leurs vices et leurs
le bon sens de comprendre
qu'ils gagne¬
et comme ils n'ont pas beau¬
coup à perdre non plus, nous ne nous sommes pas beaucoup
obstinés, contre leurs rochers pittoresques mais pauvres. Ne
jugez pas à toutes ces phrases que je suis devenu sauvage
moi-même, que je cours les champs en ceinture de feuilles
et que je fais mes délices d'un repas de chair humaine, mais
j'admire, j'aime ce qui est bien, partout où je le trouve : et
n'en déplaise à notre amour-propre européen, aux échantil¬
lons de notre civilisation qui peuplent ces îles, je juge sou¬
vent que le beau côté est celui des sauvages. — J'attends
impatiemment l'arrivée d'un bâtiment qui doit nous appor¬
ter des nouvelles fraîches. Peut-être m'annoncera-t-il que
mon frère Amédée est en route pour me venir joindre à Ta¬
hiti. Ce sera pour moi un beau jour que celui où je pourrai
lui offrir la moitié de mon bien-être. J'habite en ce moment
une délicieuse case, l'une des plus jolies de Papeete sans
contredit. Je voudrais que vous puissiez la connaître : un nid
perdu dans les orangers et les bananiers où je voudrais être
libre de passer tout mon temps à rêver dans mon hamac..
C'est là que nous parlerons ensemble de ceux que nous ai¬
mons. J'ai longtemps attendu cette jolie case que je n'occu¬
pe que depuis une vingtaine de jours. Jusqu'ici j'étais resté
au gouvernement, mais voici qu'un beau jour arriva une
grande Anglaise à la recherche d'une famille et d'une .posi¬
tion sociale, c'est-à-dire d'un mari. —Cette demoiselle est
la fille du capitaine Dillon que vous connaissez certaine¬
ment, la même qui inventa autrefois La Pérouse sur les ro¬
chers de Vanikoro, et que vous avez pensionnée pour ce¬
la.
Le père mort d'un nombre illimité de bouteilles de
Champagne, la fille s'est mise en route cherchant fortune à
raient peu à notre commerce
—
le
pouvoir de ses charmes. Jusqu'ici l'exhibition de sa per¬
sonne n'a pas produit grand effet et elle répète ici les mê¬
mes expériences en attendant une occasion d'aller tendre
ses filets plus loin si personne ne veut s'y laisser prendre.
Le gouvernement en sa qualité de protecteur naturel de
son
tour et s'arrêtant
toutes les infortunes a
partout sur son passage à essayer
offert un asile à cette
Société des
Études
Océaniennes
intéressante or-
pheline et voilà comment
chambre est devenue celle de
dispersés à tous les coins
du globe et Dieu sait maintenant quand nous serons réunis
ailleurs que dans l'éternité. — N'est-ce pas, monsieur, une
triste chose que cet isolement que les années creusent autour
de nous? Je suis effrayé quelquefois quand j'y songe, de
l'avenir de vieux garçon qui s'ouvre devant moi. Que faitesma
Miss Dillon. Nous voici désormais
maintenant dans votre Paris, car
je crois que vous avez
quitté les Tbernes? Comment supportezvous ces alternatives de froid et de chaud,
de pluie et de
soleil auxquelles j'ai dû tant de rhumes autrefois. —Ici nous
grillons éternellement ce qui a ses avantages, mais aussi
quelques inconvénients. Le soleil qui tout à l'heure nous
passait sur la tète, s'éloigne maintenant et va vous porter un
peu de la chaleur qu'il nous prodigue si libéralement. — Vous
allez commencer à ouvrir vos fenêtres en attendant que les
feuilles poussent aux arbres et que vous puissiez aller vous
promener sous les ombrages des Champs-Elysées. — Je
voudrais pouvoir vous rapporter quelques-uns des beaux
orangers qui m'abritent du chaud, avec un peu du soleil qui
les fait vivre.
Votre nouvelle position à l'instruction pu¬
blique vous donne-t-elle un peu plus de repos que je ne vous
en ai vu? Vos procès ont-ils pris ou sont-ils près de prendre
fin. Tout s'est-il arrangé à vos souhaits et suivant la justice?
vous
bien absolument
—
Votre
jésuite d'adversaire a-t-il fini par se faire moine quel¬
expiation de ses péchés? Le général Merlin faitil de l'éloquence à la Chambre? Et à propos de lui, si vous le
voyez quelquefois, dites-lui donc qu'il serait bien aimable
de dire un mot à la guerre qui fit changer mes épaulettes de
capitaine en celles de chef d'escadron. Voici tantôt neuf ans
que j'ai les mêmes et elles commencent à s'user. Le Gouver¬
neur a fait pour moi toutes sortes de propositions les plus bien¬
veillantes du monde et il les renouvelle tous les jours, mais si
elles ne sont pas appuyées, je cours risque de les retrouver
que part en
à
mon
retour dans les cartons de la marine ou dans
la guerre.
ceux
de
Les absents ont tort, dit-on ; il serait juste ce¬
pendant qu'un exil comme celui-ci avançât au moins de deux
ou trois ans
mon exaltation. I.e général Merlin peut cela
mieux que personne maintenant : il 11'a qu'à ameuter toute
la Chambre à mon intention ; tout ira, selon ce que je désire.
—
Société des
Études
Océaniennes
—
150
-
cher monsieur Bouillon : je vous demande par¬
jeter mes hiéroglyphes au travers de vos
sérieuses occupations, mais vous èles bien je crois habitué
un peu à lire toutes les écritures et le témoignage d'une af¬
fection sincère, est bon à recevoir, ce me semble, de quelque
coin du monde qu'il arrive. —
Retournez-moi donc à votre tour un pareil nombre d'hec¬
tares d'écritures bonnes ou mauvaises, je vous promets de
ne pas regarder à la plume. — Faites agréer à Madame
Bouillon l'expression de mon bien affectueux et sincère at¬
tachement.
Rappelez-moi au souvenir des quelques per¬
sonnes que nous connaissons tous deux et qui voudraient
bien y attacher quelque prix et acceptez pour vous une bien
franche et bien cordiale poignée de main.
Adieu,
mon
don d'être
venu
—
Tout à
P. F.
NOTE
DE
M.
vous
de
cœur,
RIBOURT.
KROEPELIEN
PIERRE FELIX RIBOURT
Né le 17 novembre 1811. Entré à l'Ecole Militaire de St.
Cyr le' 20 novembre 1831.
Nommé Capitaine le 18 janvier 1840.
Embarqué à Brest à bord de la frégate "La Sirène" 12
novembre 1846. Débarqué à Tahiti le 23 mai 1847. A Tahiti,
du 23 mai 1847 au 31 décembre 1849 comme Aide de Camp
du Gouverneur. Un "Mémoire "daté: Papiiti 1848'probablement avril) dit de Ribourt:
« Il a
commandé la colonne expéditionnaire que j'ai en¬
voyée (4 août 1847) sur le " Gassendi" faire le débarquement
aux iles Barclay de Toi 1 y et Volowschi, dans l'archipel des
Pomutoo, afin d'obtenir satisfaction des peuples qui avaient
quelque temps avant massacré l'équipage de la goélette
française "La Sérieuse". S'étant rendu maître de la popula¬
tion, il a usé de générosité et s'est fait remettre les coupables
qui ont été conduits à Taïti, jugés et exécutés ».
Société des
Études
Océaniennes
Le Gouverneur Lavaucl recommande à
plusieurs reprises
qui est « doué d'une instruction solide et du carac¬
tère le plus honorable » et dit en le recommandant pour le
grade de chevalier dans l'ordre de la Légion d'Honneur dans
une lettre datée Papeete le 21 janvier 1848 :
Ribourt
« Cet
officier, qui a fait l'expédition aux. îles Barclay de
Tolly, a préféré faire mettre bas les armes à la population
sans faire feu, que de brûler de la poudre et faire beaucoup
de bruit pour n'obtenir que le même résultat. De la part d'un
militaire, cet acte a bien son courage et cette conduite mérite
récompense ».
A
et
son
retour Ribourt sert d'abord
au
Ministère delà Guerre
puis en Algérie.
Il fut nommé Général de
Brigade le 12 août 1864.
Décédé à Paris, le 3 février 1895.
Il
a
publié
un
article dans
:
1°) La Revue coloniale, Tome IV Janvier-Juin 1850 sous le
Etablissements Français de l'Océanie. Etat de l'Ile
pendant les années 1847,1848.
2°) Bullethi cle la Société de Géographie, Tome XVI JuilletDécembre 1878 sous le titre: Observations Géologiques sur
Tahiti et les îles basses de l'Archipel des Paumotus.
titre:
Taïti
Société des
Études
Océaniennes
CONTRIBUTION A L'HISTOIRE DE L'INSURRECTION
DES ILE S-SOUS-LE-VENT
1846-1897
principaux événements qui ont marqué ce que l'on a
appelé l'Insurrection des Iles-Sous-le-Vent, ont été rappor¬
tés, entre autres, par Eugène CAILLOT dans son livre bien
connu "Les Polynésiens orientaux au contact cle la civilisa¬
Les
tion
il l'explique, sont tirés d'une sor¬
journal tenu par les différents officiers qui se sont suc¬
cédés à Raiafea, mais ils ne relatent que la fin de l'insurrec¬
Ses documents, comme
te de
tion 1894-97.
Celte insurrection
rait intéressant de
durait depuis plusieurs années, et il se¬
savoir ce qui s'est passé avant: quelle
politique de la France et pourquoi une annexion brus¬
quée si tardive ?
Dans les papiers laissés par feu le pasteur Charles Viénot,
un des personnages
les plus marquants de Tahiti à cette
époque, nous avons trouvé une correspondance échangée
avec M. Georges Alby, Administrateur des Iles-Sous-le-Vent,
qui relate les événements qui ont précédé l'annexion. Nous
avons aussi trouvé divers renseignements et des copies de
documents qui vont de 1879 à 1890, et même un, assez cu¬
rieux de 1895 dans une lettre de Me Goupil, projetant l'am¬
bassade de Ta fi Salmon chez les rebelles.
On sourira aujourd'hui peut-être de ces événements qui
étaient pourtant graves pour l'époque ; on y assiste à toutes
sortes de compétitions : France contre Angleterre, gouver¬
fut la
neurs
contre gouverneurs,
inertie des bureaux, civils contre
français de faire
quelque peine à l'Angleterre, caractéristique du règne de
Louis Philippe, etc... Rien de très palpitant mais intéressant
pour ceux qui veulent comprendre les événements à travers
l'histoire, c'est dans ce but que nous publions les documents
les plus intéressants et que nous les offrons aux lecteurs du
militaires et
marine, peur du Gouvernement
Bulletin des Etudes Océaniennes, pour
qui rien de ce qui est
polynésien ne doit rester étranger.
Société des Etudes Océaniennes
—
m
—
Pour ceux qui ne connaissent pas le livre de M. Eugène
Caillot résumons brièvement les événements.
La France avait le protectorat de Tahiti depuis 1843. L'ar¬
chipel voisin des lies Sous-le-Vent, était il compris dans le
protectorat? (Raiatea-Taliaa, Huahine, Borabora). La France
le revendiquait; l'Angleterre le lui refusait en 1845, et ni
pouvant se charger de cet archipel le voulait indépendant.
Les partisans de la France se trouvant maltraités, le capi¬
taine de vaisseau Bruat en prit prétexte pour opérer une des¬
cente à Iluahine
en
1846. Sa tentative insuffisamment mûrie
échoua; il pensait terminer de cette manière la question de
l'indépendance, il ne le put pas et son échec ne l'ut pas ré¬
paré. :
Les deux gouvernements français et anglais continuaient
de discuter en Europe la question de l'Indépendance. Louis
Philippe, termina le débat par la déclaration dite "de Jarnac"
du nom de notre ambassadeur à Londres, du 19 juin 1847 qui
garantissait l'indépendance. Des troubles sanglants eurent
lieu dans l'archipel entre partisans de la France et de l'An¬
gleterre, les indigènes livrés à eux-mêmes demandèrent l'ai¬
de de Tahiti, mais la France fidèle à ses engagements s'abs¬
tint d'intervenir ; mais lorsque le navire de guerre allemand
"le Bismark" tenta de tirer la couverture de
France s'émut et consentit à venir
En 1880
un
en
aide à
son
ses
protectorat provisoire fut établi,
coté, la
partisans.
sous
réserve
de l'annulation de la déclaration de Jarnac.
L'Angleterre pro¬
testa contre ce protectorat et ne consentit qu'en octobre 1880
à un protectorat provisoire renouvelé de 6 mois en 6 mois,
jusqu'à conclusion d'un arrangement entre les deux pays.
En 1887 seulement l'arrangement fut conclu et le traité de
1847, annulé le 16
mars
1888 les Iles-Sous-le-Vent étaient tou¬
tes, ainsi, que leurs dépendances, placées sous la souverai¬
neté de la France.
La
prise de possession n'avait pas suffi à rendre le calme
îles partagées entre partisans des deux pays aidés par
des étrangers pour la plupart ; les rebelles ne reconnaissaient
pas la domination de la France. Les partisans français se
nommaient les "piri farani ", les autres étaient désignés sous
le nom de "terau.pist.es" comme appartenant au Chef Teraupoo qui était l'âme de l'insurrection. Celui-ci retiré dans la
à
ces
Société des
Études
Océaniennes
443
—
—
vallée d'Avera narguait toutes les tentatives conciliantes de
la France qui voulait éviter l'effusion de sang. Les choses
durèrent ainsi
pendant 10 ans, jusqu'au jour où le gouvernervoyant pas de fin à cette insurrection décida d'en fi¬
nir. Une intervention armée eut lieu en 1896. Les partisans
de Teraupoo qui n'étaient que des rebelles furent battus et
mentne
leur chef exilé à Nouméa.
L'insurrection des lles-Sous-le-Vent était terminée.
REY LESGURE.
#
*
#
Teneur du traité d'amitié passé entre le navire de guerre
allemand "Bismarck " et le Gouvernement des îles Leeward
(Ues-Sous-le-Vent).
C'est
ce
à
traité, qui n'était qu'un projet, qui poussa la Fran¬
accepter la demande de secours de ses partisans, aide
ce
qu'elle avait d'abord refusé.
Reported ténor of a proposed Treaty between the German
on the one part and the Govermént ol the Lee¬
ward Islands on the other part. Proposed by the Captain of a
German Sliip of war called the "Bismarck " which visitée!
those Islands during the month of April 1879.
Government
1
The peace between the Government of Germany and the
Government of Raiatea and Tahaa be maintained for ever.
2
That German
or
sliips of war be allowecl lo anchor at any port
place at Raiatea or Tahaa, to take in water, to purfood, or to repair ship if damaged, in accordance witli
other
chase
the law of the land.
That German merchant
sliips be permitted to enter any
port opened by the law of the land and that Lliey be allowed
to transact business alike with foreigners and witli natives
with out restriction, but no spirits sliall be sold.
Société des
Études
Océaniennes
3
Thafc
no new
may call al. tlie
be respected.
additional charges be laid upon
ships which
ports, but the charges new in existence shall
4
subjects shall no be maltreated but the y sliall
emjoy the privilèges accorded to subjects of every other na¬
Tliat German
tion.
5
That if any German sailor shall
such sailor shall be souglit for and
abscond from the ship,
and his captain pay the
expenses.
6
Subject shall be banished for any crime
or his représentative shall have
heard the Charge brought against him in the Court, and then
the Consul, or his représentative, shall, wicth the judge dé¬
That
no
German
until the German Consul
cidé the
case.
following is M. Barff's translation into English of the
just above cited.
No German can be banished forliaving commited crime ;
but the Consul or lie wlio represents him must know of that
crime lie is accused before the Court and Ihen the affair is to
be arranged between himself and the judge
M. Barff is the Senior officiai Interpréter of the Govern¬
The
nalive t.ext of the clause
"
ment. #
oopie concernant l'île de Huahine dit ceci :
Uns autre
Copie présumée du traité de Iluahine conclu avec les Al¬
lemands par M. Barff, Ministre anglais. (Titre en français)
Articles identiques à ceux concernant le traité deRaiatea,
mais l'article G est ainsi conçu :
*
Dans la marge
Raiatea by myself
tish Consul.
on trouve
J. L. Green,
Société des
cette note : Tahitian text sent from
a copy of letter supplied to the Bri-
Études
Océaniennes
6
Tliis trenty
is in force from this date.
Iiuahine the 28 Lli of April of tlie year 1879.
Signed :
Reinshards
Tehaapapa.
(Bismarck).
Gustave Godeffrov.
Tehe ura.
Randelh
Manuri.
(illisible).
Raiheavi.
Tarahia.
Vu
copie conforme : le Commandant :
Notes
sur
signé, Planche.
rétablissement du Protectorat
sur les Iles Sous-le-Vent. *
Français
16 mai 1881.
Les Iles
Sous-le-Vent, branche de la famille
taliitienne séj
parée du tronc par le traité de 1847 comprend 3 petits royau¬
mes indépendants également jaloux de leur autonomie : Raiatea et Tabaa, les plus importants, Iiuahine et 2 autres îles,
puis Borabora et quelques petites îles.
Par le traité de 1847 la France et l'Angleterre s'engageaient
à ne jamais s'emparer de ce groupe d'îles, celui que Cook a
réellement appelé Iles de la Société.
Tout membre de la famille royale de Tahiti qui accepterait
l'une de ces couronnes perdrait ses droits à la couronne de
Tahiti.
but inavoué de protéger les
protestants des attaques des prêtres auxquelles
ceux de Tahiti venaient de succomber. C'était la réponse de
l'Angleterre à notre politique catholique en Océanie ; sans
cette politique de parti toute l'Océanie orientale nous appar¬
tiendrait aujourd'hui. L'histoire de cette politique devrait
être écrite, elle révélerait de tristes desseins. Les Allemands
avec le flair qui les distingue n'ont pas manqué de remarquer
Ce traité ridicule avait eu pour
insulaires
les Iles Sous-le-Vent.
*
Ce document manuscrit
Société des
n'est pas signé.
Études
Océaniennes
—
146
—
A la face du Commandant Planche,
ils
qui n'avait rien prévu,
passèrent
un traité gênant pour nous avec Huahine.
La même tentative échoua à Raiatea grâce au missionnaire
anglais M. Pearse.
M. Planche fut félicité d'avoir
s'établir
aux
empêché les Allemands de
Iles Sous-le-Vent.
Nous devions enfin songer à nous occuper de ces îles. M.
Viénot tenta de faire
auprès de M. Planche des demandes
qui demeurèrent infructueuses. Cependant les Allemands
avaient établi à Raiatea
M. Planche avait
une
plan,
maison de
commerce
de Tahiti.
plan bien simple, infaillible :
s'empare d'abord de
cette île. Pomaré lui signera la cession de tous ses droits sur
Tahiti et ses dépendances. Or les lies Sous-le-Vent étant,
dépendances de Tahiti " n'auront qu'à se soumettre, La
moindre frégate se chargerait de cette besogne facile.
L'indépendance de ces lies, la Convention de 1847 tout cela
n'existe pas pour le Commandant Planche. Cette combinai¬
son
un
Le Commandant sûr des succès à Tahiti
"
avait le tort d'être subordonnée à la volonté du roi. Cette
son
volonté s'étant montrée rebelle l'affaire des Iles Sous-le-Vent
échoua
avec
celle de Tahiti.
de réussite à Tahiti l'intervention de Pomaré dans
les affaires des Iles Sous-le-Vent eût amené un soulèvement
En
cas
en masse de ces populations trop
inexpérimentées pour être
effrayées de nos gros canons.
Le Commandant Chessé dès son arrivée prend une autre
ligne de conduite. Ses rapports avec les ministres inspirent
rapidement confiance. Il trouve dans le Président du Con¬
seil Supérieur des Eglises Tahitiennes. comme aussi dans
M. Green pasteur anglais, des aides dévoués. Déjà M. Viénot,
s'était assuré le
concours
du
missionnaire de Raiatea, M.
Pearse.
Le
nouveau
commandant
thies que les pasteurs
lies Sous-le-Vent.
a
immédiatement des sympa¬
français de Tahiti
se
sont créées
aux
La nouvelle positive que les Allemands vont revenir pren¬
dre leur revanche de leur échec de Raiatea en 1879 fait au
commandant Chessé
11
en
nomme sur ces
retraite
aux
une obligation de se hâter.
entrefaites M. Caillet, officier de marine
fonctions
d'Inspecteur des Affaires Indigènes.
Société des
Études
Océaniennes
447
—
—
M. Caillet inspire toute confiance au
il défend chaudement les
roi et aux Talri tiens dont
intérêts; pour ce motif il est peu
sympathique aux Européens les plus âpres au gain.
M. Caillet est choisi pour être le chef de la mission chargée
d'étudier la situation des Iles Sous-le-Vent et de porter aux
rois les salutations du
nouveau
commandant. Il est d'ailleurs
muni des recommandations les
plus chaudes de M. Viénot
M. Pearse dont les sentiments à notre
égard ont déjà été exprimés à M. Viénot.
et de M. Green pour
Le 9 avril Raiatea et Taliaa demandent le Protectorat
de
la France.
Pour éviter toute confusion
mands,
comme
possible de la part des Alle¬
aussi pour bien établir la situation, on arbore
immédiatementle
pavillon avec le yacht protecteur à Raiatea
et Tahaa.
Le Ministre avait été
scrupuleusement informé de la situa¬
s'opérer l'intervention (lettres
tion et de la manière dont allait
du 12
mars
et du 12 avril
1880L
importante de Raiatea arrive à Tahiti le 16
avril 1881. Le 20 une dépêche est adressée au Ministre pour
lui annoncer le résultat obtenu. La dépêche est envoyée en
duplicata par San Francisco et par Sydney.
Le commandant adresse en même temps aux Consuls de
Sydney et de San Francisco une ..dépêche chiffrée pour le
La nouvelle
Ministre.
Le télégramme portait avis au Ministre que "Raiatea et
Tahaa avaient sollicité le protectorat français, que le com¬
mandant avait accordé sous réserve que convention avec
anglais annulée
Cette communication est arrivée à
heures du matin.
Sydney le 7 juin à 10
Qu'a-t-il été fait de ce télégramme immé¬
diatement transmis
en
France ? On
a
dû aussitôt saisir l'An¬
gleterre de la situation. Il semble que non, puisqu'aux termes
d'une lettre de Lord Lyons à Lord Granville, Lord Lyons se
présente le 28 juin au ministère des Affaires étrangères de
France pour informer le ministre que le gouvernement de
S. M. Britannique avait été informé télégraphiquement que
le Protectorat français avait été établi à Raiatea. Comment
a-t-on pu laisser l'Angleterre prendre l'initiative ? Comment
se
fait-il
que
le Ministre désavoue immédiatement le
Société des
Études
Océaniennes
—
148
—
propria manu, il en donne
anglais? Quelle est la portée
de la lettre ministérielle du 16 juin 1880 parvenue le 1er sep¬
tembre et qui par son ambiguïté jette le Commandant de la
Colonie dans le plus grand embarras.
Si la situation politique générale en Europe rend l'action
de la France difficile, qu'elle désavoue officiellement son
agent qui a été assez heureux pour y faire réussir ses inten¬
tions. Mais qu'elle informe en même temps son agent que ce
désaveu forcé n'est pas un blâme puisque la politique a, ditCommandant français, et
que,
l'assurance à l'ambassadeur
on,
de
ces
nécessités fâcheuses.
Avant de recevoir cette lettre le
nué par
Commandant avait conti¬
tous les courriers (8 mai et 12
juin 1880) à représen¬
l'urgence d'une prompte solution à cette ques¬
tion d'un si grand intérêt pour nos possessions en Océanie,
ne cessant de réclamer l'annulation de la Convention de 1847.
Qu'a-t-on fait ? Des récompenses étaient demandées im¬
médiatement, sans préjuger la solution qui pourrait être
donnée à l'affaire pendante entre la France et l'Angleterre.
Pourquoi ces récompenses, approbation tacite et peu com¬
promettante du fait accompli, n'ont-elles pas été accordées
par retour du courrier ? Avait-on peur de donner trop d'au¬
ter
au
Ministre
torité morale
au
Commandant ? Si l'on trouvait embarras¬
quelque chose pour le Commandant, afin de
se réserver
la possibilité de le désavouer vis-à-vis de
l'Angleterre quitte à le dédommager plus tard, les récom¬
penses données à ceux qui l'avaient aidé n'avaient pas la
même importance. La seule annonce de ces récompenses
évitait, bien des malheurs. Chose bizarre, les médailles d'or
et d'argent demandées pour les indigènes ont été accordées
plus tard. Le Commandant n'en a pas été prévenu il n'a
connu le fait qu'en recevant les médailles ; il eut valu pour¬
tant la peine d'employer le télégramme.
De plus, le chef de la mission, M. Caillet; la cheville ou¬
vrière, M. Viénot, ont été passés sous silence. On récompense
les instruments seuls. Ces récompenses pouvaient être accor¬
dées sans compromettre le gouvernement français, M. Caillet
est, en effet, un ancien officier de marine porté depuis long¬
temps pour la Croix de la Légion d'Honneur. M. Viénot a
rendu des services importants à la cause française et à celle
sant de faire
Société des
Études Océaniennes
149
—
—
pays. Ces récompenses dont personne
méconnu la portée eussent rendu quelque îorce
neur commandant dont on désertait la cause.
dans
ces
Le navire
nos
général
ici n'aurait
de la moralisation en
de l'Instruction publique et
anglais " Turquoise", par son
au gouver¬
attitude encourage
adversaires.
Le Courrier
d'Octobre apporte au
Consul anglais la dépè¬
Freycinet à l'ambassadeur anglais. Le consul
se hâte de publier le désaveu du Commandant ; il exige que
le Commandant fasse rentrer le pavillon de Raiatea.
M. Chessé fait remarquer au Consul qu'il ne peut, lui,
commandant français, recevoir ses instructions par l'entre¬
mise de l'Angleterre. Il oppose un refus catégorique aux pré¬
tentions du représentant anglais, mais son honorabilité est
attaquée. On colporte qu'il a reçu des ordres de son gouver¬
nement et qu'il les cache !
Le Commandant frappé dans son honneur, mis au ban de
l'opinion publique, veut au moins que ceux qu'il a appelés
auprès de lui et qui lui ont prêté un concours si dévoué le
che de M. de
croient
un
lionnete homme.
qu'il n'a pas reçu d'ordre de son gouverne¬
Malheureusement la Division navale partage l'opinion
Il leur prouve
ment.
générale. L'amiral Dupetit-Thouars est le premier à
que le Commandant cache ses instructions, qu'il a
déclarer
agi sans
ordres etc.
L'effet de cette attitude
est d'accentuer
l'opposition des
Anglais et de les rendre plus osés.
L'Amiral ne veut pas qu'on amène le pavillon,
cesse de le hisser, finesse qui ne satisfait pas M.
il veut le maintien du pavillon malgré l'Amiral.
La division
mais qu'on
Chessé car
l'Amiral et un
question d'embarquer "cet aventurier
navale est naturellement avec
instant il est fortement
qui compromet les couleurs de la France ".
Dans une visite à bord de l'Amiral, M. Viénot apprend les
intentions de l'Amiral relativement au pavillon: il les com¬
bat avec succès ; l'Amiral voit la question sous un autre jour
et adopte le plan proposé.
Malheureusement, avant que la division ait pu rien connaî¬
tre du revirement du grand Chef, arrive chez l'Amiral son
commandant, retour de chez M. Chessé qui plus que jamais
Société des
Études
Océaniennes
—
150
—
est opposé au retrait des
couleurs. Il y a eu des vivacités
ses concessions et
reprend son
échangées et l'amiral oublie
premier plan.
Le Commandant
Medlycott est
au
courant
des
diver¬
qui existent entre le Commandant et l'Amiral
DupetitThouars, il saura en tirer parti. L'idée de l'Amiral a i'ait
son
chemin, elle ne tarde pas à porter ses fruits. Le
capitaine de
l'"Orohena", rentre le pavillon le soir et demande au roi de
ne plus le hisser
jusqu'à nouvel ordre. Jamais l'officier anglais
n'eût osé accomplir cet
acte, et malgré les déclarations du
gences
Consul il
ne se
toucher à
nos
les
Français.
serait pas trouvé àRaiatea un
indigène pour
couleurs bien qu'ils se crussent
trompés par
M. de
Kertanguy confirmait d'ailleurs les dires de l'officier
anglais et du Consul et il tue notre
prestige aux Iles Sous-le-
Vent.
Le Commandant informe le
Ministre de ce mal par lettre
du 12 Novembre 1880. Le 13
Décembre suivant il le
supplie
de se hâter pour que tout ne soit
pas perdu.
Pendant tout ce temps et
depuis la lettre du 16 juin arrivée
le 1er Septembre aucune nouvelle
du Gouvernement
français
n'arrive à la Colonie.
Le 1er janvier arrivent des lettres
et des télégrammes.
L'une du 22 octobre semble traiter
la question telle
qu'elle
était en 1842.
Une autre du 29 Octobre est bien
curieuse comme instruc¬
administrative, Le ministre y informe le commandant
qu'il a donné des instructions à l'amiral Brossard de Corbigny et qu'il n'a qu'à se conformer aux instructions du
minis¬
tre et qu'à exécuter de
point en point les instructions détail¬
lées à l'amiral.
tion
C'était le 29 novembre 1880
que la lettre était écrite, elle
janvier 1881 et aux dernières nouvelles, c'està-dire le 16 mai, l'amiral n'est
pas encore signalé dans les
arrivait le 1er
françaises ; quand y sera-t il ? Mais eût-il dû se rendre
directement à Tahiti, quelle utilité de lui donner des
instruc¬
eaux
tions qui ne pouvaient arriver
que dans 4 mois au plus tôt,
alors que le courrier ordinaire
apporte les lettres de France
en moins de 2 mois.
Quant
au
télégramme, il arrive d'abord incompréhensible,
Société des
Études
Océaniennes
les bureaux s'étaient
trompés de chiffre. Il était d'ailleurs
insignifiant, comportant plutôt du blâme ou des réserves
qu'une approbation.
Lettre du Commandant à Paris en date du 13 janvier et 11
avril 1881.
Une
correspondance du Ministère datée du 25 janvier,
autre du 9
créent
mars
1881
ne
lèvent
aucune
une
des difficultés et en
plutôt de nouvelles.
Heureusement que le Commandant a la bonne
d'amener le Consul anglais à lui communiquer une
fortune
dépêche
qui est déjà depuis 2 mois dans la Colonie. C'est dans cette
dépêche que le Commandant apprend la Convention Provi¬
soire survenue entre la France et l'Angleterre et en vertu de
laquelle le pavillon du protectorat sera replacé sur Raiatea
mais jusqu'à la fin de cette année seulement, si le traité de
1817 n'est pas annulé d'ici là.
Le Consul anglais a donc eu tout le temps de prendre ses
mesures, de préparer de l'opposition. De son fait ou non,
c'est depuis l'arrivée de ces dépêches que le roi de Raiatea
et tous les chefs qui nous étaient favorables ont été depuis
exilés à Rorabora. Ce qui n'empêche pas les bureaux de se
décerner un satisfecit pour " l'appui qu'ils donnent à l'action
française dans ce pays et leur esprit de prévoyance dans le¬
quel ils invitent le Commandant à avoir plus de confiance ".
La France ne sait rien de l'incurie de ceux qu'elle charge
de la faire respecter et prospérer au dehors.
Le " Guichen" est à Raitea pour remettre le pavillon, on
attend son retour avec angoisse. 16 mai 188t.
P.S.— Oublié de citer
dépêche ministérielle du 10 Décem¬
postérieure aux arrangements intervenus entre la
France et l'Angleterre dont elle ne dit pas un mot. Elle arri¬
vait d'ailleurs 2 mois trop tard.
Il faut aussi signaler une lettre très importante du Com¬
mandant de Tahiti. Cette lettre porte la date du 14 mai 188'.
bre 1880
(A suivre.)
Société des
Études
Océaniennes
—
152
—
TOUmilME.
Quinze jours
en
montagne.
(Suite et fin)
14 mai.
—
Une traînée de lumière
sur
les crêtes. Le jour
pluie est toujours là, tenace, persistante- Le café
pris, nous discutons de ce que nous devons faire. Le trajet
so-us la pluie ne nous effraie pas, mais rien n'est prêt pour
nous recevoir de l'autre côté du col. Les hommes partiront
donc tout à l'heure, passeront le col et monteront la case sur
le plateau d'Anaorii. Et demain, à notre tour, quelque temps
qu'il fasse, nous passerons.
Vers huit heures, dans le vent et la pluie, nos hommes
partent. Edouard seul, toujours paresseux, reste au camp.
Sur les deux vieilles pirogues moussues en service sur le lac,
les porteurs passent celui-ci. De notre case, nous les suivons.
Arrivés sur l'autre bord, ils partent au pas de course comme
s'ils montaient à l'assaut. Puis la montagne nous les cache.
Nous sommes seuls. Le lac est tout gris sous la pluie. Le
plafond de nuages, très bas, assombrit tout le paysage. Que
faire pour passer le temps? Les "Dimanche Illustré" qui en¬
veloppaient certains paquets nous retiennent un moment.
Mais les aventures du professeur et de la famille Rikiki dans
se
lève. La
leur "Eerevisse à rebrousser les siècles" n'ont rien de pas¬
sionnant, et, bientôt, nous ne savons que
faire.
mieux, je crois, marcher sous la pluie, se
mouvoir, que de rester s'ankyloser sous l'abri. Edouard. Natua et moi descendons vers le lac. Le premier moment est
Il vaut
encore
désagréable. La pluie vous coule au creux du dos, le vent
s'insinue sous vos vêlements, semble vous envelopper d'une
carapace de glace. Mais la machine humaine est vraiment
bien réglée et les mouvements que nous faisons empêchent
notre corps de se refroidir. Nous allons faire le tour du lac
en pirogue, pour tâcher de trouver de ces fameuses anguil¬
les à oreilles dont on parle tant. Sur la pirogue, ne pouvant
plus guère bouger, car Edouard seul rame tout doucement,
nous recommençons de grelotter. La pluie fine et glacée a
vite fait de transpercer nos vêtements et le vent qui tourbil-
Société des
Études
Océaniennes
gèle. En longeant les berges, nous es¬
de ces anguilles un peu mystérieu¬
rien que ce froid pénétrant, cette
eau glauque, cette mousse verte et les herbes qui trempent
leurs tiges dans le lac. La berge s'ouvre soudain et notre pi¬
rogue vient s'échouer sur une plage de boue et d herbe. Une
vallée s'ouvre, humide, luisante, toute scintillante de cas¬
cades. Une forêt de feis couvre ses lianes. Nous voyons de
beaux régimes mûrs, dont le rouge cuivré met une note de
gaieté dans ce paysage austère et mort. Je dépèche Edouard
cueillir quelques régimes. Puis, nous continuons notre tour
du lac. Mais rien, toujours rien. Nous sommes transis et re¬
trouvons avec joie notre abri, ignoble, certes, mais où, au
moins,, on est à peu près au sec.
Vers quatre heures, alors que la nuit va déjà tomber, nous
apercevons nos hommes sur l'autre bord du lac. 11 sont van¬
nés, transis de froid. Un verre de rhum les réchauffe un peu.
La case est terminée. Nous y serons demain. Ce soir, ils rap¬
portent un grand verrat sauvage qu'ils ont capturé vivant.
Bête magnifique, aux défenses d'ivoire splendides. C'est la
première fois que je vois un porc sauvage de cette taille cap¬
lonne
sur
le lac nous
sayons d'apercevoir une
ses. Mais rien, toujours
turé vivant.
expédié rapidement et chacun s'allonge sous
coin perdu où semble s'être condensée
la tristesse du monde, les pensées s'échappent vers ce
Le dîner est
sa
couverture. De ce
toute
que
chacun a de plus cher au cœur.
Les cigarettes s'étei¬
gnent une à une et c'est le silence, l'ombre épaisse et vague¬
ment inquiétante qui vous oppresse; c'est le chant éternel
des cascades, le murmure du vent dans les goyaviers.
Pas un cri d'oiseau, pas un froissement de feuilles, pas
un bris de branches mortes, rien, rien d'autre que le vent
l'éternité de la pierre et de Peau.
versé son ennui au sablier du
temps. Comme hier, une clarté affleure les crêtes. Un peu
d'espoir nous renaît au cœur. Aurons-nous, aujourd'hui, un
peu de beau temps? 11 le semble. Une déchirure dans la ouate
blanche qui encombre le ciel laisse voir un pan de bleu. Mais,
bien vite, cela disparait. Et, à nouveau, la pluie se remet à
tomber. Chacun se déhale de sa couverture avec regret en
songeant à l'eau glaciale où il va falloir bientôt se tremper.
froid
qui rôde, et
La nuit
humide et froide a
Société des
Études
Océaniennes
Mais
au moins, de l'autre bord, trouverons-nous une case
spacieuse et sèche où nous serons à l'aise,
Il faut, coûte que coûte, quitter cet abri oû la vie devient
impossible. Les premiers pas sous la pluie sont pénibles. Un
frisson vous prend au creux des épaules. Mais, en marchant,
cela passe. Entassés tant bien que mal sur les deux piro¬
gues, jumelées pour la circonstance, nous passons le lac.
Nous devons écoper sans arrêt l'eau qui filtre par les fentes
du bordage. Et aussi ne point faire de mouvements brus¬
ques car nos esquifs manquent de stabilité. Nous atlerrissons sur la rive Papenoo du lac. 11 ne faut
pas songer à at¬
tendre nos hommes à qui nous retournons les pirogues, car
nous gèlerions sur place. Nous
partons. Nous atteignons un
petit plateau qui surplombe le lac d'environ cinquante ou
soixante mètres. Halte. Sous la pluie, le lac apparaît tout
gris, noyé de brunie. Vers Mataiea, l'horizon est fermé par
les montagnes. A droite et à gauche de nous, elles s'élèvent
presque à pic, mais recouvertes d'un manteau de feis. Com¬
ment ces arbres peuvent-ils s'accrocher et se
reproduire en
de tels endroits? Sur ce manteau sombre, les régimes à ma¬
turité mettent leurs points de feu. Que cela serait beau sous
un
ciel bleu et ensoleillé !
Plus bas.
voyons venir vers nous mon frère, Natua
quittant seulement les rives du lac, les por¬
teurs apparaissent se dandinant sous leur charge. Il est
temps pour nous de repartir. Le sol est de plus en plus
boueux et glissant.
Nous progressons au travers des "opuhi" odorants, des
feis, d'hibiscus, de fougères de toutes sortes. La végétation
est étonnamment luxuriante. Devant nous, la montagne
sem¬
ble inaccessible, et pourtant nous avançons. Tantôt le sen¬
tier monte en lacets, à flanc de paroi, tantôt il faut s'élever
à la force des poignets le long des petites falaises
pierreu¬
ses avant de retrouver le sentier. Mais
toujours la végéta¬
tion est une joie pour les yeux. Et puis, le paysage
est vrai¬
ment splendide. Malgré la brume qui s'épaissit de
plus en
plus à mesure que nous montons, on aperçoit encore un peu
le lac, lointain, minuscule, irréel.
Sur nous, un brouillard épais nous cache les sommets.
Sans une halte, nous atteignons enfin la crête du col d'Urunous
etB... Plus loin,
Société des
Études
Océaniennes
un vent glacial et rapide. Nous ne distin¬
rien, ni vers Mataiea. ni vers Papenoo. La vue de l'un
comme de l'autre côté doit être splendide par beau temps.
Nous suivons la crête sur cinquante mètres environ. Cet en¬
droit que l'on m'avait dépeint comme d'un incroyable dan¬
ger est tout à fait praticable. La végétation, très touffue,
masque les pentes et les précipices.
La descente vers Papenoo est rude, beaucoup plus que
la montée que nous venons de faire..Elle s'effectue le plus
souvent sur des pierres presque lisses qui vous font chuter
avec une facilité sans pareille.
A mi-descente, le rideau de nuages se déchire, dévoilant
le paysage jusque-là invisible. De vastes horizons, des val¬
lées, des gorges, des collines, des pics, tout cela s'étend à
l'infini dans la grisaille de la pluie.
Presque sous nous, un immense plateau, en partie maré¬
cageux et coupé de nombreux ruisseaux : c'est Anaorii.
A gauche, d'immenses cascades projettent dans le vide
leurs torrents d'eau écumeuse. Un point, un tout petit point
vert dans la prairie, c'est la case où nous allons pouvoir nous
reposer. Tout cela est à une échelle grandiose pour les pau¬
vres atomes que nous sommes, perdus dans la brousse et
l'ara. Il souille là
guons
le froid.
Vers une heure après-midi, nous débouchons enfin sur le
plateau d'Anaorii. Une dernière chute sur la mousse et nous
voilà
sous
la
case.
Mais la malchance semble être sur nous.
l'abri sur un terrain marécageux
qu'une butte, un peu plus loin, nous aurait offert un lieu
d'asile magnifique. De plus, la toiture de feuilles de "opuhi"
n'ayant pas été flétrie par le soleil, laisse goutter la pluie par
Les hommes ont monté
alors
de nombreux endroits.
pieds dans
malgré une cigarette qui met beau¬
coup de bonne volonté à griller. 11 vaut encore mieux tra¬
vailler sous la pluie que de rester inactif. Avec Edouard,
nous commençons à couper feuillages et fougères pour pré¬
parer la couche de ce soir. Nous avons déjà deux gros tas
lorsque, sur le flanc de la montagne qui nous surplombe,
nous apercevons nos compagnons qui descendent. Une de¬
mi-heure plus tard, nous sommes tous réunis, à l'exception
Assis
sur nos
talons, sous la case, mais les
l'eau, nous grelottons
Société des
Études Océaniennes
—
156
—
des trois
porteurs restés en arrière pour mettre au
bambous, le porc capturé hier? Ce soir, sans
en
nous
four, puis
doute, ils
rejoindront.
s'agit de tirer le meilleur parti possible
qui n'est pas si merveilleux que nous le pensions.
Avec les hommes, nous transportons les troncs de fougère
"mamoo" qui sont ensuite coupés et alignés parallèlement,
à vingt centimètres les uns des autres sur une moitié de la
Pour l'instant, il
de cet abri
case.
Nous passons ensuite de l'autre bord, dans une forêt
bambous. Edouard et Tehaamoana coupent des bambous
de
de
longueur de la case. Ils me les passent, je les répartis en
et les hommes les portent jusqu'à l'abri. Pendant que
nous travaillons ainsi, toujours dans le vent et la pluie, la
cuisinière s'occupe de récupérer casseroles et provisions;
mon frère sèche et graisse ses armes; B... assouvit sa pas¬
sion en coupant des fougères.
Ce coin perdu d'Anaorii est transformé en une ruche bour¬
donnante. Maute, qui connaît nos goûts, est parti à la re¬
cherche d'oranges, assez rares par ici. Pitu installe deux ap¬
pentis à chaque bout de la case: l'un pour nous préserver
du vent régnant, l'autre qui servira de cuisine.
Nous alignons les bambous côte à côte et transversale¬
ment aux troncs de fougères déjà en place. Là-dessus, un
épais matelas de fougères, une natte et voilà le lit de ce soir,
frais, odorant, à l'abri de l'humidité du sol.
Les hommes préparent maintenant sur la butte, à droite
du campement le grand four indigène qui servira, à l'arri¬
vée des trois retardataires, à réchauffer les bambous rem¬
plis de viande de porc.
Mais voici venir le soir: l'ombre s'appesantit, avance, se
faufile, fait tache d'huile. Elle nous encercle, nous gagne,
nous couvre, c'est la nuit complète. Pas une étoile, pas une
lueur; toujours ce bruit lancinant de la pluie sur les feuilles ;
toujours ce vent glacial qui poursuit sa ronde fantastique,
tourbillonne, sifïle. Les lampes allumées, l'ombre est refou¬
la
tas
lée de la
case.
Nous dînons.
Un cri dans la nuit. Un cri
qui descend du col, faible, loin¬
tain, étouffé par la pluie et le vent. Nous répondons, puis
nous attendons. Une demi-heure passe et voici Atahira avec
Société des
Études
Océaniennes
—
-157
—
Son frère Iloehau et le vieux Peau sont
près du col, et ils y passeront la nuit. Lui a
préféré descendre que de rester à la belle étoile.
Je ne sais si vous pouvez vous imaginer ce que peut être
un tel exploit. Descendre dans une nuit noire, sous la pluie
et dans le vent, une pente de 20° d'inclinaison, boueuse, glis¬
sante, avec, sur les épaules, une charge de cinquante kilos,
cela représente une dose d'énergie et d'endurance peu com¬
lourde charge.
sa
restés
en
route,
mune.
coin pour la nuit. La fatigue aidant,
vite. Un sommeil sans rêve, où la bête hu¬
maine sombre d'un bloc, où le cerveau est mort, ne travaille
Chacun cherche son
le sommeil vient
plus.
quitter, car l'aube blanchit déjà un
la ligne d'horizon, vers l'Océan. L'éternel bruit des bri¬
sants d'Océanie ne nous parvient pas au fond de cette vallée '?
Seule, la chute des cascades égrène son chant monotone.
Très loin, pourtant, quelques merles sonnent le réveil.
La nuit passe, va nous
peu
Puis voici
un
chant suave, presque
irréel, mais bref. C'est
"omamao", sorte de rossignol tahitien. Plus bas dans la
vallée, nous en retrouverons d'autres, parmi les forêts de
un
bambous.
Aujourd'hui, c'est la Pentecôte. Pour la fêter à notre ma¬
nous déjeunerons à midi et nous aurons, ce soir, un
pot-au-feu. En montagne, on apprécie cela.
Alors que nous allons prendre notre petit déjeuner, arri¬
vent les deux retardataires. Surpris par la nuit, ils ont cam¬
pé près du col, sous quelques feuillages assemblés. Le café
pris, chacun va à ses occupations. Tehaamoana et Maute ai¬
dent mon frère à dépouiller les quartiers du bœuf abattu hier
nière'
hommes, nous nous occupons d'amé¬
campement et de ses environs. Un caniveau
creusé autour de la case draine l'humidité. Nous serons ainsi
ce soir plus au sec.
Les quartiers de bœuf découpés en morceaux sont dépo¬
sés sur les pierres rougies du four tahitien. Par dessus sont
rangés les bambous de porc, puis des feis, des patates. Une
bonne épaisseur de feuillage, la peau du bœuf abattu, une
couche de terre. 11 n'y a plus qu'à attendre.
En attendant le déjeuner, chacun flâne où il veut. Excursoir. Avec les autres
liorer l'état du
Société des
Études
Océaniennes
sion près
du marais, visite des ruisseaux environnants, mais
trop loin du camp, car des traces toutes fraîches disent
que les bœufs ne sont pas loin. A midi, retour au camp.
Punch général : oranges, sucre, rhum. Chacun tend son quart
pour quêter un peu de ce nectar. Et voilà que la gaieté vient,
malgré la pluie, malgré le vent, malgré l'inconfort de la case.
Chacun y va de son histoire, tous rient. Le bol vide, nous
procédons à l'ouverture du four. Quel fumet délicieux s'en
dégage! L'appétit, déjà ouvert par le punch, s'aiguise à la
vue de morceaux dorés. La viande est cuite à point. Sur une
longue table de feuillages disposés à même le sol, bols et
quarts sont rangés. Chacun prend place. La prière est expé¬
diée par Turaa dont les yeux ne quittent pas les morceaux
de viande qui sont sur la table. Enfin, chacun peut assouvir
sa faim. Personne ne songe plus à causer. Chacun déchirant
à pleines dents son quartier de viande, nous devons, certes,
composer un tableau digne de l'âge des hommes des caver¬
nes. Bientôt repus, nous avons droit, car c'est fête
aujour¬
d'hui, comme dessert, à un biscuit de mer et confiture.
pas
Le
temps ne nous inquiète plus. La vie nous est douce. Ci¬
garettes. Sieste. Vers quatre heures, toilette au ruisseau.
Puis, entre deux grains, promenade sur la butte, derrière la
case. De là, on voit la mer. Elle est lointaine, indécise, toute
grise. Les montagnes qui fuient vers elle sont voilées de
brume. Le paysage semblerait triste peut-être à ceux qui
n'ont pas l'habitude de la montagne, mais pour moi, il est
beau. Beau, parce que grand, vaste, asymétrique, échap¬
pant aux lois de la géométrie la plus élémentaire, Le grand
soutïle brutal du vent venu du large fait chanter les casca¬
des. Il y a un calme infini dans ce coin perdu de l'île.
La nuit est tombée. Sous la
case
dont la toiture goutte tou¬
bavardons un moment avant d'éteindre.
lentement, sans heurts....
Lundi 17 mai, le jour se lève, gris, brumeux et il pleut
toujours. Nous avions espéré une belle journée. Ilélas !
C'est désespérant. Demain, nous descendrons à Farehape,
une grotte où nous serons bien au sec. La journée se traîne
lamentablement. Un deuxième bœuf est abattu, découpé,
cuit au four tahitien, mis en bambous. Ce sera de la viande
jours
nous
Et la nuit passe,
Société des
Études
Océaniennes
/
ir>9
—
—
la semaine que nous avons à passer plus bas, car, là,
a plus de troupeau.
Sous la pluie, avec les enfants, je trotte aux environs, dans
la brousse. J'ai le regret de ne pouvoir connaître Anaorii
sous le soleil. Comme il doit être beau ! Qu'importe, je re¬
viendrai plus tard, du moins je l'espère. Voici notre der¬
nière soirée à Anaorii. Chacun a déjà vérifié ses paquets et,
allongés sous nos couvertures, nous bavardons. C'est inouï
ce que l'on peut causer lorsqu'on est en montagne avec des
indigènes. Tard dans la nuit, les conversations vont bon
train. Puis, malgré tout, le sommeil vient et la lampe est
soufflée. Il n'y plus dans l'ombre que le vent qui rôde et étire
sa plainte dans les maigres feuillages d'alentour.
Dans la nuit, il y a recrudescence de pluie sous la case et
nous nous réveillons en partie mouillés.
Un jour gris traîne sous un ciel bas et mal lavé. Chacun
s'apprête, heureux de quitter cette zone de pluie perpétuelle.
Le café pris, les hommes répartissent leur chargement. La
pluie a complètement cessé. De la butte, je contemple une
dernière fois ce coin de Papenoo où, malgré la pluie assez
fréquente, il ferait si bon vivre loin des hommes et de leurs
pour
il
n'y
méchancetés.
"piti",
''ieie", fougères "mamoo", "pua", "rnara". Mais, est-ce l'al¬
titude, est-ce la proximité d'un marais qui occupe le centre
du plateau, tous ces arbustes et ces arbres sont de mauvaise
venue, contournés, noueux, comme des arbres japonais. Ce
qui fait que le plateau prend des allures de prairie coupée
de ruisseaux, un peu à la manière des prairies canadiennes
de Constantin-Weyer. Il n'y manque que les loups, les cerfs,
les orignaux... pour achever la ressemblance. Ici, il n'y a
Devant nous, c'est toute
la flore des hautes vallées :
que des bœufs.
Voici les sentiers
qu'ils suivent pour s'abreuver à l'étang.
puis, tout près, les plates-formes, toutes désherbées et
boueuses, où les taureaux se livrent à leurs combats. Tout
cela est beau, plein de vie, un peu angoissant aussi lorsque
l'on songe qu'il va falloir traverser la zone où paît actuelle¬
ment le troupeau. Les préparatifs achevés, sac au dos, révolver au côté, en route. Mon frère prend la tête de la troupe,
le fusil au bras. L'historiographe porte le jeune Coco. Les?
Et
Société des
Études Océaniennes
—
160
—
hommes suivent avec, en intervalle, Natua et les enfants. Je
filme le
départ, les feis à la somptueuse robe d'or rouge, le
paysage, la case et... en route. Je prend place le deuxième.
Mon désir est de pouvoir filmer une charge des bœufs à tra¬
jungle de fougères. Nous avons un peu l'air de Tarje vous assure qu'il y a malgré tout
un certain danger à s'aventurer au travers de ces hautes fou¬
gères dont les multiples troncs vous coupent la vue.
A pas feutrés, nous avançons, d'abord dans un petit ma¬
rais, puis nous traversons une clairière et, enfin, entrons sous
bois. C'est ici qu'il s'agit d'être prudent. On ne voit plus le
ciel qu'au travers des fougères et des arbustes. Sous-bois
ombreux, odorant, tout à fait tahitien. Le sol est piétiné, la¬
bouré. C'est l'habitat, ordinaire du troupeau. Une petite pinçure à la gorge, nous avançons sans bruit. Mais voici des
craquements insolites. Nous nous arrêtons, sur le qui-vive.
Vont-ils passer devant nous, à droite, à gauche ? Comment le
vers
la
tarins d'occasion, mais
savoir ?
.j'apporte mon ciné. Je n'ai pas terminé, que,
galop d'enfer, sans un meuglement, le troupeau s'é¬
branle. Il passe devant nous, à trente mètres, mais caché par
A tout hasard
dans
un
la verdure très touffue du sous-bois. Dans un élan formidable
rien ne peut arrêter, il passe, détruisant tout sur son pas¬
La terre tremble, les arbustes se brisent, les fougères
sont piélinées. Le grand souille chaud des bêtes - combien
sont-elles? quarante, cinquante peut-être-vient jusqu'ànous.
L'instant est impressionnant. L'angoisse prend le plus bra¬
ve à entendre passer cette trombe dévastatrice.
Rapidement, le bruit décroît. Les bêtes ont traversé le pla¬
teau dans sa plus grande largeur pour aller se réfugier de
l'autre bord, C'est un de nos hommes qui, nous devançant,
sans que nous le sachions, a fait fuir le troupeau. Il aurait
bien pu aussi ramasser une balle sans le vouloir. Mais ces
gens sont vraiment imprudents et n'ont aucune conscience
du danger. Nous reprenons notre marche, délivrés malgré
tout d'un grand poids sur l'estomac. Il se pourrait bien en¬
core que nous rencontrions quelques isolés, mais cela est
moins grave que de se trouver nez à nez avec le troupeau.
Bientôt, nous sommes au bord du plateau. La vallée s'ouvre
à nos pieds, profonde, lointaine. Le bruit du torrent nous arque
sage.
Société des
Études Océaniennes
—
161
—
rive assourdi et intermillent, un peu comme
la respiration
d'un mourant.
l'Orohena altier, entortillé de nuages. Il y a
jours, nous étions à son pied, mais sur le versant oppo¬
sé à celui-ci. La descente s'effectue en suivant une mince arête, heureusement très feuillue. Néanmoins, nous devons
Devant nous,
dix
prudemment car le sol glissant pourrait causer une
Jarrets tendus, les mains aux fougères, ou aux
arbustes, nous descendons pendant une demi-heure environ
sans nous presser. Le bétail ne fréquente plus ce sentier de¬
puis quelques années et séjourne complètement à Anaorii.
Nous voila donc délivrés de cette hantise et nous pouvons ad¬
mirer le paysage sans réserve.
Bientôt, nous retrouvons le torrent, puis la brousse surtout
le faux tabac. Fit voici la grotte de Pua, bien connue, puisque
certaines inscriptions datent de 1892, large, aérée, sèche. Le
ruisseau en est malheureusement assez loin et nous préfé¬
rons continuer jusqu'à Farehape.
Le chemin, maintenant, est délicieux; sous de grands ar¬
bres, parmi fougères et "opulii" aux longues grappes roses
doublées d'or, on serpente au gré du guide. Les ruisseaux
dévalent des vallons vers la rivière en chantant dans les
pierres. Des oiseaux passent multicolores. Il y a de la vie et
de la joie dans l'air.
Atahiraa, l'un des garçons de Mataiea retrouve au pied d'u¬
ne cascade, l'un de ses chiens, perdu la semaine précédente
en chassant. Près de lui, il y a les restes d'un porc sauvage.
Dans leur lutte, ils ont dû rouler tous les deux au bas de la
cascade. Le cochon est mort, le chien a survécu, mais sans
plus pouvoir remonter vers la berge. Il est maigre, trem¬
blant, mais ses yeux disent la joie d'avoir été retrouvé.
Nous passons quelques bains superbes, puis, par montées
et descentes, nous arrivons après nous être égarés un mo¬
ment, sur un plateau couvert de goyaviers. De multiples sen¬
tiers, tracés par les bêtes de la montagne, se croisent en tous
sens. Le bruit du torrent est lointain, il nous arrive par bouf¬
fées, porté par les remous de l'air. La journée est radieuse,
avancer
chute grave.
mais le soleil bien chaud.
Une descente
Edouard qui me
s'offre à nous dans une forêt de bambous.
précède avec une charge de féis, glisse, veut
Société des
Études
Océaniennes
—
se
lui
] G2
—
rattraper à une tige de bambou, mais celle-ci se brise et
ouvre toute la paume de la main droite, Nous sommes
seuls. Les médicaments viennent derrière
nous avec
les por¬
Alors, un mouchoir sur la plaie, une ligature au poi¬
gnet et nous continuons à descendre.
Dix minutes et voici la rivière de Tohoi, la grotte, l'étape.
teurs.
Quel plaisir de pouvoir se libérer du sac, des appareils. Suc¬
cessivement arriventB..
mon frère, sa compagne, les por¬
teurs. Tout le monde est là. Edouard est pansé et exempté
de corvée. Je crois bien qu'il bénit la blessure qui lui donne
,
droit de
ne
rien faire.
quatre heures. Il semble que nous ayons marché
longtemps mais cela vient de ce que nous avons pris un mau¬
vais chemin. Qu'importe! il nous a fait connaître d'autres
Il
est
coins de la vallée.
A six métrés du ruisseau qui est magnifique, s'ouvre la
grotte. Ce n'en est pas une à proprement parler, Ce n'est
qu'une énorme pierre dont la partie supérieure s'avance en
auvent. Cela forme un excellent abri. Sur le dessus de cette
pierre toute garnie de brousse, on voit encore une plate for-'
nie dallée qui servait jadis aux tireurs à l'arc pour viser la
montagne qui fait face à la grotte.
Nous
nous
tre l'endroit
mettons tous
au
travail et
avons
vite fait de met¬
préparés, la cuisine mon¬
déballés, le chemin d'accès au ruisseau élargi, dépierré. débroussé. Pendant que nous procédons à
notre toilette, la cuisinière prépare le dîner. La faim com¬
mence à se faire sentir. Mais aussi, quel plaisir, un moment
plus tard, la prière dite, de s'installer autour de la table de
feuilles. Conserves, îéis, porc et bœuf en bambous, c'est un
régal. Pour la nuit, chacun choisit sa place.
J9 mai.— Au petit jour, nous sommes sur pied. L'abri, in¬
suffisamment débarrassé de ses pierres, nous a donné à tous
mal aux reins. Vers deux heures, ce matin, le temps a fraîchi,
et, malgré que nous soyons descendus de 780 à 300 mètres
seulement d'altitude, le thermomètre marque 14°. 11 fait bon
et la journée promet d'être belle. Nous terminons notre café
quand le soleil vient nous chercher. C'est l'invitation à la
promenade.
Natua, Rere, Peau et moi partons pour pêcher le nato. Avec
en
état. Les lits sont
tée, les paquets
Société des
Études Océaniennes
—
le
163
petit Terii, je descends jusqu'à
—
l'endroit où le ruisseau qui
grande rivière de Ma-
passe au campement se jette dans la
roto. De là, nous le remontons jusqu'au camp.
Parcours de
maximum sur lequel, moi seul péchant,
trois grappes de poissons, longue chacune de 50
deux cents mètres au
nous avons
centimètres.
ramène un poisson, presque
pièce. C'est, amusant au possible et, quand,
après-midi, nous nous retrouvons tous à la
grotte, nos poissons forment un gros tas sur le bord du ruis¬
seau. Ecaillés et frits à l'huile, ils sont un véritable régal, le
A
chaque lancer de ligne, je
toujours une belle
vers deux heures
principal de notre repas.
Un peu au-dessus du camp, le ruisseau forme un bain. L'eau
est glacée et nous nous y plongeons avec délices.
Après, le dîner, assis sur le devant de la grotte, sur laquel¬
le flotte le fanion du Touring Club de France, nous bavardons
en attendant la nuit. Vers dix heures, nos hommes sont de
retour. Ils ont pris deux grandes touques de chevrettes et
deux belles anguilles. Ce sera notre festin de demain. Après
un moment de brouhaha, chacun reprend sa place et le temps
coule, réglant la grande vie de la vallée au rythme des cas¬
cades et des ruisseaux qui chantent leur éternelle prière.
Dans la nuit, il doit être environ deux heures après minuit,
réveille en sursaut. C'est presque un mu¬
demi-sommeil, nous voyons se pro¬
filer face à nous, sur la clarté du ciel, une créature aux for¬
mes étranges, la tête encornée, le corps drappé d'un suaire
sombre. Cela gesticule, crie, souffle, lance du feu. Le bouc
Melanpyge serait-il à la recherche d'une sorcière pour con¬
sommer un sabbat infernal ? Notre première surprise passée,
nous finissons par saisir ce qui nous arrive. C'est encore un
coup de l'historiographe. La spirale anti-moustique ayant
mis le feu à l'un des coussins, au lieu de le jeter simplement
à l'extérieur, il s'est, levé en poussant un cri. a essayé, quoiqu'embarrassé dans ses couvertures, d'éteindre ce commen¬
cement d'incendie. Mais le coton ne s'éteint pas ainsi et il
s'est, brûlé les doigts. C'est le foulard qu'il avait sur la tête
qui lui donnait l'apparence d'un être encorné. Tout s'expli¬
que. Après cet incident assez amusant, tous se rendorment.
La lune qui s'est levée éclaire toute la vallée. La tempéra¬
ture a baissé. Vers six heures, le thermomètre marque 13°.
un
cri rauque nous
gissement. Dans notre
Société des
Études
Océaniennes
—
164
—
l'incommodité de la couche, chacun se lève,
redresse. Le caîé pris, quartier libre. Les uns vont
à la pêche, d'autres restent au camp, B... travaille au jour¬
nal de l'expédition, j'explore les alentours.
Il y a là des fougères ravissantes comme j'en ai rarement
rencontrées en vallée. Sur un vieux "purau" qui forme arc de
Courbatu par
s'étire,
se
triomphe, fleurit la plus prodigieuse variété de ces fougèresrubans que les indigènes appellent "ripene". Longues de
plus d'un mètre cinquante, elles pendent de l'arbre, vertes,
luisantes, grasses. Le coup d'œil est magnifique. Partout, le
long des branches, aux fourches des arbres, sur les troncs,
s'accrochent d'autres fougères allant des capillaires les plus
fins aux énormes "oaha" à feuilles rigides doublées de bron¬
Parfois une tourterelle
dans le ciel, ivres de
soleil, de lumière, des "paille-en-queue" (petea) tournoient
follement, taches blanches sur l'azur foncé du ciel. Près de
la rivière, les petites hirondelles poursuivent leur course aux
insectes. Tout est gai, jeune, apaisant.
Retour au camp, nous prenons notre bain. A une heure, le
repas est servi. Devant la grotte, sous les bananiers, des
feuilles ont été disposées à même le sol. Il y a porc et bœuf
en bambous, natos crus et cuits, feis à profusion, chevrettes
à toutes les sauces, et principalement un onctueux carry épicé à notre goût, mais queB... et les tahitiens trouvent en¬
ze.
C'est
un
enchantement des yeux.
roucoule dans la verdure. Très haut
flammé. C'est
un
régal.
à la pêche aux natos.
plaisir que de tenir au bout de sa ligne un beau
poisson d'argent. Dans la Vainavenave, dans la Tolioi, mê¬
me dans la Maroto pourtant polluée par les sources ferrugi¬
Vers trois heures, nous retournons
C'est
un
tel
neuses, nous en prenons
tant que nous en voulons.
Vers la
journée, je remonte avec les enfants sur le plateau
qui domine Farehape. Là, prises de vues, photos, cueillette
d'oranges. Trois martins-pêcheurs s'ébrouent sur un arbre
mort sans être intimidés par notre présence. A cinq heures,
nous sommes de retour. On dîne rapidement et, allongés sui¬
des nattes, la causette va bon train. C'est une vie familiale
que l'on mène en montagne. Les hommes se rassemblent au¬
tour du chef, questionnent, interrogent, racontent. Les dis¬
tances sont supprimées, tous sont sur le même pied d'éga¬
fin de la
lité.
Société des
Études
Océaniennes
quitté, remontant
Cela sent déjà la
fin du beau voyage que nous terminerons samedi. Ce sont
deux, braves compagnons, très dévoués. A l'heure où nous
causons, ils doivent être rendus chez eux. Leurs jarrets d'a¬
Ce matin, Atahiraa et Iloeliau nous ont
leurs chiens vers Anaorii et Mataiea.
avec
cier les mènent vile.
Dix heures. Tout est calme au
campement. On entend la
respiration des hommes, les enfants qui grincent des dents,
B... qui poursuit à mi-voix un rêve embrouillé coupé de gé¬
missements. Le dos meurtri par les cailloux, coincé entre
Turaa et B..
il m'est impossible de reposer convenable¬
ment. Je compte les heures qui passent. La lune vire lentedans un ciel illuminé d'étoiles. Vers le matin, la tempéra¬
ture étant plus douce, le sommeil vient. Et il ne passe plus
sur la vallée endormie qui prend une apparence de paysage
lunaire, que le souille du "liupe" cueillant aux fleurs et aux
fougères flétries par le soleil de la journée leur parfum pour
le porter au loin, bien loin, sur l'Océan...
Voici l'aube du 21 Mai. 11 nous faut dire au revoir à ce coin
charmant où le beau temps nous a gâtés. Aujourd'hui, il faut
.,
rapprochions de la route, que nous revenions
Aussi
sans
est-ce
joie que nous bouclons nos paquets.
Après le café, chacun reprend son sac, ses appareils. Les
hommes ont leur charge bien allégée. Une dernière photo,
quelques tours de manivelle, et, le fanion amené, nous quit¬
tons Farehape, grotte accueillante où, trois jours durant, trois
heureux jours, nous avons arrêté notre pauvre vie de che¬
que nous nous
vers une
vaux
de
civilisation, une vie, qui nous pèsent à tous.
manège.
déroule devant nous ses beautés
arbres, fougères, oiseaux,
tout est beau, tout est gai ce matin, sous le clair soleil d'Océanie. Nous laissons derrière nous le Pitohiti, pic orgueil¬
leux, puis, à notre gauche, l'Orohena couronné de nuages et
qui, bientôt, disparaît de notre vue, caché par un coude de la
Et la vallée, à nouveau,
naturelles. Rivières, ruisseaux,
vallée.
Emplissons les yeux,
l'esprit, de tout ce qui s'offre ànous
peut-être plus de longtemps.
suivons presque toujours la berge
et que nous ne reverrons
11 fait chaud, car nous
de la rivière,
parmi les pierres.
Société des
Études
Océaniennes
-
166
—
jolie grotte à flanc de coteau, do¬
qui descend de la vallée de Tamanu. Il y a
vanillers, orangers, avocatiers, quelques fleurs, c'est un dé¬
licieux petit coin.
Plus loin, voici le bain de Manoro, si profond que person¬
ne, nous assure le guide, n'a jamais pu atteindre le fond.
A mesure que nous descendons, la végétation change. Pres¬
que plus de fougères, mais,du faux tabac et delà sensitive.
L'historiographe se plaint d'être fatigué, d'avoir mal aux
pieds. Il voudrait s'arrêter. Mais il est encore trop tôt. Nous
devons camper plus bas. La marche continue, épuisante, tou¬
jours parmi les cailloux et la brousse.
Peau nous arrête près d'une énorme pierre posée au bord
de l'eau et coupée en son milieu d'une rigole d'environ 75
centimètres de profondeur et 50 centimètres de largeur. Elle
servait jadis, nous explique-t-il, aux sacrifices, c'est pour¬
quoi elle conserve en son milieu cette fente teintée de pour¬
Nous rencontrons Pufau,
minant la rivière
pre.
A quatre heures, nous posons enfin le sac sur le bord de
l'eau, où s'oflre à nous une jolie plage de sable fin. Nous pas¬
serons notre dernière nuit à la belle étoile.
plage est débarrassée de ses pierres, du peu de brousse
qu'il y a là. Une brassée de fougères, une natte et nous
serons divinement bien. La cuisinière installe ses casseroles.
La
aussi
Pour le diner elle
avec
va
nous
préparer des chevrettes sautées
quelques cèpes, un riz au beurre et
tentant et nous y piquons un plongeon.
rettes et punch sont les bienvenus.
du thé. Le bain est
Puis, délassés, ciga¬
Ici, ia vallée est très large, de sorte que la nuit vient tard.
Longtemps encore, le jour traîne. Il s'accroche aux arbres,
aux flancs des montagnes, aux crêtes. Là-haut, tout là-haut,
une cime s'éclaire encore d'un pâle reflet d'or. Un arbre pen¬
che sa silhouette grêle vers l'horizon comme pour faire sa
prière du soir après avoir mesuré, tout le jour, la fuite des
nuages sur le ciel.
Des "longs-cous" passent, rejoignant leur aire dans les ro¬
chers des vallées après avoir péché toute la journée à la mer.
Il fait doux, le temps est délicieux. C'est notre dernière
nuit à Papenoo et il me semble que la vallée, découvrant
tous ses charmes à la fois, veuille nous retenir coûte que
coûte.
Société des
Études Océaniennes
107
—
Il y a
—
de la tristesse en nous, tristesse du beau voyage qui
prochaine séparation, tristesse du
s'achève, tristesse de la
retour vers la ville.
aperçoive, la lune a remplacé à
11 fait froid. Il nous faut doubler
entortiller la tête d'un pareil, mettre
Presque sans qu'on s'en
l'horizon le soleil disparu.
les couvertures, nous
des chaussettes de laine.
Sur nous,
fin. Au¬
aussi sa
qui soit si tran¬
les astres poursuivent leur course sans
dans l'ombre, la nature poursuit elle
tour de nous,
vie. Et la nuit passe,
la dernière pour nous
quille, si calme, si heureuse...
C'est l'aube du 22
mai, notre dernier jour de
liberté.
face à nous, le jour
affleurer la crête de la montagne, blanchir le ciel. Il fait très
froid, le thermomètre marque 10H. C'est la température la
plus basse que nous ayons depuis notre départ.
Vers sept heures, à regret, nous nous levons.
Sans
quitter notre place, nous voyons,
Dernière nuit, dernier réveil, dernier café; dernière étape,
dernière journée, Dieu ! que ce mot est lancinant,
A neuf heures et demie, nous partons pour la dernière éta¬
agaçant.
soleil chauffe déjà bien. Innombrables cascades dont
belle est Puraha qui tombe en regardant vers le fond
delà vallée. Désormais, le chemin est monotone. Je le con¬
nais pour l'avoir déjà fait avec quelques amis, l'année pas¬
sée. Brousses, rivières, pierres, soleil et c'est tout.
Des "paille-en-queue" tournoient dans l'air qui flambe.
Des martins-pêcheurs s'envolent à notre approche. Marcher,
encore marcher, en ruminant l'amertume d'être obligés de
pe. Le
la plus
rentrer.
Et, bientôt, c'est la plaine nue, caillouteuse, étouffante, qui
précède la route. Les derniers kilomètres sont pénibles. A
deux heures, le pont nous apparaît, encore bien lointain. Une
demi-heure plus tard, nous y posons notre sac. Le beau
voyage est terminé. La camionnette nous attend, la route et
la
poussière aussi...
là, derrière nous. Elle s'est refermée pour
après nous avoir accueillis quelques jours; le dernier
coude franchi, elle a repris son air grave, lointain, un peu
La vallée est
nous,
mystérieux.
Sans nous,
elle va poursuivre sa
vie tranquille, au rythme
des heures et des saisons.
Y. et J.
Société des
Études
MALLARDD.
Océaniennes
168
-
—
TAHITI
Miroir de Vénus.
Vénus
a
délaissé
ses
autels à
Dans le ciel constellé, sous
La
Cythère...
autre hémisphère,
un
Déesse, bravant de lointains Océans,
dots bleus et mouvants.
Franchit le Pacifique aux
Le
jour pointe
:
Apollon, couronné de lumière,
ses rayons ardents
Lance les flèches d'or de
Et tel est de Vénus le trouble
Le Dieu
fier,
son
en
miroir tombe
contemplant
l'onde amère.
sur
Miracle ! Tahiti vient de naître
en ce jour:
pris le contour.
Le rivage, serti de franges d'émeraude,
Berce des cocotiers sous lesquels Famour rôde.
Du miroir de Vénus l'île
La
Le
a
pointe de Vénus ouvre en rose éventail
magnifique décor du récif de corail ;
Le beau lac Vaihiria reflète
Le Diadème
avec ses
en ses eaux
parures
calmes
de palmes.
Les cascades
d'argent, brillantes chevelures,
des rocs en de si doux murmures.
Que Vénus, évoquant Eros, dieu des amours,
Jure en ce bel Eden de demeurer toujours.
Glissent le long
23 Janvier 1937,
à bord du " Commissaire Ramel ". sur le
allant
vers
Tahiti.
J. P. ALAUX.
Société des
Études
Océaniennes
Pacifique,
—
169
—
BIBLIOTHÈQUE
Ouvrages reçus :
Dons
:
de Mile J.
Goupil
: The Journal of the PolySociety New Plymouth, N.Z.
6 numéros de
nésian
du Service de
Santé
:
Bulletins de la Société
d'Anthropologie,
25 volumes.
de Mr
Kroepelien
Capitain Jacob Cook dritte Entdeckung-Reise in die Sùdsee und nach
dem Nordpol. 4 volumes.
Berlin, 1789.
Des
Cruise of the " Alert ".
Dr W.
de l'auteur :
Coppinger. Londres 1885.
Zoology of Tahiti.
A short
A. Curtiss.
de l'auteur :
Trottings with a rod.
Pool. Eton 1937.
Vaea, étudiante tahitienne.
René Vanlande. Paris 1938.
Iorana ! A tahitian journal.
R. Gibbings. Londres 1932.
Some Globe
A. H. Batten
de l'auteur :
de Mr I.M. Ilott :
Société des
Études
Océaniennes
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SOCIÉTÉ
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sormais ils
la
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ne
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Bibliothèque
cas
dé¬
en
fixée.
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leurs invités tous les jours, de 14 à 17 heures, sauf le
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La
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Les
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La Rédaction.
Sociéte^pes
■:m
Études Océaniennes
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 65