B98735210103_062.pdf
- Texte
-
Bulletin
r-iJ
S
DE
il
I@
©
Société
la
des
9
1EI
ÉTUDES OCÉANIENNES
62
TOME VI
MARS
Anthropologie
Histoire
—
des
—
(N° 1)
1938
Ethnologie
—
Philologie.
Institutions et Antiquités
populations maories.
Littérature et Folklore.
Astronomie
—
Océanographie
—
Sciences naturelles
VVWV/WWWW\
Tourisme.
/
-
IMPRIMERIE
A
DU
aOUVERHBMERT
PAPEETE
Société des
(TAHITl)
Études Océanieiiii
I
BUREAU DE LA SOCIÉTÉ
Président
M. E. AHNNE.
;.,. 4..
Vice-Président
M. G. Lagardk.
Trésorier
M. A. Cabouret.
Secrétaire-Archiviste
M. le D1' Rollin.
Assesseur
M. M. Iorss.
Assesseur
M. W. malinowski.
Secrétaire-Bibliothécaire-Conservateur
du Musée M. H. Bodin.
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LE BULLETIN
Le Bureau de la Société
accepte
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qui paraissent dans le Bulletin mais cela n'implique pas qu'il
épouse les théories qui y sont exposées, ou qu'il fait sien les
commentaires et les assertions des divers auteurs qui, seuls, en
prennent toute la responsabilité.
Aux lecteurs de former leur
appréciation.
La Rédaction.
Société dès
Études
Océanierines
DE
SOCIÉTÉ
LA
OCÉANIENNES
D'ÉTUDES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
TOME VI
.V
fi
(Nm)
M \ Il S
-
1 » .rI ».
SOMMAIRE
Pages
ï.iiiguistiq no.
De
l'emploi des adjectifs et pronoms
hitien, par I. M. Orsmond.
possessifs
en ta-
i
Histoire.
La Vérité
sur
Histoire et
Etude
Tahiti,
par
Louis Jacolliot
7
géographie.
surLisiansky,
par
le Capitaine de Corvette Cottez
17
Divers.
Bibliothèque et Musée
Société des
......
Études
Océaniennes
29
Société des
Études
Océaniennes
$&&&&&$&& AMfc MMSMMÊmSM
l'eiiiploi des adjectifs et pronoms possessifs dans
lanyuc taliitiemie (d'après les notes manuscrites
du Missionnaire S. M. Orsmond en 1D37).
De
la
qui ont fait une étude approfondie de la langue
qui ont le désir de la parler et de l'écrire cor¬
rectement ont rencontré les mêmes difficultés dans l'emploi
des pronoms et des adjectifs possessifs.
Tous
ceux
tahitienne et
En effe f :
mon, ma se
traduit par
to'u
ou
ta
a
ton, ta
to'a, o ta'n
to'oe, ta'oe
son, sa
to'na, ta na
notre
to maton ou
votre
to
leur
to
o
le mien
ta, matoxi
oiitou, ta outoxi
raton, ta raton
Quand faut-il employer to ? Quand faut-il le remplacer par ta f
Cette distinction qui, au premier abord, semble de peu d'im¬
portance peut causer un véritable solécisme et même chan¬
ger complètement le sens de la phrase.
Le Missionnaire Orsmond cite le cas d'un Capitaine de ba¬
teau étranger qui disait à un chef tahilien : Aiia oc e amu i (e
maanooe., voulant dire par là « Tu ne manges pas la nour¬
riture » Mais il avait employé ?to'oeaulieu de na'oe et le Chef
irrité lui répondit : « Mange-toi toi-même, si tu veux, ce n'est
pas notre habitude ».
Vernier et Drollet donne une
clairement l'emploi de ces
particules, elle présente cependant un certain nombre d'ex¬
ception: Ta, a, na, o (a, nous disent-ils, marquent la pro¬
priété simple, relative, provisoire ou temporaire, sans rela¬
tion d'intimité avec le propriétaire. To, o, no, o to, marquent
non seulement la propriété, mais une relation infime et abso¬
La
grammaire tahitienne de
règle générale qui résume assez
la chose et le propriétaire.
Orsmond, sans poser de règle générale,
lue entre
établit des caté¬
gories très détaillées des noms qui prennent le
moins nombreux, qui exigent l'emploi du ta.
Société des Études Océaniennes
to et, de ceux,
Voici
ce
qu'il écrivait à
ce
sujet, en 1837 ; 20
ans
après
son
arrivée à Tahiti.
On doit apporter la plus grande attention à l'emploi des
particules to ou ta, no ouna. Les étrangers qui les emploient,
indifféremment commettent des erreurs, parfois plaisantes,
souvent ridicules et qui provoquent le sourire, quand ce n'est
pas l'indignation de leurs interlocuteurs taliiLiens.
En 1817, lors de mon arrivée à Tahiti, to et ta, no et na
étaient correctement employés, mais actuellement, beau¬
coup, parmi les jeunes, ne font plus de distinction et se con¬
tentent du paresseux
tau.
Cette
négligence regrettable est due à différentes causes :
Tout d'abord, l'abolition du mo'a, cette loi qui punissait
de mort ceux qui se trompaient dans l'emploi de ces parti¬
cules.
L'absence de toute
grammaire ou de tout vocabulaire, à
époque où la langue était encore dans toute sa pureté,
l'afflux des éléments étrangers dans nos îles; l'influence dé¬
bilitante d'un climat qui engendre la paresse d'esprit et le
moindre effort. Enfin, on ne peut que regretter que la seconde
une
édition de la Bible tahitienne n'ait pas été révisée etcontienle rapport de la langue les mêmes erreurs que la
pre¬
ne sous
mière
(1).
Voici quelques règles et de nombreux exemples qui nous
paraissent résumer assez complètement et préciser l'emploi
correct des particules accompagnant les adjectifs et pronoms
possessifs.
On emploie to, o, no, o to :
1°) Pour désigner les parties du corps et tout ce qui se rap¬
porte au corps, ses fonctions naturelles, ses maladies leurs
remèdes.
To'u upoo, ma
Note
tète (en parlant de l'homme seulement ; s'il
(1) En 1801, la traduction delà Bible
troisième
fois
sous
la
direction
Fils d'un des
du
en tahilien fui révisée une
Missionnaire John Barff de Tahaa.
venus à Tahiti. John Barlf était né à
premiers missionnaires
parlait le tahilien comme sa langue maternelle. On peut donc con¬
sidérer la traduction actuelle comme un ouvrage
classique de la langue ta¬
hitienne, ne renfermant qu'un minimum d'erreurs,
Raïalëa et
Société des
Études
Océaniennes
s'agit, d'un animal quelconque ; porc, oiseau ou poisson,
emploiera les mots afii ou omii.)
To'oe
tapono
mon
To'na
sa
oreille
gorge
To'outou hihi mata
vos
cils
To'na tari
son
genou
To raton
leurs entrailles
aau
To'na toto
son
To tatou huare
sang
notre salive
To'na mimi
son
To'oe tutae
To'u nei /iota râa
ma
sa
To'raton,
raau
raau
urine
tes excréments
To'na tutoo
To'na
tapiri
Ealia to'na mai
E mai rahi anei to'oe ?
2
épaule
ton
To'u nei taria
aravoa
on
toux
bronchite
leur remède
emplâtre
Quelle est sa maladie ?
son
As-tu
une grave
maladie t
) Les passions, les sentiments, les énergies, les attributs
vertus et défauts.
moraux,
To'na here
son amour
To'na riri
sa
To'oe
ta
feii tuâtau
colère
jalousie éternelle
To'na haama
sa
To tatou
notre consternation
ma
foi
To'na
son
pouvoir
hepohepo
To'u faaroo
To'oe
mana
ara
ritri
honte
votre sagesse
To ratou horoa ino
leur avarice
To'u nei
mon
manao
opinion
3°) Les meubles, la maison, les vêtements.
To'na
ta
/'are
sa
To tatou tuaroi
maison
notre lit
To tatou altu taoto
nos
To'u nei
taupoo
mon
To'u nei
piriaro
ma
draps
chapeau
chemise
To'u nei tiaa
mes
To'oe pareu
ton pareu
Soçiété des
souliers
Études Océaniennes
4°) Les fonctions
sociales, le gouvernement.
il est roi
il est conseiller
c'est un délégué.
to'na
E toroa orero lo'na
E cmvaha (o'na loroa
E toroa arii
#
1") Les aliments et
O ta
il
culinaires
A lia
:
Cette nourriture est-elle à t
la maa
Nous n'avons rien à manger
de viande
Nous n'avons pas
tatou inaï
ou
de
poisson
Pour moi, la tète
a fit
Eau te
Na'oe te aie
Pour toi. la cuisse
Eau te pape
Pour moi, l'eau
Ea'oe le pape liaari
Pour toi, l'eau
A
ama
i ta
Va
ama ar
Un
a
ma
>i
Elle est à moi
A lia a tatou, maa
a
désigner
boissons préparations et ustensiles
la ma a
a net
#
emploie (a, a, na, o la pour
On
Ea'oe
*
os
ei ta
oe
de
coco
Mange ton poisson
Ton four est-il cuit?
ia
Ain maa
11 est cuit
la
lîoroatu i te te tahi maa na'na
E papa]âa te
tahipopoi
na
ta¬
tou
Donne-lui
quelque nourriture
Prépare-nous de la popoï.
2') Les discours, les écrits, le
O te parau teie a te taata orero
travail:
Voici le discours de l'orateur.
ia'oe na, c te A tua
prière que nous t'adressons,
Teie ta matou pure
Voici la
E parau
E
navenave
ta'na
puka maitai ta'oe
Va tae mai ta'ni parau
Ait a oia i
Na' na te
rare
ta
na
Seigneur
Sa
prière
parole est agréable
Tu
as un
Exauce notre
Faatia i ta matou pure
ohipa
est arrivée
11 n'a pas
vail
fait son tra¬
C'est
hape
sa
fan le
Quel est
Eaha ta'na h.cira
3") La parenté en ligne directe etlégitime
l'emploi de la
Société des
bon livre
Sa lettre
Études
Océaniennes
son
crime
exige également
Ta'u iaeae
Ta'u tamaiti
Dans cette
J'ai
On
frère
mon
enfant
sa
Ta'na vahiné
E tamahine
mon
iti no'u,
na
femme
phrase :
ta'u taeae
une petite fille; c'est celle de mon frère
emploie no pour la fille qui n'est qu'une nièce
le frère qui est. consanguin.
et ta pour
&
#
1
#
particule favorite des étrangers, Ils di¬
toujours : Ua mauini ta'u avae.—J'ai mal au pied, au lieu
de Ua mauini to'u avae. Quelquefois l'erreur n'a pas grande
importance, mais souventceux qui parlent ainsi se couvrent
de ridicule. Les Tahitiens disent entre eux: Quelles drôles
de gens que ces « papaa ». — Ils se comparent à des ani¬
maux etmangent sans cesse leurs propres membres.
Un étranger disait un jour à son hôte :
E amu oe i te a fi no oe
Ex pression qui constitue une double injure : d'abord, parce
qu'il dit à son hôte qu'il a une tête d'animal — nous dirions
une gueule —; puis, il lui ordonne de la manger.
Les Indigènes eux-mêmes, écrit Orsmond en 1837, sont trop
portés à imiter les étrangers.
J'entendis, un jour, un vieillard, qui reprenait vertement
une jeune fille : Veux-tu m'insulter? je ne suis pas un pois¬
son, mais un homme.
Dis : Te omit na'oe. —La tête est pour toi, et non pas : 'Te
'Ta semble être la
ront
omii no'oe.
Note du
—
C'est la tête.
Traducteur.
déjà parlé dans un précédent article (Bulletin
11) de cette coutume du mo'a qu'Orsmond appelle ausm
le pii :
Mo'a signifie sacré, c'est souvenl l'équivalent de tapa.
Certains noms, certaines particules désignant la divinité ou
les puissants du jour étaient sacrés ; le vulgaire n'avait pas
le droit de les employer et, dans les cérémonies religieuses,
les fautes de langage des récitants étaient très sévèrement
Nous avons
n°
Société des
Études
Océaniennes
punies (Voir les Immémoriaux de Segalen). Dans
son désir
pureté de la langue, le vénérable Orsmond
semble presque regretter l'abolition du mo'a. C'est, pourtant
lui qui à propos du piicite le vieux dicton tahilien : Te taata
i hape i te reo va, o ohure ura tona io'a ; iera te au raa o te
ohure ura, e tapa ia, qu'il nous est difficile de traduire en
français, mais qui semble bien indiquer que les fautes de
langage étaient punies du supplice de l'empalement.
Que de pals, il faudrait de nos jours, si cette loi était tou¬
jours en vigueur !
de
conserver
la
E. A.
Société des
Études
Océaniennes
HÏSTOÏBIS
La vérité
Comme suite à la notice
sur
Taïti.
Atimaono, publiée dans les nos 60 et 61 de
intéressant de publier en partie une brochure
qui est presque introuvable aujourd'hui :
notre
Bulletin, il
sur
nous a paru
"LA
VÉEITÉ
SUE TAITI"
(affaire de la Koncière)par Louis JACQLLÏQT, Juge Impérial-Paris 2860.
Librairie Internationale, 15 Boulevard Montmartre.
Je viens défendre M. de la Roneière, Commissaire
rial à Taïli.
Je viens le défendre
contre de
avec
Impé¬
près la Reine des îles de la Société.
ses
non avec
ennemis,
ce
des récriminations à ren¬
rôle me conviendrait peu, mais
des faits !
L'affaire semble
première instance. La presse
l'attaque. Tous les journaux de
France, à quelque opinion qu'ils appartiennent, ont conlinué
américaine
a
jugée
en
commencé
le débat... et l'accusé
a
été condamné à 6.000 lieues de dis¬
tance, sans avoir été entendu !
Qu'on me permette de porter la cause en appel, devant ce
grand tribunal de l'opinion publique qui, malgré les arrêts
officiels n'a jamais craint de réhabiliter les victimes.
Je dirai peu de choses du procès de 1833... Je suis chargé
dé l'avouer hautement en son nom, M. de la Roneière, Com¬
missaire Impérial à Taïti, est bien le condamné de Saumur.
Accusé de tentative de viol sur la personne de la jeune tille
du Général de Maurel, il est
En vain il est matériellement
lancer de la
rue une
traduit en cours d'assises
prouvé qu'il est impossible de
échelle de corde pour,
parvenir
aux ap¬
partements de la prétendue victime. Un vitrier-couvreur dé¬
clare
impossible cette prétendue ascension de l'accusé.
En vain de nombreux témoins
viennent déclarer que la
jeune fil'e est romanesque à l'excès, romanesque jusqu'à
l'invention... On cite d'elle un fait grave : dans un récit pa¬
thétique, elle a déjà essayé de faire croire à sa mère qu'un
homme s'était noyé pour elle dans le fleuve qui passe près
de leur maison... et cet individu qu'elle nomme... n'a ja¬
mais eu la moindre idée de se suicider.
De nombreuses lettres sont produites par l'accusation...
Ces lettres menacent M"0 de Maurel d'une tentative violente
si elle
ne
tres sont
mes
Roncière... Chose inouïe, ces let¬
signées des initiales de l'accusé, il donne des ar¬
cède pas à de la
de folie... Les experts
serment, que ces lettres ont
contre lui... on croit à un acte
arrivent et ils déclarent, sous
été écrites par MIld de Maurel...
En vain on les tourne, on les retourne, on
les presse, ils ne
dans leurs déclarations.
Le drame ne peut plus se tenir, un acquittement est forcé.
Chaix-d'Est-Ange l'affirme à son client... Arrive Berryer,
l'avocat de la partie civile, il abandonne le terrain des preu¬
ves, pour se jeter dans les divagations de l'éloquence... Ce
n'était pas assez de la parole du grand orateur: entre onze
heures et minuit, sur la péroraison de son avocat, Mllc de
Maurel se présente tout-à-coup aux jurés, vêtue de blanc,
pâle, chancelante... Les preuves matérielles étaient vainvarient pas
c tes
et de la Roncière était condamné. Le
lendemain, Lord
Abinger pair d'Angleterre, et le docteur allemand Mattaeï
protestaient par la voie de la presse contre cette inqualifia¬
ble condamnation (ce sont leurs propres expressions)!
Un mot sur la parenté des plaignants ! Le Général Maurel
était, par sa femme, allié au Maréchal Soult; le chef du jury
fut M. Outrebon, notaire du Maréchal.
Je n'accuse pas la conscience du verdict rendu, mais nul
ne m'empêchera de dire, à moi magistrat, qui sais à quel
fil tenu et léger tiennent souvent la vérité ou l'erreur judi¬
ciaire, que le véritable juge n'existera pour nous que quand
nous l'aurons soustrait aux hasard capricieux du sort, pour
le livrer à l'élection populaire. Et puis, je n'ai pas le droit de
soulever ce voile. De la Roncière avait peut-être un moyen
suprême de prouver son innocence à la cour d'assises...
S'il est vrai qu'il a voulu se taire.
ce fut un héroïque sa¬
..
crifice. 11
a
été solennement réhabilité
Plus tard,
huit années
en
1849.
quand le gouvernement actuel, en retour de ses
de souffrances, voulut lui accorder quelques
compensations...
son
procès fut. de nouveau étudié sous
Société des
Études
Océaniennes
tontes
ses
faces.
Chaix-d'Est-Ange interrogé avait gardé sa
croyance vivace en l'innocence de son client. Berryer même
fut sondé, et lhonnête'homme répondit : — C'est un regret qui
est
en
train de devenir
un
remords. Faut-il aller plus loin ? Un
ami intime du Général de
Maurel, un frère d'armes, qui l'a
disait il n'y a pas huit jours (je le nommerai
si on l'exige) : Quelque temps avant sa lin, le Général avait
des hallucinations étranges, le drame de Saumur le tuait...
Je causais la semaine dernière de ce procès, avec un des
plus fermes et des plus loyaux champions delà jeune démo¬
cratie, M. R... ; il me donna ainsi son opinion : — J'ai lu at¬
tentivement le procès de la Roncière ; pour moi. cet homme
est innocent, mais ce que je ne saurais trop flétrir, ce sont
ses coups d Etat à Taïli.
Donc, je dis à mes concitoyens, je dis à toute la presse
française : Lisez les débats d'audience du procès de Saumur,
lisez-les si vous le désirez, il n'est pas un de ceux qui au¬
ront lu... étudié cette triste affaire, qui ne soit persuadé de
vu
mourir,
me
l'innocence de l'infortuné de la Roncière.
aux coups d'Etat de Taïti, j'apporte la vérité et je
signe... alors que pas un des ennemis du Commissaire
Impérial n'a osé donner à ses accusations l'autorité de son
Quant
la
nom.
juge impérial des Etablissements français de l'Odécret impérial, j'arrivai à Taïti, dans les pre¬
de mars 1860. Je n'étais pas, je dois le dire, sans
ressentir quelques appréhensions. Avant de quitter la France,
j'avais lu quelques attaques assez violentes contre M. de la
Roncière, caria croisade était déjà commencée.
Aussi, quand à peine débarqué, j'appris l'envoi de l'or¬
donnateur B... à l'île de Moorea, sa destitution comme pré¬
sident du tribunal supérieur, et celle du juge impérial X...,
président du tribunal de première instance, bien que ces
messieurs ne dussent leur nomination qu'à M. de la Roncière
et à la Reine des Iles de la Société, qui, dès lors, avaient le
droit de les révoquer (la magistrature régulière n'étant pas
encore organisée dans ce pays), je n'en trouvai pas moins
ces façons d'agir d'une violence extrême, et mon irritation
ne fit que s'accroître, lorsque j'appris de l'ordonnateur B...
Nommé
céanie par
miers jours
lui-même, rappelé
de Moorea depuis quelques jours, qu'ils
10
—
avaient été brisés, lui et le
et
un
arrêt
—
juge impérial,
pour un
jugement
qu'ils avaient rendus.
Je résolus
d'apporter la plus grande réserve dans mes re¬
Impérial.
Trois invitations à dîner, adressées officiellement par M.
le Comte de la Roncière, furent, par moi, successivement re¬
fusées sous divers prétextes, lorsqu'un jour, ayant eu à le
voir pour affaire de service, après avoir-traité la question qui
m'amenait, je me vis adresser, par le Commissaire Impérial,
la question suivante : — Si je vous demandais, monsieur, de
me dire franchement pourquoi vous repoussez.mes invita¬
tions, me répondriez-vous ? — Je ne puis accepter de m'asseoir à votre table, M. le Commissaire Impérial, lui dis-je aus¬
sitôt, parce que vous avez brisé des magistrats pour des
arrêts dont ils ne devaient compte qu'à leur conscience. — Eh
quoi ! me répondit le Comte de la Roncière, vous, êtes déjà
de mes ennemis, et cela sans avoir étudié les pièces du débat ;
vous me condamnez sans connaître les nécessités qui m'ont
forcé d'agir, les pressions de l'opinion publique, qui m'ont
tracé mon devoir ! Je vous en prie, ajouta-L-i 1, les larmes aux
yeux, étudiez le pays, fouillez fous les actes.de mon adminis¬
tration, faites-vous une conviction, j'accepte d'avance votre
jugement, quel qu'il puisse être.
lations
avec
le Commissaire
.
A
quoi bon? me dis-je en sortant; M. le Commissaire Im¬
périal est rappelé, donc le Ministre de la marine toutes-pièces
en main, sans cloute, à
déjà jugé le débat.
Cependant je dois le dire:
nous
attendions le remplaçant
intérimaire de M. delà Roncière. et la conduite de l'ordonna¬
teur B
qui devait reprendre
nouveau
ses
fonctions à l'arrivée du
point des plus dignes.
gouverneur, ne nie paraissait
Constamment en courses, il racolait tous les mécontents,
les recevait mystérieusement chez lui, leur faisait signer des
pétitions contre le Commissaire Impérial ; pas un boutiquier,
débitant de liqueurs et autres, al teint par une contravention,
dont il n'allât surprendre la signature dans le premier mo¬
ment de la colère.
Puis il avait le parti de ceux
de
qui demandent
qui
ne
sont jamais
assez repus,
et toujours, que B... avait su
attirer à lui par ses promesses. Toutes les places de TaïLj.
ceux
encore
Société des
Études
Océaniennes
—
Il
—
étaient partagées d'avance. Inutile de dire qu'on devait des¬
tituer
qui les possédaient, pour les punir de leur dévoue¬
Impérial tombé.
Tout cela contribuait à me donner peu à peu des soupçons,
lorsque deux faits graves, au point de vue de la moralité, vin¬
rent me commander impérieusement d'étudier le pays et les
événements qui s'y étaient passés avant mon arrivée.
Voici ces faits : je les avance sous ma responsabilité per¬
ment
ceux
au
Commissaire
sonnelle.
Un matin, me trouvant dans mon cabinet au
tribunal, com¬
je parcourais le registre affecté à l'inscription des forma¬
lités relatives aux tutelles, je m'aperçus que le tuteur des
mineurs G.... n'avait point fait procéder à l'inventaire voulu
par la loi. Je fis appeler le Grellier en Chef et lui en exprimait
mon mécontentement. Quelle ne fut pas ma
stupeur quand
j'appris du Greffier lui-même que cet inventaire avait été
commencé, puis arrêté par les efforts de B... auprès du tu¬
teur, M. Burns, et du conseil de famille, pour empêcher qu'on
constatât judiciairement, dans les papiers du défunt, une
dette importante d'un de ses amis, fonctionnaire de l'ordre
administratif, renvoyé de la colonie par M. de la Roncière.
Le second fait est plus grave :
A la troisième audience civile que j'eus à présider, l'huis¬
sier de service appela première venante pour être plaidée,
une affaire : femme Valiineliau contre X
contre l'ancien
juge impérial destitué par M. de la Roncière.
me
,
Depuis près de six mois ce procès passionnait l'opinion pu¬
blique. Les juges locaux, sachant qu'une magistrature régu¬
lière arrivait de France, avaient refusé de le juger.
La veille de celLe audience, l'ordonnateur B... vient chez
moi. Il était trop habile pour me parler du procès, mais il me
fit un éloge pompeux du sieur X.... son ami, et je compris
que c'était une semence qu'il venait
désirait voir fructifier pour le procès
A
jeter dans mon esprit, et
du lendemain.
l'audience, les faits suivants vinrent se dérouler devant
nous.
En 18GG, X..., nommé juge impérial par M. de la Roncière,
reçut également de la Reine des îles de la Société la présiden¬
ce
de la
cour
indigène.
Société des
Études
Océaniennes
—
Désirant
se
faire édifier
12
un
—
hôtel (1) en rapport avec Seë
dévolu sur le seul terrain du
quai près de la mer qui ne fût pas encore bâti.
Ce terrain appartenait par indivis à toute une famille de
TnïLiens indigènes, et, malgré les offres brillantes faites par
plusieurs européens, on n'avait jusquà ce jour consenti à le
vendre à aucun prix. X.... fait à son tour des propositions
qui son repoussées....
Chose incroyable, moins de quinze jours après, une femme
Vahinehau, mineure alors, copropriétaire de ce terrain, vient
dans un procès contre sa famille, réclamer la propriété ex¬
nouvelles fondions, il
clusive de
ce
jette
son
terrain; la mère, les oncles, les tantes, une de
sont à l'audience, ils s'opposent à ces
absurdes
rien n'y fait...., le juge impérial X.... adjuge
séance tenante la propriété de ce terrain à la fille mineure
Vahinehau, malgré les protestations de toute sa famille !
Ces spoliés voulurent se plaindre.... Le juge étouffa tout
avec la police. Il est au dossier une pièce curieuse. Le Direc¬
teur des affaires indigènes, ami de X...., conclut dans un
rapport à la déportation de la mère de la mineure Vahinehau,
parce que, dit ce rapport, elle s'oppose à l'exécution des ar¬
rêts de la justice....
On eut raison de cette mère qui avait vu adjuger son pro¬
pre bien à sa fille, en la déportant sur une île voisine.
Un mois après cet audacieux jugement, le juge impérial
ses sœurs,
prétentions
X,... achetait dans
son
cabinet,
au
tribunal,
ce
même terrain
de la femme Vahinehau dans les circonstances suivantes....
Cette
femme, que toute la famille prétendait mineure, avait
le Chef chargé de ce service au bureau in¬
digène, d'un acte de notoriété sans témoins, la déclarant ma¬
jeure.
L'acte de vente fut rédigé dans le cabinet du juge impé¬
été pourvue par
rial par
l'interprète judiciaire de ce dernier, M. 0.... en pré¬
Que venait faire le directeur des af¬
faires indigènes qui, comme chacun le sait à Taïti, est une
autorité terriblement respectée par le natif?
La femme Vahinehau ne sachant signer, l'interprète du
sence
de l'ami de X....
(I) Ancienne maison en pierre située ail bas de l'Avenue S1 Amélie, actuel¬
expropriée et démolie.
lement
Société des
Études Océaniennes
—
13
—
juge, le sieur 0.,.., lui tient la main, lui l'ait tracer son nom,
le directeur des affaires indigènes signe à l'acte, et la vente
est accomplie, et un terrain valant haut la main huit à dix.
mille francs dans le pays est acheté pour deux mille.
Cet acte de vente, tramé dans l'ombre contrairement à la
loi, n'est pas rédigé en double.... et la femme Vahinehau
quitte le palais de justice sans emporter une copie de son
acte.
A peine cette vente est-elle connue, que la famille entière
proteste à nouveau. Vahinehau elle-même soutient qu'elle
a été trompée, menacée même....
Le scandale s'accentue au dehors.... il faut la police pour
chasser les pauvres gens
de leur terrain, X.... emploie la po¬
tribunal deux jugements d'envoi
en
possession, jugements rendus par défaut contre Vahine¬
hau.... et enfin l'hôtel du juge impérial peut se bâtir sur ce
lice.... fait rendre par son
terrain.
La femme
frustrés
Vahinehau, assistée de sa mère, de ses parents
intenta alors à X....
une
action
en
nullité de vente
pour menaces, dol et manœuvres frauduleuses....
Tous les faits que nous venons de raconter vinrent
s'étayer
scanda¬
tribunal,
conclusions conformes du procureur impérial, chef du ser¬
vice judiciaire, un jugement qui annulait cette vente.
La décision à peine connue, l'ordonnateur B.... se rendit
chez le procureur impérial son compatriote, son camarade
d'enfance, pour lui faire des observations, il osa même le
lendemain en hasarder quelques-unes avec moi. Et j'appris
bientôt qu'au dehors il prenait la défense de son ami X... avec
acharnement. Je m'en étonnai d'abord.... je compris bientôt.
Ce jugement portait une bien rude atteinte à la moralité de
l'ancien juge impérial ; et les indifférents eux-mêmes, oux
qui n'avaient pris parti ni pour le gouverneur, ni pour l'or¬
donnateur dans les luttes du passé commençaient à dire:
B.... et XL., ont été brisés dans leurs positions dé jugés, pour
des jugements et des arrêts rendus par eux ; M. de la Roncière peut bien n'avoir pas eu tort, si les actes judiciaires de
ces messieurs ressemblent aux scandaleux débats auxquels
nous venons d'assister. Voilà les deux faits que le hasard
des preuves les plus convaincantes.... Ce fut une
leuse audience, et je rendis, comme président du
Société des
Études
Océaniennes
me
livra à rencontre de B.... et de X...., les deux
chefs de
celte coalition restreinte, mais écoutée à
Paris,
de
comme gouverneur
laquelle
a
succombé M. de la Roncière,
sous
le coup
de Taïti.
A cette heure
ver
je compris qu'il était de
mon
devoir d'arri¬
à la vérité.
#
#
Avant de
commencer mon enquête, j'écoutais ma cons¬
je n'avais ni haine ni amitié pour personne, et par
conséquent pas d'entraînement involontaire à subir. Je me
dis que je devais être fatalement impartial, et je me mis au
cience:
travail.
J'affirme sur l'honneur, l'exactitude des laits que je vais
raconter, la plupart du reste sont élayés par des pièces et
des documents.
Depuis un mois et demi, j'ai fait l'impossible pour faire
justice à M. de la Roncière par les voies hiérarchi¬
ques, je me suis brisé contre un parti pris....
J'ai voulu arriver à l'Empereur, on m'a dit au ministère
que je provoquais ma destitution et qu'on n'hésiterait pas
rendre
à la demander....
Eh bien!
voyons donc si la vérité ne remontera pas jus¬
qu'en haut, soutenue par l'opinion publique.
Me voici arrivé au cœur de mon sujet; divisons pour être
plus clair:
1") Quelles sont les causes des inimitiés qui, en France et
en Océanie,
s'attaquent à M. de la Roncière?
2") Quels sont, comme Gouverneur, les résultats de l'ad¬
ministration de M. de la Roncière à Taïti ?
3°) Comment s'est engagée la lutte entre le Gouverneur et
l'ordonnateur ?
....La
plantation de Soarès d'Alimaono,... ses procès... ré¬
juges, envoi de l'ordonnateur B
à Moorea,...
vocation des
..
conduite du ministère dans cette affaire.
4
) Evénements finals de la lutte.
5n) L'exécution du chinois d'Alimaono.
1°) Quelles sont les causes des inimitiés qui, en France et
en Océanie, s'attaquent à M. de la Roncière?
M. de la Roncière est un esprit large, profondément libé-
Société des
Études Océaniennes
—
45
ral, ennemi de la routine, des vieux errements-administra¬
tifs, et dont, la préoccupation constante a été de laisser se
développer librement l'initiative individuelle.
C'est le dernier des gouverneurs que notre presse démo¬
cratique eût dû attaquer... et qu'elle n'eut pas attaqué si elle
l'eût mieux
Nous
connu.
bientôt ses actes prouver mieux ses inten¬
paroles ne pourraient le faire. Les idées, ex¬
primées avec une rude franchise, et mises en pratique, ont
valu à M. de la Roncière les haines vigoureuses de tout ce
qui porte plume, et, sous pretexte de colonisation, passe sa
vie à noircir des imprimés, et à préparer des arrêtés qui
-doivent être exécutés à trois, quatre et six mille lieues de
verrons
tions que nos
distances...
M. de la Roncière
s'est
jamais gêné pour leur dire :
besogne, et c'est pitié que
de vous voir, du quatrième étage du ministère de la marine,
diriger des colonies où vous n'avez jamais mis les pieds et,
des gens dont vous ne connaissez même pas la.couleur de
la peau. Vos arrêtés sont inexécutables, n'attendez pas de
moi que je les applique.
—
ne
Vous n'entendez rien à votre
Un jour, M. de la Roncière commandait à St Pierre et Miquelon : le Prince voyageur vient à passer par là ; il lui fait
toucher du doigt toutes les mesquineries, toutes les petites¬
ses d'esprit de celte administration. Le Prince s'en retourne
frappé et raconte tout à l'Empereur, qui, parait-il, l'ait à ton
tour des observations..., Grande colère, grand émoi parmi
les membres de la gent emplumée, grosses rancunes amas¬
sées, tout cela se paiera plus tard.
Un petit fait pour démontrer à quelle puérilité de régle¬
mentation les services coloniaux sont soumis.
J'ai connu, dans un petit établissement, un garde du gé¬
nie, qui était chargé du service des ponts et chaussées.
A lui seul il était: chef du service des ponts et chaussées,
surveillant général des travaux, piqueur des travaux sur les
chantiers, magasinier et chef de la comptabilité.
Un jour que je riais avec lui de ce fractionnement de sa
personne : — Ah ! monsieur, me dit-il, si vous saviez à quel
rude travail cela m'oblige, Exemple ; — comme piqueur,
—
16
—
j'ai besoin d'une livre de clous. Je prends une feuille de pa;
pier numérotée et je commence :
A Monsieur le surveillant général des travaux. Le
piqueur de telle section a l'honneur de vous prévenir qu'il a
—
besoin d'une livre de clous pour, etc....
Je prends une seconde feuille de
comme
surveillant
papier, et j'écrivis alors
général des travaux :
J'ai l'honneur d'adresser à M. le chef des
ponts et chaus¬
sées la demande du piqueur de, etc,...
Je
prends une troisième feuille de papier, toujours numé¬
rotée, et j'écris: approuvée la demande du piqueur de la
station de.... transmise par, etc....
Je prends une quatrième feuille de
papier et écrivant com¬
me surveillant
général: M. le piqueur de la section de....
J'ai l'honneur de
vous
retourner votre demande
par le chef de service.
Je prends une cinquième
approuvée
feuille de papier et j'écris
encore :
Prière à M. le magasinier de vouloir bien me faire-délivrer
une livre de clous, suivant ma demande
approuvée par. .. à
la date du....
Vous croyez que c'est fini, attendez encore : Je
prends une
sixième feuille de papier.... et j'écris, comme
magasinier:
Monsieur le chef de comptabilité des travaux,
je viens de
délivrer, sur la demande approuvée du piqueur de telle sec¬
tion, etc....
Je prends une septième feuille de
papier.... Arrêtez; lui
dis-je, vous allez épuiser toute votre provision....
Je ne plaisante pas. me dit le
pauvre homme en soupi¬
rant.... le soir, quand mon travail est fini sur les
chantiers,
je suis encore obligé de rédiger tout cela en triple expédition.
J'ai passé deux heures à rédiger et à
recopier tout cela, ma
livre de clous vaut bien trois sous, en tarifant mon
temps à
50 centimes l'heure comme un ouvrier, il se trouve
que j'ai
perdu, à écrire, plus de six fois la valeur de ma livre de clous,
sans
compter le papier...'..
Il n'est pas un de ceux,
parmi les inventeurs de ces petites
réglementations, qui ne soit aujourd'hui l'ennemi de M. de
la Roncière, et ils sont forts
par le nombre, car eux aussi ils
se nomment légion.
(A suivre)
Société des
Études Océaniennes
Etude
I
sur
—
LISIANSKY
LISIANSKY.
navigateur heureux
puisqu'il a fait dans l'Océan Pacifique certaines découvertes,
le Capitaine Russe UREY FEODOREVITCH LISIANSKY ne
S'il s'est montré bon marin et môme
saurait être cité
comme
le modèle des Commandants en sous-
de circumnavigation de Kru(1803-180G).
Bien que les missions des deux capitaines (1) ne fussent
pas entièrement les mêmes, Krusenstern ne peut omettre de
signaler, au cours de ce périple, les séparations fréquentes
des deux navires : d'abord dans la région du Cap Ilorn, sous
prétexte de mauvais temps ; mais ensuite, fait beaucoup plus
grave, dans le voyage de retour vers l'Europe, LISIANSKY
navigue « à la part», ne rallie pas l'Amiral aux rendez-vous
prescrits, et met ainsi son Chef dans un cruel embarras (2).
Quoi qu'il en soit - peut être même à cause de son indis¬
cipline, ou du moins de son esprit d'extrême indépendance,
qui le pousse à naviguer sur des routes nouvelles et à voir
hommes et choses sous un angle personnel - le Capitaine
LISIANSKY mérite une mention particulière dans l'histoire
des navigations du Pacifique Austral.
Au cours des pages suivantes nous allons donc présenter
notre héros d'abord vu par Krusenstern, ensuite par lui—
ordre, lors du fameux voyage
senstern
cependant
police des Etablissement nationaux de l'Alaska et
chargement de fourrures au bénéfice de la Compa¬
gnie Russe d'Amérique — Voir Bulletin S. E.O. n"3 51 cl 52.
(2) « La confirmation de la guerre en Ire la Russie et la France que j'ap¬
pris Sainte Hélène me fit regretter vivement que le Capitaine LISIAA'SKV
ne s'y fut pas arrêté suivant mes ordres — notre sécurité réciproque com¬
(1) La Nadiedga devait déposer au Japon une ambassade russe,
que la Ne,va assurerait la
y rassemblerait un riche
mandait notre réunion
Les passeports que nous avions du Gouvernement
Français pouvaient bien nous garantir contre tout traitement hostile de la
part des vaisseaux de guerre : mais on ne saurait attendre des ménagements
semblables des corsaires, même en leur niellant les ordres de leur gouver¬
nement sous les yeux » (Voyage de Krusenstern — Tome II — page 500,),
—
Société des
Études Océaniennes
—
même, enfin
18
—
- Ce portrait sera suivi d'une-traduc¬
de la relation de LISIANSKY consacrée
aux. régions spécialement étudiées dans cette revue : Ile de
Pâques, Archipel de Washington ou des Marquises.
par nous
tion des passages
#
#
LISIANSKY cependant avait été choisi après mûre réfle¬
xion
:
(1)
«
La nomination du Capitaine, qui devait
sous mes
ordres commander le second vaisseau avait été laissé à
ma
disposition - Dans un voyage d'une aussi longue durée, dont
l'objet était à la fois scientifique et commercial, qui, indé¬
pendamment des devoirs du service, exigeait des sentiments
nobles et
un
devenait
assez
abandon total de
difficile
-
ses
Il fallait
intérêts, mon choix
qu'il tombât sur un homme
propres
dont le dévouement, la douceur et-le désintéressement fus¬
sent invariables dans toutes les circonstances
-
Cet homme
je le trouvais dans le Capitaine LISIANSKY. - Il avait servi
avec moi dans la Marine
anglaise, en Amérique',' et aux Indes
pendant la dernière guerre, et s'était partout conduit en ha¬
bile officier
».
Et il ajoute en parlant des préparatifs du
voyage.
« Il
était nécessaire d'apporter une extrême
prudence à
l'achat des vaisseaux: c'est pourquoi M. LISIANSKY elle
constructeur
KASOUMOFF, jeune homme très instruit allè¬
septembre à Hambourg; mais contre l'at¬
tente générale, ils n'y trouvèrent pas de vaisseaux convena¬
bles
Sans perdre le temps ils passèrent à Londres »
(2).
rent
au
mois de
-
M.
LISIANSKY,
en
achetant les vaisseaux avait aussi
pourvu à tout ce
qui était nécessaire pour un aussi long
voyage - Il avait surtout fait une ample provision des meil¬
leurs antiscorbutiques tels que tablettes de
bouillon, essence
de drèche, essence de sapin, levure de bière
séchée, mou¬
tarde, 'etc... ainsi que des meilleurs médicaments dont le
Docteur ESPENBERG Médecin de
vaisseau lui avait
mon
envoyé la liste » (3).
On a déjà dit que les bâtiments de l'expédition furent sé¬
parés par le mauvais temps dans le voisinage du Cap Horn.
(lj Krusenstcrn
(%)
(3)
—
Voyage autour du monde
—
Tome 1
—
—
—
—
—
—
Société des
Études
Océaniennes
—
page
page
23.
21).
page
34,
—
'
A
arrivée
10
—
Marquises « Le Capitaine LISIANSKY
qu'il s'était arrêté quelques jours près de l'Ile
de Pâques dans l'espérance de nous y trouver, mais des
vents violents d'Ouest l'avaient empêché d'y mouiller - 11
avait envoyé un canot à la Baie de Cook et échangé avec les
habitants des bananes et des patates » (1).
Des Marquises, ils font route de conserve vers les Sand¬
wich (lie d'Ovahou) - Krusenstern résout de ne pas s'arrêter
me
son
aux
raconta
à Karakakoua
en
raison de l'état de
son
bâtiment
-
«
Le Ca¬
pitaine LISIANSKY, au contraire, n'étant pas si pressé, se
proposa de mouiller quelques jours dans la Baie de Kara¬
kakoua, pour continuer sa route sur Kodiac » (2).
En Septembre 1805, au mouillage de Saint Pierre et Saint
Paul, Krusenstern voit arriver le Constantin petit navire de
la Compagnie conduit par Potopof, pilote de la Marine im¬
périale « Ce pilote Potopof nous apprit qu'à Sitka, la Neva
avait soutenu un combat sanglant contre les sauvages ; il y
avait eu quelques morts et plusieurs blessés - Nous nous
félicitâmes à cette occasion d'avoir été chargés d'une mis¬
sion plus pénible, il est vrai, mais aussi plus intéressante,
et vraisemblablement beaucoup plus utile que celle de la
guerre aux sauvages ».
«
Au début de Décembre.
était presque prêt à
arriver la Neva
1805, à Canton
reprendre la
mer,
:
notre vaisseau
lorsque nous vîmes
Le
Capitaine LISIANSKY m'apprit qu'il apportait, un
chargement de pelleteries de Kodiak et de Sitka produit, à ce qu'il espérait, suffirait pour charger nos
très riche
dont le
deux bâtiments de marchandises de Chine
La
Nadicclrja et la Neva firent voile de Uhampoa le 9 fé¬
En cas de séparation, j'a¬
vais indiqué au Capitaine LISIANSKY l'Ile Sainte Hélène
pour point de réunion : je supposais que les événements po¬
litiques de l'Europe dont nous serions instruits à notre arri¬
vée dans cette île, ou peut être plus tôt, par quelques navi¬
res européens, nous obligeraient à marcher de conserve pour
«
vrier 1808, à 10 heures du malin
(1) Krusenstern
(2)
—
-
Voyage autour du monde
—
—
Société des
—
Tome I
—
Études Océaniennes
—
])age"I(57.
page
2(>r>.
20
—
~~
notre sûreté
réciproque, et que pour cette raison nous ne
devions pas nous presser ».
Ils traversent ensemble le détroit de la Sonde - mais « le
15 avril 18061e vent souilla
avec
force de l'E-S-E et
amena
temps sombre et pluvieux - Le vaisseau y était de 9 à 9
heures 5 sous les huniers, les ris pris - Cependant malgré ce
vent si favorable nous fûmes séparés de la Neoa- A 10 heu¬
res du matin, nous l'apercevions encore derrière nous, à
peu
de distance, naviguant sous ses seuls huniers - A 4 heures
après-midi le ciel s'étant éclairci, on le chercha du haut du
mât, sans pouvoir la découvrir quoique notre bâtiment mar¬
chât beaucoup mieux - Je ne pouvais cependant imaginer
qu'en six heures elle eût pu, avec peu de voile, passer devant
nous et disparaître - Cette séparation ne pouvait être attri¬
buée qu'à la route différente qu'elle prit, qui était celle de
l'O11/4 N°, je la suivis jusqu'à 7 heures tirant plusieurs coups
de canon, et toutes les trois heures pendant la nuit on allu¬
un
mait
un
Nous
feu clair.
- et je pensais que nous
séparés jusqu'à Sainte-Hélène, où le rendezvous était indiqué....
Le lecteur indulgent trouvera peut-être un semblant d'ex¬
cuse à cette étrange séparation, dans cette dernière phrase
de Krusenstern : « ce même jour aussi nous coupâmes le
360° du méridien de Sainf-Petersbourg ; par conséquent nous
avions terminé la circumnavigation du globe ».
ne
reçûmes pas de réponse
allions être
Krusenstern attend
en
vain
Sainte-Hélène, puis fait route
rendez
sa conserve au
vous
la Russie.
Au milieu de Juillet, dans la mer du Nord, il rencontre
chemin différents navires
de
vers
Kruscuslei'ji
—
anglais
sur
croisière : par eux,
il apprend la nouvelle de la guerre entre la Russie et l'An¬
gleterre.
« Le 22 juillet à 7 heures
nous parlâmes à la corvette an¬
glaise le Lynx Capitaine MARSHALL et le 23 à la frégate
Quebec Capitaine Lord FALKLAND qui nous envoya un offi¬
cier à bord pour nous offrir de la manière la plus obligeante
toutes les ressources dont nous pourrions avoir besoin après
un aussi long voyage - C'est par celte frégate
que nous eùson
Voyage autour du monde
Société des
Études
—
en
Tome II
—
Océaniennes
page
4(J0.
mes
les
premières nouvelles de la Neva
-
Elle était partie de
Portsmouth pour Cronstadt depuis huit jours, sous le convoi
d'un cutter anglais - A 6 heures du soir nous découvrirons
les côtes de la
Norvège à la distance de dix-huit milles »...
l'expédition atteint finalement la Russie dix
jours après LISIANSKY.
Le service ne devait plus réunir ces deux Capitaines: LISIANSKY quitta la Marine militaire peu de temps après son
retour (1809).
Il est mort à Saint-Petersbourg en 1837.
Le Chef de
#
Etude
Il
—
sur
#
#
LISIANSKY.
L'ILE DE PAQUES.
D'après la relation de LISIANSKY.
(Traducton de J. COTTEZ.)
13 Avril 1804. — Du 1er au 13 Avril quoique le temps ne
fut pas bien établi, le vent souilla moins fort et les grains
devinrent moins fréquents - Le 13 je me trouvai par la lati¬
tude de 29° 45' et par la longitude de 104° 49' Ot. ; l'exactitu¬
de de notre
très voisin
104° 33'
longitude pouvait être confirmée
avec
le résultat de
nos
par son accord
observations qui donnait
Je donnai
l'ordre, ce jour là, de monter la forge
de commencer à fabriquer des haches, des
couteaux, de gros clous et des ciseaux à froid pour les ha¬
sur
-
le pont et
bitants des iles de la
46 Avril.
—
mer
du Sud.
Les câbles avait été
frappés
sur
toutes mes
les dispositions pour un mouil¬
lage de plusieurs jours, et à onze heures du matin nous vî¬
mes l'ile de Pâques devant nous, en accord avec ce que nos
ancres,
et j'avais pris toutes
observations lunaires nous donnaient des raisons d'espérer.
A midi nous nous trouvâmes par 27'13' S et, par 13 hau¬
teurs avec le N°
30(1) par 109' 44', avec le N° 1841 par 110°
le N° 136 par 108° 59 et avec le Pennington par 108°
34' Ouest de longitude - La côte, à ce moment, était à une
distance d'environ trente milles : d'après cela je conclus que
12'
;
avec
(r) Il s'agit du numéro des chronomètres employés.
Société des
Études
Océaniennes
le
premier chronomètre était de 30 milles à l'Ouest, le
se¬
cond 65 railles à
l'Ouest, le troisième 8 railles à l'Est et le
dernier 33 milles à l'est
Depuis midi nous naviguâmes 09
N.O. et à 5 heures atteignîmes la côte Est de l'île: mais
comme le temps était à la lois à
grains et brumeux, dans la
soirée-je serrai mes perroquets et restai en mer pour la nuit.
La capture d'un grand nombre de petites mouettes m'avait
indiqué la proximité de. la terre quelque temps avant qu'el¬
-
le
fût aperçue.
ne
17 Avril 1804.—
nous nous
Le
lendemain matin de bonne heure
trouvions à 12 milles à l'Est de la côte et à 6 heu¬
le vent dans leN.O., nous approchâmes de la poin¬
Sud, qui est remarquable par deux rochers, dont l'un res¬
res avec
te
semble d'une manière si
frappante à un navire avec ses voi¬
grand perroquet établies, que certains de mes hom¬
mes le prirent d'abord pour la
"Nadejcla'.
La côte Est de l'île de Pâques est très plaisante - Elle est
couverte de verdure et plusieurs endroits semblent plantés
de bananes
Vers le milieu se trouvaient deux grandes sta¬
tues noires, l'une d'une taille double de l'autre : elles parais¬
saient faire partie du même monument, car elles étaient très
près l'une de l'autre et piquées dans le même monticule.
La côte Sud de 1 île est rocailleuse et escarpée, formée d'une
pierre ressemblant à l'ardoise ou au liais, couchée en stra¬
tes horizontaux, la partie supérieure couverte d'herbe.
Ap rés avoir doublé la pointe Sud je lis route vers la côte
Ouest, et arrivé à trois milles environ je reconnus la "Baie
de Cook" le long des côtes de laquelle déferlait une forte
houle-Non loin de la plage nous observâmes quatre statues
dont trois très grandes; l'autre semblait avoir été cassée,
à peu près à moitié de sa hauteur - Elles offraient une forte
ressemblance avec les monuments décrits par Lapérouse
dans le voyage, au cours du quel ce navigateur périt si mal¬
les de
-
heureusement.
J'avais d'abord l'intention de mouiller dans la Baie de
Cook, mais le temps était incertain, je craignais des vents
de la partie Ouest, qui avaient rendu ce mouillage très peu
sûr
-
Comme
nous
n'avions
eu
aucune
connaissance de la
''Nadejdd' depuis notre séparation, je résolus d'attendre
quelques j
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 62