B98735210103_031.pdf
- Texte
-
IMPRIMERIE
DU
GOUVERNEMENT
A PAPEETE
(TAHITI)
Les articles
publiés dans 1 n Bulletin, exceptés ceux dont l'au¬
réservé ses droits, peuvent être traduits et reproduits
condition expresse, que l'origine et fauteur en seront men¬
teur y a
à la
tionnés.
Toutes communications relatives
la Société,
doivent
au
être adressées
au
Bulletin
au
Président.
Musée
Boîte
ou
à
110.
Papeete, Tahiti.
Le Bulletin est envoyé
Prix de
ce
gratuitement à tous
ses
numéro
6 fr. 50.
Prix de
chaque N° déjà paru: 12 fr. ou 2/Cotisation annuelle des Membres résidents
d. ou 50 cents.
30
Cotisation annuelle des Membres résidents
pays français
étrangers.
2
dollars
francs.
en
...
Cotisation annuelle des
Membres.
ou
40 francs.
8 shillings.
SOUSCRIPTION UNIQUE.
Membre à vie résidant.en France
Membre à vie résidant
à
trente dollars.
ou
l'Etranger, six livres sterling"
versée
une
se faire recevoir Membre
fois pour toutes. (Article 24
à vie pour cette som¬
du Règlement Inté¬
rieur. Bulletins N" 17 et N° 29).
i°Lc Bulletin continuera à lui être adressé,
il cesserait d_être Membre résidant a Tahiti.
2°
ne
ou
.
Avantages de
me
dans sesco'onies. 500 fr.
quand bien même
C'esPf^fcuie
résident pas
nements.
manière de recevoir le Bulletin pour ceux qui
dans la Colonie, puisqu'on ne reçoit pas d'abon¬
•
L'intérêt de cette modique somme assure à la Société un
revenu supérieur a la cotisation annuelle de 30 fr.
40 Le Membre à vie n'a plus à se piéoccuper de l'envoi ou du
paiement de sa cotisation annuelle, c'est une dépense et un souci
3"-
de moins.
En
sont
conséquence: Dans leur intérêt et celui de la Société,
invités à devenir Membre à vie
:
TOUS CEUX qui, résidant hors Tahiti, désirent recevoir le
Bulletin.
TOUS LES
jeunes Membres dé la Société.
qui-, quittant Tahiti s'y intréressent quand même
TOUS CEUX
Société des
Études Océaniennes
DE
SOCIÉTÉ
LA
D'ÉTUDES
OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
——3.*!——
TOME III
N« 31.
-
(N° 9)
JUIN 1929.
SOMMAIRE
T AGES
Histoire.
Journal de Maximo Rodriguez ( 1774-177s) traduction
de M. Ch. Pugeault (suite) Voir noS 28-29-30
266
Histoire d'hier. Le dernier Kaito Takoto: Narration du
R. P. Paul Mazé
279
Folk-lore.
Légende desdeux amies. Recueillie
par
André Ropiteau
289
Divers.
Avis
aux
botanistes.
Société des
292
Études
Océaniennes
*>> réfc
réfe
^w
JOURNAL DE MAXIMO RODUIGUEZ
Premier
Européen ayant habité Tahiti (Tautira).
1774-1775
(Suite.
—
Voir u° 28.)
(io avril).
Beau temps ce
matin avec fraîche brise du S. E.
Je me rends dans la vallée et les indigènes se mettent immé¬
diatement en quête de bambous pour la barrière du jardin.
Je remets à notre pêcheur le filet qui m'a été donné. Cet hom¬
me me dit qu'il est
d'usage d'offrir des présents à tout gardien de
filet; ces présents sont des cochons, des vêtements etdes fruits de
toutes sortes. 11 dit que les Arii eux-mêmes se conforment à cet
usage. Je m'y soumets aussi en envoyant toutes sortes de provi¬
sions.
Vehiatua m'envoie des
régimes de bananes. Il
me
fait dire qu'il
mieux, mais que les envoyés qu'il avait dépêchés de Vaiuriri à
Papara ont échoué dans leur mission et qu'il va partir en guerre
va
Papara.
J'envoie à Vehiatua quelques biscuits qu'il m'avait demandés
contre
à
ma
dernière visite.
L'après-midi
vers quatre
heures, promenade avec le Père Gero-
nimo.
Par hasard
nous
rencontrons
surplis. Cet homme
à
son
le
dit
une
l'indigène qui connaît l'affaire du
femme avait enlevé le surplis
que sa
frère, dans l'intention de
elle l'avait donné à
ver
nous
nous
le remettre mais qu'ensuite
l'engageons à retrou •
autre femme. Nous
surplis sinon ils auront affaire à Vehiatua.
A la nuit
rentrons à la maison. Nous trouvons notre
pê¬
qui vient nous dire qu'il ne peut garder le filet dans sa mai¬
parce qu'il est un homme du peuple et que sa maison est une
nous
cheur
son
"efarenoa". 11
me
faut donc rechercher
une
autre maison. La
vérité de tout ceci est que le filet était arrivé dans une pirogue
double donnée par Vehiatua et que l'indigène craignait d'être
Société des
Études
Océaniennes
267
—
banni s'il
gardait dans
sa propre
—
maison ces objets sacrés,
parce
qu'ayant appartenu à un Arii.
Vent du S.E. toute la
journée. La nuit, pluie
par vent
du Sud.
(il avril.)
Beau temps.
Petite brise du Sud. Nous avons de petites averses.
Je vais chercher une maison pour loger le filet. Nouvelle dif¬
ficulté: il ne faut pas qu'une femme ait habité dans cette mai¬
son.
Enfin
nous
trouvons une
case
où
a
sûrement habité
un
homme.
Je la fais transporter à proximité de chez nous et, piro¬
gue et filet, sont placés dedans.
L'après-midi le Père Geronimo et le matelot vont se promener.
Ils reviennent à la tombée de la nuit
sans
incident.
(12 avril).
Beau temps.
Brise du Sud. Quelques ondées.
Je vais chercher des travailleurs dans la vallée pour terminer
la barrière. Ils ne pourront venir que le lendemain.
A midi le pêcheur nous apporte unearroba de poisson (12 klgs)
de très bonne qualité. Nous prenons ce qui nous plaît et lui lais¬
sons
le
reste.
Des gens du
bambous pour
district de Tapari arrivent avec des paquets de
réparer une maison de Vehiatua. Nous prenons
ces bambous et terminons notre barrière. Nous
récompensons
les travailleurs avec des petits boutons de verre et des hameçons.
Nous donnons aussi deux morceaux de calicot rouge à deux indi¬
gènes qui travaillent chez nous.
Nous récoltons aujourd'hui nos premiers brocolis.
(13 avril).
Même vent S. E. très violent.
Nous apprenons que
à
partir
Notre
Vehiatua complètement rétabli se prépare
Papara.
apporte du poisson pris au filet.
girouette pour mieux nous rendre compte
en guerre contre
pêcheur nous
Nous installons une
de la direction des vents.
Des
nous
indigènes de l'île de Moorea de passage à Otahiti
rendre visite. Nous leur donnons des verroteries.
viennent
(14 avril).
Quelques grains ce matin avant le lever du soleil. Au Sud
ciel est chargé de nuages.
Nous donnons un morceau de calicot à notre
pêcheur.
Société des
Études
Océaniennes
le
—
m
—
l'après-midi, avec le matelot, nous cherchons le plus gros
verrats, pour le tuer. Mais impossible de le trouver, nous
ne savons ce qu'il est devenu. Nous rentrons à la maison et ra¬
contons la chose aux Pères.
D
de
ins
nos
(15 avril)
Ciel
chargé de nuages et calme.
gardien de notre filet je pars à la pêche. Mais un vent
violent nous fait bientôt revenir; la pluie s'en mêle et je me hâte
de rentrer à la maison, car la rivière grossit à vue d'œil et j'ai
beaucoup de difficulté à la traverser. Je remarque en arrivant
que la porte du préau a été mise en place.
Peu de temps après nous entendons les indigènes pousser de
grands cris. Nous allons voir ce que cela signifie avec le Père
Geronimo. Nous voyons alors que la rivière a grossi démesuré¬
ment si bien que le volume de ses eaux peut se comparer à la
rivière de Lima, par forte crue. Cette inondation subite cause
bien des dommages. Des arbres sont déracinés, le tond de la
vallée inondé, et des cadavres, qui étaient exposés dans des marae
sont emportés. Les parties basses sont envahies par les eaux et
en
particulier les plantations de Vehiatua (surtout celles de l'ar¬
brisseau dont ils font l'ava) sont détruites. Les dépendances de
notie maison sont aussi atteintes. Notre jardin potager est une
véritable rivière et tout ce qui est planté ne viendra probable¬
Avec le
ment pas.
La force des
la
mer
est
est si
grande que la jetée naturelle qui regarde
balayée et la plage est encombrée de débris de toutes
eaux
sortes.
L'après-midi la pluie s'arrête de tomber mais le vent est tou¬
jours violent.
Le soir l'Arii de Afaahiti (dont le frère vit a l'île de Mehetia)
vient nous annoncer que la révolte de Papara est terminée et qu'il
va féliciter Vehiatua de ce succès, avec tout son district..
(16 avril).
Même temps orageux. Vent du S. E.
Deux messes furent dites aujourd'hui.
Je vais sur la plage avec
le cours de la rivière est
la baie est calme mais là-bas, au delà des récifs, la houle
le Père Narciso et
normal ;
nous
constatons que
gronde.
Nous apprenons que
Vehiatua est de
Société des
Études
nouveau
Océaniennes
malade. Le
mes-
—
269
—
£ager qu'il envoie doit ramener au plus vite les deux principaux
"tahua", à Vaiari, pour que leurs prières lui rendent la santé.
Ces deux "tahua" ou prêtres étaient des personnages de haute
réputation, l'un d'eux, nommé Temaeva était de Raiatea et l'autre
appelé Manea, était de Otahiti. Après avoir récité des prières au
marae de Vaiotaha, les deux prêtres partent pour Vaiari. disant
qu'ils ne reviendront pas avant la complèle guérison de Vehiatua.
De notre part à tous, je lais dire à Vehiatua combien nous som¬
mes peinés de le savoir de nouveau en mauvaise santé et que,
dans les huit jours qui suivront le Père Narciso ira lui rendre
visite.
On
nous
fait dire que notre verrat que nous
trouve dans les environs. Des
et
nous
croyions perdu se
indigènes arrivent à s'en emparer
le châtrons immédiatement.
(17 avril).
Ciel
matin et toujours brise du S E., mais
qui fut dite de bonne heure, je
constate que notre verrat est mort, sans doute des effets de la
castration. Nous le donnons aux indigènes qui le font cuire et le
pas
un
peu couvert ce
très forte. Après la
messe
mangent.
Nous faisons
une
espèce de tonnelle pour masquer les cabinets
des Pères. C'est la fin de toutes
constructions.
nos
(18 avril).
Ciel nuageux.
Vent d'est. Après la messe je vais chercher du
poisson. Je rapporte des carangues qu'on venait de prendre dans
notre filet.
Après cela nous partons avec le matelot pour le district
d'Anuhi, pour nous récréer et surtout pour trouver une pirogue
avec cabine pour transporter le Père Narciso chez Vehiatua.
Nous rendons visite à la veuve du feu Arii Pahiriro qui nous
accueille affectueusement et nous offre des bananes.
Je lui demande de me prêter une couchette de pirogue pour
aller voir Vehiatua, mais elle me répond que nielle, ni sa fille 11e
pouvaient nous prêter celles en leur possession parce que la pi¬
rogue où les couchettes allaient être placées avait appartenu à
Vehiatua. Elle donnait à notre pirogue le titre d'Evara, c'est-àdire de pirogue royale, tandis qu'elle appelait la sienne 'Vfare
evanoa" ce qui veut dire, pirogue de gens du peuple. C'est qu'en
effet la femme à Otahiti, encore qu'elle soit mère d'un Arii, est
Société des
Études
Océaniennes
—
270
—
d'après ce que j'ai vu et appris, les fils
plus nobles que leurs pères.
Je continue mes recherches pour une cabine à monter sur ma
pirogue mais ne trouvant rien je remets l'affaire au lendemain.
Je retourne à Tautira par terre, car la mer est houleuse et le
inférieure à
son
fils et
eux-mêmes sont
vent debout.
Tandis que je fais route je remarque un groupe de cases à
moitié démolies. Dans l'une d'elles, je vois supendues, trois mâ¬
choires inférieures
avec
toutes leurs dents.
Ayant demandé ce que
signifiait, on me répondit que ces mâchoires étaient celles de
partisans d'Otu, qui avaient trouvé la mort dans cette case,
lorsque Vehiatua était en guerre avecOtu. Ce dernier m'a dit
souvent qu'il avait gagné cette guerre, mais l'autre parti ne dit
pas la même chose, Quant aux causes de cette guerre entre
Vehiatua et Otu, je ne pus les connaître, car l'indigène d'Ahui,
un nommé Paera. qui aurait pu me renseigner, n'était pas chez
lui. A cet endroit nous reprenons la mer, le vent ayant faibli, et
nous trouvons une couchette que nous prête le"tohoa" de la
région, pour adaptera notre pirogue. L'après-midi nous arrivions
cela
trois
à Tautira.
(19 avril).
Pluie ce matin et vent Est S.E. Rien de particulier aujourd'hui.
L'après-midi promenade au bord du rivage avec le Père Narciso.
(20 avril).
Beau temps ce matin. Vent d'Est. Messe dite
A onze heures nous allons voir pêcher avec le
de bonne heure.
Père Narciso. Le
pêcheur nous apporte toute sa prise. Nous poussons en pirogue
jusqu'au district d'Anuhi, avec vent arrière, la cabine de la piro¬
gue servant de voile.
Partout on nous reçoit bien et on nous offre des cocos et aussi
un peu de la plante dont on fait l'ava, qui fera le bonheur de notre
gardien de filet. Nous rentrons par voie de terre, car nous avons
un violent vent debout. Les indigènes gardent notre pirogue
jusqu'au lendemain.
(21 avril).
Ce matin
après la messe nous avons quelques ondées. Le Vent
est Est.
Les gens
de la vallée
nous apportent
deux régimes de bananes
Notre pê¬
quatre oiseaux qui ressemblent à des tourterelles.
cheur nous envoie du poisson.
et
Société des
Études
Océaniennes
■
Nous abattons
maison
nous
un
faisons
cocotier
une
qui
salade
menace d'endommager notre
le cœur de l'arbre.
avec
(22 avril).
Toujours vent d'Est. Messe dite de bonne heure.
Le soir nous semons des oignons et du persil. Rien de parti¬
culier aujourd'hui.
(23 avril).
Beau temps et vent
nombreux régimes de
du Sud. Les indigènes nous apportent de
bananes et aussi des oiseaux vivants que
nous mangerons pendant notre voyage. Les indigènes savent
que nous allons aller voir Vehiatua.
Comme tous les dimanches, il y a encore dispute entre le ma¬
telot et les Pères.
Vers neuf heures du matin le vent passe au
S. E. On
nous ap¬
porte de beaux poissons pris dans notre filet. Le soir les indigènes
du fond de la vallée nous apportent des bananes, des anguilles
et un
panier de poissons de rivière.
(24 avril).
A la
pointe du jour
nous nous mettons en route par
douce
brise du S. O.
Nous touchons
au
de la cabine
qui
présent à la
veuve
morceau
port de "La Vierge", pour prendre livraison
protégera de la pluie. Le Père Narciso fait
de PArii Pahiriro d'un gros hameçon et d'un
de calicot bleu pour la récompenser ne nous avoir donné
la cabine. Cette
nous
veuve a
succédé à
son
mari dans le commande¬
ment du district.
Nous
nous
rendons ensuite
au
district d'Afaahiti où
nous
met¬
pied à terre. Le Père Narciso suit la piste tandis que des in¬
digènes transportent notre pirogue le long de l'isthme de Taravao. Les indigènes sont très contents de nous voir et mettent
tant de zèle au transport de la pirogue qu'à midi nous sommes
arrivés. Sur leur demande nous tirons un coup de mousquet
pour les amuser.
Toutes les terres de cette région semblent, au dire du Père
Narciso, être de très bonne qualité, encore qu'il ne soit guère
compétent en la matière.
Nous faisons ensuite une halte pour donner le temps à nos
pagayeurs de prendre leur repas. Nous faisons de même et pré¬
parons un peu de riz, ce qui fait beaucoup rire les indigènes.
tons
Société des
Études
Océaniennes
Nous
changeons de pirogue et avant de reprendre la mer nous
apprenons que le matin même Vehiatua a quitté Vaiari pour
Vaiuriri où il se trouve avec l'Arii Otu et ses gens.
Nous arrivons à Vaiuriri au coucher du soleil. Nous avons fait
à peu près une dizaine de lieues depuis Tautira.
Nous allons voir Vehiatia que nous trouvons bien
faible et très
amaigri. Il nous reçut dans la cabine de sa pirogue avec beaucoup
d'égards mais nous parut très déprimé. Il fit présent d'un porc
pour nos pagayeurs. A notre tour nous lui apportons du poisson
frais et des biscuits. Nous soupons dans la pirogue que nous a
prêtée Vehiatua, très incommodés par la foule. Nuit sans inci¬
dent.
(25 avril).
Nous
sont les
un
sommes
réveillés de bonne heure par
de grands cris
; ce
indigènes qui demandent à
éclair sillonne les
nues
nous voir. Au même moment
et ils dirent qu'Eatua se manifestait.
Impossible de les dissuader de cette
erreur.
Nous disons ensuite à Vehiatua que nous allons retourner à
Tautira, puisque nous n'étions venus que pour lui faire une visite.
Nous lui demandons de
Vehiatua
autoriser à faire couper
des pièces
maison déjà toute vermoulue et prête
nous
de bois pour réparer notre
à s'effondrer,
demande de retarder notre
départ jusqu'au
lendemain, mais comme le Père Narciso n'y consent pas, il nous
dit que dans une dizaine de jours, lorsqu'il aura pris congé d'Otu
à Papara, il se rendrait à Tautira et nous donnerait satisfaction.
Il me conseille d'aller le chercher pour hâter son retour.
En vain je cherche à voir Otu qui a établi ses quartiers un peu
plus loin avec tous les autres chefs de l'île (car on craint encore
un soulèvement à Papara) la foule m'en empêche.
Vehiatua donne avant notre départ deux cochons et des vête¬
ments indigènes à nos pagayeurs, il donne l'ordre à quelques uns
de ses serviteurs de nous accompagner jusqu'à Taravao et de faire
transporter notre pirogue.
Après avoir tiré deux coups de mousquet pour amuser les
indigènes, nous laissons Vehiatua bien peiné de notre départ.
En cours de route des indigènes nous offrent du poisson frais,
et nous les récompensons avec des petites boules de verre.
Comme nous avions vent debout pour retourner les indigènes
nous
traînent notre
pirogue le long du rivage que nous suivons à pied.
Société des
Études
Océaniennes
—
Ln nuit
venue nous nous
passons
273
—
arrêtons pour
la nuit à Afaahiti.
prendre notre repas. Nous
(26 avril).
Mauvais temps ce matin et vent du Nord. Nous retardons notre
départ. Le chef du district donne des cocos à nos pagayeurs. Le
temps continue à être mauvais, mais
La
mer
Enfin
Nous
sans
nous
partonsquand même.
est houleuse.
nous
arrivons au port de la Vierge où nous faisons halte,
très bien reçus par la veuve de l'arii Pahii iro. Nuit
sommes
incident.
(27 avril).
Nous partons de bonne heure pour Tautira
de là.
qui est à
une
lieue
Rien de nouveau à la Mission si ce n'est
que le matelot est
malade d'un coup d'air aux yeux, Nous racontons notre
voyage
au Père Geronimo.
L'après-midi nous faisons un feu de
joie de
fusées, qui n'étaient plus bonnes: le feu même ne
put les faire exploser.
Nous passons une très mauvaise nuit à cause du matelot
qui
souffre davantage de son coup d'air aux
yeux. Le matelot a com¬
mis l'imprudence de prendre un bain froid
; il a commis d'autres
folies aussi. Nous lui donnons un bain chaud
pour le guérir.
toutes nos
(28 avril).
Brise du S. E. Nous tuons un poulet pour
faire un ragoût au
matelot malade. Les gens de la vallée viennent nous demander
des nouvelles de Vehiatua : nous leur donnons satisfaction. Notre
pêcheur
des "
nous apporte du poisson ce sont des mulets
rouges et
palometas" (1) Nuit calme et sans pluie.
(29 avril).
Beau temps et brise du S. W. Travail de nivellement du
préau.
Nous donnons cinq morceaux de calicot
jaune
qui
aux
indigènes
nous ont
accompagnés chez Vehiatua. Deux petits pigeons
viennent d'éclore. Le matelot va mieux de ses
yeux. Il fait une
chaleur suffocante à
cause
du câline.
30
avril).
Petite brise du S. E. Messe dite de bonne heure. On
du poisson l'après-midi. Rien de
nous
particulier. Calme
pluie.
(f) Poisson
non
apporte
de
et pas
identifié, probalernent le " Serrasalmus rnarginalus''.
Société des
Études
Océaniennes
274
—
(1er
—
mai).
Beau temps et calme. Messe dite de bonne heure. Un tronçon
de cocotier qui était dans le préau
est déraciné et enlevé ; survient
alors la pluie. Nous donnons un peigne aux indigènes qui
ont
travaillé chez
nous.
L'après-midi je vais chercher des bananes dans la vallée. On
donne quatre régimes ainsi que trois grosses
anguilles et deux
oiseaux vivants. Nous souffrons de la chaleur car il fait
toujours
calme. Belle nuit sans pluie.
me
(2
mai).
Beau temps et calme. Les
indigènes nettoient deux sentiers,
l'un conduisant au ruisseau et l'autre à la mer. Le travail terminé
nous donnons aux travailleurs des boutons de verre et un clou à
chacun...
Tous les grains de maïs que nous avions semés ont
péri. Rien
poussé. Nous sommes obligés de demander aux indigènes des
grains qu'ils avaient obtenus à la Frégate. Nous les semons.
Nous avons un peu de pluie mais pas de vent. La nuit nous tuons
trente-six rats dans un tonnelet de pois chichcs.
n'a
(3 mai).
Messe dite avant le lever du soleil.
Légère brise du S., mais
pas
longtemps.
On fait une porte mobile à l'entrée du jardin
potager. On nous
apporte des régimes de bananes et des oiseaux vivants de la
vallée d'Ataroa. Le soir
nous
donnons
on
un morceau
termine la porte
d'étoffe
aux
mobile du jardin et
indigènes qui ont travaillé
pour nous.
Le soir je
vais me promener et chercher un peu de brise fraîche
Je rentre à la nuit. Nous tuons encore vingt-neuf rats dans
baril de pois chiches à la tombée de la nuit...
d'est.
le
(4
La
messe
mai).
est dite avant le lever du soleil. Pluie et vent du
S. S.W. Les gens d'Ataroa nous apportent bananes et oiseaux
vivants. Je vais dire à notre pêcheur d'apporter demain matin du
poisson car le Père Narciso doit aller à Tayarapu. Je rentre le soir
avec du poisson.
Pendant la première partie de la nuit nous tuons, en trois
fois, cent douze rats dans nos barils d'outils. Pluie pendant la
nuit et vent variable.
Société des
Études
Océaniennes
(5
mai).
Ce matin ciel nuageux, tonnerre, éclairs et fortes pluies. Nous
mangeons aujourd'hui une pastèque poussée près de notre mai¬
et
qui pesait
demi " aroba'"(6 kil.). La terre où nous
appartient pas c'est une propriété d'Otautiti, qui fut épouse de Vehiatua. Nos graines de citrouilles
n'ont rapporté que des feuilles.
Je me r£nds avec le Père Nar'ciso au port de Santa Maria Magdalena, pour chercher des bambous. Nous arrivons l'après-midi
et le capitaine ou "tohoa" nous
promet de faire couper et trans¬
porter ces bambous dès que le temps Sera meilleur. Nous donnons
au'"tohoa" un gros hameçon et un morceau d'étoffe. Nous
pas¬
son
l'avons trouvée
sons
II
une
ne
la nuit dans
ce
nous
district.
plû presque toute la journée. Vent du N. W. La nuit coups
vent du N. W.
accompagnés de pluie.
de
a
(6 mai).
Violent vent du Nord
dix heures
ron
avec
lorsque
ce
matin. Nous
ne
quittons Tayarapu qu'à
fort vent debout. Nous avions fait
grain accompagné de vent
une
lieueenvi-
chasse violem¬
ment sur le récif. Nous pensions que notre
pirogue serait brisée
mais nos hommes furent si braves qu'ils réussissent à la sauver.
L'un des indigènes se blessa la jambe.
Nous disons à nos pagayeurs d'attendre que le temps soit meil¬
leur et que nous allons rentrer par terre. Mais ils ne veulent
pas
nous laisser seuls et demandent à nous suivre tout
près d u rivage,
en traînant la
pirogue. Vers sept heures du soir le vent se calme,
nous remontons. Tonnerre, éclairs et
pluie toute la nuit.
un
(7
nous
mai).
Ciel serein et
heure.
Je pars
Le but de
mon
légère brise du Sud. La messe est dite de bonne
pirogue l'après-midi pour le district d'Afaahiti.
voyage est la construction pour la mère de Vehia-'
en
d'une maison d'habitation. Pensant que Vehiatua n'était pas
loin de là j'emporte six œufs pour lui, deux pour son beau-père
Titorea et deux pour son homme de confiance Taitoa. Mais une
tua
fois
rivé à
Afaahiti, j'apprends que Vehiatua est toujours a Vaiari.Je décide donc d'aller le voir. Pris par la nuit je prends du re¬
pos à Taravao avec mes hommes.
ai
(8 mai).
Au
petit jour je
gagne une
Société des
petite crique où les pirogues entre
Études
Océaniennes
—
276
—
Taravao et Vaiari
ont coutume de se mettre à
l'abri, et j'embar¬
là pour la rive d'en face. A huit heures j'arrive à Vaiari.
Je
trouve Vehiatua très abattu par la
maladie; (il faut le soutenir
pour qu'il se mette sur son séant). 11 pleure en me
voyant et me
demande de lui dire ce que
je pense de son état. Je lui dis qu'il
ne doit s'en
prendre qu'à lui, puisqu'il n'a jamais voulu suivre
nos conseils. Toutefois il insiste
pour savoir ce qu'il faut faire et
je lui conseille de venir de suite à Tautira, où avec l'aide de Dieu
nous parviendrons à le
guérir.
que
Il voulait attendre
consent à
au
lendemain mais
sur
mon
insistance il
partir immédiatement.
Pour faciliter ce
voyage Vehiatua dépêche deux serviteurs à
Taravao et Afaahiti pour que des
gens se trouvent là pour trans¬
porter les pirogues, même tard dans la nuit.
Je demande à la mère de Vehiatua de rassembler tous les chefs
et quand ce fut
fait,je prévins ces derniers de la gravité de la
maladie de leur Arii et qu'il fallait le
transporter immédiatement
à Tautira.
Tous furent de mon avis. Nous
plaçons Vehiatua sur une pi¬
légère où il aura moins de secousses que sur sa grande
pirogue trop lourde et l'on fait étape à la tombée de la nuit à un
rogue
endroit nommé Oahotu, peu avant le district de
Vaiuru. Vehia¬
fatigué par les mouvements de la pirogue et cepen¬
dant les pagayeurs ramaient doucement et en
cadence. Moi,
j'ai rive au milieu de la nuit. Nous prenons là du repos.
tua était très
(9 mai).
Beau temps ce matin. Il fait
presque froid dans cette localité
d'Oahotu.
Au moment de partir
pour Vaiuru nous voyons des indigènes
qui arrivent de Moorea, l'île voisine. Ces indigènes les
jours pré¬
cédents avaient essuyé une
tempête qui les avaient jetes à Moorea,
qu'ils purent atteindre. Leurs vies étaient sauvées mais à Moorea
ils furent dévalisés
par les habitants qui ne leur laissèrent même
pas leurs pirogues. Aussi ils avaient décidé de se
réfugier à Otahiti par une des
pirogues qui de temps en temps fait le va et
vient.
A Otahiti, ils furent bien
reçus et traités. La mère de Vehiatua
leur fit cadeau de grandes
pirogues pour qu'ils puissent retour¬
ner à leur île
lointaine, et ils n'attendaient plus que le vent du
N. W. où "toherao" pour
prendre la mer. Leur île se nomme
Société des
Études
Océaniennes
—
277
—
Matahiva ; elle est située au-delà de Mehetiaet nous n'en avions
jamais entendu parler.
Ces indigènes sont très basanés et entièrement tatoués. Leur
langage n'est pas le même qu'Otahiti, aussi il nous fut parfois
bien difficile de les comprendre.
Ces indigènes paraissent très timides; leurs danses, bien loin
de ressembler à celles d'ici, manquent de vivacité et d'entrain.
Aussi les tahitiensse moquaient d'eux et mimaient leurs gestes
lents.
Je leur fis présent de
tretins
seau
et
objets que j'avais sur moi et m'en¬
qu'ils n'avaient jamais vu de vais¬
qu'ils n'avaient jamais entendu dire qu'il en fut venu chez
Ils
avec eux.
me
menus
dirent
Leur île de Matahiva est basse, ils boivent de l'eau des trous
Il y a de belles perles chez eux et abondance de poissons. Il y a
peu de végétation, ils cultivent cependant des taros. des cocotiers
et des bananiers. II y a aussi quelques arbres comme ceux d'ici.
eux.
Comme animal ils
ne connaissent que le chien ; il
y a des rats,
petite quantité. Ils ont les mêmes rites religieux. Comme
instrument de- musique ils rie connaissent que le tambour.
Leur peuple, disent-ils. est très doux, mais il est difficile d'en
•être convaincu, parce qu'ils disent cela en pays étranger.
je les invitai à venir à Tautira et ils acceptèrent avec plaisir.
mais
en
Nous arrivons de bonne heure et
Nous faisons halte
tua
de faire des
les district où
Pendant
vers
provisions,
un
sans
encombre, à Vaiuru.
midi pour permettre aux gens
comme
de Vehiac'est la coutume dans tous
At'ii passe.
temps on fit venir devant Vehiatua un groupe de
jeunes garçons huilés des pieds à la tête, revêtus de ceintures
écarlates et le front ombragé par une sorte de visière en feuilles
ce
de cocotier tressées.
Ils appellent ces garçons "epori" ce qui veut dire "les engrais¬
sés''. Ils sont gras en effet parce qu'on les garde enfermés dans
des maisons pendant un certain temps et qu'on leur interdit
toute
fatigue et tous mouvements, sauf ceux qui servent à porter
les aliments à la bouche.
Ils mangent
aussi souvent et autant qu'ils peuvent ingurgiter.
principal est une sorte de pâte faite avec le fruit de
l'arbre à pain conservé sous terre, qu'on appelle "opio".
Dans leurs maisons ils restent couchés et enveloppés de grands
manteaux et le ventre bien libre. Lorsque l'Arii les fait deman¬
der ils mettent une ceinture et quand
l'inspection de l'arii est terLeur aliment
Société des
Études
Océaniennes
278
—
pour leur enlever leurs ceintures.
tait cadeau d'une pirogue avec cabine et de:
miné la foule s'élance
A
Vaiuru,
on me
—
sur.eux
diverses étoffes. Oreti. arii d'Ohitia.
nous raconte que le vaisseau
français qui emmena Outoru, avait perdu une ancre, ce que noussavions déjà. Mais ce que j'ignorais c'est que les indigènes avaient
retiré.cette ancre de la mer. Pour ce faire ils avaient fait usage
de grosses pirogues et avaient fabriqué d'énormes cordes. Ils
mirent un jour et une nuit à ce sauvetage et perdirent trois
pirogues.
Ils firent ensuite présent de l'ancre à l'Arii de Raiatea : elle s'y
trouve toujours me dit-on. Ils avaient essayé de forger des ins¬
truments avec cette ancre mais ils
n'y étaient pas arrivés parce
qu'ils disent que le fer était trop dur., (i)
(1) Bqugainville emmena le nommé Turu en France en 1768, sur la Bou¬
Boudeuse. " .et 1' "Etoile" perdirent six ancres, grosses et petites,,
deuse. La "
sauvèrent ies indigènes pesait 700 livres et'fut donnée à.
Puni, le célèbre chef de Borabora, qui soumit Raiatea.
De Raiàteâ, l'ancre fut portée à Borabora-.' Gook l'acheta à Puni en 4777;
mais sans l'anneau et les griffes.
:l
à Hitia. L'ancre que
(
Société des
Études
A
Océaniennes
suivre).
2,i79
—
Histoire d'hier*
.•
f
1 .1 ! \
f
,
i
—
|_J
•
.■
x
:
•
(Dernier Kaito lakolo).
Par le.R..P. PauLMazé, Missionnaire aux Tuamotu. Est.
v
t
.
'
i
'
.
.
J
.
'
.
•
'i,
.
,
La:petite'île Tu.rçia. fait partie'du groupe Tuamotu .rattaché
aciministrati.vement à Mangareva. Elle n'a été habitée que depuis
une soixantaine d'années. Ses premiers habitants ont été Lazare
Rpghatu, ses frères Pierre Purua et Tematagi. Ce dernier ne s'y
fixa pas et préféra transférer son domicile plus au nord à Nuku,
tfiv,ake.
Lazare Ruahatu, est mprt
de vieillesse en 1924 et laisse une
était né à Vahi-
nombreuse descendance à Tureia. Ce Ruahatu
tjihi de.père Reao Tetaotamahuragi et de Kapari, femme Vahitahi,
fille deTagi. Il était tout petit enfant quand son père lut massacréet dévoré par ses beaux-frères les fils deTagi. tous très friands
de chair humaine à laquelle ils trouvaient une saveur de tortue
de mer. Chacun sait que pour le polynésien des îles de l'est Tua¬
motu, la tortue est ce qu'était l'ambroisie dans la mythologie
antique, le mets sucçulent, exquis, dont le nom seul fait venir
l'eau à la bouche, mefs-tapu réservé autrefois aux hommes seuls.
Tanefakanoha. frère de Tetao, ayant eu vent
d'un nouveau
complot tramé par les fils deTagi, et qui ne tendait à rien moins
qu'a faire disparaître tous les Reao. prépara secrètement son dé¬
part et ayant ramassé le plus de vivres possible à Ahiahi il mit,
la nuit, le cap sur Vairaaatea. Il y emmenait toute sa famille.
La nuit était pour les indigènes le meilleur moment pour ces
traversées où l'on perd la terre de vue pendant quelques heures.
Les étoiles leur fournissaient des points de repère assez sûrs, et
il leur arrivait rarement de
se
tromper.
surpris par un violent vent du sud, qui l'em¬
pêcha d'atteindre Vairaatca. 11 ne pouvait pas non plus songera
regagner son point de départ. Il savait quel horrible sort l'atten¬
dait. Il lia ensemble deux pirogues pour assurer leur stabilité et
vogua vers l'inconnu, dans la direction ouest. Après des souf¬
frances inouïes, occasionnées par le froid, la faim, la soif, qui
Tanefakanoho. fut
amenèrent la mort de deux femmes, ils abordèrent enfin à Hao
déjà soumise au gouvernement français. Ils y reçurent un accueil
sympathique. Lazaro avait donc reçu une teinte de civilisation
quand vingt ans plus tard, il jugera oppQitun de regagner Vahi¬
tahi, soumise à
son
tour à notre influence.
Société des
Études
Océaniennes
—
280
—
Il ne reçut pas l'accueil désiré en son île
de chercher fortune ailleurs. Il se dirigea sur
avec son
frère Purua et Tematagi, et
d'origine et crut bon
Tureia et s'y installa
leurs familles. Ils n'y étaient
depuis longtemps, quand'un matin ils aperçurent au large,
grande vaka (grosse pirogue) à voile de natte. L'accoutre¬
ment de l'équipage laissait clairement voir qu'il ne s'agissait de
rien moins que de sauvages. La terreur, le danger imminent, Tins
tinctdela conservation les rendirent ingénieux et braves. Ruahatu et Tematagi armés de leur homore (lances en bois de coco¬
tier) s'avancèrent sur le récit, simulant une attaque, pour témoi¬
pas
une
nouveaux arrivants leur volonté formelle de résister à
projet de débarquement. Il était temps. Les sauvages, équi¬
page Takoto, sous la conduite de Kavera, s'apprêtaient deja à at¬
terrir. Six guerriers s'étaient jetés à la mer pour entraîner, à la
nage, leur vaka vers le récif. L'absence de rames, et le vent de¬
bout les obligeaient à recourir à cette manœuvre. A la vue des
manifestations hostiles des habitants, les pirates Takotos hési¬
tèrent, puis crure it.prudentjde réintégrer leur bord; ils hissè¬
rent leur voilejsans pourtant reprendre le large. Aussitôt Ruahiatu et Tematagi se concertèrent. Le premier courut très vite
en se dissimulant derrière les fourrés, fit des apparitions succes¬
sives sur différents points du rivage pour faire croire aux agres¬
seurs qu'il y avait au village un nombre assez considérable d'ha¬
bitants. Au même moment Tematagi allumait un feu du côté du
lagon comme pour rappeler au village une autre partie de la
population. Les pirates se laissèrent donner le change et redou¬
tant la présence d'une forte agglomération mirent le cap sur Papakena autrement dit Vanavana.
Vanavana, est une petite île à environ trente deux mille marins
à l'ouest de Tureia. Quelques semaines seulement avant l'épo¬
que dont nous parlons deux vaka parties de Vahitahi, comman¬
dées l'une par Tekurauia, l'autre par son frère Tuorokura, sur¬
prises par un vent de Sud-Est, avaient manqué leur objectif,
Nukutavake. La nuit vraisemblablement leur fit perdre tout con¬
tact. Tuorokura, arriva ainsi à Vanavana, tandis que Tekurauia,.
était drossé par le vent et les courants jusqu'à Paraoa, plus à
gner aux
tout
l'ouest.
Les sauvages
Takoto, durent atteindre Vanavana, le soir
même
jour où ils quittèrent Tureia. Le vent, la mer, les favorisaient.
purent débarquer sans encomore. Tuorokura et ses douze
compagnons avaient, ce même jour fait une pêche fructueuse.
du
Ils
Société des
Études
Océaniennes
u281
—
—
Occupés à leur four du côté de l'Ouest, ils ne soupçonnèrent pds
le péril qui les menaçait.
Débarqués du côté Nord, Kavera et les siens se mirent en route
et prirent la direction N. W. Après avoir passé le hoa (bras de
mer, peu profond, établissant, a l'heure du tlot, une communi¬
cation entre le large et le lagon), ils rencontrèrent un feu, qui,
on le
voyait, avait servi à faire cuire une tortue. LesTakotos tres¬
saillirent de joie escomptant déjà une double aubaine, de la
tortue fraîche, toute préparée, et de la chair humaine. Les voilà
donc, tels des tauves tenaillés par la faim, à la recherche de leur
proie. Ce ni fut ni long, ni difficile à découvrir. Tuorokuraetles
siens se partageaient joyeusement la tortue déjà dépecée, quand
tout à coup ils se voient cernés. Impossible de dépeindre leur ter¬
reur soudaine. Us n'eurent guère le temps de s'y livrer. Les Takotos armés de leur terribles komore
en
cocotier durci
au
feu, lar¬
de rames, en firent une horrible boucherie. Tout le
groupe de Tuorokura, sans exception, fut massacré.
ges en forme
Kavera et
sa
bande s'assirent Satisfaits. Us commencèrent par
manger la tortue, puis pendant quinze jours consécutifs ils se ré¬
galèrent de chair humaine.
Encouragé par ce premier succès, Kavera jugea que ses ancê¬
tres conduisaient fidèlement sa barque. Il reprit donc la mer,
mais changeant de direction, il fit voile sur le N. W.
Armé d'une bonne carte marine, Kavera aurait jugé qu'il fallait
ainsi procéder, pour atteindre les îles habitées. Mais à l'état de
primitif où nous le rencontrons il nous étonne par son flair de
marin et sa connaissance de l'archipel Tuamotu. Tout dans les
récits indigènes met en relief leur mépris du danger et leur harJ
diesse presque téméraire. Leur vaka étaient parfois un tronc creux
de gatae, arbre dont le bois très tendre n'offre aucune résistance.
Leur voiles étaient en feuilles de pandanus tressées à la façon des
nattes indigènes dont nous nous servons encore aujourd'hui. Les
vivres dont ils disposaient, quelques bénitiers et des poissons
(bonites et poulpes) desséchés. L'eau toujours saumâtre était d'au¬
tant plus mauvaise que les récipients étaient petits et défectueux.
Avec ces moyens de fortune ils ne craignaient pas de s'aventurer
en des expéditions lointaines d'où très peu revenaient.
Kavera
a
Paraoa.
Kavera
voguant dans la direction N. W. rencontra l'île Paraoa.
Tekurauia frère de Tuorokura, l'y avait précédé comme nous l'a-:
Société des
Études
Océaniennes
—
282
—
vonsdit. Il attendait le vent favorable qui lui permit de gagner
Nukutavake. L'arrivée de la vakaTakoto ne le prit pas au dépour¬
vu. Comme il se livrait sur le hoa à la pêche au maraia, il aperçut
large la voile de Kavera. Sans tarder il rentra chez lui et con¬
immédiatement les siens. On décida d'accueillir les nou¬
veaux arrivants avec déférence, et selon toute les règles de la
bonne hospitalité indigène.
Tout le monde se transporta sur le rivage. La vaka, déjà proche
du récif, amena ses voiles et s'approcha du Kohea (enfracturc du
récif où atterrissent généralement les pirogues venant de la pê¬
che). Tout le groupe de Tekurauia aida à hisser à terre la vaka
Takoto. puis ils offrirent des viavia en témoignage de bienvenue
aux Takoto, leur disant que c'était leur Kuraore, leur salut de
paix.
Kavera. sans répondre par un kura mate provocateur crut pru¬
dent de dissimuler pour un temps ses intentions véritables. Mais
son silence fut interprété dans son vrai sens, et chez les Vahitahi
on n'était pas sans appréhension au sujet de ces visiteurs qui dès
au
voqua
le début
se
révélaient indésirables.
Tekurauia et les siens, sur leur
pressentir les sinistres projets
garde, n'eurent pas de peine à
nourrissaient les nouveaux
que
venus.
Deux Takoto avaient invité
un
Vahitahi à les accompagner au
(fruit du pandanus). Au lieu de gagner l'endroit voulu, par
lagon, moins dangereuse, ils lancèrent leur pirogue
du côté de la haute mer. Tekurauia ne put s'empêcher de voir,
dans la direction insolite prise par les Takoto, une preuve d'un
mauvais dessin ourdi pour susciter un mécontentement et des
querelles II rappela donc la pirogue et tout resta calme.
A quelques jours de là, Tekurauia invita Kavera à la pêche des
toroio (bénitiers ou tridacnes). Le haito ne fit aucune difficulté.
Le sentier qui les menait au lieu de plonge n'était pas large.
A l'offre que lui fit son compagnon de passer le premier, Ka¬
vera répondit par un refus, révélant ainsi la défiance qui le tenait
sur ses gardes. Les deux convinrent de marcher de front. Ce qui
montre, qu'au fond, ils partageaient tous deux le même senti¬
ment de crainte. Même défiance manifestée sur le lieu de plonge,
et ils convinrent de nouveau de plonger simultanément pour ne
pas perdre de vue leurs mouvements réciproques. Tekurauia,
viri
la voie du
d) Offrir des Viavia (l'eau de coco) c'est aux Tùaniotu, offrir des rafraî¬
chissements.-
.
Société des
Études
Océaniennes
—
283
—
portait à terre le produit de sa pêche. Kavera se contentait de lan¬
toroio sur le rivage, redoutant un piège quelconque de
celui qu'il considérait déjà comme un adversaire. Bientôt parut
cer ses
plutôt,
son
manque total d'accoutrement fut pour Tekurauia la preuve
nifeste que lui et les siens couraient un danger imminent.
ma¬
Tearo, la femme de Kavera. Son accoutrement, ou
les récits Pomotous, le kaisupériorité consiste dans une taille avan¬
tageuse, une force musculaire peu commune, une humeur belli¬
queuse, un ardent désir de se mesurer avec des rivaux et la fer¬
Kavera était
to est un
me
un
kaito (ou toa). Dans
héros dont la
volonté de les détruire tous.
Kavera, se devait de narrer les exploits de sa
dir aux yeux des Vahitahi. Il raconta ainsi qu'il
vie pour se gran¬
avait abordé une
petite île (henua iti) où il avait rencontré un homme tort grand,
ayant une taie à l'œil (e ira tci roto i te nohp). Il se vantait de n'en
avoir fait qu'une bouchée. Plusieurs questions de Tekurauia,
l'amenèrent à décrire le massacre barbare de Vanavana. Kavera
ignorait qu'il parlait au propre frère de Tuorokura, sa victime. Les
détails emphatiques (i), du sauvage donnaient trop fidèlement
les particularités du signalement de T uorokura, pour laisser sub¬
sister le moindre doute dans l'esprit de ses auditeurs.
Selon certain récit indigène, Kavera nomma les îles qu'il avait
rencontrées Kurateke(autrement Tureia), Papakena (Vanavana).
Mais selon la version des petits entants de Tekurauia, aujourd'hui
à Nukutavakc, il fixa comme lieu de son massacre, fenua iti. Ceuxci tendaient à croire que cette petite île était Pinaki. Mais ce sen¬
timent n'est pas soutenable.
Ainsi donc Tekurauia, acquit la certitude de la mort violente
de son frère et il avait à ses.côtés le farouche meurtrier qui l'avait
dévoré lui et toute sa famille. Inutile de dire qu'à son tour il sen¬
tit bouillonner son sang de sauvage d'hier, peu ou point civilisé.
La nuit, il réunit son monde. Une décision fut aussitôt prise et
rallia tous les suffrages. 11 fallait se défaire du dangereux Kavera
et de ses compagnons cannibales. Mais comment atteindre ce
résultat ?
«
Le matin était de taille.
A
se
La
défendre hardiment ».
plus élémentaire prudence leur fit recourir à la ruse. On
di-
(1) Il vantail la durée du festin en disant : E haere roa e puraraai te hahea
Depuis le 1er quartier de la lune jusqu'au dernier, ils en avaient mangé.
i ruga.
Société des
Études Océaniennes
—
284
-
v-îserait l'ennemi pour en avoir plus facilement raison.
Le lendemain une partie des Takoto, reçut l'invitation d'accom¬
pagner quelques Vahitahi aux Tipua tifai (mares où l'on réserve
les tortues capturées) d'autres disent aux toroio et aux vivres.
Les Takoto, ne se firent pas prier et partirent sans se douter du
piège qu'on leur tendait. Tekurauia, avaitdonné ses instructions
aux siens : « Quand vous verrez, leur dit-il, une
grande fumée,
sachez que Kavera sera mort. Amenez alors lès autres pour qu'ils
subissent le sort de leur chef.
Après le départ de la vaka fauite (très grande pirogue doubl< )
tipua tifai, Tekurauia invita Kavera à le suivre à la pêche au
filet (tupe). A cet eftet, il lui confia l'engin de pêche et il se mu¬
nit d'un harpon. Kavera, défiant tant à cause des crimes que lui
reprochait sans doute sa conscience, que d'un sur pressentiment se tint sur ses gardes, et pour rien au monde il n'aurait
consenti à précéder seulement de quelques pas celui qu'il croyait
prêt à le percer de son harpon. Ils marchèrent côte à côte. Com¬
me ils approchaient du hoa, des enfants réunis
auprès du Kaua
(parc à poisson), commencèrent à crier: Teie te mapihipihi. (Voie'
des anguilles de mer). Les deux hommes pressèrent le pas. Teku¬
rauia chassa les enfants. Ceux-ci livrant les petits poissons qu'ils
détenaient, pour amorcer les anguilles se retirèrent.
Pour la pêche de l'anguille de mer les habitants de Vahitahi et
aux
.
de Nukutake
se
munissent d'un katari (manche de mikimiki d'un
mètre de
longueur, à l'extrémité duquel ils attachent un poulpe.
Ils introduisent cet appât dans les trous fréquentés par les an¬
guilles et lorsque celles-ci montrent la tête ils la percent d'un
harpon. Le pêcheur qui est seul, doit d'une main tenir le harpon
pendant que de l'autre il présente l'amorce. A deux le succès
est plus assuré.
Tekurauia demande à Kavera de tenir le katari, Kavera toujours
sur ses gardes, l'introduit dans le trou de
l'anguille, mais sans
quitter des yeux celui qu'il considère déjà comme son adversaire.
Tekurauia tient son harpon, soi-disant pour percer l'anguille
quand elle paraîtra. Soudain, l'œil fixé sur l'extrémité du katari
il s'écrie: Voila l'anguille ! Kavera regarde, et Tekurauia lui plonge
son harpon dans le côté gauche, l'instrument
pénétrant parle côté
giuche, sortait du côté droit. Kavera tomba sous la violence du
coup : « No oe i tavare mai iaku » cria-t-il se tordant furieusement.
Tu ne m'as eu que par traîtrise. La dessus accourt le père deTefiurauia. Celui-ci maintenant au bout de son harpon son ennemi
Société des
Études
Océaniennes
—
28 £
—
qui se débat avec rage demande au vieillard de jeter sur le ventre
du kaito une grosse pierre qui se trouve à proximité. De son pied
Kavera renvoit le projectile mais sans atteindre le nouvel agres¬
seur. Tekurauia s'empare des jambes et des bras du blessé pen¬
dant que de son épaule il maintient le harpon dans la plaie. Son
père revient à son secours et de sa grosse pierre il écrase la tête
du Kaito.
Kavera mort, Tekurauia, encore aidé de son père entraîna le
cadavre à l'ombre d'un rocher que l'on voit encore aujourd'hui.
11 se barbouilla le corps du sang de son ennemi et courut au villa¬
En route, il rencontra une de ses tantes, Teua, qui l'invita à
s'approcher pour qu'elle le nettoyât de ses souillures: Non réponditTekurauia, de peurqueje n'en perde ma fureur (toku hae).
Il s'arrêta pourtant, non pour se reposer, mais pour redresser
le fer de son harpon tordu comme s'il avait servi à percer un ter¬
rible requin. Il regagna prestement le village et surprit un Takoto, qui, un enfant sur les genoux, tressait paisiblement un filet.
Il ordonna aux femmes, de prendre l'enfant, Tahaki, qui était des
siens, et de son harpon il perça le malheureux surpris à l'improviste. —Les cris d'épouvante attirèrent l'attention deTearo fem¬
me Kavera. Elle accourut échevelée. La vue de Tekurauia en ar¬
me et couvert de sang lui révéla tout. « Tu as tué mon mari »?
lui dit-elle. Et avant que Tekurauia ne lui eut répondu elle s'em¬
pare de ses mains et les presse avec une telle violence que le har¬
pon s'en échappa. Elle l'enlassa de ses bras et la lutte s'engage
avec un avantage marqué du côté de la Kaito Tearo. Elle arriva à
lier les pieds et les mains de Tekurauia. Les femmes accoururent,
puis une fois de plus le propre père de Tekurauia. Tous ensem¬
ble réussirent à le dégager et reprenant son arme il la plongea dans
le flanc de Tearo. Elle eut la force de s'écrier: Naau,eKau, etere
atu i Takoto, aore e toa faahou o Takoto, tirara nei o Kavera,
Tu peux maintenant, Kau (autre nom de Tekurauia), aller àTakoto. Désormais Takoto ne possède plus de toa (Kaito en langue
Takoto et autres), puisque c'en est fait de Kavera.
Les compagnons de Tekurauia restés au village (Toherutu),
ayant entendu les cris étaient accourus; les Takoto avaient fait
de même. Les deux partis se trouvaient soudain en présence.
Et ce fut pendant quelques instants une mêlée, une ruée féroce.
ge.
pouvait être douteux. Les Takoto surpris
l'improviste, dépourvus de moyens de défense furent tous mas¬
sacrés. Leurs cadavres furent jetés dans le lagon.
Mais le résultat final ne
à
Société des
Études
Océaniennes
—
Au
286
—
moment de
l'alerte, le fils de Kavera, courut au hoa à la
père dont il ignorait la fin tragique. Kainuku
se mit à sa poursuite et la rencontre eut lieu sur le bord même
du hoa. La lutte s'engagea. Le jeune Takoto prouva à son ad¬
versaire qu'il était le digne rejeton de la lignée des Kaito. Heu¬
reusement pour Kainuku, les femmes accoururent à temps et lui
apportèrent une aide très opportune. Grâce à ce concours, il put
maintenir dans l'eau la tête du jeune Kaito qui fut étouffé.
Au moment où Tearo, succombait sous les coups de ses nom¬
breux ennemis, ses jeunes enfants mangeaient des toroio. Après
recherche de
son
la mort de leur mère, Tekurauia commanda de les
emmener en
leur frappant
les oreilles. Les pauvres innocents, la bouche pleine,
criaient: « Aue iaku! i aku Kariga ! Mes pauvres oreilles!» Les
femmes ennivrées par la vue du sang, transportées de fureur,
transpercèrent la tête des petits malheureux. Le harpon péné¬
trant par une oreille sortait par l'autre. Puis leur rage les porta à
assouvir leur soif de vengeance sur le corps inerte de Tearo. De
petits mouvements connus d'elles leur rappelèrent la présence
en ce
cadavre d'une autre créature
encore
vivante dans les veines
de
laquelle circulait encore le sang de Kavera; avec un raffine¬
qu'il répugne de décrire, elles plongèrent le har¬
pon dans le sein de leur malheureuse victime. Deux femmes Vahitahi, Tepui et Teahega, favorisèrent l'évasion de trois jeunes
ment de cruauté
filles Takoto. Elles trouvèrent
un
abri dans la brousse. Mais les
cris sauvages
qui arrivaient à leurs oreilles les épouvantèrent au
point qu'affolées, elles coururent vers le récif, et se précipitèrent
à la mer, nageant vers le large. Hélas ! leurs forces furent bientôt
à bout, et après deux ou trois heures d'efforts surhumains elles
durent diriger de nouveau leurs regards vers le rivage. Deux
seulement, Teroro et Tekava, y arrivèrent exténuées, la troisiè¬
me mourut en mer. Teroro et Tekava, cherchèrent un refuge
dans la forêt de pandanus qui couvre l'ilot du coté de gake (l'Est)
et menèrent, quelques jours, une vie errante, attendant dans une
anxiété facile à deviner la mort la plus horrible.
Cependant Tekurauia traînait, avec l'aide des siens, les cada¬
vres des Takotos massacrés jusqu'au hoa. Là ils allumèrent le
grand feu annoncé. La vaka fauite (grande pirogue double) ne
tarda pas à paraître. Ses Vahitahi, avaient expliqué aux Takoto
le
sens
de cette fumée: E kauhunete i te oire, il est arrivé un
banc de
A des
poissons au village. Ceci est commun aux Tuamotu.
époques connues des indigènes, des bancs pressés de pois-
Société des
Études
Océaniennes
—
$87
—
son:> se présentent au bord du lagon comme pour inviter l'indi¬
gène à les cueillir. Ce sont donc des joursd'abondance et par suite,
de liesse générale.
Les Takoto rentraient donc joyeux. A leur approche la fille de
Tekurauia dépêchée par son père vint à leur rencontre sur le
bord du lagon; mais dans l'accoutrement d'Eve. Les Takoto, en
furent saisis. « E morira teie ». Une femme, dirent-ils.. Cette
habitude païenne indécente et bizarre, qui ne nous semble avoir
aucune signification par elle-même, purement conventionnelle,
fut si bien comprise des Takoto, qu'ils eurent aussitôt la triste
certitude de ce qui venait de se passer. Ils n'eurent pas le temps
de mettre pied à terre. Sans armes et sans moyens de défense, ils
furent massacrés tous sans exception. Us moururent sous la lance
de ceux qui les attendaient et les harpons de leurs compagnons
de route.
Teroro et Tekava.
plusieurs jours. Teroro et Tekava, réussirent à se dé¬
regards. Quelques gousses de fruit de pandanus
qu'elles avaient sucés révéla inopinément leur présence. Il paraît,
que les Takoto, épuisaient soigneusement la partie comestible
de ce fruit n'en laissant que les fibres allongées et parfaitement
nettoyées. Ce fut cette particularité qui trahit l'endroit de leur
retraite. On se mit à leur recherche et après des essais infructueux
on réussit à découvrir Tekava. Après quelques heures, celle-ci,
rassurée par labontéqu'on lui témoigna aida àdécouvrirsa com¬
pagne. Elle l'appela par son nom ; ajoutant: A haere mai e kai
na
pitara a Makehu. Viens, viens manger les poissons (pitaraen
dialecte Takoto, pitika en dialecte pomotu ordinaire), Teroro.
blottie dans un épais fourré de pandanus (upuupu viri), osa en¬
Pendant
rober à tous les
fin sortir de sa cachette.
plus tard, Tahit i fils de Tekurauia. Us eurent
plusieurs vivent encore aujourd'hui.
Tekava, fille de Kavera fixée plus tard à Hao, disparut à Hikueru
au cyclone de 1903. Il reste encore aujourd'hui une fille vivante
de Kavera, Madalena Terava, que son père laissa à Takoto lors
de son départ pour son expédition lointaine. C'est d'elle que nous
tenons le vrai nom du héros de notre récit. Nous avons respecté
le nom du Kaito Takoto tel qu'il est mentionné dans le récit des
Vahitahi. Mais nous savons que son vrai nom est Tu. Kavera est
un tupuna (aïeul) de Tu, et mourut dans un combat naval entre
Teroro, épousa
six enfants dont
Société des
Études
Océaniennes
—
288
—
Pukarua et Reao, poursuivi par les habitants de cette dernière
île, dont il venait de massacrer un village et de dévaster les
plantations.
J'ai entendu de doux rêveurs se plaindre de ce que nous ayons
gâté ces bons canaques, paisibles entants de la nature par le ver¬
nis de christianisme et de civilisation que nous leur avons apporté.
Je souhaite que ce récit, tout entier de la bouche des enfants ou
petits enfants des témoins et acteurs de ces scènes horribles, leur
tombe sous les yeux. Il est fidèle. A notre avis le trait qu'il rap¬
porte doit se placer entre 1865 et 1868, et les derniers témoins vi¬
vants parfaitement connus de la génération actuelle, viennent de
disparaître. Ceci leur montrera le canaque pomotu peint surna¬
ture. Pauvre nature dépravée ! qui laissée à elle-même, privée des
admirables lois divines, qui ont pétri, et moulé l'âme chrétienne
de nos vieilles nations civilisées, ne se sert de son intelligence,
ou plutôt de ses instincts pervertis que pour nuire à son prochain,
et l'anéantir! Nature brutale, féroce qui vérifie une foisdeplusla
parole du poète : Homohomini lupus, et ravale l'homme au rang
des fauves. Ah ! les doux rêveurs ! Qu'ils sont heureux de n'avoir
pas échoué, il y a 70 ans, sur un récif de l'Est-Tuamotu ! Ils au¬
raient appris à leur dépens, à juger sainement la nature humaine,
abandonnée à ses instincts pervers. Ils auraient appris à apprécier
l'esprit de paix, de cordiale fraternité, et de divine charité que le
christianisme répand autour de lui.
R. P.
Société des
Études
Océaniennes
MAZÉ.
289
-
—
LÉGENDE DES DEUX AMIES
TEHAUPUAURA et
TEROROITEPII étaient amies
depuis
qu'elles étaient petites. Elles s'aimaient l'une et l'autre, comme
les deux sœurs de même père et même mère.
Tehaupuaura vivait à OPOA (île de Raiatea) et Teroroitepii vi¬
vait à Tevaitoa (île de Raiatea).
La limite d'Opoa se termine au lac de MANA. et la limite de
Tevaitoa commence au lac de Mana et va jusqu'à l'autre bout de
l'île.
quartier d'Opoa était le quartier des bons hommes, et le
quartier de Tevaitoa était le quartier des mauvais; on le nom¬
mait le quartier des ténèbres.
Le
Teroroitepii invita son amie Tehaupuaura à venir as¬
fête qui avait lieu chez eux, en souvenir des âmes,
C'était la fête des ancêtres, qui devait durer un certain
Un jour,
sister à
mortes.
une
temps.
Le
jour fixé étant arrivé,
Tehaupauaura, se prépara pour aller
voilà partie.
deux districts, Teroroitepii était
à Tevaitoa, chez son amie, et la
Arrivée à Mana à la limite des
là
qui l'attendait.
Après s'être embrassées,
elles partirent pour Tevaitoa.
mère de Teroroitepii, élait une sor¬
Mais pour leur malheur la
cière qui mangeait la chair
humaine. En arrivant à la maison,
trouvèrent personne; Teroroitepii prépara leiw manger,
car c'était le soir.
A la tombée de la nuit, la sorcière revint. Dès qu'elle aperçut
la maison, elle cria «Je sens l'odeur de quelqu'un qui vient de la
vie» et sa fille lui répondit:« personne de la vie ne peut venir chez
elles
ne
de toi» : «Non, repris la sorcière, je sens
quelqu'un qui vient de la vie, et j'ai envie de le manger» et sa
fille dit: « C'est ma chère amie, qui vient passer les fêtes avec
nous» La vieille dit "bon" et avança à pas lents, car elle était aveugle en même temps que très méchante.
Elle se mit à faire semblant de caresser Tehaupuaura sur les.
bras, sur les jambes, sur son corps ; c'était pour se rendre compte
nous,
car
ils ont peur
si elle était grasse.
Société des
Études
Océaniennes
Quand elle eut bien examiné Tehaupuaura, la sorcière alla
case pour préparer la couchette des deux filles, en distin¬
guant bien celle de Tehaupuaura et celle de Teroroitepii, la pre¬
mière à sa gauche, et sa fille à sa droite, afin de ne pas se trom¬
per au milieu de la nuit, pour tuer Tehaupuaura.
Quand elle eut fini, elle dit aux filles: « Mettez-vous sur vos lits,
car il fait nuit; c'est tard maintenant, il faut éteindre la lampe».
Alors les deux filles se mirent sur leur lit, sans que Tehaupu¬
aura sache qu'elle allait mourir cette nuit.
Au milieu de la nuit, avant le réveil de la sorcière, Teroroitepii
se leva, et se dirigea vers le lit de son amie, et la réveilla en lui
disant: « Il faut changer de lit, c'est l'habitude chez nous; ma
mère sorcière viendra te tuer si tu ne changes pas de lit; ma chère'
amie, je te recommande bien, prends bien garde, n'oublies pas
tout ce que je vais te dire. " Si ma mère vient, elle me tuera'et me
coupera en morceaux; dès le matin avant le lever du soleil, tu
te lèveras et tu viendras sur moi prendre mon cœur dans une
feuille de "APE" tu l'exposeras la nuit à la rosée, et le jour tu le
préserveras de la chaleur; si tu accomplis bient cela, je revien¬
dans la
drai à la vie".
en effet, toutes les choses arrivèrent comme
De très bonne heure, Tehaupuaura se réveilla
elle avait dit.
avant le soleil,
et alla trouver son amie toute mutilée, prit le cœur, et se sauva
comme l'avait dit Teroroitepii.
Elle partit à travers les montagnes; arrivant au pied d'un ro¬
cher, elle trouva deux cordes: une corde blanche et une corde
noire ; elle monta par la corde blanche, car c'était la corde de son
Et
amie morte.
Arrivant dans le haut de la montagne,
elle entendit une voix
qui l'appelait par derrière, et, regardant, elle vit la vieille sorcière
qui la poursuivait, en montant par l'autre corde, celle qui était
noire, car la vieille sorcière s'était aperçue qu'elle avait tué sa fille.
Quand elle fût au milieu du rocher, Tehaupuaura coupa la cor¬
de et la méchante tomba morte au pied du rocher, et Tehaupua¬
ura
fût sauvée.
En arrivant à Mana, elle se mit à
mie morte pour la sauver, et se mit
pleurer en songeant à son aà chanter: "J'arrive à Mana,
lac où les vagues se rencontrent, vont et viennent: je suis seule
ici, l'amitié c'est un malheur au jour de la séparation."
Ayant terminé son chant, elle continua sa route. Quand elle
arriva à la maison, elle raconta son aventure à ses parents et puis
Société des
Études
Océaniennes
—
291
—
une feuille de Ape pour envelopper le cœur de
amie, qu'elle soigna jour et nuit comme elle en avait reçu la
recommandation.
Au bout d'un certain temps, le cœur de la morte se transfor¬
elle alla cueillir
son
corps qui respire l'air, et puis se leva.
C'était Teroroitepii qui revenait à la vie. car
ma en
elle était fille de
sorcière, et les diables de sa mère, aux puissances féeriques, étaient venus l'aider à retournera la vie.
Elle resta chez son amie, où elle se maria avec un jeune hom¬
me
du
quartier d'Opoa, et y vécut jusqu'au dernier jour de sa vie.
André ROPITEAU
d'après Namata
Maupiti, 8 juin 1928.
Société des
Études
Océaniennes
o
Teraitua
—
292
—
AVIS
Le
professeur E. D. MERRILL, informe les lecteurs de ce
qu'il se fera un plaisir d'identifier, à titre gracieux,
toute plante, ou flore polynésienne, qui lui sera envoyée.
Avoir soin d'envoyer des spécimens en double et bien numé¬
rotés, et les adresser par paquet-poste à :
Bulletin
DEAN E. D. MERRILL.
Collège of Agriculture
University of California.
BERKELEY. Cal. Etats-l'nis.
wsr
Papeete
—
Imprimerie
Société des
du
Gouvernement.
Études Océaniennes
BUREAU DE LA SOCIETE
Abbé ROUGIER
Présidait
M. Deflesselle
V i ce-Président
Conservatrice du Musée
Mme E. Laguesse.
Bibliothécaire
M11" F. BEAULT
M. M. Mauney
Trésorier
Secrétaire-Archiviste..
Secrétaire de
Pour être reçu
un
réda
M. Y. Malardé
.
M. E. AHNNE
t on
Membre de la Société se faire présenter par
membre titulaire.
BlBIJOTIIÈQÉE
Le Bureau de la Société
informe
ses
Membres que dé¬
peuvent emporter à domicile certains livres de
Bibliothèque en signant une reconnaissance de dette au
cas où ils ne rendraient pas le livre emprunté à la date
sormais ils
la
fixée.
gardien de la Bibliothèque présentera la formule â
signer. Il est à la disposition des Membres toute la jour¬
née, excepté de 11 heures à midi.
Le
LE BULLETIN
Le Bureau de la .Société accepte l'impression de tous les articles
qui paraissent dans le Bulletin mais cela n'implique pas qu'il
epouse les théories qui y sont exposeés, ou qu'il fait sien les
commentaires et les assertions des divers auteurs qui, seuls, en
prennent toute la responsabilité.
Aux lecteurs de former leur apprécia'ion.
La Rédactioi
Pour tout achat de
s'adresser
au
Bulletins, échanges ou donation de livres
Président de la Société, Boîte i 10,
Société des Etudes Océaniennes
Papcete.
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 31