B98735210103_018.pdf
- Texte
-
Bulletin
DE
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Société
la
des
L
©
18.-
N°
AVRIL 1 î)2"
Anthropologie
Histoire
—
des
—
Ethnologie
Institutions
et
—-
Philologie,
Antiquités
populations maories.
Littérature et Folklore.
Astronomie
—
1
Océanographie
—
Sciences naturelles
Tourisme.
IMPRIMERIE
A
DU
GOUVERNEMENT
PAPEETE
(TAHITI)
BUREAU DE LA
Président
SOCIÉTÉ
Abbé Rougier
Vice-Président
M. Deflesselle
Conservatrice du Musée
Bibliothécaire.
........
Trésorier
Secrétaire-Archiviste..
Mme L. Goupil
MHo F. Brault
M. A. Woi.ff
.
Secrétaire de rédaction
N.
..
M. E. Ahnne
Pour être reçu Membre de la Société se faire présenter par
membre titulaire.
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Société des
Études
Océaniennes
DE
SOCIÉTÉ
LA
D'ÉTUDES
(POLYNESIE
IV» 1».
—
OCÉANIENNES
ORIENTALE)
AVRIL
1021
SOZYLJYL AIBE
Pages
Folk-lore.
Légende de Vei. (Orsmond Walker)..
Histoire.
Le
Sceptre des Reines de
Huahine. (Ch. Pugeault).
Nécrologie.
Orsmond, Henry,
Teriitaumatatini, Walker
Société des
Études
Océaniennes
..
La
Légende de Yei (1)
par
Orsmond
H. Walkkr.
A
Teahupoo, dans la presqu'île de Taiarapu, il existe une grot¬
appelée" Ana poiri " (grotte ténébreuse) ou
Vai poiri " (eau ténébreuse) à cause de la petite nappe d'eau
qui s'y trouve et de l'obscurité qui y règne.
Cette grotte, rendue célèbre par la légende qui s'y
rattache,
est située à flanc de montagne, à l'entrée de la vallée de Vai Au,
te très curieuse
"
sur
la rive droite de la rivière.
Pour la
cation
visiter,
on
remonte ordinairement la rivière
pirôgué jusqu'à
en
embar¬
point de la berge où croissent
d'immenses « mape » séculaires dont les grandes et belles ra¬
cines la protègent contre les grandes crues.
Là on met pied à terre, on suit un petit sentier qui gravit la
colline, et après quelques minutes de marche, on arrive à l'ou¬
verture de la grotte.
Au premier abord, elle paraît insignifiante et présente l'aspect
d'un petit tunnel incliné, d'une pente d'environ 45°
Le visiteur est alors surpris de voir ses guides se pourvoir de
bouts de bois (de préférence des « faniu », tiges de la feuille de
cocotier) avec lesquels ils frappent les parois de la grotte à fur et
à mesure qu'ils y pénètrent, en poussant des cris et faisant ainsi
ou en
un vacarme
un
assourdissant.
Arrivé à l'extrémité du
boyau, il se trouve en présence d'un
obscurité presque complète; et c'est à peine
si ses yeux peuvent discerner l'eau qui arrête ses pas.
Ses guides continuent leur vacarme et redoublent les coups
de bâtons contre les parois de cette chambre souterraine où re¬
tentissent d'étranges et lugubres échos.
On n'a jamais trouvé à Tahiti de traces de grands reptiles ophi¬
petit lac dans
diens
ou
Mais il
une
crocodiliens.
n'y
a
rien de surprenant que dans cette légende, nous
(1) Racontée à l'auteur il
Teahupoo.
y a
Société des
plus de vingt
Études
ans, par
Océaniennes
1> vieux Haurai de
—
voyons
zards.
194
—
figurer une monstrueuse chenille et de gigantesques lé¬
Les traditions des Tahitiens, comme
de tous les Polynésiens,
leur pays d'origine était Havaii ou Hawaiki.
Or, la plupart des savants pensent que Havaiki, berceau de la
race maorie, était en Malaisie ou en Asie, pays où existent les
plus gros serpents et crocodiles.
Nos Tahitiens donc peuvent très bien avoir gardé quelques
vagues réminiscences de ces redoutables bêtes.
Peu à peu, comme dans la chambre noire du photographe,
ses yeux s'habituant à la quasi obscurité, il finit par
distinguer
nettement la nappe d'eau d'abord, puis la voûte et enfin le fond
disent que
de la grotte.
C'est alors
qu'émerveillé par le spectacle qu'il a devant lesyeux,
guides qui, d'un air convaincu, lui affirment que s'il
peut maintenant voir clairement devant lui, c'est que les ténè¬
bres se sont dissipées grâce au bruit qu'ils ont fait avec leurs bâ¬
il écoute
ses
tons, et ils lui racontent des faits et lui citent des
tel visiteur
cas où tel ou
blanc, ayant interdit de faire du bruit, n'a jamais pu
contempler les jolies petites vaguelettes qui viennent mourir sur
rive, ainsi que la brillante voûte et les curieu¬
ses parois aux rugosités
fantastiques de la célèbre grotte.
L'eau y est très froide et profonde et son niveau varie selon les
saisons. Pendant la saison des pluies le niveau atteint un certain
roc
qui n'est jamais dépassé à cause des fissures dans la paroi
de la grotte par où l'eau s'écoule.
Ordinairement, la surface de l'eau ne décèle l'existence d'au¬
cun courant, mais pendant les
grandes sécheresses, lorsque le
niveau est très bas, l'on peut parfaitement discerner un courant
allant de gauche à droite (de Nord à Sud).
Les guides racontent même qu'il arrive parfois que lorsque la
période de sécheresse se prolonge, le niveau de l'eau baisse jus¬
qu'à découvrir le principal orifice de déversement, et alors l'on
le sable fin de la
peut entendre distinctement
un bruit de cascade.
La tradition veut que si l'on jette
un objet dans le courant,
il ressortira quelques heures
après dans la mer par un trou d'où
jaillit de l'eau douce et qui se trouve non loin de l'embouchure
de la rivière de Vai au.
Les
objets fragiles en seront rejetés en miettes; mais s'il s'a¬
git d'un coco bu d'un maiore, le premier sortira tout décortiqué
et poli, tandis
que seuls le cœur et la tige du second sortiront ;
Société des
Études
Océaniennes
—
195
—
les sinuosités et les
rugosités du parcours souterrain, ajoutées
pression de l'eau et la rapidité du courant, ont vite fait, diton, de broyer la bourre du coco ou la chair du maiore pendant le
trajet.
Tout visiteur est réputé n'avoir pas vu Anapoiri, s'il ne consent
à traverser à la nage, le petit lac et s'arrêter quelques instants,
sur une assez vaste terrasse de pierre qui fait vestibule à une se¬
conde chambre intérieure complètement obscure, et à laquelle
on peut accéder
à la nage par un petit tunnel de quelques mètres
à ia
de
longueur.
En temps normal, le nageur a juste la place entre la surface
de l'eau et la voûte du tunnel pour sa tête; mais lorsque le ni¬
veau de l'eau est plus élevé, il est obligé de faire le trajet en plon¬
geant, et cela dans l'obscurité la plus complète.
C'est là, la chambre de Vei, (i) le héros du récit qui va suivre.
*
*
*
Vei
(2) ne savait pas exactement qui était sa mère et ne savait
du tout qui était son père. Il se souvenait avoir toujours vé¬
cu chez Patea, puissant et illustre Chef
de Taiarapu, et dès qu'il
fut en âge de faire la guerre, il s'enrôla parmi les gardes du corps
pas
de
son
Chef et protecteur.
Patea avait
toujours eu pour lui beaucoup de bonté; dans son
entourage, tout le monde savait que tout enfant Vei avait été re¬
cueilli par des gens de Patea et sauvé d'une mort certaine par or¬
dre de ce dernier. On chuchotait de part et d'autre que c'était l'en¬
fant de quelque grande dame apparentée à Patea et affiliée à la
société secrète des Ariois, et que son père était un beau jeune
homme de la classe roturière qui avait payé de sa mort les fa¬
veurs
de l'illustre dame Arioi.
Vei, tout enfant, jouait avec les enfants de
Patea; adolescent, c'était lui qui cherchait et rapportait les plus
jolis cailloux ronds aux différentes teintes pour le jeu detimo(3)
des filles de Patea ; c'était lui aussi qui leur faisait leurs « titiraiDans tous les cas,
(1) Jusqu'à ce que le secret de Vei fut connu, jamais humain n'avaitosé pé¬
nétrer dans cette sombre grotte aux eaux si froides, et habitée par des mons¬
tres etdes mauvais
génies. Pas même les « Avae parai », (Àriois du septième
degré) qui ne pouvaient en croire leurs yeux lorsque Vei leur montra son refuge.
(2) Vei : signifie : Bien fait, fort, hardi.
(3) Correspond à notre jeu d'osselets.
J 96
—
—
na » (i) ; c'était ég ilemcnt Vei qui faisait les « tea » (2)
pour les.
fils de Patea ainsi que leurs « rore » (s). Plus tard, Patea se l'at¬
tacha comme « teuteu » (4) et l'emmena avec lui dans ses vo¬
yages, expéditions de pêche ou
Vei avait appris le maniement
visites lointaines.
des armes et par son intrépidité,
son courage et sa dextérité, il ne tarda
pas à être admis ainsi
qu'il est dit plus haut, dans la garde personnelle de Patea.
Il était en contact journalier avec les filles de Patea et bientôt
devint follement amoureux de l'aînée appelée Vero.
11 résista autant qu'il put à ce qu'il croyait être un. amour sa¬
crilège, car lui, un roturier, oser lever les yeux sur la tille de son
seigneur et maître ! Non ! quelle insolence et quelle honte ! Ah !
si Vero pouvait seulement concevoir pour lui un amour sincère
qui la pousserait jusqu'à le lui avouer. Alors oui, il pourrait la
prendre comme femme, aux yeux de tous, sans qu'elle perde
pour cela ses titres de noblesse et les prérogatives de son rang !
Ainsi allaient les pensées de Vei, lorsqu'un jour, au moment
de partir à la guerre à la suite de Patea, il faisait ses adieux à Vero
et à sa sœur, il crut voir de la tristesse dans leurs
yeux, d'habi¬
tude si riants.
Cela était pour
lui
un
indice certain qu'il était aimé deQ'une
d'elles.
«
«
«
«
«
«
Qu'avcz-vous, leur dit-il,
vous avez
l'air triste toutes les deux,
croyez-vous que mon bras et ma lance,
sans parler du puissant
appui des dieux de votre père, ne pourront pas avoir raison de
nos ennemis? Le otatare
lorsqu'il a chanté ce matin, avait un
vol ascendant, et le
grand-prêtre a dit à votre père que c'était
là un signe certain que les dieux lui seraient favorables ! Qu'a-
« vez-vous
Les deux
mes
couler
donc à craindre ?
»
jeunes filles ne répondirent rien, mais Vei vit des lar¬
le long de leurs joues.
Qu'avcz-vous ? leur dit-il
encore une
fois.
(1) Titiraina : petit appareil fait de roseaux et de feuilles de pandanus et
se
comparer à uu minuscule hydravion. Les enfants le met¬
fort vent et l'appareil avance au gré du vent, tantôt flottant
sur l'eau, tantôt s'élevant en l'air
pour retomber sur l'eau et reprendre de
plus belle.
(2) Tea: Arc. Les Tahitiens ne se servaient de l'arc et des flèches que pour
leurs jeux.
(3) Rore : Echasses. Jeu très en vogue chez les anciens Tahitiens.
(4) Teuteu: Serviteur attache à la personne d'un prince.
de cocotier. Peut
tent sur l'eau par
Société des
Études
Océaniennes
—
La'sôèur de Veto
répondit
197
: «
—
Moi je n'ai rien, mais je pleure
Vfero pleure ».
pourquoi' pléufe-t-ellé? demanda Vei.
—
csa- o sa
ORSMOND, HENRY, TERIITAUMATATINI, WALKER,
Secrétaire de la Société d'Etudes Océaniennes.
profonde douleur de porter
perte irréparable
qu'elle vient de taire dans la personne de son secrétaire, Mon¬
Le Bureau de notre Société
à la
connaissance de tous
a
ses
la
Membres, la
sieur O. H. T. WALKER.
ont dit ailleurs, en termes aussi émus qu'élogieux,
qu'était Orsmond Walker, non seulement pour sa famille}
pour laCie des Phosphates, pour la Ville de Papeete, mais aussi
pour la Colonie toute entière. C'était l'homme bon, droit, actif
et capable.
Ici, nous ne voulons retenir que ses grandes qualités de dé¬
vouement inépuisable et d'ardent patriotisme tahitien.
Nul n'était plus assidu que lui à toutes nos séances, nul n'é¬
tait plus dévoué que lui à tous les travaux et à toutes les attri¬
butions qui lui étaient confiées.
dui de nous ne se rappelle notre dernière fête du Folklore,
dont il fut le grand organisateur?
11 y avait mis tout son grand cœur, car pour lui, c'était la fête
D'autres
ce
de
son
pays.
Orsmond Walker aimait
passionnément sa petite patrie. Rien
étranger. Il en avait gravi tous les pics et
exploré toutes les grottes. Il avait même pénétré dans le laby¬
rinthe des généalogies tahitien nés. C'était un Maître en langage
indigène et un ethnologiste erudit.
Sa mémoire prodigieuse s'était ornée de mille et une légendes.,
11 excellait dans l'art de les conter et de les écrire, et par une
de Tahiti
ne
lui était
ce même Bulletin vous apporte sa dernière,
auquelles il tenait le plus.
Notre Bulletin pleure son meilleur collaborateur.
Notre Musée perd un de ses plus généreux et avisés bienfai¬
étrange coincidence,
une
de celles
teurs.
Aussi, notre Société, partage t-elle sincèrement, l'immense
douleur que cette mort prématurée, à 44 ans, a causé à tous les
siens et à tous ses amis.
Le Président.
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 18