B98735210103_010.pdf
- Texte
-
DE
if
s®
Société
la
des
A
ÉTUDES OCÉANIENNES
Anthropologie
(Histoire
—«
des
—
Ethnologie
Institutions
—
Philologie.
et
Antiquités
populations maories.
Littérature et Folklore.
&'v ïv*
-
Astronomie
—
Océanographie— Sciences naturelles.
Tourisme.
IMPRIMERIE
A
DU
GOUVERNEMENT
PAPEETE
té des
(TAHITI)
Études Océaniei
5
I
DE
SOCIÉTÉ
LA
D'ÉTUDES
OCÉANIENNES
—5•-*-«—
1V° ÎO.
—
JUILLET
1925
SOMM AIEE
Littérature et Folklore.
Tiurai le Guérisseur
O. Walker
Ma Maison
P. A. Hourey
Sciences naturelles.
Deux insectes ennemis de la vanille.
Raynaud
Histoire.
Mystérieuse aventure de Ariipaea
Vahine (Traduction)
E. Ahnne
Tourisme.
Eimeo
M
-
Dr Sasportas
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Océaniennes
Société des
Études
Océaniennes
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Tiurai. le Guérisseur (i)(Par Orsmond WALKER).
Issu d'une des
plus puissantes famille de l'île. Tiurai, s'il l'a¬
prépondérant parmi les
vait voulu, aurait pu occuper un rang
chefs influents des Tevas.
Mais de très bonne heure, alors qu'il n'était qu'un adolescent,
une indifférence complète pour les distinctions socia¬
il montra
les, et une aversion bien marquée pour
train d'honneurs, de conventions et de
A la société des jeunes gens de son
la vie publique avec son
déceptions.
âge, il préféra celle des
vieillards avec lesquels il apprit les secrets de la thérapeutique
indigène, qu'il pratiqua sous toutes ses formes jusqu'à sa mort.
Dans le traitement de ses malades, il remarqua que la foi jouait
un grand rôle dans la guérison, et qu'elle était un des principaux
facteurs du succès de ses maîtres ; il fit donc une étude spéciale
de ses diverses manifestations et de l'état psychologique de ses
patients, et obtint dans la suite des résultats merveilleux, pres¬
que prodigieux, d'où la réputation qu'il acquit de "biohio", sor¬
cier.
Il mourut en 1918, à l'âge de 83 ans, victime de l'épidémie de
grippe espagnole.
A le voir on ne lui aurait pas donné plus de 50 ans, tellement
il était actif et bien conservé.
Au
physique, il était le type parfait de l'aristocrate tahitien.
de haut, et était d'une très
Très bel homme, il mesurait 2 mètres
forte
carrure.
de présenter TIURAI, tel qu'il l'a connu. Lorsqu'au
des conversations qu'il a eues avec cet extra¬
des vingt ans qu'il l'a fréquenté, il s'en tien¬
dra autant que possible à la traduction littérale des paroles de Tiurai. La
personnalité de Tiurai, était bien caractérisée et cependant pleine de contra¬
dictions en sorte qu'il est difficile de se faire de lui une opinion bien définie.
(1). L'auteur
essaye
de ce récit, il reproduira
ordinaire personnage, au cours
cours
Société des
Études
Océaniennes
,
—
4
—
était élégant et aisé, sa démarche lente
gracieuse. Ses mouvements également lents, mais décidés.
Son air habituel était celui du commandement, mélangé d'une
infinie bonté, mais quelquefois hautain..
Une abondante chevelure ondulée, presque frisée, couvrait sa
tête, à peine grisonnante.
Sa grande figure ronde était sans rides et il avait encore toutes
D'allure altière, son port
mais
ses
dents.
Ses yeux petits, très noirs et brillants, ombragés par d'épais
sourcils noirs comme du jais, avaient lorsqu'il s'adressait à un
papaa » blanc, une expression d'espièglerie ironique et presque
dédaigneuse.
Son nez aquilin était grand mais bien proportionné, quoique un
peu large à la base, sa bouche moyenne et bien formée montrait
une denture parfaite et propre.
Ses lèvres légèrement épaisses étaient souvent plissées par un
petit sourire qui finissait presque en une moue.
L'espace entre les narines et la lèvre supérieure était rasé, mais
il laissait pousser enbordurede la lèvre même une petite mous¬
«
tache courte et taillée en brosse.
large et proéminent, il déno¬
détermination.
Son menton dénué de barbe était
tait
une
fermeté bien arrêtée et la
Sa voix était grave
mais claire, sa parole était bien articulée et
scandée.
consistait simplement en un " pareil",
jaune qu'il portait très court ; son buste, ses bras et ses
jambes étaient toujours nus; mais quand il avait à sortir, ce qui
lui arrivait très rarement, invariablement il s'habillait d'une che¬
mise de calicot blanc etd'un pareu noir qui lui descendait un peu
plus bas que les genoux, et bien qu'il allât toujours pieds nus et
tête nue, il ne manquait jamais dans les grandes occasions de
porter suspendue sur ses épaules une vieille paire de souliers et
à la main un vieux chapeau de feutre.
11 habitait une vieille hutte toute délabrée, faite de quelques
bâtons de purau, couverte de feuilles de cocotiers et ouverte aux
quatre vents des deux.
Une natte de pandanus étendue par terre lui servait de lit, avec
une bûche sous une des extrémités en guise d'oreiller.
11 n'y avait aucun meuble dans sa case, et ses ustensiles se ré¬
duisaient à un " timete", espèce d'auge taillée d'une seule pièce
dans un tronc d'afbre, trois ou quatre "penu", pilon.s en pierre
Son vêtement ordinaire
bleu et
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et de nombreuses coques de noix de cocos polies de différentes
grandeurs, qui servaient de bols.
Comme objet d'importation étrangère il ne possédait, à part
son linge, que deux couteaux ; l'un assez petit, strictement des¬
tiné à ses opérations chirurgicales et préparations médicinales,
et l'autre plus grand, genre coutelas employé pour tous les be¬
soins courants : couper du bois à brûler, nettoyer du poisson,
fendre des " maiore", ou découper son tabac.
D'innombrables petits paquets d'herbes sèches, de racines et
d'écorcesde plantes pendaient aux solives de sa hutte qui était
du reste si basse qu'il ne pouvait s'y tenir debout.
De grands arbres, " tamanu" et "butu", entouraient la case et
l'abritaient des rayons du soleil, la rendant plus habitable.
De grandes pierres éparses çà et là et les grosses racines des
arbres servaient de siège à ses visiteurs.
Le bouquet de gros arbres sous lesquels s'élevait la case de
Tiurai, était entouré de toutes parts d'un inextricable fouillis de
lantana, de buissons, débroussaillés et de lianes de toutes espè¬
ces, à travers lequel un sentier étroit et tortueux menait à la plage.
Un autre sentier qu'on eut cru tracé pour un labyrinthe menait
dans le sens opposé et aboutissait à la route de ceinture par une
brèche dans le mur de corail qui entourait le domaine de Tiurai.
Pour un étranger passant sur la grand route, l'endroit n'offrait
aucun intérêt; nul ne se serait jamais douté qu'il fût habité et
on n'aurait probablement pas même remarqué le petit sentier
mal entretenu que des centaines de malades foulaient journelle¬
ment.
Personne n'aurait osé, sans
l'ordre de Tiurai, touchera quoi
que ce fut sur le parcours du sentier et le désordre voulu restait
intact. Un obstacle quelconque était franchi d'une façon ou d'une
autre
jusqu'à ce que Tiurai l'enlevât ou donnât l'ordre de l'en¬
lever.
Une branche sèche tombait-elle par hasard en travers du sen¬
tier, elle était enjambée par les visiteurs ou si elle était trop haute,
on
passait dessous en se baissant.
Et pourtant, il n'était certainement aucun point de l'île fré¬
quenté par autant de personnes que ce coin-là, car jamais Tiurai
ne se rendait auprès de ses malades; ceux-ci venaient à lui ou
lui étaient portés.
Au cas où le malade était trop gravement atteint pour pouvoir
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être
transporté, un parent, unami ou un serviteur venait consul¬
ter le sorcier et
lui demander conseil et
secours.
qu'il donnait, Tiurai ne s'attendait point à un
paiement en espèces et n'en acceptait jamais. Il disait toujours
que ce qu'il donnait lui avait été donné gratuitement et que par
conséquent il le donnait à son tour gratuitement.
Ses malades lui apportaient bien des présents sous forme de
fruits et de provisions ; mais ceci se faisait discrètement et sans
paroles de part et d'autre. L'un apportait un paquet de " maiore",
et le déposait n'importe où près de la hutte, un autre un paquet
de poissons qu'il accrochait à la branche d'un arbre, un troisième
laissait un régime de " fei", ou un paquet de "iaro", et ainsi
Pour les soins
de suite.
Quelquefois, sa hutte était littéralement encombrée de vivres
espèces, en quantité suffisante pour nourrir vingt per¬
sonnes pendant une semaine.
En apparence, il restait insensible à tous ces cadeaux, mais de
temps à autre lorsqu'un malade ou son envoyé lui paraissait pau¬
vre et misérable, il lui disait en le congédiant : « Prends ce paquet
de poissons » ou « Ramasse ce régime de bananes », et l'autre
de s'exécuter sans rien dire, persuadé que cela faisait partie du
de toutes
traitement.
Tiurai, disposait ainsi de toutes ses victuailles avant la fin de
journée, ne gardant pour lui-même que le strict nécessaire et
le lendemain il avait de nouveau de quoi donner.
Il n'avait jamais d'argent, le tabac qu'il fumait poussait autour
de sa case; il n'achetait pas d'allumettes, une bûche brûlait cons¬
tamment sous la cendre et lui procurait à volonté, le feu.
Quand il avait vraiment besoin de quelques francs pour s'ache¬
ter un "pareil", ou un vêtement quelconque, il Elisait venir un
de ses proches parents et lui demandait la somme nécessaire à
valoir sur sa part des revenus provenant des terres de famille,
qu'il refusait d'ailleurs de toucher entièrement.
Une chose remarquable dans les relations de Tiurai avec ses
malades était la façon dont il leur parlait, à eux ou à leurs en¬
voyés.
Quoiqu'il lût d'une humeur assez égale, et toujours prêt à sou¬
rire, il avait des moments d'impatience.
Si des visiteurs osaient lui adresser la parole, avant qu'il ne leur
eût jeté un mot de bienvenue, il leur ordonnait de se retirer, leur
disant qu'ils n'avaient pas à s'approcher de lui, qu'ils n'étaient
la
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du tout malades ; et ceux-ci faisaient demi-tour et
pas
se
retiraient
sans murmurer.
En arrivant chez eux, ils trouvaient souvent que
le malade
pour lequel ils avaient été consulter Tiurai, était en parfaite santé,
ou si c'était pour eux-mêmes, ils étaient complètement guéris.
D'autre part, on a vu des personnes s'approcher
Tiurai, avec tous les signes de respect et de
attendant qu'il voulût bien leur adresser la parole. Il
silencieuse¬
soumission
restait tota¬
lement indifférent à leur approche, puis subitement leur criait :
« Est-ce ainsi que vous pénétrez chez les gens sans leur faire les
salutations d'usage ? Sans saluer le maître de céans ? Allez-vous
en ! si vous croyez que vous avez besoin de moi, vous vous trom¬
pez, allez, vous n'êtes pas malades 1 » Et elles s'en allaient doci¬
lement, sans mot dire, et se trouvaient guéries.
Habituellement, il était assez loquace et faisait un brin de cau¬
sette avec chaque malade qu'il soignait.
11 n'avait aucun ordre apparent dans le choix des malades. Ils
attendaient pêle-mêle autour de sa hutte et il les appelait vers lui
ment de
allait à
selon
caprice.
qu'un consultant arrivé à la pointe du
jour n'était traité par Tiurai, que tard dans l'après-midi, tandis
qu'un autre était soigné aussitôt arrivé.
Malgré, cela, il disait avec le plus grand sérieux : « Chacun son
ou
Il
se
eux
son
trouvait souvent
tour ».
Il
employait souvent des citations bibliques : « Les premiers
disait-il, lorsqu'il voyait que le malade était
pressé ; et s'il jugeait que le cas n'était pas urgent, il le faisait
attendre pour exercer sa patience.
seront les derniers »
*
*
*
Tiurai, faisait preuve d'une remarquable présenced'espritdans
les différents
cas qui se présentaient à lui. Il avait beaucoup
bon sens, des connaissances variées d'hygiène, d'anatomie et
de
de
botanique médicinale ; dans le traitement de ses malades il em¬
ployait tour à tour auto-suggestion, mind-reading, practicaljokes, etc.
Les exemples suivants donneront une idée de la façon dont
il procédait.
*
*
Un
.
*
jeune homme de Raiatea, île située à 130 milles de Tahiti,
depuis plusieurs semaines d'un mal de gorge.
souffrait
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essayé tous les remèdes de son district et
plus réputés de l'île. Le mal ne
faisait qu'empirer, lorsque les parents du jeune homme décidè¬
rent de l'amener à Tahiti, pour voir Tiurai.
En arrivant chez le sorcier, le jeune homme, dont la gorge
était très enflée et la mâchoire raide, avait de la peine à articuler
quelques mots.
Son vieux père qui l'accompagnait, expliqua à Tiurai, que le
mai datait de plus d'un mois et que l'enflure, depuis quelques
jours, était devenue telle que le jeune homme ne pouvait plus
manger et que c'était tout juste s'il pouvait avaler un peu d'eau
On avait vainement
consulté même les " tahua ", les
de
coco.
Tiurai, qui avait écouté sans mot dire, fit signe au jeune hom¬
me d'avancer, et lui dit d'ouvrir la bouche ; mais la douleur était
telle qu'il ne put pas même desserrer les dents.
« A genoux ! cria alors Tiurai ».—Le jeune homme avec mille
précautions obéit lentement en tremblant ; le moindre effort qu'il
faisait lui causait des élancements douloureux dans la gorge.
Voyant l'hésitation du malade, Tiurai cria encore plus fort :
je te dis, et mets tes mains par terre en avant de
toi, et marche à quatre pattes comme si tu étais un porc. »
Le père regardait son fils avec commisération en jetant au sor¬
cier des regards furtifs où l'on pouvait lire la crainte et le repro¬
che ; tandis que le fils faisait de son mieux pour exécuter les or¬
«
A genoux,
dres du Maître.
Tiurai continua : Cours maintenant, tel le cochon
par une meute de chiens, cours donc ! »
Le jeurFe homme obéit encore, quoique
poursuivi
près de succomber à
la douleur.
« Cours encore, dirige-toi vers ce régime de bananes vertes
qui est devant toi, dit Tiurai, le montrant du doigt, et mordsen une, comme si tu étais un porc affamé ».
Le jeune homme arriva tout haletant près du régime de bana¬
nes, mais il était si faible qu'il ne put pas exécuter le dernier ordre
donné, et il resta en arrêt implorant un meilleur traitement.
« Mords, hurla Tiurai, je te dis de mordre, et avec tes dents
arrache
Le
un
fruit
» :
jeune homme terrorisé obéit et poussa un long gémisse¬
ment.
Le mouvement subit
qu'il fit pour ouvrir sa bouche, fit
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crever
l'abcès
qui était dans la gorge et l'on put voir
couler abondamment d'entre ses lèvres
le pus blanc et jaune
Tiurai, lui dit alors d'un ton moins autoritaire : « Baisse la tête,
postérieur », ce que fit docilement le malade qui déjà
et lève ton
se
sentait mieux.
Toujours assis
le bloc de corail d'où il n'avait pas bougé,
vers le père et lui dit : « Prends donc un
de ces jeunes cocos (il montra un paquet qu'on venait de lui ap¬
porter quelques minutes avant) ouvre-le et porte-le à ton fils
pour qu'il puisse se rincer la bouche ».
Le vieillard tout ému, mais émerveillé obéit et porta le coco à
son fils, le tenant de
façon que ce dernier pût en aspirer le liqui¬
de pour se laver la bouche ».
« Maintenant, continua Tiurai, ouvre un autre coco,
et donnele à ton fils pour qu'il puisse se gargariser la
gorge ».
Tiurai
se
sur
tourna alors
Le vieillard obéit
une
deuxième fois et Tiurai ordonna alors
au
jeune homme de se tenir debout et de se gargariser la gorge.
« Allez maintenant, continua-t-il, dans
quelques jours vous
ne vous souviendrez plus
lequel de vous deux était malade ».
« Mon fils,
ajouta-t-il, en s'adressant au jeune homme, garga¬
rise-toi la bouche
.
avec
de l'eau de coco, au moins trois fois par
jour, et plus souvent situ le peux ».
En effet, huit jours après le jeune homme était tout à fait
gué¬
ri et pouvait manger et boire comme tout le monde.
Jedemandai à Tiurai, pourquoi toute cette mise en scène, etil
me répondit:
« C'est bien simple, pour soigner mes compatriotes,
il faut que les choses les plus simples leur soient
présentées com¬
me très compliquées et ce n'est qu'une fois le résultat obtenu
qu'ils s'aperçoivent que j'ai raison. Si j'avais expliqué à ce vieux et
à son fils tout ce que je leur ai fait faire avant de leur ordonner,
j'aurais perdu mon temps. Cela me fait penser à Mihaela (i)
qui m'a raconté l'histoire de l'œuf et du blanc qui a atterri le pre¬
mier en Amérique. Lorsqu'il eut fait tenir un œuf debout, il ré¬
pondit à ceux qui disaient qu'ils auraient pu faire de même:
« C'est bien
simple mais il. fallait y penser ». Je voyais que ce
garçon souffrait beaucoup, et par la forme de l'enflure de son cou,
(1). MIHAELA, prononcé Mihaera, tahitien pour MICHEL, Nom donné au
Michel, avec qui Tiurai en qualité de voisin avait de longues conversa¬
tions. Tiurai, était également Catéchiste de son
quartier, par conséquent avait
souvent affaire avec le Missionnaire catholique du district.
R. P.
Société des
Études
Océaniennes
—
10
—
qu'il s'agissait d'un abcès dans la gorge. Je n'aurais jamais
cet abcès avec mon couteau, car le malade ne pouvait
pas desserrer la mâchoire. En lui ordonnant de tenir entre ses
dents une banane, je savais très bien que l'abcès, s'il était à point,
s'ouvrirait de lui-même et que le pus se dégagerait par la bouche,
je lui ai fait baisser la tête pour que le pus ne descende pas dans
son estomac. L'eau de coco pour laver sa plaie est l'eau la plus
pure que l'on puisse trouver, elle est naturellement stérilisée.
Comme vous voyez, je n'ai pas eu à le toucher, et mon malade
est parti satisfait et persuadé que je suis un grand homme, tan¬
dis que je n'ai fait que ce que tout autre aurait pu faire, inspiré
par le bon sens ».
Sur le ton du plus profond mépris pour les méthodes euro¬
péennes, il ajouta : « Si ce garçon avait été se faire soigner par
les " taote
(médecins européens), ils l'auraient en dépit du bon
sens, couché sur le plat de son dos ; ils l'auraient peut-être en¬
j'ai
vu
•pu percer
le pus
probablement pénétré dans son estomac. Et s'il était mort
empoisonné, ils auraient dit et écrit dans leurs livres, l'opération
a très bien réussi, mais le malade a succombé à une affection
tout à fait indépendante de l'opération ».
dormi et lui auraient ouvert son abcès de telle façon que
aurait
*
*
*
quarante ans, habitant à Pueu, district
presqu'île de Taiarapu, éloigné de chez Tiurai, d'environ
80 kilomètres, était resté alité à la suite d'une chute qu'il fit dans
un ravin en revenant des "/m".
Sa femme et ses " fetii
l'avaient soigné de leur mieux, et ce¬
pendant iis ne pouvaient pas arriver à le remettre sur pied.
Tout fut essayé, mais sans succès. Le malade paraissait s'affai¬
blir de plus en plus sans cependant souffrir.
Un parent allant à Papeete, s'arrêta chez Tiurai, pour le consul¬
ter au sujet du malade et Tiurai, lui dit après un long silence :
« Tu n'es pas venu exprès de Pueu, pour me voir, c'est en pas¬
sant pour aller à Papeete que tu t'arrêtes pour demander mes
conseils. Eh bien, va à Papeete, et retourne à Pueu. Si ton "fetii",
veut guérir, qu'on me l'amène ici ».
Le parent un peu gêné par les paroles du sorcier et de crainte
que ce dernier ne lui jetât un sort, ne perdit pas de temps.
Il alla donc à Papeete, fit ses affaires et le soir même il repre¬
Un homme d'environ
de la
nait le chemin de Pueu.
Société des
Études
Océaniennes
—
11
—
Ayant fait connaître au malade et à sa famille le résultat de sa
Tiurai, il fut décidé qu'on transporterait ie malade chez
le guérisseur.
Ce ne fut pas chose facile. Une voiture fut préparée, un mate¬
las mis dans le fond et des " tifaifaï', (espèce de draps de lit
faits par les femmes indigènes) tendus tout autour de la capote.
visite à
Le malade fut couché
sur
le matelas et
tallèrent autour de lui pour
sa
femme et
l'éventer et le
ses
filles s'ins¬
masser en cours
de
route.
La voiture
mit
se
ter les cahots. On
route, les chevaux allant au pas pour évi¬
partit dans la nuit pour ne pas voyager pen¬
en
dant la chaleur du
jour.
cortège arrive chez Tiurai.
Le malade paraissant épuisé et prêt à rendre l'âme, on tint
conseil et il fut décidé que l'on essayerait de demander à Tiurai,
de venir, contrairement à son habitude, jusqu'à la route, ne pou¬
vant pas pénétrer jusqu'à sa case.
Le frère s'arma de courage et alla exposer la situation à Tiurai,
qui l'écouta sans dire un mot, jusqu'à ce qu'il eut fini de parler.
« Reste ici, dit-il alors à l'envoyé, je vais aller à la voiture. Tu
dois avoir faim, mange ce que tu trouveras à manger ».
En effet, il se leva et se dirigea vers la route où attendait la
Vers midi le
voiture.
En arrivant il dit
Ici »,
tifaifai.
«
«
et
Enlevez
se
Où est ton fouet?
: «
».
Je n'en ai pas, tut la réponse, je n'en ai pas besoin, nous som¬
Ah !
vous
pas ».
êtes venus
trot marmotta
«
de
tifaifai, dit Tiurai, cet homme a besoin d'air »,
qui était assis sur la banquette
ces
mes venus au
«
Où est le malade, si malade il y a ? »
des femmes, en soulevant le rideau
une
tournant vers le conducteur
il lui demanda
«
: «
répondit
au
pas,
eh bien,
vous retournerez au
Tiurai.
Descendez toutes de cette voiture, ordonna-t-il aux femmes,
toi, dit-il
au
cocher, tourne la voiture du côté d'où tu es venu ».
Pendant que le conducteur exécutait ses ordres, au
rement des spectateurs en général et des " fetiis", en
grand effa¬
particulier,
Tiurai, se dirigea vers une touffe de goyaviers d'où il arracha une
branche longue et flexible.
Il revint vers la voiture, donna la baguette au conducteur et
lui dit
: «
Voilà
un
fouet ! Fais courir tes chevaux aussi vite que
Société des
Études
Océaniennes
tu le pourras, suis la route jusqu'à ce que tu
Punaruu ; traverse le pont et va sans ralentir
arrives au pont de
ton allure, jusqu'à
ce que tu trouves un endroit où le terrain soit assez plat pour que
ton attelage puisse tourner sans s'arrêter. Et souviens-toi d'une
chose, c'est qu'il t'arrivera malheur si tu cèdes aux prières de cet
homme qui se dit malade ; il te demandera, te suppliera de t'arrêter, mais ne l'écoute pas. Va et reviens vite ».
Le conducteur ne savait que répondre, le malade gémissait
déjà et les " fetiis", étaient consternés.
Pars! dit
Tiurai, et le conducteur donna de grands coups de
chevaux qui bondirent en avant.
Tiurai se retourna, et avec un fin sourire il dit à la foule : « Cet
homme sera guéri à son retour ».
Sans ajouter un mot, il se hissa sur le mur en corail qui bor¬
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 10