B98735210103_007.pdf
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ETUDES OCEANIENNES
Anthropologie
Histoire
—
des
—
Ethnologie
—
Philologie.
Institutions^ et Antiquités
populations maories.
Littérature et Folklore.
Astronomie
—
Océanographie — Sciences naturelles.
Tourisme.
IMPRIMERIE
A
DU
GOUVERNr MENT
PAPEETE
(TAMiTi)
3BW8>&3S'ttS[sr
de
SOCIÉTÉ
la
D'ÉTUDES
OCÉANIENNES
•—
IV
7.
—
AVRIL 1923
SOMMAIRE
Editorial
Rédaction
Ethnologie
Croyances relatives
l'autre vie chez les
aux
âmes
et à
Polynésiens...
^
Leverd
Philologie
Noms d'illustres marins Paumotu
des temps passés
P. Hervé Audran
Sciences naturelles
Maladies
et
Médecines à
Fiji
Ornithologie
Abbé Rougier
R. H. Beck
Folklore
Deux
légendes tahitiennes.
g
Histoire
Résumé chronologique de l'histoire
de Tahiti et des lies de la Société
de 1521 à 1821.
\
Mémoires d'Ariitaimai (suite).
Tourisme
•Itinéraire des
et
fin)
Iles
Marquises (Suite
Le
bronnec
Depuis la parution de notre Bulletin
en
septembre dernier
le Bureau de la Société d'Etudes s'est
appliqué, dans la mesure
de ses moyens, à répondre aux directives tracées dans le dernier
Editorial.
En
vue
de la conservation des
vestiges du passé maori que
possède encore la Colonie, le Bureau a été amené à demander
l'application stricte des dispositions de l'arrêté du 11 juin 1917,
notamment à l'occasion de la Mission de l'honorable M.
Stokes,
savant du "Bishop Museum d'Honolulu". Cette mission avait
rapporté des Iles du Sud, de Raivavae spécialement, une très
importante et très intéressante collection de statues et de pierres
gravées.
Conformément à la demande du Bureau de la Société, le Gou¬
vernement n'a pas cru devoir autoriser l'exportation de ces objets.
Toutefois sur les instances de M. Stokes qui fit ressortir, au cours
d'une abondante correspondance l'utilité pour le Bishop Museum,
en vue d'un
prochain Congrès, de pouvoir examiner sur pièces le
résultat des recherches de son délégué, celui-ci fut, à titre excep¬
tionnel, autorisé à exporter et à conserver à titre de prêt, pour
une durée de cinq ans, un spécimen de chaque série d'articles.
En présence du Bureau, M. Stokes choisit lui-même ses spé¬
cimens. Les autres articles furent remis au Museum de Papeete.
Ils y figurent actuellement dans une salle récemment aména¬
gée.
Le Musée s'est enrichi également de dons de M. Georges
Biddle. Ce peintre américain, élève de l'école française moderne,
fit deux
.séjours successifs à Tahiti. Au cours du dernier il sé¬
journa près de deux
ans
dans le district de Tautira.
Bien que son œuvre échappe entièrement à la compétence cri¬
tique de cette publication, notons qu'elle reflète une vision ex¬
trêmement personnelle des couleurs, des formes, et des visages
de ce pays. A ce titre nous sommes heureux de conserver la trace
du généreux artiste. L'exposition des œuvres de Georges Biddle,
dont notre Société a eu la primeur, vient de trouver à New-York
accueil
empressé dont la presse américaine a rendu compte.
qu'elle rencontrera à Paris, où elle a lieu
actuellement, le même succès.
L'assemblée générale de la Société réunie le 4 décembre 1922,
pour la réception de M. le Gouverneur Rivet, a donné l'occasion
au Chef de la Colonie de fixer la participation du Gouvernement
à nos travaux dans une allocution que nous reproduisons ici :
un
Il est vraisemblable
Monsieur ie
Président,
Messieurs,
Le patronage que les statuts de la Société des Etudes Océa¬
niennes confèrent au Chef de la Colonie, s'il est un honneur
dont
j'apprécie, comme il convient, tout le prix, ne m'en appa¬
moins comme un devoir, agréable mais effectif, dont les
charges, pour nouveau Membre que je sois, ne me sont pas in¬
connues. Les entretiens qu'il m'a été donné d'avoir, avant mon
départ de France, avec le fondateur de votre Compagnie, le Gou¬
verneur JULIEN, dont je salue le souvenir, la lecture attentive des
actes qui ont présidé à la constitution et à l'organisation de votre
Institution, la vue d'ensemble que les Bulletins de la Société
raît pas
m'ont fourni
sur
ses
directions et
son
fonctionnement m'ont
permis de fixer ma conception du rôle qui m'est imparti de par
vos règlements. Ce rôle, je tiens d'ores et
déjà à vous en donner
l'assurance, m'apparaît déterminé non point par le souci d'exer¬
cer un
contrôle administratif
sur une
Société d'études dont le
caractère et
mais par
l'objet ne comportent aucune tutelle de
la nécessité d'apporter à votre groupement,
recherches,
ce genre,
pour ses
démarches et ses travaux, en vue de ses relations
intérieures et extérieures, l'autorité morale et les moyens maté¬
riels qui assurent son existence et son développement.
Si elle
ses
trouvait pas,
dans le pouvoir qui réglemente, un étai
conservatoire, si elle ne disposait
d'autre part que des moyens procurés par ses propres ressour¬
ces, la Société d'Etudes, quels que soient l'énergie, l'activité et
le désintéressement de ses Membres, risquerait de se trouver
démunie et pratiquement dans l'incapacité d'atteindre son but.
C'est donc au Gouvernement de la Colonie qu'incombe la charge
d'appuyer de son autorité et de doter des ressources nécessaires
un groupement qui,
en retour, assure à la Colonie le profit ma¬
ne
indispensable dans
tériel et moral de
son œuvre
ses
ciété d'Etudes toute
travaux. Cette intervention laisse à la
l'indépendance nécessaire à
ses
So¬
recherches,
à ses initiatives ; elle facilite ses démarches sans
entraver son ac¬
tion, elle aide à ses réalisations sans leur imposer aucune
marque
officielle, en lui conservant son autonomie et son libre
jeu. Ma
conception personnelle à cet égard correspond, je crois, à la thèse
qui a prévalu depuis la reprise de vos travaux : c'est ainsi que par
un arrêté du 31 décembre
1921 vous avez obtenu le rattachement
du Musée et acquis ainsi le droit d'en administrer et
surveiller
les collections, d'en
désigner le Conservateur et de disposer, au
mieux de vos intérêts, de la subvention annuelle servie
par la
Colonie.
J'ai donc tenu à
de continuer
vous
sur ces
affirmer dès maintenant
une collaboration
qui a
mon
intention
bases
déjà donné ses
effet, les récentes acquisitions faites par votre Bibliothè¬
que et votre Musée, la très intéressante dernière édition de votre
Bulletin et la propagande poursuivie à cette occasion en France
et à l'étranger, auprès des Institutions et des
personnalités scien¬
tifiques, des revues et des journaux, en un mot l'ensemble de
vos travaux et de vos démarches
depuis la reprise de votre ac¬
tivité, me donnent les plus fermes espoirs pour les résultats à
fruits. En
attendre de notre effort concerté.
Si vous voulez bien, en vue de préciser
dès maintenant les
as¬
pects pratiques de cette collaboration,
en revue
ver
les différents domaines
secondée
nous passerons ensemble
où votre initiative pourra se trou¬
parles moyens que je serai
en mesure
de vous don¬
ner.
Le
premier des buts proposé par vos fondateurs est la conser¬
vestiges et des témoins de la civilisation maori, des
derniers monuments du passé de ces îles, d'un passé aboli dont
les traces sont d'autant plus précieuses qu'il devient plus diffi¬
cile de les déceler. Cette œuvre est nécessaire et
urgente, car il
s'agit de sauver ce qui demain ne sera plus. Mais elle est difficile
car les
fragments qui demeurent sont dispersés; les plus inté¬
ressants se trouvent dans les îles les plus lointaines, exposés à
la détérioration, à la destruction inconsidérée ou à des fouilles
souvent avides. Les découvrir, les classer les préserver et, dans
la mesure du possible, les rassembler : telles sont les quatre pha¬
vation des
ses de l'œuvre conservatoire dont vous avez la
responsabilité.
Dans chacune d'elles, je m'efforcerai de vous seconder. Le per¬
sonnel administratif des Archipels sera invité à joindre son '
concours aux investigations que
vous voudrez tenter, soit par
correspondance en fournissant les renseignements que vous de-
manderez, soit directement à l'occasion des missions que la So¬
pourrait confier aux Membres susceptibles de se déplacer
à travers les îles. D'autre part, en ce qui concerne la préservation
des objets offrant un caractère et un intérêt historiques, il sera
possible de reviser la réglementation actuelle en vue de restrein¬
dre leur exportation voire même leur acquisition. Je sais que la
question a été déjà soulevée et je serais volontiers disposé à la
résoudre aussitôt que me seront adressées des propositions
basées sur un classement précis permettant une exacte discri¬
ciété
mination.
Comme suite à cette
de conservation, vous avez pour
d'approfondir la connaissance de la langue et des cou¬
tumes, des mœurs et des arts, des traditions et du folklore des
populations anciennes et actuelles de l'ôcéanie. A cet effet
vous disposez d'un Bulletin dont les
rubriques s'alimentent d'une
documentation diverse et nourrie, puisant aux sources même
de son sujet, et d'une Bibliothèque qui, grâce aux
échanges du
Bulletin, reçoit régulièrement les publications les plus intéres¬
santes en
matièrepolynésienne. Tous les moyens matériels affé¬
rents à la publication du Bulletin et à sa diffusion continueront
de vous être donnés^ La Bibliothèque continuera de
recevoir, en
outre des publications d'ordre scientifique qui lui sont adressées,
les journaux et les revues dont le service est fait à la Colonie.
En ce qui concerne les rapports que vous avez noués ou
que
vous êtes
appelés à nouer avec d'autres centres d'études du mon¬
de polynésien et les Sociétés de même ordre
d'Europe, d'Amé¬
rique et d'Asie, relations qui font également partie de votre pro¬
gramme et dont tient compte votre arrêté de fondation, je serai
toujours heureux, devant les bénéfices de tout ordre que votre
Compagnie et la Colonie même sont appelées à en retirer, à en¬
courager et à faciliter, dahs la mesure de mes moyens, leur
développement. Les savants envoyés en mission parles Sociétés
correspondantes de la vôtre trouveront un accueil d'autant plus
favorable à leurs recherches qu'ils en
échangeront plus généreuse¬
ment avec vous les résultats, qu'il
s'associeront plus étroitement
à vos travaux, soit en faisant
part à votre Bulletin de leurs
rapports, soit en vous communiquant leurs études, soit en fai¬
sant bénéficier le Musée de découvertes
qu'ils ne seront qu'excep¬
tionnellement autorisés à exporter. C'est dans ce sens, en effet,
que je compte résoudre le problème qui se pose devant la néces¬
sité d'entretenir les relations les
plus amicales avec les Sociétés
mission
œuvre
étrangères, et celle, plus impérieuse encore, de conserver à la Co¬
lonie des richesses qui constituent le patrimoine
historique et
artistique de nos Etablissements.
Enfin, j'ai vu, dans votre dernier Bulletin, s'indiquer vos in¬
tentions au sujet de la mise en oeuvre du tourisme local. Dans
cet ordre d'idées, comme dans les précédentes, un vaste
champ
d'action
est ouvert où
féliciterais de voir tous les
qu'une
partie de l'avenir de ces îles repose sur la mise en valeur de leurs
beautés pittoresques, hors de doute que le jour où les globe¬
trotters d'Europe, d'Amérique et d'Asie, attirés par la rénommée
de nos Archipels, prendront le chemin de Tahiti, il en résultera
pour la Colonie une prospérité matérielle et un prestige de nature
à modifier singulièrement sa position. Mais cela suppose toute
une préparation dont une
grande partie vous incombe : tout ce
qui a trait à la divulgation minutieuse de nos richesses touristi¬
ques— cartes, itinéraires, descriptions, tracés, etc., rentre dans
vos attributions. Etablir lè
guide de Tahiti et des Archipels serait
une des manières les plus utiles d'ouvrir la voie au
grand touris¬
me. Ce travail, me direz-vous, comporte
aussi une importante
aide matérielle : les chemins de montagne sont à débrousser, des
pistes sont à ouvrir pour atteindre les sites les plus réputés, cer¬
taines excursions sont de véritables expéditions nécessitant de
la main-d'œuvre, des équipes de prisonniers... Dans toute la
mesure du possible, cette aide, j'essaierai de vous la fournir.
J'ai terminé, Messieurs, cette longue revue des terrains divers
où votre action est appelée à demander au Gouvernement de la
Colonie concours et appui. L'un et l'autre vous sont acquis.
Votre œuvre désintéressée est de celles qui honorent non seule¬
vous
concours se
je
me
rallier à votre effort. Il est hors de doute
ment l'Institution
qui l'entreprend mais le pays où elle se réalise.
entreprise intellectuelle à longue échéance, mais à
vaste portée, dont le bénéfice ira non seulement à cette Colonie
mais à l'Histoire, à l'Art et à la Science : c'est un honneur et un
devoir que de la commanditer.
C'est
une
Comme suite à l'affirmation de
lonie
ses
intentions le Chef de la Co¬
Agents spéciaux de Ta¬
hiti, Moorea et des Archipels une circulaire en date du 11 janvier
1923 qui, nous l'espérons,'permettra de réaliser, avant qu'il ne
soit trop tard, la mise à l'abri des derniers vestiges de la civilisa¬
a
adressé
aux
Administrateurs et
tion Maori. Voici les termes de cette circulaire.
Papeete, le il janvier
1923.
Le Gouverneur des Etablissements français de l'Ocèanie, à Mes¬
sieurs les Administrateurs des Archipels et Agents spéciaux.
Études Océaniennes, dans une Séance pleinière
décembre 1922 que j'ai eu l'honneur de présider, et dont
vous trouverez le compte-rendu au Journal officiel du iôdécembre 1922, a attiré de la façon la plus instante mon attention sur
La Société des
du 4
la nécessité d'intervenir
sans
retard
en vue
de la conservation
des derniers
vestiges de la civilisation maori, dispersés dans nos
îles, exposés à la détérioration, à la destruction inconsidérée ou
à des fouilles souvent avides. En assurant la Société d'Etudes
de l'intérêt que je prenais à son œuvre, à ses recherches et à
l'effort tenté par
Etablissements et
elle
pour préserver de l'oubli le passé
leurs richesses historiques et
de nos
artisti¬
ques, j'ai pris l'engagement de lui procurer l'entier concours de
l'Administration des archipels.
Je ne doute pas que vous n'ayez à cœur de prêter votre colla¬
boration la plus dévouée à une œuvre désintéressée destinée à
honorer et à enrichir la Colonie, d'après les directions suivantes :
Vous aurez, dès réception de la présente circulaire:
i° A établir un relevé complet et détaillé de tous les monu¬
ments vestiges ou fragments (marae ou mea'e, lieux de réunion
et d'assemblées, autels, lieux d'exposition des
morts, enceintes,
statues, pierres de sacrifices, pierres gravées, façonnées ou or¬
nées d'inscriptions ou dessins même rudimentaires, en un mot,
portant des traces de l'art ou de l'industrie primitive) existant
dans l'étendue de la circonscription que vous administrez, soit
Sur des propriétés privées, soit sur des terrains domaniaux. Le
relevé que vous m'adresserez devra comporter toutes indications
de lieux, noms de propriétaires, descriptions des
objets, de na¬
ture à permettre leur classement immédiat. Aussitôt ce relevé
établi vous aviserez les propriétaires ouïes possesseurs
d'objets
en instance de classement,
d'après la liste donnée ci-dessus, qu'ils
sauver
ne sauraient les aliéner ou les détruire et doivent veiller à leur
conservation. Vous les inviterez également à vous faire connaître
s'ils désirent en consentir la cession au Musée de
sera
Papeete, qui
acquéreur. Vous indiquerez égale¬
dansquelles conditions les objets transportables pourraient
seul autorisé à s'en rendre
ment
être amenés
au
Chef-lieu ;
2° A exercer une surveillance minutieuse sur les
fouilles et les
recherches effectuées par les missions
étrangères qui, trop sou¬
vent mal instruites des dispositions
pourtant formelles de l'arrêté
du 11 juin 1917, transportent au Chef-lieu, en vue de leur
expor¬
tation, la part la plus intéressante du patrimoine historique et ar¬
tistique de la Colonie. Il vous appartiendra de rappeler en temps
utile les dispositions du texte susvisé aux
personnes qui seraient
tentées de les enfreindre, et d'interdire de la
faç'on la plus stricte
l'exportation pour une autre destination, que le Musée de Papeete
de tous les articles visés par l'article 5 de
l'arrêté du 11 j uin 1917.
Toutefois, sous cette réserve, les travaux de savants en mission,
à quelque nationalité qu'ils appartiennent,
devront être, dans la
mesure du possible,
largement facilités, en particulier pour ceux
qui auront été accrédités auprès de vous par la Société d'Etudes
Océaniennes ;
30 A contribuer d'une façon générale par vos investigations
personnelles et par des communications aussi fréquentes que
vos fonctions vous le
permettront, à l'œuvre entreprise parla So¬
ciété d'Etudes Océaniennes. Il vous sera tenu le
plus grand compte
de tous les renseignements, rapports et documents
que vous serez
en mesure de m'adresser
pour la Société sur les particularités his¬
toriques, archéologiques, ethnologiques, philologiques ou au¬
tres du groupe que vous administrez, et de toutes démarches
destinées à faciliter les recherches, les découvertes ou les
acqui¬
sitions de la Société d'Etudes.
Vous voudrez bien, en m'accusant
circulaire,
me
réception de la présente
faire part des premiers résultats que vous aurez
obtenus dans tes différents ordres d'idees.
RIVET.
Nous publierons au fur et à mesure qu'elles nous seront com¬
muniquées les réponses à cette circulaire.
Le passage au Chef-lieu de M. Beck, Naturaliste de 1'' 'American
Museum of Natural History" a permis de demander au
distingué
savant, Correspondant de la Société, des spécimens de ces collec¬
tions d'oiseaux. Avec la plus grande amabilité M. Beck a fait
part
Chef de la Colonie de son intention de remettre dans un dé¬
lai peu éloigné au Musée de Papeete, les collections demandées.
A cette occasion nous exprimons de nouveau à nos Membres
au
correspondants notre espoir de les voir s'associer d'une manière
effective à la constitution de notre Musée et de notre Bibliothè¬
à la rédaction de ce Bulletin. C'est par voie d'échanges que
jeune société est appelée à assurer et à affirmer son exis¬
que et
notre
tence.
Nous voulons être
persuadés
que notre
appel sera entendu.
Croyances relatives aux âmes et à l'autre vie chez
les Polynésiens.
Par A. LEVERD.
INTRODUCTION.
Les croyances relatives aux âmes et à l'autre vie se retrouvent
semblables dans toute la Polynésie et correspondent même
assez bien aux idées que s'en faisaient les
et notamment
assez
Anciens
les Grecs.
L'âme est
ombre, un double du corps qui, séparée de lui,
généralement sa forme. Cet esprit, dans l'autre monde,
mange, boit, vit en société à peu près comme les vivants et s'y
livre à toutes sortes de jeux; mais ces aliments, leurs maisons,
ces jeux ne sont aussi que des ombres.
Au reste, la vie d'outre tombe n'est que l'ombre de la vie pré¬
sente et elle n'est pas une expiation. Nulle idée de sanction des
actions morales n'intervient, mais seulement la punition du man¬
que de respect pour les dieux et les prêtres et du manque de zèle
religieux par inobservation des rites.
Si d'autre part l'on considère le caractère plutôt consolant de
cette vie d'outre-tombe l'on comprendra l'immortalité de ces peu¬
ples, pourtant accessibles à la pitié et à l'amour, et leur indiffé¬
une
conserve
rence
de la mort.
Les âmes subissent
définitive,
une
tes sortes de
seulement, avant d'atteindre leur demeure
série de tribulations où elles sont exposées à tou¬
périls dont seule
une
connaissance profonde des
rites et de nombreuses offrandes des
parents, pourront les sauver.
Les Polynésiens admettent
que s'échappant comme un fluide
du corps de l'homme en état de
prostration, d'évanouissement
ou de coma, l'âme erre à
l'aventure, exposée, si elle a contact
avec les choses de l'autre
monde, à ne plus
revenir, auquel cas il
esprit d'an¬
qu'apparente.
y a mort réelle. Mais si cette âme rencontre quelque
cêtre bienveillant qui la ramène, la mort n'a été
Nombreuses sont aussi les légendes où, comme dans la fable
antique d'Eurydice et d'Orphée, quelque amant est descendu chez
les esprits et en a ramené l'âme de son amie
pour la réincarner.
Essence de l'âme.
—
Formes qu'elle affecte et comment elle
envers le corps.
se
conduit
Lorsque quelqu'un se trouve dans un état d'inconscience, c'est
la mort a pris possession du corps et ouvert la porte à l'es¬
prit (varua) pour s'en échapper.
Nous voyons dans la légende hawaïenne de «Ka-ilio-hae
», que
l'âme descend le long du corps et le quitte
par le « pied gauche».
Sortie de là, elle «bourdonne comme un insecte». Elle
s'effraye
au moindre bruit, à
l'aspect du mort, et volète comme un oiseau,
que
en se
posant sur les branches.
Dans la
légende de
«
Hiku» et «Kawelu» (Iles Hawaii),
voyons le « Kahuna »(tahuga : prêtre) «Eleio »,
« Kawelu », déshabituée du
corps après
nous
obliger l'âme de
sept jours d'absence et
incommodée par l'odeur du cadavre, à réhabiter celui-ci en la te¬
nant serrée dans ses mains et en la
forçant à rentrer sous l'ongle
de l'orteil, point le plus
éloigné du centre de vie. 11 faut pour cela
qu'il la comprime,
qui implique
ce
tialité.
un certain
degré de substan-
L'âme entre péniblement et veut revenir en arrière: le Kahuna
l'en empêche. Elle se débat dans le
corps, mais ne peut en sor¬
tir ; elle atteint le cœur ou
plutôt les entrailles : Kawelu respire,
son cœur bat
; elle est rendue à la vie. (Mid-Pacific Magazine juil¬
let 1912, p. 67, et s);
Ainsi le « Kahuna », voit l'âme de «Kawelu», la saisit, com¬
prime de ses mains « Hiku», d'ailleurs a été la chercher dans le
« Pô »
(Monde inférieur) et l'a saisie pour la ramener. — Toutes
ces opérations sont facilitées
par des incantations.
Aux Samoa, la légende de « Tui-Topetope » ,nous révèle des
croyances
analogues
:
Tui-Topetope », revenant de « Tutuila » et débarquant à
Upolu », apprend la grave maladie du Chef « Puepue-Mai ». Il
regarde à l'intérieur de la maison et y voit un certain nombre
de dieux du Mont « Fiso ,», assis sur le pas de la porte et se pas¬
sant l'âme du chef mourant. Elle était enveloppée dans une feuille.
L'un des dieux près de la porte dit à « Tui-Topetope » que, dans
l'obscurité, il avait pris pour un des leurs : « Prends ceci et il lui
passa l'âme». «Tui-Topetope» la prit et, le matin suivant, s'offrit
à guérir le chef. Les parents ayant accepté son intervention, il
réintroduisit l'âme et rendit ainsi la santé à «Pue-Pue-Mai » (Tur¬
ner Samoa p. 142 et 143).
L'âme était alors comprimée et enveloppée et n'avait pas forme
«
«
humaine.
Dans la
«
légende de « Kaha-Lao-Puna » (Iles Hawaii), l'âme de
apparaît au jeune chef « Mahana » et suivant
Kaha-Lao-Puna »,
l'ombre, celui-ci rètrouve le corps.
Ici, c'est par des incantations que le « Kahuna » ramène la vie
dans le corps de « Kaha-Lao-Puna ». Lorsque, par la suite, Ka¬
ha-Lao-Puna doit paraître devant le roi pour prouver sa résurrec¬
tion et confondre son meurtrier « Kauhi », l'ami de celui-ci, le
sorcier « Kaea », conseille d'étendre de grandes et tendres feuil¬
les où « Kaha-Lao-Puna » doit, s'asseoir et il dit : « Remarquez
bien si elles sont déchirées ; si elles ne-le sont pas, c'est seule¬
ment l'esprit de « Kaha-Lao-Puna ».
Mais les sœurs-esprits (mortes) de « Mahana », qui accompa¬
gnent « Kaha-Lao-Puna », ayant connaissance du dessein du sor¬
cier, avisent leur vivante compagne de déchirer promptement les
feuilles de chaque côté afin que leur nature spirituelle ne soit pas
décelée.. et qu'elles ne soient pas prises et détruites par le sor¬
cier « attrapeur d'esprits ».
« Kaea », voit les feuilles
déchirées, mais il déclare sentir la
présence de créatures surnaturelles. Le Juge « Akaaka », grandpère de « Kaha-Lao-Puna », sarcastique, avise «Kaea» d'essayer
de voir la face des esprits dans un récipient plein d'eau. Kaea
accepte, se penche inconsidérément sur le vase et voit seulement
la réflexion de sa propre figure. « Akaaka » sachant
que la ré¬
flexion était celle de l'esprit du sorcier, la saisit entre ses mains
et l'écrase. « Kaea » tombe mort à côté du
récipient.
Ainsi l'esprit d'un mort peut revêtir l'aspect d'un vivant, même
en plein jour, au
point de tromper ceux qui n'ont pas la science
—
11
—
'
du
« tahuga » (prêtre et sorcier), mais son essence
spirituelle ne
lui permet pas d'agir sur la matière,, par exemple de déchirer les
feuilles en les foulant.
Nous
avons un cas
«
Pena
»
«
Ura et Pena étaient deux amis, ils allèrent un jour à
Tupai ;
ils vinrent à manquer de vivres. Il fut convenu que Ura irait
à Borabora, chercher des provisions ; mais pendant son absen-
analogue dans la légende de
des Iles de la Société relatée dans de
«
«
Bovis
Ura » et
(p. 52.)
»
«
«
le corps de Pena étant venu à mourir, il l'enterra lui-même(L'âme enterra le corps). Ura apporta des vivres le septième
« jour au lieu du cinquième comme ils en étaient convenus ce
« qui avait causé la mort de Pena. Le
spectre de Pena ne fit au« cun reproche à son ami, et se mit à
manger avec lui les vivres
« qu'il avait apportés. Mais pendant le
repas, Ura s'aperçut qu'il
« n'avait plus affaire qu'à l'âme de son ami, il fit donc semblant
« de ne point s'en douter, et lui donna la
coupe en coco pour aller
« chercher de l'eau douce; alors il
profita de son éloignement
« pour s'évader dans sa
pirogue. Pena, à son retour, ne trouvant
« plus Ura, et voyant une ombre au loin sur
l'eau, jugea qu'il en
« était abandonné; saisi d'une violente colère, il entra dans le
« corps d'un otuu (héron bleu),' atteignit
Ura au récif de Raau« oro et le tua à coups de bec ».
Ici, l'esprit du mort non seulement prend la ressemblance du
corps, mais il peut aussi agir sur la matière et même s'incarner
dans le corps d'un animal. Ces incarnations sont d'ailleurs fré¬
quentes et les Tahitiens croyaient notamment que l'âme, peu
après la mort, et quelquefois longtemps après, s'incarne ainsi
dans le corps de quelque animal ou insecte, et vient rôder autour
des lieux qui lui furqnt chers.
A Futuna (Wallis) et aux Samoa, lorsque quelqu'un venait
de mourir de mort violente, les parents étendaient des nattes sur
le sol et s'écartaient quelque peu. Ils attendaient qu'un insecte
vienne s'y poser ou que l'ombre d'un oiseau y passe, et ils pliaient
de suite la natte que l'on enterrait auprès du corps. L'esprit alors
procédait comme celui des personnes mortes de mort naturelle.
Par contre, nous voyons aussi qu'aux Samoa l'esprit ou « agaaga (aller) conservait souvent l'image exacte du corps et qu'il
était souvent visible alors qu'il se rendait au « Fâfâ » (entrée de
l'au-delà), mais ne répondait pas aux questions des vivants.
« ce,
«
Aujourd'hui
encore
les Tahitiens croient à l'apparition des es-
—
12
—
prits
me
sous leur forme de vie ou sous forme d'animaux tout
d'ailleurs on y croit communément chez nous.
Migration des esprits.
—
Retour à la vie
«
Oromatua
».
com¬
—
Mort apparente.
Partout
en
Polynésie, l'esprit du mort devait faire
un
longtra-
jet
pour se rendre à sa demeure définitive, exception générale¬
ment faite pour celui des personnes mortes de mort violente.
Celui-ci en effet, agissait différemment et errait sans but autour
du lieu
fatal, harcelant les vivants.
lorsque l'âme quittait le corps, ce qui s'appelait
« unuhi te varua ete atua »,
(l'esprit arraché par le dieu), il était
supposé que le dieu de la mort « Heva » l'envoyait chercher.
Les Tahitiens imaginaient que les « oromatua » (esprits
bien¬
veillants des ancêtres), attendaient souvent près du
corps pour
saisir l'esprit lorsqu'il serait tiré (comme ils le
supposaient)
de la tête, et le conduire vers le Pô (La Nuit, non
générique du
A Tahiti
monde
inférieur).
après la mort, le
Aussitôt
le but de découvrir la
«
cause
tahuâ tutera
»
était employé dans
de cette mort.
A cet effet, le
prêtre prenait sa pirogue et pagayait doucement
long du rivage, près de la maison où gisait le corps, afin de
« surveiller le
passage de l'âme qui, il était supposé, devait vo« 1er avec sur elle le
signe de la cause de la mort. Si le mort avait
« été maudit
par les dieux, l'esprit apparaissait avec une flamme,
« le feu étant
l'agent employé dans les incantations des sorciers,
« s'il avait été «
pifao » ou tué par un don de quelqu'ennemi
« des dieux,
sou âme apparaissait avec une plume rouge, signe
«
qui indiquait que des mauvais esprits étaient entrés dans ses
« aliments ».
(Ellis, Polynesian Researches I829. vol. i p. 517518.)
Aussitôt après, l'âme voletait vers deux
pierres placées à Ta¬
hiti au Nord-Ouest de l'île à Tataa
(la pointe actuelle de Fanatea). Si elle se posait sur celle de droite, elle pouvait continuer
sa route vers le
Pô, si elle se posait sur celle de gauche elle
était coupable de quelque
crime contre les dieux"et devait être
purifiée avant d'aller plus loin.
C'est là du moins ce qu'en dit Moerenhout.
Aux Sandwich à l'île Maui nous trouvons
également un pro¬
montoire de Kekaa (les Sandwichiens
changent t en k) où les
âmes se rendaient avant d'aller
plus outre.
«
«
le
•
—
13
—
Selon
d'autres, l'âme se rendait d'abdrd, après la mort appa¬
à Vaiare, àMoorea, où se trouvaient deux pierres
«ofai ora» (la pierrç de vie) et «ofai pohe» (la
pierre de mort).
Comme l'âme était aveugle, au début tout au moins, et en tout
cas fort maladroite, elle se posait
sur l'une ou sur l'autre pierre.
Se poser sur «Ofai-ora» lui permettait de revenir dans le
corps
et il n'y avait eu que mort apparente
; se poser sur «Ofai-pohe»
rente du corps
était
un
arrêt définitif.
De Bovis attribue la même
Tataa à Tahiti qui s'appelaient
propriété aux deux pierres de
dit-il «Ofai-ora» et «Ofai-pohe »
et cette explication semble la vraie.
A Raî-atea les âmes se rassemblaient auprès de trois
pierres
«Ofai-ara-riorio» «Ofai-rei-rioiio» et «Ofai-maue-raa » et, delà,
se rendaient sur le
plateau du Te-Mehani, séjour des dieux.
D'après les renseignements que nous avons personnellement
recueillis à Faâa même, il résulte que les deux pierres de
Tata^i sont situées à la limite de Fanatea, un peu à flancs de
colline et qu'elles s'appellent «Ofai-ora» et «Ofai-pohe». Nous
les
avons
photographiées.
Les âmes des
«
arii
»
et des
«
aito », c'est-à-dire celles de la
classe
dirigeante et des guerriers se posaient sur «Ofai-ora» et
manahune », c'est-à-dire du vain
peuple qu'on prenait pour les sacrifices humains, se posaient
sur «Ofai-pohe».
La première était ainsi dénommée parce que le tambour y bat¬
tait constamment pour l'arrivée des âmes illustres. Il n'en était
pas de même pour l'autre destinée aux âmes vulgaires.
De là, les âmes se rendaient à Raiatea, les premières sur un pic
appelé : «Pu-ôoro-i-te-ao » (Puôoro du jour) et les secondes sur
un autre dénommé «
Pu-ôoro-i-te-pô » (Puôoro de la nuit). Ce3 i
deux pics sont situés à côté du plateau du Mehani, non loin du '
lieu appelé Vai-pihia. Sur le premier commençaient les réjouis¬
sances sans fin qui étaient le partage des âmes nobles.
Nous n'avons pu savoir ce que les âmes devenaient par la suite,
celles des «toea tapu» ou «
selon cette
Aux
source
d'information.
Samoa, des esprits spéciaux analogues aux «oromatua»
voltigeaient près des maisons des mourants pour convoyer l'âme
vers le «Fafa» point
extrême de l'Archipel où se trouvent deux
trous, entrées du chemin qui conduisait aux régions inférieures.
Près de ces trous était situé un cocotier appelé «Leosia ». Si une
-
14
—
âme le
touchait, elle retournait immédiatement dans le corps et
qu'apparente.
A Mangaia, lie Cook, l'âme d'une personne supposée
morte,
se rendait au « Reinga-vaerua » (Saut
des âmes) constitué par
trois pierres à l'Ouest de l'île. Si elle rencontrait une âme
amie,
celle-ci avant d'y arriver la ramenait et le patient était
supposé
là aussi la mort n'avait été
s'être évanoui.
Dans la
légende de « Ka-llio-Hae » aux îles Hawaii dont il a déjà
parlé, l'âme de celui-ci rencontre celle d'une sœur, morte il
y a longtemps et qui avait le pouvoir de ramener certains esprits
à la vie. C'était un « Au-makua-hoo-ola
(esprit vivifiant). L'esprit
été
de la sœur conduit celui de « Ka-IIio-Hae
des ombres en lui recommandant bien de
»
à travers la demeure
toucher à rien, tout
qu'ombres et le contact ou l'absorption de ces ombres
devant empêcher le retour à la vie.
Mais ceci semble en contradiction avec la
légende de Hiku et
Kawelu où l'esprit de cette dernière est ramené bien que s'étant
mêlé à la vie des esprits. Il est vrai que c'est par un
vivant, à
l'aide d'un stratagème et d'incantations.
Ainsi les esprits « Aumakua-ho-ota»
(oromatua-faa-ora) ne pou¬
vaient ramener d'autres esprits à la vie que si ces
esprits n'avaient
point encore eu de contact avec le monde des ombres, car il n'est
pas douteux, que des vivants ou plutôt leur âme (désincarnée,
aient pu, dans presque tous les archipels, ramener l'âme
d'un
mort, même si cet esprit s'était déjà mêlé à la vie des ombres.
Outre l'exemple de Kawelu cité plus haut, la Nouvelle-Zélande
nous en offre plusieurs autres. Dans la
légende de Hutu et Pare,
l'âme de Hutu désincarnée ramène du inonde
inférieur, celle de
Pare, qui s'était tuée pour lui. Mais là aussi l'intervention d'un
ne
n'étant
vivant est nécessaire.
Dans la
légende néo-zélandaise de «Te-Atarahi», l'âme de
revenir, après avoir visité le Pô, parce que les
parents l'avaient averti, au moment de la mort, de ne pas toucher
aux mets sacrés, (mets des
enfers).
De Bovis nous dit qu'aux Iles de la
Société, les âmes, dans
leur trajet vers le Pô, cueillaient des fleurs, mais
que certaines
celui-ci peut
fleurs étaient mortelles et les anéantissaient. Ne serait-ce
pas
plutôt qu'en cueillant
retour à la vie
Nous
avec
avons vu
qu'ainsi elle
*9
se
ces
fleurs, elles
ne
pouvaient espérer de
l'aide d'une âme secourable ?
tantôt que l'âme tahitienne était
posait indifféremment sur l'une
ou
aveugle et
pierre.
l'autre
—
15
—
I! semble plutôt que l'âme ait été à ses débuts très maladroite et
facile à tromper et assez semblable à l'âme hawaienne que nous
décrit la légende de «Ka-Ilio-Hae».
L'esprit d'un mort récent, selon les croyances hawaïennes ne
pouvait aller que dans une seule direction. Cette direction lui
était imprimée par une force supérieure à la sienne. Si le
gardien
d'une âme (aumataua), la frappait d'un côté, elle
partait et mar¬
chait dans la direction qui lui était ainsi imprimée jusqu'à ce que
la force et l'expérience des âmes lui vienne.
L'âme en général, après s'être posée sur la pierre de mort,
commençait une série de migrations que nous verront par la
suite, mais elle
hâtait pas de le faire et hantait parfois pen¬
longtemps les lieux qui lui étaient chers.
Les âmes des guerriers tués dans les batailles semblent, un
peu partout dans la Polynésie avoir échappé à cette loi de mi¬
ne se
dant
grations.
De Bovis, dit d'elles, page 40. « Il y avait aussi les âmes de ceux
qui avaient été tués dans une bataille, âmes guerrières mortes
toutes armées et en nombreuses compagnies. Elles paraissaient
exemptes de la commune loi, continuaient à résider dans le voi¬
sinage des lieux où elles s'étaient séparées d'avec leur corps,
revêtaient une enveloppe impalpable en tous points semblable
à leur dépouille mortelle au moment ou elles l'avaient quittée,
portantmême éternellement la trace récente des blessures qu'elles
avaient reçues : spectres hideux et d'un naturel farouche, elles
exerçaient ufïe foule de cruautés nocturnes sur le passant assez
hardi pour s'approcher du lieu de leur résidence. »
Et de Bovis poursuit :
« Il y avait encore, outre cela, les âmes des princes et des héros
capables de devenir à leur tour des divinités et auxquelles on
rendait ensuite
un
culte inférieur»
Il y avait enfin, une sorte de croyance vague que certaines
âmes étaient absorbées dans le sein de la divinité, mais il nous à
été impossible de nous procurer la moindre donnée claire à ce
«
sujet.
»
Nous ferons remarquer que l'âme
s'incarnaient fréquemment, selon les
des princes et des héros
Tahitiens dans l'âme de
quelque animal : oiseau ou poisson principalement. Beaucoup de
famille ont ainsi des âmes d'ancêtres incarnées dans des requins
qui ont leur nom et l'on dit encore aujourd'hui que ces ancêtres
—
sont
de la
46
—
bienveillants à leurs parents vivants. Ces idées
procèdent
métempsycose des Hindous.
Dans bien des cas, nous l'avons vu, ces incarnations n'étaient
que momentanées et l'âme reprenait ensuite son chemin vers le
Pô.
Quant à l'absorption de l'âme dans le sein de la divinité aus¬
après la mort, aussi bien que leur anéantissement quand
sitôt
elles touchaient certaines
fleurs, nous ne pouvons rien dire de
point. Les autres archipels ne semblent pas avoir
croyances semblables et nous pensons qu'il doit y avoir
positif
eu
de
erreur
sus ce
à moins' que ce ne soit le cas des âmes des
gens
tion inférieure
qui, dans certaines îles,
n'ont pas d'âme.
aux
Tonga
par
de condi¬
exemple
Migrations des âmes.
Dans toutes les îles de la
Polynésie les âmes se rendaient au
point le plus nord-ouest ou le plus ouest généralement appelé
«Reiga» ou saut des âmes ou encore comme dans les îles de la
Société « Tere-ia-Varua» (départ
des âmes). Nous trouvons une
pointe de ce nom au point le plus ouest de Maupiti et à la pointe
nord-ouest de Porapora. A Tahiti cette
pointe, également au
nord-ouest s'appelle Tataa.
L'âme se dirigeait vers le Nord-ouest vers
l'Hawaiki, l'enfer
et la terre des ancêtres, la Malaisie et
peut-être l'Asie d'où les
Polynésiens sont venus.
Cette région primitive d'où ils sont
issus, les Polynésiens la
considéraient
« raro »
comme
leur Paradis. Pour
(en bas) c'est-à-dire du côté où
eux
le soleil
les vents alizés. *
Et de ce double
cette
se
région est
couche, et
sous
sens du mot « raro»,
il est résulté que, pour
et bien que les âmes se dirigent vers le nordouest, bien qu'ils considèrent la terre ancestraje dans cette direc¬
tion, le monde inférieur, le Pô ou Hawaiki, est situé sous terre,
dans les régions inférieures.
beaucoup d'îles,
Touchant les îles de la Société
Bovis :
nous aurons encore
à citer de
La route la plus ordinaire consistait d'abord à
s'arrêter dans
l'île Moorea sur la
montagne Rotui pour y faire une certaine
station ; la seconde avait lieu dans l'île de
Rai-atea au Mehani, d'où le convoi se rendait ordinairement à l'îlot de
«
«
«
«
«
Tupai, situé à l'extrémité occidentale
de
l'archipel qui était
—
47
—
à peu
près le lieu définitif où les âmes des trépassés étaient
gardées sous bonne garde. Aussi cette île était-elle redoutée
« avec une superstition si singulière qu'on n'osait y aborber qu'en
« nombreuse compagnie et personne n'y fixait sa résidence. »
De Bovis fait bien de ne pas affirmer que c'est là le séjour dé¬
finitif des âmes, car si c'était le rendez-vous de celles de presque
tout l'archipel, il'n'en est pas moins vrai qu'après un séjour plus
ou moins prolongé dans cette île, elles passaient outre vers le
«
«
Pô.
A Maupiti, en effet, nous l'avons vu, la pointe «Tere-ia-varua»
d'où les âmes se rendaient au Pô était situé à l'ouest du côté
opposé à Tupai ce qui montre que tout au moins les âmes
de Maupiti ne se rendaient pas à Tupai.
De Bovis nous dit encore : « 1! y avait au contraire, pour les
« âmes de ceux qui avaient vécu dans un respect
convenable des
« prêtres et des «marae», une espèce de ciel appelé «Rohutu« noanoa » : ce paradis était situé au dessus de la plus haute mon« tagne de Raiatea, et les âmes qui faisaient leur migration
« étaient déposées en passant par le chef des génies
convoyeurs
« qui s'appelait «Ure-taetae» (qui parait-être le sauveur des
« âmes, le préservateur contre l'anéantissement). Il n'était donc
« pas besoin pour elles d'aller jusqu'à Tupai. »
Il semble bien que de BoVis et avec lui Moerenhout se soient
quelque peu trompés sur l'interprétation de ces croyances. Mais
nous reviendrons sur ce sujet,
lorsque nous twiiterons des
régions inférieures.
A la Nouvelle-Zélande, les âmes se dirigeaient vers le Nord (iq
en effet la Malaisie, l'Hawaiki est au Nord) jusqu'à ce qu'elles arriventà une colline appelée « Waihokimai ».Là, elles se reposaient,
pleuraient et se lamentaient et là aussi elles se débarrassaient de
leurs vêtements spirituels, feuilles de «YVharangi», «makuku»
et de « horopito » daifs lesquelles elles étaient enveloppées. Elles
se
rendaient ensuite
sur une
autre colline du nom de
Wai-otiot
delà, tournant pour toujours le dos au monde vivant, elles se
rendaient au «Reinga-wairua » ou «Rerenga-vairua» (saut des
et
âmes) situé
au
Cape Nord. A cet endroit se trouvaient deux ra¬
cines droites dont la partie supérieure était attachée à un arbre
de « pohutukawa », et la partie inférieure plongeait dans la merIl y a là également une ouverture dans
où les âmes se rendent au «Reinga»
Elles y
aperçoivent une
les algues flottantes par
(ire division du Pô).
et
rivière
une grève de sable. Après
—
18
—
qu'elles ont traversé la rivière, leur nom est appelé, on leur sou¬
haite la bienvenue et l'on place des mets devant eux. Si
elles en
mangent, elles ne peuvent plus revenir. (Shortland « Maori Reli¬
gion and Mythotogy » 45. — Voir plus haut Te-Atarahi).
Aux Samoa, l'âme suivait le
rivage jusqu'au point extrême
Nord-Ouest de l'archipel à l'Ouest de Savaii. De là elle
plon¬
geait sous l'Océan pour se rendre au « Pulotu ». C'est ainsi égale¬
ment qu'elle passait d'île en île
jusqu'à Savaii.
11 y avait au point extrême ouest
d'Upolu une pierre du saut
d'où les âmes plongeaient pour atteindre l'île Manono à
l'Ouest
de laquelle se trouvait une autre
pierre où elles plongeaient à
nouveau pour atteindre Savaii à l'extrémité
ouest de laquelle
à Fare-a-lupo était situé le « Fafa » ou entrée du
chemin qui con¬
duisait
au Pulotu. Là se trouvaient deux
trous : les âmes des
chefs descendaient par le
grand et les autres par le petit.
Là encore se trouvait le cocotier
appelé « Leosia» qui permet¬
tait aux âmes qui le touchaient de revenir à la vie.
dans le «Fafa»
Descendues
«Ruao» les âmes étaient entraînées
par un
elles flottaient sans pouvoir revenir en arrière
ou
torrent sur lequel
jusqu'au Pulotu (Turner, Samoa
p. 258).
Aux îles Havaii le «Leina Kauhane »
(Reiga
âmes quittent l'archipel est à la
tauhane) où les
pointe Kaena à l'extrémité
Ouest d'Oahu.
À Mangaia, il
y
avait trois pierres à l'ouest appelées «Reinga-
situées à Oreraa d'où les
esprits partaient pour le
«Avaiki» (Hawaiki). A
Rarotonga le «Reinga» est en un lieu
nommé «Tuoro» à l'ouest
vaerua»
également. (Tregear, Polynesian
Comparative dictionary— mot Reinga).
Enfin aux îles Loyalty
même, près de la Nouvelle-Calédonie
où la population est mêlée de
polynésien, les esprits s'en allaient
vers
l'Ouest
en un
endroit
appelé «Loeha».
ociété des
Études Océaniennes
19
—
—
3P1ÎIS.
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 07