Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 261-262
- Titre
- Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 261-262
- Description
-
Articles
-Te-ara-po : De la voix aux textes par Winston Pukoki 2
- 'Orohena ou le mont phallique 4
LE PI'I
- De la coutume du Pi'i et des modifications qu'elle apporta au vocabulaire tahitien par E. Ahnne 14
- Quelques commentaires par Marau Taaroa i Tahiti 18
- Le Pi'i, commentaires d'aujourd'hui par Louise Peltzer 28
- Les hymnologies protestantes de Tahiti et des hauts plateaux malgaches par Raymond Mesplé 36
- La crise des concepts légaux à Tahiti 1819-1838 par William Tagupa 82
- Contribution à l'histoire du droit du travail en Polynésie française par Laure Ginesty 95 - Date
- 1994
- Date de numérisation : 2017
- Format
- 6 volume au format PDF (124 vues)
- Identifiant
- PFP 3 (Fonds polynésien)
- Langue
- fre
- Editeur
- Société des Études Océaniennes (SEO)
- Relation
- http://www.sudoc.fr/039537506
- Droits
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- Source
- Société des Études Océaniennes (SEO)
- Type
- Imprimé
- extracted text
-
BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N° 261-262
TOME XXIII-N° 1-2
MARS - JUIN 1994
.
Société des Etudes Océaniennes
Société des Etudes Océaniennes
Fondée le 1er janvier 1917
Service des Archives Territoriales
Vallée de Tipaerui
B JP. 110 Papeete
Polynésie Française
TéL 4196 03
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ASSESSEURS
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M. Robert KOENIG
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M. Roland SUE
MEMBRE D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
Société des Études Océaniennes
BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES
ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N° 261-262 TOME XXIII - N° 1-2
MARS-JUIN 1994
SOMMAIRE
-TE-ARA-PO
De la voix aux textes par Winston Pukoki
'OROHENA ou le mont phallique
-
2
4
LE PI'I
De la coutume du Pi'i et des modifications qu'elle
apporta au vocabulaire tahitien par E. Ahnne
-
-
-
14
Quelques commentaires
par Marau Taaroa i Tahiti
18
Le Pi'i, commentaires d'aujourd'hui
par Louise Peltzer
28
Les hymnologies protestantes de Tahiti et des hauts
plateaux malgaches par Raymond Mesplé
36
La crise des concepts légaux à Tahiti 1819-1838
par William Tagupa
82
Contribution à l'histoire du droit du travail en Polynésie
française par Laure Ginesty
95
■Société des Études Océaniennes
2
De la voix aux textes de
Te-ara-pô :
Un nouveau regard de l'oraliturel tahitienne
Depuis la création de Radio Club Océanien (R.C.O.)2 en avril 1934, la radio est
moyen de communication, renforçant
dans les îles les plus retirées la vie communautaire^
par rapport à Tahiti.
A cette époque où Ton ne
comptait parfois qu'un seul poste récepteur pour
l'ensemble de l'île ou du
village, les gens se réunissaient autour du poste à l'heure des
émissions en langue tahitienne.
Lorsque l'émission en langue française reprenait, on
éteignait le poste pour commenter les dernières nouvelles ou les légendes racontées par Tedevenue à travers la Deuxième Guerre Mondiale un
ara-pô4 et poursuivre la veillée tard dans la soirée à se raconter d'autres histoires, des contes
et des légendes, ou
tout simplement à parler de la journée de travail dans les plantations.
Plus tard, lorsque la station de Radio-Tahiti devint alors vers la fin des années
1950 partie intégrante de la
Radio et Télévision Française (O.R.T.F.), l'introduction de la
Polynésie fut accélérée et elle fut mise en service en 1965
Quel est alors l'impact de la radio en matière de transmission de la tradition ?
Monsieur Pouira Te-Auna, dit
Te-ara-pô, était le premier à avoir compris que les
ondes de Radio-Tahiti étaient le seul
moyen de faire partager ses connaissances et ses
télévision (en noir et blanc) en
.
"recherches" avec son fameux "Oceania"^, c'est-à-dire les habitants des
E.F.O, en animant
dès 1957 chaque lundi à partir de 18h30 une émission hebdomadaire d'un
quart d'heure
agrémentait parfois ses légendes et ses histoires
de 'utë (forme de chant traditionnel) de son
improvisation ou de pehe composé et interprété
généralement par des amis musiciens et lui-même, ou encore de pàta'uta'u (poème scandé).
environ durant sept années consécutives. Il
1 Nous avions créé ce terme et
parlé d'oraliiure
en
travail de recherche.
1982 et l'avons consigné par écrit en 1988 dans un
Le recueil d'un grand nombre de matériels ou de
transcriptions ne constitue pas une littérature de
parle de "textes oraux". Devant le paradoxe entre Toralité
persiste, le terme de "littérature orale" ne nous convenait pas pour désigner l'ensemble
l'oralité appelée "littérature orale", même si on
et l'écriture qui
des transcriptions des contenus verbaux.
Qui dit littérature dit existence d'écrivains, d'hommes de lettres
d'oeuvres littéraires (ce
qui n'est pas encore le cas pour les langues polynésiennes) ; qui dit orale dit
existence d'une communication fondée sur l'oralité (bien
qu'il existe plusieurs normes graphiques dont
une officielle) avec des
orateurs, des récitants, des conteurs, des généalogistes. Le terme d'"oraliture"
ou
désigne "toute forme scripturalisée relevant de l'oral". Ainsi, les "textes oraux" immuables devenant des
textes de référence, comme les textes
qui se trouvent dans "Tahiti aux temps anciens" de T. Henry et dans
d'autres ouvrages, font partie de l'oraliture.
2Le bon fonctionnement de Radio Club Océanien
qui a émis sa première émission le 11
abouti à la création de Radio Tahiti à la fin de Tannée 1950.
avril 1934 a
3 Ce
qu'il faut souligner aussi, c'est le formidable réseau d'information qui s'est créé sur certaines îles. Il
lorsqu'un message est adressé à une personne qui était absente au moment de la diffusion
de la nouvelle, qu'on
se chargeait volontiers de la lui transmettre. Le destinataire n'avait aucune raison de
douter de la nouvelle
qu'on lui apportait puisqu'elle lui était répétée plusieurs fois de suite, par différents
arrive parfois,
amis ou voisins.
4 Il semblerait
3
que Te-ara-pô ait commencé ses émissions vers 1957 sur Radio Tahiti.
Te-ara-pô saluait toujours son public avec sa formule immuable " la Ora na e Oteania. Te aroha ia rahi'.
Société des Études Océaniennes
3
Plus de trente ans se sont ainsi écoulés entre la première diffusion des histoires et
des légendes racontées par Te-ara-pô sur les ondes de Radio Tahiti et la publication d'un de
ses
"textes"^ transcrits et corrigés^ par le Département des Traditions Orales du Centre Te-
ana-vaha-rau : Orohena.
En 1986, Dany Carlson et Heipua Bordes créèrent l'émission Puhihau (Nouveau
souffle) en rediffusant sur les ondes de R.F.O. les mêmes sujets diffusés une vingtaine
d'années auparavant, en "faisant interroger" Te-ara-pô par deux jeunes gens (Mario
Brothers et Martine Teururai), symbole d'une jeunesse en quête de nourriture culturelle. Les
textes gardaient leur secret, car tout le monde considère que le contenu était "sacré" et que
le texte est immuable.
Il a fallu attendre la fin de l'année 1993 pour qu'un vent nouveau vienne souffler
dans les organismes et services dépendant du Ministère de la Culture et de l'Environnement
et pour que les textes soient
accessibles au public grâce à la Société des Études Océaniennes
qui m'a confié une double responsabilité : celle de normaliser le texte tahitien avec la
graphie officielle et d'adapter les "textes de Te-ara-pô" en langue française. Nous remercions
le Département des Traditions Orales du C. P. S. H.
Le texte tahitien qui nous a été confié est subdivisé en plusieurs parties
reconnaissables à leur titre, peut-être parce qu'il présente une succession d'informations
éparses. Après l'écoute de la cassette d'enregistrement, nous y avons porté quelques
corrections et supprimé les titres intérieurs. Nous avons normalisé le texte avec la graphie
officielle, la même qui est utilisée pour la norme graphique des autres langues du Pacifique.
Nous avertissons nos lecteurs, notamment bilingues, que certains passages du
texte en tahitien gardent encore
cause
leur mystère du fait que certains mots nous échappent à
de la mauvaise qualité de la bande sonore et de l'absence des "lexèmes scripturalisés "
dans les dictionnaires.
Le texte en français que nous présentons n'est pas une traduction mais une
adaptation qui relève d'une création : un autre regard du texte. En partant des informations
et des images récurrentes du texte en tahitien de Te-ara-pô et en écoutant sa cassette, nous
avons écrit le texte français en respectant les idées et en utilisant quasiment un même
registre de langue. Nos lecteurs ne doivent pas chercher à comparer les deux textes : chacun
d'eux a son propre style. L'un relève du caractère oral où la répétition de certains passages
est une forme de mémorisation, et l'autre qui relève du caractère écrit, où la répétition8 est à
éviter.
Nous nous sommes demandé à un moment de notre travail comment les
auditeurs de Radio Tahiti et les autorités religieuses polynésiennes ont-elles réagi après la
diffusion du texte Orohena le 18 février 1963, à 18h30 alors que
l'Église Evangélique n'avait
pas encore acquis son autonomie? L'avaient-ils écouté parce Te-ara-pô était devenu, depuis,
un conteur de
renommée ou tout simplement qu'on aimait écouter avec plaisir les histoires,
les légendes ou certaines étymologies des toponymes ou des patronymes?
Winston PUKOKI
dit Paraurahi A Fiu 'Ore
8 La "Collection
Te-ara-pô"
du Centre Te-ana-vaha-rau couvre imparfaitement les émissions
radiodiffusées de juin 1962 à juillet 1964.
^ Il
s'agit d'écarter les confusions et les contresens de certains passages lors du décodage de l'oral vers
l'écrit.
8 Afin d'éviter la répétition, certains passages en
français ont été supprimés par rapport au texte en
tahitien.
.Société des Études Océaniennes
OROHENA
Te mou'a ra o 'Orohena e 2237 metera i te teitei.
Te mou'a teitei roa a'e o Tahiti-Nui-Màre'are'a-I-Te-Vai-Uri-Rau,
te mou'a i
-
parauhia ë :
'O te hena o te atua ra o 'Orotau
E atua no te tama'i
Tamaiti na Ta'aroa-Atua e 'o Hina,
Tei fa'atorehia e te anuanua
I ni'a i te mou'a ra,
'O Mou'a Rahi i Porapora,
Tei parauhia i teie nei
'O Pahi'a-Î-Te-Rima-O-Marama-Toa
Te'urïi haehae, 'e 'o Fenua-'Ura.
No hea teie i'oa i te roa'ara'a mai i teie mou'a ?
E rua tu'ura'a reo i roto i teie nei
-
parau :
'Orohena, te hena o 'Oro.
Teie ta te parau tuatapapa i fa'a'ite :
-1 te tau "âuiui ra,
'Aore a te moa i 'ci'aoa,
'Aore a te pua'a i 'u'uru,
'Aore a te 'urïi "àoa,
'Ua tupu te tïruvi i Tahiti nei,
Nô te riri o te atua ra 'o Tuara'a-Tai
I man tona io rôuru i te matau hïi'a
A te ta'ata ra o 'Ataratua.
'Ua fa'a'ite nei taua atua ra iâ 'Ataratua 'e e tïruvi 'oia i te fenua.
'Ua fa'aineine te ta'ata nei i tana vahine e te mau tamari'i e te
mau mea ato'a e nehenehe
'ia rave.
1 Uri?
Société des Études Océaniennes
5
'OROHENA
ou le mont
phallique
Elevé sur ses 2237 mètres d'altitude, 'Orofena est
La plus haute montagne de
Tahiti-Nui-Màre'are'a-I-Te-Vai-Uri-Rau, que l'on disait être
La verge (hena) du dieu 'Orotau (abréviation : 'Oro),
Dieu de la guerre,
-
Fils du dieu Ta'aroa et de la déesse Hinah
Voici ce que l'histoire nous rapporte :
Aux temps anciens,
alors que les coqs ne chantaient pas encore,
que les cochons ne grognaient pas encore et
que les chiens n'aboyaient pas encore,
Un déluge frappa l'île de Tahiti
Après que le dieu Tuaraa-tai se fâcha
lorsque ses cheveux s'étaient pris à l'hameçon
du nommé 'Ataratua
et
qu'il lui avait dit qu'il provoquera un déluge sur l'île.
L'homme, sa femme et les enfants se préparèrent, emportèrent
ce
qu'ils pouvaient,
1 Les traditions
rapportent que la déesse Hina est descendue d'un arc-en-ciel sur le Mont
Mou'a Rahi à Porapora que l'on appelle aujourd'hui Pâhi'a-l-Te-Rima-O-Marama-Toa, Te
'ùri haehae, 'e 'o Fenua-'Ura
.Société des Études Océaniennes
6
'Ua haere râtou i te tara o te mou'a ra 'o Pito-Hiti, tei riro ho'i i
mûri mai i taua tïruvi ra te mou'a ra 'o Pito-Hiti, te
pito Tahiti2.
'la tae a'era ràtou i te tara o taua mou'a ra, 'ua ha'a i te fare nô
râtou. 'O te fare rau 'ape mâtâmua i ha'ahia e te
'ôpuhi ato'a, 'oia ho'i te
fare 'ôpuhi tei nohohia e te mau 'aere.
'E 'ia ru'i a'era, e vero rahi tei
tupu, e ua, e po, ha'eha'a atu nâ te
fcnua i te 'iriâtai. 'Ua nïnâhia te fenua e te ua, 'e 'ua vai maoro mai te reira
te huru.
E tau mahana ri'i i mûri mai, 'ua ha'amata te vai i te
tïpapa. 'Ua
puta ato'a mai te hihi o te râ.
Të 'ite nei 'o 'Atarataua 'e tâna ra vahine i taua tara ra i te terera'a
nâ roto i te vai nïnâ 'e tô râua mana'ora'a ra, 'o te hena ia o te tara ia o te
atua ra o 'Oro.
Tâpa'o fa'a'ite iâ râua ë, të fàtata nei te fenua i te ara'a
fa'ahou. Te tara o te atua ra o 'Orotau tâ râua i 'ite atu i te terera'a.
Terâ râ, i te reira tau, 'aore tô te atua e
-
parauhia ë :
E tara.
E parauhia râ ë :
-E hena.
Nô te mea, e mea huru 'à'ano ato'a te tara mai te huru i te hena o te
E mea
pahïra.
pâpù teie atua o 'Oro ë, e i'a 'oia. Mai te 'aurepe ato'a ra,
parau râua i te hena o 'Oro :
'aore ra mai te iheraha. 'E 'ua
-
E 'Orohcna.
2 Te
pito Tahiti serait, selon l'interprétation de Te-ara-pô concernant le mont PitoHiti, le centre, le nombril de Tahiti. En fait, même si le mont
occupe une position
centrale de l'île, le sens
étymologique a été donné dans le texte: une forme
phallique (pito) sortie de l'eau (hitï).
Société des Études Océaniennes
7
et se rendirent au sommet d'un mont qui devint après ce
déluge
le mont Pito-Hiti : la bite d'amarrage (pito) qui se lève (hiti).
Une fois arrivés, ils construisirent un abri,
le premier du genre, avec des feuilles de 'opuhi
où siège le firmament.
Le soir venu, une grande rafale souffla.
Il pleuvait, il faisait nuit, l'île était sous le niveau de la mer
Recouverte par les eaux de pluie et ce pendant plusieurs nuits.
Quelques jours plus tard, l'eau commença à se retirer.
Les rayons de soleil réapparurent.
Ataratua et sa femme virent ce sommet
remonter du fond des eaux,
pensant qu'il s'agissait de la partie cachée de l'épine dorsale du
poisson du dieu 'Oro.
En fait, l'île allait s'élever de nouveau.
C'est donc la pine du dieu 'Orotau en érection qu'ils avaient vue.
On n'employait pas pour les dieux
le terme "dard "ou "pine",
mais
de "membrure", parce que le phallus avait une envergure comme
le mât et les vergues d'une embarcation.
Il est certain que ce dieu 'Oro soit un poisson
Comme le 'aurepe, ou comme le ihe raha.
Et ils ont décidé que la verge de 'Oro
s'appellera désormais 'Orohena.
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8
'Araua'e iho, 'ïnaha e mou'a taua tara ra, tâ râua e 'ite nei 'e 'ua
topa raua i te i'oa :
-
'O 'Orohena, te hena o 'Oro.
E tau mahana i mûri fa'ahou mai, të 'ite atu ra raua i te tahi
pae i
taua tara o 'Oro ra, të tere iho ra. 'Ua
-
parau raua i te reira ë :
'O 'Orotere ...te reira mou'a
tei pehepehehia ë :
-
Te homou'a o Tahiti ë
Ma'iri a!era i 'Orotere.
'Orotere i te ua tere
E ua, e po,
Ha'eha'a na te fenua i te 'iriatai
O to'u 'ai'a ë.
'Ua riro te mou'a ra o 'Orohena, 'ei mou'a teitei roa a'e nô to
tatou 'ài'a. 'Ua roa'a iàna e 2237 metera. 'Ua riro ho'i 'oia 'ei mou'a
fa'atcniteni nô tô tatou 'ai'a nei.
E rave rahi te mau mata'eina'a tei tu'u i teie nei mou'a o
'Orohena i roto i ta ratou mau reo himene fa'ateniteni, mai ià
Papeno'o,
Mâhina 'e 'o Puna'auia.
E tara 'àivi 'afaro noa tô 'Orohena na te
pae i
i te haere,
tù'ati atu ai i te 'aivi e haere ti'a i Pito-Hiti, ë haere roa atu ai i 'Orohena.
'Àhonu
'Aore atu tôna e arati'a fa'ahou 'e tae atu ai i 'Orohena.
'Ua tàmatahia na te fa'a i
Papeno'o, e mea fatata 'ia haere.
E rave rau tàmatara'a, mai ïa
Ti'piti tâne, i te matahiti 1883.
1954, 'a tahi ra 'o 'Orohena 'a hahihia ai e te
'âvae ta'ata. I ta te
papa'a paraura'a ra :
E tae roa mai i te matahiti
-
'Aore a i ta'ahihia e te 'avae ta'ata.
Société des Études Océaniennes
9
Quelques jours plus tard, ils virent sur l'autre versant cette pine
de 'Oro bouger. On l'appela alors :
le mont 'Orotere,
Qui, dans un autre chant, était:
"
'Orotere dans les eaux de pluie montantes.
Il pleut, il fait nuit,
l'île est sous le niveau de mer
de mon pays.
'Orohena est la plus haute montagne de notre pays,
avec ses 2237 mètres
d'altitude, qui ne tarit pas d'éloge
sur notre pays.
Bon nombre de districts la chantent
dans leurs fa'ateniteni,
comme ceux de
Papenoo, de Mâhina et de Punaauia.
'Orohena a des crêtes escarpées
partant de Ahonu, passant par la crête menant au Pito-hiti
jusqu'à 'Orohena. Il n'y a plus de sentier qui mène vers 'Orohena.
en
Celui qui passe par la vallée de la Papenoo est le plus court
pour y accéder. Il y eut plusieurs tentatives comme celle de
Monsieur Tipiti en 1883.
Mais ce n'est qu'en 1954, pour la première fois, que 'Orohena a
été foulé par les hommes,
comme disaient les Blancs
(Européens),
Société des Études Océaniennes
10
I roto i te parau a te mà'ohi :
-E pare
ha'apiira'a ïa,
E marae no 'Oro,
E horohorora'a no te mau taha'a
'E te pi'i inato.
'la tae ra i te 'ava'e
i reira te
Tetepa 1954,
'itea-pâpii- ra'a- hia ë,
purera'a atua to ni'a i 'Orohena.
pae i 'apato'erau, tei reira te
marae ra
Tapu-Ata-I-Te-Ra'i, tei parauhia ë :
e marae
E rua hàtara i 'Orohena; te tara i te
-
No Teahiohio.
Te tara i 'apato'a, tei reira te marae ra 'o Purehau :
-
No Tetiita'ata.
Të ora nei à i
Ha'apape te hua'ai a teie nei tau 'aito,
'o Teahiohio 'e 'o Tetuta'ata.
E rave rau reo himene tei fa'ateniteni i teie nei
o
mou'a, fa'ateniteni
te 'ài'a :
E rua hatara i 'Orohena,
'Orohena ho'i te mou'a
Nô ta 'u ari'i ra.
Mou'a ra ïa 'o 'Orohena,
'Ua tapo'ihia e te ata,
Puhihau noa mai te mata'i Maoa'e.
'la vai noa mai 'Orohena ë,
To'u mou'a iti e.
E mou'a teitei 'o 'Orohena,
Taura'a o na mo'ora 'ura.
Të 'a'à ra nei mo'ora
I te piha tahua i rôpii.
Të hina'aro nei o 'Orohena
I te vahine nô
'Orofenua.
'Ua parauhia 'o 'Orohena :
-
E taura'a nô na mo'ora 'ura ra.
Société des Études Océaniennes
11
et
que l'on a découvert
sur ses hauteurs des marae:
sur le
se
pic du nord,
trouve le marae Tapu-i-te-ra'i que l'on dit
être celui de Teahiohio;
sur le
pic du sud, se trouve le marae Purehau,
celui de Tetuta'ata^.
Selon les traditions orales des Mà'ohi,
c'est un refuge, une forteresse,
c'est le marae de 'Oro, c'est un lieu d'escalade pour les tahu'a et des
"escaladeurs de falaises".
Voici encore un autre chant d'éloge qui
dit :
Il y a deux pics à 'Orohena:
'Orohena, montagne
de mon roi;
'Orohena, montagne
recouverte de nuages
balayés par le vent maoa'e.
Que 'Orohena soit toujours
Ma chère montagne !
'Orohena, montagne majestueuse,
perchoir des deux canards aux plumes rouges.
Les deux canards cancanent
au
fond du cratère.
'Orohena désire une femme
originaire de la terre de 'Oro.
'Orohena,
perchoir des deux canards aux plumes rouges
2 Les descendants des
guerriers Teahiohio et Tetuata'a vivent encore à Ha'apape (Mahina)
Société des Études Océaniennes
12
'E të mana'o nei au ë 'o Teahiohio e 'o Tetuta'ata taua na mo'orâ
'ura ra, e 'aore râ, teie ra'au fa'ahiahia e tupu nei i ni'a ia 'Orohena, mai te
maire ato'a te huru, tei parauhia ë o te 'uramea.
-
Tei tua ra ho'i to 'u hi'ora'a mai,
'Ua fa'ati'a 'oe i te hena o te ferma.
Tapu-Ata-I-te-Ra'i ë, e Ra'a-Toa ë,
Tô 'u fenua ë, të vai mai ra,
'E te piri o to 'u fenua iti.
I roto i te ho'ë parau pa'ari nô Tahiti, 'ua fa'arirohia 'o 'Orohena :
-
Ei 'omore tuiro'o no te atua ra
'O Ta'aroa-Ma-I-Tii-I-Te-Ra'i
Tei amoamo i tana ra 'ômore
'O 'Orohena-l-Tapu-Ata-I-Te-Ra'i
Tei tahirihirihia e te to'erau,
Tei tiiramaramahia e te atua ra e Ra'a
Tei noho i ni'a i te one uri
'E te one tea.
'E teie ho'i te pehe i fa'a'una mai i taua parau ra :
-
Patia toro tea to 'u mou'a ra
I 'Orohena i Tapu-Ata-I-Te-Ra'i
Tei amoamohia e te atua ra 'o Ta'aroa
Tei tahirihirihia ra
'E te mata'i ra o To'erau
Tei tiiramaramahia e Ra'a
'Aue ra ho'i 'Orohena ë!
'Aue tô 'u mou'a iti ë!
'Aue tô 'u 'ai'a iti ë!
'E teie te piri no 'Orohena :
-
'O vai na 'aito tuiro'o i tehe i te mea o 'Orohena ?
Tei roto i to 'outou vaha, te pàhonora'a o teie nei piri.
Mauruuru to 'Oteania. Te aroha 'ia rahi.'Ia ora na e 'Oteania !
Te-Ara-Po ,18/02/1963
Société des Etudes Océaniennes
13
qui sont Teahiohio et Tetuta'ata et là où pousse encore une plante
appréciée comme le maire
que l'on appelle le 'uramea.
Vu du grand large,
tu as érigé la verge
de l'île.
Ô Tapu-ata-i-te-ra'i et Raa-toa!
Mon pays, toi qui te dresses,
mon cher pays
est pavé d'énigmes.
'Orohena,
Célèbre lance brandie 3 par le dieu
Taaroa-mà-i-tu-i-te-ra 'i.
'Orohena-i-tapu-ata-i-te-ra'i
bercée par le toerau,
embrasée par le dieu Ra'a
qui reflète sur la terre rouge
Et le sable blanc..
Ô 'Orohena!
Ô ma chère montagne!
Ô mon cher pays!
Voici l'énigme de 'Orohena :
Qui sont les deux guerriers célèbres qui ont hypcrcisé le machin
de 'Orohena ?
La réponse de cette énigme se cache à l'intérieur de vos
bouches.
Que l'amour soit aussi vaste que Mer-ci: l'Océanie!
Winston PUKOKI
Adaptation libre à partir du texte en tahitien et de la cassette originale
3 'Orohena avait
également comme attribut "la lance qui se profile dans le blanc lointain"
Société des Études Océaniennes
14
De la coutume du Pi'i
et des modifications qu'elle apporta
au
vocabulaire tahitien n
Jl est bien connu que, chez beaucoup de peuples, certains noms,
certains vocables désignant la divinité ou les puissants du jour étaient
considérés comme sacrés et que le vulgaire n'avait point le droit de les
employer ni même de les prononcer. C'est ainsi que les Juifs, par crainte
par respect, ne prononçaient jamais le nom de Jehovah. Mais
chez aucun peuple peut-être, cette coutume n'a sévi aussi généralement
et aussi rigoureusement que chez les Polynésiens de nos archipels.
autant que
Le missionnaire Orsmond, qui vivait à Tahiti et à Moorea, au
fait de la langue tahitienne
laissé des notes très
intéressantes touchant cette coutume qu'il appelle le pi'i. Voici en quoi
consistait le pi'i. Les noms des rois, des chefs ou des notables de quelque
importance étaient sacrés. Ils ne devaient point être imités, encore moins
appliqués à quelque personne ou à quelque objet. Même les syllabes
composant ces noms devenaient sacrées et ne pouvaient plus être
commencement du XIXème siècle, et qui avait
une
étude méthodique et approfondie, nous a
employées par le vulgaire.
Or, comme à de fréquentes occasions et sous les prétextes les plus
futiles, les puissants du jour changeaient de nom, il s'ensuivait qu'une
quantité de mots usuels devenaient inutilisables.Et, bien que les
communications fussent alors peu fréquentes entre les différentes îles,
dès qu'un personnage royal changeait de nom, il paraît que la nouvelle
s'en répandait avec une rapidité extraordinaire de district en district et
d'île en île. De là sans doute le nom de pi'i qui signifie : "crier,
proclamer".
C'est qu'on ne plaisantait pas en ce temps-là avec ceux qui
violaient la défense et commettaient un lapsus linguae. La mort seule
pouvait punir un pareil forfait ; d'où le dicton tahitien : Te taata i hape i te
reo ra, o ohure ura tona ioa. Tera te auraa o te ohure ura, e tabu ia = Celui qui
fait une faute en parlant (après le pi'i) sera appelé "anus rouge", c'est-àdire qu'il devient une victime pour les dieux.
(*) Article paru en février 1926 dans le Bulletin n° 11 de la Société des Études Océaniennes.
Société des Études Océaniennes
15
C'est surtout à l'époque de Pornare 1er
que la coutume du pi'i
semble avoir été en honneur, mais elle déclina quand le roi embrassa le
christianisme ; du moins les transgressions de cette loi n'avaient plus
des
conséquences aussi graves.
Au temps où écrivait Orsmond, c'est-à-dire vers 1837, bien
que la
fût plus rigoureusement observée, les effets s'en
faisaient encore sentir : nombre de mots avaient été modifiés, défigurés
ou
détournés de leur signification primitive. Le nom des rois était encore
universellement respecté et considéré comme sacré. C'est ainsi que, les
missionnaires ayant construit à Moorea une goélette,
le bruit avait couru
qu'elle portait le nom de Pomare. Le jour où ce bateau devait être lancé, les
indigènes se rassemblèrent par centaines armés de haches pour le mettre
en
pièces et on fut obligé de changer son nom.
coutume du pi'i ne
Orsmond cite encore le fait suivant : un vaisseau espagnol, en
route pour les Tuamotu où il allait chercher des
perles, relâcha à Papeete.
Espérant avoir plus de succès auprès des indigènes, ses armateurs l'avaient
baptisé "Pomare". Ce nom était inscrit à la poupe et figurait également sur
toute la vaisselle et l'argenterie du bord. On eut
beaucoup de peine à
empêcher les Tahitiens de saisir et de mettre en pièces ce bateau qui
s'enfuit aux Tuamotu où d'ailleurs il ne reçut pas meilleur accueil, les
habitants de ces îles ayant toujours été de chauds partisans du roi Pomare.
Orsmond a noté de nombreux exemples de mots altérés ou
détournés de leur sens primitif par la coutume du pi'i. Citons-en quelquesuns :
ses
chacun connaît l'origine du nom de Pomare rapportée par Ellis dans
"Polynesian Researches". Le roi Otu ou Tu, ayant toussé pendant la
nuit, voulut commémorer ce remarquable événement et prit le nom de
Pomare, des deux mots Po signifiant la nuit et Mare la toux.
Immédiatement ces deux vocables devinrent interdits aux profanes et on
remplaça po par rui ou arui et mare par hota. Mais la syllabe Tu, qui figure
dans quantité de mots tahitiens avait déjà occasionné des changements
considérables et n'en restait pas moins sacrée:
tenir debout, était devenu
Tu,
Tu tua,
Tutua,
Tutau,
se
Tupapau,
un cadavre
Tiapapau
Tutae,
excrément
Tiatae
Ho tu tu,
colique
Hotiatia
Aratu,
un chemin
Aratia
Aturufare,
un
une puce
un
battoir pour le tapa
l'ancre
poteau
Tia
Tiatia
Titia
Tiatau
Atiafare
Société des Études Océaniennes
16
Certains mots passaient par plusieurs métamorphoses
successives : ainsi, pofai, récolter devint pafai lorsque Pomare accapara la
particule po. Mais le même Pomare ayant également pris le nom de
Pataue, pafai fut obligé de se muer en ato. Pour la même raison le mot pa
qui désignait une barrière, devint alors aua. Noho, qui signifiait s'asseoir,
devint parahi à cause du chef Noho de Oropaa ; puis parahi lui-même
devint irahi à cause de Patane.
En outre la royauté avait certains mots qui lui
appartenaient en
propre :
Tamahine
était la fille du roi,
Potii,
Mat,
Pohe,
la fille du commun du peuple ;
désignait la mort du roi,
Rai
était la tête du roi mort,
Upoo,
pour le vulgaire;
était le nom de la pirogue royale,
Anuanua
Vaa,
Humi,
Uri,
la mort du vilain ;
la pirogue du pêcheur;
le chien du roi, ou le phoque;
le chien de tout le monde.
Les rois des îles et même de simples chefs s'arrogeaient
également le droit de pi'i. En voici quelques exemples :
Le district de Matavai prit le nom de
Haapape, à cause du roi Vaitua, le
même qui fit changer en pape le mot vai, qui désignait l'eau.
Uru, fruit de l'arbre à pain, devint maiore, à cause de Uruarii.
Hara = crime devint hape, à cause de Maihara, de Huahine.
Nia = dessus est devenu nua, à cause de Mimiarii,
qui était la sœur de
Vairaatoa.
Ha = quatre devint maha, à cause de Maivarua.
Ae = monter devint paiuma, à cause de Te-arii-ae-tua.
Rere = voler devint maue, à cause de Te-Arii-rere
Vahi = séparer devint
ohapa, à cause de Te-vahi-tua-i-patea.
Maramarama = lumière devint meremereme, à cause du chef Marama.
Heiva
spectacle fut changé en upaupa, à cause de Ariiheiva.
Toa, arbre de fer, est devenu aito, à cause de Vairaatoa.
Vaho = en dehors est devenu
rapae, à cause de Te-arii-na-vaho-roa-i-tetau tua-mai-i-te-rai.
-
Société des Études Océaniennes
17
Lorsque, à cent ans de distance, nous recherchons les traces que
le pi'i a laissées dans le langage tahitien actuel, nous constatons que le
plus grand nombre de mots affectés par le pi'i ont repris leur acception
primitive ; d'autres ont conservé les deux formes ; pour un petit nombre
enfin, le pi'i a fait loi et la forme primitive est presque complètement
oubliée aujourd'hui.
C'est ainsi que, pour le mot Pomare dont nous citions l'origine,
l'ancien mot po est actuellement d'un usage courant pour désigner la nuit,
rui qui l'avait remplacé ne s'emploie guère que dans le
langage poétique. Mare, au contraire, est à peu près inconnu des
indigènes qui ont adopté le nouveau mot hota pour désigner la toux.
tandis que
Tu, se tenir debout, a presque partout été remplacé par tia, et cependant
les mots tutua, tutau, tutae, tupapau et beaucoup d'autres ont repris leur
forme primitive.
Pape, qui avait été imposé par le pi'i, est aujourd'hui beaucoup plus
employé que vai pour désigner l'eau.
Mimi, urine, est assez rare à Tahiti où on le remplace généralement par
omaha, mais il est encore d'un usage fréquent à Tubuai, Raivavae et aux
Iles Marquises.
De même, mate, la mort, qu'on n'entend presque jamais à Tahiti,
se retrouve dans plusieurs îles telles que les Australes, les Marquises et
jusqu'à Rarotonga.
En somme, pour le tahitien comme pour beaucoup d'autres
langues plus riches et plus perfectionnées, il semble bien difficile de
déterminer les causes de la disparition ou de la renaissance de certains
mots et de fixer aucune règle précise en la matière. L'usage qui est le
souverain maître du langage obéit, comme la mode, à des lois qui le plus
souvent échappent à notre observation. Le vieil Horace ne disait-il pas
déjà :
"Multa renascentur, queejam cecidere, cadent que
Quae nunc sunt in honore, vocabula, si volet usus,
Quem penes arbitrium est et jus et norma loquendi."
Et nous ne saurions mieux conclure cette étude que par la
piquante remarque que fait le vénérable Orsmond en déplorant le
désarroi que le pi'i apporte dans la langue tahitienne : "Pride and
irregularity go hand in hand among rude barbarians, as well as among the
polished citizen."
Edouard AHNNE
■Société des Etudes Océaniennes
18
Quelques commentaires <*>
J'ai lu, dans le n° Il du Bulletin des Etudes Océaniennes, un article
signé de Monsieur Ahnne qui a frappé mon attention parce qu'il contient des
choses en contradiction avec ce que l'on m'a enseigné dès mon enfance. Le milieu
où j'ai été élevée m'a, par privilège, mis souvent en contact avec des assemblées
de femmes et d'hommes distingués par leur haute culture tahitienne.
Avant tout, je tiens à déclarer que je ne voudrais en quoi que ce soit
blesser la mémoire du Rd. Orsmond qui n'a laissé que de bons souvenirs comme
missionnaire dans ces îles. Si je discute certaines interprétations rapportées dans
l'article pi'i c'est pour rétablir la vérité historique.
Il faut admettre qu'il existe des nuances de la langue tahitienne qui
peuvent échapper à la compréhension d'un étranger de cette époque et même de
l'époque actuelle.
L'article en question traite d'une coutume qu'il appelle pi'i qui
consistait en ce que les noms des Rois, des Chefs et des Notables étaient
sacrés et qu'ils ne devaient point être imités, encore moins appliqués à
quelque personne ou quelque objet que ce soit. Même les syllabes
composant ces noms devenaient sacrées et ne pouvaient plus être
employées par le vulgaire. Or, comme à de fréquentes occasions et sous
les prétextes les plus futiles, les
puissants du jour changeaient de nom, il
s'ensuivait qu'une quantité de mots devenaient inutilisables et
entraînaient des modifications dans le vocabulaire tahitien.
Monsieur Ahnne dit qu'on ne plaisantait pas en ce temps-là avec
qui violaient la défense et commettaient un lapsus linguae. La mort
seule pouvait punir un pareil "forfait", d'où le dicton tahitien : "Te taata i
hape i te reo ra, o te ohureura ia tona ioa; tera te auraa o te ohureura, e tapu ia."
Ce qui veut dire : Celui
qui fait une faute (d'après le Pi'i) sera appelé
"Anus Rouge", c'est-à-dire
qu'il devient une victime pour les dieux; et
l'article continue de nous dire
que c'est surtout à l'époque de Pomare 1er
que la coutume Pi'i semble avoir été en honneur, mais qu'elle déclina
quand le roi embrassa le christianisme. En terminant il nous cite quelques
noms altérés
par la coutume du Pi'i.
ceux
(*) Article paru en août 1927 dans le Bulletin n° 20 de la Société des Etudes
Océaniennes "Notes et
synthèse sur le Pi'i, Attributs royaux, etc, etc, par Mme
Marau Taaroa SALMON
Société des Études Océaniennes
19
Or voici la vérité historique et traditionnelle : Tahiti, comme
d'autres pays,
grands et petits, avait ses lois, ses institutions et ses
particularités.
Ces lois semblaient parfois sévères et sans fondement. Elles
avaient, en fait, pour but la protection et la conservation de la propriété
privée et des titres nobiliaires. Il ne faut pas non plus imaginer que
changer un nom ou modifier un mot se faisait à la légère. Ces questions
étaient proposées et discutées dans le conseil de la famille royale, lequel
examinait l'opportunité de la mesure. Cette question était ensuite
transmise à un Conseil suprême composé de trois membres, savoir : le
roi, le arii, du hiva (la garde royale) qui était un prince, chef d'armée, etc.,
le tahua ou le grand prêtre qui portait le nom de Teao (la lumière). Ce
conseil rejetait la mesure ou l'homologuait.
Cette décision, si elle était homologuée, était ensuite consacrée
sur
le mara et devenait, par l'effet de cette cérémonie, une loi qui
s'imposait à tous. On voit ainsi quel formalisme rigoureux présidait à
cette institution et la réglementait.
La coutume que l'article appelle pi 'i est en réalité une véritable
institution et ne peut pas être représentée en tahitien par le mot pi'i, mais
plus exactement par les expressions anciennes : Mairiraa ioa, Toparaa ioa,
Unuhiraa ioa. Elle consiste à attribuer exclusivement un nom ou à en
supprimer un et devrait, à mon sens, se traduire plus exactement en
français par l'expression : "Attribution sacrée d'un nom", ou mieux
"Consécration du nom". Elle avait lieu sur le marae. Cependant que le
mot pi'i est, en réalité, employé pour interpeler quelqu'un avec l'idée de
faire venir à soi la personne interpelée.
Pi'i ne veut donc pas dire proclamer, ni crier dans le sens où
semble
l'indiquer M. Ahnne. Il est, sans doute, exact que ces
consécrations ou attributions sacrées étaient proclamées par des
messagers qui portaient ces consécrations de noms à la connaissance de la
population. Il est vrai encore que ces proclamations donnaient le
caractère exécutoire à ces règles. Mais ce n'est pas le mot pi'i qui peut
traduire, non plus, ce fait de la proclamation qui correspondait en
quelque sorte, par ce moyen de publicité, à ce que l'on désigne en français
sous
l'expression plus juridique de promulgation.
Si l'on cherche une expression rapprochée plus idoine en tahitien
pour traduire cette formalité de la proclamation, il
poro, proclamation, ou ua porohia, il a été proclamé.
■
Société des Études Océaniennes
faudrait dire parau
20
Je ferai remarquer que, d'après nos traditions, les noms des rois
(les princes) étaient sacrés, mais non pas ceux des
et ceux de huiarii
notables qui ne faisaient pas partie du cadre des princes dont les noms
seuls jouissaient de ce privilège supérieur. M. Ahnne, d'autre part, nous
parle de l'anus rouge et d'un lapsus linguae. Qu'entend-il par là ?
Il ne nous l'explique pas ; or le supplice de l'anus rouge, s'il s'agit
du vulgaire empalement, a été pratiqué à peu près dans tous les pays du
monde et nous pourrions le traduire par Ohure popou oaha et matafuia. Ce
supplice était réservé spécialement aux vaincus de guerre et non, comme
pourrait le comprendre, d'après l'article pi'i, à titre de châtiment
ordinaire, s'appliquant à toutes sortes de cas.
on
La punition infligée pour un lapsus linguae, tel que je comprends
le mot, était le supplice appelé le hoi-pu, qui consistait dans l'obligation de
réciter exactement un certain nombre de fois, sans se tromper, cent fois ou
plus, les noms consacrés. Si on faisait une faute dans la récitation du
hoi-pu, le délinquant était puni par l'enlèvement d'un œil ou des deux.
Les yeux de la victime étaient offerts au arii dont le nom avait été injurié
par l'emploi des syllabes prohibées.
C'est de ce supplice que vient le nom de Aimata qui veut dire
droit de manger l'œil. On trouve encore devant le marae de Nuuroa une
grande table de pierre dans laquelle sont alignés les trous du hoi-pu.
Il n'est pas exact, non plus, de dire, comme l'indique l'article pi'i,
que cette institution des noms consacrés a été plus particulièrement en
honneur du temps de Pomare premier. Elle existait, dans toute sa force,
de nombreuses années avant l'accession des Pomare à la suprématie
politique de Tahiti. Elle s'est également perpétuée jusqu'au
commencement du règne
de celui des Pomare que la chronologie
historique nous désigne sous le nom de Pomare III, mais qui n'était, en
réalité, que le deuxième de la dynastie royale, comme nous allons le voir.
La suppression de l'institution des noms consacrés n'est
point le résultat
de la conversion d'un des Pomare, mais bien celui de l'influence des
missionnaires qui, profitant du jeune âge de Pomare, deuxième de la
dynastie, classé sous le nom de Pomare III et qui était un enfant débile et
malade, s'immiscèrent dans les affaires publiques.
Les missionnaires ne se sont
pas rendus compte d'ailleurs que la
suppression de ces lois comportait de graves conséquences parce qu'elle
entraînait, avec l'expropriation des titres, celle des biens.
Cette institution n'existe
plus aujourd'hui qu'à l'état de souvenir
et, toute question de préséance mise à part, eu égard à l'évolution des
Société des Études Océaniennes
21
mœurs, il est permis de la regretter, au moins au
seul point de vue de la
reconstitution de l'arbre généalogique des ancêtres. Elle permettait, en
effet, de suivre, sur le marae, la généalogie des grandes familles qui se perd
de plus en plus et qui est cependant fort importante, encore aujourd'hui,
pour l'application des règles de dévolution successorale, lorsqu'il s'agit de
remonter à l'origine de propriété des biens.
A un autre point de vue et pour ceux qui connaissent bien
l'histoire, ce serait commettre une erreur de croire que celui que l'on
désigne communément sous le nom de Poniare 1er fut le premier roi de la
dynastie des Pomare. Il n'en fut que la souche. En réalité, fils de Teu, il
était chef de Pare et de Arue. Il se faisait aussi appeler Vairaatoa ou Tu.
Mais l'ère de la dynastie royale ne s'ouvrit qu'après la bataille du Fei-pi en
mai 1815 dans la personne de son fils, Tu (même nom que lui), qu'on
appela Pomare II, mais qui fut le premier roi de la dynastie. Choisi par les
missionnaires protestants et les matelots du Bounty qui, grâce à l'emploi
des armes à feu dont ils disposaient, remportèrent une victoire facile après
le meurtre de Opuhara'a, grand chef de Tahiti et du paganisme, il accepta
d'être baptisé. Il régna de 1815 à 1821, soit six années. Encore ne fut-il pas
reconnu par l'île tout entière de Tahiti, ce qui prouve bien qu'il n'était pas
en situation de
changer les lois.
Quant à estimer, bien que chrétien, que ce fut lui qui aurait
consenti une capitulation quelconque de ses prérogatives royales ou
princières, c'est bien peu connaître son caractère. Jaloux de son autorité
jusqu'à la brutalité, il n'aurait pas, au lendemain de son accession au
pouvoir suprême, inauguré sa victoire par la suppression de cette
prérogative si spéciale et si élevée de la consécration des noms.
Comme preuve irréfutable de ce qui nous est rapporté sur ce
prince et de son attachement à ses prérogatives royales, citons l'anecdote
suivante : en effet, il essaya, malgré le christianisme et son baptême, de se
faire consacrer roi (Arii Nui) sur le marae de Maraetaata Atehuru et de
ceindre le maroura, ce qui, du point de vue païen, était la seule cérémonie
de consécration pour être roi dans ces îles. Comme il ne possédait pas un
marae
de cette distinction dans le district de Arue dont il était le chef, il
exprima le désir de monter sur celui de Atehuru (Maraetaata) à Paea,
devenu sacré à cause de l'image du dieu Oro qui y avait été déposée. Mais
il fut repoussé par les gardiens qui lui dirent : "Votre nouveau rang même
ne vous donne pas place sur ce marae, ni droit au maroura. Furieux, Tu leur
répondit : Sachez que, dès aujourd'hui, je m'appelle "Tunui-e-aa-ite-unu-ma-terai" (Le Grand Consacré qui se mesure aux dieux du sommet des cieux) et
il donna immédiatement l'ordre de transporter à Tautira l'image de Oro.
•
Société des Études Océaniennes
22
Au
sujet du changement de nom de Tu, fils de Teu, en celui de
Pomare qui porta le premier ce nom, ce changement a eu lieu non pas
comme il
est dit dans l'article pi 7 pour commémorer une nuit où Tu avait
beaucoup toussé, fait banal, mais bien pour commémorer un événement
plus important, la mort de son fils préféré Teriinavahoroa dit "Teina iti",
mort phtisique et emporté en une nuit dans un accès de toux. C'est pour
des raisons analogues que ce même Tu prit premièrement le nom de
Vairaatoa pour commémorer la mort de sa fille appelée aussi
"Teriinavahoroa", morte pendant une inondation où Ton fut obligé de
transporter le corps de cette Princesse sur un pied de toa. C'est pour cette
raison encore que le mot toa est devenu aito, comme po est devenu mi et
mare
=hota, à cause du nom de Pomare.
Nous venons de voir comment il fallait, à notre sens, entendre
l'exclusive dont étaient frappés les noms consacrés pour l'appellation des
rois et des
grands chefs et que Ton a, à tort, selon nous, dénommée
pi'i. Nous avons mis également à contribution notre
connaissance des choses d'autrefois au sujet de Tordre des Pomare dans
l'échelle de la dynastie et au sujet de la très petite influence qu'exerça, en
fait, le christianisme au début de l'accession au pouvoir des premiers
Pomare relativement à la renonciation aux prérogatives jalousement
gardées des grandes familles.
coutume du
Un peu de philologie complétera cette documentation prise aux
mêmes de l'histoire et en fera comprendre la portée. Si
d'aventure il m'arrive de toucher à des questions qui pourraient paraître
sources
entachées d'un certain personnalisme, c'est qu'autrefois la famille à
laquelle j'appartiens fut notoire dans l'île. C'est parce que cette famille a
ses racines
profondes dans le passé de Tahiti et que, en faisant preuve de
trop d'humilité, je trahirais, par là même, la cause historique que je
soutiens.
L'article intitulé pi'i nous donne une liste de mots altérés, ou
détournés de leur sens primitif, par la coutume dite pi'i. Il nous fait
remarquer que le mot Tu, quoique figurant dans quantité de mots
tahitiens, avait déjà occasionné des changements considérables et n'en
restait pas moins sacré. Ces mots sont :
Société des Études Océaniennes
23
debout, était devenu Tia
Tu,
se tenir
Tu tua,
une
Tu tua,
un battoir
Tutau,
l'ancre
Tiatau
Tupapau,
un cadavre
Tiapapau
Tutae,
Hotutu,
Aratu,
excrément
Tiatae
colique
Hotiatia
un chemin
Aratia
Aturufare,
un
Tiatia
puce
pour le tapa
poteau
Titia
Atiafare
Le mot Tu, pris dans le sens d'un nom royal, reste invariablement
Tu, et se traduit par dignité supérieure. Il a été remplacé par les mots tura,
mana, teitei. Lorsque le mot Tu est pris dans le sens d'un attribut royal et
placé devant le nom d'un marae royal, il se traduit par consacré, haamoa hia. Consacré sur le marae (e tu i marae). Le mot Tu est très souvent
remplacé par la lettre I qui se traduit également par consacré. Teriinui-oTahiti-e -tu-i-Tahiti-Marae se traduit : Teriinui-o-Tahiti consacré sur le
marae
de Tahiti. Lorsque le mot I prend la place de Tu, on dit Teriinui-o-
Tahiti I Tahiti (la lettre I sous-entendue) Tu qui se traduit: Teriinui-oTahiti de Tahiti.
se
Le mot tia, que l'article nous donne pour avoir pris la place de tu,
traduit par : se tenir debout, dans une position physique verticale. Il est
variable lorsqu'il est substantif , tiaraa, et veut dire alors
: position,
situation. Exemple : tiaraa tura ; tiaraa mana.
Pour le mot tu tua, j'avoue ne pas connaître de synonyme; tû-tû-a
signifiant la planche pour aplatir l'écorce servant d'étoffe. Le battoir se
traduit par iê. Le mot titia, que l'article donne pour le remplacer, à ma
connaissance se traduit par passoire. Tutau ou tiatau se dit de deux
façons. Tupapau et tiapapau de la même manière. Tutae ou tiatae est un mot
vulgaire pour exprimer excrément; dans la meilleure classe de la société,
on dit
repo ou haumiti. Aturu fare se traduit: gros poteau, soutien d'une
maison. Atiafare, palissade de maison, de bambou, ou de petites branches
de burau.
Tous ces noms n'ont rien à faire avec le mot Tu, étant des mots
composés comme beaucoup d'autres du même genre. Je tiens à relever le
mot hotutu, qui figure dans la liste ci-dessus comme un mot altéré et
traduit par le mot "colique". Hotutu doit se traduire : "un rejeton
consacré". Le mot hotiatia, que l'article lui donne pour le remplacer, nous
est connu sans le h et se traduit : "se lever avec agitation, se tenir en éveil,
être aux aguets". Otiatia est l'action de se lever subitement et non le fait
•
Société des Études Océaniennes
24
même d'éprouver des maux d'entrailles qui se traduisent par "mamae opu,
est du marae royal de
Farepua et s'écrit hotutu e tu i Farepua. Ce mot ne pouvait donc pas être
altéré. Parmi certains noms que l'article nous cite comme ayant passé par
plusieurs métamorphoses se trouve le mot pa, comme ayant été changé en
Pafai e Ato à cause de Pomare. D'après nos citations historiques, il est dit :
No Pa Arii-i-Ahurai e parauhia e e Aua. Pour Pa Arii de Ahurai, ce mot
taviri opu". La provenance du nom de hotutu
deviendra Aua.
M. Orsmond, en outre, nous cite certains mots qui appartenaient
à la royauté et d'autres au commun des mortels. Il dit :
Tamahine était la fille du roi - Potii, la fille du commun du peuple ;
en propre
Mate désignait la mort du roi - Pohe, la mort du vilain ;
Rai était la tête du roi mort - Upoo, pour le vulgaire ;
Anuanua était le nom de la pirogue royale - Vaa, la pirogue du pêcheur ;
Hutni, le chien du roi, ou le phoque - Uri, le chien de tout le monde ;
Tamahine s'appliquait spécialement aux filles de la famille royale et non à
la fille d'un roi seulement.
Mate désignait la mort d'un membre de la famille royale et non pas d'un
roi seul.
Rai, pris dans le sens d'une tête royale, était une indication de sa haute
naissance, tel le marae, en tahitien : haut comme le ciel.
Le mot upoo désigne une tête royale. Ce mot appartient, en effet, à une
famille royale. - Pepenu pour le peuple.
Anuanua est un des noms que ne pouvaient porter qu'une pirogue royale,
ou
-
Vaa-oa pirogue d'apparat, dont Cook nous a laissé des gravures.
Ouure, était le nom de la pirogue du peuple.
Le mot Anuanua donné par l'article pi 'i comme étant le nom de la
pirogue royale exige des détails plus précis : Anuanua était le nom du
Vaa-oa, pirogue royale de cérémonie spéciale aux Arii Nui de Vaiari
seulement, qui portaient les noms de Teriinui-o-Tahiti et de Marautaaroa
qui, par droit d'aînesse, prenaient leur place sur les papa (une plaque de
pierre), siège sacré des marae de Farepua et du marae Tahiti à Vaiari. Le
Vaa-oa Matâtua est une pirogue royale de cérémonie spéciale aux Arii nui
de Papara seulement, qui portent les noms de Terii rere i Outu rau e tu ite
rai Arorua, qui prenaient leur place
sur le papa des marae de Tooarai et de
Taputuarai.
Société des Études Océaniennes
25
Le Vaa-oa Manuatere est une pirogue royale de cérémonie spéciale au Arii
nui de Temaroura dit Punaauia seulement, qui porte le nom de Tetua-nuie-marua-ite-rai qui prenait sa place sur le papa du marae du nom de
Punaauia.
Le Vaa-oa Taitiui est une pirogue royale de cérémonie spéciale aux
Arii nui qui portaient le nom de Teriivaetua et de Tepauarii- i- Ahurai
seulement et qui prenaient leur place sur le papa du marae Ahurai et du
marae Tefana de Faaa.
Le Vaa-oa Puoi-maa-fenua est une pirogue royale de cérémonie
spéciale au Arii nui qui porte le nom de Terii-o-Marama-ite-tauo-o-te-rai-oEimeo seulement, qui prenait sa place sur le papa du marae Tefana et du
marae Nuurua à Moorea.
Ces pirogues faisaient partie des attributs sacrés de ces Arii nui.
Tels encore :
Maroura
l'écharpe royale rouge
Heiura
la couronne
Te tootoo
le sceptre
Te raau (omore)
la lance
Te turua
le coussin
Te tahiri
l'éventail
Te umete
une
Tehoe
la pagaie
espèce de grande écuelle en bois de tamanu
Te ahuahu
l'écope
Te aua
le bol
Te upea
le filet (allégorique)
La signification des attributs sera donnée ailleurs.
L'article nous dit, en outre, que les rois des autres îles et même
les simples chefs s'arrogeaient également le droit de pi'i. En voici
quelques exemples :
Le district de Matavai prit le nom de Haapape, à cause du roi Vaitua, le
même qui fit changer en pape le mot vai, qui désignait l'eau.
Uru, fruit de l'arbre à pain, devint maiore, à cause de Uruarii.
Vaho, en dehors, est devenu rapae, à cause de Te-Arii-na-vaho-roa-i-tetautua-mai-i-te-rai.
Vairaatoa n'avait pas de sœur mais des cousins.
Hara, qui se traduit par crime, ne doit pas être confondu avec hape, qui se
traduit par faute (légère).
■Société des Études Océaniennes
26
Ha, nombre quatre, a été changé en maha pour Teriihahamaiatua, un nom
de la famille Pomare.
Uru est le fruit de l'arbre à pain, Teuruarii se traduit: une assemblée de
arii. Il s'écrit de la même façon mais se prononce autrement. 'Uru, le fruit ;
ûrû, une forêt ou un rassemblement de arii.
Teaharii-i-Nuutere se traduit
:
quoi, quel arii ? le nom de Te-aha fut
donné à Teriifaatau par Pomare pour marquer sa colère contre celui-ci
qu'il accusait de l'avoir trahi au bénéfice de Vehiatua. Il chercha à le faire
tuer, mais Teriifaatau réussit à se cacher dans un trou de mahi à Faâa.
Pomare furieux, ne lui pardonna jamais et, dès son accession au trône, il
,
confisqua les biens de Teriifaatau en lui faisant dire : "Tu t'appelleras
désormais Teahatu pour te faire rappeler que je suis seul roi à Nuutere.
Nuutere est un marae de Mataoae à Vairao où Teriifaatau avait une place
par sa mère qui était de ce marae.
Ce n'est pas maramarama, la lumière, qui a subi une transformation, mais
bien plutôt marama, la lune, qui est devenu avae à cause de Marama de
Eimeo. On en trouve l'explication dans la citation historique :
"No te Arii o Marama-ote-tauo-o-te-rai o Eimeo e parauhia te Marama e: e Avae.
No Ariimanihinihi tana tamahine otahi e parauhia
Manehenehe."
"La lune deviendra Avae pour
te Manihinihi e: e
Marama de Eimeo. Pour sa fille
Ariimanihinihi, le mot Indolente deviendra Manehenehe.
Les noms des rois et simples chefs que M. Orsmond nous cite
étant ceux des îles sont purement de Tahiti et de Eimeo. Sauf
quatre d'entre eux avec lesquels nous avons également des rapports, en
raison de liens de famille, aucun de ces noms ne peut être traité comme
comme
nom
de simples chefs.
comme un
A propos de cette liste de noms, je considère
droit légitime de discuter l'exactitude de leur origine et de
mettre les choses au
point. Car ils appartiennent à la famille dont je suis
descendante directe par mes grand-père et mère: Teriirere-i-Outurau-ma-
Tooarai, grande cheffesse des huit Teva, Ariioehau-i-Eimeo-e-Tahiti
appelée Princesse de la Paix, dite Ariitaimai, ma mère, a refusé de
reprendre la couronne de ses ancêtres par un sentiment de sacrifice à
l'amitié et à la parole donnée à son
grand-père Tati, dit le Grand.
A titre de mise au
point, qu'il me soit permis de préciser l'origine
historique de ces noms, à commencer par celle de ma propre famille:
Le nom de Vaitua donné
par l'article est, en réalité, Teriivaetua-i-Ahurai,
royal du district de Tefana que l'on appelle aujourd'hui Faâa.
Teriiaeetua est, en réalité, Teriiaeetua-i-Nuurua, un des marae
royaux de
Eimeo appelé aujourd'hui Moorea.
marae
Société des Études Océaniennes
27
Teriirere est, en réalité, Terii-i-outurau-i-Tooarai, un des marae royaux de
Papara.
Tevahitua est, en réalité, Tevahitua i Patea, un des marae royaux de
Teoropaa appelé aujourd'hui Paea.
Marama est
en
réalité Terii-o-Marama-ite-tauo-ite-rai o Eimeo i
Maraetefano, un des marae royaux de Eimeo.
Teriinavahoroa-ite-tautua-o-te-rai-Matahihae est un des marae royaux de
Hui-e-Taiarapu appelé aujourd'hui Tautira.
Les noms provenant des autres îles sont :
Maihara, en réalité Maihara-i-Matairea, un des marae royaux de
Toerauroa appelé aujourd'hui Huahine.
Tenania, en réalité Tenaniatua-i-Matairea, un des marae royaux de
Huahine.
Maivarua,
en
réalité, Teriimaevarua-i-Farerua, un des marae royaux de
Vavau appelé aujourd'hui Borabora (Faanui).
Teuruarii, un nom appartenant à une branche cadette du marae royal de
Farehani-iti-e-Anau, Borabora.
Au sujet des noms Mihiarii, Ariiheivarau, Vairaatoa, ce sont sans
doute des noms topahia, c'est-à-dire consacrés par l'institution appelée par
l'auteur de l'article coutume du pi'i. Mais s'ils ne peuvent avoir comme
origine un marae royal, qui lui seul constitue un titre régulier, ils n'en
restent pas moins des noms royaux puisque tous les trois appartiennent à
la famille Pomare de qui ces noms proviennent. Ils sont donc aussi
royaux que le nom de Pomare.
Pour finir, je relève la soi-disant piquante remarque que fait le
révérend Orsmond en fin de l'article pi'i :
"Pride and irregularity go hand to hand...": en ce qui nous concerne, cette
remarque est dans son acception inopportune, car l'institution n'a jamais
eu comme raison d'être la vanité ou l'orgueil. C'était, tout simplement,
une
des règles du protocole imposée par la loi pour marquer la séparation
radicale d'une classe supérieure avec une classe inférieure de la société,
pour rétablir une hiérarchie sociale distinctive entre les Hniarii et le
peuple. C'était une marque rigoureuse du respect dû à un rang distingué
par l'histoire et les traditions, qui voulait que les Arii fussent les
descendants des dieux et qui tient à l'état politique de la société tahitienne
temps. Que les Tahitiens fussent fiers de leur rang et jaloux de le
est une autre question. La vanité, dans le sens futile où
l'auteur, le révérend, l'entend, n'a rien à faire dans la circonstance.
en ce
conserver, ceci
•Société des Études Océaniennes
28
Le jugement du révérend
Orsmond est erroné par la raison
qu'une des règles dans l'instruction des arii interdit la vulgaire vanité qui
était considérée comme une faute grave ne pouvant appartenir qu'à un
manahune, une des dernières classes de la société.
Il est dit dans l'ordre de ces instructions: Eiaha oe ia harahia i te aau
teoteo te au i te manahune = Garde-toi du péché d'un intestin vaniteux
d'un
manahune.
J'ai lu quelque part une interprétation de ce genre où un étranger
à l'esprit étroit, pour faire sentir à Mahine, un arii de Huahine, que son
peuple était au même niveau que lui, l'avait forcé après son baptême de
s'asseoir parmi son peuple. Cet étranger ne connaissait pas les règlements
mêmes qui présidaient à la guerre et qui voulaient que la personne, le
corps et tout ce qui touchait un personnage de haute lignée ne puissent
être souillés par un contact quelconque, car selon ces prescriptions :
E Arii te toto i topa, e mate moa.
E Arii ra, e Arii ihoa ia.
Lorsque le sang est royal, même déchu, il est encore sacré.
Un Arii reste toujours un Arii
Marautaaroa i Tahiti
Le Pl'l, commentaires d'aujourd'hui
La Société des Etudes Océaniennes publia dans son Bulletin n°ll
de février 1926 un intéressant article sur la coutume du pi'i rédigé par
Edouard Ahnne à partir des observations et des notes du missionnaire
Orsmond.
Dans un des Bulletins suivants (BSEO n°20 d'août 1927),
Maràuta'aroa i Tahiti faisait part de ses réflexions sur l'article de M.
Ahnne, sous le titre "Quelques commentaires", titre particulièrement
modeste, bien dans la tradition polynésienne, si Ton songe qu'outre sa
longueur, il replace avec beaucoup de maestria la coutume du pi'i dans sa
dimension culturelle avec une richesse d'observation et de détails propres
à déclencher l'enthousiasme des
passionnés de culture polynésienne.
Merci donc aux auteurs de ces deux articles d'avoir, par leurs
connaissances, éclairé cette étrange coutume polynésienne qu'il est
convenu
d'appeler pi'i.
Société des Études Océaniennes
29
Soixante-dix ans après, les progrès en linguistique peuvent-ils
apporter un nouvel éclairage propre à approfondir ce que nous savons
désormais sur le pi'i ? Telle est la question ingénue qui, un beau jour de
1993, a traversé l'esprit du bureau actuel de la S.E.O. !
Ce sera aux lecteurs d'en juger. Ce dont je suis sûre c'est que les
recherches linguistiques ne pourront jamais remplacer l'immense culture
de nos anciens, dont l'article de Madame Marauta'aroa est un bon
exemple.
Avant de me livrer à quelques considérations d'ordre général sur
je voudrais apporter ma modeste contribution en
complétant, par quelques remarques, les commentaires de Marauta'aroa.
cette coutume,
coutume du pi'i
pouvait avoir une influence sur la protection et la conservation de la
propriété privée et des titres nobiliaires si l'on oublie que l'on se trouve
dans une société à tradition orale et que Ton ne fait pas l'effort de
raisonner sur le long terme (plusieurs générations). Le pi'i pouvait, en
effet, servir de protection pour éviter l'intrusion involontaire ou
volontaire d'un élément étranger dans une généalogie.
Il n'est pas très aisé de comprendre en quoi la
C'est une démarche similaire, me semble-t-il, qui a prévalu il y a
quelques dizaines d'années (vers 1950) lorsque les prénoms tahitiens sont
redevenus à la mode dans le grand public, mais plus encore sans doute
pour les noms de mariage. A partir de quelques protestations, un
consensus s'est opéré pour recommander de ne choisir les noms qu'à
l'intérieur de sa propre famille.
Sans entrer dans la controverse sur l'exactitude de l'appellation
de cette coutume, je voudrais ajouter, aux différentes significations
données au mot pi'i par Marau, le sens d'être instruit que Ton retrouve
dans le terme ha'api'i "instruire", celui également d'adhérer,
de se
cramponner que suggère le terme pi'imato "grimpeur", ainsi que le sens
d'appeler que Ton trouve dans l'expression i'oa pi'i et qui s'oppose à i'oa
topa, l'un signifiant surnom, l'autre nom: patronyme ou vrai nom. Si donc
le pi'i, dans le sens de tapu linguistique, a disparu, il perdure dans le sens
d'appeler, à travers les surnoms et les noms de mariage, coutume
toujours très vivace jusqu'à aujourd'hui.
Marauta'aroa a,
sans
doute, raison de rappeler que la
suppression de cette coutume est d'origine missionnaire et non pas du
fait de Pomare. Elle est, en tout cas, plus qualifiée que moi pour le dire. Je
voudrais simplement signaler à ce sujet un point d'histoire quand, pour
illustrer son propos d'une preuve irréfutable, elle nous conte "l'anecdote"
Société des Études Océaniennes
30
de l'enlèvement par Pomare de l'effigie de 'Oro du marne Maraeta'ata de
Atahuru pour la transporter sur celui de Taputapuatea de Tautira afin de
se faire consacrer ari'i rahi
malgré le christianisme et son baptême.
Je voudrais simplement signaler que, si ce fait historique est tout
à fait exact, il s'est déroulé, sauf erreur de ma part, au mois de mars 1802
après l'assemblée des chefs réunis par Rua à Atahuru. Mais à cette date,
Pomare n'est ni chrétien ni baptisé. Il s'agirait donc d'un événement, en
tout point similaire à celui de 1802, qui se serait déroulé après 1819 (date
de son baptême) et avant 1821 (date de sa mort). Rien pourtant dans les
Annales n'indique qu'un tel événement se soit produit, du moins à ma
connaissance, pendant cette période.
Il me paraît important de nuancer la
théorie qui consiste à dire
que le pi'i pouvait frapper un mot ou tous les mots comprenant la syllabe
frappée du pi'i. La longue liste des mots proposés par Orsmond
le pi'i me semble propice pour illustrer mon
contenant tu et altérés par
propos.
La plupart des mots tahitiens, tu en particulier, sont
polysémiques et le pi'i n'affecte qu'un seul sème; ainsi dans le cas de tu,
celui qui signifie "droit, se tenir debout, représentant de", et tous les mots
entrant dans cette catégorie seront donc frappés du pi'i et, dans le cas de
tu, par exemple, remplacé par ti'a. A l'inverse, tous les mots, bien que
comprenant la racine ou la syllabe tu, mais ayant un autre sème, ne seront
pas affectés, comme tura "être respecté", turu "supporter", tupa "crabe de
terre", turi "genou; être sourd", rutu "frapper", motu "détaché, coupé;
île", hitu "sept", fatu "propriétaire...", hotu "produire...", tutu "secouer",....
C'est ainsi que, dans la liste proposée par Orsmond, trois mots
entrent dans cette dernière catégorie et sont donc erronés, comme le signale
avec justesse Marauta'aroa. Il
s'agit de tutu'a "puce, plaie", tutua "battoir à
tapa" et hotutu "colique", n s'ensuit que les mots correspondants indiqués
par erreur ont un sens différent. Ainsi tiatia "petites pièces de bois assurant
la liaison entre le balancier d'une pirogue ama et les traverses'iato, titi'a
"tamiser, filtrer" et hoti'ati'a "commencer à se lever plusieurs fois (avec
hésitation)".
Le corollaire de cette règle implique que le nombre de mots
comprenant le sème tu, affecté par le pi'i, est plus important que ne le
laisserait supposer la liste proposée. La liste est assez longue; par égard
pour le lecteur, signalons néanmoins:
upo'otu = upo'oti'a "vaincre,
vainqueur", tufa = ti'afa "être à sec (récif)", tufati = ti'afati "plier les
vêtements", tuvaru = ti'avaru "exiler, bannir", tupuna = ti'apuna "ancêtre",
fetu =feti'a "étoile", ainsi que tuhou, tuhu, turei, turepu, turuhe, etc..
Société des Études Océaniennes
31
Pour certains de ces mots, les deux formes se sont conservées
dans le vocabulaire courant et sont devenus des synonymes comme
tuvaru / ti'avaru
ou aratu / arati'a; pour d'autres, au contraire, c'est la
disparu au profit de la forme originelle
progressivement dans le langage courant comme tutae / *ti'atae
forme altérée par le pi'i qui a
revenue
ou
tu'ou / *ti'a'ou, etc...
Certains mots, par suite de pi'i successifs, pouvaient passer par
plusieurs métamorphoses, comme le remarque Orsmond, par exemple le
mot pofa'i qui devint pafa'i puis 'ato. Cet exemple n'est que partiellement
juste. Pofa'i n'est pas devenu pafa'i à cause de Pomare; l'interdit mis sur po
ne concerne
que le sème nuit qui a été remplacé par ru'i suivant la règle
que nous avons indiquée précédemment, alors que po dans pofa'i n'est
qu'un préfixe qui a le sens de "faire l'action en tournant" et qu'il est en
variante dialectale avec pa dans pafa'i.
La deuxième transformation, en revanche, est exacte: pafa'i est
devenu 'ato ainsi que parahi est devenu 'irahi, à cause de Pa tane qui n'est
autre que Pomare, et pa est
termes contenant
devenu 'aua "enclos, palissade"; mais tous les
pa ne sont pas pour autant affectés par le pi'i,
conformément à ce que nous avons déjà indiqué pour tu...
On remarquera, au sujet de cet exemple, que les outils utilisés
pour la création de nouveaux termes affectés par le pi'i ne sont pas
toujours identiques. Si, dans un cas, le préfixe a été modifié, dans le
second, il s'agit de la création par synonymie, termes ayant des
signifiants différents mais dont les signifiés sont proches: pa = 'aua
"enclos, palissade", pafa'i = 'ato "cueillir".
La transformation de noho est juste et a subi également des
métamorphoses: noho = parahi "loger, demeurer, être assis", à cause de
Nohoari'i (première transformation); ce dernier deviendra 'irahi du fait de
Pa tane (deuxième métamorphose). De même que tufa devenu ti'afa et
plus tard ti'amaha, du fait des différents pi'i mis d'abord sur tu, puis sur
fa; mais le terme to'ofa "chef supérieur immédiatement après le ari'i", lui,
n'a pas subi de transformation.
Au sujet de la pirogue royale Anuanua, on peut ajouter aux
commentaires très intéressants de Marauta'aroa le fait que ce nom était
réservé uniquement à la pirogue contenant l'image de 'Oro, rappelant
ainsi qu'il avait emprunté l'arc-en-ciel pour venir chercher sa femme à
Porapora. Chaque Dieu avait d'ailleurs un nom particulier pour désigner
sa pirogue: Vai-tu-huhua pour la pirogue de Tumu Nui, Te'apori pour le
dieu Ru
,
Hohoio, celle de Hiro, etc....
Société des Études Océaniennes
32
Au sujet de vai
transformé en pape, seul le sème liquide a été
concerné par le pi'i; les autres homonymes, qui veulent dire "identité,
existence, exister", n'ont pas été altérés. Actuellement, les deux termes vai
et pape sont utilisés indifféremment pour
désigner l'eau.
En ce qui concerne 'uru qui, à la suite d'un pi'i, devint maiore, ceci
à cause de 'Uruari'i comme l'indique Marau, on peut ajouter que ce roi,
du nom de Mahuru, originaire d'un district de Ra'iatea, prit le nom de
'Uruari'i, émerveillé que ce fruit seul ait pu sauver la population de la
famine qui sévissait dans le pays pendant le règne de Nohoari'i de Opoa.
Rappelons que, lorsqu'un ari'i prenait un nouveau nom, celui-ci
rajoutait à l'ancien.
Maiore serait probablement ma'i'ore, qui signifie "maladiedisparaître", et le nouveau terme créé est un mot composé sur le modèle
d'un syntagme et qui marque un événement important qui a eu lieu.
'Uruari'i ayant une influence modeste, à sa mort le pi'i sur 'uru cessa et le
se
maiore redevint 'uru.
A titre d'anecdote, beaucoup de jeunes gens d'aujourd'hui
pensent que maiore est le nom popa'a de 'uru. Si maiore, pour désigner le
fruit de l'arbre à pain, est tombé en désuétude aujourd'hui, il s'est
conservé néanmoins comme prénom dans les familles royales des îles-
Sous-Le-Vent.
Marau précise, dans son
'Uruari'i
avec
article, qu'il ne faut pas confondre
Teuruari'i, un autre roi des îles-Sous-Le-Vent, la
prononciation étant différente. Cette remarque est pertinente, car le terme
désignant le fruit 'uru est précédé d'une glottale qui est un phonème
consonantique et le second, voulant dire "assemblée", n'en a pas. Si à
l'oral il n'y a pas de confusion possible, à l'écrit, en l'absence de la
transcription de ce phonème, l'ambiguïté subsiste.
Orsmond indique que hara, qui signifie "crime", a été remplacé
par hape à cause de Ma'ihara de Huahine. Marau nuance le sens de ces
deux termes, l'un signifiant effectivement crime ou faute grave, hape étant
utilisé pour une faute légère.
Ajoutons que Ma'ihara est le nom donné à la fille de Ta'aroari'i,
fils unique de Mahine, un des derniers ari'i de Huahine, afin de
commémorer les circonstances tragiques de la mort de son fils.
Ta'aroari'i, en effet, ayant enfreint les lois édictées par les missionnaires
interdisant les danses traditionnelles, fut condamné à courir pieds nus sur
le récif. Cette punition occasionna une
phtisie qui entraîna sa mort; il
avait 18 ans environ. Son
épouse Matafainu'u, enceinte, donna naissance,
trois mois plus tard, à une fille Ma'ihara, en souvenir des circonstances
douloureuses de la disparition de son père.
Société des Études Océaniennes
33
A la fonction indiquée par Marau de protection du patrimoine,
pouvons ajouter celle de respect du sacré (nom des ari'i) et aussi
celle de fonction mnémotechnique des événements importants touchant
nous
la communauté ou la famille du ari'i (mort du fils et de la fille de Pomare,
famine, mort de Ta'aroari'i, etc.).
A propos de Marama de 'Aimeo, Marau a
raison de corriger
l'erreur qui s'était glissée dans le texte d'Orsmond. De la même manière
que Marama est devenu 'ava'e, ra, le soleil, est devenu mahana, à cause du
ari'i Tera. Le procédé de création du terme ma-hana est le même que celui
utilisé pour ma-rama, c'est-à-dire le préfixe ma- (valeur de résultatif ou
avec) associé à la racine rama qui signifie 'lumière ou éclairer" et ma-hana,
le préfixe ma- plus la racine hana qui signifie chaleur. Le signifié
"lumière" dans 'ava'e n'existe plus et s'est substitué à celui de diviser
(division du temps).
Les procédés utilisés pour la création des
nouveaux termes
frappés par le pi'i sont peu nombreux:
la synonymie: pafa'i = 'ato "cueillir", noho = parahi "demeurer,
rester", pa = 'aua "enclos, palissade", tu = ti'a "droit, debout,
représentant", 'a'e = pa'i'uma "grimper, monter", tere = arane'e, rere =
ma'ue "voler", heiva = 'upa'upa "musique...", hopoi = 'afa'i "(ap)porter", etc;
la néologie: vai = pape "eau"....;
la métathèse: to'a = 'aito "guerrier; bois de fer";
la synthématique, c'est-à-dire la composition et la dérivation.
Les synthèmes créés par composition peuvent être des
syntagmes: ma'i'ore, maladie-négation (disparaître), 'ava'e = ava 'e
"division différente" (lune), des composés de détermination où les
morphèmes de la détermination ont disparu: Vaira'a-toa = vaira'a i ni'a i te
to'a "installation sur le to'a", Po-mare = po no te mare "nuit de toux", arane'e
(voyager) = ara i te ne'e "chemin pour se promener", etc.
Les dérivés sont peu nombreux; on trouve quelques mots formés
par affixation: pa-rahi = 'i-rahi "s'asseoir", ra = ma-hana "avec, contenant
-
-
-
-
chaleur"...
Les exemples cités par Marau et ceux que nous avons évoqués
illustrent que la coutume du pi'i, loin d'être un événement banal laissé à
l'initiative des puissants de l'époque, comme le laisserait suggérer
l'anecdote erronée de la toux de Pomare, était au contraire une véritable
institution, nécessitant une procédure rigoureuse, légitimée de plus par la
consécration sur le marae. Rappelons que le tahu'a Teao (la lumière), cité
par Marau, représentait la plus haute autorité spirituelle de cette époque.
Société des Études Océaniennes
34
Malgré cela, lorsqu'un pi'i était proclamé, quelle était l'étendue
de son influence puisqu'aussi bien nous savons qu'avant la dynastie des
Pomare il n'y avait pas de pouvoir centralisé à Tahiti? Quant aux îles,
chacune, pour les plus importantes, avait sa propre famille huiari'i, en
principe indépendante concernant l'exercice du pouvoir, mais
indépendance relative en ce qui concerne le lignage, toutes les grandes
familles, à des degrés divers, étant alliées. Ce fut d'ailleurs le coup de
maître de Itia de favoriser le mariage de son fils avec la fille de Tamatoa
et de bénéficier ainsi de l'appui des guerriers des îles-Sous-Le-Vent qui
firent ainsi basculer l'issue de la bataille de Fe'i-pi.
Indépendance encore plus relative voire inexistante sous l'aspect
religieux. L'étendue d'un pi'i recouvrait donc la zone d'influence du roi
qui l'avait proclamé, zone étendue ou au contraire fort restreinte et le pi'i
pouvait ne pas durer au-delà de celui qui l'avait proclamé. Le mot
d'origine retrouvait sa fonction initiale et la langue s'enrichissait d'un
véritable synonyme. A l'inverse, si le pi'i durait assez longtemps, le
nouveau mot avait une chance de
perdurer et l'ancien disparaissait ou
était seulement connu sous ses autres signifiés, par exemple *mimi et
'omaha, ce dernier étant seul utilisé.
Mais des questions restent en suspens. Qu'en est-il par exemple
du nom des arbres: miro = 'amae "bois de rose", 'ati = tamanu, 'autera'a =
'auari'i "badamier", purau = fau "bourao", pua = hau'ou, etc. ? Ont-ils été
l'objet d'un pi'i ou plus vraisemblablement portaient-ils ces noms
lorsqu'ils étaient sacrés? Et que dire du nom des îles dont la mémoire
conserve pour chacune d'elles deux,
trois, voire quatre noms différents?
Si certains changements nous sont connus, qu'en est-il des autres? Pi'i,
difficilement concevable, ou conquêtes guerrières, plus vraisemblables,
Marau hélas n'est plus là pour nous répondre!
Les noms de certains districts, en revanche, ont bien été frappés
par le pi'i, exemple: Turei = Ti'arei, Mehetu = Meheti'a, Teturoa =
Teti'aroa, Vai'ete = Pape'ete, Ha'avai = Ha'apape, Vai'uriri = Pape'uriri,
Vaiari
Papeari, Fa'ena = Maha'ena, Ha'arua = Ha'apiti, etc.
=
Si nous savons vers quelle époque cette coutume du pi'i a disparu
(aux alentours des années 1820 à l'avènement du petit Pomare III, comme
le signale Marau), on peut se poser
la question: à quelle époque elle est
apparue? Son origine se perd-elle dans la nuit des temps comme la
plupart des rites et coutumes d'une communauté? J'émets l'hypothèse
qu'elle ne remonte pas au-delà du 14 ème siècle (dernière migration) avec
comme
argument que le pi'i semble avoir été inconnu des Maori; en effet,
quelques exemples du vocabulaire montrent que nos cousins de
Teaotearoa (Nouvelle-Zélande) ont
gardé dans leur lexique la
Société des Études Océaniennes
35
signification d'origine des termes: tu n'est pas devenu ti'a, de même que
noho avec le sens de " s'asseoir" n'est pas devenu parahi comme à Tahiti;
vai "eau", tatari "attendre", moe "dormir" sont restés avec leurs formes et
leurs signifiés originels.
Mais cet argument n'est pas suffisant pour se prononcer avec
certitude; les Maori pouvaient, en effet, très bien connaître cette coutume
à leur départ des îles-Sous-Le-Vent sans pour autant que leur
organisation sociale se soit révélée propice à sa mise en pratique.
On voit donc que, par le biais d'une étude comparative avec les
autres langues polynésiennes, il serait possible d'identifier des termes
susceptibles d'avoir été frappés par le pi'i, principalement en ce qui
concerne le vocabulaire du fond polynésien.
Dans l'usage quotidien d'aujourd'hui, les trois situations peuvent
se
rencontrer dans l'utilisation des deux formes, originelle et altérée,
mot frappé du
-
d'un
pi'i:
la forme originelle est seule conservée (parahi / *irahi ancienne
forme),
-
-
la forme altérée est seule conservée (*mare / hota),
les deux formes sont conservées et deviennent de vrais
synonymes (vai / pape).
Une dernière remarque concerne les noms des ari'i, qui ne sont
jamais altérés par le pi'i, et il en est de même de l'ensemble de la liturgie,
dires sacrés accompagnant les rites, récits mythologiques, etc. La coutume
du pi'i ne serait-elle pas aussi une tentative de créer un langage
ésotérique réservé aux seuls initiés: ari'i et tahu'a?
Chez un peuple qui avait porté au plus haut niveau le sens de la
parole, l'amour du beau parler, la puissance créatrice des noms, quel
paradoxe que cette intervention sur le vocabulaire! Mais, justement me
semble-t-il...
Pour témoigner,
quel monument fabuleux serait, pour l'éternité, à l'abri des intempéries,
des cyclones, des raz de marées ou des tremblements de terre?
-
-
quelle institution pourrait, sans faillir, résister aux bouleversements
sociaux, aux guerres ou aux révolutions, transcender le temps et survivre
à plus d'un siècle de domination?
Pour ma part, je n'en connais qu'une: la langue.
Louise Peltzer
Société des Études Océaniennes
36
LES HYMNOLOGIES PROTESTANTES
DE TAHITI
ET
DES HAUTS PLATEAUX MALGACHES
INTRODUCTION
La richesse des chants cultuels interprétés lors de l'of ice dominical
dans les temples protestants tahitiens et malgaches a de quoi
surprendre le popaa et le vazaha. Il découvre là des polyphonies
somptueuses proches de sa propre sensibilité. S'il n'en saisit pas les
paroles, il y retrouve des timbres, des rythmes, des harmonies qui n'ont
rien d'exotique et qui se rapprochent souvent des chants luthériens et
anglicans. Ces chants sont des hymnes et cantiques, des psaumes, des
anthems, chants de louange, d'invocation, d'adoration des assemblées
protestantes.
Mais le familier peut faire place à l'étrange au cours de l'office :
certains chants interprétés par des groupes plus réduits
tranchent
résolument avec les premiers déjà mentionnés. A Tahiti, des "mélodies
autochtones, chantées à trois et même à quatre parties, sont d'un effet
extrêmement puissant, à cause de leur
rythme impeccable, de leur
tonalité en mineur, de leur point d'orgue final interminable et aussi de
leurs accords imprévus et bien polynésiens.(...) On dirait le mouvement et
le bruit des rouleaux puissants qui s'abattent en tonnerre sur le récif et
long murmure sur la grève" (Vernier, 1948, p.197). A
Madagascar, la retenue cède la place à l'engagement ; les yeux pétillent,
les corps trépignent, les voix deviennent nasillardes, les rythmes incisifs.
Un soliste se détache de temps en temps, augmentant de cette façon le
tapage joyeux des choristes.
courent en
un
Société des Études Océaniennes
37
résument l'histoire de l'hymnologie
l'hymnologie malgache. C'est en 1797 que des
missionnaires d'une société de Londres débarquent à Tahiti pour
évangéliser l'archipel. C'est en 1820 que certains de leurs collègues, issus
de la même société missionnaire, s'implantent à Antananarivo, sur les
Hautes Terres malgaches ; bien qu'ils ne soient pas les seuls à avoir
évangélisé ces deux zones, les églises protestantes d'aujourd'hui leur sont
largement redevables de leur aspect cultuel.
Pourquoi rapprocher ces deux points précis de la planète ? Parce
que, si l'implantation de la religion chrétienne s'est faite avec des
similitudes tout à fait étonnantes, l'histoire du développement du
christianisme présente elle aussi de nombreux points communs; elle
s'insère dans un cadre plus large, continuellement présent, celui de la
culture, ou plus exactement celui de la confrontation de cultures. Il est
possible de distinguer quatre phases bien délimitées historiquement dans
cette
confrontation: une première phase où deux cultures
fondamentalement différentes se côtoient sans s'inter-pénétrer ; une
deuxième phase où la culture étrangère devient dominante, où les
structures anciennes disparaissent, où une société bascule en bloc dans
d'autres références culturelles ; une troisième phase, mouvement de
balancier, réaction à la deuxième, recherchant le "paradis perdu" d'un
monde antérieur ; une quatrième enfin où l'évolution des mentalités, la
complexification des réseaux d'échange, un certain équilibre retrouvé,
permettent des évolutions intégrant des éléments multiples.
Dans le domaine musical, les quatre phases ci-dessus esquissées
ont conduit les Malgaches et les Tahitiens à des adoptions, à des créations
et à des syncrétismes tout à fait étonnants et ceci aussi bien dans le
domaine religieux que dans le domaine profane. Pourquoi les hymnes
missionnaires anglais, si différents des cultures autochtones, sont-ils
adoptés sans modification notable dès la deuxième phase de
confrontation des cultures ? Dans quel contexte et pour quelles raisons
naissent et se développent des genres nouveaux tout à fait originaux, les
himene tarava de Tahiti, qui sont des chants polyphoniques complexes, et
les hira gasy malgaches, spectacles profanes totaux associant discours,
chants et danses ? Comment expliquer enfin les syncrétisme religieux
saisissants que sont les himene ruau tahitiens et les zafindraony malgaches?
L'étude de ce panorama musical replacé dans son contexte nous permetelle de retrouver certains aspects fondamentaux de chaque culture? En
d'autres termes, une musique totalement étrangère implantée dans un
milieu précis peut-elle véhiculer de génération en génération les
caractéristiques propres à ce milieu et, au-delà, ses valeurs fondamentales?
Le familier et l'étrange
tahitienne et de
Société des Études Océaniennes
38
LA PHASE DE CONFRONTATION
Trois lieux, trois cultures
1. Les fondements
A la fin
du XVIIIème siècle, l'Europe connaît une deuxième
période expansionniste, avec deux nations-phares: l'Angleterre et la
France. Les mobiles de cet impérialisme sont multiples : exporter la
civilisation européenne, amasser des richesses, accroître sa puissance,
évangéliser et convertir les nations païennes, vérifier des hypothèses
scientifiques. Malgré les nombreuses expéditions qui ont sillonné le
Pacifique depuis la première traversée de Magellan, les Européens sont
bien loin d'avoir recensé toutes le terres émergées ; ils ne savent même
pas les contours et dimensions de ce continent austral qui doit
contrebalancer logiquement le poids des terres de l'hémisphère Nord.
C'est la dimension scientifique qui prime à la fin de ce siècle. Les
grandes traversées sont toujours entreprises avec des naturalistes qui
recensent la faune et la flore, des astrologues qui observent le ciel, des
cartographes qui répertorient les terres, des "ethnologues" qui étudient
les moeurs et coutumes des peuples rencontrés. Mais les découvreurs ne
s'implantent pas dans les terres qu'ils découvrent. Ils n'y font que de
brefs passages. C'est le cas pour Tahiti, découverte par Wallis en 1767, qui
ne sert que d'escale à Bougainville, à Cook, à Bligh.
La colonisation des nouvelles terres peut résulter d'une volonté
politique ; un Gouverneur est alors envoyé à poste fixe ; souvent un
comptoir est fondé. Elle peut résulter aussi d'une volonté religieuse. Les
deux sont parfois associées.
Les missions protestantes ont été peu nombreuses jusqu'à la fin
du XVIÏIème siècle. Mais sous l'influence du Réveil (mouvement fondé
1730 par H. Harris et G. Whitefield) et d'un contexte favorable (second
souffle de la colonisation européenne, progrès de l'art naval, mythe du
en
"bon sauvage", révolution industrielle entraînant de la richesse et donc
du mécénat) se développe en
Angleterre un fort courant religieux
missionnaire. De nombreuses sociétés des missions sont créées à
l'initiative de groupes protestants privés, souvent évangéliques (1792 :
Mission Baptiste de Londres; 1795 : Société des Missions de Londres,
future LMS ; 1799 : Société des Missions de l'Eglise ou CMS).
Tahiti et Madagascar vont être tour à tour évangélisées par les
missionnaires envoyés par la LMS. Les hommes emportent dans leurs
bagages une Bible, fondement de la foi, des livres religieux, des livres de
Société des Études Océaniennes
39
chants : psaumes (chants sacrés des Hébreux de l'Ancien Testament),
hymnes, cantiques (chants de louange, d'invocation et d'adoration), des
anthems (compositions religieuses propres à l'Eglise Anglicane).
2. La "Nouvelle Cythère"
sa
"Otahiti" n'est connue que depuis 1767 par les Européens, depuis
découverte par Wallis. L'île a été ensuite visitée par Bougainville qui
lui donne le surnom de "Nouvelle Cythère"; Cook qui y passe lors de ses
trois voyages en 1769, 1772 et 1776, Bonechea
(1772) qui y dépose les
premiers missionnaires catholiques, Bligh (1788) dont une partie de
l'équipage se mutinera. Les contacts sont à la fois très brefs (échec de la
mission de Bonechea) et épisodiques.
Tahiti est au centre du triangle polynésien. Les distances sont
énormes d'un archipel à un autre, mais l'unité ethnique et culturelle des
îles du Pacifique ne fait aucun doute. Les îles-de-la-Société, peu éloignées
l'une de l'autre, sont très homogènes et ont joué un rôle important dans
les traditions religieuses des archipels les plus proches.
Du fait de son isolement, la civilisation tahitienne est une
civilisation préservée ; nous la connaissons par les témoignages et récits
de Bougainville, J. Morrison, T. Henry, E. de Bovis, W. Ellis, etc.
Tahiti et les îles-de-la-Société ont une population dense.
L'écriture y est inconnue, mais la langue se rattache aux langues
parlées en Asie du Sud-Est.
La société est strictement hiérarchisée : les ari'i détiennent le
-
-
-
pouvoir politique (ari'i de l'île, ari'i de district), les ra'atira (chefs,
propriétaires fonciers) sont leurs vassaux. Les gens du peuple sont les
manahune (avec terre, sans terre et marginaux, prisonniers). Le pouvoir
politique s'appuie sur le pouvoir religieux.
Le clergé lui aussi est très hiérarchisé, avec à sa tête le tahua nui
ou grand-prêtre ; celui-ci est secondé par les tahua pure (prêtres
inférieurs), orero (orateurs), opu nui (serviteurs du marae), tiri (porteurs de
l'image du dieu), haerepo (récitants), taura (personnes inspirées), rauti
(conteurs). La religion est une religion polythéiste, avec de nombreuses
divinités (Tane, Tu, Ro'o, Taaroa, Oro, Hiro, Hau, Tipa, etc.). Certaines
cérémonies s'accompagnent de sacrifices humains. Les lieux de culte sont
les marae (marae familiaux et marae royaux).
Il existe, au moment de l'arrivée des Européens, dans les îles-dela-Société, une société parallèle ayant une fonction précise, celle d'animer
-
-
les fêtes, les arioi.
Société des Études Océaniennes
40
-
La vie quotidienne comporte un certain nombre de rites de
passage : naissance, circoncision, tatouage, mariage. A côté des activités
de cueillette et de pêche, les Tahitiens s'adonnent au sport, pratiquent un
artisanat développé et organisent de nombreuses fêtes avec danses et
chants.
La musique est un témoin privilégié de la cohérence d'une société
et de ses
valeurs. Malheureusement pour nous, les navigateurs sont
rarement des musiciens et les descriptions musicales sont très
sommaires.
trouve dans les cérémonies
religieuses, dans les tâches collectives, dans les spectacles et fêtes (arioi).
Les mélodies incantatoires, les généalogies sont vraisemblablement
La musique étant liée à des fonctions, on la
réservées à des spécialistes (orero).
Les instruments décrits sont en nombre assez réduits : tambours,
conques, flûtes nasales (vivo), arc musical. La voix reste, sans doute,
l'instrument le plus utilisé.
Les danses et divertissements occupent une place importante
dans la vie de la société. Elles sont accompagnées par des tambours.
Le récit de voyage de Bougainville connaît un immense succès,
qui a, sans aucun doute, influencé les Directeurs de la LMS. Tahiti
deviendra leur première terre de mission.
3. De l'Ancove à l'Ymerne.
Madagascar s'inscrit dans un cadre géographique bien différent,
mini-continent de l'Océan Indien. Si les côtes sont répertoriées depuis le
XVIème siècle par les Européens, le centre de l'île demeure inconnu
jusqu'à la fin du XVIIIème siècle (fièvres, forêt, montagne). La zone est
appelée Ancove, "pays des Hova". A cause de leur situation
géographique, les Hautes Terres ne subissent que très indirectement
l'influence européenne jusqu'à cette époque.
Le premier Européen qui visite Tananarive est Mayeur, en 1777.
Il est accueilli par Andrianamboatsimarofy, qui va être peu après vaincu
par Ramboasalama, le souverain d'Ambohimanga. Ce dernier va
s'attacher à réunifier, agrandir, pacifier le pays et va prendre le nom de
Andrianampoinimerina.
L'histoire des rois merina est connue par le recueil des traditions
orales du R.P. Callet ; depuis des siècles, les Hautes Terres ont été
partagées entre des roitelets dont le souci principal était de guerroyer afin
d'étendre leur influence.
Le pays est peuplé. On a dénombré 16000 sites fortifiés dans un
rayon de cent kilomètres autour de Tananarive.
Société des Études Océaniennes
41
La langue est d'origine austronésienne (cf. Otto Dahl). C'est une
langue agglutinante, où quantité de mots dérivent d'un même radical.
Les accents toniques sont très marqué. Le discours (kabary) est un art très
apprécié dans cette civilisation orale ; les seuls écrits avant le XIXème
siècle sont des textes médico-magiques arabes (sorabe).
La société est très hiérarchisée. Le pouvoir politique et religieux
est détenu par un roi ou une reine. Les ordres nobiliaires sont les
Andriana (nobles des familles régnantes, ou groupes anoblis en bloc ayant
rendu service à la royauté). La deuxième classe est constituée des Mainty
(Manisotra, Manendy, Tsiarondahy) ; puis viennent les Folovohitra, roturiers,
soutien traditionnel de la dynastie. Les Hova appartiennent à cette
catégorie. La dernière classe, hors société, est hétérogène ; elle comprend
les Andevo, esclaves ou sujets privés sans tombeaux, les Zazahova, citoyens
à l'origine libres qui de façon interne ont été réduits en esclavage (cf. J.P.
Domenichini).
Il n'existe par d'organisation religieuse véritable ; le Malgache
croit en un être suprême Zanahary, créateur et régisseur de l'univers. Les
intermédiaires entre la communauté des vivants et Zanahary sont les
Ancêtres (razana), c'est-à-dire tous ceux qui ont accédé à ce statut parce
qu'ils étaient prédestinés à l'être de leur vivant (rois et reines), soit par les
secondes funérailles (famadihana). On communique avec les ancêtres dans
les cérémonies de possession (tromba et bilo).
La communauté malgache est très superstitieuse : le destin
de
l'individu est tiré des événements qui accompagnent sa naissance, il y a
des jours fady, les amulettes protègent des mauvais esprits, les idoles
royales sont vénérées, les devins (mpisikidy) sont consultés avant chaque
décision importante, etc.
Les rites s'accompagnent de sacrifices d'animaux, généralement
sacrifices de boeufs.
Les activités principales sont la construction de fortifications dans
les périodes troublées, l'élevage des boeufs, la riziculture.
musique occupe une place mal connue dans la société
malgache d'avant les Européens ; elle est, sans doute, liée aux structures
de la société (souverain, religion, vie familiale) et aux travaux quotidiens
(cf. Camo). Des chanteuses royales (mpiantsa) entourent le souverain.
L'instrument caractéristique des hauts plateaux est le valiha,
instrument que l'on retrouve en Indonésie. Peut-être était-il confié à une
caste de musiciens. D'autres instruments sont décrits par les premiers
Européens : kipantsona (cymbales), sodina (flûte), amponga (tambour),
lamako (mâchoire de boeuf), faray (hochet en bambou), lokanga voatavo
La
(cithare sur calebasse), etc.
'Société des Études Océaniennes
42
L'Imerina, Tahiti et l'Europe sont trois lieux qui s'ignorent
totalement jusqu'à la fin du XVIIIème siècle ; chacun d'eux est caractérisé
par des langues, des populations, des organisations politiques et
religieuses, des coutumes différentes. Au début du XIXème siècle,
l'Europe y transplante des hommes. Comment ?
Les implantations missionnaires
Tahiti a été choisi comme premier lieu d'implantation par la LMS
pour plusieurs raisons :
le climat est sain,
-
les indigènes sont accueillants,
-
la langue semble facile à maîtriser.
-
1. L'implantation à Tahiti
Dix-huit missionnaires anglo-saxons, dont quatre accompagnés
de leurs épouses et de trois enfants, débarquent à Tahiti le 5 mars 1797.
Quatre d'entre eux sont des pasteurs (Cover, Jefferson, Eyre et Lewis), les
autres sont des artisans. Le premier accueil
des autorités politiques et
religieuses (Pomare I, Tu, le grand-prêtre Haamanemane) est chaleureux.
Un vaste hangar est mis à leur disposition à la pointe Vénus.
Les problèmes ne vont cependant pas tarder à survenir :
désillusions ; le monde polynésien n'est pas le monde idyllique décrit
par Bougainville (infanticides, dépravation des Arioi, scènes d'ivresse,
-
guerres continuelles) ;
affaire Lewis ; ce missionnaire rompt son contrat avec la LMS pour
-
épouser une indigène. Il est assassiné peu après en 1799 ;
-
affaire du Nautilus ; en mars 1798, Jefferson s'oppose à la livraison de
poudre à Pomare par le capitaine du Nautilus. Il est molesté, ainsi que
trois de ses collègues.
Les problèmes d'insécurité entraînent le départ de onze
missionnaires en 1798. Restent Jefferson, Nott, Harris, Broomhall,
Bicknell, Lewis, M. et Mme Eyre. Après une première tentative de
renflouement de la mission qui échoue (le Duff
est arraisonné en mer par
les Français), neuf nouveaux missionnaires
débarquent du Royal Admirai
en 1801.
Les guerres sont fréquentes entre les deux clans dominants: les
Pomare et les Teva. Battu en 1807, Pomare II s'exile à Moorea ; en 1808, la
LMS abandonne Tahiti. Seul Nott suit le arii dans sa retraite.
Société des Études Océaniennes
43
En 1811, sept missionnaires reviendront, mais ce n'est qu'en 1815,
après la bataille de Fei-Pi, que la réinstallation à Tahiti même sera
possible. Pomare II reçoit le baptême en 1819. L'évangélisation va alors
aller très vite, mais il aura fallu vingt ans pour réussir une mission
considérée comme facile!
2. L'implantation sur les Hautes Terres malgaches
En 1798, vingt-huit missionnaires LMS s'établissent en
Afrique
du Sud. S'impose d'emblée à leur tête le Hollandais Vanderkemp, brillant
intellectuel qui présente aux Directeurs de la LMS différents projets pour
évangéliser Madagascar. Engagés en Inde (1804-1807) et en Chine (1807),
ces derniers ne répondent pas favorablement.
Dans un contexte politique favorable (traité anglo-merina de
1817), deux missionnaires LMS débarquent à Tamatave le 18 août 1818.
Ces débuts s'avèrent tragiques et éphémères. La famille de Jones est
décimée et Bevan meurt des fièvres.
Une deuxième implantation va être tentée en 1820 par Jones sur
les Hauts-Plateaux. Quelques mois après, il est rejoint par D. Griffiths,
puis par quelques autres missionnaires (Brooks, Canham, Chick, Jeffreys
et Rowlands).
Le contexte est beaucoup plus favorable qu'à Tahiti :
-
la langue est connue. Sous l'impulsion de Robin et de Hastie, elle
commence à être transcrite en caractères latins ;
-
le pays est pacifié ; Radama 1er a constitué des marches, zones-tampon,
et les expéditions
-
militaires se font loin de l'Imerina ;
les dirigeants montrent une grande tolérance dans le domaine religieux,
d'entrave au prosélytisme.
Cependant, une volte-face brutale va se produire sous le règne de
Ranavalona 1er. A partir de 1835, tous les missionnaires vont abandonner
leur poste et ce jusqu'à la mort de la Reine, en 1861.
Les missions se réimplantent alors à Tananarive ; les progrès de
l'évangélisation vont s'accélérer de manière exponentielle à partir de
1869. Il aura fallu près d'un demi-siècle pour évangéliser effectivement le
pays merina !
et ne mettent pas
3. Les hommes et leurs idées
L'expansion missionnaire protestante est liée au mouvement du
Réveil né au XVIIIème siècle en Angleterre. Ce mouvement relativise les
distinctions ecclésiastiques, sexuelles, raciales, sociales. Il
favorise les
échanges entre sensibilités différentes ; les anglicans,
'Société des Études Océaniennes
les
44
congrégationalistes, presbytériens, baptistes, etc., sont appelés à travailler
ensemble. Il prône un certain puritanisme dans les moeurs, rejetant jeux,
danses, boissons alcoolisées. Le Réveil propose en quelque sorte une
culture idéelle.
Les hommes choisis, issus de milieux populaires, colportent ces
idéaux ; ils vont
chercher à bâtir ailleurs des sociétés de type
théocratique, calquées sur une civilisation anglaise idéalisée.
Deux types de missionnaires sont envoyés dans les mers du Sud :
des pasteurs et des artisans. Souvent ces deux fonctions sont réunies chez
une même
personne et ce sont de véritables hommes-orchestre qui
assument une quantité de rôles : artisan, maçon, médecin, linguiste,
imprimeur, instituteur, pasteur, prédicateur, conseiller politique, etc. Ils
sont jeunes, pleins de fougue, mais mal préparés à la mission qui les
attend.
Tous accordent une grande importance aux modes d'expression
développés par le Réveil : prêche, chant, magazine religieux; leur
première tâche va donc être de se familiariser avec la langue, de la
transcrire et la fixer par l'écriture.
On peut noter de très grandes similitudes entre les implantations
Madagascar, malgré les contextes culturels,
géographiques, ethniques différents. Ceci provient, sans doute, du fait
que les missionnaires sont tous issus de la même source, la LMS.
de
Tahiti
et
de
Des civilisations qui se côtoient
sans
s'inter-pénétrer
En 1797 à Tahiti, en 1820 sur les Hautes Terres malgaches, du fait
présence permanente d'Européens, les civilisations vont être
confrontées l'une à l'autre. Malgré la supériorité apparente de la
civilisation européenne et le désir des missionnaires de l'implanter au
plus vite dans les lieux à convertir, on a noté un grand décalage dans le
temps entre le début de la mission et l'implantation effective de la
nouvelle religion. Quelles sont les causes de cet immobilisme apparent ?
de la
1. Les difficultés d'implantation
Ces difficultés sont multiples :
le rapport numérique joue en défaveur des Européens. Les
sociétés à évangéliser sont peuplées. Les missionnaires (artisans et
-
pasteurs) sont en très petit nombre. Ce nombre se réduit à un seul
Société des Études Océaniennes
45
homme à certaines périodes (Nott reste seul aux côtés de Pomare II en
1808, Jones est seul pour commencer l'évangélisation des Hautes Terres).
A partir du kabary de 1835, les missionnaires quitteront
progressivement
Antananarivo (Cameron et Chick en 1835, Freeman, Johns et Baker en
1836, Canham en 1837);
les missionnaires maîtrisent mal la langue du pays. Quelques
-
mutins parlent sommairement le tahitien. La maîtrise
de cette langue est
grammaticales ; le
retardée par sa transcription et la découverte des règles
reo
maohi s'avère difficile à transcrire. Un premier dictionnaire tahitien-
anglais est achevé en 1805 ; à cette époque, les premiers missionnaires
n'ont pas encore prêché dans la langue du pays.
sera
C'est Henry Nott qui
le premier à débroussailler et à fixer la langue.
Le malgache lui aussi n'est pas encore écrit en
caractères latins, mais la
langue orale est correctement maîtrisée par les Européens. Les
transcriptions phonétiques de Robin et Hastie seront complétées et
perfectionnées par les missionnaires. En 1825, Jeffreys achève une
grammaire manuscrite:
les sociétés malgaches et tahitiennes sont très structurées, ce qui
les rend imperméables aux influences étrangères tant que les dirigeants
-
maintiennent les structures anciennes;
les arii ne permettent pas
l'évangélisation de l'île. L'insécurité ne facilite pas la communication;
les contacts épisodiques des navires européens avec les
indigènes ne facilitent pas leur tâche. Ces derniers sont loin de présenter
les valeurs que voudraient faire adopter les missionnaires.
-
les guerres continuelles que se livrent
-
Ces différentes causes ont pour effet un découragement rapide
des missionnaires envoyés à Tahiti. Mal préparés à leur mission, sousestimant les difficultés et les dangers, la plupart se font rapatrier. Quand
ils restent, ils sont extrêmement critiques envers les peuples. Les danses
toujours décrites comme diaboliques, lascives; ils jugent les
indigènes paresseux, etc.
Chacun vivant dans son monde, les rencontres de civilisation
sont difficiles entre missionnaires et indigènes, avec cependant un
décalage moins grand à Madagascar qu'à Tahiti.
sont
Mais il y a cependant des domaines
commence à
où la civilisation européenne
pénétrer dans les mondes polynésiens et malgaches.
Société des Études Océaniennes
46
2. Les premières failles.
Les dirigeants tahitiens et malgaches ne sont pas insensibles à
certains apports européens : accéder à la technologie européenne, c'est
supériorité vis-à-vis des
feu des
Européens pour vaincre les Teva, Radama 1er pour étendre ses rizières
renforcer sa puissance et donc avoir la
adversaires internes. Pomare a besoin de la puissance de
jusqu'à la mer.
Ils sont attirés par les signes extérieurs d'autorité : chevaux,
costumes, fanfares... (des musiciens du roi seront renvoyés en formation à
l'île Maurice). Ils envient certaines formes d'organisation (organisation
militaire) qui favorisent l'obéissance et la discipline. Ils vont très vite être
attirés par l'écriture qui permet de garder des traces beaucoup plus
précises des événements.
Le peuple est, lui aussi, demandeur d'objets manufacturés en
Europe ; les haches sont bien supérieures aux herminettes, les tissus aux
tapa, les clous aux cordes pour les ligatures, etc. Les indigènes se
procurent ces objets lors des contacts épisodiques avec les marins.
Les missionnaires ne peuvent et ne veulent répondre à tous les
besoins. Certaines demandes sont, par contre, porteuses d'espoir :
l'enseignement par exemple permet d'introduire des idées nouvelles, de
proposer d'autres types de société. Certains souverains sentent poindre le
danger (cf. Ranavalona 1er).
L'intrusion de la civilisation européenne ne se fait pas de front ;
l'Europe pénètre en coin dans des domaines limités, précis. Dans
l'ensemble, la civilisation d'origine et la civilisation extérieure se côtoient
beaucoup plus qu'elles ne s'inter-pénètrent.
Conclusion : Tant que les structures anciennes demeurent en place, — et
cela dépend
des dirigeants dans des sociétés très hiérarchisées, — il ne
peut y avoir implantation de culture étrangère. Si quelques domaines
semblent être retenus, ils sont en nombre limité.
A Tahiti et à Madagascar, les périodes où les cultures se côtoient
ont une fin
brutale, facile à dater : respectivement 1815 et 1861.
L'acceptation par les dirigeants de la civilisation européenne va avoir
pour conséquence un effondrement des valeurs traditionnelles et une
acculturation intense dans beaucoup de domaines.
Société des Études Océaniennes
47
LA PHASE D'ACCULTURATION
L'acculturation peut être définie comme l'adopOon d'un
ensemble de traits d'une culture dominante, accompagnée de la
disparition de traits fondamentaux de la culture d'origine.
On a vu, que pendant plusieurs décennies, les cultures
tahitiennes et malgaches côtoient ta culture européenne. Si les pays
d'accueil adoptent quelques éléments des cultures étrangères, ils
continuent à garder leurs traits fondamentaux.
Cependant, dans les sociétés où pouvoirs politique et religieux
mêmes personnes, le basculement peut se produire
très vite. Les parallèles établis entre l'évolution de Tahiti et l'évolution de
Madagascar vont le prouver.
sont détenus par les
Des sociétés fragiles
1. Le prosélytisme touche les
dirigeants
rétrospective historique montre un effort constant
d'évangélisation tourné vers les dirigeants politiques et religieux. Tu a été
l'interlocuteur de Cook ; c'est lui qui accueille les missionnaires ; ces
derniers suivent Pomare II dans son exil à Moorea, continuent à
l'instruire et à l'influencer. Ils forment son jeune fils. En même temps,
leur prosélytisme est dirigé vers un des grands prêtres du marae puisque
Patii se convertira l'un des premiers publiquement à la religion nouvelle,
La
en
1815.
La pénétration missionnaire a
Radama 1er a
été plus facile à Madagascar:
toujours montré de l'intérêt à certaines initiatives
européennes (ouvertures d'écoles, technologies nouvelles, etc.) et une
neutralité bienveillante vis-à-vis des actions d'évangélisation. Cette
attitude est adoptée dans les débuts du règne par Ranavalona 1er qui va
même jusqu'à autoriser les baptêmes en 1831. Inquiète par la progression
rapide des missionnaires européens, par les idées nouvelles qui se
propagent, la Reine met un coup de frein brutal à leur action en 1835.
Privés de leur appui essentiel, Jones et ses collègues abandonnent le
qu'avec
terrain. La LMS ne pourra se réimplanter à Madagascar
l'avènement de Radama II en 1861; et leur souci alors sera de faire ratifier
la liberté des cultes (traité signé par Rasoherina en 1865) et d'instruire
dans la religion chrétienne celle qui lui
succédera: Ramoma, la future
Ranavalona II.
Société des Études Océaniennes
48
Le souci des missionnaires est de toujours présenter la civilisation
européenne comme un tout cohérent, dont les éléments essentiels
(politiques, technologiques, religieux) sont indissociables. Les dirigeants
et les peuples sont surtout attirés par les technologies nouvelles ; les
missionnaires s'efforcent de convaincre, en en étant convaincus eux-
mêmes, que l'Occident est en avance dans tous les domaines sur les
peuples considérés par eux comme des Barbares. Devenir civilisé, c'est
adopter les techniques, la religion, les coutumes, les modes de pensée de
l'Europe.
Les souverains sont plus ou moins conscients du danger de
déstabilisation de la société qui résulte de cette approche. Le pouvoir
politique ne peut avoir le caractère absolutiste qu'il a toujours eu dans les
sociétés très hiérarchisées, la société de classes ne peut que disparaître
sous la
pression des slogans égalitaires.
2. Une christianisation massive et ses conséquences
La conversion des souverains à la
religion nouvelle va
immédiatement entraîner la masse du peuple. Cette conversion est
effective avec Pomare II dès 1813, date à laquelle il déclare renoncer aux
idoles et atua. C'est cette même année que sera fondée l'Ecole biblique de
Eimeo et inauguré le premier temple chrétien.
Deux autres faits auront,
peu après, un très grand retentissement : la conversion publique de Patii,
grand-prêtre du marae de Papetoai, et l'attitude révolutionnaire de
Pomare après sa victoire de Fei-Pi. L'évangélisation va faire alors de très
rapides progrès à Tahiti et s'étendre à l'ensemble des îles-de-la-Société:
Huahine, Raiatea, Bora-Bora, Maupiti. Les meilleurs élèves de l'Ecole
biblique de Papetoai sont mobilisés. Le point culminant de l'action
missionnaire est le baptême du arii incontesté de Tahiti, en 1919.
Le même phénomène de conversions de la population dans son
ensemble va se produire à Madagascar avec l'avènement sur le trône de
Ranavalona II en 1868, puis son baptême l'année suivante. C'est l'époque
des rebik'ondry, des "moutons de Panurge", décrite par F. Raison.
Les conséquences de la massification sont immédiates sur
l'organisation des sociétés :
de nouveaux équilibres sont trouvés dans la société ; la femme
devient l'égale de l'homme ; il semble qu'il y ait même des inversions
touchant certaines classes : les hova secondent le pouvoir royal et passent,
de ce fait, au-dessus des mainty;
des reconversions se produisent : les musiciens traditionnels
deviennent chanteurs du temple, le rôle de chef de chorale devient envié,
-
-
Société des Études Océaniennes
49
ainsi que ceux de pasteurs, prêcheurs, évangélistes.
Mais ces nouveaux équilibres ne sont pas révolutionnaires. Le
-
pouvoir traditionnel n'est pas atteint, du moins en apparence.
3. L'extension des missions européennes
Les progrès des missions sont accueillis avec enthousiasme par
les sociétés de mission. Cela va entraîner un mouvement d'amplification
de l'effort d'évangélisation par l'envoi de renforts, par l'implantation de
missions nouvelles et par le désir de christianiser des zones plus
étendues.
Huit missionnaires LMS sont engagés pour Tahiti et les îles-de-la
-Société entre 1816 et 1821 (Barff, Bourne, Ellis et Orsmond en 1816, Gyles
en
1817, Armitage, Blossom et Th. Jones en 1821). Comme dans le passé, il
y a parmi eux des pasteurs et des artisans.
A Madagascar, de nombreux missionnaires LMS s'implantent à
la réouverture du pays ; vingt-et-un noms apparaissent dans les registres
entre les années 1860 et 1870. Cette période voit aussi l'implantation de
nombreuses sociétés missionnaires : Mission catholique en
1862, SPG et
CMS en 1864, NMS en 1866, FFMA en 1868. Les missions protestantes
collaborent et évitent de se concurrencer. La conséquence de
cette
politique est une extension du terrain d'évangélisation, en pays betsileo
notamment.
Les sociétés très hiérarchisées, dans lesquelles pouvoir politique
religieux sont détenus par les mêmes personnes, s'avèrent être
La culture étrangère peut s'y implanter très
rapidement lorsque les verrous sont levés par les dirigeants. Le pouvoir
est toujours officiellement détenu par les autochtones, mais ceux-ci se
et pouvoir
des sociétés fragiles.
réfèrent à des sources étrangères au pays.
Les missionnaires au pouvoir
toujours accordé une importante
primordiale à l'apprentissage de la langue, à l'écriture, à l'instruction. Ces
priorités vont se révéler vite indispensables au développement des
pays,et vont leur permettre de consolider leur emprise sur le pouvoir
politique en place.
Les missionnaires ont
Société des Études Océaniennes
50
1. L'écriture et l'imprimerie
Les civilisations tahitiennes et malgaches sont, à l'arrivée des
Européens, exclusivement ou essentiellement orales. L'écriture est pour
les missionnaires un moyen de fixer la langue ; ils associent quelques
personnes à leurs travaux de déchiffrement puis de codage, en
particulier, pour Tahiti, Pomare II. Ainsi les dirigeants sont très tôt
sensibilisés à cet aspect fondamental de la civilisation européenne.
Les missionnaires s'attellent prioritairement à une grande tâche :
celle de la traduction de la Bible (1818, Evangile de Luc ; 1819, Evangile
de Jean et Actes des Apôtres, Petits Prophètes, Pentateuque ; 1825,
Evangile de Marc ; 1829, traduction intégrale du Nouveau Testament ;
1835, traduction intégrale de l'Ancien Testament).
Dès que la langue est maîtrisée et que le besoin s'en fait sentir
pour toucher un grand nombre de personnes, les missionnaires réclament
une
presse et la font venir d'Angleterre. C'est Ellis qui apporte la
première presse en Polynésie, en 1817, et l'installe à Afareiatu (Moorea).
Le premier livre de lecture tahitien commence à être imprimé peu après.
A partir de 1818, les Evangiles sont imprimés un à un ; l'impression totale
du nouveau Testament sera faite en 1829 et celle de l'Ancien Testament
en
1836, en Angleterre.
Sont imprimés parallèlement des abécédaires destinés aux
écoliers, des abrégés des Evangiles, des catéchismes, des recueils
hymnologiques (1818-1827), le code des lois civiles (1819).
A Madagascar, après la période de l'apprentissage de la langue et
des manuscrits, arrive en 1827 une presse apportée par Hovenden. La
mort de l'imprimeur n'empêche pas Cameron de sortir rapidement les
premiers textes imprimés: les Dix commandements (!) et l'Evangile de
Luc. Suivront un Catéchisme, un livret d'hymnes (1828), le Nouveau
Testament (1830), la Bible entière et un dictionnaire anglais-malgache et
malgache-anglais (1835). Sous Ranavolana 1er, les impressions sont
réalisées en Angleterre. Elles reprendront à Tananarive à la
réimplantation des missions.
L'écrit joue un rôle très important dans l'Evangélisation. Il
constitue un moyen efficace de prêcher et d'instruire. Les textes imprimés
en priorité sont: la Bible, le catéchisme et les
cantiques. La parole de Dieu
est pour tout protestant la
source première de connaissance, le catéchisme
a un rôle
pédagogique et prosélytique, le chant manifeste la joie de la vie
chrétienne.
Les missionnaires ne se cantonnent pas au domaine religieux ; ils
l'élargissent au domaine civil pour les Codes de Loi entre autres.
Société des Études Océaniennes
51
Tahiti et Madagascar basculent ainsi d'une civilisation orale à
les référents essentiels ne sont plus les mêmes, les
peuple ne sont plus confiées aux spécialistes
traditionnels. Les détenteurs de l'écrit sont les détenteurs du pouvoir.
La compréhension et la diffusion de l'écrit vont se faire par le
une civilisation écrite ;
"mémoires" du
canal des écoles missionnaires.
2. Le développement des écoles et de l'instruction
Les missionnaires de la LMS ouvrent aussi
rapidement que
possible une école, cela répond à un double objectif: se former et former.
Ainsi ils apprennent plus rapidement la langue, la consolident, la
perfectionnent et ils évangélisent et sensibilisent à la religion nouvelle par
le même canal.
Les grosses difficultés matérielles rencontrées en Polynésie par
les pionniers expliquent une ouverture d'école relativement tardive ; ce
n'est qu'en 1813 qu'est fondée à Papetoai (Moorea) la première école
biblique ; elle inscrit à ses débuts une quarantaine d'élèves. Seront
fondées ensuite 1'"Académie des Mers du Sud" (Orsmond 1821), à
Afareiatu (Moorea), et à Tahiti même l'école de Paofai dans laquelle
enseigne le jeune Pritchard.
Sur les Hautes Terres de Madagascar, seulement deux mois après
arrivée, Jones ouvre une école à Andohalo qu'il destine aux enfants
andriana ; une école pour les enfants d'origine populaire est ouverte
son
quelques mois plus tard par Griffiths. L'effort d'instruction s'amplifiera
après la parenthèse du règne de Ranavalona 1er (un "maître d'école" fait
partie des missionnaires envoyés par la LMS en 1861, une Ecole Normale
est ouverte en 1862).
en
Si les écoles missionnaires n'atteignent leur plein développement
Polynésie qu'après quelques années de fonctionnement, elles
connaissent par contre un vif succès à Madagascar dès leur
fondation.
Quatre mille personnes savent lire en imerina en 1825, trente mille élèves
ont été formés au départ de la LMS en 1835.
L'école est un puissant moyen d'instruction, donc d'acculturation
puisque ce ne sont plus les traditions orales qui y sont enseignées, mais
les modes de pensée, la culture, les valeurs, la religion des Européens. A
de l'Europe peut s'affirmer. L'exemple de
Madagascar illustre parfaitement la puissance de l'enseignement ; les
écrits des premiers missionnaires vont être pieusement gardés et seront
retrouvés intacts 35 ans après, à la réouverture du pays.
travers ce canal, la suprématie
Société des Études Océaniennes
52
3. La construction d'édifices
Le pouvoir des missionnaires se traduit aussi matériellement par
la construction d'édifices. Les
temples témoignent de l'appui
inconditionnel des dirigeants.
Le premier temple protestant est ouvert à Papetoai (Moorea) en
1813, en même temps que l'ouverture de l'Ecole biblique. Les visées
expansionnistes de la religion chrétienne sont parfaitement visibles avec
l'inauguration en 1819 de la grande chapelle royale de Arue (200 mètres
de long sur 16 de large, 133 fenêtres, 29 portes, 3 chaires !). Ce bâtiment
pouvait contenir plus de 6000 personnes. Il ne reste plus rien aujourd'hui
de cette construction, ainsi que des nombreux temples en bois élevés au
long du XIXème siècle.
C'est en 1831 qu'est fondée à Madagascar la première église LMS,
à Ambatonakanga. Si les édifices en bois sont encore construits par la
deuxième génération missionnaire (1865, Mahamasima ; 1866,
Ambohimitsimbina), ils sont relayés de plus en plus par les édifices en
pierre. Sont érigés sur les lieux mêmes où ont été exécutés les premiers
martyrs quatre temples mémoriaux (1867, Ambatonakonga ; 1868,
Ambohipotzy ; 1870, Faravohitra ; 1874, Ampamarinana).
Les édifices qui se dressent sont un symbole très fort de
l'implantation de la nouvelle religion et de sa solidité et un signe de la
puissance des missionnaires.
4. Le remplacement des structures anciennes
Ce qui fait la force véritable des missionnaires est qu'ils ont des
structures à proposer en remplacement
de toutes celles qui s'effondrent ;
et les bouleversements touchent tous
les domaines de la société,
économique, politique, religieux.
Le domaine économique a été le premier domaine où l'intrusion
de l'Europe s'est réalisée, même pendant la période de côtoiement des
cultures. Ce domaine n'est pas réservé aux missionnaires LMS ; certaines
techniques européennes sont introduites par des hommes sans aucun lien
avec les missions
religieuses, hommes qui, à Madagascar, auront
l'autorisation de continuer à oeuvrer au développement du pays.
Laborde est de ceux-là.
Au contact des Européens, beaucoup d'objets nouveaux se
généralisent : objets en fer, vêtements, armes, instruments de musique,
etc. Certains métiers disparaissent : fabrication des tissus à base d'écorce,
techniques de pêche, assemblage des pirogues, etc. Les confréries
spécialisées périclitent.
Société des Études Océaniennes
53
Dans le domaine social, la société dans son ensemble a tendance à
s'uniformiser, les avantages conférés à certaines catégories d'individus
n'ayant plus lieu d'être reconduits. Le mot manahune n'est plus employé ;
le peuple est désormais appelé hui ra'atira. Les missionnaires prônent un
certain puritanisme des moeurs, condamnant danses, alcool, débauche.
La monogamie se substitue à la polygamie. L'infanticide disparaît.
Mais c'est encore dans le domaine religieux que la coupure avec
les anciennes organisations est la plus nette. Les marae ont été
abandonnés et sont maintenant remplacés par les temples ; les idoles ont
été détruites, la sorcellerie remplacée par la prière, les fêtes païennes
abandonnées. Le dimanche devient le jour du Seigneur, le calendrier
chrétien est adopté. L'Eglise protestante est très hiérarchisée (pasteur
européen, pasteurs, diacres et catéchistes indigènes, chrétiens confirmés,
membres de l'Eglise, reste des fidèles).
Ainsi, forts de leur influence, les missionnaires proposent et
mettent en place des structures de remplacement, dans tous les domaines
de l'organisation de la société. Il y a alors une sorte d'inversion du
pouvoir ; les missionnaires, peu nombreux et totalement dépendants des
pouvoirs politiques en place, acquièrent une position prépondérante et
deviennent les véritables détenteurs du pouvoir. Toute la population est
touchée ; cela provoque une acculturation extrêmenent rapide. Dans ce
contexte, comment la pénétration de la musique européenne se fait-elle ?
L'apport hymnologique
Le chant tient une place importante dans les modes d'expression
privilégiées par le Réveil. Tous les missionnaires emportent dans leurs
bagages des Bibles, mais aussi les recueils de chants en usage à leur
époque en Angleterre. L'un de ces recueils est vraisemblablement Y Union
Harmonist. Aucune référence des livres d'hymnes anglais utilisés
n'apparaît à Tahiti et il faut attendre 1879 pour Madagascar.
1. Les textes hymnologiques
Les textes emportés ont pour auteurs des écrivains européens,
anglais le plus souvent. La première tâche est de traduire les textes
d'origine, ou de les adapter, puisque pour les protestants le culte utilise
dans tout son déroulement la langue vernaculaire. D'abord manuscrits,
les textes sont imprimés sous forme de feuillets séparés, puis ensuite
reliés en livrets. La première impression d'hymnes tahitiens est faite à
Société des Études Océaniennes
54
Huahine en 1818, la deuxième à Tahiti en 1827. Cette dernière comporte
deux cent trente-six textes anonymes ; seules les paroles sont indiquées.
Le premier volume d'hymnes malgaches est tiré à huit cents exemplaires
en
1828 ; il comporte soixante-quinze cantiques. Des rééditions élargies
avec
des tirages beaucoup plus importants auront lieu en 1831 et 1835.
Pendant le règne de Ranavalona 1er et même au-delà, l'Angleterre
prendra le relais (1849,1853,1864).
La métrique, c'est-à-dire le nombre et la longueur des vers, est le
plus souvent indiquée dans les éditions successives (CM=Common
Meter, LM=Long Meter, SM=Short Meter, etc.). C'est une tradition dans
le psaultier britannique et cela sert, sans doute, à faciliter une adaptation
rigoureuse du texte à la musique originale. Les monnayages pour adapter
un nombre de
syllabes déterminé à un dessin rythmique préexistant sont
très rares.
Les textes sont toujours en lien étroit avec les sujets bibliques ; ce
adaptations de l'Ancien ou du Nouveau Testament, des
principes de vie chrétienne, des louanges à Dieu, etc. Les problèmes de
l'adaptation textuelle aux référents anglais sont de plusieurs ordres :
les langues indigènes sont plus ou moins concises que l'anglais
et une idée, parfois une traduction en nombre de mots et de syllabes,
beaucoup plus développée que la langue de référence;
problème de la rime;
problème de l'accentuation des mots. Ce problème est très
important à Madagascar, car la langue est construite sur les
sont des
-
-
-
accentuations.
Tous ces problèmes ont été mal maîtrisés à Madagascar par les
missionnaires de la première génération (cf. Richardson et Hewlett).
Le renouvellement du répertoire est toujours fait dans le même
esprit, le texte anglais servant de base. Examiné sous son aspect textuel,
l'apport hymnologique est en rupture complète avec les connaissances et
les traditions indigènes et même, dans certains cas, les "déculturalise" de
leur propre langue orale.
2. Des musiques européennes
Les chants issus de la Réforme respectent les principes édictés par
Luther : mélodies et rythmes simples de façon à pouvoir être chantés par
toute l'assemblée, harmonisation à quatre voix pour
dans
les chorales exercées
style "note contre note", accompagnement facultatif
d'harmonium ou d'orgue, formes simples (couplet/refrain ou format
strophique). Les compositeurs sont très variés ; beaucoup sont des
compositeurs de la Réforme, d'autres ont marqué de leur empreinte la
un
Société des Études Océaniennes
55
composition musicale (Haydn, Mozart, etc.). Les compositeurs ne sont
presque jamais les auteurs des paroles.
Tout ceci est repris, sans aucune modification, à Tahiti et à
Madagascar. Toutes les musiques et harmonisations sont européennes ;
bien que certains pasteurs aient eu des compétences musicales, ils n'ont
jamais créé des musiques nouvelles. Toutes les mélodies sont identifeées
par un mot-clef, qui est parfois indiqué dans les recueils malgaches ou
tahitiens. Ceci est aussi une tradition des psaultiers anglais. C'est, pour
les recueils les plus anciens, la seule référence à la musique d'origine,
puisque ne sont notés sur les livres d'hymnes que les textes des chants.
La dimension polyphonique est-elle introduite par les premiers
missionnaires ? Vraisemblablement, mais aucun témoignage ne permet
de l'affirmer. Cependant, cet aspect est retenu par la notation introduite à
partir des années 1870 dans les livres d'hymnes malgaches. Ce n'est pas
une notation sur portée.
3. La notation des hymnes en "tonic sol-fa"
Un moyen d'écriture et de lecture simplifiée a
été mis au point
par l'Anglais James Curwen, baptisé système "tonic sol-fa". De façon à en
rendre plus facile l'exécution vocale, tous les textes sont transposés dans
les tonalités majeure de do ou mineure de la, de façon à éviter au
maximum les altérations. La référence à la hauteur du diapason est
indiquée par une lettre majuscule (KeyA = do placé à la hauteur du la du
diapason). Les notes ne sont plus écrites dans la portée, mais transcrites
phonétiquement (d pour do, r pour ré, t pour ti, si anglais, etc.).
Les valeurs rythmiques utilisées s'inscrivent toutes dans six
mesures de base (2/4, 3/4, 4/4, 6/8, 9/8 et 12/8). Les barres de mesure
sont conservées ; elles précèdent toujours les temps forts. Les temps
faibles sont précédés du signe
Une valeur qui se prolonge est suivie
du signe
Un silence est marqué par un espace, l'écriture respectant
strictement dans la notation la longueur des notes et des silences.
Les changements courts
de tonalité se font par l'emploi de notes
altérées (do = de, sib = ta), les changements longs par un changement de
clé (KeyE... KeyB, D'f, la petite note appartient à
l'ancienne clé, la grosse à
la nouvelle). Les changements sont faits à la place la plus commode et
non de
façon harmonique.
Le missionnaire Richardson introduit le système "tonic sol-fa" à
Madagascar en 1870. Avec Toy, il en sera le grand propagateur. (Il semble
que le système "tonic sol-fa" n'ait jamais été introduit à Tahiti).
Société des Études Océaniennes
56
Le premier recueil écrit en
sol-fa est de Pool (1873). Le livre
d'hymne édité en 1875 par la LMS paraîtra sous deux formes: l'une
traditionnelle, textes seulement, l'autre avec notation des hymnes en solfa. Le système est encore en usage dans les temples protestants
malgaches.
La notation en "tonic sol-fa" est parfaitement adaptée à
l'hymnologie protestante ; elle permet un apprentissage rapide.
Cependant, elle ne permet pas d'intégrer d'autres types de musique. Là
aussi l'écrit est un élément d'acculturation extrêmement efficace.
4. Des instruments nouveaux
leur arrivée
précis dans
ce domaine. On sait qu'ils marquaient beaucoup de réserve envers les
De quels instruments disposaient les missionnaires à
à Tahiti et à Madagascar ? Nous n'avons pas de témoignage
instruments profanes comme le violon.
favorisé à Tahiti
puisque encore aujourd'hui la grande majorité des chants du temple sont
Il semble que l'aspect purement vocal ait été
chantés a capella.
Beaucoup d'instruments européens ont été introduits à
Radama I,
de ses musiciens
Tananarive dès les premières installations missionnaires ;
attiré par les fanfares occidentales, avait envoyé certains
se
former à l'île Maurice. Jones lui-même aurait introduit la
flûte
traversière en 1818 et Keturah Jeffreys aurait donné des leçons de piano
aux
alentours de 1824 (cf. Belrose Huygues, 1980). Rason signale que
Radama II.
dans le
pays et que les indigènes ont même commencé à en fabriquer. Le premier
Laborde et le père Finaz auraient fait don du premier piano à
Sibree signale en 1873 que de nombreux harmoniums existent
orgue a été installé dans le temple du Palais.
L'aspect instrumental est un puissant levier d'acculturation; avec
leurs notes tempérées, les claviers forment rapidement l'oreille à
des
gammes précises.
Le chant
tient
une
place importante dans le culte des
missionnaires. L'expression musicale étrangère, pourtant en tous points
différente des expressions autochtones, est intégrée au temple aussi bien
à Tahiti
qu'à Madagascar, avec les formes d'expression qui lui sont
propres. Il n'y a pas de mélange. C'est donc un facteur d'acculturation, de
la même importance que bien d'autres aspects.
Société des Études Océaniennes
57
Conclusion : La période qui suit le côtoiement des cultures est un temps
d'acculturation puisqu'il y a, dans tous les domaines, une
substitution
d'une culture étrangère à la culture d'origine. L'un des éléments
essentiels de l'acculturation est l'écrit qui, dans le domaine musical, se
fait de plus en plus précis.
Différentes phases sont à distinguer, qui rendent cette deuxième
période plus délicate à dater que la première :
une phase d'imprégnation, qui ne touche que les dirigeants et
quelques indigènes. Les missionnaires essaient de prouver que tous les
aspects de la civilisation européenne sont liés et donc indissociables;
une phase d'extension : elle commence en 1815 à Tahiti, en 1865
à Madagascar. A la conversion officielle des détenteurs du pouvoir, la
population se convertit en masse. En quelques années, un basculement
total se produit. Les structures anciennes disparaissent et sont remplacées
par de nouveaux réseaux. Les missionnaires s'avèrent être les véritables
détenteurs du pouvoir;
une phase de consolidation : le temps qui passe amène d'autres
générations, ce qui accélère encore la coupure avec la civilisation
première.
Les missionnaires, même s'ils jouent un rôle prépondérant dans
l'adoption de la culture européenne, ne sont pas les seuls à détruire les
vestiges du passé ; les indigènes sont aussi en contact avec des marins de
passage, des colons, des conseillers politiques, des commerçants de plus
en
plus nombreux.
L'uniformisation des sociétés, leur basculement inconditionnel
-
-
-
vers
l'Europe vont entraîner, cependant, des phénomènes de retours en
arrière. Quels sont ces phénomènes et quelles conséquences
auront-ils
dans le domaine musical?
LA PHASE DE CREATION
L'écrit fige la production orale et est donc un
élément-clé dans
l'acculturation. Or, il demeure des différences entre l'écrit, émanation
directe de la culture étrangère, et l'interprétation orale sur
le terrain.
Richardson, puis Hewlett, à Madagascar, s'en inquiètent.
années ou quelques décennies après la phase
d'adoption de la culture étrangère, se produisent des mouvements de
rejet plus ou moins violents. Tous ces mouvements cherchent à intégrer la
culture autochtone ; ils se présentent donc comme des retours en arrière.
De plus, quelques
Certaines réactions sont perceptibles dans la vie quotidienne,
aucune n'a
l'ampleur des mouvements décrits ci-dessous.
Société des Études Océaniennes
mais
58
Les réactions
1. Les mamaia de Tahiti
Le mouvement des mamaia prend naissance en 1826 à Tahiti. Il
représente une tentative d'unification entre l'ancienne religion
polynésienne et la religion chrétienne. De la première, il garde l'aspect
matérialiste en festif : danses, tatouages, beuveries, orgies. De la seconde,
il recherche une légitimité (croyance en Jésus-Christ et en l'inspiration
divine) et conserve certains aspects cultuels : prières collectives, lecture
de la Bible.
Ce mouvement est fondé par Teao, diacre de l'Eglise de
Punaauia, et par Hue. Profitant de la jeunesse de la Reine et de la
protection de certains chefs, les mamaia font de nombreux adeptes. Les
missionnaires réagissent vigoureusement, aidés par quelques chefs, dont
Tati, Hitoti, Upaparu, Utami, Paofai. Des combats se produisent dans la
presqu'île en 1832, mais le mouvement ne s'éteindra réellement qu'en
1834.
2. Les réactions à Madagascar
A
Madagascar, les réactions se produisent de façon plus
sporadique ; certaines sont en rupture totale avec le christianisme,
d'autres ont un aspect plus syncrétique ; mais toutes puisent leur source
dans un passé pré-européen.
a. La
construction des tombeaux
Entre les années 1870 et 1880, la construction des tombeaux
prend une ampleur inaccoutumée. La construction d'un tombeau met en
valeur une lignée, est une preuve de réussite sociale par les dépenses
qu'elle occasionne. En soi, ce mouvement n'est pas incompatible avec les
valeurs chrétiennes et constitue peut-être une tentative de syncrétisme,
comme
peuvent en témoigner les musiques qui accompagnent les
cérémonies.
Les cérémonies elles-mêmes ont un caractère beaucoup plus
païen et peuvent contredire les valeurs essentielles du christianisme,
l'ancêtre devenant le protecteur privilégié. Une des conséquences de la
construction des tombeaux est la généralisation des famadihana, ou
secondes funérailles
parfois ignorées, parfois tolérées, par les
missionnaires.
Société des Études Océaniennes
59
b. Les tnenamaso et les ramanenjana
Les menamaso sont les compagnons de jeunesse de Radama II.
Insouciants, débauchés, provocateurs, ils accumulent très vite sur eux,
après l'accession du roi au pouvoir, les motifs de mécontentement.
Radama II ne pourra les sauver d'un massacre collectif en 1863 ; peu
après, se développent des phénomènes de possession: les ramanenjana. La
possédée, généralement une jeune fille ou une jeune femme, rentre en
transes et se met à danser sur les tombeaux.
Les
ramanenjana réapparaissent à partir de 1872, dans les
campagnes, à l'époque de la moisson du riz. Beaucoup de Malgaches
voient dans ces possessions une intervention indirecte de Ranavalona 1er;
ils représentent une réaction à l'autorité missionnaire et un retour à
certaines formes de croyances héritées d'un passé pré-européen.
c. La
dissidence tranozozoro
Cette dissidence se produit plus
tard, dans un contexte
politique qui a largement évolué. La guerre franco-merina a été déclarée
en 1894 ; elle s'est achevée par un traité de protectorat signé par la Reine,
le 1er octobre 1895. Très peu de temps après, le missionnaire anglais
d'Arivonimamo est assassiné, ainsi que sa famille. L'insurrection gagne
plusieurs zones. Les insurgés qui se dénomment les menalamba, "ceux à la
toge rouge", puisent leurs forces dans des valeurs traditionnelles, felana,
ody, sampy.
Il faudra l'intervention énergique de Galliéni (exécution de hauts
dignitaires, déportation de la Reine), pour mater l'insurrection. Les
derniers résistants se rendent en 1897 et en 1898.
3. Causes et conséquences de ces réactions
A Tahiti comme à Madagascar, les réactions se produisent
quelques années après la période des conversions massives.
Les causes en sont diverses :
cela peut être dû à la localisation ; il demeure toujours un
-
décalage entre les mentalités urbaines, plus sensibilisées au "progrès", et
les mentalités rurales, plus enracinées dans les traditions. Moins
densément évangélisées, les campagnes s'acculturent beaucoup moins
vite;
disparition des structures anciennes a bouleversé un
équilibre dans lequel une certaine partie de la population avait des
privilèges. La disparition de ces privilèges s'accompagne d'un certain
-
la
mécon ten temen t;
Société des Études Océaniennes
60
il y a encore un grand décalage entre la culture missionnaire et
la culture autochtone ; l'instruction, certes, se généralise, mais elle en est
-
encore
à ses débuts et la formation des nouveaux évangélistes demeure
très sommaire;
-
la cause la plus importante demeure, cependant, la prise de
conscience du pouvoir des étrangers, accompagné de l'affaiblissement du
pouvoir des autorités autochtones, et d'une crise économique qui affaiblit
le pays. Les lois strictes qui régissent maintenant la vie de la société sont
souvent perçues comme des contraintes sans aucun fondement. Le pays
s'appauvrit quand les pays européens exigent dos compensations pour
les torts subis.
Ces mouvements profitent aussi des divisions et rivalités qui
apparaissent chez les étrangers : pouvoir politique et pouvoir religieux
sont loin de toujours s'épauler, la société européenne idéalisée
prônée par
les missionnaires est bien souvent contredite par les contacts épisodiques
des marins de passage, les missionnaires sont eux-mêmes parfois divisés.
Dans un contexte fondamentalement différent, chacune des
réactions ne peut aboutir à ce qui est pourtant recherché : l'équilibre qui
existait avant l'arrivée des Européens. Il ne peut y avoir au mieux qu'un
syncrétisme, c'est-à-dire une réinvention de culture. Dans chacun des
mouvements, la musique tient une place importante ; mais dans ce
domaine aussi, les formes, les mélodies, les instrumentations anciennes
plus connues, elles sont réinventées. Deux genres syncrétiques
parfaitement originaux le prouvent, ce sont les himene tarava tahitiens et
les hira gasy malgaches.
ne
sont
Les himene tarava
1. Définition du genre et description
Les himene tarava sont des chants polyphoniques comportant de
6 à 8 voix, interprétés par un grand nombre d'exécutants, hommes et
femmes, sans accompagnement instrumental. Le timbre des voix est
nasillard ; l'intensité est toujours fortissimo, sans nuances. Les chanteurs
sont assis en demi-cercles
concentriques, les femmes devant, les hommes
derrière. Ils sont dirigés par un chef de choeur (ra'atira himene) qui
exécute des pantomimes plus qu'il ne bat la mesure. De temps en temps,
plusieurs chanteurs se lèvent et imitent le ra'atira.
La musique du chant n'est jamais notée sur portée. Elle se
transmet par tradition orale. Le texte est en tahitien. Il
peut être profane
ou
religieux sans que les caractéristiques musicales changent.
un ou
Société des Études Océaniennes
61
îles-de-la-Société.
Ce genre musical est répandu dans toutes les
Certaines caractéristiques permettent de préciser la provenance
d'un
himene tarava.
2. Les voix du himene tarava
La polyphonie naît de la
superposition de strates sonores ayant
chacune sa fonction, son timbre, son nombre d'exécutants. La fonction
prime sur la notion de tessiture.
Le fondement du chant est donné par les ha'u, voix d'hommes
-
qui ont un espèce de bourdon en bouche fermée, alternant parfois avec
des effets gutturaux et des battements de mains. Les voix marquent un
appui pulsatoire. Les mains des chanteurs sont en cornet devant le
visage. Le groupe des ha'u comporte généralement une quinzaine
d'exécutants.
-
La deuxième strate est constituée par l'ensemble des voix qui
disent le texte. Elle comprend une voix d'hommes et
deux ou trois de
femmes, en homorythmie. La fin de chaque strophe est marquée par un
long point d'orgue.
*
La voix d'hommes est appelée maru tamau.
ostinato qui s'étend sur une ou
Ce pupitre a un
deux mesures; les voix sont pleines,
chantent dans le médium. La mélodie peut se casser sur la quatrième
pulsation de chaque mesure et le vers être amputé en conséquence de
quelques syllabes. Le groupe est aussi nombreux que celui des ha'u.
La première voix de femmes est le fa'a-'ara'ara'. Ce pupitre a un
ostinato étalé sur deux mesures. L'ambitus des voix est plus large que
pour les autres pupitres. Une des femmes du groupe entonne seule le
début de chaque strophe.
La deuxième voix de femmes est le para'u para'u. A l'exception
du premier vers de chaque strophe, ce pupitre a l'intégralité du texte. Il
reproduit, étalé sur une ou deux mesures, un ostinato mélodique
d'ambitus réduit, souvent à l'unisson avec 1 e fa'a-'ara'ara'.
La troisième voix de femmes est le huti. C'est un pupitre fourni
*
*
*
qui produit lui aussi un ostinato mélodique étalé sur deux mesures. La
première partie de Yostinato est en homophonie avec le para'u para'u, la
deuxième est une note tenue, ou une vocalise. L'ambitus de la voix est
resserré.
-
La troisième strate se compose des solistes:
perepere. Ils enrichissent le
tahape, maru teitei et
chant rythmiquement, mélodiquement,
harmoniquement. Ils renforcent le volume sonore et diversifient la palette
des timbres. Ils étendent la tessiture. Ils interviennent en improvisant.
Société des Études Océaniennes
62
temps". Cette
éléments tirés du texte et
Le tahape est "celui qui ne chante pas en même
*
voix qui a des motifs en imitation, combine des
des vocalises. Cette voix est généralement confiée à deux femmes.
Le maru teitei se présente comme un relais entre deux voix
*
de
femmes. L'ambitus est assez large, la voix à la limite du crié. Les maru
teitei sont en complémentarité ou en homorythmie avec les voix
de la
deuxième strate.
*
Les perepere sont des voix très aiguës, dont le timbre est presque
métallique. Les solistes, en petit nombre, hommes ou femmes, produisent
des arabesques qui sont souvent de simples vocalises. Le rythme est libre.
3. L'aspect textuel
Le moule musical est identique pour les textes
profanes et pour
les textes religieux.
Les textes profanes sont des légendes, des textes
faisant l'éloge
du pays, du district. Ils sont très recherchés, écrits dans une
langue
parfois archaïque, toujours poétique, avec souvent un double sens des
paroles. La ou les premières strophes sont consacrées aux remerciements
et aux salutations des autorités.
Les textes religieux
sont des citations de l'Ancien ou du
Nouveau Testament, des commentaires de textes sacrés, des anecdotes à
caractère religieux (arrivée des Evangiles à Tahiti...).
strophique. Le nombre de vers
peut varier d'une strophe à l'autre. La rime n'est pas systématiquement
Le texte se présente sous forme
recherchée.
4. Caractéristiques musicales
a.
Aspect rythmique
L'appui pulsatoire est très marqué, dans une carrure à 4/4 très
rigide, qui ne s'assouplit qu'en fin de strophe (rallentando et points
d'orgue). La fourchette des tempi est très resserrée et se situe autour de
noire = 106 pulsations/minute.
Les rythmes sont nerveux et incisifs, souvent syncopés. Les
monnayages sont utilisés pour adapter les paroles au cadre de la mesure.
Les voix de la deuxième strate sont en homorythmie. La
polyrythmie naît des improvisations des solistes.
b. Aspect mélodique
Les himene tarava ont adopté les degrés stabilisés de la musique
occidentale.
Société des Études Océaniennes
63
La note fondamentale (tonique) est toujours très marquée (note-
pivot, tenues, unissons). Les échelles sont souvent détectives, avec une
prédominance des échelles pentatoniques anhémitoniques. Elles
s'enrichissent dans les registres aigus.
L'ambitus des voix est relativement resserré, sauf pour les voix
solistes.
c.
Aspect polyphonique
de procédés, les uns
plurilinéaires (bourdon, parallélisme, homophonie), les autres
proprement polyphoniques (ostinato, imitation, contrepoint mélodique):
bourdon : les ha'u font un bourdon dans le grave, les maru tamau
les
et
para'u para'u ont des bourdons fleuris, sur la dominante et sur la
La polyphonie résulte d'une combinaison
*
tonique;
*
parallélisme : les parallélismes de quarte sont fréquents entre les
voix d'hommes et les voix de femmes de la deuxième strate. Les voix de
femmes sont souvent parallèles à la tierce;
^homophonie : c'est la caractéristique essentielle de la deuxième
strate;
*
ostinato : la première et la deuxième strates ont des
"cellules-
clefs" étalées sur une ou deux mesures;
imitation : cet élément est introduit par les voix solistes.
""contrepoint mélodique : réalisé systématiquement par les tahape
et, occasionnellement, par les autres solistes.
*
Aucun des procédés polyphoniques
énumérés n'est utilisé de
façon systématique dans l'ensemble du chant. Les tarava sont des
constructions polyphoniques qui se renouvellent sans cesse.
d. La forme
La forme est la structure interne de l'oeuvre. C'est la répétition
qui engendre la durée dans les himene tarava, ainsi que le nombre et la
longueur de chaque strophe.
Chaque strophe, délimitée par l'entrée du faa'ara'ara et par le
point d'orgue final, est bissée ; très souvent, le dernier vers ou les deux
derniers sont aussi répétés.
Dans les tarava des îles-Sous-Le-Vent, il y a parfois plusieurs
parties, se distinguant par des changements de tempi et/ou des styles
contraires.
Société des Études Océaniennes
64
e.
Caractéristiques diverses
Les tarava sont des chants qui sont interprétés à pleine voix, sans
aucune nuance.
Les variations d'intensité résultent du nombre de
chanteurs mobilisés. Les perepere attendent notamment un certain climax
avant de produire leurs
guirlandes sonores.
Les timbres sont plus ou moins
nasillards, selon l'origine
géographique du chant.
Il peut y avoir des mélanges de style, les himene tarava débutant
par une introduction ruau (chants polyphoniques aux caractéristiques
polyphoniques plus simples), ou rappelant les tuki (chants des îles Cook).
5.Rétrospective historique du genre
Plusieurs éléments devraient nous permettre de situer l'origine
du chant, soit avant l'arrivée des Européens, soit après (la terminologie et
les éléments textuels, l'examen des témoignages, l'analyse des éléments
musicaux).
terminologie est, en partie, européenne ; le terme péhe était
jadis utilisé pour désigner le chant (himene est l'adaptation du mot
"hymn", tarava = qui s'étend).
Les textes sont créés de nos jours ; môme s'ils reprennent des
expressions archaïques, ils ne peuvent être pris en compte pour ancrer le
genre dans un passé pré-européen. Les textes religieux sont acculturés.
Les témoignages sont de natures diverses : enregistrements,
La
notations musicales et écrits:
les enregistrements ne permettent pas de remonter très loin ;
certains ont été faits au début du siècle, mais les moyens techniques ne
-
permettaient pas la prise de son de grands groupes;
les partitions sont en très petit nombre ou très incomplètes. La
plus ancienne est celle de Tiersot, relevée lors de l'exposition universelle
de 1889. Il y manque beaucoup d'éléments;
les descriptions littéraires sont celles qui nous permettent de
remonter le plus loin dans le temps ; elles prouvent une remarquable
-
-
stabilité du genre.
Plusieurs éléments musicaux sont à considérer (les instruments,
les échelles utilisées, les effets vocaux, les équilibres sonores, la forme,
etc.) :
-
certains de ces éléments sont incontestablement dus à l'apport
de l'Europe (gammes aux degrés stabilisés) ;
-
d'autres peuvent appartenir aux deux cultures (chant a capella,
forme, appuis sur tonique et dominante) ;
Société des Études Océaniennes
65
-
d'autres enfin sont spécifiques à la culture d'origine (timbres de
voix, effets gutturaux, construction polyphonique).
Le genre s'enracine donc dans un
passé traditionnel, mais il a été
éclosion à
aussi influencé par l'apport européen ; on peut donc situer son
l'époque traitée dans ce chapitre.
Les hira gasy de Madagascar
1. Définition du genre et description
plein air ;
alternativement devant des
Le hira gasy est un spectacle populaire qui se déroule en
deux troupes rivales au moins évoluent
spectateurs et présentent selon un ordre prédéterminé, des chants, des
danses, des musiques et des discours.
Un numéro comprend :
un
.
prélude (introduction sasin-tehaka, présentation de la troupe),
rehaussé par les violons;
.
.
.
.
.
.
un
premier kahary "hevitra ifanakalozana" (thème général de la séance);
un chant
principal "renin-kira" (ou renihira);
un deuxième
kabary;
un chant subsidiaire
"zana-kira", plus court;
des danses;
un
troisième kabary "fanarana" (aboutissement, aux
allures de sermon).
Chaque troupe comporte une vingtaine de personnes, avec un
groupe d'hommes et de femmes à la fois
chanteurs et danseurs, un
be,
caisse
groupe de musiciens (tambour langoraony, grosse
amponga
deux ou trois violons lokanga, quelquefois des clairons, des clarinettes ou
des accordéons), un chef de troupe.
Le chef de troupe est l'orateur. Il est debout au centre
de la scène ;
amples. Les
prononce les discours avec emphase, avec des gestes
musiciens sont assis au centre de la scène. Les chanteurs sont à la
il
périphérie, dans la direction des quatre points cardinaux ; ils tournent
d'un quart de cercle à chaque strophe.
Les danseuses portent de longues robes amples aux couleurs
voyantes, des bijoux et un lamba ; les danseurs portent des jaquettes
ornées de galons, un chapeau de paille, un lamba.
Société des Études Océaniennes
66
2. L'aspect textuel
Le texte est présent dans les discours et dans les chants.
Les discours doivent être convaincants. Ils sont émaillés de
proverbes malgaches. Les thèmes sont tirés de sujets divers: la douceur
du pays, la sagesse des ancêtres, le respect des lois, les grâces de la
jeunesse, etc... Ils se rapprochent souvent du sermon de pasteur (honneur
de la vertu, laideur du péché). Les chefs de troupe sont les héritiers
directs des traditions propres à toutes les langues orales.
Aspect textuel des chants (à étudier).
3. L'aspect musical
Il existe un style musical propre au hira gasy, fait de rythmes, de
mélodies, de couleurs sonores, d'improvisations qui n'appartiennent qu'à
genre. Les musiques ne sont jamais écrites. Il y a, à certains moments
du spectacle, des analogies frappantes avec les chants du temple.
ce
a.
L'aspect rythmique
(A étudier en parallèle avec l'article Des temps et des rythmes dans
la musique malgache, de J. A. Rafaralahy, 1977).
Certains rythmes sont communs aux chants malgaches et aux
chants occidentaux, d'autres sont spécifiques à Madagascar et ne peuvent
être notés en utilisant les carrures européennes.
Dans ces derniers, l'unité de temps est extrêmement courte
(double croche). Le rythme résulte des multiples combinatoires possibles
résultant des accentuations, binaires ou ternaires, dans un cadre de
12/16. Ces rythmes correspondent aux coups de baguettes du
petit tambour langoraoany.
mesure
à
Se superpose à cette rythmique une mesure dynamique, de même
longueur (12/16), caractérisée par la régularité de quatre accentuations
rythmiques ternaires. La mesure dynamique est donnée par la grosse
caisse ou les battements de mains. Il y a donc toujours une combinatoire
entre deux mesures (double mesure).
b. L'aspect mélodique
Différents styles.
Incorporés dans la romance, réutilisation de cantiques
missionnaires, avec d'autres paroles.
Mélodies caractéristiques.
Société des Études Océaniennes
67
c.
L'aspect instrumental
Il y a présence d'instruments traditionnels (petits et gros
tambours) et d'instruments européens (grosse caisse, violons, clairons,
clarinettes, accordéons).
L'association de la grosse caisse, des violons et des instruments à
typique des suites musicales réservées aux officiers de onze
vent est
honneurs et plus (cf. F. Raison).
Les violons sont joués à la façon asiatique, la caisse de résonance
posée sur la poitrine et non sous le menton.
Le tambour a un rôle prédominant. Les instruments à vent
improvisent sur des mélodies caractéristiques.
d. L'aspect harmonique
vocales pour le chant,
homorythmie, mais aussi avec des passages, des transitions
Il semble qu'il y ait trois (ou quatre) parties
souvent en
confiées aux voix d'hommes.
Le rapport entre chanteurs et
e.
instrumentalistes est à étudier.
L'aspect formel
Au-delà de la forme intangible du spectacle, étudier la forme
interne de chaque partie, voir comment s'agencent
les parties strictement
instrumentales et le discours.
f. Eléments divers
-
-
-
-
Les intensités
Les timbres
Les mélanges de style
Part de liberté et d'imposé.
4. La danse
La troupe se compose
ordinairement d'un quadrille de quatre ou
six danseurs. Les hommes ouvrent la danse, avec des pas d'abord lents et
solennels qui se précipitent. Les danseurs
font ensuite des figures
savantes, des cabrioles, des acrobaties.
mains, entrent dans le jeu
gestes qui ont plus de grâce et de souplesse. Les mouvements de
mains agitées en ailes d'oiseaux arrivent toujours en fin de danse.
Les femmes, qui jusque-là battaient des
avec des
Société des Études Océaniennes
68
5. Rétrospective historique
Les spectacles des hira gasy sont encore très en vogue de nos
jours. De nombreuses troupes se succèdent tous les dimanches à Isotry
(Tananarive).
Le genre a été décrit à plusieurs époques (Raison, 1990 — Althabe
Rahanivoson, 1964 — Ramanantsoa, 1951 — Deschamps, 1947 — Rason,
1933
Camo, 1931 — Haile - P.Caussèque, 1887). Plus ou moins
détaillées, ces descriptions ne font apparaître que des évolutions
-
—
mineures. On trouve les
descriptions les plus anciennes dans le
Madagascar Times d'août et de septembre 1886.
D'après F. Raison, le genre serait apparu sur les Hautes Terres à
l'époque de l'extension du christianisme. Son développement serait lié à
la structure sociale et à la vie des chorales. A partir du lohavolana
(réunions de prière missionnaire) qui permet de maintenir les structures
festives ancestrales en intégrant la paroisse, le hira gasy sort du temple
pour migrer vers les veillées funéraires et les famadihana.
Certains éléments du hira gasy sont empruntés à l'Europe : la
plupart des instruments, certaines harmonisations, les costumes et
décorations, les attitudes des chanteurs, etc.
D'autres sont tirés d'un contexte totalement différent : les
danses, certaines mélodies, les improvisations instrumentales, la tenue
des violons, les rythmes les plus fréquents, etc.
En fait, le genre présente des formes de syncrétisme qui l'ancrent
très fortement dans la période des conversions massives. Ici aussi, le
contact entre les cultures européenne et
autochtone débouche sur une
création parfaitement originale, à mi-chemin entre le profane et le sacré.
Conclusion. On peut constater des parallèles étonnants entre Madagascar
et Tahiti. Le côtoiement
des cultures puis la domination de la culture
étrangère ont eu pour conséquence des réactions nationalistes. Ces
réactions n'ont eu qu'une existence éphémère, les anciennes structures
ayant été balayées lors de la deuxième période. Les retours en arrière se
sont avérés
impossibles.
La confusion entre pouvoir civil et pouvoir religieux a entraîné,
dans certains domaines, une confusion entre le profane et le sacré,
confusion que les missionnaires ont essayé de réguler par les aires
géographiques attribuées à l'un et à l'autre: le sacré au temple, le profane
hors du temple. Si dans le temple les formes musicales acculturées
perdurent, hors du temple par contre naissent des genres musicaux
syncrétiques parfaitement originaux, qui sont de véritables créations.
Société des Études Océaniennes
69
Ces créations témoignent de la perméabilité des civilisations
tahitiennes et malgaches, mais aussi de leur personnalité propre ; les
caractéristiques originelles ne sont pas étouffées, elles demeurent et
participent à l'enrichissement du genre (élaboration polyphonique à
Tahiti, mélange des genres à Madagascar). Les créations nouvelles
présentent une très grande stabilité entre leur origine et notre époque.
LA PHASE D'INCULTURATION
La troisième phase représente une adaptation aux
nouvelles
données apportées par l'étranger. Cette adaptation se fait plus en réaction
qu'en osmose, le Tahitien comme le Malgache affirmant leurs spécificités.
C'est vraisemblablement en partie à cause de cet aspect revendicatif que les
genres qui naissent ne peuvent être acceptés au temple par les
missionnaires européens.
Deuxième et troisième phases se complètent, un équilibre est
trouvé dans le domaine musical : les chants étrangers pour louer Dieu au
temple, les caractéristiques autochtones hors du temple. Les lieux non
contrôlés par les missionnaires ont joué le rôle de soupapes de sécurité.
Malgaches et Tahitiens vont-ils se contenter des règles trouvées, ou faire
encore évoluer les données
de base ?
Les contextes social, économique, culturel
continuent eux
d'évoluer, d'autres équilibres sont trouvés.
Les nouveaux équilibres
A partir des années
1850 à Tahiti, des années 1890 à Madagascar,
le contexte politique évolue fortement. Les puissances
européennes sont
beaucoup plus présentes dans le domaine civil et donc se substituent au
pouvoir des missionnaires ; ces derniers sont de plus en plus relégués à
leur seul rôle prosélytique.
1. La séparation de l'Eglise et de l'Etat
Les luttes inter-églises vont être à l'origine de l'intervention
de la
L'expulsion des Pères catholiques Caret et Laval
provoque une réaction de la France qui instaure le Protectorat en 1842.
Le raidissement de Pomare IV aboutit à la guerre francotahitienne, qui va durer de 1844 à 1846. Les conséquences sociales,
économiques, politiques seront importantes ; l'Eglise protestante sera, elle
aussi, terriblement affaiblie puisque les pasteurs LMS abandonneront
France à Tahiti.
Tahiti.
Société des Études Océaniennes
70
L'Assemblée législative tahitienne regroupant les grands chefs
est, pour la France, un moyen de contrer le pouvoir royal ; celui-ci est peu
à peu dépossédé de ses prérogatives, les lois françaises remplaçant les
coutumes polynésiennes. En 1880, Pomare V finit par
céder ses Etats à la
France. En 1888, les îles-Sous-Le-Vent sont annexées.
A Madagascar, on note une intervention de plus en plus grande
de la France sous le règne de Ranavola
III. Une guerre franco-merina
éclate en 1883, le Protectorat est institué en 1885. Ses conséquences
économiques catastrophiques pour le pays engendrent mécontentement
et insécurité. La France intervient à
nouveau
militairement en 1894,
s'empare de Tananarive et annexe Madagascar. Après Laroche, destitué
parce que considéré comme trop mou, Gallieni prend une série de
mesures radicales contre les autorités
politiques du pays.
A la fin du XIXème siècle, tous les pouvoirs politiques sont
désormais, à Tahiti comme à Madagascar, entre les mains du représentant
de la France et de lui seul. Les missions sont reléguées à leur rôle
prosélytique.
2. Les nouvelles données missionnaires
Parallèlement à la montée d'un pouvoir politique fort détenu par
puissance étrangère, la Mission tahitienne subit de nombreux
réajustements.
une
A partir du traité conclu entre Pomare IV et la France en 1839, le
catholicisme s'installe officiellement à Tahiti. En 1844, pendant la guerre
franco-tahitienne, les missionnaires LMS décident d'abandonner le pays.
Seul reste Orsmond.
De retour en 1847, ils subissent des mesures répressives de la part
de l'Assemblée législative, qui leur impose un seul ministre par district et
une
nomination du
pasteur par les notables du district. Plutôt que de
ratifier cette Eglise d'Etat, les missionnaires anglais préfèrent partir en
1852. Howe seul reste à son poste.
En 1862, sollicitée, la Société des Missions Evangéliques de Paris
accepte de prendre en main l'Eglise tahitienne. Arbousset, son premier
agent, arrive en 1863. Le rejoindront Ch. Viénot (1866), F. Vernier (1867),
P. Brun (1870), Pomaret (1883). Le trait d'union entre la SME et la LMS est
assuré par Howe, par
définitivement en 1886.
Morris, puis par Green. La LMS se retire
En 1884, les protestants obtiennent, enfin, une reconnaissance
officielle et un statut de fonctionnement à travers le Conseil supérieur des
Eglises tahitiennes, institué par décret gouvernemental.
Société des Études Océaniennes
71
A Madagascar, les différentes missions protestantes, qui se sont
réimplantées à l'ouverture du pays, collaborent dans un esprit
œcuménique, en avance sur les grandes évolutions ultérieures. Là aussi,
le grand souci est d'organiser, d'où les isan-enimbolana, assemblées
semestrielles des Eglises, qui se mettent en place à partir de 1868.
Si le nombre des missionnaires européens s'est stabilisé et,
somme toute, demeure très faible, le clergé autochtone se développe, lui,
d'une façon exponentielle (551 pasteurs pour l'Imerina en 1880, 933 en
1890, 1664 en 1900, 2005 en 1909). Parallèlement, les prêcheurs et
évangélistes autochtones sont encore plus nombreux. Tous sont formés
dans les écoles missionnaires.
La mise en place d'un clergé indigène de plus en plus fourni et la
stagnation des arrivées européennes ont, sans aucun doute, entraîné dans le
secteur religieux un affaiblissement progressif de l'influence missionnaire
étrangère.
3. Le développement de l'instruction
L'influence européenne ne passe plus par les hommes ; mais elle
passe maintenant par l'instruction, qui a été le premier moteur de
l'évangélisation et de son développement. Catholiques comme
protestants ouvrent des écoles pour instruire en masse.
La mission évangélique qui s'implante à Tahiti prend le relais de
la LMS. Arbousset ouvre une école protestante française en 1863. Son
gendre Atger en prend la direction Tannée suivante. Charles Viénot,
jeune instituteur missionnaire, déploie une activité débordante dans le
secteur de l'éducation.
Les progrès sont spectaculaires à
inséré dans le tome IV de Ten years
Madagascar. Un diagramme,
review of missionnary work in
Madagascar, montre la progression des élèves formés par la LMS depuis
son rétablissement en 1863. A partir de 1869, la courbe croît
régulièrement jusqu'à atteindre cent mille élèves instruits pour la seule
année 1886. A partir de 1897, le relais est assuré par la Société
missionnaire de Paris et, en 1907, un arrêté du gouvernement exige la
fermeture d'une grande partie des écoles de la mission. Les circuits
laïques se mettent en place.
Les statistiques missionnaires nous renseignent aussi sur le
nombre de personnes, enfants et adultes, capables de lire à
l'issue de leur
formation. Les chiffres se passent de tout commentaire :
1880 = 27.217
adultes, 1890 = 43.109 adultes, 1910 = 119.749 adultes.
Société des Études Océaniennes
72
masse
Ainsi, en une période de temps très courte, un demi-siècle, une
considérable de la population est instruite, adultes et enfants,
garçons et filles. Par le biais de l'écrit, la culture européenne peut se
répandre d'une façon très rapide.
C'est ce contexte qui a favorisé l'éclosion de deux genres
musicaux nouveaux, dans lesquels les aspects européens et autochtones
s'équilibrent parfaitement, et tous deux reliés fortement à la religion. Ils
traduisent un changement de mentalité dû à une formation fortement
européanisée, mais aussi une prise en main autochtone qui ne se fait plus
en opposition, mais en réinjectant dans les
circuits officiels des
caractéristiques propres à la culture autochtone ; il y a alors inculturation.
Les himene ruau tahitiens
1.Définition du genre et description
ruau.
Il y a de grandes similitudes entre les himene tarava et les himene
Ils font appel au même effectif, chorales mixtes nombreuses. Le
texte est toujours en reo maohi et aborde des sujets profanes ou
sans
religieux,
que les caractéristiques musicales soient modifiées. Ils sont chantés a
capella et dirigés de la même façon par un raatira himene.
La polyphonie, cependant, est beaucoup moins complexe ; les
himene ruau ne comportent que de trois à cinq voix. Le tempo est lent ou
modéré, alors qu'il est toujours assez rapide dans le tarava. La polyphonie
est exécutée dans un style note contre note, ce qui rend les paroles
parfaitement intelligibles.
Il n'y a jamais de notation sur portée. Les mélodies se réfèrent à
des modèles traditionnels.
Dans un spectacle profane, les chanteurs sont disposés en demicercle et assis à même le sol, comme dans le himene tarava.
La même
chorale interprète souvent tour à tour les deux genres. Au
temple, les
chanteurs sont assis sur les chaises, comme pour les autres types de
chants.
Ce type de chant est répandu dans tout archipel des îles-de-la-
Société.
2. L'aspect textuel
Les textes peuvent être profanes ou religieux, comme dans les
himene tarava. Ils abordent les mêmes thèmes et possèdent les mêmes
caractéristiques.
Le texte se présente sous forme strophique.
Société des Études Océaniennes
73
3. Les voix
Les voix se répartissent en deux groupes très inégaux : le choeur
et les solistes. Les voix du choeur ont l'intégralité du texte et
évoluent en
homorythmie; les voix solistes peuvent introduire des improvisations.
a. Le chœur
les fa'a'ara'ara : ce sont les premières voix de femmes. Elles ont
-
un
registre de mezzo-soprano. Une femme du groupe est chargée
d'entonner le début de chaque strophe;
les na raro
-
: ce
sont les deuxièmes voix de
femmes. Elles
évoluent souvent en parallèle avec les fa'a'ara'ara, dans un registre plus
grave;
les maru tamau : ce sont des voix d'hommes. Cette voix double
-
souvent à l'octave grave la
partie des fa' a'ara'ara.
b. Les solistes
-
le maru teitei : voix soliste d'homme (ténor)
et/ou de femme
(soprano). Le soliste reste, en général, en homorythmie avec le choeur;
le perepere : c'est une voix aiguë d'un emploi assez rare. C'est la
seule voix qui puisse avoir un caractère improvisé.
-
4. Aspects musicaux
a.
Aspect rythmique
Les himene ruau se caractérisent par un tempo lent ou
modéré,
marqués en fin de strophes.
Les valeurs longues prédominent : croches, noires. La fin du vers
est marquée par une tenue et de longs point d'orgue terminent chaque
strophe. L'élément "silence" est soigneusement évité.
Le rythme a un aspect prosodique, à la manière du chant
grégorien, d'où la difficulté de transcrire le chant dans une carrure
avec des ralentissements
mesurée.
Les voix du choeur sont en homorythmie ; la polyrythmie peut
résulter des improvisations du perepere.
b. Aspect mélodique
Le chant peut se noter avec les degrés stabilisés des échelles
européennes. Il n'y a pas de modulation et le seul mode utilisé est le
mode majeur et les échelles sont hexatoniques et diatoniques.
Les mélodies sont traditionnelles. C'est le chef de choeur qui les
apprend aux choristes. L'ambitus le plus large est celui des fa'a'ara'ara. Il
dépasse fréquemment l'octave.
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74
c.
Aspect polyphonique
Les voix de femmes sont souvent à la tierce ou à la sixte l'une par
rapport à l'autre. La voix d'homme double souvent à l'octave grave la
voix dq fa'a'ara'ara. Les hommes ont, à la fin de chaque strophe, une tenue
de dominante caractéristique, avant de rejoindre les autres voix sur le
point d'orgue de tonique.
Des tuilages se produisent au début de chacune des strophes ; ils
sont dus à la superposition du
point d'orgue de tonique et de l'entrée de
la voix soliste prise dans le groupe des fa'a'ara'ara.
La polyphonie peut être enrichie par l'ajout des solistes, maru
teitei et/ou perepere.
d. Aspect formel
La forme est commandée par la structure strophique du texte. Ici
aussi, les répétitions engendrent la longueur.
e. Eléments
divers
Les voix ont un timbre nasillard.
Il
n'y a pas de variation d'intensités. Le chant est toujours
interprété forte.
5. Rétrospective du genre
Ruau signifie vieux. Himene ruau peut donc se traduire
indifféremment par "chant de personnes âgées" ou par "vieux chant". Le
terme
n'apparaît pas dans les dimensions du XIXème siècle pour
distinguer un chant particulier.
Les descriptions littéraires du genre sont en très petit nombre
(Vernier).
Les exemples sonores sont tous relativement récents.
Ce genre musical a, par ses caractéristiques propres, une
origine
cultuelle. Du temple, il a émigré à l'extérieur, sans doute lors des
compétitions de chorales, ou lors des veilleés. Il représente une synthèse
parfaitement équilibrée entre la Polynésie et l'Europe.
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75
Les zafindraony malgaches
1. Définition du genre et description
Certains moments du culte ménagent des espaces de liberté à la
chorale du temple. On entend alors soit des chants modernes, soit des
chants caractéristiques moins habituels ; l'engagement des choristes est
plus grand, les voix deviennent plus rauques, les rythmes se
complexifient, des voix solistes émergent ici où là... Ce sont des
zafindraony.
Les zafindraony sont des chants qui ont pour base un
texte
religieux. La mélodie est une composition autochtone ou une mélodie
tirée du recueil de cantiques ; le rythme est spécifiquement malgache ; la
polyphonie est à trois ou quatre voix. Il y a toujours un accompagnement
instrumental, réalisé généralement à l'orgue.
La musique des zafindraony n'est jamais transcrite dans toutes ses
caractéristiques. Ce genre a un équivalent profane, interprété lors des
fêtes de famille, lors des circoncisions, des famadihana, des veillées
mortuaires : le sôva.
2. L'aspect textuel
Le texte du zafindraony est toujours religieux ; il parle de la
Création, de la naissance du Christ, d'un miracle de Jésus, etc.
Certains textes du recueil de cantiques peuvent être chantés en
zafindraony.
3. Les aspects musicaux
a.
L'aspect rythmique
Le rythme malgache n'est jamais carré, ce qui rend délicate sa
transcription en valeurs européennes. En prenant pour base une valeur
très courte, on obtient des combinaisons d'accentuations complexes, dues
à la présence d'une double mesure (cf. hira gasy). Ces accentuations, liées
à la prosodie, sont très faciles à réaliser par les Malgaches.
D'après un informateur, le rythme à 3/4 est celui qui se prête le
mieux à la transformation en zafindraony. Les voix sont généralement en
homorythmie, sauf une voix soliste appelée mpiventy (voix de ténor
généralement). Cette voix, parfois en décalage avec le choeur, ajoute des
paroles sous les notes tenues, ou précède de quelques pulsations l'entrée
d'une nouvelle strophe.
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76
b. L'aspect mélodique
La mélodie de base est une composition originale (cf.
chants de
Ramboatiana), ou une mélodie déjà écrite. Dans ce cas, le Malgache ajoute
des notes de passage et des broderies. Il utilise aussi des ports de voix,
des effets de sirène.
La justesse semble être une notion peu importante dans ce type de
chant.
Le mpiventy a une certaine part d'improvisation. Il entonne
chacune des
strophes.
c.
L'aspect instrumental
"L'instrument est la cinquième voix du chant". L'instrument
privilégié est l'harmonium ou l'orgue, mais on peut avoir aussi une flûte
à bec, un harmonica, un mélodica, etc.
Une mélodie instrumentale caractéristique introduit le chant
(influence du théâtre). Quand il y a un changement de ton, l'instrument
est chargé de la transition, qu'il
remplit avec des accords modulants
Le mode d'apprentissage traditionnel de l'harmonium est
original
laquelle sont portées les notes du
clavier. Le soufflet de l'instrument sert d'appui au temps fort.
; l'instrumentiste défait sa ceinture sur
d. L'aspect harmonique
Le chant est interprété à trois ou à quatre voix. A troix voix, les
parties d'alto et de ténor se confondent. Les ténors sont parfois dédoublés
à la tierce.
Les basses ont une partie importante. C'est à cette voix
que sont
souvent confiées les transitions.
Les harmonies sont souvent simplifiées par rapport à la musique
notée. Les trois accords de base restent l'accord de tonique,
celui de sousdominante et celui de dominante. Les modulations sont évitées (La m. est
remplacé par Fa M.) ; ceci serait dû au valiha et à sa gamme diatonique.
La tierce de l'accord se retrouve souvent à l'alto ou au ténor.
e. Eléments divers
On chante fort, sans nuance ; les syllabes sont
attaquées et
renforcées par un coup de
glotte.
Le timbre est nasillard.
4. Rétrospective du
genre
La terminologie ne nous
apprend pas grand'chose ; zafindraony
signifie "métissé" ; si l'on décompose le mot, on obtient "petit fils de
Raony" (prince betsileo?).
Société des Études Océaniennes
77
Le genre semble se généraliser depuis peu
dans les temples
protestants, au moins dans la région de Tananarive (il semble beaucoup
plus fréquemment répandu en pays betsileo). Son introduction est due
aux chorales
qui interviennent avec des chants spécifiques au moment de
la quête.
Ceci semble un phénomène récent, explicable par les évolutions
de mentalité et les ouvertures catholiques après Vatican II. Le genre est
présent à l'extérieur du temple, avec les mêmes caractéristiques
musicales, mais des paroles profanes.
Faut-il voir, dans les descriptions de Richardson, les premiers
zafindraony? C'est peu probable, car le genre actuel présente des
caractéristiques malgaches et européennes équilibrées.
Himene ruau et zafindraony sont des créations à part entière, mais
font
qui se
dans la continuité et non dans l'opposition. Ces deux genres
musicaux nous permettent de cerner ce qui fait la spécificité musicale des
Tahitiens et des Malgaches.
Les spécificités musicales
des Tahitiens et des Malgaches
Chaque culture peut se définir par un certain nombre de traits
originaux. Dans le domaine musical, certains traits sont communs à
Madagascar et à Tahiti, d'autres sont spécifiques à chacune de ces deux
régions.
L'analyse des caractéristiques réintroduites dans les formes
étrangères, mises en parallèle avec les caractéristiques propres aux
créations autochtones (himene tarava et hira gasy), permet de définir les
originalités musicales de chaque culture.
1. Des traditions mélodiques ou rythmiques
Les créations malgaches et tahitiennes s'inscrivent dans la
tradition orale.
S'il n'y a pas de support écrit, il y a création en continuité avec la
tradition. A Tahiti, c'est la mélodie qui est traditionnelle, puisque le
rythme se contente de suivre la prosodie en valeurs longues des hymnes
missionnaires ; à Madagascar, c'est le rythme qui est traditionnel. Il n'est
jamais noté, mais c'est lui qui donne la saveur gasy au chant.
Société des Études Océaniennes
78
2. Le mélange des genres
On note des interférences constantes dans un genre donné entre
le sacré et le profane. Les himene ruau
tahitiens ont des caractéristiques
musicales identiques, que le texte de base fasse l'éloge du pays, ou qu'il
soit une prière à Dieu.
Si les missionnaires n'avaient pas été, au départ, très attentifs à
faire la différence entre chant propre ou impropre à louer Dieu, on ne
trouverait sans doute plus depuis longtemps au temple de cantiques
harmonisés dans le style européen. L'inculturation qui découle de
l'évolution des mentalités rapproche à nouveau, sans les distinguer
vraiment si ce n'est par le texte, les chants sacrés et les chants profanes.
3. Le timbre et l'intensité des voix
Les missionnaires se sont plaints souvent du manque de rigueur
dans ce domaine ; ce n'est pas dû, comme ils l'ont pensé parfois, à une
configuration génétique particulière. Pour un Malgache ou un Tahitien, la
beauté d'une voix ne réside pas, en premier lieu, dans la justesse
mélodique, dans la rondeur du son, dans l'homogénéité du timbre dans
tous les registres, etc.
Il semble que le timbre nasillard soit recherché dans les musiques
d'ensemble ; le son acquiert par ce procédé une portée et une puissance
qui est travaillée par d'autres moyens en Europe. Pourquoi la puissance ?
Parce qu'avant d'être des chants du temple, les manifestations chorales
sont des manifestations de plein air. C'est aussi la raison
pour laquelle les
variations d'intensité ne sont pas prises en compte.
Par contre, tout élément qui enrichit la palette sonore est lui
recherché ; il peut être confié à un soliste, une voix de perepere ou une voix
de mpiventy, ou à un groupe : mugissements des ha'u, effets de glotte.
4. L'improvisation
L'une des plus grandes difficultés à laquelle se heurte l'ethno-
musicologue quand il souhaite garder, pour analyse, une trace écrite de
ce qu'il a entendu, est le fait
que toute création orale est en soi une
récréation, qu'elle est donc unique. Ceci est dû, en partie, aux
improvisations confiées à certaines voix ou à certains instruments.
L'improvisation enrichit tous les aspects de la musique : aspect
mélodique, aspect rythmique, aspect harmonique.
Société des Études Océaniennes
79
5. Le rapport voix/ instrument
Les Malgaches et les Tahitiens sont de grands imitateurs. Des
observateurs ont noté la ressemblance frappante qu'il y a entre les effets
vocaux des ha'u et les
pahu, entre les mélodies du perepere et la flûte nasale
des Tahitiens. De fait, les timbres vocaux rappellent souvent les timbres
instrumentaux.
Pourquoi les Tahitiens ont-ils, jusqu'à une époque récente,
évacué tout instrument du temple, alors que les Malgaches ont toujours
un instrument au
moins d'accompagnement ?
Conclusion : L'évolution des sociétés, les changements de mentalité,
l'effacement progressif de l'influence des missionnaires étrangers ont
permis aux Tahitiens et aux Malgaches de réinjecter, dans le temple, des
traits spécifiques de leur background musical. Cela ne se fait pas par
substitution ; les genres apportés par les missionnaires demeurent. Cela
se fait par
ajout, des genres nouveaux étant inventés.
La multiplication des chorales au XXème siècle a favorisé, à la
fois, la conservation du patrimoine et l'évolution vers des formes
nouvelles. A Tahiti, on chante la plupart du temps ,dans les temples, par
groupes ethniques, par chorale et non par auditoire. Chaque groupe a
donc le souci de se distinguer par des mélodies ou
des caractéristiques
qui lui appartiennent en propre. A Madagascar, la chorale fait partie d'un
système d'organisation de la paroisse. Elle participe régulièrement à la
vie du temple, mais aussi participe à des galas évangéliques regroupant
différentes paroisses. Là aussi, la compétition est un facteur d'évolution.
CONCLUSION
La culture européenne s'est implantée à Tahiti comme à
Madagascar en quatre phases :
phase de confrontation, où deux cultures fondamentalement
A cause des rapports
numériques, à cause surtout des structures économique, politique, religieuse
qui perdurent, il y a maintien pour l'essentiel des caractéristiques de chaque
société. Il y a bien quelques fissures, dans le domaine technologique surtout,
mais ces fissures ne remettent pas en cause l'équilibre global. Cette première
phase s'étend de l'arrivée des missionnaires LMS en 1797 jusqu'à 1815 à
Tahiti, de l'implantation d'hommes de la même Société missionnaire en 1820
jusqu'en 1865 sur les Hautes Terres malgaches;
-
une
différentes se côtoient sans s'inter-pénétrer.
Société des Études Océaniennes
80
-
une
phase d'acculturation, où la culture étrangère devient
dominante. Les dirigeants sont maintenant convaincus de la
supériorité
de l'Europe, en adoptent toutes les valeurs. La masse de la
entraînée dans ce mouvement de bascule,
population est
qui s'accompagne de la
disparition très rapide d'une grande part des structures anciennes. Les
missionnaires, jusqu'alors dépendants des pouvoirs autochtones,
deviennent les véritables détenteurs du
pouvoir. Leur influence s'étend
bien au-delà du seul prosélytisme. Cette
phase va durer jusqu'aux
alentours de 1850, à Tahiti, et pratiquement
jusqu'à la fin du siècle, à
Madagascar;
phase de création ; assez rapidement naissent, se
développent, puis finissent par être étouffés, des mouvements dissidents
-
une
qui militent pour un retour aux coutumes anciennes. En fait, le retour à
un état antérieur s'avère
impossible, parce que les structures des sociétés
pré-européennes ont été gommées. Il y a donc de véritables inventions,
plus ou moins syncrétiques, mais qui se font en opposition avec l'autorité
missionnaire. Cette phase se produit en
tuilage avec la deuxième phase et
recouvre pour l'essentiel la même
période;
phase d'inculturation ; les missionnaires étrangers ont vu
politique par l'intervention de la
France et par les relais pris par les autochtones eux-mêmes dans le
domaine religieux. En parallèle, sous l'effet de
l'enseignement qui touche
maintenant toute la société, les mentalités évoluent, les réseaux
d'échange
se
complexifient. Cette complexification fait que chaque peuple a
tendance à rechercher ses racines
propres et donc à réinjecter, dans les
circuits existants, des caractéristiques
spécifiques. Il y a aussi création de
-
une
leur influence stoppée dans le domaine
culture, mais cette fois en osmose.
La musique religieuse a constitué, dans ce travail, un élément
privilégié d'observation. Propre à l'Europe puisque liée à des fonctions
spécifiques, elle a accompagné les quatres phases décrites ci-dessus:
dans la première phase, la
musique missionnaire côtoie, sans
l'influencer, les musiques indigènes. Le fossé entre les deux est trop
profond pour pouvoir être comblé, mais surtout, chaque expression
-
musicale est reliée à une structure très
-
précise;
dans la deuxième phase, les
musiques autochtones disparaissent
temps que s'effondrent les structures des sociétés anciennes. Les
hymnes missionnaires sont adoptés avec toutes leurs caractéristiques,
sans modification;
en même
Société des Études Océaniennes
81
-
dans la troisième phase, naissent, hors du temple, deux genres
parfaitement originaux: les himene tarava à Tahiti et les hira gasy à
Madagascar. Bien qu'en opposition avec l'apport missionnaire, tous deux
sont des genres syncrétiques, dans lesquels les éléments propres aux
cultures autochtones sont dominants;
-
dans la quatrième phase, les créations se font en osmose avec les
genres musicaux habituels. Les caractéristiques européennes et
autochtones s'équilibrent. Dégagés de tout aspect polémique, les himene
tahitiens et les zafindraony malgaches retrouvent un droit de cité au
ruau
temple même.
Les musiques entendues à Tahiti et à Madagascar à notre époque
sont les
témoignages vivants de l'évolution qui s'est produite pendant
deux siècles. Que les hymnes missionnaires aient perduré jusqu'à notre
époque, cela n'a rien d'extraordinaire en soi ; les missionnaires ont
toujours veillé à une expression codifiée de la foi, améliorant, grâce à
l'écriture et à la notation simplifiée, les techniques de l'apprentissage et
de la transmission fidèle. Mais il peut paraître étonnant, par contre, que
des genres musicaux ne se servant pas de l'écrit, comme les himene tarava,
les himene ruau, les hira gasy, les zafindraony, puissent perdurer sans
modifications notables, comme cela semble le cas quand Ton fait une
rétrospective historique. Cela est dû à plusieurs raisons :
-
le chant est une forme d'expression appréciée traditionnel-lement
par les Tahitiens et par les Malgaches;
-
le chant a un aspect communautaire, valorisé dans les structures
anciennes;
-
l'un des traits fondamentaux des cultures anciennes est Toralité; ce
trait n'a pas disparu;
-
malgré leurs efforts, les missionnaires n'ont pu gommer les limites
floues existant entre le sacré et le profane. Les autochtones ont toujours
conservé, hors du temple, des
manifestations musicales qui
correspondaient à leurs aspirations.
C'est à travers les créations des troisième et quatrième phases que
peut déterminer le don musical propre à chaque peuple. La
confrontation de cultures dans le domaine musical ne conduit pas à des
Ton
stéréotypes, mais enrichit le patrimoine des "musiques du monde".
Raymond MESPLE
Société des Études Océaniennes
82
LES CRISES
DES CONCEPTS LEGAUX
A TAHITI
1819-1838 «
Peu de temps après que le Roi Pomare ait déclaré s'être converti au
christianisme, la Société Missionnaire auxiliaire de Tahiti fut fondée
le 18 mai 1818 dans le but d'affermir la christianisation de ses
dépendances et de soutenir financièrement les efforts de la Société
missionnaire de Londres (LMS) partout dans le monde.
A la même époque, les membres de la LMS
pensèrent qu'il était à
qu'une série de lois soit promulguée,
avec l'aide et l'accord de Pomare, reflétant les
préceptes "contenus dans la
parole de Dieu et les coutumes... des nations civilisées "(1).
la fois opportun et indispensable
John Davies et Henri Nott, tous deux anciens membres de la
Mission, s'entretinrent les mois suivants avec Pomare des détails de ce
projet de code.
Bien que les missionnaires aient insisté sur le fait
qu'ils
évité soigneusement de s'ingérer dans... les
"avaient
affaires civiles et politiques", leurs
propres intérêts spirituels et les demandes des Tahitiens eux-mêmes les
amenèrent à assumer un rôle plus actif dans les affaires
temporelles des
îles (2).
L'influence missionnaire dans l'élaboration de ce nouveau code
fut considérablement
plus profonde que les missionnaires eux-mêmes
voulaient bien l'admettre, mais il apparaît
également que Pomare était
lui-même des plus désireux de transformer son
royaume en une imitation
polynésienne de la Grande-Bretagne, dans le but de resserrer les liens
politiques entre ces deux pouvoirs éloignés (3).
commerciaux et
(*): L'article original est paru en anglais, sous le titre
lœgal concepts and crises in Tahiti, 1819-1938, dans le
Hawaian Journal of History, 1974, Vol. 8,
pp. 111-120. Mr. William Tagupa, historien et universitaire,
enseignant à l'université de Hawaï, a publié, entre autres, de nombreux travaux sur la Polynésie
française. Voir, par exemple, son Politics in French Polynesia 1945-1975, New Zealand Institute of.
International Affairs,
Wellington, 1976.
Société des Études Océaniennes
83
D'un autre côté, Pomare était fort peu disposé à abandonner une
partie de son pouvoir aux chefs qui lui étaient subordonnés, notamment
l'aristocratie frondeuse des Hui ra'atira, ou à leur permettre de participer
de manière significative à la création des nouvelles lois.
Au contraire,
les missionnaires souhaitaient vivement la
participation des chefs de district dans le gouvernement des îles, afin de
pouvoir mieux contrôler les activités des paroisses des districts.
Finalement, un compromis amiable intervint entre le roi et les chefs, bien
que l'hégémonie de Pomare ne fût en aucune manière modifiée au profit
des chefs de district (Arii) (4).
Les missionnaires insistaient pour que les pouvoirs civils et
religieux soient séparés dans le cadre de la nouvelle monarchie, bien qu'il
fût hors de doute que l'administration politique serait fondée sur des
principes chrétiens. Ils étaient convaincus que l'histoire de la
christianisation prouvait "le grand et sérieux mal" (5) auquel aboutissait
la confusion des pouvoirs ecclésiastiques et temporels. Les efforts ne
furent pas ménagés pour préserver l'autonomie politique des paroisses
des districts du pouvoir autocratique de Pomare (6).
Les missionnaires avaient en vue un gouvernement dirigé par
des hommes pieux et vertueux qui répandraient les principes chrétiens
par la vertu de leur exemple (7).
Le Code Pomare de 1819 fut présenté au peuple de l'île un an
plus tard, lors de l'anniversaire de la fondation de la Société missionnaire
auxiliaire. Dans ce qui apparaît avoir été un vague cérémonial
d'allégeance, Tati, Utami, Arahu et Veve, les chefs les plus importants de
Tahiti et Mo'orea, reconnurent la promulgation formelle du Code par
Pomare (8).
Le Code lui-même était
simple et succinct; cependant, il
introduisait plusieurs concepts administratifs importants.
Les articles XVI, XVII et XVIII énuméraient les districts
(mataeina'a) et les sous-districts (mataeina'a i huna) ainsi que leurs juges
respectifs (ha'ava) et les procédures judiciaires obligatoires. Les juges
devaient être nommés parmi la plus haute noblesse hui iato'ai et s'être
montrés des chrétiens vertueux. Les tribunaux se trouvaient répartis entre
les principales divisions territoriales de Tahiti et Moorea. Te-Fana et Te-
Oropaa possédaient, tous les deux, trois tribunaux. Teva-i-Uta en avait
quatre comme Teva-i-Tai, tandis que Teporionu'u et l'île de Mo'orea en
étaient pourvus de huit chacun.
Société des Études Océaniennes
84
La procédure judiciaire
(ha'apa'o rua i ha'ava) prévoyait un
demandeur (feia rii) et un défendeur (feia hamani ino). Il était interdit au
premier d'agir directement contre l'accusé et lui était fait obligation de
litige (hapa) au procès judiciaire. Les deux parties en litige
pouvaient citer des témoins (feia ite) pour témoigner devant le juge du
lieu où l'infraction avait été commise et ce magistrat décidait, seul, du
jugement (9). Les autres articles du Code visaient presqu'exclusivement le
comportement moral:
soumettre le
I.
Le Meurtre (taparahi), punissable de mort.
II.
Le Vol Ceia), concernant principalement le
III.
Les cochons errants (ia tomo ra te pua'a).
IV.
Les objets volés Ceia tao'a).
V.
Les objets trouvés (tao'a mo'e).
VI.
cheptel.
Les relations commerciales (te ho'o), dans le but de
protéger la
marchandise.
Vil.
L'inobservation du Sabbat (te ha'apa'o 'ore ra i te Sabati).
VIII.
La rébellion et la sédition ('aitama'i).
IX.
La bigamie masculine (vahine toopiti hoe tane).
X.
Les femmes abandonnées (vahine ma'iri tahito).
XI.
XII.
L'adultère masculin et féminin (te hara vahine e te hara tane).
L'abandon des conjoints (tefa'aru'e tane e tefa'aru'e vahine).
XIII.
Le défaut d'entretien de sa femme (te rave ore te ma'a na te vahine).
XIV.
Le mariage (fa'aipoipo) (10).
Il est clair que les articles ci-dessus visaient à remédier à ce
qui
était perçu comme une pléthore de violence morale dans la société
tahitienne, violence qui en fin de compte aurait porté préjudice à la fibre
éthique de la nouvelle société chrétienne. Les missionnaires, assez
préoccupés par l'influence persistante de la fameuse société des arioi,
étaient déterminés à éradiquer entièrement cette influence. Le
mariage fut
institué formellement, chaque union maritale étant dûment enregistrée
dans un registre matrimonial (buka
fa'aipoipo). Ils institutionnalisèrent
également la monarchie dans le cadre de la nouvelle loi et rendirent
passibles de la peine de mort la rébellion et autres actes séditieux. L'idée
était considérée comme compatible avec
les principes missionnaires en
vigueur et reçut leur soutien tacite quoique
pas nécessairement enthousiaste (11).
d'une monarchie autocratique
Société des Études Océaniennes
85
Les missions des îles-Sous-Le-Vent suivirent bientôt l'exemple de
Tahiti et Moorea. En 1822, les chefs de Huahine approuvèrent des lois et
règlements confectionnés d'après ceux des îles-du-Vent. Charles Barff et
William Ellis remplirent le rôle de conseillers
juridiques et le Code,
intitulé E Ture na Huahine (Lois pour Huahine), fut présenté en assemblée
publique.
Les règlements du Code de Huahine contenaient beaucoup de
clauses reprises de celui
de Pomare, bien qu'il fût plus précis en
définissant les sanctions (utu'a) applicables aux infractions. Comme le
Code Pomare, les Lois de Huahine institutionnalisèrent la monarchie de
l'île, mais fournirent en plus au gouvernement des moyens légaux de
subvenir à ses besoins, grâce à l'instauration d'impôts collectifs et
individuels
(12).
Ce
système judiciaire était beaucoup plus
bureaucratique: les juges étaient nommés par le grand chef (arii nui) ou
ses
gouverneurs (hui tavana); des registres de jugements étaient tenus et
les magistrats étaient rémunérés directement par le roi, bien que toutes
les ressources provenant des amendes soient directement remises au
trésorier royal. Le procès devant un jury fut instauré, les jurés étant
individuellement choisis, le défendeur les soumettant à des questions
minutieuses. L'exécution des sanctions prononcées par les tribunaux était
assurée par les messagers de la cour (feia v'ea) qui remplissaient aussi les
fonctions d'huissiers audienciers. Le Code de Huahine, comme d'ailleurs
le Code Tamatoa de Raiatea (1820), définit plus précisément les relations
les districts et le gouvernement central. La souveraineté de ce
dernier y était affirmée, mais l'autonomie des paroisses de district était
entre
protégée dans le fonctionnement du système judiciaire et l'application du
Code de lois. Le système des tribunaux fonctionnait bien ouvertement, du
moins en présence de visiteurs étrangers. Le capitaine Frédéric Beechey
fut favorablement impressionné par la dignité des débats du tribunal:
Le Tribunal était constitué de bancs placés en rangées successives sous les
arbres, avec les prisonniers devant, sous la surveillance d'officiers tenant
sabre au clair, portant la veste des volontaires et le maro... Les magistrats
sont nommés pour juger
les affaires et ils menèrent les débats dans un
tribunal ouvert. Les policiers sont en alerte continuellement, jour et nuit,
pour prévenir les manquements et supprimer les distractions du peuple,
que, par une vision erronée de la religon, ils veulent contraindre à mener
une vie d'austère privation (13).
Société des Études Océaniennes
86
En dépit des rapports optimistes rédigés par les missionnaires et
les visiteurs occasionnels, il était évident que le fonctionnement du
système légal dépendait, dans une large mesure, des penchants
arbitraires des arii plutôt que d'une philosophie d'impartiale justice.
L'atmosphère morale du système légal était inévitablement favorisée ou
minée en fonction de l'exemple moral donné par le ou les chefs
principaux (14). Les preuves disponibles indiquent que de nombreux
juges outrepassaient leurs pouvoirs d'arbitres impartiaux et étaient
parfois excessifs dans leurs fonctions, au point d'être souvent en conflit
avec leurs
guides missionnaires, ainsi que J. M. Orsmond le reconnaissait
volontiers.
...
plus
Le juge-chef s'est mêlé d'une affaire qui ne le concernait pas... et en
il a violé la loi en bannissant l'homme qui aurait dû être condamné
à des travaux (15).
...
Dans un autre cas, Alexandre Simpson était intervenu au nom de
l'un de ses employés de maison accusé de ne pas participer au culte
public.
J'allais au tribunal observer leurs débats; après une grande discussion
pour savoir quelle loi devait frapper les coupables, le juge, se débattant
dans un grand dilemme, demanda quel était notre usage en Angleterre,
lorsque des personnes se trouvent ainsi devant un vide législatif ? Je
répondis que .... aucune n'étant violée, l'accusé devait être naturellement
mis en liberté. "Les parties devant vous n'ont commis aucune
infraction aux lois du pays, bien que leur conduite soit hautement
répréhensible aux yeux de Dieu..." Je me plaignis au juge de sa
conduite envers mon employé... Il me répondit alors que si je parlais de
cette façon il ne leur servirait à rien de-juger les gens pour cette infraction
et "demain vous trouverez une chapelle vide" (16).
Le traitement des accusés dépassait souvent ce qui était
acceptable. L'application de certaines lois s'avérait excessive et produisait
souvent un résultat contraire aux
objectifs de la mission.
Vous pouvez voir des personnes infirmes, aveugles et grabataires rampant
pour aller à l'école écouter l'Evangile. Certains qui ne peuvent marcher, se
traînent sur leur postérieur; je leur dis:... où allez-vous ? Au lieu de
prière, répondent-ils, car les juges et les chefs disent qu'ils confisqueront
toute notre terre si nous n'y allons
pas... A Taiarapu, la terre avait été
Société des Études Océaniennes
87
effectivement confisquée... Dès que j'entendis parler de ce fait, j'envoyais
deux diacres leur faire de rigoureux reproches et leur ôter leurs fonctions.
Ils vinrent officiellement restituer les terres et l'abus fut pardonné (17).
Des révisions ultérieures furent apportées aux lois pendant le
bref règne de Pomare III, surtout pour répondre aux besoins de
simplification de la bureaucratie judiciaire et du renforcement des aspects
les plus faibles des lois initiales (18).
Un tribunal d'appel nommé Toohitu (les sept) fut créé par le Code
révisé de 1824:
La cour suprême est composée de sept juges, dont deux sont résidents de
l'île de Eimeo (Mo'orea). Les juges sont aussi des fonctionnaires exécutifs
(gouverneurs) et presque tous sont des chefs. Cette double fonction confère
une grande influence
et leur pouvoir est suffisant... et en même temps sert
de frein à tout empiétement sur les prérogatives du souverain. Les
pouvoirs de la Cour s'étendent même aux cas d'empêchement de l'autorité
royale. Le mode de jugement, que l'affaire soit civile ou pénale, fait appel à
un
jury, composé de six personnes. Chacun a le droit d'être jugé par ses
pairs (19).
Les Toohitu furent nommés par le Arii nui et confirmés par la
législature qui venait d'être créée, sans aucun doute avec l'approbation
officieuse des missionnaires (20).
La LMS mit beaucoup de confiance dans les qualités de dirigeant
des Toohitu, surtout à cause de la minorité de Pomare III, puis de son
successeur
Pomare IV, qui
les plaçait sous l'influence dominante du
régent Ariipaea et d'autres membres de la cour (21). Cette situation
délicate provoqua une crise durant le règne de la jeune souveraine.
Ariipaea et la cour royale vivaient une existence libertine et se livraient à
des pratiques considérées par beaucoup comme discutables. La confiance
des missionnaires envers la jeune reine diminua fortement.
Pomare n'a aucun des éminents dons naturels
gouverner un peuple... ne faisant montre d'aucun
nécessaires pour
talent au-delà de la
médiocrité, d'aucune connaissance acquise au-delà des simples rudiments
de lecture et d'écriture; gouvernée beaucoup plus par ses sens et son
égoïsme que par sa raison, elle est, ainsi que cela est prévisible de la part
de quelqu'un exerçant une autorité dans de telles circonstances,
despotique, souvent vindicative et cruelle. Les chefs sont ses laquais, les
gens du peuple ses esclaves (22).
Société des Études Océaniennes
88
Les Toohitu s'opposèrent finalement à la reine à propos de sa vie
charnelle déréglée:
Les juges suprêmes, par l'intermédiaire de leur porte-parole Paofai,
s'adressèrent à la reine pour savoir si elle était décidée à rejeter les lois...
Les juges firent des
reproches à sa mère et à sa tante qu'ils accusaient
d'entraîner la reine sur le mauvais chemin... On signala que, si les juges
suprêmes avaient mis la reine en jugement,... elles auraient fait arrêter ces
juges et les aurait ligotés. Les juges étaient unis et déterminés, disposant
d'une grande influence dans leurs districts (23).
Après un long séjour aux îles-Sous-Le-Vent, Pomare retourna à
Tahiti vers le milieu de l'année 1831, en compagnie de Tamatoa de
Raiatea, Mahine de Huahine et d'autres chefs prestigieux. Les chefs des
îles-Sous-Le-Vent l'avaient persuadé de rétablir le rite traditionnel
d'allégeance du ahu oto (étoffe offerte comme présent aux parents en
deuil) à la grande consternation des Toohitu et des missionnaires (24). Les
juges protestèrent contre la réapparition de l'ancienne coutume et
essayèrent de persuader Pomare de renoncer à ses exigences. L'intensité
de la crise parvint à son paroxysme quand les deux parties se préparèrent
à un conflit armé. La Reine, percevant le danger, se réfugia sur l'îlot de
Motu Uta, dans le port de Papeete. Utami, l'un des Toohitu, chercha
courageusement à obtenir une audience de Pomare et "exhorta la Reine à
considérer sa situation et solliciter son accord" (25). Elle refusa toutes les
concessions, sans doute sous la pression de ses conseillers rebelles. Sur ce,
Utami arrêta plusieurs personnes du parti de la reine,
"les jugea, les
privant de leurs postes de gouverneur et les éloigna dans d'autres districts" (26).
Paradoxalement, les actions de Utami contribuèrent à réduire les
tensions, bien que la crise elle-même demeurât entière. Une heureuse
coïncidence fit qu'un navire britannique, le HMS Cornet, arriva à Papeete
dans le but de réinstaller à Tahiti quelques habitants de l'île Pitcairn. La
présence de ce vaisseau ayant fait naître une crainte perceptible chez
Pomare, elle écrivit de ce fait à Charles Barff et à John Williams afin de
leur demander d'intervenir en sa faveur auprès des gouverneurs pour
obtenir une issue favorable. Barff et Williams furent tous deux d'accord, à
la condition que la
"Reine s'engage à rétablir les lois, promette de les faire
pleinement appliquer et accède à leur demande au sujet du ahu oto qui avait
provoqué la divergence ci-dessus" (27). Les officiers de la Comète
collaborèrent à la réconciliation, quoiqu'il fût évident que certaines
concessions non précisées explicitement furent faites par les Toohitu dans
cet accord.
Société des Études Océaniennes
89
Ni les missionnaires, ni les Toohitu ne réussirent à réformer la
moralité de la reine et de sa cour, bien qu'ils fussent résignés en
apparence à accepter la distinction entre son comportement personnel et
ses actes officiels en sa qualité de arii nui régnante (28). Bien que n'étant
pas toujours eux-mêmes unanimes sur toutes les questions politiques et
légales, les Toohitu s'employèrent à maintenir leur cohésion pour les
questions importantes. La détermination des juges suprêmes à cet égard
étouffa toute tentative des autres arii de ressusciter les modèles
traditionnels de gouvernement considérés comme incompatibles avec la
nouvelle société chrétienne.
Les débuts du règne de la reine Pomare virent une augmentation
des relations commerciales avec l'étranger ainsi que du nombre des
résidents étrangers (ta'ata popa'a ou ta'ata mata'ita'i). En dehors des
missionnaires, la plupart des résidents étrangers étaient d'anciens marins,
pratiquant un actif commerce des alcools.
De temps en temps, ces hommes viennent à terre, avec l'accord du chef
du lieu, mais plus souvent sans que celui-ci en soit informé et demeurent
cachés jusqu'au départ de leur navire; quelquefois, ils sont
débarqués par
les capitaines des navires, en violation du désaccord fermement manifesté
par les chefs. Dans la plupart des cas, ces derniers constatent rapidement
d'individus
si
que la conduite et l'exemple de cette catégorie
est
lamentable et pernicieuse qu'elle menace la paix de la communauté et rend
de
de leur tirer
dessus... s'ils persistent dans leur tentative de renvoyer les odieux
personnages en question de leurs rivages (29).
leur départ immédiat nécessaire. Mais les chefs n'ont pas le pouvoir
rendre effective une telle mesure. On les menace fréquemment
Il devint bientôt évident qu'une réglementation était nécessaire
toujours
pour contrôler l'influence perturbatrice due à ces visiteurs pas
bienvenus. Le corps législatif tahitien adopta une série de règlements
portuaires modifiant le Code de 1824. C'était, sans aucun doute, la
première tentative non dissimulée de placer la population étrangère
croissante dans les limites légales du royaume.
L'adoption des lois sur la prohibition de l'alcool à Tahiti
produisit une autre crise légale, cette fois entre le royaume et sa
population étrangère. La LMS, grandement influencée par les
missionnaires américains en visite, avait fait adopter les lois anti¬
alcooliques dans le but de remédier à l'anarchie grandissante et à
l'affaiblissement de l'esprit évangélique (30).
Société des Études Océaniennes
90
Bien que les membres de la LMS aient fortement désapprouvé
l'usage abusif des liqueurs, ils s'étaient eux-mêmes lancés dans la
distillation d'alcool pour améliorer leurs faibles revenus. Ils étaient
cependant convaincus, en définitive, que le temps était venu pour une
réglementation plus catégorique du commerce de l'alcool. Le 3 mars 1835,
fut adoptée une loi interdisant l'usage et le commerce de l'alcool, sauf
dans un but médical (31). Les résidents américains et européens
décidèrent de ne pas respecter la nouvelle loi, en dépit des efforts des
autorités tahitiennes pour la faire appliquer.
En application de cette loi, les personnes chargées de la rendre effective
avaient désiré détruire le contenu des diverses barriques et bouteilles
d'alcool, mais leurs propriétaires étrangers s'y opposèrent, leur déniant le
droit d'attenter à la propriété privée.
Les autorités tahitiennes
n'insistèrent pas, car on leur dit que le prochain navire de guerre qui
arriverait se vengerait certainement d'elles si elles s'ingéraient dans la
propriété privée (32).
La réaction de la communauté étrangère fut bruyante et une
circulaire de protestation fut affichée dans le secteur du port (33).
Des preuves sérieuses donnent à penser que les lois prohibant
l'alcool furent appliquées d'une façon arbitraire si ce n'est illégale. Alors
que les navires de passage faisaient l'objet de fouilles, parfois d'une
manière fort peu courtoise, les missionnaires, selon certains résidents
étrangers, continuaient de détenir des provisions d'alcool en violation de
la loi (34).
Les lois anti-alcooliques ne réussirent pas non plus à contrôler le
commerce
illicite de l'alcool. De nombreux chefs des îles-Sous-Le-Vent
continuaient de fabriquer des bières locales en défiant leurs propres lois
et l'avis de
la
leurs associés missionnaires. Avant 1836, les problèmes avec
communauté
étrangère demeurèrent essentiellement une
préoccupation locale. Mais la situation changea radicalement en 1836, à
l'arrivée du navire Elisa, transportant de Mangareva deux prêtres
catholiques romains: Louis-Jacques Laval et François d'Assise Caret. Le
consul des Etats Unis d'Amérique, J. A. Moerenhout, offrit aux deux
prêtres son hospitalité et sa protection. Le consul-missionnaire
britannique George Pritchard protesta contre le débarquement des deux
prêtres et chercha à obtenir leur expulsion des îles. Il essaya d'obtenir
dans son entreprise le soutien du Ministère des affaires étrangères de
Londres et reçut de son ministre, Lord Palmerston, la réponse suivante:
Société des Études Océaniennes
91
"Chaque gouvernement a le droit de refuser à tous étrangers
l'autorisation de résider dans ses possessions, si la présence de ces
étrangers est jugée préjudiciable à l'Etat. Mais si une telle raison fait
défaut pour exiger le départ des étrangers, il est contraire aux règles de
l'hospitalité internationale de les forcer à quitter un pays dans lequel ils
souhaitent établir leur résidence, pourvu qu'ils ne violent pas les lois du
pays (35).
Pritchard n'eut aucune difficulté à persuader la reine de prendre
de
n'avait aucun droit
d'appliquer de telles lois et que les Tahitiens "n'étaient pas encore en état de
légiférer pour réglementer les relations commerciales avec les puissances
étrangères ou même de comprendre les relations douanières entre les pays" (36).
Il fit une demande pressante tendant à influencer la reine et l'amener à
abroger son arrêté. Le consul américain présenta une protestation écrite
des deux prêtres selon lesquels "... il était injuste de les expulser de cette
façon, que la loi... était... irrégulière et contraire aux droits de l'homme..." (37).
Moerenhout plaida, en outre, que le paiement des droits de
débarquement entraînait l'acceptation de facto des prêtres dans le
royaume (38). Pritchard rejeta l'argument de Moerenhout et soutint le
droit souverain du royaume polynésien d'adopter et d'appliquer chacune
un
arrêté d'expulsion; cependant, Moerenhout contesta l'utilisation
tels pouvoirs discrétionnaires, affirmant que la reine
de ses lois dans ses possessions.
L'arrivée du navire de guerre britannique HSM Acteon,
fin décembre,
fournit une occasion inattendue de régler le contentieux d'une manière si
habituelle dans le Pacifique. Une
réunion eut lieu, au cours de laquelle le
commandant du navire, le capitaine Lord Edward Russell, servit de
médiateur. Russell rendit un avis en faveur de la reine, faisant valoir que,
si les prêtres restaient sur l'île,
"rien d'autre que l'anarchie et la confusion s'y
installeraient inévitablement..." (39). Les prêtres furent forcés de quitter l'île
remportée par
définitive le royaume de Pomare,
le mois suivant. Malgré la victoire diplomatique ainsi
Pritchard qui jubilait, le perdant fut en
les Tahitiens étant inconscients des torts politiques et religieux de
Pritchard dans ses relations avec
la communauté étrangère. Ces
circonstances conduiront de façon désastreuse à un affrontement que ni
les Tahitiens, ni les missionnaires ne réussiront à éviter
Société des Études Océaniennes
92
L'infrastructure légale établie avec l'aide des missionnaires fut
confrontée à une multitude de problèmes, tant internes qu'externes. Les
problèmes internes furent caractérisés par un conflit entre une monarchie
arbitraire, portée à considérer les lois comme un instrument
d'assujettissement et une noblesse déterminée à préserver le peu de
pouvoir politique qui lui était laissé. L'influence médiatrice des
missionnaires tendait à favoriser les chefs qui, dans l'opinion des
missionnaires, soutenaient l'autonomie des districts et la séparation de
l'église et de l'Etat. Les prérogatives royales furent affirmées, mais la
licence royale fut contrecarrée. Bien que la crise fût sérieuse, elle ne sapa
point les relations entre les arii nui et les hui ra'atira, qui tous deux
réussirent à bien survivre pendant le 19 ème siècle.
L'administration réelle de la justice ne fut ni impartiale ni
indulgente. Les gens du peuple étaient peu disposés à poursuivre les
nobles pour chaque violation de la loi et les juges de district jugeaient
quelquefois de manière excessive. Les étrangers étaient rarement
sanctionnés de la même manière que les indigènes tahitiens. On ne tenait
manifestement aucun compte du concept d'égalité totale devant la loi,
principalement parce que l'objet fondamental des Codes de Loi n'était
pas la justice, mais bien plus la réglementation du comportement humain.
Le problème le plus complexe rencontré fut celui du traitement
principalement parce que ceux-ci, y compris les
missionnaires, ne se considéraient pas comme des sujets du royaume,
mais comme des prolongements extra-territoriaux de leurs mère-patries.
Les tribunaux locaux ne pouvaient évidemment réussir à appliquer les
des étrangers,
lois du pays dans de telles conditions. Bien que le comportement
des
étrangers à Tahiti fût rarement approuvé par leurs pays d'origine, la
communauté diplomatique étrangère soutint toujours leurs droits de
citoyenneté et de propriété dans tous lesdomaines. Ni la notion d'égalité
politique, ni le concept de justice n'étaient réciproques.
William TAGUPA
Traduction de l'anglais par Philippe
LECHAT (*)
(*): Nous remercions Hinano Win et Joël Hoiore qui ont bien voulu relire notre traduction.
Société des Études Océaniennes
,
93
NOTES
(1) : William Ellis, Polynesian Researches (A la recherche de la Polynésie d'autrefois),
Rutland, Vermont, Tokyo, 1969, p. 137.
(2) : Les frères aux Directeurs, South Seas Letters (Lettres des mers du Sud), (ci-après
SSL).
(3) : Pomare à LMS, 1er janvier 1807, Société des Etudes Océaniennes, Papeete;
Pomare au Roi, 9 décembre 1801, Historical records of Australia (Archives
historiques d'Australie), séries 1, V, 334.
(4) : Ellis, Polynesian Researches, p. 13; J. Montgomery (ed.) Journal of voyages and
Travels by the Rev. Daniel Tyerman and George Bennett esq. deputed from the London
Missionary Society to visit the various stations in the South Seas Islands, China, India, etc...
between the years 1821 and 1829 (Journal des voyages des Rev. Daniel Tyerman et
George Bennett, envoyés par la LMS visiter les diverses missions des Mers du Sud,
de Chine, d'Inde, etc... entre 1821 et 1829), Vol. 2 (London 1832), p. 54. La
répugnance de Pomare dans cette affaire était sans aucun doute motivée par les
expériences du passé, quand des raatira influents réussirent à fomenter des
rebellions portant atteinte à son hégémonie.
(5) : Les frères aux Directeurs, 2 juillet 1817, SSL.
(6) : Crook à Burder, 5 juin 1821; Platt aux Directeurs,17 mai 1821, SSL.
(7) : Conseils et Instructions pour le Règlement de la Mission, 1796; Crook aux
Directeurs, 9 mai 1827, SSL.
(8) : Les frères aux Directeurs,18 mai 1819, SSL.
(9) : L.J. BOUGE, Première législation tahitienne; le Code Pomare de 1819, Journal de la
Société des Océanistes; Vlll (1952),16.
(10) : Ibid.
(11) : Journal de Davies, entrée, octobre 1817, South Seas Journal
(Journal des Mers du
Sud) (ci-après SSJ).
(12) : Ellis, A la recherche de la Polynésie d'autrefois, pp.177-192.
(13) : Frédéric Beechey, Narrative of a voyage to the Pacific and
Beering's Strait to
cooperate with the Polar expeditions performed in the I IMS Blossom under the
command of
Captain F.W. Beechey, R. N., in the years 1825-1828 (Récit d'un voyage vers le Pacifique
et le détroit de Behring pour coopérer avec les expeditions polaires, effectué sur le
HMS Blossom, commandé par le Capitaine F. W. Beechey, Marine Royale, pendant
les années 1825-1828), Vol. 1 (London 1831), pp. 270-294.
(14) : Crook à Orme, 14 mai 1829, SSL.
(15) : Journal d'Orsmond,12 février 1825, SSJ.
(16) : Simpson à Ellis, 10 novembre 1840, SSL.
(17) : Orsmond à Ellis, 5 octobre 1836, SSL.
(18) : Ellis, A la recherche de la Polynésie d'autrefois, p. 166.
(19): Ibid.
(20) : Charles Wilkes, Narrative of the United States, exploring Expedition during the
years 1838-1842
(Récit de l'expédition américaine d'exploration pendant les années
1838-1842), Vol. 2 (Philadelphia 1845), pp. 17-18.
(21) : Montgomery (éd.), Journal, p. 210; Otto von Kotzbue, A new voyage
World in the years 1823,24,25 and 26
round the
(Nouveau voyage autour de la terre pendant les
Société des Études Océaniennes
94
années 1823,24,25 et 26), Vol.1 (London,1967), p. 163.
(22) : Stevens à LMS, 5 juillet 1841, SSL; Voir aussi le journal de Crook, entrée, 8
septembre 1828, SSJ; Darling à Arundel,18 novembre 1829, SSL.
(23) : Journal de Crook, entrée,12 janvier 1829, SSJ.
(24) : Barff à LMS, 4 avril 1831. La cérémonie du Ahu oto était une présentation abon¬
dante de
produits et de vêtements aux arii signifiant une reconnaissance
d'allégeance. Les missionnaires pensaient que la cérémonie était lascive et source de
gaspillage et elle avait été interdite dans le Code de 1824.
(25) : Darling à la LMS, 28 avril 1831, SSL.
(26) : Ibid.
(27) : Barff à la LMS, 4 avril 1831, SSL.
(28) : L'action entreprise par les Toohitu dans ce domaine peut avoir été poli¬
tiquement motivée par leur propre intérêt plus que par des principes moraux. Le
"divorce" de Pomare d'un chef de Tahaa et son "mariage subséquent avec un simple
cuisinier" mettait en péril le statut des principaux arii qui craignaient que le nouvel
amour de la reine
puisse bientôt demander à jouir des privilèges réservés
exclusivement aux chefs. Orsmond à Orme, juillet 1829; Darling à Arundel, 4 janvier
1833, SSL.
(29) : Ellis à Palmerston, 24 novembre 1837 (Foreign Office, 58/15, BPRO).
(30) : Ellis, A la recherche de la Polynésie d'Autrefois, pp. 207-208.
(31) : Nott à Ellis, 11 mai 1835, SSL. Une loi identique fut adoptée en mars à
Huahine. Barff à Ellis, 24 juin 1835, SSL. La désastreuse guerre de Raiatea-Tahaa de
1832 persuada les missionnaires que le commerce de l'alcool était en grande partie
responsable du déclin de la moralité publique aux îles Sous-Le-Vent. Les sociétés
anti-alcooliques furent alors instituées à travers toutes les îles de la Société.
(32) : Robert Fitzroy, Proceedings of the Second Expedition, 1831-1836 (Vol. Il of
Narrative of the surveying Voyage of the HMS Adventure and Beagle) (Compte-rendu de
la deuxième expédition 1831-1836, Vol. Il du Récit du voyage d'exploration des
HMS Adventure et Beagle) (London, 1839), p. 540.
(33) : La Circulaire dit: "Anglais et Américains, combien de temps encore vous
soumettrez-vous au... joug
des tyrans, au fouet des missionnaires et au diabolique
système païen de pillage de votre propriété, vous traînant devant un tribunal
faussement intitulé Cour de justice, et la façon mercantile de vous voler sous le
masque de leurs lois mesquines et arbitraires",11 avril 1837, Archives du Consulat
britannique de Tahiti, Collection, 1827-1842 (Mitchell Library).
(34): Blacker au Secrétaire d'Etat, 15 janvier 1838, U.S.D.S., Dépêches; Armitage à
Arundel, 16 mai 1833, SSL. : Palmerston à Pritchard (F.O. 58/14 BPRO). :
Moerenhout à Forsyte, 24 décembre 1836, U.S.D.S. : Moerenhout, 22 décembre 1836
(Ms. Société des Etudes Océaniennes, Papeete).
"Remarques de Pritchard lui-
même", nd, (Ms. Société des Etudes Océaniennes). Ibid.
(35) : Palmerston à Pritchard (F.O. 58/14 BRPO).
(36) : Morenhout à Forsyte, 24 décembre 1836, U.S.D.S.
(37) : Morenhout, 22 décembre 1836 (Ms. Société des Etudes Océaniennes, Papeete)
(38) : " Remarques de Pritchard lui-même ", nd, (Ms. Société des Etudes Océanien¬
nes, Papeete).
(39) Ibid.
Société des Études Océaniennes
95
CONTRIBUTION A L'HISTOIRE
DU DROIT DU TRAVAIL
EN POLYNESIE FRANÇAISE
Si le Code du travail des ter itoires d'outre-mer, promulgué en 1952 et
l'ensemble de ses textes d'application ont connu une large publicité,
la lecture du Bulletin Officiel des Etablissements français d'Océanie et
ensuite du Journal Officiel des Etablissements français
d'Océanie, depuis leurs
premiers numéros, nous montre que le Législateur et les autorités
administratives ont manifesté un souci de réglementer le travail en
Polynésie française sous des formes variées.
Reflet d'une situation économique qui se transforme, l'ensemble
de ces textes est marqué par l'évolution des
et les événements politiques
idées sur la question sociale
de la Métropole avec quelques retards
parfois.
Etablissements français
à 1952 est le reflet de strates
successives. Les mauvaises langues estiment que la notion de travail est
étrangère à Tahiti et aux îles qui l'entourent, nous verrons qu'il n'en est
Le droit du travail applicable dans les
d'Océanie pour la période de 1842
nombreux, animés de préoccupations
l'égard du travailleur, qu'il soit venu
d'ailleurs ou originaire des îles de Polynésie, indépendant ou salarié,
rien. La publication de textes
variées souvent protectrices à
nous
montre combien les autorités du
moment ont entendu limiter
certains abus.
Société des Études Océaniennes
96
LE CODE TAHITIEN
PREVOIT UNE PRESTATION DE TRAVAIL EN
TENANT COMPTE D'UNE DIFFERENCE DE LANGUE ET DE CULTURE.
premières rencontres avec l'homme blanc, navigateur,
se sont assez vite
assorties de relation de travail. Les baleiniers, qui apparaissent à la fin du
XVIIIème siècle dans la région, ont besoin de réparer leurs navires et de
personnel de remplacement. Le B.O.E.F.O. de 1842 publie le Code tahitien
dont la Loi IV est consacrée aux ventes et aux achats : "Pour tout travail que
des étrangers veulent faire exécuter par des Tahitiens, qu'une loyale convention
soit faite entre celui qui doit faire le travail et celui qui la demande ; qu'ils
s'accordent bien sur la nature de l'objet à donner en échange : soit en argent, soit
en étoffe, soit tout autre. Lorsque la parole de convention pour le travail et toute
chose convenue avec un Tahitien d'autre part sera conclue, que cette convention
soit exécutée, qu'elle ne soit point rompue ni altérée. Si une des parties ne
l'exécute point fidèlement, de quelque part que vienne l'infraction, elle sera jugée
et condamnée à payer 20 dollars, dont 10 pour la partie qui tient ses engagements,
5 pour la Reine et 5 pour le Gouverneur. Si la partie qui fait la convention avec
celle qui la rompt désire que celle-ci ne soit point mise en jugement et condamnée
à l'amende, qu'il en soit ainsi ; mais dans ce cas, le travail devra être exécuté".
Les
arrivant dans les îles après une longue traversée,
Ce texte est, à notre connaissance, le premier texte officiel qui
traite des relations de travail. Il est assez caractéristique : la situation qui
est décrite est celle d'un donneur d'ouvrage étranger et
d'un travailleur
tahitien. Le législateur a entendu souhaiter une bonne exécution
de la
convention conclue. Il envisage le paiement delà prestation en retour sous
diverses formes, reflet d'une économie encore fondée sur l'échange :
argent, étoffe ou autre. Que ce texte apparaisse dans une partie consacrée
aux ventes et aux échanges montre bien que, comme dans le droit français,
la prestation de travail ne s'affranchit que peu à peu du droit civil en
général, même si le droit du travail contemporain en porte encore des
marques. La prestation de travail est, à cette époque, une marchandise
parmi d'autres, que l'on vend ou achète. La relation de travail sera
longtemps régie par le contrat de louage du Code civil.
L'édition du B.O.E.F.O. de 1848, qui reproduit aussi le Code
tahitien ÉO, marque déjà une certaine évolution. L'article 2 nous indique :
"Tout travail exécuté par les Tahitiens pour le compte d'Européens et
réciproquement sera précédé d'une convention écrite en français et en taïtien, signé
par l'interprète juré du gouvernement. Si l'une des parties n'exécute pas fidèlement
la convention, elle sera tenue de comparaître devant le Tribunal mixte pour être
jugée; et si elle est condamnée, voici quelle sera sa peine : 75 francs pour la partie
Société des Études Océaniennes
97
qui tient ses engagements seront donnés à titre de dommages et intérêts et 25 francs
d'amende envers le gouvernement protecteur. Le travail devra, en outre, être
continué ou des indemnités en cas de rupture seront fixées par le juge... "
"Si la convention a eu lieu entre deux indigènes, ils seront justiciables devant le
juge du district et, dans ce cas, l'amende de 25 francs sera répartie entre le
gouvernement protecteur, le chef et les imiroa du district où le travail doit être
exécuté".
simplement verbale en 1844,
l'édition de 1848 et doit être rédigée
dans les deux langues. Dans le droit du travail contemporain, cette
possibilité de traduction existe toujours pour un salarié qui peut
La convention qui pouvait être
devient obligatoirement écrite dans
demander la traduction de son contrat de travail dans une des langues
polynésiennes, ou dans une autre langue s'il est étranger (2).
dans la convention
passée est maintenant puni d'une amende fixée en francs et non plus en
dollars. Dans le système judiciaire de l'époque, les tribunaux compétents
pour ce type de litige sont différents selon qu'il s'agit d'une prestation
conclue entre un Tahitien et un Européen ou de deux Tahitiens. La Loi
n°XVIII de ce même Code tahitien (3) prévoit déjà une obligation scolaire
des enfants jusqu'à quatorze ans, a contrario le travail est donc possible à
partir de cet âge, alors qu'en Europe, à la même époque, des jeunes
enfants composaient la main-d'œuvre bon marché des manufactures (4).
Lors des séances des 27 et 28 mai 1850 de la Cour des Toohitu (5),
le commissaire de la République, dans son discours, fait l'éloge du travail
Le non-respect des dispositions contenues
prospérité des Tahitiens à l'issue d'une
approprié :
..."Employez votre ascendant moral sur le peuple pour l'éclairer sur ses véritables
intérêts, développez chez lui le goût du travail : c'est le moyen le plus sûr de le
moraliser, en lui assurant des richesses qui rendent la vie plus douce et plus
agréable. Outre l'agriculture qui mérite les premiers soins, si vous voulez tirer de
la fécondité du sol de Taïti toutes les richesses qu'il renferme, vous aurez à
stimuler les goûts des travaux de charpentage, de menuiserie, de boulangerie...
L'inexpérience des Tahitiens dans les métiers fait passer dans les mains
d'étrangers presque tout l'argent du pays...La Reine et le Commissaire de la
République sont d'accord pour faire initier la jeunesse taïtienne à tous ces travaux
utiles, afin de vous affranchir de recourir à des mains étrangères chèrement
payées, quand vous voulez édifier de belles cases, construire des embarcations
solides, fabriquer des outils d'agriculture... Par ce que vous venez d'entendre,
pouvez juger des intentions paternelles du Commissaire de la République.
bien fait, qui doit concourir à la
formation technique et d'un apprentissage
vous
Société des Études Océaniennes
98
Dans tous les pays du monde, l'apprentissage des métiers est chèrement payé à
celui qui enseigne par celui qui apprend ; à Taïti, ce sera le contraire, les apprentis
seront logés, vêtus et payés par les maîtres : éclairez donc
les gens de vos districts,
faites-leur comprendre les avantages de la proposition du Commissaire de la
République, faites en sorte que l'officier qui va être chargé d'aller recruter des
jeunes ouvriers soit partout bien accueilli et qu'il y ait empressement à s'enrôler.
Vous êtes tous des hommes sages, la plupart d'entre vous ont une grande
expérience, vos conseils et vos exhortations auront donc une salutaire influence
sur le peuple".
Près d'un siècle et demi plus tard, les termes utilisés ne sont plus
les mêmes, mais les préoccupations demeurent : former une maind'œuvre qualifiée sur le Territoire pour répondre aux besoins de son
économie. Les actions en faveur de l'apprentissage sont régulièrement
renouvelées en direction des jeunes et des employeurs susceptibles de les
accueillir dans leurs entreprises.
La publication du décret du 27 avril 1848
(6) sur l'abolition de
l'esclavage n'aura pas de conséquences particulières en Polynésie.
Les relations décrites, réglementées par le Code tahitien et certains
textes légèrement postérieurs pour d'autres îles et archipels qui n'étaient
pas soumis à ce Code comme les Tuamotu (7) sonf; relatives à des
situations entre particuliers. L'Etat n'intervient pas encore. Cela ne saurait
tarder.
APPARITION DE L'ETAT,
UN PARTENAIRE SOCIAL AUX ROLES MULTIPLES
Dès 1850, l'Etat apparaît comme employeur et fournisseur de
main-d'œuvre en Polynésie française.
L'Etat en tant qu'employeur précise dans le B.O.E.F.O. certaines
de ses prérogatives comme les horaires. Par décision du 26 août 1857
(8)
portant réglementation sur les horaires de travail, on apprend que la
journée de travail est de 7h 30 par jour, du 1er avril au 1er septembre et de
8h par jour du 1er septembre au 1er avril. La journée commence à 6h 30 et
se
termine à 17h, avec une longue coupure pour le déjeuner. La journée
continue n'a pas encore ses adeptes... L'employeur rappelle aussi la
nécessité de veiller au respect de ces horaires qui doivent être effectifs.
L'Etat met en garde les débitants et restaurateurs qui reçoivent pendant
les heures de travail les militaires ou marins employés sur les chantiers ou
dans les ateliers du gouvernement. Souhaitant mettre un terme à certains
abus, il interdit pendant les heures de travail de recevoir les militaires et
Société des Études Océaniennes
99
marins dans les restaurants et débits de boisson. La contravention est
punie d'une amende de 25 à 100 francs. La récidive peut même entraîner
le retrait de la patente du débitant. Boire ou travailler... il faut choisir; on
ne se désaltère pas en public pendant les heures de travail (9).
Les conditions de paiement des salaires donnent lieu à des textes
nombreux dans l'esprit de veiller à la régularité des opérations de
paiement des salaires aux ouvriers, en présence de témoins au-dessus de
tout soupçon
(10).
Avec l'arrêté du 12 août 1850 (H), les ouvriers militaires peuvent
aller travailler chez les résidents pendant leurs jours de repos ou avec
chantiers l'après-midi. Le cumul des
travaillant aussi chez les résidents) est
rendu possible. L'Etat fixe même le prix des journées :
en 1853
pour les surveillants: 13 F par jour,
pour les ouvriers de profession: 7,5 F par jour,
pour les manœuvres: 4 F par jour.
autorisation après la fermeture des
deux emplois (ouvrier militaire
-
-
-
Ils seront régulièrement révisés.
Cette situation doit répondre aux difficultés de trouver une
main-
mai 1853, modifiant l'article 15
de l'arrêté du 19 mai 1851 relatif au prix des journées des ouvriers du
gouvernement mis à la disposition des particuliers (12), décrit la situation
d'œuvre locale compétente. L'ordre du 4
à laquelle elle
correspond :
"Quand le commerce ne pourra pas fournir les ouvriers nécessaires pour réparer
les navires, le Gouvernement du Protectorat mettra ses ouvriers à la disposition
des armateurs, consignataires et capitaines ou patrons."
Les détenus sont, eux aussi, amenés à travailler pour le compte de
particuliers ou celui de l'Etat : le texte nous précise que les travaux les plus
pénibles sont réservés aux condamnés aux travaux forcés
Le recours à une main-d'œuvre locale a dû être insuffisant, malgré
l'utilisation des détenus et des ouvriers de l'Etat pour des tâches
ponctuelles, on a dû assez vite recourir à une main-d'œuvre extérieure à la
Polynésie.
(13).
Société des Études Océaniennes
100
LES RELATIONS DE TRAVAIL SE TRANSFORMENT EN RELATION
DE MAIN-D'ŒUVRE AVEC
L'INTRODUCTION DE SALARIES
ETRANGERS
A partir de 1857, apparaît une réglementation sur
l'introduction
d'immigrants. Les relations de travail se transforment. Ce n'est plus
l'employeur qui est étranger à la Polynésie, mais le travailleur qui est
introduit en Polynésie à l'occasion de son travail.
L'arrêté de 1857 (14) réglemente les conditions d'introduction des
travailleurs étrangers en général. Dans le préambule, le Gouverneur
la situation à laquelle sont confrontés les îles de
décrit
la Société pour motiver
dispositions :
"Considérant que la cherté de la main-d'œuvre dans les îles de Tahiti et de
ces
Moorea, due en grande partie au peu de population de ces îles, s'oppose à la mise
en culture du sol et nuit à la prospérité de ce pays ;
Vu la nécessité d'encourager l'immigration des travailleurs..."
La durée du contrat est fixée à cinq ans maximum, renouvelable.
L'âge minimum du travailleur est fixé à quinze ans. Le contrat peut être
rédigé soit en langue tahitienne, soit dans la langue du pays de l'engagé,
mais dans ce cas, il devra toujours être accompagné d'une traduction en
français, en anglais ou en espagnol. Les litiges sont portés devant le juge
de paix. Si le travailleur refuse de travailler, on peut lui demander des
dommages-intérêts, il est condamné à un travail public jusqu'à ce qu'il
consente à nouveau à travailler chez son patron.
Le gouvernement, nous dit le texte, ne prend
en aucun cas à sa
charge ni les frais de rapatriement, ni les frais médicaux qui sont en
principe à la charge du patron. Le Directeur des affaires européennes
enregistre et appose son visa sur lés contrats. Cette procédure sera
destinée à perdurer, puisqu'elle subsiste encore de nos jours. Longtemps
assurée par le Service de l'Inspection du travail, c'est maintenant l'Agence
pour l'emploi et la formation professionnelle qui enregistre et appose son
visa sur les contrats de travail des salariés étrangers.
Le texte de 1857 est complété en 1862 ; cette année-là, le B.O.E.F.O.
publie un contrat d'engagement de travail pour les immigrants océaniens
(15). Le but est de pouvoir recruter une main-d'œuvre qui manque à
travaux agricoles. Les engagements contractés
le rapatriement de l'engagé se faisant aux frais de la
Tahiti pour effectuer les
sont de deux ans,
Colonie. Le salarié est payé au mois, au cours duquel il doit travailler 26
jours (on peut donc en déduire qu'il bénéficie d'un jour de repos
Société des Études Océaniennes
101
hebdomadaire) à raison de 10 heures par jour: de 6 heures à 18 heures,
avec une coupure
de deux heures en milieu de journée. Son salaire est fixé
à 20 F par mois; les heures effectuées en plus ne sont pas
susceptibles de
majoration de salaire. L'engagé est logé, nourri dans l'établissement, avec
une ration de 250g de viande ou de poisson par jour et 2kg de racines ou
fruits alimentaires (patates, maiore, fei, etc). Cette obligation de nourriture
peut se substituer au paiement d'une indemnité de 0,40 F par jour.
S'il est malade, l'engagiste est tenu de lui donner les soins
nécessaires, sauf si la maladie a été contractée en dehors du travail. Si
l'engagé s'absente pour un motif non légitime, l'engagiste est en droit de
lui retenir sur son salaire le montant de la journée d'absence qui est
doublée à titre de dommages-intérêts.
Le contrôle du compte de l'engagé et des registres
relève du
Directeur des affaires européennes de l'administration du Gouverneur,
qui effectue des missions qui sont de nos jours dévolues à l'Inspection du
travail dans le domaine du contrôle du paiement des salaires, des
retenues, des avantages en nature.
Ces deux premiers
textes marquent la transformation des
relations de travail à Tahiti. On parle désormais de travailleurs et
de
patron, de journée de travail, de salaires, avantages en nature, frais
médicaux, et de rapatriement.
1864, année de l'arrivée des travailleurs chinois de la plantation
de Atimaono, voit aussi la publication au B.O.E.F.O. des décrets
du
Prince-Président sur les immigrants dans les colonies françaises ainsi que
les engagements et la police du travail
concernant
(16) et le décret du 27 mars 1852
l'immigration des cultivateurs ou ouvriers aux colonies (17).
Ces deux décrets sont complétés par l'arrêté-type sur la
répartition des
immigrants à leur arrivée et le régime de protection dans les Antilles.
Contrairement aux textes précédents, qui régissaient la question de
l'introduction de la main-d'œuvre, ces décrets ont vocation à s'appliquer
aux mouvements d'immigration vers l'île de la Réunion, les Antilles et la
Guyane, puis à l'ensemble des colonies françaises. Les préoccupations
contenues dans le préambule sont assez révélatrices de la mentalité de
l'époque mêlant à la fois la volonté d'avoir une main-d'œuvre suffisante,
et que celle-ci ne cause pas de trouble à l'ordre public dans un monde
rural isolé :
"Considérant qu'il est utile d'encourager l'immigration
des travailleurs dans les
colonies et d'établir les conditions et les garanties de cette immigration ;
Considérant que, depuis l'abolition de l'esclavage,
l'expérience a fait connaître la
des propriétaires avec les
nécessité de régler, dans un mutuel intérêt, les rapports
Société des Études Océaniennes
102
cultivateurs et de déterminer d'une manière plus précise et plus efficace leurs
obligations réciproques ;
Considérant que la police rurale, la répression du vagabondage aux colonies
réclament, dans l'intérêt de l'ordre et du travail, diverses mesures conciliables
avec la
liberté..."
Le
décalage, entre la rédaction du texte en 1852 et son
place
Chinois sur la
plantation Stewart. Comme dans d'autres cas, l'introduction dans les
introduction en Polynésie en 1864, confirme bien qu'il est mis en
pour répondre à une situation nouvelle : l'introduction des
Etablissements français de l'Océanie, puis en Polynésie française d'un
juridique est souvent une question d'opportunité.
Lorsqu'une situation nouvelle se présente, on introduit alors le
texte prévu pour cette situation donnée par le Ministère des Colonies.
C'est une réglementation assez complète qui précise les conditions et le
déroulement des différentes étapes du processus d'immigration : le départ
de la terre d'origine, le voyage en mer, l'arrivée dans la colonie pour le
travail, le déroulement et les conditions de travail, la fin du contrat et les
texte
conditions de renouvellement du contrat ou le retour vers
la terre
d'origine de l'immigrant.
Le départ de l'immigrant de sa terre d'origine doit être
mesures
entouré de
de publicité et d'explication auprès des intéressés sur les clauses
contenues dans le contrat et de la
situation qui les attend. Cette décision
doit être prise de son plein gré.
Les conditions de transport des émigrants sont aussi réglementées
bateau, les
pour l'espace minimum dont ils doivent disposer à bord du
modalités de couchage et d'entretien, l'approvisionnement qui doit être
embarqué sur le bateau par passager et par jour prévisible de traversée
(viande salée 200 g, ou poisson salé, 750 g de biscuit ou 1 kg de riz, 120 g
de légumes secs et 3 litres d'eau). L'état du navire fait l'objet d'un contrôle
tous les quatre mois. Il doit être équipé de chaloupe et canots de
sauvetage.
L'arrivée de l'immigrant pour le travail est source de revenus
pour la colonie d'accueil puisque, à cette occasion, elle perçoit un droit
d'enregistrement sur l'engagement de l'immigrant et ensuite un droit
proportionnel sur le montant de son salaire. Ces droits sont à la charge du
patron. A leur arrivée on vérifie l'identité des passagers et on procède à
l'examen de leur état de santé.
La répartition et le placement des ouvriers entre les employeurs
d'immigration composé de fonctionnaires, d'un
propriétaire terrien et d'un négociant. L'engagement de l'ouvrier fait
est le fait du comité
Société des Études Océaniennes
103
l'objet d'un contrat écrit déclaré et enregistré avec des obligations
réciproques déterminées par la réglementation. A l'égard de l'ouvrier et
de sa famille, le patron
prend l'engagement de les nourrir, de leur
procurer les instruments nécessaires au travail, de leur prodiguer des
soins médicaux et des médicaments en cas de maladie. Le texte va même
jusqu'à prévoir dans quelles conditions les ouvriers doivent être vêtus par
leur employeur. On travaille 9h 30 par jour, 6 jours par semaine, mais le
dimanche peut être consacré aux travaux d'entretien des animaux et des
services courants. De tels horaires ne laissent guère le temps de goûter à la
douceur de vivre en Polynésie. L'ouvrier doit être en possession d'un
livret de travail. Dans le cas contraire, et s'il ne peut pas justifier d'un
métier ou d'une profession, il est alors poursuivi pour vagabondage avec
Le non-respect des obligations prévues au
de police, du ressort du juge de paix.
Les conditions de vie de l'immigrant font l'objet d'un contrôle par
le Commissaire à l'immigration, chargé de faire le tour des exploitations
pour veiller au respect des engagements pris dans les contrats de travail.
Les intérêts de l'immigrant sont défendus par un "syndicat" composé du
Procureur impérial, d'un avocat et d'un conseiller municipal désigné par
le Gouverneur et assisté d'un interprète. Le Syndicat a, seul, qualité pour
ester en justice dans l'intérêt des immigrants, mais il peut aussi poursuivre
d'office, devant les tribunaux, la résiliation des engagements lorsque les
conditions légales de salubrité et d'hygiène et celles sous lesquelles
l'engagement a été contracté ne sont pas observées à l'égard des
immigrants. Pendant les cinq premières années de son séjour, l'immigrant
bénéficie de droit, sans avoir à produire de justificatif, de l'assistance
la répression qui s'y rattache.
contrat est passible d'amende
judiciaire.
renouveler
contraire, il est
A l'issue de son contrat, on encourage l'immigrant à le
en lui versant une prime s'il est réengagé. Dans le cas
rapatrié, lui et sa famille aux frais du trésor public ou de la colonie.
Certaines de ces dispositions sont reprises dans des textes postérieurs (18).
L'esprit général de ce texte restera en vigueur jusqu'en 1920.
deux notions étroitement liées, qui
marqueront longtemps les relations entre employeur et salarié. Certains des
récits décrivant la vie et les conditions de travail des Chinois de la plantation
de Atimaono ont fait état de pratiques assez éloignées des descriptions de la
réglementation 09^ de manière parfois assez polémique. Les conditions de
vie ont aussi été abondamment décrites dans 2 ouvrages: celui de G.
Travail et voyage sont
Coppenrath, Les Chinois de Tahiti, de l'aversion à l'assimilation 1865-1966 (20),
et dans Histoire et portrait de la communauté chinoise de Tahiti (21).
Société des Études Océaniennes
104
Les B.O.E.F.O. de 1869 (22) et de 1870 (23) font, pour leur part,
état, à travers deux arrêtés de déportation, d'éléments perturbateurs de la
plantation vers Anaa dans un atelier de discipline, puis aux Marquises
dans les terres Stewart. Tout ne devait pas aller pour le mieux dans le
meilleur des mondes.
UN APPORT D'ORIGINE METROPOLITAINE
AUX EFFETS PARFOIS INCERTAINS
Cette réglementation parcellaire est complétée de manière
ponctuelle par l'introduction dans les E.F.O. de textes à portée générale
d'origine métropolitaine. L'intervalle entre la publication au J.O.R.F. et le
J.O.E.F.O. est quelquefois très important, mais quand les nécessités s'en
font sentir, il peut être assez rapide.
Certains textes touchent parfois de manière assez marginale le
monde du travail à travers :
les enfants avec la "Loi relative à la protection des enfants employés dans
-
les professions ambulantes" du 7 décembre 1874 publiée au J.O.E.F.O. de
1909 (24) ; la "Loi sur la répression des violences, voies de fait, actes de
cruautés commis envers les enfants" du 18 avril 1898, publiée au J.O.E.F.O.
de 1909 (25);
la femme mariée avec la "Loi relative au libre salaire de la femme mariée
-
et à la contribution des époux aux charges
du ménage" du 15 juillet 1907,
publiée au J.O.E.F.O. de 1910 (26).
D'autres de ces textes affecteront plus directement le monde du
travail :
les lundis de Pâques et de Pentecôte sont déclarés des jours fériés légaux
-
en
1887 (27);
la création des syndicats professionnels est rendue possible en 1905 alors
-
que la Loi avait été votée le 21 mars 1884 à Paris. Les syndicats de salariés
de Polynésie ne commenceront à se développer qu'à partir du second
conflit mondial (28);
-
le cadre dans lequel peuvent s'opérer les saisies-arrêts sur salaire est
précisé (29). On limite le montant de la portion saisissable pour un salaire
à 1/10 jusqu'à 2.000 F de revenu annuel. Cela préfigure la réglementation
contemporaine dans cette matière qui prévoit une progressivité par
tranche. L'employeur ne peut opérer de lui-même de compensation à son
profit entre un salaire qu'il doit à un salarié et des sommes dont celui-ci
pourrait lui être redevable. La saisie-arrêt doit faire l'objet d'une
procédure judiciaire donnant toute garantie, tant pour le salarié que pour
ses créanciers et génère une publicité à l'égard des tiers.
Société des Études Océaniennes
105
Certaines professions bénéficient aussi de la réglementation du
travail, particulière, protectrice pour le salarié, mise en place en
Métropole: elle vise les marins qui jouent un rôle important dans les
liaisons entre les E.F.O. et la Métropole. Ceux-ci peuvent bénéficier des
prestations de la Caisse de prévoyance sociale des marins (30/ 31 )f d'une
durée de travail de huit heures par jour sur les navires affectés à la
circulation maritime pour les navires ayant leur port d'attache en
Métropole (32), et de certaines conditions de sécurité et d'hygiène à bord
des navires de commerce, de pêche et de plaisance (33).
A côté des marins et très curieusement, les textes relatifs aux
voyageurs-représentants-placiers dont le statut est très particulier, à la
limite du monde des salariés et des travailleurs indépendants, sont
introduits, très rapidement après leur promulgation en Métropole, en
Océanie (34, 35). Ce statut particulier n'a, à notre connaissance, pas connu
le succès rencontré en Métropole. De nos jours encore, les fonctions
commerciales dans les entreprises, ne sont pas exercées par des V. R. P. en
Polynésie. Le statut, jugé peut-être trop protecteur par les employeurs
susceptibles d'y recourir, s'est révélé peu adapté aux pratiques
commerciales de la Polynésie.
UNE REGLEMENTATION SPECIFIQUE PARCELLAIRE
Parallèlement à ces textes épars produits par le Ministère des
Colonies ou l'administration métropolitaine, une réglementation
spécifique, propre aux E.F.O., demeure dans deux secteurs particuliers,
caractéristique de l'environnement maritime et des migrations nécessaires
pour répondre aux besoins d'emplois dans les îles de Polynésie.
La nacre :
La pêche des huîtres à nacre constituant une des ressources les
plus importantes des E.F.O. à partir du XIXème siècle, les pouvoirs publics
ont assez vite entendu en réglementer l'exploitation. Dans un souci de
préservation des gisements, cette activité est interdite aux étrangers en
1890 (36). Le Gouverneur peut, en Conseil privé, réglementer les contrats
d'engagement entre les patrons et les plongeurs (37). Malgré ses bonnes
intentions exprimées dans la séance du conseil d'administration des E.F.O.
et retranscrites dans le J.O.E.F.O. du 12 novembre 1903 (38), cette
possibilité sera encore sans effet en 1903. Les limitations de la durée des
plongées à nu ou en scaphandre ne sont pas animées par le souci de
préserver la santé des plongeurs, pourtant bien mise à contribution par ce
Société des Études Océaniennes
106
type de travail, mais celui de préserver les gisements nacriers (39, 40). a
partir de 1927, on commence à se préoccuper de l'état de santé des
plongeurs, en imposant par exemple aux propriétaires de cotres d'être
munis d'installations à bord
permettant aux plongeurs de se reposer à
l'abri des intempéries et en les obligeant à avoir les médicaments
(41). En 1932, on impose aux
de rapatrier les plongeurs de nacre amenés à
travailler aux Tuamotu. Un système de consignation est mis en place (42).
nécessaires aux soins de l'équipage
armateurs et transporteurs
L'immigration :
A partir de 1920
(43), la réglementation sur l'introduction des
travailleurs étrangers se précise et se transforme.
La gestion administrative de l'immigration est confiée au
Secrétaire général de la colonie, qui prend le titre de Commissaire à
l'immigration.
L'introduction des immigrants reste soumise à l'autorisation du
Gouverneur. Les syndics, mis en place dans le cadre de la réglementation
antérieure, voient leurs droits et prérogatives plus étendus pour leurs
missions de contrôle des établissements, où cette main-d'œuvre est
employée, à travers la visite des lieux de travail, des logements, la
vérification des salaires versés, la tenue des documents et la nourriture
distribuée. Ces missions sont celles des
inspecteurs du travail qui
apparaîtront après le second conflit mondial dans les E.F.O.. Toutefois, les
syndics perdent leur monopole de représentation de l'immigrant en justice
qu'ils détenaient jusque-là. L'immigrant, désormais, "peut" se faire
représenter par le syndic dans les opérations en justice qu'il peut engager.
C'est la fin de l'assistance systématique.
La notion d'immigrant n'est pas
générale, elle ne vise que les
travailleurs d'origine océanienne, africaine ou asiatique. Les travailleurs
d'origine européenne ne sont pas soumis à ces dispositions.
Les enfants, nés de ces immigrants dans la colonie, sont eux aussi
considérés comme des immigrants; ils peuvent choisir, à l'âge de 21 ans, de
devenir des sujets français, à l'égal des indigènes, selon les termes de ce
texte. Dès l'âge de 12 ans, ils doivent signer un contrat d'engagement de
cinq ans et commencer à travailler, à moins qu'ils ne fréquentent l'école
française. Dans le cas où ils travaillent, on essaye de les placer dans les
mêmes lieux que leurs parents.
A leur débarquement à Tahiti, les immigrants sont mis en isolement
pendant cinq jours au moins. Les immigrants reçoivent alors un matricule et
Société des Études Océaniennes
107
une carte
d'identité qui leur sert de passeport intérieur. Ils sont répartis entre
les engagistes, avec la préoccupation de ne pas séparer les membres d'une
même famille.
Pour la première fois, le texte en ce qui concerne la durée du travail,
indique qu'il faut se référer à la réglementation locale. L'assimilation de
traitement des salariés étrangers et nationaux, la disparition des spécificités en
fonction de la nationalité du salarié ne seront accomplies qu'en 1991, en
laissant toutefois subsister, à l'égard du salarié étranger, l'obligation pour
l'employeur d'établir un contrat écrit et la prise en charge du billet aller-etretour du salarié. Le travail n'est pas dû le dimanche ni les jours de fêtes
légales locales ainsi que les jours de fêtes du pays d'origine. En l'absence de
congés payés, ces quelques jours de repos dans l'année permettent peut-être
de découvrir un monde des loisirs en Polynésie. La vie reste encore marquée
par le travail puisque, les jours de fêtes et les dimanches, on peut demander
au
salarié de faire des travaux d'entretien des animaux ou de service de la vie
habituelle, à condition que cela ne dure pas plus de trois heures et que ce soit
terminé à neuf heures du matin.
Les heures supplémentaires effectuées sont maintenant rémunérées
en
tant que telles. Des
salaires minimum sont fixés: ils vont de 60 F par mois,
pour un homme âgé de plus de seize ans après trois ans, à 25 F pour une fille
âgée de douze à quatorze ans pendant les trois premières années. Dans
presque tous les cas, on constate une inégalité des salaires féminins et
masculins. L'aspiration à l'égalité n'est pas encore passée par là.
Les cas de retenues sur salaires sont limitativement énumérés dans
un souci de
garantir au salarié le versement entre ses mains d'un salaire
effectif.
Les rations alimentaires fournies par l'employeur sont modifiées,
100 g de
légumes secs, 10 g de légumes verts et 20 g de sel. En cas d'impossibilité, ces
rations peuvent être remplacées par des légumes, racines et denrées locales.
On précise aussi les quantités de vêtements et couvertures qui sont fournies.
Dans les régions australes, nous dit le texte, les vêtements fournis doivent être
avec
700 g de pain ou 80 g de riz, 100 g de viande ou poisson,
en laine.
S'il est malade, le salarié immigrant doit bénéficier de soins
médicaux à la charge de l'engagiste qui, si l'état de santé le
justifie, doit
l'envoyer, à ses frais, à l'hôpital. Les obligations de l'engagiste vont jusqu'à
devoir assumer son inhumation. Toutefois, précise le rédacteur de ce texte, si
la maladie du salarié résulte de son inconduite, l'employeur n'est pas dans
l'obligation d'assurer tous les maux... Une infirmerie doit être installée dans
l'établissement s'il y a plus de trente salariés étrangers.
Société des Études Océaniennes
108
Les absences non justifiées sont punies. Le salarié peut-être, selon
les cas, déclaré en état de désertion ou de vagabondage et faire l'objet
d'une répression pénale.
A l'issue de son contrat, il peut choisir de prolonger celui-ci ou
d'être rapatrié. S'il choisit de rester dans la colonie, il peut, selon les cas,
d'engagement, obtenir un permis de séjour qui, après
cinq années, devient irrévocable. Il se trouve, ainsi que sa famille, dans la
même situation qu'un sujet français : c'est le début de l'intégration.
avec ou sans contrat
Si, au contraire, il souhaite rentrer dans son pays d'origine et ne
travailler chez son patron dans l'attente du bateau,
dépôt et il est employé dans la journée aux travaux publics.
veut pas continuer à
on le met au
Des textes postérieurs apporteront quelques retouches à ce
dispositif. Pour limiter, semble-t-il, certains abus, on réprime, plus
sévèrement, le salarié qui, après avoir demandé le versement d'un acompte
en nourriture ou sur son salaire, ou sa prime
d'engagement, le dissipe et se
refuse à effectuer le travail pour lequel il a été engagé (44).
Pour parer aux problèmes éventuels d'insolvabilité des immigrants
d'origine asiatique, un arrêté (45) les oblige à faire partie d'une congrégation
par le Gouverneur. Le chef de la congrégation est responsable
pécuniairement, de manière solidaire avec l'ensemble de ses membres, du
paiement de tous les frais et taxes qui doivent être payés à l'Administration.
Le refus d'adhérer à une congrégation est un motif d'expulsion pur et
simple. Lorsque la congrégation refuse d'admettre un membre parmi elle,
celui-ci est assigné à résidence et placé sous la surveillance de la police.
reconnue
L'immigration indochinoise est encouragée. Les travailleurs
annamites bénéficient du versement d'une prime de 500 F s'ils souscrivent à
un
réengagement auprès du service local (46).
La ration alimentaire journalière, qui doit leur être fournie, se
distingue de la ration prévue pour les immigrants en général :
pain 250 g
riz sec 500 g
viande fraîche ou salée,
poisson salé 200 g
poisson frais 400 g
légumes verts 300 g, ou à défaut légumes secs 150 g
ou
ou
sel 20 g
thé 5 g
graisse 20 g
sucre 40
g.
Société des Études Océaniennes
109
Les rations sont plus riches; le thé, la graisse et le sucre ont fait
leur apparition. Le texte prévoit même qu'il faut donner, de préférence,
des aliments frais lorsqu'ils sont disponibles, plutôt que des aliments secs
ou des conserves. L'eau
pour les ablutions doit être filtrée ou distillée (47).
Les travailleurs étrangers, dans
l'esprit de l'Administration,
(48). Dans la ville de Papeete, il
est interdit aux travailleurs étrangers de circuler ou de se trouver dans un
établissement public de la ville, tel que restaurant ou cinéma, après vingt
et une heures. Toutefois, les employeurs peuvent accorder aux travailleurs
l'autorisation de se rendre, une fois par semaine, à une représentation
cinématographique : l'invention des frères Lumière est une distraction
appréciée en Polynésie, la compréhension de la langue de Molière n'est
pas indispensable.
constituent un risque potentiel de troubles
APPARITION D'UN DROIT AUTONOME
POUR LA MAIN-D'ŒUVRE LOCALE
Un droit autonome du travail qui s'éloigne des principes du droit
civil commence à s'esquisser, indépendant de l'immigration, qui fixe les
conditions d'engagement industriel et agricole autres que ceux soumis au
régime de l'immigration, avec l'arrêté du 24 mars 1924 (49). H préfigure, dans
son
esprit, le Code du travail d'Outre-Mer de 1952.
Prévoyant la possibilité de conclure des contrats de travail, tant sous
forme verbale qu'écrite, il rend obligatoire, à l'issue du contrat, la délivrance
d'un certificat par l'employeur. Lorsque le contrat est établi par écrit, il doit
contenir un certain nombre de mentions obligatoires quant à la qualité de
l'employeur, du salarié, la nature du travail à accomplir et le montant du
salaire qui doit être versé en retour, les droits aux soins médicaux pour le
salarié et sa famille, les éventuelles conditions de rapatriement. Les contrats
de travail, rédigés normalement en langue française, peuvent être traduits
dans la langue du salarié. En toute hypothèse, un exemplaire doit être déposé
chez l'administrateur qui le conserve dans ses archives. L'engagement ne
peut avoir pour effet de séparer des familles sans leur consentement.
Le salarié doit être détenteur d'un livret de travail au même titre que
les travailleurs étrangers.
La durée du travail est limitée à neuf heures par jour, mais des
heures supplémentaires peuvent être effectuées.
En l'absence de système général de protection sociale, le texte prévoit
que le salarié malade doit être soigné aux frais de son employeur et nourri
par lui pendant les soixante premiers jours d'arrêt pour maladie.
Société des Études Océaniennes
110
Si le salarié décède à son service, l'employeur est même dans l'obligation
d'assurer une sépulture "convenable", nous dit le texte, sur un terrain
spécial affecté à cet usage. La femme enceinte, pour sa part, a droit à un
repos payé un mois avant son accouchement et un mois après. Pendant les
deux mois qui suivent, elle n'est astreinte qu'à des travaux légers.
La
présence d'un médecin ou, à défaut, d'un infirmier est
obligatoire sur toute exploitation comportant plus de trente salariés.
Le contrôle des dispositions contenues dans ce texte est du ressort
de l'administrateur ou agent spécial, qui peuvent se faire assister d'un
médecin. Lors de leurs visites de ces exploitations, ils peuvent se faire
présenter les registres et documents relatifs au personnel. C'est l'ancêtre
direct de l'inspecteur du travail qui fera apparition à partir de 1944.
LES DEUX CONFLITS MONDIAUX ONT EUX AUSSI MARQUE DE
LEUR EMPREINTE LE DROIT DU TRAVAIL EN POLYNESIE
Un décret en 1918 (50) prévoit que les femmes salariées, dont le mari
est mobilisé, doivent pouvoir bénéficier d'un droit à congé dont la durée doit
être égale à celle de la permission de leur mari. Quelques mois plus tard,
l'armistice de Rethondes étant intervenu, le J.O.E.F.O. publie une Loi ayant
(51).
pour objet de garantir aux mobilisés la reprise de leur contrat de travail
Ce texte prévoit la réintégration du salarié mobilisé, dans l'entreprise où il
travaillait auparavant, avec un emploi et un salaire identique ou équivalent.
Le retour du guerrier, dont on souhaite la réintégration au sein de la société,
autorise la rupture de plein droit du contrat de travail du salarié recruté pour
son remplacement
pendant son absence. Un texte identique, mais assorti cette
fois de sanctions pénales à Rencontre de l'employeur récalcitrant, sera
promulgué en 1939 (52).
Pour répondre aux besoins de production des besoins de la guerre, la
réglementation de la durée du travail est assouplie. Le décret du 12
septembre 1939 (53) prévoit la possibilité de travailler soixante heures par
semaine et dix heures par jour. Pour les établissements de l'Etat et les
entreprises travaillant dans l'intérêt de la défense nationale ou pour un
service public, la durée du travail peut être portée à soixante-douze heures
par semaine après autorisation de l'inspecteur du travail ou des
fonctionnaires en tenant lieu.
Le travail des femmes et des enfants reste toutefois limité à
cinquante- quatre heures par semaine et neuf heures par jour. De tels horaires
ne laissent
guère de temps pour contempler le lagon ou de goûter aux
charmes de la musique nocturne d'établissements bien connus de Papeete!
Société des Études Océaniennes
Ill
Les lois des 30 janvier 1923 et 18 juillet 1927
(54) envisagent le
reclassement professionnel de ceux qui ont été atteints par le conflit
mondial dans leur intégrité physique : les invalides de guerre, ou les
membres des familles dans le besoin du fait du décès du chef de famille : les
veuves
et les orphelins de guerre. Ces deux textes sont intéressants par la
préoccupation constante du législateur (probablement non dépourvue
d'arrière-pensées électorales) d'intégrer dans la collectivité de travail un
handicapé invalide de guerre. Ce sont les deux premiers textes qui, dans les
E.F.O., abordent la question du handicap sur le lieu de travail ; dans leur
esprit, ils sont sur bien des points à l'origine des textes contemporains sur
les handicapés dans le milieu de travail, tant en Métropole que dans la
Polynésie française d'aujourd'hui. L'évaluation du handicap est le fait d'un
médecin. En fonction de l'importance de son handicap, l'invalide de guerre
est classé dans une catégorie qui va de A à E. Il bénéficie d'un accès à des
emplois réservés, dans l'administration de l'Etat et des collectivités
publiques et d'une priorité pour l'exploitation d'un bureau de tabac. Les
entreprises privées sont aussi sollicitées, puisqu'elles sont aussi soumises à
l'obligation de réserver un certain nombre d'emplois à ces invalides dès
qu'elles cherchent à obtenir une concession, un monopole ou une
subvention de l'Etat. Ce dispositif sera complété par le décret du 16 mai
1931(55).
La période postérieure au second conflit mondial voit la mise en
place de dispositions en matière de droit du travail plus précises, qui
tiennent compte d'un contexte social dont les acteurs sont sensibles à
l'évolution du pouvoir d'achat et aux problèmes d'emploi. Les textes mis en
place à partir de 1946 sont animés par un souci de concertation entre les
employeurs et les salariés appelés à devenir de plus en plus nombreux dans
les îles de la Polynésie d'après-guerre. La plupart des dispositions
contenues dans ces textes seront reprises dans le Code du travail de 1952.
Certains textes seront même conservés dans le dispositif des textes
d'application du Code de 1952.
Les nécessités de production pendant la guerre ayant disparu, la
durée du travail est donc réduite. Le Gouverneur promulgue, le 30 mai
1947, la Loi sur la journée de huit heures datant du 23 avril 1919 (56). Elle
fixe à quarante huit-heures la durée du travail par semaine, tout en
permettant, par la négociation entre les organisations patronales et
ouvrières, des aménagements ou des dérogations.
La journée du premier mai devient un jour férié chômé,
payé au
salarié (57). C'est encore, de nos jours, le seul jour férié qui bénéficie de ce
traitement de faveur dans la réglementation du travail.
Société des Études Océaniennes
112
L'APPARITION DE L'INSPECTION DU TRAVAIL
Si des missions de l'inspection du travail (contrôle des conditions de
vie et travail des salariés) relevaient des compétences de certains services du
Gouverneur, il n'existait pas, jusqu'à la fin du second conflit mondial, de corps
d'inspecteurs du travail pour l'Outre-Mer, alors que en Métropole, sa mise en
place remonte à 1874, dans un cadre départemental et 1892 pour la forme que
nous lui connaissons actuellement.
L'inspection du travail d'Outre-Mer est, à
l'origine, étroitement liée aux administrateurs de la France d'Outre-Mer. Le
corps est créé par décret du 17 août 1944 (58). fl sera modifié à plusieurs
reprises (59).
Pendant une période transitoire, le corps des inspecteurs du travail
d'Outre-Mer est alimenté d'inspecteurs du travail métropolitains et
d'administrateurs de la France d'Outre-Mer. Dans les E.F.O., les premiers
inspecteurs du travail sont des administrateurs : Jean Lalanne, Albert Ziegler.
Le desserrement de ces liens se fera progressivement au moyen d'un
recrutement externe sur concours. La disparition par extinction des inspecteurs
du travail d'Outre-Mer, la conservation des missions de l'inspection du travail
dans le giron des prérogatives de l'Etat, au cours de la période postérieure à
1952, généraliseront le recours à des inspecteurs du travail issus du corps
métropolitain interministériel des inspecteurs du travail.
Les inspecteurs du
travail sont mis à la disposition du chef du
Territoire. Ils ont pour mission, selon le texte, "en général de veiller à l'élévation
des conditions matérielles et morales des travailleurs" et sont chargés "du contrôle de
l'application des dispositions légales et réglementaires relatives au travail".
Comme en Métropole, ils ont des prérogatives assez larges puisqu'ils
peuvent pénétrer, de jour comme de nuit, dans les entreprises dont ils sont
chargés d'assurer le contrôle et peuvent se faire présenter tous registres ou
documents dont la tenue est prescrite par la réglementation du travail. Ils
peuvent se faire assister par des médecins ou techniciens.
Ayant, par leurs fonctions, connaissance de la vie des entreprises dans
leurs moindres détails, ils prêtent serment de ne pas révéler les secrets de
fabrication et, en général, les procédés d'exploitation dont ils pourraient
prendre connaissance dans l'exercice de leurs fonctions.
S'ils doivent s'efforcer, par des conseils et recommandations,
d'instituer une coopération permanente entre les dirigeants des entreprises et
les travailleurs, ils peuvent néanmoins constater les infractions par des procèsverbaux qui font foi jusqu'à preuve du contraire.
L'apparition d'une inspection du travail préfigure aussi l'esprit du
Code du travail d'Outre-mer de 1952.
Société des Études Océaniennes
113
La mise en place d'institutions paritaires
La présence d'un inspecteur du
travail permet la mise en place
et des
employeurs, au sein desquelles l'inspecteur du travail joue un rôle
d'arbitre, quand il est amené à les présider, et de conseil à caractère
juridique et technique compte tenu de ses compétences en matière sociale.
La mise en place d'une politique de concertation des partenaires sociaux
aura des
applications dans des domaines variés.
d'institutions paritaires, composées de représentants des salariés
En matière d'emploi, l'institution du Bureau central de la
d'œuvre dans le port de Papeete
main-
(60) est chargée, pour le compte des
entreprises employant des dockers, d'organiser et de contrôler l'embauche
sur le
port. Composé de représentants de la Chambre de commerce,
d'employeurs, de salariés en général, de responsables d'entreprises de
manutention, d'armateurs et des syndicats de dockers, il est présidé par
l'officier de port; l'inspecteur du travail, pour sa part, est présent en tant
que conseiller technique. Le Bureau ne se substitue pas aux employeurs.
Les relations de travail entre le salarié-docker et l'employeur restent régies
par un contrat de louage de service, dont la dénomination même montre
combien il est encore fortement teinté par les dispositions du Code civil.
La
procédure de fixation des salaires minima relève maintenant
d'un mécanisme paritaire.
Le décret du 23 août 1946 (61) prévoit la mise en place d'un salaire
minimum
applicable aux salariés, fixé par arrêté du Chef du Territoire
après avis d'une commission paritaire des salaires présidée par le Chef du
Territoire, composée de l'inspecteur du travail et, en nombre égal, de
représentants des salariés et des employeurs.
Cette commission est mise en place quelques mois plus tard, en
mars
1948 (62), présidée par le Procureur de la République qui représente
le Gouverneur. Les membres de la commission paritaire sont issus de
familles installées sur le Territoire puisqu'on y relève notamment la
présence de T.W. Bambridge, Yvan Chabana, Pierre Hallais, André
Jacquemin, André Juventin, Yves Martin, Raymond Meunier, Henri
Millaud pour les employeurs, Max Bernière, Raymond Hérault, Emile
Lecaill, Jean Malardé, Henri Nimau, Aimé Pambrun, Temarii Teai, Justin
Villierme. Rapidement consultée, le Gouverneur fixe le 5 avril 1948 (63) un
salaire minimum pour les travailleurs non spécialisés, c'est-à-dire les
manœuvres, âgés de plus de dix-huit ans et travaillant dans la Commune
de Papeete, les districts de Faaa, Pirae, à 115 FCP par jour. Le salaire
Société des Études Océaniennes
114
minimum passe à
126,50 FCP le 1er juillet 1951, le coût de la vie. ayant
augmenté de 10,79 %. Des abattements sont prévus :
pour les travailleurs ayant un handicap physique reconnu,
pour les travailleurs travaillant en dehors de cette zone géographique :
à Arue et Punaauia, dans l'agglomération de Taravao, la
-
-
.
commune de Uturoa, l'abattement est de 10%;
.
dans les autres districts de Tahiti et à Moorea, l'abattement
est de 20%;
.
dans les districts et autres archipels des îles-Sous-Le-Vent,
l'abattement est de 30%.
Le non-respect de ces
dispositions est assorti de sanctions pénales à
l'encontre de l'employeur récalcitrant qui, par ailleurs, est tenu d'afficher,
dans ses locaux de travail, le montant de ce salaire minimum.
Pour permettre un réajustement des salaires, un indice officiel du
1948 (64). Le
"panier de la ménagère" de référence est essentiellement alimentaire,
puisque l'alimentation est dotée du coefficient 50, les autres postes de
dépense étant affectés d'un coefficient de 10 à 15 : habillement et frais
divers, entretien et frais généraux, logement, épargne. L'indice général de
base 100 est celui du 1er avril 1948, il est ensuite susceptible de révision
trimestrielle après consultation des organisations syndicales patronales et
ouvrières qui peuvent émettre des observations. Le principe de
consultation est toujours en vigueur à l'heure actuelle.
coût de la vie est mis en place, avec l'arrêté du 21 juillet
En complément de cette mise en place d'un mécanisme de fixation
paritaire des salaires qui atténue largement le principe du salaire fixé
d'accord entre les parties, c'est-à-dire le salarié pris individuellement et
l'employeur, puisque le principe de l'existence d'un salaire minimum est
qu'il en limite le montant inférieur, une politique de concertation
préalable à la mise en place de nouvelles dispositions de cette
réglementation du travail est instaurée.
Un organisme consultatif du travail, dénommé Conseil du travail
et de la main-d'œuvre (65) est mis
en
place. Les motivations sont assez
explicites: le Code du travail d'Outre-Mer, annoncé à la Conférence de
Brazzaville et toujours attendu, fixera les principes généraux du droit du
travail. Les textes d'application nécessaires devront
répondre aux
exigences des conditions et particularités locales. Le Conseil du travail et
de la main-d'œuvre,
composé de membres qui à l'origine font aussi partie
de la commission paritaire des salaires, a
pour mission, à travers les avis
éclairés qu'ils émettent, de participer à la mise en œuvre des nouvelles
dispositions dans le domaine du travail et de l'emploi entre les partenaires
Société des Études Océaniennes
115
sociaux. On
peut penser que, consultés au préalable, les partenaires
sociaux seront conduits à mieux en respecter les règles. L'autorité morale
du Conseil du travail et de la main-d'œuvre est assez étendue puisque
celui-ci est amené, les autres procédures de conciliation ayant échoué, à
jouer un rôle d'arbitre dans les revendications qui opposent les syndicats
des travailleurs des quais aux entreprises de manutention (66).
Cette politique de concertation des partenaires sociaux n'est pas
particulière à la Polynésie française. En Métropole, dans cette période
d'après-guerre, elle marque fortement la vie économique par les
négociations des conventions collectives. Elle continue à marquer, pour
une large part,
les relations de travail et constituera, au cours de la période
postérieure à la promulgation du Code du travail d'Outre-Mer (67), un des
piliers nécessaire à la genèse et au respect du nouvel édifice juridique
construit. Mais ceci est une autre histoire... (68).
Arrivé au terme de plus de cent années de réglementation des
relations entre employeurs et salariés en Polynésie française, on ne peut
que constater que les deux parties à un contrat de louage de service, qui
n'avait pas encore reçu la qualification de contrat de travail, sont
devenues, au fil des années, des cocontractants d'un type particulier
puisqu'on parle d'employeur et de salariés, ces derniers ayant tout intérêt
à faire valoir cette qualité dans la défense de leurs intérêts.
Laure GINESTY
REFERENCES
(1):B.0.E.F.0.1848, p. 49.
(2) : articles 4 et 5 de la Loi 86-845 du 17 juillet 1986 sur les principes généraux du droit
du travail en Polynésie Française, J.O.P.F. du 10 septembre 1986, p. 1138.
(3 : B.O.E.F.0.1848, p. 69.
(4) : voir les descriptions du Docteur Villermé dans son célèbre rapport à l'Académie
des Sciences morales et politiques Tableau de l'état physique et moral des ouvriers employés
dans les manufactures de coton, de laine et de soie, Paris 1840
(5) -.B.O.E.F.O.1850, pp. 49-51.
(6) -.B.O.E.F.O.1848, p. 167.
(7) : arrêté n° 23 du 3 mai 1849 régularisant les transactions qui ont eu lieu aux îles
Paumotu entre les indigènes et les Européens, B.O.E.F.O. 1849, p. 201 ; arrêté n° 40 du
15 octobre 1851 portant règlement sur les contrats entre les indigènes et
B.O.E.F.O. 1849, p. 253.
Société des Études Océaniennes
les Européens,
116
(8) : B.O.E.F.0.1857, p. 202.
(9) : arrêté n° 201 du 15 novembre 1866 au sujet des contraventions qu'encourent les
débitants et restaurateurs qui reçoivent pendant les heures de travail les militaires ou
marins employés sur les chantiers ou dans les établissements du gouvernement,
B.O.E.F.0.1866, p. 197.
(10) : ordre du 20 février 1857 portant que les ouvriers civils employés dans les divers
ateliers de la colonie seront payés par jour et non plus au mois, B.O.E.F.O.1857, p. 141
;
arrêté du 13 mars 1858 n° 27 fixant le mode de paiement des ouvriers employés dans
les directions de l'Etablissement ; circulaire du Ministre de la
Marine et des colonies
du 24 juillet 1863, 2° direction 4° bureau prescrivant de faire
payer chaque mois les
entrepreneurs et ouvriers par le service du génie, B.O.E.F.O. 1863, p. 233 ; circulaire n°
268 du Ministre de la Marine et des colonies du 14 août 1863 4° direction 2° bureau,
B.O.E.F.0.1863, p. 247 ; rapport adressé le 13 novembre 1865 par l'Ordonnateur à M. le
Commandant commissaire impérial au sujet du paiement des salaires des ouvriers
civils employés dans les Directions des travaux, B.O.E.F.0.1865, p. 115
; arrêté n° 80 du
6 avril 1866 portant modification de l'arrêté du 14 novembre 1865, relatif au
des salaires des ouvriers civils, B.O.E.F.0.1866,
paiement
p. 93.
(11) : n° 17, B.O.E.F.0.1850.
(12): B.O.E.F.0.1853, p. 49.
(13) : arrêté n° 16 du 23 décembre 1848 concernant le travail des détenus et la
répartition des sommes qui en proviennent, B.O.E.F.0.1848, p. 146.
(14) : 23 mars 1857 au sujet des engagements de travail passés entre les patrons et les
travailleurs étrangers, B.O.E.F.O.1857, p. 148.
(15) : B.O.E.F.O. 9 juin 1862, p. 254.
(16) -.B.O.E.F.0.1864, p. 51.
(17): B.O.E.F.0.1864, p. 57.
(18) : notamment l'arrêté du 2 mai 1883, B.O.E.F.O. 1883, p. 178 concernant le service
de l'immigration.
(19) : Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes 1947, p. 324,361 ; 1948, p. 529.
(20) : Publication de la Société des Océanistes, n° 21, Musée de l'homme, Paris, 1967.
(21) : Association Wen Fa, J. M. Dallet, édition Christian Gleizal.
(22) : p. 63 & 128.
(23): p. 115.
(24) : J.O.E.F.O. 8 avril 1909, p. 97.
(25) : J.O.E.F.0.8 avril 1909, p. 97.
(26) : J.O.E.F.0.1910, p. 209.
(27) : arrêté promulguant dans la Colonie le décret du 25 septembre 1886 rendant
applicable aux colonies la Loi du 8 mars 1886 qui déclare jours fériés légaux les Lundis
de Pâques et de Pentecôte, B.O.E.F.O. 1887,
p. 85.
(28) : arrêté du 28 février 1905 promulguant dans la Colonie la Loi du 21 mars 1884
relative à la création des syndicats
professionnels, f.O.E.F.0.1905, p. 209.
(29) : arrêté du 17 janvier 1912 promulguant dans la colonie la Loi du 12 janvier 1895
relative à la saisie-arrêt sur les salaires et
petits traitements, J.O.E.F.O. 25 janvier 1912,
p. 39.
(30) : décret rendant applicable à certaines colonies la Loi du 18 janvier relative à la
Caisse de prévoyance sociale des marins, J.O.E.F.O. 1918,
p. 693.
Société des Études Océaniennes
117
(31) : arrêté du 28 juillet 1939, décret du 17 juin 1938 relatif à la réorganisation et à
l'unification du régime d'assurance des marins, /.O.E.F.O. du 15 août 1939, p. 320.
(32) : arrêté promulguant dans la Colonie le décret du 5 septembre 1922 portant
application de la Loi du 2 août 1919 fixant à 8 heures par jour la durée du travail sur
les navires affectés à la circulation maritime pour les navires ayant leur port d'attache
en
Métropole, f.O.E.F.O. 1923, p. 61.
(33) : arrêté promulguant dans la Colonie le décret du 31 août 1921 portant
modification du décret du 21 septembre 1908 sur la sécurité de la navigation maritime
et l'hygiène à
bord des navires de commerce, de pêche et de plaisance, J.O.E.F.0.1922,
p. 31.
(34) : arrêté promulguant dans la Colonie la Loi du 8 octobre 1919 et le décret du 29
novembre 1919 relatif à l'établissement d'une carte d'identité professionnelle à l'usage
des voyageurs et représentants de commerce, /.O.E.F.O. 16 mars 1920, p. 122.
(35) : arrêté rendant applicable dans la Colonie le décret du 24 novembre 1927 pour
l'application de la Loi du 2 août 1927, modifiant la Loi du 8 octobre 1919 relative à la
carte d'identité professionnelle à l'usage des voyageurs et représentants de commerce,
/.O.E.F.0.1928, p. 134.
(36) : article 1° du décret du 31 mai 1890 promulgué par arrêté du 22 août 1890,
J.O.E.F.0.1890, p. 189.
(37) : article 16 du décret précité.
(38) : p. 307.
(39) : arrêté portant promulgation du décret du 21 janvier 1904 réglementant la pêche
des huîtres nacrières et perlières dans les E.F.O., ].O.E.F.O. 1904, p. 145.
(40) : arrêté du 19 juillet 1924 concernant l'ouverture de l'île de Marutea Sud à la
plonge des huîtres nacrières pour la saison 1924, f.O.E.F.O. 1924, p. 239.
(41) : article 4 de l'arrêté du 11 mai 1927 réglementant la plonge des huîtres nacrières et
perlières avec usage facultatif du scaphandre dans l'archipel des Tuamotu, /.O.E.F.O.
1927, p. 198.
(42) : arrêté n° 604 S.G. du 9 juillet 1932 relatif aux conditions de rapatriement des
plongeurs de nacres,/.O.E.F.O. 1932, p. 403.
(43) : arrêté du 19 avril 1920 promulguant dans la Colonie le décret du 24 février 1920
réglementant l'immigration dans les Etablissements français d'Océanie, f.O.E.F.O. 1er
mai 1920, p. 169.
(44) : décret tendant à réprimer les détournements ou les dissipations d'avances de
salaires, primes d'engagement ou frais de transport commis par les indigènes et
assimilés en Indochine, dans les Etablissements français de l'Inde, en Afrique
occidentale française, dans les territoires sous mandat français du Togo et du
Cameroun, à Madagascar, à la côte française des Somalie, en Nouvelle-Calédonie, dans
les Etablissements français d'Océanie et en Guyane du 2 juin 1932, /.O.E.F.O. 1er août
1932, p. 394.
(45) : n° 547 S.G. du 31 juillet 1931, ].O.E.F.O. 16 août 1931, p. 317.
(46) : décision n° 324 du 15 mai 1930 allouant à chaque réengagé indochinois soumis au
régime de l'immigration et employé par le service local une prime de réengagement de
cinq cents francs, J.O.E.F.O. 16 mai 1930, p. 213.
(47) : arrêté n° 209 du 20 mars 1930 fixant et unifiant le régime alimentaire des
travailleurs indochinois introduits dans la Colonie, f.O.E.F.O. 1er avril 1930, p. 149.
Société des Études Océaniennes
118
(48) : arrêté du 11 août 1925 réglementant la circulation à Papeete des travailleurs
soumis au régime de l'immigration, J.O.E.F.O. du 16 août 1925, p. 230.
(49) : J.O.E.F.0.1er avril 1924.
(50) : décret du 13 mars 1918 rendant applicable la Loi du 15 février 1918, J.O.E.F.O.
1918, p. 753.
(51) -.J.O.E.F.O. 1919, p. 29.
(52) : décret du 21 avril 1939, J.O.E.F.O. 1939, p. 265.
(53)-.J.O.E.F.O. 1939, p. 618.
(54) : J.O.E.F.O. 1er février 1927, p. 69 et suivantes.
(55) : J.O.E.F.O. 16 avril 1932, p. 203.
(56) : J.O.E.F.O. 1947, p. 240.
(57) : Loi n° 47-778 du 30 avril 1947, J.O.EJ.O. 1947, p. 376, complété par la Loi n°48746 du 29 avril 1948, J.O.E.F.O. 1948, p. 266.
(58) : J.O.E.F.O. 15 octobre 1944, p. 34.
(59) : décret 46-875 du 29 avril 1946, J.O.E.F.O. 1946, p. 328 ;
décret 48-185 du 31 janvier 1948, J.O.E.F.O. 1948, p. 289 ;
décret 48-1252 du 6 août 1948, J.O.E.F.O. 1948, p. 437 ;
décret 48-1054 du 28 juin 1948, J.O.E.F.O. 1948, p. 408 ;
décret 48-1513 du 28 septembre 1948, J.O.E.F.O. 1948, p. 446, rectificatif J.O.E.F.O. 1949,
p. 10;
décret 49-77 du 19 janvier 1949, J.O.E.F.O. 1949, p. 139 ;
arrêté ministériel n° 505IGT du 21 décembre 1948, J.O.E.F.O. 1949, p. 156;
arrêté ministériel du 6 avril 1950, J.O.E.F.O. 1950, p. 388 ;
arrêté ministériel du 10 juillet 1950, J.O.E.F.O. 1950, p. 593 ;
(60) : décret 49-471 du 28 mars 1949, tendant à organiser le travail de manutention dans
le port de Papeete, J.O.E.F.O. 1947, p. 71.
(61) : n° 46-1868 publiée au J.O.E.F.O. 1947, p. 71.
(62) : décision n° 346 IT du 10 mars 1948, J.O.E.F.O. 1948, p. 99.
(63) : arrêté 474 IT du 5 avril 1948, J.O.E.F.O. 1948, p. 126.
(64) : arrêté 943-AE, J.O.E.F.O. 1948, p. 292.
(65) : arrêté n° 1075 IT du 13 septembre 1947, J.O.E.F.O. 1947, p. 411.
(66) : décision n° 543 IT du 21 avril 1951 déférant, devant le Conseil du travail et de la
main-d'œuvre, les revendications formulées par les syndicats des travailleurs des
quais, J.O.E.F.O. 1951, p. 169.
(67) : Loi n° 52-1322 du 15 décembre 1952 instituant un code du travail dans les
territoires et territoires associés relevant du Ministère de la France d'Outre-Mer,
J.O.E.F.O. 1953, p. 19, promulgué par arrêté n° 106 A. A. du 24 janvier 1953.
(68) : une nouvelle réglementation du travail en Polynésie française, évolution d'une
société, Bulletin de la Société des études océaniennes, juin-décembre 1991, n° 254-255, du
même auteur.
Société des Études Océaniennes
119
PAPE'ETE DE JADIS ET NAGUERES
Notice relative à la «1ère partie: A L'ABORDAGE DU VILLAGE DE PAPE'ETE»
Au B.S.E.O. N° 256-257 (2ème suite,. 12 § 33), un abrégé biographique
extrait du Répertoire
Tahitiens (Patrick O'Reilly Raoul Teissier, Société des
Océanistes, 2ème édition, Paris 1975) indique que «Jacques Rouffio (1797-1872),
natif de Montauban,... meurt sans descendance locale à Papeete (avril 1872)».
Ledit répertoire biographique de la Polynésie Française dit en réalité: Jacques
Rouffio, marin et armateur, originaire de Montauban, ... meurt à Papeete, le 19
avril 1872, sans laisser de descendance directe dans le pays (p. 498). La notice
consacrée à Louis Martin (p. 374), né le 2 février 1843 à La Cotinière, Saint-Pierre
d'Oléron
en
Charente-Inférieure, indique qu'il est propriétaire dans le quartier
Farii-Mata à Papeete et que, de son union le 11 novembre 1871 avec une jeune, fille
d'origine chilienne, Eloisa Ruffio (1854-1905) — l'état civil portera tour à tour
Rupfier, Rupfur, Rufo — appelée aussi Carmen Sepulveda, du nom de sa mère —
sont issus six enfants: Louise 1872-1892 (épse Marius Vallier), Marguerite 18741970 (épse Johan Muth), Paul 1876-1936 (époux d'Eva Salm), Héloïse 1877-1968
(épse Henri de Weiss puis Henri Ducos), Emile 1879-1959 (époux d'Anne-Marie
Papineau puis Dora Gooding) et Rose 1882-1972 (épse Constant Deflesselle).
Enfin, la notice consacrée à Constant Deflesselle (p. 141), né le 8 février 1872 en
Amiens, indique que cet officier, venu s'installer à Tahiti en 1900, était capitaine
au
long cours, très compétent en botanique, sera un long et actif président de la
Chambre d'Agriculture, fonde et dirige le syndicat agricole et ranime le Syndicat
d'Initiative; propriétaire à Mahina, il épouse en 1909 Rose Martin 1882-1972,
union dont naît un fils Guy (1909).
C'est précisément ce dernier, de sa résidence côté Fariimata, qui déclare
que Jacques Rouffio sus-nommé est son arrière-grand-père, décédé à Papeete le 19
avril 1872 à l'âge de 77 ans comme indiqué sur sa tombe au cimetière de l'Uranie;
né du côté de Nantes, il a eu une fille: Eloisa, d'origine chilienne, décédée le 17
octobre 1903 à Papeete (à l'âge d'environ 50 ans, née Eloisa Rupfur dite
Sepulveda, fille de Santiago Rupfur et de Carmen Sepulveda défunts, épouse de
Louis Alexis Martin suivant l'acte de décès dressé par le maire Hégésippe
Langomazino et témoigné par les déclarants, tous deux fils de la défunte,
domiciliés à Mamao: Paul Martin (27 ans) et Emile Martin (22 ans), tous deux
employés de commerce. L'acte de décès de Louis Alexis Martin, veuf, négociant
âgé de 67 ans, a été dressé par le Maire François Cardella sur la déclaration le 2
novembre 1910 de: Johann Jacob Muth (52 ans), comptable et beau-fils du défunt,
et Emile Martin (30 ans), armateur et
propriétaire de la gazoline «Suzanne» et fils
du défunt.
Prochainement: «2ème partie: AU TEMPS
DES MAIRES DES CENT
PREMIERES ANNEES DE LA COMMUNE DE PAPE'ETE (1890-1990)».
V.R. PIETRI
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