Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 229
- Titre
- Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 229
- Description
-
Articles
- Les Teva et les Pomare : P. Lagayette 1687
- L'île Christmas, l'empire de l'Abbé Rougier : C. Beslu 1695
- Littérature en Océanie : un cas de cirrhose pigmentaire atypique : D. Margueron 1712
- Cultures et cultes dans le Pacifique : W.A. Poort 1720
- Détermination botanique de quatre ti'i : C. Orliac 1739
- 5e congrès international sur les récifs coralliens à Tahiti en mai-juin 1985 . 1743
- Une nouvelle écriture océanienne : R. Koenig 1745
Compte-rendu
- J. Davies : A Tahitian and English Dictionary, Tahiti 1750
- Un défi nommé Pacifique 1753
- J.-C. Mathio : The meaning of Rural-Urban migration for French Polynesia Youth 1757
- P-A. Pirazzoli - L-F. Montaggioni : Variations récentes du niveau de l'océan
et du bilan hydrologique dans l'atoll de Takapoto 1758
- P-A. Pirazzoli : Cartographie des hauts fonds par télédétection dans l'archipel des Gambier 1759
- J.P. Ehrhardt : Les cônes venimeux de Polynésie Française 1759
La santé et la dent 1759
- Dr. Hignette Bergerard : Néphropathie hématurique familiale, avec atteinte occulaire et surdité dans une petite population isolée 1760
- I. Carloz : Action expérimentale de la ciguatoxine sur l'électrocardiogramme de chat 1760 - Date
- 1984
- Date de numérisation : 2017
- Format
- 1 volume au format PDF (80 vues)
- Identifiant
- PFP 3 (Fonds polynésien)
- Langue
- fre
- Editeur
- Société des Études Océaniennes (SEO)
- Relation
- http://www.sudoc.fr/039537501
- Droits
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- Société des Études Océaniennes (SEO)
- Type
- Imprimé
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BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCEKNIENNES
a
Y
N° 229
TOME XIX — N° 6 / Décembre 1984
Société des Études Océaniennes
Société des Études Océaniennes
Fondée en 1917.
Rue Lagarde - Papeete, Tahiti.
Polynésie Française.
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M. Robert KOENIG
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MEMBRES D'HONNEUR
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R.P. O'REILLY
Société des Études Océaniennes
BULLETIN
DE LA SOCIÉTÉ
DES
ÉTUDES OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
N° 229 - TOME XIX - N° 6 DÉCEMBRE 1984
SOMMAIRE
Les Teva et les Pomare : P.
Lagayette
1687
L'île Christmas, l'empire de l'Abbé Rougier : C. Beslu
Littérature en Océanie :
un cas
1695
de cirrhose
pigmentaire atypique : D. Margueron
1712
Cultures et cultes dans le Pacifique : W.A. Poort
Détermination botanique de quatre ti'i : C.
5e congrès international sur les récifs coralliens à Tahiti en mai-juin
Une nouvelle écriture océanienne : R.
1720
Orliac
1739
1985
.
1743
Koenig
1745
Dictionary, Tahiti
1750
Compte-rendu
J. Davies : A Tahitian and English
Un défi nommé Pacifique
1753
J.-C. Mathio : The meaning of Rural-Urban migration
for French Polynesia Youth
1757
P-A. Pirazzoli - L-F.
et du bilan
Montaggioni : Variations récentes du niveau de l'océan
hydrologique dans l'atoll de Takapoto
1758
P-A. Pirazzoli : Cartographie des hauts fonds par télédétection
dans l'archipel des Gambier
1759
J.P. Ehrhardt : Les cônes venimeux de Polynésie Française
1759
La santé et la dent
1759
Dr. Hignette Bergerard : Néphropathie hématurique familiale, avec atteinte
occulaire et surdité dans une petite population isolée
1760
I. Carloz : Action expérimentale de la ciguatoxine
sur
l'électrocardiogramme de chat
Société des Études Océaniennes
1760
Société des Études Océaniennes
1687
"LES TEVA ET LES POMARE"
L'occupation européenne à Tahiti a coincidé avec l'ascension
sociale et politique d'un lignage de chefs, les Pomare. Je voudrais
ici déterminer la façon dont ce succès local fut acquis et m'arrêter
sur la vision historique qui en a été conservée. S'il est, en
effet, un
débat qui caractérise l'Histoire tahitienne, mis à part l'opportunité
ou les bienfaits de l'arrivée des Européens, c'est bien celui
qui
oppose deux grandes familles royales, et aussi deux conceptions du
pouvoir et de la société tahitienne : les Teva et les Pomare.
Tout d'abord,
qui sont-ils, ces deux antagonistes, dont les
luttes ont forgé le Tahiti d'avant l'Annexion ? Pour le savoir, ou
plutôt pour tenter de le savoir, il faut en revenir aux généalogies,
transmises de génération en génération par la tradition orale, et qui
constituaient la seule sauvegarde effective de l'ordre social
polynésien. Je ne tiens pas à me lancer dans une appréciation
générale des généalogies car le problème fondamental qu'elles
représentent est loin d'être, et ne sera sans doute jamais, réglé. Ce
problème est évidemment celui de la fiabilité ; et il est d'autant plus
important que, dans la société maorie, seules les généalogies
permettent de déterminer le rang, l'influence et donc le pouvoir
politique et social d'une lignée. Aux temps anciens, chaque
Tahitien
devait mémoriser
sans
faillir l'ensemble des relations
complexes à l'intérieur de son lignage de façon à pouvoir, en toute
occasion, justifier de ses droits, de ses prérogatives, en justifiant
son ascendance. Cet héritage oral était encore
plus essentiel à
préserver pour les grands chefs, les ari'i, puisqu'en général des titres
et des pouvoirs s'attachaient aux divers liens de consanguinité ou
d'alliance matrimoniale.
Plusieurs facteurs sont venu troubler un système
remment, fonctionnait bien. D'abord la
qui, appa¬
multiplication des
Société des Études Océaniennes
1688
mariages de convenance entre les diverses familles d'ari'i, qui a
accéléré la dilution du pouvoir social et religieux, notamment aux
XVIIème et XVIIIème siècles. Ensuite, le développement des
pratiques d'adoption qui, en se superposant aux liens de
consanguinité et en rendant encore plus complexe le réseau des
relations interfamiliales, ont ouvert la porte aux manipulations
généalogiques. Enfin, le déclin progressif de la puissance religieuse
antique des ari'i a permis un transfert de pouvoirs vers le domaine
politique, aidé en cela par les habitudes et les pratiques euro¬
péennes, et par la mise en place de l'ordre missionnaire qui a
définitivement annihilé l'influence des dieux païens, donc détruit le
rayonnement des marae ancestraux.
L'introduction de l'écrit a également joué un rôle non
négligeable car si même dans le meilleur des cas, la coutume et les
interdits préservaient l'intégrité des titres héréditaires dans la
tradition orale, la fixation définitive des généalogies dans l'écriture
garantissait des positions sociales, des rangs et des titres acquis
juste avant l'arrivée des européens. Et une fois la généalogie écrite,
aucune contestation n'était plus vraiment possible ; aucune inter¬
prétation, aucune modification non plus.
Ce souci de préserver une position durement acquise, on le
trouve parfaitement illustré par ces quelques phrases que la Reine
Marau adresse à sa petite-fille, à qui elle dédie ses "Mémoires" et
qu'elle fait dépositaire des traditions ancestrales :
"Ces traditions devront être gardées intactes dans ton esprit et
dans ton cœur, de sorte qu'aucun imposteur ne puisse usurper
ton héritage. Cela devra être ton aliment de tous les jours. Tu
reçois donc l'ordre de garder l'honneur de ta naissance, tes
droits sur la terre qui te vit naître, ta généalogie qui est ton
droit à ta place sacrée sur ton marae. Ta faute serait grande si
tu oubliais le caractère sacré de ces institutions que tu devras
défendre à jamais et de toutes tes forces" (1).
On le voit, généalogies et marae sont indissociables ; mieux,
toutes les luttes intestines pour la prédominance politique à Tahiti
s'articulent autour de cette association marae/lignage. La question
principale, en effet, revient toujours, même encore aujourd'hui, à
savoir si oui ou non les Pomare avaient, selon les critères tradi¬
tionnels, droit au rang social et à l'influence politique qu'on leur a,
ou qu'ils se sont, attribué à la faveur de la colonisation européenne.
Ou si ce sont, tout simplement, des usurpateurs.
(I) Marau Taaroa : Mémoires de Marau Taaroa, Dernière Reine de Tahiti. Publications de
la Société des Océanistes N" 27, Paris 1971, pp. 45-46.
Société des Études Océaniennes
1689
Deux thèses, donc, s'affrontent ; il apparaît que la première,
celle de la
"légitimité" des Pomare a été, de facto, défendue par
l'occupant européen, qu'il soit missionnaire anglais ou administra¬
teur français. La France et l'Angleterre ont, jusqu'à la fin du
XIXème siècle, considéré
les Pomare
comme
les seuls interlo¬
légitimes. La royauté qu'ils avaient établie, comme allant
de soi, à Tahiti, présentait trop d'avantages (notamment au niveau
de la pacification et de l'unification administrative ou religieuse)
pour être ensuite contestée.
L'autre thèse concernant les Pomare, c'est celle de Yusurpation
du pouvoir ; elle considère que c'est l'opportunisme politique, le
machiavélisme et l'habileté d'un chef de deuxième ordre, qui ont
triomphé -grâce à l'aide militaire des Européens- d'une lignée d"ari'i
plus pure et traditionnellement de rang plus élevé, les Teva. La
thèse en question est soutenue, évidemment, par les Teva euxmêmes, par l'intermédiaire de Henry Adams dans les Memoirs of
cuteurs
Arii Taimai, et de Marau Taaroa, "dernière Reine de Tahiti", dans
ses
propres
mémoires.
La question qui se pose, à présent, est de connaître l'origine
véritable de cette querelle et, pour cela, de chercher à cerner les
ascendances réelles de
ces
Teva et de
ces
Pomare.
L'origine des Teva, vous la trouverez dans l'ouvrage histo¬
rique d'Adams, quoique, par la suite, Marau ait apporté des
précisions utiles, de même que Tati Salmon, son frère, le Chef de
Papara, qui, lui aussi, s'intéressait aux problèmes généalogiques.
"Nous sommes un clan", explique Arii Taimai sous la plume
d'Adams, c'est-à-dire une union de districts au sud de Tahiti,
groupés autour de Papara et incluant les quatre "Teva de
l'Intérieur", "Te Teva i uta" (Vaiari, Papara, Mataiea, Atimaono)
et les sept "Teva de l'Extérieur", "Te Teva i tai" (Afaahiti,
Toahotu, Pueu, Vairao, Mataoae, Tautira et Teahupoo). Il s'agit
d'une alliance politique dont la puissance est réelle ; et les districts
du nord et de l'est, groupés autour du Chef de Paea, puis de Vari'i
de Pare-Arue, auront bien du mal, en dépit de l'appui logistique
des
missionnaires, à venir à bout de ces Teva.
On me permettra quand même d'émettre un doute quant à la
suprématie supposée du Chef de Papara. La façon dont Adams
explique les choses ne contribue pas à les éclaircir : le Chef de
Papara, Teriirere, est présenté comme le leader "politique" de la
fédération Teva ; mais on apprend aussitôt que la branche de
Vaiari était plus ancienne et "socialement supérieure", du fait que
Y arii du lieu avait droit à porter le maro ura, ceinture de plumes
rouges, apporté là avec une pierre du marae fondamental d'Opoa à
Raiatea ; de plus, le chef de Taiarapu, Vehiatua, est d'écrit comme
Société des Études Océaniennes
1690
"parfois le plus puissant politiquement" (2). On se demande alors
en foi de quoi
Arii Taimai, héritière des chefs de Papara, peut se
prévaloir d'un rang supérieur. Tati Salmon apporte un élément de
réponse en faisant remonter la généalogie des chefs de Papara, non
point jusqu'à la branche aînée de Raiatea, mais jusqu'à la branche
cadette, émigrée à Bora-Bora quelques dizaines de générations plus
tôt et qui, elle, avait le droit de porter le maro tea, ceinture de
plumes jaunes, sur le marae royal Vaiotaha à Fa'a-nui. Par le biais
de mariages avec Vaiari, Vari'i de Papara finit aussi par porter le
maro ura, mais le
prestige attaché à l'ancienneté du marae de
Vaiari demeura jusqu'à l'arrivée des Européens.
Les Teva, ai-je dit, étaient une fédération ; en tout cas, une
alliance politique. Et comme toutes les associations de ce genre,
elle connut bien des vicissitudes. D'abord, la famille "régnante" de
Papara dut faire face, vers le début du XVIIlème siècle, à une
querelle entre aînés et cadets qui donna naissance à deux branches
-donc, deux factions- différentes parmi les Teva, les Tuiterai, qui
vont continuer à diriger Papara, et les Aromaiterai
qui, ayant été
bannis de leur district d'origine, vont s'installer à Mataoae, dans la
presqu'île de Taiarapu. Ces difficultés familiales se trouveront
heureusement résolues (est-ce une coincidence ?) en la personne
d'Arii Taimai, qui était une Tuiterai par son père et une
Aromaiterai par sa mère.
A ces problèmes, il faut ajouter les menées subversives du
Chef de Taiarapu, Vehiatua, un guerrier dont la puissance militaire
menaçait constamment Papara. Vehiatua, souvenons-nous, après
le passage de Wallis à Tahiti (1767), s'allia avec Tutaha, Chef de
Paea, et Teu, Chef des Porionu'u, pour attaquer Papara. C'est la
fameuse déconfiture de Purea, que Cook pourra constater dès son
arrivée à Tahiti, et de Amo, Chef de Papara. Pour comble de
malheur, Tutaha s'empare du maro ura et le porte sur son propre
marae de Paea, nommé Maraetaata. Environ
vingt ans plus tard,
Pomare 1er s'attaque à son tour au Chef de Paea et s'empare de
cette précieuse ceinture dont il ceindra son fils, Tu-Pomare II. Ce
transfert d'insignes royaux par rapines successives, c'est la version
officielle Teva. Elle a le mérite d'être cohérente et elle court, sans
grande modification
,
d'Arii Taimai à Mai arii Cadousteau, elle-
même descendante des Teva.
Les
insignes de la toute-puissance avaient disparu, mais non
pas la cohésion des Teva. Le prestige de ce "clan" comme le désigne
Adams, n'avait pas entièrement disparu avec le vol du maro ura.
(2) Henry Adams : The Memoirs of Arii Taimai, Paris, 1901, pp. 9-10.
Société des Études Océaniennes
1691
Vers la fin de 1808, Pomare II, après une campagne plus que
hasardeuse contre les districts du sud, fut contraint de fuir vers
Moorea, ayant été écrasé par les forces Teva. Opuhara, le neveu
d'Amo, alors Chef de Papara, se fit un plaisir de rejeter à la mer ce
Pomare présomptueux et en profita pour mettre à sac le district de
Pare. Puis, durant sept ans, il régna en maître sur Tahiti. Certes,
Pomare rentra de Moorea en 1812, mais il se fit extrêmement
discfêt durant deux ans environ. Il s'était converti au Christianisme
et Tahiti vivait apparemment en paix. Pourtant
Pomare profita de
séjour pour mettre sur pied un parti de "convertis", connu sous
de "Bure Atua", qu'il renforça par un
apport massif de
Chrétiens, récemment convertis, de Moorea. Pomare passa l'hiver
1814-1815 à Moorea, pour mettre au point les préparatifs de son
plan -auquel souscrivaient évidemment les missionnaires- pour la
reconquête du pouvoir.
son
le
nom
Puis, en mai 1815, il rentre à Tahiti ; l'issue ne fait plus de
doute : ce sera la guerre, car chefs chrétiens et chefs traditionnels ne
peuvent cohabiter. L'été et l'automne passent sans que l'on puisse,
ni parvenir à un compromis, ni à empêcher les préparatifs
de
bataille. Tati, le frère d'Opuhara, le grand-père d'Arii Taimai, s'y
emploie pourtant sans relâche. Et puis, le 11 novembre, Pomare,
appuyé par son parti Chrétien, vient prendre position à Punaauia,
avec des avants-postes placés en bonne vue de
Papara. C'est ce que
l'on appelle aujourd'hui une "provocation" et l'on sait habituel¬
lement ce qui en découle ! Le résultat, en l'occurence, c'est la
célèbre bataille de Te Fei Pi, où Opuhara trouve la mort.
Mais avec la disparition d'Opuhara, le prestige des Teva ne
s'éteint pas. Jusqu'à la fin du siècle les Pomare vont prendre soin
de contracter des alliances, de préférence matrimoniales, avec les
Teva. Ainsi la Reine Pomare IV marie tous ses enfants, sauf un, à
des Teva
:
1) Tera tane, plus tard Pomare V, épouse Marau Taaroa Salmon,
fille d'Arii Taimai ;
2) Tearii maeva rua se marie dans la famille royale de Bora-Bora,
d'ascendance Teva ;
"
3) Tamatoa, qui deviendra Roi de Raiatea, épouse Moe, une
princesse Teva ;
4) Punuaru épouse la fille du Chef de Tautira ;
5) Terii tua, Prince Joinville, épousera en secondes noces la Reine
Maeva rua II de Bora-Bora, encore une Teva.
Ceci prouve bien, à la fois la nécessité absolue de ce genre
d'alliances pour que Pomare puisse, nonobstant la présence euro¬
péenne, bien asseoir son autorité à Tahiti ; et le prestige persistant
des Teva malgré leur défaite militaire de 1815. En fait, l'administra-
Société des Études Océaniennes
1692
tion française elle-même fera souvent appel aux Chefs de
solution alternative, dans ses démêlés avec la
Pomare, notamment à l'époque du Protectorat.
comme
Papara,
dynastie
Les relations entre les deux camps vont demeurer tendues tout
long du siècle, malgré les mariages. L'usurpation est une pilule
assez lourde à avaler, surtout
lorsque s'y greffent des problèmes de
possessions territoriales, donc d'avoirs financiers. Ni les Teva, ni
les Pomare n'étaient, dans cette affaire, totalement désintéressés,
cela va de soi, et chacun tentera de préciser sa
généalogie de façon à
présenter à la puissance coloniale française un maximum de
revendications foncières et immobilières, surtout au moment des
remembrements agricoles. L'antagonisme latent entre les deux
dynasties va éclater au grand jour à la faveur de l'union entre
au
Marau et Pomare V.
C'était le second mariage de Tera tane, également appelé
Ariiaue ; il eut lieu en 1875, et l'union dura 13 ans. Le divorce fut
ensuite prononcé le 25 janvier 1888, en faveur de Marau. Cette
dernière affectait le plus grand mépris pour son mari
qui, il est vrai,
s'ennivrait copieusement et menait une existence peu compatible,
même pour un Tahitien du XIXème siècle, avec les
principes
la
de
morale universelle.
Adams, qui appréciait beaucoup Marau,
rapporte dans ses lettres un incident qui eut lieu lors du procès en
divorce, et la réponse de Marau, qu'il trouvait sublime :
"Le Roi, à sa déposition, avait dit que le dernier enfant n'était
pas le sien.
"Aucun n'était le sien", s'exclama Marau !
En fait d'échange d'injures,
qui dit mieux ?" (3)
L'épisode est, en tout cas, très symptômatique du genre de
rivalité qui existait entre les deux familles.
Mais si les Teva tentaient de faire accréditer la thèse d'une
usurpation du pouvoir, c'est-à-dire que les Pomare seraient de
souche inférieure, des immigrés venus des Tuamotus,
adoptés par
les Chefs de Pare-Arue et conquérants du
pouvoir suprême dans
des conditions fort discutables, dans le
camp Pomare on ne
songeait guère non plus à ménager la susceptibilité des Teva,
considérés comme des arrivistes, des sang-mêlés, rancuniers et
intéressés, et, qui plus est, des manipulateurs de généalogies. Un
homme d'affaires irlandais, James Lyle Young, arrivé à Tahiti en
1882, où il dirigeait une compagnie de transports maritimes, nous a
laissé un document où l'intégralité de la thèse
principale des Teva
(3) Henry Adams : Lettres des Mers du Sud (trad. E. de Chazeaux). Publications de la
Société des Océanistes N" 34, Paris 1974, p.
263.
Société des Études Océaniennes
1693
taillée en pièces en quelques phrases délicatement choisies
; en
voici la traduction expurgée :
est
"Memorandum
:
Pour votre information et
non
pour
publication, je puis dire qu'il n'est pas historiquement exact
que les Teva des districts sud de Tahiti avaient une position
dominante à l'arrivée des Blancs. 11 ne peut faire de doute
que
Tu-Pomare était le seigneur tout-puissant de Tahiti
lorsque
Wallis débarqua en 1767.
La fiction qui défend la
prédominance des Teva et établit
l'ascendance de la famille Salmon jusqu'à un chef de
premier
rang a été inventée par Marau, l'épouse divorcée du dernier
Roi Pomare, une juive métissée, sœur du défunt Tati Salmon.
Cette femme voulait exalter le peuple de
Papara et la famille
de sa mère au détriment de la famille
Pomare, en partie par
dépit à l'égard de cette dernière et aussi pour soutenir les
revendications de la famille Salmon à certaines terres du
district de Papara.
C'est elle qui a écrit les soi-disant Memoirs
of Arii Taimai, sa
mère, de façon à établir que celle-ci descendait d'un chef de
haut rang. Cette prétention a toujours été démentie et consi¬
dérée comme ridicule par de nombreux
indigènes et, en ce
moment même, elle fait
l'objet d'un procès intenté par les
descendants du vieux chef Tati de Papara
sur une question de
titres fonciers ; ces descendants soutiennent
qu'Arii Taimai
n'était pas une chefesse de sang royal
mais la fille d'une des
femmes du vieux Tati (le grand-père) et d'un homme de basse
condition.
Il n'est pas non plus exact
que Tu-Pomare était d'ascendance
plébéienne. Il venait d'une famille de haut rang originaire des
Paumôtu, à l'est de Tahiti" (4).
Ici, M. Young se contente de reprendre une idée reçue, soi¬
gneusement entretenue par les Pomare et qui avait la grande
qualité d'être pratiquement invérifiable car l'ordre social du pays
avait été profondément troublé par la colonisation
européenne ; les
anciennes valeurs traditionnelles, notamment au niveau du
respect
des généalogies, avaient perdu de leur importance. Dans l'ancienne
civilisation polynésienne, l'imposture était punie de mort et
personne ne songeait à contester à présent la généalogie officielle
des Pomare, composée par un certain Maré et
reprise par le
missionnaire Orsmond dans son Tahiti aux Temps Anciens.
(4) Cité dans : Robert Langdon : A View on Arii Taimai's Memoirs, Journal of Pacific
History, vol. 4, 1969, pp. 163-164.
Société des Études Océaniennes
1694
Orsmond lui-même émettait des doutes sur la fiabilité de ce
document qu'il appelait "un roman" et qu'il n'était jamais parvenu
à vérifier auprès des plus vieux Tahitiens de l'époque. Mme
Cadousteau, dans un article du Bulletin de la Société des Etudes
Océaniennes de septembre 1978 (5), montre que l'ascendance
supposée des Pomare dans la famille royale de Vaiari -qui donnait
à Pomare un droit naturel au maro ura- tel que cela apparaît dans
la généalogie de Maré, n'est qu'une manipulation. Tu Ariipaea
avait
aêieux
ses
grâce à
son
aux
Tuamotu et n'est devenu Chef de Paré que
adoption
par
Vari'i local, Manahiti. Par la suite,
alliances et circonstances lui ont permis de franchir des étapes que,
dans l'ordre social traditionnel, il n'aurait jamais pu franchir.
Dans la
querelle Teva/Pomare, personne n'est vraiment
objectif, même avec le recul du temps. C'est que, comme je l'ai
indiqué plus haut, le débat dépasse le cadre strict des luttes
dynastiques. Il s'agit d'une opposition entre deux mondes, entre
deux civilisations, par personnages interposés. D'un côté, il y a la
culture traditionnelle, tout un passé en voie de disparition, dont la
défense, pour diverses raisons, semble incomber aux Teva, incar¬
nations de l'esprit polynésien ancestral. De l'autre, il y a le monde
Européen et cette sorte de fantoche -c'est ainsi qu'on le présente- ce
symbole de la décadence, de l'abdication, de l'acculturation, qu'est
Pomare. Selon qu'on pense appartenir ou devoir appartenir à l'une
ou l'autre de ces deux factions, l'on en
épouse, plus ou moins
consciemment, les thèses.
Sans doute Arii Taimai avait-elle à l'esprit ce genre de consi¬
dération lorsqu'elle lança à Pomare V, au soir de l'Annexion, le
29 juin 1880 :
"Comment avez-vous osé ? lui cria-t-elle sur un ton de sévérité
qu'elle n'avait jamais encore employé vis-à-vis de lui. De quel
avez-vous disposé de ce qui ne vous appartenait pas, à
droit
vous, un
Paumotu !" (6)
Pierre LAGAYETTE
Université Paris-Sorbonne
(5) Mai Arii Cadousteau
:
L'agression Pomare et l'usurpation du pouvoir., B.S.E.O.,
N° 204, pp. 295-305.
(6) Mémoires de Marau Taaroa, op. cit., p. 16.
Société des Études Océaniennes
1695
L'ILE CHRISTMAS
L'EMPIRE DE
(Océan Pacifique)
L'ABBÉ ROUGIER
Comme il y a en France la "jouvence de l'Abbé Soury", il y a
Polynésie le "timbre de l'Abbé Rougier".
L'histoire de cet extraordinaire personnage est indissolu¬
blement liée à celle de l'île Christmas "son île" qu'il fut le premier à
exploiter, coloniser, explorer, y créant au début de ce siècle un
véritable empire de poche. C'était d'ailleurs une mode et l'époque
vit ainsi bon nombre d'aventuriers essayer, sans jamais beaucoup
de succès, de créer leurs royaumes personnels sur de minuscules
terres perdues au milieu des immensités pacifiques et indiennes.
C'est dans une pauvre mais aristocratique famille d'Auvergne
qu'Emmanuel Rougier vit le jour le 26 Août 1864. Destiné à la
prêtrise, il fit de solides études comprenant des séjours en Espagne
et en Angleterre et entra à la Congrégation Missionnaire des Frères
Maristes. Ordonné prêtre à la suite d'une dispense de Mgr Vidal (il
n'avait pas les 24 ans obligatoires) il s'en alla rejoindre aux îles
Fidji, un groupe d'autres jeunes missionnaires spécialement
sélectionnés pour cette lointaine mission.
Véritable force de la nature, sa très forte personnalité tendait à
toujours repousser les limites de sa mission ecclésiastique. Ses
en
initiatives hardies dans de nombreux domaines le firent souvent
déconsidérer de ses supérieurs et il en vint à s'intéresser plus aux
affaires, pour lesquelles en bon Rouerat il était particulièrement
doué, qu'à la religion.
La rencontre avec
un
dénommé
Cécile, un européen (1) ex-
( I ) Le peu d'écrits qui existent sur ce légendaire bonhomme différent sensiblement et l'ami
dont il est question est, soit un britannique ex-bagnard d'Australie, soit un français ex¬
bagnard de l'île Nou en Nile Calédonic. Nul n'est d'ailleurs capable de dire quelle peine
homme purgea là-bas.
cet
Société des Études Océaniennes
1696
bagnard de Nouvelle-Calédonie, marque un premier tournant dans
carrière. 11 se lie en effet d'amitié avec cet homme qui vient de se
trouver, par héritage, à la tête d'une belle fortune et qui, ne
sa
connaissant rien aux affaires, demande au bon Père de bien vouloir
la lui gérer. C'est un appel auquel le vœu de pauvreté de notre
mariste ne peut résister...
Cette gestion l'amène à faire un voyage en métropole où il se
rend... avec la femme de son ami, une jeune fidjienne née Katarina
Biaukulo
qui en reviendra parisienne accomplie (2).
Devenu indésirable chez les Maristes et aux Fidji, il parcourt
le Pacifique en tout sens et devient un business-man prospère
continuant à faire fructifier l'argent que lui laisse la mort de son
ami Cécile. Son atavisme de terrien l'amène à acheter les îles
Fanning et Washington (3) qu'il acquiert le 30 novembre 1907 pour
la somme de 25 000 £. Ces petites îles font partie de l'archipel de la
Ligne avec les autres atolls de Palmyra et de Christmas et
l'Angleterre à laquelle ces îles appartiennent depuis 1888 ne voit
aucun inconvénient à l'établissement de la firme
Rougier et Cie
d'autant que plusieurs colons anglais s'y sont déjà successivement
établis et ruinés
Avec une main-d'œuvre réduite à quelques
autochtones et à plusieurs émigrés tahitiens, il réussit le tour de
force de transformer de maigres cocoteraies à l'abandon, en de
florissantes plantations dont il exporte les produits vers les U.S.A.
et Tahiti. Il achète, pour ce faire, à vil prix un
mauvais schooner
américain de 70 tonnes qui ne tient que par la peinture et après
quelques hâtives réparations et le recrutement d'une bande
d'écumeurs des mers, ce rafiot le Luka sillonne l'Océan Pacifique et
établit des liaisons relativement régulières et rapides entre les îles
"Rougier" et les ports d'Honolulu, San-Francisco, Papeete, etc...
L'argent entre à flots et en 1911 il revend ses premières
plantations (70 000 £), transportant ses pénates sur l'île voisine de
Christmas, le 2ème plus grand atoll du monde [361 km2 et 642 km2
si l'on y inclut le lagon], qu'il obtient pour 20 000 £ "à crédit". Il
sera cependant obligé
pour conserver l'exploitation, de signer un
bail de 87 ans à partir du 1er janvier 1914 et de payer une location
de 100 £ par an (4).
...
(2) A la
mort de
son
mari Katarina dut vivre chichement
quelques années, jusqu'à son
remariage avec un i'idjien dont elle eut trois enlants.
(3) Ces deux atolls turent découverts par le capitaine américain Edmund Fanning.
(4) Aidé dans ses transactions par Humphrey Berkeley, un homme de loi anglais, il apparaît
que celles-ci ne turent jamais très nettes ; on s'aperçoit ainsi que la Cie Fanning Island
L.imited de l.ondres avait la jouissance des îles Fanning et Washington
jusqu'en 1918
alors que Rougier les exploitait depuis 1907 et les revendait même
en 1911 (?).
Société des Études Océaniennes
1697
Découverte par J. Cook la veille de Noël 1777, l'île de
Christmas se situe au Sud-Ouest de Fanning par 2° de latitude
Nord et 157° 25' de longitude Ouest, à égale distance d'Hawaii, de
Tahiti et des îles Gilbert, constituant avec ces dernières et les îles
Phoenix la toute nouvelle République de Kiribati, depuis le 12
Juillet 1979.
On ne peut d'ailleurs pas dire que notre homme choisit la
facilité car si l'on en croit l'analyse faite par l'américain Thomas H.
Streets en 1877 et reproduite dans The American Naturalist (some
account of the natural history of the Fanning
group of islands), les
possibilités de vie paraissent des plus réduites :
"Cette île ne présente pas les mêmes conditions que les autres
(Fanning et Washington) ; il n'y a aucun point d'eau douce, il n'y
pleut jamais ou rarement, la végétation est réduite à sa plus simple
expression et se cantonne dans les rares coins d'ombre que l'ardent
soleil qui se réfléchit sur le corail blanc veut bien octroyer..."
C'est sans doute pour cela que l'US Guano C° (1857) puis
l'Anglo-Australien C° (1858) abandonnent successivement les
concessions accordées avant même d'avoir commencé à extraire le
guano, accumulé par le nombre incalculable d'oiseaux qui nidifient
là depuis des temps immémoriaux. Au hasard d'une visite en 1872
on
découvre trois hommes, isolés en plein Pacifique, qui travaillent
compagnie de Honolulu, ce qui amène les U.S.A. à
prendre officiellement possession de l'île, déclenchant une vive
protestation des Britanniques qui annexent l'atoll en 1888. (Il
s'avéra plus tard que le guano récolté n'était pas phosphaté).
Pourtant l'Abbé Rougier revient enthousiaste de ses explora¬
tions préliminaires sur Christmas, pendant lesquelles il en profite
d'ailleurs pour étudier la faune, la flore, la géologie et l'archéo¬
logie ; études dont il fera profiter plus tard les membres de la
Société des Etudes Océaniennes. Voici par exemple le texte intégral
paru dans le bulletin N° 1 de notre société (mars 1917) :
pour une
ILE DE CHRISTMAS
Cette île est l'atoll le plus grand du Pacifique et l'un des moins
connus.
Il est situé à 1 degré 57 la t.
Nord et au I57ème 28' long.
Ouest.
Au point de vue des émigrations polynésiennes cette île est à
première vue très intéressante. En effet, si vous jetez les yeux sur
une carte du Pacifique, vous voyez qu'elle est la première au milieu
du grand courant équatorial roulant vers l'ouest avec des
différences de vitesse de 2 à 70 milles par 24 heures, selon les vents
et
les mois.
Société des Études Océaniennes
PACIF OSETFING CHRISTMA ISLAND
THE
1699
Là est la limite des alizés Nord-Est et Sud-Est, avec le résultat
que les calmes y sont inconnus, les brises d'Est y soufflant constam¬
fortement. Au Nord, un contre courant équatorial amène
l'Est tout ce qui flotte dans le calme des doldrums pour le jeter
ment et
vers
dans les alizés
qui le ramènent à Christmas avec le courant
équatorial. C'est donc, par sa position, le point du Pacifique où,
naturellement, on doit trouver le plus d'épaves : épaves de bateaux,
épaves humaines.
Cette île était nécessairement sur le chemin de
toute
émigration de l'Est à l'Ouest et du Nord au Sud. Bien plus, une
émigration de l'Ouest à l'Est aurait pu être emmenée par le contre
courant équatorial très loin à l'Est, puis ramenée à Christmas par
les alizés et L'immense tourbillon que fait à cet endroit le Pacifique.
Mais c'est surtout l'Est (courant) et le Nord-Est et Sud-Est (alizés)
qui devaient amener à Christmas des traces capables d'aider à
éc/airçir les mystères des origines polynésiennes.
Voici maintenant des faits prouvant que ce qui devait être, vu
la
position géographique de Christmas, est en effet arrivé. A
l'extrémité Sud-Est de l'île se trouve, jeté sur les pierres, un tronc
d'arbre avec ses racines, mesurant 40 mètres de long et d'un
diamètre de 0 m 50 sur une longueur de 20 mètres. Un autre arbre
sur la même plage, et avec ses racines également, a un diamètre de
I mètre mais n'a que 20 mètres de long. Un autre, côté Est, n'a que
10 mètres, mais lui aussi a ses racines, et, comme les autres, est de
la famille des pins. Or, il est certain que ces arbres, avec leurs
racines, 1° ne faisaient pas parti d'un chargement de bateau
naufragé ; 2° ne sont pas de la flore insulaire Océanienne et n'ont
pu remonter ici, ni de Nouvelle-Zélande ni d'Australie : leur
provenance est américaine. Donc un courant d'Amérique ici existe.
II est fort, puisque des racines de la grosseur du bras ont subsisté et
que sûrement de plus petites existaient lors de leur abordage ; il est
rapide puisque ces arbres ont peu souffert de l'attaque des
bernacles (Lepas anatifera).
Autre fait : ta même tortue de terre qui se trouve dans les îles
Galapagos, îles sous l'Equateur comme Christmas, se trouvait ici.
Une carapace de ces chéloniens fut envoyée par mes soins au
Bishop Muséum d'Honolulu. Évidemment, les tortues n'ont pas
nagé des îles Galapagos ici, mais le bateau qui les avait prises à
bord, probablement comme provisions de voyage, n'en a pas moins
échoué à Christmas, suivant ainsi une course directe de l'Est à
l'Ouest.
Ma conclusion est donc que les alizés Nord-Est et Sud-Est
amènent beaucoup de ce qui flotte dans le courant équatorial vers
Société des Études Océaniennes
1700
l'île de Christmas. Assise dans le milieu même de ce courant, cette
île y ouvre ses deux bras de 50 km d'envergure. Il est donc tout
naturel qu'elle ait reçu et gardé des traces certaines d'émigrations
polynésiennes.
Il est aujourd'hui prouvé que les habitants des îles Hawaii sont
frères des Tahitiens. Les voyages entre Tahiti et les îles Sandwich
étaient d'ailleurs fréquents, sur leurs pirogues doubles, et
Christmas se trouvant sur leur passage devait être un point de
repère et de repas très apprécié au milieu d'une si longue traversée.
Une proue de pirogue et un reste de mât découverts parmi bien
d'autres épaves prouvent que parfois ils y ont même trop touché.
Le mât était terminé par un croissant et la pirogue m'a paru être en
Tou (Cordia subcordata) et était creusée à la hache de silex.
Traces humaines trouvées à Christmas
au
Il est fort probable qu'à des époques très reculées, remontant
début de la navigation dans le Pacifique et l'apparition au soleil
de cet atoll, des êtres humains ont abordé à Christmas ; mais y ontUs laissé des traces ? La réponse à cette question est qu'ils en ont
laissé, mais de très rares et très difficiles à découvrir. Pourquoi ?
Parce que cette île, par sa position même, était destinée l'une des
dernières à se couvrir de végétation et que pour cette raison aucun
être humain n'aurait pu s'y fixer. En effet, si on examine les graines
des arbustes qui couvrent tous ces atolls, on constate que la plupart
de ces graines sont flottantes et peuvent garder leur vitalité durant
de longs mois, même dans l'eau de mer. Se trouvant la première en
amont des courants et des vents, l'île de Christmas devait être la
dernière à recevoir des graines. On peut dire qu'il n'y a encore
qu'un seul arbre, le Tournefortia argentea (Tabunu) ; quant au
Kenigii scevola (nasbu), il a pu être importé par le Kivi ou Courlis
(Numenlus femora lis) qui parfois se nourrit de ses graines et dont il
digère seulement la pulpe blanche. De même les graines minuscules
du pourpier (Portulaca lutea) et de la cuscute ont pu s'attacher à
des plumes d'oiseaux de mer, mais jusqu'ici je n'ai pu m'expliquer
la présence du Tournefortia et du Suriana Maritima (Hubu,
Kurima) autrement que par les courants. Le Tournefortia, quoique
trouvant actuellement un peu partout sur l'île, est loin de l'avoir
envahie complètement son peu de développement prouve d'ailleurs
se
introduction relativement récente. De plus, à mon avis, après
maintes observations et explorations à l'intérieur de l'île, ou la mer
son
se
retira subitement, ou l'île surgit soudainement desflots, et cela à
date qui ne peut pas être très éloignée, et il fallut encore bien
des années pour qu'une graine pût germer et se développer dans un
une
sol nquveau formé tout entier
de coquilles et de corail en
Société des Études Océaniennes
1701
putréfaction. Résultat : aucune émigration polynésienne ne put s'y
établir ; il fallait ou s'en aller sur n'importe que! radeau, ou y
végéter et mourir, on ne vit pas uniquement d'oiseaux et de
poissons.
Enfin la pluie était plutôt rare sur une île dépourvue de toute
végétation. Cook en 1777 dit qu'en vain ils creusèrent en bien des
endroits pour avoir de l'eau potable. Mais en 1858 le Capitaine
Hooper en trouvait de suffisamment bonne. Aujourd'hui il y a de
l'eau potable partout où l'on creuse, excellente même en des
endroits, et voire même de l'eau de source se déversant dans la mer
dès que la marée le permet. Et ces sources ne proviennent pas d'un
excédent de pluie (l'île n'en a pas eu plus de 20 mm en 7 mois).
J'attribue la concentration de cette eau à la formation rapide d'un
béton naturel sous le sable du rivage au contact de l'eau de mer et
de l'eau douce qui naturellement doit se diriger au rivage par
infiltration. L'eau de pluie est ainsi captée comme dans une
immense citerne souterraine remplie de débris corallien mais si à
un endroit ce béton n'a pu se former ou qu'il y ait une fissure, ce
qui est mon cas pour les sources découvertes, le trop plein de l'île se
déverse dans la mer à toutes les marées basses. Tout ceci pour dire
qu'il ne faut pas s'attendre à trouver les traces de polynésiens ayant
séjourné longtemps dans l'île, mais bien les traces de leur passage et
leurs tombeaux. C'est ce que j'ai eu le bonheur de découvrir en
plusieurs endroits différents.
Marae de ta Pointe Nord-Ouest
A
l'extrémité de la
pointe Nord-Ouest,
sur une
plage
sablonneuse, s'élève un marae qui mesure 2 m x 4 x 2. Une grande
pierre plate le surmonte. C'est à peu de chose près le marae que
dépeint M.E.G. Seurat, page 116, dans son étude sur Tahiti et ses
dépendances. C'est le marae des Mangaréviens, frères des
Rarotonga et Hawaian. Ceux-ci avaient-ils érigé cet autel lors de
leurs voyages fréquents entre Tahiti et Hawaii ? car en face de ce
marae est une passe, un bon ancrage et un lieu de repos. J'ai fait
fouiller ce marae et reconstruire. Ce n'était pas une tombe mais un
monument,
un
mémorial
ou
un
autel comme il s'en trouve à
Gambier. J'ai découvert au centre même de l'île
d'autres marae ou lieux de prière ou de sacrifices comme on en voit
aux Tuamotu. Ce sont des enceintes de 4 mètres de long sur J m 50.
Ces enceintes sont fermées par de minces pierres de corail, fichées
Hawaii
et aux
terre, d'une hauteur de 30 à 40 cm. Il y en a 7 à la suite les unes
des autres et en demi-cercle, face au couchant. Plus loin, on trouve
en
la trace de ce que j'ai pris pour un ancien village, d'ailleurs
merveilleusement bien situé, à proximité d'une source abondante,
Société des Études Océaniennes
1702
au bord d'une presqu'île dans le lagon qui est à cet endroit très
poissonneux. Un village à l'entrée du lagon ou sur les bords de la
mer nous aurait semblé plus rationnel, mais ces pauvres gens ne
fuyaient-ils pas, à l'intérieur, les yeux inquisiteurs et les mains
sanguinaires des négriers du Pérou qui, autrefois, dépeuplèrent
tant d'îles. Une autre trace de village existe également à 40 km plus
au sud-est, toujours à l'intérieur de l'île et sur le bord d'un joli lac.
Là aussi est un marae, mais de propositions minuscules comparé
aux autres. Dans ces deux endroits la végétation semble plus âgée,
étant plus dense et développée. Des sources excellentes indiquent
qu'ils occupent la partie la plus basse d'une immense cuvette que
fait l'île.
Tombes
De nombreuses tombes, mais isolées, se trouvent sur le littoral
de l'île
le littoral Est, dit des Epaves.
Celles qui
Européens sont mieux soignées et plus à l'intérieur,
celles des Polynésiens regardent le levant et sont sur le rivage même
où les vagues viennent déferler. La curiosité me fit ouvrir une de
celles qui semblaient doubles. Vers la tête je trouvai une hachette
en silex très noir et si dur
qu'il raie facilement le verre. Dimen¬
sions : Il cm x 3 x 3. Les défunts, car ils étaient bien deux, avaient
été recouverts de sable puis de pierres de corail. De larges et minces
dalles entouraient leur tombe commune. A I m de profondeur une
très mince épaisseur de cendres très fines était la seule indication
que ceci avait eu vie. Mais qui avait rendu le dernier service à ces
pauvres naufragés ? La réponse était à 10 mètres. Là, dans les
pierres, une tranchée de 2 mètres sur l laissait voir des traces mieux
conservées d'un être humain. J'y ai relevé un tibia, qui s'effrita
entre mes mains, et une rotule toute pétrifiée. Celui qui avait rendu
aux autres les devoirs suprêmes s'était couché dans sa tombe pour
y mourir et la nature ne l'avait pas encore recouvert ; une jeune
plante y commençait sa vie.
surtout
sur
recouvrent des
Ce sont à peu près toutes les traces humaines laissées sur l'île ;
deux emplacements de
villages très primitifs, quelques marae, de
indigènes, de plus nombreuses tombes
d'Européens, 30 kms d'épaves de toutes sortes : pirogues simples,
pirogues doubles, bateaux à voile de toutes grandeurs, vaisseaux
en fer, etc... ; çà et là des pierres alignées sur la plage menant à
100 mètres à l'intérieur, et puis plus rien. Pourquoi ces pierres ?
Ailleurs de petits monticules de pierres de corail qui veulent bien
dire quelque chose, mais quoi ?
Une inscription gravée dans une planche et découverte dans le
nombreuses tombes
sable d'une des collines de l'île dit
:
Société des Études Océaniennes
1703
Wreck Settlement 9 milles
Des
noms
west
indigènes gravés sur les pierres des marae sont
évidemment plus récents que ces marae. En voici quelques-uns
Nuima, Tubou, Popapola, Tuira, etc.
Les mêmes noms se retrouvent à Samoa,
Tonga, Fiji, Tahiti.
Les Polynésiens qui ne naviguaient jamais sans cocos ont dû après
un naufrage, vivre sur ces cocos. Mais à mon
opinion, ils ont dû en
planter quelques-uns, car, en trois endroits différents de l'île
signalés déjà par Cook, il y a des traces de très vieux cocotiers
précisément où sont ces marae et traces de villages.
Question sur un "Totem"
Quelqu'un de ceux qui liront ces lignes pourrait-il me dire
quelle tribu océanienne a pour Totem le petit oiseau connu sous le
nom de "Tartare arundeli", sorte de
fauvette grise qui vit d'insectes,
attache solidement son nid aux arbustes, pond 4 à 5 œufs gris et
fait entendre le cri guttural de kokikokiko ; gentil oiseau, très
familier, qui vient juste dans les maisons. Je pose cette question
parce que nous avons ici des millions d'oiseaux de mer, mais le
Tartare est le seul oiseau de terre de l'île. Il ne peut guère voler à
plus de 20 m. Inutile de songer à ce qu'il ait été transporté ici par le
vent. Ma thèse serait qu'une tribu qui a pour totem le tartare a
fait
naufrage ici alors qu'elle émigrait avec son totem, comme
aujourd'hui certains voyageurs leur mascotte, les anciens leurs
dieux lares. Ce serait un jalon pour une tribu au moins du milieu
du Pacifique.
Pour ce qui regarde la race blanche, je me prends parfois à
espérer que la découverte d'un manuscrit (une bouteille déjà a été
trouvée contenant une lettre qui malheureusement est tombée en
cendres entre mes mains) permettra de lire une des nombreuses et
tristes histoires dont cette île a été témoin. N'était-elle pas autrefois
comme aujourd'hui, sur le chemin direct de l'Amérique du Sud en
Chine et au Japon, au temps où les belles galères srendaient
chargées de butin, d'or et d'argent ? Stevenson aurait pu y placer
son "Treasure Island" s'il avait voulu placer le théâtre de son
roman dans le Pacifique.
Quant aux Polynésiens, je crains bien que les pages relatant
l'histoire des premiers habitants de Christmas ne restent à jamais
scellées. J'ose tout au plus espérer que ces lignes pourront quand
même intéresser ceux que passionne encore l'étude des races
polynésiennes.
N.D.L.R.
-
En
£mm
Rqucœr
1917, l'archéologie n'en est qu'à ses premiers balbutiements et il y a
évidemment dans ce récit des erreurs d'interprétation qui ne pourraient se faire
aujourd'hui.
Société des Études Océaniennes
1704
L'abbé Rougier s'installe donc à Christmas. 11 s'y fait
construire, à côté de la passe donnant dans le lagon, un petit
cottage qu'il nomme d'abord "Kaihau" puis "Paris" ; d'autres
points remarquables sont appelés "Londres", "Cécile", "Ste Anne",
"Marthe", mais curieusement le prénom de Katarina n'apparaît
nulle part.
C'est
un
des
rares
paradoxes chez cet homme qui réunissait
par ailleurs tant de qualités reconnues et de bonté d'âme que de ne
pas s'être occupé de cette femme qui fut
peut-être pour lui encore
que l'épouse de son meilleur ami. Un autre reproche qui
revient aussi quelquefois dans les écrits est sa propension à fermer
plus
les yeux devant le traitement infligé aux travailleurs de ses
cocoteraies par des contremaîtres peu scrupuleux (de nombreuses
plaintes parvinrent au Consul britannique de Tahiti). L'Abbé était
lui-même considéré comme
devait pas
un
"Hard master" et, vu sa taille, ne
hésiter à "faire le coup de poing".
Voici la description qu'en donne l'Amiral Decoux dans son
excellent livre "Sillages dans les mers du Sud" :
"C'était un grand diable, taillé en Hercule Farnèse, possédant
...
forte
des
pieds puissants qui lui permettaient de
garder sur cette terre de douleur des assises solides. Il était habillé
de noir et avait troqué définitivement la soutane contre la
redingote et les pantalons des clergymen britanniques, comme le
font d'ailleurs très souvent nos missionnaires lorsqu'ils voyagent
une
carrure
et
hors de leur vicariat. Il était autorisé à dire sa messe et entretenait
des relations courtoises avec la mission catholique de Tahiti pour
laquelle il savait à l'occasion se montrer généreux"...
Eisa Triolet
qui passe plusieurs mois à Tahiti en 1919 note,
chapitre consacré à Tahiti de ses Œuvres Romanesques
Croisées, quelques savoureuses remarques sur le Père :
Comme la population n'est pas nombreuse, j'ai reconnu le Père
Rougier dans la rue, ayant choisi parmi tous les gens que je
rencontrais celui qui répondait le mieux à l'idée que je m'en faisais :
un homme entièrement habillé de noir, si
grand et si lourd qu'il
dans le
débordait de la Ford comme un adulte d'une voiture d'enfant.
Devant lui flottait une longue barbe rouquine. Qui d'autre est-ce
que
cela pouvait être, sinon le Père Rougier ?
Une fois la Coconut Plantation Ltd bien lancée notre saint
homme s'en vient s'établir à Tahiti où il achète "pour une bouchée
de pain" une jolie propriété au bord de la Fataua. Il y mène une vie
de nabab, entouré de Polynésiens des deux sexes, s'intégrant à la
Haute Société de Tahiti dont il devient rapidement l'homme le plus
influent.
Société des Études Océaniennes
1705
Cédons de nouveau la place à Eisa Triolet pour la description
de cette
propriété.
Sa maison à un étage a été, dans les temps anciens, construire
par des contrebandiers chinois. Elle tourne vers la mer un mur uni,
sans
aspérités, crépi jaune, et la regarde de loin de ses petites
fenêtres vitreuses.
En dessous, il y a de grandes caves qui s'en vont on ne sait où.
La maison est entourée d'un invraisemblable jardin. Dans ce
jardin, un ruisseau, profond et clair. Café, vanille, bananes, des
fruits n'ayant pas de nom dans notre langue et toute sorte de
merveilles bigarrées. Il y a eu jadis dans ce jardin, des platesbandes, des allées sablées, une fontaine avec des statues blanches
maison. Mais bientôt le jardin ne sera plus qu'une
brousse épaisse : les allées seront définitivement envahies et, audessus d'elles, au-dessus des plates-bandes, de la fontaine,
s'accrocheront, se fermeront les arbres et les buissons. Cela ne
préoccupe point la mer lointaine, brillante et lisse comme un lac, ni
devant la
le ruisseau silencieux
qui se dépêche de la rejoindre.
Le Père
Rougier pêche l'anguille dans le ruisseau, et sa nièce,
qui vient d'un village d'Auvergne, se tient sur la véranda donnant
dans une grande cour avec des arbres ombreux et fait de la
dentelle, jouant très, très vite des fuseaux sur le coussin.
Cet état n'entame cependant pas sa pugnacité et s'il laisse la
gestion de ses lointaines cocoteraies à des Tahitiens de confiance, il
n'en continue pas moins à s'occuper activement de ses affaires. Il se
rend fréquemment à Christmas et il achète à l'écrivain Zane Grey
un trois-mâts de 414 tonnes, le "Fisherman"
qu'il rebaptise
"Maréchal Foch" et grâce auquel il va faire un fructueux trafic
avec les "bootleggers" des ports de la côte Pacifique des Etats-Unis.
Nous sommes en effet en pleine prohibition et l'état de son premier
bateau-fantôme ne lui permet pas de fantaisies.
Y-a-t-il quelqu'un à Christmas en mai 1917 alors que le voilier
corsaire allemand Seeadler qui écume l'Océan Pacifique s'en sert
comme point de relâche ? L'Abbé s'y trouve en tout cas le 24 Juillet
1918 lorsque le schooner Ysabel May s'échoue sur la barrière de
corail de l'île et il dirige lui-même le sauvetage. C'est sans doute ce
dernier bateau, et non le Luka qui figure sur le fameux "coconut
stamp" dont s'ornent certaines lettres à partir de' 1919. Cette
émission pirate n'est évidemment pas appréciée par tout le monde
et crée un petit scandale.
Il y eut entre 1918 et 1936 quatre tirages de ce timbre qui
diffèrent quelque peu. Un "5" (qui se voulait l'équivalent du 5 cents
américain, du 25 centimes français ou du 2 pence 1 / 2 anglais), suivi
d'un "10" puis d'une 1ère surcharge "10 cents" (sans doute pour
Société des Études Océaniennes
1706
préciser la monnaie) valeur en rouge et enfin d'une dernière
surcharge - valeur en bleu. (11 serait intéressant de savoir où et par
qui ont été imprimées ces vignettes de très mauvaise qualité, elles
ne
comportent malheureusement aucun indice susceptible de nous
guider).
Les autorités ne paraissent cependant pas vouloir réagir trop
vite et il y a déjà plusieurs années que le Frère Rougier a disparu
lorsque le Gouverneur Sautot adresse au Ministère des Colonies
véhémente protestation :
une
"A la date du 28 mai 1932 le Chef du Service des Postes de Tahiti
signalait au Directeur de l'Union postale universelle à Berne que des
vignettes postales d'un type paraissant unique et qui ne figurait pas parmi
les spécimens officiellement et régulièrement adressés aux offices
postaux
par TU PU étaient en circulation dans le Pacifique.
Ces vignettes semblaient avoir été émises pour l'île Christmas
dépendant de la colonie britannique des lies Ellice & Gilbert. Il semble
que les autorités britanniques soient étrangères à leur fabrication et à leur
mise en vente. D'ailleurs il n'existe pas de bureau de poste à l'île
Christmas et il était permis de supposer que ces vignettes eussent pu être
émises et mises en circulation par le sieur Rougier propriétaire unique de
l'île Christmas dans
Le 2 Juin
son
entier.
1932 le Gouverneur Jore
signalait de même le fait au
Gouverneur anglais, Haut Commissaire des lies Ellice & Gilbert, le délit
ayant été commis à Christmas territoire britannique.
Son Excellence A.W.
Seymour, Haut Commissaire répondait
après (le 2 Juin 1933) du fait des difficultés de l'enquête
dues à l'isolement de l'île Christmas, qu'en l'absence de toute
preuve qu'il
y ait eu vente, usage ou tentative d'usage de ces timbres à titre postal, il
n'était pas possible aux autorités britanniques de relever un fait
illégal et
de poursuivre.
exactement
un an
De son côté le Directeur du Bureau International de l'UPU de Berne
répondait au Chef du Service des Postes à Papeete, le 15 juillet 1933 que
l'Office de Grande Bretagne après enquête, faisait savoir qu'il
n'y avait
aucune évidence quant à
l'emploi de ces timbres pour le service postal et
qu'aucun délit n'ayant de ce fait été relevé, il n'y avait pas lieu à
poursuivre.
Du dossier détenu dans les archives du Gouvernement de
Papeete,
l'affaire semble en être resté là". (Extrait d'une lettre du 11 juin 1935).
elle en resta effectivement là puisque le "sieur" Rougier
continua
à abreuver le monde de ces complaisantes
enveloppes jusqu'en
décembre 1938.
11 y a de fortes chances pour que
...
le Rougier dont il est
question dans cette lettre soit Paul Rougier, le neveu d'Emmanuel
(que d'aucuns appellent parfois aussi Emmanuel) car le bon Père
sentant le poids de ces années d'aventures sur ses
(pourtant vastes)
Société des Études Océaniennes
1707
épaules, fait venir de France ce
neveu
auquel il
va
confier la
direction de la Central Pacific Coconut Plantation Ltd, mais celuici est loin d'avoir les qualités de l'oncle ; sa maladresse et sa
brutalité vont être à l'origine de vilaines histoires où se mêlent
meurtres et
escroqueries. Ses démêlés avec la justice de pays aussi
divers que les U.S.A., les Iles Gilbert et Ellice, Tahiti, etc... seront
nombreux et les interventions de l'oncle ne seront pas toujours
suffisantes malgré les honorables fonctions occupées par ce
dernier :
-
-
-
-
-
Président de la Chambre d'Agriculture
Président du Syndicat Agricole
Membre du Conseil d'Administration
Président de la Société des Etudes Océaniennes
Fondateur et Président du Syndicat d'Initiative
C'est un des plus clairvoyants promoteurs du tourisme à
Tahiti : "La seule industrie qui puisse, je ne dis pas seulement faire
prospérer cette colonie, mais je dis de la sauver" (séance du 10 avril
1932). Pour cela il multiplie les invitations, les réceptions, les
prospectus, les articles
...
Jamais personne n'a cumulé autant de postes à responsabilités
à Tahiti d'autant qu'il se donne à fond dans toutes ses
charges et
l'on ne cesse de trouver, dans beaucoup de domaines de nom¬
breuses traces de ce travail. Il ne doit pourtant pas n'avoir
que des
amis ; il semble même qu'il ait une petite dent contre les chinois car
il n'a pu conserver les travailleurs de cette nationalité
qu'il
employait dans ses cocoteraies et la lettre reproduite ci-dessous
donne à penser qu'il était préoccupé comme la
plupart des
habitants des conséquences de l'immigration chinoise.
Papeete, le 26 avril
Gouverneur des Etablissements français
de l'Oeéanie
Officier de ta Légion d'Honneur
à
Monsieur le MINISTRE DES COLONIES
(Direction des Affaires Politiques - 1er Bureau)
PARIS
Par dépêche N° 6 du 20 février dernier vous avez bien voulu me faire part de
l'intervention de M. le Député CARDACE, Délégué de la Colonie, qui a été saisi
par le
Père ROUGIER, Président de ta Chambre d'Agriculture de Tahiti d'une
protestation contre l'envahissement chinois et d'un vœu tendant à voir substituer
la main-d'œuvre annamite à la main-d'œuvre chinoise en Océanie française.
La question a déjà fait l'objet d'un examen sérieux qui a donné lieu à
plusieurs correspondances du Chef de la Colonie.
•
Société des Études Océaniennes
1708
La substitution préconisée ne serait pas efficace car l'immigration annamite,
même en l'intensifiant ne réagirait pas contre l'envahissement chinois, d'ailleurs
très relatif et qu'il convient de réduire à ses justes proportions, ce que j'ai
rapport n°
1er Bureau.
mon
fait par
234 du 16 septembre 1927, adressé à la Direction Politique -
Tant que nous ne pourrons pas limiter l'arrivage des chinois, ils continueront
à s'introduire dans
cg pays, à s'y propager, partant à créer une concurrence
sérieuse
agriculteurs tahitiens. On n'endiguera le
législatives telles que l'interdiction
aux étrangers
d'acquérir des terres comme le font les chinois dans leur pays à
l'égard des étrangers.
Au surplus, les chinois arrivant ici, jouissant des
prérogatives des étrangers,
ne constitueront pas une main-d'œuvre dont on
disposera comme celle de nos
immigrants annamites, sujets français recrutés par te Gouvernement indo-chinois
et placés à leur
débarquement sous le régime des contrats et la tutelle de
aux
mouvement
commerçants et aux
que par des mesures fiscales ou
l'Administration.
Ce
qui a été écrit par le Gouverneur RIVET et par moi-même subsiste
: le péril chinois a
été considérablement exagéré mais si on veut
envisager le problème en face il convient de s'en tenir aux suggestions ci-dessus
exposées.
entièrement
Emmanuel Rougier meurt le 16 décembre 1932 d'une crise
cardiaque provoquée, semble-t-il, par sa mise en minorité le jour
même, lors du vote pour la présidence du Syndicat d'Initiative qu'il
avait créé et qu'il considérait comme sa chose.
La presse, fit un éloge des plus flatteurs de cet homme hors du
commun qui, s'il était né un ou deux siècles
plus tôt, aurait
certainement fait partie des grands noms de l'Histoire.
Il repose maintenant, oublié, au milieu du cimetière de
Papeete.
Dans son fabuleux ouvrage sur les Tahitiens, le R. Père
O'Reilly termine ainsi la biographie du grand bonhomme : "Tel fut
ce pittoresque
personnage, demeuré, sous la soutane de mission¬
naire et les cieux du Pacifique, un pur type
d'Auvergnat par son
intelligence réaliste, sa ténacité, son amour de l'argent, son sens des
affaires et sa roublardise. Par son cœur aussi, car il avait en lui un
côté généreux, et par sa foi qui demeura inébranlée
parmi les
surprenantes vicissitudes de son existence".
Après la mort de son oncle, Paul Rougier essaye de sauver son
empire qui a été quelque peu ébranlé par les chutes successives des
cours du coprah. Il
achète un navire plus important, le Tooya en
vue de s'insérer dans le Service Postal
qui est alors en difficulté, par
suite de la disparition de plusieurs bâtiments. Laissons le
commandant Dhermain
nous
raconter
l'histoire de
ce
tableau.
LE «TOOYA»
Jusqu'aux années 33-34, ta prohibition sévissait en Amérique du Nord et les
bootleggers avaient installé un dépôt à Tahiti. On y voyait souvent un petit
bateau, le "Principio", armé par des Canadiens. Construit en 1920 à Flensburg
Société des Études Océaniennes
1709
(Allemagne), c'était un joli petit caboteur de 60 mètres de longueur, 7,34 m de
largeur, déplaçant 1000 tonnes avec un tirant d'eau de 3,80 m. Deux moteurs de
600 CV chacun, lui assuraient une vitesse de 10 nœuds à 360 tr.Nmn, mais il
pouvait tourner jusqu'à 500 tr./ mn, et filer 12 nœuds. Il J'ut rebaptisé «Tooya» en
février 1932.
En juillet
1934, la prohibition touchait à sa fin et les bootleggers ne savaient plus
M. Rougier contacta l'agent des Messageries Maritimes, lui
proposant d'affréter le navire après que lui, Rougier, l'aurait acheté aux
Bootleggers. Ilfut acheté à San Pedro, et arriva à Papeete après avoir touché l'île
Christmas île anglaise louée jusqu'en 2011 à M. Rougier,
située à / 200 milles au
nord de Tahiti, et où celui-ci avait un chargement de coprah en
souffrance. Lors
de son affrètement coque nue par les
Messageries Maritimes, le Commandant
était le commandant Mœvus, capitaine au long
cours, le chef mécanicien MoulinTraffort. Le second capitaine était l'ancien commandant, le capitaine Tapotofarerani, le lieutenant étant son beau-frère, le capitaine Temarii a Teai, A vec cet
état-major, il fit un voyage aux Tuamotu, un autre aux îles Sous-le-Vent, et au
retour, le 4 décembre 1934, M. Juteau, en provenance du «Cephée», embarquait
comme Second
Capitaine. Il resta à bord jusqu'en juillet 1937, d'abord sous les
ordres du commandant Mœvus, puis en 1936 avec le commandant Dorion. Le
«Tooya» effectua 28 voyages pour le service interinsulaire. Le 20 mai 1937, par
gros temps, mauvaise visibilité, le navire s'échoua à 2 h 55 locales sur Tikehau.
Après cinq heures d'ejforls, on arriva à le déséchouer et à regagner Tahiti. Après
des réparations provisoires à Papeete, le navire partit se faire
réparer à San Pedro
(24-6-37).
que Jàire du « Tooya».
Là, une surprise attendait l'état-major. Les bootleggers n'ayant pas été payés
complètement par M. Rougier avaient fait mettre saisie-arrêt sur le navire qui Jut
bloqué avec tout ce qu'il contenait. Il ne revint jamais à Tahiti.
QUELQUES RENSEIGNEMENTS SUR
L'ORGANISATION DU SERVICE POSTAL
Sur le « Tooya», c'est l'ojjïcier-radio, M. Snow, qui était chargé de la
poste.
L'itinéraire du « Tooya» était affiché au bureau de poste de Papeete. Le
jour du
départ, M. Snow faisait prendre les sacs postaux. Arrivé à destination, il les
remettait au chefde village, contre signature sur le "part" postal.
Le chef de vidage
lui remettait alors le courrier pour te retour, non timbré. H donnait en
espèces la
valeur de l'affranchissement et un bordereau. Au retour à
Papeete, Snow donnait
au receveur lettres, bordereau et
espèces. C'est alors que devait être apposé te
cachet «Service postal interinsulaire». Ce qui est certain, c'est que ce cachet n'a
jamais été embarqué (5).
On arrive malgré tout à trouver sur le marché philatélique des
lettres portant l'un des deux cachets Service Postal Interinsulaire
et, complaisance ou non, ces enveloppes sont fort prisées des
collectionneurs.
Paul Rougier qui était sur le Tooya lors de ce dernier voyage,
ne revint
jamais à Tahiti, lui non plus. On retrouve sa trace en
(5) Article extrait du "Courrier des Messageries Maritimes" N" I 19 - Novembre - Décembre
1970.
'Société des Études Océaniennes
1710
France au début de la guerre de 1940 où il est instructeur dans
l'aviation militaire (?) ; il est, malheureusement aussi, voisin et ami
de Pierre Laval ce qui lui vaut de se retrouver en prison à la fin des
hostilités.
Quant aux plantations de l'île Christmas, elles sont aban¬
données par le personnel en décembre 1939. L'atoll n'est réoccupé
qu'en 1941 par des gens des Iles Gilbert et Ellice. Cette même année
les Forces Néo-Zélandaises s'y installent suivies de peu par les
Américains qui en font une base de ravitaillement avec une piste
aérienne principalement destinée à servir de relais aux avions qui
font la navette entre Honolulu et Bora Bora.
Avant même le départ des troupes américaines en 1949,
Madame Alice Calamy-Rougier, la sœur de Paul Rougier vient, au
nom de son frère, traiter avec le Gouvernement des Gilbert et Ellice
la liquidation de la propriété.
14.000 £ de
Elle obtient 36.000 £ d'indemnités et
revenus.
Plusieurs Compagnies aériennes essayent ensuite de s'implan¬
ter sur l'île pour en
faire le relais de différentes grandes lignes mais
1956 d'un Centre d'Essais
Atomiques, met fin à toute initiative privée. Christmas sert ainsi de
polygone d'essais nucléaires jusqu'en 1964.
la Grande Bretagne, avec l'installation en
4.000 techniciens et soldats britanniques et américains se
relayent ainsi durant cette période pour activer cet immense
chantier ; assurer la logistique et procéder aux expériences qui
consistent essentiellement à faire des
mesures
et
observations
d'explosions atomiques (dont la puissance ira jusqu'à la méga¬
tonne) provoquées par des bombes lancées d'avions au-dessus de
l'océan, à proximité immédiate de l'île. Quelques "tirs" se font
également sous ballons et même sur barges !
Les
bombes
USA utilisent aussi les installations pour y tester 25
(opération Dominique) entre février 1962 et septembre
1963.
Mises en sommeil et entretenues pendant quelques années, les
installations de la base atomique sont finalement cédées à un prix
fictif au Gouvernement des Gilbert. Aujourd'hui encore la plupart
des maisons sont d'anciens bâtiments militaires, ou bien sont
construites avec du matériel de récupération ; les véhicules et les
équipements hors d'usage ont été pillés de tout ce qui pouvait
encore
servir.
Le Gouvernement de Kiribati fait actuellement de gros efforts
pour
la pfomotion du tourisme sur ce magnifique atoll, immense
poissons et d'oiseaux lesquels, curieusement,
réserve naturelle de
Société des Études Océaniennes
171 i
désertèrent Hie
en
1983 à l'approche et durant les cyclones qui
ravagèrent la Polynésie Française, abandonnant les oisillons qui
moururent-par milliers.
Les Américains et les Japonais y ont installé depuis 1976 une
grande station d'observations et de poursuite de satellites et
l'avenir de ce minuscule point de l'Océan Pacifique s'annonce bien
sous les auspices envisagés
par notre entreprenant Abbé Rougier.
C.
Beslu
BIBLIOGRAPHIE
-
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Service des Archives
-
The Christmas Island
Papeete
Story d'Eric Bailey - Stacey International
London.
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The American Naturalist - Vol. XI - N° 2 (feb.
H. Streets
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1877) by Dr. Thomas
U.S.N.
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Sillages dans les Mers du Sud par l'Amiral Decoux - Pion 1953.
Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes
Mémorial
-
N° I
-
mars
1917.
Polynésien - Tomes 4 et 5 - Hibiscus Editions.
Les Tahitiens
-
Biographie de la Polynésie - de P. O'Reilly - Société
des Océanistes.
-
-
Revue "GEO" N° 37 de mars 1982 - Article de Geoffrey Tompkinson.
Journal "Les Nouvelles" de Tahiti du
3/9/83 - article de Daniel
A. Tardieu.
-
Le Courrier des
Messageries Maritimes N° 1 19 - nov. - dec. 1970 -
article du Commandant Dhermain.
-
-
La Philatélie à Tahiti de C. Beslu
-
Ed. Publico.
Avec la collaboration du Service des Archives de la
République de
Kiribati.
-
Œuvres romanesques
croisées - Eisa Triolet et Aragon - Paris 1946.
Société des Études Océaniennes
1712
LITTÉRATURE EN OCÉANIE
UN CAS DE CIRRHOSE PIGMENTAIRE
ATYPIQUE
"J'ai souffert du foie toute
ma
vie. Mais ça a vraiment
commencé d'aller mal, il y a six mois à Raiatea, petite île
près de Tahiti, où j'avais un hôtel".
En 1954, Jean Reverzy, médecin originaire de Lyon publie Le
Passage, après un voyage qui l'avait mené sur les rives océaniennes
d'octobre 1952 à janvier 1953 ; il obtient le prix Renaudot qui fait
vendre le
roman à
100.000 exemplaires, puis donne à lire sans
grand succès ses deux dernières oeuvres, en 1956 Place des
Angoisses (sur la caste des médecins lyonnais), enfin en 1958, Le
Corridor, un titre qui rappelle Le Passage ; il meurt en 1959, pro¬
bablement d'un infarctus du myocarde. Peu d'écrivains sont
apparus avec tant d'éclat dans le monde des lettres pour être si vite
oubliés. Pourtant, depuis la nouvelle édition complète de ses
oeuvres en
1977, Jean Reverzy réémerge et la critique, le
découvrant pour une bonne part, le place parmi les grands
écrivains du XXème, avec un thème dominant, obsédant : l'agonie.
En outre la récente édition du Passage en collection de poche est
susceptible de fournir à ce roman un surcroît de lecteurs qu'il
mérite amplement ; il serait également intéressant de connaître les
relations qu'un lecteur polynésien peut entretenir avec un tel
roman, la pluralité des "lectures" contribuant à créer une œuvre et
à l'enrichir.
L'analyse qui va suivre du Passage ne cherche pas à rendre
compte de la totalité du roman, mais essentiellement de sa
"polynésianité", et du problème de l'écriture chez Reverzy.
Société des Études Océaniennes
1713
Deux personnages, un
destin
Passage commence sur l'impression d'un malaise, celui de
qu'éprouve le narrateur, un médecin de quartier
lyonnais qui s'interroge sur le sens de son travail, lorsque remonte
à sa conscience, le souvenir "d'un monde imaginé puis parcouru...
au prestige
perdu" : la Polynésie. En face de lui, un homme,
Palabaud, son patient ; le personnage central du roman qui se livre
une nouvelle fois au monde médical, auprès duquel il cherche un
répit avant de s'éteindre ; il revient justement des îles où il a vécu
une partie importante de son existence. Mais "les mers et les îles
n'avaient pas voulu de moi" (1) reconnaît intérieurement le
médecin qui y avait placé comme tant d'autres jeunes hommes (2)
ses rêves d'enfance ; et, devant le corps malade de Palabaud une
"obsession ancienne" prend la forme de l'image qu'il conserve de
ces îles. "En Océanie, sauf la mer et les nuages, tout est flou et
impur, la décrépitude des paysages se reflète sur les traits
humains". Désormais, à travers un corps malade, devant le corps
malade de Palabaud, c'est "l'auréole corrompue" de l'Océanie que
Le
la lassitude
le médecin examine "Le souvenir des îles des mers du Sud me fit
penser à une autre malpropreté que j'avais connue, plus révoltante
Car si la malpropreté des humains nous inflige, celle de la
encore.
qui existe, que l'on rencontre à chaque pas dans les îles
tropicales nous trouble et nous bouleverse davantage".
Tandis que Pierre Loti nous avait habitués à la tristesse
mélancolique qui s'élève des îles, que René Vanlande nous avait
conté ces lieux "d'enchantement et de mort", qu'Alain Gerbault
s'était lamenté sur le paradis qui meurt de la pénétration blanche,
Reverzy, pour sa part, pose sur les îles un seul et unique regard,
celui de la maladie antichambre de la mort et observe le pourrisse¬
ment, "la corruption des êtres et des choses".
nature,
Le
mythe est ailleurs
On est vraiment loin du
mythe de Tahiti, du paradis
enchanteur, de ce monde sans souci coulé dans une nature
avenante. Il nous faut donc nous interroger sur l'origine de ce
regard sombre, pessimiste, célinien (3) presque, que porte Reverzy
(1) Allusion transparente au poème de
Verlaine : Gaspard Hauser dans Sagesse.
(2) Reverzy, né en 1914, a 13 ans lorsque Marc Chadourne publie Vasco. Cette oeuvre a
joué un certain rôle dans la représentation imaginaire que les jeunes Français se sont
faits de l'Océanie. Rien n'indique pourtant l'influence de Chadourne sur Reverzy.
(3) L.F. Céline partage, à notre avis, avec Reverzy plus que la profession de médecin : une
langue que n'effraie pas sa violence et un climat souvent oppressant semblent les
rapprocher.
Société des Études Océaniennes
1714
minuscules îles émergées çà et là de l'immensité roulante des
Pourquoi cette nausée, pourquoi ce dégoût ?
sur ces
flots.
"Je suis revenu pour crever" confie Palabaud, tassé dans le
fauteuil d'une chambre d'hôtel, au médecin qu'il avait connu
lorsque celui-ci voyageait en Océanie, quelques années aupa¬
ravant ; Palabaud, avant de disparaître rongé inexorablement par
une cirrhose pigmentaire (4)
qu'il a contractée peu à peu alors qu'il
tenait dans le chef-lieu de l'île de Raiatea "l'hôtel des mers du Sud",
raconter son existence tumultueuse à Uturoa, déployer
la
conception très personnelle de l'univers dans lequel il s'est mu.
va
Ce roman relate donc l'inégal dialogue d'un médecin partagé
une vie maussade et le rêve d'une Océanie radieuse, et un
homme mourant qui reçoit sa mort comme le salaire de sa vie
entre
océanienne. Mais Palabaud n'a pas été tout au long de son escale
qu'un bon vivant, ou qu'un consommateur de vahinés consen¬
tantes, au contraire, de la place privilégiée qu'il occupait derrière
son zinc,"la vie vaut la peine d'être mesurée du haut d'un
comptoir
de bistrot", il poursuivait un idéal celui de "connaître le venin qui,
d'un coup avait tué une civilisation sans égale". Ainsi l'on découvre
chez ce limonadier apparemment sans grande envergure, les inter¬
rogations d'un psychologue, d'un observateur moraliste, qui le
rapproche de son interlocuteur, le médecin, au point que ces deux
personnages peuvent passer pour les composantes d'un même être
humain.
Ainsi, le monde intérieur de Palabaud commence à chavirer
où La mort devient Sa mort prochaine ; il endosse sa
maladie comme on joue le dernier acte d'une vieCdans le domaine
de la mort prochaine... Palabaud montrait de singulières dispo¬
du jour
sitions de lucidité et de bon sens. Savoir bien mourir est un don...
don, Palabaud le possédait"; il revêt un nouveau costume et dès
il voit le monde lui rend insupportable le
spectacle riant de Tahiti, ses odeurs, ses libations, bref son
bonheur, et décide, encouragé par les médecins de l'hôpital de
Papeete, de liquider ses affaires et de prendre le premier paquebot
en direction de la France,
pour, lui dit-on, "guérir définitivement",
une antiphrase qu'il
comprend car il sait que l'Océanie n'est pas un
ce
lors le filtre par lequel
pays
où un Européen doive mourir.
Reverzy, en rappelant la vie de Palabaud à Raiatea cherche à
psychologie des Polynésiens, les relations qu'ils
entretiennent avec les Européens, les Chinois ou entre eux. Chez
décrire la
(4) Les médecins consultés par Palabaud insistent sur la sobriété de leur patient. La maladie
apparaît bien comme scandaleuse, mais elle n'est pas à dissocier de l'homme qui la porte.
Société des Études Océaniennes
1715
Reverzy, il n'y a pas de mythe, tout au plus reconnaît-il que la vie
Européen dans les îles offre un certain nombre d'agré¬
ments qu'il ne connaîtrait pas ailleurs :
pour un
"
A Tahiti,
paradis des retraités libidineux, on voit maints
vieillards arriver d'outre-mer pour terminer leurs jours entre
les bras de femmes-enfants qui s'offrent sans dégoût à qui veut
bien leur procurer l'abri d'une case, une robe pour les soirs de
bal et
quelques bijoux de bazar. En échange, elles donnent
indifférent, balaieront la demeure et feront la
cuisine. Bientôt des parents, des sœurs, des cousines s'invi¬
teront. Un nouveau choix s'offrira pour consoler le retraité
d'un brusque départ de sa petite vahine tentée par un amant
plus robuste."
leur corps
Ce livre fourmille de remarques, "après avoir ri, Vaïté, tout à
proie à cette timidité que les indigènes éprouvent
présence de l'Européen", d'allusions sarcastiques "la
torpeur des tropiques engourdissait son esprit déjà paresseux" qui
montrent que Reverzy s'est imprégné du pays et de ses mœurs
pendant son séjour, "Tiaré est allée se faire avorter à Tahaa", grâce
à l'œil du médecin auquel rien n'échappe. De ce fait, le Passage
n'est pas seulement un roman, bien écrit, c'est aussi un document
sur la Polynésie d'avant le bouleversement des années soixante.
Reverzy ne démolit pas l'auréole littéraire océanienne, il nous
donne à voir ce qu'on refuse, censure ou refoule à cause
précisément de son image mythique. La maladie de Palabaud est
salutaire dans la mesure où elle est créatrice d'un langage
inhabituel sur l'Océanie : les îles n'émerveillent ni ne déçoivent,
elles sont décrites telles qu'elles apparaissent à un cirrhotique. Il est
sincère, autant qu'on peut l'être en littérature, si bien qu'aucune
intention blessante ne peut lui être reprochée. A vrai dire le filtre, à
travers lequel Loti observait déjà Tahiti, n'est peut-être pas aussi
gratifiant pour le pays qu'a bien voulu le laisser croire une certaine
tradition critique.
coup se tut, en
souvent en
La
mer...
les hommes...
Tout au long de son existence à
Raiatea, Palabaud se livre à
forme d'interrogation : "la mer" et "les
hommes", deux mots vides d'environnement, deux mots faits
deux méditations
en
d'obstacles, dans lesquels réside peut-être l'étrange dialogue de
l'homme blanc et des îles. Ces mots retiennent Palabaud, le
hantent, l'obsèdent, sont dépositaires d'une grande tension
affective ; ils lui rendent acceptable sa condition d'homme, en exil,
le maintiennent éveillé et
inspirent à son esprit la dimension de
l'infini, du mystère, de l'insaisissable ; lorsqu'il songe à "la mer" et
'
Société des Études Océaniennes
1716
"aux hommes", il éprouve son évasion, une fausse évasion qui le
ramène à Raiatea ; l'au-delà du récif est un lieu évanescent mais
pur qui lui rappelle l'enfance.
est la
Il devine que pour un insulaire la mer
vie, même lorsqu'elle devient menaçante. La mer cache sa
profondeur, son abîme où se fabrique un univers de décomposition
corruption. "La pensée finale de Palabaud fut tournée vers la
mer qu'il vit clairement, non la mer symbolique des voyages, des
romans, des poèmes, mais cette mer réelle et pure, cette mer
vivante... Ce qu'il tenait, c'était l'idée même de la mer et il ne
souhaitait rien d'autre". Palabaud sait bien que la mer figure
comme un
personnage dans la vie océanienne ; lieu mythologique,
espace des navigations et rumeur étouffée du monde. Nature et
langage à la fois, la mer fabrique l'homme. "En Polynésie, le génie
de la mer survivait dans les lagons d'eau verte, isolés du large par
une frêle barrière de corail... Et après des années, le symbole... se
fixa sur le paysage élémentaire du lagon miroitant devant l'Hôtel
des mers du Sud : une nappe d'eau transparente semée de
madrépores, puis la ligne lointaine des vagues butant sur les récifs
et, plus loin encore, le fil tendu de l'horizon".
Sans doute les Polynésiens de Reverzy ne sont-ils pas destinés
à s'inventer un grand destin, ni même à se dépasser, loin de là ;
l'auteur voit vivre une population simple, aux gestes quotidiens et
naturels, population soumise à un ordre social, qui n'est pas le sien,
mais qu'elle accepte, parvenant à sauver quand même l'essentiel de
ce qui la constitue, sans se figer dans un modèle taillé par d'autres
et de
désirs.
"Peut-on oublier Tahiti" demande le médecin à Palabaud, au
moment
où ce dernier offre
son
corps
à l'analyse du spécialiste ?
le malade se la pose souvent depuis son retour en
France, depuis que, désorienté, il passe ses journées à errer dans la
ville à la recherche imparfaite de son enfance, suivi de sa compagne
Cette question
Vaïté, quelque peu hébétée, et qui ne tardera pas à l'abandonner, le
laissant seul affronter son agonie et apprendre à mourir. C'est bien
réside l'une des données essentielles du livre, autobiogra¬
phique paraît-il, à savoir les derniers mois d'un condamné par la
médecine, observateur lucide de sa propre ruine à venir.
Palabaud est sans doute parti en Océanie à la recherche de luimême, avec le désir de se découvrir à travers une vie et une
expérience différentes ; il n'a pas vraiment connu l'exil au sens
négatif du terme, puisqu'il a rencontré "les hommes" et découvert
"la mer", mais surtout il a bâti sa propre mort : "rien ne vaut,
pense-t-il, si derrière les choses la mort ne se profile". Au fond, cet
homme déclassé, tour à tour qualifié de "raté", de "vagabond
pauvre des mers" atteste que si la Polynésie apparaît comme un
là que
Société des Études Océaniennes
1717
havre de paix, toute vie conduit néanmoins à la mort, d'autant plus
prématurée donc injuste, qu'aucun Européen ne peut se fondre
totalement dans un pays aux racines si différentes. "En Océanie, la
lumière du jour déforme l'aspect des hommes et des destins". Cette
oeuvre est donc celle du désespoir,
marquée par un ennemi impla¬
cable : le temps, source de toute corruption matérielle et morale,
qui n'en finit pas de faire mourir les hommes, c'est-à-dire de les
réduire au néant. Ainsi le Passage est un livre où l'angoisse de la
mort prochaine entraîne une modification complète des modes de
perception du monde, où l'exotisme ne s'épanouit plus nulle part,
ni dans les paysages devenus accablants, ni sur le lit des vahine aux
odeurs maintenant écœurantes, ni sous le sol creusé par des crabes
agressifs.
Des passages
Le roman, par
les différents "passages" auxquels il fait
allusion, explicite lui-même son titre et, de manière générale, on
peut dire qu'il porte son propre commentaire, à partir des
fonctions afférentes aux personnages ; en effet, le mouvement de
l'écriture chez Reverzy est double : d'une part elle se fait (Palabaud
acteur et patient), d'autre part
elle se regarde (Narrateur, médecin
de Palabaud et ancien Voyageur en Océanie). Cette distinction a
parfois tendance à se dissiper et l'on sent naître une complicité
entre les personnages lorsque les îles sont au centre de leurs
évocations et qu'un même sentiment de dégoût les envahit tous les
deux.
Passage de l'aube pleine d'espoir, au milieu de la journée,
"immuable, solennel, à peine troublé par le froissement des
palmes".
Passage de la santé, période ignorant la durée, à la maladie qui
l'atemporalité et lui ouvre la voie de ses
délivre Palabaud de
limites.
Passage de la surface de l'eau, pure, caressée par le regard, à
sa profondeur, lieu de métamorphoses et
métaphore du corps.
Passage du silence existenciel à la parole, qui devient
l'abîme caché de
littérature.
Passage de la sociabilité polynésienne à la solitude dans un
borgne, puis dans un hôpital lyonnais où elle s'achève.
Passage de l'état d'homme à la déchéance, de la matière à
l'ombre. "Si la mort est un passage facile... l'initiation est doulou¬
reuse et parfois longue".
hôtel
Le Passage, un titre qui marque bien la condition hésitante de
l'homme, est la tentative de disposer entre la vie et la mort d'un
Société des Études Océaniennes
1718
multiple :
témoigner du ou des passages par lesquels s'eventurent l'homme
(Palabaud) et l'écrivain (Reverzy), sur la route maudite de la vie,
où se dessine tel un spectre la maladie (de Palabaud/Reverzy)
troisième chaînon
fonctionnant
:
l'écriture. Sa fonction apparaît
comme
une
écriture (création). Si l'on peut se
permettre de jouer sur des combinaisons de mots, on dira que la
maladie est l'écriture de Palabaud, c'est-à-dire l'expression qui le
crée, comme l'écriture est la maladie incurable de Reverzy, grâce à
laquelle il devient écrivain. Elle s'impose un jour sans qu'on l'ait
vraiment souhaitée, elle est nichée au plus profond de soi, se
développe, s'amplifie et lorsqu'elle ne peut plus être contenue,
éclate en menant le corps à une nouvelle naissance, à un nouvel
état, celui d'écrivain, celui de malade...
Polynésie de Reverzy n'existe pas sans la
Ce livre exprime le regard d'un homme
souffrant sur une population malade de son histoire :
En définitive
la
maladie de Palabaud.
"En Océanie, toute l'intelligence disparue du cerveau du
Maori depuis l'arrivée des Blancs s'est réfugiée dans la tête de
quelques femmes dont parfois la finesse et le bon sens
surprennent".
En (re) découvrant ces dernières années Jean Reverzy, la
critique s'est surtout penchée sur les relations dynamiques
qu'entretient la maladie avec l'écriture ; s'il est un fait que la
souffrance physique d'un écrivain contribue à sa créativité, il faut
aussi se demander ce que la littérature doit à la maladie. Dans le
cas de Reverzy, la maladie apparaît bien le personnage central qui
permet d'atteindre "la vraie vie" (5). La cirrhose de Palabaud (un
homme sobre) peut passer pour la métaphore littéraire d'un
cancer-maladie de l'âme qui dévore le corps, en même temps que le
symbole d'une civilisation. L'homme porte en lui sa création, à la
manière d'un cancer qui naît en son sein et évolue par prolifération.
"L'écrivain qui pose sa plume est mort" a écrit Reverzy, mais
l'écriture ne l'a-t-elle pas précipité vers sa propre mort ? Le mot que
Huysmans s'adressait à lui-même, "il me fallait souffrir mon
œuvre" prend ici tout son sens lorsque l'on sait que Reverzy a
entrepris son voyage en Océanie, aux premières atteintes de son
mal et a composé l'essentiel de son œuvre sous le regard de la
maladie qui l'a affermie.
N'y-a-t-il pas une analogie de situation, paradoxale, frappante
et douloureuse de surcroît, entre la cirrhose d'un cafetier sobre et le
cancer
(5)
d'un médecin ?
litre d'une œuvre, sans doute inachevée, de Reverzy.
Société des Études Océaniennes
1719
En
Polynésie comme en littérature
Il faut lire Reverzy et sans doute surtout le relire. 11 nous
entraîne, à la fois en Polynésie et dans la littérature, expérience
réussie et rare que peu d'écrivains peuvent goûter comme lui.
L'Océanie donne envie d'écrire, mais elle a consacré peu d'écrivains
français, Bougainville, Loti, Segalen, Reverzy, quelques noms
épars sur un champ planté de mille et mille mots aux faibles échos.
Le Passage apparaît donc comme un livre à la fois oppressant
et libérateur : il est accablant par le regard qu'il jette sur la
Polynésie
et pourtant il est salutaire parce
qu'il correspond à une tentative de
sortir la littérature française sur Tahiti de son trop récurrent
imaginaire, fait de mièvreries et d'exotisme sentimental. Mais cette
œuvre, par sa nature unique, ne pouvait donner naissance à aucune
postérité littéraire.
Le
Passage constitue donc un repère, une balise qui nous
signale que c'est le point de vue sur les choses qui les fonde et leur
donne leur sens authentique, sans référence obligée au réel. Le
monde des mots et du langage appartient en propre à la littérature.
La perception de l'Océanie, comme les formes et les modèles
littéraires sont appelés à se modifier : le Passage existe pour en
témoigner.
"Cet
amoureux
des
mers,
pauvre,
faible,
sans
yacht, sans
casquette de marine devînt essentiellement l'homme des mers du
Sud. L'exil de la Polynésie lui réserva des surprises, des joies
profondes et enfin la pure vision de la mer... Parce qu'il est mort,
quelque chose manquera aux mers du Sud. Là-bas, en scrutant les
soirs, on devinera une absence, un vide ou un passage".
Daniel MàRGUERON
BIBLIOGRAPHIE
REVERZY Jean, Œuvres complètes, Flammarion 1977. Avec une
introduction de Paul Otchakovsky-Laurens et une biographie tirée
de la thèse de doctorat de médecine d'Yves Buin
:
Jean
Reverzy
(médecin et écrivain lyonnais) 1914-1959 (Paris 1964).
REVERZY Jean, Le Passage,
collection Points/Flammarion.
Magazine littéraire n" 186 d'août 1982 consacré aux maladies mortelles de
la littérature.
Société des Études Océaniennes
1720
CULTURES ET CULTES
W.A. POORT
Pacific between indigenous culture and exogenous Worship.
Copyright 1983, Hilvarenbeek-Netherlands, Translation by W.L. van OsThompson, 68 p.
Devant l'intérêt de ce travail, nous avons demandé à l'un de
membres, ethnologue, le Dr. Carlos de bien vouloir nous en
donner une adaptation.
nos
Le Révérend W.A. POORT, à la suite d'un vaste périple dans
Pacifique-Sud (Polynésie française, Cook, Niue, Tonga, Fidji,
Samoa, Nauru, Vanuatu, Nouvelle-Calédonie, Tuvalu, Kiribati,
Salomon, Papouasie Nouvelle-Guinée), s'est demandé quelles sont
les expressions de l'ancienne culture* ? Quel fut le véritable impact
de l'ancienne culture autochtone sur le rituel religieux et la vie
d'une paroisse chrétienne ?
Dans une collectivité humaine restreinte, si l'on remonte à la
transmission du savoir et de l'expérience d'une génération à l'autre,
la culture c'est avant tout l'acquis, non seulement dans le domaine
technique mais aussi dans certains modèles de conduites indivi¬
duelles (sens artistique, spiritualité, religiosité).
le
Expression humaine d'une croyance, le culte religieux fait
partie de la culture d'une nation.
(*) indigène qui se sont maintenues dans les cérémonies culturelles des églises implantées au
I9ème siècle.
Société des Études Océaniennes
1721
En
Polynésie
L'auteur a basé son enquête sur les réponses obtenues à partir
d'un
questionnaire adressé à de nombreuses personnes. A
ce recueil de données il note, au niveau du clergé
local, une certaine répugnance vis-à-vis de la chose écrite.
En Polynésie française l'emploi du tahitien est généralisé pour
les services religieux destinés aux polynésiens ; il note quelques
services en français, voire en anglais pour certaines communautés
(à Fidji, usage de l'Hindi). A Tahiti, une institution auxiliaire
"Tomite Papeiha", unique dans le Pacifique, favorise la promotion
de la langue et de la culture tahitienne.
l'occasion de
Plusieurs églises de la région Pacifique offrent à leurs fidèles le
moyen de participer aux offices de manière plus active. C'est ainsi
que le "diacre" -deacon-joue un rôle important dans le culte en se
chargeant de la conduite d'une partie de la liturgie. Pourtant,
certains éléments liturgiques ne sont, en fait, que des traductions de
textes d'origine européenne. A Niue, ni le "Credo" ni les "Dix
commandements" ne sont mentionnés. A Tonga "Church of
Tonga" est anti-liturgique parce que, précisément, on n'y trouve
pas une expression typiquement polynésienne de la Foi dans un
credo qui soit propre à cette église. La liturgie des églises de
Polynésie a généralement pour base un modèle ancien, directement
hérité des missionnaires de la "London Missionary Society". Seul
le "Rite mélanésien de reconciliation" présente un élément de
"syncrétisme" apportant à la liturgie un aspect autochtone marqué.
Les Polynésiens sont bien connus pour leur amour du chant et
d'autres formes musicales, y compris des formes très anciennes. Le
chant collectif est la norme ; le rôle de la chorale est de diriger le
chant de toute la paroisse. L'Eglise Evangélique de Polynésie
française est renommée
pour ses
chants à plusieurs voix (cette
méthode remonterait au Révérend W.P. Crook). Parmi les
activités des groupes ou "amuiraa", l'organisation des "tuaroi" et
les "himene tarava" constituent des acquisitions originales.
W.A. Poort se demande si les chants ne sont que des
traductions d'hymnes d'origine européenne ou américaine ou si -du
moins partiellement- ils ont une nette composante polynésienne.
Le "Buka Himene" utilisé en Polynésie française est constitué, dans
une
proportion de 87 %, de textes composés par les missionnaires.
Vernier, l'auteur considère quatre catégories :
Avec M.
1. himene
ruau ou himene tahito, dans lequel l'âme tahitienne
sous-jacente trouve sa pleine expression. A l'origine, des
hymnes européens de plus en plus profondément transformés
'Société des Études Océaniennes
1722
2.
3.
pour leur donner un caractère polynésien oblitérant l'origine
européenne.
himene popaa, révélant une influence américaine.
chants de l'école du dimanche, la plupart d'origine européenne,
exprimant de manière souvent naïve, l'âme collective d'une
communauté croyante.
4.
hymnes européens et américains, de facture moderne, traduits
en
tahitien.
possible, dans certains de ces hymnes, de discerner
quelques fragments de l'ancienne culture polynésienne ; on y décèle
même quelques éléments caractéristiques de la pensée et de la vie
religieuse des Polynésiens.
11
est
Quant aux mélodies retenues, les airs sont généralement
d'origine occidentale. On note aussi -surtout en Polynésie
française- une tendance polyphonique distincte : chantées à trois
ou même quatre voix, ces mélodies possèdent un effet harmonieux
incontestable, donnant à distance une impression d'orgue ; on y
décèle une imitation de la mer avec l'amplitude d'une longue houle
brisant
sur
le récif.
polynésiens les plus purs, au sens culturel -les
entendus durant les "tuaroi" ou rencontres pour
Les chants
tarava-
études
sont
bibliques.
"La vraie mélodie polynésienne se retrouve surtout dans les
airs des tarava qui sont des airs très anciens adaptables à
n'importe quelles paroles, aussi bien bibliques que profanes".
C'est le seul type très ancien -pré-chrétien- de mélodie ayant
pénétré le domaine de la musique religieuse chrétienne.
11 est intéressant de remarquer que l'Eglise catholique
romaine en Polynésie est moins réceptive aux vieilles influences
autochtones que les nombreuses églises protestantes. On pense que
cela serait en rapport avec le caractère centralisateur de cette église,
y compris dans le domaine de la liturgie.
Rencontre-t-on, dans le culte chrétien, des éléments typi¬
quement polynésiens ? - Oui.
"Annonces" et "Mots de bienvenue", entre la lecture de la
Bible et le sermon, ou après le sermon. Toute l'hospitalité et l'élo¬
polynésiennes s'y expriment : toutes les personnes ou
présents -surtout les invités- sont mentionnés.
La célébration de la Sainte Cène qui, dans les églises protes¬
tantes, prend place le premier dimanche du mois -selon une
quence
groupes
ancienne tradition missionnaire- trouve ses racines dans l'ancienne
culture. On retrouve cet aspect dans "United Church of Papua
Société des Études Océaniennes
1723
New-Guinea". Fait intéressant, la table de communion ou
l'autel
de tissu autochtone (tapa) ; les objets
nécessaires à la communion -patène, burettes, calice- sont d'origine
est encore recouvert
européenne.
En
ce
qui
concerne
les espèces -le pain et le vin- de la
communion, elles sont souvent remplacées par des substituts
d'origine polynésienne. Sait-on que le 17 mars 1797, lors du service
de Sainte Cène tenu par le Capitaine Wilson du "Duff", à la Pointe
Vénus, et pour la première fois, le fruit de l'arbre à pain de Otaheite
fut utilisé en tant que symbole de la chair du Christ. En 1820, à
Huahine, Ellis utilisait des morceaux de fruit d'arbre à pain grillé
cuit. Pour remplacer le vin Arbousset faisait appel à de l'eau, la
ou
pulpe de noix de coco remplaçait le pain dans l'archipel des
Tuamotu. Aujourd'hui encore, eau de coco et uru ou taro sont
parfois utilisés dans la Cène.
Dans une vaste zone du Pacifique-Sud, tant polynésienne
(Samoa-Tonga-Nauru) que micronésienne (Carolines) ou mélané¬
sienne (Fidji-Vanuatu), on note l'existence d'une "cène pré¬
chrétienne" : la cérémonie du kava. Certains éléments se retrouvent
partout : manière royale d'accueillir visiteurs et amis, expression de
l'amitié, de l'amour, de l'alliance, de la réconciliation, de la conso¬
lidation des anciens liens dans la communauté, offrandes de dons
et
célébrations
communes.
remarquable de constater que ce rituel ancien, dont les
racines sont bien antérieures à la religion chrétienne, conserve une
fonction sociale absolument unique. Il est aussi curieux d'observer
les nombreuses similitudes entre la cérémonie du kava d'une part et
la célébration de la cène d'autre-part. Sait-on que durant une
décennie antérieure, un mouvement vit le jour désireux de faciliter
Il est
l'intégration de la cérémonie du kava dans le sacrement chrétien ?
Un des principaux arguments avancé pour justifier cette "christianisation" réside dans une justification biblique apportée par un
écrit émanant du cardinal samoan Pio Taofinu'u : "la cérémonie du
kava est une prophétie".
La "Méthodist Church" de Samoa reconnaît la cérémonie du
kava, tout comme elle reconnaît d'autres fêtes et cérémonies
d'échange de dons. Elle considère pourtant qu'elle n'a aucun
rapport avec le service divin. On observe la même attitude à Fidji
où l'accent est clairement mis sur la distinction nécessaire entre un
rite traditionnel (kava) et la vie de l'église.
Autre similitude évoquée : la cérémonie du kava et l'offrande
annuelle pour PEglise, connue en Polynésie française sous le nom
"Offrande du Mé" (aufaura'a Me), et à Tonga comme le
"Misinale".
'Société des Études Océaniennes
1724
Lors de la cérémonie du kava, le contenu de chaque panier de
nourriture offert par les familles d'un village samoan, fait l'objet
d'une annonce
publique précisant le donateur. A Tonga, lors des
procédé est identique.
offrandes annuelles, le
Dans le cadre des offrandes du Mé on observe la naissance de
sentiments de
compétition, de rivalité entre les groupes sociaux,
voire les familles !
"... of course the Church reaps the sweet fruits of this and
sometimes the families reap the rather more biffer fruits, if
they have tried to overreach themselves".
Peut-on dans ce cas, tenter un parallèle avec le potlaîch (1) ?
Crocombe
Penisimani
Tupouniva critiquent -fort
justement- cette "compétition" annuelle qui, sous une certaine
forme de contrôle social, apporte honneur et prestige ; mais aussi,
et il faut y penser, une peur latente d'une possible réaction
défavorable de Dieu (désastre ou maladie) envers celui qui aurait
et
donné à contre-cœur
un
don de valeur.
Le don du Mé serait-il
une
réminiscence des fêtes païennes
qui, vers la fin du mois de Mai et le début de juin, clôturaient la
saison de la fructification, donc de l'abondance ? A Papetoai
(Moorea), lors de la "Rencontre de Mai" -13 mais 1818- des
denrées végétales étaient collectées pour la "Société Mère"
(London Missionary Society). Ainsi, la L.M.S. elle-même, pour
son Dieu, évinçait les anciens dieux adorés dans les marae ; les
missionnaires se substituaient -en tant que bénéficiaires- aux
anciens prêtres desservant les marae.
En tant que "fait culturel" la danse, le mime, et la représen¬
tation
théâtrale
constituent
des
éléments
harmonieux
de
l'expression de corps.
La danse, dans la mesure où l'accent n'est pas mis sur sa
composante sensuelle, est tolérée par les églises. Les mouvements
gracieux de l'aparima permettent d'illustrer et accompagner les
spectacles qui vont puiser dans l'Ancien Testament les sujets de
leurs chorégraphies.
( I)
M. Mauss définissant le concept de "fait social total" reprend les travaux de Boas sur le
"potlatch" pour mieux cerner le fait total de l'échange, du don et du contre-don, tel qu'il
apparaît dans de nombreuses sociétés dites primitives. On sait que chez les Indiens de la
côte Nord-Ouest de l'Amérique du Nord, au cours de la cérémonie du potlatch des noms
blasons étaient transmis, des biens matériels étaient distribués, d'autres détruits. Un
mécanisme d'enchères à la concurrence et au prestige était mis en action, entraînant les
individus dans une sorte de spirale ascendante vers la surenchère. Les dons du "Mé" ne
et
sont-ils pas
eux-aussi soumis à une sorte "d'irrationalité économique" masquant une
"rationalité sociale".
Société des Études Océaniennes
1725
L'attitude de l'Eglise varie en fonction des régions. C'est ainsi
que Tonga demeure très critique et considère ces activités gestuelles
beaucoup trop proches des cultes rendus aux divinités des temps
précédant la venue de l'évangile. Niue fait preuve d'une même
désapprobation. A Samoa chants et danses ne sont admis que dans
la mesure où ils se réfèrent aux hymnes religieux, à des saynètes
tirées de la Bible.
A Tonga, seules quelques vieilles églises sont le reflet fidèle de
la culture
polynésienne. Toutes les églises récentes sont de style
architectural occidental. C'est ainsi que les édifices de la "Free
Church of Tonga", construits en matériaux locaux, présentent un
style nettement tongien (elles ressemblent aux vastes résidences
de chaume et dont les parois sont constituées par des
panneaux de palmes tressées).
couvertes
L'architecture purement polynésienne ne semble pas avoir
droit de cité en Polynésie française. Toutes les églises que l'on peut
observer, y compris dans les îles isolées, sont de petites chapelles
qui semblent avoir été directement transportées depuis les Vosges.
La cathédrale catholique de Papeete -bien qu'elle se fonde harmo¬
nieusement dans son environnement- présente, quoique dessinée
par un architecte parisien, un aspect "pseudo-indonésien".
L'intérieur des temples protestants (et, dans une certaine
mesure, des églises catholiques) présente presque partout le même
aspect standard et, en fait, non-polynésien. La chaire, assez étroite,
en position centrale, domine l'estrade séparée du reste de l'église
par une balustrade. Une certaine hiérarchie préside à la répartition
des places : le pasteur et les diacres sont installés sur la plate-forme,
derrière ou à côté d'une longue table sur laquelle trône un lutrin.
Parfois le vieil emblème de la L.M.S. (trois colombes blanches
sur fond rouge sombre) figure en bonne place, montrant combien
la tradition missionnaire demeure profondément enracinée.
L'apparition des fonts baptismaux est récente ; on notait
cependant leur existence dans le plus ancien temple en pierre de
Polynésie, celui de Papetoai, à Moorea, avant sa restauration.
Parfois un vieux puits jouxtant l'église donnait une eau jaunâtre
souvent utilisée, dans le passé, pour les baptêmes. La plus vieille
église de Fidji, à Mbau, possède des fonts baptismaux : pierre
érigée présentant, dans sa partie haute, une cavité naturelle.
Dans les églises d'aujourd'hui la disposition des lieux au
niveau du chœur met en évidence une topographie définie par un
véritable "centre liturgique" marqué par la table de communion en
position surélevée par rapport à la'Partie réservée aux fidèles, des
fonts baptismaux fixes situés à droite de la table et une chaire
décalée sur la gauche.
Société des Études Océaniennes
1726
A Tonga les sièges réservés à la famille royale sont rehaussés,
situés
près de ceux attribués à la noblesse, faisant face aux sièges
destinés au clergé et aux visiteurs de marque. Cette disposition
serait conforme à une très ancienne tradition observée par Ellis, en
1819 à Huahine, et décrite par ses soins.
En
Polynésie française les bancs d'église furent en usage dès
premiers temps. Ailleurs (à Samoa, par exemple) les fidèles
s'installaient sur des nattes posées à même le sol, alors que les
missionnaires, leurs épouses et les pasteurs samoans participaient
les
service sur des chaises installées sur l'estrade, en avant de la
chaire. Cette manière de suivre le culte était typiquement poly¬
nésienne ; elle persiste de nos jours dans le "fare putuputura'a" et
au
de
nombreuses maisons des jeunes de l'Eglise Evangélique de
Polynésie française.
Fait capital : dans les temples protestants on observe une
sobriété des lieux donnant parfois une impression de pauvreté
culturelle. Il est possible de trouver une explication dans le rejet
strict, par les missionnaires, de toute forme de sculpture, un
sentiment d'extrême vénération et l'interprétation unilatérale de
décalogue.
L'Eglise catholique en Polynésie française ne paraît pas très en
progrès par rapport à ce que l'on observe en Polynésie occidentale,
quant au respect d'une adaptation à la tradition des éléments
culturels figurant dans la liturgie. Quelques essais sont à noter et
encourager : dans un maître-autel ("Fuite en Egypte" de Pierre
Heyman, à Paopao), dans un chemin de croix (Yves de Saint Front
dans la cathédrale de Papeete), ou décoration intérieure (Ch. Weiss
dans l'église de Koumac en Nouvelle-Calédonie). A Rapa-Nui, une
statue de la Vierge et l'Enfant dont le
style et les traits évoquent
nettement des origines autochtones (1 bis).
Si l'on examine
avec
attention certaines coutumes dont
l'origine se situe dans les temps anciens on note un certain impact
dans la vie paroissiale, dans les attitudes individuelles ainsi que
dans les modalités domestiques ou religieuses du culte. La manière
de prier, les modalités de sa pratique ; les coutumes de fêtes et les
vêtements du dimanche ; les rites funéraires et la curieuse
cérémonie de la coupe de cheveux à Niue.
Graig pense que la pratique, observée aux îles Cook, de prier
certaines activités courantes (séance de danses, partie de
pêche) ou à risques (expéditions en pirogues) procède d'une
coutume existant bien avant que le christianisme n'atteigne
cette
avant
( 1
bis) Un réveil de lu sculpture religieuse se produit dans l'Eglise catholique en Polynésie
Française.
Société des Études Océaniennes
1727
région. La prière se serait donc substituée à des invocations ou
incantations à caractère magique liées, à l'origine, à des situations
critiques ou à la phase préparatoire d'actions dangereuses.
L'attitude de celui qui prie ne semble pas conforme aux
normes occidentales.
Contrairement à ce que l'on s'attend à
observer : yeux clos, mains jointes, on constate que les fidèles
gardent les yeux ouverts, baissent la tête en adoptant une position
confortable. On est en droit de se demander si la posture du poly¬
nésien ne correspond pas, en fait, à une ancienne tradition pré¬
chrétienne.
Il semble aussi que le moment consacré au recueillement,à la
maison, ne soit plus respecté. Autrefois, le soir, au moment où la
journée s'achevait, un temps était consacré à la prière,
accompagnée de chants, de lecture de versets bibliques avec
explication de textes. Dans de nombreuses familles ce moment a
été réduit et remplacé par une courte prière du soir.
Le Tahitien se différencie de l'Européen par le fait que, seul ou
plutôt en famille, il considère sa Bible comme un ouvrage
historique ; il assimile cette lecture à celle des anciennes légendes et
aux généalogies des temps passés. La Bible est intéressante à lire
sa lecture n'entraîne pas une implication personnelle ; elle
n'est pas lue en vue d'acquérir un bénéfice personnel, un renforce¬
mais
ment de sa
Il
en
Foi. Dans le passé, la Bible était le seul livre de lecture.
était de même dans de nombreux foyers en Occident. Cette
coutume
s'est maintenue dans de nombreuses familles vivant dans
des îles isolées, à l'écart de Tahiti. Les questions soulevées par la
lecture de la Bible n'ont trait qu'à des détails, jamais au contexte
général, de thème central.
pré-chrétiens, les cérémonies religieuses ne
pouvaient se concevoir sans un "tama'ara'a" accompagné de
danses. Il en est de même aujourd'hui. La consécration d'une église
ou d'un temple est, dans tout le Pacifique Sud, l'occasion d'orga¬
niser des festivités. L'hospitalité des Polynésiens envers leurs
invités, souvent venus de fort loin, prend la forme d'un banquet et
aussi de divertissements (pour les hôtes et la communauté) avec
Dans les temps
chants, représentations et danses. Dans ces cas concrets, les
festivités de l'Eglise ont souvent un caractère œcuménique. Ces
faits s'observent aussi à Tonga. Pendant le service divin l'église est
encombrée de fidèles.
Peut-on, en observant la manière dont les fidèles sont vêtus,
détecter une quelconque influence de leur ancienne culture ? Cette
influence a-t-elle été entièrement éliminée par les missionnaires ?
Dès les premiers temps, les missionnaires rendirent obligatoire
le port d'une coiffure pour les femmes et jeunes filles ; elles devaient
Société des Études Océaniennes
1728
se
couvrir de chapeaux confectionnés avec du tapa (tissu d'écorce)
de feuilles de cocotier tressées. Ces coiffures devaient être
conservées pendant toute la durée du service religieux ; elles
ou
pouvaient être ornées d'une couronne de fleurs de tiare ou de
pitate, parfois quelques perles étaient autorisées dans la chevelure.
Frank Lenwood raconte avec humour qu'aux îles Cook les
femmes sont si fidèles à l'enseignement de Saint Paul qu'elles ne
portent de coiffure que le dimanche. A l'entrée de
installé
un
l'église est
grand panier rempli de chapeaux à la disposition des
fidèles, chacune des femmes en saisit un au hasard et le met sur sa
tête sans se soucier de sa taille ; dès la sortie du culte, on le restitue
au
panier.
Le vêtement lui aussi a évolué. S'il était de tapa à l'origine, il se
modifia par la suite en utilisant d'autres matériaux ; il était
impératif que le corps fut décemment couvert.
Pour les épouses des ministres du culte et des diacres, le
chapeau du dimanche devient un symbole de leur statut, parfois un
véritable attribut classificatoire. Le vêtement, pour sa part, joue un
rôle important, permettant de distinguer les catégories sociales
("marna ru'au"
vêtement de grand'mère, robe de couleur
les chevilles, longues manches serrées aux
poignets, col ajusté au niveau du cou). A Tonga le port du
"tupenu" -longue jupe recouverte d'une blouse de style européenou de "ta'ovala",
pièce de pandanus tressé enterrant le buste par¬
dessus la blouse, marque la notoriété par rapport aux autres classes
blanche
ou
recouvrant
sociales. On observe les mêmes caractéristiques vestimentaires aux
Samoa et à Fidji.
L'Eglise catholique faisait preuve d'un certain dirigisme en
attirant l'attention des fidèles sur ce qu'ils devaient ou ne pouvaient
porter afin d'être admis dans les lieux de culte.
Le pasteur protestant porte souvent un complet de type
européen avec chemise blanche et cravate noire (en Polynésie
française, aux Cook et à Niue). On y note une séquelle certaine de
l'influence missionnaire : la religion est une chose sérieuse et il
convient de s'en pénétrer.
Face à la
mort
le rituel
conserve
des réminiscences de
pré-chrétiennes. Les parents, relations, voisins et amis ne
se contentent pas
d'offrandes en argent, ils apportent aussi des
fleurs, nattes ou tapa, entourant le corps du défunt de ces offrandes
en nature. Ces dons
jouent un rôle propitiatoire dont le but est
d'apaiser l'âme du mort. Le chant des himene qui se prolonge
durant une ou plusieurs nuits peu être considéré comme un
substitut des chants funèbres composés par des bardes et récités en
coutumes
Société des Études Océaniennes
1729
vue
de réconforter la
parentèle ; ce sont aussi des sortes de chants
réservés aux femmes.
de lamentations, jadis
L'inhumation dans une terre appartenant au défunt, sépulture
proche de la maison, est aussi considérée comme une survivance de
l'ancienne coutume selon laquelle le corps était jadis placé dans le
marae familial, jouant le rôle de sanctuaire, situé dans un terrain
appartenant à la famille. La coutume qui veut que de nombreux
parents passent les sept ou dix premières nuits dans la maison du
défunt, comme on le constate à Niue ou à Rapa, suggère-t-elle que
les anciens rites de protection sont toujours en honneur? Le prêtre
ou le pasteur prend aujourd'hui la place du "tahua pure tiapa-pau"
("prêtre qui prie à côté du corps", selon Frazer ?)
Micronésie et
Polynésie se rencontrent
Bien que les habitants de Tuvalu soient des Polynésiens et
ceux de l'île plus septentrionnale de Kiribati classés parmi les
Micronésiens, ils présentent, les uns et les autres, par rapport au
de la Polynésie, de nombreuses similitudes quant à leur
position respective et leur développement.
La marque laissée par la L.M.S. apportant l'Evangile à partir
reste
des Samoa fut consolidée par une colonisation britannique; on la
retrouve très nette dans les éléments de la liturgie, les chants et
mélodies. On note, par endroit, une certaine "européanisation" du
culte.
ou
On observe pourtant une tendance générale à "libérer" l'église
la religion afin de se retrouver réellement "soi-même" (posséder
enfin
sa propre identité). Les individus tendent vers une nouvelle
spiritualité conforme à leur propre culture et à leur passé religieux.
En Mélanésie
Une tentative intéressante de maintenir l'usage de la langue
locale dans le service religieux a été amorcée en certains points de
la
région. De très importants problèmes surgissent du fait de la
multitude de dialectes et de leur complexité. C'est la raison pour
laquelle, dans quelques secteurs de la Papouasie NouvelleGuinée (2), on en est revenu -notamment pour les livres de chantsau Pidjin mélanésien. Les traductions permettent ainsi de
transmettre toute la richesse des chants locaux et de les rendre
accessibles à de nombreuses collectivités.
En ce qui concerne la liturgie établie il y a, dans l'Eglise
catholique, une crainte de voir apparaître une distorsion par
(2) Principalement Côte
Nord, Madang, Est et Ouest Sépik.
Société des Études Océaniennes
1730
rapport aux directives de Rome, voire même, au niveau du rite
romain. A la suite de l'introduction, en 1971, d'un rite "lotu"
libéral, créatif et souple, Rome s'est vue dans l'obligation de
"raccourcir les rênes". On en vient à une forme plus orthodoxe du
la contribution de la culture indigène est beaucoup plus
acceptée comme garniture attrayante que comme ingrédient
essentiel de la liturgie.
Des efforts sont faits pour obtenir une participation plus
active des fidèles ; le chant religieux constitue ainsi la pièce
culte ;
maîtresse
des
nombreuses activités de "United Church".
L'en¬
gouement pour le chant trouve son plein épanouissement dans "le
Festival choral" qui se tient annuellement près de Rabaul ; plus
d'une centaine de chorales, en costume traditionnel, entrent en
compétition.
Dans le domaine des hymnes une différence considérable
apparaît nettement entre la Mélanésie (singulièrement en P.N.G.)
et la Polynésie. Il ne faut pas perdre de vue le fait que de
nombreuses paroisses ont conservé une tradition orale : les
"Motuan's perovatas" ou "chants prophétiques" sont chantés sur
des airs importés des Cook par des missionnaires polynésiens ; la
grande majorité des chants familiers aux paroissiens de United
Church sont toujours des traductions de textes européens adaptées
à des mélodies occidentales. La situation de l'Eglise luthérienne
doit être considérée à part ; dans leur ancien "Kanam Buk" (depuis
1932 l'ouvrage est en "lingua franca", langue Bel de la région de
Madang) les trois-quarts des hymnes ont une origine locale, le reste
est nettement européen quoique la plupart des mélodies aient une
teinte locale. Ici aussi l'influence de la culture mélanésienne est, en
réalité, toujours considérable. Du fait des missionnaires de l'Eglise
luthérienne américaine, l'influence des prédicateurs et des
évangélistes samoans, qui travaillèrent ici de 1912 à 1935, ne peut
malheureusement plus être mise en évidence. Bel exemple de "deacculturation" missionnaire. Dans l'Eglise catholique on constate
aussi que 70 % de leurs chants, textes et mélodies, sont d'origine
jouxtant la Nouvelle-Guinée (NouvelleBretagne, Nouvelle-Irlande, Manus et Bougainville) l'ancien chant
polyphonique est toujours en honneur.
Certains instruments de musique traditionnelle -sonnettes,
tambours kundu, coquillages (tritons) et flûtes en bambous- sont
utilisés pour accompagner les chants. Récemment on a fait appel à
la guitare, ukulele, "caisse-à-thé" en cuivre, tambours de cuivre et
locale.
Dans les îles
même battements de mains dans les Hautes Terres du Sud. Dans
de nombreuses régions "United
aversion -guitare,
Church" a certains instruments en
tambours kundu- parce que considérés comme
Société des Études Océaniennes
1731
trop "séculiers" et "profanes".
Les catholiques sont beaucoup moins rigoristes dans ce
domaine ; ils admettent la danse et la consommation de porc aux
lors des festivités religieuses (consécration d'une église,
procession du dimanche des Rameaux, danseurs de la province de
Chimbu représentant la Passion). On note aussi un très net effort
d'intégration de la culture dans le culte. D'un côté les mission¬
naires, singulièrement ceux d'origine européenne, qui considèrent
qu'une intégration culturelle contrôlée par l'Eglise n'est pas sans
intérêt dans la mesure où elle serait susceptible de favoriser, pour
les fidèles, une meilleure compréhension du message de l'Eglise.
D'un autre côté, le rôle positif joué par des expatriés ou des
mélanésiens éduqués. Mais ces changements doivent se faire
progressivement, le peuple doit être préparé au changement. Les
modalités de la Sainte Cène évoluent lentement avec l'usage des
substituts du pain et du vin (banane, igname, noix de coco, eau de
coco, jus de pamplemousse, de limon, voire même du thé).
Exemple intéressant que celui d'une coutume traditionnelle
indigène se référant au baptême d'adulte dans la région de Goilala
(PNG) : pour chaque personne baptisée un porc est sacrifié. Cet
acte scelle le baptême, le rendant réel, valide dans l'opinion de la
repas
collectivité.
Il est surprenant de constater combien nombreux sont les
exemples d'intégration de la culture mélanésienne, et de ses
traditions, dans l'architecture des édifices religieux, souvent même
à l'initiative des missionnaires. Cette recherche d'intégration de la
culture primitive se retrouve en Nouvelle-Irlande, aux Salomon, au
Vanuatu. Les attitudes pré-chrétiennes inhérentes aux cultes
rendus aux divinités font partie d'une culture antérieure dont
certains éléments, ont survécu à la période missionnaire. C'est ainsi
que des coutumes magiques et religieuses, expression des modalités
du culte, sont toujours vivaces : huile de coco (connue de certaines
populations primitives pour ses propriétés analgésiques) mélangée
à de la craie pour servir à l'onction des fidèles.
La prédication peut prendre la forme d'un dialogue, d'une
discussion (ce qui est typique de la société mélanésienne en vue de
parvenir à une décision commune). Mais, in fine, le rôle de décision
appartient à l'Eglise ; c'est elle seule qui doit décider de ce qui peut
être adapté au culte chrétien et, par extension, ce qui est "bon" et ce
qui ne l'est pas.
qui sème le bon grain, c'est le fils de l'homme ; le
champ, c'est le monde ; le bon grain, ce sont les sujets du
Royaume : l'ivraie, ce sont les sujets du Malin ; l'ennemi qui l'a
semée, c'est le diable. (Mathieu : 13, 37-39)
"Celui
Société des Études Océaniennes
1732
Dans le cadre de notre propos, si Ton tente de comparer les
observations recueillies en Polynésie, Micronésie et Mélanésie une
première constation s'impose : évolution parallèle, dans ces trois
régions, des relations entre cultures autochtones et culte chrétien.
Cette constation doit cependant être nuancée en fonction des
comportements sociologiques. En Mélanésie, par exemple,
l'individu se sent plus proche des anciens cultes tribaux et des rites ;
la collectivité -ou la paroisse- est plus accessible, plus ouverte aux
éléments liturgiques. 11 est saisissant de constater que certaines
communautés ont des vues plus larges qui leur permettent
d'adapter des éléments divers en un "syncrétisme" constructif.
11 y a cependant, des églises et des paroisses plus
circonspectes
et conservatrices ; conservatrices
par le respect de la tradition
chrétienne héritée des missionnaires. En Polynésie, tout comme en
Micronésie et Mélanésie, églises et paroisses sont souvent
favorables à un développement progressif.
Les
paroisses, tant protestantes que catholiques, semblent
réagir de manière différente aux innovations et change¬
ments
suscités
çà et là lorsque l'autorité ecclésiastique
recommande, propose ou soumet expérimentalement à l'épreuve.
L'imagination culturelle est plus vivante en Mélanésie, aussi
bien dans le domaine des arts, de l'architecture des églises et de leur
décoration intérieure, que lorsqu'il s'agit des attributs du culte ; les
églises de Polynésie et Micronésie devraient s'en inspirer. En 1917,
Frank Lenwood était fortement impressionné par le sens
artistique
des Papous et se demandait, devant les manifestations de leur art
(bois sculptés, thèmes de décoration, couleurs, tatouages, etc.) si,
dans le cas du culte, "ce goût de la beauté ne pouvait
pas être
maintenu et utilisé pour le service de l'Eglise".
Près d'un demi-siècle plus tard, un Néo-Zélandais -Révérend
G.G. Carter- se fait l'écho de cette réflexion : "il n'y a pas de raison
pour que les autres arts et objets artisanaux ne soient pas utilisés
dans l'Eglise. L'Eglise devrait s'ériger en préservatrice de ces dons
souvent
de Dieu".
Combien
vaste est ce
duel
Eglise-Culture que l'on retrouve
partout dans le monde.
Conclusions
Pacifique-Sud, l'attitude de l'Eglise face
(qu'elles soient anciennes,
nouvelles ou étrangères) paraît déterminée, souvent à tort, par ce
qui est invariablement considéré comme antithétique : le "saint" et
le "non-saint", le sacré et le profane. Contraste qui se nourrit de la
célébration du "Tabou" de l'ancienne culture par rapport à la
Dans l'ensemble du
aux
influences culturelles diverses
Société des Études Océaniennes
1733
religion, en
Testament.
liaison avec des similitudes tirées de l'Ancien
Pratiquement, on constate que tout ce qui est inhérent aux
missionnaires en tant que messagers d'une nouvelle manière de
vivre et de connaissances est tenu pour sacré. Tout ce que les
missionnaires ont censuré, découragé, interdit, avec la menace non
voilée de mesures disciplinaires de retorsion, est tenu pour "non
sacré". La nouvelle règle missionnaire devient norme impérative
pour tout ce qui est permis, mais aussi pour tout ce qui est interdit.
Ceux qui désirent être associés à une nouvelle vie en Christ
doivent se tenir éloignés du "non sacré". L'ancien et le nouveau se
confondent
avec
profane et sacré. Le missionnaire
assure son
autorité, voire sa supériorité, en tant qu'unique interprète du livre
Saint des "hommes blancs", des chrétiens. 11 y a là une sorte de
"malhonnêteté morale" car le rôle joué par la magie du livre, la
Bible, dans une société de tradition orale ne doit pas être sousestimé.
Cette autorité se concrétisait dans toutes sortes de législations,
à travers des
positions de "dominance" que les missionnaires se
efforcés de mettre en place à partir de plusieurs règles. La
haute opinion que quelques missionnaires avaient acquise d'euxsont
mêmes, et de leurs collègues, les rendaient inattaquables pour les
couches les plus modestes de la population.
Mais le mariage ou la cohabitation avec une femme tahitienne
était suffisant pour leur enlever leur auréole (au moins aux yeux de
leurs collègues).
Le contraste entre "saint" et "non saint", entre ce
qui est autorisé et ce qui est interdit, entre sacré et profane, basé sur
l'acceptation de l'évangile et une "nouvelle vie" génère le refus de
l'ancien système politique et social.
Cet ancien système était assis sur le pouvoir et la tyrannie du
chef autant que sur celle du prêtre. C'est ce qui explique une
certaine ambiguité entre le temps de la damnation (avant les
missionnaires) et la période sainte et bénie qui commence pour les
Polynésiens avec l'arrivée des missionnaires (3).
Il convient de nuancer l'impact réel de la Mission, parce que
de nombreux Polynésiens n'eurent pas la notion de ce que les
missionnaires leur apportèrent, sans doute avec les meilleures
intentions, comme "libération". Cette arrivée fut aussi considérée
comme un nouveau joug, une nouvelle forme de tyrannie, une
manifestation ou un exercice de pouvoir. Pour certains mission¬
naires, même protestants, la "fin justifiait les moyens" : un exemple
(3) Dans "les Immémoriaux", Segalen
notait cette ambiguité. mais il en inversait les
données.
Société des Études Océaniennes
1734
en est donné avec la conduite particulièrement dure de
destruction culturelle menée dans l'archipel des Gambier par
P. Honoré Laval.
extrême
Les efforts
d'influencer et
déployés par de nombreuses églises en vue
changer totalement la manière de vivre en
Polynésie, Micronésie et Mélanésie, bien que basés sur une
antithétique de contraste, n'ont pas été couronnés de
succès. Les églises ont néanmoins été obligées d'accepter, de tolérer
même certains éléments du passé, de la culture pré-chrétienne.
Que l'on garde présentes à l'esprit certaines données :
approche locale du mariage, formation de la famille et le "concept
de famille" (M. Mead) ; la cérémonie du kava, la manière
polynésienne de célébration avec nourriture, danse et musique, la
vénération des ancêtres et la peur respectueuse des esprits des
morts ; en Mélanésie, le sacrifice des porcs et la fête (accompa¬
gnant aussi les prières pour les enfants) ainsi que d'autres
expressions culturelles.
Ces expressions des éléments de la culture sont si profon¬
dément enracinés, ancrés dans l'âme de l'homme du Pacifique
qu'ils ne peuvent être détruits, voire éradiqués.
Aujourd'hui, l'attaque frontale menée par les Eglises sur les
anciennes cultures et contre certaines valeurs du passé, y compris
des éléments religieux et moraux, ne semble pas suivie de succès ;
une "dichotomie" est apparue et demeure dans la vie de nombreux
autochtones de la région Pacifique-Sud.
Conjointement, à travers cette vaste zone, un processus de
nationalisme s'éveille, se cristallisant par endroits sur la proclama¬
tion, voire l'acquisition plus ou moins rapide d'une indépendance
(1962, Samoa occidentales - 1968, Nauru - 1970, Fidji - 1975,
Papua New Guinea - 1978, Iles Salomon, Kiribati et Tuvalu - 1982,
Vanuatu). Cet éveil conduit aussi à un nouvel attrait pour la
culture locale, à une réflexion plus profonde sur la valeur des
cultures indigènes dans leur ensemble. Les Eglises doivent suivre la
tendance de cette évolution ; de ce fait, elles sont davantage
structure
confrontées aux anciennes formes de culture, à leurs traditions, à
leurs valeurs morales et surtout à leur influence. Il ne leur est plus
permis de les ignorer tout en prétendant qu'elles n'ont que peu ou
pas d'importance. Car les églises, par contre-coup, peuvent
craindre de se voir isolées, dans un sens culturel ; de nouvelles
difficultés se rencontrent dans les domaines respectifs de la religion
et de la culture ; de nouvelles approches du culte voient le jour ; les
mouvements de jeunes prennent une importance accrue. Les
valeurs morales du passé sont prises en considération. Le dialogue
acquiert droit de cité, non seulement dans les milieux urbanisés,
Société des Études Océaniennes
1735
mais aussi dans
le
monde
rural.
Un
nouvel
axe
de recherche
apparaît : formation d'un lien entre la coutume indigène et
l'évangile, on ne cherche pas à changer l'Evangile du Christ, mais à
trouver d'autres moyens d'expression pour le rendre plus clair.
On
note
un
retour
vers
d'anciennes formes -cérémonie du
kava, danse, mime dans le style traditionnel, culte des ancêtres,
coutumes funéraires, rites d'initiation- pour mieux les appréhender
dans
l'espoir de les voir constituer un véhicule approprié à la
l'Evangile.
diffusion de
Autre thème de réflexion
:
rechercher dans ces coutumes et
traditions du passé les éléments qui peuvent être "baptisés" c'est-àdire transformés en éléments christianisés acceptables pour
l'Eglise, et sans danger ! Cette transformation implique une "dé¬
formation" qui peut en altérer non seulement la forme, mais le
fond. On assisterait alors à un déracinement, une sorte de
mutilation,
en
n'adoptant que ce qui est conforme, ou devenu
conforme à la Foi.
Le message biblique peut être traduit dans un contexte
"Pacifique", exprimé en termes typiquement "Pacifique", en
images, en mots destinés à le rendre plus proche des peuples de
cette partie du monde. L'Eglise -en tant qu'interprète de la religiondoit inévitablement avoir "la ré-interprétation" dans le sang.
Pourtant l'Eglise ne semble pas préparée à ce rôle de "christianisation" des éléments culturels (cérémonies, rites, etc...) ; elle se
penser que ce qui est conforme à ses vues
dans la culture traditionnelle doit être adapté et assimilé, le reste,
contente trop souvent de
après triage, devant être impitoyablement éliminé. Ce tri, ce
tamisage, incombe à ceux qui ont la charge des Eglises, en
conséquence, une certaine "colonisation" religieuse se perpétue,
colonisation chrétienne basée sur un sentiment de supériorité dans
le cadre d'un véritable
paternalisme pastoral. Il n'y a rien de
pour ceux qui connaissent
sation dans le Pacifique.
nouveau
une
bien l'histoire de l'évangéli-
Pour le Révérend W.A. Poort, les églises ne seraient pas sur
bonne voie quant au "culte selon la manière du Pacifique". Il
vaudrait mieux laisser les cultures autochtones suivre leurs propres
cheminements, les laisser vivre comme elles l'entendent, selon les
modalités de la vie quotidienne, même "sur le seuil ou à l'extérieur
de l'Eglise". Appartient-il à l'Eglise de posséder une sorte de
monopole, celui de "sauver" la culture d'antan ? S'il en était ainsi
les perspectives d'avenir de cette culture ne seraient guère
attrayantes. Il n'appartient pas à l'Eglise ou à la religion de
contrôler la culture
comme un
tout.
Société des Études Océaniennes
1736
réalité, pour les peuples du
Pacifique, le fait de pouvoir vivre dans deux cercles culturels par¬
Il faut considérer
comme
une
tiellement intégrés : l'ancienne culture indigène telle qu'elle survit,
parfois revit, stimulée par le réveil d'une conscience nationale ; et
églises. Le monothéisme chrétien se surimpose aux
croyances païennes, sans les détruire radicalement ; les deux ordres
religieux seraient complémentaires mais jamais syncrétiques.
et
la culture des
Louise Groznykh, native de Huahine, observant la culture
polynésienne note que malgré l'implantation du christianisme le
remplacement des anciennes croyances par des institutions
occidentales et de nouvelles valeurs spirituelles, ne fut que partiel.
Les valeurs culturelles anciennes, enracinées dans la mémoire
collective, sont, en vérité, irremplaçables.
Les
conséquences possibles des phénomènes d'acculturation
malaisées à cerner. C'est ainsi que virent le jour un culte
Modekne à Palau, un mouvement socio-religieux Moro -
sont
"Marching
mouvement
Rule"- à Malaita (Iles Salomon), ainsi qu'un
religieux en Nouvelle Géorgie, connu .sous le nom
d'Etoism.
On se trouvait en présence d'un culte nativiste, avec un
prophète-sauveur et un message de révélation amalgamant des
éléments bibliques à de vieux concepts traditionnels. C'est ainsi
que les Mélanésiens expriment, à leur manière, comment ils
considèrent la rencontre entre deux cultures et en traitent les divers
aspects religieux ou facettes. En Polynésie, l'Eglise Ringatu et le
mouvement Maori Te-Whiti en sont aussi des exemples.
grand nombre de paroisses trop profondément
engluées dans la tradition missionnaire avec son opposition entre
"sacré" et "profane", seule une bonne dose de persuasion
accompagnant de solides arguments seraient capables de faire une
brèche à travers la barrière que constitue la tradition culturelle.
Dans
un
On peut aussi penser que de nombreux ecclésiastiques, prêtres
pasteurs, se sont enthousiasmés au cours de leurs études, pour
des expériences ayant trait à la Religion et à la Culture en vue de
déterminer une nouvelle "voie Pacifique" ; Etudes terminées,
ou
lorsqu'ils rejoignent leur premier poste, ils oublient rapidement ces
idées nouvelles. Ce comportement parait lié au pouvoir de décision
des dirigeants de
l'Eglise. Il faut savoir que les membres influents
dans l'Eglise, ceux qui ont des responsabilités, doivent être mariés ;
ils ont entre 30 et 35 ans, ayant atteint l'âge de la modération au
moment où les décisions importantes doivent être prises. C'est ainsi
Société des Études Océaniennes
1737
que l'influence de la génération la plus âgée est prépondérante dans
l'Eglise (4).
Le processus d'assimilation de certains éléments traditionnels
d'antan doit être conduit par "l'homme du Pacifique", seul habilité
à édifier une synthèse constructive entre passé et présent, non
seulement dans le domaine de la religion mais aussi en matière de
théologie et de culte. 11 ne doit pas accepter du "pré-cuit" ou du
"pré-digéré" par les soins des autres. Il lui faut savoir être patient,
la lenteur étant inhérente à la nature même des peuples concernés.
C'est le droit le plus strict de tout un chacun que de pouvoir
sa propre évolution culturelle, même si cette évolution
le secteur culturel connu sous le nom "Eglise".
contrôler
concerne
Autre point important, celui du sentiment de la faute, du
péché. Pour M. Mead ce sentiment est inconnu de certaines régions
d'Océanie
:
"... confession of sin was a rare phenomenon in Samoa".
La conception
de la faute n'est pas perçue dans le Pacifique
selon les normes qui ont cours en Occident,
singulièrement chez les
protestants qui, trop souvent, mettent l'accent sur la transgression
sexuelle. Si donc, la notion de péché n'existe pas (du moins comme
l'entendons, nous occidentaux) la confession de la faute n'a
plus sa raison d'être dans la liturgie, à moins qu'elle ne soit
acceptée pour ce qu'elle est... ou n'est pas.
nous
Il appartient aux peuples (Samoa-Polynésie
française - Cook-
Tonga) -et c'est leur devoir- solidement enracinés dans le
Pacifique-Sud, à la fois par leur mentalité et leur culture, de se
concentrer sur leurs convictions et de réfléchir à ce qu'ils
considèrent comme réellement important dans leur vie religieuse de
chaque jour. Il ne faut surtout pas que l'on en revienne à un
paternalisme liturgique de conception étrangère et qu'on laisse les
nostalgiques, de la "mission du XVIIIè siècle" orienter les Eglises
du Pacifique vers une sorte de "culture de musée".
A la base de l'Eglise, la population autochtone elle-même,
forme le noyau et la masse des paroisses locales ; il lui appartient de
décider, seule, de ce qui, dans l'ensemble des anciennes et nouvelles
influences culturelles, doit être accepté ou rejeté pour la conduite
du culte et le choix d'un modèle de paroisse.
Laissons-leur le soin de décider ce qui est conforme à leurs
propres intérêts (spirituels, évangéliques ou moraux). Une certaine
attitude de "laissez-faire" que l'on considère parfois comme carac¬
téristique de la mentalité insulaire peut fort bien se révéler être un
(4) Ce phénomène de "gérontocratie" est
fréquent dans de nombreuses églises.
Société des Études Océaniennes
1738
bénédiction pour l'homme du
Pacifique dans cette rencontre entre Eglise et Culture.
Il ne faut jamais oublier qu'un culte étranger, ou un culte
portant une empreinte étrangère, et une religion importée ne
constituent qu'une petite fraction d'une plus large gamme
d'influences culturelles étrangères. Tous ces éléments ne peuvent et
ne doivent être détachés, isolés de leur contexte.
Il est naturel¬
lement impossible d'accéder à la libération totale, ou même de
venir entièrement à bout de toutes les influences culturelles qui,
impétueusement ou graduellement, pénétrèrent dans le Pacifique-
véritable bienfait, une réelle
Sud.
qui s'impose aux populations co-existantes dans ce
océan doit leur permettre de discerner ce qui, dans des
habitudes héritées de la Mission, doit être conservé, transformé,
Le choix
vaste
parfois "créolisé".
Dans ce Pacifique-Sud, où les cultures se recouvrent partiel¬
lement, interviennent des éléments dont la mise en jeu paraît
beaucoup plus importante que les facettes culturelles définissant le
culte chrétien, les moyens collectifs permettant à une communauté
religieuse d'exprimer sa croyance.
Dr L. Cari.OZ
Société des Études Océaniennes
1739
DÉTERMINATION BOTANIQUE
DE
QUATRE 777
(Collections ethnographiques
Iles)
du Musée de Tahiti et des
Dans le cadre d'une recherche sur l'emploi des ligneux par les
Polynésiens comme combustible, bois de construction et
bois sculpté, nous avons choisi d'étudier en priorité quatre ti'i
découverts dans un contexte archéologique précis.
anciens
Circonstances de la découverte des statuettes
Les quatre statuettes anthropomorphes, ou ti'i, sur lesquelles
prélèvements en vue d'en faire l'étude
xylologique, sont répertoriées sous les numéros 5692-5693-5694 A
et 5694 B dans les collections ethnographiques du Musée de Tahiti
et des lies. Ces objets ont été découverts fortuitement lors de
recherches ornithologiques par J.C. Thibault du Museum National
d'Histoire Naturelle. C'est en prospectant les falaises de la baie
d'Opunohu à Moorea que furent découvertes, à environ 150 mètres
d'altitude, au pied du mont Rotui sur le domaine territorial, deux
petites cavités superposées dont l'une contenait les quatre ti'i ainsi
que plusieurs crânes et du matériel archéologique. Le relevé de
cette grotte funéraire a été effectué en 1973 par Mrs Ch. Duverger
et M. Charleux sous la direction de J. Garanger.
ont
été effectués les
Présentation des
objets
s'agit de trois ti'i simples (5692-5693-5694 A) ejt d'un ti'i
(5694 B).
Les statuettes 5692-5693 sont des ti'i masculins de petite taille ;
ils mesurent respectivement 257 mm et 217 mm de hauteur. Ils ont
Il
double
Société des Études Océaniennes
1740
Société des Études Océaniennes
1741
la forme typique des //"/' en bois des Iles de la Société ; le visage est
sculpté en creux ou en ronde bosse, les avant-bras et les mains
placés sur le ventre. Le troisième ti'i simple (5694 A) est un peu plus
grand que les deux précédents ; il mesure 336 mm de haut. Sa
forme est sensiblement différente des deux autres et les bras sont
détachés du corps.
La statuette 5694 B est
un
ti'i double présentant deux
personnages dos à dos reliés au niveau des fessiers par un socle ; sa
hauteur totale est de 171 mm.
Le bois de ces statuettes est de couleur brun-clair, tacheté de
brun foncé (5692) et de noir sur la face dorsale (5693-5694 A). "La
surface brun-jaune clair (du ti'i 5694 B) présente des stries fines et
des traces d'abrasion" (1). Le bois de ces quatre statuettes est en
assez bon état de conservation.
Identification
botanique des quatre ti'i
prélèvements de moins d'1 mm d'épaisseur ont été
pratiqués au Musée de Tahiti et des Iles en Août 1984 par Mr. Hiro
Ouwen. Ces échantillons ont été observés à la loupe binoculaire à
des grossissements allant de 10 x à 50 x, et au microscope électro¬
nique à balayage (2) à des grossissements de 60 x à 200 x. La
petitesse des échantillons n'a pas toujours permis d'obtenir des
coupes en section longitudinale radiale, (parallèle aux rayons du
bois) ; cependant l'observation des sections transversales (perpen¬
diculaire à l'axe de l'arbre) et tangentielles (perpendiculaire aux
rayons) présentent les caractères anatomiques suivants :
•
Les pores sont en général légèrement ovales ; ils sont uni¬
formément répartis, souvent isolés (5693-5694 A) parfois
accolés radialement par deux ou trois (5693-5694 B). De taille
moyenne, légèrement plus petits en 5694 A, ils sont plutôt
rares (environ 8 par mm2). On remarque la présence de thylles
en particulier dans les sections transversales et tangentielles de
Douze
5694 B et 5692.
relativement abondant, en bandes
régulièrement espacées de 3 à 4 cellules
d'épaisseur. Bien visible en 5694 A et 5693, il est un peu plus
difficilement discernable en 5692 et 5694 B.
•
Le parenchyme est
onduleuses
•
assez
Les rayons sont
moyennement nombreux (environ 12 par
mm2) unisériés, plutôt étroits et de structure hétérogène. Les
sections
longitudinales radiales de 5692 et 5694 A montrent
(1) Voir fiches descriptives élaborées par le
Musée de Tahiti et des Iles.
(2) L'observation au microscope électronique à balayage a été faite au Centre Technique et
Forestier Tropical avec
l'aimable autorisation de M. Destienne et la collaboration de
Mme Vitalis-Brun.
Société des Études Océaniennes
1742
l'absence de cellules couchées ; le
petit échantillon 5693
présente quatre rangées de cellules dressées.
Ces caractères anatomiques, en particulier la présence dans
tous les prélèvements des bandes de parenchyme, des rayons
unisériés ainsi que l'absence de cellules couchées, apparente ce bois
au
Fagraea berteriana A. Gray ex Bent ham de la famille des
Potaliacées
connu
à Tahiti
sous
le
nom
de pua.
Conclusion
La littérature
ethnohistorique et les traditions orales livrent
d'informations sur le bois que choisissaient les tahitiens
pour sculpter leurs ti'i. Quelques indications nous sont fournies
dans l'ouvrage de T. Henry ; nous y apprenons que les arbres
poussant sur les marae étaient considérés comme "l'émanation des
Dieux et des innombrables esprits et de leurs branches on faisait
des idoles, craintes des populations" (1). Parmi ces idoles, les ti'i
"étaient tantôt finement, tantôt grossièrement sculptés dans du
bois sacré provenant des marae, particulièrement le pua" (2). Mais
le Fagraea n'est pas le seul à pousser sur les marae, d'autres arbres
sont également cités tels le miro (Thespesia populnea (L) Sol ex
Correa) émanation de Roro'o qui inspirait les prêtres (3), le
tamanu (Ca/ophyllum inophyllum (L)), Yaito (Casuarina equisetifolia (L)). Nous savons peu de chose sur le pua si ce n'est qu'il était
consacré au dieu Tane et que "ses images étaient toujours taillées
dans ce bois" (4).
Le fait que les quatre ti'i de Moorea soient en Fagraea peut
signifier que le choix du matériau repose, comme l'indiquaient les
traditions orales, sur des critères culturels. Ces critères restent
cependant difficiles à déterminer et il n'est guère possible de dire si
l'on a choisi le pua parce que ces statuettes ont un lien avec le dieu
Tane ou parce que tous les ti'i sont habituellement taillés dans cet
arbre. En fait c'est en multipliant les études xylologiques sur les
statuettes anthropomorphes des Iles de la Spciété que l'on pourra
mieux comprendre les critères de choix du matériau employé pour
bien peu
la statuaire
en
bois.
C. Orliac
c.n.r.s. la. 275
BIBLIOGRAPHIE
CHARLEUX M.
XXXVI
-
-
Mars
1980. Journal de la Société des Océanistes - Tome
-
Juin 1980.
HENRY T. - 1968. Tahiti aux temps anciens.
des Océanistes n°
Publication de la Société
1, Musée de l'homme, Paris.
(1) T. Henry p. 394 - (2) T. Henry p. 211 - (3) T. Henry p. 394 - (4) T. Henry p. 67
Société des Études Océaniennes
5ème
SUR LES
CONGRÈS INTERNATIONAL
RÉCIFS CORALLIENS A TAHITI
EN MAI-JUIN
1985
Après l'Inde, l'Australie, les Etats-Unis et les Philippines (Manille
1981), Tahiti accueillera en 1985 le 5ème Congrès International sur les
Récifs Coralliens, manifestation internationale qui tient ses assises tous
les quatre ans.
Les recherches sur les récifs coralliens se sont surtout développées
après la seconde guerre mondiale et tout particulièrement dans l'IndoPacifique, puis dans les Caraïbes, ces deux ensembles rassemblant les
quelques dix millions de km2 estimés, de récifs coralliens à la surface de la
planète. Cet écosystème côtier est, avec les forêts à palétuviers (les
mangroves, absentes en P. F.) l'un des milieux les plus caractéristiques du
littoral intertropical. L'intérêt scientifique des récifs coralliens tient à leur
extraordinaire diversité en espèces de tous les groupes systématiques
végétaux et animaux, diversité spécifique qui n'a d'égale que celle des
forêts tropicales humides. Cet intérêt tient aussi à leur productivité
biologique et à leur autotrophe relative ; ils arrivent à se suffire à euxmêmes, c'est-à-dire avec peu de sels nutritifs et de la lumière, sans
enrichissement d'eaux continentales, du moins est-ce le cas dans le
Pacifique central. Cela tient également à leur complexité de fonctionne¬
ment dans un système où les relations inter-spécifiques sont extraordinairement variées et souvent très étroites (relation proie-prédateur,
commensalisme, symbiose, parasitisme). Mais ces caractéristiques ne
vont pas sans une certaine fragilité de l'écosystème, face à des
modifications naturelles
C'est
l'Antenne du
ou
provoquées par l'homme.
Museum National
l'Ecole Pratique des Hautes Etudes qui a la
sation de ce congrès, son directeur assurant
d'Histoire Naturelle
et
de
responsabilité de l'organi¬
la présidence d'un comité
international de recherches sur les récifs coralliens sous l'égide de
l'Association Internationale d'Océanographie Biologique.
Société des Études Océaniennes
1744
Le Congrès est patronné par la Polynésie Française, par plusieurs
ministères métropolitains (Education Nationale, DOM-TOM, Recherche
Industrie, Environnement, Mer, Relations extérieures) et par des
organismes et institutions nationales et internationales (CNEXO,
ASTEO, 1NQUA, IGGP, AGID, UNEP) et aussi l'UNESCO.
et
Plus de 500 inscriptions définitives ont été à présent reçues. On peut
participation, qui tient en fait à une importante
scientifique internationale travaillant sur ce sujet, et à
l'attrait de la Polynésie. Plus de 100 pays intertropicaux possédant des
récifs coralliens sur leur littoral ont à faire face à des problèmes de
gestion, d'aménagement et de pollution relatifs à ce milieu. Outre leur
intérêt scientifique, esthétique, culturel et économique, ces récifs
coralliens tiennent une place importante dans l'économie de subsistance
pour des centaines de milliers de personnes.
Le Congrès traitera de tous les domaines de recherches et de techno¬
logie relatifs aux récifs coralliens : sciences de la terre (géologie, origine
des îles, ressources minérales), sciences de la vie (biologie, écologie,
pollution, flore et faune, physiologie...), sciences de l'homme du point de
vue médical mais aussi socio-culturel et économique.
Outre 10 symposiums co-présidés par des chercheurs ayant travaillé
en Polynésie Française, 4 séminaires figurent au programme :
être étonné d'une telle
communauté
—
mer, Présidents :
Davies, Australie et L. Montaggioni, France, Museum.
Métabolisme, calcification et production carbonée, Présidents : E.M.
Gladfelter, USA et D.W. Kinsey, Australie.
Gestion des bactéries en milieu corallien, Président : J.L. Munro,
Angleterre et Australie.
Pollution, dégradation et aménagement en milieu corallien, Prési¬
dents : B. Salvat, France-Museum et Kenchington, Australie.
croissance des récifs et variation du niveau de la
P.J.
—
—
—
Les actes du Congrès comprendront 7 volumes de 500 pages environ
qui seront édités dans les mois qui suivront la manifestation et rendront
compte de tous les travaux des chercheurs participants, et des Comités.
Société des Études Océaniennes
1745
UNE NOUVELLE
ÉCRITURE OCÉANIENNE <■>
Nombreuses sont les évidences qui se prennent pour des vérités et
s'expriment telles quelles. En voici un exemple : si la plus grande partie
des écrits océaniens a été réalisée par des non-Océaniens, c'est parce que le
passage de la tradition orale à l'écriture serait trop difficile ou parce qu'il
serait impossible de traduire sa pensée propre dans une autre langue ou
dans des catégories étrangères...
Ces banales généralités sont moins intéressantes parce qu'elles disent
que parce qu'elles taisent, et en l'occurence l'existence d'un véritable
corpus de textes, d'études et de réflexions écrites en anglais par des taata
tahiti et liés à l'obtention du titre de "bachelor of divinity" au Pacific
Theological College de Suva.
En effet, depuis une dizaine d'années, l'Eglise Evangélique de
Polynésie Française choisit parmi les élèves-pasteurs de son Ecole
d'Hermon ceux qui pourraient poursuivre leur formation à Fiji :
sélectionnés au terme d'études pastorales ayant duré en moyenne trois ans
à Papeete, les candidats partent avec leur famille au P.T.C. pour un
nouveau cycle de trois années sanctionné par la présentation d'un
mémoire
ou
d'une thèse.
L'éloignement de Tahiti et de ses îles, la rencontre approfondie à Fiji
avec la culture mélanésienne, indienne et micronésienne et bien sûr avec
les autres cultures insulaires du triangle polynésien, la nécessité de suivre
en anglais des cours de haut niveau et l'obligation de s'exprimer dans un
cadre académique, tout cela donne aux travaux de ces étudiants une
liberté de ton qu'il est bon peut-être aujourd'hui de connaître et
d'apprécier.
Plutôt que de résumer leurs propos ou de se livrer à une critique de
leur contenu, nous avons estimé qu'il serait plus juste de proposer au
lecteur de feuilleter avec nous le sommaire de ces thèses (2).
(1) à suivre.
(2) Le sommaire a été librement traduit. Les thèses se trouvent à Paofai, au Centre de
documentation de l'Eglise Evangélique et elles attendent le lecteur tous les jours
ouvrables de 8 à 11 h et de 14 à 17 h.
Société des Études Océaniennes
1746
A) TE VA ARAL) H ARA Michel, Mare.
Parish Minister Managment with special references to the
Evangelical Church in French Polynesia.
Nov.
—
—
—
1979, 21
x
29 cm, 77 p.
Recrutement du corps pastoral, sa formation, sa gestion
Problèmes de recrutement, de formation et de gestion
Nouvelle alternative dans le recrutement, la formation et la
gestion.
B) TE1NAORE Ralph (3)
The Tahitian
migrants in New Caledonia.
Sept. 1980. 21
x
29 cm, 205
p.,
1 carte, 9 tableaux, glossaire et
bibliographie.
—
—
Aspects historiques, composition ethnique, répartition géographique
Vie professionnelle des Tahitiens (emplois, relations avec les employeurs, les
autres ethnies dans le domaine professionnel et la vie sociale ; la famille ; la vie
communautaire
—
—
; relations avec les autres ethnies).
religieuse (vie religieuse des Tahitiens ; relations avec les autres commu¬
nautés) ; vie politique (impact et réaction) ; vie économique (situation en
Calédonie, impact à Tahiti).
Relations avec le fenua (relations personnelles, générales) ; l'avenir de la
communauté ; la crise économique ; ceux qui reviennent à Tahiti, ceux qui ont
Vie
choisi de
rester en
Calédonie.
C) HOIORE Joël
Prophetism in Tahiti.
Sept. 1980, 21
—
—
—
x
29 cm, 147 p., bibl.
Approche personnelle du prophétisme biblique (Ancient et Nouveau Testa¬
ment ; dimension biblique de la continuité du vrai prophétisme).
Approche personnelle du prophétisme dans le Tahiti des temps anciens (intro¬
duction au Tahiti des temps anciens ; prophétisme dans l'ancienne société ;
prélude au christianisme ; prophétisme du Tahiti des temps anciens ; anti¬
christianisme).
Approche personnelle du prophétisme contemporain à Tahiti (prophétisme
chrétien à l'intérieur de l'Eglise Evangélique ; prophétisme chrétien et natio¬
naliste ; pour une Eglise Evangélique prophétique).
D) TCHONG TAI Ezekiela Kiti
Alcoolism and the
Sept. 1980, 21
—
x
people of French Polynesia.
29 cm, 294 p., 12 tableaux, glossaire et bibl.
La boisson
•
traditionnelle, un problème polynésien ?
(définition ; cérémonie, effets ; attitudes ; un problème dans
l'ancienne société tahitienne ?)
le Kava
(3) Ralph TE1NAORE a aussi présenté en décembre 1983, un mémoire intitulé "Essai sur la
communication radio-télévisée de l'Evangile en Polynésie" dans le cadre de la Faculté de
Théologie de l'Université de Genève.
Société des Études Océaniennes
1747
l'arrivée des Européens et l'alcool comme Pape Auahi (époque des
navigateurs, des premiers missionnaires)
le Pia Hamani (définition ; effets, formes du boire ; un problème dans la
société tahitienne ?)
Kava et Pia Hamani, une controverse ? (Conseil colonial de 1883 ; analyse
éthique des débats et des décisions ; position de Charles Viénot)
•
•
•
un problème en Polynésie française ?
l'alcoolisme et ses effets immédiats (absorption ; métabolisme ; effets)
l'alcoolisme en Polynésie française aujourd'hui (définition de l'alcoolisme ;
L'alcoolisme,
—■
•
•
structures
de comportement ; autres
formes du boire ; législation
contemporaine)
•
(données statistiques ; la famille ; accidents de la
l'alcoolisme comme maladie sociale ; alcoolisme et Etat ;
alcoolisme et Eglise)
origines de l'alcoolisme (éducation ; argent ; urbanisation ; attitudes de
l'Etat et du Territoire ; religion ; les traditions culturelles en changement ;
AMU1MU1 -pas d'activité, pas de travail- ; facteurs individuels)
aspects éthiques (l'alcoolisme et la Bible ; le péché ; la maladie ; le problème
effets de l'alcoolisme
circulation
•
•
;
responsabilité)
prévention et traitement (Ligue anti-alcoolique).
de la
E) TAUIRA Marama, Gaston
Tourism in French
Polynesia.
Sept. 1982, 21 x 29 cm, 133 p., 1 tableau.
—
—
—
—
—
—
—
Quelques idées sur le tourisme ; qu'est-ce qu'un touriste ?
Les variétés de tourisme (masse touristique organisée ; touriste individuel ;
l'explorateur ; l'errant ; pourquoi un touriste vient-il à Tahiti ?)
Tahiti change (retombées sur la vie tahitienne ; "journée à la tahitienne" ;
Gauguin ; ressources principales avant l'industrie touristique ; première et
seconde guerre mondiale ; le nouvel aéroport ; le film de la mutinerie sur le
Bounty ; le programme des expériences nucléaires ; Tahiti aujourd'hui).
Généralités sur le tourisme à Tahiti (services internationaux, formalités
d'entrée ; agences de voyage ; situation hôtelière ; Office du tourisme ; statis¬
tiques ; pas de consulat à Tahiti ; "English speaking" ; Ecole hôtelière).
Activités hôtelières (transports et tours ; musées ; Marae ; shopping ;
Tahiti h y night).
Effets du tourisme (économie touristique ; tourisme et développement rural,
urbain ; "avantages" du tourisme ; son coût social).
Eglise et tourisme (rôle de l'Eglise ; exemple de Bora Bora ; réflexion
théologique sur le tourisme).
F) MAHA'A Julien
Christian leadership in French Polynesia.
Oct. 1983. 21 x 29 cm, 106 p., bibl.
—
—
L'autorité dans l'ancienne société maohi (bases structurelles de
traditionnelle ; la porte du passé ; Français contre Arii ; les Arii et
l'autorité
les enfants
des colons).
La forme du ministère et l'autorité dans l'Eglise (Eglise primitive ; Eglise pro¬
testante et
catholique ; le ministère dans l'Eglise ; structure et constitution de
Société des Études Océaniennes
1748
1977 ; variantes et constantes de l'autorité ecclésiale ; charisme et institution ;
ordination ; structures d'autorité ; pourquoi un chef. Quelle fonction exerce-til dans
—
communauté ?
l'image du chef dans l'Eglise d'aujourd'hui).
bibliques de l'autorité (Ancien et Nouveau Testament).
Autorité et pouvoir, interpellation de l'Eglise et de l'Etat (autorité et pouvoir ;
dans la société ; autorité et autoritarisme ; autorité et loi ; les deux visages de
l'homme ; autorité dans le monde ; dans le monde chrétien).
une
Bases théologiques et
G) René A. TEHARURU
Theology of the sacraments in terms of liberation. A Tahitian
perspective.
Oct. 1984, 21
—
x
29 cm, 92 p., glossaire et bibl.
Théologie de la libération (problème théologique
;
réflexion critique sur
l'histoire de Tahiti ; libération ou colonisation ; la France s'empare de Tahiti ;
l'Eglise aujourd'hui ; la politique dans la Polynésie A/oo/u-Libération ou
paroles profanes, paroles bibliques ; Tia'ma et Ora ; une théologie
biblique de la libération : Dieu libérateur ; Jésus libérateur).
Les Sacrements, Sacrements ou mystère (le baptême ; racines du baptême ; le
message de Jean ; Tatarahapa ; le processus du baptême ; Jésus et JeanBaptiste ; le baptême de Jésus ; le baptême chrétien ; le baptême et la foi ; la
confirmation ; le baptême cjes enfants ; l'imposition des mains ; le problème de
la Cène ; le repas du Christ ; "Faites-le en souvenir").
salut ;
—
H) TEHARURU BROWN Tarai'a
Christianity in Mangaia. The first sixty years, a historical study of
Christianity in Mangaia.
Oct.
—
—
—
1984, 21 x 29 cm, 6 illustrations, 2 cartes, 100 p., glossaire et bibl.
Comment le christianisme fut introduit à
Les troubles
au
Mangaia.
temps des évangélistes tahitiens.
William Gill, le premier missionnaire de la
L.M.S. à Mangaia et Maretu son
Rarotonga (1841-1845).
George Gill, le premier missionnaire de la L.M.S. à résidera Mangaia (18451857).
William Wyatt Gill, le troisième missionnaire de la L.M.S. à Mangaia (18521883).
Les progrès de Mangaia grâce au christianisme.
assistant de
—
—
—
1) Remuna a TUFARIUA
Unemployment as a rejection of a new civilization in Tahiti.
Nov.
1984,21 x 29 cm, 10 tableaux, 2 schémas, 5 photos, 2 cartes, 130 p.,
bibl.
—
Situation actuelle de la
•
•
Polynésie française :
population (groupes ethniques, sexes et âges, niveaux d'éducation)
facteurs d'emploi ou de non-emploi (population active, taux d'activité selon
les groupes ethniques dans les secteurs primaire, secondaire et tertiaire, les
types d'emploi)
sa
Société des Études Océaniennes
1749
•
les sans-travail (économie traditionnelle, les changements
mouvements
—
de 1962 à 1967, les
migratoires)
La société traditionnelle (introduction, organisation politique,
sociale, écono¬
mique, la fami'le, le rôle du Tahu'a, conception maohi du travail, de la pêche
de la culture).
et
—
période des missionnaires et des Français :
La
•
installation des missionnaires à Tahiti
1797-1819 (les premiers explorateurs
changements, les influences des missionnaires et les tentatives de
conversion des Maohi, l'établissement des lois écrites, réactions et rejets des
Tutae Auri).
et
—
La
les
période française (quelques effets de la colonisation sur la population
maohi, le langage et l'éducation, la vie familiale et sociale au
jour le jour).
économiques
•
structures
•
la jeunesse
maohi : attitude du "Hambo" dans la société moderne
•
le rôle de
l'Eglise.
Robert Koenig
Société des Études Océaniennes
1750
COMPTE-RENDU
A Tahitian and
English Dictionary, TAHITI,
Printed at the London Missionary Society's
NO
Press, 1851, 384 p., HAERE PO
TAHITI, 1984.
L'éditeur HAERE PO NO TAHITI vient de réaliser un réédition fac¬
simile du dictionnaire tahitien-anglais du Rev. John
Davies, paru
quelque
plus tôt à Tahiti. Le public tahitien ne restera pas insensible à
cette heureuse initiative. Elle rend
plus accessible un ouvrage qui n'était
plus disponible qu'aux Etats-Unis (réédition A.M.S. PRESS). La
présente réédition est un fac-similé d'un exemplaire de l'édition originale
qui est resté entre les mains des pasteurs Vernier, pendant trois
générations, et comporte un certain nombre d'annotations. La couver¬
ture, généralement manquante dans les exemplaires connus, est
reproduite grâce à un document de M.T. et B. Danielsson. L'aspect
ancien du livre est accentué par une
impression, de l'ensemble du texte,
sur
papier jaune.
133
ans
On trouve, bien entendu, les différentes
parties de l'édition originale :
introduction p. i-vi, une brève grammaire p.
I-40, un dictionnaire
tahitien-anglais p. I-134, et un appendice des mots d'origine étrangère p.
I-15. Mais quelques annexes supplémentaires ont été
une
ajoutées : une notice
biographique et bibliographique de John Davies, des illustrations
d'époque, et M. Tevane, T. Raapoto, V. Bodin et H. Vernier saluent,
chacun à sa manière, l'événement
linguistique que constitue cette
réédition.
sont
L'introduction situe le tahitien parmi les langues polynésiennes,
qui
considérées comme les dialectes d'une même
l'affinité entre les langues polynésiennes et le
la
langue, par contre,
fidjien, langue mélanésienne
plus proche, n'est pas reconnue par Davies.
La grammaire a été
publiée une première fois, sous forme séparée en
1823, avant d'être jointe au dictionnaire. L'auteur, suivant en cela une
Société des Études Océaniennes
1751
pratique courante des missionnaires de son époque, tente de décrire les
grammaticales tahitiennes, en s'inspirant de langues comme le
latin, qui lui sont familières. Ceci ne va pas sans difficultés, qui sont trop
connues pour qu'on.s'y étende. Notons simplement, qu'il est paradoxa¬
lement amené à dresser de tableaux de déclinaison et de conjugaison pour
une langue où les mots ont une forme invariable, et que, curieusement, la
syntaxe se limite à l'accord et à la rection. Si cette grammaire n'a guère de
pouvoir explicatif, on portera cependant au crédit de l'auteur le fait qu'il
dit explicitement que la quantité des voyelles longues doit être notée en
tahitien au moyen d'un accent circonflexe, et aussi, le fait qu'il a
l'intuition de l'existence de particules aspectuelles (la particule 'ua).
L'intérêt de l'ouvrage réside, bien entendu, dans la partie diction¬
naire. C'est un document exceptionnel sur l'état de la langue tahitienne,
dans la période qui suivit l'établissement des premiers missionnaires. Le
dictionnaire a été publié en 1851, mais, Davies, qui en est l'auteur
essentiel, a séjourné à Tahiti dès 1801. L'élaboration du dictionnaire a
structures
commencé à l'arrivée des missionnaires. Ceux-ci sont restés divisés un
certain temps, quant à "l'orthographe" à adopter.
Le travail s'est achevé
1839, car, précise Davies dans son introduction, le dictionnaire était
déjà prêt douze ans avant sa publication.
en
Le dictionnaire de Davies a été précédé des nombreux vocabulaires
(ou même dictionnaire) que nous ont laissé les navigateurs. Mais, ces
derniers ont noté les sons du tahitien en les rapprochant, de manière très
aléatoire, des sons de leurs propres langues. Ces circonstances, ajoutées
au fait que les navigateurs n'avaient
qu'une connaissance sommaire du
pays et des hommes, rendent ces vocabulaires difficilement intelligibles et
peu fiables. Le dictionnaire de Davies est une œuvre d'une autre portée. 11
bénéficie d'une écriture spécifiquement adaptée au tahitien - on sait qu'à
cette époque l'écriture était en usage à Tahiti
depuis plusieurs décennies qui en
et d'une familiarité de ses auteurs avec la culture tahitienne antique
fait
un
précieux document.
Le dictionnaire de Davies n'est pas sans
défauts cependant.
Remarquons, d'ailleurs, qu'on ne saurait exiger d'un dictionnaire dont
l'archaïsme du contenu fait son intérêt, qu'il ait les mêmes qualités qu'un
dictionnaire moderne. Le problème le plus gênant est celui des insuffi¬
sances de la graphie. Ces insuffisances sont sans conséquence dans les
conditions ordinaires de la communication écrite. Elles ont de fâcheuses
y
conséquences dans un dictionnaire, où il ne s'agit plus simplement de
reconnaître des mots, mais essentiellement de faire connaissance avec des
mots que l'on n'a pas encore rencontré. Dans le cas présent, les deux
caractéristiques manquantes, ou irrégulièrement notées, sont d'une part la
quantité des voyelles longues et d'autre part, une consonne appelée
occlusive glottale. Davies nous dit que la quantité des voyelles longues
doit être notée par un accent circonflexe, et on en rencontre effectivement
des exemples dans le dictionnaire : matâtâ "weariness..." ; aravî
"unequal...". On rencontre aussi des exemples d'occlusive glottale notée,
elle, par une apostrophe : îua'u "to banish..." ; tuau'o "a powerful man...".
'Société des Études Océaniennes
1752
Mais ces deux distinctions ne sont généralement pas notées, si bien que
des mots tout à fait distincts dans la
langue parlée, sont écrits, à tort,
Ainsi en est-il de matau (au lieu de
mata'u) "fear..." et matau "fish-hook...", ou bien des 9 mots qui sont
écrits papai, de la même façon, sans que soient distingués
par exemple
papa'i "work at house building..." de pâpa'i "to write...". Les caractéris¬
tiques manquantes ont valeur de phonème en tahitien, et malheureu¬
comme
s'ils étaient des homonymes.
sement,
leur absence de l'écriture, rend la culture des mots inconnus,
difficile
ou
même
impossible.
Une autre
difficulté, mais de moindre importance, concerne la
présentation des mots en une seule entrée ou en plusieurs entrées. La
distinction entre le cas de plusieurs mots homonymes et le cas d'un mot
unique ayant plusieurs sens apparentés, est un problème mal résolu, et la
présentation du dictionnaire est trompeuse en la matière. Ainsi, turi "the
knee..." et
"deaf...", sont présentés comme les deux sens d'un même
mot, tandis que feruri "to ponder" et feruri "cogitation..." sont présentés
comme deux mots différents. Parfois
même, deux mots que leur
prononciation oppose, sont présentés comme un seul mot : tua "the
back..." ; — "a maggot" (au lieu de tua).
—
La lecture du dictionnaire de Davies n'en est pas moins d'un très
grand intérêt. L'impression première qu'on en retire est que les mots qui
ne sont plus
en usage actuellement sont très nombreux. On peut estimer
que plus de 60 % du vocabulaire présenté est inconnu des locuteurs
actuels (80 % dans certaines pages), sur un total de 9.986 entrées, dont
1.570 pour la lettre a (mots commençant par a ou a) et 1.796 pour la
consonne t, qui ont la plus grande fréquence
parmi les entrées. On peut
aussi se faire une idée de la distance qui sépare la langue de cette
époque,
de celle d'aujourd'hui, en remarquant que bien des mots
parmi les plus
courants de la langue actuelle ne
figurent pas dans le dictionnaire :
'animara "animal" ; 'âpara "pomme" ; 'âfa "moitié" ; ha'amaramarama
"fenêtre" ; mâtete "marché" ; merêti "assiette" ; rôti "rose" ; tauera
"serviette" ; uaina "vin" ; uahu "quai" ; uati "montre", ou même des mots
comme horopâtete
"passager" et horopahî "marin", qui désignent des
rôles sans doute nouveaux à cette époque. Par contre, l'absence de mots
tels que maeva "bienvenue..." et mâhû "efféminé", ne
peut être qu'un
simple oubli.
Les lecteurs seront, sans nul doute sensibles au pouvoir évocateur des
pages du dictionnaire.
Il n'a pas l'aridité d'un ouvrage technique, car son
auteur, ou mieux peut-être ses auteurs, avaient le goût de détails concrets.
De
plus ils ont eu la chance de pouvoir observer le Tahiti ancien des
premières années du XIXe, au temps de Pomare I et de Pomare II, alors
que les institutions, les techniques, les connaissances, la littérature, la
religion... étaient encore celles de la culture tahitienne classique. Il n'est
pas une page qui ne nous parle d'une cérémonie, ou d'une fête, d'une
danse, de navigation et de navire, ou même d'un simple accessoire de
pêche ou de cuisine, ou du nom d'une plante ou d'un poisson qui nous
reste inconnu. On n'y trouve aussi des suites de mots d'une saveur
Société des Études Océaniennes
1753
particulière (ainsi les mots commençant par vaha ou par ruahine). Par
leur pittoresque, elles ne sont pas sans faire penser aux énumérations de
Rabelais, la verdeur en moins. Les lecteurs de langue tahitienne pourront
difficilement échapper à la fascination qu'exercent ces mots oubliés qui
surgissent d'un passé prestigieux. C'est pourquoi, on peut légitimement
espérer que cette réédition contribuera à renforcer l'intérêt qui se
manifeste envers la langue tahitienne. Pour terminer, laissons la parole au
poète. Henri Vernier, faisant allusion à cette évocation nostalgique du
temps des pahî et des marae, nous dit : "J'aime mon dictionnaire car en
tournant ses pages Renaît un ancien monde où je suis emporté".
Yves LEMA1TRE
Un défi nommé
Pacifique.
Revue de l'Institut International de Géopolitique. Automne
0752-1693. 31 quai Anatole-France - 75007 PARIS
1984. ISSN
population mondiale, de nombreuses ressources
énergétiques -mais mal réparties-, une industrie au développement
prodigieux : Singapour, Hong Kong, le Japon, la Californie, lancent à
l'Europe et au reste du monde le défi du Pacifique. Après avoir constitué
des lieux d'exotisme pour l'imaginaire européen : conquête de l'ouest,
orientalisme, mythe océanien, l'Océan Pacifique est en train de prendre
une place de toute première importance. Il ne suffit pas de l'affirmer, il
faut comprendre le phénomène et nous y situer, nous qui habitons la
Polynésie française...
La
moitié de la
Nos lecteurs ont déjà été avertis de la publication du livre : Le
Pacifique, nouveau centre du monde, dont nous avons donné un aperçu
dans le numéro 226 de
mars
1984.
s'agit de rendre compte d'un colloque de l'Institut
international de Géopolitique* qui s'est tenu à Paris, en avril 1984, sous la
Présidence de Madame Marie-France Garaud, laquelle avait invité
plusieurs centaines de personnalités du monde entier à se réunir sur le
thème : "Un défi nommé Pacifique, espoirs et craintes de l'Occident".
Trois axes de réflexion ont été soumis aux participants :
une nouvelle entité, le bassin du Pacifique,
la révolution technologique dans le bassin du Pacifique,
l'évolution stratégique et le défi du Pacifique.
Cette fois-ci il
-
-
-
(*) 31 quai Anatole France 75007
Paris. Actes du colloque ; prix du numéro : 40 F.F.
Société des Études Océaniennes
1754
Comme on le voit sur cette carte, reprise de l'Atlas stratégique (Chaliand et Rageau.
éditions Fayard), les super-puissances, mais aussi les pays en lort développement
ont une
façade ou bien se trouvent dans l'hémisphére Pacifique.
iibraltar
URSS
Anchorage
CHINE
AMÉRIQUE DU NORD
JAPON
San Francisco
'
Manille
PHILIPPINES
Singapour!
Panama'
INDONÉSIE
AMÉRIQUE DU SUD
Nlle-GUINÉE
AUSTRALIE
TAHITI
Auckland —
Melbourne
£ Nlle-ZÉLANDE
ITARCTIQI
Ces questions recouvraient donc trois domaines : la géographie
socio-culturelle, la technologie industrielle, enfin la stratégie militaire. Les
discussions qui se sont déroulées ont permis de saisir les différents points
de vue des participants qui furent -c'est le moins que l'on puisse direparfois très divergents. En effet, pour les Européens, le défi du Pacifique
est d'abord un problème économique, tandis que pour les habitants des
pays riverains, c'est autant une question de développement, que de
défense militaire, ou encore de démographie, qui constitue l'ensemble du
problème. Soulignons que la Chine populaire participait pour la première
fois à une réunion internationale sur le Pacifique.
1
Société des Etudes Océaniennes
1755
Une nouvelle entité
L'un des premiers débats a tourné autour des formes d'unités de
rapprochements ou de coopération (économique, politique...) que
pourraient prendre dans l'avenir les associations des pays du Pacifique
avec une référence analysée de près : la Communauté économique
européenne. "L'entité pacifique vue par les acteurs de la zone apparaît,
comme l'assemblée naturelle des pays de cette région jouissant d'une
stabilité intérieure, d'un taux de croissance élevé et entretenant entre eux
des relations de coopération sur les plans économique et politique.
Une
telle définition n'exclut nullement la Chine, dans la mesure où le terme de
coopération politique est entendu assez largement"**.
Cinq facteurs expliquent le dynamisme économique de cette région :
la vulnérabilité de certains des pays au niveau des ressources naturelles,
-
(notamment le Japon)
la
-
flexibilité
économique, (organisation de l'entreprise, des rapports
sociaux, sensibilité au marché)
-
-
-
l'action collective fondée
sur une
gestion économique supérieure,
le niveau d'éducation
élevé,
la valeur attachée au travail, due à l'influence du confucianisme (Asie
du S.E.).
Les habitants du Pacifique reprochent à l'Europe son attitude
défensive et craintive. L'objectif des pays du bassin n'était pas de lancer
un défi à l'Europe, mais ceux-ci s'étaient seulement efforcés d'élever leurs
niveaux de vie et veulent être traités en égaux par les pays occidentaux".
La révolution
technologique
qui concerne l'avenir de la révolution technologique du
Pacifique, les réflexions ont tourné autour des problèmes suivants : le
progrès des techniques va-t-il encore s'accélérer ou atteindre un palier, les
conséquences de la révolution technologiques vont-elles engendrer une
stagnation de l'innovation chez les plus avancés, et enfin, les parties du
monde comme l'Europe, qui sont actuellement freinées par des inerties
industrielles et sociales peuvent-elles combler leur retard ?
En
ce
étudiés,
rythme des
La réponse à deux premières questions varient selon les pays
mais il paraît probable qu'au Japon comme aux Etats-Unis le
innovations se maintiendra tandis que d'autres pays verront leurs avance
combler quelque peu. La situation réelle de l'Europe a retenu
l'attention des divers observateurs. L'Europe possède trois spécificités : la
se
première, culturelle : "on peut se demander si les nouvelles valeurs qui ont
émergé en Europe à la fin des années 60, la demande de libération dans
tous les rôles que
groupes,
l'individu exerce, l'aspiration à s'insérer dans des petits
n'ont pas en modifiant les attitudes à l'égard du travail, de la
(**) Cette définition intègre assez mal les pays d'Amérique centrale ou latine, ou d Océanie
qui font, pourtant, partie de cette entité. Il s'agit surtout de pays
locomotives appelés
ainsi le NPI (nouveaux pays industrialisés) dont
international.
le rôle politique s accroît sur le plan
Société des Études Océaniennes
1756
technique, de l'entreprise, rendu à court terme plus difficile l'adaptation
européennes à la nouvelle vague d'innovations technolo¬
giques". La deuxième spécificité est sociologique : depuis la dernière
guerre "les divers groupes sociaux se sont organisés pour négocier avec les
gouvernements et ont souvent réussi à substituer des processus bureau¬
cratiques aux processus de marché. D'où une accumulation de rigidités
aux multiples facettes. La crise
que l'Europe subit provient de ses
structures sociales". La troisième spécificité est politique : les Européens
sont à mi-chemin entre une conscience politique limitée à la nation et une
conscience qui ne s'est pas encore formée à la dimension de la CEE.
des sociétés
Le ressaisissement de
réunis
-
-
l'Europe se fera à partir de deux ingrédients
:
la
réponse doit être sociale et culturelle avant d'être économique et
technique ;
le rôle des Etats est moins d'être le centre de toutes les décisions que
d'être le gardien actif de systèmes permettant d'assurer l'adaptation des
économies.
Ainsi, l'essor du Pacifique peut devenir un modèle pour l'Europe.
L'évolution
stratégique
Au fur et à
mesure que se développait
l'économie régionale, l'Union
Soviétique effectuait des percées militaires (Vietnam...) et stratégiques en
direction du Pacifique. Les pays souhaitent donc affronter ensemble la
menace de l'expansionnisme
soviétique ; et, déjà, la stratégie américaine a
été bouleversée de fond en comble ; quant à la Chine, elle se trouve
objectivement du côté des puissances occidentales dans ce débat, d'autant
que pour assurer son développement économique, elle a besoin de paix et
de stabilité. Le Japon, pour sa part, s'en remet à la seule garantie des
Etats-Unis. La réponse de l'Union Soviétique à l'élaboration de la
nouvelle défense sino-occidentale va conditionner la situation militaire,
mais aussi économique, sociale et politique du bassin Pacifique.
Et Tahiti ?
Comment peut se situer la Polynésie française par rapport au grand
Pacifique ? La Polynésie a certes des atouts (la mer, le soutien techno¬
logique de la France qui lui assure dans un certain nombre de domaines
une avance sur les Etats du
Pacifique Sud), mais aussi des handicaps
(éloignement, faiblesse démographique, situation politique incertaine...).
La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si la Polynésie peut -et
comment- s'accrocher au dynamisme du Pacifique nord et ouest, si elle le
veut socialement et humainement et quel profit, outre le tourisme, elle
peut en tirer.
La Polynésie a peut-être partiellement apporté une réponse,
puisqu'elle se reconnait assez bien dans la personnalité hawaiienne
(convergences entre l'histoire, la géographie et les modes de vie et de
cpnsommation américaines) ; mais Tahiti a-t-elle des chances de devenir
un carrefour semblable aux îles Hawaii ? Est-elle
prête à supporter les
contraintes d'une économie à l'américaine ?
Société des Études Océaniennes
1757
Conclusion
Ce colloque semble correspondre à une évolution dans la mentalité
publique tant en France que dans le reste de l'Europe, qui souhaitent
davantage comprendre ce qui se fait et se prépare dans le Pacifique, qui ne
se satisfait plus d'une attitude défaitiste ou des clichés qu'on a longtemps
propagés sur le "miracle japonais" par exemple. Mais les différences
géographiques, culturelles, humaines, religieuses, ou économiques entre
le Chili et Singapour notamment ne doivent pas nous donner l'image d'un
Pacifique uni et monolythique.
En s'adressant
aux
nations du vieux continent, Marie-France
Garaud a déclaré : "11 n'y a pas de nations qui meurent, il n'y a que des
nations qui renoncent". Puisse ce message être entendu !
Daniel
MARGUERON
Jean-Claude MATHIO
The meaning of Rural-Urban migration for French Polynesia
Youth.
A dissertation submitted in partial satisfaction of the requirements for the
degree Doctor of Philosophy in Anthropology.
L'auteur (235, rue St Honoré, 75001 Paris), 1984, 389 p., bibl., ronéotypé,
30 cm.
Ce travail est une thèse soutenue pour l'obtention d'un doctorat en
philosophie (ethnologie) devant l'université de Los Angeles, Californie.
L'auteur commence par passer rapidement en revue les positions des
personnes ayant étudié le problème des migrations et tenté, avec plus ou
moins de succès, d'en dresser les lois pour les milieux agricoles des EtatsUnis, les Nord-africains en France, les populations de la Rhodésie du Sud
et du
Mexique.
Beaucoup de polynésiens se sentent tiraillés entre la tentation d'aller
en
ville
et le
désir de
rester
dans leurs îles natales.
Papeete afin d'y chercher un travail rétribué, c'est, pour les
hommes, habiter un appartement dans une maison en dur ; pour les
femmes, vivre près des magasins à vitrines, pouvoir s'offrir de jolies robes
comme en portent les popaa, des souliers en cuir, etc. ; et, pour les jeunes
filles, aller à la découverte d'un mari qu'elles n'ont pas rencontré sur place
Aller à
sur
leur île.
A Papeete, ce sont les distractions de tous ordres, la télévision, la
radio, le frigidaire, la machine à laver, ... mais c'est aussi, avec lé passage
d'une économie traditionnelle à une économie monétaire, la cherté de la
vie.
Société des Études Océaniennes
1758
Rester sur leur île des Tuamotu, des Gambier, des îles Sous-le-Vent
Marquises, îles où la mer constitue un garde-manger inépuisable,
qu'ils veulent, ne pas avoir de patron sur le dos, connaître
moins de soucis, surtout dans le domaine financier : pas d'impôts, pas
d'endettement. Mais c'est aussi risquer l'ennui, n'avoir pas toujours
l'électricité chez soi et vivre avec une lampe à pétrole dans un fare niau.
L'auteur nous précise ses méthodes d'enquête. Après un essai, il a
renoncé aux tests écrits ou verbaux. Possédant une pirogue avec un
moteur hors-bord et péchant dans le lagon, activité de subsistence qui
quand elle est pratiquée avec succès donne du prestige à son exécutant, il
était de plein pied avec des populations maritimes qui voyaient en lui un
"professionnel", un homme de leur milieu et se montrèrent rapidement en
confiance. 11 signale le rôle des femmes qui commence au retour de la
pêche : elles préparent, nettoient et cuisent le poisson. Ce sont elles aussi
qui réparent les filets.
L'auteur fait également état, dans l'ordre de son étude, des
modifications provoquées par l'arrivée du C.E.P. à Moruroa et des
migrations de 6500 polynésiens en Calédonie en 1976.
Une bibliographie d'environ 150 ouvrages consultés, p. 375-389,
termine cet excellent travail auquel nous souhaitons la meilleure
ou
des
c'est faire ce
diffusion.
P. O'Reilly
P-A. PIRAZZOLI et L-F. MONTAGGIONI
Variations
récentes
du
niveau
de
l'océan
et
du
bilan
hydrologique dans l'atoll de Takapoto.
C.R. Académie des Sciences Paris, t. 299, Série II, n° 7, 1984.
La position émergée des madréporaires en position de croissance, au
des
pinacles du lagon de Takapoto est la conséquence d'une
m du niveau de l'océan au cours des derniers
millénaires, mais la conséquence aussi du comblement probable de
plusieurs hoa, ce fait ayant accentué les caractéristiques d'atoll fermé de
Takapoto.
sommet
baisse relative de 0,6
Société des Études Océaniennes
1759
P-A. PIRAZZOLI
fonds
Cartographie des hauts
l'archipel des Gambier.
In
télédétection dans
par
l'Espace géographique, n° 3, 1984.
image du satellite Landsat et sur
bathymétriques continus effectués par l'auteur, à titre de
vérification, dans les lagons des îles Gambier et de l'atoll de Temoe. Des
corrélations sont établies entre les valeurs de la profondeur de l'eau et les
valeurs numériques fournies par Landsat, permettant de dresser par
ordinateur une cartographie bathymétrique détaillée des récifs coralliens
peu profonds. Il devient alors possible, non seulement de tester les cartes
existantes, mais aussi de cartographier, à très peu de frais, des zones non
encore levées, notamment la partie nord du lagon des Gambier et le "Banc
Portland", qui est en fait un atoll submergé. Il apparaît en conclusion que
le pouvoir de résolution de Landsat, peu adapté au milieu corallien, laisse
persister des marges d'incertitude non négligeables dans l'évaluation
ponctuelle des profondeurs. Avec le satellite Spot, cependant, les cartes
marines devraient pouvoir être nettement améliorées là où l'eau est claire,
le ciel dégagé de nuages et la profondeur de l'eau inférieure à une
vingtaine de mètres.
Les cartes infographiques apportent un complément à la catographie
classique, en identifiant par exemple, des hauts fonds, en position étendue
et profondeur approximative. Dès qu'avec Spot les dimensions des pixels
seront mieux adaptées à la taille des formations coralliennes les méthodes
La présente étude est fondée sur une
des
relevés
de la télédétection devraient permettre en milieu récifal, une
moins coûteuse et souvent plus
méthodes traditionnelles.
cartographie
détaillée que ne peuvent la faire, les
De remarquables illustrations en couleurs
illustrent les possibilités de
géographiques variés.
la cartographie par télédétection, dans des milieux
J.P. EHRHARDT
Les cônes venimeux de Polynésie Française.
Médecine Océanienne - Papeete. 1984. N° 22, p. 11-22. ill., bibl.
Ce mémoire comporte deux parties. L'une est consacrée aux
principales caractéristiques biologiques et morphologiques des cônes
dangereux en P. F. à leur répartition ainsi qu'à l'anatomie et au fonction¬
nement de leur appareil venimeux. Dans la deuxième partie l'auteur
aborde l'aspect médical des piqûres de cônes, la composition et la
toxicologie de leur venin. En l'absence de traitement spécifique, la
prévention est essentielle.
La santé et la dent.
Médecine océanienne Papeete.
N° 19-20, 1983.
Ce double numéro est entièrement consacré à la santébucco-dentaire
en
P. F. Généralités et réflexions sur la dent polynésienne - Lutte contre la
Société des Études Océaniennes
1760
carie
en Santé
Publique - Le service d'Hygiène dentaire de P.F., son
personnel & ses activités. Les résultats sont heureusement fort encou¬
rageants.
Dr. Hignette BERGERARD
Néphropathie hématurique familiale, avec atteinte occulaire
et surdité dans une petite population isolée (île de Rimatara).
Mémoire pour le C.E.S. de néphrologie.
1979.
Ronéo, 40 p., ill., bibl. - Papeete
Étude du syndrome d'Alport, ou névropathie familiale
avec
est
hématurique
surdité. Plusieurs hypothèses sont avancées. Le
syndrome d'Alport
très vraisemblablement
hétérogène sur le plan génétique.
Isabelle CARLOZ
Action expérimentale de la ciguatoxine sur l'électrocardiogramme de chat.
Thèse pour le diplôme d'état de docteur en pharmacie. N° 119. Année 1984.
Ronéo. 57 p. Université de Bordeaux II. U.E.R. des Sciences Pharmaceu¬
tiques.
Cette thèse a obtenu la mention "Très honorable -
échange avec l'étranger. "
La ciguatera est un syndrome polymorphe causé par
l'ingestion de
poissons en parfait état de fraîcheur, appartenant à des espèces habituel¬
lement comestibles, provenant du milieu récifal des mers tropicales. Ce
problème de santé publique a déjà fait l'objet de nombreuses thèses
bibliographiques. Cette fois l'auteur présente un travail de recherche
expérimentale visant à mieux comprendre le mode d'action pharmacologique des toxines responsables du tableau clinique.
Une présentation générale du phénomène en expose les
aspects
écologiques, épidémiologiques et cliniques. Ensuite, l'auteur présente les
propriétés biochimiques et pharmacologiques connues des deux
principales toxines impliquées : la ciguatoxine et la maitotoxine. Enfin, le
travail expérimental réalisé est exposé sous tous ses aspects techniques et
les résultats obtenus sont discutés. L'auteur analyse les effets cardiovasculaires de doses croissantes de toxine administrées par la voie
intraveineuse à des chats anesthésiés et étudie l'action antagoniste de
divers composés pharmacologiques : l'atropine, substance anticholinergique, l'hexaméthonium, bloqueur ganglionnaire, le propranolol, p bloquant et la phentolamine, a-bloquant.
Une excellente thèse, présentée avec rigueur et clarté,
qui rend
compte d'une progression dans la connaissance du mécanisme d'action
des toxines ciguatériques et qui permet
d'espérer la mise au point d'un
traitement spécifique de l'intoxication par les poissons.
A.M. LEGRAND
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 229