Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 218
- Titre
- Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 218
- Description
-
Articles
- B. Gérard, Origine traditionnelle et rôle social des marae aux îles de la société 1005
- C. Langevin-Duval, La mise en place de l'ordre missionnaire à Tahiti 1028
- Denys Choffat, Les premiers bateaux européens dans l'océan Pacifique-Est 1045
Compte-rendu
- J. Champaud, Les trucks de Tahiti 1049
- H.E. Maude, Slavers in Paradise 1050
- John Dunmore (éd.), The Expedition of the St Jean-Baptiste , 1051
- A la découverte de la musique tahitienne traditionnelle 1051 - Date
- 1982
- Date de numérisation : 2017
- Format
- 1 volume au format PDF (56 vues)
- Identifiant
- PFP 3 (Fonds polynésien)
- Langue
- fre
- Editeur
- Société des Études Océaniennes (SEO)
- Relation
- http://www.sudoc.fr/039537501
- Droits
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- Source
- Société des Études Océaniennes (SEO)
- Type
- Imprimé
- extracted text
-
BULLETIN
DE M
SOCIETE
OCEKNIENNES
N° 218
TOME XVIII
—
N° 7 / Mars 1982
Société des Etudes Océaniennes
Société des Études Océaniennes
Fondée en 1917.
Rue Lagarde - Papeete, Tahiti.
Polynésie Française.
B.P. 110 - Tél. 2 00 64.
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MEMBRES D'HONNEUR
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R.P. O'REILLY
M. Yves MALARDE
M. Raoul TEISSIER
Société dès Études Océaniennes
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DES ÉTUDES OCÉANIENNES
(Polynésie Orientale)
TOME XVIII — N° 7 / Mars 1982
SOMMAIRE
B. GÉRARD
-
Origine traditionnelle et rôle social
-
-
des marae aux îles de la société
1005
C. LANGEVIN-DUVAL
La mise en place de l'ordre missionnaire
à Tahiti
1028
DENYS CHOFFAT
Les premiers bateaux européens
1045
dans l'océan Pacifique-Est
-
COMPTE RENDU
Les trucks de Tahiti
1049
1050
-
-
-
-
Slavers in Paradise
The Expedition of the St Jean-Baptiste
,
1051
A la découverte
de la musique Tahitienne Traditionnelle
Société des Études Océaniennes
1051
'
'
.
Société des Etudes Océaniennes
1005
Origine traditionnelle et rôle social
des marae aux îles de la Société
à l'époque de l'arrivée des Européens, des
lithiques à caractère religieux. C'étaient souvent des
espaces pavés, parfois enclos (dans les Iles au Vent de l'archipel). A
une extrémité de cet espace, il pouvait y avoir une construction
surélevée (péristalithe ou plate-forme) ou, simplement, une série de
pierres dressées. La question est de savoir si ces structures sont
contemporaines du premier peuplement des Iles de la Société, où
s'il s'agit d'élaborations plus tardives correspondant à une période
de stabilité relative des populations de l'archipel. Dans une
deuxième partie, il serait intéressant d'étudier le rôle de ces
structures au niveau de l'organisation sociale de la population, ce
qui expliquerait peut-être leur grand développement.
Il est évident, qu'étant donnée la faiblesse de la documentation
dans l'état actuel de nos connaissances, il ne peut s'agir que d'une
toute première tentative d'approche de ces problèmes, pourtant
majeurs, de l'ethnographie pré-européenne à Tahiti. Étant donnée
également l'ampleur des problèmes soulevés et dont l'auteur n'est
pas un spécialiste, cette tentative de synthèse de matériaux
disparates et d'inégale valeur, ne peut être considérée que comme
provisoire, susceptible de développements et de remaniements
Les marae étaient,
structures
ultérieurs.
Origine traditionnelle des marae
La plupart des auteurs s'accordent à dire que le marae
Taputapuatea, situé dans le district d'Opoa à Raiatea (1) était "le
plus ancien de tous les marae royaux dans l'archipel de la
Société..., la tradition rapporte qu'il fut construit sous l'égide de la
Cah. ORSTOM, sér. Sci. Hum., vol. XI. n°
3/4 - 1974 : 211-226.
(1) Ile des sous le Vent. L'archipel des Iles de la Société est divisé en deux sous-groupes
d'îles : les Iles au Vent (Iles du Vent dans les rapports administratifs locaux) ; en font partie :
Tahiti, Moorea, Meetia, Maiao, Tetiaroa ; et les Iles sous le Vent comprenant Bora-Bora,
Raiatea, Tahaa, Huahine, Maupiti, Motu Iti, Bellinghausen, Scilly et Mopelia.
Société des Études Océaniennes
1006
plus haute royauté à l'époque la plus reculée de l'histoire de
l'île" (2). Avant la naissance du dieu Oro, le nom de ce marae était
Tini Rauhui mata te papa o Feoro. Après la naissance du dieu Oro,
"le nom de Feoro fut changé en Vai'otaha qui, ajouté au nom de la
localité où ils se trouvent, devint le nom religieux de tous les marae
dédiés à Oro".
(a) Les "Mémoires" de Marau (3) apportent quelques
précisions sur l'origine de Taputapuatea (4) : la vallée d'Opoa
s'appelait autrefois Nuu te vao tapu en souvenir des nombreuses
victimes qui étaient sacrifiées sur le marae. "A Nuu te vao tapu, je
mangerai mes offrandes et le rebut ira à Naunau" dit Taaroa
"Naunau était probablement l'ancien nom de Vaiotaha, premier
marae de Porapora". Toujours selon l'auteur, le marae fonda¬
mental, le marae de la branche aînée d'Opoa s'appelait Rai
maruarua
ou
Te Rai
maruarua
o
Taaroa. Il fut le
marae
du
premier ari'i (1) humain Turi Terii Tino rua i Havai ou Te Rai
Vetea o Taaroa. Le premier marae s'appelait Vaearai, c'était
l'endroit où se posa le pied droit de Taaroa (2). Ce ne fut
qu'ultérieurement que Taputapuatea "devint le lieu sacré et le
temple de la famille royale". Le marae Taputapuatea est situé sur le
principal promontoire du district d'Opoa, le marae Vaearai se
trouve dans la vallée d'Opoa, Nuu te vao tapu (3).
(b) D'afprès Handy, le marae Vaearai fut transplanté sur la
pointe Matahira, reconstruit et appelé Taputapuatea. Il aurait été
fondé à Opoa par les premiers ari'i de l'île vers la fin du Vie ou le
début du Vile siècle après J.C. Cette date est calculée à partir de
généalogies connues (4) sur la base de vingt-cinq années par
(2) Henry, 1968, p. 126.
De Bovis, 1855, p. 16 "le premier de ces marae est celui d'Opoa dans l'île de Raiatea.
Les indigènes disent que c'est là la source d'où sont venus tous les marae."
(3) Marau, 1971, p. 46, 47, 50, 51, 76.
(4) A l'arrivée des Européens, il existait plusieurs marae ayant pour nom
"Taputapuatea". Suivant l'usage courant, "Taputapuatea" non suivi d'un lieu de localité se
rapporte au marae "Taputapuatea", situé dans le district d'Opoa à Raiatea.
(1) Le terme ari'i correspond ici à l'aîné d'un lignage dominant, dont l'autorité pouvait
s'étendre sur un ou plusieurs districts. Les ari'i sont les descendants des dieux, les humains
sont une
création des dieux.
(2) Le dieu créateur dont toute chose est issue. Voir à ce propos Handy qui distingue
deux systèmes religieux principaux, répartis à travers la Polynésie. Le "culte de Taaroa"
serait récent en Polynésie et limité à la Polynésie Centrale et Occidentale, Handy, 1932,
p, 312.
(3) Sites archéologiques sur la côte Est de Raiatea. L'ensemble du promontoire était
appelé TE PO.
(4) La plupart des généalogies, se rapportant aux marae les plus importants, ont été
réunies par K.P. Emory, 1932.
Société des Études Océaniennes
1007
génération. Si, comme le conseillait Marau à Handy, on admet
seulement une valeur de quinze années par génération d'Ari'i, ce
marae aurait été fondé vers l'an 1000 AD. Un autre marae, à
l'intérieur du district de Tevaitoa, aurait la même ancienneté que
Vaearai ; il s'agit du marae Ara-rua où se serait posé l'autre pied de
Taaroa ;
Taputapuatea aurait été fondé, toujours selon l'auteur,
Vaearai. Lors de la consécration du marae, une
pierre fut apportée de Bora-Bora et l'autre de Huahine. A partir
d'un calcul sur des données généalogiques, sur la base de vingt-cinq
années par génération, Emory estime que le marae aurait été fondé
vers 1200 AD (6).
Par contre, si l'on attribue la fondation du marae à Te iva soit
11 générations avant Marau, l'ancienneté du marae remonterait à
1755 sur la base de quinze années par génération ou 1645 sur celle
de vingt-cinq années par génération. Ceci recoupe les données
obtenues par C14 qui situent la fondation du marae au début du
XVIIIe siècle (7).
D'après Marau, les pierres dressées de Vaearai devinrent les
pierres de fondation de cinq marae situés dans cette partie de
l'archipel "Sur le marae I Vaearai (8), il y avait cinq pierres, la
première (9) était appelée haai (10) et représentait la branche aînée,
avec le
Ha'ai (5) de
les quatre autres appelées
cadettes" (11).
terahu (10) représentaient les branches
Le schéma suivant montre la disposition probable de ces
pierres dressées sur le marae "Vaearai" ainsi que le lieu où elles
furent transplantées comme pierres de fondation de nouveaux
marae (p. 213).
On remarque que le nom de Taputapuatea ne figure pas,
parmi les marae issus de Vaearai. D'après Marau (12),
Taputapuatea fut fondé par Tei va ari'i (Te Iva i te fee Tere, vaa iti
mata toi) du marae Farerua de Bora-Bora.
(5) Principale pierre dressée, située le plus souvent contre la façade de la plate-forme
principale d'un marae.
(6) De Bovis, 1855, propose la date de 1300 AD.
(7) Emory et Sinoto, 1965.
(8) Dans les textes anciens, les noms de marae sont souvent précédés de la particule I qui
a
un
sens
locatif.
(9) Située au centre.
(10) On trouve également les termes ha'ai et tarahu.
(11) Marau, 1971, p. 51.
(12) Marau, 1971, p. 87.
Société des Études Océaniennes
1008
Origine de Taputapuatea. Hypothèses comparées.
Les origines de Taputapuatea seraient donc les suivantes :
Henry (1928) : le plus ancien de tous les marae royaux (ari'i),
construit à l'époque la plus reculée de l'histoire
—
de l'île.
Marau (1971) :
—
le premier marae était Vaearai ; Taputapuatea
fut fondé à partir du marae Farerua de BoraBora.
Handy (1930)
—
:
Les
le premier marae était Vaearai dont le ha'ai fut
transplanté sur la pointe d'Opoa, pour fonder
Taputapuatea.
marae
des Iles de la Société
Terahu
Noms
à
correspondant
chaque pierre
Atoroi rai
Terahu
Ha'ai
Maopu
Terai
Fatuturi
Taata
Mahoata
Tuatini
papa
Raiatea
Raiatea
Vavau
(1)
Tahaa
Vavau
Nom du
Farehahu
rahi
Oromoo
Vaiotaha
nouveau
Nouveau
nom corres¬
Autre marae fondé
à partir de cette
pierre
Teraivetea
o
Taaroa
Terii
Tautu
pondant à la pierre
Terahu
Fatuturi
Ile de destination
marae
Terahu
Marotea
Faatai
Ariirata
Marotetini
-
Interprétation de la datation C14 : la structure aurait été
érigée au début du XVIIe siècle. On peut admettre que, pour des
raisons diverses, les différents auteurs auraient été amenés à
proposer des versions contradictoires à propos de la construction
du marae considéré comme le plus
important de l'archipel. On peut
admettre aussi que les contradictions ne sont
qu'apparentes et qu'il
s'agit davantage de systèmes d'explications différents : les Tahitiens
distinguaient autrefois un âge ancien et un âge moderne (2) pré¬
européen.
(1) Vavau est l'ancien nom de Bora-Bora.
(2) Ellis (1972) parle à ce propos de hau hupehupe "l'âge primitif ancien, méprisable et
grossier" et de hau una "âge moderne ou policé" ; una signifie affection, irritation de la peau,
hupehupe signifie paresseux, qui se laisse vivre. Il semble que Ellis ne remarqua pas l'ironie
de son informateur qui lui signifia à peu
près ceci : il y avait autrefois le temps de la paresse
et
du laisser vivre auquel succéda celui des boutons
(vérole).
Société des Études Océaniennes
1009
PÉRIODE DE MAUPITI ET PÉRIODE DES MARAE D'APRÈS
LES ARCHÉOLOGUES.
L'histoire ancienne de Tahiti peut être divisée en deux grandes
périodes : la première, dite de Maupiti, la deuxième, période des
marae ; elle est caractérisée pâr la multiplication de ces structures
dans les deux groupes, Iles au Vent et Iles sous le Vent, de
l'archipel de la Société (3).
On pense généralement que, pendant la période la plus
ancienne, les marae étaient moins nombreux et surtout moins
élaborés que ceux de la période suivante : seul, l'espace construit
avait un caractère sacré ; l'espace découvert et
ahu
débroussaillé
marae
devait avoir encore un caractère semipublic et était sans doute, spatialement distinct du ahu. Par la suite
(période des marae), espace (marae) et structure construite (ahu)
furent réunis en une seule structure à caractère religieux. La
deuxième période fut marquée par un bouleversement important :
l'avènement du dieu Oro comme divinité principale. Ce culte prit
son essor à Taputapuatea et se répandit aux Iles au Vent. Ceci fut
l'occasion d'une transformation profonde des données religieuses
et politiques dans l'ensemble de l'archipel. C'est également en
fonction de cet événement que furent réorganisés les récits
généalogiques des familles (ari'i) les plus importantes (4).
Si l'on compare les textes de Handy, de Marau et de Henry,
on constate que l'an 0, si l'on ose dire, ne se situe pas au même
niveau généalogique. Pour Henry, qui véhicule l'idéologie officielle
ayant cours sous les Pomare, tout se ramène au marae
Taputapuatea ; pour Marau, qui conteste la prééminence et le
statut social des Pomare, il est nécessaire de faire remonter les
généalogies au-delà de la fondation de Taputapuatea, c'es-à-dire de
nier la valeur des réorganisations généalogiques, ayant eu lieu à
partir de 1650, date de la fondation de Taputapuatea (1). Ceci est
—
—
—
—
résumé dans le tableau I.
Il reste à proposer une explication sur les divergences existant
entre Marau et Handy : Marau est
"partie prenante" dans la course
(3) Garanger, 1964, 1972, p. 5, cf. Tableau I.
(4) Ceci ne peut être démontré, mais il est évident que toutes les "manipulations"
généalogiques (descendance bilinéaire, alors que théoriquement l'appartenance au 'ati
devrait être patrilinéaire), les adoptions entre familles ari'i, tendent toujours à "raccrocher"
une lignée au marae Taputapuatea. On sait également qu'une sorte de collège existait en cet
endroit, dont le rôle était d'harmoniser les récits généalogiques en fonction des impératifs du
pouvoir, c'est-à-dire d'une certaine solidarité de classe entre les familles ari'i.
(I) Il n'y a rien d'anormal en cela. En Polynésie, chaque ramage (cf. note 4 p. 213)
principal avait un orateur dont le rôle était de réciter "l'histoire officielle" du ramage. Les
luttes "dynastiques" étaient donc exprimées à travers des "histoires officielles" concurrentes.
Actuellement encore, le problème de la "légitimité" des Pomare n'est pas encore résolu.
Société des Études Océaniennes
1010
qui oppose les Teva et les Pomare, et Handy est
ethnologue. Les informations de Handy ont été obtenues à partir
du manuscrit de Marau et sur le terrain. Il lui apparait que le
maro'ura (2) ne pouvait être attaché à l'origine au seul marae
Taputapuatea que si celui-ci avait été fondé par la branche aînée du
marae
Vaearai. Dans cette hypothèse, les pierres apportées de
au
statut
Bora-Bora
et
Huahine
lors
de
la
consécration
du
marae
Taputapuatea et non lors de son édification ne peuvent être que les
pierres-dossiers (3) des branches cadettes qui ont droit à une place
sur le marae principal du ramage (4).
Les "Mémoires" de Marau ou d'Arii Taimai apparaissent
comme une justification de l'antériorité du "clan" des Teva sur la
"famille" des Pomare, devenue royale grâce aux Européens (5), et
une démonstration du fait que la position finale des Pomare était
due à l'usurpation de certains droits : ceci est dit à travers un récit
historique. Si les Teva avaient considéré comme origine de
l'histoire, la fondation du marae Taputapuatea d'Opoa, ils se
seraient trouvés sur le même plan que les Pomare. Ils auraient
seulement démontré que les Teva avaient eu droit au maro'ura, par
leur alliance avec Punaauia (district de Tahiti) et au maro tea (6)
issu du marae Vaiotaha de Bora-Bora, avant les Pomare (7). En
effet, ceux-ci obtinrent le droit de fonder un marae Taputupuatea à
Pare-Arue (district de Tahiti), tardivement (7), mais très
"légalement" au regard des coutumes locales.
Par contre, en faisant remonter leurs origines réelles au marae
Vaearai, en reculant l'origine de l'histoire événementielle, les Teva
gagnent un double prestige :
(1) A cette époque, de toute évidence, la famille des Pomare
n'existait pas à Tahiti : c'était une famille de chef d'un atoll
Paumotu (Fakarava). Les Teva rappellent donc l'origine étrangère
(2) Ceinture de plumes rouges, distinction des ari'i nui (statut le plus élevé de la chefferie).
(3) Pierre située dans la cour d'un marae, représentant un lignage.
(4) Clan conique, théoriquement endogame. Cf. Sahlins, 1958.
(5) Il s'agit là d'une opinion assez répandue parmi ceux qui soutiennent les Teva dans un
esprit de solidarité de "clan", mais également parmi les adversaires du protectorat français,
puis de l'annexion des Iles de l'archipel par la France, étant entendu que si les Pomare ont
acquis un pouvoir "illégitime", la cession de leur "royaume" à la France est également
entachée d'illégitimité. Ce problème de l'émergence des Pomare comme famille dominante
et du rôle de l'administration comme instrument de
légitimité de cette famille est très bien
étudié par C. Newbury, 1967. Cf. également C. Simpson, 1973 à propos du rôle joué par les
missionnaires.
(6) Ceinture de plumes blanches ou jaunes, distinction de la branche cadette ari'i, devint
la suite un apanage des grands prêtres à'Oro.
par
(7) Les Pomare contestent ce point et non sans raisons. Cf. C. Newbury, 1967, première
partie.
Société des Études Océaniennes
1011
leur basse extraction : cette famille aurait une
origine tahitienne de bas niveau social, et aurait modifié l'histoire
de ses origines pour permettre à l'un de ses membres d'accéder par
l'adoption à un niveau social plus important (8).
(2) Si le marae Vaiotaha de Bora-Bora a été fondé avec le
ha'ai de Vaearai, Taputapuatea d'Opoa ne vient qu'au second rang
dans l'ordre du prestige. Les Teva seraient donc, non seulement la
famille à statut le plus élevé et la plus ancienne, mais de plus, ne
partageraient pas avec les Pomare l'honneur de siéger sur le marae
le plus important. Il semble que les Teva jouent sur la notion très
imprécise de pierre de fondation. Pour eux, les pierres dressées
apportées de Bora-Bora et Huahine lors de la consécration du
marae Taputapuatea à Raiatea, démontreraient l'origine sinon
exogène, du moins cadette du marae Taputapuatea par rapport au
des Pomare, ou
marae
Vaearai.
Il semble que certaines familles aient joué sur la signification
différente de certaines
pierres dressées, situées dans la cour des
d'avantages statutaires. C'est un point sur
lequel les textes et les témoignages sont très flous, et on comprend
très vite que la pierre de fondation... est la pierre la plus utile pour
justifier la prééminence d'un parti sur un autre. Il n'en reste pas
moins que Taputapuatea était le marae le plus important de
l'archipel à l'époque de la découverte (1). Le prestige de
Taputapuatea dépassa même à une certaine époque le cadre de
l'archipel de la Société : "Te ao uri o te fa'a tau aroha au-dessus, Te
ao tea o te fa'a tau aroha au-dessous, formaient la grande alliance
gardée par les tia'i hau atea. Tous ces royaumes insulaires alliés
organisaient à Opoa des réunions périodiques pour leurs savants,
leurs prêtres et leurs guerriers et de grandes délibérations
internationales ainsi que des rites religieux s'y tenaient. Le jour de
réunion était très exactement indiqué par l'année, la saison, le mois
lunaire et le jour du mois... C'est alors que le marae prit le nom de
Taputapuatea" (2).
Cette grande alliance, qui va de Rotuma-Rarotonga (3) à la
marae,
pour justifier
(8) Cf. N. Gunson, 1964 où l'origine tahitienne des Pomare est considérée comme une
hypothèse plausible, p. 61.
(1) "Le premier roi de Raiatea fut Hiro... c'est le chef de la dynastie des Tamatoa... ils
étaient investis de la souveraine puissance dans le lien sacré d'Opoa appelé Taputapuatea...
Le prestige de cette famille de souche divine est si grand que tous les ari'i... de l'archipel se
vantent d'avoir des liens de parenté avec les Tamatoa". X. Caillet, 1926.
"Les marae paraissent avoir été saints, en raison de leur antiquité ou de l'ordre dans lequel
ils procédaient de celui d'Opoa". De Bovis, 1855, p. 56.
(2) Henry, 1968, p. 130.
(3) Rotuma se trouve dans le Nord Nord-Ouest des Fidji. Rarotonga est une des îles de
l'archipel des lies Cook.
Société des Études Océaniennes
1012
Nouvelle-Zélande englobant la Polynésie centrale reconstitue le
Fenua Nui (4) originel. Cette grande alliance restitue peut-être
également l'ancien réseau de contacts inter-archipels par lequel on
explique actuellement le peuplement de la Polynésie orientale (5).
Taputapuatea fut construit au début du XVIIIe siècle au moment
où les ramages se sont tellement subdivisés et entremêlés (comme
les fibres du tapa) que les lignages dominants cherchent à
réorganiser leurs origines à un niveau temps-espace mythique, ce
qui accroît encore l'imbroglio dans la recherche du réel.
Pour prouver leurs origines à partir du Fenua Nui originel,
c'est-à-dire au niveau généalogique de Havaii (1), les traditions ont
été remodelées pour faire du Taputapuatea de Havaii (1) le marae
tumu {marae-souche) (2).
En conclusion, peu avant la découverte de l'archipel des Iles
de la Société par les Européens, deux ramages principaux, les Teva
et les Pomare se disputaient la suprématie sur le groupe des Iles au
Vent de l'archipel. Ces deux ramages correspondent à deux
réseaux de solidarité généalogique concurrents. Les marae, en
l'occurence
le
marae
Vaiotaha
de
Bora-Bora
et
le
marae
Taputapuatea de Raiatea, apparaissent comme étant des éléments
d'explication, faisant partie intégrante des récits dans lesquels ils
agissent comme concepts à la fois généalogiques et territoriaux. On
ne peut donc admettre qu'ils sont contemporains du premier
peuplement des îles sur la base de ces traditions.
Interprétation des datations au C14.
Un certain nombre de datations
ont
été réalisées
sur
des
échantillons
prélevés sur des sites à marae, tant par l'équipe du
Bishop Museum que par le CNRS et l'ORSTOM. L'ensemble des
résultats tend à démontrer qu'aucune des structures que nous
identifions
1400 AD
actuellement
comme
marae
n'est
antérieure
à
(4).
(4) Certains mythes ou récits laissent entendre que les îles Polynésiennes seraient les
conséquences de l'éclatement, à travers l'immensité de l'Océan, d'un continent primitif dont
tout
serait issu.
(5) Garanger, 1974, p. 12-15. Il est intéressant de comparer le réseau de la grande alliance
de Taputapuatea avec celui constitué par les alliances matrimoniales de Vavau du marae
Vaiotaha de Bora-Bora (T. Salmon,
1951). Les deux réseaux sont très voisins.
(1) Havaii est la terre d'origine des Polynésiens, c'est également le nom cérémoniel et
ancien (?) de Raiatea où se trouve le marae Taputapuatea.
(2) Henry, p. 130. D'après J. Percy Smith, cette grande alliance dura jusqu'aux environs
de 1350 AD. Ceci correspondrait, à peu près, au début de
l'époque des marae construits. Le
milieu du XIVe s. correspondrait donc à une atténuation des réseaux intérinsulaires et à un
début de stabilisation des
populations de la Polynésie Orientale.
(4) Emory et Sinoto, 1964/1965.
J. Garanger, 1969 ; B. Gérard, site TM 4, Gif. 2831 170±80 BP.
Société des Études Océaniennes
1013
Maupiti
Dans les années
1960, un site funéraire fut
découvert
accidentellement dans un îlot de la ceinture corallienne de l'île de
Maupiti (5). Ce site, daté de 860 AD, comportait un ensemble de
vestiges archéologiques (ornements en dent de cachalot, hameçons,
herminettes) caractéristiques des implantations anciennes de
Nouvelle-Zélande. Selon l'équipe du Bishop Museum, cela
confirmait la tradition néo-zélandaise d'une migration venant des
Iles de la Société à l'origine du peuplement de leur île. Le marae
comme structure construite, n'existant pas en Nouvelle-Zélande,
on en conclut qu'il n'existait pas non plus comme tel, aux Iles de la
Société, à l'époque de cette migration (6). Celle-ci eut lieu vers
1150 AD d'après les traditions (7). Ce site fut donc considéré
comme caractérisant, aux Iles de la Société, une époque dite "préMaupiti" (8).
Si aucun site à marae n'a pu être daté antérieurement à
1400 AD, ceci est dû au fait que les marae, aux Iles de la Société,
devaient être, auparavant, semblables aux structures religieuses de
la Nouvelle-Zélande. C'est-à-dire que la place de réunion
("marae"), était distincte du lieu culturel où étaient dressées les
pierres mémoriales ("tuahu"). Aux Iles de la Société, un tel type de
structure n'est plus identifiable sur le terrain et seules les structures
construites plus tardives (celles de la période dite "des marae"), ont
pu être étudiées et datées. Dans cette perspective, le "cap" des
1400 AD représenterait le développement des marae construits
mais n'exclut en rien l'existence de structures plus rudimentaires
auparavant (9). Ceci est d'autant plus probable que le marae
semble être lié à l'organisation sociable de la société tahitienne
ancienne.
signification du marae
apparaîtrait donc comme une constante culturelle
aux Iles de la Société, existant dès les premières implantations
humaines dans cet archipel. Il conviendrait de se demander à quoi
correspond cette permanence, ou plus exactement, quel est le rôle
"sociologique" du marae.
Rôle et
Le
marae
(5) Emory et Sinoto, 1964, 1 et 2.
(6) Groube, 1968.
(7) Cf. à et propos l'ouvrage de Duff, 1956 : p. 12 et 13.
(8) Garanger, 1964.
(9) Garanger, 1964, : p. 258. Cf. Bellwood, 1970, p. 100 à 102. Constatant que les
structures construites, à caractère religieux, sont contemporaines du premier peuplement de
l'Ile de Pâques, que ce type de structure se retrouve avec des divergences mais également des
parentés de forme à travers toute la Polynésie orientale, l'auteur considère que "le marae
comme structure architecturale correspond aux débuts de la préhistoire en Polynésie de
l'Est".
Société des Études Océaniennes
1014
tout
Certains habitants du district ont tendance à appeler marae
lieu où est censé s'exercer une influence "maléfique" ; ce lieu
généralement un endroit très sombre et très empierré, car les
pierres jouent le rôle d'accumulateur de "puissances mauvaises"
(ofa'i ino) ; généralement, cet endroit est considéré comme le lieu
de résidence d'un ou de plusieurs mauvais esprits (tupapau).
La société tahitienne a été trop marquée par l'impact européen
et la conscience missionnaire d'une part, de l'autre,
par un
dépeuplement trop brutal (épidémie de l'entre-deux guerres) et un
bouleversement des situations foncières après 1850, qui n'a cessé de
s'accélérer depuis, pour qu'il soit possible d'obtenir par enquête
est
directe des informations concernant les marae. Généralement les
gens ne savent plus où situer ces structures, et si parfois les papiers
de famille (Buka Tupuna) permettent de connaître le nom d'un
il est presque toujours impossible d'identifier sur le terrain
la structure correspondante. Comme le disait avec amertume un
marae,
Tahitien : "aujourd'hui, Tahiti c'est Gauguin".
Il est cependant possible, par une lecture critique des textes les
plus anciens (1) et en parcourant les dictionnaires (2), de retrouver
certains éléments susceptibles de mieux cerner la réalité des rriarae.
Le marae est tout d'abord la manifestation concrète de la
solidarité sociale exprimée sur le terrain : (a) par la construction
de l'édifice, (b) par la participation (et l'on peut dire, le droit de
participer) aux cérémonies qui s'y déroulent.
La société tahitienne ancienne
comportait sept niveaux
sociologiques correspondant à trois classes à peu près
imperméables :
I. les ari'i maro 'ura, ari'i rahi, ari'i nui.
II. les ari'i ri'i, ari'i.
III. les iatoai, toofa.
IV. les ra'atira.
V. les manahune, mata'eina'a.
VI. les t eut eu, t eut ai.
VII. les titi, taehae, vao, no ho
ou
vao.
:
I. la strate supérieure de la classe des ari'i
(3).
II. la strate inférieure de la classe des ari'i
(3). Ari'i nui et ari'i
(1) Gunson propose le classement suivant des textes les plus connus : textes issus d'une
observation directe et rédigée
par les témoins des faits ; textes rédigés d'après d'autres
documents établis au préalable ; "mémoires" faisant
traditionnel mais
appel à un savoir
impossible de vérifier. N. Gunson, 1963.
(2) Cf. liste des principaux dictionnaires utilisés, en fin de bibliographie.
(3) Handy, 1930, p. 52 ; J. Morrison, 1966, p. 137.
est
Société des Études Océaniennes
qu'il
1015
ri'i constituent le hui ari'i, c'est-à-dire la "famille royale" (4) ou la
classe supérieure de la société tahitienne (5).
III. les nobles (6) ou ceux que l'on disait descendre des
branches cadettes des familles ari'i (7) ; ils constituent la garde du
ari'i (8), forment le corps des guerriers d'élite (9) et fournissent des
sous-chefs, des messagers, des chefs de combat. Les toofa
correspondent au deuxième niveau de la structure sociale après les
ari'i nui et les ari'i (10).
IV. les propriétaires terriens (11) qui tiennent la terre de leurs
ancêtres (12) peuvent également être des chefs secondaires (13). Ils
constituent le hui ra'atira ou classe intermédiaire de la société
tahitienne (14).
V. les gens du peuple (15) qui jouissent également de biens
héréditaires
(16).
VI. les serviteurs
aux
(17), ont une fonction héréditaire réservée
membres des familles vivant à proximité des ari'i (18), ils
appartiennent à une strate inférieure à celle des manahune (19).
VII. les déclassés qui habitent les montagnes (20), les
prisonniers (21), les fugitifs (22), les personnes rejetées et exclues de
tout lien familial (patu hia) (1). Ils constituent à eux tous la classe
des manahune (2). En fait, il faut distinguer :
(1) ceux qui, possédant une terre ou ayant des droits de
résidence leur permettant de participer à la production, participent
de ce fait à la dynamique des réseaux de production-redistribution
(4) Marau, 1971, p. 266.
(5) Ellis, 1972, p. 530 ; Handy, 1930, p. 52.
(6) Marau, 1971, p. 78.
(7) Marau, 1971, p. 85 ; Handy, 1930, p. 102.
(8) Marau, 1971, p. 219.
(9) Adams, 1964, p. 7 ; M. Rodriguez, 1930.
(10) J. Morrison, 1966, p. 137.
(11) Handy, 1930, p. 42 ; Marau, 1971, p. 58.
(12) Ellis, 1972, p. 168-531 ; Handy, 1930, p. 43.
(13) Ellis, 1972, p. 170.
(14) Handy, 1930, p. 52 ; J. Morrison, 1966, p. 137.
(15) Ellis, 1972, p. 530 ; Handy, 1930, p. 42.
(16) Handy, 1930, p. 52 ; Cook, 1778, t. V, p. 302.
(17) Ellis, 1972, p. 547-550 ; J. Morrison, 1966, p. 137.
(18) Handy, 1930.
(19) Cook, 1778, t. V, p. 302.
(20) Marau, 1971, p. 85.
(21) Ellis, 1972, p. 197 ; Handy, 1930, p. 44.
(22) Ellis, 1972, p. 197.
(1) Marau, 1971, p. 62.
(2) J. Morrison, 1966, p. 137 ; Marau, 1971, p. 85.
Société des Études Océaniennes
1016
et appartiennent à une communauté sur la base d'une solidarité de
résidence
(mata'eina'a) ou d'appartenance généalogique Çati) ;
(2) ceux qui sont "hors course" et ne participent à aucun
réseau de production et n'ont plus d'appartenance généalogique.
Cette distinction n'est pas fréquente dans les textes anciens,
car leurs auteurs appartiennent aux classes supérieures de la société
tahitienne et négligent d'apporter des détails sur les classes
inférieures. Cette société était hiérarchiquement organisée selon un
modèle comme un "clan conique endogame" ou ramage (3).
La signification sociologique de ces différents niveaux était la
suivante
:
I. Vari'i nui disposait, au moins théoriquement, d'un pouvoir
culturel et cérémoniel sur l'ensemble de l'île.
II. les ari'i exerçaient un pouvoir culturel, cérémoniel et
politique sur un ou plusieurs districts.
III. les i'atoai ou toofa correspondaient aux branches cadettes
des ari'i, ils pouvaient exercer des pouvoirs politiques et
économiques sur une fraction du district, c'est également à ce
niveau que
se
recrutaient les gens chargés de fonctions
sacerdotales.
IV. les ra'atira correspondaient aux branches cadettes
éloignées de I et II, ce sont de grands propriétaires fonciers, par
droits héréditaires ; ils jouent le rôle de leader économique, au
niveau d'un district ou d'une portion de district.
V. les manahune sont les gens possédant une terre par droit
d'héritage, mais leur pouvoir économique ne s'étend pas au-delà de
leur maisonnée.
VI. les serviteurs sont des manahune
sans
terre.
VII. le niveau
correspond aux déclassés de toutes origines,
prisonniers de guerre ou fugitifs. Ce sont essentiellement eux qui
sont choisis pour être offerts comme victimes humaines sur les
marae, car s'en prendre à eux ne remet en cause aucun réseau de
solidarité à quelque niveau que ce soit.
Au niveau généalogique des ancêtres, les modifications
généalogiques peuvent intervenir d'autorité. Il existait autrefois à
Tahiti des orateurs dont le rôle consistait à conserver de mémoire
les "récitations généalogiques" ; ils étaient également chargés de
réorganiser les généalogies lorsqu'un événement important
nécessitait de justifier une modification importante dans le statut
d'un ari'i. C'est pourquoi, d'un livre à l'autre, les généalogies
varient jusqu'à l'incohérence. Nous ne disposons pas actuellement
(3) M.D. Sahlins : Social Stratification in Polynesia. University of Chicago Press, 1958.
Société des Études Océaniennes
1017
qu'il soit réellement
possible de recouper l'ensemble de l'information. Un certain
nombre de "manipulations" sont donc possibles, mais elles sont
limitées par trois facteurs :
(1) le pouvoir réel exercé par l'an7 sur un ensemble de
districts et sa plus ou moins grande capacité de pouvoir faire appel
à ses alliés. Il s'agit là d'une limitation externe : les autres ari'i
"joueront-ils le jeu" ou non ?
(2) une limite interne dans le propre district de Vari'i : les
d'un nombre suffisant de récitations pour
cadettes suivront-elles leurs
désolidariseront-elles le moment venu ?
branches
"leaders"
ou
s'en
(3) la crédibilité de telles opérations qui doivent être
susceptibles d'être entérinées par tous. Autrement dit, il devait y
avoir des modèles culturels limitant ou favorisant telle
ou
telle
solution, mais il n'est pas possible de les retrouver et d'en délimiter
exactement
l'application.
L'île était théoriquement divisée en
16 districts (mata'eina'a ;
(2) ayant chacun à sa tête un ari'i (3).
Dans chaque district, les terres étaient réparties en :
(a) tufa'a matahiapo ou portion du premier-né, incluant des
droits cérémoniels sur les produits des terres allouées aux branches
cadettes (1), cette portion étant elle-même subdivisée en tufa'a ari'i
ou terres et propriétés relevant directement de la famille de
Y ari'i (1) et tufa'a 'iatoai ou terres relevant directement de l'autorité
va'a mata'eina'a ; fenua)
des cadets de la famille. Ces terres étaient elles-mêmes subdivisées
iatoai ou toofa.
(b) tufa'a ra'atira ou tufa'a fare ri'i ou terres des ra'atira,
incluant des droits cérémoniels sur les terres des manahune (1).
(c) 'iato i tai ou terres des manahune au bord de la mer (1), il
s'agit là d'implantations des pêcheurs, et 'iato i uta ou terres des
manahune à l'intérieur des terres (1).
Cette division correspond :
1
à des terres qui relèvent d'un chef de lignage comprenant
les propres terres du ari'i et celles des branches cadettes
importantes, subdivisées en zones d'activités ou de production sous
l'autorité d'un ra'atira ou iatoai mais qui, dans ce cas, ne possède
pas la terre qu'il administre ;
en
patu (2) sous l'autorité de ra'atira,
-
(2) J. Morrison, 1966, p. 135 ; Handy, 1930, p. 42 ; Ellis, 1972, p. 542.
(3) 8 districts pour Tahiti-nui et 8 pour Taiarapu. En fait, il y en eut 18 dans les temps
anciens, les zones intérieures des vallées de la Papenoo (te piha ia teta) et de la Punaruu
(tetamanu) étaient des districts distincts de la basse vallée et plaine côtière.
(1) Marau, 1971, p. 86 ; Handy, 1930, p. 52.
(2) J. Morrison, p. 135.
Société des Études Océaniennes
1018
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TAPUTAPUATEA
Plate-forme principale du marae
Plate-forme
Principale pierre dressée
Plate-forme d'archer
Organisation schématique des structures à caractère religieux de l'ensemble Taputapuatea d'Opoa.
Société des Études Océaniennes
1019
2
à des terres des ra'atira dont ils organisent eux-mêmes la
production ce qui n'exclut nullement un droit d'usage accordé aux
-
manahune ;
3
-
à des terres
ou
zones
de résidence des manahune qu'ils
exploitent théoriquement pour leur propre compte. Théori¬
quement, les ari'i résidaient sur les promontoires, les ra'atira dans
les baies, et les manahune sur les plages et à l'intérieur des
vallées (3).
Il existait donc hiérarchiquement et "spatialement" trois
secteurs spatio-économiques :
le secteur
spatio-économique ari'i
spatio-économique ra'atira
le secteur spatio-économique manahune.
Les rapports entre ces différents secteurs s'explicitaient par la
dynamique du rahui qui était une prohibition de consommation de
certains produits impliquant ou non la mobilisation de maind'œuvre, en vue de la constitution de surplus de produits naturels
ou fabriqués (tapa par exemple), ou de travaux collectifs
(construction d'un marae, par exemple) (4). Grâce au rahui,
ari'i (5) et ra'atira (6) peuvent prélever pour eux-mêmes une
certaine partie de la production. Une partie de ces surplus, après
prélèvement pour le fare ari'i, est ensuite redistribuée en suivant
l'ordre inverse de celui de leur constitution (7). Ces rahui peuvent
être partiels (8) ou totaux (9).
Décréter un rahui total est économiquement et politiquement
important, car il porte non seulement sur l'ensemble de la
production, mais est étendu à l'ensemble de l'île ; c'est prétendre à
être le leader de l'ensemble de l'île ou exiger dans les faits les
prérogatives d'un ari'i nui, titre perpétuellement disputé. C'est à la
suite d'une rupture de rahui o te ara roa que la famille ari'i de
—
—
le secteur
—
(3) Henry, 1928, p. 403.
(4) Handy, 1930, p. 48 ; Marau, 1971, p. 60.
(5) Marau, 1971, p. 100.
(6) J. Morrison, 1966, p. 137.
(7) Ainsi à l'occasion d'une cérémonie appelée ta'urua ari'i "chaque habitant se tient prêt
tous les jours à une heure donnée, avec un cochon et une certaine quantité de légumes qui
sont apportés au lieu de rendez-vous et là, l'ensemble est divisé en 17 portions (17 districts),
une pour chaque district, remise au chef qui, à son tour, la divise... entre les toofa et les
ra'atira qui répartissent la nourriture parmi la population". J. Morrison, 1966, p. 161.
(8) rahui i'a portant sur les produits de la pêche ; rahui ma'a portant sur les produits
cultivés (tubercules) ; rahuipeho portant sur les produits sauvages (fei, cochon sauvage...) ;
rahui roto i'a portant sur les parcs et les pièges à poissons. Handy, 1930, p. 49.
(9) rahui o te ara roa portant sur l'ensemble des produits de la terre et de la mer, c'était un
pouvait durer plusieurs mois. Handy, 1930, p. 49.
rahui qui
Société des Études Océaniennes
1020
Tautira fut exterminée. La famille de Papara dut sa déchéance au
fait de ne pas avoir respecté les règles du rahui qu'elle avait ellemême promulguées.
Il y a donc deux types de solidarité, l'une qui
s'exerce au nom de l'appartenance généalogique, l'autre au nom de
la résidence (solidarité de production). Le marae était au centre de
dynamique de la structure sociale.
Henry (1) distingue trois classes de marae d'importance
publique :
l'international : un seul marae revêtit une importance
intérinsulaire, ce fut le marae Taputapuatea d'Opoa, dans l'île de
Raiatea ; il était l'expression matérialisée de la solidarité des
familles dri'i de toutes les îles de la Polynésie centrale et l'enjeu de
leurs querelles ;
le national ou marae le plus important d'une île,
expression sur le terrain du pouvoir et des liens de solidarité tirés
cette
—
—
de Vari'i nui ;
le local ou marae de district, expression sur le terrain de la
solidarité de résidence
autour
—
et
—
cinq classes de marae d'importance domestique :
le marae familial ou ancestral, expression de la solidarité
de la maisonnée ;
le marae social ou marae du 'ati, expression de la solidarité
—
généalogique. Il aurait dû être classé entre le marae national et le
marae local, parce qu'il
exprimait un réseau de solidarité
intérinsulaire alors que le marae local ou marae de district ne
concernait que des groupes de résidence spatialement bien
délimités ;
le marae des guérisseurs ;
le marae des constructeurs de pirogues ;
—
—
—
le
marae
des
pêcheurs.
Il existait aussi des
pour tous les autres spécialistes
(tahu'a) : embaumeurs, sorciers, etc... En fait, il eût fallu ranger ces
marae dans une classe à
part, celle des techniques, concernant
l'ensemble de la communauté, puisque tahu'a et dieu du marae
étaient la garantie de la perpétuité du savoir collectif.
La construction d'un marae pouvait être décidée à tous les
niveaux de la structure sociale. Elle était soumise au décret
(rahui)
permettant la constitution d'un surplus destiné à être redistribué
lors de l'inauguration, et la mobilisation de main-d'œuvre en
fonction du pouvoir et du prestige de celui
qui décidait la
construction d'un
marae
marae.
Pour un ari'i nui par exemple, non seulement l'ensemble des
districts participe à la construction du marae, mais
Société des Études Océaniennes
également les
1021
apparentés et les alliés des îles voisines (1).
Le marae local ou marae mata'eina'a ne concerne que les va'a
mata'eina'a ou habitants du district ; lors de l'inauguration, les ari'i
des districts alliés sont invités ainsi que
concerné (2).
Yari'i du district
Le marae familial ou marae tupuna n'intéresse que la famille :
il "était érigé sur chacun des terrains appartenant à une personne
ou à une famille" (3).
Le marae social ou marae du 'ati était construit par l'ensemble
des résidents appartenant à un même 'ati "les étrangers venant
d'autres régions étaient cordialement reçus au marae s'ils
appartenaient à la même dénomination que le clan chez qui il se
présentait" (4).
Ainsi donc, les forces mises en œuvre pour l'érection d'un
marae correspondent aux différents niveaux de la structure sociale.
Et ceci est également vrai pour l'entretien des marae. Le marae est
une construction fragile : tant que les groupes de solidarité
demeurent cohérents, le marae est entretenu à l'occasion de
différentes cérémonies. Si ce groupe de solidarité se disloque, le
marae
retombe de lui-même à l'état de ruine : le marae est une
mobile. Au moins une fois l'an, avait lieu une
structure vivante et
cérémonie de nettoyage et
de reconstruction du marae (vaere
marae) ; pour des raisons diverses (qu'aucun texte n'explique) les
murs (ou toute autre partie du marae) pouvaient être déplacés (5) ;
un marae détruit (taihitumu) (6) devait être reconsacré (faoafaatu,
tapurehu, raumatavehi) (7), ou un nouveau marae pouvait être
construit devant un ancien (ahutapae) (8), ou l'ensemble de la
structure être déplacée : une pierre était alors prise sur un marae
d'origine (marae tumu), à partir de laquelle un nouveau marae
était construit en un autre lieu où il n'en existait pas auparavant
(ahu papaa) (9). Les pierres dressées à signification généalogique
étaient enlevées du marae lorsque la branche concernée décidait de
construire à proximité, ou ailleurs, son propre marae. Cela
signifiait la perte des droits à la terre et le départ d'un nouveau opu
(1) Henry, 1968, p. 145.
(2) Henry, 1968, p. 145-146.
(3) Henry, 1968, p. 148.
(4) Henry, 1968, p. 152.
(5) Lescure, 1944 ; Davies, 1851.
(6) Davies, 1851.
(7) Davies, 1851.
(8) Lescure, 1944 ; Davies, 1851.
(9) Davies, 1851.
Société des Études Océaniennes
1022
ou nouveau
et du
lignage, distinct du précédent au niveau de la résidence
type de solidarité qui en découle, mais gardant ses droits à
assister aux cérémonies
Mais si le
marae
sur
le
marae
du 'ati.
doit être considéré
comme
une
structure
vivante qui vit et meurt avec la communauté qui l'a construit, le
dieu auquel il était consacré était également "mobile". Un
quelconque revers pouvait lui être imputé, il était alors injurié et
chassé du marae (po ara'a tu i te atua) (1) et remplacé par un autre
susceptible d'être plus conciliant.
Il apparaît à l'analyse que le marae est l'expression sur le
terrain des différents types de solidarité des groupes humains entre
eux à tous les niveaux de la structure sociale, mais le marae est
aussi l'expression de la solidarité entre les groupes humains et la
terre sur laquelle ils vivent (marae mata'eina'a et marae tupuna),
ainsi que celle dont ils sont issus (marae 'ati). Le marae
"représentait plus que toute autre chose la famille. Le dieu était une
question secondaire et même le droit au sacrifice humain n'avait
que peu à faire avec le rang du marae... la position sociale d'un
homme dépendait du fait d'avoir une pierre sur laquelle il pouvait
s'asseoir dans l'enceinte du marae" (2). Le marae était un endroit
sacré, un temple, "c'est aussi un témoignage du rang et des titres de
propriété dans nos îles... Ta généalogie qui est ton droit à ta place
sacrée sur ton marae" (3). L'ensemble de ces affirmations et
d'autres témoignages démontrent qu'il existait une relation étroite
entre généalogie, marae et droits à la terre (4).
Pour être reconnue comme propriétaire d'une terre, toute
personne devait pouvoir prouver qu'il existait entre elle et le (les)
marae auquel était rattachée (s) la (les) terre
(s) revendiquée (s), un
lieu généalogique étroit. Nombre de terres étant encore actuel¬
lement indivises, toute information relative aux marae est très
difficile à obtenir. Presque tous les propriétaires tiennent leurs
généalogies et le nom de marae secrets afin d'empêcher toute
contestation de leurs titres de propriété par quelqu'un qui se
découvrirait tout à coup comme ayant-droit. Certaines pierres
dressées sur le marae jouaient ce rôle de témoins des titres de
(1) Henry, 1968, p. 186.
(2) Adams, 1964, p. 13.
(3) Marau, 1971, p. 46.
(4) La notion de droit sur la terre est comprise, ici, dans un sens global, mais ne
correspond pas exactement à la notion de droit "polynésienne". Il existait un droit en titre,
différent du droit d'usage, différent lui-même des droits cérémoniels, nous
supposons ici
droit en titre et droit d'usage confondus. Ces notions de droit sont
développées dans
"tradition et modernisme aux lies de la Société". Thèse de Doctorat d'État en
préparation,
Cl. Robineau.
Société des Études Océaniennes
1023
propriété, la garantie étant la récitation généalogique.
"Ceux qui quittaient la propriété qu'ils habitaient emportaient
une pierre de leur marae, qui servait de pierre de fondation pour le
nouveau marae à construire. Avec la pierre de l'ancien marae
disparaissent aussi les titres héréditaires qui appartenaient à
l'ancien propriétaire, et les nouveaux possesseurs du marae
n'avaient plus aucun droit sur ces titres" (5).
On peut se demander quel était le type d'articulation entre
ratfrae-niveaux de la structure sociale d'une part, et marae-terres
d'autre part.
Marae et niveaux de la structure sociale
Existait-il
différent pour
chaque niveau de la
"technique", ou un
marae pouvait-il jouer à la fois le rôle de marae de district, marae
familial, marae de guérisseur ? On ne dispose pas d'éléments pour
répondre exactement à cette question, par contre on sait qu'il
existait différents types de groupements. Un marae peut être isolé à
l'intérieur d'une vallée par exemple, ou plusieurs marae peuvent
être groupés ensemble de façon à former un ensemble de structures
distinctes, ou de façon à former une seule structure complexe.
Prenons le cas de l'ensemble des marae situés à Opoa, Raiatea,
parmi lesquels se trouve le marae Taputapuatea.
Qui était le marae international d'où serait issu l'ensemble des
marae des Iles de la Société (6) ? L'ensemble de la pointe était sacré
et appelé Te Po (les ténèbres) ; sur cet espace cérémoniel, se
trouvent trois marae : le plus important, Taputapuatea était le
marae du dieu Oro ("le grand marae international") (7) ; le marae
Hauviri ou Huairi ou Taura'a a tapu était le marae familial des
Tamatoa ou famille ari'i d'Opoa, c'était également le marae
un
marae
structure sociale ainsi qu'un marae pour chaque
d'accueil des sacrifices humains venus de l'extérieur : dans la cour,
se trouve une immense pierre dressée appelée te papatea o ruea ou
te papa tea ia ru'ea ou te papa o na maha qui était la pierre
d'investiture de la famille ari'i d'Opoa. Ce marae joue donc à la fois
le rôle de marae familial, marae ari'i (local), et marae de 'ati (social,
accueil des gens de l'extérieur) ; enfin, le marae Hiti tae qui était dit
être un marae pour rahui maa (rahui sur la nourriture), c'est-à-dire
marae de district, était également le marae des ari'i rahu matatoru
de Huahine et Tiri de Bora-Bora ; la pierre dressée dans la cour
serait ofa'i tapu taata ou pierre des sacrifices humains ce qui paraît
(5) Henry, 1968, p. 149.
(6) Ceci a été discuté précédemment à propos de 1' "origine des marae".
(7) Henry, 1968, p. 126.
Société des Études Océaniennes
1024
douteux ou plutôt une version moderne des choses (1). Il y a donc
sur un même
espace cérémoniel trois marae ayant des fonctions
cérémonielles distinctes et jouant le rôle de l'ensemble des marae
(social, local, familial et spécialisé). Quant aux marae groupés en
une seule cour ou une seule
enceinte, nous n'en trouvons pas
d'exemples dans les textes, mais nous savons qu'aux Tuamotu,
certains marae avaient deux ou trois cours, l'une jouait le rôle de
marae ari'i et de district
(fanui) (2), et l'autre étant réservée aux
anciens c'est-à-dire jouant le rôle de marae familial et de 'ati (te
raga tai, te tohitika) (3). Autrement dit, l'ensemble du marae
pouvait être divisé en différentes sections pour des usages précis.
Aux Iles de la Société, aux marae les plus importants sont
souvent associées des structures plus
petites adjacentes ou
périphériques ayant sans doute un rôle spécialisé. C'est géné¬
ralement sur ces structures (plates-formes avec ou sans
pierre
dressée) que l'on trouve les tiki ou pierres grossièrement sculptées
de façon anthropomorphe.
On peut se demander, au sujet de la relation marae-itnt, s'il
y
avait autant de marae que de terres ou de familles. Si la question
doit être résolue par l'affirmative, comme on le croit encore à
Tahiti, les marae auraient dû être innombrables ; à chaque
génération aurait dû correspondre une multiplication du nombre
des marae. De plus, certains marae ont été construits ou dédoublés
pour les descendants directs des grandes familles ari'i : le marae de
Mahaiatea fut érigé en l'honneur du fils d'Amo et Purea, ari'i de
Papara ; le marae Nuurua à Moorea fut dédoublé pour éviter des
conflits entre branches collatérales, en "nuurua l'aîné", et "nuurua
le cadet". "Il n'existait qu'un marae sur
lequel, de par la loi du
premier Maraea, ne pouvait prendre place qu'un aîné. L'autre fut
donné par Tefao pour son frère afin qu'une lignée
ne supplantât
pas l'autre" (1).
Les résultats archéologiques, bien que partiels, montrent
que
si les marae étaient relativement nombreux dans les vallées
aujourd'hui inhabitées, ils sont cependant bien inférieurs en
nombre à celui des terres recensées (2). Deux raisons
peuvent
(1) D'après Emory, 1933, p. 145-150 ; Handy, 1930, p. 84-91 ; Henry, 1968, p. 126-135, et
sur place M. Hiro.
(2) Cour principale du marae. Napuka. Emory, 1947, p. 43.
vérification de l'information
(3) Cour secondaire du
marae
Napuka. Emory, 1947, p. 43.
réservée
aux
anciens.
Tepoto. Emory, 1947,
p.
47 ;
(1) Marau, 1971, p. 233.
(2) Ceci semble vrai dans la plupart des vallées de Tahiti, mais à Moorea dans la vallée
d'Afareaitu, plus d'une cinquantaine de petites structures comportant trois pierres dressées
associées ont été recensées, auxquelles il faut
ajouter au moins quatre ensembles cérémoniels
importants.
Société des Études Océaniennes
1025
expliquer ceci :
(1) une pression démographique importante : la plupart des
terres
demeuraient indivises ;
(2) l'érection d'un marae n'était nécessaire que lorsque l'on
prenait possession d'une terre nouvelle ou lorsque l'on voulait se
démarquer de l'ensemble familial auquel on appartenait, montrant
par là que l'on se séparait des autres apparentés en isolant son
propre lignage de celui du 'ati principal ; ceci était une façon de
démontrer sa puissance et sa volonté de pouvoir, et impliquait une
modification de statut : Amo et Purea, ari'i de Papara, érigèrent le
marae de Mahaiatea pour instaurer l'hégémonie de Papara à partir
de leurs fils aîné Teriirere ; les Pomare firent construire le marae
Taputapuatea à Pare-Arue pour marquer leur droit à porter le
maro'ura (ceinture de plumes rouges) dont le port était, avec le
maro tea (ceinture de plumes blanches ou jaunes) cf. note (2), p. 6,
l'apanage des familles les plus importantes de l'archipel. Dans les
deux cas, cela impliquait une modification importante de statut.
Une étude partielle, réalisée avec l'aide de Madame Flora
Devatine, sur la relation marae-terre dans le district de Papeari
montre que l'association directe 'ati-marae-terre pour être
fréquente n'en est pas pour autant générale. Certaines terres
pouvaient relever de plusieurs marae différents appartenant à des
'ati différents. Certains marae, appartenant à un même 'ati ou à des
'ati différents, pouvaient ne justifier de droits que sur une seule
terre.
En conclusion, le rôle du marae pourrait être double : au
niveau du discours, il devient un concept exprimant la profondeur
généalogique, le statut social : au niveau de la structure lithique,
outre son rôle d'espace sacralisé, il joue un rôle socio-économique
exprimant la solidarité sociale, périodiquement traduite dans les
faits. Le marae, structure construite, naît, vit et meurt avec le
groupe qui l'a édifié, entretenu, abandonné.
B. Gérard-o7?sroa/
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juin 47 : 303-307 ; n° 80, sept. 47 : 356-360 ; n° 84, sept. 48 : 503-505 ;
n° 97, déc. 51 : 331-345 ; n° 103, juin 53 : 82-83.
lescure
coutumes
Société des Études Océaniennes
1028
La mise
en
place de l'ordre missionnaire à Tahiti
Quelques décennies après les voyages des "découvreurs" en
Polynésie, notamment ceux de Cook qui leur ouvrent la voie, les
premiers missionnaires protestants débarquent à Tahiti. Ils sauront
utiliser l'appui des chefs en place pour étendre le christianisme et
imposer un nouveau mode de vie et une nouvelle morale, en
particulier à travers le Code Pomaré qu'ils élaboreront avec le roi
et qui fixera les
principaux thèmes de la mutation. Ces chan¬
gements donneront lieu à des phénomènes de refus qui s'étendront
rapidement.
En 1774, des missionnaires catholiques espagnols
envoyés par
le vice-roi du Pérou, qui avait eu vent de la découverte des
îles,
s'étaient établis à Tautira. Leur séjour ne dura qu'un an et fut un
échec total sur le plan religieux. En raison de leur
manque de sens
d'adaptation au pays et à ses habitants, ils n'eurent aucun succès
auprès des insulaires qui les avaient pourtant accueillis assez
favorablement au début et ils réembarquèrent définitivement
en
1775.
La véritable mutation culturelle commence avec l'arrivée du
"Duff", le 4 mars 1797 à Tahiti, avec à son bord les premiers
pasteurs protestants envoyés par la Société Missionnaire de
Londres. On peut dire que c'est là le point de départ de l'histoire
moderne de Tahiti.
Les missionnaires anglais furent accueillis par
Pomare I qui
leur donna une maison et leur céda le district de Matavai, voisin du
sien.
Moerenhout commente les faits, quelques dizaines d'années
plus tard : "Quand les missionnaires arrivèrent, il (Pomare I) ne
négligea rien pour les bien recevoir, espérant d'un si grand nombre
d'étrangers un secours considérable, car il est démontré
aujourd'hui que ni lui, ni son fils, ni les insulaires n'avaient la
moindre idée du vrai but de cette visite. Ils comprenaient bien
que
les missionnaires étaient des prêtres mais les
prêtes d'Otaiti se
Société des Études Océaniennes
1029
battaient comme les autres citoyens ; et même dans leur
capacité de
favoris des dieux, ils contribuaient le
plus au succès des
batailles" (1).
Le Roi Pomare espérait donc bénéficier de l'aide et
de
l'assistance des missionnaires, voire du soutien de
l'Angleterre,
dans l'extension de son pouvoir et de sa richesse. Les missionnaires
profitèrent de ses illusions mais ne s'y trompèrent pas : "Quels que
puissent être les avantages que le roi ou les chefs espéraient retirer
de l'installation des missionnaires dans
l'île, il n'y entrait aucun
désir de recevoir ni enseignement ni instruction
religieuse. Le
sentiment se manifesta clairement dans un discours
prononcé par
Haamanemane qui déclara "les missionnaires donnent au
peuple
beaucoup de parau, de paroles et de prières, mais bien peu de
couteaux, de haches, de ciseaux ou de tissu". Nous ne manquâmes
pas, par la suite, d'en donner davantage. Le désir de posséder ces
biens et de recevoir l'aide des Européens en toutes circonstances et
particulier au cours de leurs guerres, était probablement le motif
qui influençait le plus fortement les indigènes" (2).
en
A leur arrivée, les missionnaires voient la
civilisation
tahitienne d'un œil tout à fait différent de celui de
Bougainville. Ce
sont des hommes
d'origine modeste, mais surtout ils sont
imprégnés des idées puritaines des protestants du XIXe siècle : "ils
se caractérisaient
par la rigidité de leurs principes, leur sincère
piété, leur ardente dévotion, leur acceptation sans plainte des
privations difficilement compréhensibles à ceux qui sont toujours
restés chez eux ou n'ont visité que des parties civilisées de
l'Univers,
par une inlassable persévérance, par des tâches accomplies dans les
circonstances les plus déprimantes et par une vie
quotidienne
digne, remplie d'efforts incessants" (1). Moerenhout qui les visitera
plus tard reconnaîtra leurs qualités mais critiquera leur
rigorisme (2).
Les principes puritains de la vieille
Europe sont à l'opposé des
conceptions tahitiennes. Dans la douceur et la sagesse de la vie
tahitienne chantées par Commerson, les missionnaires voient la
décadence complète d'une société qui, d'après
eux, ne peut être
sauvée que par la Bible, le travail et le sacrifice. A leurs
yeux, le
sens moral des Tahitiens "était affreusement
obscurci, et malgré
l'apparente douceur de leurs dispositions et la vive gaieté de leur
(1) J. Moerenhout, 1959, T. II, p. 426.
(2) W. Ellis, 1972, T. I, p. 259.
(1) W. Ellis, 1972, T. I, p. 352.
(2) J. Moerenhout, 1959, T. I, p. 243.
Société des Études Océaniennes
1030
conversation, aucun humain n'était tombé aussi bas que ce peuple
dans
la pire des
licences et la plus bestiale des
dégradations" (3). Il est donc urgent de répandre parmi eux "les
bienfaits et les agréments" de la civilisation européenne (4). Pour
sauver ce peuple qui traverse une période "d'humiliation, de
ténèbres et de ruine"
il est vrai que guerres et épidémies ont déjà
fait des ravages - il ne s'agit rien moins que de livrer une lutte entre
"la lumière et les ténèbres, la vérité et l'erreur, l'ordre et l'anarchie,
la bonté et la sauvagerie" (1). D'ailleurs seule la religion chrétienne
pourra éviter au peuple tahitien l'anéantissement, et après quelques
années d'apostolat missionnaire Ellis se réjouira en ces termes :
"S'il y a 16 ans cette race semblait être à deux doigts de son
extinction, elle est maintenant en voie de progression rapide, grâce
aux principes vivifiants de la vraie religion et de la morale qui lui
est intimement liée" (2). Mais n'anticipons pas.
isolé
-
Après s'être initiés à la langue, les missionnaires présentent
leur mission devant le roi Pomare : "ils affirmèrent sans ambage ce
qui les avait poussés à venir résider parmi eux, à savoir : leur
enseigner des métiers utiles, leur apprendre à lire et à écrire, leur
faire connaître enfin le seul vrai Dieu et le chemin du Bonheur dans
l'autre monde". La première chose qu'ils sollicitent du souverain
est
la suppression de l'infanticide et des sacrifices humains, ce que
Pomare promet,
mais en vain (3).
se mettent au travail et impressionnent les
indigènes par les nouvelles techniques qu'ils commencent à leur
enseigner : la menuiserie, la forge, etc... : "leur connaissance des
divers métiers les plus utiles fit non seulement le bonheur des
indigènes, mais éleva les missionnaires dans leur estime et les incita
à rechercher leur amitié" (4).
Les missionnaires
De plus la mission possède un magasin bien fourni en objets
Pomare n'hésite pas à s'approvisionner.
Cependant cela ne lui suffit pas et il essaie d'obtenir une aide des
missionnaires dans sa lutte contre les gens de Pare, révoltés. Les
Pasteurs soutiennent Pomare mais refusent de faire la guerre (5).
de fer et en armes auquel
En revanche, en ce qui concerne leurs
(3) W. Ellis, 1972, T. I, p. 83.
(4) W. Ellis, 1972, T. 1, p. 264.
(1) W. Ellis, 1972, T. I, p. 346 et p. 318.
(2) W. Ellis, 1972, T. I, p. 89.
(3) W. Ellis, 1972, T. 1, p. 265.
(4) W. Ellis, 1972, T. 1, p. 260-261.
(5) W. Ellis, 1972, T. 1, p. 270.
Société des Études Océaniennes
prédications, les
1031
missionnaires remportent encore peu de succès : "les
premiers
prédicants de Tahiti étaient souvent dérangés par les indigènes qui
amenaient leurs chiens, et les incitaient à se battre en dehors du
cercle où ils prêchaient. D'autres
apportaient leurs coqs de combat
et les excitaient les uns contre les autres
pour amuser l'assistance
qui, attirée par le spectacle, abandonnait immédiatement
l'instruction des missionnaires pour regarder les volatiles ou les
chiens. A l'occasion, pendant qu'ils prêchaient,
plusieurs Arioi ou
comédiens ambulants, de passage dans le
village, commençaient à
jouer leur pantomime ou à danser ; ils avaient tôt fait d'attirer à
eux tous les auditeurs. Ceux
qui n'avaient entouré le missionnaire
que dans le seul but de l'insulter ou de le ridiculiser par des
grossiers mots d'esprit formaient immédiatement un cercle autour
des Arioi et prenaient le plus vif intérêt à
contempler leurs folles et
vicieuses exhibitions. Constater ainsi la mortelle indifférence des
indigènes devant les importantes vérités qu'ils leur apportaient,
chagrinait vivement les missionnaires" (1).
Dans les
districts, les gens n'ont d'autre réponse aux
missionnaires que "nous ne voulons écouter que nos propres
dieux" et déclarent qu'ils se convertiraient si le Roi et les chefs le
faisaient.
L'attitude de Pomare est bienveillante pour les missionnaires,
mais il refuse le catégorisme de leur religion : "si les missionnaires
avaient admis que les droits d'Oro et de Tane soient reconnus
comme égaux à ceux qu'ils
réclamaient pour Jehovah ou pour
Jésus-Christ, Pomare aurait volontiers admis le dieu des chrétiens.
Mais lui demander de renier son attachement aux dieux de
ancêtres et de reconnaître Jehovah comme le seul vrai
ses
Dieu, cela il
s'y refusait absolument" (2).
Pour compléter cette situation peu
favorable, les mission¬
naires ne tardent pas à être accusés des souffrances et des désastres
du peuple. Pour certains indigènes, les maladies et la mort sont les
manifestations de colère et les châtiments des dieux offensés. Pour
d'autres, "leurs maladies étaient envoyées par le dieu des
missionnaires en réponse à leurs prières parce qu'ils ne voulaient
pas rejeter Oro et se joindre à leur culte" (1).
C'est l'infidélité
dieux qui provoque les calamités. Si
quelques insulaires sont attirés un moment par la nouvelle religion,
ils craignent que leurs dieux ne les détruisent s'ils prient celui des
aux
(1) W. Ellis, 1972, T. I, p. 286.
(2) W. Ellis, 1972, T. I, p. 289.
(1) W. Ellis, 1972, T. I, p. 286.
Société des Études Océaniennes
1032
missionnaires. Sur ce, survient la mort du roi Pomare I qui est
aussitôt attribuée à la vengeance d'Oro (2).
Ces réactions montrent que dans l'esprit des insulaires, il
existait un équilibre cosmique et social commandé par le respect
des dieux qui s'imposait à tous les ordres sociaux y compris à
l'Ari'i. La réaction du peuple devant la conversion de Pomare II et
sa crainte des foudres divines en réponse à la traitrise de l'Ari'i en
seront encore la démonstration.
En outre, d'après la cheffesse Arii Taimai, les protestants
jouissaient de peu de considération parmi la population : "Les
indigènes considéraient les missionnaires comme des espèces
d'enfants ou d'idiots, incapables de comprendre les faits les plus
simples de la politique ou des mœurs de l'île, et qui ne servaient que
d'instruments inconscients à la famille de Tu" (3).
Pourtant les missionnaires
ne
tardent pas à comprendre que
d'après le principe fortement hiérarchisé de la société, toute
modification apportée aux croyances ne peut que passer d'abord
par l'Ari'i, à la fois source de pouvoir et de religion. Leur unique
chance de réussir implique donc la conversion des chefs, et en
l'occurence celle du jeune Pomare II, qui n'y semble pas du tout
disposé.
Les événements qui suivent paraissent leur être défavorables à
première vue, mais vont finalement les rapprocher de Pomare II
dont la conversion sera le point de départ de l'extention du
christianisme.
En effet, les abus de pouvoir et la tyrannie du nouveau roi de
Pare conduisent les chefs à prendre les armes contre lui. Pomare II,
vaincu, est contraint de s'enfuir à Eimeo, suivi de près des
missionnaires qui ne peuvent subsister sans son aide, et laissent
derrière eux Tahiti "en proie au démon et soumise à la loi de
l'ignorance, de la barbarie et du paganisme" (1). C'est à Eimeo que
tout va se jouer.
Pomare II, abandonné de tous, qui vit de mendicité auprès des
missionnaires et des navires européens, manifeste un intérêt aussi
soudain qu'inconditionnel pour la nouvelle religion et demande le
baptême en assurant aux missionnaires, surpris et sceptiques (2),
que sa résolution de se donner à Dieu est "le résultat d'une longue
(2) W. Ellis, 1972, T. I, p. 290.
(3) H. Adams, 1964, p. 101.
(1) W. Ellis, 1972, T. I, p. 295 à 298.
(2) H. Adams, 1964, p. 119.
Société des Études Océaniennes
1033
et
grandissante conviction en la vérité et en l'excellence de la
religion enseignée par la Bible", et il exprime le désir de recevoir
une
instruction plus complète sur tout ce
qui touche au
christianisme (3).
Pomare pense en effet que sa seule chance d'être restauré sur
trône réside dans sa conversion
qui lui apportera l'aide des
missionnaires d'une part, de leur dieu,
qui semble être plus fort que
ses propres
dieux, d'autre part : "quand ses différents efforts pour
rentrer dans Otaiti eurent tous
échoué, quand il n'attendit plus rien
de lui-même ni des dieux, cherchant des
consolations il se mit à
écouter plus attentivement les missionnaires
son
qui lui promettaient le
d'un Dieu plus puissant, s'il voulait
pour le servir, abjurer
les siens" (1).
secours
Et de fait, les missionnaires voient les choses
différemment
après la conversion du roi. Il ne s'agit plus de guerres d'intérêt mais
de croisade contre le
paganisme. D'après Ellis, optimiste sur les
intentions de Pomare et de ses amis, tous les
convertis, y compris
Pomare, "étaient convaincus que le temps était arrivé où leur foi et
leurs principes allaient pouvoir
s'imposer au criminel et mensonger
système païen dont ils avaient été si longtemps les esclaves" (2). De
plus, les pasteurs apportent d'autant plus volontiers leur soutien à
Pomare que leur sort paraît depuis le début lié à celui du roi :
"une
circonstance singulière, c'est qu'ils avaient en
quelque sorte
toujours partagé le sort de Pomare dans Otaiti. Établis, protégés
quand il y était puissant, errants et abandonnés quand il en fut
chassé, son sort semblait décider du leur, et leurs espérances
pour
l'avenir tombaient avec son pouvoir"
(3).
Les missionnaires entrainent alors les convertis
à
armes
et
l'usage des
même, d'après Arii Taimai, maintiennent avec Pomare
leurs forces et leurs armes sous couvert de services
religieux (4).
exilé, avec quelques uns de ses alliés de Raiatea et de
Bora Bora, se trouve bientôt
prêt à affronter à nouveau les chefs
"païens" de Tahiti. La victoire qu'il remporte à cette guerre le
Le rpi
restaure
sur
son
trône.
Les gens de Tahiti et de Moorea redoutent les
représailles des
dieux en réponse au revirement
religieux de Pomare, mais celui-ci,
après la victoire qu'il remporte à Tahiti, s'abstient du massacre
(3) W. Ellis, 1972, T. I, p. 302-303.
(1) J. Moerenhout, 1959, T. II, p. 454.
(2) W. Ellis, 1972, T. I, p. 329.
(3) J. Moerenhout, 1959, T. II, p. 452.
(4) H. Adams, 1964, p. 122.
Société des Études Océaniennes
1034
traditionnel des vaincus ou du ravage de leurs biens, ce qui entraîne
la soumission presque immédiate du peuple étonné devant le
changement d'attitude de ce Roi, autrefois despote et cruel, qui les
terrifiait. D'ailleurs les missionnaires eux-mêmes ne se tenaient-ils
pas à l'écart des autres chefs de crainte d'offenser Pomare dont ils
craignaient la colère ? (1).
Le
peuple se convertit en masse à Tahiti.
La victoire remportée par les guerriers chrétiens montre aux
"païens" que leurs dieux ne sont plus avec eux (2). Ils vont donc
ce nouveau dieu,
plus fort et plus efficace que les leurs
puisqu'il a fait triompher le Roi. Mais pour les insulaires, changer
de religion consiste seulement à "aller vers une autre divinité,
meilleure et plus puissante" (3).
vers
D'ailleurs, les missionnaires ne tarderont pas à utiliser le
modèle de croyance traditionnel en expliquant les événements
heureux ou malheureux comme des récompenses ou des punitions
envoyées par le vrai Dieu, tout en essayant de démontrer
l'impuissance des anciennes idoles (4).
Peu après Pomare, les missionnaires reviennent à Tahiti où
enfin ils peuvent commencer à instaurer un "ordre nouveau" qui,
d'après
eux, peut
seul sauver ce peuple de la décadence où il
s'enlise.
Leur
sacrifices
premier souci est de faire effectivement supprimer les
humains et
l'infanticide ; ils proposent même
généreusement de créer une maison pour recevoir les enfants dont
les familles veulent
se
débarrasser.
Les missionnaires s'attaquent ensuite à la transformation de la
famille : "le paganisme avait recouvert de son influence
desséchante et mortelle non seulement chaque instant de leur
existence terrestre, mais tous leurs champs d'activités, détruisant,
par ses exigences avilissantes et anti-sociales, tout sentiment délicat
et toute joie des rapports familiaux"
(1). La situation des femmes
améliorée, les interdits portant sur la condition féminine sont
abolis en 1815 et les femmes peuvent prendre leur nourriture en
compagnie de leur mari et se rendre aux cérémonies religieuses où
elles viennent, en effet, et peut-être
par réaction aux anciens
interdits, très nombreuses.
est
(1) H. Adams, 1964, p. 112-113.
(2) V. Segalen, 1970, p. 148.
(3) J. Moerenhout, 1959, T. I, p. 470-471.
(4) W. Ellis, 1972, T. I, p. 302 et p. 316.
(I) W. Ellis, 1972, T. I, p. 317.
Société des Études Océaniennes
1035
Pensant rendre plus saine la vie
familiale, les pasteurs
dessinent un nouveau plan pour les
maisons, qui prévoit une
séparation nette des pièces afin d'éviter toute promiscuité
malsaine : "il est inutile d'insister sur l'état moral
qu'engendrait une
promiscuité et pourtant tels étaient les usages en cours chez
beaucoup de gens même après avoir renoncé au paganisme" (2).
telle
Puis, pour tenter de faciliter l'encadrement religieux, les
missionnaires vont regrouper l'habitat, traditionnellement
dispersé, en villages et dans un souci d'ordre tout britannique, ils
essaient de faire aligner les maisons et tracer des rues droites. C'est
l'origine des villages groupés que l'on peut encore voir dans les îles
de la Société. Cette mesure a de
graves répercussions sur la
cohésion familiale. Moerenhout les a, mieux
que quiconque,
analysées : "Quel a été le véritable résultat de ces mesures ? ça a été
d'éloigner comme aujourd'hui à Raiatea, les parents de leurs
enfants, les serviteurs de leurs maîtres ; de tout isoler, de tout
séparer ; et, par là, de diminuer les affections et de rendre ces gens
vraiment malheureux sous prétexte de leur donner de
l'instruction.
A Raiatea je trouvai, comme
je l'ai dit, l'école bien suivie ; mais
ensuite, dans les maisons, je ne vis aussi plus que des enfants ; et
j'appris alors que la plupart des familles ayant à aller chercher leurs
fruits et leurs autres aliments à de
grandes distances, où étaient
leurs terres, les parents et autres adultes
partaient le lundi, laissant
à leurs enfants des provisions
pour la semaine, revenaient le
vendredi soir ou le samedi matin ; cuisaient alors la nourriture
pour le lendemain où il n'est pas permis de travailler ; assistaient
aux offices divins le
dimanche, et repartaient le lundi. Qu'on juge
combien une pareille gêne doit causer de
mécontentement. Je
pense, de plus, que les mœurs ne gagnent pas
beaucoup à ces
mesures. Quel abus en effet ! laisser toute cette
jeunesse seule et
souvent les femmes
séparées de leurs maris pendant plusieurs jours
ou sous la direction du
missionnaire, qui ne peut guère les
surveiller de près, surtout la nuit et dans leurs demeures ! De l'autre
côté, ceux qui vont à la provision, là toujours seuls, et hors de toute
surveillance ! il est connu qu'il se passe des choses
pas
qui n'auraient
lieu si ces jeunes gens restaient en famille" (1).
La famille traditionnelle
commence
donc à se
disloquer et
elle, tombe l'autorité parentale et maritale.
L'effet recherché par les missionnaires n'est
pas toujours
obtenu et les jeunes, notamment, libérés du cadre familial et
de
avec
(2) W. Ellis, 1972, T. I, p. 428-429.
(1) J. Moerenhout, 1959, T. I, p. 352-353.
Société des Études Océaniennes
1036
l'autorité parentale, se livrent à une corruption grandissante
(1).
Dans le domaine des activités quotidiennes, le travail et
l'effort font, pour les missionnaires, partie du salut : "l'oisiveté est
la source des vices" (2), dit Ellis. Aussi, s'emploient-ils à
occuper les
indigènes et à les laisser le moins possible livrés à eux-mêmes.
D'abord, ils multiplient les réunions religieuses ; puis les
épouses des missionnaires initient les femmes à la couture. Celles-ci
apprennent à confectionner des robes amples de style européen,
destinées à remplacer le pareo trop moulant et indécent aux
yeux
des puritains. La technique de tressage est
utilisée pour confec¬
tionner les chapeaux qui remplacent à l'office les couronnes de
fleurs considérées comme reliquat du paganisme :
"depuis
l'introduction du christianisme, l'usage de se mettre des fleurs dans
les cheveux, ainsi que celui d'employer de l'huile
parfumée, tend à
disparaître, en partie à cause de leur lien avec les pratiques
dépravées de jadis et en partie à cause de l'introduction des
chapeaux européens et de bonnets que maintenant tout le monde
porte" (3).
Mais le travail n'est-il pas source de bonheur ? :
"lorsque nous
indigènes travaillant à des ouvrages de
couture, ou tressant des bonnets de paille, nous avons estimé que
de telles occupations étaient bien plus
aptes à leur apporter le
avons
vu
les femmes
bonheur que de les abondonner à la
paresse et à leurs anciens
passe-temps, si peu profitables et si souvent mauvais" (1).
Des écoles sont créées pour occuper les
jeunes. Un peu
partout, femmes et filles d'une part, hommes et garçons d'autre
part, s'initient à l'écriture et à la lecture destinées à l'étude de la
Bible (2). Des "écoles du dimanche", ancêtres des
ha'apira'a tapati
actuelles, réunissent les enfants plusieurs fois par semaine, de
même que les "maisons de réunions" fare
putuputura'a, qui
rassemblent les adultes, se construisent près des
temples qui se
multiplient. Les missionnaires savent d'ailleurs utiliser les
groupements de travail traditionnels pour l'édification des
bâtiments religieux (3). Pomare fait, à cette
époque, construire une
chapelle royale à la mesure de son prestige, expliquant aux
missionnaires que les marae anciens étaient
imposants et que le
(1) J. Moerenhout, 1959, T. 1, p. 352-353.
(2) W. Ellis, 1972, T. I, p. 463.
(3) W. Ellis, 1972, T. 1, p. 103.
(1) W. Ellis, 1972, T. I, p. 463.
(2) W. Ellis, 1972, T. I, p. 417 à 419.
(3) W. Ellis, 1972, T. I, p. 438.
Société des Études Océaniennes
1037
temple du nouveau Dieu doit être encore plus imposant puisque
Jehovah est plus grand que les anciennes divinités
(4).
En fait, dans les temps anciens, on a vu
que la splendeur des
marae définissait le
prestige du Roi et assurait son autorité vis-à-vis
des autres classes de la société
(5), aussi l'ambition de Pomare ne
peut-elle se permettre de faire construire un temple modeste.
D'ailleurs, devant l'argument du Roi, les missionnaires se
contentent de
laisser faire.
Lorsque le travail cesse, le dimanche, le jour du sabbah est
entièrement consacré à la prière et aux réunions
religieuses qui,
d'après Ellis toujours optimiste en ce qui concerne l'expansion de
la religion, sont fidèlement et sincèrement suivies :
"leur assiduité à
fréquenter l'école et les réunions d'instruction publique ne se
relâchait pas et nous observions avec satisfaction l'heureux
changement de leurs manières lors de toutes nos assemblées : cela
était pour nous la marque du
progrès dans la civilisation et dans le
travail" (1).
La Bible, il est vrai, suscite par la nouveauté de ses
légendes un
intérêt certain, notamment parmi les femmes
qui aiment aussi
fréquenter le fare putuputura'a pour y chanter les hymnes (2). De
plus, les missionnaires récompensent leur assiduité en leur faisant
cadeau d'un exemplaire de la Bible,
objet rare et précieux pour les
indigènes : "beaucoup étaient certainement guidés par la curiosité,
d'autres par le désir de posséder un
objet d'une telle valeur",
reconnaît Ellis. Mais, ajoute-t-il, "il
y en avait certainement une
grande quantité qui étaient mus par le désir sincère d'avoir une
meilleure connaissance de la révélation"
(3).
Dans
leur fièvre de la conversion, il est
également vrai que les
missionnaires ne tardent pas à employer des moyens coercitifs fort
efficaces quant à l'assiduité : "N'en était-on
pas venus à avoir des
armés de bâtons, qui forçaient les Indiens d'aller aux
églises ?" (4).
gens
Pour convaincre les récalcitrants de revenir dans le
droit
chemin, les méthodes employées n'ont rien à envier à celles des
puritains de la Nouvelle Angleterre : "Si une femme était
soupçonnée de quelque écart de conduite, on lui mettait, autour
(4) W. Ellis, 1972, T. I, p. 450.
(5) J. Garanger, Société des Océanistes, dossier N° 2, 1969, p. 14.
(1) W. Ellis, 1972, T. 1, p. 463.
(2) W. Ellis, 1972, T. I, p. 473.
(3) W. Ellis, 1972, T. I, p. 375.
(4) J. Moerenhout, 1959, T. 1, p. 353.
Société des Études Océaniennes
1038
des
reins, le nœud coulant d'une grosse corde qu'on tirait par les
deux bouts et qu'on
serrait jusqu'à ce que l'infortunée avouât sa
faute et dénonçât son complice... Lorsqu'elle était convaincue, on
la tatouait de certaines marques sur la figure" (1). Il est sans doute
méthodes tyranniques, dignes de la "lettre écarlate"
appliquée aux femmes adultères de Salem ou de Bostom, existaient
avant l'arrivée des missionnaires, mais il est difficile de penser que
ces derniers n'aient eu aucun
moyen d'empêcher leur exécution, et
qu'ils ne s'en servirent pas à des fins religieuses.
exact que ces
Pourtant l'assiduité
temple s'explique aussi autrement :
aux Indiens, il n'est pas
étonnant qu'un peuple si remuant se rendît aux écoles, aux églises,
n'ayant plus rien autre chose à faire. Mais tenu dans l'inaction
comme il l'était, il n'est pas étonnant non plus qu'il se livrât à tous
les vices" (2).
"tous
au
les amusements étant interdits
En effet, l'engouement du début pour la religion se refroidit, la
notion nouvelle du péché qui introduit des interdits dans tout ce
qui rendait la vie heureuse et agréable, et la permanence de ces
interdits que le peuple avait cru provisoires, déçoit un grand
nombre de fidèles : "lorsqu'ils virent que la religion ne consistait
pas seulement en hymnes et en prières ou en cérémonies, mais leur
imposait une régularité de conduite, leur défendant les plaisirs de
l'amour, de la danse, les fêtes, il (le peuple) réagit et se détourna de
la religion. Lorsqu'il vit le caractère définitif de ce nouveau mode
de vie, l'adhérence au culte ne fut plus que superficielle. La plupart
au reste étaient innocents et ne concevaient pas que leurs mœurs
d'autrefois pussent avoir quelque chose de répréhensible, ni en
quoi elles ne s'alliaient pas avec l'observation stricte des
prescriptions de la nouvelle loi. Une chose au moins est certaine,
c'est qu'à peine une année finissait que ce zèle extraordinaire se
refroidit singulièrement et s'affaiblit toujours en raison propor¬
tionnelle des exigences des missionnaires, relativement aux mœurs,
que dès 1817 les écoles et les églises étaient beaucoup moins
fréquentées, que beaucoup de néophytes murmuraient et
revenaient à leurs anciennes habitudes" (1).
Le christianisme trop austère n'apporte pas ce que beaucoup
en
avaient attendu.
Des
romans
comme
"Les Immémoriaux"
montrent bien le décalage qui existait entre les aspirations et ce qui
était enseigné par les missionnaires : "Or les promesses et l'espoir
(1) J. Moerenhout, 1959, T. I, p. 354-355 (note 1).
(2) J. Moerenhout, 1959, T. II, p. 476 (note 1).
(1) J. Moerenhout, 1959, T. II, p. 476.
Société des Études Océaniennes
1039
avaient été si grands et si fervents parmi ses compagnons, qu'il se
reprit à attendre encore et considéra la foule : tous les gens autour
de lui restaient semblables à eux-mêmes
par la démarche, le
nombre de leurs pieds et les gestes de leurs
figures. Quoi donc !
Étaient-ce seulement les pensées cachées des entrailles qui devaient
s'illuminer ? la lumière de vie... avaient assuré les envoyés du dieu.
Il s'inquiéta de ne point s'en éblouir encore. Bien
qu'à dire vrai,
mieux eut valu jouir par toute sa personne, plutôt
qu'en paroles
obscures, des bienfaits promis. L'aveugle Hiro, baptisé suivant son
désir sous le nom de Paolo, revenait de la rivière et
toujours
aveugle. Derrière lui tâtonnait la longue file des hommes aux yeux
morts et toujours morts. Ceux-là non plus n'avaient
pas rencontré
la lumière" (2).
La déception de Terii, le héros du roman, est
celles que ressentirent les insulaires devant
d'attente de bienfaits vagues et lointains.
significative de
religion faite
une
En fin de compte, la nouvelle religion
provoqua une sorte
d'anarchie dans les esprits. Autrefois, chaque action était liée au
culte par quelque cérémonie, dans les marae
domestiques par
exemple. Les dieux sanctionnaient immédiatement les actions et
étaient toujours prêts à punir. Dans le Christianisme, la
punition
péchés était dans l'autre vie, mais en réalité personne ne
croyait à l'enfer (1).
pour les
Pomare II continue à protéger les missionnaires et à assister
scrupuleusement aux offices, le peuple n'ose se soulever et continue
à fréquenter les églises "d'abord parce qu'on les y forçait
et ensuite
par désœuvrement", comme l'écrit, sans doute à juste titre,
Moerenhout (2).
Les missionnaires sentent que leurs leçons de morale n'ont
plus la portée souhaitée et ils durcissent la discipline parmi les
convertis : "quand ils virent que d'anciennes coutumes, l'influence
du climat, l'ardeur d'un tempérament tropical l'emportaient sur
leurs leçons, ils eurent la faiblesse de renoncer à la douceur
qui leur
avait fait tant obtenir et poursuivirent criminellement les moindres
écarts de conduite et des actions qui, bien que foncièrement
immorales, ne pouvaient néanmoins, il faut le répéter, compro¬
mettre le bonheur du peuple" (2).
(2) V. Segalen, 1970, p. 157.
(1) J. Moerenhout, 1959, T. I, p. 283.
(2) J. Moerenhout, 1959, T. II, p. 478.
(3) J. Moerenhout, 1959, T. II, p. 474.
Société des Études Océaniennes
1040
Puisque la persuasion ne suffit plus à empêcher le retour des
les missionnaires essaient de décider le Roi à
promulguer des lois afin de fixer une morale dont l'obéissance
serait assurée par la menace des châtiments qui frapperaient les
anciens usages,
transgresseurs.
Les chefs, de leur côté, s'aperçoivent qu'ils ne sont plus suivis
effet écroulés
par le peuple. Avec l'ancienne religion, se sont en
l'ordre des classes sociales et les règlements sociaux et familiaux,
entraînant la chute de l'autorité des
chefs. Le peuple s'aperçoit
bientôt que les chefs qui leur ont inspiré tant de crainte ne sont que
des hommes et qu'ils ne sont nullement sacrés (4).
C'est pourquoi les chefs aussi se rendent compte de la nécessité
d'établir des lois et des châtiments. Ils ont recours aux mission¬
naires qui deviennent les législateurs de l'île, tout en se défendant
de s'immiscer dans les affaires politiques : "Nous ne voulons rien
avoir d'autre à faire avec leurs problèmes civils que de leur donner
de bons conseils"
(1). Les pasteurs veulent voir dans la colla¬
boration que leur ont demandée les chefs un souci de créer des lois
conformes à la religion : "ayant embrassé le christianisme en tant
que nation, ils (les chefs) étaient unanimes à désirer que leurs
institutions civiles et judiciaires soient en parfait accord avec
l'esprit et les principes de la religion chrétienne" (2). Ainsi tous les
principes religieux et le nouveau mode de vie que les missionnaires
avaient tenté, avec plus ou moins de succès, de faire passer,
allaient-ils être imposés sous forme de lois auxquelles la
désobéissance serait considérée comme une infraction,
comme une insulte au souverain.
voire
Pour empêcher de nouveaux venus de prendre de l'influence
dans l'île, les missionnaires avaient déjà obtenu, avant l'éta¬
blissement du Code, que soit promulguée une loi interdisant aux
étrangers de se marier à Tahiti ou à Moorea, ce qui revenait
pratiquement à les empêcher de s'établir définitivement dans les
îles (3).
premier Code de loi est établi à Tahiti en 1819. Il ne
seulement les crimes et délits mais des plaisirs et
coutumes anciennes qui n'avaient rien de répréhensible, comme le
tatouage, mais sont considérés comme dangereux reliquats du
paganisme par les pasteurs. D'après Moerenhout (1), les missionLe
condamne pas
(4) J. Moerenhout, 1959, T. II, p. 479.
(1) W. Ellis, 1972, T. 1, p. 551.
(2) W. Ellis, 1972, T. Il, p. 549.
(3) H. Adams, 1964, T. II, p. 138.
(1) J. Moerenhout, 1959, T. II, p. 483.
Société des Études Océaniennes
1041
naires avaient hâte de promulguer ce Code car ils sentaient que
l'état de santé de Pomare se dégradait et qu'après sa mort les
querelles reprendraient entre les chefs. Quant à Pomare III, encore
enfant, il ne pourrait pas les contenir.
Ce
premier Code, appelé Code Pomare, comprenait 18
articles, mais il fut révisé et complété au cours des années qui
suivirent.
Pourtant le Code Pomare ne satisfait guère que les chefs et les
missionnaires. Et le peuple murmure bientôt contre ces lois et ces
châtiments injustes selon eux : "En mettant à découvert des crimes
qui n'en sont pas à leurs yeux, en flétrissant les coupables par des
châtiments qu'ils ne croient point mériter, on les a éloignés des
missionnaires et rendus à jamais leurs ennemis. D'ailleurs ces
séances et ces jugements, toujours publics, sont mille fois plus
indécents, plus immoraux * que les actions mêmes qu'ils
condamnent. L'erreur d'avoir confondu ces actions indifférentes en
elles-mêmes avec les crimes réels, est la principale cause du
discrédit dans lequel les lois sont tombées ; ce qui fait qu'elles se
trouvent
ruinées les unes après les autres, à tel point qu'en ce
en est fort
peu qu'on respecte et moins encore qu'on
moment il
applique avec justice" (2).
Les insulaires reviennent à leurs anciennes moeurs. Les navires
étrangers recommencent à susciter la prostitution, malgré
l'interdiction des missionnaires aux femmes de se rendre sur les
bateaux. Quant à l'attitude religieuse, elle n'est pratiquement plus
qu'une façade qui cache le retour des pratiques et des amusements
de l'ancien temps.
Les missionnaires ont
cru
s'assurer le contrôle du
pouvoir
pour les années à venir en soignant particulièrement l'éducation du
jeune Pomare III, mais celui-ci meurt quelques années après son
père Pomare II, et c'est la fille de ce dernier, Aimata, qui succède
au trône des Pomare. Les missionnaires,
ayant misé sur Pomare III
ont négligé Aimata qui semble avoir été,
depuis son enfance,
entourée "d'individus dont
connaissait pourtant très bien les
mauvaises mœurs". D'après
Moerenhout sa maison ne se composait "que de tout ce
qu'il y avait
de plus méprisable dans l'île, de femmes perdues et
d'hommes dont
la basse flatterie et les pernicieux conseils ont failli, plus d'une fois,
causer les troubles les
plus sérieux et la perdre elle-même" (1).
principes
équivoques
et
on
les
Lorsque Aimata monte sur le trône, les mœurs se relâchent de
(2) J. Moerenhout, 1959, T. 1, p. 378.
(1) et (2) J. Moerenhout, 1959, T. I, p. 500-501.
Société des Études Océaniennes
1042
façon spectaculaire : "il ne s'était donc encore écoulé que peu de
temps depuis son avènement quand on vit s'opérer un changement
inverse presque
aussi subit que celui qui avait eu lieu lorsque le
peuple avait adopté la religion chrétienne. On commença de tous
côtés à agir sans la moindre retenue. Des bals étaient annoncés et
donnés publiquement et l'on choisissait comme à plaisir les danses
les plus obscènes. Le chant des hymnes dans les maisons fut de
nouveau remplacé par leurs anciens chants si libres et si
voluptueux. On n'entendait plus chaque soir que ces derniers ; et
les Otaitiens rebroussaient à grands pas vers leurs anciennes
mœurs" (2).
Le mouvement syncrétique des Mamaïa, apparu peu avant
l'avènement d'Aimata, se développe. Cette secte a été fondée par
un diacre de Punaauia qui dit être Jésus-Christ. Les Mamaïa se
considèrent d'ailleurs
comme chrétiens, prient Dieu et lisent la
Bible, mais en dehors de cela, n'acceptent aucune des contraintes
imposées par les missionnaires et se livrent, selon les observateurs
de l'époque, à la vie "la plus licencieuse et la plus immorale". Ils
reprennent aussi, dans leur nouvelle religion, plusieurs éléments
des anciens cultes : ainsi voit-on apparaître des inspirés et des
prophètes. Pour eux il n'existe pas de punition dans l'autre monde
et tous les hommes doivent aller au paradis, qui est celui des arioi,
où de nouveaux plaisirs les attendent (1).
Les missionnaires
réagissent violemment et, grâce à leur
pouvoir sur les chefs, font infliger des châtiments à certains des
membres de la secte : ainsi plusieurs sont "condamnés à faire le
tour de l'île sur le récif extérieur en nageant d'une pointe à l'autre
dans tous les endroits où le corail est interrompu par des
ouvertures, et cela malgré la distance et le danger d'être dévoré par
les requins" (2) ; c'était jadis le châtiment infligé aux prêtres
impies (3).
Malgré
ces
persécutions et l'exil des chefs de la secte, le
mouvement de refus des Mamaïa se répand non seulement à Tahiti
mais aussi dans les Iles Sous-le-Vent. Pourtant les missionnaires,
dans leurs écrits minimisent ces mouvements de retour aux
anciennes coutumes, reconnaissant seulement que "certains des
membres de l'église, comme on pouvait s'y attendre, se sont écartés
de la foi et de la pureté de l'Évangile". Et si Ellis parle aussi de
"ceux
qui ont prétendu avoir reçu des révélations particulières et
la débauche" dans son optimisme religieux il
ont sombré dans
(1) J. Moerenhout, 1959, T. I, p. 378.
(2) J. Moerenhout, 1959, T. I, p. 500-501.
(3) V. Segalen, 1970, p. 54.
Société des Études Océaniennes
1043
conclut : "les exemples de cette défection n'ont
pas été nombreux et
je suis heureux de penser que la majorité des membres de la
communauté persévère dans sa vocation chrétienne et
augmente
ses connaissances dans les saintes écritures"
(4).
La Reine Pomare "rejoint" l'église lors de son second
mariage
en 1835.
Quant aux pasteurs protestants, ils vont trouver de
nouveaux sujets de
préoccupations dans les conflits qui les
opposeront, durant de nombreuses années
aux
missionnaires
catholiques. Ils perdront d'ailleurs beaucoup de leur crédit dans ces
luttes d'influence.
C.
-
H.
BIBLIOGRAPHIE
Langevin-Duval
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Société des Études Océaniennes
o
è
Mer
Caribe
Mer
Sduud
1045
Les premiers bateaux européens
dans l'océan Pacifique-Est
Jeune noble d'Estramadure et sans fortune, Vasco Nunez de
Balboa estimait
non sans raison, qu'il pouvait tenter sa chance
dans les terres de l'Amérique Centrale, récemment découvertes par
Colon, et en octobre 1500, il s'engage dans la flotte du riche notaire
Rodrifo de Bastidas. Les caravelles traversent l'Atlantique, entrent
dans le golfe du Vénézuela, relâchent en plusieurs points du littoral
mouillent à Nombre de Dios, dans l'actuelle république de
Panama. Après une escale à la Jamaïque, pour faire provision
d'eau et de bois, on s'aperçoit que les coques des bateaux sont
et
attaquées par des "vers marins". Par sécurité, on se hâte de faire
route vers la Espanola San
Domingue, mais avant même d'arriver
au port de Jaragua, les bâtiments coulent dans un
grand "sauve
qui-peut".
Après de multiples aventures et infortunes variées, Balboa
s'impose par son sens du commandement et est élu chef suprême
du Darien. Il conclut une alliance avec les Indiens, et pour assurer
la paix il épouse Fluvia, jeune indienne, fille du chef Careta.
Informé de l'existence d'une mer au-delà des montagnes du
Darien, Balboa, après une minutieuse préparation se met en route
avec
190 espagnols et 90 indiens. Quinze jours plus tard, le
25 septembre
1513, une mer s'étendait effectivement à l'occident, et
depuis les hauteurs de Quarequé fut nommée Mer du Sud.
Quatre jours plus tard, arrivant dans une petite baie qu'il baptise
San Miguel, il entre dans la mer, l'épée à la main et en prend
possession au nom de son roi.
En Espagne pendant ce temps,
Fernand V. prenait toutes les
grande expédition au
Darian, baptisé Catilla de Oro. La flotte se composait de bateaux
divers, et comprenait deux mille personnes des deux sexes ; elle
franchit l'Océan sans difficulté et se mit à l'ancre dans le golfe de
Uraba le 29 Juin 1514. A la tête de l'expédition se trouvait le
gouverneur Pedro Arias de Avila, connu plus fréquemment sous le
mesures
nom
nécessaires pour envoyer une
de Predarias.
Société des Études Océaniennes
1046
Les nouveaux arrivants furent bientôt déçus par la pauvreté
de la colonie, mais ceux qui vivaient là depuis 3 ans et qui l'avaient
fondée ne le furent pas moins quand ils virent la classe d'individus
qui débarquaient. La richesse et la magnificence des vêtements des
nouveaux venus contrastaient avec la pauvreté vestimentaire des
vieux colons inquiets d'avoir toutes ces bouches à nourrir. Quand
Predarias vit la ville de Santa Maria de la Antigua si misérable, il
accusa Balboa de mensonge, de l'avoir trompé ainsi que le roi et le
traduisit devant les tribunaux. Il n'y eut pas de sanction, mais la
menace demeurait sur la tête de Balboa, considéré de
plus comme
un dangereux
rival.
L'arrivée des nouveaux colons troubla le bon ordre de la
colonie. Se croyant, supérieurs à ceux déjà établis, ils refusaient de
travailler, car ils prétendaient être venus là pour ramasser de l'or.
A l'époque des pluies la famine fit son apparition et avec elle, le
spectre de la mort. La colonie pauvre mais vivable, se transformait
en un pays désorganisé, un véritable enfer. Tous ceux
qui le purent
se réembarquèrent pour fuir cette terre, où ils ne voulaient
pas
mourir.
Balboa avait
envoyé un de ses amis à l'île de Cuba pour
recruter des mercenaires, et quand ils débarquèrent pour se
mettre
à ses ordres, ils causèrent une vive émotion. Pour éviter un conflit,
l'évêque Quevedo conseilla au gouverneur de pactiser avec Balboa,
Predarias offrit en mariage sa fille aînée, Dona Maria de
Penalosa. L'union était possible car Bilbao était hidalgo de
naissance et avait reçu du roi le titre de Adelantado (gouverneur de
province).
Balboa n'avait pas renoncé à son idée fixe : conquérir le pays
des Incas. Devant l'absence de flotte, il décide de fonder une société
de construction navale, mais Predarias lui impose un contrat qui
l'obligeait à construire en 8 mois, quatre bateaux du type
brigantin.
Le bois des arbres résineux du littoral atlantique fut préféré à
celui de la côte Pacifique, et on s'efforça d'utiliser tous les éléments
des bateaux désarmés : ferrures, mâts, vergues, voiles...
Balboa décida d'unir par une piste praticable la ville de Acla,
sa base atlantique avec les chantiers à construire dans le
golfe de
San Miguel, sur la rivière Balsa. Tout d'abord il envoya le
capitaine Campanon créer à bonne distance de Acla une base de
relais ; il fallait ensuite ouvrir la route jusqu'au golfe de. San Miguel
et construire les bâtiments des chantiers. Un groupe
était chargé de
couper les arbres et de travailler le bois, un autre de transporter les
matériaux et les provisions, et le troisième plus mobile avait la
mission de chercher les aliments et d'embaucher les Indiens, ce qui
et
Société des Études Océaniennes
1047
n'alla pas sans difficultés.
A dos d'homme pratiquement, tous les matériaux nécessaires
à la construction des bateaux et à leur gréement transitèrent
par
l'isthme. Le transport par des sentiers, ouverts à la machette dans
la forêt tropicale, sous un climat redoutable et parmi
de difficiles
conditions de terrain, fut un calvaire.
Enfin les 4 brigantins totalement terminés, construits sur la
berge de la Balsa, furent mis à l'eau.
C'est alors que l'on découvrit que les fonds des coques étaient
attaqués par des vers. Au moment d'entrer dans le golfe de San
Miguel tous les bateaux faisaient eau, et quand ils atteignirent les
îles des Perles... ils coulèrent.
Malgré ce désastre, Balboa reconstruit de nouveaux bateaux
puis, avec une centaine d'hommes, appareille des îles des Perles,
débarque sur une plage de la province de Pequeo et après s'être
approvisionné, sort du golfe de San Miguel pour entrer dans celui
de Panama. Longeant la côte jusqu'à la pointe Pinas, il rencontre
plusieurs familles de gigantesques cétacés, à côté desquels les
bateaux faisaient figure de jouets insignifiants.
Le lendemain un vent contraire contraignit la flotte à
regagner
son point de
départ.
Jamais Balboa ne fut si près de réussir dans ses projets : la
conquête du Pérou. Il mettait la dernière main aux préparatifs de
cette expédition, lorsqu'il reçut une lettre du
gouverneur de
Darian, Predarias qui le priait de se rendre à Acla pour s'entretenir
avec lui du nouveau
voyage projeté. Sans aucun soupçon, Balboa
laisse le capitaine Francisco Companon à la tête de la petite flotte
des 4 bateaux, et prend le chemin de Acla ; où il est arrêté dès son
arrivée par un peloton de soldats aux ordres de Francisco Pizarro
et conduit en prison.
Il fut jugé pour des délits imaginaires, et à la tombée d'une
nuit de l'année 1517, probablement le 12 janvier, Vasco Nunez de
Balboa et quatre de ses compagnons furent
décapités sur la place
principale de Acla.
Il est
connut
probable que sa mort fut décidée le jour où Predarias
l'existence de quatre bateaux capables de naviguer et
pouvant embarquer 300 hommes. Le gouverneur supposait que
son futur gendre avait ainsi toutes chances de
découvrir, pour lui
seul, le riche et fabuleux pays des Incas.
L'Alcade Mayor Gaspar Espinosa qui avait prononcé la
sentence, prit la mer avec 115 hommes pour explorer et ravager les
provinces de l'ouest de Panama et les îles Cebaco.
Pedrarias fit lui aussi une expédition le long de la côte ouest de
Société des Études Océaniennes
1048
Panama, avec l'un des bateaux construits par Balboa et arriva
jusqu'au golfe de Nicoya. A la même époque, le capitaine
Andras Nino, associé à Gil Gonzalez Davila, ancien contador de
l'île de Saint Domingue obtint du roi l'autorisation d'utiliser les
bateaux de Balboa pour explorer les côtes du Nicaragua, baignées
par le Pacifique. Pedrarias, malgré la lettre royale, allégua que les
bateaux n'avaient jamais appartenu à Balboa, et qu'il ne pouvait
par conséquent disposer du bien d'autrui.
Imitant Balboa, Gil Gonzalez décida de construire trois
caravelles et deux brigantins, sur les berges de la rivière Balsa.
Pour achever leur gréement, les bateaux furent conduits aux îles
des Perles, mais après trois semaines de mise à flot, leurs fonds
étaient rongés par la vermine. Il reprit la construction avec du bois
de meilleure qualité et un an plus tard il entreprenait un voyage de
découverte. Il alla plus loin que ses prédécesseurs, jusqu'à l'actuelle
ville de Léon en Nicaragua où il débarqua et déroba dans un
temple des objets précieux de grande valeur. Poursuivi par les
habitants de la région, il dût se réembarquer précipitamment et
retourna
à Panama.
Dès 1524, Andreas de Careceda qui avait exploré les côtes du
Pacifique avec Gil Gonzalez Davila présentait à Charles 1er, roi
d'Espagne, un projet pour rendre plus facile le trafic commercial à
travers l'isthme. Il prévoyait la construction de deux canaux ou
routes unissant le grand lac d'eau douce de Gatum avec Panama du
côté Pacifique et Nombre de Dios du côté Atlantique. Puis on
songea à utiliser la rivière Chagre pour remonter jusqu'au lac de
Gatum. L'idée se réalisera 4 siècles plus tard, avec un tracé assez
voisin de celui de la première esquisse.
Denys CHOFFAT
Société des Études Océaniennes
1049
Compte rendu
Les trucks de Tahiti. J. Champaud - Notes et Documents de Géographie
n°
un
1981/21. ORSTOM Papeete.
Élément du pittoresque et du décor de Tahiti, les trucks présentent
intérêt économique tout aussi notable : ils assurent les déplacements
d'un grand nombre de personnes, même si la voiture individuelle leur fait
une
concurrence
accrue, et ils constituent de petites entreprises qui sont
pour la plupart aux mains des Tahitiens. Ces entreprises sont souvent aux
limites de la rentabilité et beaucoup disparaissent d'une année sur l'autre,
mais cela est dû principalement au manque d'une gestion rigoureuse ; en
plus de celles des lignes régulières, les recettes annexes telles que les
transports scolaires apportent à ces entreprises un appoint appréciable.
Le truck se dit en langue tahitienne "Te pereo'o mata'eina'a", c'est-àdire la voiture du district. C'est, de fait, un véhicule conçu d'abord pour
assurer les relations entre la ville et la campagne : confort rustique,
possibilité de transporter des voyageurs et leurs paquets, convivialité
facilitant les échanges lors de longs parcours, arrêts à la demande,
terminus au marché, etc... Autant de caractéristiques qui conviennent
bien, de nos jours encore, aux échanges ville-campagne, mais paraissent
moins bien adaptés aux transports à l'intérieur de la ville elle-même.
Le matériel utilisé, les utilisateurs, les entreprises, la gare routière, les
circuits sont successivement examinés et l'auteur termine son étude par
des suggestions concernant la desserte, la
sécurité, etc...
L'origine de ce moyen de locomotion est presqu'aussi ancienne que
l'automobile à Tahiti.
Mais contrairement à ce que pense l'auteur, les premiers trucks
auraient été lancés vers la fin de la première guerre mondiale, non pas par
les frères Jamet, mais par Drollet et Chapman.
Le bruit du moteur avait fait surnommer ce véhicule manupatia
(abeille).
P.M.
Société des Études Océaniennes
1050
Paradise, H.E. MAUDE. The Peruvian labour trade in
Polynesia, 1862-1864. Canberra, Australian National University,
1981. Port, in front., appendix, notes, bibliogr., index, XXII-244 p.,
Slavers in
24
cm.
Les premiers raids des péruviens de Callao vers
la Polynésie datent
Kermadec,
des années 1862-63. Ils se portèrent principalement depuis les
au
sud des îles
Gilbert, jusqu'à l'ouest de Rotuma.
embarcations, de types divers, allant
Trente deux
de 100 à 400
tonneaux, participèrent à ce trafic.
En 1862, les esclavagistes péruviens ruinèrent complètement l'île de
roi,
Pâques en kidnappant une bonne part de la population, dont le
sa
famille et beaucoup de gens instruits. Quelques-uns des individus raptés
catastrophique car ils
apportèrent la petite vérole qui décima la population demeurée sur l'île.
Au point qu'elle ne perdit le souvenir de son passé. Les Tokelau et l'île de
revinrent, mais leur retour fut également
Tuvalu subirent les mêmes
sévices.
pourquoi et comment le trafic commença ; le nombre
de personnes qui, à chaque passage des Péruviens, étaient emportés hors
de leurs îles ; les bateaux qui étaient impliqués dans ces exactions et les
méthodes employées par leurs capitaines. On y traite également de
l'attitude des grandes puissances envers ces trafics de l'effort tenté pour
son abolition et des tentatives faites pour rapatrier les survivants...
L'auteur rapporte les faits qu'il décrit d'après les rapports des
ancêtres-parents, grands-parents et arrières grands-parents, des gens
impliqués dans ces événements.
Jusqu'à ce jour, aucune des personnes mêlées à ces faits, pas plus du
reste que les gouvernements, les historiens, les missionnaires, n'avaient
songé à en recueillir la suite. Tout ce qui a été écrit se résume en
documents de seconde main ramassés dans les pages du Sydney Morning
Herald où l'on trouve des notices épisodiques sur diverses îles. Hormis la
trop brève histoire de Taole, l'homme de Niue, qui échappa de justesse à
Le livre dit
horreurs.
ces
A Papeete, le gouverneur de la Richerie agira efficacement contre
des
recruteurs, selon ses pouvoirs.
Edmond de Lesseps, chargé d'affaires français à Lima, luttera de son
mieux dans le même sens. Mais il agit, selon ses propres idées, trop loin
du ministère et de Paris pour
pouvoir demander des ordres et des
directives à la Capitale. Il viendra cependant à Tahiti assister au procès et
au
jugement de la Mercedes.
Félicitons donc H.E. MAUDE de ce travail. Il avait eu, à travers
mille péripéties de voyages assez improvisés, l'occasion de visiter un grand
nombre d'îles du Pacifique et sa connaissance des îles ressort dans tout
son
ouvrage.
Patrick
Société des Études Océaniennes
O'Reilly
1051
of the St Jean-Baptiste to the Pacific 1769-1770, from
Journals of Jean de Surville and Guillaume Labé. Translated and
The Expedition
Édited by John Dunmore. London, Hakluyt Society, 1981. X-310p.,
port, in front., illust., et cartes, bibliogr., index, 24 cm.
L'expédition du St Jean-Baptiste eut lieu dans le dernier tiers du
XVIIIème siècle, au cours de l'Exploration du Pacifique. Les voyages de
Bougainville et de Wallis s'achèvent ; le premier voyage de Cook
commence.
Jean-François Marie de Surville pénètre dans le Pacifique par le
nord des îles Philippines, fait une touchée aux Iles Salomon, se dirige sur
la Nouvelle-Zélande où il manque de peu de rencontrer Y Endeavour de
Cook et traverse le Sud Pacifique à la hauteur du Pérou où il trouve la
mort dans une tentative pour
obtenir de l'aide en faveur de son équipage
la maladie.
Le professeur Dunmore a choisi le journal de Surville et celui de son
premier officier Guillaume Labé pour présenter une histoire complé¬
mentaire de l'expédition. Il a également utilisé d'autres sources et récits.
Dans son introduction, il analyse les buts du voyage, la part prise par
l'expédition dans la redécouverte des Iles Salomon, l'importance
contribution de Surville et de son état-major dans la description de la
Société Maori pré-coloniale, ainsi que les réactions des Espagnols à la
présence d'un navire français dans leurs eaux territoriales. Il étudie en
passant la question du premier service religieux célébré sur le sol de la
Nouvelle-Zélande. Il examine également celle de la mystérieuse "Terre de
décimé par
Davis".
Par dessus tout, l'introduction de l'ouvrage nous apporte une solide
description d'une expédition dans le Pacifique aux temps héroïques de
son exploration, des marins qui y prirent part et des difficultés
rencontrées.
Ce travail, établi sur des documents inédits recueillis dans les
archives nationales françaises, nous apporte des vues originales et parfois
nouvelles
sur
l'exploration du Pacifique.
Patrick
O'Reilly
A la découverte de la musique tahitienne traditionnelle. Manfred Kelkel.
Publications Orientales de France. Paris 1981 - 14,5 x 21 - 143 p. ill.-bibl-.
L'auteur désire donner une idée de ce qu'a pu être la musique
polynésienne au moment de l'impact européen, tout en sachant que de
nos jours cette musique a quasiment disparu.
Sont successivement étudiés
:
les instruments de
musique, les
différents genres musicaux, le phénomène d'acculturation, les rythmes, les
micro-intervalles ainsi que le rôle des consonances fondamentales et des
échelles mélodiques.
Société des Études Océaniennes
1052
Les chants et les danses polynésiennes sont intimement liés et il n'y a
pratiquement pas de chants sans danses ni de danses sans accom¬
pagnement de chants. Lorsque, exceptionnellement, le chant n'a pas la
fonction d'accompagner la danse, il est au moins accompagné de gestes.
Les himenes constituent un genre à part qui n'est ni traditionnel, ni
tout à fait polynésien, et qui s'est développé à partir de 1815, environ.
Ce genre hybride est formé d'éléments mélodiques et harmoniques
empruntés aux hymnes et psaumes chrétiens ou au Folk song euroaméricain, bien qu'on y trouve aussi quelques éléments typiquement
polynésiens tels que la prédilection pour les accords parfaits majeurs,
l'originalité rythmique de certains schémas mélodiques ou de bourdon
fleuri, inspirés par les rythmes des tambours.
Les Polynésiens ignorant la division de l'octave, semblent avoir
développé leur système vocal de manière empirique, en partant du
récitatif parlé-chanté et du recto tono, donc d'une note centrale unique
(oro) autour de laquelle la voix oscillait et produisait des sons
indéterminés pour aboutir par glissement continu au remplissage du
cadre intervallique préféré : l'intervalle de tierce.
Il est intéressant de noter qu'il y a là une certaine analogie avec le
chantonnement des bébés. Le chant n'est d'abord qu'une modulation
continue, parcourant sans discontinuité l'espace sonore, glissant d'une
hauteur à l'autre, d'un mouvement continu. L'intervalle stable qui'se fixe
d'abord, c'est la tierce mineure ou la quarte dans la musique polyné¬
sienne, puis c'est le ton ce qui correspond au système mélodique à trois
sons, si fréquent dans la musique traditionnelle.
Certes, il n'y avait pas de musique instrumentale dans le sens où nous
l'entendons habituellement ; d'une manière générale, l'instrument se
trouve presque toujours associé au chant qu'il accompagne.
Les études globales de la musique traditionnelle sont trop rares pour
que l'on ne se réjouisse pas de posséder cette première approche,
accompagnée d'une importante bibliographie et d'exemples musicaux.
P.M.
Société des Études Océaniennes
.
'
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 218