Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 82
- Titre
- Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 82
- Description
-
Océanographie
- L’expédition océanographique suédoise par le professeur Hans Pettersson 411
- Sondages exécutés par l’Albatross entre Papeete et Moorea par le Lieutenant de vaisseau Guy Nay. 414
Histoire
- Documents pour l'histoire de Tahiti (Rey Lescure) 418
- Rétrospective des Pavillons océaniens (Commandant J. Cottez) 423
Navigation - Migrations polynésiennes. Etude critique (Eric de Bisschop) 435
Divers - Dons 457 - Date
- 1948
- Date de numérisation : 2017
- Format
- 1 volume au format PDF (54 vues)
- Identifiant
- PFP 3 (Fonds polynésien)
- Langue
- fre
- Editeur
- Société des Études Océaniennes (SEO)
- Relation
- http://www.sudoc.fr/039537501
- Droits
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- Source
- Société des Études Océaniennes (SEO)
- Type
- Imprimé
- extracted text
-
WaBBBlGRB
Histoire
—
des
Institutions
et
Antiquités
populations maories.
Littérature et Folklore.
Astronomie
—
Océanographie — Sciences naturelles
PAPEETE.—
IMPRIMERIE DU GOUVERNEMENT
Société des. Études Océaniennes
SOCIÉTÉ
BUREAU DE LA
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Assesseur
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Le Bureau de la Société accepte l'impression de tous les articles
qui paraissent dans le Bulletin mais cela n'implique pas qu'il
épouse les théories qui y sont exposées, o-u qu'il fait sien les
commentaires et les assertions des divers auteurs qui, seuls, en
prennent toute la responsabilité.
Aux lecteurs de former leur appréciation.
La Rédaction.
3ciété
DE
SOCIETE
LA
D'ETUDES
OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
-
——
TOME VII (No 12)
N*
«2.—
MARS
1»48.
sommaire
Pages
Océanographie.
L'expédition océanographique suédoise par le pro¬
fesseur Hans Pettersson
Sondages exécutés par 1*li Albatross" entre Papeete
et Moorea par le Lieutenant de vaisseau Guy Nay.
411
414
Histoire.
Documents pour l'histçire de Tahiti (Rey Lescure)..
418
Rétrospective des Pavillons océaniens (Commandant
J. Cottez)
423
Navigation.
Migrations polynésiennes. Etude critique (Eric de
Bisschop)
435
Divers.
Dons....
457
Société des Études Océaniennes
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Société des Études Océaniennes
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L'expédition océanographique suédoise.
Par le Professeur Plans
Pettersson, (Goteborg).
Aucune autre partie de l'océan ne présente sans doute au¬
tant d'intérêt pour la géophysique que celle du Pacifique cen¬
tral. Là
effet on rencontre les
plus grandes étendues de
abyssale par des profondeurs dépassant 4.000
mètres et les prodigieux effets d'une activité volcanique sousfonds de
ei
mer
marine,
C'est ainsi que le grand géologue de Harvard, R. A Daly
écrit dans son ouvrage remarquable "Thefloor of the ocean".
Les plus grands mystères de la géologie terrestre sont
planétaires et pour une grande part le secret en est caché
au fond des océans'". On peut
ajouter que certains des plus
grands mystères sous-océaniques ne peuvent être dévoilés
que par une étude des fonds de la partie centrale du Pacifi¬
que.
En Suède l'inactivité forcée dûe à la guerre nous
obligea
océanographes à nous limiter dans des perfection¬
nements de technique océanographique. Ces réalisations fu¬
rent remarquables, l'une d'entre elles permet de remonter
des "carottes" sédimentaires avec le piston perforateur
du Dr B. Kullenbergs. Ces carottes prélevées dans les gran¬
des profondeurs sont 5 à 7 fois plus longues que celles ob¬
tenues précédemment, elles ont de 15 à 20 mètres de long.
Un autre progrès a été réalisé grâce au Professeur Welbull
qui a mis au point une méthode pour mesurer l'épaisseur
totale de la couche sédimentaire en enregistrant les ondes
sonores provenant de
l'explosion de charges profondes récomme
réfléchies sur le fond rocheux lui-même.
Grâce à la générosité de donateurs privés de Goteborg la
nécessaire à l'expédition de circumnavigation océa¬
somme
nique-500.000 dollars environ - fut remise à la Société royale
de lettres et de science de Goteborg qui organisa la croisiè¬
re. La grande firme de navigation "Brostrôm Lines'' de Go¬
teborg nous prêta son nouveau navire-école "Albatross
Société des Études Océaniennes
—
412
—
quatre mâts goélette de 1.400 tonnes à moteur diesel auxi¬
liaire qui fut équipé de cabines pour l'état-major scientifi¬
que, de laboratoires, de salles de travail, le tout muni d'une
installation "air condition", enfin d'un puissant treuil élec¬
trique pour prélèvements à grande profondeur. Après une
heureuse traversée de
l'Atlantique de Porto via Madère, la
Martinique à Panama en opérant des prélèvements d'échan¬
tillons de sédiment, nous commençâmes notre croisière du
Pacifique en quittant Balboa le 27 août. Après avoir touché
aux Galapagos nous traversâmes le courant équatorial deux
fois en remontant jusqu'au 18e parallèle Nord, puis nous re¬
descendîmes au Sud jusqu'à Nuka-Hiva et Tahiti. Nous fai¬
sons
route maintenant
sur
les îles Hawaï en traversant le
courant
équatorial pour la troisième fois, lequel doit être
particulièrement étudié par sondages et analyses d'échan¬
tillons d'eaux.
Un grand intérêt s'attache à l'analyse des échantillons sédimentaires qui, lorsqu'elle sera pratiquée dans les labora¬
toires permettra de jeter de la lumière sur l'histoire du cen¬
tre du Pacifique sur un espace
de temps englobant plusieurs
millions d'années.
Par la suite la croisière de 1' "Albattoss" continuera au-
dessus des plus grandes profondeurs connues à l'Est de Min¬
danao dans l'archipel de la Sonde puis passant le long de
l'Equateur dans l'Océan Indien remontant par la mer Rouge
et la Méditerranée et après un circuit dans l'Atlantique Nord
nous comptons être de retour à Gôteborg en septembre 1948
après une absence de 15 mois. L'importance des matériaux
que nous ramènerons exigera sans doute pour leur examen
le travail de spécialistes durant plusieurs années.
Nous avons été reçus de la manière la plus charmante à
Funchal, à Fort-de-France, et à Cristobal. Nous avons été
particulièrement charmés par notre séjour à Nuka-Hiva et
à Tahiti où nous nous sommes faits de nombreux amis.
Il me semble que Tahiti étant situé au seuil de la région du
centre
Pacifique offre par sa position des possibilités uni¬
ques pour d'importantes recherches géophysiques ? Sans
doûte la première des choses serait la création d'une station
sismologique bien équipée qui travaillerait en coopération
avec les quelques autres stations existant dans le Pacifique.
Société des Études Océaniennes
—
413
•=■
La seconde serait la détermination de
ques
mesures gravimétrià Tahili et aux îles environnantes. Enfin, la troisième
serait un bâtiment de recherche
océanographique stationné
en Océanie
française,
équipé spécialement pour des prélè¬
importants et qui seuls pourraient
expliquer l'histoire des grands bouleversements climatiques,
tectoniques et volcaniques qui se sont passés sur le globe.
Après un séjour à Papeete il m'a semblé que cet endroit pour¬
rait être le point de départ
d'importantes recherches océa¬
nographiques cadrant bien avec le glorieux passé de travail
des pionniers français dans la science de la mer.
vements sédimentaires
Expédition "Albatross" novembre 1947.
Professeur Hans PETTERSSON.
Société des Études Océaniennes
—
414
—
Sondages exécutés par 1'"Albatross" entre Papeete et Moorca,
le 3 novembre 1947.
Principe «les mesures.
L'appareil de sondage, utilisé par F "Albatross
est un
enregistreur continu, utilisant les signaux ultra-sonores,
c'est-à-dire des signaux émis à une fréquence supérieure à
celle des sons que peut percevoir l'oreille humaine.
Ces signaux sont produits par un quartz piezzo-electrique,
lorsque l'on applique à ce dernier une différence de poten¬
tiel. Ils sont reçus, après avoir fait écho sur le fond de la
mer, soit par un microphone, soit par le même quartz piezzoélectrique qui possède la particularité de faire naître une
différence potentiel entre ses faces lorsque l'une d'elles est
frappée par un signal ultra-sonore.
La
propagation des ultra-sons dans l'eau de mer se fait
facilement, à une vitesse connue et la rétlection sur le fond
de la mer se fait, aisément, particulièrement bien sur les
fonds durs, comme c'est le cas
Un signal émis par le bateau,
dans le Pacifique.
fait écho sur le fond puis est
capté de nouveau par le navire émetteur. La vitesse de pro¬
pagation étant connue; il est aisé de connaître la profondeur,
connaissant avec précision le temps mis par le signal pour
effectuer le trajet.
Description sommaire de l'appareil.
d'un axe A, se déplace devant
Il tourne à une vitesse constante et
fait avancer le papier d'une légère quantité à chaque rotation.
Il porte à son extrémité un stylet S qui en est contact avec
le papier et décompose sur celui-ci un produit chimique lors¬
qu'il est traversé par un courant électrique, formant un point
Un bras B mobile autour
une
bande de papier P.
brunâtre à cet endroit.
En outre le bras B à chaque rotation ferme un contact élec¬
trique qui commande l'émission
d'un train d'ondes ultra¬
sonores.
Société des Études Océaniennes
—
415
—
Utilisation de
t
l'appareil.
L'appareil étant mis en
marche, le bras B déclanche
A
l'émission d'un train d'on¬
des, lorsqu'il passe à la po¬
sition B°.
Le train d'ondes
met
un
certain temps t pour aller au
fond de la mer, faire écho et
frapper de nouveau le quartz
piezzo-electrique.
Bl
Pendant, le même
t, le bras
a
temps
tourné de l'an¬
gle "a" et se trouve dans la
position BL
Le quartz frappé par le si¬
gnal à son retour laisse passer un courant dans le stylet S
qui marque un point brunâtre sur le papier en Bl.
La vitesse de rotation du bras est connue; on sait
que la
position Bl correspond à un certain temps t. écoulé depuis
l'émission du signal, donc aune certaine profondeur. Pour
plus de commodité, l'appareil est étalonné et le papier est
directement gradué en profondeurs.
y
Autres
particularités.
Profil du fond.— La bande de papier avançant d'une lé¬
gère quantité à chaque rotation du bras, les traces matéria¬
lisées par le stylet sont très proches les unes des autres et
offrent l'image du profil du fond le
long de la route parcourrue par le navire sondeur.
Décalage du zéro.— Un artifice de construction permet de
décaler la position repérée, que nous avons appelée B°, point
de départ
des trains d'ondes ultra-sonores et de faire ins¬
papier des profondeurs qui sans cela
seraient inscrites en dehors du papier.
crire sur la bande de
Etude détaillée des fonds. - Le bras B peut avoir 2 vitesses
de rotation différentes. La grande
vitesse permet une mesu¬
des temps. Elle sera donc utilisée lorsqu'on
voudra analyser le fond d'une façon détaillée.
re
très précise
Société des Études Océaniennes
—
416
—
Si l'on se contente de l'aspect général du fond de
la mer.
L'échelle des profondeurs
étant dans ce cas plus faible, il n'est pas nécessaire de dé¬
caler le zéro, comme dans le cas précédent.
on
utilise une vitesse plus faible.
Exploitation de la Bande de 1 ' "Aë&eeeiross"'
La bande de
sonde, faite par 1* "Albatross" le3novembre
1947, doit se lire de bas en haut.
Les profondeurs se lisent
directement en brasse sur cha¬
bras
décrit par le
tournant. L'émission des ultra¬
sons se fait lorsque le bras est au bord gauche du papier et
correspond à la profondeur zéro, c'est-à-dire matérialise le
que arc
niveau de la mer.
A l'échelle sensible,
correspondant à l'étude détaillée du
fond, chaque point carré sur les arcs représente 10 brasses.
Il suffit d'interpoler à vue pour avoir une profondeur quel¬
conque entre deux de ces repères.
A l'échelle moins
sensible, le même intervalle représente
100 brasses au lieu de 10.
papier se déroule à une vitesse uniforme. Il y a 8
temps d'un arc à l'autre, ce qui à la vitesse du
navire (6 nœuds) représente un parcours de 1.470 mètres.
Enfin le
minutes de
Le début de la bande correspond à des sondages faits dans
la rade de
Papeete. Le profil du fond est assez irrégulier,
profondeurs variant de 12 à 20 brasses. Puis le fond se
relève brusquement à la passe (lettre A sur la bande sonde
et le plan de la route suivie).
Celle-ci franchie, les profondeurs augmentent brusque¬
ment. On a dû décaler le zéro plusieurs fois pour pouvoir con¬
server les inscriptions sur la bande de papier. Une première
fois lorsque la profondeur a atteint 100 brasses, une seconde
les
fois à 330 brasses.
jusqu'à la profondeur de 380 brasses (soit
690 mètres). Le navire est alors à 1.400 mètres de la passe,
au point marqué C sur la carte. A partir de ce moment on
utilise l'enregistrement pour grandes profondeurs. Le fond
continue à descendre assez régulièrement jusqu'à 1.100 bras¬
ses (soit 2.000 m.)
A ce point on passe de nouveau sur en¬
registrement sensible avec décalage de 1.000 brasses, pour
fois à 240 brasses et enfin une troisième
On suit le fond
Société des Études Océaniennes
îl faut, pour avoir une représentation fidèle de la
réalité,
les distances horizontales 16 fois.
Société des Études Océaniennes
rallonger1
Documents pour l'histoire de
Les documents que nous
Tahiti.
donnons ici sont de la même
queceux insérés dans le Bulletin n° 76, page 196. Ils
ont été écrits (1845) longtemps après les événements qu'ils
source
rapportent. Leurs auteurs ont dû faire appel à leurs souve¬
nirs et l'exactitude des dates s'en ressent. Ils semblent par¬
fois même tendancieux. Les uns parlent en faveur de la su¬
prématie de la famille Pomare sur les Iles sous le Vent, et
vaguement, d'une guerre avec Tahiti ; les autres penchent
pour l'autonomie des Iles sous le Vent sous l'influence des
missionnaires anglais (la France ne prit le protectorat de
Tahiti qu'en 1842).
Nous avons groupé ces divers documents par sujets, quoi¬
que leurs auteurs soient divers, sous 4 rubriques :
1/ voyages des Pomare aux Iles sous le Vent ;
2/ guerre avec Raiatea ;
3/ question du pavillon ;
4/ couronnement du roi Pomare 3.
Tels
quels, ces documents peuvent servir à l'intelligence
de l'histoire de Tahiti.
Nous donnons comme
repères les dates historiques sui¬
vantes :
1815 - échec de la tentative des paiens de Tahiti pour mas¬
sacrer les chrétiens et victoire du
christianisme (sous.
Pomare 2) ;
1820 - naissance de Pomare 3 ;
1821 - mort de Pomare 2 :
1824 - couronnement de Pomare 3 ;
1827 - mort de Pomare 3 et avènement de Pomare vahiné 4
1827-1877.
1842- signature du protectorat provisoire de la France.
(Rey Lescure).
Société des Études Océaniennes
—
1
-
419
—
Voyage de Pomare à Raiatea (1).
Il aborda à Tahaa,
dans la passe dont Toahotu est le nom ;
il entra ensuite au-dedans des récifs au lieu nommé Tetaharoa.
Voici le nom du premier homme qui vit Pomare, c'est Moemoetai. Il offrit des aliments à Pomare.
Fenuapeho était le
grand chef à Tahaa etTapoa le roi. Cet homme, Moemoetai,
alla dire à Fenuapeho et à Tapoa : Voila Pomare venu sur le
navire étranger.
Voici les hommes qui allèrent également dans ce voyage
de Pomare. Ce sont: Taroaarii, Tupuataaroa, Aruamaruae,
Vaneiti, Tehuilua (ceux-ci sont tous morts) Matatore (une
ligne de noms semble manquer) y allèrent aussi et sont en¬
core
vivants.
Connaissant alors (Fenuapeho) l'arrivée de Pomare. il vint
le saluer et envoya ensuite un messager appeler les chefs de
Tahaa, qu'ils vinssent saluer Pomare.
Tout Tahaa s'assembla complètement en un seul lieu et
apporta le "ahu oto"(2) à Pomare, le "purau"(3) et le "moea" (4).
Fenuapeho envoya ensuite un messager faire connaître à
Tamatoa l'arrivée de Pomare. Tamatoa et Tahitoe vinrent
saluer Pomare.
les 4 districts, apportèrent ensuite à Pomare
Pomare remit alors son propre nom sur Teriinohorai qui devint ainsi comme un fils. Les cœurs des
Tout Tahaa,
le "tavau" (5).
complètement acquis à Pomare; leur désir
grand qu'il devint leur roi. Ils s'employèrent
constamment à recueillir et à préparer les aliments pour lui,
de jour et de nuit.
La navire gouverna ensuite vers Raiatea et Pomare égahommes furent
de lui était
en
(1) ce document ne porte pas de titre, n'est ni daté, ni signé ; il est rédigé
français. Pour l'intelligence des mots tahitiens, on pourra se reporter à
l'article du Bulletin 76 : "la coutume du Tavau".
(2) "ahu oto" - présents d'étoffes au roi.
(3) "purau" - vêtements de fines écorces de l'hibiscus tiliaceus.
(4) "moea" - fines nattes végétales.
(5) dons d'aliments au roi, ce mot était remplacé aux lies sous le Vent par
celui de mareva. Pour le détail : Bulletin 76.
Société des Études Océaniennes
—
420
—
lement y fut mouiller à
Tipaehapa, Les gens de Raiatea apportère le "ahu oto" à Pomare et postérieurement Raiatea
les huit districts de Tahaa, les
quatre, et Borabora appor¬
tèrent le "tavau". Ce fut un grand "tavau" remis au roi à
Taputapuatea.
Tamatoa donna sa terre à Pomare ;
Fenuapeho donna Ta¬
haa à Pomare ; Borabora fut aussi donné à Aimata.
Ces terres devinrent un lieu de
débarquement pour l'Tunui
eaiteatua" (1) de Tahiti.
Les gens
de Raiatea préparèrent des aliments pour Po¬
mare.
Le bâtiment se dirigea
surAtupii(2) et mouilla à Tetavau.
jeune de Teremoemoe.
Maihara était la reine, une sœur plus
No était son mari.
Les gens de Atupii apportèrent le "ahuoto" à Pomare et
ensuite le ''tavau". Hautia était l'orateur: Teriitaria une
reine, Tenania une reine.
Lorsque Tariitaria fut chassée, le gouvernement passa à
Tenania. Il y avait deux provinces dans
Atupii : l'une appar¬
tenant à Teururai et composée de 8 districts. La
province de
Teriitaria comprenait deux districts : Ateiarai et
Amaiarai,
ces districts
appartenaient exclusivement à la famille royale.
Pomare n'eut point de pensée sur Raiaiea
parce que son
aïeule maternelle,
Tetupaiaihauivi, était originaire de là.
Mahamaha, un ami de Pomare, fut roi de Atupii. Tairavehe,
roi de Borabora, Tahaa fut laissé à l'enfant à
qui Pomare
avait donné son nom.
Voici une seconde parole :
Pomare envoya un messager faire connaître à tous les
chefs de Tahiti de construire des
pirogues et des plateaux à
"popoi" (3) et des "papahia"(4), des "hinai" (5) et des "hue"
(6), de fabriquer des étoffes et de l'huile parfumée pour être
portée à Raiatea, Marama devant y débarduer ces objets.
(1) "Tunui eaiteatua" - nom indigène de Pomare.
(2) Atupii - ancien nom de l'île de Huahine.
(3) Popoi - pâte fermentée de taro ou d'arbre à pain.
(4) papahia- planche épaisse sur laquelle on battait la popoi.
(5) hinai - sorte de panier.
(6) hue - calebasse de cucurbitacée.
Société des Études Océaniennes
—
Tahiti et Moorea
m
—
consentirent, et tout étant achevé fut ap¬
porté à "Tarahoi" (1).
Voici la parole de Pomare à Marama: « Rends-toi à Raiatea, parle à Tamatoa, à Fenuapeho, à Mai, etàTefaaora, n'ai
point de crainte, dis-leur: « Donnez-moi Vaitape(2) » et s'ils
consentent pas, dis: «Nous vous feront la
guerre» et
ne
s'ils consentent tu donnera cette terre aux
non
gens de Vaitape,
point à ceux de Faanui (3) ».
Marama fit route avec tous les orateurs de Tahiti et Moo¬
rea
et il
jeta l'ancre à Atupii.
Marama donna alors les pirogues et les étoiles à Teriitaria, reine des 8 districts, lui faisant le présent
appelé "o" (4),
présents de provisions
alimentaires appelés "rnaa autao" (5)
ainsi que celui "maa
paeahi" (6) et ensuite les 8 districts ; Marama ite maitai, et
le neuvième "iarai" (7)
et le dixième iarai apportèrent le
"tavau" à Marama et le présent de
provisions fait par les
personnes de sang royal et nommé "maa tumu uru" (8). Ma¬
rama fut ainsi puissant. 11
mangea le gouvernement (9) et le
"tuai" (10) de Maeva et 1' "ava"
(11) de Fauna.
Il se dirigea ensuite sur Raiatea et
jeta l'ancre à Uturon.
S'assemblèrent vers lui. Raiatea, les 8 districts et les 4 de
Les gens de Atupii apportèrent les
Tahaa.
Marama donna alors les
objets apportés par lui. On lui
apporta le "maa autao", le "maa paeahi", le "tavau" et le
"maa tumu uru".
(1) Tarahoi - marae do Pomarc à Taunoa.
(2) Vaitape - gros bourg de l'île de Borabora, aujourd'hui chef-lieu.
(3) Faanui - autre district de Borabora.
(4) le "o" - présent d'introduction d'une personne.
(5) "maa autao" - préparation d'aliments pour le roi.
(6) "maa paeahi" - fruits de l'arbre à pain
(7) "iarai" - ce serait un présent de poisson au roi II est possible qu'il
s'agisse ici de districts.
(8) "maa tumu uru" - présent de nourriture offert par les royaux.
(9) manger le gouvernement ou manger la cuisse de porc. Voir bulletin
76, note 65, page 205, pour le détail.
(10) "tuai" - idem note 76.
(11) "ava" - boisson ennivranle composée de la racine du piper methys
ticum.
Société des Études Océaniennes
—
422
La graisse de porc fut mise en
—
"popoi" pour Marama.
donne-moi Vaitape ».
répondit: «j'y consens, tiens, prends Vaitape ».
Marama dit alors : « je suis joyeux, satisfait de vous, je vais
relever Vaitape et le donner à ceux à qui cette terre appar¬
Marama demanda à Tamatoa: «
Tamatoa
tient véritablement».
Marama se dirigea alors vers Borabora ; il jeta l'ancre à
Vaitape. Mai et Tefaaora se trouvaient là. Marama leur don¬
na les objets. Les districts et les 7 de Maurua (1) dont Taero
était le roi firent manger à Marama le "maa autao", le "paeahi"' le "tavau", le "maa tumu uru" et le "pahuataa oruaau" (2).
Mai, Tefaaora, Taero, Teriimaevarua.
tiens, prends cette terre ».
Marama dit alors: « je suis joyeux et satisfait de vous qui
Marama dit alors :
«
Nous y consentons
avez
consenti à mon désir».
Marama
donna ensuite Vaitape aux propriétaires vérita¬
bles de cette terre.
Marama mangea le gouvernement
de
Borabora, à Tahaa, à Raiatea et à Atupii.
Pomare devint alors un grand roi au dessus
de tous les
princes. Manaonao tenait le gouvernement, le nom
d'Ariipaea était avec lui ; par lui fut dirigé le gouvernement
de Punu i eaaite atua, sur Taraboi. Depuis le règne de Po¬
mare 2, et celui ci mort, son fils étant devenu roi, ce fut en¬
core le même homme qui dirigea le gouvernement, et Po¬
mare 3 étant mort, le gouvernement passa à sa sœur, ce fut
encore le même homme qui dirigea le gouvernement.
Ariipnea vahiné devint alors envieuse de Manaonao parce
que le gouvernement de Tahiti était avec lui entre ses mains.
Manaonao fut alors exilé et le gouvernement passa alors
entre les mains d'Ariipaea vahine.
(à suivre)
rois et
(1) Maurua- ilôts autour de Borabora: Maupiti, Tupai, Mopelia, etc.
(2) "pahuata oruaau" - tridacne. bénitier.
Société des Études Océaniennes
.
423
—
RÉTROSPECTIVE
—
—
PAVILLONS
DES
OCÉANIENS
(Océanie Centrale) —
Sans tenter d'écrire l'historique complet des archipels de
Polynésie, nous voudrions rappeler succinctement ici, en
notant les pavillons qui se sont succédé sur ces terres, les
vicissitudes politiques de ces îles, et, de cet examen rétros¬
pectif, dégager quelques conclusions.
Au premier abord, cette idée peut surprendre. Mais l'his¬
toire politique moderne des îles océaniennes est bien plus
qu'une succession de luttes personnelles: rivalités de dy¬
nastie, - tout au moins de chefs locaux - ou encore luttes
ayant un objet territorial, comme en Europe, en Asie ou
en Amérique, la défense d'une certaine idéologie, ou mieux
de certaines influences européennes qui se cachent dans les
plis des pavillons successifs arborés sur ces îles. C'est très
particulièrement le cas de Tahiti et des Iles Sous le-Vent, où
certaines luttes demeurées fameuses: affaire Pritchard,
guerre de Teraupo, se concrétisent, merveilleusement en des
querelles de pavillons.
Et, avant d'entrer dans le vif de notre sujet, qu'il nous soit
permis d'exposer, comme une sorte de prologue, le cas toutà-fait unique et pour ainsi dire hors série, de l'archipel des
Marquises. Nous continuerons ensuite par l'examen de ceux
de Tahiti, des Iles Sous-le-Vent et de quelques autres ar¬
chipels épars.
*
1.—
*
»
MARQUISES.
juillet 1595, Quiros et Mendana, voyageurs espagnols,
expédiés à la découverte des îles nouvelles de la Mer du
Sud, par le Vice-Roi du Pérou, le marquis de Mendoça. dé¬
barquent à Tahuata, appelée à cette époque Santa Christina.
dans la baie " Madré de Dios
- Ils prennent possession de
la partie Sud de l'Archipel, en y célébrant une messe solen¬
nelle, en y érigeant une croix et en y plantant vraisembla¬
En
blement le pennon d'Espagne, blanche -étarnine chargée des
blasons de Léon, Castille et
couronne
Aragon, sommée delà lourde
royale d'or.
o<
Cook y passe en Avril 1774 (1) sans
intérêt particulier (deuxième voyage).
prêter à ces îles un
Il faut attendre l'arrivée de Marchand, au cours d'un voya¬
exécuté pour la Maison Baux, de Marseille,
juin 1791, pour assister à une cérémonie analogue, placée
sous le signe de la Nation française et dé nos trois couleurs
(2).
Les Russes (Krusenstern, Lisiansky) relâchent en 1804 à
Nuku-Hiva, s'y réparent, et en repartent sans y avoir fondé
ge commercial
en
d'établissement permanent.
Par contre, en 1813, le Commodore américain Porter, ayant •
besoin d'une base dans cet Océan, dans la guerre de course
engagée dès 1812 par son pays contre la Grande-Bretagne,
à propos du fameux Droit de Visite, débarque à Nuku-Hiva,
qu'il rebaptise "Madison Island", s'y installe solidement en
des traités avec
différentes tribus, prend à son tour solennellement posses¬
sion de l'île le 19 novembre 1813, et y fait joyeusement cla¬
quer au vent la célèbre bannière bleue, blanche et rouge,
aux "stars and stripes", chargée de quinze étoiles. (3)
En moins d'un an (4), cette occupation militoire tourne au
désastre. Révolte des indigènes, mutinerie de la garnison,
construisant un fort " Madisonville", passe
massacre
des Américains. Le lieutenant Gamble, seul offi¬
cier restant,
appareille peu glorieusement de "Massaehus-
(1) et non en 1772, comme l'écrit Dorsenne, dans la préface des
Derniers Sauvages.
(2) Le pavillon tricolore avait été reconnu comme seul drapeau
françaises par une loi du 27 mai 1790. La Marine mili¬
taire garda cependant le pavillon blanc, cantonné du quartier trico¬
lore jusqu'en 1794 (Tramond).
(3) Aux 13 étoiles initiales symbolisant les 13 Etats primitifs (De¬
laware, Pensylvanie, New-}ersey, Géorgie, Connecticut, Massachussels, Maryland, Caroline du Sud, New Hampshire, Virginie, NewYork, Caroline du Nord, Rhodes Island' se sont ajoutes en 1802
l'Ohio, en 1812 la Louisiane (Firmin Roz : Histoire des Etats-Unis).
(4) Contrairement à ce que disent le P. Marthias Garcia et le D1'
Rollin, Porter n'est pas resté quelque mois aux Marquises. Porter,
arrivé à Nuku-Hiva le 25 octobre 1813 en appareille le 10 décembre
1813. L'"Essex" est capturé le 28 mars 1914. Gamble quitta l île
également au début de 1814.
des Armées
Société des Études Océaniennes
—
425
—
sets Bay " pour aller se faire piper aux atterrages des Sand¬
wich, par la croisière britannique (1814).
Les îles retombent à leur anarchie chronique,
remplie de
luttes sanglantes de
tribus à tribus, coupée de visites plus
ou moins
mouvementées d'Européens ou d'Américains :
missionnaires, baleiniers, trafiquants, déserteurs divers,
jusque vers la fin du premier tiers du 19° siècle.
Le passage aux Marquises en 1835 de l'Anglo-français (1)
Charles Ier, Baron de Thierry, souverain éphémère d'un
royaume illusoire, - il s'était proclamé Roi de Nuku-Hiva et
de Nouvelle-Zélande, - n'interrompt sans doute même pas
le cours de cette anarchie. Les "couleurs" de ce fantomati¬
que despote n'ont malheureusement pas été retrouvées jus¬
qu'à présent; d'ailleurs on ne peut être absolument sûr
qu'elles aient jamais flotté sur ces îles.
La visite en 1838 du Ct. Dupetit Thouars, sur la frégate la
"Vénus", devait laisser plus de traces dans cet archipel.
D'abord, il y amène les premiers missionnaires catholiques,
qui trouvent déjà installé à terre leur collègue protestant
des missions de Londres Stallworthy (2). (Harris, Brook,
Rodgerson avaient abandonné les îles). Puis au cours de
son séjour à Tahuata, il noue avec le Roi Youtete et son
épouse les meilleures relations. Sur la demande du souve¬
rain, il lui fait, même hommage du premier et unique pa¬
villon royal de l'archipel, le damier rouge et blanc, troisiè¬
me substitut de la série des pavillons de la tactique navale.
Dans la Marine militaire, ce pavillon hissé au mouillage si¬
gnifie "diner et repos des équipages" - rappel sans doute
involontaire, ou peut-être malicieux de la part de DupetitThouars, de l'appétit gargantuesque de ce corpulent couple
royal.
Enfin, en 1842, ce même Dupetit-Thouars, Contre-Amiral
cette fois, revient sur la frégate la "Reine Blanche", et,
(1) Il était né en Angleterre de parents français émigrés lors de la
Révolution et se faisait passer, suivant les besoins, pour sujet bri¬
tannique ou citoyen français. Il avait, d'ailleurs, servi dans l'armée,
puis dans le service diplomatique britanniques.
(2) ou Soleworthy (Dupetit-Thouars), ou mieux peut-être Stoleworthy (?)
Société dés Études Océaniennes
—
426
—
après entente avec le Roi Youtete, et une belle cérémonie
militaire, messe solennelle, appuyée de coups de canons et
de salves de mousqueterie, arbore définitivement les trois
couleurs du Roi Citoyen, à Tahuata,
et à Nuku-Hiva ( 1er mai
et 1er juin 1842) (1).
Malgré les velléités d'indépendance un peu trop marquées,
à Ua-Pou, par un certain missionnaire le P.
Alphonse Escoffier, qui dut être retiré "manu militari" de son fief tempo¬
rel- 1848- (2), malgré des soulèvements locaux et
quelques
expéditions punitives, en dépit encore du bref et heureuse¬
ment inoffensif passage, au cours de la guerre 1914-18, des
croiseurs allemands du Pacifique
sur rade de Taio-Hae (27
septembre 1914), elles devaient flotter ces trois couleurs,
sans interruption pendant
près d'un siècle.
Vers la fin de 1940 (septembre), elles ont été
temporaire¬
ment remplacées par l'emblème de la France
Libre, - le
pavillon tricolore à croix de Lorraine, - jusqu'au jour où le
Gouvernement Provisoire de la République ayant fait repas¬
ser dans son obédience ses colonies océaniennes
(1945) ré¬
tablit le vieux pavillon tricolore traditionnel de
1790, 1830,
1848.
*
*
#
De ce qui précède, on doit d'abord
dégager que plusieurs
grandes nations maritimes ont pris successivement posses¬
sion de
ces terres avec la solennité coutumière :
Espagne
(1595), France (1791), Etats-Unis (1814), France (1842), France
Libre (1940), Gouvernement Provisoire
(1945), sans que des
droits de priorité aient été
invoqués par l'un des partis in¬
téressés.
Alors que la plupart des archipels de l'Océanie ont été
ment disputés entre
âpreles grandes puissances coloniales :
Iles Sandwich (Grande-Bretagne, France,
Etats-Unis, Russie) ;
(1) Le fort Collet, érigé à cette époqué à Taiohae, tire son nom,
du premier commandant de cet
établissement, — comme le croit
le Dr Rollin, — mais du
père de celui-ci, le Contre-Amiral Collet,
qui s'était illustré dans les guerres de l'Empire et delà Restauration
(expédition d'Alger).
(2) Histoire rappelée avec humour par le Contre-Amiral Halligon,
non
dans ses "Souvenirs d'Océanie".
Société des Études Océaniennes
Iles de la Société (Grande-Bretagne, France, sans parler de
la Russie) ;
Iles Samoa (Grande-Bretagne, Etats-Unis,
Allemagne);
Nouvelle-Zélande (Grande-Bretagne, France et
divers) ;
Nouvelles-Hébrides (Grande-Bretagne, France, Australie);
Iles Salomon (Espagne, France,
Grande-Bretagne, Allema¬
gne);
Nouvelle-Guinée
(Hollande, Allemagne, Grande-Bretagne,
Australie) ;
rien de semblable
n'apparaît en ce qui concerne les Mar¬
quises.
Les prises de possession se succèdent et semblent tour à
tour tomber aussitôt dans l'oubli le plus profond ; nulle con¬
testation ne s'élève à leur sujet. Malgré la coexistence de
missionnaires britanniques et français, desservant d'Rglises
rivales, malgré des querelles de boutique, dégénérant par¬
fois en petites guerres intestines, malgré même le séjour
temporaire du trop fameux missionnaire apothicaire (1829),
aucune affaire Pritchard
n'y éclate.
Il faut, d'ailleurs, noter que :
1°) La Grande-Bretagne ne semble, depuis Cook, jamais
avoir porté à cet archipel l'intérêt que sa position sur les
routes maritimes futures paraissait devoir lui assigner;
2°) Toutes ces prises de possessions étrangères n'ont, sauf l'américaine, pendant un court laps de temps (1813-1814 —
jamais été suivies d'occupation effective et permanente.
En effet,
des considérations diverses détournent opportu¬
nément de ces archipels leurs possesseurs nominaux.
L'Espagne, trop grande dame pour s'occuper de ces ter¬
primitives, sursaturée de richesses colossales avec le
Mexique, le Pérou, la Nouvelle Grenade, la Plata et ses
plantureux domaines des Antilles ou des Philippines, au
cours du XVIII0 siècle, abandonne sans
regrets ni remords
les découvertes de Quiros et de Mendana, cocotiers com¬
muns des vallées ou vulgaires
pâturages des mornes marquisiens.
res
La France, de 1791 à 1815, tout occupée par les guerres,
-
surtout continentales -,
de la Révolution et de l'Empire, se
soucie fort peu de son domaine colonial, lourd héritage de
la royauté. Sans parlerjjdu Canada et de l'Inde
Société des Études Océaniennes
qu'elle a per-
—
428
—
dus dès 1763, elle cède la Louisiane, lâche Saint-Dominique,
la plupart
de ses îles de l'Océan Indien, ne peut s'opposer
de la Guyane, du Sénégal. Mal¬
gré l'intérêt déjà suscité pour l'Océanie par les voyages de
Bougainville, puis de Lapérouse, suivis des recherches de
d'Encastreaux, des belles explorations de Baudin, elle n'a
cure, à cette époque, du récent apport du Capitaine Mar¬
à l'occupation des Antilles,
chand.
Il faut attendre, - sous l'impulsion
de Ministres de la Ma¬
Duperré (1), de Rigny, Roussin, - l'arrivée
d'une nouvelle équipe de navigateurs valeureux : Duperrey
(1), Freycinet, Vaillant, Laplace, Dumont d'Urville princi¬
palement et Dupetit-Thouars : Alors le développement pro¬
gressif de nos armements commerciaux dans le Pacifique,
particulièrement dans le trafic avec les colonies espagnoles
émancipées, où la pêche à la baleine et aussi, il faut bien
rine éclairés :
l'avouer, l'échec brutal de nos tentatives d'établissement en
Tasmanie ou
en Nouvelle-Zélande, amènent ces Iles Mar¬
quises, surtout à partir de 1841, à servir de fiches de conso¬
lation au gouvernement de Louis Philippe.
A cette
époque, les Etats-Unis, à leur tour, sont pris ail¬
pleine fièvre de croissance, tout à leur marche
vers l'Ouést, à leurs luttes contre les Indiens ou le
Mexique,
ils ne se soucient pas le moins du monde du legs du glo¬
rieux Commodore Porter (2). D'ailleurs la doctrine de Mon¬
roe a été proclamée dès 1823 et la grande
République est
leurs :
en
nettement isolationniste. Aussi nous laisse-t-elle carte blan¬
che, du point de vue politique, dans cet Océan, quand nous
voulons
nous y installer, bien qu'elle ne se désintéresse
pas
de la reconnaissance scientifique de ces mers (U.S. Explo¬
ring Squadron Expedition du Commodore Wilkes, 1841-44).
Et puis ses intérêts commerciaux se tournent avec acuité
vers l'Extrême-Orient
(Intrigues aux îles Hawaii, démons¬
tration de Peary au Japon (1854).
(1) Contrairement à ce que pensent Tyermann et Bennet, Duperré
de commun.
(2) L'annexion de Porter n'avait pas été ratifiée par le Parlement
et Duperrey n'ont rien
amérieain.
Société des Études Océaniennes
—
429
—
Nuku-Hiva, érigé pour un temps Etablissement principal
possessions océaniennes, voit ce sceptre lui échap¬
per dès 1845, au bénéfice de Tahiti. Réduite au rôle de cen¬
tre secondaire, elle végète jusqu'en 1852, date à
laquelle elle
endosse épisodiquement la livrée pénitentiaire pour deux
de nos
Malgré d'honnêtes essais faits dans la culture du coton
toujours chétif végète, sa po¬
pulation décline rapidement, nos armements maritimes dé¬
croissent aussi, et bientôt, "au long frémissement des
pal¬
mes", ces îles retombent au silence.
ans.
ou
du coprah, son commerce
A la fin du dernier siècle et au début de celui-ci, elles se
bornent à servir de refuge, de tombeau, ou de catalyseur à
des artistes
épris de solitude Stevenson, Loti, Gauguin, le
couple London, hier Gerbault avant sa fin déplorable à Ti¬
mor, aujourd'hui Boullaire, après avoir failli héberger Chadourne, le délicat auteur de "Vasco", alors détaché en Océanie et Administrateur "en puissance" des Marquises
(1925).
Et cependant, parmi ses propriétaires occasionnels, un
seul, le Baron Charles Thierry de la Ville d'Avray (1),- aven¬
turier funambulesque ou peut-être précurseur et visionnaire
génial, - avait, si paradoxal que cela paraisse, du premier
coup d'oeil pressenti le rôle important que les Marquises
pourraient être appelées à jouer dans un réseau cohérent de
possessions coloniales atlantiques et océaniennes. Mais ce
système grandiose, basé sur l'utilisation des Antilles com¬
me relais, le percement de l'isthme de Darien
(futur canal
de Panama) (2), la colonisation par la France de la NouvelleZélande, l'occupation des Marquises enfin, entraînait le ma¬
niement de capitaux immenses, le concours hardi, constant,
et compréhensif de la Métropole. Par son amplitude même,
et la pusillanimité des temps, par notre échec brutal en
(1) Sa famille avait été anoblie par Louis XVI: un de ses ancêtres
premier valet de chambre du roi et très apprécié de ce souve¬
était
rain.
(2) Il faut noter que les premières études du futur canal de Pana¬
sont faites vers 1844 par la Maison
foly de Sablé et Salomon
(avec laquelle le baron Thierry s'était engagé dès 1834, à la Guade¬
ma
loupe (William Leblanc).
Société des Études Océaniennes
—
430
—
Nouvelle-Zélande (1841), il devait s'effondrer comme un châ¬
teau de cartes, comme un
Eldorado englouti, dont les Mar¬
quises représentent les derniers sommets.
ne
Faut-il inférer de ces insuccès répétés que les Marquises
constituent pas pour nous, sur l'échiquier océanien, la
position-clé envisagée par Dumont d'Urville et DupetitThouars?
Cette opinion tendrait à être renforcée par le fait que, dans
la dernière grande guerre du Pacifique (1939-1945), leur rôle
semble avoir été à peu
près nul.
Il serait
cependant prématuré de conclure. Bien que cet
archipel ne soit pas exactement axé sur le trajet direct des
grandes routes transocéaniennes, il n'en écarte que de quel¬
que centaine de milles. Rien ne permet de supposer que les
progrès de la navigation aérienne ou maritime ne rendent
ce léger déroutement tout-à-fait insignifiant, surtout si cer¬
taine de ses rades (Taio-Hae) recevait un équipement mo¬
derne (1).
En attendant ce jour heureux, mais encore indéterminé,
est-il utile de rappeler que cet archipel possède des terrains
fertiles, des vallées profondes, autrefois peuplées, de l'eau,
un climat somme toute agréable. On peut donc s'étonner
que diverses tentatives commerciales y aient jusqu'à pré¬
sent incomplètement réussi.
Si la culture industrielle du coton demeure un projet trop
ambitieux, n'est-il pas souhaitable que d'autres richesses
mieux adaptées: élevage, café, vanille, coprah, cacao, ba¬
nane, plantes à parfum, ou plus simplement ricin et sandal
qui y poussent à l'état naturel ne soient à nouveau dévelop¬
pées ?
Possesseurs incontestés depuis plus d'un siècle de ces
terres aujourd'hui presque désertes, ne pourrait-on, par un
apport judicieux de main-d'œuvre sélectionnée, - car tout
est là,-en tirer un meilleur parti que celui d'y envoyer
sommeiller, sinon "dans un linceul de pourpre comme des
dieux morts", du moins dans des paréos écarlates, quelques
Société des Études Océaniennes
—
431
—
fonctionnaires
erratiques : administrateurs, médecins,
placides gendarmes?
J.
ou
COTTEZ,
Capitaine de corvette (E R)
Membre correspondant de la S.E.O.
(i) Parfaitement prévu dans le remarquable ouvrage du Dr Rollin,
les Marquises, projet en concordance absolue avec celui
de M.
Sarraut dans son Programme de Mise en valeur notre
Empire.
Voir aussi annexe 3- citalion du Cte C. de
Amezaga (Viaggio de
Circumnavigatione délia Regia Corvetta Cavacciolo.
sur
Société des Études Océaniennes
—
432
—
ANNEXE I
des prises de possession successi¬
Schéma chronologique
ves
(trois tableaux) (1).
TABLEAU II
Archipels des Marquises
Explication des tableaux
Nos
Autres noms
Noms actuels
1
Fatu-Hiva
...
Tableau I : Schéma chrono¬
Magdalena (la Madelei¬
ne)
2
Moho Tani..
3
Hiva-Oa
....
4
Tahuata
...
5
logique des prises de posses¬
sion. (Les 11 îles de l'archipel
San Pedro.
sont figurées par 11 colonnes
Dominica (la Domini¬ numérotées).
Tableau II : Correspondance
que).
Sanla Christina.
Ile Marchand.
Adams Island.
Ua-Pou
.
...
He Frevannon.
Jefferson Island.
des numéros aux îles de l'ar¬
chipel (noms acluels et noms
ancieps).
Tableau III : Légende des Pa¬
villons successifs arborés sur
les îles.
Tableau III
Ile Baux.
G
7
Nuku-Hiva
..
Hua-Huaka..
Federal Island.
Aïs : U.S.A. (15 étoiles).
Sir Hcnoy Martin 1J.
Madison Island.
El
:
Espagnols. -
X
:
Baron de Thierry.
:
Youtété.
Ile du "Solide".
Wasington Island.
Y
Ile des Deux Frères.
Fi
Hergest Island.
F2 I
8
Molu-Iki....
9
Hatuku
lie Chanal.
Roberts Istand.
10
Eiao
He Masse.
Fl
11
Fatu-Uku
Hood Island.
Q)
...
| France.
Révolution, 2me Rép.
F3 ( ' Orléans, Empire.
F4)
4me République.
:
France Libre.
: Prise de possessions.
3/3 : Date de prise de pos®
possession.
1880
■
Principaux soulève¬
ments et expéditions.
(1) En raison de difficultés techniques le tableau I n'a pu être inséré.
Société des Études Océaniennes
—
433
—
ANNEXE II
Cte C de Ameraga- Viaggio de Circumnavigatione délia
Regia Gorvetta Gavacciolo.
Neglianni 1881-82-8-84. Roma 1885.
Tome II.
Page 117 (Au sujet des Iles Marquises):
L'Isthme de Panama une fois percé, indubitablement ces
possessions acquerreront une plus grande importance, sor¬
tant de leur actuel assoupissement pour se trouver sur le
trajet de l'artère la plus commerciale qui réunira directe¬
ment. l'Europe et les Etats-Unis à l'Australie.
Mais, en même temps, surgira un inévitable antagonisme
entre Tahiti et les Marquises.
Le grand arc de cercle coupe Taio hae, port des Marqui¬
ses, excellent et d'accès facile, et abrège le chemin. Papeete,
port de Tahiti, au dehors du cercle, par contre, allonge la
route, oblige les navires à traverser le dangereux archipel
des Tuamotou, où ils ne se trouvent pas dans les meilleures
conditions de sécurité nautique.
Le siège du Gouvernement colonial devra être nécessai¬
rement transféré à Nuku-Niva, capitale des Marquises, où
se rencontreront les ressources que
la navigation fera naître
et Tahiti devra céder sa suprématie.
—
ANNEXE III
Bibliographie sommaire
Dalrymple. — Voyages et découvertes à la Mer du Sud 1774.
de Laborde. — Histoire abrégée de la Mer du Sud 1791.
Marchand. —
Voyage autour du Monde An VI - An VIII.
Krusenstern.—
Voyage autour du monde de 1803 à 18061821.
Cook. — Journal d'un voyage dans l'hémisphère austral et
autour du Monde sur les vaisseaux "La Résolu¬
tion" et 1' "Aventure" 1772- 1775.
Vincendon, Dumoulin et Degraz.— Iles Marquises 1844.
de Rienzi. — Océanie 1836-37.
Anonyme. — Iles Marquises 1843.
Dumont d'Urville.
—
Voyage
au Pôle Sud
1841-46.
Société des Études Océaniennes
et en Océanie
434
—
—
Dupetit-Thouars.— Relation historique du voyage autour
du Monde sur la frégate "La Venus"
1841-49.
Radiguet. — Les derniers sauvages 1929.
Dr Rollin.
—
Iles Marquises.
Tramond.
—
Histoire Maritime.
Firmin Roa.— Histoire des Etats-Unis.
Louis Bertrand.
Gaotte.
—
—
Histoire d'Espagne.
Histoire de la Révolution française.
M. Sarraut.— La mise en valeur des colonies
françaises 1929.
Mager. — Atlas colonial, et le Monde Polynésien (1890-1902).
Privât Deschanel. — Océanie 1930.
Fitz Roy. —
Voyages of the "Beagle" 1839.
Caillot.— Histoire de la Polynésie orientale 1910.
Roque feuille. — Journal d'un Voyage autour du Monde 1823.
Tyerman and Bennett. — Journal of Voyages end Travels
1831.
Halligon.— Six mois à travers l'Océanie 1889.
William Leblanc.
—
Souvenirs de
Cte C. de Ameraga.—
ma
vie 1894.
Viaggio de Circumnavigattone délia
Régir Corvetfa "Cavacciolo" neglianni 1881-82-83-84. Rom a 1885.
Société des Études Océaniennes
—
435
—
"Migrations Polynésiennes — Etude critique"
par
Eric de B1SSCHOP.
Une des importantes questions jusqu'ici restée sans réponse... :
Pourquoi L'"Outrigger"
des embarcations polynésiennes était-il toujours fixé à bâbord ?;...
La seule embarcation typique polynésienne rencontrée au¬
jourd'hui encore dans les différents archipels du Pacifique,
est celle communément connue sous le nom,
impropre d'ail¬
leurs, de "pirogue à balancier". Or, il est établi que ce "ba¬
lancier", "flotteur" ou "outrigger" est partout, dans le Pa¬
cifique Polynésien, fixé à gauche de l'embarcation... A gau¬
che plutôt qu'à droite... pourquoi?
Un "fait" de cette importance aurait dû, semble-t-il, éveillerlacuriosité de nosEthnologistes etleslancerà larecherche
d'une explication... Car l'universalité de ce trait ne
peut évi¬
demment avoir été ou être la conséquence d'une coïnciden¬
ce... une raison exista
(et une puissante raison certainement)
pour que, aujourd'hui encore, tous les indigènes polynésiens
nous diront que 1'
"outrigger" d'une pirogue doit être placé
à gauche, bien que fut-il placé à droite, cela ne
changerait
rien et à leur manœuvre et à leur navigation... En
effet, dans
beaucoup de régions, les pirogues ont des formes quasi iden¬
tiques à l'avant et à l'arrière... si bien que Lorsqu'un indi¬
gène, ayant mis à la voile, veut virer de bord, il fera pivo¬
ter toute la voile autour du mât, de façon à ce qui était l'é¬
coute devienne l'amure ; et quittant alors son poste de barre
à l'arrière il s'installera à l'avant qui deviendra alors l'ar¬
rière... L'outrigger (flotteur ou balancier) qui était par exem¬
ple à gauche de l'homme de barre, faisant face à Lavant,
Nota.— Eric de Bisschop dans son ouvrage traitant de
Migrations
Polynésiennes, adopta : Le terme "Nourantara", proposé par les sa¬
vants hollandais, pour désigner la vaste
région du Pacifique Ouest,
où l'ethnologie décela des traces évidentes de contacts
polynésiens.
Elle comprend non seulement la région "malaise" les Indes Néer¬
landaises, britanniques, mais encore les côtes de Champa (Annam)
ainsi que les Philippines et Formose.
Société des Études Océaniennes
—
436
—
passera donc à sa droite... mais (et ceci est d'une importance
capitale comme nous le verrons bientôt) cet outrigger res¬
tera toujours, quelque soit l'amure, auvent.,. En
conséquen¬
ce une embarcation
qui a son outrigger fixé à gauche pré¬
sentera toujours son côté bâbord à la brise.
Il semble donc que la raison
qui pourrait nous dire le pour¬
quoi de cet. étonnant état de chose n'existe plusde nos jours...
mais qu'elle dut autrefois
exister, nul. je crois, n'oserait en
douter.
Une raison de très grande
importance seule put motiver
polynésienne entre les conceptions
de "à gauche" et de "au vent" et plus encore la survivance
de cette même conception, sans raison
apparente, à travers
de longs siècles d'histoire.
Ici encore je crus que cette troublante
énigme de la cul¬
ture polynésienne (si éminemment
maritime) devait être
étudiée plus avec le bon sens du marin
qu'avec les métho¬
cette étroite association
des de l'ethnologiste.
L'homme apprit certainement de très bonne heure à dis¬
tinguer sa droite de sa gauche.
Qnand aujourd'hui nous parlons de notre droite ou de no¬
tre gauche, nous ne regardons
guère plus loin, somme toute,
que le bout de notre nez...
car
le bout de notre nez est le
point central par lequel, ins¬
tinctivement, nous faisons passer une ligne médiane (ou
mieux un plan vertical) qui divise notre personne, et
l'espace
de chaque côté de notre personne, en deux
parties égales
auxquelles nous avons attribué des termes spéciaux de notre
language.
L'homme n'apprit sans doute que
beaucoup plus tard à
s'orienter, c'est-à-dire à diviser son horizon en parties dé¬
finies et à donner à ces parties des noms aussi définis.
Mais,
tandis que la simple détermination d'une droite et d'une
gauche ne supposait qu'une direction basique que four¬
nissait l'individu lui-même, le
partage de l'horizon en
vue d'une orientation,
exigeait la découverte d'une direction
aussi basique, dont la qualité
supplémentaire et indis¬
pensable était de pouvoir rester la même, toujours ou pres¬
que, quelque pouvaient être les temps et les lieux... Cette
Société des Études Océaniennes
—
437
—
direction fixe ne pouvait être trouvée qu'en tournant les yeux
vers
la voûte céleste...
Un groupe humain porté à la précision (que ce fut par ins¬
tinct ou par nécessité) n'eut et ne put jamais avoir à sa dis¬
position qu'une seule direction fixe qui fut capable de lui
offrir une base immuable pour le partage de son horizon...
la ligne des pôles tandis qu'un autre groupe humain, n'ayant
pas besoin de la précision du premier, et pouvant se conten¬
ter d'une orientation très générale et approximative, put très
bien se contenter des directions que lui offrait la marche du
soleil.
Pour la clarté de mon exposé, supposons une époque théo¬
rique ou 1' "Homo sapiens" se composait de deux grandes
familles culturelles : l'une, composée d'individus ayant gar¬
dé les tendances nomadiquées de l'homme primitif; l'autre,
d'individus les ayant abandonnées pour mener une existenplus sédentaire... les premiers trouvant la source principale
de leur nourriture dans la chair des troupeaux qui accom¬
pagnent leurs pérégrinations; les seconds, dans les produc¬
tions du sol; les premiers, un peuple de bergers; les se¬
conds, de cultivateurs. On conçoit très bien que pour ces
deux groupes théoriques, des systèmes d'orientation ne
présentaient pas le même intérêt et ne pouvaient que diffé¬
rer en qualité... les nomades avaient besoin d'une précision
dont pouvaient se dispenser les sédentaires. Les premiers,
passant une grande partie de leur existence errante "à la
belle étoile" auront rapidement remarqué dans la voûte cé¬
leste ce point, marqué par une étoile ou non, autour duquel
tous les astres semblent pivoter et dont la direction reste
invariable ; tandis que les seconds, fixés dans une région
favorable à leur culture, auront toutes chances de considé¬
rer comme direction importante du Ciel celle ou chaque jour
leur revient le Soleil, cet astre bienfaisant régulateur de ces
précieuses moissons dont dépend la vie de la communauté.
Il semble que la majorité des populations européennes
doivent leur première conception du partage de leur horizon
au premier de ces groupes : ne concevons-nous pas instinc¬
tivement le pôle Nord comme étant en face de nous ? Quand
nous plaçons sur nos cartes le Nord en haut et l'Est à droite,
ou encore quand nous disons que le soleil se lève à notre
Société des Études Océaniennes
—
438
—
droite et se couche à notre gauche n'afïirmons-nous
pas l'o¬
rigine d'un legs reçu, il y a bien des milliers d'années des
bergers nomades des déserts de Chaldée ou d'ailleurs? Et
ceci bien que le terme de la
majorité de nos languages, réservé au partage même de notre horizon en parties défi¬
nies, - soit "Orientation". Mais ceci est probablement un
legs philologique postérieur que nous devons à la grande
Famille Indo-Etiropéenne dont nous sommes part. Car les
Indo-Aryens (appartenant aussi à la famille linguistique in¬
do-européenne) nous offre le plus parlait exemple du groupe
"cultivateurs" à l'orientation "solaire".
L'Aryen ne put en
effet jamais concevoir l'Est que comme en face de lui..,. En
Sanskrit, "purva" a la double signification de "Est" et de
"en lace", tandis que "apara" signifie à la fois "ouest" et
"par derrière". "Pratika" est un autre mot sanskrit pour
Ouest et aussi à cet autre sens. Le Nord po.ur les nombreux
membres de la grande famille linguistique indo-aryenne ne
donc plus
"en face" comme pour nous, mais passera
et "Uttara" aura le double sens de "Nord" et
"gauche", tandis que "dakshina" signifiera le "Sud" et la
"droite". Un Arya ne pouvait concevoir comme nous un
Soleil se levant à droite ou se couchant à gauche, mais se
sera
"à gauche"
levant "en face de lui" et se couchant "derrière"...-.
d'un des pôles étant le seul qui put servir de
partage précis et immuable de l'horizon, tout
peuple qui plaça l'Est à sa droite nous indique par cela
Le
choix
base à
un
même que ce fut en quelque région au Nord de l'Equateur
qu'il perféctionna sa culture, il ne put avoir "en face de lui"
que le Pôle Nord. Mais, si, par aventure, nous rencontrons
un peuple qui plaça l'Est à sa
gauche, force nous sera bien
de lui assigner un habitat culturel dans
l'hémisphère sud.
Or un peuple insulaire de marins, un peuple qui sut dé¬
couvrir des îles éparses sur le Grand Océan, et qui, les
ayant
découvertes, sut les retrouver, nos Polynésiens, ces noma¬
des du "grand large" eurent impérieusement besoin, autant
et plus que les nomades des déserts, d'un
système précis
d'orientation. Il me parut donc possibe d'arriver par cette
méthode, sinon à trouver l'habitat originel de la mystérieuse
"Race Polynésienne", du moins de la limiter (si
je puis dire)
à une seule moitié du Globe..
Société des Études Océaniennes
—
439
—
Je me mis au travail, persuadé d'être sur la voie d'une
passionnante découverte. Mon confiant enthousiasme devait
bientôt céder le pas à la surprise.... et à la déception. Car,
après avoir réuni la grande majorité des termes connus
d'Orientation pour chacun des îlots, îles et archipels du Pa¬
cifique, il me fallut constater une fois de plus le peu d'inté¬
rêt que l'Ethnologie accorda à la culture ''maritime" du
Polynésien, la négligence et le peu de sérieux avec lesquels
les
informations relatives
à
cette
culture
avaient été en
général recueillies et cataloguées. Si nous voulons un jour
de cet important matériel philologique,
à notre dispositional nous faudra de toute nécessité y faire
au préalable un méticuleux travail de triage,,., une sépara¬
tion de l'ivraie du bon grain.... Nous voyons, en effet, des
cas nombreux où le nom polynésien, réservé dans une
liste
au Nord par exemple, s'applique dans une autre liste de la
même région... au Sud. Une même île nous donne, selon les
"informateurs", pour des mêmes points cardinaux, des ter¬
mes complètement différents... ou un même nom pour l'Est,
nous servir utilement
et l'Ouest, etc..., etc....
Il nous faudra aussi faire une importante distinction entre
aux seules directions astronomiques et
qui étaient réservés aux différents Vents selon qu'ils
soufflaient d'une partie de l'horizon ou de l'autre, carce sera
ici, très logiquement, la direction du vent régulier, c'est-àdire l'alizé, ou la direction générale de l'Est, qui aura gran¬
de chance d'avoir été prise comme base, une orientation po¬
lynésienne établie par rapport aux brises alizées considé¬
rera les
expressions "au vent", "en face", "au-dessus",
comme synonymes de "vers l'Est", et celles de "sous le
vent", derrière "au-dessous", comme synonymes de "vers
l'Ouest"-, ce qui est d'ailleurs le cas général.
Il nous faudra, enfin, rejeter définitivement ces termes,
très courants, hélas, dans la Polynésie actuelle, qui sont ceux
les termes relatifs
ceux
d'une orientation strictement localisée, déduit de la direc¬
tion d'une
particulière colline, village, rocher, etc..., car
prouvent que la dégénérescence d'un peu¬
ple, jadis marin de Grand Large, qui, aujourd'hui, limitant
sa navigation à des eaux côtières, peut se passer des termes
d'orientations astronomiques et se contenter de quelques
ceux-ci
ne nous
"relèvements" locaux.
Société des Études Océanienne!
—
440
—
J'allais (avec infiniment de regret)
abandonner cette pro¬
metteuse
ligne de recherche, lorsqu'un fait bien connu
d'"Ethnologie Nautique" du Pacifique polynésien vint me
redonner confiance, le "fait" qui fait l'objet de ce
Chapitre...
Quelle put bien avoir été la raison qui voulut que l'outrigger
simple des embarcations polynésiennes fut placé à Gauche
plutôt qu'à Droite? Il devait bientôt me permettre de trou¬
ver la solution cherchée et
peut-être, par incidence, d'au¬
tres solutions, comme nous allons le voir.
Nous
le Polynésien employa deux embarca¬
l'une, le "double-canoe" et l'autre une em¬
barcation à laquelle il sut appliquer le "principe
outrigger".
savons
que
tions typiques:
Le but de ces deux inventions était évidemment l'accroisse¬
ment de la stabilité transversale de
Poriginel "dug-out".
Cette dernière embarcation pouvait être du
à-dire avoir
un
type double (c'estchaque
espars, flotteur ou balancier fixé de
bord de la coque) ou du type simple.
A l'époque de
la découverte, le "double-canoe était déjà
pleine décadence, le principe n'étant plus guère appliqué
qu'à de merveilleuses embarcations de guerre, extrêmement
décoratives mais tout-à-fait inaptes aux grandes croisières
océaniennes., leur mode principal de propulsion était d'ail¬
leurs la pagaie et non plus la voile. L'usage de l'embarcation
à outrigger était resté, au contraire, général,
mais, seul, le
type "simple" avait survécu., avec le troublant problème
qui nous occupe ici de son unique outrigger fixé à Gauche.
Nos premiers Explorateurs du Pacifique ne manquèrent
certainement pas d'avoir été frappés de cette occurence et
j'ignore si certains tentèrent de trouver une réponse à cette
apparente anomalie. Mais eussent-ils demandé aux indigè¬
nes d'alors pourquoi leur
outrigger était placé à gauche
plutôt qu'à droite, il est probable qu'ils auraient reçu la mê¬
me réponse que
nons recevons aujourd'hui : « ceci est notre
coutume., nous continuons de faire ce que faisaient nos An¬
en
cêtres ».
Nous allons voir qu'il est possible de trouver une
réponse
passé polynésien., et ceci, encore à l'aide
de cette science quasi nouvelle qui permit
déjà de faire tant
à cette énigme du
Société des Études Océaniennes
—
444
—
de lumière dans les nubéleuses évolutions de nombreuses
branches de la race humaine : la Philologie.
Si le "double-canoe" a aujourd'hui pratiquement disparu
du Pacifique, les termes relatifs à sa construction,
etc...
nous
restent.
gréement,
Parmi ceux-ci, il en est deux d'un inté¬
rêt philologique considérable. Partout en
Polynésie, chacune
des coques du "double-canoe" avait son nom : la
coque de
droite était invariablement désignée par le mot Akea, Kakea... etc
ou un
terme
le mot Ama... etc,
en
ou un
dérivant, la coque de gauche par
terme en dérivant. Or (et ceci est
important),
comme il arrivait souvent que les coques fus¬
tonnages différents, l'appellation Ama était toujours
réservée à la plus petite ; en d'autres termes, la
plus petite
embarcation, c'est-à-dire l'Ama était placée à Gauche.Tout
sent de
marin de la voile nous dira que pour des raisons de
naviga¬
la plus petite des embar¬
cations d'un "double-canoe" sera celle que l'on
placera "au
vent".. Ama devint donc de ce fait synonyme de "Gauche"
tion qu'il est inutile d'exposer ici,
et de "Vent".
Dans le canoë à unique outrigger, cet unique outrigger a
aussi, dans tout l'aréa culturel polynésien, ce même nom
"Ama" et, pour les mêmes exigences de
navigation, cet ou¬
trigger Ama, tout comme la plus petite embarcation Ama du
double canoë, sera toujours placé "au Vent" dès que l'on
fera route sous voile.
Ces termes Akea et Ama, contrairement à ce que bien des
Auteurs ont voulu insinuer, appartiennent en propre au Pa¬
cifique polynésien : j'en trouve une preuve évidente dans le
fait philologique suivant qui, cette fois, ne peut être une heu¬
reuse coïncidence, car ils dérivent
trop nettement de deux
autres termes du langage courant avec une double identité
et de "racine" et de "sens". En effet, Akea, Atea,
Katea,
etc. (la coque droite du double-canoe) est évidemment déri¬
vé de Akau, Atau, Katau, etc... la coque gauche du doublecanoe et l'unique flotteur de l'embarcation à
outrigger est
non moins évidemment dérivé des mots
Hema, Ema, etc..,
qui veulent dire : la main gauche... Nous savons que le mot
polynésien pour la main en général est lima; des Philologistes plus compétents que moi-même pourraient nous dire
Société des Études Océaniennes
—
si nous ne serions
442
—
pas, en conséquence, autorisés à extraire
de ces différents termes une racine
première/Ma pour main;
m'apparait d'autant plus possible, qu'il est. un autre
mot aussi courant dans l'habitat
polynésien pour désigner
la main gauche et c'est Maui et ses
dérivations. Si cette iso¬
lation est reconnue, nous
pourrions être sur la voie, d'autres
importantes découvertes.
ceci
Certains auteurs, pour
expliquer l'origine du mot A ma ;
outrigger se rabattirent comme toujours sur... le Sanskrit,
sous le fallacieux
prétexte que Arna, dans la région Nousantarienne avait la forme Sam an
(ce qui n'est pas d'ailleurs,
exact car il n'a cette forme
que dans la périphérie ouest de
cet archipel), et qu'il était un
ancien mot javanais Sama qui
signifiait ''ensemble";.. S'il est parfaitement vrai que ce
Sarna javanais soit dérivé du Sanskrit ou
la préfixe Sa, Sam,
indique une "union", une "similitude", une "équivalence",
je ne vois pas très bien la relation que cette idée peut avoir
avec
le flotteur d'une embarcation.
Il
semblerait, par ailleurs, quelque peu étrange que les
Javanais aient dû, pour
désigner une partie si essentielle de
leurs bateaux, se
la Mer,
rabattre sur le Sanskrit. Chacun sait
que
les voyages océaniques, la navigation n'étaient
pas
le propre des
populations de culture Aryenne.. à un point
"Aryens", cependant grands voyageurs et
commerçants, l'individu qui poussait l'audace jusqu'à bra¬
ver les "eaux noires" et
entreprendre un voyage en mer se
voyait couvert jusqu'à la mort d'une "indélébile souillure"..
Ce ne fut guère
que plusieurs siècles après l'introduction du
tel que chez ces
Bouddhisme aux Indes que cet ostracisme
perdit de sa rigi¬
dité. Nous n'avons pas d'autre
part à tourner les yeux vers
le pays des "Aryas"
pour expliquer l'adjonction de conson¬
nes à des mots
polynésiens, car il est un fait bien connu que
les populations mélanésiennes du
Pacifique occidental ont
cette généreuse et
générale tendance: sur la route de la
Polynésie à Nousantara, (qui est celle, comme nous l'avons
démontré, de la dispersion du
principe "outrigger"), ne
voyons-nous pas apparaître pour l'Ama polynésien le "S"
dans les formes "Sama",
"Samani", "Sam", "Sem".. etc,
et ceci depuis les Nouvelles
Hébrides en passant par les îles
Banks, les Salomons, la
Nouvelle-Irlande, la Nouvelle-Bre-
Société des Études Océaniennes
—
443
—
tagne, nous voyons aussi apparaître d'autres consonnes, le
"T" par exemple : "Tarna", "Tamane", etc.. dans la région
des Salomons et des Iles de l'Amirauté; ou encore le "G''
ou le "L" : "Gamana", "Lamana" aux d'Entrecasteux et en
certains points de Nouvelle-Guinée,
Mais
revenons
à notre
etc, etc...
sujet: Nous serait-il possible de
déterminer un habitat Nord ou Sud pour l'évolution culturelle
maritime du Polynésien?
Parfaitement, ainsi que nous al¬
lons le voir.
Nous avons démontré, sans qu'il
puisse y avoir le moin¬
"Ama", appellation courante qui
désignait en Polynésie la plus petite coque du double-canoe
et surtout le flotteur de l'embarcation à outrigger était de¬
venu
synonyme de "à Gauche" et de "au Vent". Or, il est
un autre "fait" que nous connaissons au sujet de cette Poly¬
nésie, un fait "météorologique" celui-là. La région, toute en¬
tière, ou presque, est confinée entre les tropiques, et se trou¬
ve, en conséquence, soumise, la quasi totalité de l'année, à ce
régime de vents réguliers que nous appelons les "Alizés",
et ces vents soufflent toujours de la partie Est, cette partie
Est que les Polynésiens, aujourd'hui encore, considèrent
comme aussi synonyme de "au Vent" (pourrait-il d'ailleurs
en être autrement?).... Qu'en déduire, sinon que Ama aus¬
si impliquait l'idée de "vers l'Est" en même temps qu'il si¬
gnifiait "au Vent" et "à Gauche".. Et la conclusion logique
s'impose: Pour qu'un peuple en vienne à considérer l'est
comme étant à sa gauche, ne fallut-il pas, de toute évidence
que pour ce peuple le sud fut considéré comme ayant été
"en face"? Et, conséquemment, ne nous faut-il pas admet¬
tre que ce peuple ne put avoir évolué son système d'orien¬
tation qu'en quelque région de l'hémisphère Sud?..
dre doute à ce sujet, que
Nous arrivons ainsi à limiter les recherches d'un habitat
culturel pour
le Polynésien... à une seule moitié de notre
Globe. Ceux de mes lecteurs qui ne sont pas au courant des
nombreuses "théories d'origine" qui, chacune chérit pour la
race
ter
berceau privilégié, penseront sans doute que limi¬
problème de ce genre à la moitié de la Terre n'est
un
un
Société des Études Océaniennes
—
444
—
guère un progrès. Ils ne manqueront pas cependant de chan¬
ger d'opinion
quand ils se rappelleront que toutes les théo¬
ries officielles discutées au début de cet
ouvrage ne se trou¬
vent réellement d'accord entre elles
(si je puis dire) que pour
situer leurs "berceaux" en
quelque région allant de l'extrê¬
me Nord du
Pays des "Vikings" jusqu'aux confins de l'ex¬
trême Est asiatique en passant
par les Pyramides d'Egypte,
les côtes de Phénicie, Ur en
Chaldée, le royaume de la Reine
de Saba, le pays des
Aryas. etc, etc.. et que toutes ces ré¬
gions se trouvent, sans exception, dans l'Hémisphère Nord...
Placer le centre culturel
polynésien dans l'Hémisphère Sud
ne saurait au contraire
qu'apparaître un peu révolutionnaire.
.
La reconnaissance d'un habitat culturel au Sud de
l'Equa¬
teur ne pourra manquer de
jeter quelque suspicion sur cer¬
taines informations
l'une
jadis présentées de façon à renforcer
l'autre des théories habituelles. Il serait
sage, par
ou
exemple, de vérifier les traductions de certaines légendes,
plus encore de certaines de ces "révélations" qui nous si¬
tuent un berceau d'ancêtres, une arrivée de
Canoës, et fixent
des directions à certaines routes
migratoires etc, etc... Avant
de les accepter comme "faits" il serait
prudent de savoir
comment et par qui ces informations furent
recueillies, tra¬
duites.
ou interprétées.
Si, par exemple, au cours d'un récit légendaire, un indi¬
gène indiqua à son enquêteur une Orientation, celle ci put
avoir été fidèlement
transposée dans notre langage, mais
elle put aussi, dans l'esprit de
l'indigène, indiquer une direc¬
tion diamétralement opposée
à celle que traduisit et nous
communiqua l'enquêteur. Si un informant montra du doigt
une partie de l'horizon, ou se servit
d'expressions qu'il nous
fut permis de traduire littéralement
par "vers le soleil le¬
vant" ou "vers le soleil couchant", nous avons toutes raisons
de croire en l'exacte
transposition d'un système d'orienta¬
tion dans l'autre... Mais si,
par aventure, une direction fut
indiquée à l'aide d'un dessein quelconque tracé sur le sable
ou un bout de
papier, si, par aventure, une expression telle
que "à ma main gauche", "à ma main droite" fut employée,
nous aurons très certainement
pris le Nord pour le Sud et
l'Est pour l'Ouest
et
.
.
Société des Études Océaniennes
—
La
445
—
grande partie des Polynésiologistes pourraient très
bien me dire ici que ce travail de révision ne saurait en rien
changer la solution générale du problème, (cette solution (?)
qui de nos jours semble avoir rallié tous les suffrages et qui
nous fait venir les
ancêtres de la race polynésienne de l'Ouest
prédilection marquée pour la région que certain
s'acharnent a qualifier, on ne sait trop pourquoi de "Ma¬
laise"), car cette solution nous fut précisément donnée par
la traduction de cette expression "soleil couchant", qui, de
mon avis même, ne permet
aucune ambiguité d'interpréta¬
avec
tion.
une
..
Ce n'est pas la place de reprendre la traduction et
plus en¬
l'interprétation de certaines de ces expressions... il y
aurait trop à dire... Je ferai simplement remarquer que pour
toutes les races de la Terre, fussent-elles de l'hémisphère
Nord ou Sud, cette partie du Ciel, l'Est, ou apparait chaque
jour le Soleil, fut de tous temps et par les races même les
core
plus sauvages, associée à l'idée de "naissance" ou "arrivée
de la Vie", et celle où il disparaissait, l'Ouest, à l'idée de
"Mort" ou de "départ de la Vie". Quand nos Polynésiens,
dans certaines de leurs légendes nous indiquent la direction
du soleil couchant comme le "le lieu de séjour de leurs An¬
cêtres" nous allons peut-être un peu au delà de leur
pensée
en en déduisant
que ce fut, donc, "vers l'Ouest" que nous
devons chercher le "berceau" de ces Ancêtres et
que ce put
en conséquence que "de
l'Ouest" qu'arrivèrent les canoes
de ces Ancêtres pour la découverte et le
peuplement du Pa¬
cifique.
..
A ce
compte, nous pourrions tout aussi bien assigner une
origine occidentale... à toutes les races de la Terre... voire
même
aux
faitement
Américains des Etats-Unis, qui pourraient par¬
nous
dire en parlant de l'actuel lieu de séjour de
leurs Pères : They have gone...
West...
Cette étude ne manquera pas, je le crois et je l'espère,
d'inciter d'autres chercheurs à vérifier ou à combattre la
conclusion à laquelle je viens d'arriver.
Une
ligne d'investigation que je leur signale car elle me
parait prometteuse de découvertes est la suivante :
Il est bien connu que sur toute l'étendue de notre Globe,
Sciciété des Études Océaniennes
—
446
—
que ce soit dans
l'éhmisphère Nord ou l'hemisphère Sud,
place de choix est réservée à l'Est; quelque soit la La¬
titude, cette partie du Ciel où apparaît le Soleil est symbobolique de Vie, de lumière, de bienfaits. Un habitant de l'hé¬
misphère Nord, ayant l'Est à sa droite en viendra tout natu¬
rellement à reporter à sa main droite les qualifications dont
il aura paré cette partie de l'horizon. Nous
voyons et effet,
(pour ne citer que quelques exemples tirés de la langue fran¬
çaise et anglaise) que le terme lui-même "à droite" (on the
right) est de près associé à l'idée de ce qui est droit (right)
et ceci dans le plan physique comme dans le
plan moral.
Etre adroit est le contraire en français de "être
gauche" ou
maladroit. En anglais, la droite est "right" du.latin "rectus"
signifiant "droit" "pas de travers"... tandis que gauche qui
est "left" tire son origine du Saxon "lef", un mot
impli¬
quant une idée de faiblesse, d'infirmité,- de maladresse de
"gaucherie". Le contraire de l'anglais "to be right" est
"to be wrong " et "wrong ", aussi d'origine saxone
signifie
dans cette langue "courbé" ou " de travers ", rejoignant
le français tort qui aussi implique une idée de torsion, de
forme déviant de "la ligne droite "
Considérons maintenant le Polynésion dont la culture se
développa quelque part dans l'hémisphère Sud. Pour lui,
exactement comme pour nous, l'Est n'en restera pas moins
associé à l'idée de vie en opposition à l'Ouest associé à l'idée
de mort, à l'idée de lumière en opposition à celle de ténèbre
de bienfaits en opposition à celle de " torts " et il est donc
probable que nous verrons la main gauche prendre les qua¬
lifications de la " bonne main
une main qui n'aura
plus
rien de "sinistre". Il serait donc du plus grand intérêt de
découvrir si cette étonnante conception exista
jamais en Po¬
lynésie, en particulier dans l'accomplissement de certains
rites religieux ou magiques.
Bien que l'homme en général est naturellement
porté
(comme nous l'apprennent, les Biologistes) à employer la
main droite de préférence à la main
gauche, il serait très
instructif, aussi, de savoir si les populations qui aujourd'hui
nous offrent le plus grand
pourcentage de " gauchers " n'ap¬
partiendra ient pas, par aventure, à des groupes humains
dont la première évolution culturelle ne se déroula pas en
quelques régions de l'hémisphère Sud.
une
Société des Études Océaniennes
—
447
—
Il n'est pas sans
importance, à ce sujet, de signaler en
passant le curieux fait suivant: un des dieux les plus po¬
pulaires de la Polynésie, soit qu'il fut considéré comme une
personnification de soleil, un créateur ou simplement le dé¬
couvreur de
nombreuses terres fut le célèbre Maui. Or, dans
certaines légendes, Maui nous est
dépeint comme le dieu
ailleurs, que le mot
maui " et ses dérivations sert, en maints points de
la Po¬
lynésie à désigner la " main gauche
Il y a là une corréla¬
tion certaine qui mérite attention. Serait-il possible que
ce
mot avec son sens de main gauche ait eu à l'origine un sens
quasi religieux et adopté parce que la gauche (peut-être per¬
sonnifiée par le dieu Maui), était précisément pour un peu¬
ple d'hémisphère Sud la direction de l'Est, la direction cor¬
respondant à notre conception de "droiture", la direction
sacrée ? Ce qui expliquerait, peut-être pourquoi, des deux
ternies polynésiens maui et hema signifiant la main ou la
partie gauche, seul le terme hema, parce que appartenant
au langage courant et profane,
put survivre dans la forme
ama appliquée à la
partie gauche d'une embarcation..
gaucher. Nous
nous
rappelons,
par
"
Si nous
pu découvrir un général habitat quelque
part au Sud de l'Equateur pour les ancêtres de nos Polyné¬
siens, nous n'avons pas encore fourni de réponse à notre
principale énigme.. : Pourquoi l'outrigger (ama) de leurs pi¬
rogues et surtout la plus petite coque (ama) de leurs doublecanoes étaient-ils placés à
gauche plutôt qu'à droite?
Ceci ne paraît pas avoir de sens commun, car à gauche
signifie aussi " au vent " et qui entendit jamais parler de
voyages océaniques avec le vent toujours du même bord?
Nous ne pouvons sainement admettre que ces indigènes,
qui furent les plus fiers marins que le monde ait jamais con¬
nus, ne conçurent leur bâtiment de mer qu'avec l'idée de
quitter un jour leur habitat pour n'y jamais plus revenir...
Car ceci est précisément ce qui résulterait d'un appareillage
et d'une navigation par les brises régulières d'alizés du Pa¬
cifique. Une telle navigation avec lèvent par bâbord et gar¬
dé par bâbord expliquerait sans doute merveilleusement
l'influence polynésienne évidente en Nousantara, mais il seavons
Sôciété des Études Océaniennes
—
448
—
rait également ridicule
d'imaginer que tous ces indigènes,
des Hawaii à la Nouvelle-Zélande eurent la même
inadmis¬
sible idée, de se bâtir une savante culture maritime
pour
pouvoir dès leur première traversée fuir leurs îles sans es¬
poir de retour... et tous avoir la même idée d'émigrer vers
l'ouest !!
Je cherchai longtemps la
et me
réponse à ce troublant problème,
serai, maintes fois découragé, sans l'idée qu'un fait
d'ethnologie nautique aussi nettement établi et aussi large¬
répandu, ne pouvait que comporter une réponse.
ment
Et cette réponse est telle
qu'elle ne pourra que frapper
d'étonnement et d'admiration tous les marins du monde.
Nous allons voir que ces
Polynésiens avaient non seulement
connaissance parfaite de la géographie du
mais encore de sa
météorologie... Et ceci, à une
une
Pacifique
époque ou
ceux que nous
revendiquons comme les' premiers ancêtres
de notre science nautique (Crétois ou
Phéniciens) ne surent
jamais vraiment naviguer qu'en s'accrochant prudemment
au long des côtes...
Quand nous nous rappelerons que les
véritables premiers marins de notre race durent attendre...
le seizième siècle,-et l'encouragement de la science collectée
par le prince Henry de Portugal pour ''oser" affronter le
large, et, la première fois lancer leurs navires à la conquête
de l'Atlantique, nous ne pourrons
qu'admirer et rester con¬
fondus devant les merveilleux exploits de ces marins de la
préhistoire, autant que devant leurs qualités d'audace.
L'explication que je vais exposer ci-après ne manquera
pas, je le sais, de créer quelque étonnement chez certains
de mes lecteurs, et à faire
pousser de hauts cris dans cer¬
tains groupes scientifiques., mais
je n'y puis rien. Cette ex¬
plication ne pourra qu'être acceptée, car je ne vois point
qu'il puisse en être offerte une autre.
Il est évident que pour que des navires, dans toutes leurs
navigations, puissent toujours appareiller avec le vent d'un
bord donné, et retourner, un jour, à leur point de
départ,
avec le vent toujours de ce même
bord, il n'est que deux con¬
ditions météorologiques possibles...
A) La première est, qu'arrivés au terme de leur initiale
Société des Études Océaniennes
—
449
—
bordée, ils attendent un renversement de la brise afin d'en¬
treprendre le voyage de retour.
Ce changement de brise doit être dépendable et, par con¬
séquent, régulier ou saisonnier, autrement le maintien de
l'ama d'un côté toujours le même de l'embarcation n'aurait
pas de sens.
Ceci suppose donc un habitat en une région de "moussons".
Nous devons rejeter cette hypothèse, parce que si le doublecanoe et l'outrigger étaient connus dans le Pacifique ouest
(où seul se lait sentir une mousson), nous trouvons à l'"ama''
placé aussi bien à droite qu'à gauche, sa position variant
suivant les lieux, l'époque de l'année et les routes des
voyages projetés. D'autre part, les termes relatifs aux
embarcations et à la navigation ne sont plus (quand ils
montrent une trace de
polynésien) que très déformés, indi¬
quant à qui la région dut ses connaissances nautiques et
rien de plus.
Comme l'ama placé à gauche et au vent fut une
caracté¬
ristique purement polynésienne (qui d'ailleurs s'est perpé¬
tuée jusqu'à ce jour dans l'embarcation à simple flotteur),
nous devons admettre que cette étrange coutume ne put
avoir été que la conséquence de conditions de navigation
spéciales au Pacifique polynésien. Or il n'est pas de mousson
dans le Pacifique polynésien.
B) La seconde possibilité (pour appareiller avec le vent
d'un bord et retourner avec le vent du même bord) n'est
réalisable que si l'on peut accomplir un voyage "circulaire",
c'est-à-dire un voyage entrepris dans une région soumise à
un régime habituel et régulier de brises ayant
un mouve¬
ment giratoire.
Ceci mérite d'être étudié de plus près, car un coup d'œil
sur les conditions météorologiques du Pacifique va nous
permettre de répondre au plus grand point d'interrogation
du problème polynésien...
Car si nous ne pouvons pas situer le dit "berceau" de la
Race (?), nous allons pourtant assigner une limite un peu
plus précise à ce peuple d'hémisphère sud, dont la science
nautique précéda la nôtre et toutes les autres de plusieurs
dizaines de siècles, science dont le peuple que nous connais¬
sons aujourd'hui sous le nom de " polynésien" fut l'héritier
direct.
Société des Études Océaniennes
—
450
—
D'abord, un petit graphique : (1)
Un système de vents
giratoire peut avoir deux sens :
sens à droite ou dans le
sens des
un
aiguilles d'une montre,
ou de droite à
gauche dans le sens inverse des aiguilles
d'une
montre.
Dans le premier cas, un navire ne
pourra faire un voyage
circulaire avec l'"ama"
toujours du même bord, que si cet
"ama" est placé... à droite.
Seul, dans le second cas.
c'est-à-dire- avec des brises
tournant dans le sens inverse des
aiguilles d'une montre,une navigation
gardant l'"ama" à gauche sera possible.
Or chacun sait
que ces mouvements giratoires des vents
sont causés
par des centres de pressions
atmosphériques
et les lois qui les
régissent, sont bien
-
déterminées.
Il y a
des centres de basses pressions et des centres de
hautes pressions Les centres de
basses pressions, étant
dans le Pacifique
irréguliers et générateurs de terribles
tempêtes et cyclones, et, somme toute,
l'exception qui crée
une
pertubation des conditions atmosphériques
nous
habituelles,
pouvons les écarter.
Restent les centres de hautes
La
pressions.
Météorologie entière du Pacifique central et Est, au
Nord et au Sud de
l'Equateur, est fonction de deux grands
centres de hautes
rendre compte
pressions ainsi que le lecteur pourra s'en
dans les cartes bi-mensuelles qui illustrent
le chapitre IX de cet
ouvrage, traitant des méthodes de na¬
vigation employées par les Polynésiens.
L'un
une
sud
de
ces centres
"anti-cycloniques" se trouve, (dans
direction générale) au Nord-Est des
Hawaii, et sa limite
dépasse rarement le Tropique du Cancer. Le
second,
de plus grande importance
et étendue, se trouve dans l'hé¬
misphère sud, et sa limite sud est presque toute l'année
franchement au Sud du
Tropique du Cancer. Or chacun
connaît la Loi régissant les mouvements
atmosphériques
des centres
anti-cycloniques: la rotation au Nord de l'Equa¬
teur s'effectue dans le sens des
aiguilles d'une montre.
Tandis qu'au Sud de
l'Equateur, elle s'effectue dans le sens
inverse des aiguilles d'une montre...
Et, ce
sens
étant le
(1) Nous regrettons par suite de difficultés
techniques de ne pouvoir l'in¬
sérer.
Société des Études Océaniennes
—
451
—
seul
qui puisse permettre une navigation circulaire avec
toujours à gauche et au vent, force nous est bien
d'admettre pour expliquer Toccurence de cette étonnante
coutume, l'existence d'un habitat primitif polynésien situé
quelque part dans cette zone de hautes pressions...
Or, comme tout le Pacifique polynésien est précisément,
de nos jours, inclus dans cette zone, il me semble
qu'avant
de chercher un "berceau" de la "race" en
Egypte, en
Ghaldée, ou en quelqu'autre région d'Europe, d'Asie ou
d'Amérique, nous devrions considérer avec,-je crois, - de
bonnes raisons, la possibilité d'une évolution culturelle
dans le Pacifique lui-même,..
Vouloir situer un "berceau", vieux de
plusieurs milliers
d'années, d'une "race", c'est-à-dire d'un peuple récemment
(très récemment) catalogué par nous comme "race", me
paraît une entreprise au dessus des moyens scientifiques
d'investigation dont nous disposons,... Que savons-nous
de la géographie du Pacifique d'il
y a quelques milliers
d'années, que savons-nous des peuples différents qui l'ha¬
l'"ama"
bitèrent ?....
En l'état actuel de
nos
connaissances, nous
ne
pouvons
dégager avec certitudes que quelques larges traits de l'His¬
toire anthropologique du Pacifique, les suivants : Une
popu¬
lation originelle dont les caractéristiques raciales furent
proches de factuel élément " mélanésien", dut occuper tout
l'area (précédée peut-être d'éléments
"negritos"). Nous
trouvons des traces évidentes de ceci dans certaines survi¬
de
langage, et que confirment les conclusions de
l'Anthropologie moderne. (La théorie qui voulut expliquer
cette présence de caractère mélanoïde dans la
quasi-géné¬
ralité des îles du Pacifique, par l'emploi qu'auraient fait les
navigateurs polynésiens d'équipages mélanésiens, ne peut
être soutenue ainsi que nous l'avons démontré dans un
chapitre précédent,) 11 reste à expliquer la présence dans
vances
le vaste Océan de cette race mélanoïde.... aussi bien d'ail¬
leurs que mille autres choses appartenant aux mondes vé¬
gétal et animal.... qui durent bien venir de quelque part..,.
La Géologie aura ici, je crois, à écrire un intéressant
chapi¬
tre qui pourra nous éclairer ; je ne doute
pas qu'elle ne dé¬
couvre un jour que la pellicule habitable qui entoure notre
Société des Études Océaniennes
—
452
—
Terre, n'a peut-être pas
eu toujours la stabilité que nous
aimons lui donner
Ce que nous savons aussi, est
qu'à une époque donnée
....
vint se greffer (culturellement
ment
surtout) un peuple ou simple¬
des groupes d'individus de
si différentes que nos
caractéristiques raciales
anthropologues durent les classer sous
l'étiquette "Caucasienne". Ces nouveaux arrivés, d'une
culture supérieure, s'imposèrent bientôt comme
"chefs".
Encore aujourd'hui, une différence
marquée existe entre les
"gens du commun" et les descendants de cette aristocratie.
Ce furent ceux-ci qui importèrent
la science de la
du grand large, la perfectionnèrent et
navigation
ladiffusèrênt. par leurs
étonnants voyages océaniques.
D'où purent bien venir ces " Caucasiens " ? Ceci fera
l'ob¬
jet d'un autre chapitre. Ce qui pour le moment nous intéresse
est que ces diLs "Caucasiens", s'ils ne
conçurent pas leur
science nautique dans le
Pacifique, du moins l'y perfection¬
nèrent et ceci dans sa partie centrale et est
qui reste d'ail¬
leurs aujourd'hui encore l'habitat de notre "actuel"
Polyné¬
sien.
Et ceci soulève
un nouvel et
important point d'interroga¬
navigation, la découverte et la colonisation de
ces îles et Archipels qui
aujourd'hui composent le domaine
polynésien s'expliquent aisément étant donné leur situation
en bordure Nord et Est de l'aréa de haute
pression, le voyage
de retour au point de départ ne pourra
manquer de soulever
quelque objection. En effet, ceci exige la continuation de la
route " circulaire " et par
conséquent l'entrée dans la zone
des brises de la partie Ouest. Or, dans cette zone
peu de
tion.. Si la
terres existent et la dernière s'offrant à nos marins
est, loin
très loin vers l'Est, la fameuse Ile solitaire de
Pâques.
nigme se
pose davantage
brises d'Ouest
quand
L'é¬
nous remarquons que ces
s'infléchissent vers le Nord que dans des
parages étonnamment proches des côtes du Chili, et qu'avant
ne
de reprendre une direction
générale Sud-Est, indispensable
point de départ, ces marins du Pacifique
durent naviguer des milliers et des milliers de milles avant
d'apercevoir la moindre terre.... Malgré l'admiration quasi
sans limite
que j'ai pour le Polynésien et ses exploits mari¬
times, je ne peux les créditer d'une telle perfomancel.... Il
pour le retour au
Société des Études Océaniennes
—
453
—
devait exister quelque part vers le Nord
et l'Est de l'île de
Pâques une ou plusieurs terres, quelques points d'escale
aujourd'hui disparus. Je sais fort bien qu'une telle assomption ne pourra manquer de soulever la critique, car la dite
théorie du continent disparu est celle qui a le privilège de
causer le maximum d'émotion dans les rangs des savants
officiels., ceux qui osent, même timidement faire la moindre
allusion à ce sujet se voient immédiatement taxés de rê-veurs
et de parfaits ignorants, (sans que d'ailleurs rien ne vienne
jamais établir scientifiquemént la moindre raison de ces
jugements définitifs).
Je ferai cependant remarquer que je ne parle pas ici de
continent disparu " mais de terres, archipels ou ilôts ayant
pu servir de points de relâche. La supposition n'a rien de
ridicule, ainsi que nous le verrons dans un chapitre suivant.
Car, après tout, que savons-nous des fonds des océans, du
Pacifique en particulier, et, du Pacifique, de sa partie SudEst qui nous intéresse ici...?
Est-ce que le nom que les Polynésiens donnaient à l'île
de Pâques te pito te henua que certains ont traduit par " Le
nombril de la terre" ne signifierait pas plutôt comme l'a
fait remarquer dès 1912 William Churchill "La fin de la ter¬
re " tout comme nous avons en France Finistère et en Angle¬
"
terre " Land's end " ?
Est-ce qu'il y aurait une part de vérité dans la croyance
du Pérou de l'existence
fortement établie chez les Incas
d'une terre dans le Grand Océan qui se serait trouvée
quel¬
large de Callao croyance en fait partagée par les
Conquistadors espagnols qui organisèrent maintes expédi¬
que part au
tions à la recherche de ce fameux " Continent austral "?
Est-ce qu'il y
aurait aussi une part de vérité dans la fa¬
qu'aperçut le bouccanier Davis aux environs de
27 degrés de latitude et qui ne fut jamais plus revue mais
meuse terre
dont les recherches
menèrent à la découverte de l'île de
Pâques?
Nous reviendrons
sur ces passionnantes questions dans
chapitre.
Le petit graphique ci-joint (1) aidera, non seulement à com-
un
autre
(i) Nous regrettons,
pouvoir l'insérer.
par
suite de difficultés techniques, de
Société des Études Océaniennes
ne
—
454
—
prendre mieux la raison qui voulut que l'ama fut toujours
placé à gauche de l'embarcation polynésienne, mais encore
mettra d'accord les
deux grandes écoles qui bataillèrent
longtemps entre elles sans jamais arriver à se mettre
d'accord. Car discutant le "sens" des
migrations, l'une
professait un peuplement du Pacifique d'Ouest en Est.,
contre vents et courants, tandis
que l'autre, affirmait, non
sans bonnes
raisons, qu'une navigation à la voile dans ce
sens était d'une telle difficulté
qu'elle équivalait pratique¬
ment à une impossibilité, et en
conséquence professait un
peuplement d'Est en Ouest... Les deux écoles ont tort et
toutes deux ont raison..certains groupes d'îles furent atteints
par l'Est et d'autres par l'Ouest..
Pour ne parler que du Pacifique Sud, ce
que nous savons
de définitif de leur peuplement est vraiment bien
peu de
choses, les légendes ne s'accordent pas toujours bien entre
elles quand elles ne se contredisent pas., ou
quand, encore,
chose plus grave, elles ne sont pas délibérément de formes
par l'auteur qui les cite, afin de les faire "coler" avec sa
si
théorie.
Les seules informations qui méritent crédit confirment
par
ailleurs de façon surprenante la raison qui se cachait der¬
rière l'emploi général en Polynésie de l'ama à
gauche. L'une
de la
Nouvelle-Zélande qui nous fut connue en grande partie
par
les travaux et recherches du grand
Polynésiologiste Percy
Smith. Nous savons, et tout le monde est d'accord à ce sujet,
que la majeure influence polynésienne de cette NouvelleZélande vint du Pacifique central, de Rarotonga en particu¬
lier. Or la légende nous donne ici une des rares informations
concernant, les méthodes de navigation des Polynésiens. Un
fameux marin de cetter légende, nommé Kupe, interrogé un
jour sur la route à suivre pour se rendre de Rarotonga en
Nouvelle-Zélande répondit (traduction de Percy Smith, pre¬
de celle-ci
mière
nous
est fournie par l'histoire légendaire
version..) :
Pour te rendre de Rarotonga a Aotea
Rea (Nouvelle-Zé¬
lande), que ta route soit à gauche du soleil couchant
«
durant le mois de novembre
».
Un marin ne pourra que sourire devant ces "Instructions
nautiques" réellement manquant un peu trop de précision.
Société des Études Océaniennes
—
455
—
Nous allons voir cependant
qu'elles sont très suffisantes et
navigateurs polynésiens. Rappelons d'a¬
bord qu'une route à gauche du soleil couchant en novembre
donne un " cap " en direction générale de la terre à atteindre
le furent pour nos
car
la déclinaison du soleil durant novembre est de 21 à 22
degrés Sud. Si maintenant nous regardons le graphique cijoint, nous remarquerons que durant ce mois l'area de haute
prossion du Pacifique Sud s'allonge considérablement vers
l'Ouest si bien qu'il crée le régime de vents le plus favorable
qu'il soit, le grand largue.. Mais le grand largue avec le vent
par tribord mettrait trop au Nord et ferait sans doute man¬
quer la terre. Contre cette erreur le navigateur polynésien
n'avait pas à être prévenu, car avec son ama à gauche il ne
pouvait que prendre la correcte amure
Nous arrivons ainsi à comprendre
aussi l'influence pré¬
de
ce
même
Rarotonga
plus
tard de Rapa sur
pondérante
et
la fameuse île de Pâques une influence venue cette fois de
l'Ouest... etc. etc.
Il y a une grande objection à cette théorie des
" voyages
océaniques circulaires "
En effet, comment, par elle, expliquer le peuplement et la
colonisation de l'archipel des Hawaii,
tement en dehors du système
qui, lui, se trouve net¬
des hautes pressions de l'hé¬
misphère Sud ?
Les Hawaii
purent, par conséquent, jamais avoir été
ne
atteints par des explorateurs naviguant sur des embarcations
dotés d'un ama à gauche. Or dans cet archipel, comme par¬
l'ama de nos jours encore, reste tradition¬
tout en Polynéie,
nellement à gauche.
Nous verrons dans un autre
malie va,
au
chapitre combien cette ano^-
contraire, nous servir à renforcer ma théorie.
Nous verrons même combien elle va nous servir à jeter une
lumière nouvelle
sur les méthodes de navigation qu'em¬
ployaient, nos admirables Polynésiens, les plus grands con¬
quérants du "large " que le monde ait jamais connus.
Mais la partie la
plus intéressante de ma démonstration
qui reste à démontrer... celle que je
est à mon avis, celle
Société des Études Océaniennes
—
456
—
suggère par les trois points d'interrogation placés sur l'im¬
mensité de ce coin du Pacifique, vierge de toute terre
Que de fois je me prends à rêver au jour où, muni de tous
les instruments modernes d'investigation hydrographique,
je pourrai appareiller à la recherche de ces points d'interro¬
gation.. car la logique maritime l'affirme, des terres existè¬
rent là, car si ma théorie est exacte elles ne purent qu'avoir
exister en ce coin d'océan.
Fin du
chapitre.
Société des Études Océaniennes
Dons
De Monsieur le Gouverneur
Maestracci : Le pavillon fran¬
çais arboré parle Kon-Tiki à son entrée à Papeete.
balsa provenant du Kon-Tiki.
Sigogne : un tiki en pierre.
Un fragment de
De Mme
De M. W. Robinson: 5 herminettes.
De l'auteur: Les Iles de la nuit par Bernard Villaret.
De l'auteur:
Les charançons nuisibles aux patates douces,
par Jean Risbec.
Du lieutenant de vaisseau Guy Nay : une herminette trouvée
dans la passe de
Hakaetau.
Nos remerciements à nos
Papeete. —
généreux donateurs.
Imprimerie du Gouvernement.
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 82