Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 76
- Titre
- Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 76
- Description
-
Ethnographie
- Essai de reconstitution des mœurs et coutumes de l'ancien Tahiti (3) (Rey Lescure) 191
- La coutume du " Tavau " (Rey Lescure) 196
- Têtes coupées (Jean de la Roche) 206
Littérature - "Les Immémoriaux" de Victor Segalen (H. Jacquier) 214
Folklore
- Te inu Manono ou "sur les traces du Géant Honoura" (Jay) 224
- Notes sur l'Archipel des Marquises (Rey Lescure) 231
Poésie - Le tiki (A.D.) 233
Divers.
- Départ du Président M. de Monlezun 334
- Nécrologie M. W.W. Bolton 235
- Dons et Acquisitions 235 - Date
- 1946
- Date de numérisation : 2017
- Format
- 1 volume au format PDF (52 vues)
- Identifiant
- PFP 3 (Fonds polynésien)
- Langue
- fre
- Editeur
- Société des Études Océaniennes (SEO)
- Relation
- http://www.sudoc.fr/039537501
- Droits
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- Source
- Société des Études Océaniennes (SEO)
- Type
- Imprimé
- extracted text
-
Bulletin
DE
Société des
la
J-EJ
1
ÉÏÏJDES OCÉANIENNES 5
76
TOME VII
JUIN
(N® 4)
1946
Anthropologie — Ethnologie — Philologie.
Histoire
—
des
Institutions
et
Antiquités
populations maories.
Littérature et Folklore.
Astronomie
—
Océanographie — Sciences naturelles
IMPRIMBR1B
A
DU
GOUVERNEMENT
PAPEETE
(TAHITI)
BUREAU DE LA
SOCIÉTÉ
Président
Vice-Président
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M. H. Jacquier.
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Assesseur
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La Rédaction.
Société des Études Océaniennes
de
la
SOCIÉTÉ D'ÉTUDES
OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
——mi——
TOME VII (No 4)
N°
7 G.—
JUIN
I 1>4G.
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Pages
Ethnographie.
Essai de reconstitution des mœurs et coutumes
l'ancien Tahiti (3) (Rey Lescure)
191
(R.L.)
196
(Jean de la Roche)
206
La coutume du " Tavau "
Têtes coupées
de
Littérature.
"Les Immémoriaux" de Victor Segalen. (H. Jacquier)
214
Folklore.
inu Manono
noura" (Jay)
Te
ou
Notes sur l'Archipel
"sur les traces du Géant Ho-
224
des Marquises (R.L.)
231
Poésie.
233
Le tiki (A.D.)
Divers.
Départ du Président M. de Monlezun
Nécrologie M. W.W. Bolton
Dons et Acquisitions
Société des Études Océaniennes
334
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Essai de reconstitution des mœurs et coutumes de l'ancien Tahiti
d'après le vocabulaire. (1)
VIII
Le tatouage.
Le verbe
français tatouer a été composé du mot "tatoo",
mais ce mot n'est pas tahitien ; par contre, nous trouvons
dans le vocabulaire deux termes différents qui expriment
"tatautau": faire des points,
des signes, des
"papai", même signification, qui a été
pris pour traduire le verbe : écrire.
"Tatau, nanao, ruerue, taputua, haro, hee" indiquent des
marques. Chaque dessin avait un nom, nous les ignorons,
cette action :
marques sur la peau ;
mais quelques-uns nous sont connus :
"papaitaputua, urupoo": dessins sur la partie dorsale;
dessins sur les lombes et le postérieur.
"aie
Les ariois avaient des dessins particuliers (peut-être bla¬
sons) "harotea". Il y avait une certaine gradation dans les
tatouages suivant le rang qu'ils occupaient "otiore".
Le tatoueur "tatau" se servait d'instruments dont le pre¬
une sorte de petit marteau avec lequel il
frappait sur une pointe d'os d'oiseau ou de dent de requin,
le "uhi". Cette pointe était plongée auparavant dans une
sorte de teinture faite de "tiairi'' (aleurite triloba) dont les
noix étaient calcinées et délayées dans l'eau. Chaque petit
coup du marteau faisait pénétrer cette teinture qui devenait
mier "ta" était
indélébile.
On pouvait se
servir aussi d'une plante odoriférente, le
"ahi tutu".
A propos du tatouage, nous devons au pasteur Mihimana
a
Hoatua, le récit suivant sur une scène assez particulière
de tatouage. Nous nous bornons à traduire:
« Il
y avait une certaine catégorie d'hommes qui habitaient
le lieu "Mauronia". Ils étaient méprisés parce que de basse
extraction. C'étaient les "manahune".
(1) Voir Bulletins 72-73.
Société des Études Océaniennes
—
192
—
Pour sortir de leur situation inférieure, ils avaient recours
tatouage ; c'était le seul moyen pour eux d'être apprécié
n'était pas du tout tatoué était "papatea" et celui dont les fesses ne portaient aucune marque
au
des femmes. Celui qui
était "Tohepere".
Grâce au tatouage, ils pouvaient prétendre au
rang de
"arii'', de "tahua" et même à celui de "teuteu arii".
Il y avait plusieurs sortes de tatouages et plusieurs en¬
droits du corps humain pour les exécuter. D'abord la face
et le cou,
ensuite la poitrine, puis les mains, enfin le dos. La
région anale servait aussi à certaines décorations. Sur ces
5 régions, les dessins ne se ressemblaient pas.
Voici en quoi consistait la cérémonie du tatouage anal.
Un homme traçait le dessin, un autre tatouait avec une dent
de requin ou un os d'oiseau, le troisième jouait
du tambour,
quatre autres discouraient, un homme et une femme dan¬
saient. Une fois le dessin terminé, le patient passait entre
les mains du tatoueur. Celui-ci commençait par le
visage,
puis le cou, la poitrine, les mains, le dos, puis arrivait à la
région anale (1).
Alors le joueur de tambour se préparait, les orateurs se
levaient ainsi que les danseurs.
Quand le travail arrivait dans la région de l'anus, le pa¬
tient s'agitait, car chacun sait que cet endroit est particuliè¬
rement sensible, et le nombre de piqûres ne faisait
qu'aug¬
menter les convulsions du patient.
Alors le tambour résonnait, les danseurs s'élançaient, les
orateurs péroraient et disaient: « E tipau ti, e
tipau ti te
Hiti (bis) mots intraduisibles.
C'est de cette manière que les "manahune" pouvaient ac¬
céder à un grade supérieur, sortir [de leur obscurité et être
apprécié des femmes. "
IX
Les Danses.
Danser "ori" faisait partie de toutes les
cérémonies, reli¬
gieuses ou profanes, de toutes les distractions.
(1) Il est évident que le tatouage, opération très douloureuse et longue, ne
faisait pas en quelques jours, il fallait des années
pour recouvrir le corps
tout entier de dessins ; rares étaient ceux
qui en étaient complètement cou¬
se
verts.
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193
—
Ces danses sont connues sous le nom
générique de "upaupa". Celles-ci se subdivisaient en: "upaupa ura" qui se
dansaient aux battements des tambours, la
"upaupamau,
upaupa mahamaha, pehupehu, tiaarau, pararaa, otooto" etc.
Certaines autres danses d'un rythme parfait et d'un gra¬
cieux effet représentaient des scènes de pêches, de cultures,
la plupart des autres étaient franchement lubriques.
Il y avait la danse obscène des hommes seuls "utavitavi" ;
celle du même caractère pour les femmes "utami"; celle
qui était dansée nue par les deux sexes "rahoharii" ; la
danse "poopaotati" avait, elle aussi, un caractère indécent;
celle à jambes écartées "otea". Il y avait aussi les danses
"heiva, hupapi," etc.
Les upaupa étaient souvent dansées dans un enclos qui
revêtait un caractère sacré le "epa".
Elles étaient dirigées par des conducteurs, des régulateurs
de danses, les "aparinla, eahitu".
Certains gestes particuliers étaient employés "hiutira" ;
on
tenait à la main des touffes d'herbes "tumami" ; on cla¬
quait d-es mains "ofa". Les cuisses s'agitaient dans l'otea
"tuai".
Avant de commencer les
danses,
un
bouquet de feuilles
de cocotiers était offert au chef "rahiri".
Urataetae était le dieu qui présidait aux danses. Il y avait
aussi des troupes de danseurs ambulants qui allaient de lieu
en lieu avec
des flûtes et des tambours quémander des étof¬
fes. Leur chef était le "too".
Les danses étaient souvent accompagnées d'instruments:
De la flûte,
nes
long roseau dans lequel on soudait par les nari¬
"vivo", d'un sifflet "hio, mapu", du "ihara" bois évidé
lequel on frappait avec des baguettes, du "toere", du
"paiare" qui était un tambour recouvert de peau de requin
et sur lequel les danses étaient scandées par les doigts et
les paumes des mains.
sur
X
Les ehants.
Le terme "himene" est, comme chacun sait, la transposi¬
tion du mot "hymne".
Le terme original est "pehe"
qui désignait aussi des poè¬
mes chantés.
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—
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—
"Ute" étaient les chansons comme "raifa", "ovava". Pour
les enfants on employait certaines berceuses "aromanava".
"Fatu", c'était composer un chant. On emploie aussi ce
tresser une couronne. On rencontre en Mélanésie
(Maré) un mot qui signifie, chant et tressage.
Celui qui compose les chants est le "patau, rohipere".
"Patalau" est la répétition du patau.
Il y avait des chanteuses spécialisées dans les pehe "utupehepehe".
On chantait à plusieurs parties "hàaruroruro" ou en chœur
avec des phrases répétées
"roru" ou alternativement, à
deux parties, "pehepupiti".
Les chants "paripari" célébraient les vertus et les splen¬
mot pour
deurs de certains lieux.
Il y avait aussi la chanson "puatauhere" ; un chant qui
commençait par le mot "atahira" portait ce nom.
XI
Relations de familles.
La tribu "abu". Nous remarquerons que le lexique anglais,
des plus anciens monuments de la langue taliitienne
(1856) fait une distinction entre le b et le p, que l'on ne fait
plus aujourd'hui, le b ayant disparu. Ainsi on distinguait
"abu" tribu, de "apu" coquille. On écrivait "abufera" ter¬
me de jeu et "apufera". On ne disait pas "tabu", mais "tapu". On peut noter que ces mots avec un b sont assez rares,
ils n'arrivent pas à la vingtaine et commencent presque tous
par "abu", exemples: abufera, abuta, aburabu, etc.
La Bible Taliitienne qui représente la langue
pure traduit
le mot tribu par "opu"
(ventre), terme que le dictionnaire
anglo-tahitien ignore. Peut-être le "abu" est-il devenu
graduellement "opu". Nous signalons en passant ces petits
un
détails.
Toutes les personnes parentes, alliées jusqu'à la plus
loin¬
taine origine peuvent se dire "fetii" entre elles et peuvent
se
considérer
unes
comme
ayant des droits et des devoirs les
vis-à-vis des autres, par voie de réciprocité.
"Piritaa" est la relation par consanguinité. Les différentes
branches
d'une
famille:
"aveavefetii". Les généalogies
"aihuaa"; établir celles-ci: "aufaufetii, papahuaa". Les
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—
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—
descendants d'un ancêtre font précéder leurs noms de celui
ancien de "nati"
aujourd'hui "ati", par exemple : te mau
ati Juda, les descendants de Juda, les Juifs.
Les personnes
d'une même phratrie "pitohoe" (même
ombilic). Une personne dont le père et la mère sont d'origine
différente "taata aaupiti", qui ont deux cœurs, deux atta¬
chements ; on s'est servi de ce mot pour exprimer en fran¬
çais l'idée d'hésitation; "aitaa" est un individu d'un district
qui, par mariage, devient possesseur dans un autre district.
"Faatupui" désigne le dernier membre d'une famille ou
d'une race qui doit être préservée de l'extinction complète
en lui permettant de devenir la racine d'un nouveau tronc.
Une famille éteinte "moopo".
On compte cinq degrés de descendance : "tamaiti" le fils,
puis "mootua" le petit-fils, "bina" l'arrière petit-fils, puis
"hinarere", puis "hinapaarae", mais hina s'emploie pour
définir la postérité à partir de la troisième génération.
Tous les descendants "huaai", les ancêtres "tupuna".
(A suivre)
REY LESCURE
Société des Études Océaniennes
—
496
—
LA COUTUME DU TAVAU
Ces deux documents ont été remis par M. le Gouverneur
Orselli, au Président de la S.E.O., M. de Monlezun, à cause
de l'intérêt historique et ethnographique qu'ils représentent.
Il ne s'y agit pas seulement de
auteurs
veulent prouver
coutumes, il semble que les
la suprématie de Pomaré et ses
droits sur les Iles Sous-le-Vent.
Ces documents sont
centenaires, d'une lecture difficile,
l'encre a brûlé le papier, des
lignes entières d'écriture sont coupées.
d'une manipulation délicate ;
En les insérant dans le Bulletin deux buts seront atteints :
intéresser les ethnographes et garder
les copies de pièces
qui sont vouées à la destruction par leur vétusté.
Le premier de ces documents, N° 10. a pour titre : Docu¬
ment fourni par Maré sur les cérémonies en usage auprès du
roi et le " Tavau " en particulier.
Le second : traduction d'un document fourni par les nom¬
més Mai et trois autres chefs de Borabora sur les différentes
sortes de
présents faits aux princes ou autres personnes
à chacun de ces présents,
et sur les significations relatives
(N° 13).
Traduction certifiée conforme par
H. de Robillard, aide
12 octobre 1845.
Ces relations sont des traductions soit de l'anglais, soit du
tahitien, l'orthographe a été souvent altérée par le copiste;
chaque fois que nous l'avons pu, nous l'avons rectifiée dans
de camp du Gouverneur,
les notes.
Aux annotations des auteurs
permis
le récit plus intelligible et
plus complet, nous les signalons par *.
Nous avons cru bien faire en groupant toutes les notes à
la fin du récit en lexique.
nous
nous sommes
d'en ajouter d'autres pour rendre
R.L.
#
* #
LE TAVAU
Voici la forme suivie dans les grands "tavau " (1).
On creuse des pirogues, on
bat de l'écorce pour en faire
Société des Études Océaniennes
—
-197
—
des étoffes que l'on plie ensuite en gros rouleaux ; on entou¬
re ces rouleaux
de nattes.
On confectionne des " taumi " (2),
des " fau " (3). On réu¬
nit des porcs, on recueille le " mapura " (4) sur la montagne
ainsi que les " thiparai "
(5).
On apporte le tout pendant les longues
nuits, lors de la
pleine lune, qui convient au tavau.
Il y a 8 districts au " Porionuu " (6). Ils fournissent8 piro¬
gues, 8 rouleaux d'étoffes, les taumi et les fau et des porcs
vivants. Tels sont les objets placés sur les pirogues.
Il y a deux " mano " (7) au " Teoropaa " (8). et le " Taumataite fana iahurai " (9) qui fait le troisième. Us fournis¬
sent 3 pirogues, 3 rouleaux d'étoffes, des fau, des taumi, des
porcs vivants.
4 districts au " Teva i uta " (10) fournissent également 4
pirogues, 4 rouleaux d'étoffes, 4 taumi, les fau et les porcs
vivants, et lorsque tout cela est disposé dans les pirogues on
rame vers
" Tarahoi "
(11).
En ce
qui concerne les provisions, celles-ci sont disposées
dans une pirogue particulière: ce sont les "mapura", le
poé " (12), le " taioro " (13), le " tuparu " (14), le •' poépia "
(15), le " pepe " (16) et les " fei " (17). Les hommes frappent
le " pabu " (18), et, avec des baguettes, sur les " ihara'" (19),
et l'on danse sur ces pirogues remplies de provisions.
Les pirogues que l'on apporte aux rois ne portent pas de
provisions, elles sont couvertes d'étoffes tendues par le
moyen de bâtons. Elles sont amenés au roi à qui l'on s'a¬
dresse en prononçant son véritable nom de "Tu Nui eaaite
"
Atua" (20) en ces termes:
«
Au-dessus de Tarahoi voici le Porionuu, tous ses 8 dis¬
tricts, les 2 mano du Oropaa et le Taumata ite fana iahurai,
compris, d'un côté, par le " Vainiania " (21) jusqu'au " Vaio-
vau "
(22).
Voici le " teva i tai " (23),
tous les 4 districts également
compris de l'autre côté, depuis le Vaiovau jusqu'au Vainia¬
nia.
Tiens, voilà le Tavau qui t'est destiné, voilà les pirogues,
voilà les rouleaux d'étoffes,
"
voici les taumi, les fau, et les
tihi" (24), les porcs,
les mapura et toutes sortes de fruits,
ceci' est le signe de la puissance royale ».
Société des Études Océaniennes
—
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—
LE TAVAU A MOOREA
C'est un tavau différent qui a lieu à Moorea,
Nui eaa ite Atua " se rend
sur
"Nuurua"
au
lorsque " Tu
"tahua" (25)
de Pahoa. C'est là que
Moorea apporte le Tavau.
comprend 8 districts et fournit de même 8 piro¬
gues, 8 rouleaux d'étoffes, les taumi, les fau, les porcs vi¬
vants et les provisions de toute espèce qui conviennent.pour
le tavau, mais il n'y a point à Moorea de m apura et de "ihiparai " (26).
C'est encore une pirogue particulière qui porte les provi¬
sions. Les hommes y dansent, y frappent le pahu ainsi que
les ihara, mais les pirogues qui font partie du tavau sont
recouvertes d'étoffes étendues sur des bâtons élevés, qui,
disposées de cette sorte, portent le nom de tihi.
Voici le nom que l'on donne au roi à Moorea " Punua te
Moorea
rai tua " (27).
C'est ainsi que l'on s'adresse au roi: « Purina te rai tua,
au-dessous de Nuurua. Voici le tavau qui t'est donné par
Moorea (ici quelques mots manquent) signe de la puissance
au-dessus de Moorea ».
Ce Tavau ne peut être donné aux hommes du commun non
plus que le " maa tumu uru " (28). Ces présents sont remis
au roi seulement. Le "maa auta'o " (29) disposé dans les
"haapee" (30) se remet aux étrangers ainsi que le " faehi" (31).
Ces présents se composent également de porcs cuits au
four, et d'étoffes, mais non de poé, ni de taioro, ni de ba¬
préparées, non plus que le "tuharu" (32). Le fruit de
le fei, l'eau de coco, sont les seuls fruits qui
se donnent en pareil cas.
Lorsqu'une bande de musiciens et de danseurs se met en
route et qu'elle aborde dans un district, on lui offre des pro¬
visions, mais c'est le maa autao seulement qui leur est don¬
né, non point le maa " paeahi " (33) ni le maa tumu uru. On
lui donne un présent d'étoffes.
Le tavau, le maa tumu uru, le " maa tui raa po " (34), le
"iara ra roa " (3*5), le "ia pehau iha" (36) appartiennent au
roi seul, à Pomaré seulement, ainsi que toutes sortes de
fruits et de provisions,
nanes
l'arbre à pain,
Société des Études Océaniennes
—
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—
LE MAIAI
Voici une observance suivie par les hommes du peuple.
Lorsqu'ils ont semé des fruits et que ces fruits ont cru et
mûrs, ils offrent au roi les premiers produits
de cette culture nouvelle. Ceux qui ont ensemencé cet enclos
ne mangent pas d'abord les fruits venus, ils seraient bannis.
Lorsque les premiers ont été remis au roi, alors seulement
ils mangent de leurs produits.
Voici un (mots déchirés) de ces terres, le "maiai" (37).
Le " pu " (38) retentit. Cette trompe que l'on fait retentir est
un signe de la puissance du roi. Le roi reçoit également le
maa opu roa'' (39) qui est encore un signe de sa puissance.
Lorsque Pornaré 11 fut né, on le garda dans un lieu parfai¬
tement fermé, aucun autre n'y pénétrait, il aurait été tué.
Le nom de naissance de Pornaré était "Aorae" (une ligne
déchirée) " mira " (?) le nom de la lumière de la lampe, " papahi" (40), le nom de ses porcs "humi " (41), le nom de ses
chiens "aiai" (42), le bien (43), le nom de son ava(44).
Les princes des autres terres ne font pas ainsi, les hommes
puissants non plus, cela n'appartient qu'à Pomaré seul.
Lorsque son " pa " (45) était ouvert, on tuait un homme pour
son ouverture (46); aucun roi des autres terres n'é-tait ainsi.
Pomaré n'a jamais marché sur la terre depuis son enfance
(47), il était porté sur les épaules d'un homme d'après sa tou¬
sont devenus
"
te
jeunesse.
Pomaré avait une pirogue " hoehoe " (48). Un homme était
tué pour servir de roulement, la pirogue se halait par dessus.
C'était là le grand signe de la puissance, car un homme était
le rouleau sur
lequel passait la pirogue, aucun roi n'était
ainsi.
Lorsque Pomaré séjournait àTarahoi, là s'apportait le TaOn ne donnait pas le tavau au roi lorsqu'il voyageait
autour de Tahiti. Lorsqu'il débarquait dans un district on
apportait le " ahuota" (49), présents d'étoffes, puis le " maafamia " (50) et le maa paeahi ainsi que le maa tumuuru. En¬
suite on apportait le "maa tii" (51), un présent de chaque
famille, et de même tous les hommes du district et tout à l'entour ; on donnait également (mots manquants) nommés
vau.
"maa tahé " (52). Alors
étaient apporté au roi toutes sortes
Société des Études Océaniennes
200
—
de nourriture de la terre,
—
des anguilles, des écrevisses (53),
les " onapii mato" (54), les " oopu" (55) etles oiseaux etlors-
que le roi se rendait dans un autre district on offrait encore
le ahuoto en premier lieu et les présents (mots déchirés) et
les produits
de la terre. Il
en était de
même dans tous les
districts et tout à l'entour de Tahiti. Gela n'appartenait qu'à
Pomaré seul.
Le Maa maiai accompagné
du retentissement de la trom¬
tahua de ll Vairota " (56)
Le maa opu roa s'apportait également à Tarahoi, ainsi que
le " oroa ite vaha pu " (57).
Voici ce que l'on prononçait en remettant ces présents:
« Tu nui eaa ite Atua,
voici le maiai, le opuroa et le oroa
pe s'apportait à Tarahoi sur le
ite vaha pu ».
Le dernier présent se composait de porcs,
cun
il n'y avait au¬
fruit, des porcs seulement (58).
LE TAVAU AUX ILES SOUS-LE-VENT
Ce nom de Tivau,
Tavau, Tavaru, n'appartient pas à ces
îles-ci. Cette dénomination vient de TahiLi, mais ce tivau est
la même chose que ce que nous appelons "Mareva" (59).
Les formes suivies dans les deux cérémonies sont exacte¬
ment les mêmes.
Mareva en est le nom à
Borabora, à Huahine, à Raiatea.
Pour le Tivau toute la population de l'île se réunit en un mê¬
lieu, femmes, hommes, enfants. Ce Tivau est apporté
véritable de la terre et il est également apporté
aux rois des terres différentes qui viennent ici en qualité
d'hôtes. Mais pourtant, lorsque les rois Tapoa et Tamatoa
se rendirent à Tahiti, on ne leur apporta jamais le Tivau.
Les districts apportèrent simplement leurs présents de pro¬
visions, district par district, chacun remettant successive¬
ment ses présents au roi.
Ceci est la même chose que le " Poropae " (60).
Quand tous les hommes étaient rassemblés pour le Ti¬
vau, ils préparaient leurs provisions de toutes sortes, co¬
chons, bananes, fruits de l'arbre à pain, taros, etc. Us réu¬
nissaient également des rouleaux d'étoffes, des nattes et des
tiputa" (61) et lorsque tout était entièrement rassemblé
me
au souverain
"
Société des Études Océaniennes
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201
—
même lieu, on donnait ces objets au prince pour le¬
quel la cérémonie était préparée.
en un
LA REINE DU HUMAHA PUAA
(62)
Lorsque ceux de Faanui (63) désiraient élever un homme
à la dignité de " tuau" (64) au-dessus d'eux, on commençait
par lui remeLtre le gouvernement, et, ensuite, on lui appor¬
tait le ''humaha puaa" (65). L'orateur disait alors: « Voici
le humaha puaa que nous te remettons et le *' mootara " (66),
le opuroa (67), la feuille de " ahia" (68) et le "taavai" (69),
et l'eau de " maehai nui "
(70) pour que tu serves de " parepare" (71) aux six districts ».
Voici la signification de ces paroles : elles disaient au tuau
qu'il devait bien conduire le gouvernement de cette terre,*
ne point maltraiter le peuple,
ne point faire naître la guerre,
Les 6 "tao" sont les six districts de Faanui.
L'orateur disait
encore: «Si nous te voyons manger le
qu'ensuite tu manges le "humaha laata"
(72) et si tu prends le " ihiivaavaa " (73) de Faanui et si tu
le fais plonger dans la terre " Toareva " (74) tu seras banni ».
C'est-à-dire que s'il maltraitait le peuple ou tuait des hom¬
mes et faisait naître la guerre, il serait chassé.
Lorsque le tuau était banni, le peuple cherchait un autre
tuau. Le don du humalia puaa s'accomplissait de même dans
touLes les terres, le discours seul était quelque peu différent.
humaha puaa et
LE POROPAE
(59)
Lorsqu'un visiteur vient, auprès du roi, tout Faanui prépa¬
les provisions et elles sont portées à la maison du roi
ainsi que les étoffes, elles lui sont données, et le roi les offre
à son visiteur. Ce poropae est fourni par tous les districts de
Faanui et lorsque le poropae et " faamua " (75) sont achevés,
alors on porte le maa turnu uni qui est aussi donné à l'hôte
re
du roi.
Mais ce présent n'est pas fourni par tout Faanui, le roi seul
et ses gens en
faisaient les frais, et il
en été
de même cha¬
que fois que l'on offrait des présents de nourriture aux rois
des autres terres qui venaient ici. Tous les hommes se ras¬
semblaient pour donner des vivres à cet hôte, cela n'était
point appelé ici le Livau mais c'était la même chose.
Société des Études Océaniennes
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202
—
Taraati l'homme qui tenait le gouvernement (76) de Borabora pour Aimata, arriva ici; il reçut des présents de nour¬
riture apporté par les 6 districts de Faanui à la fois et on lui
remit également des rouleaux d'étoffes, des nattes, des tiputa et toutes sortes de provisions, ce qui était la même chose
que le tivau.
LE FA A HO PU RAA VAI
C'était la première nourriture
présentée au visiteur lors¬
qu'il abordait sur cette terre; ce n'était point un présent
considérable de provision, mais une petite quantité de nour¬
riture offerte au moment de l'arrivée de cet hôte du roi.
LE MAIAI
Outre ce qui a été dit
précédemment à ce sujet, il est dit
que si le roi avait été banni, et si il n'y avait point de roi sur
cette terre, le Maini
était alors remis à Oro, l'un des princi¬
paux mauvais esprits de Borabora.
Si le roi se trouvait ici, ces fruits lui étaient porté. Maintennnt ce nom de maiai (prononcez mail
ge, on dit "maa
ail) n'est plus en usa¬
faa vavinai".
LE OPURA
Ceci était également un présent de fruits nouvellement
plantés. Mais le district entier rassemblait ce présent; il
était porté au roi. Les porcs étaient cuits au four, l'ava était
préparé (77) et lorsque tout était convenablement disposé,
on embarquait ces provisions sur les pirogues, et elles étaient
débarquées devant le souverain. Alors le tuau du district
qui offrait cet opuroa faisait boire au roi de l'ava et lui fai¬
sait manger le " taahita puaa " (78) et lorsque le roi avait
mangé, les vivres étaient partagés parmi le peuple.
au
(1) Tavau — contraction du mot " tavaru " qui signifie: 8 ; nom donné
rassemblement des huit districts, soit pour festoyer, soit pour l'exécution
d'un travail en commun *.
(2) Taumi — pièce d'étoffe semi-circulaire échancrée sur le milieu du dia¬
mètre et s'attachant au cou par cette échancrure pour être portée sur la poi¬
trine ou sur le dos, à volonté. Des plumes de diverses couleurs sont fixées
sur
la surface du taumi et de longs poils de chiens sont fixés comme franges.
Des porcelaines
sont appendues à la partie supérieure, et des dents de re¬
quins dans le bas.
Société des Études Océaniennes
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203
—
(3) Fau — ornement cylindrique très élevé sur la tète, en étoffe, recou¬
plumes.
(4) Mapura — sorte de taro.
(o) Thiparai — orthographe défectueuse, c'est " uhi parai '' qu'il faut dire
ou uhi papa, racine d'ignames
(igname se disant uhi) *
(ti) Porionuu — division territoriale de Tahiti comprenant Pare et Arue*
(7) Mano — ancien mot, signifie district*
(8) Tcoropaa — division territoriale de Tahiti, région de Paea et Punaauia *
(9) Taumata ite fana iahurai — ou Tefana i Ahurai, district de Faaa, la
queue de poisson, à cause de son étroitesse à l'une des extrémités, district
indépendant *
(10) Teva i uta — Teva était le clan de Papara divisé eu : Teva i uta (de
l'intérieur) et en Teva i tai (du bord de mer). Le Teva i uta comprenait les
4 districts du 80 de Papara jusqu'à l'isthme de Taravao*
(11) Tarahoi — marae royal de Pomaré à Paré, quartier de Taunoa *
(12) Poe — aliment préparé avec du taro, coco et arrow root.
(13) Taioro — aliment préparé avec coco et jus de chevrettes,
(14) Tuparu — préparation de bananes et de coco.
(15) Poe pia — arrow root, bananes et coco.
(16) Pepe — préparation de maiore fermenté.
(17) Fei — bananes sauvages.
(18) Pahu — tambour recouvert de peau de requin sur lequel on frappait
avec les doigts et la paume de la main*
(19) lhara — bois creusé et ouvert longitudinalement qui résonnait sous
les baguettes, était aussi en bambou *
(20) Tu nui e aa ite Atua — grand Tu, nom originaire des Pomaré, qui
vert de
provoque la divinité.
(21) Yainiania — petit cours d'eau limitant le district de Paea*
(22) Vaiovau — petit cours d'eau à Taravao, de Taiarapu ces cours d'eaux
limitaient les Teva*
(23) Teva i tai — comprenait.tous les districts de la presqu'île*
(24) Tihi — étoffes servant de lentes aux pirogues.
(25) Tahua — pavé, plate-forme précédant le marae*
(26) Ibiparai — voir 5.
(27) Pu nu a' te rai tua — Punua dans le ciel.
(28) Maa tumu uru — présents de fruits offerts au roi par la famille roya¬
le seulement.
(29) Maa autao — préparation de la nourriture royale.
(30) Ilaapee — panier tressé avec une seule feuille de cocotier*
(31) Faeahi — orthographe défectueuse, c'est paeahi qu'il faut lire; paea
est une espèce inférieure de maiore bonne pour un étranger mais' non pour
le roi *
(32) Tuharu — diverses sortes de poissons. Ces mets demandent une
préparation préalable, ils ne doivent pas figurer parmi les présents offerts
spontanément à l'arrivée d'un hôte et donné au commencement d'un rppas.
(33) Maa paeahi — voir 31.
Société des Études Océaniennes
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204
—
(34) Maa tuiraa po — repas donné au milieu de la nuit.
(35) Iaraara roa — sorte de requin à l'aileron très développé ou poisson
à grosse nageoire.
(36) la peliau iha — poisson à quatre nageoires, tortue, (auj. honu) *
(37) Maiai — offrande des prémices des cultures.
(38) Pu — grosse trompe faite d'une conque marine dont l'extrémité poin¬
tue a élé brisée et prolongée d'un tube de bambou *
(39) Maa opu roa — présents de fruits et de provisions amenés de loin sans
que l'on tienne compte de sa qualité à son arrivée ; sont en général en mau¬
vais état, vu les nombreuses relâches et la longueur des voyages en pirogue.
(40) Papalii — sun fish, poisson dédié aux dieux*
(il) Iîumi — sorte do vache marine, très rare.
(42) A\&\ — ?
(43) Le bien — ?
(44) Ava — liqueur provenant de la mastication de la racine du piper methesticum, elle produit une ivresse*(45) Pa — enceinte fortifiée, aussi enclos *
(46) — Il s'agit là d'un véritable sacrifice humain *
(47) — précaution bien nécessaire; toute terre foulée par le pied royal
devant revenir à la couronne *
(48) Hoehoe — pirogue royale de construction autre que celle du commun.
(49) Abu ota — orthographe défectueuse, il faut lire ahu oto, étoffe donnée
comme présent; vêtement do deuil*
(50) Maafamia — orthographe défectueuse, il faut lire maa faaamua. Ce
mot ne se trouve pas dans le dictionnaire, mais on le retrouve souvent dans
Vincendon-Dumoulin ; il s'agit de présents de nourriture à l'arrivée et au dé¬
part des hôtes royaux ; prémices sur l'autel des dieux *
(51) Maa tii — ?
(52) Maa tahe — plutôt maa laa é, nourriture s'apportent à différentes
heures*
(53) — Non pas écrevisses mais chevrettes d'eau douce *
(54) — Onapii mato — petits poissons qui vivent sur les rochers inclinés
au-dessous des cascades.
(55) Oopu — petit poisson de rivière.
(56) Vairota — nom du tahua ou payé royal du marae de Pomaré, à Tarahoi*
(57) Oroa ite vaha pu — présents de porcs. Ceux-ci étaient nourris avec
des soins particuliers pendant des années jusqu'à ce qu'ils
atteignent des pro¬
portions prodigieuses et que leurs défenses soient devenues très longues.
(58) — A la suite de ce document se trouve un appendice à un document
antérieur et sur un tout autre sujet. Nous l'omettons *
(59) Mareva — Faanui ne comprenant que 6 districts, le nom de tavau (8)
justifie plus. Mareva désigne une flotte transportant gens et vivres d'une
ne se
île à l'autre *
(60) Poropac — Amas de nourriture pour les hôtes.
(61) Tiputa —vêtement indigène, forme poncho*
Société des Études Océaniennes
205
—
—
(62; — Pourquoi reine ?
(63) Faanui — division territoriale de Borabora *
(64) Tuau — anciennement, ceux à qui étaient remis le pouvoir: sortes
d'intendants royaux. Depuis l'époque du roi Puni ils furent nommés " ani".
(66) Humaha puaa — littéralement cuisse de porc. La cuisse de porc, un
des meilleurs morceaux, étail réservée do préférence aux royaux. Mais il y
entre un symbole. A mu humaha puaa signifie :
manger le gouvernement. Cela
a rapport à une cérémonie d'investiture
royale. Lorsque l'on voulait desi¬
gner un roi, lors d'un banquet, un personnage autorisé se levait brandissant
une cuisse de
porc et s'écriait : humaha puaa, suivi du nom du roi proposé.
Tous ceux qui ne protestaient pas étaient censés accepter le personnage ainsi
indiqué. Si quelqu'un élevait une autre cuisse de porc, il y avait contestation.
Manger la cuisse de porc, c'est prendre possession d'un pays, c'est gouverner
Nous nous permettrons un rapprochement, arbitraire peut-être. Chez les
Hébreux, la cuisse et les épaules do la bête sacrifiée étaient les meilleurs mor
ceaux réservés aux sacrificateurs. Lors de l'élévation du jeune roi
Saiil àla
royauté, le prophète Samuel avait mis en réserve une épaule et la lui fit man¬
ger, non seulement comme morceau de choix mais aussi comme morceau
consacré. N'y aurait-il pas là aussi une idée semblable à celle du humaha
puaa? (1 Samuel 9 v 22-24).'
(66) Mootara — présents de vivres porté à dos d'homme sur un bâton.
(67; Opuroa — voir 39.
(68) Ahia — cette feuille possède une vertu curative, on la donnait au nou
veau tuau
pour lui rappeler qu'il devait guérir les maux du peuple et amé¬
liorer le gouvernement.
(69) Taavai — débordements dûs aux crues ; les torrents emportent les
De môme le nouveau tuau devait chasser le mal qui
terres des montagnes.
s'était élevé dans le pays.
(70) Maehai nui — mot surchargé,
ne savons si exact
et ne connaissons
pas le sens.
(71) Parepare — l'homme qui, sur la pirogue, tient la pagaie, gouvernail *
(72) Humaha taata — manger une cuisse d'homme ; si humaha puaa veut
dire : gouverner avec sagesse, amu humaha taata veut dire : faire naître des
guerres et tuer des hommes, peut-être les manger.
(73) Ihiivaavaa — orthographe défectueuse, il faut lire: ihu, nez, vaa, pi¬
rogue, c'est une plate-forme avancée sur le devant de la pirogue *
(74) Toarcva — le fond, l'intérieur delà terre *
(75) Faaamua — sorte de présent de nourriture, voir 50.
(76) — Il s'agit du tuau de Borabora. Tuau n'existe plus dans la langue ac¬
tuelle la racine tu ayant été changée en lia, on dit aujourd'hui tiaau.
(77) — 11 était mâche.
(78) Taahita puaa — la graisse de porc.
-Mj*—
Société des Études Océaniennes
—
206
—
TÊTES COUPÉES
par
Jean de la ROCHE.
Dans une série d'éludés publiées dans le " Courrier Médi¬
cal
sur
la
de Paris, des 13 mars, 12 et 26 juin et 24 juillet 1938,
" Décarnisation des Cadavres", "le Coupage des
Têtes", "les Hommes et les Femmes sans Tête", le très
documenté Dr Marcel Baudouin, a exposé le fait, la techni¬
que et le côté rituel de la pratique extraordinaire du coupage
des tètes dans le double domaine tant préhistorique q\i ethno¬
graphique.
Une documentation certaine et abondante, et des considé¬
rations marquées au coin d'une profonde réflexion font de
cette série d'études un ensemble du plus haut intérêt digne
d'une très sérieuse attention. Je ne cite cette œuvre que pour
m'appuyer sur sa valeur et pour tenter d'eu tirer quelques
enseignements.
Et pour en mettre, davantage encore, en relief le côté eth¬
nographique, je ferai un large emprunt au ITStéphen Chauvet. En Nouvelle-Guinée, nous apprend-il, les crânes des en¬
nemis sont précieusement conservés, à la gloire des vain¬
queurs, en de grandes panoplies dressées sous d'immenses
huttes communes, appelées "Dubu-Dacma". Certains crânes
sont tels quels, les os nus ; d'autres sont ornés de décora¬
tions rituelles; c'est ainsi que dans la Tribu Neneba, le mo¬
tif décoratif important est attaché à la base du nez. Vers le
milieu du Fly-River, les Papous gardent tous les téguments
de la tête et du cou,
les tannent et les colorent ; à l'embou¬
chure de ce fleuve, les crânes sont nus, mais le maxillaire
inférieur est attaché au supérieur à l'aide d'une tresse de
paille, et de plus l'os frontal est orné de gravures anthropo¬
morphes. Le long du fleuve Augusta, les Papous surmodè¬
lent le crâne tout entier avec une substance plastique, mé¬
lange de latérite et de latex, et reconstituent la tête assez
exactement telle qu'elle était sur le vivant, puis ils greffent
les cheveux, et remplacent les yeux par de petits coquillages
ovales ; enfin ils peignent sur la face en rouge, noir et blanc,
des motifs décoratifs particuliers à la tribu, et que les indj-
Société des Études Océaniennes
—
207
—
gènes exécutent de leur vivant lors de certaines danses ri¬
tuelles. Un travail analogue se fait en Nouvelle-Poméranie.
Aux Iles Salomon, c'est sous de
petites huttes spéciales
que sont dressées les panoplies-dépositoires de crânes res¬
tés, ceux-ci, à l'état naturel.
Aux Marquises, autrefois, les crânes des notables étaient
porteurs d'une tresse fixant les deux maxillaires ; ils étaient
ornés d'un nez postiche en résine, d'yeux en rondelles de
coquillages, et d'une dent de cochon recourbée, de chaque
côté des branches montantes du maxillaire inférieur.
A l'Ile de Pâques, les crânes des dignitaires déposés dans
les caveaux des ''Ahu"
grandes plateformes, le long de la
côte, longues de 20 à 300 mètres - étaient ornés de dessins
stylisés représentant le fameux oiseau "Manutara", objet
d'un culte spécial.
Une telle description, sous une signature aussi autorisée,
se passe de tout commentaire. Je ne
puis qu'y apporter la
contribution de mes observations personnelles sur place, et
-
notamment aux Nouvelles-Hébrides.
Dans le Sud-Ouest de l'Ile de Mallicolo,
le petit ilôt de Tocoupées. Alignées sous des
huttes cultuelles, elles sont soit avec, soit sans corps. Mais
les corps quand ils y sont, ne sont pas constitués par les
squelettes, mais bien par une charpente en bambous, avec
bras et jambes en bambous, le tout orné et habillé d'habits
de fêtes, sans omettre, bien entendu, les parties sexuelles
mises en valeur bien en vue, et postiches naturellement, le
pénis revêtu du classique petit capuchon protecteur. Les
squelettes sont ailleurs; seules les têtes se trouvent dans
ces sortes de chapelles funéraires.
Il s'agit là de têtes de chefs ou tout au moins de notables.
Les corps reconstitués en bambous sont ornés, aux bras et
aux jambes, de dents décochons,
d'autant plus nombreuses
que le dignitaire était d'un rang supérieur. On en compte
jusqu'à 40 et 50 pour les grands chefs. Cette pratique de la
fixation du crâne sur un mannequin est réservée aux seuls
grands personnages. Souvent le mannequin tient dans une
main la mâchoire d'un cochon à belles dents recourbées, et
dans l'autre la conque marine, emblème du
voyage - du
grand voyage.
man
est célèbre
par ses têtes
Société des -Études Océaniennes
—
208
—
Les têtes peuvent avoir perdu tous leurs téguments;
mais
très souvent elles sont momifiées. Puis elles sont recouvertes
d'un enduit composé
d'argile et de fibres de noix de coco -
pour donner de la consistance
Cet enduit est modelé par
les mains de véritables artistes qui savent parfaitement re¬
produire les traits du mort avec une ressemblance frappante.
J'en ai vu à qui avaient été données des expressions
dignes
de nos meilleurs sculpteurs : une tête, entre au Ires, toute en¬
duite d'argile brune, sans adjonction
de motifs de couleur -
qui la rapprochait du teint naturel très basané - légère¬
ment inclinée, avait un masque de douceur, de repos et de
paix dans la mort vraiment impressionnant. Et cette placi¬
ce
dité se détachait sous une sorte de turban noir, et deux gran¬
des nattes noires tombant sur la poitrine. Tableau véritable¬
ment de
grande classe.
Une fois la ressemblance du mort obtenue, l'ornementa¬
tion rituelle lui était ajoutée :
la pâte rouge, revêtue de mo¬
tifs, variés selon les tribus et les rites, de couleur en général
noire et blanche. Quant aux vrais cheveux du mort, ils dispa¬
raissent
toujours
pour
éviter qu'ils ne soient trouvés par
quiconque - au cas où ils viennent à se détacher et à se dis¬
perser-, à cause des "esprits", et surtout pour éviter qu'ils
ne soient pris comme sortilèges, pour "jeter des sorts",
principalement venant d'un mort ; ils sont remplacés et imi¬
tés, sur les crânes ornés, par des applications, voire des
tresses, en toiles d'araignées.
En outre, ces crânes de l'îlot Toman présentent un autre
caractère très spécial et très net: leur minimisation et leur
déformation. Celles-ci sont obtenues dès après la naissance,
par une forte compression qui donne au crâne le double ca¬
ractère d'une micro et d'une
dolicocéphalie extraordinaires,
devient
pour ainsi dire horizontal : le crâne n'a plus de front du tout;
depuis les sourcils, il est entièrement rejeté en arrière. Lors
de son grand voyage, Cook, relatant son passage à PortSandwich, signale déjà cette forme particulière de la tète
qui l'a frappé.
J'ai pu rapporter un de ces crânes déformés, surmodelés
et peints, à cheveux en toiles d'araignéees. Sa largeur d'une
tempe à l'autre n'est que de 9,5 centimètres, et sa largeur,
et un aplatissement du frontal vers l'arrière tel, qu'il
Société des Études Océaniennes
209
—
—
des sourcils à l'occiput est de 17 centimètres.
L'argile dont
il est modelé et qui, par places, laisse apercevoir les fibres
de noix de coco, est rouge. Deux grandes bandes blanches
bordées de noir, larges
chacune de près de 4 centimètres,
d'X, mais dont les branches ne se croisent
pas.; donc plus exactement en forme de deux V couchés, ho¬
rizontaux, très ouverts et dont les bases ne se rejoignent pas.
Les branches prennent naissance au-dessus des sourcils, au
début du cuir chevelu, se rapprochent vers la base du nez,
et s'écartent pour aboutir de chaque côté de la bouche et fi¬
nir à la naissance du cou, à gauche et à droite. Elles traver¬
sent les yeux en biais. Deux autres bandes semblables des¬
cendent de la lèvre inférieure, sous le menton, au milieu.
Deux autres enfin contournent les oreilles, le long des joues.
Cet ensemble donne à la physionomie un aspect déformé
étrange - un peu à la manière du camouflage des navires et
des grosses pièces d'artillerie, en temps de guerre - et en
même temps l'artiste a calculé son effet pour donner à ce
crâne mort une sorte de vie : vu sous certains angles, il sem¬
sont en forme
ble s'animer et l'on croit le voir remuer - sous l'effet, des op¬
positions de blanc et de noir formant jeux d'ombre et de lu¬
mière.
#
=*
Têtes coupées de la Préhistoire... têtes coupées de l'Eth¬
nographie... j'entends autour de moi des cris d'épouvante,
des murmures désapprobateurs, des voix accusatrices:
Barbares ! " - " Mœurs de sauvages ! ".
Du calme et de la réflexion - Ne parlons pas
Tout beau
"
-
sans
savoir.
Il est évident que, pour nous, "civilisés", la première vue
coupées - même coupées post mortem - impres¬
surprend. Mais quand on y regarde bien, on en
comprend vite le sens profond.
Trophées de guerre? - Collections des chefs vaincus ?Oui, certes, cela représente des morts données volontaire¬
ment; mais tout de même, dans ces tribus, la guerre se chif¬
fre par quelques unités de tués, rarement quelques dizainesau lieu des millions de nos guerres dites civilisées-, et c'est
le chef vaincu, le responsable, qui paye de sa vie sa défaite. Sa
tête conservée en haut lieu sert d'exemple et d'avertissede têtes
sionne et
Société des Études Océaniennes
—
silo
—
ment salutaires. Chez nous, au contraire, parmi les millions
de tués,
combien d'innocents : vieillards, malades, femmes,
enfants ! et les vrais coupables trop souvent sans châtiments.
Si, entre les deux méthodes, on recherche vraiment la plus
humanitaire et la plus équitable
Crânes des notables, des chefs ! - Souvenirs impérissables
de ceux qui
ont concouru à la grandeur et à la gloire de la
galerie des ancêtres, non pas en tableaux comme
dans nos châteaux, mais en réalité, sinon en chair, du moins
en os. Souvenirs rendus vivants par une plastique modelée
à leur image. Souvenirs rendus sacrés par les peintures ri¬
tuelles des fêtes. Gloires nationales pieusement conservées
et montrées en exemples aux générations nouvelles en un
superbe Panthéon.
Et j'insiste sur le caractère de vie de ces têtes modelées à
l'image des vivants en une plastique d'un art indiscutable
et dont les bariolages blancs et noirs - sur un fond rougeâtre
tribu ;
ou
brun d'un teint sensiblement semblable à celui de la peau
des Mélanésiens
donnent l'impression incontestable du
parle jeu des rayons alternatifs et irrégu¬
liers de lumière et d'ombre provoqués par les frondaisons
des arbres sous le soleil ardent des Tropiques.
Ce caractère extraordinaire de la persistance de la vie de¬
vant le regard des spectateurs dénote dans l'art des NéoHébridais que l'on appelle communément des "sauvages"une somme
psychologique, une force et une élévation de
spiritualité dont nous n'avons pas idée.
L'on s'extasie devant la merveilleuse civilisation égyp¬
tienne : mais elle n'a su inventer, pour conserver la présence
des morts, que la momification dont les chairs déformées,
hideuses, donnent la plus affreuse impression de tristesse
et d'horreur dans le néant de la mort. Quant à nous, nous
abandonnons nos morts à leur décomposition et à leur dis¬
parition absolues - nous ne conservons présentes que leurs
-
mouvement de
-
âmes -. Tout
citer leurs
au
contraire les Néo-Hébridais ont
su ressu-
morts, leur rendre leurs traits, ressemblants,
embellis même, peints comme aux plus beaux jours de fêtes,
comme
idéalisés, et leur rendre en même temps le mouve¬
ment dans l'auréole ensoleillée de la
dans
une
pérennité de la vie,
atmosphère de respect sûprême.
Société des Études Océaniennes
—
211
—
C'est cette idée suprêmement
grandiose que suscitent,
quand on les regarde avec attention et réflexion, les "Têtes
coupées" de l'île de Toman, et qui en élève la mystique jus¬
qu'aux sommets d'une métaphysique supérieure.
Trophées de guerre, crânes de chefs - suprême gloire des
vainqueurs et des grands hommes de la Tribu
Boîtes os¬
seuses, coffrets sacrés de la suprême pensée, saints récep¬
tacles des grands secrets, tabernacles vénérés,
partie noble
du corps dans toute sa plénitude et sa beauté.
Oui, mais des crânes! dira-t-on, séparés des corps... des
têtes coupées... c'est affreux !
Vérité en-deça des
Pyrénées, erreurs au-delà! Certains
peuples de l'antiquité méditerranéenne, et non des moindres,
ceux devant les produits de la civilisation
desquels nous nous
extasions aujourd'hui, ont connu des pratiques qui nous font
frémir : l'inceste officiellement pratiqué à la cour dé l'Egypte
pharaonique ; les sacrifices des enfants nouveaux-nés par
leur mère, chez les Cananéens ; les vierges déflorées devant
l'autel d'Isthart à Babylone ; on pourrait multiplier les exem¬
ples. Ce qui était vrai hier, surtout en matière de morale, ne
l'est plus aujourd'hui.
« Trois degrés d'élévation du pèle renversent
toute la ju¬
risprudence, dit Pascal. Un médecin décide de la vérité ; en
peu d'années de possession, les lois fondamentales chan¬
gent: le droit à ses époques... Le larcin, l'inceste, le meur¬
tre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les ac¬
tions vertueuses ».
«
On entrevoit combien serait intéressante - écrivait J.B.
Gassin en 1853, après un voyage en Océanie
-
une juste ap¬
préciation intellectuelle et morale des peuples que nous ap¬
pelons sauvages. En même temps qu'elle nous prouverait
qu'ils n'ont fait que marcher d'un pas moins rapide dans
les voies de la civilisation et ne sont point tombés dans un
état de dégradation comme les
voyageurs se sont plus à le
dire, elle nous animerait pour eux d'une pitié bienveillante,
et, en nous montrant les degrés par lesquels nous avons
nous-mêmes passé, détruirait les germes du fnépris que les
races élevées n'ont que trop souvent
pour celles qui leur
sont inférieures
».
Société des Études Océaniennes
—
212
En vérité, ces conservateurs
—
de tètes, et leurs frères des
tribus voisines, ne sont ni des barbares ni des sauvages, au
sens
péjoratif que nous avons coutume de donner à ces mots:
leur vie, leur morale sont pures, et la plupart du temps beau¬
coup plus pures que les nôtres parce que beaucoup plus près
des Grandes Lois de la Nature.
Ne nous croyons pas
sommes
supérieurs sous prétexte
que nous
blancs. "Nimium ne crede colori", nous dit Linné.
Cherchons à comprendre ces peuplades au cœur tout sim¬
ple, à conserver pures leurs mœurs ataviques, à respecter
leurs religions anciennes et leurs dieux ancestraux qui cor¬
respondent si intimement aux conditions et aux besoins de
leur race et de son ethnique.
Toutes les nations ont leur grandeur ; toutes les races éga¬
lement. Et en matière de morale, il est parfois bien difficile,
parfaite conscience, de savoir à qui décerner la palme.
jeu ! et en premier lieu la mys¬
tique, l'ethnique, l'effectif et le subjectif.
en
Tant de facteurs entrent en
Mais ni la morale, ni la
sociologie n'ont leur place ici. Et
c'était uniquement pour
montrer que, chez les " Coupeurs de Têtes ", ces pratiques
d'ordre chirurgical brutal qui risquent de nous choquer peu¬
vent cependant trouver leur explication rationnelle, et prou¬
ver que, de tous temps comme en tous lieux, l'âme humaine
a toujours obéi aux mômes principes, qu'elle a toujours été
guidée par les mêmes mobiles qui ont toujours provoqué
si j'ai cru devoir efïleurer le sujet,
les mêmes manifestations d'ordre matériel et d'ordre rituel -
dans les milieux d'évolution égale.
«
Les mêmes besoins de l'âme humaine devant engendrer
partout les mêmes manifestations, écrit le Dr Gustave le Bon,
et les forces effectives et
mystiques étant les mêmes chez
peuples, leurs diverses manifestations religieuses
présentent nécessairement une étroite analogie... et corres¬
pondent à des besoins irréductibles de l'esprit humain iden¬
tiques chez tous les peuples... malgré la diversité apparente
tous les
de leurs croyances ».
Les tètes coupées de la Préhistoire, et celles de l'Ethno¬
graphie qui, au premier abord, nous choquent évidemment,
confirment le bien fondé de cette théorie, et nous montrent
Société des Études Océaniennes
—
213
—
chez les hommes les
plus primitifs et les plus archaïques-qui nous semblent les
plus dépourvus de toute notion d'anatomie, de physiologie
et de psychologie - est cette conception du cerveau pensant
et directeur, contenu dans la tête, caput, chef véritable de
l'Homo sapiens, et son symbole suprême.
ciombien profondément innée, même
J. de la ROCHE.
Société des Étùdes Océaniennes
—
214
"Les Immémoriaux
de
—
Yictor
Ségalen*'
par
H.
JACQUIER.
Le R.P.
O'Reilly, secrétaire général de la Société des Océanist.es au musée de l'homme, auteur d'une
plaquette appré¬
ciée sur André Ropiteau vient
de nous faire parvenir une
étude sur Victor Ségalen. Cet
ouvrage représente la matière
d'une conférence faite par l'auteur en 1944 à
l'agence écono¬
mique des colonies. Tiré en édition de luxe, malheureuse¬
ment hors commerce,
illustré de remarquables gravures de
Jacques Boullaire, ce petit livre fera la joie des bibliophiles
et nous ne pouvons que
remercier le R.P. O'Reilly de sa dé¬
licate attention pour la "Société d'Etudes
Océaniennes".
La
resse
personnalité et l'œuvre de Victor Ségalen nous inté¬
particulièrement. Plusieurs personnes à Papeete se
souviennent encore du jeune médecin de marine
qui
service à bord de la "Durance" ainsi
qu'à
fut en
l'hôpital colonial
aux environs de 1903 et dont la
sensibilité artistique était
étonnante. Beaucoup qui ont lu les "Immémoriaux"
igno¬
rent l'œuvre
entière de Victor Ségalen
qui, en
mort prématurée,
dépit de sa
est d'une richesse et d'une diversité re¬
marquables.
Né à Brest, "la ville grise aux murailles de
granit", le
jeune Ségalen devait subir l'influence de cette
atmosphère
maritime bien spéciale du
grand port de guerre, et comme
beaucoup d'autres, n'entrevoir l'avenir qu'à travers cette
marine qui semble donner à Brest sa raison
même d'exis¬
ter. Elève au lycée
qui a connu un nombre respectable d'a¬
miraux et de généraux, en herbe tout au
moins, puis de l'é¬
cole annexe à l'hôpital
maritime, il entrait en 1899 à l'école
principale du service de santé de la marine à Bordeaux,
plus connue dans les milieux maritimes et coloniaux sous
la rubrique du " 145 cours St-Jean".
Il en sortait en 1901 après avoir
soutenu une thèse dont le
sujet devait ébouriffer en peu les graves personnages du
jury. En effet, le Dr Ségalen. suivant sans doute l'esprit de
Société des Études Océaniennes
—
215
—
la grande tradition d'IIippocrate, était avant tout un artiste,
et c'est ainsi
qu'il devait étudier les manifestations de l'al¬
le délire paranoïa¬
que chez ceux d'Huysmans et les phénomènes de paralysie
générale chez Jules de Concourt d'après les notes d'Edmond
coolisme chez les personnages de Zola,
dans le célèbre "Journal". Cette thèse
valut cependant une récompense
assez
inattendue lui
le jury de province vou¬
lant aussi faire preuve de goût et de connaissances littérai¬
res- Quoique peu remarquée il est vrai dans les
journaux
médicaux, elles fut commentée favorablement dans le "Mer¬
cure" par son tout puissant directeur Rémy de Gourmont,
et surtout, son auteur eut le plaisir de recevoir à ce
sujet une
lettre élogieuse de Huysmans. Il n'est pas inutile de remar¬
quer dés à présent l'admiration pour ne pas dire la ferveur
que Ségalen devait porter en littérature à l'école naturiste
et en peinture au symbolisme. Son attention était fortement
attirée par les "peintres maudits" de la bande Manet et
quelque temps après il devait publier - toujours dans le
un article sur "Les
"Mercure"
synesthésies et l'école sym¬
boliste". A Bordeaux, nous dit le R.P. O'Reilly, il avait, à
l'intérieur de son "caisson", épinglé "le portrait de Verlaine
par Carrière et un profil de Nietzche", curieuses aspirations
chez un jeune homme de 22 ans.
L'abbé Lelièvre, homme de grand mérite que nous avons
eu l'honneur de connaître personnellement sur la lin de ses
jours, le fit peut-être rentrer en relations avec le Père Thomasson, bénédictin de l'abbaye de Solesmes et "toute sa vie
il correspondra avec ce moine, esprit tourmenté, préoccupé
de vie mystique, d'une érudition immense et ayant travaillé
avec l'étonnant Huysmans à ses derniers ouvrages". Si nous
ajoutons que Victor Ségalen était excellent musicien et qu'on
a retrouvé dans ses notes plusieurs compositions de sa main
on se représentera déjà le jeune médecin de marine qui, le
23 janvier 1903, voyait surgir devant le beaupré du "City of
Papeete" les montagnes de Tahiti trente et un ans après
l'enseigne de vaisseau Julien Viaud.
Nous ne voyons cependant dans ce rapprochement que
celui qui se fait dans notre esprit en comparant la similitude
un peu frappante des situations, et c'est sans doute le seul
point commun qui peut exister entre Loti et Ségalen. Si l'un
-
-
Société des Études Océaniennes
—
216 "—
s'absorbe littéralement clans le paysage tahitien, en fait son
"moi" et le reflet de son
âme, l'autre ne veut que peindre
d'une manière aussi objective que
possible ce
qu'il perçoit.
communiqués au R.P. O'Reilly par
M"10 Joly-Ségalen, sa fille, on
peut saisir toute son adresse
plus exactement toute sa technique de peintre. Nous ne sa¬
Grâce à des documents
pas si le médecin de la " Dur once" savait manier la
palette et le pinceau, ou même le crayon comme Pierre Loti,
vons
mais nous pensons que certains
passages de ses notes sur
Tahiti 11e peuvent qu'étonner un
professionnel. A bord de
la '• Durance",
il devait se lier d'amitié avec l'enseigne de
vaisseau Octave Morillot fortement épris lui aussi d'Océanie et
qui devait plus tard démissionner
pour
se
fixer à
Tahaa.
Quelques jours s'étaient à peine écoulés que la l'Durance''
appareillait précipitamment précédée par le croiseur italien
"Calabria" pour les Tuamotu, qu'un cyclone demeuré célè¬
bre venait de ravager. Ainsi, l'aspect paisible des îles en¬
chantées était malgré tout assez trompeur. Revenu à
Papeete, Victor Ségalen devait consacrer les loisirs que lui laissait
la profession guère absorbante de médecin
d'aviso, pour
rédiger ses "notes" et s'occuper de clientèle. A ce sujet, il
semble y avoir eu une légère friction dans ses relations
avec ses confrères
de l'hôpital colonial, issu comme lui
pourtant delà même école de Bordeaux. On lui reprochait
peut-être d'être "trop maritime'' et lui trouvait les coloniaux
trop "gouvernementaux" - affaire d'appréciation probable¬
ment-. Certaines conditions de service impliquent
parfois
pour une même profession des points de vue bien différents.
Nous avons ividemment connu les catégories un
peu ridicu¬
les de "médecins loups de mer", "médecins
guerriers",
voir même "médecins chasseurs d'Afrique", mais Ségalen
était certainement d'une trop grande intelligence pour tom¬
ber dans le travers consistant à confondre sa profession
avec son affectation, et il ne se considérait sans doute
qu'un
médecin tout court.
La note juste, la pointe humoristique, donnent à ses obser¬
vations
une saveur bien particulière. Par
exemple: " Papeete est un petit pays où tout s'amenuise, on est intéressé,
sinon mêlé à tous les petits événements locaux. Des inci-
Société des Études Océaniennes
—
247
—
Brest ou à Bordeaux m'indifféraient foncière¬
m'occupent, ici parfois. Je sais quels sont les maria¬
ges passés, présents, à venir, les duels possibles (rares et
inoffensifs), les dessous politiques, la composition de la
Chambre d'Agriculture et la date de séance "pleinière" du
conseil d'Administration. J'ai enfin quelques ennemis jaloux
surtout, et j'en suis heureux.''
A son arrivée à Tahiti, Ségalen pensait bien y trouver
Gauguin. Quelle chance de pouvoir étudier de près un pein¬
tre de la fameuse bande, et quel peintre ! Le plus extraordi¬
naire et le plus fantastique de tous.
Malheureusement à cette époque Gauguin s'était déjà ré¬
fugié à Atuona où il mourait le 8 mai 1903, et la "Durance"
ne devait y toucher que quelques mois plus tard. Ségalen a
raconté la visite mélancolique qu'il lit à l'endroit où se dres¬
sait la minable case déjà bien délabrée du peintre et dans
laquelle se trouvaient encore plusieurs toiles, des vêtements
et quelques ustensiles ménagers. La "Durance" devait ra¬
mener ces pauvres débris à Papeete et les remettre aux
Domaines qui devaient légalement procéder à leur vente.
Nous retrouvons dans les '-Notes" une description très in¬
téressante de cette vente aux enchères. En particulier, Gau¬
guin ayant peint aux Marquises - ce qui peut paraître ex¬
traordinaire- un village [breton sous la neige, la toile, pré¬
sentée à l'envers par le commissaire-priseur sous le titre
Chutes du Niagara", obtint le plus grand succès de rire et
fut adjugée pour la somme de sept francs au médecin, il lui
échut aussi plusieurs portraits, quelques bois sculptés et
enfin la palette de l'artiste dont il fera cadeau plus tard à Da¬
niel de Monfreid, le tout représentant la somme de 188 fr. 95.
Les bois devaient être offerts au poète Saint-Pol-Roux qui,
à ce moment, faisait édifier le beau manoir de Toulinquet en
Camaret, près de Brest. Depuis la déportation et la mort du
poète breton, on ne sait ce qu'ils sont devenus. Quant aux
toiles, elles demeurent toujours dans la famille de Victor
Ségalen.
dents qui, à
ment,
"
Rentré en France en 1905, il se mit à ordonner et à clas¬
toutes les notes qu'il avait amassées durant son séjour
ser
Océanie. Ayant beaucoup lu, et surtout beaucoup retenu
des ouvrages concernant, la Polynésie, il se présenta sans
en
Société des Études Océaniennes
—
218
—
doute à son
imagination l'idée d'une véritable fresque ré¬
trospective de l'ancienne civilisaton tahitienne. C'est de là
que devait naître les Immémoriaux dont
certains chapitres,
nous apprend
le R.P. O'Reilly, furent écrits à Tahiti. Il sem¬
blait malgré tout nécessaire
pour présenter au public un
ouvrage ayant quelques chances de succès de relier ces dif¬
férents tableaux au moyen,
sinon d'une intrigue, tout au
moins d'une action. C'est ainsi
qu'il imagina l'histoire d'un
prêtre subalterne
d'un haere po exactementchassé
-
au¬
trefois de Tahiti
pour faute grave au moment de l'arrivée
des missionnaires en 1797.
Après une vingtaine d'années,
Terii, le héros du livre, revient dans sa
patrie et trouve un
Tahiti entièrement
evangélisé et converti. Le premier con¬
tact du païen et des chrétiens
n'est pas exempt de
compli¬
cations et de
malentendus, mais peu à peu, Terii, avec une
touchante dose de naïve
hypocrisie et, il faut le dire aussi
d'intelligence, comprend que les temps anciens sont révolus.
L'ancien "Haere-po" va maintenant
se faire
l'apôtre des
pitié les gêneurs, en com¬
mençant par son ami Paofaï qui lui a sauvé autrefois la
vie.
Dans le fond, Terii n'a
guère changé, la civilisation et même
le christianisme peuvent
passer sur lui, il demeure sinon un
païen, tout au moins un primitif, un "bon
sauvage" exacte¬
ment. Toute l'idée du livre réside là
précisément.
On a prétendu que l'idée des
Immémoriaux était fonciè¬
rement irreligieuse, et portant les
opinions et la vie de l'au¬
teur ne semblent pas le confirmer. En
s'efforçant de peindre
une mentalité
primitive, Ségalen ne pouvait guère mieux
choisir que le sentiment
religieux, car, si l'amour et l'ava¬
rice par exemple forment le thème
constant sur
nouvelles croyances, écartant sans
brode depuis longtemps toutes les
lequel on
arabesques des réactions
humaines, il faut reconnaître que cette trame-est d'un
pau¬
lorsqu'il s'agit de peuples sauvages pour les¬
quels l'amour est un passe-temps et l'avarice un mot
dénué
vre secours
de sens.
De même que le
"Mariage de Loti", les "Immémoriaux"
représentent une œuvre de jeunesse, et nous
n'entendons
pas ce qualificatif dans un sens
péjoratif, bien au contraire.
Dans l'un comme dans
fections techniques,
l'autre, on remarque quelques imper¬
qui disparaîtront dans les œuvres ulté-
Société des Études Océaniennes
—
219
—
rieures, mais aussi une fraîcheur qu'on ne retrouve pas dans
ces dernières.
Si le "Mariage de Loti" a été écrit dans "l'obs¬
curité en plein
midi, la pluie, la crotte et le dégel du port
Cherbourg", les "Immémoriaux" out vu le jour au nu¬
méro 6 de la rue d'Aiguillon sous le crachin et le ciel
gris
de Brest. Nous ne pouvons nous en
plaindre car le prestige
de l'île enchantée n'y
a rien perdu. Mr E. Ahnne, notre re¬
gretté président, disait avec beaucoup d'humour au cours
de
d'une séance
de la "Société d'études océaniennes"
que
"Stevenson ne séjourna guère que deux ans dans nos diffé¬
rents
archipels. Chadourne, Dorsenne et tant d'autres com¬
parler de notre pays lorsqu'ils l'eurent quitté
Loti lui-même qui a décrit avec tant de vérité le charme
mélancolique de la nature et de lame tahitiennes ne pas¬
sa que quelques semaines dans l'île
enchantée, et c'est fort
heureux, car s'il y était resté plus longtemps, il n'aurait pro¬
bablement jamais rien écrit." Est-ce à dire que la
torpeur
tropicale aurait arrêté net l'éclosion des Immémoriaux ?
Sans doute pas, mais il est vraisemblable
qu'un chef-d'œu¬
vre de Ségalen comme son
"Equipée, voyage au pays réel"
n'y aurait pas vu le jour. D'ailleurs, l'effort de concentration
nécessaire au développement d'une pensée ou à l'élabora¬
tion d'une œuvre s'accoinode mal de
l'atmosphère d'un mi¬
mencèrent à
crocosme
colonial.
Les "Immémoriaux"
furent
publiés- à frais d'auteur de Max Anely. L'é¬
rudition remarquable que Victor Ségalen avait
acquise, lui
permit de peindre l'ancienne civilisation tahitienne avec une
précision et une richesse de détails extraordinaires. Dans
le genre de roman historique océanien on n'a probablement
pas fait mieux, et ce ne sont certes pas certaines reconsti¬
tutions récentes qui nous feront changer d'avis. Quant au
style, l'auteur devait y consacrer le plus grand soin et le
nombre d'épreuves faites et refaites pour un dialogue ou
pour une description est à peine croyable. Son ami Charles
Bargonne, encore peu connu à cette époque sous le nom de
Claude Farrère, lui fut d'un puissant secours à ce
sujet. De
son côté, Octave Morillot lui avait
promis d'illustrer l'ou¬
vrage et, on ne sait pourquoi, ce projet demeura sans suite.
Les premiers chapitres des Immémoriaux
rappellent
chez Pion en 1907 sous le pseudonyme
Société des Études Océaniennes
—
220
—
étrangement par une construction identique, une recherche
d'immages violemment coloriées et un souci de précision
historique certains passages de Salambô En particulier, les
déclamations du "haere-pô" sur le parvis du marae au clair
de lune font penser aux invocations du
grand-prêtre deTanit sur lq terrasse du palais d'Hamilcar. Cette ressemblance
n'est sans doute pas fortuite, car l'école
naturaliste, chère à
Ségalen, s'est toujours réclamée de Flaubert. Il n'est nulle¬
ment question pour cela de vouloir
placer Ségalen sur le
plan de Flaubert, mais, si l'on se rappelle qu'en son temps,
"Salambô" fut accueillie assez froidement, on ne sera
pas
étonné d'apprendre que les "Immémoriaux" connurent le
même sort. Le genre du roman
historique n'est pas sans
écueils, et l'auteur en est le plus souvent assez mal récom¬
pensé. En effet, la moindre erreur l'expose aux foudres de
la critique, mais un souci trop
poussé d'exactitude risque
fort, tout en lui conciliant quelques barbes universitaires de
dérouter complètement le lecteur. Reconnaissons
que Séga¬
len fit de son mieux pour se garder
de ces deux tendances,
pourtant, le grand public ne le comprit pas et la critique le
boudant un peu, le succès des "Immémoriaux" fut nul, ou
presque.
La meilleure
analyse de cette oeuvre devait être faite,
inattendue, par un prêtre, l'abbé Delfour, dans le
journal "LaCroix". « Difficilement, écrit-il, M. Pierre Loti
doit se défendre d'un vif sentiment
d'inquiétude. Il est dé¬
passé, cela ne peut faire l'ombre d'un doute
M. Anely
surpasse de toutes façons son illustre et académique pré¬
décesseur en immoralité, en impiété, en érudition
maorie,
chose
en
intensité de couleur locale et même
en
virtuosité des¬
criptive. » Que l'abbé Delfour souligne le caractère un peu
scabreux de certains passages, cela ne saurait
étonner, mais
païen, antichrétien plus exac¬
tement, de Terii, et de là proviendra sans doute l'accusation
d'irréligion portée sur les "Immémoriaux". Sous ces réser¬
ves biens
compréhensibles chez un ecclésiastique, l'abbé
il a été frappé parle caractère
Delfour reconnaît que ce roman
"témoigne d'une puissante
et brillante originalité" mais il
y décèle un défaut
qui paraît
sérieux "noms
propres, noms communs, les noms maoris
abondent
inspirant au lecteur,
avec un ennui vague
Société des Études Océaniennes
—
221
—
tuais prenant, la crainte d'être
dupé. La lecture de toutes
syllabes exotiques constitue un exercice à tout le moins
inutile. M. Max Anely n'a pas su choisir entre deux langues.
Je veux dire entre le français et le maori
Encore un
peu d'exotisme et les œuvres de nos romanciers seront ab¬
solument bilingues." L'objection était en grande partie jus¬
tifiée et il faut y voir la raison du peu de succès des "Immé¬
moriaux". Pour qui ignore tout de Tahiti et de la Polynésie
le livre peut môme paraître incompréhensible. Nous avons
eu à ce sujet l'occasion de faire nous-même l'expérience en
France auprès de personnes non averties, et il faut avouer
qu'elle paraît assez concluante. Sans doute, un lecteur de
romans, même océaniens, ne se croira jamais obligé de lire
tout d'abord Moerenhout, Ellis ou Quatrefages. De ce fait
même, le succès des Immémoriaux, ne pouvait se circons¬
crire qu'auprès d'un public relativement restreint. On peut
objecter que "le Mariage de Loti" qui contient peut-être
davantage d'expressions tahitiennes (soigneusement tradui¬
tes) connut en son temps un tel succès, que selon Madame
Adam il était à Paris du meilleur goût de terminer sa lettre
par "Tirara parau". Mais le maorisme de Pierre Loti qui a
tant plû est bien superficiel et laisse voir comme le dit un
peu sévèrement l'abbé Delfour "tout un pitoyable subjectivisme européen". Certes, nous ne voulons rien enlever à un
chef-d'œuvre dont les descriptions des soirées tahitiennes
ou de la nuit à Moorea- d'une surprenante exactitude vi¬
suelle d'ailleurs
laisse une impression de poésie intense.
Malgré tout, le mariage de Loti ne représentait qu'un ro¬
man exotique, d'escale plus exactement, on peut même dire
qu'il en était le type. Dans ces conditions, le lecteur pouvait
se sentir délicieusement dépaysé sans pour cela perdre pied,
et Loti ne faisait que transposer des sentiments bien connus
ces
-
dans un décor nouveau.
Dans quelle mesure Loti lui-même
était-il Océanien? S'il
fut Breton durant quelques années, Turc jusqu'à sa mort, il
avoir été Japonais et Océanien que le temps d'une
escale. Au fond Rarahu est-elle Tahitienne ? On peut se le
ne semble
demander. Evidemment " Raraliu la touchante
amoureuse
est un mythe, il y eut en réalité un grand nombre de Rarahu
Société des Études Océaniennes
222
dont
aucune ne mourut de tristesse. "
(1) Mais telle qu'elle
apparaît dans le "Mariage", et Loti a même complété
sa pensée en nous en faisant un
portrait dans l'édition illus¬
trée de 1898, Rarahu est une demi-blanche, cela ne
peut
faire l'ombre d'un doute, un critique un peu fielleux en
pro¬
fitera pour qualifier le "Mariage" d'avenlures de
garnison
nous
romancée.
Les personnages
de Victor Ségalen ont un tout autre as¬
meurent pas d'amour, n'analysent pas leurs
sensations, et s'ils sont parfois mélancoliques c'est que leur
pect. Ils
ne
estomac est vide.
Un
appétit des sens extraordinaires les
lorsqu'ils sont jeunes, mais lorsqu'ils sont vieux
ils ne représentent plus qu'une valeur tout à fait
négligea¬
ble. À quoi peut servir un individu qui ne peut
plus manger,
chanter, danser ou aimer? A rien sans doute. Cette brutale
constatation peut choquer notre mentalité de civilisés, mais
caractérise
elle s'accomodait fort bien avec les mœurs du Tahiti d'au¬
trefois où la gérontocracie n'était guère appréciée.
Tous ces personnages des "Immémoriaux" ressemblent
curieusement à ceux de Gauguin et on n'a peut-être pas suf¬
fisamment
d'Atuona
reconnu
sur
l'influence de la peinture du solitaire
l'œuvre de Victor
Ségalen. Pourtant, en 1916
la librairie Pion publiait une édition des Immémoriaux or¬
née de bois de Gauguin, et c'est probablement la seule illus¬
tration qui peut convenir à ce livre.
Nous n'avons pas voulu établir ici un
parallèle entre deux
chefs-d'œuvres, encore moins diminuer le prestige de l'un
au profit de l'autre. Il s'agit en réalité d'œuvres totalement
différentes. D'ailleurs, en s'inspirant d'elles un peintre pour¬
rait réaliser l'idée d'un impressionnant triptyque. Au centre
figurerait le Tahiti des "Immémoriaux" comme celui de
Gauguin dans son tableau " D'où venons-nous ?". A droite
le Tahiti de Loti avec son atmosphère de fête et d'aimable
militarisme, et cependant légèrement mélancolique. A gau¬
che, le Tahiti de Chadourne: "Coprah, nacre, vanille" avec
la pâle figure tourmentée de Vasco derrière les vitres pous¬
siéreuses de son comptoir. On ne saurait en effet je crois,
(1) Raymondo Lefèvre "Le mariage de Loti'-.
Société des Études Océaniennes
—
223
—
nier que ces trois livres représentent - tout au moins jusqu'à
maintenant - les chefs-d'œuvre du roman océanien
en lan¬
gue française, dont la source, si nous enjugeons d'après les
dernières publications, ne semble pas sur le point de tarir.
Soyons donc reconnaissant au R.P. O'Reilly d'avoir contri¬
bué à faire connaître et à faire apprécier l'un des plus re¬
marquables d'entre eux.
H. JACQUIER.
Société des Études Océaniennes
—
"
224
—
TE-IHU-MANONO "
ou
"Sur les traces du
géant HQNOURA" (î)
î.— Autrefois.
A sa naissance IIONOURA présentait un aspect qui ne lais¬
sait rien entrevoir de la grandeur de sa destinée:
son père
voyant s'écria : « Voici une masse informe qui n'a point
apparence humaine, il faut l'enterrer ! ». Mais inspiré par un
génie, au lieu de l'enfouir dans la terre, il l'abandonna dans
une grotte.
HONOURA grandit seul dans sa caverne, ne mangeant que
des cailloux. Il devint ainsi merveilleusement grand et fort :
en le
c'était un
En ce
géant.
temps là vivait dans la baie de PAPARA un grand
poisson volant pourvu d'une tête d'espadon: il s'appelait
AUROA.
Un jour le géant HONOURA vint croiser en pirogue au lar¬
ge de PAPARA avec
l'intention de provoquer AUROA l'es¬
padon volant.
Celui-ci ne tarda pas à se montrer et
les deux adversaires
d'usa¬
commencèrent par se défier, comme il a toujours été
ge de le faire avant d'en venir aux coups.
« Je te
percerai avec mon rostre ! » disait AUROA.
«
Je te crèverai le ventre avec ma lance ! » répondait IIO¬
NOURA.
Ayant épuisé toutes leurs menaces et leurs injures ils en¬
gagèrent la lutte dans la baie de POPOTI.
Dès les premières passes, l'espadon volant fut effrayé de
la maîtrise du géant et s'envola pour aller demander conseil
et assistance aux deux sorcières, les R.UAIIINE, qui habi¬
taient au fond de la vallée de TAIIARUU.
(l) Dans la relation de cette légende nous nous appuyons princi¬
palement sur l'ouvrage de TEUIRA HENRY "ANCIENT TAHITI"
et sur l'article publié par M. TERAITUA dans le n° 21 de ce bulle¬
tin.
Société des Études Océaniennes
—
m
—
AUROA vola si vite qu'arrivé au fond de la vallée, empor¬
té par son élan,
il enfonça son rostre dans la montagne et,
n'ayant pu se dégager, il mourut.
HOMOURA le géant était parti à la poursuite de son enne¬
mi; devant le cadavre d'AUROA il s'écria:
«
Voilà un tas
de nourriture perdue ».
Pour se rafraîchir,
il décida d'aller plonger du haut d'une
montagne voisine : la MOUA TAMAITI.
Il y avait au pied de cette montagne, une eau profonde
sur les bords de laquelle habitaient les sorcières.
Les géants avaient coutume de venir plonger en se jetant
du haut de la montagne; comme la hauteur était grande il
leur arrivait de se tuer en tombant. Alors les sorcières s'em¬
paraient des cadavres et brûlaient les os devant leur case:
elles se délectaient à l'odeur des ossements brûlés et c'est
pour satisfaire ce
bords du lac.
goût qu'elles étaient venues habiter les
Tenant un bouquet de AUTI (1) dans une main et une gran¬
de feuille de OAIiA
(2) dans l'autre, HONOURA commença
l'ascension de la
montagne.
Arrivé au premier escarpement il lança dans l'eau la feuil¬
le de OAHA : au bruit de la chute, une des sorcières dit à
l'autre: « Va donc voir qui est tombé ». La Ruahine revint
et dit: « Ce n'est rien, c'est une feuille de OAIIA ».
Arrivé au deuxième escarpement HONOURA lança son
bouquet de AUTI, l'eau gicla jusque sur la case des sorciè¬
res : une des Ruahine vint voir puis rentra en disant: « Ce
« n'est rien, c'est un bouquet de AUTI. »
HONOURA arriva
alors au sommet de la montagne, il appela les sorcières et
leur dit: « Transportez votre case sur la colline, car je vais
«
sauter et l'eau va vous emporter ! ».
«
nous
«
«
Furieuses, les sorcières lui répondirent: « Qui es-tu pour
parler ainsi, homme de peu de chair! {Taata io ore)
le moindre vent te courbera
Tais-toi (Mamu) ! »
HONOURA se jeta
comme
la feuille de APE (3).
dans le vide, arrivé au milieu de sa
(1) Cordyline Terminalis.
(2) Asplenium nid-us.
(3) Alocasia Macrorrhiza.
Société des Études Océaniennes
—
226
—
chute il se retourna, croisa les jambes et pénétra dans l'eau
qui fusa en deux énormes gerbes.
HONOURA nageait déjà lorsque la vague qu'il avait cau¬
sée vint
frapper la montagne dont le flanc s'écroula dans le
lac, celui-ci déborda emportant à la mer tout ce qui était
sur ses rives.
Les deux sorcières furent noyées et HONOURA retira leurs
corps de la rivière : on peut encore les voir aujourd'hui dans
la vallée de TAHARUU, ce sont deux rochers
qui s'appellent
TAUARII et TAUATEA.
II.—
Nous avions été
Aujourd'hui.
intrigués, à plusieurs reprises, par des
allusions à un ancien lac,
dans le centre de l'île.
Tantôt on précisait que le fond
Tantôt
de ce lac était en corail.
insistait sur une particularité, à savoir que ses
eaux étaient toujours animées d'un mouvement circulaire.
on
Tantôt la chose essentielle semblait être sa population de
poissons enchantés qui venaient au moindre appel.
Parfois enfin
on
mentionnait seulement
un
lac auquel on
accédait en escaladant une falaise à pic.
Un seul point semblait constant : la localisation de ces
merveilles était toujours dans le fond delà vallée de TAHA¬
RUU.
Malgré toutes nos recherches nous ne pûmes recueillir au¬
témoignage précis: c'étaient là des choses d'autrefois,
cun
"Matamua".
Puis vint un matin où accompagnés par trois vaillants mon¬
tagnards indigènes, avec des vivres pour plusieurs jours,
nous partîmes à la recherche inavouée de ces merveilles
incertaines.
Après une journée de marche nous parvînmes à un point
où le lit de la rivière s'élargit soudain à la sortie d'un défilé
chaotique: entassement d'énormes blocs de rocher entre
lesquels le torrent se fraye bruyamment un pass'age.
Ce lieu s'appelle "PAARA ROA" {grand choc,
grande colli¬
sion).
Nous décidâmes
d'y passer la nuit à l'abri du surplomb
d'un gros rocher, presque cubique, dont les flancs lisses et
Société des Études Océaniennes
—
227
—
noirs contrastaient avec la végétation intense qui on ne sait
comment prospérait sur son sommet.
De cette luxuriante coiffure, des lianes pendant jusque sur
devant notre refuge.
autour du feu, nous questionnâmes lon¬
le sable formaient un léger rideau
Le repas terminé,
guement deux de nos compagnons qui étaient natifs de cette
vallée et dont toute la vie se passait à en récolter les oranges
chasser les cochons. Ils furent tour à tour
précis et évasifs, néanmoins nous
parvînmes à établir le programme de notre marche du len¬
demain et c'est le cœdr plein d'espoir que nous nous endor¬
mîmes, bercés par le bruit de cette rivière que le plongeon
d'HONOURA, autrefois, avait fait sortir si brusquement de
et les "feï" et à y
afïirmatifs et réticents,
son
lit.
petit jour, un de nos compagnons alla
grosse pierre à laquelle, la veille au
soir, il avait attaché de longues bandelettes d'écorce de
PURAU (I) : "Hamani tiaa !" avait-il dit. '
Ainsi amarées, les'lanières, toute la nuit, avaient ondulé
désespérément dans le courant telles une famille d'anguilles
v-ainement acharnées sur une proie décevante et maintenant
avec cette écorce bien assouplie notre compagnon eut vite
fait de se tresser une paire de sandales pour protéger ses
pieds blessés.
Nous reprîmes notre marche : la vallée se resserrait rapi¬
dement, la rivière étranglée dans une gorge de plus en plus
étroite devenait profonde et violente.
Il nous fallait sans cesse la traverser, nous cheminions
lendemain,
au
retirer de l'eau
une
Le
quelque temps sur un bord puis la paroi à pic nous contrai¬
gnait à changer de rive; vint un moment où la force du
courant fut telle qu'il nous fallut recourir au "lest" : sur le
point de traverser le torrent, nous nous aidions les uns les
autres à charger sur nos épaules une grosse pierre, aussi
lourde que possible, et ainsi "lestés", nos pieds avaient
meilleure prise et nous traversions plus aisément, bien qu'a¬
vec précautions.
Nous parvînmes ainsi h l'embranchement d'une petite
vallée: la prête médiane très abrupte montait rapidement
(i)
Hibiscus Tiliaceus.
Société des Études Océaniennes
—
228
—
vers le pied de la MOUA TAMAITI. Nous décidâmes d'aban¬
donner la rivière et nous entreprîmes l'escalade de la crête.
A mesure que nous montions, la
végétation devenait plus
dense. Nous traversions une fôrét de OPUHI
(1) quand sou¬
petite clairière où se
trouvait un abri de chasseurs: toiture en feuilles de
OPUIil,
couchettes garnies de feuilles de OPUIII, à tout
prendre FARE OPUHI, tel est le nom de ce lieu.
dain
nous
nous
Devant l'abri
trouvâmes dans
se
une
trouvait
un oranger
chargé d'étranges
fruits, sinistre décor de "Paradis perdu", à la place des oran¬
ges dorées et parfumées l'arbre ne portait que des mâchoi¬
res
de cochons de toutes tailles. C'était
un
de
ces
arbres
porte-trophées (2) comme on en trouve un certain nombre, à
l'intérieur de l'île, dans les lieux où, la chasse
finie, les chas¬
seurs ont coutume de venir
dépecer leur gibier, le cuire au
four indigène et en entasser les chairs dans des
tronçons de
bambous qu'ils transportent ensuite aisément à la route.
Vers 600 mètres'd'altitude une curiosité naturelle nous in¬
cita à faire une courte halte : un gros rocher sur
lequel pous¬
plusieurs arbres à vu le sol se dérober lentement sous
sa base, par le travail érosif des
grandes pluies, seul un pi¬
vot rocheux heureusement placé a assumé la
charge de sou¬
sent
tenir le tout.
Il en est résulté un abri circulaire, sorte de
galerie autour
du pivot, "ANAFAR1U" (grotte, galerie tournante) ont dit les
Tahitiens chasseurs de cochons qui souvent sont venus con¬
fier leur sommeil à ce bloc en
équilibre.
Chasseurs bien fatigués, a-t-il fallu, pour que leur som¬
meil ait pu résister aux milliers de
moustiques qui en quel¬
ques instants ont formé autour de nous un nuage hostile.
Poursuivant notre marche nous parvînmes
rapidement au
sommet de la crête.
Une végétation intense nous enlevait toute visibilité, nous
étions sur un plateau,
bourée en tous
la terre était noire, très humide et la¬
par les cochons sauvages.
Parfois le sol cédait sous nos pas, la
végétation devint
sens
(1) Amomum cevuga.
(2) Dans l'antiquité grecque il était d'usage de dresser sur des ar¬
bres les armures des guerriers vaincus.
Société des Études Océaniennes
—
229
—
moins haute et vint un moment où nous dûmes nous arrêter
devant une belle plaine verdoyante, trop verdoyante et trop
plate : c'était un marais.
Les plantes
aquatiques, TAMORE (1) principalement, qui
recouvraient ce marécage étaient si serrées qu'il nous sem¬
bla tout d'abord possible de nous aventurer avec précaution
sur
leurs touffes, comme sur des radeaux.
Nous nous apperçûmes rapidement que cette façon de pro¬
gresser
était fort dangereuse: l'eau mêlée de vase n'était
pas assez liquide pour permettre de nager en cas de chute.
Il nous fallu renoncer à traverser cet
étang qui se termi¬
nait brusquement par un précipice où son trop-plein tombait
en
cascade, formant une des sources de la TEVAIITAIIA-
RUU.
Ce marais est à 650 mètres d'altitude. Nous sondâmes les
bords :
vase
nous
trouvâmes le fond sous deux et trois mètres de
très liquide.
Ayant fixé une pierre au bout d'une perche nous eûmes la
surprise de sentir à la percussion un fond rocheux, mais de
quelle roche? Il nous fut impossible de le savoir.
Le lieu était sinistre,
les moustiques nous harcelaient, une
odeur pestilentielle s'élevait de la vase que nous avions re¬
muée et un écho d'une netteté et d'une force étonnante nous
renvoyait nos appels: à l'Est la MOUA TAMAITI dressait
devant nous sa muraille grise, verticale et entièrement dé¬
nudée, n'était-ce pas là le flanc qu'avait ainsi dégarni l'éboulement causé par le plongeon d'HONOURA ?
Et ce marais, n'était-il pas l'ancien lac des sorcières actuel¬
lement comblé par le pan de montagne quij s'y était écrou¬
lé?
Au nord le cirque est limité par une crête qui est aussi
le
fond de la grande vallée de TAHARUU : cette crête n'a-t-elle
jour, un espadon volant venir vers elle si vite
qu'il ne put s'arrêter? et n'a-t-elle pas senti le rostre péné-
pas vu, un
(i) Polygonum imberbe.
Société des Études Océaniennes
—
230
—
trer dans son flanc, avec une force énorme ? Les vieux Tahi-
tiens nomment ce site "TE IHU MANONO " (1),
Le lieu ne se prêtait pas à la méditation et nous nous em¬
pressâmes de quitter ce cirque inhospitalier et de redescen¬
dre préparer notre campement dans l'air
pur du fond de la
près d'une eau limpide qui grondait furieusement en¬
tre des rochers trop resserrés.
Ce soir-là, rassemblant nos observations et nos
impres¬
sions de la journée, nous en vînmes à
penser que l'épisode
de la légende d'HONOURA rapporté plus haut, était
proba¬
blement la version poétique d'un des nombreux bouleverse¬
ments géologiques qui ont peu à peu modifié
l'aspect de Ta¬
gorge,
hiti.
JAY.
(i) Nom difficile à traduire, comme la plupart des noms de lieux,
mais dont on peut tenter
d'analyser le contenu :
"TE IHU" signifie : la nez,
Ici pointe, le cap, l'éperon ;
exprime une idée de vaillance et de force et désigne
aussi un arbre : "Phylanctus".
Et si pour fixer le souvenir d'AUROA
"l'espadon volant" mort
pour avoir percé la montagne de son rostre, on avait appelé ce site
"TE-IHU-MANONO" (le rostre valeureux), cela n'aurait-il
pas été
justice ?
"
MANONO "
Société des Études Océaniennes
—
Notes
sur
231
—
S'archipel des Marquises
Lorsqu'on consulte la carte de l'archipel des Marquises,
peut pas ne pas être étonné de la répétition de cer¬
tains mots qui entrent dans la composition des noms de ces
îles, car, sauf Tahuata, toutes possèdent un nom composé.
Ainsi l'on retrouve Iva dans: Hiva Oa, Fatu Iva, Nuka Iva
et Nuka dans Nuka Iva, Ua Uka, Fatu Uka.
l'on ne
Voici l'explication qui m'a été
donnée: '
Àtea, son "paepae'' est enseveli,
dit-on, sous les eaux près d'Atuona, éleva une grande mai¬
son à Nuka
Iva, à Taiohae ( Tai bord de mer, mer, et hahe
Le Créateur marqiwsien
maison).
Celle-ci s'appelait Niu Mapu ( niu, ancien nom du cocotier,
et mapu,
non
siffler). C'est donc là le vieux nom de l'archipel et
Matuita comme on le dit aujourd'hui.
A cette époque lointaine, il ne devait y avoir qu'une seule
île. Les différentes îles que nous connaissons aujourd'hui
portent toutes le nom d'une des parties de l'unique maison.
Pour construire
maison, Atea
sa
se
servit entre autres :
de longues sablières : Iva oa (Tah. roa,
long)
(équivaut au tah ; Tahuhu)
les différentes parties étaient liées ensemble: "fatu" par
des liens de "nape" d'où : Fatu Iva.
D'aucuns prétendent que Iva signifie ici 9 parce que la
cordelette de nape devait être composée de 9 brins.
de poteaux "pou", d'où Ua Pou.
d'une maîtresse poutre : Nu Iva ;
Les restes des liens furent cachés "huna" dans
un
trou à
l'intérieur de la maison afin de ne pas servir à la confection
de "pifao",
d'où: Ua Una (ils furent cachés)
Tout ce travail fut terminé en une nuit. Or travailler la nuit
est le fait des mauvais
esprits "varuaiino". Au matin: "ta-
tahuata" (tah. aahiata, aube) tout était terminé, d'où Tahuata.
L'ilôt inhabité de Fatu Uka
ne
semble pas
avoir de sens
précis.
A la mort
d'Atea,
ses
fils se dispersèrent et la maison
convertie en autant d'îles que de parties.
Faut-il voir là une légende du Déluge?
Société des Études Océaniennes
232
Atea eut trois fils : Nuku,
et Tane
Papane qui restèrent à Hiva Oa
qui disparut et que l'on suppose être l'ancêlre des
Blancs.
Faut-il voir là une réminiscence de la postérité de Noe ?
Antérieurement à la séparation de l'île unique en plu¬
sieurs, langue et coutume étaient semblables. Après la dis¬
persion, les îles du groupe NE conservèrent le k (Nuku Iva
Iva) et Ua Uka. Les îles du groupe SO le sup¬
primèrent et disent Nu Iva et Ua Una.
et non Nuka
R.
Société des Études Océaniennes
L.
—
233
—
poésie
macs————
LES TIKI
Dans les Temps reculés, les Polynésiens
Se sont taillés des dieux dans le tuf et le grés,
Puis ils les ont dardés au fond des marae
Sur le basalte noir du sol
plutonien.
Protecteurs de leurs clans, ils sont les gardiens
Des
îles, des foyers, des lagons, du sacré,
érigent, carrées,
Et sur leurs jambes torses, ils
Leurs faces sans regards aux yeux batraciens.
Ils reçoivent, en leur temps des victimes humaines,
Des poissons et des porcs, des tortues et des graines;
Ils sont seuls, effarés. Quand le soir devient rouge
Ils assistent muets aux orgies que déchaînent
Le vin des orangers
et les danses obscènes.
On dirait des fœtus ornés de plumes rouges.
A. D.
Société des Études Océaniennes
—
234
—
Départ de M. de MONLEZUN
Président de la Société des Etudes Océaniennes.
Monsieur de Monlezun élu Président de la Société des
Etudes Océaniennes à l'Assemblée générale du 14 mai 1945
ayant cessé ses fonctions de magistrat au Tribunal de Papeete nous a quittés et s'est embarqué sur le "Sagittaire"
le 10 juillet. 11 se rend à Quito ou en 1940 il avait
répondu à
l'appel au Général de Gaulle, puis avait été nommé président
du Tribunal de Papeete.
Durant cinq ans, en outre de ses occupations profession¬
nelles
parfois très absorbantes, il devait porter son activité
particulier présider avec
compétence notre Société.
Homme de parfaite distinction et de grande érudition
Monsieur de Monlezun charmait par sa conversation délicate
de son exquise affabilité. Nous perdons, par son départ, non
seulement un collaborateur distingué, mais aussi un ami et
nos vœux l'accompagnent
jusqu'à sa lointaine résidence (1).
dans différentes directions et en
(1) Aucun nouveau Président ne pouvant être élu avant l'Assemblée Gé¬
nérale de la Société (en 1947), le Bureau a prié son Vice-Président d'assurer
la Présidence jusqu'à ratification par l'Assemblée (Statuts
Société des Études Océaniennes
:
art. 10).
235
—
—
NÉCROLOGIE
Monsieur W.W. BOLTON s'est éteint à Papeete le 29 juil¬
let à l'âge de 89 ans.
C'était un vieil ami de la S.E.O. Il
faisait partie depuis 1929, si je ne fais erreur.
Marcheur infatigable jusqu'à ses derniers jours,
en
il avait
parcouru l'île en tous sens pour retrouver les sépultures des
premiers missionnaires anglais. Il avait pris cette tâche à
et a laissé des renseignements précieux à ce sujet.
Le Bulletin lui doit: "The Beginning of Papeete and its
Founding as the capital of Tahiti" (n° 53).
La S.E.O. exprime à ses parents et à ses amis sa sympa¬
cœur
thie.
#
* #
Le Musée et la Bibliothèque se sont enrichis de nombreux
objets et ouvrages.
DONS
de Monsieur Ernest Marchai :
Deux Tikis. Nous sommes d'autant plus reconnaissants de
ce don que le plus grand des deux est d'une gravure qui
n'était pas encore représentée dans
les collections,
de Madame Ahnne :
Dans une caisse contenant des pierres
par
anciennes et laissées
elle au Musée, nous avons trouvé quelques pièces in¬
téressantes et trois belles erminettes emmanchées,
de M. Siméon. Papeete :
Un crâne mélanésien provenant des Nlles-Hébrides.
de la Famille Sue :
Un beau portrait encadré du Roi Pomare V.
Un beau portrait
encadré de la Reine Pomare IV dans les
dernières années de son règne,
de M. Illot, Wellington, N.Z. :
"The French at Akaroa", par M. Buick.
Du R.P. O'Reilly,
Secrétaire Général de la Société des
Océanistes :
"Victor Ségalen et le Pacifique".
de M. de Monlezun :
Le numéro de la Revue des Beaux-Arts contenant une étude
sur
le peintre Giraud, auteur du grand tableau de la Reine
Pomare IV,
qui se trouve au Musée.
236
—
—
de M. Paul Walker :
"Teina et Marama", Idylle Polynésienne,
dessins de Alfred
Pauli. Strasbourg, Librairie de la Mésange. 1945.
Cet ouvrage dont M. Paul Walker est l'auteur,
beau papier et d'une présentation élégante.
est tiré sur
La S.E.O. remercie bien vivement ses généreux donateurs.
* #
#
ACQUISITIONS.
Une peinture
de M. Nicolas Mordvinoff "Femme de Man-
gareva".
richement illustré de gravures de M. William
Stone : "The Ship of Flame" a saga of te South Seas. New
Un ouvrage
York. A Knopf. 1945.
Les gravures sont dues au talent de M. Nicolas Mordvinoff.
Un 2m0 crâne mélanésien des
Nlles-Hébrides, provenant de
de Mallicolo). Ce crâne de forme très
allongée offre un curieux exemple de déformation par com¬
pression de la partie frontale. Le visage est modelé à l'aide
d'un mélange de terre glaise et de fibre de coco.
l'île de Toman (S.O.
#
AUX
# #
SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES
La guerre,
l'irrégularité des courriers, l'ignorance dans
laquelle nous sommes sur l'existence, la disparition ou la
reprise des Sociétés avec lesquelles nous faisions échange
de Bulletin, ont amené une grande perturbation dans nos
envois.
La S.E.O. serait reconnaissante aux Sociétés qui désirent
poursuivre les échanges de bien vouloir se rappeler à elle,
et lui envoyer leur propre Bulletin.
Cela lui permettra de remettre sa liste à jour. Merci.
Société des Études Océaniennes
Les articles publiés dans le Bulletin,
exceptés ceux dont l'au¬
dioits, peuvent être traduits et reproduits,
à la condition expresse
que l'origine et l'auteur en seront men¬
teur
a
réservé
ses
tionnés.
la
Toutes communications relatives au Bulletin, au Musée ou à
Société, doivent être adressées au Président. Boîte 110,
Papeete, Tahiti.
Le Bulletin est envoyé gratuitement à tous ses
Membres,
Prix de ce numéro
10
F. P.
Cotisation annuelle des Membres-résidents........ 40 F. P.
Cotisation annuelle des Membres résidant
français
en
pays
50 F.
Cotisation annuelle des étrangers
P.
3 dollars.
SOUSCRIPTION UNIQUE.
Membre à vie résidant en France ou dans ses colonies. 500F.P.
Membre à vie résidant à
l'Etranger, six livres sterling ou
trente dollars.
Avantages de se faire recevoir Membre a vie pour cette som¬
versée une fois pour toutes. (Article 24. du Règlement Inté¬
rieur, Bulletins N° 17 et N° 29).
me
i°
Le Bulletin continuera à lui être adressé, quand bien même
il cesserait d'être Membre résidant a Tahiti.
2° Le Membre a vie n'a plus à se
préoccuper de l'envoi ou du
paiement de sa cotisation annuelle, c'est une dépense et un souci
de moins.
Hn conséquence:
Dans leur intérêt et celui de la Société,
sont invites a devenir Membre à vie:
TOUS CEUX qui. résidant hors de Tahiti, désirent recevoir le
Bulletin.
TOUS LES jeunes Membres de la Société.
TOUS CEUX qui, quittant Tahiti, s'y intéressent quand même.
- Médias
-
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- Bulletin de la Société des Études Océaniennes
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 76