Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 25
- Titre
- Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 25
- Description
-
Ethnologie - Chants Marquisiens pendant les sacrifices humains par C. Noury 51
Histoire - Notes sur Huahine et autres Iles-Sous-le-Vent par R. P. Joseph Chesnau 57
Géographie - Roche de Kahi et cascade de Haka (Marquises) par C. Izrastoff 68
Correspondance - En souvenir du R. P. Hervé Audran par H. Bodin 70 - Date
- 1928
- Date de numérisation : 2017
- Format
- 1 volume au format PDF (28 vues)
- Identifiant
- PFP 3 (Fonds polynésien)
- Langue
- fre
- Editeur
- Société des Études Océaniennes (SEO)
- Relation
- http://www.sudoc.fr/039537501
- Droits
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- Source
- Société des Études Océaniennes (SEO)
- Type
- Imprimé
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Bulletin
DE
Société des h
la
ETUDES OCEANIENNES
25
Na
TOME
III
J LIN
(N° 3)
19 2 »
Anthropologie — Ethnologie — Philologie,
Histoire
—
des
Institutions
et
Antiquités
populations maories.
Littérature et Folklore.
Astronomie
—
Océanographie — Sciences naturelles
Tourisme.
IMPRIMERIE
A
DU
OOUVERNF MENT
PAPEETE
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DE
LA
SOCIÉTÉ D'ÉTUDES
(POLYNÉSIE
OCÉANIENNES
ORIENTALE)
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TOME III
X» 25.
—
(No3)
JUIN S»2«.
SOZMZUVCjAIIR/IE
Pages
Ethnologie.
Chants
Marquisiens pendant les sacrifices humains
par C. Noury
51
Histoire.
Notes sur Huahine et autres Iles-Sous-le-Vent par R.
P. Joseph Chesnau
57
Géographie.
Roche de Kahi et cascade de Haka (Marquises) par
C. Izrastoff
68
Correspondance.
En souvenir du R. P. Hervé Audran par H. Bodin....
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Société des Études Océaniennes
CHANTS DIVERS
encore
en
usage
aujourd'hui pendant les sacrifices
humains
Recueillis par C. .Noury.
(1849)
Nuka-Hiva, 2 Novembre 1849.
Monsieur le Commissaire de la République,
Conformément à la dépêche de M. le Ministre de la Marine,
en date du 17 juillet 1848, et à la vôtre du 2 Avril 1849, je me
suis occupé de recueillir quelques-uns des chants des habitants
deNouka-Hiva. L'interprète Motto m'a été duplusgrand secours
pour interroger les plus anciens tahuka de l'Ile, et démêler le
chants presque incompris aujourd'hui. J'ai pu re¬
cueillir une collection à peu près complète de ceux relatifs aux
sacrifices humains, et je vous les adresse en vous priant de vou¬
loir bien la faire parvenir à Monsieur le Ministre de la Marine.
Veuillez agréez, Monsieur le Commissaire de la République,
sens de ces
l'hommage de mes salutations respectueuses.
Votre très humble subordonné,
C. Noury.
Tous ces chants sont en langue ancienne, et inintelligibles pour
les Canahs qui les chantent sans les comprendre. Les vieillards
seuls peuvent donner quelques explications,
que l'on peut arriver à un sens satisfaisant.
ier
et c'est à grand peine
C. N.
Chant.
Ami hune
(Tu me te hau 00a i ea uatea).
Me te hau 00a e ta i ua tumu henua Tauika. Ua mate i te hau
(i ea) E ta i ua tai me nanu Tauiaa. Na mate. (Kii te hau
ôa): (i ea); e ta i naà mata pohu Tauika. Ua mate i te hau 00a
i ea e ta i uaà ua nuku aitu. A paea mai too mata i tua akiaki
00a
.
nei me te hau 00a i ea e ta i uaa.
NOTA.— Autrefois, la victime était toujours étranglée avec un morceau
d'écorce du hau (Hibiscus tiliceus).. aujourd'hui, le genre de mort est in¬
différent ; mais en souvenir des temps
passés, il est indispensable que les
Tabulais (les savants) remplacent la ceinturo
de la victime par une
de hau. C'est au moment de cette cérémonie que l'on chante le ami hune qui
pour but de donner la tradition des quatre premiers sacrifices nommés :
Tumu hcnua Tauika, Nanu Tauika, Mata pohu et Nuku aitu.
a
Le ami hune explique comme quoi ces quatre victimes (qui sont devenues
quatre dieux) sont toutes mortes par le hau long.
2me
Chant.
Alci ïakalaka.
Ihika ihika te ahi te etua mata ehuehu. Hau te etua hau te
enana oe
ei. Hatihati mai koe koukati. Kau te etua oe ei.
NOTA.— Il est d'usage pendant le sacrifice d'offrir un cochon au dieu
Akanau (un grand dieu) et au moment où l'on frotte l'un contre l'autre les
deux morceaux de bois qui doivent donner le feu. 011 chante le.ahi takataka.
3me Chant.
Aku Akatu
Préparer le Aku.
NOTA.— Le aku est un morceau de bois, ou rouleau, qui sert à mettre
à la mer ou à terre la pirogue qui a été chercher la victime. Il porte un nom
et est sacré.
Le aku akatu se chante
au
moment où l'on enlève de terre la victime, et
pendant la route pour la porter à la koika le cadavre est attaché le long
d'un fort morceau de bois au moyen duquel on le porte.
II est certain que dans ce chant le haku désigne par allégorie le chef de
la tribu, tandis que vaka ou la pirogue désigne le peuple. Les vieillards
expliquent très bien que l'on emploie ce. sens figuré parce que le chef doit
être l'appui du peuple.
Malgré la forme abrégé de ces notes, on remarquera que le sens de ces
chants est presque toujours allégorique.
E tu eè !
amo
mai te aku e oku a kauahia
aee
te aku i
mua o
te vaka
te aku
te vaka.
Tehatu moana amo amai te aku.
Tutoake akauùhia u te aku i vaveka te vaka.
Tokohiti
amo
amai ta aku
u
te aku i muii
Tahakakouiè; o te aku Tahakaketau ;
o
0
o
te aku kaoà. Te hau
nui tua Toake o te toea te vaka oko ua hoi oko te toea te vaka
o
Takaooaua hoi ia Takaooa o te toea te vaka nui a Tu Taitimu
ia mai eke ua te aku
e
aka. E motou Motuhaiki e aku e Motoù-
haiki te toki mata kenù titi : ma toki tua titi : auù ma toki ahu
e puna me kaka te aku me kaka te aku maitu.
Hakatuhuka mai tu hakaapakau ua ei kekemu ta hiti mei aki..
O te Temanu nui e tu i vaikapuamea, ua Tuhuka Meihama me
Tuaia e ata mi'a aki.
No Tu hoè ua te aku.
Société des Études Océanienne!
.
Me 'juia Poii, me tuia Poeeka, me tui Mataua, me tui te honii
tapu o Takaooa, me tû te Matauaveka.
Na Tahu te metau nui, te metau toka, te metau ave, te metau
au tika i
aveka; topa nau tu ihu i aveka, me hui kii ukà e toa
i hakuna, me haihai ma kihaoa ma kahiki moa hiiia te kéna
manu tatai nuku te upe te taûa te manu totoo me i te akau.
Le chant qui précède se chante, comme nous l'avons dit pendant le trajet
pour se rendre à la Koika. Lorsqu'on y est arrivé, et avant de déposer la
victime à terre, le savant dit :
Aee ! to mai?' aee !
kuka
a
vaka?
e
too, e too : îriei ee ho no koia :
E amo i mua; e hiiki i mui;
aee e to-
eaha. me haka
nunuia ! tuku.
NOTA.— Alors 011 pose
s'écrient ensemble 1 0 ô !
la victime à terre, et aussitôt tous les Canaks
Lorsque la victime est posée à terre, le savant (nous ferons remarquer ici
prêtre ne prend aucune part aux sacrifices: son rôle se borne
à en indiquer la nécessité et à désigner le nombre des
victimes) ayant une
branche de cocotier à la main dit :
Lève-toi ! ( A vaa koe bu me na tau
que le grand
—
ekaeka ton kaki)
Puis toute la bande des canaks s'écrie par trois fois :hii.
Les savants
répètent alors par trois fois : eè tevehiè (cri d'allégresse),
puis trois fois aussi : To toe bu aka.
Los assistants répondent par trois cris de huù.
4e Chant,
Pupu vaka.
TRADITION.— Un poisson nommé te kokoama ayant possédé une femme
nommée Akutiha, celle-ci lui demand a pour tout salaire (tukitoè) la
chanson
qu'elle lui avait entendu chanter dans l'eau. Le poisson lui donna les trois
qui précèdent celle-ci et les suivantes.
Ee ! te pupu u te vaka, pupu
i te ua, pupu i te tai, pupu i te
ahaka, pupu i te metaki nui i mu nei. Mei au tiaa (ici le peu¬
ple répond : henua) ote toua apa henua.
Mea.ia ; Kao ai Tu te hatu Moana :
Mei au tiaa (le peuple répond : henua)
Ua tiaa (le peuple répond : henua).
Mei au tiaa (le peuple répond: henua).
Pe nei à mate Taua, te anuanua, te Haiteaki..
A ta Ana o ma Kii ae Kiukiua.
Aa oà, te vata
i eke ia te amiti kai hehee.
Aa oà hoi te vaka i eke ia tu poiti e ta poiti e kai kavoki :
Aa oà hoi te vaka i eke ia e te metaki te metaki nui e mu nei.
Aa oà te vaka i eke ia e te etuee ka kai a vaka.
Société des Études Océaniennes
Aa oà te manu hei veù
:
Aa oà hoi te Tuhuka i uu ma aau o te mei haka.
NOTA.— A co mom en I do la cérémonie, la victime a déjà un hameçon
bois de for dans la bouche. Cet hameçon est amarré à un bout do corde
d'environ trois brasses. Apres léchant qui précède, on lui met d'autres hame¬
en
çons dans les ycu.v, dans les oreilles,
dans le nez. Les jeunes gens destinés â
devenir Tuhuka tiennent le milieu des différentes lignes, tandis que les vieux
prennent ainsi au sacrifice leur
mange des cochons, et qui est
nommée koumetau (lift. : manche de l'hameçon ). Pendant ce temps, les as¬
sistants lie dansent pas, mais sont assis à l'enlour. Quand au\ femmes, elles
peuvent aussi assister, mais elles ne se mêlent de rien. Après ce chant, on
démarre la victime du bâton où elle était attachée. Tout le monde s'assied
autour d'elle, et l'on commence à frapper des mains, à chanter et, le tambour
Tuhukas en tiennent le bout La part qu'ils
donne le droit d'assister à une fêle où l'on
accompagne.
5me Chant.
Mata vai.
A tuku te hatu tau toua.
To oatea te ate ipo.Tukutuku te hatu tau toua, te Oatea.
E Oa-
Tokoae ihu iaau te toka maumau ; te hatu tau
toua, ta'tea e tea i atu.
Takiika koia te too o te hue: ta'tea te ate ipo. i tiku te euha i
oto hua pokoa ; Takataka mai ai te mata hua euha mea monona to Oatea, Oatea te.ipo,
tea e e i atu ;
6me Chant
Tuki tuki
mon.
nienie, ho, naenae, ho kiku puè
(a vii te hue eka.) Tenaa ee a pà oe a pa koe tou tama toku i
atu to oe henua o havaiki i te auhà i teaoa. Neè te kuite tama
Ehia au moa; eua au moà, ho
te motua te hua'a te moupuna te
hinau ii.
7me Chant.
Ukatia.
(Tous les Tuhukas chantent ensemble ce chant qui veut dire que l'on en¬
voie l'âme de la victime dans l'autre monde).
Uhatia e Atea i to tukituki moa : 1 too mata mototia ! I too ma¬
ta totee ! A pa
koe : Kahano !
8me Chant.
Ua pà to Talieta.
Uapà est le nom que l'on donne à la victime lorsqu'elle est mûre, pres¬
que pourrie. Taheta est un dieu qui préside à la pluie.
Tout le monde s'assied pour chanter ce chant et chacun bat des mains.
Tu piti te ua Taheta, tu piti aoa ta enana.
Société,des Études Océaniennes
—
8s
—
Huahua te akao o te apa te iuka, o te kee te iaoo o vaveka ë
toheka (e ia au ata) a ta haka koui a ta haka ketau (oa teia te
teia i te akao pa).
Fais tomber la pluie, o Tahela !
la victime.
Fais la tomber longtemps pour frapper
( Le Tuhuka, seul et debout, dit alors) : Tournez, tournez l'aviron la
pelle en haut— leur casse-tête est un véritable aviron en bois de fer— le
manche en bas, et le milieu pour servir à frapper. (Je vais frapper) Frapper
à droite, frapper à gauche. (C'est mon parent, pourquoi l'as-tu tué ?
Fin des chants relatifs aux sacrifices humains.
C. NOURY
SCOLIES
11 est impossible de donner une traduction, même à peu près,
de ces Chants. Toutefois, il est intéressant d'en publier le texte
original qui était déjà incompréhensible en 1849.
En effet, des langues sœurs ou alliées peuvent s'y reconnaître
(surtout dans leurs chants anciens) et donner ainsi des clefs
aux nombreux linguistes qui s'occupent actuellement des lan¬
gues océaniennes.
L'intérêt pour les lecteurs ordinaires du Bulletin réside plutôt
dans le cérémonial du sacrifice humain,
de même que les céré¬
monies d'un culte peuvent intéresser sans qu'il soit nécessaire
d'en comprendre les paroles.
Ces paroles variaient d'ailleurs d'une île à l'autre et peut-être
aussi selon que les victimes étaient pour les dieux ou pour les
humains.
Ainsi le chant donné par le
son
érudit travail
sur
Rev. Père Siméon Delmas dans
LA RELIGION
ou
le PAGANISME DES
MARQU1SIENS qui vient de paraître chez Duchesne à Paris est
différent. Le cérémonial est à peu près le même, mais les chants
sont loin de l'être,
sauf le passage suivant page 158 :
Texte du Rd. P. Pierre missionnaire aux Marquises de 1858 à 1912.
O te toea te vaka oko koua hoi oko
O te toea te vaka o te Takaoa,
Ua hoi te takaoa
Traduction par le Rd.
P. Pierre.
C'est le rocher la pirogue solide.
C'est le roc la
pirogue forte,
C'est Takaoa, c'est Takaoa !
Texte du Commandant Noury ( dicte-à une oreille "peu exercée) ,
O' te toea te vaka OKO ua hoi OKO
Te toea te vaka o Takaooa
Ua hoi ia Takaooa !
Traduction par le Command an I Noury.
Il
a
molli le support de la pirogue de Oko
Avant celui de la pirogue de Takaooa
Celui de la pirogue de Takaooa a molli aussi!
mais que dire de sa traduc¬
C'est pourquoi nous nous sommes abstenus de donner
On le voit le texte est le même,
tion.
...
la traduction tout à fait fantaisiste qui a été faite de. ces Chants
et qui se trouve en face du texte Nukahiva.
au seul point de vue linguistique. Le
contraire est un fait historique acquit puisqu'il
Leur intérêt est donc
cérémonial
au
est donné tel qu'il a été vu.
E.R.
NOTA.
La S. E. 0. remercie tout spécialement M. René BRUNEAU
(du Gaulois) notre très actif Membre Correspondant de Paris de nous avoir
copié et envoyé ces NOTES dont la grande valeur ethnologique n'échappera
—
à personne.
Société des Études Océaniennes
Histoire de Huahine et autres lies Scus-le-Vent
Notes rédigées par le Rév. Père Joseph Chesuéau, de 1907 à 1914. avec là
précieuse collaboration de M. Pascal Marcantoni de Huahine dit ïauraa Nui
Alupii e vau Matairea.
Cette île s'appelait autrefois Matairea (peu de vent). Cette dé¬
nomination
s'adaptait plutôt à l'île Huahine Rahi; la grande
Huahine. La petite Huahine, Huahine iti était appelée Huahuate
aru
(épave des flots ou écume des vagues).
Ilau Morci'c. Gouvernement des chefs
guerriers.
Dans la dernière moitié du dix-septième siècle l'unité du gou¬
vernement n'était pas encore réalisée à Huahine.
Plusieurs clans,
chacun sous la dépendance et la protection de son chef guerrier
vivaient dans les diverses vallées de l'île. C'est l'époque connue
sous
le nom « hau morere », époque quelque peu nébuleuse et
pour laquelle les traditions
manquent de certitude.
Indépendants les uns des autres, ces clans étaient souvent en
guerre. Pour la déchaîner, il suffisait qu'un chef guerrier, sûr de
ses forces et de son habileté, fut moralement certain de vaincre
son ennemi. Aussi, la force primant le droit, chaque clan se te¬
nait-il continuellement sur sesgardes et ne mettait sa confiance
que dans ses armes.
La guerre se faisait sur terre et sur mer. La plupart des batailles
navales de Huahine ont eu lieu près dePuaoa, village situé près.,
du lac Tahuna Rahi. Les combattants restaient d'ordinaire plu¬
sieurs jours en présence avant d'engager l'action.
Pour le faire, en effet, avec chance de succès, il fallait consul¬
ter la divinité, qui, dans la circonstance, était un dieu-poisson.
Ce dieu, le « tahua » (prêtre) le plaçait à l'avant de la pirogue
su! une petite plate-forme et le consultait d'une manière assez
originale: il le faisait tourner sur lui-même, comme font parfois
les enfants qui s'amusent a faire tourner un couteau sur uneta^
ble pour voir dans quelle direction s'arrêtera la lame. Après,
plusieurs tours sur lui-même, le dieu-poisson s'arrêtait-il face à
l'ennemi ; c'était bon signe, la victoire était assurée et il fallait:
engager le combat sans tarder.
•/;
—
58
-
S'arrêtait-il face à l'ennemi mais en obliquant soit à droite, soit
à gauche,
c'était,encore bon signe et en faisant des prodiges de
pouvait avoir bon espoirde
sortir victorieux de la lutte. Mais si,
par malheur, le dieu-poisson
s'arrêtait « queue à l'ennemi », c'était très mauvais
signe, h dé¬
faite était certaine. Il n'y avait qu'à fuir ou à attendre un
jour plus
propice. Des sacrifices étaient alors nécessaires. On offrait donc
valeur dans la direction indiquée, on
sur
le marae des sacrifices d'animaux
pour se rendre le dieu de
la guerre favorable.
Si ces sacrifices d'animaux restaient sans ré¬
sultats, on avait recours en dernière ressource à des sacrifices
humains.
La victime était
général choisie, soit parmi les grands du
» (serfs) qui lui
était soumise et sacrifiée à son insu, soit au milieu d'une
fête,
soit dans la brousse, en cachette et traîtreusement.
A peine immolée, la victime était transportée
sur l'autel du
marae et gardée pour que
personne ne puisse la toucher et la
souiller. 11 suffisait, en effet, qu'une femme touchât la victime
pour la souiller et obliger à immoler une nouvelle victime hu¬
en
clan ennemi soit dans la classe des « manahune
maine.
Vouées au dieu de la guerre, ces victimes n'étaient
pas man¬
gées, mais l'espoir de triompher radicalement de leurs ennemis
et de consumer toutes leurs ressources
poussaient les guerriers
sacrificateurs à se baptiser d'un nouveau nom tiré de l'un des
membres delà victime. L'un s'appelait donc alors : Aimata
(man¬
geur d'yeux) un autre Aitaria (mangeur d'oreilles) et ainsi de
suite. Les parents et amis de la victime couvaient dans leur cœur
le désir de la
vengeance jusqu'au jour où ils pouvaient le mettre
à exécution, soit en sacrifiant un de leurs
ennemis, soit même
déterrant l'auteur du sacrifice et en profanant ses ossements.
en
C'est pourquoi le fameux Mahine, roi de Huahine,
qui se faisait
un
plaisir d'offrir ces sacrifices humains, fut enterré dans un lieu
craignait en effet que les parents et amis de ses victi¬
secret: on
mes ne le déterrent et ne se
vengent sur ses restes. Outre ses
dieux guerriers, Huahine avait ses dieux-poissons
pacifiques.
Voici, dit-on. comment le poisson thon s'éleva jusqu'au rangdes
dieux et devint une des divinités de Huahine sous le
nom
de
aahl (thon).
Un indigène plus perspicace et plus
madré que ses congénères
repéra la place des repaires de poisson (puna ia) et en particulier
ceux du thon. 11 avait
remarqué que ce poisson se tient en général
sous
le vent de l'île, au remous des deux
courants,
neutralisent. A cet endroit se trouvent de nombreux
là où ils se
appats, pe¬
tits poissons, débris divers, etc, la mer y est calme et ses
ondulations
vienne à la
ne
mettent pas
obstacle à ce que
une
légères
pirogue y.
pêche.
Les courants marins variant suivant les vents,
les repaires du
aussi, mais étaient connus de cet indigène
qui savait qu'à tel vent, le thon était dans tel « puna ia » et a tel
autre vent dans tel autre puna ia. Profitant de sa
découverte, il
annonçait la présence du thon à tel ou tel endroit ou l'absence
du poisson si les vents étaient mauvais. Cette annonce
lucrative,
il la faisait au moyen d'une statue grossière du thon
qu'il tournait
dans la direction favorable. C'est ainsi que le thon devint un
dieu. A la mort de cet indigène le pouvoir du dieu-thon diminua
singulièrement : il lui manquait un tahua digne de lui. La croyan¬
ce des
indigènes en sa puissance et en sa science divinatrice di¬
minua peu à peu.
Cette antique superstition n'a cependant pas encore entière¬
ment disparue. Je me souviens avoir vu, il y a
quelques années,
un des derniers
spécimens de ces dieux-poissons, non pas un dieu
guerrier, mais un dieu pacifique, le dieu-thon (Aahi). Vulgaire
pierre oblongue reléguée derrière une porte et servant parfois a
l'empêcher de se fermer avec fracas les jours de grand vent, ja¬
mais je ne me serais douté de sa divinité et de sa
puissance si
thon variaient
eux
des indiscrets ne m'en avaient instruit.
11 a, prétendent
certains, la puissance de présager si la pêche
non et cela
d'après la position où il
se trouve ces jours-là. Que la
croyance des indigènes soit bien
ferme, je ne voudrais pas l'affirmer, mais néanmoins, quand ils
reviennent bredouilles de la pêche du thon, il leur arrive de se
dire parfois entre eux: Rien d'étonnant que nous
n'ayons rien
pris, le « thon », le prédisait et si nous l'avions regardé, nous
aurions vu qu'il était inutile d'aller à la pêche aujourd'hui, là où
du thon sera fructueuse ou
nous sommes
allés.
Après la bataille, si le clan victorieux disait : A moi le littoral !
préparer
à la revanche. Ce fait pourrait, ce me semble, servir à
expliquer
une partie des emplacements de maisons
que l'on trouve sur les
montagnes et jusqu'au fond des vallées. Mais si les vainqueurs
disaient: A moi le littoral, à moi la montagne.! il ne restait plus
aux vaincus
qu'à s'exiler et à chercher une terre plus hospitalière.
les vaincus pouvaient se réfugier à la montagne et là, se
60
—
—
:Cest ainsi que des gens de Tahiti durent
s'exiler à Rarotoiiga et
même jusqu'en Nouvelle-Zélande, ainsi que le prouve un ancien
■procès de terres dans cette île. Pour pouvoir le régler, on dut
■avoir recours à des témoins de Rarotonga et de Tahiti, mère patrie
des débattants.
*
*
*
Mae va.
dix-septième siècle, l'un des clans voit ses forces
augmenter; il en profite pour reculer les limites
de ses possessions. Les guerres qu'il entreprend lui réussissent
et dans les premières années du dix-huitième siècle, l'île entière
passe sous'sa domination. Tous les autres clans sont vaincus.
Ce clan favorisé était celui deMaeva, qui vivait au pied du mont
Tapu, au Nord de Huahine rahi, à l'endroit où se déverse dans
le grand lacTahuna Rahi, le chenal qui le fait communiquer avec
la haute mer, en traversant la baie et la passe de Faie. A cette
époque reculée, Maeva avait fait de son territoire primitif un
lieu sacré. Défense était faite aux manahune d'y entrer sous
quelque prétexte que ce soit, ils devaient habiter le reste de l'île
connu sous le nom de " Fenuaai hua raau "(terre où l'on mange
le reste des arbres), les prémices devant être données aux con¬
quérants propriétaires.
Au cours du
et sa puissance
£
*
Maeva
*
vahiné.
A cette époque, existait à Maeva une femme célèbre nommée
Maeva. C'est la femme par excellence, c'est elle la grande cheffesse
10a nui hau (de la haute
éloignée le puissant gouverneur) elle en a quatre garçons :
Horohaehaa, Maruahitu, Mata toerau, Tiri arai. Après la dispari¬
tion de'Tua roa nui hau, ses quatre enfants construisirent à la
pointe " Mata Toerau" (regardant le Nord), un marae à la gloire
du grand des grands, le divin Taaroa et de ses satellites Tane et
Hiro. Comme le veuvage pesait a Maeva et qu'elle en était lasse,
lé marae s'appela " Manunu" (fatigue).
Ce marae se compose de trois murs assez longs et juxtaposés.
L'extérieur de ces murs est formé de mégalithes fichés en terre et
dont les uns atteignent deux mètres et plus au-dessus du sol.
L'intérieur de ces murs est rempli de pierres bien moins grandes.
Le mur central plus élevé et plus large que les deux latéraux,
et la souche de la dynastie. Unie a Tua
mer
'
—
mesure
61
—
environ deux mètres de hauteur. Près de ce marae, se
voient de nombreuses tombes. C'est près de ce marae que Maeva
venait souvent sentii la brise qui vient du large avec le flot.
Un jour, elle y trouva un " pahu " (tambour) et un homme venu
là à la dérive. Cet homme était Teroro Hiti, chef guerrier venant
de Matahiva, une île des Tuamotu. Maeva s'éprit de cet homme,
s'unit à lui et en eut quatre garçons ; Pirae Atea, Pirae Ori, Terua
te Maitai, Terua te Ino. Des deux hommes à
qui elle s'unit, Maeva
Ce sont eux la souche des généalogies
de Huahine. Ils se partagèrent le lieu sacré, unique autrefois, en
huit parcelles.
En souvenir et en signe de ce fait, ils élevèrent sur le plateau
de Maeva, un marae unique où l'on voit cependant quatre di¬
visions d'un côté et quatre de l'autre, séparées par un petit inter¬
valle pour rappeler leur double paternité: c'est leur Pu Marae.
Le lieu sacré appelé " aia tupuna o te Ui ", (domaine ancestral de
la génération) fut donc partagé en huit divisions ou districts. Voici
leurs noms : i
Atupii, 2— Atitiao, 3 — Miru, 4 — Aturuanui,
5 — Fareihi, 6 — Faretou, 7 — Tauraimua, 8 — Tauraimuri. Cha¬
cun de ces huit districts fut de nouveau divisé en deux
parties,
l'une pour les " matahiapo" (aînés), l'autre pour les " iato" (ca¬
dets).
Le droit d'aînesse existait chez eux. Aussi un matahiapo se
mariait-il avec une iato, il était déchu, deshonoré aux yeux de ses
pairs et en signe de mépris, ils lui disaient qu'il avait mis les pieds
dans le parc à cochons".
Quand tous les membres de la famille participaient par leurs
présents à une .grande fête, mariage, faaaia ou autre, ses présents
n'étaient pas acceptés. 11 était considéré comme un vulgaire étran¬
ger. Le manahune n'était pas reconnu propriétaire et l'accès de
l'aia tupuna 0 te ui, lui était interdit sous peine de mort. Voula'itil faire un présent, une offrande, un sacrifice, il devait déposer
eut donc huit garçons.
—
"
le tout à l'entrée du lieu sacré, limité du
côté de Fare Nui Atea,
par la source Vai te tu arii et du côté de Faie par celle de Vai Nono.
Le manahune demeurait dans le reste de l'île. Les terres conqui¬
ses furent partagées
elles aussi en huit parties: chacun des huit
districts ayant sa part.
Il existe donc dans chacun des districts actuels de Huahine des
terres Atupii, des terres Atitiao, Miru, etc..
Les diverses familles
de ces huit districts se partagèrent de nouveau leur part commune
et plus tard
à la naissance de chaque enfant, on lui assignait une
—
6.2
—
parcelle de terre. Le nouveau-né devait en effet dés sa naissance,
avoir un pied-à-terre. Le nombre des enfants arrivait-il à
dépas¬
ser celui des
parcelles de terres, une même parcelle pouvait être
donnée à un ou plusieurs nouveaux venus qui devenaient ainsi
co-propriétaires de leurs aînés. Le partage des terres avait donc
lieu, non seulement à la mort des propriétaires, mais encore à la
naissance et à l'adoption des enfants. Il convient d'ajouter que,
bien qu'ainsi partagée la propriété demeurait familiale et com¬
mune et était gérée par le chef ou
par l'un des plus intelligents
de la famille.
*
*
*
Pêcheries.
Ce qui faisait la force, la gloire et la grande réputation de l'aia
tupunao te ui, c'était que le poisson venait de lui-même s'enfer¬
mer dans les réservoirs de
Maeva, tandis que dans le reste de
l'î;le, il fallait avec peine aller le pêcher, soit sur les récifs, soit en
haute mer. De là à faire croire aux manahune que ce
lieu était fa¬
vorisé des dieux et avait une vertu spéciale, il n'y avait qu'un pas.
Ce pas fut vite franchi et les manahune plein d'admiration ne
parlaient qu'avec un grand respect de ce lieu privilégié et enchan¬
teur. Les réservoirs de Maeva sont ce
qu'on appelle maintenant,
les pêcheries. Elles sont construites à l'entrée du chenal du lac
Tahuna Rahi à un endroit où l'eau a une profondeur variant de
trente centimètres à un mètre. Ce sont des,murs en
pierres sèches
ayant ordinairement la forme d'un V, et dont la pointe tournée
vers la mer est
généralement terminée par une petite ouverture
donnant entrée dans un
rond-point.
A l'époque de la nouvelle lune, quand les vents étaient Est ou
Nord, et aux jours de grande marée, l'eau salée de la mer arrivait
à se mélanger avec l'eau saumâtre du
lagon. Le poisson friand
de cette douce amertume, s'efforçait
d'aller la puiser jusqu'à sa
source et venait s'enfermer ainsi dans les
pêcheries où les habi¬
tants n'avaient plus qu'à le prendre facilement dans leur réservoir
familial au furet à mesure de leurs besoins. Les
pêcheries, en effet,
propriétés privées, étaient alors bien entretenues par les familles,
jalousement conservées et surveillées.
*
*
Paati et ses
La provision de poisson
*
"Oripo".
touchait-elle à sa fin, c'est alors que
Paati de Fare Roi et ses" Oripo " (voyageurs
nocturnes), entraient
jeu. Ce Paati plus intelligent et plus perspicace que ses compa¬
triotes, setait rendu compte de l'époque des hautes marées etde
la venue du poisson.
Prévoyait-il que les réserves seraient épui¬
sées avant la venue de nouveaux poissons, il
envoyait ses "ori¬
en
po", autour de l'île, menacer les habitants et surtout les maoahune, de malheurs, de châtiments épouvantables à subir sous
peu,
si la colère des dieux n'est pas
apaisée par des présents placés
à l'entrée de l'enceinte sacrée. Les
"oripo lançaient surtout leurs
imprécations non loin des maisons où ils savaient qu'on élevait
des porcs. Dès le lendemain et les jours suivants, Paati et. ses
acolytes n'avaient qu'à se rendre à l'entrée de i'aia tupuna et a
emporter les habillés de soie et les vivres placés à cet endroit. Peu
après, la veille ou l'avant veille de la haute marée, Paati renvoyait
ses "
oripo". Mais cette fois ce n'était plus des imprécations qu'ils
lançaient: ils annonçaient la fin de la colère des dieux et l'arrivée
prochaine du poisson dans les pêcheries de Maeva. Quelques
jours plus tard, les habitants de l'îleapprenaientavec admiration
la réalisation de la prediction.
*
■■Y-
*
Les Hait.
A la mort de Maeva, vers le milieu du dix-huitième siècle, ses
huit enfants se réunirent pour lui donner un successeur. Ils vou¬
lurent le choisir parmi eux, mais chacun préfendit au
chef suprême. Impossible de s'entendre, malgré les
titre de
ubreuses
réunions qu'ils tiennent à ce sujet. Ils cherchent alors un biais
et prennent la résolution d'aller tous les huit à
Taputapu A tea,
ancien nom deRaiatea, demander le" maro ura", au grand-prêtre
n
Oro.
Le " mana ura " (puissance rouge),
appelé aussi " maro ura ",
signe et gage de très grande puissance consistait dans des plu¬
mes
rouges très longues et très minces provenant de la queue du
phaéton, autrement dit. " paille en queue " ou Tavae. On ren¬
contrait cet oiseau surtout dans les îles bas" s Manua e (Scilly),
Mapihaa et Motu-One, (Bellingshausen). Oro était le dépositaire
suprême de ces plumes enchanteresses.
Ils se préparent donc à aller chercher ce maro ura, et ils se ren¬
dent au district d'Aturua nuu et là. non loin de la passe sacrée
(ava mo'a) à la pointe Tefaao, ils coupent d'énormes tamanu près
des maraeTitiarai etTahuea. Les pierres de ces marae en ruines,
—
64
—
dont quelques-unes énormes, se voient encore actuellement dans
la propriété de M. Marcantoni, appelée Vai Tu Tia. Quelques-unes
de ces pierres fichées en terre s'appellent
" ofai turui", (pierres
pour appui). Elles servaient d'appui aux tahuas, ces mêmes pier¬
res servaient aussi de cachettes aux tahuas, quand dans diverses
cérémonies religieuses,
ils devaient s'interpeller l'un l'autre sans
laisser voir des profanes apportant leurs offrandes et les dé¬
se
posant non loin de ce marae. C'est dans cet endroit sacré et avec
ces
tamanu énormes que les huit construisirent leur pirogue dou¬
ble nommée " Arai"
choisissent
(médiateur). Leur faurao (navire) prêt, ils
des victimes humaines, une par district, et par un
temps favorable, mettent le cap sur Taputapuatea (l'éloignée deux
fois sacrée). La traversée s'effectue dans de bonnes conditions
et ils arrivent à Opoa sains et saufs.
En accostant à l'endroit le plus sacre de Tapuatea, ils s'empres¬
sent de coucher les victimes
humaines sur la plage et de faire
passer leur pirogue par dessus. Reprenant alors les huit victimes,
ils se rendent au grand marae de Opoa, les offrent au grand-prêtre
Oro en lui demandant des mana ura. Oro accède à leur désir. De
grandes fêtes se préparent alors pour la remise solennelle deces
plumes enchanteresses.
Pendant ces fêtes, deux des jeunes gens de la famille Oro se
prennent d'amitié pour les huit. Ceux-ci en sont flattés et cette
amitié réciproque est scellée par la cérémonie du fautaua (se lier
d'amitié, se faire ami). Les fêtes finies, les huit songent au retour.
Ils dédoublent leur pirogue et font présent à Oro de l'une d'elles.
L'autre garnie d'un balancier est préparée pour le retour. Les huit
se placent à l'intérieur de la pirogue, l'un des deux jeunes amis
prend place sur le balancier (amaa) et l'autre à l'opposé, sur l'arc
boutant du ba'ancier (atea) et en route pour Matairea où tout le
monde arrive à bon port. (Amaa et Atea formeront plus tard,
deux districts nouveaux s'ajoutant aux huit primitifs.
Election du chef
Laissant leurs deux amis
suprême.
Teriitepoarei et Teriitepauroa aux
extrémités du lieu sacré,, les huit se rendent en hâte sur le tahua
umu puaa (place du four a porcs) pour y procéder à l'élection du
chef suprême. Ce tahua umu puaa existe encore à Maeva près
d'un grand oraa
entourée-d'un
(bancoulier). C'est une plate-forme peu élevée,
pierres sèches et qui servait de tribune
mur en
—
65
-—
publique, de lieu d'élection et de four public dans les grandes
circonstances. Les jours, les
semaines, les mois se passent sans
arriver au résultat voulu. Un point cependant demeure acquis:
le futur chef suprême devra être l'un des deux jeunes gens de Ta-
putapuatea qu'ils ont admis dans leur intimité. Deux partis se for¬
ment dans l'île Matairea. Pendant ce temps, l'un des éligibles,
Teriitepauhauroa est venu à Pahere, à l'entrée de la vallée deTareu et s'y adonne aux douceurs de la vie. D'accord avec ses amis,
il passe ses jours en divertissements, en têtes agrémentées de
trop nombreuses libations d'une boisson fermentée et distillée
provenant du " ti ", (dracoena). Leur manière de se procurer cette
liqueur distillée était originale. Ils faisaient d'abord cuire les ra¬
cines de " ti
en extrayaient le jus qu'ils faisaient fermenter et
ensuite bouillir dans des marmites en pierre dont l'une existe en¬
core à Atite, recevaient la vapeur dans de
longues lianes creuses
(pohue) où cette liqueur se refroidissait et d'où elle tombait goutte
à goutte dans un vase. Pour enivrer un homme, il suffisait, dit-on,
d'une minime quantité de cette liqueur très agréable au goût.
Une autre liqueur avec laquelle les indigènes s'enivraient vo¬
lontiers était le kava ou ava. Cette liqueur se fabriquait surtout
à l'occasion de réunions de plaisir. Voici la recette de sa fabrica¬
tion : les personnes désirant participer à ces fêtes trop souvent
lascives, se réunissaient à un endroit fixe et y apportaient le kava
avec des "penu" (pilons de pierre,), et les femmes mâchaient
consciencieusement ce kava broyé, et quand leur bouche était
pleine de salive et de ce kava mâché, elles crachaient soigneuse¬
ment le tout dans une demi-coque de coco en guise de verre.
Elles recommençaient de plus belle jusqu'à ce que toutes les cou¬
pes soient pleines. Chacun n'avait plus alors qu'à prendre une
coupe, à déguster le doux nectar et à se laisser envahir par la
béatitude stupide propre à ce mode d'enivrement. Cette béatitude
était parfois interrompue d'une manière tragique : c'était quand
un individu se faufilait
près du groupe et y produisait un bruit
sec, coup de fusil ou autre. Tous les dormeurs sursautaientalors
et se mettaient à vomir à qui mieux mieux. Le trouble-fête n'a"vait alors qu'a s'esquiver au plus vite à l'insu des ivrognes capa¬
bles de lui faire un mauvais parti. Au réveil, le corps était brisé,
mais cependant le patient récidivait volontiers.
Teriitepoarei, l'autre éligible, s'était fixé à la pointe Taimo,
située à l'entrée de la baie de Cook, en face du village actuel de
fare Nui Atea: Plus actif et plus entreprenant que son concurrent,
rompu,
—
66
—
il juge que les séances d'élections se prolongent plus que de me¬
sure.
11 forme alors le projet d'y mettre fin par un coup d'audace
et de s'imposer pour chef suprême (Raatira o te
ui). A cette in¬
tention, il tue un chien, laisse son cadavre entrer en putréfaction
et le place au fond de sa pirogue. Cela fut, il arrange selon une
ancienne coutume sa pirogue pour le transport d'un défunt jus¬
qu'au lieu de sa sépulture. Une espèce de plancher de " purau
était alors placé sur la pirogue et protégé des ardeurs du soleil
par un toit en feuilles. Le cadavre placé sur ce plancher était ainsi
conduit au vu et au su de tout le monde jusqu'à sa dernière de¬
meure. La pirogue
ainsi préparée, Teriitepoarei va cueillir quel¬
ques fruits de nono bien mûrs. Il se frotte le corps avec ces fruits
jaunâtres et prend ainsi pour la circonstance la teinte et l'aspect
d'un cadavre. Il se couche alors sur le plancher de sa pirogue et
ordonne de le transporter à Marama, le lieu sacré par excellence,
lieu situé dans l'enceinte ancestrale dans l'aia tupunade Maeva.
Placée à l'avant de la pirogue sa femme pleure, sanglotte et
pousse de nombreux gémissements pendant que le manœuvre
placé à l'arrière longe la côte. Ils longent ainsi une partie de la
côte ouest, le côté sud de Huahine rahi en traversant le Port
Bourayne et la baie deMaroe et la côte Est. En voyant s'avancer
la pirogue funèbre, les habitants s'empressent de demander le
nom du personnage défunt. Les lemmes répondaient alors en gé¬
missant: le mort, c'est Teriitepoarei ! A cette nouvelle, ses parti¬
sans de s'écrier : Hélas ! notre prétendant est mort, et ils commen¬
çaient à se lamenter, eux aussi. La pirogue accostait alors, le mort
donnait des ordres et leur disait de se rendre sans retard en armes
àTepepe
nord-est de Maeva. La pirogue reprenait alors sa
Teriitepoarei, les parti¬
sans de son adversaire répondaient: Aitoa ! i pohe atu ai! (tant
mieux, il est donc mort notre rival !) la pirogue n'accostait pas
et la vue du cadavre de Teriitepoarei jointe à l'odeur du chien en
décomposition leur laissait croire qu'il était mort et bien mort.
Par ce stratagème, il induisit ses adversaires en erreur et concen¬
tra ses partisans à Tapepe. A l'arrivée à Pahere où demeurait son
frère, on demande aussi quel est le mort. C'est Teriitepoarei ré¬
pond-on, c'est lui que l'on va enterrer à Marama. O oeeia ie, e
Poarei ! Quoi ! c'est toi, o mon Poarei ! répond Teriitepauhauroa
avec tristesse; puis un doute traversant son esprit, il ajoute: E
ravea paha hoi to oe? (Ne serait-ce pas un plan que tu as ourdi?)
Malgré les apparences et l'odeur cadavérique, il ne crût pas ferau
marche et si à l'annonce de la mort de
—
67
—
mêment à la mort de son frère. La pirogue continue sa route,
arrive à la limite de l'enceinte sacrée, la franchit et un peu plus
loin, le mort se lève, saute à terre, se lave copieusement à la source
Vai Hau (eau de paix), prend sa lance et se dirige sur Maeva; La
discussion se continue sur la plage publique. Il saute sur la
plate-forme et s'écrie: O vau teie o Teriitepoarei, te iau na haa!
Me voici, moi Teriitepoarei,à moi lesdeux partis! Fiers de cette
audace, les électeurs élèvent Teriitepoarei sur leurs épaules
(pofifi) et le proclament chef suprême aux acclamations des assis¬
raatira o te ui ! Vive le chef
suprême! Teriite¬
Mato
fait
l'île
entière, Huahine
poarei appelé aussi
la conquête de
tants: Maeva te
Rahi et Huahine Iti et met ainsi fin au Hau Morere.
(à suivre).
-o-
Société des Études Océaniennes
—
68
—
Origine dn nom du Rocher de Kahi à l'île Motane.
Récit de
MATUU, de Taaoa, Hiva-Oa
Communiqué par C. IZRATSOFF.
Tau fao na o fai.
De toutes les îles de l'archipel, c'est à Motane
qu'on trouve le
plus de poissons. Tu peux voir d'ici comme cela grouille. Dans
le temps il y venait beaucoup de monde de Hiva-Oa en
pirogue.
Mais le plus réputé de tous les pêcheurs était Kahi. 11 connaissait
tous les endroits qu'aimait le poisson, toutes les cavernes où
l'on pouvait passer la nuit. Mais sa préférence allait à celle où
nous sommes logés maintenant. Kahi vient un
jour et trouve sa
caverne occupée. C'était le méchant Mehea de Haka-Ani, Hiva-Oa.
Il lui dit : «Qu'est ce que tu fais ici? Tu sais que c'est ma
caverne,
va-t'en ! » Mais comme Mahea ne voulait pas partir, une lutte
s'engage entre eux. Mohea est le plus fort et Kahi est ligoté avec
du purao ; il ne peut plus bouger. Mohea le charge sur la pirogue,
mais une tempête se lève et ne connaissant pas la côte il délie
Kahi et le prie de pagayer derrière la pirogue; lui-même se met
devant en lui tournant le dos. Les voilà qui arrivent près du ro¬
cher dit" de Kahi", tu as vu comme le courant entre lui et la côte
était rapide, et la mer blanche d'écume. La pirogue
file comme
une flèche;
Kahi la fait passer près de la côte, tout en criant à
Mohea : " Rame, rame ! " Mohea ne voit pas ce qui se passe der¬
rière lui, il ne voit pas que Kahi a sauté sur le rocher, et il con¬
tinue à ramer de toutes ses forces. Lorsqu'il se retourne, Kahi
est loin, il grimpe déjà sur la montagne, et
c'est.pourquoi on ap¬
pelle ce rocher : Le rocher de Kahi !.
Après nous avoir conter cette légende, Monsieur Constantin
IZRATSOFF, Secrétaire Général de la Société Russe d'Histoire
et d'Art, continue ainsi;
CASCADE DE IIAKA.
Avant de clore, je désirerais signaler la merveilleuse cascade
qui se trouve dans la vallée de Haka à Nuku-Hiva. Elle serait à
mon avis la
plus haute du monde. D'après les calculs que j'ai faits
Société des Études Océaniennes
—
69
—
à l'aide de la boussole-alidade Peigne elle atteindrait 350 mètres
environ. Scientifiquement parlant la chute de Nuku-Hiva est in¬
Vous trouverez partout que les plus hautes chutes du
monde sont sur le Zambèze. Elles n'ont cependant que 343 pieds.
connue.
Il semble qu'il soit intéressant de transporter d'une colonie an¬
glaise dans une colonie française une des merveilles du monde.
J'ai, en conséquence, l'intention de le signaler à la Société de
Géographie. Votre Bulletin pourrait dès maintenant en faire men¬
tion. La cascade se trouve sur la gauche de la vallée de Hakaui,
à une distance d'environ 5 kilomètres de la mer. Le jet n'avait,
lorsque je l'ai vu, qu'une largeur de 3 mètres et atteignait une
grande vasque creusée dans du basalte noir presque en pluie. Ala
saison pluvieuse, la chute grossit considérablement.
Autres remarques. I. — Dans le Bulletin n° 19, (année 1927),.
article sur Fakahina. Le nom donné à Fakahina par Kotzeb.ue est
PREDPRIATIE et non Predriatie. Predpriatie veut dire en russe
"Entreprise".
II..— II serait désirable de classer le menhir qui se trouvait dans
la baie de Taiohae et sur lequel Marchand en 1791, avait apposé
sa
déclaration de Prise de Possession au nom du Roi de France.
Le menhir
a
été cassé et utilisé à protéger de l'érosion
le bord
d'une rivière qui coule à côté du magasin de la Cie Frauco-Tahitienne. On pourrait le remettre à sa place et le fixer par un scel¬
lement approprié.
Constantin IZRASTOFF.
Société des Études Océaniennes
.
—
70
—
CORRESPONDANCE
Fakahina, le 3 avril 1928.
H.
BODIN, Secrétaire du "Syndicat Agricole de Fakahina".
Monsieur l'Abbé Rougier.
Président de la Société des Etudes Océaniennes, Papeete.
Monsieur le Président.
A la suite de la lecture, faite aux Membres du Syndicat Agri¬
cole de Fakahina, d'une traduction d'un article paru récemment
dans le Bulletin des Etudes Océaniennes, sur le tragique voyage
dePAIOREen i860 le Président et les Membres de notre Syndicat,
m'ont chargé de vous adresser un don de 250 francs, avec la men¬
tion suivante :
"
En respectueux souvenir du regretté R. Père Hervé AUDR AN,
historiographe de Fakahina, qui fut aussi le grand animateur au
cours de la plantation de PUKAPUKA, la plus
belle et la plus
p:ospère de l'archipel des Tuamotu".
Veuillez recevoir ci-joint une traite de 250 francs et agréer, Mon¬
sieur le Président, l'expression de mes sentiments respectueux,
et dévoués.
H. BODIN.
Papeete
—
Imprimerie
du
gouvernement.
Gérant du Bulle lin. — Yves Maraudé.
Société des Études Océaniennes
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Société des Etudes Océaniemies
BUREAU DE LA SOCIÉTÉ
Président
Abbé Rougîer
Vice-Président...
Conservatrice du Musée
mme l. goupil
Assistante Conservatrice
M"e E. Bodin
Bibliothécaire
Mlle F. Brault
Trésorier p. i.
M. C. MacHecouRT
Secrétaire-Archiviste
M. E. Ahnne
Secrétaire de rédaction.........
M. Y. MalarDé
Pour être reçu
un
M. Deflessëllê
.
Membre de la Société
se
membre titulaire.
faire présenter par
BlBLIOTHÊOtîE.
Le Bureau de la Société informe ses Membres
que dé¬
sormais ils peuvent emporter à domicile certains livres, de
la Bibliothèque en signant une reconnaissance de dette au
cas où ils ne rendraient
pas le
fixée.
Le gardien
livre emprunté à la date
de la Bibliothèque présentera la formule â
signer.
LE BULLETIN
Le Bureau de la Société accepte
l'impression de tous les articles
qui paraissent dans le Bulletin mais cela n'implique pas qu'il
épouse les théories qui y sont exposées, ou qu'il fait sien les
commentaires et les assertions des divers auteurs
qui, seuls, en
prennent toute la responsabilité.
Aux lecteurs de former leur appréciation.
La Rédaction.
Pour tout achat de Bulletins échanges ou donation de livres
s'adresser au Président de la Société, Boîte 110,
Papeete.
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 25