Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 04
- Titre
- Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 04
- Description
-
Avis important relatif aux hauts patronages du Président de la République et du Ministre des Colonies 160
Réunion du 17 avril 1918 161
Réunion du 20 août 1918 162
Pages oubliées, de M. F. X. Caillet 167
De Pitcairn à Fakarava, par Jack London, traduit de l'anglais par Outsider 182
Esquisse chronologique de l'histoire de Tahiti et des Iles de la Société, depuis les origines, par M. A. Leverd 197
Questions d'ethnologie, par M. le Prof. Macmillan Brown 213
Variétés : Bienvenue (poésie) par M. H. Michas 218
Aquarelles: Le lagon bleu. — Les teintes sombres (poésies) par M. F. Hervé 219
Nécrologie : M. le Myre de Vilers 221
Bibliothèque de la S. E. O. : Appel à MM. les Membres de la Société d'Etudes Océaniennes 222
Publications et ouvrages reçus 223 - Date
- 1918
- Date de numérisation : 2017
- Format
- 1 volume au format PDF (72 vues)
- Identifiant
- PFP 3 (Fonds polynésien)
- Langue
- fre
- Editeur
- Société des Études Océaniennes (SEO)
- Relation
- http://www.sudoc.fr/039537501
- Droits
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- Source
- Société des Études Océaniennes (SEO)
- Type
- Imprimé
- extracted text
-
BULLETIN
DE
LA
Soeiété d'Etudes Océaniennes
(POLYNÉSIE OKIENTALE)
publié sous le patronage du (Gouvernement
des (Etablissements français de l'fêcéanie.
4.
—
SEPTEMBRE 1B18
Anthropologie — Ethnologie
Philologie.
®
Histoire
—
des
Institutions
et
Antiquités
populations maories.
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Sciences naturelles.
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DU
GOUVERNEMENT
Papeete
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BULLETIN
DE
Société
LA
d'Etudes
Océan
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
——
Placée sous le Haut patronage
de
MM. le Président de la République
IV» 4.
—
et le Ministre des Colonies
SEPTEMBRE 1918
SOMMAIBE
Avis important
Pages
relatif aux hauts patronages du Président
1918
160
161
Réunion du 20 août 1918
162
Pages oubliées, de M. F. X. Caillet
167
de la République et du Ministre des
Réunion du 17 avril
Colonies
De Pitcairn à Fakarava, par Jack London,
traduit de l'an¬
glais par Outsider
182
Esquisse chronologique de l'histoire de Tahiti et des Iles
de la Société, depuis les origines, par M. A. Leverd. ...
197
Questions d'ethnologie, par M. le Prof. Macmillan Brown. 213
Variétés : Bienvenue (poésie) par M. H. Michas
218
—
Aquarelles: Le lagon bleu. — Les teintes som¬
bres (poésies) par M. F. Hervé
219
Nécrologie : M. le Myre de Vilers
221
Bibliothèque de la S. E. O. : Appel à MM. les Membres de
la Société d'Etudes Océaniennes
222
Publications et ouvrages reçus
223
AVIS IMPORTANT
Par lettre du 14 mars dernier M. le
Président de la
République a porté
à la connaissance du
Gouverneur
qu'il accordait son haut patronage à
la Société d'Etudes Océaniennes.
M. le Ministre des Colonies avait
lait part
d'une semblable décision
quelques mois auparavant.
Ces deux marques d'estime et de
bienveillance données à notre jeune
Société sont un précieux encoura¬
gement à poursuivre notre program¬
me qui est de constituer en Poly¬
nésie française un centre d'activité
littéraire et scientifique appelé à pro¬
pager dans cette partie du Pacifique
l'influence légitime de notre langue
et de notre génie national.
Le Gouverneur,
G. JULIEN.
'Société dés Études Océanien ne
—
161
—
PROCÈS-VERBAL
de la réunion du 17 avril 1918.
Sont présents: M. G. Julien, Gouverneur, Président d'honneur;
M. le Commandant Simon. Président; M.L.
Sigogne,
Secrétaire;
M. O. Walker, Trésorier.
•
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la séance du 6 mars est adopté.
Correspondance.
Lecture est donnée de la correspondance comprenant:
Lettre du Comité de l'Océanie Française, du 14 février 1918, ac¬
ceptant l'échange du Bulletin.
Lettre de M. Meinecke, du 20 mars 1918, annonçant
que l'Aca¬
démie des Sciences de Californie accepte l'échange du Bulletin.
Lettre du "Royal Anthropological Institute" de
Londres, du
13 février 1918, acceptant l'échange du Bulletin.
Lettre de M. Henry Hart, de San Francisco, du 8 avril,
accep¬
tant le titre de membre correspondant et demandant certains
renseignements.
Lettre du Queensland Museum, du 31
janvier 1918, acceptant
l'échange du Bulletin.
Lettre de M. Sidney H. Ray, du 14 février 1918, pour
témoigner
son
intérêt à l'œuvre de la Société et offrir une notice sur les lan¬
gues polynésiennes.
>
Lettre de M. A. Leverd, du 2 mars 1918, présentant M. Edward
Tregear comme membre correspondant et offrant au Musée di¬
prises sur les rebelles calédoniens lors de l'in¬
verses curiosités
surrection de 1917.
Lettre de la Société Neuchâteloise de
Géographie acceptant
l'échange du Bulletin et nous adressant le tome XIV de son Bul¬
letin contenant "Raiatea la Sacrée", de Huguenin.
Lettre de la "Smithsonian Institution " de
Washington, du 11
janvier 1918, acceptant l'échange du Bulletin.
Lettre de M. Tesseron, du 10 décembre 1917,
acceptant le titre
de membre correspondant.
Lettre du "Peabody Museum of Harward
University", du 4
janvier 1917, acceptant l'échange du Bulletin.
Lettre de M. Clayssen, Administrateur des
Marquises, annon¬
çant le don au Musée des statues de bois trouvées sur un marae
Société des Études Océaniennes
162
—
—
des Marquises et l'envoi d'un tiki en pierre, don de M.
Lettre de M. le Goffic annonçant l'envoi
Pambrun.
d'un échantillon de
lignite de Rapa qui sera déposé au Musée.
Gardien du Musée.
Le comité est consulté sur le choix d'un gardien du Musée poui
veiller à la conservation des collections.
Les circonstances ne permettant pas d'arrêter actuellement un
choix définitif, le bureau décide de proposer ces fonctions, à titre
provisoire, à M. A. Martin, gendarme, qui doit prochainement
rentrer à Papeete.
Commission technique.
L'examen des questions
scientifiques ou littéraires soumises
à une commission de mem¬
à la Société sera désormais confié
bres compétents.
Le bureau propose de faire appel spécialement au concours
de
Chazaï, G. Lagarde, Lespinasse, Dr Le Strat, Leverd, Michas, Tati Salmon, Temarii a
MM. Ahnne, Allard, Bellonne, Bouge,
Temarii.
Musée.
Le bureau adopte le devis présenté pour le mobilier du Musée
et charge le
Service des Travaux publics de passer la commande
et de vérifier les meubles à la
réception.
La séance est levée à 16 h. 30.
Le Président,
Le Secrétaire,
J. SIMON.
L. S1GOGNE.
PROCÈS-VERBAL
de la réunion du 20 août 1918.
Sont présents : M. G. Julien, Gouverneur,
Président honneur;
M. le Commandant Simon, Président; M. L. Sigogne,
Secrétaire;
Walker, Trésorier.
Le Bureau est assisté de MM. les Membres do la Commission
M. O.
technique qui ont répondu avec empressement à l'appel de la
Société.
La séance est ouverte à 16 heures.
Société des Études Océaniennes
—
163
—
Allocution de M. le Gouverneur.
M. le Gouverneur fait l'exposé des résultats très encourageants
obtenus par la Société. Elle a reçu en grand nombre les adhésions
de membres actifs qui lui donnent une base solide, et il n'est pas
douteux que le nombre de ces membres pourra être encore aug¬
La Société d'Etudes Océaniennes a reçu du
Les principales Sociétés de
linguistique et d'ethnologie du monde ont salué sa naissance et
se sont empressées de consentir les échanges de bulletins et pu¬
blications qui viennent enrichir notre bibliothèque.
Elle a recueilli les plus hauts patronages dans le monde offi¬
ciel et dans celui des Lettres et Sciences. M. le Président de la
République a daigné l'honorer de son haut patronage.
menté rapidement.
dehors de précieux encouragements.
Vœu de reconnaissance a M. le Président de la
République.
L'Assemblée, en reconnaissance de cet honneur, prie M. le Gou¬
de vouloir bien lui transmettre le vœu suivant, adopté à
verneur
l'unanimité :
((
'
La Société d'Etudes
Océaniennes prie M. le Président de la
«
République de vouloir bien accepter l'expression de sa pro-
((
fonde reconnaissance pour l'honneur que lui confère son haut
rendre digne de cet honneur en
«
patronage et elle espère se
«
contribuant par ses études sur l'Océanie à la Gloire de la plus
«
grande France ».
Reprenant son exposé, M. le Gouverneur constate que chaque
numéro du Bulletin a marqué un progrès sur le précédent, et le
quatrième Bulletin, actuellement à l'impression, accentuera cette
progression. Bien que les circonstances ne permettent pas d'aug¬
menter actuellement la fréquence des publications, il convient de
susciter des collaborations qui, malgré leur compétence, se sont
abstenues par modestie ou timidité. Il existe chez plusieurs per¬
sonnes
des documents extrêmement intéressants que la publica¬
tion sauverait d'un oubli où ils risquent d'être perdus.
Il est bon
de rappeler en outre que les documents en langue anglaise peuvent
être publiés au Bulletin.
Au point de vue matériel, la Société a pu être dotée de l'indis¬
pensable. Elle a un toit où ses bureaux, sa Bibliothèque et ses
collections de Musée peuvent recevoir toute l'installation désirable.
Le mobilier, encore très succinct, est composé en partie de meu¬
bles provenant
c^u corsaire allemand "See-Adler", qui sont autant
Société des Etudes Océaniennes
—
164. —
de vestiges de l'histoire locale à
conserver ainsi, si l'Etat
y con¬
sent, comme la demande lui en a été faite.
Le canon de la
"Zélée", coulée le 22 septembre 1914, et celui du
Mopiha par la canonnière "Fantôme",
trouveront naturellement leur
place dans la cour du Musée.
Le reste du
mobilier, notamment les vitrines nécessaires pour
"See-Adler" rapporté de
ranger les collections du Musée, pourra être
acquis à mesure que
Walker, trésorier de la Société, aura effectué les recouvre¬
M. 0.
ments des subventions et
de veiller.
des cotisations auxquels il a la
charge
La subvention de 2.000 francs
inscrite au
Local pour 1918 est notamment à la
budget du Service
disposition de la Société.
Des'subventions pourront peut-être aussi être obtenues de la
part de certaines Sociétés littéraires et
scientifiques en France, et
M. le Gouverneur a
déjà commencé certaines démarches dans
ce
but.
En terminant, M. le Gouverneur
la Commission
la Société pourra donner à ses
1
remercie MM. les Membresde
technique de leur précieux concours, grâce auquel
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travaux une nouvelle
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ampleur.
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j
Membres d'honneur.
Sur la
suggestion très autorisée qui en a été faite au Chef de
la Colonie par M. Paul
Dislère, Président de Section honoraire
au Conseil
d'Etat, Président du Conseil d'administration de l'E¬
cole Coloniale, Président de la
sous-Commission des monuments
préhistoriques et Membre d'honneur de la Société d'Etudes Océa¬
niennes, il est décidé que le titre de Membre d'honneur sera offert
à S. A. le Prince de
Monaco, Président de l'Institut de Paléonto¬
logie humaine, et qu'au surplus M. Dislère sera prié
d'accepter
de représenter officiellement notre
jeune Société auprès de l'Insti¬
tut sus visé.
Le Bulletin sera donc
envoyé, à partir de son premier numéro,
exemplaires chaque fois, à S. A. le Prince de Monaco, 10,
Avenue du Trocadéro, Paris.
en deux
Sur la proposition de M.
de Membre d'honneur
M. Ahnne d'être son
au
Ahnne, la Société décide d'offrir le titre
Prince Roland Bonaparte, et
interprète à ce sujet.
charge
Sur la proposition de M. le
Gouverneur, la Société offre le titre
de Membre d'honneur à M. Alfred
Grandidier, Membre de l'Ins¬
titut.
Société, dès Études Océanienne
165
—
Membres
—
correspondants.
La Société décide d'offrir le titre de Membre correspondant à
M. Léon Réallon,
Administrateur des Colonies, Chef du Cabinet
militaire du Commissaire de la République au Cameroun;
M. G. Dornier,
Administrateur des Colonies, Officier Chef du
Service Maritime au Havre ;
M. Guillaume Grandidier,
Docteur ès-sciences, Explorateur.
M. Ls Gerbinis, Administrateur en Chef des Colonies.
Bavay, Pharmacien en Chef de la Marine E. R.
de Londres.
M. Sidney H. Ray, M. A. Cambridge.
M.
Dr B. Glanvill Corney,
M. Marius Leblond.
M. Ary Leblond.
M. A. Chayet, chargé
des affaires de la légation de France de
Guatemala.
M. H.
Froidevaux, Archiviste-Bibliothécaire de la Société de
Géographie.
Membres
actifs.
Sont admis comme membres actifs :
MM. Bodin, commerçant à Fakahina,
Tuamotu.
Distel, pisciculteur à Papeete.
Dupire, gendarme à Papara.
I. Smith, propriétaire à Arue.
Secrétariat.
prêter à ce service un concours dé¬
correspondance et la conservation des Archives et
de la Bibliothèque.
La Société lui adresse ses remerciements et le confirme dans
M. Secretan a bien voulu
voué pour la
ces
fonctions.
Gardien du Musée.
Le choix de ce gardien est toujours à l'étude et les
membres de
l'assemblée sont invités à faire connaître le plus tôt possible les
emploi.
personnes qui leur paraîtraient convenables pour cet
La Chambre de Commerce et la Chambre d'Agriculture pour¬
raient contribuer à sa rétribution.
Sous-Commissions techniques.
Dans le but de faciliter ses travaux, la Commission technique
désigne les sous-commissions suivantes qui seront plus spéciale-'
ment chargées de chaque branche ;
—
Sciences
naturelles :
466
—
MM. Bellonne, Bouge,
Le Brazidec,
Lespinasse.
Histoire locale : MM.
Lagarde, Tati Salmon, 0. Walker, Te-
marii a Temarii, Mer Hermel.
Linguistique : MM. Lagarde, Leverd, de Pomaret, Tati Salmon,
Dr Williams, Stimson.
Folklore, Art et Littérature : MM. Ahnne, Allard, Le Strat,
Michas, E. Rougier.
Renseignements.
M.
Bouge fait les communications suivantes, reçues par dernier
courrier :
1° M.John F. G. Stokes, Curateur en charge du Bernice Paua-
hi Bishop Museum de Honolulu, se met à la disposition de là Socié¬
té pour
tous renseignements ethnographiques qu'il est à même de
fournir.
2° M. Léon Réallon,
Administrateur des Colonies, actuellement
mobilisé comme Lieutenant et Chef du Cabinet militaire du Com¬
missaire de la République au Cameroun, accepte avec plaisir le
titre de Membre correspondant et remercie.
3° M. le professeur Seurat,
«
de l'Université d'Alger, écrit:
J'ai été très heureux de voir qu'un arrêté protège désormais les
"
marae" dont il ne reste plus guère de'traces-. Il en existe encore
quelques-uns en très bon état à Temoe (G'ambier).
« J'en ai figuré dans ma " Notice sur Tahiti" publiée à l'occa¬
sion de l'exposition de Marseille (1906). Ce type de monument
diffère totalement des " marae'' de Fakahina et Fagatau.
« L'idée est excellente de réunir à Papeete^toutes les publica¬
tions relatives à la Polynésie. Ce travail est absolument indispen¬
sable si on veut éviter les redites. Il serait surtout
intéressant
d'avoir les grands voyages de découvertes (Wallis, Bougainville,
Cook, etc.).
«
J'adresserai à la Société celles de mes publications dont il me
reste des doubles. »
Questions diverses.
La question posée par M. Secretan au sujet de l'orthographe à
adopter dans le Bulletin pour les noms tahitiens est l'envoyée à
la sous-commission de linguistique.
L'ordre du jour étant épuisé la séance est levée à 17 h. 30.
pac.es
DE
M.
FR.
oubliées
X.
C AIL LET
Notice biographique
Caillet, François, Xavier, naquit à Nantes en 1822. Il apparte¬
nait à une famille de marins. II passa en 1843 l'examen d'aspi¬
rant volontaire et fut aussitôt embarqué sur la Meurthe qui trans¬
portait aux Marquises 300 hommes de troupes. Il participa à la
conquête de notre colonie. Dès cette époque, le jeune officier te¬
nait un journal particulier d'où sont extraites les pages suivantes,
dans lesquelles il se montre observateur sagace et sincère. II fut
surtout frappé par les qualités de générosité de la race maorie
dont il devint l'admirateur et l'ami. Après une campagne au Sé¬
négal, vers 1850, il revint dans son pays de prédilection où la
clarté de son intelligence et son activité inlassable le firent remar¬
quer par ses chefs. Nommé lieutenant de vaisseau en 1862, il fut
envoyé en congé en France; mais, au lieu du repos bien mérité
auquel il s'attendait, il y subit un épouvantable accident: dans
un incendie, retirant du feu une victime en danger de mort, luimême tomba dans le brasier. On l'en sortit; son corps n'était
qu'une plaie affreuse; il fallut 6 mois pour le guérir; mais ses
paupières étaient irrémédiablement brûlées et ses yeux appa¬
raissaient dans une couronne de chair vive.
Ne pouvant plus supporter le froid des hivers de France, il re¬
vint à Tahiti, sa seconde patrie. Devenu peu apte à la navigation,
activité dans les affaires indigènes. Tous nos ar¬
chipels furent à tour de rôle administrés par lui, et ses services
étaient si prisés, qu'on le nommait de préférence là où surgissait
quelque question difficile à régler. C'est ainsi qu'en 1870, le Com¬
mandant Gaultier de la Richerie qui avait déjà apprécié Caillet
10 ans plus tôt à Tahiti, le fit venir en Nouvelle-Calédonie dont
11 était Gouverneur, pour régler une situation délicate aux Loyalty.
Jusqu'à l'âge de 60 ans, il servit»sans relâche son pays; puis,
il se retira dans la vie privée et mourut à Papeete en 1901, âgé
il dépensa son
de 79 ans.
Il convient d'ajouter qu'à ses qualités intellectuelles et à sa bra¬
voure, Caillet joignait deux qualités morales qui firent
de lui un
homme remarquable : c'est d'abord une droiture inflexible qui le
portait à toujours exprimer sa pensée en toute indépendance, ce
168
—
—
qui ne fut pas sans lui créer de vives inimitiés ; c'est ensuite sa
bonté inépuisable qui n'était
égalée que par sa discrétion absolue.
Il n'eut pas souvent à s'en
louer, mais il la pratiqua toujours.
C'est de lui qu'on peut
dire, dans la plus large acception : Transiït benefaciendo.
*
*
*
EXTRAIT DU JOURNAL PARTICULIER
DE FR. X. CAILLET
Dans la traversée d'Amérique
mes
aux Tuamotu, nous nous som¬
tenus parai0 de latitude. Notre traversée
nous
s'en est ressentie,
n'avons trouvé que du calme et des vents variables.
Si on avait consulté Romane, on aurait su
que dans ces mois
la limite des vents alizés du
sud-est, dans le Pacifique, de i8° à
20°.
18 août 1844. —L'île
Disapointennus(iV^^)est, d'après
observations, placée sur la carte de Dumont-d'Urville et
Lottin, dressée en 1833, 36 milles trop dans l'est ctô milles
trop
nos
dans le sud.
19 août.
—
Titei est
sur cette
même carte
placée 20 milles
trop dans l'est. Cependant, si on tient compte du résultat
moyen
des distances lunaires observées dans la
traversée, il faudrait
diminuer cette erreur de 12 milles.
22
août.—Etant à 3 ou 4 milles de
Vliegen, nous avons aperçu
deux goélettes mouillées en dedans de cette île
basse, et un grand
nombre de pirogues près de ces.navires. Trois de ces
pirogues
montées par 12 hommes se
dirigèrent vers nous. On mit en
panne pour les attendre. Les indigènes qui les montaient vinrent
à bord. Ils étaient
grands, forts et habillés de pantalons et de
chemises.
Ils parlaient le tahitien et
l'anglais mal, mais ils se faisaient
comprendre; ils nous expliquèrent qu'ils armaient les goélettes
et qu'ils étaient à la
pêche des nacres. Ils échangèrent des co¬
quillages pour du tabac, du biscuit et surtout du lard, sur lequel
ils se précipitaient pour le dévorer cru.
Leurs pirogues étaient grandes et
à balancier; ils pouvaient
cela battre la mer.
La pointe nord de
avec
Vliegen est placée trop au sud sur la carte
précitée; nos observations la mettent par 140 56'.
Le soir de ce même jour, nous
aperçûmes Makatea. Cette île a
ceci de remarquable, que la
pointe est en est basse et que la terre
Société des Études Océaniennes
—
169
—
s'élève jusqu'à la pointe ouest, laquelle se termine brusquemer
par une falaise.
23 août.
—
nous voyons,
Tahiti est en vue; en nous approchant de terre,
sur le terrain plat du bord de la mer, des villages
indigènes et des maisons anglaises ou américaines.
Les cases des Tahitiens sont jolies, vastes et bien confortables
pour les pays chauds ; il est malheureux que la mort ait fauché
cette belle race. Une route ombragée d'orangers et de citronniers
fait le tour de l'île. Les vallées y sont profondes; on y aperçoit
des cascades de 2 à 300 mètres de hauteur dont les eaux produi¬
sent en hiver des torrents qu'il serait dangereux de traverser. On
peut se baigner au pied de ces chutes d'eau dans des bassins natùrels de plusieurs mètres de profondeur.
L'île est entourée d'une digue de récifs, mais il n'est pas facile
aux grands navires de circuler dans les eaux calmes, à l'abri de
cette digue.
Sur la côte, ressortent, par leur blancheur au milieu du feuilla¬
ge, les temples protestants.
De la pointe Vénus à Papeete, nous découvrons une série de
pointes toutes terminées par un bois de cocotiers. Nous rangeons
la côte en admirant le panorama qui se déroulait devant nos yeux.
Nous filions 9 nœuds et nous espérions entrer de suite à Papeete,
le Phaëton y entrant. Nous avions déjà la rade en vue; la belle
frégate de 60, l'Uranie, nous mettait son numéro, nous lui ré¬
pondions en hissant le nôtre. Mais la brise qui nous favorisait
cessa tout à coup ; c'est ce qui arrive
fréquemment à l'entrée de
la passe de Papeete; on voit une zone de calme ou de petit vent
d'ouest terminer une mer écumant sous la forte brise d'est.
Un baleinier américain se trouvait dans les mêmes conditions
que nous. Cependant, nous
approchions lentement de la passe,
lorsque vers 5 heures un grain très violent de l'est nous força
à mettre le cap au large et à prendre des ris en serrant les voiles
hautes. Nous avions une brise à tout casser, et pendant que nous
tanguions, Y Uranie et les autres navires étaient en calme dans
les eaux dormantes de l'intérieur du récif qui nous séparait de
ces
navires.
Entre Papeete et Matavai, il y a bien le port de Taunoa, dans
lequel les navires peuvent mouiller, mais pour se rendre de ce
mouillage à Papeete par l'intérieur du récif, le canal à suivre est
étroit et sinueux; il faut êtrfe vent sous vergues et avoir un bon
pilote.
Société d es Etudes Océa 11 ie0 nés
—
170
—
De tous les pratiques de l'île, le meilleur est un
ne
indigène qui
paie pas d'apparence et qui, cependant, pilote depuis 15 ans
les navires sans leur faire d'avaries. C'est un manœuvrier de pre¬
mier ordré. C'est lui qui a conduit l'Artèmise par cette passe à
Papeete en 1839 (19 avril). Cette frégate, qui faisait le tour du
monde, vint se défoncer sur un récif sous-marin à Tiarei (nom
d'un district situé au vent de la pointe Vénus). Elle se déséchoua,
mais arriva coulant bas d'eau à Papeete. La Reine Pomare lui
vint en aide et elle put s'abattre en carène, vis-à-vis l'enclos de la
maison Royale.
le Phaêton vient nous
prendre à la remorque et nous conduire au mouillage. Le Phaê¬
ton part ensuite pour Taravao.
Noiis apprenons que dans le mois de juin dernier, on est allé
en expédition à la pointe Vénus; nous y avons perdu 12 hom¬
mes. Voici un des épisodes du combat :
M. Bruat voulait obtenir du pasteur anglais de ce district des
renseignements sur la position des Indépendants; pendant qu'ils
discutaient tous les deux, les indigènes attaquent nos hommes
de tous côtés, et une des balles tue le missionnaire anglais sous
24: août. — Le lendemain, au matin,
sa vérandah.
Cette balle était évidemment adressée à Bruat.
Pendant que le Gouverneur se trouvait à la pointe Vénus, un
indigène vint trouver le Commandant Bonard, de \Urariie, pour
lui dire que s'il voulait surprendre les ennemis à Faâa, rien ne
serait plus facile à faire; d'après lui, les Indépendants du camp
de Punaauia devaient venir s'enivrer pendant la nuit dans la val¬
lée de Faâa.
Le Commandant Bonard fut séduit par la perspective de faire
il forme une colonne expéditionnaire de
bord, et ne laisse à terre que quel¬
ques hommes pour garder le Gouvernement. A la tête de cette
colonne, il arrive la nuit vers 11 heures à Faâa. Malheureusement,
les indigènes non seulement n'étaient pas ivres, mais guettaient
en armes la colonne dont ils voyaient les fusils briller au clair de
lune sur la hauteur qui.domine la vallée de Faâa. Les indigènes,
cachés et embusqués dans les bois sombres de cette vallée, lais¬
sèrent passer l'avant-garde française, et attendirent que le milieu
de la colonne, qui s'avançait pleine de confiance dans le guide,
fût par le travers du ruisseau de la vallée ; alors des deux côtés
du chemin des coups de fusil partënt subitement et blessent
beaucoup de monde.
un beau
coup de filet ;
tout ce qui restait de valide à
171
—
—
Les Français, surpris dans l'obscurité par un ennemi, invisible,
emportant leurs blessés parmi les¬
quels se trouvent le Commandant Bonard, atteint au mollet et
l'aspirant Poret, atteint à la poitrine. A propos de M. Poret, ce
jeune homme, quelques jours avant l'affaire de Faâa, causait
.dans le poste des élèves de l'Uranie avec le chirurgien du bord,
et lui demandait si une blessure dans la poitrine était toujours
mortelle; le chirurgien lui avait répondu : « Pas toujours, mais
si l'air sort par la blessure, on est certain d'en mourir. » Lors¬
que Poret fut blessé, la première chose qu'il fit fut de laver sa
sont obligés de se retirer en
blessure dans le ruisseau de Faâa et de s'assurer si l'air en sor¬
», dit-il; néanmoins, il eut le courage de se re¬
tirer avec la colonne, mais il mourut le lendemain.
tait. «Je suis f
Les Français, après le combat de Haapape, incendièrent toutes
temple de ce district, par représailles ; ies indi¬
gènes du camp de Punaauia brûlèrent la maison de M. Fergus,
à Faâa, et les bâtiments de la mission catholique élevés entre
Faâa et Papeete ; ils vinrent ensuite se retrancher en vue du camp
les
cases
et le
de l'Uranie.
Ces mêmes Indépendants font ensuite une treve, se retirant à
Punaauia, où ils plantent des vivres.
26 et 27 août. — Le ketch anglais,
Basilic, Commandant
Hunter, appareille ; la Reine quitte ce bâtiment sur lequel elle s'é¬
tait réfugiée et se retire sur la
se
frégate anglaise Karysford, pour
rendre aux Iles-Sous-le-Vent.
Grand dîner à bord d'un brick de guerre sarde.
Je descends à terre : tout y est en fleurs. C'est le plus beau
du monde. Tous les soirs, plus de 200 femmes ornées de
couronnes dansent devant la maison de M. Rouge, et sur la place
pays
du Gouvernement les jours
de musique. LesTahitiens sont de
très bonnes gens, on ferait facilement la paix avec eux.
28 et 29 août. — Je suis reçu à bras ouverts dans la case
de Potui (jolie femme d'ailleurs). La corvette française de 30, La
Boussole, et la corvette à vapeur anglaise Salamandre mouillent
sur rade. Le brick marchand Jules de Blosseville, sorti le matin,
rentre en avaries à Papeete à la remorque des embarcations de
la Division. Ce bâtiment cherchait à passer au vent de Tahiti et
se trouvait presque en calme, lorsque, vers 9 heures, le capitaine
étant à déjeuner avec son second,
le navire surpris par la pre¬
mière rafale d'est s'inclina, le bout des basses vergues dans l'eau.
Le Jules de Blosseville ne fut dégagé que par la perte de son mât
—
472
—
de hune. Un capitaine plus expérimenté n'eut pas été aussi stu¬
pidement surpris.
30 août.— La Salamandre a comme
passagers le Consul gé¬
néral de Sandwich M. Miller, son fils, Consul à Tahiti, et la fian¬
cée de ce Consul.
M. Bruat prête des meubles du Gouvernement pour orner la
maison du Consul Miller dont le mariage va se faire.
.31 août au 3 septembre.
—
Je visite les fortifications; le
camp de l'Uranie est rendu imprenable pour des indigènes sans
artillerie. Les blockhaus sont armés de pièces
8o
de
(obusiers).
Je vais ensuite visiter le cimetière où déjà tant de braves sont
enterrés. Ce lieu est d'une grande tristesse. Je dis une prière au
nom
des familles de ces braves marins et soldats.
4r au 7 septembre. — Le Pbaéton revient de sa tournée
; rien
de nouveau. On construit derrière Papeete, dans une charmante
vallée, un village appelé Ste-Amélie, que l'on destine aux ouvriers
civils engagés en France.
7 au 10 septembre. — Moorea est en révolution. On
pré¬
tend que les Anglais travaillent la population de cette île en lui
promettant de grandes forces pour les soutenir dans leur lutte
contre nous. On ajoute que les
guerriers de cette île auraient ré¬
pondu qu'ils se f.... des Anglais comme des Français. Ce qu'il
y a de certain, c'est qu'ils se fortifient dans la montagne ; un chef
de Moorea est venu avec sa femme demander du
secours à Pa¬
peete (i).
Les indigènes, au nombre de 2 ou 300, se fortifient,
dit-on, dans
le haut de la vallée de La Fautaua. C'est dans le bas de cette val¬
lée qu'on se baigne journellement.
en
Le Commandant Guillevin quitte la Meurthe
pour retourner
France. Le Commandant Le Frapper le
remplace dans son
distingué au combat de
Mahaena part en congé de convalescence ; je
regrette cet officier
distingué. Ballier passe sur YUranie. MM. Bru et Favier passent
commandement. M. Bouchan qui s'est
sur la Meurthe.
Aujourd'hui 7 sept., grand dîner à bord de la Boussole, donné
(1) J'ai su plus tard par Tairapa, grand juge de Moorea, que les offi¬
ciers d'une corvette à vapeur anglaise
avaient, au contraire, conseillé
s'arranger avec les autorités françaises, parce
que l'Angleterre ne contrarierait pas la
politique delà France à Ta¬
hiti. C'est de cette époque que date la soumission de
Tairapa faite
aux
chefs de l'île de
au
Gouverneur Bruat.
Société des Etudes Océaniennes
—
173
—
à tous les frères d'armes de la division de Tahiti. Nous nous dis¬
posons à faire la tournée des Gambier et des
Nous prenons comme passagers M. Caret,
Marquises.
provicaire des Gam¬
bier, et M. François de Paul, missionnaire décoré, provicaire des
Marquises.
11 septembre. — Nous sortons de
Papeete avec une brise
d'ouest et à la remorque des embarcations de la Division. Cette
brise nous conduit jusqu'à la pointe Vénus; mais,
par le travers
de cette pointe, nous rencontrons les vents alizés,
lesquels nous
forcent à louvoyer pendant 3
jours pour doubler la pointe s.-e.
de Taiarapu.
Du 13 au 15
septembre. — Les pointes de la presqu'île
montagnes vertes y domi¬
nent un terrain plat, défendu au
large par un récif interrompu
ressemblent à celles de Tahiti; des
endroits.
Aperçu Rurutu, îlot assez élevé et entouré d'un liston boisé.
Je ne sais si elle est, comme Tupuai, entourée d'un récif. L'île
Rurutu est habitée; nous y avons vu un
grand nombre de feux.
Du sommet le plus élevé de cette petite terre, sortait une
épaisse
fumée, tantôt noire, tantôt blanche, comme celle qui sort de la
bouche d'un volcan. N'ayant ni montre à secondes, ni chro¬
nomètre à ma disposition il me fut
impossible de vérifier la po¬
par
sition de cette île.
Du 16 au 19 septembre. — Nous recevons les vents
va¬
riables par le 230.
Du 1D au 25 septembre. — Mêmes vents, tantôt forts avec
de la pluie, tantôt faibles.
Le 25 septembre, nous apercevons le Mont Duff des Gambier.
Les Gambier composent un atoll dans
lequel apparaissent au
milieu d'un vaste lagon plusieurs îlots et rochers élevés dont le
plus considérable est Mangareva que domine le Mont Duff. Cette
île est habitée, ainsi d'ailleurs que 3 pefits îlots. En
peu de mots,
c'est un cercle de récifs madréporiques, dont'les
parties émer¬
gées sont couvertes de pandanus. C'est en dedans de cette cein¬
ture que se trouvent des bancs riches de nacres et des îlots et
rochers élevés.
.
Les bâtiments mouillent dans cette enceinte plus
gareva que des autres îles.
On entre par 3 passes dans ce vaste lagon. Je
la passe du s.-e.
Passe dit- s.-e.
—
près de Man¬
ne connais que
11 faut mettre les deux pitons du Mont Duff
—
174
—
à gauche de l'au¬
devant, en la
presque l'un par l'autre, celui du n.-o. un peu
tre. On gouverne alors à ranger l'île qui se trouve
laissant par tribord.
ê
qui ne décou¬
vrent pas. Le débarcadère de Mangaréva est difficile à atteindre ;
il faut suivre pour y arriver la ligne d'eau bleue qu'on aperçoit
Attention ! — Le lagon est encombré de bancs
entre la plage ët les
têtes des rochers.
Mouillage de la Meurtbe :
Pointe est de Mangaréva.
Pointe ouest
La cheminée
26 septembre. —Je
n. 11° est.
n. 8° ouest.
s. 9° est.
descends à terré avec Brou.
jusqu'à i lobrasses de chaîne ; le temps
27 septembre. — Filé
est à grains.
28 septembre. — Je passe
la journée à terre. Les indigènes
veulent échanger des perles, des nacres et
de beaux coquillages
pour des cravates et du savon.
Je visite trois colons français: Marion, Jacques
et Guilloux ;
femmes du pays et ont plusieurs en¬
fants. Je suis très bien accueilli par ces familles.
M. Caret, aussitôt à terre, est porté en triomphe. Beaucoup
d'habitants pleurent en le revoyant.
Les femmes baisent les mains du R. Père François.
ils sont mariés à de jolies
Un vieillard,
ancien grand-prêtre de l'île et père adoptif du
si malade.
jolies
père Caret, pleure à chaudes larmes en le voyant
Les indigènes bâtissent des maisons en pierre. Ils ont de
embarcations. J'en ai vu jusqu'à 7 le long du bord.
Mangaréva ne paraît rien produire ; tout y
pendant, d'après ce qu'on raconte, il y a eu
arbres, mais ils onttous été abattus parle vent d'un ouragan en
paraît dénudé. Ce¬
dans l'île de beaux
1840. Pendant cette horrible tempête dont le souffle puissant
soulevait, dit-on, des pierres énormes, tous les insulaires s'étaient
réfugiés, pleins de frayeur, dans l'église dont le toit fut bientôt
enlevé par le vent.
mais ils sont
Le débarquement officiel de M. Caret est salué de 5 coups de
canon, et son arrivée à terre d'un coup de la caronade du Fort
Philippe.
Le roi Maputeoa (Grégorio) vient visiter le bord ; il est salué
de 5 coups de canon à son départ. Le Père Cyprien, Chef de la
Depuis cette epoque, on a replanté des arbres,
trop jeunes pour produire.
Société des Étiid'
—
175
—
Mission des Gambier et Représentant de notre Gouvernement
dans ces îlots, vient à bord recevoir 7 coups de canon.
28 septembre. — Reçu, une presse pour
Tahiti. D'après les
renseignements qui me sont fournis à la Mission, la population
du groupe des Gambier s'élève à 3.000 âmes, et il; n'y a pas à man¬
ger pour 1.500 habitants sur tous ces rochers. Bien plus, cette
population croît d'une manière alarmante.
30
septembre. — Nous appareillons par embossure dans
grain violent du n.-e.
Le pilote me donne les renseignements suivants :
Passe du s.-e. ou de Mahabo : Il faut s'élever dans l'est jusqu'à
ce que la pierre percée de la pointe Makabo de l'île Akamaru
soit par le plus à l'est des deux pitons du Mont Duff. On range
deux petites îles basses qui sont en dehors et ensuite Makabo.
Si on n'a pas de pilote, on mouille sous Akamaru, le plus près
possible de terre, par 25 ou 30 brasses. On peut, si on y est forcé,
mouiller sur les bancs de la passe par 30 et 35 brasses. D'Aka¬
maru, en peut appareiller par tous les vents et louvoyer, en
ayant soin de veiller les bancs de coraux.
un
30
septembre. — Les vents varient du n.-e. au n.-n.-e.
Aperçu le soir l'île Crescent par bâbord. Ce n'est qu'un récif
boisé, mais habité.
1er octobre. — Les îles Hood' sont en vue ; elles sont basses,
comme
toutes les îles Tuâmotu;
la mer brise avec force sur un
récif placé au large de ces îles.
2 et 3 octobre. — Belle brise d'est à l'e.-n.-e.
4: et 5 octobre.
—
Temps orageux. Je fais le quart d'officier
pour remplacer Favier; ce service me donne plus d'expérience.
J'ai la responsabilité du quart.
6 octobre.
Nous apercevons au matin Fatuhiva (la Made¬
leine). Cette île, la plus sud du groupe s.-e, est très élevée,
comme toutes les autres îles de l'archipel des Marquises ; elle est
sillonnée par des vallées étroites et profondes.- Nous passons par
l'e. de cette île pour ne pas avoir les calmes de la partie sous le
vent ; c'est le côté le plus aride mais le plus pittoresque. La
montagne y est terminée par une crête très étroite et percée vers
le milieu d'un trou à travers lequel on voit le jour. De Fatuhiva
on aperçoit dans le lointain Tahuata (Christine) et Hiva-Oa(Do¬
minique).
7 octobre.
Vers 1 heure du matin nous passons par le
—
—
—
176
—
canai du Bordelais. Ce passage entre Tahuata et Hiva-Oa est lar¬
ge et les côtes sont accores.
Pendant toute la journée du 7 nous restons en panne et à lou¬
voyer devant la baie de Vaitahu.
Cette baie est très petite et l'eau y est profonde. Il est difficile
de s'y tenir au mouillage, surtout lorsque le temps est à grains,
car dans ce cas de bien lourdes rafales tombent
de la montagne
et vous chassent dehors.
Ici, ce n'est pas comme aux Gambier ; la population manque
et les vivres sont en
abondance. De l'extérieur de la baie nous
distinguons les maisons de Vaitahu, le fort Philippe (bâtisse
carré.e) les blockhaus, la caserne.
Hiva-Oa est beaucoup plus peuplée que Tahuata, mais aussi
cette île, tout en étant aussi élevée que Tahuata, est beaucoup
plus grande que cette dernière et les vallées y sont beaucoup
plus larges.
Il paraît qu'un trois-mâts français a passé ici il y a 3 jours, fai¬
sant route pour Nuka-Hiva. Vers 4 heures du soir, nous nous
dirigeons sur Taiohae, ayant à bord un missionnaire de 40 à 45
ans : M. Dumonteil. Le soir, nous voyons se dessiner Ua-Pou à
l'horizon.
8 et 9 octobre. — Le 8 octobre nous mouillons à Taiohae
(Nuka-Hiva).
Du ÎO au 20 octobre. — La Somme, que nous remplaçons
dans la station des Marquises, est une
La Meurtbe est une cor¬
vette de charge, à batterie couverte(portant
18 pièces. Cette cor¬
vette s'empresse de faire ses préparatifs de départ pour Tahiti, où
l'on trouve plus de ressources qu'à Nuka-Hiva.
Mes courses sont très limitées. Je visite
la baie Collet (nom
cette baie
n'est habitée que dans le haut. Près de la baie, je grimpe sur un
énorme rocher de 4 m. sur 5 m.; il a ceci de remarquable, c'est
qu'il s'appuie sur un plan très incliné et qu'il ne tient que par
un miracle d'équilibre.
Le lendemain, je fais une excursion de l'autre côté des mon¬
tagnes qui bornent la baie de Taiohae. Je visite la vallée des
Manutini, située entre les vallées de Taipi et celle des Tai ; les
Manutini sont peu nombreux ; ce sont des alliés des Tai ; la
vallée qu'ils habitent n'est qu'une étroite et profonde fissure.
20 octobre.
Excursion aux Taipi Kaikai. Je grimpe par
le chemin de Porter (nom d'un commodore américain qui a trad'un capitaine tué à Tahuata) ; la vallée qui termine
—
177
—
—
versé la montagne avec ses pièces de
campagne pour aller com¬
battre les Taipi). Arrivé sur le sommet de la
montagne, sous un
soleil ardent, je trouve, sur le versant de
l'intérieur, de l'ombre
et un petit ruisseau dont l'eau est froide comme
de la glace.
J'avais les pieds enflés par le soleil ; ce fut pour moi une grande
jouissance de pouvoir me mettre les pieds dans cette eau froide.
Je n'avais pour déjeuner qu'une galette de biscuit et du fromage.
Néanmoins, je ne me rappelle pas avoir mangé avec autant d'ap¬
pétit.
Après m'être reposé, je suivis le sentier de la crête jusqu'à la
baie du Contrôleur. Je ne pus dans cette excursion
visiter que
les Taipi, qui habitent le bord de la
plage, près de l'embouchure
d'une petite rivière profonde à cet endroit.
Cette partie de la tribu s'appelle
Taipi vai.
21 octobre.
Je souffre d'une angine. Je suis très sujet à
cette maladie, quand je m'expose
au soleil brûlant.
—
Arrivée du baleinier américain President.
3 novembre.
Nous allons Brou et moi faire une
excursion
chez les Taipi Kaikai. Ce qui nous attire chez cette terrible
—
tribu,
des autres vallées ces Taipi sont
tous des hommes féroces et sanguinaires.
Nous ne pouvons arriver que dans le bas de la vallée en
ques¬
tion, car il se faisait tard et nous devions rentrer à bord le soir
même. Nous fûmes bien reçus par les habitants.
c'est qu'au dire des indigènes
Da 3 an 11 novembre.
Brou et moi nous nous décidons
à construire une case. Nous arrivons facilement à
tailler les mon¬
tants et les
de notre hutte, mais nous sommes
inca¬
pables de la couvrir et nous dépensons inutilement des écheveaux
de fil pour amarrer les paquets d'herbes devant servir
comme le
chaume en France.
—
11 novembre. — Le
President, parti la veille de Taiohae,
jette à la côte à Hiva-Oa. On expédie le brick Anna, armé en
guerre, et on y embarque une compagnie pour faire le
sauvetage
se
de ce baleinier.
17 novembre.
—
Le President est relevé de la côte.
lt> novembre. — Le Commandant Le
Frapper, accompagné
Roquancourt et du chirurgien Boran, se
rend en baleinière dans la baie du Contrôleur.
Depuis 15 jours,
du Commissaire de
l'île est continuellement en feu et notre
pont couvert de cendres
apportées par la brise de la montagne. Tous les ans, à
pareille
époque, on brûle partout, dans les îles Marquises, les herbes
—
178
-
sèches et les roseaux pour assainir et
*
détruire les insectes et la
vermine.
20 novembre. — Le feu étant arrivé jusqu'à 1 mille de notre
établissement, on y envoie la garnison armée de pompes pour
l'éteindre.
21 novembre.— Le Commandant revient de son excursion ;
il amène le fils de
son
taio
(1), grand-prêtre de Huapua. Le
Commandant et les officiers qui l'accompagnaient ont été bien
reçus par ce grand-prêtre ; il leur a donné la permission de tuer
poules et cochons qu'ils rencontreraient sur ses terres, et à leur
départ, ils ont reçu en cadeaux des tambours, des casse-têtes et
des sagaies.
22 novembre. —Je fais une promenade dans les vallées de
la baie. Je trouve dans le haut de l'une d'elles, au pied d'une
cascade, un bassin de 6 mètres de profondeur; l'eau y est d'une
fraîcheur exceptionnelle.
En sortant de prendre un bain dans ce bassin, j'entends le
bruit sourd du canon dans la direction du cap Martin. J'apprends
que le: bruit que j'avais entendu avait été causé par un baril
de poudre que les indigènes de Ua-Una portaient dans une
baleinière. Par imprudence, il avaient mis le feu à quelques grains
de poudre qui coulaient du baril. Le tout avait éclaté et lancé à
la mer bris de canot et bris d'hommes. Deux d'entre eux, moins
gravement blessés, avaient pu atterrir au cap Martin dans la nuit.
C'est par eux que l'on aurait appris l'événement. Malgré leurs
blessures, ils avaient nagé pendant io heures au moins.
25 et 26 novembre.
Le 25, je quitte le bord à 6 heures
du matin, je prends le chemin de Porter ; et, sans m'arrêter pour
souffler, j'arrive au bout d'une heure sur la crête. J'avais, en
partant de. bonne heure, évité les retards causés par les Tai,
qui cherchaient toujours à nous dissuader d'aller chez leurs en¬
nemis les Tàipi.
J'arrivai sur la crête ver^ 7 h. 1/2 ; le soleil éclairait obliquement
la baie de Taiohae, entourée de montagnes dont les contre-forts
extrêmes se terminent aux deux îlots, sentinelles de l'entrée de
cette baie. Près de la plage blanche à gauche, je distingue les
maisons de Saumurville, et à droite, près de la plage noire, les
nombreuses cases des indigènes. Entre ces deux agglomérations,
s'avance dans la mer la pointe élevée couronnée du fort Collet,
et au large de ce fort les navires sont au mouillage.
—
(1) Taio : ami, frère.
—
179
—
De tous les côtés, j'entends le bruit des
maillets, battant en
écorces employées pour faire le tapa. Ce bruit s'éle¬
vait de toutes les vallées de la baie, même de celles qui abou¬
mesure les
tissent au mont Moak. (i)
Je retrouvai un repli de terrain inhabité, situé à gauche des
Manutini, et j'arrivai ainsi à la crête qui domine la longue et
large vallée des Taipi. Pour me rendre dans cette belle vallée
qui traverse l'île, de la terre déserte à la baie du Contrôleur, j'allai
au plus court
en profitant du lit d'un torrent desséché sûr lequel
je me laissai glisser; mais la pente en était si grande, que le bâ¬
ton qui me servait d'appui pour modérer mes élans s'étant
échappé de mes mains, prit une vitesse vertigineuse que je crai¬
gnais d'acquérir. Je m'accrochai alors aux pierres, mais elles
s'arrachaient et s'éboulaient sous moi. Enfin, je fus arrêté dans
ma
glissade par un obstacle provenant du relief d'une grosse
roche. Cette roche n'avait qu'un mètre de hauteur, mais la mèche
était parfaitement d'aplomb;
au-dessous d'elle, le plan incliné
continuait, et je ne voyais rien au pied de cette roche pour me
cramponner.
J'hésitai à prendre mon élan, et je regardai s'il n'y avait pas
impossible car
j'avais nettoyé le lit du torrent qui m'avait servi de chemin, en
faisant tomber les pierres et les morceaux de bois mort. J'avais
été heureusement aperçu des Taipi, et j'entendis les cris de
Hahaiki Kairi (chefs qui têtent) et je vis 3 hommes grimper rapi¬
dement vers moi. Je n'avais qu'à les attendre. A leur arrivée,
l'un d'eux se mit le long de la roche et me dit de me placer sur
ses épaules. Je descendis ainsi porté au bas de la vallée; je fus
immédiatement conduit à une grande place rectangulaire élevée
sur le bord de la petite rivière qui court dans cette vallée sur un
moyen de remonter; je vis bien vite que c'était
lit de cailloux.
Les côtés de ce
grand rectangle étaient élevés de 1 métré 1/2
et formaient une
chaussée de 4 mètres de largeur. Sur certains
points, cette chaussée avait 6 mètres de largeur et servait dans
ces endroits de base à des cases sacrées dont la plus haute, en
forme de pyramide, était placée sur le petit côté du rectangle et
en
amont.
Toutes ces cases étaient couvertes en feuilles de palmier sy¬
métriquement entrelacées. Les pierres de la chaussée étaient en
(1) Sans doute Moake.
—
énorme basalte nivelé
180
—
les
pavés de France. C'était un
rectangle était en terre unie et tassée.
On m'amena dans la
pyramide où on étendit une natte pour
moi. L'entrée de cette case était
étroite, basse et fermée par une
natte pour empêcher le
jour et les moustiques de pénétrer. Un
tronc de cocotier divisait la case dans toute sa
longueur. La par¬
tie du fond en était
dégarnie de pierres et couverte d'aretu ou
de joncs odorants. C'était sur cette
partie qu'on avait mis une
natte en m'invitant à
m'y étendre. Au fond de la case un autre
tronc de cocotier servait
d'oreiller, en sorte que, couché, on avait
comme
beau travail. L'intérieur du
un
tronc de cocotier sous la tête et un autre sous les mollets.
Les parois de la pyramide étaient
garnies de casse-têtes et de
lances. Un filet était paqueté dans un coin, un râtelier de fusils
était fixé dans un autre ; enfin un baril de
au-dessus de ma tête.
poudre était suspendu
Mon arrivée avait été annoncée de case en case et la
population
accourait voir l'Européen, mais
personne n'osait entrer. Enfin, le
grand-prêtre de la tribu, orné de son bonnet en feuilles tressées
et de son pagne
aux bouts flottants, vint prononcer le tapu sur
ma
personne. Je devenais à partir de ce moment
quelque chose
de sacré et de, respecté.
Après avoir bu du coco et mangé du kaaku (pate de mei ou
maiore, fruit de l'arbre à pain, qu'on sert dans le
jus de la noix
de coco) j'allai prendre un bain dans la rivière et
visiter les cases
des environs.-Dans l'une d'elles,
je vis une bière qui contenait une
momie enveloppée de tapa et
qu'on venait de descendre, non du
plafond, mais des pièces de bois qui soutiennent les
à l'intérieur.
Je fus invité à entrer et j'assistai ainsi à l'opération qui consiste
à conserver un cadavre.
Celui qui était devant moi était le corps d'un
chef, mort depuis
15 jours, et aux funérailles duquel on avait sacrifié deux victimes
surprises chez les Haapaa. C'était une tête grise ornée d'une
longue barbe blanchissante ; il avait la peau parcheminée et cou¬
verte de
tatouages dont la teinte bleu-ardoise était dévenue d'un
bleu plus clair.
Il n'y avait que des femmes dans la case du mort.
Après avoir
dégarni la momie de tous les tapa qui la préservaient du con¬
tact de l'air, elles la frottèrent
longtemps et doucement avec la
paume de la main imprégnée d'huile de coco aromatisée. Ce
manège terminé, elles remirent les tapa en place, et la momie
Société des Études Océanienne
—
181
—
fut rehissée à son poste. Chez les Nuka-Hiviens, toute la famille
et les amis de passage couchent
les uns à côté des autres dans
toute la longueur de la case. On me donna une place d'honneur
peu enviable. Jusqu'à 11 heures du soir, il y eut près de moi mu¬
sique et chants de jeunes filles. Les chants étaient sur un ton
grave et triste, et l'accompagnement en était fait sur 3 ou 4 mor¬
ceaux de bois sec dont la grosseur et la longueur différaient.
Chaque artiste femelle les retenait croisés sur les cuisses et
frappait en mesure avec un autre morceau de bois sec; cela
produisait différents tons dont le plus sonore était celui qu'elle
obtenait en frappant sur le plus long et le plus mince des mor¬
ceaux de bois.
Cette musique sauvage ne manquait pas d'une certaine har¬
monie bizarre. Le lendemain matin, je me disposai à revenir à
bord, malgré l'invitation des chefs qui désiraient me garder 5
jours pour me donner une grande fête. Je les remerciai en leur
expliquant qu'il m'était impossible de remettre mon départ.
On m'offrit alors des cochons, des poules et des fruits ; je
n'acceptai en fait de cadeaux qu'une tête de mort, dont l'une des
orbites était garnie d'un rond de nacre, et une pipe faite d'un mor¬
ceau de tibia humain. Ces deux reliques provenaient de victimes
sacrifiées et mangées. Les chefs, me voyant décidé à partir, me
firent accompagner par un fort gaillard portant des cocos. Nous
suivîmes un sentier moins dangereux que le chemin que j'avais
pris en venant. Lorsque mon guide me voyait fatigué, il s'asseyait,
ouvrait un coco qu'il me présentait sans vouloir en boire, pré¬
tendant que les cocos avaient été rendus tapu par le grandprêtre.
Aune petite distance des Manutini, mon guide me dit qu'il ne
pouvait aller plus loin sans danger pour lui. Il me montra une
colline que j'avais à traverser et me fit ses adieux. Les Taipi et les
Manutini sont toujours en guerre, ou plutôt toujours à l'affût
pour saisir des victimes au passage sur la colline que je parcou¬
rais. Chez les Manutini, on me dit que j'étais fou d'aller chez
les Taipi qui m'auraient tué et mangé, s'ils avaient eu besoin de
moi comme victime à la mort d'un chef.
Je les laissai dire, car j'étais persuadé que toutes les tribus
exercent les lois de l'hospitalité comme le font tous les peuples
primitifs.
{A suivre.)
—
482
—
DE PITCAIRN A FAKARAVA
Extrait de "South Sea Tales
par Jack LONDON.
Traduit de l'anglais, par Outsider.
Le Pyrénées, avec ses flancs de fer enfoncés
profondément dans
chargement de blé, roulait paresseuse¬
ment, ce qui facilita son ascension à l'homme qui grimpait à bord,
sortant d'une étroite
pirogue à balancier. Quand ses yeux furent
au niveau de la lisse et
qu'il put voir l'intérieur, il lui sembla
percevoir une légère, presque immatérielle vapeur. C'était plu¬
tôt comme une illusion, comme une
pellicule terne qui se serait
répandue brusquement sur ses yeux. 11 éprouva le désir de la
chasser, et au même instant il pensa qu'il devenait vieux et que
le moment était venu dé commander à San Francisco une
paire
l'eau par le poids de son
de lunettes.
Comme il arrivait au-dessus de la
lisse, il jeta un regard en
haut vers les mâts
supérieurs, et de là vers les pompes. Elles ne
fonctionnaient pas. Rien ne paraissait anormal sur ce
grand na¬
vire, et il s'étonna que l'on eût hissé le signal de détresse. Il son¬
gea à ses heureux insulaires, souhaitant qu'il n'y eût
pas de ma¬
ladie. Peut-être le bâtiment était-il à court d'eau ou de
provisions.
capitaine dont le visage émacié et le regard
soucieux ne cachaient pas le
trouble, quelle qu'en fût la cause.
En même temps, le nouvel arrivant sentait une
faible, indéfinis¬
sable odeur, ressemblant à celle du
pain brûlé, mais avec une
Il serra la main
au
nuance.
11 regarda curieusement autour de lui. A
vingt pieds de dis¬
tance un marin, à la figure
fatiguée, était en train de calfater le
pont. Comme son œil s'attardait sur cet homme, il vit soudain
s'élever de dessous ses mains une faible
spirale de vapeur qui
s'enroulait, se tordait et disparaissait. Il avait alors atteint le
pont. Ses pieds nus ressentirent une lourde chaleur qui péné¬
trait rapidement leur épaisse
callosité. Il comprit la nature de la
détresse du bateau.
Il promena rapidement les
yeux vers l'avant où tout l'équipage
des matelots aux traits lassés le
dévisageait avidement. Le clair
regard de ses yeux noirs s'étendit sur eux comme une bénédic-
—
183
—
tion, les calmant, les enveloppant dans le manteau d'une grande
paix. << Depuis combien de temps avez-vous le feu, capitaine? »
demanda-t-il d'une voix si douce et tranquille que c'était un
roucoulement de colombe.
Tout d'abord, le capitaine sentit cette paix et le contentement
qui en résultait pénétrer en lui ; puis la conscience des souffran¬
ces qu'il venait de supporter et qu'il était appelé encore à éprou¬
ver le reprit et il en fut plein d'irritation. De quel droit cet écumeur
de plage déguenillé, en pantalon élimé et en chemise de coton,
venait-il lui suggérer une telle paix et un tel contentement, à lui
et à son âme surmenée, épuisée? Le capitaine ne raisonna pas
cela, c'était la marche inconsciente de l'émotion qui causait son
ressentiment.
«
Depuis quinze jours, » répondit-il brièvement. « Qui êtes-
vous?
»
« Mon nom est Me Coy », fut-il répondu, d'un ton qui respi¬
rait la sympathie et la compassion.
«
Je veux dire: êtes-vousle pilote? »
M. Coy versa la bénédiction de son regard sur l'homme grand,
larges épaules, hagard et barbu, qui avait rejoint le capitaine.
Je suis aussi pilote que quiconque », répondit M. Coy. « Nous
sommes tous pilotes ici, capitaine, et je connais chaque pouce
aux
«
de ces eaux. »
«
Ce qu'il me faut, c'est quelqu'une des autorités. Il faut que
je Jeur parle, et vite. »
« Alors, je ferai justement
tout aussi bien l'affaire. »
Encore cette insidieuse suggestion de calme, et son navire était
une fournaise embrasée sous ses pieds !
Impatiemment et nerveusement, le capitaine fronça les sour¬
cils et serra le poing comme pour porter un coup.
« Qui diable êtes-vous? » demanda-t-il.
« Je suis le premier magistrat, » fut la, réponse, faite d'une
voix qui était encore la plus douce et la plus aimable possible.
L'homme grand, aux larges épaules, éclata d'un rire brutal,
d'une gaieté plutôt hystérique. Lui et le capitaine regardèrent
Me Coy avec incrédulité et ébahissement. Que cet écumeur de
plage aux pieds nus pût être revêtu d'une aussi retentissante di¬
gnité, était inconcevable. Sa chemise de coton, déboutonnée,
montrait une poitrine au poil gris que ne protégeait aucun autre
vêtement. Un chapeau de paille usé couvrait à peine la chevelure
—
184
—
grise embroussaillée. Jusqu'au milieu de sa poitrine descendait,
inculte,, une barbe patriarcale. Chez un fripier, pour deux schellings, il eût été complètement équipé, tel qu'il était devant eux.
« Seriez-vous
parent du Me. Coy du Bounty ? » demanda le
capitaine.
«
«
C'était mon arrière-grand-père. »
Oh ! dit le capitaine, et après réflexion : « Mon nom est Da¬
venport, et voici mon premier maître, M. Konig. »
Ils se serrèrent les mains.
Et
maintenant, aux affaires. » Le capitaine s'expliqua vi¬
vement, la nécessité d'une grande hâte pressant son discours.
«
« Nous avons le feu
depuis plus de deux semaines. Tout cet
enfer peut se déchaîner en un moment. C'est
pourquoi je me
suis arrêté à Pitcairn. Je veux échouer mon navire ou le sabor¬
der, et sauver sa coque. »
« Alors, vous
vous êtes trompé, capitaine, » dit Me Coy.
« Vous auriez dû toucher
plus loin, à Mangareva. Il y a là une
belle plage dans un lagon où l'eau est comme dans un réservoir
de moulin.
«
»
Mais nous sommes ici, n'est-ce pas? » demanda le
premier
maître. « C'est là le point. Nous sommes ici et nous
y sommes
venus
pour nous tirer d'affaire. »
Me Coy secoua doucement la tête.
« Vous ne
pouvez rien faire ici. 11 n'y a pas de
même pas de mouillage. »
plage. Il n'y a
Blague ! » dit le maître. « Blague ! » répéta-t-il avec force,
le capitaine lui faisait signe.de parler plus doucement.
« Vous ne pouvez
pas me dire une chose pareille ! Où mettezvous vos
embarcations, hein, votre goélette ou votre côtre, ou
ce que vous avez? Hein,
expliquez-moi cela? »
Me Coy sourit aussi gentiment qu'il parlait. Son sourire était
une caresse, un embrassement
qui enveloppait le maître fatigué
et cherchait à le conduire à la quiétude et au
repos de l'âme tran¬
quille de Me Coy.
« Nous n'avons ni
goélette, ni côtre », répliqua-t-il,» et nous
«
comme
hissons nos canots au sommet de la falaise.
«
Il faudrait
me^montrer cela », gronda le maître. « Comment
pouvez-vous aller dans les autres îles, hein? Dites-le moi? »
«
Nous ne nous
déplaçons pas. Comme Gouverneur de Pit-
185
—
cairn, je voyage quelquefois. Quand j'étais plus jeune, je voya¬
geais beaucoup, parfois sur des goélettes de commerce, mais le
plus souvent sur le brick de la Mission. Maintenant il n'existe
plus, et nous dépendons des navires de passage. Tantôt, il nous
arrive jusqu'à six escales dans une année. Tantôt, une année et
même plus s'écoule sans que nous voyions passer un bateau.
Vous êtes le premier depuis sept mois. »
« Et vous prétendez me dire
», commença le maître.
Mais le capitaine Davenport l'interrompit :
« C'est assez, nous
perdons du temps. Qu'y a-t-il à faire, M.
Me Coy ? »
Le vieillard
tourna ses
yeux
noirs, doux comme ceux d'une
femme, vers la-terre ; le capitaine et le maître suivirent son re¬
gard passant du roc isolé de»Pitcairn à l'équipage massé sur l'a¬
vant et attendant anxieusement l'annonce d'une décision. Me
Coy ne se hâtait pas. Il réfléchissait doucement et lentement,
pas à pas, avec la tranquillité d'un esprit que la vie n'avait ja¬
mais vexé ni outragé.
« Le vent est
léger maintenant », dit-il finalement. « Il y a un
fort courant portant vers l'ouest. »
« C'est ce qui nous a entraînés sous le vent, » fît le capitaine,
désireux d'affirmer ses connaissances nautiques.
« Oui, c'est ce qui vous a portés sous le vent », McCoy pour¬
suivit. « Donc, vous ne pouvez pas remonter contre le courant
aujourd'hui. Et si vous le faisiez, il n'y a pas de plage. Votre
navire serait totalement perdu. »
Il s'arrêta. Le capitaine et le maître échangèrent un regard dé¬
sespéré.
« Mais je vais vous dire ce que vous pouvez faire. La brise va
fraîchir vers le milieu de la nuit; voyez ces queues de nuages
qui s'épaississent du côté du vent, là-bas. C'est de là qu'il va
souffler, du sud-est, et fort. Il y a trois cents milles d'ici à Mangareva. Allez droit dessus. Il y a là un beau lit pour votre navi¬
re. »
Le maître secoua la tête.
«
Venez dans la cabine, nous allons voir la carte », dit le ca¬
pitaine.
McCoy trouva une atmosphère étouffante, empoisonnée, dans
la cabine close. Des poussées vagues de gaz invisibles irritaient
ses yeux par leur piqûre. Le pont était plus chaud, d'une chaleur
Société des Etud
Océaniennes
—
186
—
insupportable pour ses pieds nus. La sueur coulait de tout son
corps. Il regarda presque avec appréhension autour de lui. Cette
épouvantable chaleur était étourdissante. Il était merveilleux que
la cabine ne prît pas feu. Me Coy avait la sensation d'être dans
un vaste four de boulanger où la chaleur pouvait d'un moment
à l'autre augmenter d'une façon effrayante et le griller ainsi qu'un
brin d'herbe.
Comme il soulevait le pied et en frottait la plante brûlante con¬
tre la jambe de son pantalon, le
maître fit entendre un rire sau¬
vage, un vrai mugissement.
«
L'antichambre de l'enfer », dit-il. « L'enfer lui-même est jus¬
te sous vos' pieds. »
Ça chauffe ! » cria Me Coy involontairement, en tampônnant
visage avec son mouchoir de bandane.
« Voici
Mangareva, » dit le capitaine, se penchant sur la ta¬
ble et montrant un point noir au milieu de la blanche surface de
la carte. « Et ici, entre, il y a une autre île. Pourquoi ne pas cou¬
-
«
son
rir dessus? »
Me Coy ne regarda pas la carte.
« C'est l'île Crescent, » répondit-il. « Elle est inhabitée et elle
n'a que deux ou trois pieds au-dessus de l'eau. Un lagon, mais
pas de passe. Non, Mangareva est le meilleur endroit conforme
à votre désir. »
«
Va pour Mangareva, alors», dit le capitaine Davenport, pré¬
venant une violente objection du maître. « Appelez les hommes
de l'avant, M. Konig. »
Les marins obéirent, traînant la jambe avec lassitude sur le
pont, et s'efforçant péniblement de se hâter. Leur épuisement
se manifestait à chaque mouvement. Le maître coq sortit de sa
cuisine pour écouter, et le garçon de cabine se glissa près de lui.
Quand le capitaine Davenport eût exposé la situation et an¬
noncé son intention de filer sur Mangareva, une clameur s'éleva.
Du fond de gosiers hurlants sortaient des cris de rage inarticulés,
où se distinguaient çà et là une imprécation, un mot, une phrase.
On entendit une glapissante voix de loustic qui domina un mo¬
ment les autres,
s'écriant : « Malheur ! Après avoir trimé dans
cet enfer pendant quinze jours, voilà encore qu'il veut nous faire
naviguer de nouveau sur ce brasier flottant ! »
Le capitaine ne pouvait les retenir, mais l'aimable ascendant
de Me Coy réussit à les calmer ; les murmures et les imprécations
$:■
Société dés Etudes Océaniennes
—
187
—
s'éteignirent, au point que tout l'équipage, sauf çà et là un regard
anxieux dirigé vers le capitaine, soupira silencieusement vers
les pics tapissés de verdure et la côte surplombante de Pitcairn.
Douce comme un zéphyr printanier, était la voix de Me Coy.
«
Capitaine, il m'a semblé entendre quelques-uns d'entre eux
dire qu'ils mouraient de faim. »
«
Oui » fut la réponse, «et telle est notre commune
situation.
Nous avons eu un biscuit de mer et une cuillerée de saumon ces
jours. Nous n'en pouvons plus. Voyez-vous,
quand nous avons découvert le feu, nous avons immédiatement
deux derniers
tout fermé en bas pour l'étouffer. Après
seulement, nous avons
combien peu de provisions il y avait dans la cambuse.
Mais il était trop tard. Nous ne pouvions nous hasarder à rou¬
vrir ce lazaret.' S'ils ont faim, j'ai tout aussi faim qu'eux. »
reconnu
Il parla de nouveau aux hommes, et
de nouveau les murmu¬
imprécations s'élevèrent avec rage de leurs faces con¬
vulsées et bestiales. Le second et le troisième maîtres avaient
rejoint le capitaine, se tenant derrière lui, à l'entrée de la dunette.
Leurs traits étaient calmes et sans expression ; ils semblaient en¬
nuyés, plutôt qu'autre chose, par l'indiscipjine de l'équipage.
Le capitaine Davenport lança un regard interrogateur son pre¬
mier maître qui haussa simplement les épaules, en signe de totale
res
et les
désespérance.
Coy, « vous ne pouvez
s'éloigner d'une terre où ils voient le
navire en feu qui a déjà été
leur cercueil flottant durant plus de deux semaines. Ils sont fi¬
nis, épuisés, et ils en ont assez. Nous allons aborder à Pitcairn. »
Mais le vent était faible et la carène du Pyrénées sale ; il n'y
avait pas moyen de tenir contre la force du courant portant vers
l'ouest. Au bout de deux heures on avait perdu trois milles. Les
matelots manœuvraient obstinément comme si avec toute leur
force ils pouvaient faire résister le vaisseau aux éléments adver¬
ses. Mais avec régularité, qu'il courût la bordée de bâbord ou de
tribord, il dérivait dans l'ouest. Le capitaine allait sans repos en
haut et en bas, s'arrêtant à l'occasion'pour observer les bouffées
errantes de fumée et remonter aux endroits du pont d'où elles
jaillissaient. Le charpentier était constamment occupé à essayer
de déterminer ces places et, quand il y parvenait, à les calfater
«
Vous voyez », dit le capitaine à Me
pas obliger des matelots à
salut, pour reprendre la mer sur un
le plus serré
«
possible.
Eh bien, que pensez-vous ? » demanda
finalement le capitaine
—
188
—
à Me Coy qui suivait des yeux le
charpentier avec tout l'intérêt
et la curiosité d'un enfant.
Me Coy regarda vers la terre qui allait
disparaissant, dans la
brume plus épaisse.
Je pense qu'il vaudrait mieux courir sur Mangareva. Avec
après-midi. »
« Mais si le feu éclate? Nous
y sommes exposés à tout mo¬
«
cette brise qui se lève, vous y serez demain
ment.
»
« Tenez vos embarcations
prêtes à être amenées. Lamêmebrise
les portera sur Mangareva, si le feu
gagne le navire entièrement. »
Le capitaine Davenport discuta un
peu, et alors Me Coy en¬
tendit la question qu'il appréhendait, mais
qu'il voyait sûrement
venir.
« Je n'ai pas de
carte de Mangareva. Sur la carte générale,,
elle est à peine visible. Je ne saurais
par où erdrer dans le lagon.
Voulez-vous vous charger de nous piloter? »
La sérénité de Me Coy demeura intacte.
Oui, capitaine, » dit-il, avec la même tranquille insourîance
qu'il eût accepté une invitation à dîner, « j'irai avec vous à Man¬
«
gareva.
De nouveau l'équipage fut appelé à l'arrière et le
capitaine leur
parla, de l'entrée de la dunette.
« Nous avons
essaye de manœuvrer, mais vous avez vu com¬
bien nous avons perdu de terrain. Nous sommes drossés
par un
courant de deux nœuds. Ce
gentleman est l'honorable Me Coy,
premier magistrat et Gouverneur de l'île Pitcairn. Il va nous ac¬
compagner à Mangareva. Vous voyez donc que la situation n'est
pas si dangereuse. 11 n'aurait pas fait une telle offre s'il eût pen¬
sé risquer de perdre la vie. En outre,
quelque risque qu'il y ait,
s'il consent à le courir de son propre
avec
mouvement, en voyageant
nous, nous ne pouvons pas faire moins que lui. Que dites-
vous de
Mangareva ? »
Cette fois il n'y eut pas de murmures. La présence de Me
la sûreté et le calme qui semblaient émaner de
lui, avaient
duit cet effet. Ils conférèrent entre eux à voix
Coy,
pro¬
basse, sans grande
animation. Après s'être mis d'accord, ils présentèrent le loustic
comme leur
porte-parole. Ce brave garçon avait une écrasante
conscience de son propre héroïsme et de celui de ses
mandants,
et avec des yeux ardents, il s'écria :
«
Par Dieu ! s'il le veut, nous le voulons.
»
—
189
—
L'équipage appuya ces4par°le<î d'un murmure favorable et se
dirigea vers l'avant.
« Un moment, capitaine, » dit Me Coy, comme l'autre se tour¬
nait pour donner des ordres au maître, « je dois me rendre à
terre auparavant. »
M» Konig fut abasourdi et regarda
Me Coy comme s'il eût eu
affaire à un fou.
«
Aller à terre! » s'écria le capitaine. « Pourquoi? Il vous fau¬
dra trois heures pour y arriver dans votre canot. »
Me Coy mesura des yeux la distance, et s'inclina.
«
Oui, il est maintenant six heures. Je n'aborderai pas avant
neuf. La population ne sera pas assemblée avant dix. Comme la
brise fraîchit à la nuit, vous pouvez commencer à manœuvrer
dans cette prévision, et vous me prendrez au point du jour de¬
main matin. »
«
Au nom delà raison et du sens commun », éclata le capitaine,
qu'avez-vous besoin de convoquer la population? Ne compre¬
pas que mon navire brûle sous moi ? »
Me Coy était aussi placide qu'une mer d'été, et l'emportement
de l'autre ne produisit pas en lui la plus légère émotion.
« Oui, capitaine, » roucoula-t-il de sa voix de colombe,
«je
me rends compte que votre navire est en combustion, et c'est
pourquoi je vais avec vous à Mangareva. Mais je dois obtenir la
permission d'y aller. Telle est notre coutume. C'est une affaire
importante quand le Gouverneur quitte l'île. Les intérêts du peu¬
ple sont en jeu, de sorte qu'ils ont le droit d'accorder l'autori¬
sation ou de la refuser. Mais ils l'accorderont, je le sais. »
«
nez-vous
«
En êtes-vous sûr? »
«
Tout à fait sûr. »
«
Alors, puisque vous savez qu'elle sera accordée, à quoi bon
mettre en peine de la demander? Songez au retard; une nuit
vous
entière ! »
«
C'est notre règlement, » fut la réponse imperturbable.
«
D'ailleurs, je suis le Gouverneur et je dois prendre des me¬
l'administration de l'île durant mon absence. »
Mais c'est seulement un voyage de vingt-quatre heures, d'ici
sures pour
«
à Mangareva, » objecta le capitaine. « Supposez qu'il vous faille
six fois autant pour revenir au vent ; cela amènerait votre retour
à-la fin de la semaine. »
Me Coy esquissa un franc et bienveillant sourire.
«
Très peu de -navires viennent à Pitcairn, et ceux qui le font
-
—
190
—
partent habituellement de San Francisco ou ont doublé le cap
Horn. J'aurai de la chance si je suis de retour dans six mois. Je
puis être éloigné un an, et même être forcé d'aller à San Francisco
pour trouver un navire qui veuille me ramener. Mon père laissa
une fois Pitcairn
pour une absence de trois mois, et deux ans se
passèrent avant qu'il revînt. D'ailleurs vous êtes à court de pro¬
visions. Si vous avez à prendre les embarcations, et que le temps
se fasse
mauvais, vous pouvez être de longs jours avant d'attein¬
dre la terre. Je vous amèneraQdeux canots de vivres demain ma¬
tin. Des bananes desséchées seront le mieux. Voilà la brise
qui
fraîchit. Mettez-vous en mouvement avec elle. Plus tôt vous au¬
rez
fait, plus important sera le chargement que je vous porterai.
Au revoir. »
11 tendit la main. Le capitaine la serra et la retint. 11 semblait
s'y accrocher comme un matelot qui se noie s'accroche aune
bouée de sauvetage.
« Comment
saurai-je que vous revenez demain matin? » demanda-t-il.
«
en
Oui, c'est cela, » cria le maître. «Qui nous dit qu'il ne nous
donne pas à garder pour pouvoir mettre sa
peau à l'abri? »
Me Coy, sans ouvrir la bouche, les regarda
avec douceur et
bonté, et il leur sembla recevoir une assurance imposante de
cette âme loyale.
Le capitaine abandonna sa main, et après un dernier et clair
regard dont le réconfort embrassa tout l'équipage, Me Coy en¬
jamba la lisse et descendit dans son canot.
Le vent fraîchit et le Pyrénées, en dépit de la saleté de sa carè¬
parcourut une demi-douzaine de milles contre le courant
d'ouest. Au petit jour, ayant Pitcairn à trois milles au vent,
ne,
le
capitaine Davenport aperçut deux canots qui s'approchaient. Une
seconde fois, Me Coy grimpa à bord et se laissa tomber de la lisse
sur le
pont brûlant. 11 fut suivi de plusieurs paquets de bananes
desséchées, chaque paquet enveloppé de feuilles sèches.
« Maintenant,
capitaine », dit-il, « faites éviter les vergues et
poussez vivement, pour sauver de précieuses existences. Voyezvous, je ne suis pas navigateur, » expliqua-t-il quelques minutes
après, en s'asseyant derrière le capitaine qui promenait son re¬
gard du haut en bas de la mâture au plat-bord et évaluait la vi¬
tesse du Pyrénées. « Vous avez à gagner Mangareva. Quand vous
aurez reconnu la terre, alors
je vous piloterai. Combien filonsnous,
à votre estime ? »
Société des Études Océani
i
\
—
191
—
Onze », répondit le capitaine Davenport, avec
regard sur l'eau courant en arrière.
«
«
Onze. S'il se maintient à cette allure, nous
un
dernier
signalerons Man-
gareva entre huit et neuf heures demain matin. J'aurai échoué le
bateau vers dix ou onze au plus tard. Et^lors vos
auront
peines
pris fin. »
Il sembla presque au capitaine que ce bienheureux moment
était déjà arrivé, tant était persuasive
conviction
la
de Me Coy.
donné ce terrible effort de diriger
son navire en feu
pendant plus de deux semaines, et il commen¬
çait à éprouver qu'il en avait fait assez.
Une plus forte risée du vent lui passa derrière le cou et siffla
à ses oreilles. 11 en évalua la vigueur et
regarda vivement par
Le capitaine Davenport avait
dessus bord.
« Le vent est le
principal », annonçait-il. « La vieille barque
donne à l'heure actuelle plutôt douze que onze. Si cela continue,
gagnerons la terre cette nuit. »
Toute la journée le Pyrénées, portant son chargement embra¬
nous
sé, fendit la mer moutonnante. A la tombée de la nuit, les voiles
de cacatois et de perroquet furent rentrées, et il continua à
glis¬
ser dans l'obscurité, avec de
grandes vagues écumantes mugis¬
sant après lui. Les vents propices avaient accompli leur effet, et
de l'avant à l'arrière une visible animation se produisait. Au se¬
cond petit quart, une âme insouciante commença un chant, et
quand la cloche frappa les huit coups tout l'équipage avait en¬
tonné un chœur.
Le capitaine Davenport avait monté ses couvertures et les éten¬
dit au-dessus de la chambre.
J'ai perdu la notion du sommeil », expliqua-t-il à Me Coy.
je tombe littéralement. Mais appelez-moi dès qu'il vous paraî¬
«
«
tra nécessaire. »
A trois heures du matin il fut réveillé par une légère traction
du bras. Il
se dressa vivement, s'étirant sous la clarté du ciel,
engourdi de son lourd sommeil. Le vent lançait son chant
de guerre dans le gréement, et une mer démontée battait contre
le Pyrénées. Par le travers, le vaisseau roulait bord sur bord,
inondant le plus souvent la coursive. Me Coy criait quelque chose
que le capitaine ne pouvait pas entendre. Celui-ci s'approcha,
saisit l'autre par l'épaule et le tira près de lui de façon que son
oreille fût tout près des lèvres qui lui parlaient.
« Il est trois heures », fit entendre la voix de
McCoy, conserencore
192
—
vant son roucoulement, mais
—
étrangement assourdie, comme si
elle venait de très loin.
«
nous allons nous mettre
courir,
dessus, et nous serons perdus aussi bien
Nous avons parcouru deux cent cin¬
quante milles. L'île Crescent n'est qu'à trente milles, quelque
part
là-bas devant. 11 n'y a pas de feux. Si vous continuez à
que le bateau. »
«
-
'
Que pensez-vous ? Mettre en panne ? »
Oui, mettre en panne jusqu'au jour. Cela ne nous retardera
que de quatre heures. »
Ainsi le Pyrénées, avec son
«
chargement de feu, se trouvait en
panne, résistant aux morsures de la tempête, luttant contre les
vagues et les brisant en poussière. C'était un obus, portant une
conflagration, et à la surface de cet obus, dans une position pré¬
caire, de frêles atomes d'humanité, tirant et hâlant, l'assistaient
dans sa lutte.
C'est tout-à-fait extraordinaire, cette
tempête, » dit Me Coy
capitaine, sous le vent de la cabine. « En bonne règle, cela ne
devrait pas se produire à cette
époque de l'année. Mais pour ce
qui "est du temps, tout est anormal. Les vents sont tombés et
«
au
maintenant c'est un hurlement bien en dehors de la
région du
dans l'obscurité, comme si sa vue arri¬
vait à percer à des centaines dé milles. « C'est bien dans
l'ouest.
Il se passe là-bas quelque chose de
sérieux, un ouragan ou tout
vent. » Il agita la main
comme.
Nous
sommes
heureux d'être si loin dans l'est. Nous
n'en éprouverons
ne
qu'un faible contre-coup, » ajouta-t-il. « Cela
durera pas. Je puis vous le dire hardiment. »
Au jour, la tempête était calmée. Mais le
veau
jour révéla un nou¬
danger. Il faisait sombre. La mer était couverte d'un brouil¬
lard, ou mieux d'une brume nacrée qui avait la densité du brouil¬
lard, au point de mettre obstacle à la vue, mais qui n'était qu'une
pellicule sur la mer, car le soleil la traversait et la remplissait
d'un ardent rayonnement.
Le pont du Pyrénées donnait plus de fumée
que la veille ; l'allé¬
gresse des officiers et de l'équipage s'était évanouie. Sous le vent
de la cuisine, on entendait pleurnicher le
garçon de cabine. C'é¬
tait son premier voyage et la crainte de la mort avait envahi
son
cœur. Le capitaine errait çà et là comme une âme en
peine, mor¬
dillant nerveusement sa moustache, les sourcils
froncés, inca¬
pable de prendre une décision.
«Que pensez-vous?» demanda-t-il, s'arrêtant à côté de Me
Coy qui déjeûnait de bananes desséchées et d'un gobelet d'eau.
—
193
—
Mc Coy acheva la dernière banane, vida, le gobelet et regarda
lentement autour de lui. Dans ses yeux était un sourire de cor¬
dialité quand il dit :
« Eh bien, capitaine, nous pourrions aussi bien marcher que
brûler. Vos ponts ne vont pas tenir indéfiniment. Ils sont plus
chauds ce matin. N'avez-vous pas une paire de
souliers que je
puisse chausser ? Cela devient incommode pour mes pieds nus. »
Le Pyrénées embarqua deux grosses vagues tandis qu'il évitait
au large et portait une fois de plus en avant ; le premier maître
exprima le désir d'avoir toute cette eau dans la cale, si seulement
on pouvait l'y introduire sans ouvrir les écoutilles. Mc Coy se
pencha vers l'habitacle et observa la route établie.
« Je l'aurais relevé un peu plus, capitaine, » dit-il, « il a
pas
mal dérivé pendant la panne. »
« Je l'ai déjà mis un point au-dessus, » fut la réponse. « N'estce pas assez ? »
« J'aurais mis deux points, capitaine. Ce bout de coup de vent
a aidé le courant d'ouest beaucoup plus que vous ne
l'imaginez. »
Le capitaine Davenport consentit à un point et demi, et monta
dans les hunes, accompagné par Mc Coy et le premier maître,
pour tâcher de découvrir la terre. La voilure avait été établie, de
sorte que le Pyrénées faisait dix nœuds. La vague qui suivit s'af¬
faissa rapidement. Le brouillard perlé ne s'éclaircissait pas, et
vers dix heures le capitaine Davenport devint nerveux.
Toutes les mains étaient à leur poste, prêtes, au premier signal
d'une terre à l'avant, à s'atteler comme des démons à la tâche
de faire monter le Pyrénées au vent.Cette terre à l'avant, avec un
récif aux brisants à fleur d'eau, serait dangereusement proche
quand elle se montrerait dans une pareille brume.
Une autre heure s'écoula. Dans les hunes, les trois guetteurs
regardaient fixement dans le rayonnement nacré.
« Que faire si nous avons passé Mangareva? » demanda brus¬
quement le capitaine Davenport.
Mc Coy, sans interrompre sa surveillance, répondit avec dou¬
ceur :
Dame, laissez courir, capitaine. C'est tout ce qu'on peut fai¬
«
re.
Tous les Tuamotu sont devant nous. Nous pouvons aller sur
un
millier de milles à travers les récifs et les atolls. Il nous fau¬
dra bien échouer quelque
«
part. »
Alors laissons courir. » Le capitaine Davenport montra l'in¬
tention de descendre sur le pont. « Nous avons passé Manga-
—
194
—
rêva. Dieu sait où est la terre la plus rapprochée,
je vois quê
j'aurais dû mettre cet autre demi-point, » avoua-t-il un moment
après. « Ce maudit courant, c'est le diable pour un navigateur. »
« Les
navigateurs d'autrefois ont appelé les Tuamotu Y Archi¬
pel dangereux », dit Me Coy, quand ils eurent regagné la dunettte. » Ce fort courant était pour quelque chose
dans cette déno¬
mination. »
« Je causais avec un marin à
Sydney, une fois, » dit M. Konig, « il avait tait le commerce dans les Tuamotu. Il me dit que
les assurances étaient de dix-huit pour cent. Est-ce vrai ? » •
Me Coy sourit et s'inclina.
« Sauf qu'on ne s'assure
pas, » expliqua-t-il. « Les armateurs
mettent en réserve vingt pour cent du coût de leurs
goélettes
chaque année. »
« Mon Dieu, »
gémit le capitaine Davenport, « cela porte la
vie d'une goélette seulement à cinq ans. » Il hocha tristement
la tête, en murmurant: «Mauvaises mers; mauvaises mers. »
Ils allèrent de nouveau dans la cabine pour consulter la
grande
carte générale, mais les vapeurs empoisonnées les
repoussèrent,
toussant et haletant, sur le pont.
« Voici l'île Moerenhout. » Le
capitaine Davenport la montra
sur la carte qu'il avait étendue sur le
plancher. « Elle ne peut
pas être à plus de cent milles sous le vent. »
« Cent dix. » Me Coy secoua la tête avec doute. «On
pourrait
essayer, mais c'est très difficile. Je pourrais échouer le navire,
comme je pourrais aussi le mettre sur le récif. Mauvais
endroit,
très mauvais endroit.
«
»
Nous allons courir la chance, » décida le capitaine
Daven¬
port, en se mettant en route dans cette direction.
La voilure fut diminuée de bonne heure dans l'après-midi,
pour
éviter de dépasser l'île pendant la nuit, et au second petit
quart
l'équipage montra un renouveau de gaieté.
La terre était si proche, leurs peines seraient dissipées dans là
matinée. Le matin appa'rut clair, avec un brillant soleil
tropical.
Le vent du sud-est s'était porté à l'est, poussant le
Pyrénées sur
l'eau à une vitesse de huit nœuds. Le capitaine reprit ses
calculs,
en tenant largement compte de la
dérive, et annonça que l'île
Moerenhout n'était pas.éloignée de plus de dix milles. Le
Pyré¬
nées parcourut ces dix milles ; il en parcourut dix autres,
et les
vigies, du haut des trois mâts, ne découvrirent rien autre que
la vaste mer inondée de soleil.
Société des Études Océaniennes
—
«
195
—
Mais la terre est là, je vous dis »,• leur criait de la dunette
le capitaine Davenport.
Me Coy eut un sourire de consolation, mais le capitaine, fu¬
rieux, lui lança un regard étincelant, alla chercher son sextant et
examina le chronomètre.
\
Je savais que j'avais raison, » s'exclama-t-il, quand il eut
achevé son observation. « Vingt-un, cinquante-cinq, sud; un-'
trente-six, deux, ouest. Vous êtes là. Nous sommes encore à
huit milles au vent. Qu'y avez-vous compris, M. Konig? »
Le premier maître regarda ses propres chiffres et dit à voix
«
basse :
« Vingt-un, cinquante-cinq, parfaitement, mais ma longitudedonne un-trente-six, quarante-huit. Cela nous met considérable¬
ment sous le vent
»
Le capitaine ne cacha pas son dédain et garda un silence si mé¬
prisant que M. Konig en grinça des dents et jura violemment
dans sa barbe.
«
Tenez le large, » ordonna le capitaine au timonier ; « trois
points et ferme, comme ça. »
Puis il retourna à ses calculs, et se mit à les vérifier ; la sueur
coulait sur son visage. Il mordait sa moustache, ses lèvres et son
crayon, regardant ses chiffres comme on ferait un fantôme. Sou¬
dain, avec une violente contraction musculaire, il froissa de la
main le papier couvert de griffonnages et le piétina. M. Konig,
vindicatif, ricana et s'éloigna, tandis que lé capitaine, penché
contre la cabine, ne disait mot pendant une demi-heure, se bor¬
nant à regarder fixement sous le vent avec une expression de
méditation désespérée sur la figure.
Il rompit brusquement le silence. « M. Me Coy, la carte in¬
dique un groupe d'îles, mais pas leur nombre, là au large, vers
le nord ou nord-nord-ouest, sur une quarantaine de milles, les
îles ActéonfQu'est-ce que c'est? »
« Elles sont quatre, toutes basses, » répondit Me Coy. « La
première au sud-est, Maturei, est inhabitée. Un lagon isans ac¬
cès. Puis vient Tenarunga. Il y a habituellement une douzaine
d'individus, mais ils peuvent être dehors. De toutes façons il
n'existe pas de passe pour un navire : à peine pour une embar¬
cation, avec une toise d'eau. Les deux autres sont Vahapgà et
Tenararo. Pas de passes, pas d'habitants, très basses. Rien à faire
pour le Pyrénées, dans ce groupe. Il s'y perdrait totalement. »"
« Ecoutez cela ! » clama frénétiquement le capitaine Davenport.
—
«
496
—
Pas de passes, pas d'habitants ! Au diable de
pareilles îles ! »
soudain, comme un terrier excité, « les car¬
tes présentent tout un fouillis d'îles au
large, dans le nord-ouest.
Qu'est-ce que c'est? Y a-t-il dans le tas une
passe où je puisse
«
Bon ! » hurla-t-il
faire entrer mon navire? »
Me Coy, calme, réfléchissait. Il ne recourut
cela: îles,
pas à la carte. Tout
récifs, hauts-fonds, lagons, passes et distances, était
gravé sur la carte de sa mémoire. Il les connaissait comme l'ha¬
bitant d'une ville connaît ses
édifices, rues et passages.
Papakena et Vanavana sont là-bas dans l'ouest ou l'ouestnord-ouest, à cent et quelques milles, » dit-il. « L'une est inha¬
bitée, et j'ai ouï dire que les gens de l'autre sont partis pour l'île
Cadmus. D'ailleurs les lagons n'ont
pas de passe. Une autre,
Ahunui, est à cent milles vers le nord-ouest. Ni passe ni habi¬
«
tants. »
« Bien. A
quarante millesplusloin sont deuxîles? »demanda
le capitaine, relevant sa tête de la carte.
Me Coy secoua la tête.
« Paraoa et
Manuhangi. Ni passes, ni habitants. Nengo-Nengo est à quarante milles au-delà, en retrait, inhabitée et sans
accès. Mais nous avons l'île Hao. C'est bien
l'endroit. Le lagon
a trente milles de
long et cinq de large. Il y réside pas mal de
monde. Vous y trouverez de l'eau suffisamment.
Tous les navi¬
res peuvent franchir l'entrée. »
II se tut et regarda avec sollicitude le
capitaine Davenport, qui,
penché sur la carte avec une paire de compas à la main, venait
d'émettre un sourd grognement.
« N'y a-t-il
pas de lagon ayant une passe quelque part plus
proche que l'île Hao? » demanda-t-il ?
« Non,
capitaine, c'est le plus rapproché. »
« Bien. Gela fait trois cent
quarante milles. » Le capitaine par¬
lait très lentement, avec décision. «
Je ne voudrais pas me ren¬
dre responsable du risque à courir
pour toutes ces existences.
Je vais mettre.le navire au plein sur les Actéons. C'est un bon
bateau, pourtant, » ajouta-t-il avec regret, après avoir modifié
la direction, tenant
plus compte que jamais cette fois du courant
d'ouest.
(A suivre.)
—
Société des Études Océaniennes
ESQUISSE CHRONOLOGIQUE DE L'HISTOIRE
DE TAHITI ET DES ILES DE
LA SOCIÉTÉ
Par A. LEVERD.
Tautira ra o Tahuareva
O te rua te mata'i taua
Fatutira i te tai paa'ina,
O Murihau ana'e ta'u e ta'i.
Hiti a'e te maliana i te tara o Maire
E moua teitei
o
te râtâ.
Oti'oti hia e te tere te ra'au rii e.
Feufeu hia'e Orofend tu na,
Vair a'a mata'i oro'a
Te liiri o'o nei te pahi o Fatutira.
Tahiti nui mare'are'a,
Ua rau te oto o te mânû e.
Ancien chant de Teieie.
PRÉFACE
L'histoire de Tahiti et des Iles de la Société, depuis les origines,
n'a jamais été écrite ; non pas que la
matière ait manqué, mais
labyrinthe des
faute d'un fil d'Ariane pour se reconnaître dans le
traditions indigènes.
l'écriture, n'avait
passés
que la tradition orale. Mais cette tradition se faisait avec un tel
soin, ainsi qu'il sera expliqué, qu'elle a une valeur tout au moins
comparable aux écrits, souvent faits après coup, de l'Egyte ou
L'indigène, en effet, qui ne connaissait pas
d'autre moyen de conserver le souvenir des événements
du Moyen-âge.
Une autre difficulté, et non des moindres, consistait à trouver
L'indigène de race ma¬
orie, en général, n'a pas de chronologie. Il se borne à dire que
tel ou tel fait s'est passé alors que tel ou tel personnage vivait.
Pourtant la difficulté n'était pas insoluble, et Fornander, un
l'ordre chronologique des faits connus.
s'est servi des généalogies conservées avec tant
établir une
chronologie remontant fort haut. D'autres l'ont suivi dans cette
voie etaujourd'hui les grands faits de l'histoire polynésienne ont
des premiers,
de précision et un soin jaloux par les indigènes, pour
—
tous
198
—
date approximative
qui ne peut donner un écart de
plus de cinquante ans, ce qui est suffisant.
une
Nous nous expliquerons ailleurs
plus longuement sur ce point
dans le chapitre
préliminaire de la
présente esquisse.
Ainsi, l'histoire de la Polynésie a été sérieusement
ébauchée et
celle de
quelques grands archipels, tels que les Iles Hawai'i ou
Sandwich et la Nouvelle-Zélande, est
connue que
aujourd'hui presque aussi
celle de France ou d'Angleterre.
Il ne convient pas
que l'on puisse faire aux Français le
reproche
de n'avoir pas fait œuvre
analogue pour les îles qui sont sous
leur égide, et c'est ce
qui nous incite, quelques faibles que soient
nos moyens, à tenter cette
esquisse d'histoire que personne ne
semble vouloir
entreprendre.
Les ILES de la Société ont leurs
traditions très étendues. Quel¬
ques personnes les détiennent et ne les ont
pas ou peu publiées.
Nous en avons nous-même
recueilli une assez
grande quantité
et, consultant ce qui a été écrit et ce
qu'on nous a obligeamment
prêté, nous avons appliqué au tout la méthode dont il a été
parlé.
essai, mais nous espérons fermement
que la publication prochaine de documents
de valeur, attendue
depuis longtemps, confirmera et complétera nos
Ce n'est encore
qu'un
les critiques que ce travail
des erreurs qui s'y seront
données, et que
soulèvera permettront la rectification
glissées.
Nous nous faisons un
plaisir de dire ici ce que nous devons
à Monsieur Tati Salmon
qui nous a communiqué des documents
précieux, en nous permettant de les utiliser,
et qui a revu et
corrigé notre manuscrit, et à Miss Teuira
Henry
qui a publié un
certain nombre d'articles
épars dans des revues, et dans
lesquels
nous avons souvent
puisé. Nous dirons plus exactement, dans
le chapitre
préliminaire, ce que nous leur devons.
Ces renseignements ont été
pris pour la plupart aux meilleures
sources et alors que le
passé était encore bien connu des Tahitiens.
A part ces sources et les traditions
recueillies directement de
vieux indigènes, nous n'avons
presque rien emprunté aux nom¬
breux, très nombreux auteurs qui ont écrit sur Tahiti.
Le peu de traditions
par eux publiées sont pour la
plupart
traduites et paraphrasées d'une
façon tellement défectueuse, que
nous eussions été induits en
erreur en nous basant
sur elles. Ce
qui a été écrit peut servir à la reconstitution de
l'ancienne vie
tahitienne, mais non à l'histoire de ces îles. La raison
en est
que
presque tous ces auteurs ne connaissaient
pas la langue indigène,
—
■
499
—
Ayant une connaissance relative de cette langue et notamment
des termes anciens, nous avons pensé que nous pouvions entre¬
prendre ce travail. Cela a été pour nous un plaisir et nous es¬
pérons qu'il pourra être utile en même temps qu'instructif. S'il
est en ainsi, nous aurons atteint notre but.
CHAPITRE
PRÉLIMINAIRE
Valeur des Légendes. — Nous avons
trouvait éparse dans
ou
dit que la matière se
les nombreuses traditions indigènes plus
moins historiques ou fabuleuses qui ont pu être
recueillies.
Celles-ci forment une masse imposante à laquelle il convenait
d'appliquer une méthode scientifique de critique et de comparai¬
son entre elles et avec celles des autres îles pour en tirer les faits
plausibles.
/
Ce serait une erreur de croire que toutes ces légendes indigènes
ne constituent qu'un fatras de faits fabuleux, Elles en contiennent
certes et d'autant plus qu'elles sont plus anciennes, mais elles
n'en contiennent pas plus que les légendes hébraïques par exem¬
ple, auxquelles on ne déniera pourtant pas une grande valeur
historique, ou même que l'histoire grecque ou romaine à ses
origines et jusqu'à une époque assez avancée.
Qu'elles soient la relation de faits historiques pour la plupart,
nous n'en
pouvons douter, et le fait qu'elles
aient été transmises
oralement n'en diminue pas beaucoup la valeur, dans
le cas par¬
polynésiennes, pour la raison que cette
transmission se faisait avec un soin jaloux.
Chacun sait en effet que, chez les Polynésiens, les traditions
de famille étaient transmises de père en fils sous forme de ré¬
citatifs en termes sacramentels auxquels il ne pouvait être changé
un mot. A Tahiti, par exemple, les tahiïa haere po ou tahula
oripo étaient spécialement chargés de conserver les traditions
nationales. Ils commençaient très jeunes à les apprendre, les réci¬
taient dans les grandes occasions devant une audience composée
souvent de clans plus ou moins jaloux de les contredire et, s'ils
se trompaient, cette faute était considérée comme de très mau¬
vais augure et pouvait entraîner, pour eux-mêmes et pour la
tribu, les plus graves conséquences.
ticulier des légendes
siècles de séparation, les
Polynésie aient
conservé, presque dans tous leurs détails, de longues et très an¬
ciennes traditions telles que celle de Maui qui vécut il y a quel¬
que 19 siècles, au début de l'ère chrétienne, ou celle de Tafa'i
Ainsi s'explique-t-on, qu'après des
habitants des divers archipels très éloignés de la
—
200
—
qui vécut il y a environ 48 générations, soit vers l'an 700 en
admettant 25 années par génération.
Une autre illustration de la valeur de ces traditions
nous est
donnée par la facilité relative avec
laquelle les historiens néozélandais ont retrouvé les traces des ancêtres des
Maoris, venus
vers 1350 de Tahiti et Ra'i-atea. Les noms des
canots, de leurs
chefs, sont les mêmes en Nouvelle-Zélande et au
point de dé¬
part, et les généalogies des deux branches s'accordent à
assigner
le même rang
chronologique aux personnages qui sont cités à
ce
propos. D'ailleurs, le départ entre les faits fabuleux et les faits
historiques est relativement aisé dans la plupart des versions.
Comme il est naturel, les plus anciennes sont celles
dont l'inter¬
prétation est la plus difficile.
Nous n'insisterons pas
plus longuement sur ce point et nous
bornerons à renvoyer à l'autorité de Fornander et de M.
S. P.
Smith qui, l'un dans son
"Polynesian Race", et l'autre dans son
"Hawaiki, the original Home of the Maori", traitent longuement
et excellemment de la
question.
Chronologie. — Nous ne pouvons encore, pour ce qui est
de la chronologie basée sur les
généalogies, que renvoyer à ces
auteurs, et tout particulièrement à M. S. Percy
Smith dont le
livre peut être obtenu aisément. Il
y traite de la question tout
long et montre péremptoirement comment il a pu fixer les
principales dates de l'histoire de la Polynésie. Son ouvrage nous
sera d'un
grand secours et nous serons contraint d'y faire de
nombreux emprunts (1). M. S. P. Smith, membre
de la "Royal
Geographical Society" de Londres, est Président de la "Polyne¬
sian Society" de New Plymouth et l'une des meilleures
autorités
sur la
Polynésie.
au
Si
les traditions polynésienne ne
peuvent être assignées aux
périodes auxquelles elles se rapportent en fait, elles ne serviront
« jamais à l'histoire. Les
Polynésiens n'ont eux-mêmes aucune
« idée du
temps et se bornent à déclarer que tel ou tel événe« ment est arrivé il
y a longtemps, ou il y a très longtemps, ou
« encore au
temps de tel ancêtre. Si nous voulons arriver à des
« dates de l'histoire
polynésienne, nous devons nous servir des
«
généalogies, et quand nous trouvons que celles conservées
«
«
(1) S. Percy Smith F.R.G.S. " Hawaiki, The original Home of the
Maori", 223 pp. ill., 3e édit., 5 sh., Wellington, Whitcombe & Tombs
Ltd., Lambton Quay.
201
—
par différentes branches de la race, séparées parfois depuis
plus de 500 ans, s'accordent approximativement, nous devons
« reconnaître qu'elles ont un poids inattendu. ».
« Sans doute les lecteurs de ce journal ("Journal of the Polynè« sian Society") s'étonnent du grand nombre de tables généalo«
«
giques publiées et de l'espace employé ; mais pour arriver aux
dates, elles sont nécessaires. Aussi peu intéressantes qu'elles
« soient pour le lecteur ordinaire, il est essentiel qu'on s'en
« occupe et que des comparaisons soient faites. »
Le nombre d'années généralement adopté aujourd'hui pour
une génération est de 25. Fornander avait adopté le chiffre
européen de 30 ans fourni par la généalogie des rois d'Angleterre,
mais les historiens récents les plus éminents de la Polynésie ont
adopté le chiffre de 25 qui semble plus près de la réalité pour
la race qui nous intéresse.
Un exemple typique du résultat auquel on peut atteindre par
ce moyen se trouve dans la fixation de la date de la grande
immigration néo-zélandaise appelée heke et qui s'est produite il
y a 21 ou 22 générations avant 1900, soit vers 1350. L'on arrive
à cette date en prenant la moyenne d'une cinquantaine de tables
remontant à ceux qui étaient venus avec la "flotte". Ces tables ne
s'écartent guère de plus de 4 ou 3 générations pour une si lon¬
gue période.
Un autre exemple, nous citons toujours plus ou moins M. S.
P. Smith, réside dans la fixation de l'époque à laquelle ont vécu
le fameux navigateur Hiro ( Whiro en Nouvelle-Zélande, Iro à
Rarotoga) et Hua son contemporain :
lies Hawai'i (de Hua)
25 générations.
Ra'i-atea(deHiro)
23
—
Rarotoga (de Iro)
26
—
Nouvelle-Zélande (de Whiro et Hua)
26
—
Celle de Ra'i-atea est celle des rois de cette île descendant de
Hiro, contrôlée par le Gouvernement français, et elle semble offrir
un écart assez considérable ; mais nous avons personnellement
découvert qu'elle est erronée. Nous avons une autre généalogie
très longue, celle des Tefaaora de Porapora, prise à fort bonne
source à Porapora, qui comprend Hiro et donne 23 générations
de Hiro à 1900. M. Tati Salmon nous en a communiqué une autre
de la branche aînée des Tefaaora qui donne également 25 géné¬
rations de Hiro. La moyenne est donc 25-26, soit entre 1250 et
«
«
1275.
1
ï
—
202
—
Remontant un peu plus haut, nous fixons tout aussi aisément
la date approximative d'autres
personnages importants dans L'his¬
toire de Tahiti : Tu-Te-Oropa'a-Maeha'a et sa femme
Ru'utia,
bien connus aussi aux lies Hawaii d'où ils étaient venus se fixer
à Tahiti :
Tahiti (deTu-terOropa'a)
Nouvelle-Zélande
28 générations.
(Tu-ïe-Koropanga et Ru-
kutia
Iles Hawaii (Olopana et sa femme
Lu'ukia).
et
27
—
26
—
28
—
La moyenne est de 27 générations avant
1900 ou vers 1225.
Il y a ainsi de nombreux cas où l'accord est aussi
frappant et
-
même pour des personnages plus anciens. Nous nous conten¬
terons de renvoyer au livre de M. S. P. Smith
pour tous autres
détails sur la fixation des dates et nous adopterons ces
dates
toutes les fois qu'elles ne seront
pas contredites formellement
par nos généalogies locales. Enfin, nous fixerons autant que
possible la date des personnages saillants de l'histoire de ces îles
par ces généalogies locales.
Nous ne saurions trop encourager ceux qui
voudront com¬
pléter ou corriger cette esquisse d'histoire ou faire celle des autres
archipels des Etablissements français de l'Océanie, à recueillir
des généalogies et à les comparer, sur les bases
indiquées, avec
nos dates.
Traditions de Rarotoga. — M. S.
Percy Smith, pour son
esquisse d'histoire de la Polynésie, s'est principalement basé sur
les généalogies et les traditions de
Rarotoga. Ce sont, en effet,
les plus précises, les plus complètes et les
plus dépourvues de
merveilleux. Or, les communications entre Tahiti et
Rarotoga
étaient jadis fréquentes et nombre de
personnages célèbres ont
été d'un archipel à l'autre. Souvent, les
légendes de Rarotoga
parlent longuement de faits qui se sont passés à Tahiti ou à
Ra'i-atea, et ce, d'une façon souvent plus précise et plus complète
que les légendes tahitiennes. Nous aurons donc à nous en servir
souvent pour la première
partie de ce travail qui s'étend des
origines à l'an 1350, époque du beke.
Traditions tahitiennes.
—
Les
principales sources aux¬
quelles nous avons pu puiser sont :
A) Pour la période antérieure à l'arrivée des Européens :
10
L'ouvrage non publié intitulé " The Memoirs or Ari'itaimai "
.
qui nous a été prêté si obligeamment par M. Tati Salmon, lequel
nous a permis de nous en servir.
2° L'article intitulé " On ari'i of Tahiti",
par M. Tati Salmon,
paru dans le " Journal of the Polynesian Society", vol. XXIV,
P- 39-
3° Une brochure non publiée et intitulée " The History of the
Island ofBorabora and genealogy of marae Vaiotaha", par M. Tati
Salmon.
4° Les différents articles publiés par la regrettée Miss Teuira
Henry dans le " Journal of the Polynesian Society ", d'après des
renseignements recueillis par le Missionnaire Orsmond, au début
du XlXme siècle :
Genealogy of the Pomare family of Tahiti, V. II, p. 26.
Birth of New Lands, V. Ill, p. 136.
Legend of Hono'ura, V. IV, p. 256.
More on ari'i of Tahiti, V. XX, p. 5.
The oldest great Tahitian maraes
and the last one built in
Tahiti, V. XXII, p. 25.
Et enfin tout ce qui, dans la masse assez considérable de ma¬
tériaux recueillis par nous, pouvait servir notre but historique.
Ces matériaux ont été recueillis de la bouche de vieux indigènes
de Tahiti, Ra'i-atea, Porapora, Maupiti, des Pa'umotu, (Tuamotu) ou de cahiers manuscrits indigènes.
B) Pour la période postérieure à la découverte de l'île :
Les "Memoirs of Ari'itaimai", les relations des différents navi¬
gateurs : Cook, Bougainville, Wallis, des Pasteurs, de Moerenhout, etc., et la brochure intitulée : "E parau no Mahine",
Londres 1847.
Vérification.
Enfin, nous avons soumis le manuscrit de
la présente étude à M. Tati Salmon qui a eu l'obligeance de
l'annoter, et nous avons, chaque fois qu'elles nous ont paru jus¬
tes, tenu compte de ses observations.
Comme nous nous proposons, par la suite d'étendre et de
corriger le présent ouvrage, nous invitons toutes les personnes
compétentes à nous présenter directement leurs remarques dont
il sera également tenu compte.
Avertissement.
Nous avons, autant que possible, rétabli
l'orthographe indigène des noms propres plus ou moins estropiés
par les différents auteurs.
Il y a lieu de noter que les Tahitiens, à une époque difficile à
—
—
—
204 —
fixer, mais certainement postérieure à l'an 1400, ont supprimé
tous les «k» et «g». Ces lettres sont remplacées dans la
pro¬
nonciation par ce que l'on appelle" l'explosive", que les
indigènes
font toujours entendre, et qui s'emploie aussi dans les autres
archipels de la Polynésie pour remplacer les lettres supprimées,
par exemple aux Iles Cook le « h » et le « f », et aux Marquises
le « r ».
Cette explosive consiste en une forte expiration
portant sur la
voyelle qui suit la lettre supprimée.
Il est d'usage à Tahiti de l'indiquer par une
virgule renversée,
ainsi placée : malo pour mago, requin
; Ta'ihia pour Tagihia, à
Rarotoga : Tagi'ia.
Nous avons dit que la suppression du « k » et du
«g» à Tahi¬
ti était certainement postérieure à l'an 1400 et nous allons cher¬
cher àl établir.
Tout d'abord, en règle générale, les suppressions et substitu¬
tions dé lettres dans les différents archipels sont assez récentes.
Aux Iles Hawai'i, le changement du «t» en «k» s'est
produit au
suppression de l'«r»aux Marquises n'est
pas encore complète. Ces changements ont surtout dû se pro¬
duire, après la cessation dés communications fréquentes entre
archipels, c'est-à-dire après l'an 1400.
Lorsque, vers l'an 1350, un certain nombre de grands canots
composant le beke partirent de Tahiti et Ra'i-atea pour se rendre
en Nouvelle-Zélande (l'une des dernières
grandes migrations), ces
lettres n'étaient pas encore supprimées, car les tribus
qui des-,
cendentdes envahisseurs les ont toujours et ont appliqué nom¬
bre de noms propres des ILES de la Société à des endroits de leur
nouveau pays, en conservant à ces noms leur ancienne forme.
Pour n'en citer qu'un exemple, ils ont donné au Mont Cook le
nom d'Aorangi, d'après l'Aora'i
de Tahiti. Ces Maoris ont aussi
retenu le nom de Ra'i-atea, sous la forme
Rangiatea, de même
que les habitants de Rarotoga.
D'autre part, comme il convient d'adopter une orthographe
unique pour les mots polynésiens, nous emploierons le « g »
seul sans «n» précédent, comme c'est l'usage aux Toga, aux
Samoa et aux Pa'umotu (Tuamotu) et contrairement à ce qui se
fait à Rarotoga, étant entendu que le «g» polynésien a
toujours
le son de «ng» et qu'il n'y a pas de consonne double en
Poly¬
siècle dernier et la
nésien.
Enfin, il est aussi entendu que les dates données sont approxi¬
matives jusqu'à l'arrivée des Européens, mais que l'écart ne peut
—
205
guère dépasser 50 ans pour la période postérieure à Tan 1000.
Elles seront indiquées comme suit: Hiro
(circa 1275).
CHAPITRE 1er
Les
origines. — Il n'y a point lieu ici de s'étendre longue¬
origines de la race polynésienne, Cette question a
ment sur les
été abondamment traitée en de
multiples ouvrages et il est aujour¬
d'hui acquis que la théorie de
l'origine asiatique de Horatio Hale
et de de
Quatrefages est la seule admissible et
qu'elle coïncide
traditions indigènes. La question, au
reste, est magistralement traitée dans l'ouvrage déjà cité de M.
en
tous points avec les
S. P. Smith.
Personne, en présence des affirmations si précises et si con¬
cordantes des indigènes e^x-mêmes,
n'osera plus soutenir l'ori¬
gine américaine des Polynésiens et encore moins leur origine
néo-zélandaise, comme l'a fait le seul Dr Lesson, en contradiction
formelle avec les Maoris eux-mêmes.
Nous
ne
chercherons
pas davantage ici à discuter l'origine
ethnique de la race qui nous intéresse. Les controverses sont
nombreuses sur ce point et l'on peut dire de la
question : adhuc
sub judice lis est.
Nous allons avoir, pour toute cette
période primitive'et jusque
vers l'an
850, à procéder presque uniquement d'après les données
fournies par M. S. P. Smith, qui lui-même a mis au
point la mé¬
thode de Fornander.
Comme nous l'avons vu, Fornander est le
premier qui s'est
servi des traditions indigènes
pour l'histoire des migrations poly¬
nésiennes et il est arrivé aux mêmes conclusions
que de Qua¬
trefages.
sjècle avant J. C. — A l'époque, où les Polynésiens occu¬
paient encore les grandes îles de la Malaisie, en une contrée que
les traditions rarotongieqnes
appellent Avaiki-Te-Varinga (Havaiki-Te-Variga) et vers le Ier siècle avant l'ère chrétienne, se
place le personnage fameux de MAUI, héros et demi-dieu dont
ior
les faits fabuleux sont connus de toutes les
branches de la race.
Mais il semble que MAUI ait été vraiment un homme
et que ses
exploits, dépouillés du merveilleux qui entoure naturellement
les gestes d'un personnage aussi
ancien, soient pour la plupart
réels.
Sa mère s'appelait — toutes les versions
s'accordent
sur ce
point — Uahega (Tahitien : Uahe'a) et son père est indiqué tantôt
—
206
—
comme étant ATARAGA et tantôt TAGAROA. M.
Smith, incline
était femme d'Ataraga, mais que le père
de Maui était Tagaroa. Quoi qu'il en soit, et avant de parler de
Maui, ce Tagaroa, qui avait pour femme Hina, semble avoir été
un des premiers navigateurs polynésiens qui aient exploré la
Polynésie actuelle. Il est dit qu'outre les cieux, il visita diverses
contrées ou îles appelées Ragi-Ura, Vai-Ono, Havaiki, Vairau-TeGagana, Raro-Nuku, Ragi-Make, etc., difficiles à définir et qui
pourraient bien être lés îles de l'est de la Malaisie : Célèbes,
Céram, Gilolo, etc.
A cette époque, dit encore la tradition, les Polynésiens se
nourrissaient de vari sur lequel il est donné des détails qui per¬
mettent de l'identifier avec le riz. Ce mot est encore employé à
Madagascar, où chacun sait qu'il yla eu des migrations polyné¬
siennes, pour désigner le riz. Notons à ce sujet les références
suivantes : « vari et vare en malgache : riz ; pari en javanais :
riz ; nasy en malais : riz ; pady, en malais : riz en glume. »
Ce serait au père de Hina, à Vai-Takere, que la race devrait
d'avoir connu l'arbre à pain et de l'avoir adopté comme nourri¬
ture. Tagaroa aurait rapporté le taro de Vairau-Te-Gagana et
Hina fait connaître le ihi ou mape (Inocarpus edulis). En rai¬
à croire que Uahega
son
de ces découvertes,
le riz fut abandonné. Nous avons vu
par l'article de M. le Professeur Macmillan Brown que tel n'est
pas son avis. Mais rien ne s'oppose à ce que les choses se soient
passées ainsi, et puisque les indigènes eux-mêmes nous le disent,
nous voulons
les croire.
Maui fut un bien
plus grand navigateur encore que Tagaroa,
et il semble qu'il ait visité toute la Polynésie. Les nombreux pas¬
sages des traditions où il est dit avoir péché les îles ne sont
très certainement qu'une image figurative de la découverte de
ces îles. Il
découvrit ainsi ou voyagea àMani-Hiki (Humphrey et
Reirson), Toga-Ake (le côté est des Toga), Ragi-Raro, Ragi-Uru,
Havaiki-Ruga (Iles de la Société), Vaihi (Iles Hawai'i), Gagai
(probablement Lanai du même groupe), Te-Aro-Maro-o-Pipi,
puis vers le sud, aux Marquises, dénommées Hiva-Nui, Hiva-Rahi,
Hiva-Te-Pukega, Rauao et Hiva-Kirikiri, ensuite vers l'ouest,
aux PA'UMOTU (Tuamotu), TAHITI, RAGI-ATEA (Ra'i-atea),
PORAPORA, Atiu, Magaia, Rarotoga, et, de là vers l'ouest, jus¬
qu'à Navao. C'est aussi pendant ce ou ces voyages qu'il visita
U-Peru, qui peut être le Pérou.
C'est aux Iles Hawai'i qu'il faut placer son aventure avec Mahu-
207
—
—
1
ke, la déesse du feu, dont la fille est Pere (Pele à Hawai'i) déesse
des volcans. Les traditions de Rarotoga sont formelles sur ce
point.
Ainsi, d'ores et déjà, au premier siècle avant l'ère chrétienne,
TAHITI est connu des Polynésiens, sinon encore habité.
Il semble probable (car pour cette époque reculée tout n'est
que probabilités) que ces voyages avaient été entrepris pour le
besoin de trouver de nouvelles terres, la pression des Malais
commençant à se faire sentir.
La Branche Hamoane. —(ier siècle après Jr-C.)— A cette
époque, sans doute, la branche Hamoane, c'est-à-dire la pre¬
mière migration des Polynésiens, représentée aujourd'hui par
les habitants des Samoa, des Ellice, Wallis, etc., avait atteint
la Polynésie depuis longtemps déjà et s'y était établie. Il est
possible que cet élément, qui n'a presque pas de traditions, soit
parti le premier de l'Inde et qu'il se soit établi, non seulement
aux Samoa et aux îles voisines, mais à Tahiti.
moins
qu'en
quittant la terre ancestrale, elle ait bien rencontré sur sa route
des populations mélanésiennes, mais qu'elle ne se soit pas arrê¬
Il semble que cette branche de la race soit plus pâle et
mêlée de sang mélanésien, et ce fait peut être dû à ce
tée à les combattre, passant outre vers des terres non peuplées.
Chez eux, le culte de Tàgaroa semble prédominant et la
lan¬
celles des archipels ou la branche
gue est assez différente de
Hitiane ou Tongane prédomine.
Tongane passe de Malaisie en PolynéSous la pression des Malais qui arrivent en Malaisie
La Branche
>
sic.
—
actuelle, les Polynésiens de la branche Tongane quittent pour la
plupart la Malaisie et s'avancent vers les îles du Pacifique décou¬
vertes par Maui.
^
Les Garera (Galela) restent à Gilolo ; les Motu,
Koiari, Irema,
Kirapuno, etc., au sud-est de la Nouvelle-Guinée (Henua-Kura?)
et, en passant, Hikaiana (Stewart Island) est peuplée.
Une branche, bifurquant à Taumako (Duff), descend vers les
Nouvelles-Hébrides (Nu) et réussit à occuper certaines îles, no¬
tamment Aoba et le nord d'Araga (Pentecôte), mais elle est
arrêtée par la très nombreuse population mélanésienne qu'elle
y rencontre.
Taumako, Anuta, Fataka,
population mélané¬
Le gros de lg migration, passant par
arrive aux Fidji (Hiti) où il trouve une forte
sienne.
Etudes Océaniennes
208
—
—
Période de Tu-Taragi. — Occupation
de la côte des
ln branche Hitiane. — Tu-Taragi qui vivait à
Hiti-Nui et Hamama (?) aurait conquis, selon la tradition : HitiNui (La Grande Fidji), Hiti-Rahi (La Longue Fidji), Hiti-TakaiKere, Hitia Anaunau, Toga (lies des Amis), Nuku, Haga-Ura, Kurupogi, Ara-Matietie, Mata-Te-Ra, Uea(Wallis), Vai-Rota, KatuHapai (Hâpai des Toga), Vavau (Toga), Henua-Kura (probable¬
ment Nouvelle-Guinée), Eramaga (des
Nouvelles-Hébrides). Il
est dit aussi qu'il conquit une partie de l'île de Manuka aux Sa¬
moa, mais qu'en passant de l'autre coté de l'île, il perdit Kurueke,
son principal guerrier.
Toutes ces contrées, dont beaucoup ne peuvent être encore
exactement situées, forment ce que les
Polynésiens appelaient
le Havaiki-Raro ou Sous-ïe-Vent.
Samoa par
Ces prétendues conquêtes ne sont très probablement
que les
Tu-Taragi alla guerroyer. Il est bien peu probable, en
effet, qu'il ait jamais conquis entièrement Eramaga ou Erromango des Nouvelles-Hébrides.
A cette époque de Tu-Taragi, la branche Hitiano.avait atteint
les Toga et communiqué avec Samoa où des colonies même
îles ou
avaient dû être établies.
Les
légendes rarotongiennes disent qu'en conséquence des
guerres engagées par Kuru, Tahakura et Ari, les Hitians se dis¬
persèrent vers les Iles du Havaiki-Raro, Hiti-Nui, Hiti-Rahi, HitiAnaunau, Hiti-Takai-Kere, Toga-Nui (Togatapu), Toga-Ake (est
.
desToga), Toga-Anue, Toga-Maga, Toga-Raro (ouest des Toga,'
Eua), Havaiki-Raro (ici Savai'i des Samoa), Kuporu (Upolu des
Samoa), Manuka (Manu'a des Samoa), Vavau, Niua-Pou (Niua
Fou, Boscaween), Niua-Taputapu (Keppe) et enfin vers HavaikiRuga (Tahiti et les terres.voisines).
%■
■
■
v
■
?...
Epoque de Tinirau (500). — Toujours selon les légendes
et généalogies de Rarotoga, c'est à cette
époque qu'il faut assi¬
gner le héros TINIRAU qui aurait vécu à Hiti-Takai-Kere, l'une des
Fidji, et y aurait épousé Te-Mumu-Hikuragi, fille de Tu-KaiTamanu.
Ensuite il se serait rendu à Kuporu
(Upolu des Samoa) où se
passe la scène avec Kae, un chef de Havaiki-Raro (Savai'i) dont
il est parlé dans les traditions maories et les traditions
samoa-
Là, Tinirau possédait une île du nom de Motu-Tapu. 11 est
dit qu'il était très puissant et très beau et
possédait de vastes
parcs à poisson à Kuporu où Ari avait aussi bâti sa maison dont
nes.
—
209
—
leé piliers étaient de pierre et à travers
laquelle coulait un ruis¬
seau.
Ce Tinirau est très connu dans toute la
Polynésiè. A Magaia
même il est considéré comme le dieu des
poissons, sans doute
à cause des parcs dont il a été
parlé.
Les traditions qui lui sont relatives ont aussi été
conservées
par les Tahitiens, Raiatéens et Pa'umotu
(Tuamotu); mais il
s'est produit là pour Tdnirau ce
qui s'est produit également pour
Maui : les faits qui se sont
passés, à n'en pas douter, aux Fidji
et aux Samoa, sont localisés à
Ra'i-atea, à Taha'a, à Tahiti et
même aux Pa'umotu, en des endroits
qui, à leur tour, ont reçu
les noms d'Uporu, Motu-Tapu, etc.
Ainsi
nous
Motu-Tapu à Porapora et un autre à
Uporu est le nom
poétique donné à Taha'a entière, et plus spécialemènt à un en¬
droit de cette île. Là se trouvait, selon la tradition de
Ra'i-atea,
le parc à poisson de Tinirau, à l'endroit
appelé Mata-Ohu'Ohu à
avons
un
Ra'i-atea à la pointe extrême nord de l'île.
Ha'amene.
Nous trouvons aussi une île appelée
Motu-Tapu aux Pa'umotu
(L'île Tekokota) et enfin le même nom appliqué au district de
Mahina ou Ha'apape à Tahiti et plus
spécialement à l'endroit
dénommé Oro-Fara.
Les différentes versions de la légende de Tinirau
parlent d'une
Hina qui, ayant entendu vanter la beauté du
chef, entreprit
long voyage pour l'aller rejoindre à Motu-Tapu. Comme l'his¬
toire est fort ancienne, il s'y mêle
beaucoup de merveilleux: Hi¬
na en effet se sert des divers
poissons de la mer, sujets de Tini¬
rau, pour se rendre à Motu-Tapu.
D'après la légende des Pa'umotu cette Hina s'appelle Hina-Uri,
et d'après celle de Ra'i-atea, Hina-Tu-Moana. Cette
dernière ver¬
sion est assez complète ; elle y est appelée tout au
longHina-Tuun
Moana-Te-Vahine-a-Rere-I-Nia-I-Te-Hurahura-Tai (Hina-qui-setient-sur-la-mer-et-voyage-sur-les-poissons-de-la mer). Elle est di¬
te venir de Hiti-a-Rere, ce
qui pourrait
bien être le Hiti-TakaiKere, l'une des Fidji, dont il a été parlé et d'où Tinirau serait ori¬
ginaire.
La version de Ra'i-atea dit bien que Tinirau était
l'ari'i de
tous les poissons de la mer. Elle contient la
description du vo¬
yage de Hina, la déclaration de Hina à Tinirau, fort
expressive
et même poétique,
majs en termes anciens et souvent peu intelli¬
gibles, la réponse de Tinirau et beaucoup d'autres choses que
nous ne rapporterons
pas ici.
Société des Études Océaniennes
—
210 —
fabuleux qui ne vé¬
Mais c'est assez parlé de ces personnages
curent même pas aux Iles de
la Société.
les Samoa,
muette jusqu'à
Epoque des relations fréquentes entre
Fidji et Toga (575-600). — L'histoire est
Rega-Ariki qui vivait à Hiti et prit pour femme Kau-Oia-Ki-TeMatagi. Leur fils Tu-Toga-Kai-Hiti devint ariki de Toga-Nui.
est dit qu'il n'avait pas de dieux et qu'au contraire, l'autre fils,
11
Turi-Pakea était un tagata araara atna,
deux fils se firent la guerre.
c'est-à-dire pieux. Ces
Iles Samoa était fortement occupée
Plus spécialement, les Ton^ans occupaient
Hitians la côte nord. Les
relations entre les Fidji, les Toga M les Samoa étaient très fré¬
quentes. Quant à la branche hamoane, elle habitait l'intérieur et
A cette époque la côte des
par la branche hitiane.
la côte sud de Savai'i et d'Upolu et les
ce
n'est que bien plus tard,
vers 1250, à l'époque de Karika,
qu'elle réussira à- chasser les envahisseurs.
A Kuporu (Upolu) règne sur les tribus hitianes un
nom de Mataru, ancêtre du célèbre Tahaki (Tahitien : Tafa'i) dont
nous aurons à parler cent ans plus tard.
ari'i du
Période d'Ui Te Ragiora.
Ere de découvertes et mi¬
Tahiti
grations. Première mention du cannibalisme.
peuplé par la branche Hitiane
(650). — A ce moment, les Polynésiens perfectionnant encore
l'art de la navigation et deviennent sans conteste les marins les
aux
plus hardis qui aient existé. Trop pressés sans
aux Toga et aux Samoa, où des éléments étrangers les
ils éprouvent le besoin de nouveaux espaces. Des guerres
morables surviennent qui obligent les vaincus à émigrer vers des
îles déjà découvertes par Maui ou d'autres. De
en pièces assemblées furent construites à Hiti ;
sans
visité et probablement
Fidji,
gênent,"
mé¬
grandes pirogues
elles étaient
doute
doute doubles pour
la plupart et du modèle que les Samoans
actuels disent être d'origine hitiane.
Ces pirogues
emportaient du main, ou fruit à pain fermenté,
la soif et permettre, à
Généralement aussi ces
des cocos et certaines herbes pour couper
défaut d'autre, de boire de l'eau de mer.
contenaient des
des
d'arbres à pain, et
pirogues, de fort grandes dimensions,
porcs,
poules, des chiens, des patates, des plants
ainsi ces animaux et ces plantes furent introduits dans les îles
de la Polynésie où ils n'existaient pas primitivement.
Ui-Te-Ragiora sur son navire Te-Ivi-o-Atea et les autres
navi¬
gateurs de l'époque, parcoururent toute
la Polynésie y compris
—
211
—
Rapa-Nui ou Ile de Pâques, la Nouvelle-Zélande et les mers
froides du sud (Te-Tai-Fatu : la Mer gelée). Nous prions ceux
que la question intéresserait, de se reporter aux livres de Fornander et de S. P. Smith pour le détail de ces voyages.
C'est à cette époque, selon les traditions hawaiiennes et rarotongiennes, qu'il faut placer le peuplement des Iles Hawai'i,
comprises sous la dénomination collective de Vaihi, par des tri¬
bus venant de Hiti (Tuturu-o-Hiti) et probablement aussi le peu¬
plement d'Aotea-Roa (Nouvelle-Zélande) par ceux que les mi¬
grations ultérieures appelèrent les tagata fènua (aborigènes) et
enfin celui de Tahiti, et de Hiva (Iles Marquises).
Il est certain qu'alors les Mélanésiens étaient nombreux à Hiti,
soit qu'ils y soient arrivés avant les Polynésiens et en aient
occupé les montagnes pendant le séjour de ceux-ci comme il
semble le plus probable, soit même qu'ils y soient arrivés vers
cette époque.
II semble bien aussi, d'après certains passages des légendes
tahitiennes et hawaiiennes, que les premières migrations polyné¬
siennes arrivées aux Iles de la Société et aux Iles Hawai'i y aient
rencontré également des tribus mélanésiennes qu'elles auraient
exterminées ou refoulées dans l'intérieur des îles, où, traquées,
elles disparurent ensuite.
Quoi qu'il en soit, les nombreuses allusions qui sont faites aux
taebae (sauvages) hirsutes dans les légendes des différents ar¬
chipels se rapportent surtout aux relations entre les deux races
à Hiti. Il y eut entre elles des luttes constantes, dont les diffé¬
rentes versions des légendes de Tahaki et Rata font foi.
Le grand-père de Tahaki,
Hemahema-a-Ragi ou Noa, est réputé
avoir été le premier Polynésien qui mangea de la chair humaine.
De là son nom de Kai-Tagata sous lequel il est surtout connu. Il
semble qu'il ait pris cet usage de sa femme Nona,
hiti Nona-Nihoniho-Roroa
appelée à Ta¬
(Nona-aux-lon-gues-dents) laquelle
aurait été une Mélanésienne.
Dans la version tahitienne, il est dit que Nona attendait le pas¬
les mangeait, et que sa fille
sage des hommes aux carrefours et
Hina prit pour mari Noa. Celle des Pa'umotu
ou
affirme que Nona
Rona était une cannibale et que sa fille Hina, dont le premier
mari Manoi-Here, qui vivait à Uporu, avait été mangé par Nona,
prit pour second mari Noa-Huruhuru (le poilu) qui lui aussi était
cannibale. Ils eurent pour fils Puga-Ariki-Tahi et Hema.
des Etudes Océaniennes
—
212
—
Guerres avec les Mélanésiens. Période de Tafaki et
Karihi.
—
(700. — Dateasseï incertaine). — Hema, dont il
vient d'être parlé, prit pour femme Huauri-Raka-Moana que la
légende pa'umotu dit avoir été ariki de Niue (île Savage) et la
légende tahitienne ari'i no te moana (reine de la mer) et en eut
TAFA'I (Tahaki), personnage célèbre dont les exploits ont été
chantés partout.
Les versions tahitiennes et pa'umotu sont très précises quant
et de son compagnon 'Arihi (Karihi). Ce
dernier est le fils aîné de Pu'a-Ari'i-Tahi (Puga-Ariki-Tahi) frère
à la parenté de Tafa'i
aîné de Hema, et il est, par conséquent, cousin de Tafa'i.
Nous retrouvons dans la légende de Tafa'i un exemple de cette
idée polynésienne que, bien que les cadets n'eussent en principe
pas le droit de succéder aux biens et fonctions du père, ils étaient
généralement plus intelligents et plus astucieux.
Quoi qu'il en soit, selon les versions rarotongiennes, Tahaki
et Karihi se combattirent à Savai'i (Samoa) et se livrèrent les
batailles de Murei-Tagaroa etMurei-Kura auxquelles prirent part
leurs sœurs ou cousines Hinano-Mata-Kopikopi et Puapua-Mahinano. Tahaki dut être gravement blessé, caria légende dit qu'il
y fut tué et ressuscité par ses sœurs à Vai-Porotu.
Tahaki part ensuite à la recherche de son père Hema
qui a-
vait été
capturé par les Mélanésiens, et Karihi, avec qui il s'est
réconcilié, l'accompagne.
Ils vont à Niu-Roa-i-Hiti (Fidji) où ils voient Kui, une vieille
parente aveugle. Les vahiné taehae (femmes féroces) veulent
avoir Tahaki pour mari. Hapai-Mauga devient femme de Tahaki
et lui indique la voie à suivre pour trouver son père détenu à
Urupaupau par Tagaroa-Hakaputu-Ara. Tahaki vainc les Tini
(troupes nombreuses) de Makahua et Papaka-Heoro (Mélané¬
siens), ascende une montagnCet retrouve Hema.
Les versions tahitiennes et pa'umotu donnent aussi le nom de
Hapai ou Ti-Hapai à la femme de Tahaki. Les peuples qu'il com¬
bat y sont appelés Tinio-Matuauru. Tahaki y est appelé Tafa'iUriuri-i-te-Tumu-o-Havaii et Tafa'i-I'ri-Uïa. — Ce dernier nom se
rapporte à la couleur de sa peau qui, parait-il était rouge. Il passe
pour avoir été fort beau.
Vers 725 vécurent Vahieroa, fils de Tahaki, et Karihi Kaha, fils
de Karihi.
Vers 750, RATA (date assez incertaine), fils de Vahieroa, serait
venu
de Hiti à Kupolu et il est célèbre pour avoir construit et
Société des Etudes Océaniennes
\
213
introduit aux Samoa les
premiers canots doubles réunis par un
pont.
L'histoire de la construction du canot de Rata est mêlée de
beaucoup de merveilleux. Il est dit à Tahiti et aux Pa'umotu
qu'il
génies des bois.
Rata continue les guerres
contre les habitants de Hiti-Marama,
Matuku et Peka (aujourd'hui
Melan-Begga, îles Fidji).
La légende a été, comme celle de
Tinirau, l'objet de localisa¬
fut conduit par les Toohiti-Mataroa ou
tions aux lies de la Société et aux Pa'umotu. A Makatea
un
existe
bois qui porte le nom de Te-Vao-o-Rata
(La forêt de Rata).
(A suivre.)
QUESTIONS D'ETHNOLOGIE
Par M.
le
Professeur MACMILLAN BROWN.
(Traduit de l'anglais.)
Les membre-s de la Société d'Etudes Océaniennes et toutes
per¬
qui s'intéressent aux sujets traités dans ce Bulletin et
particulièrement à l'ethnographie voudront bien s'inspirer du
questionnaire ci-dessous et s'efforcer d'y répondre pour ce qui
concerne l'aire
géographique objet de leurs observations person¬
nelles. Tous les renseignement fournis seront accueillis avec
sonnes
reconnaissance et utilisés le cas échéant.
RAPA.
1) Description et photographies des fortifications qui se trou¬
vent au fond du
port.
2) Suit-on à Rapa la ligne, maternelle ou la ligne paternelle ?
3) Les habitants ont-ils cultivé le broussonetia papyrifera et
fait du tapa ou des vêtements en écorce ?
4) Ont-ils cultivé le tacca pinnatifida pour tirer l'arrow-root
de sa raçine avant de cultiver le manioc dans ce but ?
5) Cultivaient-ils le kumara (umara) ou patate douce et l'igname ?
6) Ont-ils jamais construit des pirogues doubles ou à balancier ?
7) Y-a-t-il quelque tradition touchant d'autres îles, points de.
départ de leurs migrations, ou touchant leurs rapports avec
d'autres pays ?
t
—
214
—
8) Quels étaient les noms et attributs des anciens dieux?
9) Avaient-ils des marae ou des temples de pierre pour y
adored leurs'dieux?
10) Avaient-ils quelque tradition montrant qu'ils ont connu l'art
de tatouer ?
11) Les mots courants de l'ancien vocabulaire pourraient-ils être*
sauvés de l'oubli ?
13) Ont-ils cjuelque tradition touchant Hawaiki ou une patrie
primitive ?
14) Avaient-ils quelque tradition au sujet des sacrifices humains
ou
du cannibalisme ?
15) Y avait-il une classe dirigeante ou aristocratie? Avaient-ils
des chefs?
16) Les femmes mangeaient-elles séparées des hommes?
17) Ont-ils jamais eu des chiens ou des porcs?
18) Certains de leurs ancêtres ont-ils jamais introduit l'arbre à
pain, la banane, le cocotier ou la canne à sucre?
19) Ont-ils jamais fait usage du fruit du pandanus?
20) Ont-ils jamais connu le piper methysticum et tiraient-ils du
hava (ava) de ses racines ?
20) Ont-ils connu l'arc? ou la fronde?
22) Quelle était la forme particulière de leurs armes offensives?
Lance? Massue? Avaient-ils des lances barbelées? De
quoi étaient faites les pointes de leurs lances? Leurs hame¬
çons étaient-ils barbelés?
23) Mangeaient-ils la chair du requin ou de la baleine?
24) Quelles étaient leurs coutumes funèbres? Brûlaient-ils ou
momifiaient-ils le mort? Ou bien l'exhumaient-ils et net¬
toyaient-ils les os en les raclant? Déposaient-ils les restes
endroits secrets? Les âmes des
morts hantaient-elles les maisons ? Après la mort, l'âme
descendait-elle dans le "Po" ou "Hades", ou se jetait-elle à la
mer? Y avait il au-delà de la mort une autre vie dans le ciel ?
25) Se servaient-ils pour bêcher d'une longue pièce de bois à
de leurs morts dans d"es
creuser le sol ?
26) Avec quoi tressaient-ils des nattés, suivaient-ils des modèles
de quelque sorte et lesquels?
27) De quoi était faite la ceinture (tah. : tibere) de leurs reins ?
28) Quelle était la forme habituelle des malsons ?
29) Peignaient-ils leur visage et leur corps pour la danse et la
guerre? Leurs danses étaient-elles les mêmes qu'à Tahiti?
f/
—
-215
—
30) Leurs vases étaient-ils faits avec des calebasses, des coques
de noix de coco, ou en bois ?
ILES AUSTRALES,
GAMBLER, TUAMOTU, MARQUISES.
a.) Qu'est-il advenu des grandes statues de pierre de Raivavai
que Moerenhout place sur un isthme qui réunissait à l'île
les plantations de taro et était souvent submergé ? Elles res¬
semblaient aux statues de l'Ile de Pâques et sont donc bien
distinctes des deuxqui existentaujour.d'hui dans la brousse
derrière Raima, résidence du chef.
2) Photographies et description des marae et des petites statues
qui subsistent encore.
3) Questions d'ethnologie à propos des anciennes mœurs et
langage de Raivavai, comme nous l'avons suggéré pour
Rapa — tatouage, plantes servant à l'alimentation, kava
(ava), tapa, chiens et porcs,'armes, ustensiles, coutumes
funèbres, traditions, anciens dieux, sacrifices humains,
coutumes sociales, ligne maternelle ou paternelle, idées
touchant un autre monde.
4) Les habitants de Raivavai étaient renommés pour la finesse
de leurs armes et ustensiles sculptés. Sculptaient-ils des
statues de bois ou leurs canots ? Avaient-ils des pirogues
doubles ou à balancier? Leurs pirogues étaient-elles cons¬
truites en planches ou seulement creusées ? Etaient-elles
pontées?
5) L'infanticide et l'avortement étaient-ils d'anciennes prati¬
ques? L'adoption existait-elle comme à Tahiti ?
6) Avaient-ils des exorciseurs, des sorciers ou des prêtres? Le
sacerdoce était-il héréditaire dans les familles?
7) Y avait-il quelque méthode reconnue d'éducation dans les
temps anciens ?
8) Quelles étaient les coutumes touchant les relations sexuelles ?
Liberté avant le mariage comme dans d'autres groupes
polynésiens ? Pas de cérémonie? Cérémonie pour couper
les cheveux? ou pour choisir un nom ? La polygamie étaitelle pratiquée? Y avait-il des femmes faisant profession
d'être vierges comme à Samoa?
9) Quels étaient les tabu (tapit) ou interdictions?
io) Le deuil s'accompagnait-il de mutilations ? ou de festins ? ou
des deux à la fois ?
Société des Études Océaniennes
—
216
-
11) Certains animaux (poissons ou oiseaux) étaient-ils adorés ou
sacrés ?
12) Y avait-il un système de classification des parentés comme
à Hawaii ?
13) Quels étaient les principaux arts? Hommes et femmes
étaient-ils spécialement séparés pour cela? La pêche et tous
les objets qui y servent étaient-ils tabu (tapu) pour les
femmes comme dans la plupart des groupes de Polynésie ?
14) Y eut-il des esclaves autrefois?
15) Comment l'échange des produits entre différentes parties
était-il réglé? La richésse s'accumulait-elle dans certaines
familles ? Les femmes héritaient-elles ?
16) Y avait-il un roi de l'île? Comment le choisissait-on ?
17) Y avait-il une institution comme celle des Areoi du groupe
de la Société ?
18) Quelles étaient les coutumes guerrières?
19) Y avait-il des instruments de musique autres que le tambour ?
20) Y avait-il un art décoratif ? Sculpture? Peinture? de person¬
nes? ou d'ustensiles, d'armes ou encore des maisons?
21) Quels étaient les principaux divertissements ?
22) Employaient-ils la spirale dans l'ornementation?
23) Y a-t-il des contes, des légendes, ou des chants ?
24) Tressaient-ils des figures avec des fibres?
25) Remèdes? Boissons? Magie? Poisons?
26) Méthodes d'agriculture? Arboriculture? Mets préférés?
27) Le village vivait-il sous le communisme, ou la propriété était-*
elle individuelle ?
28) La circoncision ou la sub-incision étaient-elles pratiquées?
29) Y avait-il des classes sociales? Si oui, s'unissaient-elles par
des mariages entre elles?
30) Moerenhout mentionne des statues de pierre à Tubuai (Tu-
puai); qu'en est-il advenu ?
31) La forme de la tête est-elle courte ou longue, ronde ou carrée ?
Le nez est-il plus souvent aquilin ou aplati? Les lèvres ontelles une tendance à être épaisses? Quelle est la taille ordi¬
naire ?
32) Aux Marquises, à Moorea, Raiatea, Borabora(Porapora), pho¬
tographies et description des marae, sculptures, dessins
rupestres et monolithes.
33) Aux Marquises, le cannibalisme était-il rituel ou provoqué
par le désir de manger ? Avaient-ils des chiens? les man¬
geaient-ils ? Avaient-ils des porcs?
Société des Etudes Océaniennes
—
217
—
34) Les anciens Marquisiens possédaient-ils la canne à sucre, la
banane et la patate douce ?
33) Quel était le principal but du tatouage ? Avait-il une signifi¬
cation et une intention religieuses ? ou guerrières ? ou toutes
les deux ?
36) Pourquoi la sculpture soit du bois soit de la pierre est-elle
si caractéristique des Marquises en comparaison du grou¬
pe de la Société ?
37) L'avortement, l'infanticide et l'adoption étaient-ils des piatiques marquisiennes ? Si oui, persistent-ils encore ?
38) Quand et comment les anciennes échasses étaient-elles em¬
ployées aux Marquises? Etait-ce pour danser ou dans des
buts religieux ?
39) Pourquoi les grandes pierres paepae sont-elles employées si
communément aux Marquises comme base des maisons ?
40) La royauté existait-elle ? Quand est-elle née ?
41) Y a-t-il quelque trace de droit maternel dans l'un de ces grou¬
pes, regardant le frère de la mère comme un tuteur?
41) N'y a-t-il pas de traditions aux Marquises concernant d'an¬
ciennes migrations, des héros ou des dieux?
43) N'y a-t-il pas de contes, ou d'histoires d'animaux?
Société des Études Océaniennes
—
218
—
A Monsieur le Gouverneur G. JULIEN.
jiommage très respectueux, à l'occasion du passage à
^Papeete des troupes australiennes et italiennes.
BIENVENUE !
vwwwvx,
Beaux et vaillants soldats de l'immense Australie,
Et vous, fils enflammés de la fiére Italie,
Tahiti vous reçoit du meilleur de son cœur,
Et dans chacun de vous voit un futur vainqueur!
La liberté du monde, à la flamme pâlie,
Autour de nos drapeaux vous appelle et vous lie !
Vous ire% assouvir une sainte rancœur
Et goûter à la gloire, enivrante liqueur!
Au nom de la patrie et de son âme altière,
Dont la force indomptable est demeurée entière,
Au nom de Tahiti, dont le tendre baiser
Efface les chagrins ou les peut apaiser,
Salut, honneur, amour et joyeuse espérance
A vous, les défenseurs de l'éternelle France !
H. Michas.
Société d
—
249
—
AQUARELLES
is
LE
Xj-AO-OLsT
BLE U
I
Sur le lagon bleu glisse la pirogue ;
Dans le vent léger,
légère elle vogue.
Au choc de la lame et du balancier,
L'écume jaillit filant au sillage.
La longue traînée aux lueurs d'acier
Reflète les ors tombant du nuage.
La voilure blanche enfle et s'arrondit,
Et l'écume encor plus vite jaillit.
Tenant l'aviron, des deux mains crispées,
Le pilote assis sur un long bois dur
Evite les chocs et les embardées,
Sur le lagon bleu glisse la pirogue ;
Dans le vent léger, légère elle vogue.
II
Et dans les grands fonds, le requin sans bruit
Chasse le grand thon dont l'écaillé luit.
Le soleil levant nuance et colore
Roches et coraux aux riches couleurs.
Passant du vert clair, au rouge garance,
Qui vont s'estompant dans les profondeurs.
La nacre perlière ouvre son écrin
Que guette la pieuvre ; et le clair matin
Prodigue partout, dans l'eau d'émeraude,
Les rayons àrdents de l'astre du jour
Et dans l'air léger sa caresse chaude.
Et dans les grands fonds, le requin sans bruit
Chasse le grand thon dont l'écaillé luit.
—
220
—
III
Là-bas, sur l'atoll, monte la fumée
D'un grand feu de brousse à peine allumée
Qu'attise un vieillard près de la maison ;
Pendant que so$fils avec sa compagne
Se lavent les yeux, dans l'eau, sans savon,
Et le torse nu, les reins ceints du pagne,
S'assoient gravement sur de gros cailloux. .
De jeunes enfants se cherchent les poux
Dans la case ouverte, où des chiens êtiques,
Par de courts frissons, chassent les moustiques
Commençant au jour leur folle chansop.
Les grands cocotiers balancent leurs palmes,
Et sur le récif
LIES
déferlent les lames!
TEI1TTIES
SOMBRES
I
La nuit s'épand sur le village;
Des lueurs bordent un nuage.
Là-bas, vers le jour qui s éteint
Sur le récif, la houle gronde ;
Et son murmure est si lointain
Que cela vient d'un autre monde.
II
Tout le village est en émoi :
La mort passe, et son effroi
S'étend sur tout, choses et gens.
Un homme meurt, et dans sa case
Amis, voisins, fille, parents
Attendent la dernière phase.
—
221
—
III
Dans le silence de la nuit,
On ne perçoit plus que le bruit
Des grands cocotiers
qui frémissent ;
Le lointain murmure des houles.
Les morts anciens se réunissent ;
Autour de soi l'on sent leurs foules.
IIII
Superstition, crédulité,
Petit îlot, l'immensité.
Dou^e vivants, un pauvre mort,
La mer,
la nuit, une chandelle.
Les revenants, le mauvais sort.
Frissons, terreurs, l'âme éternelle?
Iles
Tuamotu, 1916.
François Hervé.
Le "Temps", du 11 mars 1918, annonce la mort de M. LeMyre
de Vilers, Membre d'honneur de notre Société, qui s'était vive¬
ment intéressé à nos travaux et les avait encouragés par des
pa¬
roles si bienveillantes. Voici comment il s'exprime à son sujet:,
M. Charles-Marie LE MYRE DE VILERS est décédé à
l'âge
de 85 ans.
Le défunt, qui était originaiie de Vendôme, avait fourni une
longue et brillante carrière dans la marine, l'administration, la
diplomatie et les colonies. Entré à l'Ecole navale en 1849, il était
enseigne de vaisseau en 1855 ; il quitta la flotte en 1861 pour l'ad¬
ministration, fut sous-préfet de Joigny et de Bergerac et préfet
d'Alger en 1869. Pendant la guerre de 1870, il était promu lieu¬
tenant de vaisseau. Licencié en 1871, il est nommé préfet de la
Haute-Vienne en 1873, puis directeur des affaires civiles et finan¬
cières de l'Algérie en 1877, conseiller d'Etat, gouverneur de la
—
222
*
—
Cochinchine, ministre plénipotentiaire en 1879, résident général
de Madagascar en 1886.
Mis en%isponibilité en 1889, il était élu député de la Cochin¬
chine et le resta jusqu'en 1898.
Il était envoyé comme plénipotentiaire au Siam en 1893 et y
signait le traité de Bangkok, puis il était nommé ministre pléni¬
potentiaire à Madagascar et ambassadeur honoraire en 1895.
Il était Président de la Société de Géographie et Grand-Officier
de la Légion d'honneur.
BIBLIOTHÈQUE
Appel à Messieurs les Membres de la Société d'Études
Océaniennes.
Depuis plusieurs mois, le Bureau de la Société s'efforce de
la liste d'ou¬
vrages publiée au dernier Bulletin et celle qui suit le prouvent. Il
doter cette dernière d'une bibliothèque, comme
serait dans l'intérêt de tous de s'intéresser à cette création et
d'aider à en faire vraiment un foyer d'activité intellectuelle où
qui le désirent puissent trouver des renseignements précis
ou simplement quelques heures de délassement.
Deux éléments sont indispensables à toute étude sérieuse. Le
premier est une collection aussi complète que possible de die- t
tionnaires. On pourrait dire qu'il n'y a pas de langue qui n'ait
une littérature polynésienne plus ou moins riche. Si l'anglais
est en tête de ligne, le français, l'italien, l'espagnol, le russe, le
hollandais, l'allemand et les langues Scandinaves tiennent éga¬
lement un rang fort honorable, sans parler des innombrables
dialectes plus ou moins étroitement apparentés, et parlés par les
indigènes du Pacifique. Le second élément, qui n'est pas moins
important que le premier, est l'élément géographique représenté
par des cartes et des atlas, sans lesquels tout travail exact devient
impossible. Tous les dons d'ouvrages de l'une ou de l'autre de
ces deux catégories seront donc «particulièrement précieux. Ils
seront enregistrés au Bulletin, comme -d'habitiide, et les docu¬
ments seront traités avec le plus grand soin.
ceux
et abondants
\
223
PUBLICATIONS ET OUVRAGES REÇUS
De The Australasian Association for the Advancement
of Science.
Report op the first
—
—
meeting,
second
—
third
—
fourth
fifth
—
—
—
—
seventh
—
ninth
eleventh
—
—
—
—
—
.
volume.
1890
1891
1892
1893
1898
—
1902
—
1907
twelfth
—
thirteenth
—
1909
1911
De M. le
i
—
i
—
i
—
i
—
i
—
i
•
Capitaine Brisson.
Annales de l'Institut
Océanographique : "Quinze
mois aux îles Kerguelen," par M. Rallier du
Baty, Capitaine au long cours
De
The
volume.
i
Philippine Journal of Science.
Vol. XII. Section D. N° i (January 1917) à N°6 (No¬
vember
1917)
6 fascicules.
De l'auteur.
The early Discovery of Australia, and the Reason
for a "No Man's Land" on this Continent of ours,
by Geo. CoLLiNGRiDGÊ
De IVa
®
1
fascicule.
i
fascicule.
Mata, Suva, Fiji.
N° 328.— Avril
1918
N° 329.— Mai 1918
i
—
De l'auteur.
Maori-Polynesian comparative dictionnary, by
Edward Tregear
De
The
1
volume.
Carnegie Institution of Washington.
Annual report of the Director of the Department
of Terrestrial Magnetism. .....•*
De The Bernice Pauahi Bishop
1
fascicule.
Museum of Ilonolulu.
Vol. VII, n° i.— Additional Notes on Hawaiian
Feather Work. — Second supplement, by Wil¬
liam T. BrigHam Sc. D
Société des Etudes Océaniennes
1
volume.
—.
m
—
Da Comité de l'Océanie
Française.
Bulletin mensuel, i4me année. Nouvelle série. N°
44. — Février-Mai 1918
1
fascicule.
Recueil, général de Jurisprudence, de Doctrine et de
Législation coloniales et maritimes.
N° 309. — Mars 1918
N° 310. — Avril
1918
1
1
fascicule.
—
De l'auteur.
Ile Christmas.— South Seas. Oceanie.
Birds, Fishes, etc., par E. Rougier.
Coconuts,
1
volurpe.
I
volume.
De l'auteur.
Maori and Polynesia, by
Prof. J. Macmillan Brown
(omis dans la dernière liste)
De The
Vol. XXVII.
Polynesian Society, New Plymouth, IV. Z.
n° 2.
Papeete
—June 1918
—
Imprimerie du Gouvernement.
1
fascicule.
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- Médias
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- Collections
- Bulletin de la Société des Études Océaniennes
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 04