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BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES
ETUDES OCEANIENNES
N°276 Mars / Juin 1998
��BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES
ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N°276 MARS - JUIN 1998
Sommaire
Louise Peltzer
Représentation et structuration de l’espace en tahitien
Serge Tcherkezoff
Mua/Muri : ordre, espace et temps en Polyésie
p. 27
Pierre Ottino
Carnet de terrain : le tohua Tahakia à Nuku Hiva
p. 52
Constant Guehennec
Ka ‘imiloa ou la magie des mots
p. 66
Sémir Al Wardi
Un aperçu des réunions politiques
p. 69
Yvan Ineich & Bertrand Loyer
Une interaction non alimentaire entre
un groupe de dauphins et un serpent marin
p. 86
Christian Beslu
L’île Christmas et l’abbé Rougier
p. 87
Raymond Piétri
Papeete, de jadis & naguères
p. 98
•Liste des publications de la B.S.E.O
p. 112
p. 2
�Représentation et
structuration
de l’espace en tahitien
Dans l’analyse linguistique occidentale1, «il est couramment adopté
que la personne du locuteur ou l’Ego est considérée comme la source,
le point de départ de tous les repérages spatiaux.» (C. Paris, Colloque
sur la déixis Sorbonne 1990).
Selon T. Frazer et A. Joly, «les déictiques sont des morphèmes qui
expriment une représentation de l’espace et une représentation du temps
en termes d’espaces.... Le système de la déixis dépend étroitement des
systèmes de représentation de la personne, de l’espace et du temps.... La
personne de l’énonciateur, le moi, clef de voûte de l’ensemble, ne se laisse pas concevoir en dehors du lieu d’espace où elle se tient, «ici», source
des repérages spatiaux, ni en dehors du lieu de temps où elle se voit exister, «maintenant», source de repérages temporels.... Triade énonciative
aperçue par Damourette et Pichon, «le moi/ici/maintenant» ou sous une
forme généralisante, «personne/espace/temps.»
Ce qui revient à dire que la représentation de l’espace est tributaire
de la représentation de la personne.
Selon Feuillet, il existerait «deux grands types de systèmes : ceux
qui sont orientés sur la distance à partir d’Ego, et ceux qui, en plus, sont
orientés sur les personnes.» Et pour Vandeloise «les relations spatiales
dépendent généralement directement de deux termes : leur cible et leur
site, ce dernier est souvent identifié au locuteur.»
PERSONNE
moi
ESPACE
vs
non-moi
TEMPS
1 L’article de L. Peltzer a d’abord paru dans le Bulletin de la Société de linguistique de Paris
(t. XCI (1996), fasc. I, pp. 297-321.
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
Nous allons voir ce qu’il en est du système des expressions spatiales
en tahitien2, spécialement celui des démonstratifs, des locatifs et des
directionnels.
Avant d’entreprendre notre étude sur la représentation et la structuration de l’espace, il nous a semblé nécessaire de présenter au préalable la déixis personnelle qui est omniprésente dans l’organisation de
l’espace. Cette étude fait suite au colloque sur la déixis auquel nous
avons participé en 1990 à la Sorbonne.
Notre objectif vise essentiellement une étude morphologique, lexicologique et syntaxique des démonstratifs, de quelques locatifs et directionnels en tahitien3.
1. Les pronoms personnels
Système ternaire :
- trois degrés : (vau), ‘oe, o na (o ia) «je, tu, il»
- trois marques du nombre (un, duel, pluriel)
avec des oppositions binaires dans le nombre :
- un (singulier) par rapport à plusieurs (duel, pluriel),
- je par rapport à tu (ou vous) dans le pluriel selon la position qu’il
adopte, inclusive ou exclusive.
SINGULIER
DUEL
PLURIEL
1. (v)au, ‘u «je, me»
2. ‘oe «tu (te)»
tâua «nous-2» (incl.)
mâua «nous-2» (excl.)
‘orua «vous-2»
tâtou «nous» (incl.)
mâtou «nous»(excl.)
‘otou «vous»
3. o na, o ia «il, elle»
râua «eux-2»
râtou «eux, ils»
2 Lazard G. et Peltzer L., 1991, «Predicates in Tahitian», Oceanic Linguistics, 30, 1-31. - Lazard
G. et Peltzer L., 1992, «La déixis en tahitien», La deixis, Colloque en Sorbonne 8-9 Juin 1990,
PUF, Paris.
3 Dans cet article, la longueur sera marquée par un accent circonflexe, l’apostrophe est la
marque de l’occlusive glottale.
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Présentation des trois personnes du point de vue linguistique
(lexical, syntaxique et référentiel)
(V)au, ‘u «je, me»: première personne ; locuteur (vau) et le point de
référence (‘u, au).
- ‘u, ne se trouve que dans les expressions prépositionnelles,
- vau, dans les expressions nominales,
- au, dans les expressions nominales et prépositionnelles.
‘Oe «tu (te)»: deuxième personne ; l’interlocuteur et la personne de la
différence,
‘oe, est employé dans les expressions nominales et prépositionnelles.
‘O na, ‘o ia, «il, elle, lui»: troisième personne ; l’altérité, le na a une
valeur déictique (ça), près de l’interlocuteur (dans l’espace), alors que
ia a une valeur plus anaphorique (tel), loin du locuteur et de l’interlocuteur (dans l’espace et dans le temps) ; ia, d’utilisation moins courante
que na, inclut en outre une valeur de respect.
Exemples :
1. Nâ ‘u tera ‘ûrî. «Ce chien m’appartient.» //Pour moi/ ce chien//
2. Ua rave o na i te ‘ohipa. «Il a travaillé.» //Acc. faire/ il / à le travail//
3. O ‘oe tei mâ’itihia. «C’est toi qu’on a choisi.» //Etre toi / le-être choisi//
4. Tê tâmâ’a nei o ia. «Il mange.» //Progr. manger/ il//
5. ‘E moni tâ na. «Il a de l’argent.» //Etre argent /le-à lui//
2• Les démonstratifs
En tahitien, la représentation de la déixis dans les démonstratifs fait
intervenir plusieurs paramètres : «l’objet, l’espace et la personne». Les
démonstratifs se présentent comme un système binaire où la référence
à l’espace-lieu de l’objet (in praesentia) s’oppose à la référence de l’espace-temps (in absentia). En effet, il existe une opposition entre les
démonstratifs du discours (présence physique dans un espace-lieu) et
les démonstratifs de récit (présence mémorielle dans un espace-discours mais absence physique dans un espace-lieu).
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
Dans la première classe des démonstratifs, ceux du discours, l’objet
est présent dans l’espace-lieu et dans l’espace-discours, ils ont même
valeur que les déictiques ; dans le second groupe, l’objet n’est présent
que dans l’espace-mémoriel et l’espace-discours, ils sont comme des
anaphoriques.
Cette distinction recouvre ce que beaucoup de linguistes appellent :
«la référence situationnelle et la référence contextuelle», c’est à dire la
référence qui renvoie à un objet dont le lieu de présence est en dehors
du discours (l’exophore d’Hagège) et celle qui renvoie à un objet dont
le lieu d’existence est à l’intérieur du discours (l’endophore d’Hagège
également).
Le système des démonstratifs en tahitien est également un système
à trois degrés orienté vers la distance mais par rapport aux trois personnes. A l’intérieur de cette structuration, il peut exister une opposition
binaire entre le «moi» et le «non-moi» selon le couplage du tandem
«tu» et «il» effectué par «je» et également selon les couplages de l’objet/personne par rapport à l’espace.
Cette étude des démonstratifs est divisée en trois parties :
- présentation des différents paramètres (temps, espace...),
- démonstratifs du discours et
- démonstratifs du récit, qui comporte (pour les deux dernières parties)
une étude morphologique, lexicale et syntaxique.
2-1• Les paramètres
Le paramètre lieu
Le lieu est exprimé par les locatifs, les démonstratifs, les lexèmes, les
prépositions et d’autres monèmes.
«Là» est exprimé par le locatif ‘ô ou ‘û, également par reira «là-où».
«Ici» n’a pas de terme spécifique, mais est exprimé par les locutions suivantes ou monèmes : i ‘û nei, «ici», nei «-ci», mai «(vers) ici».
Le paramètre temps
Le tahitien, comme toutes les langues polynésiennes, marque l’aspect,
non le temps. Les expressions temporelles existent pourtant et forment
un système binaire :
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Le temps passé/non-passé, est exprimé par les particules ‘i- «passé»
et ‘a- «futur»:
- ‘inanahi «hier», ‘ina’uanei «tantôt-passé»; ‘ananahi «demain»,
‘ana’uanei «tantôt-futur». Pas de marque spécifique pour le présent qui
est indiqué par des éléments de la déixis :
- i teie nei /à ceci -ci/ «maintenant»; i teie taime /à ceci temps/ «maintenant»; tê...nei «en ce moment, en train de», «progressif».
Le temps et l’aspect sont également marqués dans certaines expressions
lexicales comme taere «lent» (verbal) et maoro «long» (dans le
temps, verbal).
L’expression aspectuelle, en revanche, est ternaire : opposition entre
l’accompli (ou perfectif : ua, i, nô), le non-accompli (imperfectif : e,
a, ia, ei) et le progressif (tê). Elle peut avoir d’autres valeurs comme le
fréquentatif, l’inchoatif, le duratif, le terminatif).
1. Ua reva tâtou ‘ananahi i te hora va’u. //Acc. partir / nous / demain
à le heure 8// «Demain à 8 heures, nous serons partis.»
2. E reva te pahî //Inacc. partir /le bateau// «Le bateau va partir.»
3. Tê ua nei. //Progr. pluie// «Il est en train de pleuvoir.»
La personne n’est jamais marquée dans l’aspect, sauf dans le cas de -hia
où l’agent est marqué dans certains contextes.
1. Ua ‘amu-hia te i’a // Asp. manger-hia / le poisson // «Le poisson a
été mangé (par quelqu’un, on a mangé le poisson».
2. Ua haere-hia i ‘ô //Asp. aller-hia / prép. là // «On (quelqu’un)
est allé là.»
2-2 Les démonstratifs du discours (in praesentia) :
a) Etude lexicale. Ce sont :
1. Teie «Ceci, celui-ci, ce...ci ; je»; «près du locuteur, dans sa sphère.»
2. Tena «Cela (près de toi), celui-là, ce...là ; tu»; «près de l’interlocuteur, dans sa
sphère.»
3. Tera «Cela là-bas, celui-là là-bas ; il»; «loin du locuteur et de l’interlocuteur ;
mais également loin du locuteur et plus proche de l’interlocuteur» (notion de respect pouvant glisser, dans un registre dépréciatif, vers une nuance péjorative).
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Les démonstratifs du discours sont formés de l’article général te
«le, la, les, un, du» et des déictiques nei, na, ra, qui indiquent la position aussi bien dans l’espace que dans le temps par rapport aux trois
personnes. Ils expriment le singulier (le particulier), jamais le pluriel.
b)Etude syntaxique
Démonstratif en tant que déterminant (article)
1. teie ‘ahu «cette robe(-ci) (près de moi, dans la sphère du moi, du
locuteur ( près de, avec lui ou sur lui)».
2. tena ‘ahu «cette robe-là (près de toi) ; dans la sphère de l’interlocuteur (avec ou sur toi).»
3. tera ‘ahu «cette robe-là-bas (près de lui) ; dans sa sphère.»
La répartition des démonstratifs s’effectue selon un système à trois degrés
par le biais de la distance et par rapport aux trois personnes. Ce système
ternaire est organisé autour des partenaires de l’interlocution (je, tu) et
de la troisième personne (il) en tenant compte de l’espace-lieu, c’est
donc plus un système loco-centrique et personnel qu’égocentrique.
Objet/espace/personne (même plan)
Les paramètres utilisés sont l’objet, l’espace-lieu (distance/proximité) et
la personne et cet ensemble est inclus dans un espace plus grand, celui
du discours. Il y a interaction entre ces différents paramètres : trois
objets, trois personnes et trois espaces, mais c’est un espace linéaire.
Les démonstratifs en fonction sujet
1. E reva teie. «Celui-ci part ; je pars.» //Inacc. partir /celui-ci//
2. Ua haere tena. «Celui-là s’en va ; tu t’en vas.» //Acc. aller /celui-là//
3. Tê tâmâ’a ra tera. «Celui-là mange ; il mange.» //Progr. manger
/celui-là-là-bas//
Teie, tena, tera indiquent une opposition ternaire par rapport aux trois
personnes, mais ici l’objet est situé dans l’espace-lieu de la personne, il
est assimilé à la personne, dans ce cas les trois démonstratifs peuvent
référer aux personnes elles-mêmes et fonctionner ainsi comme des pronoms personnels.
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Le paramètre espace-lieu de l’objet et de la personne est réduit à zéro,
l’objet est égal à (ou devenu) la personne, seuls subsistent en opposition
binaire le paramètre personne et le paramètre espace-lieu inclus dans
l’ensemble discours. D’où l’existence d’une opposition binaire entre
l’espace et la personne mais cette opposition est ternaire dès lors qu’on
fait appel aux trois personnes distinctes situées dans trois lieux distincts
liés aux trois personnes :
ESPACE / PERSONNE
(trois personnes dans trois lieux respectifs).
Les démonstratifs en fonction prédicat
1. Teie te ari’i //Le-ci / le roi// «Le roi est celui-ci ; c’est moi le roi.»
2. Tena te ‘aito //Là / le champion// «Le champion est celui-là ; c’est toi
le champion.»
3. Tera tô râua matahiapo //Le-là-là-bas/ le-de eux-2 aîné// «Leur aîné
est celui-là-là-bas ; c’est lui leur aîné.»
Teie, tena, tera sont situés dans l’espace-lieu de la personne (et de l’objet) mais également dans l’espace-discours. Ils fonctionnent alors
comme des prédicats. Les paramètres objet, personne et lieu sont assimilés dans l’espace-discours, ils sont devenus trois événements se passant dans trois espaces-lieux, chaque espace-lieu étant la personne
exprimant ainsi l’espace in praesentia du temps.
ESPACE / PERSONNE
(3 personnes = 3 lieux = 3 événements)
D’après l’analyse syntaxique des démonstratifs que nous venons de faire,
il semble qu’on ne puisse dissocier en tahitien la personne de l’espace
où elle se tient, en effet elle peut devenir elle-même l’espace où a lieu
l’événement, l’espace du procès :
1 objet / personne / lieu sont distincts : trois degrés
2 objet = personne / lieu, opposition binaire, mais l’opposition ternaire
existe toujours par rapport aux personnes.
3 objet = personne = lieu du discours, l’opposition ternaire existe toujours pour le lieu-espace par rapport aux trois personnes.
Dans les démonstratifs de discours, le paramètre personne et le paramètre lieu sont indissociables.
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
2-3 Les démonstratifs du recit (in absentia)
a) Etude lexicale
Les démonstratifs du récit sont :
1. taua...nei «cet...ci dont ; celui...dont»; «proche du locuteur (narrateur) dans l’espace-temps et l’espace-discours mais aussi proche du
locuteur et de l’interlocuteur dans l’espace-temps et connu des deux.»
2. taua...na «cet...là dont ; celui-là dont»; «proche de l’interlocuteur
dans l’espace-temps et l’espace-discours, dans sa sphère temporelle,
pas trop loin et connu de lui et de son entourage.»
3.taua...ra «cet...là dont, celui-là dont ; loin dans le temps, loin dans le
discours ; loin du locuteur et de l’interlocuteur aussi bien dans le temps
que dans le discours.»
Les démonstratifs du récit sont formés de l’article anaphorique taua «letel, ce-dont» et des déictiques nei, na, ra. Ils sont également organisés
en système ternaire par rapport aux trois personnes. L’objet n’est pas là
physiquement, il est présent dans la mémoire et dans le discours, les
démonstratifs ont une valeur d’anaphorique. Comme ceux du discours,
ils n’indiquent que le singulier.
Les paramètres lieu et temps
Dans l’organisation des démonstratifs du récit, le paramètre lieu du
point de vue physique disparaît, mais il est présent dans leur structuration du point de vue distance (proximité/éloignement) dans le temps et
dans l’espace-discours par rapport aux personnes du discours.
Le temps est omniprésent, il est l’espace de la mémoire plus ou moins
proche par rapport aux personnes :
ESPACE (temps)
OBJET
ESPACE
PERSONNE
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
b) Etude syntaxique des démonstratifs du récit.
Ils ne sont utilisés qu’en déterminants. C’est un système à opposition ternaire, orienté vers la distance (proximité/éloignement) (temps et discours) par rapport aux trois personnes du discours.
1. Ua reva taua ta’ata nei //Acc. partir /cette personne ci// «L’homme
dont je viens de parler est parti ; l’homme dont on vient tous les deux de
parler est parti.»
2. Ua haere mai taua ta’ata na //Acc. aller direct. / cette personne là
// «L’homme dont tu viens de parler est venu.»
3. ‘E taote taua ta’ata ra //Etre médecin / cette personne là // «Cet
homme-là dont on a parlé il y a un certain temps est médecin.»
Les paramètres utilisés sont l’objet, la personne et l’espace (temps et
lieu dans le discours ou le récit). L’espace-lieu peut être rapproché ou
éloigné dans le discours.
1) C’est un système binaire concernant la division spatiale des démonstratifs : ceux du discours (in praesentia) et ceux du récit (in absentia).
2) C’est un système ternaire selon la structuration de l’espace-lieu par
rapport aux trois personnes et ternaire également par rapport à l’objet,
à l’espace et à la personne.
Les démonstratifs n’indiquent que la position dans le temps et l’espace
par rapport à la personne et non la direction (cf. les directionnels).
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
3 • Les locatifs
L’objet de cette étude est la description de l’espace en tahitien à partir
de l’analyse linguistique des expressions spatiales suivantes :
‘aui «gauche» / ‘atau «droite»
ni’a «sur, dessus» / raro «bas, en bas»
mua «devant» / muri «derrière»
La représentation de l’espace dans l’étude de ces termes fait intervenir
plusieurs paramètres : l’objet-cible4* (ou les objet-cibles), le point de
référence ou site* et l’orientation. Ces expressions forment un système
binaire (converse*) où les termes s’opposent en principe par leur sens
et leur orientation spatiale, mais nous verrons que l’étude de leur distribution et de leurs différents usages feront intervenir d’autres paramètres.
Les trois orientations fréquemment utilisées dans l’expression de ces
locatifs sont l’orientation latérale (‘aui/’atau, gauche/droite), l’orientation verticale (ni’a/raro, sur, haut/sous, bas) et l’orientation frontale et
horizontale (mua/muri, devant/derrière).
D’autres paramètres seront également utilisés comme la ligne du regard
et le mouvement ou orientation.
ni’a (vertical)
‘aui (latéral)
muri
LOC
mua
(horizontal/frontal)
‘atau (latéral)
raro (vertical)
Procédons à une analyse linguistique de chacun de ces trois couples
d’expressions. Ces termes spatiaux sont des morphèmes locatifs, des
expressions qui indiquent le lieu (inventaire fermé). Ils apparaissent
tous dans des expressions prépositionnelles, certains peuvent apparaître
dans des formes nominales et même verbales.
4 Cible, site, : nous empruntons ces termes à Vandeloise C. dans L’espace en français.
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
3-1 Les expressions spatiales ‘aui//’atau (gauche/droite)
Ces deux termes sont en opposition binaire dont le champ visuel est divisé en deux parties et l’orientation latérale caractérisée par la ligne des
épaules. Ce sont des nominaux. L’orientation peut être la même que celle
du locuteur, dans ce cas, ils sont en tandem, mais si elle est en sens
contraire, on dira qu’elle est en miroir* (terme emprunté à Vandeloise).
a) Etude lexicale de ces deux locatifs
‘aui : «1. gauche ; 2. négligent ; 3. recevoir un gauche (coup de poing) ;
4. sermonner très fort quelqu’un en lui faisant mal ; questionner à fond
quelqu’un en le blessant.»
‘aui = maui : «1. gauche ; 2. être désappointé, vexé ; 3. peine, douleur ;
4. inconnu»
‘atau : «1. droite ; 2. usuel, connu.»
Ces deux termes ne sont jamais introduits par des prépositions, mais on
les trouve dans des formes nominales ou verbales. Ils dépendent étroitement de l’orientation latérale par rapport au locuteur, par rapport au
site ou par rapport aux deux (tandem ou miroir).
te ‘aui «la gauche» (nom) / te ‘atau «la droite» (nom)
b) Etude syntaxique
En fonction de qualifiant :
te rima ‘aui «la main gauche» / te rima ‘atau «la main droite»
En fonction prédicat, sujet ou complément :
1. Ua ‘aui au ia Tama «J’ai envoyé un gauche à Tama»//Acc.
gauche/je/à Tama//
2. O te rima ‘aui te rima mo’a «La main sacrée est la main
gauche»//Etre la main gauche/la main sacrée//
3. Ua tano vau i tô na ‘aui «J’ai reçu son gauche»//Acc. recevoir/je/à
le-de lui gauche//
4. Ua tatauhia te ‘aui ‘aita râ te ‘atau //Acc. tatouer- être par/la
gauche/pas mais la droite//»La gauche a été tatouée mais pas la droite.»
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
Les différents usages de ces deux expressions :
Nous savons que le locuteur organise son espace gauche/droite par rapport à l’orientation frontale et latérale. Les paramètres utilisés sont
donc : le locuteur/l’objet/l’espace (orientation).
- Par rapport au locuteur (au / je) ou indépendant de lui
1. Tei te pae ‘aui o Tama i te pârahira’a, tei te pae ‘atau o Mahine
/Asp. le côté gauche/présent. Tama/à le asseoir-lieu/, /asp. le côté
droit/présent. Mahine// «Tama est assis à gauche et Mahine, à droite»
(du locuteur).
2. Tei te pae ‘aui te ama, ‘aita tô te pae ‘atau //Asp. le côté gauche/le
balancier/, /pas le-à le côté droit// «Le balancier est à gauche, pas à
droite» (de la pirogue).
muri (derrière)
A
‘aui
LOC
‘atau
B
‘aui
SITE (X)
‘atau
mua (devant)
L’orientation (gauche/droite) de la pirogue est intrinsèque et indépendante du locuteur.
- L’objet ou l’interlocuteur est en tandem avec le locuteur.
1. Tei te pae ‘aui te tumu râ’au , tei te pae ‘atau te ‘ânâvai //Asp. le
côté gauche/le tronc arbre/, /asp. le côté droit/la rivière// «L’arbre est à
gauche et la rivière à droite» (du locuteur).
2. E parahi au i te pae ‘atau e o ‘oe a haere atu i te pae ‘aui. //Inacc.
asseoir /je/à le côté droit//et présent. toi/impératif aller direct./à le
côté gauche// «Je vais m’asseoir à droite et toi, tu n’as qu’à aller à
gauche.»
3. A tu’u i te vî i te pae ‘atau e te ‘ôfa’i i te pae ‘aui //Impér. mettre/à
la mangue/à le côté droit//et le caillou/à le côté gauche// «Mets la
mangue à droite et le caillou à gauche» (cf. figure supra).
- L’objet ou l’interlocuteur est en miroir avec le locuteur
1. A tu’u i te vî i te pae ‘atau o Tama e te ‘ôfa’i i te pae ‘aui //Impér.
mettre/à la mangue/à le côté droit de Tama//et le caillou/à le côté
gauche// «Mets la mangue à droite de Tama et le caillou à gauche.»
‘aui
LOC
‘atau
A
B
‘atau
SITE
‘aui
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
2. Tei te pae ‘atau o te patu te tumu-vî e te ‘afata tei te pae ‘aui //Asp.
le côté droit de le mur/le tronc-mangue//et la caisse/asp. le côté
gauche// «Le manguier se trouve à droite du mur et la caisse, à gauche.»
3-2. Les expressions spatiales ni’a/ raro (sur, haut/ sous, bas)
a) Etude lexicale
Ces deux termes sont, du point de vue catégoriel, des morphèmes, car
ils appartiennent à un inventaire fermé et sont traduits, sans être des
prépositions, par «sur, (en) haut / sous, (en) bas», mais nous allons
voir que, suivant leurs usages, ils peuvent avoir d’autres signifiés et donc
référer à d’autres choses.
ni’a «1. sur, en haut, là-haut, haut ; 2. Est ; lieu où se lèvent les astres ;
3. tard dans la matinée ; 4. être levé (astre, personne....), s’élever, être
debout ; 5. selon, d’après ; 6. (être) supérieur, idée de domination, diriger ; 7. être élevé, aigu, plus haut que la norme (voix) ; 8. (être) fier,
orgueilleux, qui peut dépasser la norme ; 9. être élevé, augmenté
(prix) ; 10. grimper ; 11. monter dans la clarté, dans le jour ; valeur
d’accessibilité devant tout le monde ; 12. se précipiter pour faire
quelque chose avec agilité et rapidité ; 13. idée d’être porté, supporté
(dans, en, à, au, contre...); 14. valeur positive (faire les choses devant)
avec idée de fierté (position élevée), mais avec une connotation péjorative (légèreté, sans fondement).»
raro «1. sous, en bas, au bas, bas ; 2. Ouest ; lieu où les astres se couchent ; 3. tard dans l’après-midi ; se coucher ou être couché (astre) ; 4.
être par terre, à pied ; 5. (être) inférieur ; idée de soumission, de dominé. 6. être bas, humble, inaudible (voix), au-dessous de la norme, plus
bas ; 7. (être) bas, baissé (prix) ; 8. tomber, descendre, reculer ; 9.
(être) au fond de ; profondeurs, loin dans l’espace-lieu et le temps ; 10.
les ancêtres, ceux d’en bas ; 11. valeur négative (faire les choses par derrière) avec la conscience d’être dans une position inférieure, mais avec
une connotation de timidité, d’humilité.»
On trouve ces termes dans les expressions prépositionnelles et
nominales.
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
Expressions prépositionnelles
i ni’a «sur, en haut»
/ i raro «sous, en bas»
nâ ni’a «en, par dessus» / nâ raro «à pied, par terre»
nô ni’a «de là-haut, à cause»
/ nô raro «d’en bas, à cause de»
‘ô ni’a «avoir été là-haut»
/ ‘ô raro «avoir été là en bas»
‘î ni’a «avoir été (à) là-haut»
/ ‘î raro «avoir été à là en bas»
tei ni’a «être là-haut»
/ tei raro «être là en bas»
mai ni’a mai «depuis là-haut, / mai raro mai «depuis en bas,
depuis très longtemps»
Expressions nominales
o ni’a «part. nom. haut» / o raro «part. nom. bas»
te ni’ara’a «la partie supérieure»/te rarora’a «1. la partie inférieure ;
2. la jupe»
En synthémathique, on trouve les expressions suivantes :
‘ani’a «frivole, superficiel, sans fondement.»/mâraro «(être) accablé»
(douleur)/ târaro «1. séduire, soudoyer, suborner ; 2. se procurer
quelque chose par des chemins détournés....»/ auraro «se soumettre,
être soumis à, se résigner, céder, obéir, être sujet de».
‘oni’a «se lever» (brise), / pûraro «glisser la main par en-dessous» /
raroraroa’e «de très basse naissance» / mûraro «1.persuader ; 2. murmurer.»
b) Etude syntaxique et répartition selon leurs caractéristiques
d’opposition ou leurs affinités sémantiques.
- Selon leurs propriétés distinctives (A / X / B) :
A = objet représentant ni’a ; B = objet représentant raro ; X étant la
cible, le point de repère.
1)
LOC
A (haut, supérieur, grimpé, plus, plus haut, dominer...)
X
B (bas, inférieur, baissé, moins, moins haut, dominé...)
2)
LOC
A (haut, supérieur…)
LOC.
B (bas, inférieur…)
15
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
1. Era râtou i ni’a, eie o Tama i raro //Voilà /ils /à haut//, //voici /présent. Tama /à bas// «Ils sont en haut alors que Tama est en bas.»
2. Tei ni’a te moni vanira «Le prix de la vanille a augmenté.» //Asp.
haut/le argent vanille//
3. Tei raro te moni pûhâ «Le prix du coprah a baissé» //Asp. bas /le
argent coprah//
4. Ua nehenehe o ni’a «Le haut est beau» //Acc. beau/présent. haut//
5. Ua nehenehe o raro «Le bas est beau» //Acc. beau/présent. bas//
6. Tei ni’a râtou i te hanere «Ils sont plus de cent» //Etre sur/ils/à le cent//
7. Tei raro te manihini i te hanere «Les invités sont moins de cent»
//Etre bas/le invité/à le cent//
8. Tô ni’a roa tâ râtou himene //Etre haut complètement/le-de eux
chant// «Ils ont attaqué leur chant sur une note trop haute.»
9. Tô raro roa tâ râtou himene //Etre bas complètement/le-de eux
chant// «Ils ont attaqué leur chant sur une note trop basse.»
10. Tô ni’a te reo o Vahine, tô raro tô Natea //Etre haut/la voix de
Vahine/, /être bas/la-de Natea// «La voix de Vahine domine celle de
Natea.»
11. Te ni’ara’a(-’ahu) «le bustier»/te rarora’a(-’ahu) «la jupe.»
Il ressort de cette étude que les caractéristiques déterminantes des
expressions ni’a /raro dans les phrases ci-dessus sont l’ordre sur le
même axe vertical et la même direction verticale. Ces termes sont en
opposition binaire sur un axe vertical. Les objets A et B ne sont pas en
contact avec la cible X. Les traits qui caractérisent ces cibles sont :
- le trait de verticalité (+),
- le trait de symétrie (+) par rapport au point de référence (site).
Le mouvement se fait dans les deux sens, symétriquement et en sens
contraire.
Les termes ni’a/raro sont de vraies converses : opposition entre : sur,
haut/sous, bas ; supérieur/inférieur ; grimpé/baissé, dominer/dominé.
- Selon leur symétrie par rapport à eux-mêmes : (A = X) / B
1)
16
LOC
A (=X)
B (proche)
2)
LOC
A(=X)
B (loin)
�N° 276 • Mars - Juin 1998
1. Tei ni’a te mîmî i te ‘aira’amâ’a «Le chat est sur la table» //Etre
sur/le chat/à la table//
2. Tei raro te mîmî i te ‘aira’amâ’a «Le chat est au bas de la table.»
(par terre) //Etre bas/le chat/à la table//
3. Tei ni’a te mimi ia ‘oe «Le chat est sur toi» //Etre sur/le chat/à toi//
4. Tei ni’a te pahî i te tai «Le bateau est sur l’eau» //Etre haut/le
bateau/à la mer//
5. Tei raro te pahî i te tai «Le bateau est sous l’eau» (coulé)//Etre
bas/le bateau/à la mer//
6. Tei ni’a râtou i te fenua «Ils sont à terre (sur la terre ferme)» //Etre
haut/ils/à la terre//
7. Tei raro o na i te fenua «Il est sous terre» (enterré) //Etre bas/présent. il/à la terre//
Ni’a et raro sont toujours converses et gardent leur valeur locative. La
répartition des expressions spatiales ni’a/raro s’effectue toujours selon
une opposition binaire mais non par rapport au point de référence X (A
= X), mais par rapport à eux-mêmes. Les traits qui caractérisent cette
opposition sont : la verticalité (+), la symétrie (+) et l’éloignement dans
l’espace (+/-) :
- pour les exemples 1, 2, 3, (proche donc visible)
pour A : - verticalité (+); symétrie (+); visibilité (+),
pour B : - verticalité (+); symétrie (+); visibilité (+),
- pour l’exemple 5, (éloigné donc plus ou moins visible)
pour A : - verticalité (+); symétrie (+); visibilité (+),
pour B : - verticalité (+); symétrie (+); visibilité (+/-).
- Ni’a et raro peuvent indiquer les points cardinaux : Est/Ouest bien qu’il
existe des termes spécifiques pour désigner les points cardinaux (Nord
= ‘Apato’erau ; Sud = ‘Apato’a ; Est = Hiti’a o te râ ; Ouest = To’o’a o
te râ).
B (raro)
(bas)
LOC (=X)
A
(ni’a)
(haut)
17
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
1. E tere râtou i ni’a, mâtou râ, e haere ia mâtou i raro //Inacc. voyager /ils/à haut/, /nous conj./, /inacc. voyager alors/nous/à bas// «Ils
vont aller vers l’Est, tandis que nous, nous nous dirigeons vers l’Ouest.»
2. Tei ni’a o Tahiti, tei raro o Ra’iatea //Asp. haut/présent. Tahiti/,
/asp. bas /présent. Ra’iatea// «Tahiti est à l’Est, Ra’iatea à l’Ouest»
3. Tô ni’a e tô raro //Le-de haut/et /le-de bas// «Ceux d’Est et d’Ouest»
L’opposition est toujours binaire par rapport au point de référence. Ni’a
et raro restent converses, symétriques mais dans l’horizontalité et non
dans la verticalité. La cible A reste sur l’axe vertical, dans la direction
frontale (horizontale) et B est dans la direction opposée.
- Ni’a et raro peuvent avoir une valeur temporelle.
1. Tei ni’a te mahana «Le soleil est haut ; il est tard (matinée)»//Asp.
haut/le soleil//
2. Tei raro te mahana «Le soleil est bas ; il est tard (après-midi)» //Asp.
bas/le soleil//
Il y a toujours une opposition binaire, aussi bien dans l’espace-lieu que
dans l’espace-temps.
- Selon leurs emplois spécifiques :
Ni’a «sur, haut ;»
1. Ua nâ ni’a o na i te pere’o’ota’ata’ahi «Il est allé à bicyclette» //Acc.
par haut/il/ à la bicyclette//
2. Ua nâ raro o na»Il est allé à pied» //Asp. par bas/il//
3. Tê turu’i ra o nâ i ni’a i te papa’i-fare //Progres.. appuyer/il/à
sur/le mur// «Il s’appuie contre le mur.»
4. I ni’a noa i tô na ta’ira’a-reo e ‘itehia ai e ua riri o na //A sur seulement/à le-de son-voix/inacc. voir-être par anaphorique / et/acc. être
fâché/il// «Au seul son de sa voix, on sait qu’il est en colère.»
5. Tei raro i te Pô te fa’aeara’a o Ta’aroa //Asp. bas à les Ténèbres/la
demeure de Ta’aroa// «La demeure de Ta’aroa est en bas dans les
Ténèbres.»
6. A papa i te mau tupuna e tae roa atu i raro. //Asp. empiler/à le pluriel. ancêtre/asp. arriver complètement vers/à bas// «Remonte la généalogie jusque très loin.»
Les différents emplois de ni’a et de raro dans ces différentes phrases
expriment plusieurs idées :
18
�N° 276 • Mars - Juin 1998
Ni’a, idée «d’être porté, de prendre appui sur, exclusion (rien que),
selon», alors que raro indique «le contact avec la terre, l’idée de lointain, de profondeur tendant presque vers une valeur temporelles.» Ils
sont toujours en opposition binaire mais du point de vue de leurs
emplois spécifiques.
Nous venons de voir que la complexité de la distribution des locatifs
n’est pas essentiellement un problème synchronique, mais qu’il fait également appel à la diachronie. Le domaine spatial permet une confrontation entre le langage et ce qu’il exprime. Les domaines dans lesquels
sont utilisées les deux expressions spatiales ni’a et raro sont nombreux :
lieu, temps, procès etc..... En effet, ils n’expriment pas seulement l’espace (+/- vertical, +/- proche, Est/Ouest), mais ils indiquent également le
temps (tard, très loin dans le temps).
3-3. Les expressions spatiales mua / muri (devant/derrière)
a) Etude lexicale
mua 1 ; «devant, avant ; (en) face ; 2. premier ; 3. aîné ; 4. connu, vu ;
5. origine, commencement, début ; 6. autrefois, jadis ; 7. limite (début,
commencement) ; 8. guide, tête, diriger, guider ; 9. antérieur(ement) ;
10. devancer, précéder ; 11. ancêtres (premiers) ; 12. premier (né, arrivé, dans la hiérarchie, arrivant) ; 13. capitale ; 14. témérité, courage.»
muri 1 ; «derrière, arrière ; après, dans le dos ; 2. suivant, second ; 3.
dernier (né, arrivé, dans la hiérarchie, arrivant) ; 4. cadet ; 5. retardataire ; 6. retardé ; 7. non vu, non visible, hors de la vision ; 8. à jamais,
toujours, éternellement, à venir, suivre ; 9. sans limite, sans fin ; 10. exécutant ; 11. postérieur(ement) ; 12. descendant (dernier) ; 13. reculer.
14. nouvellement arrivé ; 15. lâcheté, manque de courage.»
non visible
(hors du champ de vision)
muri (derrière)
non visible (idem)
ni’a (haut)
‘aui (gauche)
visible (dans le champ de vision)
LOC
visible (idem)
atau (droite)
raro (bas)
mua (devant)
19
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Muri, mua, indiquent tout ce qui dépasse la latéralité et la verticalité et
ce qui se trouve hors du champ de vision. Le premier sens qui apparaît
de ces expressions est le sens local, locatif, puis vient celui de temporel
et de hiérarchie.
b) Etude syntaxique
Ces notions spatiales se trouvent dans les expressions prépositionnelles
et nominales.
Valeur locative
Point de référence X et directions horizontale et frontale
Les relations de mua et muri caractérisent la position du point de référence (site) X par rapport à la direction horizontale et frontale.
1. A haere i mua. «Va devant ; avance.» //Impér. aller/à devant//
2. A haere i muri. «Va derrière ; recule.» //Impér. aller/à derrière//
3. A hi’o i mua. «Regarde devant toi.» //Impér. regarder/à devant//
4. A hi’o i muri. «Regarde derrière toi.» //Impér. regarder/à derrière//
muri
X (=LOC)
mua
Locuteur, directions horizontale et frontale et directions latérale et verticale.
- Le locuteur est le point de référence, LOC = X.
1. I mua ia ‘u «Devant moi ; en face de moi ; avant moi ; me précédant.»
//A devant/à moi//
2. I muri ia ‘u «Derrière moi ; dans mon dos ; après moi ; me suivant.»
//A derrière/à moi//
3. E haere au i mua «J’irai devant ; j’avancerai.» //Inacc. aller/je/à
devant//
4. E haere au i muri. «J’irai derrière ; je reculerai.» //Inacc. aller/je/à
derrière//
muri
ni’a (haut)
‘aui (gauche
LOC. (=X)
‘atau (droite)
raro (en bas)
mua
Mua et muri sont converses par rapport au point de référence et aux
directions horizontale, verticale et latérale.
20
�N° 276 • Mars - Juin 1998
Valeur locale et temporelle
- Le locuteur est le point de référence = X, l’interlocuteur est l’objet A
(LOC = X, INTERL. = A).
muri
ni’a (vertical)
‘aui (gauche)
Loc (=X)
‘atau (droite)
raro (vertical)
A (=Interlocuteur)
mua
1. Tei mua o Teri’i ia ‘u //Etre devant /présent. Teri’i/à moi// «Teri’i est
devant moi ; Teri’i est en face de moi ; Teri’i est avant moi ; Teri’i me précède ; Teri’i est antérieur à moi.»
2. Tei muri au ia Teri’i. //Etre derrière/je/à Teri’i// «Je suis derrière
Teri’i ; je suis dans le dos de Teri’i ; je suis après Teri’i ; je suis Teri’i ; je
suis postérieure à Teri’i.»
L’objet peut être en tandem ou en miroir avec le locuteur, le sens du
mouvement est celui du locuteur. Les deux termes sont converses, donc
en opposition binaire.
- L’interlocuteur est le point de référence = X, un deuxième objet B
(Tama) apparaît, le locuteur est toujours présent.
muri
ni’a (haut)
‘aui (gauche)
LOC
‘atau (droite)
raro
‘atau (droite)
X (Teri’i )
‘aui (gauche)
‘atau
B (Tama)
’aui
mua
1. Tei mua vau ia Teri’i. //Etre devant/je/à Teri’i// «Je suis devant Teri’i ;
je suis en face de Teri’i ; je suis avant Teri’i ; je devance Teri’i ; je suis
antérieure à Teri’i.»
2. Tei muri o Tama ia Teri’i. //Etre derrière/présent. Tama/à Teri’i//
Tama est derrière Teri’i ; Tama est dans le dos de Teri’i ; Tama est après
Teri’i ; Tama suit Teri’i.»
3. Tô mua e tô muri : «1. ceux de devant et ceux de derrière. 2. ceux
d’avant (d’autrefois) et ceux d’après (de maintenant) ; 3. les premiers
et les suivants ; 4. les premiers et les seconds ; 5. les aînés et les cadets ;
6. les anciens et les nouveaux (d’autrefois et d’à présent).»
21
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
L’opposition est toujours binaire entre les deux termes mua /muri dans
l’espace, mais aussi dans le temps et la hiérarchie également. Ce qui est
devant/derrière dans l’espace-lieu deviendra avant, antérieur/après ,
postérieur dans l’espace-temps. La direction dans l’horizontalité s’est
inversée, devant (lieu) est devenu avant (temps) et derrière (lieu),
après (temps).
mua (avant)
(antérieur)
X
muri (après, postérieur)
Valeur temporelle
1. E fârerei tâtou i teie hepetoma i mua nei. //Inacc.
rencontrer/nous/à ceci semaine/à devant -ci// «Nous nous reverrons la
semaine prochaine.»
2. E fârerei tâtou i teie hepetoma i muri nei. (expression récente
datant d’une dizaine d’années) //Inacc. rencontrer/nous/à ceci semaine/à derrière-ci// «Nous nous reverrons la semaine prochaine.»
Dans la phrase 1, le locuteur et l’interlocuteur sont dans le même sens
du mouvement, ils peuvent être en tandem ou en miroir, c’est le locuteur
qui dirige le mouvement en incluant l’interlocuteur dans son discours.
Dans la phrase 2, le locuteur considère l’interlocuteur comme un point
de référence qui se trouve en miroir avec lui (qui lui fait face), son sens
du mouvement du temps n’est pas celui de l’interlocuteur. Il s’exclut et
met l’interlocuteur comme point de référence du temps qui le suit, qui
viendra après lui.
Phrase 1 = même sens du mouvement (inclusion)
muri
ni’a (haut)
‘aui (gauche)
LOC.
atau (droite)
raro (bas)
ni’a
‘aui
INTERLOC.
‘atau
raro
mua (devant)
Phrase 2 = sens différent (exclusion)
muri
22
ni’a
‘aui
LOC.
‘atau
raro
‘atau
INTERLOC.
‘aui
mua
�N° 276 • Mars - Juin 1998
Comparaison de mua/muri (devant/derrière)
avec ni’a/raro (haut/bas)
Il semblerait qu’il y a rencontre potentielle de la représentation de l’espace-lieu et de l’espace-temps pour ces expressions spatiales.
1. Tei mua râtou. //Etre devant/ils// «Ils sont en avant ; ils sont premiers ; ils dépassent (dominent) ; ils ont progressé ; ils ont avancé.»
2. Tei ni’a râtou. //Etre haut/ils// «Ils sont en haut ; ils sont en avance ;
ils dominent ; ils ont progressé ; ils ont avancé ; ils ont grimpé.»
3. Tei muri râtou. //Etre derrière/ils// «Ils sont derniers ; ils sont dépassés ; ils sont derrière ; ils ont régressé ; ils ont perdu ; ils sont à la traîne ;
ils sont inférieurs.»
4. Tei raro râtou. //Etre bas/ils// «Ils sont derniers ; ils sont dépassés ;
ils sont derrière ; ils ont régressé ; ils ont perdu ; ils sont à la traîne ; ils
sont inférieurs.»
5. Ei mua, ei muri ! «Dansez !» //Asp. devant/, /asp. derrière//
6. Ei ni’a, ei raro ! «Dansez !» //Asp. haut/, /asp. bas //
7. Tei mua te pahu, tei muri râtou i te ‘ori. //Etre devant/le tambour/,
/être derrière/ils/à le danser// «Dès que le tambour se met à résonner,
les gens dansent.»
8. Tei ni’a te pahu, tei raro râtou i te ‘ori. //Etre haut/le tambour/,
/être bas/ils/ à le danser// «Dès que le tambour se met à résonner, les
gens dansent.» (antériorité d’une action par rapport à une autre).
ni’a (bien, tout ce qui est positif, supérieur, monté,
avancé, premier, élevé, en avance)
muri
(négatif, inférieur, à la traîne,
dépassé, régressé....)
LOC.
raro
mua (devant)
La comparaison de ces quatre locatifs montrent qu’il existe des liens
conceptuels entre ces notions :
- ni’a /mua , expriment ce qui est positif, bien, premier, avancé (antériorité)
- raro/muri, indiquent ce qui est négatif, régression, retardé, arriéré
(postériorité).
23
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Il ressort de l’étude de ces expressions spatiales que ni’a (haut) et mua
(devant) indiquent une limite (visibilité, début ou origine) ou quelque chose
de positif et que les termes raro (bas) et muri derrière) marquent au contraire un espace sans limite (profondeurs, éternellement, recul) ou le négatif.
4 • Les directionnels
a) Etude lexicale
Il existe quatre directionnels en tahitien :
- mai «vers le locuteur, vers le point de référence, à partir du point de
référence ; moi ou nous» (horizontalité / frontale) (endocentrique)
- atu «vers l’interlocuteur, derrière lui, plus loin que lui ; lui, leur.»
(horizontalité / frontale) (exocentrique)
- a’e «sur le (à) côté ; lui, leur (sur le côté) ; après» (latéralité)
- iho «sur place, contact, simultanéité ; toi-même, vous» (verticalité).
b) Etude syntaxique
Dans cette étude, ne seront analysés que les termes mai / atu.
- Mai «vers le locuteur ; vers le point de référence»
1. Ua haere mai râtou i te fare. «Ils sont venus chez nous.» //Acc. aller
ici/ils/à la maison//
2. Ua haere atu râtou i te fare. «Ils sont venus chez vous.» //Acc. aller
là/ils/à la maison//
3. A haere mai ! //Impér. aller direct. // «Viens !»
4. A haere atu ! //Impér. aller direct. // «Eloigne-toi !»
5. A parahi mai ! «Assieds-toi en face de moi !» (proche de moi)
//Impér. asseoir direct.//
6. A parahi atu ! «Assieds-toi là-bas, plus loin !» //Impér. asseoir
direct.//
Espace / Personne
Vers le locuteur / Vers l’interlocuteur (direction)
Proche / Eloigné
Mai/atu sont en opposition binaire concernant l’espace et la personne,
concernant la direction vers le locuteur et vers l’interlocuteur et la distance : proche/éloigné. En tahitien, le verbe venir n’existe pas mais il est
exprimé par le verbe haere «aller, se déplacer» et le directionnel mai
«vers le locuteur» ou quelquefois atu.
24
�N° 276 • Mars - Juin 1998
Les deux termes sont converses, sont en opposition binaire selon les
directions horizontale/frontale, mais ils peuvent référer aux personnes
elles-mêmes qui deviendront le lieu vers où l’action a lieu (est dirigée).
1. Ua parau mai te ‘orometua. «Le pasteur me (nous) l’a dit.» //Acc.
dire direct. /le pasteur//
2. Ua parau atu te ‘orometua. «Le pasteur te (vous) l’as dit.» //Acc.
dire direct./le pasteur//
3. A tû’ama mai i te môrî «Allume-moi (nous) la lumière !» //Impér.
allumer direct. /à la lumière //
4. A tû’ama atu i te môrî ! «Allume-leur la lumière !» //Impér. allumer
direct./à la lumière //
Espace = Personne
Moi (nous) / Tu (vous) (direction)
Moi (nous) / Lui (leur) (direction)
L’espace est devenu la personne, il n’y a plus qu’une opposition entre le
locuteur et l’interlocuteur ou entre le locuteur et l’autre (ou les autres).
Comme les autres locatifs mai et atu s’opposent également par leurs
spécificités : atu n’est utilisé qu’en tant que qualifiant, alors que mai
peut être un prédicat (un procès). Mai ! «Donne ! ; Approche-(toi) ! ;
Viens !» //Directionnel //
Espace = Personne = Espace du discours =
= Procès ou événement
L’espace est devenu la personne qui elle-même est devenue un procès
comme c’est le cas avec les autres locatifs.
L’analyse linguistique des pronoms personnels, des démonstratifs des
locatifs et des directionnels nous montre le lien étroit qui unit la personne, le lieu et le temps et que le tahitien est un système qui est orienté sur
la distance à partir des personnes, en plus d’Ego. C’est plus un système
lococentrique qu’égocentrique, où la personne a un lien très étroit avec
l’espace, et où elle peut même être le lieu de l’action, de l’événement ou
l’action elle-même (prédicat).
Louise Peltzer
25
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
B I B L I O G R A P H I E
•BENVENISTE E., 1980-1, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard,
t. 1 : 285 p. ; t. 2 : 351 p.
•de SIVERS F. (éd.), 1978, Structuration de l’espace dans les langues de la Baltique
Orientale, (LACITO - Documents Eurasie 1), Paris, Selaf, 76 p.
•de SIVERS F. (éd.), 1984, Structuration de l’espace dans les langues de la Baltique
Orientale, II Organisation de l’espace habité, (LACITO - Documents Eurasie 7), Paris,
Selaf, 111 p.
•ALAVAREZ - PEREYRE F. (éd.), 1979, Aspects de l’espace en Europe, (Langues et
Civilisations à Tradition Orale 33), Paris, Selaf, 215 p.
•VANDELOISE C., 1986, L’espace en français, Paris, Seuil, 245 p.
•MOREL M.A. et DANON-BOILEAU L. (éd.), 1992, La déixis, Paris, PUF, 664 p.
•HAGEGE C., 1982, Structure des langues, Paris, Que sais-je ?, PUF, 127 p.
•DUCROT O./TODOROV T., 1972, Dictionnaire encyclopédique des sciences du
langage, Paris, Seuil, 470 p.
•MAREK KESIK, 1989, La cataphore, Paris, PUF, 155 p.
•FRAZER T. et JOLY A., 1980, (Modèles Linguistiques, t. II), Paris, PUF, 156 p.
•PARIS C., FEUILLETJ., 1992, Articles dans La déixis, Paris, PUF, 664 p.
•LAZARD G. et PELTZER L., 1991, «Predicates in Tahitian», Oceanic Linguistics,
30, 1-31.
•LAZARD G. et PELTZER L., 1992, «La deixis en tahitien», 209-219, La deixis, Paris,
PUF, 664 p.
26
�Mua/Muri :
ordre, espace et temps
en Polynésie 1
Le cas samoan comparé au tahitien
et le rapport à l’Occident
Dans son article sur les significations tahitiennes des concepts Mua
et Muri (BSEO de mars-juin 1996), Bruno Saura analyse certaines stratégies à l’œuvre dans les affirmations contemporaines de l’identité culturelle ma’ohi. Il nous dit que, parfois, les redéfinitions savantes de
mots proposées aujourd’hui sont motivées par une opinion particulière.
Certains considèrent que les significations contemporaines seraient
dévoyées, sous l’influence de la langue française. Elles auraient inversé
les significations «traditionnelles» — qu’il s’agirait de restaurer. La
déviation moderne, ayant subi l’attraction du français, rendrait invisible
aujourd’hui le contraste qui existait entre certaines conceptions tahitiennes traditionnelles et celles véhiculées par la langue française. Tel
serait le cas pour l’usage de Mua et Muri2.
1 Je remercie beaucoup Niko Besnier qui, lors de son séjour dans notre centre, a bien voulu
relire ce texte et me signaler quelques erreurs ainsi que la nécessité de se garder d’une tendance à passer trop vite d’une logique de la langue à une cohérence dans la vision du monde d’une
société. Sur certains points, j’ai maintenu les hypothèses sur ce lien. De façon générale, l’ensemble des hypothèses sémantiques et anthrologiques avancées dans cet article demeurent de
ma seule responsabilité.
Le Centre de Recherche et de Documentation sur l’Océanie, (C.R.E.D.O.) fondé en 1995, est une
unité mixte de recherche (UMR) du CNRS, de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
et de l’Université de Provence (EHESS-Centre de la Vieille Charité, 2 rue de la Charité, 13002
Marseille).
2 En suivant Saura, j’écrirai les deux mots tahitiens Mua et Muri avec une majuscule initiale,
puisque la discussion qui a cours à Tahiti les traite comme des concepts. Les mots samoans
mua et muli seront écrits sans majuscules : ils signifient simplement «premier» et «dernier».
Cependant, je n’endosse pas une distinction analytique entre «concept» et «qualificatif»; il
s’agit simplement d’un moyen commode de distinguer visuellement dans ce texte le Mua tahitien et le mua samoan. Les racines proto-polynésiennes reconstruites (citées d’après le POLLEX de Biggs 1993) seront écrites quant à elles en majuscules, avec l’astérisque habituel qui
indique qu’il s’agit d’une reconstruction : *MUQA, *MURI.
27
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Autour de ces mots Mua et Muri, on discute des «conceptions du
temps et de l’espace» dans la culture ma’ohi, en opposition avec la
manière dont la culture française (et d’autres européennes) utilisent ces
catégories, surtout pour ce qui concerne le temps. Certains intellectuels
tahitiens considèrent que l’usage contemporain, déformés par l’influence du français, doit être ramené à l’authenticité au moyen d’une inversion du sens. Ainsi Mua qui peut désigner ce qui est «devant» s’emploierait à tort pour désigner aussi un événement à venir, et Muri qui peut
désigner ce qui est «derrière» s’emploierait à tort pour désigner un événement passé. Le sens authentique serait : Mua = passé, Muri = futur.
Une image employée par ceux qui prônent un retour à l’authentique
est le cours d’eau qui figure le temps. Le Polynésien traditionnel regarderait vers l’embouchure comme un espace futur, là où l’eau va couler.
Or «l’embouchure» se dit avec muri- : muriavai (vai = l’eau) ; nous
retrouverons cette expression dans les exemples samoans. Donc le futur
est Muri ; donc le passé est Mua ; d’autant plus que l’on a l’expression
matamua «jadis» — mais nous verrons là aussi, avec le parallèle en
samoan, qu’il y a un problème. L’Européen quant à lui regarderait vers
la source : là sont les événements à venir, ils sont «devant» Mua. Donc
le futur est Mua ; donc le passé est Muri. C’est une manière de dire que
les Occidentaux valoriseraient la fuite en avant du temps, alors que les
Polynésiens valoriseraient le passé. En regardant devant (mua au sens
spatial), le Polynésien regarderait aussi le temps passé (mua au sens
temporel «authentique»). L’usage contemporain qui fait dire au Tahitien
«te mahana i mua nei» pour le jour «à venir» et «te mahana i muri
nei» pour le jour «passé» serait un usage «corrompu» par la vision
occidentale du temps. L’opposition entre ces deux perceptions du cours
d’eau temporel serait elle-même un élément d’une opposition plus
vaste : un temps cyclique polynésien (ce qui est spatialement «derrière»
peut être temporellement «devant») versus un temps linéaire européen
(où la direction du temps est superposable à l’orientation de l’espace :
«derrière»=»auparavant»)3.
3 N’étant pas du tout un connaisseur du tahitien, je résume ici strictement ce que dit Saura (p.
23-24). Voir son texte pour les références concernant les auteurs dont il résume ainsi la pensée.
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
Cependant, dit Saura, le débat sur les mots Mua et Muri ne devrait
pas être conçu en fonction de l’usage, populaire et savant, concernant
les représentations culturelles de la notion de temps. Ces mots ne
seraient pas impliqués. On veut leur faire parler du temps, on veut savoir
lequel des deux mots Mua et Muri désigne traditionnellement le passé et
lequel l’avenir, alors qu’il s’agirait en fait de «catégories cognitives»,
indiquant ce qui est perçu et ce qui ne l’est pas, ce qui est (déjà) vuconnu et ce qui ne l’est pas (Saura, op. cit., p. 29).
Il me semble qu’une brève comparaison avec la langue polynésienne de Samoa peut apporter quelques éclaircissements. La situation culturelle tahitienne est particulière — la recherche de ce qui est réellement «ma’ohi», «authentiquement tahitien» — et l’exemple samoan
que je voudrais apporter à l’appui de cette discussion se limitera à une
simple analyse lexicale. Pour le tahitien standard, Saura suggère donc
que l’opposition Mua/Muri n’est pas une catégorie portant sur l’espace
ou le temps, mais sur la connaissance. L’hypothèse est forte, dans la
mesure où elle annule l’ensemble du débat en cours sur la valeur de
«futur» ou de «passé» que porterait la catégorie Mua4.
Je voudrais dire ici que, d’un point de vue «samoan», l’hypothèse
paraît fondée. La langue samoane permet une conclusion semblable sur
les mots mua et muli, équivalents samoans du tahitien Mua et Muri. Le
cas samoan permet en outre d’apporter un certain nombre de précisions qui peuvent être versées au dossier ouvert par Bruno Saura.
4 Si je comprends bien la position éthique que Saura adopte dans son article, elle me paraît
juste. Il défend, avec la même vigueur que les partisans de la redéfinition de certains mots, le
droit de la langue tahitienne à être la langue sociale et culturelle des Tahitiens et à résister à
l’envahissement du français (Saura, op. cit., p. 19). C’est pour cette raison qu’il évoque le danger que représente le risque de (re)définir les catégories tahitiennes par la seule opposition à
celles françaises ; il faut bien vérifier si on ne retombe pas involontairement dans l’acculturation : subir encore, même par la négative, l’influence prépondérante du français (ibid., p. 48),
prendre encore ce dernier comme référence, même si c’est pour en déduire le contraire — car
le contraire de l’autre ne ramène pas forcément à soi. J’y suis sensible car, outre mon identité
française, je suis un peu Samoan d’adoption (par mariage) et je ressens la même tristesse
lorsque, au Samoa Occidental, l’usage de la langue cède le pas devant l’envahissement de l’anglais — même si le phénomène ne fait que commencer (v ci-dessous).
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
La question de l’identité linguistique
au Samoa Occidental
L’argument sera de nature lexicale. On dira un mot cependant sur
la question identitaire, à titre de brève comparaison.
Au Samoa Occidental5, la langue samoane O le (gagana) Fa’a
Samoa possède le statut naturel de toute langue nationale : elle est aussi
bien la langue de tous les jours, et ce dans toutes les familles6, que la
langue de l’Administration, des journaux, des débats au Parlement, etc.7
L’anglais est utilisé et enseigné comme langue secondaire, à des fins
techniques. Chacun s’accorde sur le fait que les valeurs identitaires,
conçues non seulement comme celles de la «coutume» aganu’u mais
aussi comme celles du «pays» atunuu et de «l’Etat» ‘O le Mâlâ ‘O
Sâmoa I Sisifo, ne peuvent être pensées et dites qu’au moyen de la
langue samoane. Ainsi, pour le moment du moins, le bilinguisme est suffisamment dissymétrique pour n’avoir pas suscité de réactions de sauvegarde linguistique.
Cependant, on assiste à un début. L’ouverture d’un débat sur la
signification «traditionnelle» des concepts courants versus une signification qui serait devenue déformée par une influence occidentale, est
apparue dans le registre spécialisé des concepts concernant la vie politique. Ce sont les notions de «consensus» fa’atasi (litt. «un») vs. «vote»
pâlota (de l’anglais «ballot»), de suffrage «à la manière samoane»
5 Dans tout ce qui suit, les remarques linguistiques concernent le «samoan», langue parlée
dans l’Etat indépendant du Samoa Occidental et dans le Territoire américain non-incorporé du
Samoa Oriental. Les remarques à caractère sociologique concernent le seul Samoa Occidental,
lieu principal de mes enquêtes (un long séjour en 1981-2, puis régulièrement quelques mois
tous les deux ans environ).
6 A l’exception de 3 à 5 % des familles du pays : des familles «demies» qui utilisent au quotidien l’anglais. Dans l’histoire du pays, la présence étrangère permanente n’a jamais dépassé
10 % de la population.
7 Les textes de lois ont l’obligation cependant d’être bilingues, samoan et anglais.
30
�N° 276 • Mars - Juin 1998
(fa’amatai : seuls les chefs de famille votent) vs. suffrage «universel»;
ce sont les débats autour de la notion de «démocratie», avec l’opposition entre la «temokalasi» (néologisme utilisé par les tenants du système matai) et la «democracy» (où, pour le coup, c’est l’anglais qui est
utilisé pour penser la situation et l’avenir politiques par ceux qui veulent
«moderniser» le système national). La democracy veut écarter les chefs
de famille (les matai) du processus électoral, la temokalasi veut les y
maintenir. L’argument des premiers est occidental : un homme, un vote.
L’argument des seconds repose sur l’organisation sociale locale : un
matai est une personne qui a été élue par la famille étendue pour la
représenter au niveau du village, du district, et même de tout le pays. Le
processus démocratique y est donc contenu ; il est donc logique que ce
soient ensuite les matai qui choisissent entre eux les membres du
Parlement national. Quant à la manière de choisir, c’est l’opposition
entre le consensus et le vote. La pratique du vote est ignorée dans le
choix du matai par la famille étendue. Elle devrait être ignorée pour la
suite du processus, disent certains. Car le vote laisse toujours derrière
lui des «vainqueurs» et des «faibles» (mâlô/vaivai), donc la division du
corps social (Tcherkézoff 1997a, 1997b).
Même si la langue samoane est encore celle de tous les jours, pour
tout le monde, cela ne signifie évidemment pas que, à Samoa, l’ensemble
de la question linguistique-nationale ignore tout problème. Si les représentations centrales de l’identité ne commencent à être remises en cause
que dans les notions «politiques», par l’augmentation de l’usage de l’anglais, un réel problème se pose pour l’égalité sociale, dans la scolarité
et dans le travail. L’anglais devient, qu’on le veuille ou non, un instrument de sélection pour terminer le collège. De façon évidente, il opère
une sélection pour accéder à des études supérieures à l’étranger, et
donc pour rejoindre la hiérarchie bureaucratique qui en résulte lorsque
les jeunes diplômés reviennent au pays pour devenir des cadres nationaux.
Jusqu’au début des années 1980, la majorité du personnel politique
était issu de la période de la préparation à l’Indépendance (acquise en
1962), où la sélection était massivement en fonction des critères traditionnels : les «grands» noms-titres de matai. Disons pour simplifier :
31
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
les vieilles familles du pays, parties prenantes du système hiérarchique
des généalogies, dans l’état où la fin des guerres au XIXe siècle l’avait
légué. Le «matai» est celui qui, à chaque génération, est choisi par l’ensemble des adultes de la famille (‘âiga), pour porter le nom de l’ancêtre
fondateur et représenter ainsi la famille devant les autres familles, à
l’échelle du village et à celle du pays. La famille ‘âiga est l’ensemble
cognatique de ceux qui se reconnaissent descendre de manière quelconque de l’ancêtre fondateur ou de l’un des matai qui se sont succédés
pour porter ce nom. Un individu a la possibilité généalogique d’appartenir à différentes familles ‘âiga et fait des choix en fonction de ses possibilités : appartenir c’est contribuer, en nattes fines, en argent, en nourriture, à toutes les fêtes qui rythment la vie de la famille. Tous les
Samoans partagent l’idée qu’un même «cercle» idéal regroupe — et
hiérarchise — tous les noms de matai du pays (tous les points du
cercle ont un statut différent), même si un accord sur le détail de cette
hiérarchie est impossible à obtenir.
Aujourd’hui il en va autrement et le diplôme acquis à l’étranger,
ainsi que la capacité à traiter avec les cadres des autres pays (au plan
politique ou simplement et surtout au plan commercial) — donc la maîtrise de l’anglais — deviennent des critères importants. De ce fait, les
enfants des familles où l’anglais est connu, au moins en partie, sont favorisés dans la compétition scolaire. Or ces familles sont celles demies, ou
celles d’un parent pasteur, instituteur ou bureaucrate, ce qui signifie
souvent que cette personne eut elle-même pour parent un pasteur8.
C’est l’avènement au pouvoir de cette classe idéologique qui
explique les changements très vastes survenus dans la vie politique
samoane de la dernière décennie. Tout cela est couplé avec le fait que,
de manière générale, la génération des trente-quarante ans aujourd’hui
est sans doute la première dans laquelle on commence à trouver des
8 A Samoa, dès la fin du XIXème, l’immense majorité des pasteurs est samoane, formée au
Collège théologique ouvert par les missionnaires de la L.M.S. en 1844 (London Missionary
Society). Le personnel européen de la L.M.S. n’a jamais dépassé la dizaine de personnes ; en
revanche, pour le personnel samoan, on compte déjà en à la fin du XIXe siècle près de 200 pasteurs samoans (1899 : 397). Aujourd’hui ils sont plus du double, et on ne trouve pratiquement
pas de pasteurs européens.
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
individus pour qui le système-matai (le «fa’amatai») n’est plus la fin en
soi de l’existence, des individus qui ont une autre ambition dans la vie
que celle de devenir matai9.
Venons-en à la langue.
Mua
Mua : comparaisons polynésiennes
Il est vrai que, si l’on se promène dans les dictionnaires des différentes langues polynésiennes et les emplois dans différentes ethnographies, dont le regroupement comparatif, pour certains mots du moins,
est donné par les listes «POLLEX» de l’équipe de Bruce Biggs et Ross
Clark (Auckland University, listing 1993), on trouve ceci : le Mua tahitien vient d’une racine proto-polynésienne [PPn] *MUQA, qui a donné
des réflexes dans toutes les langues polynésiennes (26 exemples dans
Biggs, op. cit.). De façon massive, la traduction commune à toutes ces
langues — sauf le samoan — est la suivante :
«before (space, time)», parfois «front, in front of», souvent les
deux ; et comme traduction (moyenne) retenue pour la racine PPn, une
fois «front, before», une autre fois «before (in time), in front».10
9 Dans la génération actuelle des vingt ans, c’est encore plus évident, mais la jeunesse explique
aussi ce discours, et il faut attendre que ces personnes aient quarante ans pour apercevoir s’il
y a ou non une accélération dans l’éloignement des valeurs du faa-matai. Précisons que l’accès
au statut de matai est assez ouvert : environ 15 000 matai pour une population de 70 000 personnes de plus de 21 ans (pop. totale : 160 000). Sur les dynamiques contemporaines de la
société samoane, sur le système-matai et la notion de «hiérarchie» à Samoa, voir Tcherkézoff
(op. cit. supra et 1992b, 1995).
10 Rappelons que le listing POLLEX se contente de lister sous la racine PPn reconstruite les
traductions données par chaque dictionnaire existant pour chaque langue. Il reste évidemment
tributaire des erreurs possibles dans les dictionnaires. Mais quand le regroupement révèle que,
pour chaque langue, le dictionnaire établi pour cette langue, anciennement ou récemment,
donne un sens semblable, la vérité sémantique est pratiquement assurée.
33
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Bref, au sens temporel : «avant»; et au sens spatial : «devant». Pour
la notion de «devant», aucune variation ; pour celle de «avant», deux
particularités dans la liste des exemples : en maori : «earlier period» et
pour East Futuna : «past time, (future in certain contexts)» — ce qui
indique que l’orientation temporelle peut être ambiguë, dans un cas au
moins.
Mais il y a encore un problème. Dans cette liste, l’exemple samoan
semble se distinguer de tout le lot, en abandonnant le registre du temps.
Un seul sens est noté : «the first», donc «le premier». Serait-ce une
exception absolue, une sorte d’aberration ? Même si l’on comprend bien
que ce qui est «devant» s’offre au regard «en premier» — nous y
reviendrons. Non, car on constate, en observant l’entrée suivante, que le
mot PPn composé de la base *MUQA et du suffixe *-KI donne la même
idée, dans presque toutes les langues où le réflexe est attesté (11
cas/13) : «first, be first, lead, precede». Or ce n’est pas le suffixe *-KI
qui peut être responsable de cette signification, mais bien la base
*MUQA. En fait, ce n’est pas le seul exemple. Dans le paragraphe précédent, nous parlions de la liste des sens donnés dans POLLEX, où l’on ne
retient généralement pour chaque langue que le premier sens du dictionnaire de la langue en question. Mais, si on regarde le détail de ces
dictionnaires, on trouve par exemple en rarotongien que, après les sens
de «front, before», le sens de «first» est attesté également (la première
chose à faire, la première partie d’un livre, le premier-né ; Buse et al.
1995 : 260, art. mua).
Mua : en samoan
MUA en général
En samoan, l’idée d’être ou d’arriver «premier» occupe véritablement tout le champ sémantique de mua, ne laissant pratiquement rien à
ce qui serait spécifiquement spatial ou temporel (mes observations ainsi
que la présentation du mot dans le dictionnaire de Milner 1966).
Mua qualifie une personne qui est première, qui est arrivée première et qui donc précède les autres : résultats sportifs, résultats scolaires,
34
�N° 276 • Mars - Juin 1998
mariage (chants traditionnels énonçant que le mari est le premier à
s’approcher de cette femme — on connaît la grande valeur accordée à
la virginité féminine pré-maritale dans cette culture11), et toutes circonstances quotidiennes : «j’y vais d’abord» ‘ou te (alu) muamua (redoublement fréquent pour qualifier une action, mua devenant alors un
verbe-adverbe), «il est tombé avec la tête en premier» na pa’û ma lona
ulu e muamua (ex. tiré du dictionnaire de Milner 1966). Le mot mua
peut s’appliquer aux choses : le premier item d’une liste ; mais c’est toujours avec l’idée que l’action va concerner en premier cet item : premier
objet à donner dans une fête, première légende à raconter, etc.
MUA : l’espace ?
Maintenant il est évident, nous l’avons dit, que ce (ou celui) qui est
(ou est arrivé) premier est placé devant les autres choses ou personnes.
Une avant-garde (guerrière) se disait muâ’au (‘au désigne tout «groupe» de personnes) ; mais, plutôt que d’insister sur le fait que ces guerriers sont «devant», il faut comprendre sans doute qu’ils forment «la
première ligne».
Pour notre entendement, le domaine spatial est ainsi immédiatement convoqué. Mais il ne faudrait pas en conclure qu’il est inclus dans
la sémantique samoane de mua. En effet, on note que, de façon constante, pour indiquer les partitions de l’espace, pour désigner ce qui est
«devant», le samoan utilise une autre forme. Il s’agit de i luma, dont
l’opposé complémentaire est i tua désignant ce qui est «derrière». Les
exemples sont innombrables : le devant/l’arrière de la maison, du jardin, d’un véhicule, de l’île (métaphoriquement : le «devant» est la ville,
le «derrière» les villages). Notons que cette paire i luma/i tua ne s’applique pas à une personne, de même que, en français, on ne dira guère
«le devant (ou l’arrière) de son corps»; mais tua employé seul signifie
le «dos» d’une personne ou d’un animal.
Observons les exemples avec mua qui paraissent référer à l’espace.
Déjà, on remarque qu’il ne s’agit que de formes composées : Muâava
«le côté vers la terre» (pour une passe à travers le récif) ; l’opposé est
si’uava, ce qui est significatif : s’iu signifie «l’extrémité, la fin de»
11 Voir Tcherkézoff 1992a, 1993, 1997c, 1997d.
35
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
(si’usi’u signifie la «queue» d’un animal) et renforce l’idée que mua
signifie d’abord «ce qui se présente en premier». Le côté Muâava est
celui qui se présente en premier, lorsqu’on on quitte le lagon pour aborder la passe qui conduit au large. L’usage en apparence spatial de mua
implique en réalité une orientation dynamique, ordinale : ce qui se présente d’abord, par contraste avec ce qui se présente à la fin, en dernier.
Et c’est ainsi, semble-t-il, qu’il faille comprendre d’autres composés qui
ne semblent que spatiaux : muaulu, le front (en parlant de la tête), etc.
MUA : le temps ?
Pour ce qui concerne l’espace, les choses sont assez claires en
samoan du fait qu’il existe la paire i luma/i tua, distincte de mua/muli.
Qu’en est-il du temps ? Si mua était intimement lié à une idée temporelle
dans le proto-polynésien, on en trouverait sans doute la trace en
samoan. Or aucun emploi de mua n’est lié de près ou de loin à l’expression du temps... à une exception près, tout comme en tahitien (du moins
pour l’expression du passé) d’après ce que dit Saura. Certes, l’exception
est de taille : ‘o aso anamua, «les jours d’antan». On a bien ici l’affirmation nette d’une temporalité. L’exemple semble rejoindre celui tahitien te tau matamua «les temps anciens»; un cas invoqué comme survivance et comme preuve par ceux qui voudraient que le sens temporel
traditionnel de Mua ait désigné le passé (Saura, op. cit., p. 23) — et qui
condamnent ainsi l’usage actuel courant du tahitien où la semaine prochaine se dit «la semaine i mua nei», celle «devant (moi)». Mais en
réalité l’exception samoane n’est qu’apparente.
Deux remarques sont utiles. La première repose sur un enchaînement d’hypothèses. Pour mua, le sens général samoan de «premier»
refléterait en quelque façon une situation proto-polynésienne et non pas
une évolution particulière du samoan, puisque les réflexes du PPn
*MUQA-KI donnent tous «premier». Donc le cas samoan peut être d’une
certaine utilité dans la discussion de la sémantique tahitienne. On peut
penser alors qu’un emploi temporel est une dérivation sémantique. En
effet, on désignerait simplement ce qui se présente en premier (à partir
du locuteur), quand celui-ci envisage l’extension du présent dans un
sens (le passé) ou dans un autre (l’avenir).
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
Cette hypothèse me paraît valide, mais en la restreignant. Et cette
restriction nous donne une information précieuse pour le samoan (et
les autres langues, v. ci-dessous). Il se trouve que ce rendement dérivé
ne semble se produire que pour le passé, parce que l’idée de «ce qui se
présente en premier» est cognitive et non simplement logique : il
s’agit de ce qu’on connaît déjà. C’est pourquoi on trouve en samoan
anamua (seul, ou avec le mot «jours» ‘o aso anamua, ou pour dire «à
la manière d’antan» fa’a-anamua), sans aucune expression correspondante qui servirait à désigner «l’avenir».
Mais — et nous abordons ici la deuxième remarque —, la marque
du passé n’est pas donnée ici par mua mais par ana-. Ce dernier est un
préfixe qui, lui, en effet, indique dans certains cas un «avant» temporel.
Il connaît un grand rendement en samoan :
pô = nuit (et soir) —-> anapô = la nuit dernière (ou hier soir) ;
taeao = matin —->anataeao = ce matin (quand, au moment où l’on
parle, on est déjà dans l’après-midi ou le soir) ; afiafi = après-midi —
-> ananafi = hier12; fea = où ?, âfea = quand ? (pour une question portant sur le futur) —->anafea = quand ? (pour une question portant
strictement sur le passé : «quand est-ce arrivé ?»).
On peut donc aisément faire l’hypothèse que anamua désigne le
«passé» sans autres précisions, parce que l’étymologie est simplement :
«avant [ana] le proche [mua], avant les temps qui se présentent en
premier au regard (ou plutôt à la mémoire)».
Une autre remarque peut être annexée. L’usage où anamua semble
avoir toujours le sens de «jadis», bref d’un passé lointain, tient simplement au fait que, dans tout récit samoan concernant le passé de personnes encore en vie, on précise, en utilisant les mots «jours» (aso),
«mois» mâsina [litt. «lune»] ou «années» (tausaga). Mais quand on
ne peut plus préciser et que la chose appartient simplement au «passé»,
à tout ce qui est «avant» le proche, on ouvre un intervalle de temps (vers
le passé) sans le refermer. D’où le fait que l’expression ait tendance à
être utilisée pour des faits lointains.
12 Cet exemple pose un problème (le ‘n’ intermédiaire) et il faut peut-être l’écarter.
37
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Retenons en tous cas que, en samoan, de même que la dimension
spécifiquement spatiale utilise d’autres mots (i luma/i tua), la dimension spécifiquement temporelle du passé utilise aussi un autre mot que
mua, à savoir ana-.
passé, futur ?
Pour le futur en samoan, nous avons dit qu’une expression symétrique, un avenir indéfini, un au-delà (non limité) du proche, ne se rencontre pas, ni avec mua ni avec un autre mot quelconque. Seules des
références à des avenirs plus précis sont entendues, en utilisant de nouveau les mots «jours» (plus rarement «mois» et «années) et le verbe
«venir». On est ramené ici au constat déjà effectué : dans les listes comparatives, et en négligeant pour le moment le fait que les traductions
voient trop rapidement dans les réflexes du PPn *MUQA une désignation
de temps, tous les cas sauf un sont traduits par «before», «avant».
Incontestablement, s’il s’agit bien de temps, les divers mua des langues
polynésiennes désignent le passé et non l’avenir (v. également ci-dessous
sur le tahitien matamua). Mais dès que l’on met en question l’idée
même de temps, avant de poser la question du choix entre le passé et
l’avenir, on aperçoit la possible illusion.
L’illusion est celle-ci : mua désigne ce qui est premier dans l’entité
offerte à la connaissance du locuteur. Si, maintenant, on veut y placer
une dimension temporelle, mua est logiquement du côté de ce qui est
passé : ce qui «est» est déjà advenu. C’est pourquoi des constructions
désignant le futur sans avoir besoin du contexte et utilisant mua ne se
rencontrent pas en samoan, ni ailleurs — sauf ces usages contemporains du tahitien qui font précisément l’objet du débat. Mais dans ces
exemples tahitiens que donne Saura, il semblerait que le mot mua
nécessite précisément une explicitation adjacente : il faut qu’il y ait par
exemple le mot «semaine» et le préfixe «i» («la semaine i mua nei
[qui est devant moi...]») — la semaine qui s’offre en premier à mon
regard prospectif. Il en va de même en rarotongien : mua ne désigne le
futur qu’en accompagnant le mot «mois» ou «lune» et ce dernier mot
38
�N° 276 • Mars - Juin 1998
est précédé du mot têia qui, comme le pronom démonstratif samoan
lea, indique que la chose dont on parle est devant les yeux, dans l’espace ou dans le temps ; dans ce dernier cas, il s’agit toujours du futur
proche, non du passé proche (voir exemples in Buse et al. 1995 : 260
et 482) ; là encore, le futur est indiqué plutôt par un autre mot (têia,
lea) que par mua. Bref, en lui-même, mua peut être analysé sans qu’on
lui assigne pour fonction linguistique de découper le temps, à Samoa en
tous cas — mais aussi en rarontongien ; s’il avait cette fonction, on trouverait dans la langue de Samoa bien d’autres expressions à signification
temporelle que anamua «jadis».
Un dernier mot, dans le prolongement de ce qui précède, sur l’expression tahitienne matamua «d’autrefois, jadis» et te tau matamua
«les temps anciens». Là encore, il faut faire appel à la comparaison. La
liste POLLEX (Biggs 1993) note que la racine *MATAAMUA ne semble
s’être développée que dans la partie Centre-Est de la Polynésie. Les
exemples donnés sont : Hawaiien, Maori, Rarontongien, Tahitien,
Paumotu, et la traduction dominante est... «first»! Hawaiien : «first,
beginning, commencement»; Maori : «first, first born, elder, fore (of
limbs)»; Rar. : «first born, the eldest child», Tah. (dict. de Davies) : «the
first, the beginning»; Paumotu : «ancient times, earliest times, commencement» (dict. de Stimson). Inutile de commenter plus avant. On retrouve exactement la configuration d’ensemble déjà aperçue pour le seul
mot mua : l’idée de «passé», loin d’être majoritaire, semble englobée
dans celle de «premier». Quand au mot mata, nous verrons qu’il a une
configuration sémantique très comparable à celle de mua (ci-dessous
section «MULI en samoan»).
39
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Muri
Muri : comparaisons polynésiennes
En nous tournant maintenant vers l’autre terme, nous trouvons une
ample confirmation de ce qu’on a vu jusqu’ici. Lorsqu’il y a une opposition mua/muli, elle signifie «premier/dernier». Les dérivations spatiotemporelles à partir de l’idée de «dernier» opèrent de façon symétriqueinverse à celles évoquées ci-dessus à partir de l’idée de «premier».
Dans la liste comparative POLLEX, la racine *MURI, qui donne aussi
des réflexes dans toutes les langues polynésiennes (36 exemples), est
donnée pour chaque cas comme (séparément ou, souvent, ensemble) :
«behind, rear, end, lower end, after, last, buttocks, follow». Je ferai
volontiers l’hypothèse que, tout comme pour *MUQA donnant les divers
mua, les dictionnaires de chaque langue ont trop souvent interprété
d’emblée en termes spatiaux et/ou temporels.
Que le sens de «last», «dernier», soit à privilégier sur ceux de
«behind-derrière» ou «after-après» me paraît indiqué par le rendement,
dans de nombreuses langues, des mots composés avec *MURI ; de
même que, pour *MUQA, le composé *MUQA-KI nous montrait la prépondérance de l’idée de «premier». Ainsi, le listing des bases PPn inclut,
après *MURI, deux mots composés, qui existent en samoan, mais aussi
dans une dizaine d’autres langues polynésiennes.
Il s’agit d’abord de *MURI-FANUA, dont les réflexes signifient un
«cap», mais entendu (comme il est précisé dans plusieurs cas) comme
«la fin de la terre». Bref, si je peux expliciter, le mot désigne l’endroit où
de tous côtés, on sent qu’on entre dans l’espace de la mer ; telle est en
tous cas la conception samoane pour ce terme. Dans deux cas, le mot,
devenu une dénomination pour un cap précis, s’applique à des caps très
longs et étroits (l’ouest d’Apia, à Samoa ; la pointe nord de l’île nord de
la Nouvelle-Zélande).
L’autre mot est *MURI-WAI : «l’embouchure» d’un cours d’eau
(même sens dans tous les réflexes), donc la «fin» *MURI du cours
d’eau. Nous retrouvons là l’exemple tahitien évoqué au début, le mot
40
�N° 276 • Mars - Juin 1998
muriavai : cette «embouchure» n’est sans doute pas le «futur» du cours
d’eau temporel mais, simplement, la «fin» de la terre.
Dans les deux exemples, la langue décrit les choses de la terre vers
la mer, comme nous l’avons déjà vu avec l’exemple de la «passe» dans
le récif : muaava/si’uava. Or c’est en effet la vision spatiale la plus courante des Polynésiens13. La langue et la vision du monde sont deux réalités bien différentes. Mais lorsqu’elles s’accordent, ce n’est pas dû au
hasard. Le Polynésien peut donc voir ainsi les choses en termes de «premier» et «dernier», de début et de fin. Il peut les voir ainsi. Il peut les
voir autrement, mais en conservant la priorité du regard de la terre vers
la mer. Un cap peut être visualisé aussi comme une «pointe» vers la mer.
En samoan et dans trois autres langues, on utilise alors le mot mata
«extrémité en avant, pointe, côté tranchant», matafanua — mais l’idée
est plutôt celle d’un des deux «côtés» d’une île, le côté au-vent14.
L’exemple de la rivière qui coule vers l’embouchure n’est donc pas
une métaphore indiquée pour penser le temps. Saura (op. cit., p. 24)
rapporte, nous l’avons vu, que certains veulent voir dans l’exemple tahitien muriavai l’idée que le temps coule comme l’eau, le futur étant alors
vers le Muri, ce qui renforcerait l’idée que Mua désigne le passé. D’où
le débat selon lequel l’usage populaire qui emploie Mua pour le futur en
tahitien ne correspondrait pas à la vision traditionnelle (dont la sémantique du cours d’eau serait, quant à elle, représentative). Saura s’interroge de façon pertinente sur une vue qui voudrait que l’usage populaire
soit le résultat d’une corruption culturelle par les représentations occidentales du temps et de l’espace et qui croirait opératoire la proposition
d’une vue savante. Mais, en dehors du débat sur les niveaux culturels linguistiques, en se plaçant d’un point de vue simplement sémantique, il me
semble que le débat doit être redéfini : l’idée proto-polynésienne dans la
13 Aussi célèbres que soient les qualités de marins et de pêcheurs des Polynésiens, il ne faut
pas oublier que leurs représentations culturelles dominantes sont celles de terriens (de paysans) utilisant un environnement marin, et non celles de marins utilisant des escales insulaires
(voir entre autres les articles sur les constats archéologiques, comme celui de José Garanger,
et sur l’organisation de l’espace en Polynésie, comme celui de Jean-Michel Chazine sur les
Tuamotu, dans le volume 4 de L’Encyclopédie de la Polynésie, Papeete, Gleizal, 1993).
14 Exemples attesté dans POLLEX pour trois «outliers», en plus du samoan.
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
racine *MURI-WAI ne serait ni temporelle ni spatiale (du moins au sens
de «devant» ou «derrière»). L’embouchure est la «fin» du cours d’eau,
très simplement, du point de vue d’un observateur se référant d’abord
au coté «terre».
Muli : en samoan
Les usages courants de muli sont : «être ou venir en dernier»
(mêmes exemples que pour mua dans les sens de «être ou venir en premier») ; cette correspondance, à l’œuvre également dans ce qu’on vient
de voir sur les mots composés, souligne que l’univers sémantique est
d’abord l’opposition «premier/dernier». Comme pour mua, le redoublement mulimuli indique une action faite ou à faire en dernier : «nous
partirons les derniers» mâtou (te o) mulimuli.
On semble trouver aussi l’idée d’«arrière», mais dans le cas où l’on
parle de l’extrémité qui n’est pas celle se présentant en premier ou étant
valorisée, pour un objet à deux extrémités (taro, noix de coco, régime
de bananes, etc., et ce qu’on a déjà vu : bande de terre, cours d’eau).
Dans ces cas, on peut avoir une opposition avec l’extrémité avant. Celleci peut être dite mua : ce qui se présente en premier, par le hasard de
l’espace ou plutôt par une valorisation asymétrique consciente. Elle peut
être dite mata : «les yeux, la face ; la pointe, le côté tranchant»; ainsi en
est-il de la noix de coco, une fois enlevée la bourre — une des deux
pointes de l’ovale (celle arrondie) est le mata, l’autre (celle plus pointue) le muli. Dans cet exemple, ce qui détermine le côté mata (mata
= yeux, partie haute du visage, tout le visage) est, d’après l’étymologie
populaire, la présence des trois points sombres qu’on trouve toujours
sur l’une des deux extrémités, qui forment comme un visage (les yeux et
la bouche ; la métaphore est énoncée explicitement). L’application au
corps, amenée par mata, fait sans doute que, s’agissant d’une personne
ou d’un animal, muli peut aussi désigner (de façon familière)
le postérieur15.
15 Traduction («buttocks») signalée dans POLLEX aussi pour West Uvea, East Uvea, East
Futuna.
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
Une remarque sur mata et sur les couples mua/muli et
mata/muli. Il y a de nombreux mots différents mata, en samoan
comme dans les autres langues polynésiennes16. Mais le mot mata qui
nous concerne a deux significations, en samoan et dans toutes les
langues, qui peuvent être ou non la dérivation d’une même base : 1)
«yeux, visage» (et «regarder», souvent en forme redoublée matamata)
et 2) «pointe, côté tranchant, (l’une des) extrémité(s)», ce dernier sens
rapprochant mata de mua, pour certains emplois. Ainsi : *MATA-AFALE, suivi d’une précision de direction, a donné des réflexes dans différentes langues signifiant souvent «le côté de la maison» (tourné
vers...); *MATA-FENUA a donné «pointe de terre, l’un des côté d’une
île»; *MATA-KAINAGA a donné à Niue «germain de même sexe», à
Rarotonga «les habitants d’un hameau», à Tahiti «le district (les villages
en opposition à la ville)», aux Tuamotu l’une des divisions d’une armée,
d’un territoire, d’un clan, donc, semble-t-il, à chaque fois, une signification désignant l’un des côtés du groupe familial-territorial de référence.
Employé seul, MATA peut ainsi désigner l’un des côtés de l’entité en
question, la partie d’un tout qui prend un sens particulier pour telle ou
telle raison. En outre, et souvent mais pas obligatoirement en opposition
à muli, mata peut désigner l’extrémité qui se présente en premier au
regard et/ou qui fait sens pour la fonction de l’objet : le côté pointu,
tranchant (arme, instrument). Nous retrouvons la logique de l’opposition mua/muli, celle entre le côté qui se présente en premier (pour
telle ou telle raison) et l’autre côté17.
16 Ils signifient (cf. POLLEX) : «cru, vert (pas mûr)» (toute la Polynésie) ; «groupement social»
(quelques exemples, à l’ouest et à l’est), «unité de 10 poissons» (Pol.-ouest), etc.
17 Cf. aussi *MATA-A-LIMA qui a donné un «doigt» (la pointe de la main) (4 ex. dans les
langues des «outliers») ; *MATA-A-PULE qui a donné le nom d’un dignitaire ayant une fonction
particulière dans ce domaine (Tonga, East Futuna, Tikopia) ; cette fonction est définie comme
l’un des côtés, ou le côté significatif (ou la «face»? [du mata : «yeux, visage»]) du pouvoir (ou
de l’autorité religieuse, suivant les cas). Notons aussi que la possibilité d’une affinité de mata
avec l’idée de «premier» est attestée : *MATA-SIAPO a donné divers réflexes en Pol.-est signifiant «le premier-né» (3/4 exemples) ou «précieux» (1/4 : Maori) (y trouve-t-on une référence
au tapa [dit siapo dans bon nombre de langues de Pol. ouest] qui entoure la mère, l’enveloppement par le tapa (ou la natte fine) étant un geste rituel fondamental en Polynésie, destiné à
rendre présent le sacré, ici en rapport à la fécondité maternelle donnée par les dieuxancêtres ?).
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Revenons à muli. Dans les emplois composés, on retrouve des correspondants de ce qu’on a vu avec mua. Muliava, synonyme de si’uava : le côté mer de la passe18, muliulu (ulu = la tête) : l’occiput (vs.
muaulu, le front), etc. Un examen qui aborderait d’emblée ces
exemples conclurait en effet à une sémantique spatiale : ce qui est «derrière». On ne répétera pas ce qui a déjà été dit à ce sujet. Dans le même
ordre d’idées, on trouve l’échange de formules de politesse au moment
d’un départ. Celui qui part en voyage (et qui donc, de son point de vue,
est muamua dans le déplacement, le premier à partir, même si les
autres ne comptent pas bouger), quitte ses parents ou amis en recevant
les mots de manuia le malaga ! («que ton voyage soit heureux !»). Il
doit leur répondre : manuia le faamuli, «que votre séjour [derrière
par rapport à moi] soit heureux !», bref «que votre manière [faa-] de
rester [muli] soit heureuse». Par l’effet d’opposition avec le mouvement
de la personne qui s’en va, faa-muli devient un équivalent de nofo, mot
habituel pour dire «être, être en un lieu, demeurer».
Muli :
le fruit, la pirogue et la jeune fille à Samoa
Terminons par le plus particulier, qui ouvre pourtant sur le plus
général et qui nous place au cœur du problème comparatif. A tout ce
qu’on a vu pour les significations de muli en samoan s’ajoute un emploi
courant mais qui sonne à nos oreilles comme une grande particularité :
— un fruit muli est un fruit jeune, non encore mûr ;
— une pirogue muli est neuve, non encore essayée (ex. in Milner 1966) ;
— et une jeune fille (teine) dont on dit qu’elle est teine muli est,
explicitement, sans ambiguïté, sans autre signification, «une fille encore
vierge».
8 Le dictionnaire de Milner signale à juste titre la synonymie muliava = siuava mais, s’il dit bien
à l’article siuava qu’il s’agit du côté mer, une inversion s’est introduite à l’article muliava, donné
par erreur comme «habituellement le côté terre» (p. 154).
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
On voit très nettement ici comment ce qui ne serait pour nous que
temporel est représenté avec une orientation de valeur.
Mua est le proche, le premier dans une série qui présente les étapes
de développement allant vers un aboutissement ; et ce qui est premier
est l’aboutissement. Ce qui est premier est l’étape la plus proche d’un
locuteur qui — il faut le souligner — se place du point de vue du résultat, le résultat culturellement significatif. Muli est alors le lointain — qui
pour nous (Occidentaux) s’appellerait le «début». Mais le fruit vert est,
en samoan, le fruit pas encore mûr, celui qu’on ne voit pas encore,
qu’on ne connaît pas encore (en le goûtant) ; et c’est la même conception (selon plusieurs informateurs) qui explique la désignation d’une
vierge : elle n’est pas encore mariée. Car la virginité à Samoa prend sa
valeur par rapport au mariage, et non pas en soi.
Ces exemples indiquent clairement que, en effet, nous sommes dans
une opposition portant sur la connaissance davantage que sur une partition de l’espace ou du temps. L’usage samoan confirmerait ainsi l’hypothèse de Saura pour le tahitien.
On peut élargir sur cette base, et conclure sur les problèmes de la
comparaison avec l’Occident.
La comparaison
Le problème principal, dans le débat entre une logique de l’espacetemps français et d’un espace-temps tahitien, est plus généralement le
problème de la comparaison entre l’idéologie moderne de l’individualisme moral de type universaliste et les sociétés polynésiennes. En
Polynésie, la prise en compte de la valorisation est importante, parce
que c’est le point de vue de la personne (le locuteur) qui compte et non
le point de vue qu’on pourrait prêter à une chose.
Observé d’un œil polynésien, le point de vue occidental contemporain sur le temps et l’espace apparaît caractérisé par l’absence de valeur.
L’avant est comme l’après, le devant est comme l’arrière, la gauche est
comme la droite : un simple mode binaire de partition. Il faut donc éviter,
quand on réfléchit sur les usages conceptuels polynésiens pour en
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
retrouver un sens «traditionnel», de se placer dans le même cadre binaire («avant ou après ?») ; car, en s’y plaçant, on se propulse hors de la
considération des valeurs19. On aboutit alors à la situation que Saura
évoque et déplore à juste titre, me semble-t-il : une discussion nécessairement inconclusive. Mua doit-il désigner en tahitien l’avant ou l’après ?
Etant donné que, posées en ces termes, les deux significations sont équivalentes, il s’en suit que la discussion ne peut aboutir. Saura montre bien
que, dans des phrases ne faisant appel à aucune valorisation, les deux
emplois se rencontrent en tahitien contemporain ; puisque de toutes
façons ce n’est que le contexte signifiant qui permet d’interpréter, et non
le mot mua lui-même, lequel devient alors un signifiant sans signifié.
Un espace valorisé par l’homme
En revanche, quand on quitte le découpage occidental hors-valeur
pour tenter d’entrer dans la logique sociale polynésienne, on doit prendre
conscience que l’opposition mua/muli introduit d’emblée une valorisation : mua est ce qui est proche du locuteur, visible, connaissable — et/ou
le but recherché, ou bien l’initium culturellement significatif de l’ensemble. C’est le résultat quand ce qui est significatif est l’aboutissement.
Mais aussi dans d’autres cas, c’est le début qui est significatif. En samoan,
19 C’est toute la question de l’opposition entre une logique binaire et non valorisée, typique de
l’Occident moderne, et une logique asymétrique (hiérarchisée) parce que valorisée, toujours
présente lorsque la référence est un groupe humain considéré comme une unité sociale (et non
l’universel de l’individu moral). On a traité en détail de ce problème dans une série de travaux :
voir bibliographie Tcherkézoff à partir de 1983 donnée à la fin de la Ière et de la IIème partie de
mon article «Hierarchical Reversal, ten years on (Africa, India, Polynesia)», Journal of the
Anthropological Society of Oxford JASO, 1994 n°2 et 1994 n°3, ainsi que à la fin des Ière et
IIère partie de «L’inclusion du contraire (L. Dumont), la hiérarchie enchevêtrée (J.P.Dupuy) et
le rapport sacré/pouvoir.», Culture (Montréal), 1994 n°2 et 1995 n°1. Une précision est importante : la question n’est pas d’opposer deux cultures, celle «Polynésienne» et celle
«Occidentale», car la réalité et l’homogénéïté respective de ces «cultures» est sujette à caution.
Il s’agit d’opposer une conception des rapports entre hommes qui a pour référence une «société», donc une totalité au sens maussien, et donc un mode «hiérarchique» d’organisation (la
«hiérarchie» n’a rien à voir avec l’inégalité - voir Tcherkézoff 1995 - elle est un principe d’appartenance à un même tout). L’autre conception ignore l’idée de «société» et réfère tout à un
individu standart, définit comme un universel localisé et indéfiniment répété. La langue française, depuis le XIXe, est porteuse de cet universalisme a-social ; mais là où la France fonctionne
comme «société» (par exemples dans les élections), la hiérarchie apparaît tout autant que dans
une société polynésienne.
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
c’est le résultat si l’on parle du fruit ou de la jeune femme. Ils doivent aboutir à l’étape de mûrissement. Tant que cette étape n’est pas atteinte, ils
demeurent muli : «pas encore proche...[du résultat]». Mais c’est le début
si on parle du cours d’eau ou de la terre. Pour eux, c’est le début qui compte. Et donc, pour eux, muli c’est simplement la «fin» muli : l’embouchure
ou le cap ; cette fin survient quand le cours d’eau ou la terre se perdent
dans la mer.
Dans l’espace du corps, la valorisation est nette. Alors que tua désigne
simplement le dos, sans (dé)valorisation a priori, muli désigne la partie
spatialement basse et socialement vulgaire (en samoan, en tous cas), à
savoir le postérieur. L’opposition est à la partie noble, la tête ulu, celle
qu’on considère en premier à Samoa dans un corps humain (et qui était
l’enjeu principal dans une bataille)20. Là encore, la sémantique du dernier/premier est présente. Peut-être est-ce par cette opposition à muli —
et donc à tout l’univers sémantique de «dernier» — que le mot ulu «tête»
en est venu à désigner aussi le premier-né d’un ensemble de germains.
Toute l’affaire est dans la valorisation du rapport à l’être humain, en
regard du rapport aux choses. Le discours occidental rend les hommes
semblables aux choses. Du coup, les notions d’espace et de temps prennent
un sens absolu car ce sont elles qui deviennent les cadres de référence pour
signifier. Pour nous, il y a exactement autant de raisons et de sens à penser
qu’un fruit vert est un fruit pas encore mûr que de penser qu’un fruit mûr
est un fruit qui n’est plus vert. Il en va de même pour les notions de «jeune»
ou «vieux» à propos des personnes. Mais, en samoan, dans le contexte de
la famille ‘âiga et du village, un «jeune» (littéralement : un «petit» laiti’iti)
est celui qui n’est pas encore «vieux» (litt. : qui n’est pas encore «aîné»,
«adulte», matua) ; et dire le contraire ne fait pas sens.
20 De même pour mata : le visage, la face. En soi, c’est une partie du corps ; mais, le plus souvent, c’est le côté significatif : premier à se présenter au regard de l’autre, premier à signifier
l’identité. (De ce point de vue, on peut se demander si les deux mata, en samoan et ailleurs,
«yeux, visage» et «pointe, tranchant, l’une des extrémités» ne sont pas deux réalisations d’un
même sens : le côté significatif-premier, la partie qui peut exprimer le tout, en référence au
corps et, par suite, en référence à n’importe quel objet qui présente plus ou moins deux faces
— une île, un fruit [v. ce qu’on a dit de la noix de coco] — ou encore en référence à une entité,
tel le «pouvoir» pule, qui doit présenter une «face» matérialisée pour être actif et donc significatif : les réflexes de *MATA-A-PULE).
47
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Pour ce qui est de la série spatio-temporelle indiquée par mua/muli,
c’est le point de vue du locuteur, utilisant les valeurs culturelles, qui trace
l’orientation entre le proche et le lointain, et non le développement de la
chose en soi. Nous (Occidentaux) disons «la jeune fille», celle pas encore
adulte ou mariée. Nous (ou plus exactement le discours masculin) avons
des notions (avatars de valeurs judéo-chrétiennes) de «pureté», de «fraîcheur», de «jeunesse» pour la femme, par rapport à la question de la virginité. Mais, pour les Samoans, une virginité en soi ne fait pas sens. Elle
n’a de sens que comme interdit à respecter en vue du mariage (au nom
d’un certain nombre de conceptions tenant à la production des enfants
dans le mariage et au caractère sacré du sang virginal qui devait être traité
dans la cérémonie traditionnelle du mariage - dont les derniers exemples
datent des années 1950). C’est cet arrière-plan qui détermine entièrement
le fait qu’une femme que «nous» appelons «vierge» – pour nous elle est
encore intacte – est pour les Samoans une «muli», une femme qui n’est
pas encore... une «femme en couple» fafine. La même inversion concerne l’idée d’un cap. «Nous» le voyons comme une avancée dans la mer, un
mouvement qui serait plutôt «mua» pour nous, tel l’avant-garde d’une
armée, qui se dit en samoan muaau. Mais, pour les Polynésiens, dans de
nombreux cas, un cap c’est la fin muli de la terre.
Quelle inversion entre la Polynésie et l’Occident ?
Le fruit, la jeune femme, le cap ou le cours d’eau... à chaque fois
on peut avoir l’impression que la conception occidentale inverse bel et
bien celle polynésienne ! On comprend ainsi la tendance de certains
intellectuels polynésiens à systématiser la différence par inversion : a
priori, le contraire du français a des chances de représenter une signification authentique du tahitien (ou d’une autre langue polynésienne).
Mais l’inversion que nous avons rencontrée n’est pas une inversion
entre deux conceptions du «temps», de «l’espace», ou de tout autre
contexte. Poser un de ces contextes de façon a priori (le «temps») puis
opposer les cultures, c’est risquer de soumettre la comparaison aux
conceptions d’origine occidentale qui ont présidé à la détermination du
contexte en question (le «temps») – même si l’initiative vient d’intellectuels non occidentaux.
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
La comparaison par inversion doit être plus globale, si l’on peut
dire. Ce qui est en cause est toute la conception de la présence ou de
l’absence de valeurs, de la prépondérance de l’homme sur les choses
(Polynésie) ou de l’identité universaliste entre tous les objets et les sujets
(dans la conception occidentale), etc. On trouve l’orientation par rapport au locuteur (sa connaissance, son désir, sa position sociale) ou, au
contraire, on trouve une symétrie a-sociale de l’espace et du temps, une
symétrie où tout se vaut.
Cette «prépondérance» polynésienne de l’homme sur les choses
apparaît telle à l’Occidental par comparaison avec la représentation du
rapport entre hommes et choses qui a cours chez lui. Elle n’est pas absolue. Nous ne pouvons caractériser une culture que par rapport à une
autre. De même que, de façon symétrique, nous avons commencé par
noter que, sous le regard polynésien, la culture occidentale apparaît se
mouvoir dans un monde sans orientations de valeur. Cette impression
forte d’un contraste a joué sûrement plus d’une fois chez l’Occidental –
en tous cas pour ce qui me concerne – dans l’attrait ressenti pour la civilisation polynésienne, même et surtout dans les occasions les plus
simples, celle de la vie quotidienne. Pensons à la notion peut-être la plus
courante en Polynésie pour caractériser le (bon) rapport entre personnes : aroha, alofa, aloha. Le mot est traduit souvent par «amour»,
«aimer». Mais ce concept n’a aucun sens dans le rapport aux choses. Un
homme n’est jamais «alofa» envers une chose. Il ne peut être alofa
qu’envers un autre être humain. Et les Samoans trouvent aberrant que,
en français, on dise du même mot «j’aime mes parents» et «j’aime les
chemises à fleurs». L’opposition continue. A Samoa, non seulement on
ne peut «aimer les choses» mais ce sont les choses qui sont au service
de l’»alofa» entre hommes. En samoan, l’idée de «présent», de
«cadeau», se dit mea alofa, «la chose (pour signifier, sceller) la relation alofa entre personnes». Ce n’est pas une métaphore littéraire ou
cérémonielle ; c’est la manière la plus directe de dire «cadeau».
C’est dans cette opposition globale qu’il faut placer la discussion
spécialisée sur les notions de temps et d’espace. Bref, si l’exemple
samoan est généralisable à d’autres cultures polynésiennes, au moins en
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
partie – et je ne peux évidemment en préjuger, même si certaines indications des listes comparatives vont dans ce sens –, on peut dire que
mua/muli nous parlent d’abord d’un ordre en référence à une orientation culturellement valorisée21, un ordre qui peut se réaliser aussi sous
forme temporelle ou spatiale. Ces dernières qualifications («temps,
espace») appartiennent à une catégorisation occidentale, qu’on ne peut
guère éviter dans le discours descriptif. Mais il faut prendre garde au
piège : ces catégories sont dénuées d’une orientation en valeur, et elles
laissent ainsi échapper ce qui est central dans l’opposition mua/muli.
Suivant le contexte, il faut retrouver ce que la culture polynésienne en
question, tahitienne, samoane ou autre, du point de vue de la personne
et non du point de vue qu’on pourrait prêter aux choses, place en «premier» et en «dernier»22.
Serge Tcherkézoff
21 Nous nous sommes limités au cas samoan ; mais je ne peux résister au plaisir de citer le
dictionnaire maori pour Mua : 1. the front [...]; 2. et 3. before [...], in front of [...]; 4. Apparently
sometimes the sacred place, in antithesis to muri, the common (noa) place, or a working
place.» (Williams 1970 : 213 ; je souligne). Que l’opposition mua/muri soit à ce point une question de valeur qu’elle en vienne à être parfois synonyme de tapu/noa, voilà un bel exemple qui
renforce notre dossier. Bien entendu, ces endroits sacrés sont placés «devant» (porche de maison) en contraste avec les cuisines, espace noa et placé derrière (op. cit., art. Muri, p. 214).
Mais il s’agit de ces occasions, comme dans l’organisation spatiale de la maison et des espaces
qui lui sont homologues, où l’opposition avant/arrière est précisément au coeur de la hiérarchie
des valeurs — (voir Tcherkézoff 1995 pour un exemple contemporain à Samoa : la manière de
prendre place dans un autocar).
22 A propos de la «comparaison», on espère que ce bref article aura convaincu aussi des
nécessités de la comparaison régionale pour les études polynésianistes. Afin de mieux comprendre les oppositions et les enjeux entre la culture polynésienne et la culture occidentale, il
faut aussi utiliser la comparaison intra-polynésienne. J’ai l’impression que, pour le moment
encore, trop de débats sur les cultures de la Polynésie Française se privent de l’aide que peut
apporter l’examen des mêmes problèmes dans les différentes cultures de la Polynésie occidentale, et cela à tous les plans : socio-linguistique mais aussi l’histoire et l’analyse des rapports
religion-pouvoir — voir la question des droits du sol ou de la démocratie (âprement discutés
en ce moment à Tonga : Bataille et Benguigi 1997 et au Samoa Occidental : Tcherkézoff, op. cit.
supra).
50
�N° 276 • Mars - Juin 1998
B I B L I O G R A P H I E
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�Carnet de terrain ;
le tohua Tahakia à Hatiheu,
Nuku Hiva, îles Marquises
La vallée de Hatiheu, habitée autrefois par une population Taipi répartie en
plusieurs tribus, se situe au nord-est de Nuku Hiva. Elle est particulièrement
riche en vestiges archéologiques (annexe 1) qui ajoutent un attrait majeur à
cette vallée au relief remarquable et fréquemment visitée. Ceci lui vaut d’avoir été
souvent citée en exemple et filmée, d’autant que son maire délégué a entrepris
depuis de longues années de mettre en valeur quelques lieux accessibles, alliant
beauté naturelle et archéologie, et de restaurer une part importante du tohua 1
de Hikokua. Celui-ci se trouve à présent au cœur des festivités et représentations
traditionnelles appréciées régulièrement par les touristes de passage.
Cette vaste vallée fut densément peuplée aux temps anciens et fit donc l’objet d’importants aménagements. Dès les années 20, l’ethnographe américain R.
Linton y décrivit et releva le plan d’un grand site collectif : le tohua de Naniuhi.
Dans les années 50, ce fut le tour de l’archéologue américain R. Suggs qui entreprit des fouilles sur le tohua de Hikokua et constitua, sur le me’ae Te Moeaoko,
une collection d’ossements humains destinés à des études d’anthropologie
menées aux Etats-Unis. A partir des années 80, le Département d’Archéologie du
CPSH et l’Université de Berkeley, qui se sont engagés dans un travail d’inventaire
et d’étude de l’art lithique marquisien, y entreprirent le relevé des pétroglyphes
- ou motifs sur pierre - et Hatiheu s’avéra rapidement être une des plus riches
vallées de l’archipel.
En complément de cet effort de recherche mené sur les pétroglyphes, il
était intéressant aussi d’étudier en détail le caractère particulier des sites auxquels ils se trouvaient fréquemment attachés. Il s’agit principalement de structures de réunion - tohua -, de sites à caractère religieux - me’ae - et de lieux
destinés aux cultures. Recueillir les informations orales qui se rapportent à ces
endroits, et en particulier à ceux qu’il est difficile d’associer à une pratique bien
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��BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
déterminée comme des emplacements rattachés à des affrontements, un combat
décisif, un lieu prestigieux qu’il est matériellement impossible d’identifier... est
un dernier point, idéal et difficile à réaliser qui permet d’ajouter, à la connaissance des pratiques anciennes, des éléments auxquels l’archéologie ne pourra
jamais accéder. Ces relevés et cette collecte sont urgents car, d’une part, la végétation et l’érosion liée aux derniers cyclones et aux pluies des années passées ont
recouvert, ou perturbé, nombre de sites mais aussi les personnes, encore imprégnées de la culture orale de leurs pères, se font de plus en plus rares. Agées, si
elles viennent à nous quitter, une grande part de l’imaginaire, de la pensée et du
savoir qui constitue le fond d’un patrimoine culturel irremplaçable, disparaîtra
définitivement. Ce qui peut être fait aujourd’hui ne pourra pas toujours l’être
demain !
Rendre quelques sites accessibles, collecter les informations qui s’y rapportent, mettre à la disposition des visiteurs les données nécessaires à une
meilleure compréhension des aménagements encore visibles... est un travail qui
répond à un désir de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine environnemental et culturel marquisien ; sans oublier que tout effort de connaissance sur
la culture d’un archipel contribue à améliorer celle partagée par tous les
Polynésiens.
Cette mise en valeur passe tout d’abord par le “ débroussage ” des lieux ;
il permet de les révéler en les faisant sortir de la végétation. Les innombrables
chiffres qui sont nécessaires à la réalisation d’un plan précis prennent des
heures et des jours de travail mais ces calculs sont un passage indispensable à
une bonne compréhension des aménagements. De tels plans sont nécessaires à
une restauration respectueuse de ce qui fut, à une restitution informatique telle
que l’entreprend le Département d’archéologie du Territoire, sans oublier leur
caractère impératif pour les fouilles qui pourraient y être entreprises plus tard
afin d’apporter des précisions quant à la vocation d’aménagements particuliers,
leur chronologie, les pratiques qui avaient lieux à ces endroits, etc.
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
Tohua Tahakia et paepae
de Keikahanui
L’exemple du tohua Tahakia illustre les deux premières étapes de ce travail
de longue haleine.
Ce site fut “découvert” fortuitement à la suite du relevé d’un paepae qui,
lui, était connu ; il s’agissait du paepae de Keikahanui, un grand guerrier dont
la tradition orale de l’île conserve le souvenir encore vivace (cf. annexe 2). Le
paepae ancre dans le réel un récit qui aurait pu passer pour “ simple légende ”
et donne corps à un pan d’Histoire des Marquises.
Originaire de Hatiheu, Keikahanui habitait la baie de Hakatea, voisine de
Hakaui, à l’opposé sud-ouest de l’île. Il y avait épousé une fille de chef, ce qui
lui permettait d’espionner les mouvements des Taioa, ramage des Teii qui habitaient ces vallées et avaient coutume de faire la guerre aux Taipi de Hatiheu.
Usant d’un subterfuge, il pouvait à l’insu de tous prévenir ses guerriers et
attendre, à Hatiheu, les Taioa fort étonnés de trouver en face d’eux une résistance préparée à leur venue.
Ce récit illustre le jeu des rivalités, et alliances ancestrales, entre vallées
d’une même île et permettait, entre autres, la mémorisation de noms et la localisation de lieux clefs ; toute une connaissance toponymique de Nuku Hiva qui
était alors importante à ceux qui se déplaçaient. Support à milles digressions
plus ou moins symboliques, ou anecdotiques, l’origine même de la couleur de
plantes ou de fruits s’en trouvait expliquée, se souvient Cécile Taata. Qui à présent connaît cette partie de “ l’épopée ” ?
Lors des relevés, le 7 août 1994, notre surprise fut grande, au cours de la
prospection des proches alentours destinée à mieux discerner les vestiges d’alignements associés au paepae, de découvrir, progressivement, le prolongement
de diverses structures enfouies sous une végétation abondante d’arbres et de
broussailles. Un tohua se révéla ainsi petit à petit, sans qu’une vision d’ensemble
soit possible tant était grande la construction et dense le couvert végétal ; ce qui
explique du reste que même les personnes y ayant fait du coprah ne se soient
jamais aperçues du tout qu’il constituait.
Le maire de Hatiheu, très intéressée par cette découverte qui ajoutait un
tohua aux six autres déjà connus de la vallée, vint sur place se rendre compte.
Séduite par l’ensemble, elle demanda à la population d’apporter son aide,
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
pendant une journée, afin de faire sortir ce tohua de son manteau végétal, tout
en faisant attention toutefois de protéger les espèces intéressantes et la plupart
des beaux arbres. Ce fut fait le 9 septembre. Une petite équipe constituée, pour
l’essentiel, de travailleurs de la commune, d’Yvonne et de nous-mêmes, permit
ensuite de dégager plus complètement l’ensemble puis d’en dresser, en octobre
1994, les relevés et le plan ; travail qui fut effectué avec Rua Puhetini et MarieNoëlle de Bergh.
Nous disposons ainsi, sur Tahakia, d’un relevé précis et d’un récit légendaire raconté par Keo Pahuatini et enregistré avec Koreke Farone et René Bonno
dans les vallées de Taiohae et de Pua, à Nuku Hiva. Ces étapes préalables rendent
possible sa valorisation : dans un premier temps, une signalisation et si possible,
par la suite, un feuillet d’information. Depuis, chaque année permet de parfaire
progressivement le dégagement et l’entretien du site. Une restauration partielle
du tohua et celle, complète, du paepae de Keikahanui dont la construction est
à la fois remarquable en qualité et exemplaire de ce type de structure d’habitat,
permettrait de rendre plus “lisible” cet ensemble architectural. Parallèlement,
une étude plus approfondie, grâce à des sondages et de petites fouilles bien localisées, serait nécessaire ; ce pourrait être d’excellents chantiers-écoles pour une
formation complémentaire orientée vers la culture, le tourisme... par exemple.
Dans l’attente de tels travaux, nécessitant équipe et moyens plus conséquents, les
pages qui suivent n’ont pour but que de présenter rapidement cet ensemble en
le situant dans son contexte.
Tahakia se trouve au centre-ouest de la vallée de Hatiheu, à quelques
dizaines de mètres de la route, à deux kilomètres de la mer. Il s’étend sur la terre
Hakaevao (parcelles Teavaahuti, Haeee et Puaau) et fait partie d’une vaste zone
qui concentre diverses structures caractéristiques d’un ancien “village” marquisien : un tohua, des paepae et des terrasses de culture. Il est une illustration de
la façon dont les Marquisiens ont ingénieusement tiré profit de la morphologie
complexe du lieu.
Le tohua lui-même est le plus grand de Hatiheu et un des plus importants
de l’île de Nuku Hiva ; il mesure 155 m. de longueur pour 42 m. de large. De
nombreux paepae le bordent, en plus des gradins, et le ferment sur ses extrémités ; celui de Keikahanui se trouve à l’extrémité est. La dimension des blocs de
basalte utilisés est proportionnelle à celle du site ; quelques-uns avoisinent les
deux mètres et pèsent plusieurs tonnes. Certains rochers, à leur emplacement
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��BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
d’origine, ainsi que d’autres, mis en place par les anciens Marquisiens, portent
des pétroglyphes qui n’avaient pas encore été répertoriés et viennent compléter
l’inventaire établi par Sidsel Millerström, Edmundo Edwards et Heidi
Baumgartner avec l’aide de Rua Puhetini.
Ce tohua est disposé parallèlement à la pente, ce qui nécessita un gros travail de terrassement mais permit d’obtenir la plupart des pierres nécessaires à
son édification ainsi que de la terre de remblai destinée à combler la partie en
déclive. D’anciens paepae, situés en amont, servirent également de carrière de
pierre ; les gros blocs n’avaient plus qu’à être roulés vers le bas.
Le tohua est implanté entre un petit ruisseau, côté est, et un lit de ruissellement, à l’ouest. Ce dernier le sépare d’une petite colline, couverte de gros
blocs de basalte, qui fut entièrement aménagée de murs, terrasses et paepae.
Plus vers l’ouest et le sud, le terrain descend en pente de plus en plus douce vers
la rivière. L’ensemble de cette zone dégagée, aménagée de murets bas maintenant des parcelles de terre destinées à la culture de plantes faciles à arroser, est
aisément irrigable par des canalisations ou rigoles captant l’eau de la rivière. Les
rares zones légèrement plus élevées, des éminences rocheuses peu aptes à la
culture, servirent de point d’implantation aux paepae d’habitat ou de surveillance de cette zone cultivée.
A son extrémité est, le tohua domine un ruisseau dont le lit a été aménagé
de murets de retenue afin de former de larges terrasses “naturellement” inondables. Leur surface, plane, concentre une forte épaisseur de sédiments boueux
sous quelques centimètres d’eau relativement courante ; ces parcelles pouvaient
ainsi devenir tout à fait propices à la culture du taro, d’autant plus qu’une forêt
de ihi (châtaigniers de Polynésie, Inocarpus edulis) ombrage encore la zone
des ardeurs trop brûlantes du soleil. La nappe d’eau permet en outre aux chevrettes et aux anguilles de s’y développer, offrant un apport en protéines animales qui s’ajoute au produit de l’horticulture des tubercules et à celui de l’arboriculture des ihi. Autant d’éléments dont la consommation était appréciée et
venait diversifier une alimentation qui présentait des risques à trop dépendre de
la seule “ monoculture ” de l’arbre à pain. Le lit de ce ruisseau fut donc fort judicieusement aménagé et orienté de façon à produire un apport alimentaire varié
très satisfaisant.
Ce grand tohua, loin d’être isolé on le voit, fait partie d’un vaste ensemble
élaboré et construit au sein d’un relief et d’une végétation habilement utilisés ;
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
un environnement où la nature et la main de l’homme se sont admirablement
associés pour nous offrir ce paysage si naturel et pourtant entièrement humanisé. Bien des espèces, en effet à présent encore, témoignent de l’action de l’homme : les châtaigniers de Polynésie, ihi, et les aracées, ta’o, kape, mais aussi les
kapokiers, uru’uru, les cocotiers, ehi, les noni Morinda citrifolia, les ylangylang, moto’i, (d’introduction plus tardive), les keika, Eugenia malaccensis,
les ketai Erythrina variegata, etc. Les arbres à pain, mei, sont à présent étonnamment peu nombreux, mais on sait que de nombreuses variétés nécessitent
un entretien pour se maintenir et prospérer ; la présence de plusieurs ua ma
témoigne de leur importance passée.
L’ensemble Tahakia-Hikokua-Kamuihei,
un tout remarquable
L’accès à Hatiheu se fait à présent par une piste routière qui sépare, sans
dommage, cet ensemble de celui constitué par un autre noyau important de la
vie sociale de cette partie de Hatiheu où se situent le tohua de Hikokua, dont il
a déjà été question, et le remarquable ensemble de Kamuihei (cf. annexe 3). La
situation, et l’environnement de ce vaste domaine où se concentrent trois des
tohua de la vallée, les dimensions exceptionnelles et la bonne conservation des
structures, l’histoire orale qui s’y rapporte... sont autant de points qui font de
l’ensemble Tahakia-Hikokua-Kamuihei un tout remarquable dont la protection
est aussi nécessaire que sa mise en valeur progressive et ce avec l’accord bienveillant des divers propriétaires concernés.
Sauver une part du patrimoine de l’archipel, le rendre accessible tout en le
valorisant aux yeux des jeunes moins familiers à présent aux zones éloignées des
villages, assurer une “ image de marque ” à ces lieux, à l’archipel et bien au-delà
puisque certaines photos servent à la promotion du Territoire dans les villes de
l’hémisphère nord... c’est à quoi s’attachent Yvonne Katupa, sur la côte nord de
Nuku Hiva, avec une volonté et une énergie inversement proportionnelle aux
moyens dont elle dispose ou bien encore Léon Litchle et Joseph Tehau Vaatete,
à Ua Huka. A l’autre bout de l’archipel, une autre femme, entourée de tous ceux
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
de sa vallée, s’est lancée dans ce même combat de longue haleine pour que vive
son fenua et que ses enfants puissent continuer à y vivre ; il s’agit de Liliane
Teikipupuni à Hapatoni, sur l’île de Tahuata.
•Annexe 1
Nom des tribus et des principaux sites archéologiques de Hatiheu :
Tribus de Hatiheu :
L’ensemble des clans de Hatiheu était désigné par le terme de Taipi-Hatiheu. Ils se réclamaient
d’un ancêtre commun à tous les Taipi : Taipinui - le grand Taipi -. Son nom plus exact était
Taipinuiavao mais il était appelé aussi Taipinuiitehakamatemate. Il était le frère cadet de
Teiinuiahako qui après avoir subit un outrage d’enfant de la part de son cadet fut appelé
Teiimatateheu’e. De cette terrible dissension est née, selon les récits anciens, l’opposition traditionnelle entre les deux grandes familles tribales de l’île partagée entre ces deux frères par
leurs parents : Teii et Taipi1.
•Atikea
•Tapatea
•Atipapua
•Tuuoho
•Atipuku
•Puhioho : tribu de la partie ouest de la vallée où se situe Tahakia.
Principaux sites archéologiques :
•tohua Pa’aha’ua
•tohua Hikokua
•tohua Maikuku
•tohua Kamuihei
•tohua Pahumano
•tohua Naniuhi
•tohua Tahakia
•me’ae Maaetekohu
•me’ae Maaetekohu
•me’ae Teipuoho
•me’ae Temoeaoko
•me’ae Tihaumea
•me’ae Tihaumea
•me’ae Maatikohi
•me’ae Tepapuaika ou
Pahumano
•me’ae Teaiavaiea
•me’ae Tuhimau
•me’ae Tauahau
•me’ae Haepaupaua
•me’ae Haepapa
•me’ae Teipoka
•tokai Teavamaoaoa
•tokai Mauovivi
•tokai Puana
•tokai Puhioho
1. Il ne s’agit que d’une version. D’autres conteurs donnent d’autres détails, notamment sur les
noms et filiations des personnes, les lieux et le déroulement de certains combats ou cérémonies.
Nous aurions pu faire un “cocktail” de ces différents conteurs afin de réunir le maximum d’éléments mais nous préférons conserver la spécificité de chacun des récits et ne présenter que celuici dont la traduction est provisoire.
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
•Annexe 2
Légende de Keikahanui :
Enregistrement de Keo Kekaha Pahuatini, effectué le 22 mars 1994 à Taiohae, vallée Pakiu.
Traduction rapide d’André Farone et de René Bonno.
Le grand guerrier Keikahanui venait de la vallée de Hatiheu ; il était né et avait grandi là-bas
où il avait été entraîné comme un chef guerrier de Hatiheu. Un jour il décida de venir habiter près
de Hakaui, dans la petite vallée de Hakatea. Il le fit parce qu’il était amoureux d’une fille d’un chef
guerrier de Hakaui. Ce chef guerrier avait deux filles qui étaient toutes deux amoureuses de
Keikahanui. Il vécut donc avec ces deux femmes à la fois dans son habitation de Hakatea. Avoir
deux femmes à la fois, c’était vraiment un toa (guerrier viril) !
Lors des combats contre Hatiheu, afin de ne pas participer à la guerre aux côtés des gens
de Hakaui, Keikahanui allait sur le récif ramasser des oursins : des vana ou atuke. Il les cassait
afin de les laisser un peu pourrir, puis il les mettait sur ses pieds et les attachait avec des tapa
enana (étoffe végétale) pour faire croire qu’il était malade. L’odeur de ces oursins était si forte que
tout le monde croyait qu’il ne pouvait rien faire ! Il faisait exprès, pour qu’on ne le soupçonne pas
d’être en fait un grand chef guerrier. Le chef guerrier de Hakaui, à l’époque on ne disait pas Hakaui
mais Taioa, qui est le beau-père de Keikahanui, ignorait qui était ce Keikahanui. Or le chef de Taioa
prépara une bataille contre les guerriers de Hatiheu et Keikahanui venait de Hatiheu !
Pour se rendre à Hatiheu, les guerriers devaient passer juste devant l’habitation de
Keikahanui. Alors celui-ci demandait : “Où allez-vous ?” ; le chef guerrier de Hakaui, son beaupère, répondait : “Nous allons à Hatiheu”. A l’époque, Hatiheu s’appelait Te mataeina’a o Taipi.
“Qu’allez faire là-bas ? Ah vous allez vous battre contre les gens de Hatiheu, des Taipi ?”.
Keikahanui ajoutait : “Il faut avoir beaucoup de courage !” et les gens de Taioa répondaient : “Ah
pas de problème ; nous avons assez de courage pour combattre les guerriers de Taipi”.
Il laissait les gens passer et chacun lui demandait : “Eh ! Comment ça va Keikahanui ?”.
Lui avait toujours la même réponse : “Vous voyez bien dans quel état je suis. Comment pourraisje vous accompagner ?”
Mais, au moment où tout le monde était parti, il enlevait ses bandages qui empestaient, et
vite mettait sa tenue de guerre, puis prenait ses armes, son casse-tête et sa lance. Après il filait
par un raccourci. Les gens de Taioa, eux, pour aller à Hatiheu, longeaient la vallée de Taiohae puis
passaient par la vallée des Hapa’a, puis Taipivai et enfin Hatiheu par le col de Teavaitapuhiva.
Keikahanui, lui, prenait un raccourci par le plateau de Tovi’i. Comme c’était un guerrier, il
connaissait bien les lieux. Pour suivre ce chemin, il fallait être rapide, plus rapide que les guerriers
de Taioa afin d’arriver avant eux. Keikahanui rejoignait alors Hatiheu, rassemblait ses guerriers et
se portait au col de Putoka. C’est là qu’il attendait l’arrivée des Taioa. Après la bataille, Keikahanui
revenait à Hakatea avant le guerriers de Hakaui pour replacer ses bandages d’oursins nauséabonds et simuler son mal afin que les guerriers de Taioa ne le soupçonnent pas.
Chaque fois que les guerriers de Hakaui participèrent à une bataille au-dessus de ce col,
entre Hatiheu et Taipivai, à chaque fois, trois reprises paraît-il, ils furent battus. Mais la troisième
fois, au retour à Hakaui, des guerriers firent des remarques en voyant Keikahanui. Ils disaient :
“On dirait bien que c’est la même personne qui nous a attaqué ? Regardez, oui c’est sûrement la
même !” Keikahanui leur répondait : “Comment pourrais-je avoir participé à ce combat dans l’état
où je me trouve ; vous voyez bien, ce n’est pas possible !”
A Hatiheu, il y avait d’autres chefs guerriers et notamment quelqu’un qui s’appelait Hahana
et un autre dont je ne me rappelle plus du nom, mais quand Keikahanui était là, il était toujours
le premier.
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Là où va se dérouler le combat, il y a toujours des guetteurs qui se tiennent sur des pics,
en hauteur, pour prévenir les chefs que les ennemis approchent. Quand ils prévenaient “C’est le
moment ! Les guerriers de Taioa arrivent !” Keikahanui répondait : “Il faut les laisser venir et
approcher”. Les guetteurs surveillaient toujours, c’était leur rôle, et ils reprenaient : “Hé ! hé ! Ils
sont là ! tout près !” Keikahanui de répondre : “Il ne faut pas attaquer encore. Il faut les laisser
venir. Il faut qu’ils s’approchent le plus près possible.” Keikahanui poursuivait : “Ceux qui vont
passer derrière moi, c’est pour vous, mais laissez moi me battre devant”. Keikahanui voulait attaquer le chef guerrier de Hakaui. Il n’en voulait pas d’autre ; le seul qui comptait pour lui, c’était
son beau-père.
Lorsque le chef guerrier de Hakaui aperçu Keikahanui qui venait vers lui en courant, il eut
peur et ne pu faire aucun geste pour combattre. Il pris la fuite ! Quand les guerriers de Hakaui
s’aperçurent que leur chef, leur grand guerrier, se sauvait, ils ne surent plus que faire et se paniquèrent complètement. Keikahanui ne s’occupa que d’une chose, quand son beau-père prit la
fuite ; il se mis à sa poursuite.
Parmi les trois chefs guerriers de Hatiheu, il y avait un vieux guerrier ; les gens disaient
toujours : “Oh ! comme il est déjà vieux, ce n’est pas la peine de lui donner à manger !”. Lorsque
les gens de Hakaui qui se paniquaient et ne savaient plus quoi faire, passaient du côté gardé par
ce vieux guerrier, lui il ne les tuait pas ; il ne frappait pas, mais au contraire les laissait partir. Par
contre lorsque quelqu’un passait là où était Hahana alors là, Hahana ne lui laissait jamais la vie
sauve ; il attaquait et tuait sans pitié.
Quand les gens de Hatiheu demandèrent au vieux : “Mais pourquoi n’as-tu pas attaqué ces
gens là ? Ce sont des ennemis ! Il faut les poursuivre !” Le vieux leur répondit : “Mais, je suis un
vieux, comme vous dites. Ce n’est pas la peine de me donner à manger ! Voilà pourquoi je n’ai
pas besoin de frapper et de tuer !” En fait, c’était sa vengeance envers les jeunes qui l’avaient traité de vieillard. Il ne voulait pas toucher aux guerriers de Hakaui parce que quand on tuait, c’était
pour avoir de la viande ; ce n’était pas pour tuer seulement. Non, c’était pour manger ! Et ce vieux,
il a dit : “Non, je ne tuerai personne à cause de vos mauvaises paroles ; m’avoir traité de vieillard !
bon à rien !”
Keikahanui lui, continuait toujours sa poursuite et courait derrière son beau-père. Celui-ci
avait réussi à franchir la partie de la vallée de Taipivai où se trouve la rivière «Hakahau». Le beaupère dépassa la rivière et commença à gravir la pente qui menait à Hapa’a mais Keikahanui pris
sa lance et la planta dans la rivière pour sauter comme avec une perche. Il réussit à franchir la
rivière de Taipivai et tomba juste derrière son beau-père. Il brandit alors sa lance et la planta dans
le dos de son beau-père qui s’effondra mort. Keikahanui lui coupa la tête et l’attacha à sa ceinture.
Tout de suite après il rentra à Hatiheu où tout le monde était encore en train de se battre et
de massacrer les guerriers de Hakaui. Keikahanui arriva avec la tête de son beau-père, le chef
guerrier de Hakaui. Il l’enleva de sa ceinture et l’exposa puis, sans perdre de temps, il reprit la
route pour rentrer à Hakaui avant que les rescapés des guerriers de Hakaui ne rentrent chez eux.
Il fallait en effet que Keikahanui arrive le premier. Lorsque les guerriers de Hakaui arrivèrent, ils le trouvèrent toujours au même endroit avec des mouches, des mouches partout et une
odeur de pourriture. Parmi les guerriers, ses beaux-frères, je crois, remarquèrent des traces aux
oreilles de Keikahanui. En effet, pendant les batailles, le chef guerrier portait toujours un genre
d’ornement d’oreilles spécial que l’on serre contre les oreilles. Quand on les enlève, leurs
empreintes persistent un certain temps. A cette époque, chaque guerrier portait ce genre d’ornement. Quelqu’un donc remarqua cette marque aux oreilles de Keikahanui. Il dit : “Hiiyaa ! Mais
c’est le chef guerrier qui là, tout à l’heure, nous a attaqué !” Les autres disaient : “Non, non !
Regarde un peu ! C’est un malade, un infirme ! Tu ne vois pas comme il est, avec ses pieds qui
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
empestent ! “D’autres disaient : “Non ! Non, non, non ! Non, non ! Pour nous, c’est vraiment
celui-là. Il n’y a pas à discuter. C’est vraiment celui-là ; c’est bien lui le guerrier qui nous a attaqué !” La suspicion s’est alors installée chez l’ensemble des guerriers de Hakaui et ils dirent : “On
va essayer d’en avoir le cœur net et de savoir qui il est vraiment.”
Comme la belle-mère de Keikahanui l’aimait bien, et bien qu’elle sache que c’était
Keikahanui qui avait combattu les guerriers de Taioa et qu’il avait tué son propre mari, lorsqu’elle
appris que les guerriers le soupçonnaient, elle alla le voir et lui dit : “Eh Keikahanui ! Je crois que
tu ferais mieux de partir d’ici avec tes femmes ; on dirait que les gens de Hakaui savent que c’est
toi le chef guerrier de Hatiheu. Il y en a qui préparent des choses. Ils sont en train de récupérer
du bois. Pour quoi faire à ton avis ? Pour te tuer et te cuire dans le four ! C’est mieux pour toi
d’emmener tes femmes et de partir d’ici immédiatement !”
Keikahanui attendit la nuit pour partir de Hakaui ; c’est le lendemain matin que les guerriers
de Hakaui devaient venir l’attraper. Il parti par la vallée de Taipivai avec ses deux femmes. Arrivés
dans le fin fond de Taipivai, à la rivière qui s’appelait Uakueenui la sœur aînée dit à Keikahanui :
“Continues ta route ! Nous allons rester un peu ici. On va se baigner pour se rafraîchir un peu”.
La grande sœur avait en fait une idée dans la tête ; celle d’éliminer sa cadette parce qu’elle craignait qu’à Hatiheu Keikahanui ne l’abandonne pour rester avec elle. Voilà pourquoi elle décida de
prendre un bain avec sa petite sœur et de laisser Keikahanui s’éloigner un peu.
Keikahanui continua sa route mais, après un bon bout de chemin, il se dit : “Ah ! Je crois
que je dois rester ici pour les attendre”... et voilà que la grande sœur arriva mais toute seule !
Keikahanui demanda : “Où est ta sœur ?” - “Elle arrive, ne t’en fait pas !”
En fait au moment où elles se baignaient dans la rivière, l’aînée se battit avec sa petite sœur
mais, comme celle-ci était intelligente, elle fit semblant de mourir et se cacha sous les racines de
hau (Hibiscus tiliaceus) de la rivière. La grande sœur cru l’avoir tuée mais la petite sœur avait
trouvé un moyen pour respirer et laissa sa grande sœur partir, puis elle sorti des racines de hau.
La grande sœur raconta donc : “Elle arrive derrière moi, ne t’en fais pas ! On peut continuer
notre route”. Keikahanui fut bien obligé de la croire car les guerriers de Taioa étaient toujours à
leur poursuite et ils continuèrent leur chemin vers Hatiheu.
A Hatiheu, on voit encore le paepae, où habitait Keikahanui. C’est sur la terre Kaevao,
Hakaevao, dans la vallée de Hatiheu.
Quant à la petite sœur, quand elle fut sûre que son aînée s’était éloignée, elle sorti de sa
cachette et descendit toute la longue vallée de Taipivai pour arriver jusqu’à la vallée de Hooumi.
Là-bas, à Hooumi, le chef lui demanda qui elle était. Elle ne dit rien. Le chef de Hooumi ajouta
alors : “D’où viens-tu ?” Elle raconta peut-être son histoire : la dispute avec sa grande sœur, les
racines de hau... Voilà pourquoi les gens de Hooumi l’ont reconnu sous le nom de Tahiapaevao,
parce qu’elle resta cachée dans une rivière au fond de la vallée - vao veut dire : “le fin fond de la
vallée”- Tahiapaevao, la petite sœur de la femme de Keikahanui était bien plus belle qu’elle ;
comme elle était belle, elle eu de la chance d’épouser le fils du chef de Hooumi.
Voilà, c’est là que s’achève cette histoire de Keikahanui racontée par Pahuatini Keotete.
Pierre Ottino
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�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
GLOSSAIRE
•Me’ae : site sacré et interdit à la plupart. Seuls les membres éminents des classes tapu : chefs,
prêtres - et leurs assistants - ainsi parfois que les grands guerriers et maîtres importants “ en art
et technique ” y avaient accès. Le plan des me’ae est très variable et dépend de l’histoire et de la
topographie du site. Il concentre diverses structures dont les plus importantes se trouvent en
hauteur ; les plates-formes funéraires se situent souvent à l’arrière, dans un endroit plus abrité et
moins accessible. Les dimensions de l’ensemble variaient selon l’importance, de 15 m sur 10 et
pouvaient atteindre 80 m sur 60, pour les plus grands.
Le terme était peu utilisé en général, car ces lieux étaient redoutés et l’on parlait plus volontiers
d’endroits interdits, parmi d’autres, ce qui se traduisait par taha tapu, vahi tapu ou paepae tapu.
A présent, bien souvent, on entend parler de marae, même pour de simples constructions. Le
terme tahitien, usité par les visiteurs extérieurs et utilisé par convention sur les cartes IGN pour
tout site archéologique mentionné, s’est ainsi répandu, à tort bien qu’il y ait, parfois, une parenté
évidente.
•Paepae : plate-forme de pierre ou terrasse surélevée, à deux niveaux (cf croquis sous le plan du
tohua Tahakia) appelée parfois upe. L’un, à l’avant, est entièrement pavé et sert de terrasse : paehava vaho. Une fosse, quadrangulaire souvent - pakeho -, pouvait parfois y avoir été aménagée
lors de la construction. L’autre niveau à l’arrière - paehava oto -, limité en façade par une marche
faite de gros blocs de basalte ou de dalles taillées dans un tuf volcanique - keetuu - était entièrement couvert par une construction en matériaux végétaux qui servait d’habitation ou d’abri temporaire, ha’e au nord ou fa’e au sud. Les paepae d’habitation avaient une dimension moyenne de
8 m sur 8, mais les plus grands pouvaient atteindre 18 m sur 12, ou davantage. La hauteur en
façade variait en moyenne entre 0,80 m et 2,30 m en fonction du relief.
•Tohua : grand ensemble communautaire, de forme rectangulaire. L’espace intérieur, plan, est
réservé aux présentations collectives accompagnées de danses, chants et banquets. Les spectateurs se tenaient sur les longs côtés, sur des gradins pavés ou à l’intérieur d’abris s’ouvrant sur
la cour. Les chefs et invités de marque se tenaient habituellement sur un paepae plus élevé, situé
à l’une des extrémités de ce vaste rectangle atteignant 80 m sur 20, pour les plus petits, et 150 m
sur 45 ou davantage, pour les plus grands. Les prêtres et la partie réservée à l’aspect religieux
des manifestations se trouvaient à l’opposé.
Pour désigner cet endroit de fête, une autre expression était aussi utilisée qui traduisait cette
idée : taha koina ou taha koika, selon que l’on se trouvait dans une partie de l’archipel influencée
par le parler du “ sud ” ou celui du “ nord ”.
•Tokai : lieux de sépulture de femme morte en couche, habituellement. Ces lieux également appelés fanaua ou hanua, du nom donné aux personnes mortes dans des conditions dramatiques dont
on redoutait l’esprit, pouvaient porter le nom de la personne pour laquelle ils avaient été
construits. Certains de ces fanaua pouvaient être considérés comme si puissants qu’ils pouvaient
être parfois invoqués, en particulier par ceux de la famille dont ils pouvaient devenir, d’une certaine façon, des protecteurs ou défenseurs. Dans les années 1920-40, ces fanaua étaient confondus, souvent, avec d’autres esprits familiers : certains etua.
•Ua ma : fosse silo, à usage familial ou communautaire (de deux à cinquante mètres cubes), qui
renfermait le ma ; cette pâte fermentée du fruit de l’arbre à pain - mei - se conservait plusieurs
dizaines d’années, et plus, en milieu an aérobie. Le ma rentrait dans la préparation quotidienne
de la popoi ma. Celle-ci était faite de mei et de ma cuits puis battus ensemble à l’aide d’un pilon
de pierre - kea tuki popoi - et un peu d’eau sur un plateau de bois : hoaka ou hoana.
64
�N° 276 • Mars - Juin 1998
*Je tiens à remercier l’ORSTOM, organisme auquel j’appartiens et qui m’a affecté aux
îles Marquises, la commune de Nuku Hiva et son Conseiller maire : Monsieur Lucien Kimitete,
le maire délégué de Hatiheu : Madame Yvonne Katupa, l’Administrateur d’Etat qui était alors
Monsieur Dominique Cadilhac, pour leur intérêt, leur aide concrète et le bon déroulement des
travaux. Mes pensées vont également à Monsieur Rua Puhetini et Madame Marie-Noëlle de
Bergh avec qui notamment ces relevés ont été effectués et Messieurs Koreke Farone et René
Bonno qui m’ont guidé sur de nombreux terrains ainsi que Messieurs Kapana Touatini et Keo
Pahuatini dont les talents de conteur ont permis de sauver plusieurs récits anciens remarquables qu’il reste maintenant à transcrire, pour la plupart en marquisien et en français. Ces
documents, éléments du patrimoine de l’archipel, doivent, entre autres, être conservés au
Centre de Documentation des Marquises : Pa’evi’i, basé à Taiohae.
65
�Ka ‘imiloa, ka ‘imiloa wakea
ou la magie des mots
Le vocable “kaimiloa” est un nom qui fleure bon l’archipel
hawaiien cette autre terre polynésienne dont nul n’ignore les liens forts
qui la rattachent avec Tahiti. Sans doute que sur les mers ils ont parfois
approché une dimension mystique sans commune mesure sur la terre
ferme, alors les marins en général les navigateurs en particulier prennent toujours un soin jaloux à choisir pour leur bateau un nom empreint
de symbolisme sinon d’ésotérisme. On n’est donc pas surpris de découvrir que ce nom “kaimiloa” a été porté à des époques différentes par des
voiliers dont les capitaines se sont révélés de véritables magiciens dans
leur art.
Au début des années mille neuf cent quatre vingt dix on remarque
un moderne catamaran le Kaimiloa mouillé au bout du monde dans
l’archipel philippin, à quelques encablures d’une île bien nommée, l’île
Fortune ; ça n’est pas un hasard, son propriétaire et skipper s’est littéralement engouffré dans une aventure maritime passionnante : la
recherche de l’épave du San Diego galion espagnol coulé en 1600 après
un combat naval tragi-comique. La localisation du galion et la remontée
en surface de multiples objets usuels du 17ème siècle et de sa cargaison
précieuse qu’il préservait dans ses flancs auront été tâche ardue. La
quête d’un trésor fait toujours fantasmer, mais son inventeur, le français
Frank Goddio a réalisé ses travaux de recherche comme une opération
menée dans le monde des affaires qu’il connaît bien, avec méthode et
intelligence. Le grand public a eu sa part de rêve : un documentaire télé
a rendu compte de cette formidable aventure, une grande exposition itinérante a présenté quelques unes des nombreuses pièces du trésor,
66
�N° 276 • Mars - Juin 1998
enfin un CD ROM permet à l’aide d’un ordinateur, de revivre l’aventure
du San Diego et son trésor perdu et retrouvé.
Un autre bateau s’est appelé Kaimiloa. Il aborde les rivages de
Tahiti au début de l’année 1925 en provenance de Honolulu ; il s’agit
d’un magnifique quatre mâts barque appartenant à un américain fortuné
M. Kellum qui a pris à son bord des chercheurs dont un jeune homme,
Kenneth Emory qui allait devenir un anthropologue de renom. Kaimiloa
est un nom magique disais-je : M. Kellum junior s’installe à Moorea, met
en valeur son domaine de Opunohu et fait souche. Marimari Kellum,
troisième du nom, est de nos jours bien connue dans le monde des chercheurs océanistes.
Faisons un saut à Honolulu dans la décennie 1930 avec Eric de
Bisschop, un marin français qui connaît bien l’archipel hawaiien ; il a
souvent navigué dans ses eaux, il y a même fait naufrage alors qu’il était
embarqué sur une jonque. De Bisschop a fait construire Kaimiloa une
pirogue à double coque qu’on trouverait pataude de nos jours, avec
laquelle pourtant il regagne la métropole d’est en ouest en deux cent
cinquante jours. Il séjourne peu de temps en France, le temps d’armer
son nouveau bateau, un catamaran qu’il nomme Kaimiloa Wakea.
Quand en Europe le bruit des bottes nazies se fait entendre, il embarque
en compagnie de sa jeune épouse pour un retour vers les îles hospitalières du Pacifique. L’aventure tourne mal ; abordé en plein Atlantique le
Kaimiloa Wakea est perdu, par bonheur skipper et passager sont sains
et saufs. Profondément attaché à l’Océanie, ce personnage épris de liberté que fût de Bisschop poursuivra sa route avec son lot d’extravagances
et d’aventures, jusqu’au récif de Rakahanga atoll au nord de l’archipel
des Cook où il s’échoua pour une dernière fois. C’était on s’en souvient
en 1958 une autre expédition maritime, celle du Tahiti Nui II et la fin
glorieuse d’un marin.
Voilà tracé à grands traits le voyage de trois skippers et de leur
bateau, dont le nom kaimiloa devrait sans doute être transcrit /ka’imiloa/ et /ka’imiloa wakea/ pour se conformer à la graphie de la langue
des gens de Hawai’i.
67
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Rappelons que dans le panthéon de la société hawaiienne d’avant le
contact la divinité /wakea/ qu’on retrouve avec la variante /atea/ ou
/vatea/ dans d’autres aires du triangle polynésien est le géniteur originel
qui donnera la lignée des chefs de l’archipel. On connaît le lien généalogique de l’homme polynésien avec son cosmos. Segalen qui “se hausse
à la stature des dieux immenses” dans les Immémoriaux parle de la
“tresse origine du verbe” comme élément constitutif. Le vocable /ka ‘imi
loa/ qui revêt deux acceptions proches l’une de l’autre retient alors
notre attention :
/celui qui cherche et va toujours plus loin/, /celui qui détient la
connaissance/.
Nul doute qu’un jour prochain dans des eaux pacifiques d’autres
“ka’imiloa” prendront la mer, habités eux aussi par des vibrions en
continuelle exploration.
Constant Guehennec
Carte du voyage de la pirogue
Kaimiloa d’Eric de Bisschop.
Kaimiloa, Plon 1939, p82.
68
�Un aperçu des
réunions politiques en
Polynésie française
En Polynésie française, y a-t-il une spécificité dans le déroulement
des meetings politiques, moment important de la vie d’un pays ? La
Polynésie baignant dans un cadre démocratique, il est intéressant d’observer les modalités traditionnelles de participation politique en prenant
l’exemple du meeting électoral.
Ces réunions politiques se déroulent en général de la même façon :
prières, discours, orchestres qui jouent entre chaque orateur, enfin les
questions du public. Un organisateur anime la soirée, présente les élus
ou futurs élus. Chaque orateur s’efforce d’expliquer quel est l’intérêt de
voter pour ce parti. Il s’adresse à une ville ou un village en le nommant
par son nom : « Papeete » ou « Punaauia » par exemple. Si le maire de
la commune est présent sur l’estrade, le public s’adresse souvent à lui.
Les salutations d’usage sont assez longues même lorsque le public
s’adresse aux hommes politiques. L’assistance ne pose des questions que
dans la dernière partie de la réunion : elles portent en général sur les
soucis quotidiens. Parfois, ce ne sont pas vraiment des questions mais
plutôt des commentaires personnels. Et, notons la présence inévitable de
deux intervenants : l’opposant courageux qui vient défendre les positions
de son parti ou démontrer les failles du parti organisateur du meeting et,
moment dramatique très attendu, l’intervention de celui qui a démissionné d’un autre parti et qui vient demander pardon au metua 1 pour
s’être égaré si longtemps ! La contradiction apportée par un opposant
s’est pratiquée dès le début de la vie politique en Polynésie, c’est-à-dire
dès 19452. En ce qui concerne celui qui vient se repentir de ses
1 Le guide, le père.
2 Entretien avec Nedo Salmon de Michèle de Chazeaux sur R.F.O. entre avril et juin 1992.
69
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
errements passés avec d’autres partis, et pour rendre plus théâtrale cette
intervention, on l’entend regretter publiquement les insultes qu’il a pu
proférer contre le metua à qui il s’adresse, qu’il raconte en détails, et
sa conduite passée en s’appuyant sur des versets bibliques. Il annonce,
par exemple, qu’il était persuadé du bien-fondé de la politique de l’autre
parti et qu’un jour, la « lumière » lui est apparue pour lui montrer la
vraie voie. En regrettant son passé, il demande le pardon du metua. Ce
type d’intervention, très apprécié du public, n’est pas propre à un parti.
Quant à savoir si l’histoire et les regrets du personnage sont réels, peu
importe : c’est l’instant d’allégeance qui compte.
Enfin, signe du rapport de proximité, l’homme politique salue chaleureusement certaines personnes présentes, souvent d’humble origine,
et institue ainsi un rapport d’égalité entre personnes de statuts différents.
S’agit-il, comme ailleurs, « de nier symboliquement le caractère intéressé de l’échange clientélaire en le présentant comme un acte de
volonté désintéressée, celle que déterminent l’amitié et le devoir de
reconnaissance » ?3 Dans ces réunions, à des heures tardives pour la
Polynésie, il y a toujours des enfants qui courent, crient, jouent sans que
personne n’intervienne ou ne leur demande de modérer leur enthousiasme !
Une réunion des cadres du Tahoeraa Huiraatira commence
d’abord par l’hymne territorial « Ia Ora ‘o Tahiti Nui », avant un chant
religieux puis une prière4. Il est à noter que le discours en français, s’il
y en a un, n’est pas le même que celui prononcé en tahitien. Par
exemple, le président du gouvernement explique, en français, les difficultés du Territoire, la nécessité d’une politique de rigueur et l’effort à
fournir encore quelques années avec des termes que l’on retrouve en
métropole (ce sont des popaa qui lui préparent ses discours en français). Puis en tahitien, sans aucune note, il compare alors la Polynésie à
3 Jean-Louis Briquet, La tradition en mouvement. La politique clientélaire et ses transformations
dans la Corse contemporaine, op. cit., p 57.
4 Par exemple Les Nouvelles de Tahiti du 20 septembre 1993, p. 3 ou La Dépêche du 31 mars
1996, p. 4.
70
�N° 276 • Mars - Juin 1998
une voiture et, devant une salle hilare, dit, « en 1993, on poussera la
voiture, en 1994, on poussera encore tous ensemble, en 1995, la voiture commencera à donner signe de vie, (il fait mine de gronder une
personne, sûrement un ministre, qui semble ne pas pousser suffisamment) et enfin en 1996, la voiture démarrera... »5
La démocratie, à partir de la fin de la deuxième guerre mondiale, a
nécessité une adaptation linguistique, et la définition des mots utilisés en
tahitien éclaire la perception du phénomène6: élection se dit ma’itiraa,
c’est-à-dire le choix, choisir. Le candidat est nommé de plusieurs
manières : te taata i nia i te tapura ou te taata i tapura hia i nia i te
tapura (la personne qui est, ou figure, sur la liste), te taata e horo (la
personne qui court dans la compétition). Se présenter se dit horo i roto
i te ma’itiraa (qui court dans l’élection) ou par exemple te ti’a i roto
i te ma’itiraa (debout, présent...). Notons que certains de ces termes
sont habituellement utilisés dans le domaine sportif comme compétition,
course, concourir...
La campagne électorale se dit, en revanche, te tau porititaraa, « la
période d’expression politique ».
Enfin, contrairement aux autres collectivités territoriales de la
République, les hommes politiques polynésiens ne cherchent pas leur
inspiration dans les enjeux politiques nationaux. Le désintérêt de la politique nationale, vécue comme métropolitaine, n’est pas de l’apolitisme
mais une concentration sur la politique locale, seule digne d’intérêt et
vécue comme nationale.
5 Les Nouvelles de Tahiti du 20 septembre 1993, p. 3.
6 Entretien avec Maco Tevane le 23 juillet 1996.
71
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
I • Réunion Tahoeraa Huiraatira
du 10 mai 1996, stade Willy Bambridge, Papeete7
Il y a environ plus de mille personnes, avec une forte présence des
médias locaux, des tentes de qualité avec éclairages et drapeaux tahitiens. Le public est en orange, surtout les chemises et robes oranges
pour les femmes. Les personnes présentes sont bien habillées et visiblement de milieux sociaux-professionnels assez élevés. Des enfants courent dans tous les sens.
Les membres de la liste s’alignent devant la tribune pour se faire
« couronner ». Un chant d’accueil est suivi par un chant religieux. Le
diacre, en chemise orange, récite une prière assez longue. Le public et
les officiels sont debout. Parmi les officiels, derrière Gaston Flosse, en
chemise orange, un garde du corps, ancien gendarme.
L’organisateur indique le programme puis la chorale entame l’hymne territorial. Tout le monde se lève. Ensuite, un groupe de danseurs, qui
est le groupe de la municipalité, conduit par un adjoint au maire s’exécute. Cette partie de danses est assez exceptionnelle, mais cela s’explique selon l’interprète par le fait qu’il s’agisse d’une réunion de ville
et non de quartier. Mais, le fait que ce soit un adjoint du maire qui dirige
ce groupe n’est pas étonnant, car en Polynésie, la danse fait partie de la
recherche identitaire : beaucoup de monde danse.
Le secrétaire général du parti, Edouard Fritch remercie les organisateurs et surtout le maire Michel Buillard (applaudissements). Il salue
les Eglises et les militants du Tahoeraa au nom du président du parti. Il
annonce qu’il s’agit de la dernière réunion d’information de la campagne (meeting politique). Il raconte, île par île, toute la campagne du
metua (guide ou père, en l’occurrence Gaston Flosse). « Il a éclairé la
population et vous a choisi pour la fin. Tous les jours de 15 h à 3 h
du matin pour reprendre son travail à 5 h du matin. ». Ce rythme
horaire impressionne l’auditoire.
7 L’interprète est le ministre Simone Grand.
72
�N° 276 • Mars - Juin 1998
Il présente les membres de la liste, et à chaque nom, détaille les
réalisations du candidat et le public applaudit. Le sixième de liste s’occupe des femmes de l’Eglise évangélique et Madame Lagarde est aussi
présidente du conseil des femmes. La liste comprend 7 ministres ou
anciens ministres et 6 femmes (« le seul parti qui amène les femmes
à l’assemblée territoriale » déclare l’orateur qui pousse les femmes à
convaincre leurs maris), 8 maires et des conseillers municipaux. Il
explique ce choix : des « Maires, car qui peut mieux qu’eux connaître
les difficultés d’une population » ? Ils sont presque tous président de
fédération.
Il présente une personne de l’équipement chargée en cas de barrage des passages de bateaux. Il montre leur volonté de gagner : « ça suffit
les alliances ». Critique les alliances avec le Ai’a Api et le Here Ai’a. (Ce
qui ne les empêchera pas de s’allier immédiatement après les élections
avec d’autres partis).
« C’est à Papeete de soutenir votre maire ». Puis, il présente les
réalisations du gouvernement : mesures sociales, R.S.T., allocations,
P.S.G., C.S.T., logements sociaux. « Les autres comme Jacqui Drollet et
Alexandre Léontieff l’ont promis et ne l’ont pas fait. Et si nous y arrivons c’est grâce aux transferts et à Jacques Chirac ». (Cette amitié
entre le Président de la République et le président du gouvernement est
considérée comme un atout précieux par la population qui reconnaît là
une facilité d’accès aux ressources publiques).
L’organisateur remercie et l’orchestre joue.
Georges Puchon, ministre de l’Economie, prend la parole en tahitien puis en chinois et enfin parle tout le long en français (c’est le seul
de la soirée) : « on parle de 30 années de gabegie pour le C.E.P., moi
je parle des 30 glorieuses...infrastructures, ports, aéroports, routes
dans toutes les îles de Polynésie ». Le discours porte sur l’intérêt général.
L’orchestre joue.
Michel Buillard, maire de Papeete, fait les salutations d’usage (organisateur, public, liste, orchestre...). « Le président consacre sa dernière
soirée à Papeete » (applaudissements). Il donne l’exemple de Pouvanaa
en assurant que le Tahoeraa Huiraatira va dans le même sens.
73
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
L’orchestre joue encore.
L’organisateur présente Gaston Flosse qui prend la parole en tahitien. Il salue Papeete, fait lever les membres de la liste un par un et plaisante sur chacun d’eux (la salle rit de bon cœur et les ministres sourient
quelque peu gênés). Il remercie le maire puis fait les salutations d’usage, des compliments au public qu’il trouve « joyeux et beau » et il ajoute qu’il terminait toujours ses campagnes à Pirae et c’est la première fois
qu’il le fait à Papeete (marque d’estime). Il fait rire facilement le public
sur tout, même sur la décoration du lieu de réunion. Puis dit « je suis
content que vous témoigniez votre confiance en votre maire...rassemblez-vous autour de votre maire, faites lui confiance. Il est vrai
qu’une grande partie de la population de Papeete est Here Ai’a. Il est
vrai que c’est difficile de changer de parti. Mais ce n’est pas vous qui
changez de parti, c’est votre leader qui vous a abandonnés. Ce n’est
pas vous qui l’abandonnez mais lui ! Quand il était dans la majorité,
il est venu me voir et il m’a dit « je suis député, membre de l’assemblée territoriale et maire de Papeete, je dois abandonner un mandat », je lui réponds « n’abandonne pas la mairie, tes enfants ou tu
disparais de la vie politique ». Il est resté président de l’assemblée
territoriale et député. Il a donc changé lui, pas vous ! Alors que le
Here Ai’a était un parti metua avec Pouvanaa d’un côté et Rudy de
l’autre, aujourd’hui où est le Here Ai’a ? Dans la course territoriale,
il n’y a plus de Here Ai’a. Aujourd’hui considérez Michel Buillard
comme votre metua même s’il est jeune, celui-ci ne vous abandonnera pas et il sait qu’il peut compter sur moi pour Papeete. ».
(Encore une remarque appuyée sur une relation proche des ressources
publiques).
Il ajoute : « C’est la plus importante élection (après C.E.P.).
C’était une période d’abondance et nous pensions que cela ne s’arrêterait pas. C’est fini...risque d’émeutes si on ne fait pas ce qu’il
faut : c’est notre responsabilité et pas celle de la France...Nous avions
l’habitude de mendier l’argent à la France...qui peut conduire le pays
dans la difficulté ? »
« Les autres parlent d’indépendance (tiama = être debout),
mais nous sommes debout, déjà dignes, d’aller et venir, bien sûr il y
74
�N° 276 • Mars - Juin 1998
a des lois qui limitent, mais c’est normal...(tout ce qui a été proposé) c’est l’indépendance. Il n’y a que le Tavini qui le dit franchement.
Le Tahoeraa n’a pas changé de politique depuis toujours. Nous
n’avons pas suffisamment de moyens pour gérer le pays. C’est vrai il
y a des pauvres, mais globalement comparons avec les autres, nous
sommes privilégiés ». Il fait un tableau de l’indépendance avec les possibilités de tomber dans la misère et même dans une dictature. Il rappelle qu’au Vanuatu, ex-possession franco-britannique, le kilo de coprah
est à 15 francs pour 80 francs en Polynésie française. Là-bas, dit-il,
« c’est la pauvreté, pas d’écoles, pas d’hôpitaux, les gens sont nus »
(le public rit).
Exceptionnellement, précise l’organisateur, il n’y aura pas de questions du public mais deux personnes choisies par les organisateurs s’exprimeront, toutes deux du Here Ai’a, élevées dans le respect de
Pouvanaa et qui considèrent que le maire d’une commune est le metua
de la commune. Ce sont des repentis. Le premier précise qu’il « faut
montrer que Papeete est fort pour recevoir les bienfaits ». Le second
s’appuie sur la Bible pour expliquer sa conversion au Tahoeraa
Huiraatira.
Enfin, un cadre du parti homologue des sections de communes (les
délégations du parti dans les communes) et appelle les présidents de ces
sections un par un (pas de vote d’adoption). Il y a 93 sections de communes pour tout Papeete (soit 2.774 membres).
Le vice-président du Tahoeraa Huiraatira, Justin Arapari, fait la
synthèse.
Tout le monde se lève, la chorale chante puis le diacre reprend la
prière.
75
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
II • Réunion de quartier du Te Avei’ A Mau
du 26 avril 1996 au PK 18,9, Punaauia
C’est la quatrième réunion du parti à Punaauia. Il y en aura au total
cinq et à chaque fois dans des quartiers différents. Cette réunion se
déroule dans un parking où deux tentes ont été installées. Une petite où
se trouvent les hommes politiques et une autre, de taille moyenne, où se
trouve le public. Il y a entre cent cinquante et deux cents personnes,
hommes, femmes et enfants de tous âges. Environ 40 % du public porte
les chemises ou robe aux couleurs du parti. Un orchestre met de l’ambiance et jouera brièvement entre chaque intervention.
Avant le début de la réunion, Milou Ebb, en tahitien, et Maco
Tevane, en français, font une déclaration enregistrée à la télévision.
L’allocution de ce dernier porte sur la nécessité de préparer l’aprèsC.E.P. dans un climat de confiance et de paix indispensable au développement du territoire. Les thèmes de ce discours « moderne », d’intérêt
général portant sur le devenir, ne seront que peu abordés lors de la
réunion publique ou tous les discours se feront en tahitien.
La réunion commence par une prière assez longue dite par un
diacre. Puis, un orateur présente les candidats un par un, commençant
par le maire de la commune alors que celui-ci n’est que le second de
liste. Mais la réunion se déroule dans sa commune, il est donc normal,
pour les organisateurs, de commencer par lui. Il soulève d’ailleurs l’enthousiasme du public et des cris de soutien. Le public entame alors le
chant de Punaauia. La présence de la télévision au début de la réunion
ne change pas radicalement l’attitude du public qui reste la même tout
le long.
Milou Ebb, premier de liste, entame son discours en s’adressant au
public par « Punaauia... ». Il s’adresse à une commune et donc aux
individus qui la composent. Tous les autres intervenants apostropheront
le public de la même manière. Les salutations sont longues. Puis, il
raconte les négociations avec le maire pour qu’il soit inscrit sur sa liste
et insiste sur « l’amour du maire pour sa population ». Le discours
reste basé uniquement sur Punaauia, le prestige du maire et donc de sa
76
�N° 276 • Mars - Juin 1998
population. L’emblème de la commune a même été intégré dans le logo
du parti. Il ajoute que si le maire a accepté de participer à la compétition, c’est pour « accroître les possibilités de la commune de
Punaauia à tous les niveaux aussi bien financier et donc de pouvoir
développer la commune ». Puis, il raconte les progrès du parti depuis
sa création en juillet 1994 : des salles peu remplies au début jusqu’au
dernier congrès où le public dépassait en nombre celui des autres partis. Par exemple, le Tahoeraa Huiraatira a pu remplir la salle Aorai Tini
Hau avec les délégations des archipels alors que son parti a rempli la
salle avec les seuls représentants de Tahiti-Moorea. (Les détails sur cette
présence d’une foule importante visent à démontrer la popularité du
parti. Mais, même si cela est exact, le faible score du parti a montré les
limites de cette popularité : une foule nombreuse ne signifie pas un vote
massif).
Il demande ensuite aux personnes présentes d’aller dans les foyers
présenter le programme, de devenir « des missionnaires ». Puis, il
explique que le jour du scrutin, il faut prendre le second bulletin de vote.
Le secrétaire du parti prend la parole, fait les salutations d’usage
puis présente les candidats. Il y a sept maires, maires-adjoints ou
maires-délégués dans cette liste dont les deux premiers sont des maires,
le troisième et quatrième sont maires-adjoints. Puis en quatrième, on
trouve la seule femme retenue et en cinquième position, un Chinois. « Il
faut qu’il y ait des femmes et des représentants de la communauté
chinoise » m’explique un cadre du parti. Il justifie le choix de placer des
maires dans les premiers de liste par le nombre de voix qu’ils représentent : « ils ont déjà une population derrière eux ». (En l’occurrence,
ce calcul basé sur une approche « traditionnelle » de l’électorat n’a pas
apporté les fruits escomptés).
Les premiers candidats prennent la parole tour à tour. Le discours
de Maco Tevane porte sur l’intérêt général puis sur les problèmes fonciers, plus particulièrement de l’indivision. Il propose que le gouvernement territorial prenne en charge la longue procédure, (recherche de
propriété, avocat, etc...) qui permet aux propriétaires de recouvrer leurs
biens. Puis de développer les ressources halieutiques et de la mer, la
construction de bateaux... développer les ressources électriques (Milou Ebb
77
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
est président de la société Marama Nui qui produit de l’électricité et
Alban Ellacot directeur d’une société de distribution électrique) car
50 % des besoins sont fournis localement. Le rattachement à l’U.D.F. est
expliqué : « nous sommes les yeux, la bouche, les mains de l’U.D.F. en
Polynésie ».
Raymond Van Bastolaer remarquant la présence de trois popaa
remercie aussi en français puis fait tout son discours en tahitien. Il parle
de toutes ses réalisations (il est ministre des Affaires sociales, mais il
s’agit aussi de son action en tant que ministre de l’Education et membre
du parti Here Ai’a) notamment de la P.S.G. et de la C.S.T.
Après les hommes politiques, c’est au public de poser des questions. Les intervenants vont se succéder au micro ; il y a une volonté réelle de poser des questions. Une vieille femme se lève pour rejoindre le
micro installé au centre de la tente. Elle commence par les salutations
d’usage, fort longues, affirme que Punaauia doit voter pour son maire
puis lui lance « je t’aime ». Le public exulte. Puis, elle dit franchement
« pense à ce que je t’ai demandé et le jour où tu seras à l’assemblée,
si tu ne fais rien, je te balancerai des cailloux ». (Le public rit). Un
jeune homme s’avance, prend le micro et dit que « U.D.F. veut
dire union derrière Flosse » (ce parti est allié avec celui de Gaston
Flosse) et que malgré tout il faut voter pour cette liste. Il ajoute qu’il a
entendu cette interprétation dans une réunion du Tavini dans son quartier. Milou Ebb lui répond « non, c’est « union devant Flosse ». Il ajoute qu’il n’a pas de leçon à recevoir d’Oscar Temaru qui devrait se rappeler d’un verset de la Bible (la paille et la poutre dans l’oeil) et rappelle
les noms des nouveaux ralliés aux indépendantistes. Le troisième intervenant, après les salutations d’usage, demande ce qu’a fait le parti pour
combattre le chômage : « vous avez dit ce que vous ferez, mais que
avez-vous fait déjà ? » Puis demande directement au maire pourquoi il
a adhéré à ce parti alors qu’il pèse 3.250 voix et qu’il est donc celui qui
a le plus grand nombre de voix dans cette liste. Il ajoute qu’au même
moment dans la commune se tient une réunion du Tahoeraa et qu’il
retrouve dans ce public des adhérents de Jean-Jacques Lequérré qui est
le représentant du Tahoeraa Huiraatira à Punaauia. Ils sont donc
venus, ajoute-t-il, à cause du maire. Puis, il demande à Milou Ebb de ne
78
�N° 276 • Mars - Juin 1998
pas oublier les habitants de Punaauia car « les problèmes sont ici nombreux ». Milou Ebb répond que le problème de l’emploi n’est pas
récent, qu’il est mondial et ajoute à propos du maire que si celui-ci était
premier de liste, « tu ne voterais pas quand même pour lui » (il l’a
reconnu ! Il sait qu’il s’agit en fait d’un opposant). Le premier adjoint au
maire intervient pour expliquer la présence du maire, depuis 1977, dans
cette liste. Il rappelle que Punaauia est la troisième commune de
Polynésie et que pour le maire, le plus important est sa commune. Il a
toujours aidé des partis, mais n’a jamais été à l’assemblée territoriale. Il
a donc décidé de se présenter pour accroître les moyens (possibilités de
redistribution) pour sa commune, « pour le bien de sa population ».
Ils ont donc intégré ce parti pour être sûr de se retrouver à l’assemblée
territoriale car tous les autres partis ont souhaité le prendre, mais ce
n’est qu’avec ce parti qu’il avait des possibilités d’intégrer l’assemblée
en étant bien placé sur la liste. Enfin, parce que le programme de ce
parti est le même que celui du parti du maire. Si le maire est second,
c’est parce que Milou Ebb est maire mais aussi président d’un parti. (La
première raison évoquée est donc celle de la stratégie électorale).
Le quatrième intervenant parle fort, le regard sévère. Il n’y a pas de
réponse, le public reste silencieux (pas de traduction)...
Milou Ebb rappelle que dans toute coalition il y a une discipline
majoritaire mais qu’il n’a pas hésité à casser cette discipline lorsqu’il
s’agissait des essais nucléaires.
Un conseiller municipal de la commune voisine de Paea, dont le
maire « va courir avec le Ai’A Api, intervient pour soutenir le maire
de Punaauia en son nom personnel ».
Un intervenant prend la parole et après les salutations d’usage prévient qu’il ne s’adresse pas à Jacques Vii mais à son maire (c’est la même
personne). Puis rappelle que le mois de mai est le mois de sa contribution de l’Eglise et qu’il faut le 12 mai remplir ce devoir religieux et aussitôt après aller à la mairie pour voter pour son maire.
Un homme politique rappelle que pour résoudre les problèmes de
Punaauia, il n’y a qu’une solution ; placer le maire à l’assemblée territoriale. (C’est-à-dire se rapprocher de la majorité territoriale et donc
des ressources publiques).
79
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Milou Ebb clôt la réunion. Puis le diacre fait la synthèse de tout ce
qui a été dit, renouvelle la demande de soutien au maire et enfin fait une
prière, plus courte. C’est un diacre qui « a sympathisé avec le maire »
dit le cadre du parti. A la fin de la réunion, qui dure environ deux heures
trente, une collation est servie.
Les candidats se mettent en ligne et le public fait la queue pour les
embrasser.
III • Réunion du Tavini Huiraatira
du 8 mai 1996 au Cash & Carry, Faaa8
Il y a environ trois cents personnes, qui ne portent pas les couleurs
du Tavini Huiraatira mais sont habillées simplement, souvent pieds
nus, short et tricot. Seuls les officiels du Tavini portent la chemise de
couleur bleu clair. Des drapeaux indépendantistes fleurissent partout,
certains le portent à la main, d’autres l’entourent en guise de cape ou
s’en couvrent la tête.
Tous les élus et les cadres du parti donnent un coup de main pour
la réunion. Oscar Temaru n’a pas de garde rapprochée si bien que plusieurs fois, une personne, visiblement faible d’esprit, l’importunera.
Un orateur prend la parole. Véritable chef d’orchestre, c’est lui qui
va tout le long présenter les officiels, le programme, contrôler le temps
de parole. Il annonce le déroulement de la réunion puis un chant s’élève
pour préparer le public au recueillement.
Un diacre, membre du Tavini, et conseiller municipal (ils sont
deux diacres au conseil municipal), dit la prière.
Ensuite, le président des Tomite, qui est en charge de tous les
comités de quartiers et de la préparation des déplacements du président
du Tavini, présente sous les applaudissements les membres du conseil
municipal un par un puis le maire. Ensuite, il annonce l’homologation
de deux Tomite (ou section) de Pamatai. Il donne le nom du premier
8 L’interprète est l’adjoint au maire de Faaa, Germain Tetavai.
80
�N° 276 • Mars - Juin 1998
Tomite puis présente d’abord le président du Tomite et tout le bureau.
Ce Tomite représente 60 personnes. Il soumet l’approbation du bureau
au vote de tous les présents qui l’adoptent à mains levées. Enfin, il donne
des instructions générales de fidélité, et rappelle leur travail de propagande de familles en familles dans leur quartier. Puis, il recommence
l’opération pour le second Tomite qui représente 22 personnes.
L’orateur reprend la parole et précise que c’est Faaa qui a fait
d’Oscar Temaru un maire, et c’est eux qui ont fait de lui un conseiller
territorial. Puis, il rappelle le déroulement de la constitution de cette
liste : pour la première fois en Polynésie ont été organisées des primaires, chaque district et chaque île ont choisi leurs représentants au
congrès du Tavini Huiraatira qui s’est déroulé à Papeete où la liste a
été constituée. Il présente alors les membres de la liste « qui courent »
pour les territoriales un par un. Dix sur les 24 membres sont présents.
Chaque présentation est très longue. Il finit par Oscar Temaru, premier
de liste. Les applaudissements sont nourris. L’orchestre entame un
chant.
L’orateur prend la parole, rappel les objectifs de la réunion et développe la profession de foi du Tavini Huiraatira sur le développement.
Il plaisante sur la distribution des logements sociaux en mimant une
« plouf truquée » (termes utilisés par le traducteur, et le plus souvent
par les enfants pour désigner une sorte de loterie) sous les rires et les
applaudissements du public. Il sort le spectre de l’immigration massive
des métropolitains et des Européens vers les DOM-TOM avec, dit-il, les
encouragements de Toubon.
Hiro Tefaarere, cinquième de liste, prend la parole et détaille une
autre partie de la profession de foi dont il est l’un des rédacteurs.
L’orchestre joue un morceau puis c’est Alexandre Léontieff qui
s’adresse au public. Il parle de son procès, du déroulement de son
arrestation et donne une interprétation personnelle de ces événements.
(Serait-ce l’élément déterminant de son alliance avec les indépendantistes ? de sa haine de l’Etat ?). Il dit : « Flosse est animé par un sentiment de revanche depuis 1987 », date où Léontieff a « trahi » pour
devenir président du gouvernement. Il ajoute que dès que « son ami
intime », Jacques Chirac, est devenu Président de la République, il lui a
81
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
demandé d’écarter Léontieff de Papeete. « Toubon a reçu les instructions » et l’a fait arrêter et envoyer en métropole où il est resté 70 jours
emprisonné. Et Léontieff de crier : « Il faut me juger si on me reproche
quelque chose ! », ce qui n’a pas encore été fait et pour preuve, selon
lui, « qu’on ne lui reproche rien ». C’est donc simplement « une
connivence entre Flosse et Chirac ». Et que ceci aurait été aussi prévu
pour Oscar Temaru après les émeutes de septembre 1996.
Puis Alexandre Léontieff parle de terre, de pêche, de la difficulté de
trouver un emploi, du chômage et de l’invasion assurée de la Polynésie
à cause de la liberté de circuler, de la compétence de l’Etat en la matière
et des baisses des tarifs aériens. Il trouve que la compensation de
l’après-C.E.P. ne reflète pas la réalité des dépenses de ce dernier sur le
territoire et que son montant en est sous-évalué. La subvention doit être
réévaluée car la responsabilité de la France est indiscutable. Il critique
le fonctionnement des banques qui conduit à la fuite des capitaux.
Jacquie Drollet, qui arrive d’une autre réunion, annonce une bonne
nouvelle : un membre de la liste du Ai’a Api a pris la décision de réintégrer le parti de Jacquie Drollet (invérifiable et aucune confirmation les
jours suivants). Cette décision est applaudie car capitale : cela veut dire
que cet homme va voter pour le Tavini avec...son clan. Car s’il est
membre d’une liste, c’est qu’il pèse un certain nombre de voix. C’est
donc toutes ces voix qui vont basculer au Tavini. « Le travail d’approche est bon là-bas ». Enfin, il demande à l’assistance d’aller le jour
du vote chercher les gens chez eux pour qu’ils votent Tavini Huiraatira.
L’orchestre reprend.
Oscar Temaru prend la parole devant un public très concentré et
silencieux. En général, il fait une petite synthèse et approfondit les points
difficiles. Il dit « huiraatira no Faaa » (peuple de Faaa), parle à voix
basse, fait rire le public facilement, annonce que Faaa représente 12.000
électeurs et présente la couleur de la liste pour que le public ne se trompe pas dimanche (il y a un autre bleu, plus foncé, parmi les autres
listes).
82
�N° 276 • Mars - Juin 1998
C’est alors au public de poser les questions. Les trois premiers
intervenants sont des « propagandistes » du Tavini Huiraatira. Le quatrième fait rire le public sur les hommes politiques, et sur lui-même
avoue-t-il, qui changent de parti à chaque occasion. Les nouveaux venus
comme Alexandre Léontieff, Jacquie Drollet ou Léon Céran-Jérusalémy
sont pris à partie par plusieurs intervenants et acceptent avec le sourire.
Un intervenant déclare, avec beaucoup de détails, qu’il travaillait avec
l’orateur de la soirée pour Alexandre Léontieff et qu’ils ont déblatéré,
pendant des années, sur le Tavini Huiraatira « à cœur joie » et que ce
soir, ils sont tous derrière Oscar Temaru. « Pardonne-nous nos
erreurs » demande-t-il au leader indépendantiste. Le cinquième est
sûrement (selon l’interprète) un membre du Tahoeraa Huiraatira. Il
explique le problème démographique qui fait qu’il y aura toujours des
chômeurs car il est impossible de créer des milliers d’emploi par an. Il
sera conspué poliment et l’orateur l’invite, démocratiquement, à rester
pour entendre les réponses d’Oscar Temaru. Mais il partira.
Une vieille femme prend le micro et lance des flèches aux nouveaux
venus : « Jacquie Drollet, à l’époque où tu étais ministre de la Santé,
je t’ai demandé un emploi pour ma fille, ou plus exactement qu’elle
me remplace partant à la retraite. Ta réponse a été « on ne peut
pas » ! Alexandre, tu as pris le pouvoir à l’époque et toutes les
affaires, tu les a eues ! C’est la raison majeure que tu as d’adhérer
près de Oscar, n’est-ce pas ? (sic) » Elle ajoute : « Hiro Tefaarere et
Céran-Jérusalémy, vous êtes tous en difficulté, c’est la raison majeure que vous êtes avec Oscar, car grâce à lui, vous êtes redevenus
populaires, n’est-ce pas ? » Les personnes désignées sourient, gênées,
mais ne répondent pas.
Une autre vieille dame s’approche et demande ce qu’il en sera de la
retraite de son mari, ancien marin, payée par la métropole, après l’indépendance.
Un homme d’un certain âge prend la parole et demande pourquoi
un de ses collègues, « qui a les mêmes qualifications, est, parce qu’il
est popaa, payé quatre fois plus ! ». Puis, il ajoute « est-ce que tu
trouves normal que vous ayez 600 000 Fcfp par mois comme conseiller
83
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
territorial pour deux heures de présence à l’assemblée territoriale
par rapport à un smicard comme moi qui ne touche que 80 000 ? ».
(rires et applaudissements nourris)
Un intervenant qui a assisté au meeting, la veille à Punaauia, du
Tahoeraa montre une feuille, en français, où Oscar Temaru est fortement critiqué. Il ajoute que le Tahoeraa n’a pas donné de micro, encore
une fois, pour les traditionnelles questions du public.
Enfin, une personne explique qu’elle est venue à Tahiti grâce à un
billet payé par le Tahoeraa mais qu’elle assiste aux réunions du Tavini.
L’interprète explique que « l’on peut accepter les bienfaits des deux
partis mais on ne peut pas savoir pour qui elle va voter. Elle peut
même ne pas dire la vérité et simplement amuser la galerie ».
Oscar Temaru répond aux questions, à voix basse, dans le silence,
en commençant par le papier du Tahoeraa Huiraatira à son encontre :
« Oscar est un terroriste » Si manifester contre le nucléaire, aller à
Moruroa pour se faire arrêter plusieurs fois, défendre le Polynésien
dans les affaires de terres, être du côté des opprimés et des plus
petits, c’est être terroriste, alors oui je suis terroriste ! » (applaudissements nourris). Oscar n’a pas changé, il est toujours du côté des
casseurs, des pilleurs, Oscar ne changera pas, il sera toujours du côté
des opprimés, il sera toujours du côté des plus faibles (applaudissements nourris). Il ne sera jamais du côté des profiteurs, des prostitués, c’est cela la politique de Gaston Flosse pour notre pays,...c’est
la honte ». Alors, dopée par le discours d’Oscar Temaru, une vieille
femme, pleine de courage, se dresse et crie, indignée : « Flosse a plein
de maîtresses ! » (Le public, mais aussi les hommes politiques, à la surprise de la vieille femme, éclatent de rire)...
Oscar Temaru continue : « Je demande que tous les hommes politiques qui sont impliqués dans des affaires soient jugés. Nous avons
demandé qu’ils soient jugés avant les élections territoriales.
Malheureusement, la justice n’est pas de compétence territoriale et
je n’ai aucun pouvoir contre la justice, je n’ai pas fait de pression
sur la justice non plus mais je maintiens ce que j’ai dit ». Puis lit
84
�N° 276 • Mars - Juin 1998
encore le document du Tahoeraa Huiraatira : « Au contraire, il a
recruté des inculpés à la pelle, Tetuani, Alexandre Léontieff, Hiro
Tefaarere, il aurait pu ajouter Gaston Flosse, Michel Buillard (rire du
public) et j’en passe... Nous avons entendu parler des affaires de
Gaston Flosse aux législatives, et je vous dit une chose, il ne sera
jamais condamné, jamais, jamais, parce qu’il est le porte-drapeau
de la France. Rappelez-vous de ce que j’ai toujours dit, ce n’est pas
moi qui vous le dis, « selon que serez puissant ou misérable, les
cours de justice vous rendront blanc ou noir ». (applaudissements).
Il réclame un face-à-face sur R.F.O... « De toute façon, dit Oscar
Temaru, le Tahoeraa et la France savent pertinemment que ce pays
sera indépendant... » Il prévient qu’il faut être vigilant car « la politique souhaitée par la France et Gaston Flosse est le blanchissement
des habitants, chose qui a été réalisée en Nouvelle-Calédonie ».
Au beau milieu du discours d’Oscar Temaru, à 23 heures, l’électricité est coupée. Certes, la compagnie « Electricité de Tahiti » avait prévenu une heure auparavant, qu’elle allait commencer des travaux
(Electricité de Tahiti est une société privée)...
Le public se retire immédiatement.
Sémir Al Wardi
Extrait de la thèse en sciences politiques «La dualité Etat - Territoire en Polynésie
française (1984 - 1996)» P. 656 et sq.
85
�Une interaction non alimentaire
entre un groupe de dauphins et
un serpent marin en Polynésie francaise
Le serpent marin Pelamis platurus fait parler de lui très régulièrement dans les
journaux locaux de Polynésie française. Ce serpent venimeux, capable d’infliger des
morsures aux conséquences très graves, a fait l’objet de deux travaux de synthèse sur
sa situation en Polynésie orientale, l’un d’ailleurs publié dans ce même journal (Ineich,
1986, 1988). Les pêcheurs locaux de mahi mahi n’hésitent pas à le harponner, quand
l’occasion se présente, pour ensuite l’exhiber victorieusement devant les journalistes.
Cet animal est à présent relativement bien connu, mais les observations sous-marines
de son comportement sont encore rares, particulièrement les interactions avec
d’autres animaux.
Durant une plongée sous-marine à Rangiroa, l’un d’entre nous (B.L.) a pu observer un comportement original des dauphins vis à vis d’un Pelamis platurus. Il s’agissait d’un groupe de 6 à 7 Tursiops truncatus localisés à environ 1 mille nautique au
nord de la passe d’Avatoru, à 5 mètres de profondeur, le 13 juillet 1996 vers 16 heures.
Le serpent marin mesurait 45 cm de longueur totale. Il a été capturé par l’un des dauphins du groupe qui l’a ensuite maintenu dans sa bouche durant plusieurs secondes
avant de le relâcher puis de le capturer à nouveau. La même opération s’est renouvelée
à plusieurs reprises. De forts sons, nettement audibles, ont été émis par les dauphins
et, après environ trois minutes de telles interactions, le serpent a été libéré juste en face
de la tête du plongeur. Le reptile était alors bien assommé. Il a été ensuite ramassé,
maintenu en captivité deux journées durant lesquelles il retrouva rapidement ses
forces, puis relâché. Il est important de noter que durant cette interaction, jamais les
dauphins n’ont essayé d’ingérer le serpent. Leur comportement était vraiment comparable à celui d’un chat jouant avec une souris ; cette observation est la première de ce
genre. L’ensemble de l’interaction que nous rapportons ici a été filmée.
Ivan Ineich et Bertrand Loyer
B I B L I O G R A P H I E
INEICH I., 1986 - Histoire naturelle du serpent marin Pelamis platurus (Linné, 1766). Bulletin
de la Société des Etudes Océaniennes, n° 236,20 (1) : 1-10.
INEICH I., 1988 - Le serpent marin Pelamis platurus (Elapidae, Hydrophiinae) : bilan des
connaissances sur sa biologie et sa distribution ; situation en Polynésie orientale. L’Année
Biologique, 4ème série, 27 (2) : 93-117.
86
�L’île Christmas
et l’abbé Rougier
L’histoire est faite de vérités (?) et de contre-vérités et celles-ci
changent au gré des écrivains, des influences médiatiques, de l’ambiance du moment et d’un tas de facteurs qui font qu’il est nécessaire de souvent reprendre la plume pour réécrire différemment ce que l’on était
pourtant persuadé d’avoir bien sérié. !
J’avais découvert l’abbé Emmanuel Rougier à travers la philatélie et
la personnalité du bonhomme m’avait tellement subjugué que je m’étais
aventuré dans le récit de son histoire en recoupant divers documents
dont tous m’avaient semblé plus crédibles les uns que les autres.
Plusieurs de mes articles s’étant trouvés portés à la connaissance de personnes s’intéressant également, de près ou de loin, au grand Monsieur,
m’ont permis d’avoir de nouveaux et fructueux contacts, en particulier
avec un membre de la famille Rougier, et les apports personnels de ce
dernier ont tellement bouleversé la véracité de mes écrits que je me sens
dans l’obligation d’amener quelques précisions (ou démentis) à l’article
paru dans le Bulletin de la S.E.O. n° 229 de décembre 1984.
L’abbé Emmanuel Rougier est né le 26 août 1864 dans une grosse
ferme d’Auvergne. Son père, Benoît Rougier, acheta plus tard une grande
propriété, le domaine des Isles près de la Chomette en Haute Loire,
laquelle propriété sera sauvée grâce à la fortune léguée à E. Rougier par
l’ex-bagnard Cécille, qui aura d’ailleurs l’occasion d’y séjourner avec sa
femme Katarina (compagne que l’abbé lui imposera afin d’essayer de le
stabiliser après une vie atrocement tourmentée).
En s’emparant de l’affaire, la légende avait un peu occulté l’origine
et l’histoire du susdit Cécille dont on a pu récemment trouver traces
dans les Archives d’Outre-Mer à Aix en Provence et l’on peut donc lire
dans le «Registre des condamnés» et dans celui des «libérés» (Série H)
les indications suivantes :
87
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Athanase Gustave Cécille
«Né à Rouen le 8 novembre 1844 et décédé le 8 février 1913 à
Maromme. Engagé volontaire en 1865 pour 7 ans - Caporal de 2° classe
en 1868 - Cassé et rétrogradé en 1869 pour désertion et versé dans la
réserve.
Condamné en 1871 à 5 ans de travaux publics en Algérie pour
désertion en temps de guerre - Condamné aux travaux forcés à Alger en
1871 pour émission de fausse monnaie.»
Notre homme arrive au bagne de Toulon en 1872 (N° 23.795). Il
est détaché de la chaîne et embarque sur la Loire le 19 avril 1873 pour
la Nouvelle-Calédonie où il arrive le 23 juillet suivant (matricule 4.776).
Libérable en janvier 1877, il augmente sa peine en insultant un surveillant. Libéré de prison en janvier 1878, il est astreint à résidence en
Nouvelle-Calédonie jusqu’en janvier 1881. Il récoltera ensuite de nombreuses amendes pour ivrognerie.
Et c’est donc un homme déjà totalement usé que recueille l’abbé
Rougier ; il l’occupera malgré tout à différents travaux de maçonnerie,
en particulier dans la construction de «sa» cathédrale de Naililili aux îles
Fidji.
La fortune léguée par les parents de Cécille s’élevait à quelque
900.000 francs «or» (environ 180 millions de FF actuels) et permit
donc à l’abbé Rougier d’acheter non seulement les îles Fanning et
Washington mais également de renflouer des biens familiaux et d’éviter
une faillite à son frère banquier, Stanislas.
Il semble que, contrairement à ce que la plupart des écrits laissent
à penser, le père Rougier sût parfaitement concilier son état de missionnaire et celui de businessman, que loin d’être discrédité par ses supérieurs, il eut toute sa vie la considération de ceux-ci et aurait même été
pressenti en 1899 devenir l’évêque des Nouvelles-Hébrides. D’après les
archives archidiocésaines de Suva, il fut cependant rayé de la Société de
Marie en 1909 pour avoir quitté son vicariat sans permission.
88
�N° 276 • Mars - Juin 1998
Il est intéressant de savoir qu’un de ses frères, Félix Rougier, également dans les ordres, fonda au Mexique la Congrégation des
Missionnaires du Saint Esprit et consacra sa vie au service des pauvres
(sa cause aurait d’ailleurs été introduite à Rome en vue d’une future
béatification). Il eut une grande influence sur Emmanuel bien qu’ayant
une conception totalement opposée en ce qui concernait les biens de ce
monde !
Très attaché à sa famille, Emmanuel garda toujours avec celle-ci des
contacts très étroits et n’hésita jamais à la faire profiter des retombées
de ses fructueuses affaires. Sa grande taille et sa force ne firent pas de
lui, comme d’aucuns le laissent accroire, un donneur de «coups de
poing», mais il avait au contraire la réputation d’être un homme calme
et pondéré.
C’est devant notaire que l’ex-bagnard Cécille confia sa fortune au
Père à Suva le 4 décembre 1906 à la seule condition de bénéficier d’une
pension sa vie durant ainsi que sa veuve, une fois lui disparu, (à supposer qu’elle ne se remarie pas !). Cet argent permit donc à Emmanuel
d’acheter les îles Fanning et Washington (alors en liquidation judiciaire)
lors d’une enchère publique du tribunal de Suva le 30 novembre 1907.
Il en confia l’administration à W. Greig et les revendit en 1911 en toute
légalité à la Société Kelly & Amstrong de Londres.
Il acheta l’île Christmas le 17 décembre 1913 avec un bail de 99 ans
à Levers Pacific Plantation Limited (Sydney) avec laquelle il était en
pourparlers depuis 1909. L’exploitation véritable ne commença qu’en
1916, après l’achat à Victoria (Canada) d’un deux-mâts-goélette,
l’Ysabel May, qui vint s’ancrer à San Francisco le 21 mai 1916 ; il y
embarqua tout ce qui lui parut nécessaire à la vie sur l’île, y compris
deux automobiles Ford. Il recruta pour la plantation des travailleurs
d’origine différente pour, dit-il, «créer une certaine émulation», des
Gilbériens, des Annamites, des Tahitiens, etc. Le cuisinier était Suédois
et le manager, gouverneur de l’île, un ancien militaire, arrivé de
Nouvelle-Calédonie en 1913 pour travailler à la Société des phosphates
de Makatea, Charles Malinowski (lequel sera convoqué peu après à
Papeete pour le conseil de révision et embauché sur place comme commissaire de Police par intérim !).
89
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Il y eut également parmi les recrutés un Américain, Alich Anderson,
ex-policeman à Hawaii (qui sera à l’origine de nombreux troubles, lesquels amèneront l’intervention de la justice des E.F.O. sur l’île). Les
managers étaient pourtant bien payés et repartaient souvent les poches
pleines après quelques années d’assez dur labeur. Le personnel comprenait au début une vingtaine de Chinois et 23 Tahitiens des deux sexes
dont la postérité n’a pas retenu tous les noms. Le hasard fait cependant
parfois ressortir un patronyme, tel celui de C. Pugeault découvert lors
d’une récente vente philatélique (avec un contrat d’embauche 1919 et
un timbre «Christmas» tenant lieu de timbre fiscal !). Il s’agit en fait du
frère de la dame de compagnie de la famille Rougier à laquelle on doit
d’ailleurs beaucoup de précisions quant à la vie de la dite famille. On
connaît aussi les noms de W. Marshall et de Joë Bannister, employés
comme aides managers.
C’est grâce au carnet de voyage de Marguerite Rougier, l’aînée des
nièces d’Emmanuel qui fit partie du premier débarquement sur
Christmas, que l’on peut aujourd’hui reconstituer dans le détail une
grande partie de ses innombrables activités jusqu’en 1925, date à
laquelle le Père, qui avait déjà des ennuis cardiaques, confia l’administration de l’île à son neveu «Paul-Emmanuel Rougier». Les affaires
étaient alors florissantes et très diversifiées : coprah, poisson, nacre,
holothurie, etc.
Par ailleurs, le Père, qui participa activement à la création et à la vie
de la S.E.O. à Tahiti, était un homme cultivé et passionné qui ne pouvait
s’empêcher d’observer, de noter et d’écrire. Outre les articles qu’il rédigea pour notre Bulletin, on lui doit plusieurs autres ouvrages tant en
anglais (qu’il devait donc parfaitement maîtriser) qu’en français.
L’archéologie faisait également partie de ses hobbies et les plages de
Christmas, île placée au point de rencontre de différents courants
marins, portait de très nombreuses traces de naufrages soigneusement
relevées sur une carte par lui dressée et dont chaque point remarquable
portait un nom.
On peut lire à ce propos dans le carnet de voyage de Marguerite
Rougier les remarques suivantes :
90
�L’Ysabel May 1re sortie (San Francisco 1916)
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
«- 7 mars 1917 : Depuis hier Joe et ses hommes sont à « l’AEON »
avec les deux auto-camions pour ramasser le cuivre le long de la baie
des épaves et faire aussi quelques chargements de bois. Ils étaient tous
ravis d’aller là-bas, surtout en auto, mais le seront peut-être moins après
quelques jours passés dans cette région aride et brûlante.
- 11 mars : Hier mon oncle a été voir Joe. Les chargements de bois
et de cuivre se continuent très bien. Les travailleurs font 10 à 20 kilomètres par jour et mardi ils auront fini de ramasser le cuivre.»
Tout faisait donc vente et les affaires continuèrent à prospérer dans
tous les domaines, même sous la direction de Paul-Emmanuel Rougier
après la mort de son oncle à Tahiti en 1932. La cocoteraie passa de
300.000 à 800.000 arbres et aurait sans doute continué à fructifier si
Paul-Emmanuel n’avait pas été rappelé en France pour cause de mobilisation en 1939. Il semble qu’il eût durant et après la guerre d’assez
graves ennuis et ne pût revenir à Christmas qu’en 1949. N’ayant pu, pendant ce laps de temps, verser les 100 livres annuelles exigées par le gouvernement britannique lors de l’achat de Christmas, Paul-Emmanuel eut
de sérieux démêlés avec l’administration britannique laquelle, désirant
joindre l’île à la toute nouvelle République de Kiribati, l’expulsa proprement et simplement avec une indemnité de quelque quarante millions
d’anciens francs !
Le père Rougier, qui était dans les années 30 l’homme le plus en vue
à Tahiti, avait un bureau avenue Bruat et habitait au Taaone une magnifique demeure sur une propriété de 30 ha d’un seul tenant. Il possédait
en outre 7 ha à Bora Bora, 13.000 ha dans la vallée de la Papenoo (qu’il
partagea d’abord avec Constant Deflesselle, alors président de la
Chambre d’Agriculture) et un grand nombre d’autres terrains à Tahiti
(au total environ 1/8e de l’île.). C’est Yvonne Courtin, une nièce de l’abbé qui hérita de la vallée de la Papenoo et il serait pour le moins «amusant», si tout cela n’avait pas été légalement vendu, que des héritiers
potentiels viennent aujourd’hui réclamer leurs biens !
92
�Carte de l’île Christmas
dressée par l’abbé Rougier.
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Une lettre de Marthe Pugeault, gouvernante de la maison du
Taaone, nous donne quelques détails sur celle-ci : «La maison n’est pas
sur pilotis mais en vrai maçonnerie. Tout le bas forme des caves et des
corridors qui servent de débarras. L’entresol où l’on arrive par un bel
escalier de pierre côté montagne ou par un autre côté mer donne accès
au bureau du Père car on reçoit plutôt dans le salon véranda qui tient le
milieu de l’étage et d’où l’on a la plus belle vue de Tahiti. De l’autre côté,
faisant pendant au salon, est la salle à manger. Du côté ouest, c’est à dire
de Papeete, est une immense véranda fermée qui est un salon plus intime pour le soir et pour la musique. La cuisine est au-dessous et, au dessus, est un galetas pour le séchage du café car nous avons une belle
plantation de caféiers à Taaone.» (cette belle construction ne rappellet-elle pas l’évêché actuel ?).
Dans cette même lettre adressée à Marguerite Rougier en 1927,
Marthe donne aussi des indications sur l’évolution des installations sur
l’île de Christmas : «Si vous reveniez à Christmas, vous ne la reconnaîtriez plus. Londres est un beau et grand village avec rues sablées, bordées de corail, places, avenues, villas élégantes, grands magasins,
immenses séchoirs à coprah sur chariots à rail. Il y a toute une flottille
de bateaux à voiles et à moteurs, trucks, tracteurs et autos de maître.
A Paris, le village est moins grand mais tout aussi beau. Les maisons
indigènes sont en haut de la plage. Il n’y a plus d’habitation au bord du
petit lac où vous aviez tué vos premiers kiwis.
Un autre village est situé près de «Pologne», en un endroit appelé
«Rapa». Là est une plantation que Joe a faite après votre départ en 1917.
C’était aride et c’est maintenant si beau que cela force l’admiration de
tous les visiteurs. De Pologne à Tahiti, les plantations d’âges différents se
succèdent pour former un tout immense. De l’autre côté, la plantation
est ininterrompue jusqu’au 22e kilomètre.»
94
�Une lettre ayant bien voyagé !
Partie de Brighton le 3 janvier 1925, elle est adressée au Major Bruce à l’île
Christmas de l’océan Pacifique, mais fut dirigée, par erreur sur l’île Christmas de
l’océan Indien, au Sud de Java, d’où elle repartit le 11 mars pour le Centre de tri de
Singapour. Elle fit alors une succession d’allers et retours entre ces deux points
avant d’être enfin expédiée vers l’île Christmas du Pacifique.
Le destinataire étant, là aussi, inconnu, elle fut réexpédiée avec un timbre local via
Papeete où les Postes apposèrent le c.a.d. «Papeete le 24 août 1925» sur le timbre
anglais au recto et sur la vignette Christmas au verso, authentifiant ainsi celle-ci,
accompagné des griffes «inconnu» et «retour à l’envoyeur». Elle finit aux rebuts de
Sydney le 9 novembre.
C’est l’une des rares lettres non philatélique de l’île Christmas.
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Quant au fameux «timbre de l’abbé Rougier», dont nous avons déjà
parlé en détail, il a été conçu dans une imprimerie de San Francisco en
mars 1916. Il représente bien l’Ysabel May, le meilleur bateau de la
compagnie, dont l’équipage était constitué de 8 hommes (commandant
Balcom) et qui se fit arrêter plusieurs fois par la marine anglaise pour...
contrôle de courrier ; il est probable que des procès-verbaux durent être
dressés pour «utilisation illégale de vignettes postales non reconnues
par l’Union postale universelle.
Il existe pourtant un important courrier affranchi de ces timbres
dont les quatre émissions s’étalèrent de 1918 à 1938 et, bien que non
officiels, les enveloppes ornées de telles vignettes sont activement
recherchées par les philatélistes. Une infinité d’affranchissements mixtes
et de combinaisons en tous genres ont été générées non seulement par
les «Rougier» eux-mêmes mais également par de nombreux amateurs
(tel le fameux Leralle) ce qui, finalement, a donné une légalité à ce courrier de l’aventure qu’aucun catalogue n’a encore osé répertorier.
Christian Beslu
* La grande majorité de ces renseignements qui viennent infirmer ou compléter mes premiers écrits (à lire quand
même !), m’ont été communiqués par Paul Boulagnon,
petit-neveu d’Emmanuel Rougier, auquel j’adresse mes plus
vifs remerciements.
96
�Première impression du timbre “Christmas” (San Francisco 1916)
�Papeete de jadis
et naguères
(2e partie)
Au temps des maires des cent premières année
de la commune de Papeete
(1890-1990)
8)- d’octobre 1966 au 13 mars 1977 :
Georges Tetua PAMBRUN
(suite)
Le Parisien Henri Bouvier a 20 ans quand il arrive à Tahiti (1932),
il parcourt vite la Polynésie médiate et profonde ; il épousera en 1937 à
Pape’ete, en premières noces, Pauline Teariki de ‘Afareaiatu, mère de
Jean-Pierre (1942). Elu conseiller municipal de Pape’ete en 1966, le
recours du clan Poro’i rend caduque en 1968 son élection (avec 3
autres : Jean Tapu, d’une part ; Jacques Laurey de ‘Arue et Yen Howan,
d’autre part) hors quota comme résidant à Pira’e, mais les élections partielles profiteront à l’entente autonomiste la cause étant déjà entendue
(comme déjà signalé plus haut). Et Bouvier sera néanmoins propulsé
conseiller territorial en 1967, pour alterner comme président de la
Commission Permanente et vice-président de l’Assemblée Territoriale
durant la mandature de 1967 à 1972. Ainsi s’exprime le Père O’Reilly :
«Travailleur opiniâtre, homme de droiture et dévoué à la chose
publique, H. Bouvier est entré à fond dans les responsabilités que lui
avaient confiées ses mandants. C’est lui, souvent assisté de son ami
Suite du BSEO de septembre 1996 (p 86 à 88)
98
�N° 276 • Mars - Juin 1998
Daniel Millaud, qui rédige le Rapport sur la Réforme du statut de la
Polynésie Française en vue de doter ce Territoire de son autonomie
interne (1969), la Proposition de loi d’autonomie interne de la
Polynésie, déposée à l’Assemblée Nationale et au Sénat (1970,
1973)»...S’il a été réélu en 1972, il faut dire que «Riri» a le mérite
d’avoir appris et de pratiquer (même si c’est en saccadé) intelligiblement le reo vernaculaire.
Quant à Daniel Millaud, sorti chirurgien-dentiste de Bordeaux,
comme son père il est porteur d’un prénom qui fleure bon la mythologie
locale, Ta’aroa, dont l’incrustation veut rappeler que son pito a été
coupé (c’est donc local ! comme dit l’autre...) ici au Fenua : né à
Pape’ete le 26 août 1928. Elu conseiller municipal de Pape’ete en 1966,
il est confirmé en 1968 et réélu en 1971 (maire-adjoint), et translativement conseiller territorial en 1967 réélu en 1972, la tactique du Front
Uni l’ayant désigné solidairement suppléant du sénateur Pouvâna’a en
1974 ; tandis que Francis Ari’i’oehau Sanford, élu député (alors siège
unique) en mars 1967, devançant Teariki, est réélu en juillet 1968 après
des élections provoquées par la dissolution de l’Assemblée Nationale par
le Président-Général, puis en mars 1973, devançant réciproquement son
collègue «ennemi-ami» de Rikitea Gaston Flosse... Mais si Ta’aroa a le
mérite de s’adonner aux exercices du tahitien, il l’entend bien mais il ne
le pratique pas oralement, ce qui rétrécit son plein d’audience, mais il a
la volonté de faire entendre battre son cœur pour son Fenua.
Les cousins Alban Ellacott (ancien élève de l’Ecole Viénot, ingénieur
des travaux publics passé à Cachan) et Joël Buillard (ancien élève des
Frères D + S dépaysé de Tipaeru’i à Talence, pour embrasser
l’Enseignement en 1957 avec Saturnin Cabral) codirigent activement la
F.O.L. ; l’ancien gardien de Fê’î-Pî, Joël, installé Directeur d’école à
Ha’apape, remplacera en mars 1973 à l’Assemblée Territoriale son chef
de file ‘E’a ‘Apî Francis Sanford.
En juin 1973, le Front Uni a invité à Tahiti des personnalités politiques nationales (J.J.S.S. l’homme du Défi américain ; l’écologiste
Brice Lalonde ; le socialiste de Jarnac, alors premier secrétaire du Parti
Socialiste, François Mitterand, etc...), lesquels feront la promenade de
protestation antinucléaire, départ Mairie de Pape’ete direction Avenue
99
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Bruat (siège de l’Etat) par le front de mer. L’ancien élève de l’Ecole
Centrale et ancien instituteur de Fa’anui, devenu chef de cabinet civil
(1963) du gouverneur Grimald, est maire réélu de Fa’a’a (1971) et
sexagénaire en mai 1972 lorsqu’après sa carrière administrative il
embrasse à pleins bras un destin politique. Aussi, en juillet 1973, - alors
qu’a été officialisée la loi du 9 janvier 1973 modifiant le code de la nationalité en application de laquelle l’ensemble des Chinois nés en Polynésie
et non encore naturalisés acquièrent la nationalité française - devant la
surdité de la souveraineté nationale, face aux revendications du bloc
autonomiste pour la cessation des expériences nucléaires en Polynésie,
Francis réclame-t-il au souverain républicain l’organisation d’un référendum sur l’indépendance (autodétermination prévue par la
Constitution de 1958 de De Gaulle). Le même feeling avait animé
Yannick Amaru (ancien élève de l’Ecole des Frères passé par Bordeaux),
qui fut adjoint au secrétaire général de l’Assemblée Territoriale René
Leboucher avant d’adhérer pleinement à l’entourage politique de Toni
Teariki.
Frantz Vanizette, lui, arrivé marin à Tahiti passé 25 ans vers 1953, a
épousé Mathilde, fille parmi les nombreux enfants des époux Clémence
Lehartel et Benjamin Céran-Jérusalémy. Ce dernier, s’étant engagé en
1914 pour le front français dans le Bataillon du Pacifique, douanier
retraité, accède à l’Assemblée Territoriale, quand y sont également
conseillers son gendre susnommé et son fils Jeannot «J.B.H.».
«Vani» marquera de son empreinte son passage actif à l’Assemblée
Territoriale (depuis 1957) l’urne électorale lui ayant permis de s’y
asseoir depuis 1967 comme représentant indépendant, non-indépendantiste mais évolutivement autonomiste : «cela est inscrit dans les
faits», dit-il pour calmer le jeu... Mais lorsque Pouvâna’a reviendra dans
la Maison du Peuple, après une absence décennale (1958-1968), son
discours en tahitien - alors «autorisé» pour la première fois dans cette
langue - ne sera pas apprécié par le Gouverneur, ni perçu par Frantz,
Nédo même au nom de la fraction de conseillers adverse du moment
ayant déploré (avec le secours du renard et de la cigogne ne se comprenant pas devant le fabuleux fabuliste Jean de La Fontaine) la discourtoise
harangue du Metua envers le Représentant de l’Etat...
100
�N° 276 • Mars - Juin 1998
Au moment de prendre la retraite à la direction de «sa» Caisse
des Prestations Familiales, «Vani» aura succombé (on le dit après coup,
on l’avait murmuré avant coup) à l’ivresse d’un nouveau mandat espéré
aux élections territoriales du 23 mai 1982 et dicté par le virus de la politique (les affaires publiques). Quiconque aura locuté avec lui daignera
ne pas lui dénier son vif esprit de sel !... Aux journalistes photographes
venus l’encadrer à l’Assemblée, le truculent et malicieux Vani ne les a-til pas jovialement accueillis : «Tant qu’à faire, prenez-moi sous mon
meilleur profil... c’est-à-dire de face !».
Ancien président du club Fê’î-Pî (dont il fut lui-même un futé footballeur, vainqueur de la Coupe-Minute 1953, grâce à son but d’un tir
fourbe et courbe calculé...), quand le véloce ailier droit Eugène Aubry
déboulait pour marquer imparablement, Frantz pousse une gueulante :
«Là où il y a Eugène, il n’y a pas de plaisir...» pour l’infortuné adversaire !... Lors de ses premiers pas en tournées de propagande politique,
Francis dixit, il s’était essayé à déclamer quelques bribes en tahitien :
«Tera tiure mea maita’i, tera tâta mea ‘ino», pour vouloir dire que la
loi (ture) est bien faite mais c’est l’homme (ta’ata) qui l’applique mal,
les plaisantins ayant compris autrement question prononciation. Et
moult autres reparties, plus fines sinon scabreuses, que les règles de la
bienséance empêchent de signaler ici !...
L’Assemblée Territoriale, ayant réclamé l’introduction de la langue
vernaculaire dans le programme scolaire, a créé par délibération une
institution : l’Académie Tahitienne, laquelle, après son installation officielle par le gouverneur Daniel Videau le 2 juillet 1974 dans la salle du
Conseil de Gouvernement, se co-désignera désormais Fare Vâna’a. Les
20 nommés initiaux sont Mesdames : Geneviève Cadousteau épouse
Samuel Clark, Flora ‘Urima épouse René Devatine, Rosa Perez épouse
Rudolph Klima et Antonina Pêni, et Messieurs : Père Hubert Coppenrath,
John Doom, Mehao ‘Âmê Huri, Alexandre ‘Aritana Holozet, Joseph
Kimitete, William Lagarde, Paulo Langomazino, Yves Lemaître, John
Temari’i Martin, Raymond Vânanga Pietri, Paul Prévost, Pasteur Samuel
Ra’apoto, Elie Nedo Salmon, Francis Ari’i’oehau Sanford, Roland Coco
Sue et Maco Tevane alias Marc Ma’ama’atuaiahutapu, ce dernier en
devenant le directeur ou vâna’a-nui élu le 28 février 1975. Et ce sera le
101
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
20 novembre 1978 que le Conseil du Gouvernement de Francis Sanford
déclarera le tahitien langue officielle comme le français dans le
Territoire. Au sein du Fare Vâna’a, il faut signaler la constance de Père
Hubert chargé des destinées de la Commission de la langue tahitienne
qui s’est attelée, entre autres missions, à la confection du futur
Dictionnaire tahitien-français et français-tahitien.
En août 1974, à 43 ans Eric Lequerré succède comme Conseiller
Economique et Social du Territoire en France à Rudy Bambridge, ce dernier étant nommé le 4 septembre comme conseiller technique des
T.O.M. auprès du secrétariat d’Etat d’Olivier Stirn (jusqu’en janvier
1977).
Le 9 novembre 1975, le pharmacien Henri Jacquier s’est éteint à
Pâ’ea, la direction le la S.E.O. passant alors peu après entre les mains du
dentiste Paul Moortgat.
Durant la dernière période du mandat du maire Tetua Pambrun,
tendance ‘E’a ‘Apî avec la présence notamment du sénateur Daniel
Millaud et de Louis Mai’otu’i, Anthelme Buillard, Louis Chavez, etc..., les
collègues de la tendance Here ‘Âi’a-Teariki tels que Frédéric Ellacott et
Tonio Leboucher, tous deux anciens élèves de l’Ecole des Frères (Tonio
ayant été un footballeur remarqué à Excelsior), ont exercé une activité
écoutée auprès de leur leader, tandis que Jean Juventin tissait sa trame...
Une lecture tardigrade des ouvrages du journaliste-écrivain
Philippe Mazellier (Tahiti de l’atome à l’autonomie, Hibiscus Editions,
1977, et Tahiti autonome, 1990) - qui a lancé le Journal de Tahiti (en
compagnie de Michel Anglade, Jean-Baptiste Vernier alias Jean Verneuil
pour la rubrique sportive, Alain Mottet puis François Nâna’i) puis créé
La Dépêche de Tahiti (août 1964) avec le sous-titre «indépendant et
objectif» aujourd’hui messeyant - est l’occasion mnémonique, grâce
audit auteur, d’extraire ci-après les événements qu’il a choisis et relatés
selon sa perspicacité à partir de 1963 et concomitants des mandats des
maires Tetua Pambrun et Jean Juventin. Le parcours rétro de ces deux
volumes abondamment illustrés s’accompagne du plaisir de redécouvrir
des visages d’époque, aussi bien des lieux que des figures humaines
aujourd’hui devenues d’hier.
102
�N° 276 • Mars - Juin 1998
En 1965, ouverture de la clinique Cardella (16 avril), inauguration
du Musée Gauguin de Papeari (15 juin), - (Episode se rapportant à ce
dernier : le constructeur est l’ingénieur Edwin Atger et l’architecte-correspondant Rodolphe Weiman qui livrent l’enfant du Père O’Reilly au
titre de la Fondation Singer-Polignac en août 1964 ; le sieur Alban
Ellacott, ingénieur nouveau chef des T.P., ayant été chargé de déloger, en
juin 1965, le couple de tiki Moana et Heiata alors dressés devant l’ancien Musée-Jardin Botanique sis à Mama’o (emplacement du
Dispensaire), tiki se trouvant à Pape’ete depuis leur transport par navire
en 1933 depuis Ra’ivavae, pour désormais accueillir les visiteurs de
Gauguin au Jardin Harrison Smith et laissant planer leur mana) ; incendie criminel de nuit des Affaires Economiques rue Gauguin (27
septembre) et inauguration de Télé-Tahiti à ‘Orovini (16 octobre). En
1966, inauguration du ciné-drive-in à ‘Arue (29 avril : 454 places-voitures et tribune de 550 places), qui connaîtra un succès klaxonnant certains soirs de grand écran sensationnel en plein air ; quand la théorie de
bagnoles presse au guichet, comme pour la superproduction américaine
Les Dix commandements de Cécile B. De Mille (gesticulant alertement
à 73 ans sur les chantiers de tournage en 1955 ; et le film attirera des
queues de spectateurs devant le Rex et autres super-salles des grands
boulevards de Paris). Ultérieurement sur la colline de ‘Outumaoro, le
ciné drive-in Faugerat/Chenneson apportera un partage de concurrence
mais le recul de fréquentation après l’apparition de la télévision amènera Chenneson à renoncer à son drive-in envisagé à Taravao... puis les
deux cinés de plein air (d’ailleurs à écran flou les nuits de clair de
lune !) durent disparaître faute de spectateurs. Mais à Pape’ete,
Kativinika réussira à maintenir le Mâma’o Palace malgré des hauts et
des bas, comme le Rex futur Liberty puis le Concorde, le grand écran
offrant un spectacle autrement plus appréciable que la petite lucarne
familiale. Peu après l’ouverture du Ciné drive-in de ‘Arue, avait fonctionné sur la ligne droite de Pîra’e, après Hamuta, un petit drive-in restaurant avec root-beer de courte existence, son propriétaire infortuné
demi-Marquisien demi-Américain Rambeke, venu d’Amérique s’installer
ici à cette occasion, ayant été victime de nuit d’une fatale agression en
son home même.
103
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Se déroulent les Seconds Jeux du Pacifique-Sud à Nouméa en
décembre 1966, où Tahiti remportera médaille d’or en football et en
basketball (masculin et féminin) notamment.
Le concours mondial de chasse sous-marine 1965, étant confié à la
France dont l’équipe représentative est composée de 3 sportifs tahitiens
(‘Ara’i Mâ’eta, Colas Hoata, Jean Tapu), se déroule à Tahiti-Moorea, ces
derniers devenant champions du monde par équipe, tandis que Tapu
attendra, en septembre 1967 à Cuba, pour remporter le titre de champion mondial individuel sur l’Australien Ron Taylor qui l’avait devancé
en 1965. Commencés en avril 1964, les travaux de la digue protégeant
Fare-’Ute, œuvre de la Société des Dragages, sont inaugurés le 29 juin
1966, l’extension portuaire étant depuis 1972 sous la responsabilité de
l’ingénieur Rodrigue Le Gayic assisté de Jean-Patrick Bonnette. En janvier 1968, Tahiti (Pape’ete en particulier) connaît des crues de pluies
diluviennes, la Pape’ava débordant vers les magasins en contrebas selon
un processus connu (aujourd’hui oublié, depuis l’endiguement de la
rivière sous la rue des Remparts). En février 1968, le navire-cargo
Mâori emporte vers Rotterdam la première expédition d’huile de coprah
produite par l’Huilerie de Tahiti, directeur Julien Siu. A la Pentecôte
1968, Michel Coppenrath est ordonné archevêque co-adjuteur à 44 ans
dans les jardins de Tepano Jaussen à Pape’ete. Fin novembre 1968,
retour amnistié de Pouvâna’a (déjà relaté) dans un accueil chaleureux.
A Tahiti a vu le jour en octobre 1969 le mouvement pour le planning
familial. Le général gracieur De Gaulle a trépassé le 10 novembre 1970.
En août 1969, les troisièmes J.P.S. ont lieu en Papouasie & NouvelleGuinée, où Tahiti rétrocède aux Néo-Calédoniens la médaille d’or de
football, mais conserve encore celle de basket masculin (Suva 1963,
Nouméa 1966, Port Moresby 1969), etc... En octobre 1969, ouverture
de la Banque de Tahiti rue Gauguin, en association avec la Bank of
Hawaii puis avec le Crédit Lyonnais). En février 1971, les Marquises
sont rejointes par leur nouvel évêque Mgr Hervé Marie Le Cleac’h (56
ans), lequel plus tard s’activera dans une retraite érudite pour se pencher sur les subtilités de la langue et de l’histoire de la Terre des
Hommes.
104
�N° 276 • Mars - Juin 1998
En septembre 1970, les appareils Bermuda et Catalina ne voleront
plus, c’est la fin du service-hydravions commencé en 1950. En mai 1971
fonctionne déjà le nouvel hôpital de Mama’o, tandis que Tetua Pambrun
a été réélu maire de Pape’ete. Du 10 au 20 septembre 1971, l’inauguration du Stade Pater pour recevoir les quatrièmes J.P.S. à Tahiti confirme
la médaille d’or de basket masculin (capitaine le regretté Jean Tematua
avec le «vétéran» Stan Hargous notamment) mais connaît le deuil en
football : en ayant infligé 30 à 0 (football et non rugby !) aux Cook, Tahiti
se fait cueillir en diurne à Fautau’a par les Néo-Hébridais 2-1, pour se
contenter d’une médaille de bronze à Pater, les Néo-Calédoniens conservant celle d’or... Le 26 septembre 1971, l’ancien député Pouvâna’a revenu des Baumettes est propulsé sénateur pour représenter la Polynésie
Française au Parlement de Paris... Au fil des années le «Tiurai» a dégénéré dans la prolifération des boîtes à bringue des baraques foraines
entre Taraho’i, Place Albert vers tâtahi ; l’époque des fréquentations
style «Quinn’s» d’antan (établissement démoli en mai 1974) s’est envolée, le bal collet monté Place du Kiosque s’est depuis longtemps «popularisé»... Bal du 14 juillet et concours folkloriques iront désormais Place
Vai’ete au quai des croisières touristiques, le comité des fêtes passant
des mains de la Mairie de Pape’ete en celles de l’Office du Tourisme avec
«atavisme»...
Ne pouvant manœuvrer en rade de Pape’ete, le navire «France»
(315,50 m) mouille en baie de Vairâ’o le 8 février 1972, lors de sa croisière Tour du monde. Le 24 février 1972 a été décidée la fin de la
Fédération Générale des Sociétés Sportives (F.G.S.S. fondée et dirigée par
le Docteur Pierre Cassiau depuis 1947) après 25 années d’existence
laborieuse ; le relais sera assuré par le Comité Territorial des Sports, installé en janvier 1973, à partir des comités régionaux et ligues créés
depuis 1969, et présidé par Napoléon Spitz, patron du football ainsi que
du club Central Sport.
Maco Nena, ressortissant de l’Ecole Centrale et du club susdit,
excellent basketteur et footballeur (son frère jumeau Marcel exerçant
comme gardien au club J.T.) et par ailleurs employé à la brigade municipale de Pape’ete, participe comme ailier fracassant en football pour la
médaille d’or de Tahiti (deuxièmes J.P.S. 1966 à Nouméa) avant de
105
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
s’adonner à la boxe brillamment : médaille d’or poids lourds contre
l’immense Samoan Vea Atimalala aux quatrièmes J.P.S. 1971 à Tahiti puis
au Tournoi Oceania, devenant champion de France amateur toutes catégories à Rouen (22 avril 1972) face au champion en titre Alain Victor ;
mais, retenu en Equipe de France préparatoire aux Jeux Olympiques de
Munich, il sera éliminé lors d’une tournée en Pologne. Ensuite, son palmarès élogieux subira aux cinquièmes J.P.S. 1975 à Guam (à 34 ans) un
malheureux dénouement face au Wallisien Pelo par knock-out au
second round d’une fulgurante matraque à la tempe alors que Maco
menait le combat.
Tino Rossi, à la mi-avril 1972, vient charmer tardivement en chair
et en os le public tahitien par 4 soirées remplies, le parfum corse de
Marinella et Petit papa Noël faisant vibrer la fibre sentimentale rétro.
Basketteur chez Fê’î-Pî, Francis Nâna’i (frère de François), grand
adepte de la chasse sous-marine, s’est qualifié en tournoi en France dans
l’Equipe de France, en septembre 1972, devenant champion d’Europe
en Angleterre (à 23 ans) ; en 1976, il gagnera en Espagne la compétition
cotée du Mérou d’Or devant le champion d’Espagne Amengual, ancien
champion du monde ; et, en octobre 1977, il devient champion de
France en mer guadeloupéenne, notre champion submarin évoluant
ensuite comme artisan-bijoutier en poerava. A Biarritz en 1972, Patrick
Juventin s’adjuge le titre de champion de France toutes catégories de
«surf» à la fois en junior (titre qu’il rééditera en 1973), devenant à
Tahiti en 1976 champion de France senior.
La carabousse de Tîpaeru’i - qu’a dirigée en particulier Antoine
Coerolli et dont une porte de cellule a été utilisée, après démolition, en
vestige de curiosité dans son salon de coiffure rue des Remparts par
‘Anapa Drollet - a disparu chargée d’histoires, de détentions politiques
comme d’aventures diverses avec évasions (geôle-gruyère) : Pape’ete a
perdu son château, les enfermements ayant désormais lieu dans la nouvelle prison de Nu’utania en commune de Sanford (à Fa’a’â), inaugurée
le 25 novembre 1970 sous gouverneur Angéli. En mars 1972, un vol de
munitions ayant défrayé la chronique est commis par le «commando
Teraupo’o» à la caserne de Fa’a’â, impliquant surtout Robert Cahn, Bill
Fry, Félix Tehei’ura, Sam You et l’autodidacte Charlie Ching, neveu de
106
�N° 276 • Mars - Juin 1998
Pouvâna’a mais idéologue indépendantiste à sa manière ; puis en avril
1972, consécutivement à l’enquête du juge d’instruction, a lieu une
mutinerie carcérale dévastatrice, pour le budget territorial entre autres ;
le Palais de Justice, lors de ces événements, avait émigré dans le Grand
Hôtel rue de l’Artémise (qu’avait occupé en bureaux, précédemment, le
C.E.P.) jusqu’en 1976 à l’achèvement du Palais actuel. Le procès du 23
mai 1972 à Pape’ete infligera un verdict considéré sévère de cinq ans de
prison et dix ans d’interdiction de séjour aux fomentateurs sus désignés.
C’est en mai 1972 aussi que la commune de Pape’ete a installé les premiers parcomètres à la fois tant souhaités et tant décriés...
Ouvrons ici une parenthèse sportive d’assimilation sinisante. Aux
débuts des années 50, l’éclectique footballeur-boxeur Afouline avait déjà
mêlé les clameurs diverses du stade-hippodrome de Fautau’a, dans les
matches de football de Sam Min, aux tonitruantes soirées pugilistiques
de l’Etoile Palace de Manuhô’ê. Le bouillant footballeur-boxeur Santiao
apportera ensuite sa dose de participation. En juillet-août 1957, deux
talentueux footballeurs chinois Lai Kui Ping et Yves Chong seront intégrés
pour la première fois à la Sélection locale pour défendre les couleurs
tahitiennes à Nouméa, dans la traditionnelle confrontation «taratoni-taïpouette» convenue bisannuellement depuis 1953. Après d’autres cas
sportifs, voici maintenant Maurice Apéang natif de Fa’a’â (septembre
1951) qui devient médaille d’or aux J.P.S. 1971 et aux tournois Océania
à Tahiti (1972) puis à Nouméa, après avoir fréquenté le Bataillon de
Joinville et gagné sa place en Equipe de France pour les Jeux Olympiques
de 1972 à Munich où un boxeur américain l’a battu aux éliminatoires ;
ses séjours en France avec les conseils de l’entraîneur militaire
Dominique Ramirez le feront accéder au titre de champion de France
professionnel en super-plume contre le tenant Georges Cottin (abandon
au huitième round) dans la salle de Fautau’a le 1er juillet 1978. Battu à
Valence le 13 mai 1979 par Charlie Juriette (qu’il avait battu précédemment à Fautau’a) sans pouvoir ainsi disputer le titre européen, il s’arrêtera de boxer pour être muto’i municipal à Fa’a’â.
Au-delà des sportifs, élu conseiller territorial le 29 mai 1977 avec
Michel Law (Pupu Taina), accède dans l’arène du peuple Arthur Chung
(Tâ’atira’a Polynesia) lequel seul est réélu le 23 mai 1982 pour laisser
107
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
place à son collègue John Vognin dans la seconde moitié de ce dernier
mandat territorial (l’ancien Jean-Baptiste Wong Yen Yee de l’Ecole des
Frères, à l’écriture soignée et aquarelliste scolaire de Frère Léofane,
étant par ailleurs un collectionneur d’arts étonnant et qui a fait son service militaire au BIMAT...). S’il ne faut pas oublier les frères Hyacinthe
Aline et Paul Chichong dans cette évocation sino-franco-polynésienne,
invitons le lecteur à parcourir avec sagesse l’ouvrage de l’association
Wen Fa Histoire et portrait de la communauté chinoise de Tahiti
(1979, Ed. Gleizal).
Lors de la Toussaint 1972, le député-maire Francis Sanford souhaite
auprès du gouverneur que, à l’instar du monument sis entrée cimetière
de l’Uranie dédié aux marins français morts dans les combats de 1844
à Tahiti, soit élevé pareil monument à Fa’a’â, «à la mémoire des héros
de Fa’a’â morts en 1844 au cours des combats contre les soldats français pour protéger leur île et leur indépendance». En 1972 a été mis en
route le CNEXO à Vaira’ô, axé d’abord sur l’exploitation de la crevette.
Au bas de l’avenue Bruat, De Gaulle désormais trône sous forme
d’un mémorial dû à l’architecte Weinman, combinant symboliquement
le faciès de haute stature du général avec une allure de croix de
Lorraine, dans une double silhouette pouvant rappeler une clé à molette
diront abusivement certains non-artistes ; il faut toutefois signaler la
non-adhésion de principe du Conseil Municipal pour le choix du lieu
d’érection au croisement avec le boulevard des Pômare (nom de la
double voie du front de mer), la cueillette-souscription publique de
1935 n’ayant toujours pas donné naissance au monument dynastique.
En février 1973, le monay maker venu d’Autriche par correspondances postales fait fureur, la fièvre s’achevant rapidement suivant le système même de participation selon la loi du nombre, des tentatives
locales de convoitise ayant pris le relais sans durer devant la Justice. A
démarré en décembre 1973 le CPSH à Puna’auia, sous la direction de
l’ethnomuséographe Anne Lavondès et où se trouve l’essentiel du patrimoine de la S.E.O. qui a conservé son siège et une fraction archéologique en l’ex-Musée chez Bailly à Pape’ete.
En juin 1973, le bataillon français de la paix pour la croisade
antinucléaire, engendré sous Pompidou, harangue la foule à partir du
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
perron symbolique de l’étage de l’Ecole-Mairie, J.J.S.S. en tête, puis défile dans les rues de Pape’ete avant de voguer vers Moruroa aux frais de
l’Association «Les Français contre la bombe», ledit atoll étant devenu
capitale de la France nucléaire. Alors toujours dans l’ancienne mairie de
Fa’a’â, Francis Sanford a adressé le 20 juillet 1973 au Président de la
République un télégramme disant que «si la France continue à faire ses
expériences nucléaires chez nous, les deux parlementaires du Territoire
(député Sanford et sénateur Pouvâna’a) demanderont par l’intermédiaire de l’O.N.U. et auprès du Parlement un référendum sur l’indépendance
de la Polynésie Française». Pierre Angéli s’en va le 31 juillet, Daniel
Videau arrive le 11 août.
Le 9 juillet 1973 est inauguré la troisième banque locale «Banque
de Polynésie» à l’emplacement des anciens Magasins Sin Tung Hing (la
Banque Chin Foo y ayant fonctionné jusqu’en 1934, où elle dut fermer
suite à l’Affaire commerciale dite Kong Ah), en association avec la
Société Générale et la First National City Bank (jusqu’en 1977).
L’artisan de cette opération René Siu, résidant en Californie et y retournant, périt dans l’accident d’avion Pan Am survenu de nuit le 22 juillet
1973 au large de la digue de Motu-Uta.
Signalons les mémorables incendies, survenus en 1974, du supermarché Aline jouxtant SOMAC (nuit du 24 mars), du bloc Fare Tony
(nuit du 9 mai) à Pape’ete et du bar-dancing-restaurant en pandanus
rendez-vous des festoyeurs noctambules à ‘Arue : le Pû’o’oro Plage
(avec attractions contrôlées de dénudation), incendie vespéral du 8 juin.
L’on n’aura pas oublié le spectaculairement fascinant incendie matutinal
du vendredi 23 juin 1969, démarré à l’Hôtel Pacific dans l’ancien quartier Vaihiria et rue Jeanne d’Arc, ayant mobilisé divers intervenants pompiers, dont un bazooka d’eau du lagon... et y sera construit le bloc
Vaimâ actuel, le représentant propriétaire du quartier ayant décidé de le
rénover alors.
C’est ici l’occasion de faire un effort mnémotechnique pour se rappeler avec une clarté eidétique l’ancienne image de la façade en rez-dechaussée, rue Jeanne d’Arc vers Notre Dame : Anita Chaussures, Toni
Photo, Garage Guilbert ; Hope-te-Au Vitamine (de Baldwin Bambridge)
puis Morgan Vernex, Caprice de Paris et Bière Manuia, Horlogerie
109
�BulletindelaSociétédesEtudesOcéaniennes
Martin, Nautilus/Chambon, à l’angle R.C. face Notre-Dame : Savoie/
Importex, Limonaderie Gazor (Gaston Flosse père), Phocéa (Mme
Mamita Dufour) puis Bijouterie Alfred Mourareau - (le sympathique
joaillier Féfé dit ‘A-Mu-raro, longtemps animateur du cyclisme FGSS,
artiste-peintre par ailleurs : auteur d’une seyante fresque dans le hall du
bâtiment des PTT précédant l’actuel immeuble étagé, décédé à Pape’ete
le 1er juillet 1979) ; - Magasin d’alimentation Oceania avec Boucherie
Te-mau-Hoa Afo Lin, puis Galerie Bouloc ; Curios Cambridge Manuia,
Lingerie Mémène, Passage Frank Fay, Restaurant Maeva de Mme Angèle
Marchand épouse Willy Bambridge - (resto-pension fréquenté, où nuitamment la patronne fut agressée par deux voleurs légionnaires le 28
août 1964 et faillit passer ad patres) - Magasin Chic, Phalène Couture,
Permanence syndicale taxi Mou’a, Pneus Marchal au coin ; rue Bréa : Ets
Hamon, Alimentation Silliau, Ets ménagers Laurent Le Bihan (nouveau
distributeur de bonbonnes de gaz) ; Façade mer : angle Messageries
Maritimes, à l’étage Dentiste Simonet ; passage Bambridge/Charles
Brown, Siquin Textiles/Bata (Epoque Léty), Vaihiria (café-bambou de
Roti Tong You/Phineas Bambridge) - (le Vaihiria ombragé de cerisiers
bord-de-mer face au mouillage des yachts, dont furent celui de la superbe patronne du superbe Reposado, le Valrosa de Marc Danois, le
Wanderrer (futur naufragé) de l’acteur Sterling Hayden alias Johnnie
Guitar... des goélettes Florence Robinson, Tumuhau, Denise... des
navettes Mitiaro, Tamari’i Tahiti (de Le Prado) puis le Keke (de Pierre
Sachet)..., des cotres poissonniers, dont Moana-’ote-râ, qui finit tristement) - Curios SONABO, Farnham Ménager, Syndicat d’Initiative, Curios
Elma Dexter ; Angle face Ets Donald : Hôtel Pacific et Hôtel Mo’orea à
l’étage ; au rez-de-chaussée, auto-école Berdichewski mais Bata auparavant (Epoque des frères Zwiebel : l’un à la jambe raide, l’autre sportif
officiant en arbitre de football FGSS et installé depuis en Californie - Bata
ayant plus tard occupé l’angle des anciens magasins André Lorfèvre/
Bouzou Frogier au coin opposé des anciens Magasins Wing Man Lung),
puis Rose-Marie Textiles (de Kathie O’Brien ép. Coqui Grand). Adieu
vieux quartier chargé d’histoire !...
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�N° 276 • Mars - Juin 1998
Mort de Georges Pompidou le 1er avril 1974, le scrutin du 19 mai
(deuxième tour) désignant Valéry Giscard d’Estaing troisième président
de la cinquième République. Dans le Territoire, l’idée lancée activement
vers 1960 par l’opiniâtre Jean-Marie Domard, alors à la tête du Service
de la Pêche, a fait un chemin éloquent : l’industrie de la perle noire aux
Tuâmotu par opération de greffage chirurgical style japonais, au départ
expérimental via la Société perlière de Manihi (animée par Jacques
Rosenthal et Coco Chaze), va se promouvoir comme fierté locale première, Sixte Stein véritable prolongeur de Domard ayant développé les
coopératives de méléagriniculture perlière, dont les expériences seront
concluantes dès 1978. En décembre 1974, est commercialisée l’Eau
royale Vaiari’i de Papaoa (‘Arue), affaire devenue concluante quand la
pollution aujourd’hui fait craindre la consommation de nos eaux au
robinet.
Le gouverneur Schmitt, veuf, épouse Madeleine Roufflignac le 10
juillet 1975 par devant le maire Tetua Pambrun à Pape’ete, union bénie
en l’Eglise Maria nô te Hau par Mgr Michel Coppenrath. Le 23 octobre
1975, le «commando Teraupo’o» du vol de munitions (signalé plus
haut), reconnu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence comme prisonniers politiques (ainsi bénéficiaires de la loi du 16 juillet 1974), est
accueilli à l’aéroport de Fa’a’â, en provenance des Baumettes, par le
sénateur Pouvâna’a. Le 17 novembre 1975 est fondé ‘Ia Mana te
Nûna’a, siège rouge et blanc à Pâ’ôfa’i, tendance à gauche toute, mais
distincte de la fleur-symbole politique socialiste : rose grenat, avec penchant écologiste et en vue de l’indépendance, annonce son secrétaire
général Jacqui Drollet. Charlie Ching se rebiffe en fondant avec Félix
Tehei’ura son parti pour l’indépendance Te Ta’ata Tahiti Ti’amâ (15
janvier 1976) ; Robert Cahn s’en distingue en créant son parti ‘Amui
tâtou nô te ti’amâra’a o Tahiti... pour se retirer dans le calme à
Ra’iatea.
Raymond Vananga Pietri
Septembre 90
(à suivre)
111
�PUBLICATIONS
DE LA SOCIETE
DES ETUDES OCEANIENNES
Prix réservé aux membres
En vente au siège de la société ,
aux Archives Territoriales, Vallée de Tipaerui.
•Dictionnaire la langue tahitienne,
par Tepano Jaussen (8ème édition)
1.800 FCP
•Etat de la société tahitienne à l'arrivée des Européens,
par Edmond de Bovis
1.000 FCP
•Journal de James Morrison, second maître à bord de la Bounty,
traduit par Bertrand Jaunez
1.500 FCP
•Alexandre Salmon et sa femme Ariitaimai,
par Ernest Salmon
1.500 FCP
•Les cyclones en Polynésie française (1878-1906),
par Raoul Teissier
1.000 FCP
•Chefs et notables des Etablissements français d'Océanie
au temps du Protectorat (1842-1880),
par Raoul Teissier
1.000 FCP
•Colons français en Polynésie orientale,
par P.-Y. Toullelan
1.000 FCP
•Les Etablissements français d'Océanie en 1885
(numéro spécial 1885-1985)
1.500 FCP
•Moruroa, aperçu historique 1767-1964,
par Christian Beslu
1.000 FCP
•Généalogies commentées des arii des îles de la Société,
par Mai'arii
1.000 FCP
•Choix de textes des dix premiers Bulletins de la S.E.O.
(mars 1917 - juillet 1925) - Epuisé 1.000 FCP
•Tahiti au temps de la reine Pomare,
par P. O'Reilly
1.500 FCP
•Mémoires de Marau Taaroa,
par Takau Pomare
1.500 FCP
•Tahiti 40,
par Emile de Curton
1.500 FCP
•Archéologie des Nouvelles-Hébrides,
par José Garanger
3.000 FCP
•Collection des numéros disponibles des Bulletins de la S.E.O. : 150.000 FCP
��ISSNN°100.
ISSN0373-8957
: 0373-8957
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La Société des Études Océaniennes (SEO) est la plus ancienne société savante du Pays. Depuis 1917, elle publie plusieurs fois par an un bulletin "s’intéressant à l’étude de toutes les questions se rattachant à l’anthropologie, l’ethnographie, la philosophie, les sciences naturelles, l’archéologie, l’histoire, aux institutions, mœurs, coutumes et traditions de la Polynésie, en particulier du Pacifique Oriental" (article 1 des statuts de la SEO). La version numérique du BSEO dispose de son ISSN : 2605-8375.
Identifier
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2605-8375
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Title
A name given to the resource
Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 276
Description
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Articles
- Louise Peltzer : Représentation et structuration de l'espace en tahitien 2
- Serge Tcherkezoff : Mua/Muri : ordre, espace et temps en Polynésie 27
- Pierre Ottino : Carnet de terrain : le tohua Tahakia à Nuku Hiva 52
- Constant Guehennex : Ka 'imiloa ou la magie des mots 66
- Sémir Al Wardi : Un aperçu des réunions politiques 69
- Yvan Ineich et Bertrand Loyer : Une interaction non alimentaire entre un groupe de dauphins et un serpent marin 86
- Christian Beslu : L'Île Christmas et l'abbé Rougier 87
- Raymond Piétri : Papeete, de jadis et naguères 98
Source
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1998
Date de numérisation : 2017
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Language
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Type
The nature or genre of the resource
Imprimé
Identifier
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PFP 3 (Fonds polynésien)