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Bulletin
de la
Société
des Etudes
(JTCol d'Ihulehoa
Océaniennes
Motuua
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vestige archéologique,lieu 'sacré'
T
emplacement de l'aibte légendaire
—
itinéraire touristique
—
autre
N° 263-264
itinéraire
Société des
Études
Océaniennes
�Société des Etudes Océaniennes
Fondée le 1er janvier
1917
Service des Archives Territoriales
Vallée de Tipaerui
BJ\ 110
Papeete
Polynésie Française
TéL 41 96 03
Banque Westpac : 012022 T 21
—
CCP : 834-85-08 Papeete
CONSEIL D'ADMINISTRATION
t M. Paul MOORTGAT
Président
t Me Eric
Vice-Président
LEQUERRE
Mlle Jeanine LAGUESSE
Secrétaire
M.
Trésorier
Raymond PIETRI
ASSESSEURS
M. Yvonnic ALLAIN
M. Robert KOENIG
Mme Flora DEVATINE
M. Roland SUE
MEMBRE D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
Société des
Études
Océaniennes
�BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES
ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N° 263-264 TOME XXIII
-
N° 1-2
JUILLET-SEPTEMBRE 1994
SOMMAIRE
• RECRUTEMENT SUD-AMERICAIN EN OCEANIE ORIENTALE
EN 1862-1863
•
par
HIVA-OA EN 1922 PROMENADE
2
TOURISTIQUE AVEC
MONSIEUR LE BRONNEC
•
Corinne RAYBAUD
par
Michel BAILLEUR
LA NAISSANCE DU "RASSEMBLEMENT
19
DEMOCRATIQUE
DES POPULATIONS TAHITIENNES" (LE R.D.P.T.)
par
• L'ETHNOARCHEOLOGIE
:
POUR
LE PASSE
•
Jean Marc REGNAULT 24
QUE LE PRESENT ECLAIRE
par
Eric CONTE
RECIFAL ET DE SES RESSOURCES ILE DE
ARCHIPEL DE LA SOCIETE
•
51
VALEURS SOCIO ECONOMIQUES DU MILIEU CORALLIEN
par
MOOREA,
Annie AUBANEL
65
HISTOIRE DE L'INTRODUCTION ET DE L'INVASION DE
MICONIA CALVES CENS A TAHITI par
Jean-Yves MEYER
107
• PUBLICATIONS DE LA SOCIETE DES ETUDES OCEANIENNES
Société des
Études
Océaniennes
�2
RECRUTEMENT SUD-AMERICAIN EN
OCEANIE ORIENTALE
EN 1862-1863
CAS DE L'ILE DE
PAQUES
L'île de
Pâques, connue mondialement par ses statues et son
été découverte en 1722, mais n'a reçu jusqu'en 1862
que de très brèves visites d'étrangers. Don Felipe Gonzalez y Haedo était
venu en prendre possession au nom du Roi d'Espagne en 1770, mais
écriture rongo-rongo, a
aucune
colonisation n'avait suivi
sa
visite.
Durant la deuxième moitié du XIXème siècle,
après l'abolition de
l'esclavage, le développement de l'agriculture et de l'industrie entraîne
dans le monde entier la recherche de main-d'œuvre
«
volontaire
».
Le
Pacifique n'échappe pas à la règle, car le Pérou se développe pour des
raisons que nous allons voir, et le continent sud-américainne dispose pas
de réservoir de main-d'œuvre suffisant.
Nous allons étudier la manière dont
d'œuvre
a
moitié de
I
-
affecté l'île de
sa
ce
recrutement de main-
Pâques, la vidant en quelques mois de plus de la
population.
DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE
DU PEROU
Le Pérou devient indépendant en 1821 et, comme la plupart des
ibéro-américains, il choisit le principe du libéralisme économique
comme voie de
développement ; comme eux, il passe sous domination
britannique à cause du manque de marchandises à exporter, le décollage
économique s'avère difficile, car les plantations et les mines d'argent sont
en décadence
depuis le XVIIIème siècle.
La plupart des Indiens vivent en autarcie dans les Andes, ou sont
asservis au système de la grande propriété (les haciendas). Le Pérou
végète, isolé des grands courants d'échanges, à demi oublié, sans réelle
perspective d'émergence.
En 1840, le pays entre dans une ère de grande prospérité
économique avec la reprise de l'exploitation du guano, délaissée depuis
l'époque incaïque.
pays
Société des
Études
Océaniennes
�3
Le gouvernement
décrète monopole d'état les dépôts de guano des
règlement d'exploitation est élaboré et imposé par
Ramon Castilla, métis natif de Tarapaga qui est élu Président de la
République de 1845 à 1851 et de 1853 à 1862.
Le pays s'intègre alors au marché international grâce à son quasimonopole du salpêtre et du guano ainsi que de quelques produits
d'agriculture tropical : coton et canne à sucre. Dès lors que ces cultures se
développent, le besoin de main-d'œuvre se fait impérieusement ressentir.
îles Chinchas. Un
A)- Besoin impérieux de main-d'œuvre
Dès
l'époque de la conquête, au Pérou et dans l'ensemble de
l'Amérique latine, le choc microbien, la déportation des Indiens et les
mauvais traitements (encomienda et mita) ont obligé les gouvernements à
avoir recours à l'immigration, car les populations d'origine indienne rie
possèdent qu'un taux d'accroissement faible.
Environ 90 000 esclaves africains sont importés entre 1530 et 1821,
qui sont employés dans les haciendas du littoral où se développent des
activités agricoles et d'élevage du bétail.
A partir du début du XIXème siècle, il est désormais impossible de
compter sur la traite ; l'esclavage est condamné et son abolition est
proclamée progressivement au cours du siècle dans tous les pays
d'Amérique du Sud et même le Brésil doit s'y résoudre en 1888.
Au Pérou, le Président Castilla, habile et actif, sait gagner à sa
cause les Indiens et les Noirs en abolissant les tributs
obligatoires des
premiers et en supprimant l'esclavage des seconds.
Cette situation engendre une pénurie importante et l'on se tourne
vers l'Asie. En 1849, un
privilège est concédé à D. Domingo Elias pour
importer des colons asiatiques.
Ce sont les Chinois qui jouent le rôle de substituts des esclaves
africains dans de nombreux pays d'Amérique latine.
Au Pérou, des milliers sont nécessaires, soit pour exploiter le guano
des îles Chinchas, soit pour travailler dans les exploitations agricoles des
plaines littorales. De 1849 à 1874, d'après un mémoire du Ministre
péruvien Tirado, 87647 coolies chinois débarquent au Callao.
Lors de la guerre de Sécession, face à la très forte demande
internationale, le Pérou désire accroître sa production de coton et de riz
mais manque d'ouvriers.
Il y a deux demandes conjointes : l'une des propriétaires
d'haciendas côtières et l'autre, des organisations nationales qui désirent
peupler et coloniser l'intérieur pour des raisons géopolitiques. Ces
dernières vont recruter jusqu'en Europe des agriculteurs et des artisans
Société des
Études
Océaniennes
�4
confirmés
:
Irlandais, Allemands, dont
B)- Intervention de
C'est à
que leur sort ne fut
des nègres qui les avaient
nous verrons
très différent de celui des coolies chinois
précédés dans les champs.
pas
ou
Joseph Charles Byrne
moment de
pénurie qu'entre en scène Joseph Charles
Byrne, aventurier irlandais, fils d'un marchand de bétail de Dublin, qui
s'est donné une réputation d'expert en immigration dans les îles du
Pacifique.
Le gouvernement du Président Castilla, hostile à l'introduction de
nouveaux coolies chinois et
qui avait tenté d'opposer un véto à la loi votée
par le Congrès le 15 janvier 1861 autorisant à nouveau l'importation de
main-d'œuvre asiatique sous certaines conditions, accueille avec
enthousiasme les offres de Byrne, qui se propose de recruter dans les îles
du Pacifique Ouest les colons des deux sexes nécessaires au
développement des plantations et au renouvellement de la domesticité.
La loi du 15 janvier avait été promulguée par le Président le 14 mars 1861
et elle pouvait
s'appliquer aux propositions de Byrne.
Le 12 avril 1862, la gazette gouvernementale El Peruano publie
l'autorisation accordée à J.C. Byrne d'introduire pour cinq ans des colons
originaires des îles du Pacifique Sud-Ouest.
Byrne est informé que, en l'absence de consulat péruvien dans ces
îles (non précisées), tous les contrats de recrutement seront vérifiés par les
autorités péruviennes à l'entrée d'un port péruvien et que les travailleurs
non volontaires ne
pourront pas être débarqués.
ce
Toutes les conditions de sérieux et d'honnêteté semblent donc
réunies
a
priori
conditions. Note
pour que l'immigration se déroule dans de bonnes
est donnée au Gouverneur du Callao, publiée dans le
en
N°2, tome LXIII du Journal Officiel.
Dès l'obtention de cette autorisation, Byrne constitue sa société et
prépare un navire pour un premier voyage.
Ce dernier, l'Adelante, quitte
le port de Callao le 15 juin 1862.
C)-
Polémique diplomatique.
Dès le 9 octobre 1862, soit moins de six mois
après que cette
accordée, le Consul Général du Roi de Hawaï, Thomas
Eldrige, fait parvenir au Ministère des Relations Extérieures à Lima une lettre
de protestation, critiquant la permission accordée aux
agents d'importation
de main d'ouvré. Cette lettre reçoit un écho défavorable du ministre
péruvien
des Affaires Etrangères, José
Grégorio Paz Soldan, lequel lui répond, le 2
novembre, que quiconque est libre de venir travailler au Pérou.
autorisation eut été
Société des
Études
Océaniennes
�5
D'ailleurs, ajoute-t-il, depuis le décret du 5 mars 1856 et la Loi du
janvier 1861 qui ont réglementé l'immigration des colons asiatiques, le
Pérou a reçu de nombreux immigrants de Paris, de Londres, d'Irlande,
d'Allemagne et d'Espagne. Dans ces contrats intervenus entre particuliers
et « colons » ou « immigrants », le gouvernement
péruvien se borne, ditil, à accorder la simple protection que méritent « toutes les industries licites
15
et
honnêtes
»
laissant
aux
soins des intéressés de faire valoir leurs actions
et leurs droits de la manière
qu'ils croient la plus convenable.
péruvien ajoute enfin que les derniers immigrants
venus de la
Polynésie (arrivés le 13 septembre 1862) se trouvent dans ce
cas et
que : «... s'il s'avérait que certains aient été transportés par violence et
par fraude, le gouvernement péruvien réprimerait les abus qui lui seraient
dénoncés et ferait appliquer un juste châtiment aux violateurs des droits privés
afin qu'ils ne puissent poursuivre leurs activités....»
Cette remarque lui est d'autant plus facile à faire qu'il est de
notoriété publique à Lima que le premier convoi
d'immigrants venu sur
l'Adelante de l'île Penryhn est composé de volontaires venus en famille
dans les meilleures conditions, quoique les quotas de la Loi de 1861
n'aient pas été respectés (253 immigrants au lieu des 151 autorisés
puisque l'Adelante jauge 151 tonneaux).
Dès le 15 octobre 1862, le Chargé d'Affaires de l'Empire français au
Pérou, Edmond de Lesseps, avait fait écho à la protestation du
représentant de Hawaï, craignant que les contracteurs péruviens
sévissent au dépens des îles de la Polynésie placées sous la protection de
l'Empereur.
Il reçoit, le 5 novembre, une réponse et des documents montrant
que toutes les garanties ont été prises à l'arrivée pour vérifier la légalité
de l'importation des « colons », ainsi que l'assurance qu'aucun ne venait
de la partie française de la Polynésie.
On doit reconnaître a posteriori aux diplomates hawaïen et français
le mérite d'avoir pressenti que cette immigration entraînerait de néfastes
abus, mais il faut aussi admettre que c'est la vigilance du consul
britannique John Barton qui permit d'éveiller l'attention du corps
diplomatique pendant la préparation même de l'expédition Byrne.
John Barton avait alerté ses supérieurs dès le 29 mai, puis le 11 juin.
Son Secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères, Earl Russel, chargeait alors
le nouveau Chargé d'Affaires à Lima, W.S. Jerningham, de surveiller la
manière dont cette immigration allait être conduite car «... it is not
improbable that the system.... may degenerate into the slave trade in
Le ministre
disguise....
»
Société des Etudes Océaniennes
�6
Mais
au
moment où elles étaient
formulées (octobre 1862), ces
protestations et plaintes étaient sans fondement et c'est avec raison que
les diplomates péruviens les ont rejetées.
II
-
RECRUTEMENT SUD-AMERICAIN EN OCEANIE
A)- Le voyage
de YAdelante
qu'il est la source de la vague d'immigration polynésienne au
Pérou, il est intéressant de savoir si le premier voyage de 1862 portait en lui
Parce
toutes
les
prémisses du commerce qui allait dépeupler l'île de Pâques entre
octobre 1862 et
mars
1863.
d'importer des colons au Pérou avait été donnée à J.C.
Byrne le 1er avril et annoncée officiellement par El Peruano le 12 avril 1862 en
des termes sans ambiguïté pour la destination des colons.
L'autorisation demandée est accordée à D.J.L. Brine (sic), pour cinq
ans, d'introduire au Pérou des colons des deux sexes, natifs des îles du
Pacifique Sud-Ouest, pour servir dans l'agriculture et comme domestiques.
L'autorisation
Avec
son
ami et associé américain B.D.
Clarck, il forme
une
société
le recrutement d'indigènes aux Nouvelles-Hébrides.
Cette société loue à une autre société, Ugarte y Santiago, un bateau de 151
tonneaux, YAdelante, avec son capitaine A. Grassman, afin de faire un premier
voyage qui se propose de ramener au Callao environ 170 colons des deux
sexes (le quota
imposé par l'article 2 de la Loi de 1861 n'est a priori pas
respecté).
Le contrat d'engagement des Polynésiens est déjà imprim, et l'on sait
qu'ils doivent s'engager pour cinq ans, que leur salaire sera de 5 dollars par
mois, qu'ils seront libres de retourner chez eux à la fin de leur contrat, à la
charge de celui qui les aura engagés. Ce contrat peut être transféré.
Dès que le bateau est prêt, Byrne embarque aux frais de la compagnie
un
agent du gouvernement pour montrer qu'il tient à respecter la Loi du 14
mars 1861 sur
l'immigration.
Le 15 juin 1862, YAdelante quitte le port de Callao pour les Nouvellesenregistrée à Lima
pour
Hébrides.
juillet, il fait escale aux Marquises pour faire de l'eau en
prévision du long voyage qui l'attend. Il y embarque un interprète, le Chilien
José Villegas, et cinq Marquisiens comme hommes d'équipage, avec un
contrat de cinq mois à huit pesos/mois (7,76 $). Il est convenu de les ramener
et de les débarquer aux Marquises lors du voyage de retour.
Le 10
L'escale suivante, bien que
années par ses
fortuite, va bouleverser pour plusieurs
conséquences l'équilibre social de la région Pacifique.
Société des
Études
Océaniennes
�7
Afin de
renseigner sur les éventuelles possibilités de commerce
région et de confirmer les dires d'un bateau chilien envoyé là en 1853
pour recueillir l'équipage du Chatham, Byrne fait escale à Penrhyn (appelé
aussi Tongareva ou Mangarongaro).
Il rencontre sur l'atoll le nommé Ben
Hughes, commissionnaire de
commerçants péruviens, qui lui permet d'établir un commerce plus profitable
que celui de la nacre ou de la bêche-de-mer qu'il envisageait.
se
dans la
En effet, ce dernier l'informe du recrutement de travailleurs
volontaires effectué la veille par le navire de guerre français le Latouche
Tréville. Les 130 indigènes recrutés pour aller travailler dans les plantations
de café et de
canne
à
sucre
à Tahiti ont
accepté un salaire mensuel de 4 $ et
un
engagement de deux ans.
Byrne considère inutile de poursuivre vers l'Ouest son voyage en
direction des Nouvelles Hébrides dès lors que les indigènes acceptent avec
enthousiasme de s'engager aux mêmes conditions financières qu'avec les
Français.
En trois jours, avec l'aide de Ben Hughes, il engage 83
leurs enfants, ainsi que 49 célibataires (30 garçons et 19 filles).
couples
avec
Le voyage de retour vers Callao se déroule sans problème autre que la
(naturelle) de Byrne lui-même et d'une Polynésienne ainsi que la
naissance de trois bébés. Le bateau n'étant pas équipé pour transporter autant
de monde, il doit obtenir de la nourriture de deux bateaux rencontrés en mer
et doit d'abord faire escale au port de Huacho avant de rejoindre Callao le 13
septembre 1862.
L'Adelante a été contraint de laisser à Penrhyn de nombreux indigènes
désireux de s'engager, notamment ceux qui ont été ramenés de Tahiti par le
Latouche Tréville et qui attendent son retour.
mort
206 des
ans
nouveaux
arrivants, classés
comme
d'âge), sont confiés à J.M. de Ugarte
pour
travailleurs
qu'il agisse
(plus de douze
au profit des
actionnaires de la société de recrutement.
Les
Polynésiens sont dispersés d'abord vers les employeurs qui en
départ du navire, puis vers ceux qui
acceptent de payer le voyage de leur employé soit 200 $ pour les hommes,
150 pour les femmes et 100 $ les adolescents de plus de 12 ans. On évite
soigneusement de partager les familles.
avaient fait la demande avant le
Ainsi moins de trois mois
après son départ, YAdelante est revenu au
port avec une cargaison d'hommes et de femmes qui semble avoir dégagé
pour ses auteurs un profit énorme estimé entre 30 et 40 000 dollars pour une
mise de fonds inférieure à 10 000 dollars.
Société des
Études
Océaniennes
�8
rapporte autant à ses auteurs en si peu de temps,
qui explique la fébrilité avec laquelle se lancent, dans ce commerce et pour,
le malheur de l'île de Pâques, les spéculateurs du Pérou, ceux du Chili et
même de l'Equateur lorsque le récit du voyage de YAdelante est connu à
Valparaiso et dans les ports de la côte Est de L'Amérique.
Aucun
commerce ne
ce
B)- Fébrilité
au
port de Callao
L'Adelante, ayant débarqué ses passagers, refait ses
approvisionnements et s'apprête à repartir mais est devancé par près de neuf
navires dont les armateurs n'ont pas été insensibles aux profits dégagés par la
compagnie de Byrne.
Certains de ces navires, comme YEmpresa, ont déjà effectué des
transports de coolies chinois et ne nécessitent aucun aménagement, d'autres
s'équipent en toute hâte à l'image de YAdelante, avec des grilles pour fermer
l'entrepont et des couchettes pour plusieurs dizaines de passagers, des
caisses à eau et une grande cuisine, ainsi qu'une réserve d'armes à toutes fins
utiles.
en
Pour certains même, toute perte de temps est évitée en quittant
en faisant les
aménagements nécessaires en pleine mer.
le port
l'état et
Le
gouvernement péruvien ayant accordé toutes
demandées, la principale interrogation des armateurs concerne
les licences
la destination
qu'ils vont indiquer à leurs recruteurs, car on parle déjà à Callao d'une
intense activité diplomatique de la part des Consuls anglais, français et
hawaïen. Il apparaît à tous les capitaines qu'il faille éviter a priori de recruter
dans les îles Tuamotu, les Marquises et les Gambier, qui relèvent de la
souveraineté de la France.
Les
être la
premiers d'entre eux à s'intéresser à l'île de Pâques qui se trouve
première terre habitée hors la souveraineté de la France, sont ceux de
navires chiliens.
choix est la proximité du continent
qu'aucune nation « civilisée » n'y exerce sa
souveraineté, l'île ayant été annexée par les Espagnols en 1770, mais non
Assurément, la
cause
de
ce
américain et surtout le fait
colonisée.
L'île de
Pâques est située sur la route maritime directe entre
Valparaiso et Tahiti ou Sydne, et donc assez bien connue des capitaines
chiliens, qui savent n'y rencontrer aucune force armée, ni bureaucratie.
Ils connaissent, par
ouï-dire et par tous les récits des navigateurs
depuis Roggeveen, la curiosité et la simplicité d'esprit des Pascuans. C'est
donc vers l'île de Pâques que se dirigent au mois d'octobre 1862 les quatre
premiers navires recruteurs : les chiliens Bella Margarita et Elisa Mason ainsi
que les péruviens Serpiente Marina et General Prim.
Société des
Études Océaniennes
�9
0- Recrutement à l'île de Pâques
Le recrutement de main-d'œuvre à l'île de
Pâques s'effectue en
phases : la première entre le mois d'octobre et le mois de décembre
1862 où les Pascuans ont été volontaires pour s'embarquer, la seconde
pendant quelques jours de décembre où ils ont été recrutés plus
brutalement et, enfin, une période jusqu'en juin 1863 où ils se sont laissés
convaincre de rejoindre leurs parents et congénères au Pérou.
trois
1- Première
phase du recrutement : Octobre à Décembre 1862
Le
premier navire sud-américain à toucher les rivages de l'île est le
péruvien Serpiente Marina (capitaine Martinez), parti du port de Callao le
26 septembre 1862.
Son intention n'est pas de recruter des colons, mais de faire escale
sur la route
qui le conduit à Mangareva, dans l'archipel des Gambier. Le
23 octobre, des Pascuans curieux montent à bord pour échanger des
provisions contre la pacotille ou des vêtements plus résistants aux
intempéries que leur tapa. Quand le navire lève l'ancre, le capitaine tente
de les retenir à bord, mais l'équipage ne peut saisir que deux Pascuans
qui sont enfermés dans l'entrepont.
Ce navire est suivi par un brick chilien, le Bella Margarita (capitaine
Henrisen), venu avec l'intention de recruter là son contingent de
volontaires. Ce navire, parti le 4 octobre de Callao, est de retour au Pérou
dès le 24 novembre avec 154 immigrants, dont 12 femmes.
Le Consul anglais de Callao, E.W. Robertson, obtient l'autorisation
d'interroger les Polynésiens et de s'assurer qu'un contrat en bonne et due
forme leur a été fait signer et qu'ils l'ont fait de leur plein gré.
De la même manière que pour ceux de YAdelante, ces travailleurs
sont dispersés aux propriétaires qui acceptent de payer 200 ou 300 dollars
en
remboursement de leur transport.
Le commanditaire de l'expédition
recueille ainsi après moins de
prix qui approche les 45 000 dollars !
On comprend aisément que cette confirmation de la rentabilité
d'un tel commerce, après le « coup » de YAdelante, incite les armateurs
péruviens à accélérer la préparation de leurs navires. En moins de deux
semaines, pas moins de huit navires recruteurs s'élancent vers l'île de
Pâques et son formidable réservoir de main-d'œuvre.
Avant que ces navires ne touchent l'île, deux autres navires : l'un
péruvien, l'autre chilien, se sont déjà présentés à Rapa Nui. L'un et l'autre
n'ont eu aucune peine à engager les indigènes curieux, grâce semble-t-il à
la présence d'un interprète qui a su leur vanter les charmes des
plantations péruviennes.
deux mois
un
Société des
Études
Océaniennes
�10
barque péruvienne General Prim (capitaine Orlando), partie de
Margarita, recrute rapidement
115 personnes (106 hommes, 7 femmes et 2 garçons), qu'elle ramène à
Callao le 6 janvier 1863, soit moins de 41 jours après son départ, à la
satisfaction de son armateur, la firme Ugarte y Santiago.
Quelques jours après, le 26 janvier voit l'arrivée du navire chilien
Elisa Mason (capitaine Sasuetegui), chargé de 238 émigrants (140 hommes,
86 femmes et 12 adolescents). Contrairement à ses prédécesseurs, ce
navire n'a pas été très rapide car il a quitté Callao le 3 octobre, pour se
rendre dans l'archipel des Marquises où ses efforts de recrutement n'ont
pas été récompensés, malgré la présence à bord d'un interprète
polynésien. Il a donc fait voile vers l'île de Pâques, où il a pu engager son
contingent en deux semaines.
En moins de deux mois, d'octobre à décembre 1862, ce sont donc
plus de 507 Pascuans de plus de douze ans qui se sont engagés
volontairement à aller travailler dans les champs ou comme domestiques
La
Callao le surlendemain de l'arrivée du Bella
au
Pérou.
déplorer toutefois l'enlèvement de deux indigènes trop
le capitaine du Serpiente Marina. A la
différence des volontaires, ces derniers seront assez chanceux toutefois de
On doit
curieux, retenus de force par
recouvrer
la liberté à Tahiti et de revenir sains et saufs sur leur île au
début de Tannée 1864.
2- Deuxième
phase de recrutement : 23 décembre 1862
groupement de huit bateaux à la tête duquel
le navire espagnol Rosa y Carmen et son capitaine
Elle est l'oeuvre d'un
doit remarquer
Marutani.
on
quitté Callao à la même période (entre le 29
l'intention manifeste de mener une
opération conjointe de recrutement, car ils ont attendu l'arrivée du plus
lent d'entre eux pour effectuer leur raid. D'autre part le capitaine du Elisa
Mason a été prié d'une manière rude par les quatre premiers capitaines
arrivés de cesser ses opérations de recrutement et de quitter le mouillage
de l'île de Pâques.
Ces bateaux ont
novembre et le 9 décembre 1862) avec
Les faits ont été
•
•
•
•
•
perpétrés par :
péruvienne Carolina, capitaine Morales
la goélette péruvienne Hermosa Dolores, capitaine Geary
le brick péruvien Guillermo, capitaine Rodriguez
le brick péruvien José Castro, capitaine Acevedo
la barque espagnole Rosa y Carmen, capitaine Marutani
la barque
Société des
Études
Océaniennes
�11
•
le brick
•
la
•
péruvien Micaela Miranda, capitaine Carcamo
barque péruvienne Rosa Patricia, capitaine Mota
la goélette péruvienne Cora, capitaine Aguirre
Ce
jour-là, 200 Pascuans sont faits prisonniers par la force des
partagés entre les navires proportionnellement au nombre
d'hommes ayant participé au coup de force. Les prisonniers sont ensuite
transférés sur deux navires qui retournent directement à Callao : le
Carolina et le Hermosa Dolores, alors que les six autres, après deux autres
et
armes
tentatives infructueuses de recrutement armé les 24 et 25 décembre,
continuent leur route
vers
Rapa.
Ces deux navires arrivent
au
Pérou le 25
janvier 1863
avec
respectivement 122 et 160 Pascuans.
On sait maintenant que certains navires ont gardé à bord quelquesuns de leurs
prisonniers, notamment le Rosa y Carmen (63), le Guillermo (2
dont une vieille femme rejetée à la mer), le Micaela Miranda (1) et le Cora
(1 enfant).
Si l'on comptabilise les Pascuans débarqués à Callao et ceux gardés
à bord, les huit navires
semblent avoir contraint 348 personnes et un
enfant.
Ce dernier ainsi que
libérés par
1864.
le premier garçon retenu par le Guillermo sont
la population des Gambiers et rejoignent leur île en janvier
Si le raid terrestre du 23 décembre avait
rapporté 200 prises, il faut
remarquer que les 148 autres Pascuans ont été saisis lors de leur
bord des navires, victimes de leur curiosité et de leur cupidité.
3- Troisième
visite à
phase du recrutement : janvier à juin 1863
Elle est l'oeuvre de bateaux isolés et elle montre qu'il n'était pas
toujours nécessaire de recourir à la force pour obtenir le départ des
Pascuans pour le Pérou, que la ruse ou la persuasion ainsi que les
cadeaux étaient de biens meilleurs argument.
•
Le Rosalia, une barque péruvienne commandée par
Bollo, partie le 16
le capitaine
décembre 1862, ramène 196 Pascuans à Callao le 3
février 1863.
•
Le Teresa, une autre
Munoz et
barque péruvienne commandée par le capitaine
qui était partie le 25 octobre de Callao, y revient avec 203
Pascuans le 23 février 1863.
•
Le
Carolina, reparti de Callao
le 6 février, profitant de
son
expérience, rejoint le Pérou le 1er avril 1863 avec un chargement de 73
personnes.
•
Le José Castro, ayant
décidé de rentrer à Callao après être allé à
Société des
Études Océaniennes
�12
Rapa, repasse à l'île de Pâques et recrute 21 personnes, qu'il dépose le 21
avril 1863
•
au
Pérou.
Le brick
péruvien Barbara Gomez (capitaine Penny), parti le 3 avril
de Callao, y revient le 11 juin avec 23 passagers.
•
Le brick péruvien Misti (capitaine Basagoita),
parti le 26 février 1863
de
Valparaiso, est saisi à Rapa avec 2 Pascuans à bord, qui retrouveront
leur île en janvier 1864.
Le dernier navire péruvien à rallier Callao avec des immigrants est
la barque Urmenita y Ramos (capitaine Urrubarrencon), le 17 juillet 1863,
•
avec
31 Pascuans à bord.
Un autre navire chilien, le Conception (capitaine Gervasoni), a quitté
Valparaiso le 7 février en vue de recruter des Pascuans mais n'y est pas
parvenu et a continué sa route vers les Marquises et la Polynésie où il
s'est échoué à Tahaa en juin 1863.
•
Si l'on
comptabilise les Pascuans ayant quitté leur île après le raid
qu'on se rende à l'évidence
qu'il était impossible à l'équipage d'un seul navire de recommencer le
coup de force perpétré par 80 hommes armés jusqu'aux dents contre une
population maintenant avertie, on doit admettre que la troisième phase
du recrutement, avec 549 recrues et sans effusion de sang, fut beaucoup
plus rentable pour les recruteurs que la deuxième.
du 23 décembre, sur les différents navires, et
Ainsi, il apparaît que le recrutement à l'île de Pâques intéressa :
phase : 507 volontaires + 2 prisonniers (libérés à Tahiti et
Première
rapatriés).
Deuxième
phase : 348 prisonniers (2 libérés à Tahiti et rapatriés, 1
jetée à la mer) dont 200 lors du raid du 23 décembre.
Troisième phase : 547 volontaires + 2 prisonniers (libérés à Rapa
puis rapatriés).
femme
Le
mythe selon lequel les Pascuans furent tous enlevés de force et
transportés au Pérou, victimes de négriers venus exclusivement du
Pérou, est encore vivace dans la littérature mondiale et doit être combattu
avec force à la lumière des documents de l'amirauté britannique qui
veillait par son représentant consulaire à Callao à ce que les immigrants
entrassent au Pérou de leur plein gré.
Au total, on peut quand même être surpris d'apprendre que plus
de 1054 personnes, sur une population estimée entre 2000 et 3000
personnes, aient été volontaires pour quitter l'île. Cela peut s'expliquer
par la situation économique et politique de l'île en 1862. Comme nous le
verrons en
étudiant les structures sociales du
recruteurs sont arrivés
peuple
pascuan,
les
juste après le changement annuel de chef et la
Société des
Études Océaniennes
�13
destitution de l'ancien et de
des vaincus d'échapper aux
son clan,
qui pourraient expliquer le désir
persécutions par un exil volontaire vers le
Pérou.
D)- Un contrat
d'engagement.
Les
compagnies créées au Pérou pour le recrutement des Polynésiens
prennent soin de fournir à leurs capitaines des contrats-type d'engagement.
L'étude d'un de ces documents, retrouvé à l'Evêché de
Papeete, permet de
nous
faire
une
idée très
précise de
ce que
les indigènes étaient amenés à
ratifier.
Tout
d'abord, il convient de préciser que les Polynésiens dans leur
connaissaient pas l'écriture avant l'arrivée des Européens,
qu'aucun d'entre eux ne savait lire.
ensemble
ne
Il est évidemment enfantin de faire tracer
une
croix
(probablement en
lui tenant la
main) sur un morceau de papier à un individu qui n'a jamais
vu de sa vie un
papier ni une plume. Comme un enfant s'amuse à tracer des
lettres avec l'aide d'une main experte, les indigènes ont dû se
prêter de
bonne grâce à cette gestuelle. Les Pascuans en particulier, habitués à tracer
avec une dent de
requin des signes sur les bois flottés ont dû apprécier cette
nouveauté.
D'autre part,
la notion du temps chez les Polynésiens et chez les
particulier n'a rien à voir avec une conception occidentale de la
durée. La seule personne qui ait connu avec précision leur pensée est le
premier Européen, Eugène Eyraud, qui a séjourné neuf mois avec eux sur
Pascuans
l'île
en
en
1864
:
«...Ils n'ont l'idée ni de la lecture ni de l'écriture. D'un autre côté,
ils
comptent très facilement et ont des mots pour représenter tous les nombres. Ils
une mesure de temps et c'est une année lunaire. Mais là mcore,
les souvenirs s'affaiblissent et ils ne sont pas d'accord sur le nombre de lunes.... »
connaissent même
Bien
qu'expliqués par un interprète, les termes du contrat
d'engagement ne pouvaient rien signifier à leur yeux.
Que peut signifier : « alimentos sanos » pour des Pascuans qui ne
consommaient, avant l'implantation des Européens, que des patates douces
et du poulet cuit à l'étouffée, des rats et des
mollusques, de la canne à
sucre....
?
Quelle représentation mentale pouvaient-ils se bâtir d'" un vestido" ?
La plupart des Rapanui vivaient nus, «...car tout le monde porte le même
uniforme : une bande d'étoffe de papyrus ou autre plante, qu'ils attachent par un
cordon de cheveux et dont ils se ceignent les reins.... un morceau de la même étoffe,
mais plus grand, jeté sur les épaules et fixé autour du cou par deux coins....»
Société des
Études
Océaniennes
�14
est de même des gages qu'ils devaient recevoir : « cinco pesos
plata » : les Polynésiens ne connaissaient pas la monnaie et les
Pascuans ne disposaient d'aucun système économique autre que le troc
de leur curios avec les baleiniers ou les navigateurs. S'ils s'embarquaient,
ce n'était
pas pour un salaire qu'ils n'auraient pas sû dépenser ni pour
économiser un pécule parce qu'il n'y avait aucune boutique ni aucun
commerçant sur l'île.
Tous les termes du contrat sont incompréhensibles à un indigène
qui n'a pas de maison, qui n'a jamais travaillé pour quelqu'un et qui peut
encore moins comprendre « el servicio domestico » et ce que peut être
«...respeto y obedencia » à ses supérieurs. Si les subrécargues des navires
faisaient signer les contrats, si les capitaines transportaient les colons, ce
n'était pas par cupidité mais par nécessité économique. Tous se doutaient
bien qu'aucun des indigènes ne pouvait imaginer la réalité de ce qu'on lui
proposait, mais tous savaient aussi que des populations entières avaient
besoin de domesticité. On ne peut leur enlever toute compassion et les
affubler de toutes les tares de l'humanité, car nous avons la preuve que
certains marins, embauchés pour le transport de l'huile de coco et qu'on
avait forcés à naviguer sur les navires de recrutement, avaient demandé à
être débarqués.
Il
en
en oro o
E)- Un
y
épisode tragique : le calvaire des Pascuans à bord du Rosa
Carmen.
allons le voir maintenant, 63 Pascuans,
prisonniers le 23 décembre 1862, ne furent pas rapatriés tout de suite
Callao et restèrent à bord du Rosa y Carmen jusqu'au 10 juillet 1863,
Pour leur malheur, nous
faits
vers
date de leur arrivée
au
Pérou.
barque espagnole, commandée par le désormais tristement
célèbre Marutani, n'avait pas fait à l'île de Pâques le plein de son
contingent d'immigrants, fixé à quatre cents (le bateau jaugeait 402
La
tonneaux).
Après avoir quitté l'île de Pâques, le navire avait rejoint
l'archipel
des Gambiers, dépendant administrativement de Tahiti et de l'autorité du
Protectorat. Le capitaine n'atteint pas son but à Mangareva à cause de la
méfiance des Polynésiens mis en garde par l'autorité française, ni à Rapa,
dans l'archipel des Australes à cause de la position du mouillage trop
éloignée du village.
pénétrer à Rakahanga, à cause
imposante de son navire. Il retient toutefois à bord sept jeunes
gens qui péchaient au bord du récif.
Il échoue aussi dans
sa
tentative de
de la taille
Société des
Études Océaniennes
�15
Dans
Téquateur, en restant éloigné des îles proches de
populations avaient été prévenues de la présence des
recruteurs, le navire fait route vers Pukapuka où il recrute à sa manière
habituelle plus de 60 Polynésiens.
Toujours accompagné du Micaela Miranda, il rejoint l'archipel des
Tokelau où il embarque 136 recrues, ce qui porte son effectif à 266
passagers. L'eau potable commence à manquer à bord et le capitaine
dirige son navire vers Tutuila aux îles Samoa, non sans augmenter son
contingent de cinq indigènes récupérés en mer.
L'obstination du capitaine à recruter à tout prix fait qu'il embarque
à Fakaofo des individus malades de dysenterie aiguë et que cette maladie
se
propage chez tous les indigènes. Quand les matelots descendent les
réservoirs à eau à Tutuila pour les remplir, les Samoans les confisquent
pour obtenir le retour des hommes de Fakaofo.
Contre la restitution des caisses à eau, le capitaine libère les six
hommes demandés, mais leur état est tel que trois d'entre eux décèdent
dès leur arrivée au rivage !
Le capitaine, réalisant qu'il lui est impossible de rentrer au Pérou
avec des êtres en si mauvais état de santé, décide de
rejoindre l'île de
sa
route vers
Tahiti où les
Niue où il sait trouver
un
missionnaire et des médicaments. Il tente
toutefois de
compléter son contingent en recrutant dans l'île de Ta'u
(groupe des îles Manu'a) mais n'y réussit pas.
A Niue, il réclame au
révérend W.G. Lawes son secours pour
enrayer l'épidémie de dysenterie et le remercie en enlevant dix-neuf
indigènes ! Nous sommes le 9 mars 1863, cela fait déjà deux mois et demi
que les indigènes sont confinés dans l'entrepont ; il devient nécessaire de
nettoyer le bateau des déjections et de trouver une île pour que les
malades les
plus atteints recouvrent la santé et leur bonne figure.
n'est pas par humanité, du moins es-ce par souci
économique....
Sur les conseils d'un aventurier nommé Paddy Cooney embarqué à
Niue, le capitaine fait route vers l'île Sunday, dans l'archipel des
Kermadec, où il décharge ses passagers. Cette île a été bien choisie, elle
Si
est
haute,
ce
avec
de
des sommets de 400 à 500 mètres, le sol est riche et couvert
végétation. Il
prospèrent.
y a
des lacs dans les parties basses. Quelques familles
y
Un témoin,
la visite était
300
le capitaine de la goélette Emily, raconte : «...l'objet de
d'essayer de remettre sur pied sa cargaison humaine, au nombre de
plus : des hommes, femmes et enfants qui étaient mourants. Ils étaient si
faibles que peu d'entre eux pouvaient encore marcher et se tenir debout, certains
ne
pouvaient que ramper....
ou
Société des
Études
Océaniennes
�16
Le
premier déchargement consistait en 55 hommes dont trois seulement
dans l'embarcation à son arrivée sur
ménagement sur la grève et certains
ménageaient pas leurs coups et frappaient
tenaient debout ; trois furent trouvés morts
la plage. Les restants furent déchargés sans
à même les rouleaux. Leur
geôliers
ne
qui tombaient....
...Quatre-vingts d'entre eux moururent peu après leur arrivée sur la
plage.... à peine avaient-ils retrouvé quelque force, ceux qui avaient pu ramper se
nourrissaient de tout ce qui tombait entre leurs mains et il s'ensuivit des
diarrhées qui en emportèrent plus d'un. Les cadavres étaient enterrés dans le
sable de la plage, ils se couvraient et se découvraient au rythme des marées....
...Le 19 avril, beaucoup d'entre eux pouvaient à nouveau marcher.... et
certains s'enfuirent vers l'intérieur des terres quand le navire s'en alla....»
ceux
Un autre témoin,
le capitaine
Nicholls du baleinier Rainbow,
rapporte qu'à son passage plus de 130 Polynésiens avaient trouvé la mort
et il en compta seulement 70 de valides à terre.
L'épidémie cessa et le navire repartit le 1er mai, non sans que le
capitaine eût pillé les provisions des habitants de l'île et leur eût
communiqué la maladie qui en tua huit sur vingt-deux après son départ.
Carmen fut l'île de Pitcairn où le
capitaine en personne alla demander des cannes à sucre pour des
esclaves » qu'il assurait ramener dans leur île.
L'escale suivante du Rosa y
«
Deux habitants étant allés à bord et
en
étant revenus sains et saufs
et de leur aspect anglo-saxon
(c'étaient des descendants de l'équipage anglais de la Bounty),
à
cause
de la blancheur de leur peau
rapportèrent avoir vu les Polynésiens confinés et entassés, dont beaucoup
étaient affectés d'une toux qui «faisait trembler leur carcasse ».
Plus de six mois et demi
après avoir été enlevés de force dans leur
île, les Pascuans du Rosa y Carmen arrivent au port
drame n'est malheureusement pas
de Callao, mais leur
fini.
La presse péruvienne a rapporté dans le détail les péripéties des
navires recruteurs à l'Ile de Pâques, au mois de décembre 1862 et, sous la
pression du corps diplomatique, le ministre a interdit à tous les capitaines
de port péruvien d'autoriser l'entrée du Rosa y Carmen.
Bénéficiant
sans aucun
doute de
sa
nationalité
espagnole, le
capitaine est averti par l'amiral Pinzon, commandant les navires
espagnols du port de Callao, que des navires français s'apprêtent à le
saisir et à le faire juger pour les actes qu'il aurait commis contre des sujets
Société des
Études Océaniennes
�17
français. Ayant pu faire valoir auprès des autorités militaires la validité
des contrats signés avec les Polynésiens, il n'est pas inquiété, mais ses 126
passagers sont consignés à bord. Les Pascuans survivants de ce très long
périple dans le Pacifique Sud n'auront même pas l'occasion d'aller à terre
avant que les bateaux ne les ramènent dans leur île, car ils vont être mis
en
quarantaine sur des pontons flottants avant l'inspection sanitaire.
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S& dstde/ytsède
S%e eseptddetdsie
ydt'esde^/eeesdse'st es^tededde
Société des Etudes Océaniennes
�18
dans
Si tragiques que furent certaines opérations de recrutement
les îles, elles ne furent pas autant que les conditions de travail dans
les
plantations du Pérou et que les conditions de leur « retour au pays ».
Après que l'immigration ait pris fin à l'initiative des autorités
consulaires de Hawaï et de France qui poussèrent le corps diplomatique
en entier à faire pression sur les autorités péruviennes, les rescapés
polynésiens furent renvoyés dans leurs îles et la plupart d'entre eux y
rapportèrent malheureusement des maladies infectieuses qui
décimèrent la population.
Dans le cas de l'île de Pâques, seuls quinze Pascuans, dont la
majorité était malade, furent rapatriés par le navire Barbara Gomez en
1863. Si l'on y ajoute les six indigènes (quatre hommes, une femme et un
enfant) revenus avec Eugène Eyraud en 1864, ils ne sont que 20 adultes
à revenir sur leur île, alors que plus de 1407 l'avaient quitté entre
octobre 1862 et juin 1863.
Corinne RAYBAUD
NOTE
pensé en faciliter la lecture en évitant les
multiples
de bas de page. Quelques ouvrages font référence sur ce sujet :
Slavers in paradise. Henry Maude, 1981, 244 pages, Australian
National
L'auteur de l'article
notes
a
-
University Press, Canberra, Australie.
The Modernization of Easter Island. John Douglas Porteous, 1981,
Département de géographie de l'Université de Victoria, Canada.
Agriculture et Société au Pérou, de l'ère du guano au lendemain de la première
guerre mondiale, 1840-1920. J. Piel, Thèse. Travaux de l'Institut d'Etudes Andines, t.
-
-
xv,
Paris-Lima, 1976.
intéressées par une histoire plus circonstanciée de ce
peuvent se reporter à notre thèse de doctorat : L'Ile de
Pâcjues de 1862 à 1888, 26 années de diaspora pascuane en Océanie Orientale, (juillet
1993, Université Paris-Nanterre). Des exemplaires sont à disposition aux Archives
Territoriales et au siège de la Société des Etudes Océaniennes à Papeete.
Les personnes
recrutement sud-américain
Société des
Études Océaniennes
�19
HIVA-OA EN 1922
PROMENADE TOURISTIQUE
AVEC MONSIEUR LE BRONNEC
Dans le B.S.E.O. n°6 de septembre 1922, Guil aume Le
lecteurs une approche
touristique de l'archipel des Marquises.
Bronnec
Ce Breton,
propose aux
alors âgé de 38 ans, est installé à Hiva-Oa.
apprend de lui, dans Tahitiens, qu'il fait le tour des îles
Marquises pour y ramasser le coprah. C'est un "esprit curieux
On
et bon
observateur,
remarquable naturaliste ".
En neuf pages, il propose à un éventuel touriste un
itinéraire de promenade à cheval dans l'île qu'il connaît le
mieux
:
Hiva-Oa.
Avec Madame
Vergnault-Belmont, du laboratoire de
cartographie de l'EHSS, j'ai transposé cet itinéraire sur une
carte de l'île (d'après la carte IGN de 1985).
Selon G. Le Bronnec, cette île est
tout
"la plus accessible " de
l'archipel. Il estime l'ensemble du réseau (routes et
sentiers
muletiers) à 200 km.
Après avoir fait ressortir l'aspect grandiose de la "Baie
invite à la promenade à partir du point de
débarquement de Tahauku. Ceux qui connaissent bien l'île en
1994 reconnaîtront-ils les lieux que Guillaume Le Bronnec a
jugés dignes d'intérêt il y a maintenant 70 ans ?
des Traîtres ", il
pointe Kaledo "lieu favori des peintres Gauguin et
", on a un premier point de vue sur toutes les îles du
Sud-Est.
A la
Lemoine
groupe
Société des
Études
Océaniennes
�20
Atuona n'est pas une
ville, "tout juste un petit village :
bois où logent les agents de
Navale, des
Comptoirs Français, Donald et Société Française, 5 boutiques
cinq ou six maisonnettes en
magasins de la Compagnie
l'administration, les
chinoises, la Mission
Catholique,
une
dizaine de maisons
indigènes "... "Pas encore d'hôtel
De Atuona, 6 promenades sont proposées dans les
environs immédiats
1- Visite aux
tikis,
:
en
bois
ou en
pierre, dans le "haut de la
vallée ".
2- Promenade et
baignade à Vaikae, dans la profonde gorge
de Atikua.
(impossible " pour les gens sujets
vertige "), d'où l'on voit toutes les îles Marquises sauf l'île
3- Ascension du Mont
au
Feani
Masse.
4- Excursion à Taaoa
(7 km). On passe un
"col taillé dans le
soufre et la pyrite ; à côté se trouvent 2 fontaines aux eaux boueuses
et bouillonnantes (risque d'asphyxie si on se penche trop près)."
A Taaoa on rencontre surtout des indigènes Rapa,
Tahitiens ou Raiatea, des vestiges de pierre, des endroits tapu
l'arbre légendaire "sur lequel vivaient tous les oiseaux des
Marquises. Les branches de cet arbre géant, dit la légende, en
tombant touchèrent toutes les îles et donnèrent à chacune un oiseau
particulier
Au retour, il faut aller visiter M. Lacharme, "philosophe
marquisien, originalfatigué de la guerre [...] menant une vie simple
et contemplative ".
5-
Après Tahauku, remontée de la Vaipae : cascades,
gigantesque (dans la vallée de Tehueto).
chutes et
paepae
Catholique :
bureau de la
S.E.O., qui y a apposé une plaque commémorative.
6- Tombe de Gauguin au cimetière de la Mission
sortie de l'oubli depuis quelques mois grâce au
Société des
Études
Océaniennes
�21
Puis vient le
"voyage autour de Hiva-Oa ", en 5 étapes.
1- Atuona - Hanaiapa :
Sur une route relativement bonne : on monte d'abord
sur le
plateau de Aimoa "qui suffirait à nourrir le double de la
population actuelle des Marquises " puis on descend vers
Hanaiapa après avoir passé le col de Tevaitapu. A l'entrée de
la baie, "meilleur mouillage du côté Nord ", "une énorme roche à
forme de tête de nègre semble veiller ". Plus loin à l'Ouest : le
ruban argenté d'une chute d'eau de 100 mètres de haut.
2-
Hanaiapa - Hanapaaoa :
Entre Hanaiapa et Hanatekua, sur un plateau
découvert, la vue s'étend jusqu'à Ua-Uka. "La vallée de
Hanatekua possède une jolie plage de sable blanc, une rivière,
quelques cocotiers, une église et des cases marquisiennes en ruines,
la brousse envahit routes et plantations. C'est l'image même des
Marquises
Plus loin, du col de Ihutehoa ("Nez de l'ami ")
s'offre un
superbe panorama : la rade de Hanapaoa, les
mamelons à aos rond de Motuua et Nahoe, un pic dont la
silhouette
rappelle un château fort en ruines, et, au loin,
l'horizon est barré par la pointe Matifenua "semblable à une
immense
3-
digue brûlée par le soleil ".
Hanapaaoa - Puamau :
On traverse 4 vallées, dont 3 inhabitées, avant
d'arriver à un point de vue d'où l'on domine toute la vallée
de Puamau, qui "a la forme exacte d'un cirque où manquerait un
quart d'arc de cercle ". Beaucoup d'habitants, mais décimés par
la tuberculose. La plage est la plus jolie de l'île. Sur cette
plage : le village de ségrégation des lépreux et, dans la vallée,
d'énormes tiki hauts de plus de 2 mètres, " taille moyenne des
ancêtres " d'après les Marquisiens.
"Si le voyageur est fatigué, il pourra retourner à Atuona par
la route des crêtes (39 km) ; die offre d'un bout à l'autre un point
de vue merveilleux
4- Puamau - Atuona
Une route en
:
zigzag monte la muraille à pic puis on
A Hekeani, on
descend dans les fougères arborescentes.
voit "un groupe de banians de toute beauté ".
Société des
Études Océaniennes
�22
- Atuona :
Attention en passant à Moea ! Si vous souhaitez y
rester la nuit, les rares habitants seront tentés par votre
cheval...ils en sont très friands.
5- Hekeani
lacets.
fabriquer
Après Ututihe, la route atteint le sommet en 75
Dans les vallons, "les indigènes viennent fréquemment
et distiller le jus de coco. Moyennant
promesse
ne
de
la
".
pas
les
dénoncer au gendarme, ils vous feront goûter cette liqueur
G Le Bronnec signale encore quelques futaies de bois
de fer après Hanaha, des porcs et des meutes nombreuses
pour la chasse au sanglier
de bois de fer à Punae.
trace
Il reste le voyage à
de deux noms cités
"petites baies
aux
à Hanamote et encore des futaies
Hanamenu. Je n'ai pas retrouvé
:
Hanamenino et Hanahevane,
plages argentées " d'où l'on voit en face la côte
de Tahuata.
La cascade du canyon Hanauaua s'appelle
Vainako. Le plateau de Ahau est le paradis des
chèvres, porcs se comptent par
bœufs.
milliers et il y
maintenant
chasseurs :
a aussi des
de Atuona et Taaoa viennent
fréquemment passer quelques semaines, chasser, pêcher et fabriquer
le jus de coco. C'est le Trouville de Hiva-Oa ".
Paysages magnifiques mais atmosphère étrange faite
de mort, de maladie, de fatalité : les Marquises en 1922 n'ont
pas encore amorcé leur redressement démographique.
A Hanamenu,
"les indigènes
tel
Le récent Comité du Tourisme peut-il proposer un
itinéraire en 1994 ? Et pourquoi pas un itinéraire dans chaque
île ? Il y a tant de travail pour faire
et
les
admirer aimer
peuple qui n'est plus en voie de disparition
temps de G. Le Bronnec, mais ne cesse de
de
Marquises et
comme
au
s'accroître et
son
s
interroger sur son avenir.
Michel BAILLEUL
Société des
Études Océaniennes
�23
ANNEXE
G. Le Bronnec
précise les distances à parcourir à Hiva-Oa. Dans le
je les compare à celles données par le père Chaulet (dernier quart
Xième siècle) et à celles données par l'administrateur (1888).
tableau suivant,
du
Chaulet
Adminis.
Le Bronnec
(en km)
Puamau
34,900
50,610
*
Atuona
-
Atuona
-
Atuona
Hanamenu
*
*
-
Atuona
-
Taaoa
7
7
Atuona
Tahauku
*
*
-
Atuona
-
Atuona
-
Atuona
-
(crête)
Puamau (ceinture)
Hanaupe
Hanaiapa
Hekeani
Hanaki
Motuua
-
Motuua
-
Nahoe
Nahoe- Eaone
Eaone
-
Puamau
Hanapaoa - Puamau
Puamau
-
Hekeani
Hanaupe - Puamau
*
*(1)
5,800
3
*
32,500
33,100
17
16
16
*
*
17
45
*
*
9
20
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
25
*
*
17
*
14
*
33,500
5,500
10,700
4,330
3,330
1,120
4,370
4,480
Hanaiapa - Puamau
Hanaiapa - Hanatekua
Hanaiapa - Hanapaaoa
Hanapaaoa - Hanaki
47,100
*
(1) : G. Le Bronnec dit que cet endroit est le seul habité sur une distance
Hanaiapa.
de 60 kilomètres de Taaoa à
Société des
Études
Océaniennes
�24
LA NAISSANCE DU
"RASSEMBLEMENT DEMOCRATIQUE
DES POPULATIONS TAHITIENNES"
(LE R.D.P.T.)
Après la seconde Guerre mondiale, les Etablissements
français de EOcéanie deviennent un Territoire
d'outre-mer. Le mot colonie est banni dans la
changement de vocabulaire
s'accompagne-t-il d'avancées statutaires significatives ? Un
constitution de 1946. Le
nommé
Pouvana'a, que les Tahitiens
considèrent vite
comme
Dès 1946, il tente de poursuivre le
combat qu'il a engagé pendant la deuxième Guerre
mondiale : Tahiti doit appartenir aux Tahitiens.
leur Metua
I/
ne
le pense pas.
POUVANA'A, DE GAULLE, LA FRANCE :
DES AMOURS CONTRARIEES
I.I./ La seconde Guerre mondiale dans les E.F.O.
Quand
un
comité
«
Lrance Libre
» se
crée à Papeete
pour soutenir l'action du général de Gaulle, avec de Curton,
Edouard Ahnne, Etienne Davio, Georges Bambridge, il n'est
pas surprenant d'y trouver un ancien combattant de la
Première guerre mondiale, Pouvana'a a Oopa. Ce dernier est
présent à la mairie de Papeete lors de la proclamation des
résultats du référendum qui détermine le choix des Tahitiens
pour le général de Gaulle et contre la France de Vichy.
Pouvana'a est
au
milieu des anciens combattants et arbore
décorations. Emile de Curton
parle de son « obstination »
fidélité de Francis Sanford » et au
calme de Poroi », a permis d'empêcher le découragement
des Tahitiens. Devenu gouverneur sur Tordre du général de
Gaulle, Emile de Curton reçoit l'appui de Pouvana'a :
ses
qui, conjuguée à la
«
«
Société des
Études Océaniennes
�25
«
...quand on fait la guerre, on ne doit pas penser à autre
qu'il y aura la guerre, je ne penserai pas à autre
chose. Moi, tant
chose ! ».
Rapidement cependant, la situation se détériore à Tahiti.
L'envoyé du général de Gaulle, Brunot, perd vite son sang froid,
arrête le gouverneur et le secrétaire général. Pouvana'a n'hésite
pas, avec les membres du comité « France Libre » qui n'ont pas
été arrêtés, à déposer une gerbe au monument aux morts de
l'avenue Bruat, le 2 septembre 1941.
La fidélité de Pouvana'a à de Gaulle
pousse son fils,
du Pacifique ».
Marcel, dit Mate, à
Mais le comité
se
France Libre
ne
joindre
fait
au
aucun
futur
«
doute. Il
Bataillon
disloque vite, victime,
de quelquesquerelles ont
été surtout le fait des Européens. « Les indigènes, écrit Gérald
Coppenrath, n'ont pas dépassé dans ces événements, le rôle de
décor ». Pourtant ce sont les Tahitiens les moins fortunés qui ont
supporté « l'essentiel des difficultés économiques et de l'effort
militaire ». Or, Pouvana'a n'admet pas que certains Européens ou
demis s'enrichissent grâce à la guerre, alors que le ravitaillement
de la population pose des problèmes. Le « service du
Ravitaillement », mis en place par le gouverneur Orselli, permet à
Pouvana'a de se tailler ses premiers succès. Joseph Lehartel
raconte qu'il y avait de longues files devant les magasins. Des
«
» se
selon de Curton, de rivalités internes, de la volonté
uns de s'enrichir à l'occasion du conflit mondial. Ces
femmes de fonctionnaires arrivaient
avec
leur chauffeur et
passaient devant les Tahitiens. Pouvana'a haranguait alors ceux
qui attendaient patiemment. Dans une pétition, en 1942, il
demandait « un ravitaillement équitable de la population tant en
pétrole qu'en tissus...» et aussi une « révision des salaires des
travailleurs ». Le combat de Pouvana'a ne s'arrête pas, en effet, à
de simples problèmes de ravitaillement. Vice-président de
l'association « Les Amis de Tahiti », il critique les agissements de
Société des
Études
Océaniennes
�26
protéger les Tahitiens contre
l'emprise économique des Français et des Chinois. Début juillet
1942, dans une réunion tenue à la mairie, membre d'un « comité
de défense passive de Papeete », Pouvana'a critique ouvertement
rAdministration et cherche à
du pays.
Pouvana'a trouve aussi que le gouverneur Orselli ne mène pas
une
politique suffisamment audacieuse. Il réclame « la radiation
de l'administration de l'Océanie française libre des métropolitains
l'Administration et réclame des réformes de structures
pro-vichystes et faux gaullistes ralliés à la cause après le 2
septembre 1940 ».
Il souhaite
une
évolution statutaire par
la création d'un
général, donc d'une assemblée qui serait celle des
conseil
Tahitiens.
signer sa pétition, évoquée plus haut, Pouvana'a
harangue les foules parle même d'employer les grands moyens
pour faire cesser les injustices, de rénover la devise républicaine
qui n'est pas respectée à Tahiti et dans les îles. Pouvana'a aurait
aussi arrêté le boulanger qui distribue du pain en priorité aux
Popa'a et invité la population à se servir. Des accusations plus
graves ont été portées, celles d'un complot organisé. Ainsi, lors du
procès de 1947, le procureur de la République évoque l'affaire de
En faisant
1942
en ces
«
termes
:
Pouvana'a
a
Oopa, en 1942 [...] fomenta un complot dont
alors en fonctions et son
embarquement sur le navire qui devait emporter également les
fonctionnaires vichystes jugés par lui indésirables.
le but était l'arrestation du gouverneur
«
Cette arrestation du chef du territoire
devait être
accompagnée et suivie d'un véritable coup d'Etat avec emploi de
la violence si besoin était. Pouvana'a et
ses
troupes devaient
s'emparer de l'Hôtel du gouvernement et des principaux services,
notamment du central téléphonique ; et le pavillon français devait
être amené et remplacé par les couleurs tahitiennes ».
Société des
Études Océaniennes
�27
Que cette accusation soit fondée
arrêté le 12 août 1942 et
expédié
ou non,
Pouvana'a est
résidence forcée à
Huahine. Il s'échappe de l'île, gagne Bora-Bora pour envoyer
un
télégramme au général de Gaulle envers lequel il a
toujours confiance. Il aurait été accusé d'avoir voulu vendre
Tahiti aux Américains et fut déporté à Motu One.
en
Successivement, Pouvana'a s'évade, est repris,
condamné, s'évade à nouveau. « Jugé et rejugé, ... on parle
toujours et encore de lui
».
Une autre
conséquence de la guerre retentit sur la
perception que les Tahitiens ont eu de la France. A Bora-Bora,
en
quelques mois, les Américains ont réalisé des routes, des
wharfs, un port, un aérodrome, ce que la France n'avait
jamais su concevoir en soixante-quinze ans. L'inspecteur des
colonies, Lassalle-Séré, déplorait, en 1948, que ce qui est
construit par l'Administration française « porte la marque de
la médiocrité, de l'insuffisance, à tel point que l'expression
travail farani " sert à caractériser ce qui est mal conçu, mal
construit, peu solide ». Il ne faudrait pas chercher plus loin
les raisons du succès de la propagande de Pouvana'a.
"
la situation
politique complexe qui a
duré longtemps. Il y a un Français que les Tahitiens
admirent : le général de Gaulle. Il y a une France, terre de
liberté qui a tant impressionné Pouvana'a lorsqu'il a
combattu sur son sol. Et il y a la façon dont se comportent
Ainsi
se noue
française et certains français. En 1958
Pouvana'a reste marqué par cette ambiguïté, quand il
prétend : « Voter NON, c'est voter pour de Gaulle ». Au
cours de son procès,
il semblerait que Pouvana'a ait expliqué
que, pour lui, ce qui était important, c'est qu'en France on
sache que le gouverneur ne se comportait pas comme il le
l'Administration
encore,
devait.
Société des
Études
Océaniennes
�28
1.2. /
Appliquer le préambule de la Constitution de 1946 ?
La Constitution de 1946
«
cherche à concilier les
principes
démocratiques traditionnels des Républiques françaises avec des
qui perpétuent la domination coloniale ».
D'un côté, en effet, le préambule affirme « l'égalité des droits et
des devoirs, sans distinction de race et de religion », alors que les
articles 76 (qui maintient un gouverneur tout-puissant) et 80 (qui
montre que l'égalité des droits n'est pas réelle) laissent en place
les dispositions qui repoussent à plus tard la possibilité, pour les
territoires, de « s'administrer eux-mêmes et de gérer
démocratiquement leurs propres affaires ».
titres et des articles
Il est clair que si les E.F.O. bénéficient de quelques
avancées statutaires, d'une représentation au parlement français,
on
est loin de ce que
la conférence de Brazzaville avait laissé
espérer.
Ainsi, les E.F.O sont dotés d'une Assemblée représentative
pouvoirs limités. Le gouverneur est toujours le Chef du
Territoire, assisté d'un Conseil privé composé de personnalités
nommées. Il garde des pouvoirs très importants définis par le
vieux décret de 1885 ou par celui de 1935.
aux
Les élections des conseillers de l'Assemblée
se
sont déroulées les 9 décembre 1945 et
retour des
«
Volontaires
»
du
«
Bataillon
représentative
janvier 1946, avant le
du Pacifique », dans la
6
précipitation. Les élus sont-ils représentatifs des populations
tahitiennes ? On peut en douter. Sur vingt conseillers, il y aurait
six « Européens » et la plupart d'entre eux seraient des
représentants « de la petite bourgeoisie du terroir ». Même si
quelques-uns, comme Jean Millaud, ont tenté de tenir tête au
gouverneur, dans l'ensemble, ils sont plutôt passifs. Le divorce
apparaît rapidement très profond entre les représentants du
peuple et le peuple lui-même, désormais réceptif à la propagande
des amis de Pouvana'a.
Société des
Études
Océaniennes
�29
.3./ Des places pour les Tahitiens et l'affaire du Ville
d'Amiens,
Lorsque les « Volontaires » reviennent à Tahiti, le 5 mai
dignement fêtés, mais ils sont rapidement déçus
qu'on ne leur accorde ni la place, ni les places qu'ils estiment
mériter et qu'on leur a d'ailleurs promises. Ils s'organisent, dès la
1946, ils sont
fin 1946, en une « Union des Volontaires » dont le but est de
« défendre les intérêts du
pays en matière économique, financière
et
politique ».
Parmi les motifs de
scandales
du
qui retentissent à
mécontentement, il y a divers
du service de ravitaillement,
propos
comportement du gouverneur (qui s'arrogerait le droit de
cuissage lorsqu'il visite les îles) qui ferait procéder à des
arrestations pour procurer une main-d'œuvre pénale aux
fonctionnaires. La mort de Lucien Céran-Jérusalémy dans le lagon
de Huahine ( accident ? suicide ? meurtre ? ), alors qu'il enquêtait
sur
diverses malversations
au
service du ravitaillement, est un
sujet de mécontentement. Le public retient l'idée que le
système politico-administratif ne cherche pas à connaître la vérité.
Un neveu de Lucien Céran-Jérusalémy, Jean-Baptiste, s'éveillerait
alors à l'action politique. Il rencontre en effet Anthelme Buillard et
Jean Florisson qui ont été tous deux exilés à Maupiti pour
activités pro-vichystes. Le point commun entre ces trois hommes
nouveau
et bientôt entre eux et
Pouvana'a, c'est leur hostilité à
oublie vite qu'on a été adversaires
l'Administration. A Tahiti, on
hier
lorsqu'il s'agit de faire font contre l'ennemi du moment. En
février 1947 est constitué
un «
Comité Pouvana'a
».
Son but est la
parti politique, et surtout « la modification du
organique de 1885, dans un esprit tahitien par les
création d'un
décret
Tahitiens
».
Les liens entre
sont nombreux :
Pierre
ce
comité et
«
l'Union des Volontaires
»
mêmes buts, mêmes adhérents (notamment
Tixier). Le 16 mars 1946, le
«
Comité Pouvana'a
point un avant-projet politique avec pour slogan :
Société des
Études
Océaniennes
«
»
met au
Tahiti d'abord
�30
les Tahitiens ». Un Conseil général serait doté de larges
pouvoirs et le gouverneur serait réduit aux prérogatives de
souveraineté (justice, affaires étrangères, défense nationale). Un
et pour
le Conseil
général, avec un président, disposerait du pouvoir exécutif dans
les matières qui ne relèvent pas du gouverneur. S'agit-il, derrière
une façade de fidélité à la France, de prévoir une véritable
indépendance ? C'est ainsi que l'Administration a analysé le
projet. Le contexte des événements de Madagascar a rendu le
gouverneur et son entourage particulièrement nerveux. Même à
la Chambre des députés, les parlementaires s'inquiètent « des
exploits d'une bande d'individus ayant à leur tête un nommé
Pavanaa (sic) qui veut proclamer l'indépendance de Taïti..., à
Conseil de
gouvernement et d'administration élu par
l'instar du Viet-Minh
mandats d'arrêts
».
Il est même
».
Dans
ce
suggéré de
«
requérir à des
contexte, tout incident
prend des
proportions démesurées.
sur
Ainsi, lorsque trois fonctionnaires métropolitains arrivent
d'Amiens, le « Comité Pouvana'a » et « l'Union des
le Ville
Volontaires
»
localement. Ils
postes pourraient être pourvus
s'opposent, le 22 juin 1947, les armes à la main, au
estiment que ces
débarquement de ces fonctionnaires.
proclame l'état de siège et fait arrêter les
principaux meneurs. Il fait alors d'eux de véritables héros. Au
moment de leur procès, le procureur de la République tente de
Le gouverneur
transformer
une
révolte
en
révolution
:
Oopa, Aumeran Henri, Céran-Jérusalémy
Jean-Baptiste, Buillard Anthelme, Urarii Tutea, Colombani
Benjamin, Ilari Noël, sont accusés d'avoir, à Tahiti [...] formé un
complot ayant pour but de changer, par la force, le gouvernement
de la République, tel qu'il est établi dans l'Océanie française, avec
cette circonstance aggravante que des actes auraient été commis
pour en préparer l'exécution (crime prévu et puni par les articles
87 et 89 du Code pénal) ».
«
Pouvana'a
a
Société des
Études Océaniennes
�31
procès tourne à la confusion des accusateurs. Un
général est prononcé le 25 novembre 1947. Plusieurs
témoignages confirment la liesse des sympathisants et le
Le
non-lieu
désarroi des autorités.
conséquences de l'affaire du Ville d'Amiens sont
multiples. Il est clair que la population tahitienne se tourne
de plus en plus contre l'Administration, voire contre la
France. Pouvana'a a éveillé les Tahitiens à la justice (ou du
moins à l'idée qu'il s'en fait). Les maladresses, réelles ou
colportées, de l'Administration font le reste.
Les
L'année 1947 révèle
au
peuple tahitien
que
l'action est
possible et qu'elle peut réussir.
II / 22 OCTOBRE 1949
:
ELECTION TRIOMPHALE
Victoire de Pouvana'a et de
Ville d'Amiens, certes, mais les
amis
après l'affaire du
membres du comité passent
ses
période de découragement. Jean-Baptiste CéranJérusalémy propose à Pouvana'a de continuer la lutte.
par une
Pendant l'année 1948
cependant, le comité végète. Il
deux élections imprévues à la suite des décès
Joseph Quesnot et de Georges Ahnne. Le remplacement
du premier à l'Assemblée représentative, le 26 juin 1949, est
un échec pour les amis de Pouvana'a. Jean-Baptiste CéranJérusalémy est battu dans la circonscription de Papeete. Avec
le décès de Georges Ahnne, le 3 août 1949, c'est le siège de
député qu'il faut renouveler.
est réactivé par
de
II.l./ Pouvana'a est-il éligible ?
Déjà, la guerre à peine terminée, Pouvana'a envisage
de concrétiser son action par un engagement politique.
Candidat à la députation, le 21 octobre 1945, il ne recueille
que
est
44 voix. Mais à l'époque, le pasteur
élu, est quasi
Charles Vernier qui
unanimement respecté.
Société des
Études Océaniennes
�32
porte candidat de nouveau pour l'élection
législative du 9 juin 1946. Le Bulletin de Presse des E.F.O. expose
que, « il ne peut être candidat ni même électeur avant le 19
Pouvana'a
décembre 1950
se
raison de
», en
ses
demandé à faire campagne, ce
condamnations antérieures. Il
été refusé. Cela ne
l'empêche pas, le lendemain, de « se rendre sur la côte Ouest
pour tenir des réunions et poser des affiches. La gendarmerie
s'est opposée à la tenue de ces réunions et a confisqué les
affiches ». Le bulletin conclut que Pouvana'a n'est pas la
victime d'un ostracisme quelconque » et que c'est la loi qui lui
est opposable.
a
qui lui
a
«
Or, les résultats indiquent
qu'il
y a eu
4 144 bulletins
nuls et A.- R. Grand estime que 3 766 d'entre eux correspondent
à des bulletins portant le nom de Pouvana'a (soit 37,55 %).
épouse, candidate à sa place
quasi identique (37 % des voix). Il est clair
la montée de Pouvana'a est nette et que les Tahitiens ont
Le 24 novembre
obtient
1946,
son
résultat
un
que
trouvé leur Metua.
Après la mort de Georges Ahnne, l'Administration ne
s'oppose plus à une candidature de Pouvana'a.
H.2./ Un Tahitien, député
Le
Comité Pouvana'a
«
»
réunit
une
centaine de
à l'hôtel Temehani. Anthelme Buillard propose qu'on
désigne quelqu'un d'« instruit » pour la candidature au poste de
député et suggère celle de Maître Cochin qui a été l'avocat des
personnes
Jean-Baptiste Céran-Jérusalémy
proposé Pouvana'a, plus représentatif du peuple
polynésien. Un vote à bulletins secrets accorde environ soixante
membres du comité
en
1947.
aurait alors
voix à Pouvana'a et trente à Maître Cochin. Mais la campagne
coûte cher et Jean-Baptiste Céran-Jérusalémy visite de nombreux
foyers
«
recueillir des fonds. Il obtient ainsi 200 000 francs.
le budget de campagne serait dix fois plus élevé.
pour
En face »,
Société des
Études Océaniennes
�33
«En face »,
c'est le pasteur Charles Vernier qui est l'adversaire le
plus sérieux. Mais deux protestants peuvent-ils s'affronter ?
D'après Jean-Baptiste Céran-Jérusalémy, Pouvana'a rencontre le
pasteur qui lui demande de ne pas présenter de candidature
contre lui. Pouvana'a réplique par un verset de l'Ancien
Testament
c'est Dieu
qui fait les rois...», Dieu départagera les
le résultat de l'élection « amène quelques
perturbations regrettables chez les protestants du pays ».
Pouvana'a, d'après A.-R. Grand, soupçonne certains pasteurs de
collusion avec le « milieu capitaliste local » et/ou avec
l'Administration. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, il y a encore
un contrôle étroit du
gouverneur sur l'Eglise évangélique. Les
pasteurs, de leur côté, craignent que Pouvana'a ne favorise des
schismes tels qu'il s'en est produit par exemple à Papenoo. Les
amis de Pouvana'a, eux, ont joué à la fois sur le fait que Pouvana'a
est protestant, mais ouvert aux autres religions. Un encadré dans
le bulletin Te Aratai, lancé à l'occasion de cette élection, souligne :
: «
candidats. Il est vrai que
«
Pouvana'a
autour de lui des
Oopa est un grand protestant qui a su réunir
jeunes et des anciens, des catholiques et des
a
protestants : cela veut déjà
Face
à
dire beaucoup.
»
Charles Vernier, Pouvana'a
symbolise le
dynamisme. Même sans grands moyens financiers, le Comité
a utilisé des méthodes nouvelles comme en témoigne
Pouvana'a
un
éditorial du Courrier des E.F.O.
«
:
Le Comité avait bien fait
les choses. Publicité bruyante,
visible, auditive et visuelle. Beaucoup d'agents. Du papier. De la
matière... Les autres candidats ont usé d'un conservatisme...trop
exempt de nouveauté pour plaire
Sans citer de sources,
«
mairie,
de
à la clientèle.
»
le Mémorial renchérit
:
grands meetings sont organisés sur la place de la
camion équipé d'un puissant haut-parleur - 800 mètres
De
un
portée ! - diffuse de la musique et des slogans ! »
Société des
Études Océaniennes
�34
Le
slogan le plus utilisé dans la campagne est « Tahiti
les Tahitiens ». Le contenu de ce slogan est défini
circulaire, du 22 septembre 1949, que publie Ar.
On retiendra les points suivants :
d'abord et pour
dans une lettre
Grand.
-
-
-
davantage de pouvoirs à l'Assemblée représentative,
sur un
pied d'égalité avec les gouverneurs,
rendre la langue tahitienne officielle et l'autoriser à
traiter les élus
l'Assemblée
-
mettre fin aux interventions de l'Administration sur le
-
cours
représentative,
abroger le décret de 1885 et supprimer le Conseil privé,
de la justice,
-
aider financièrement les écoles
De
religieuses.
plus, la lettre énumère diverses raisons de voter
qui ont trait aux qualités morales et spirituelles
Pouvana'a. Celles
du candidat retiennent notre attention
«
:
Votez pour
Votez pour
celui qui n'adore pas le Veau d'or.
celui qui a toujours confiance en Dieu. »
Dans
publié par le Mémorial, on retrouve ces
arguments. Mais là, Pouvana'a se présente comme un homme
attaché à la France, qui n'a pas besoin de diplômes universitaires
car
il est
un
tract,
enfant du pays,
ayant passé son jeune âge dans
l'agriculture, l'élevage et la pêche ». « Je n'oublierai pas, ajoute-t-il,
les durs travaux que demande entre autres, la préparation du
coprah, de la vanille, de la nacre, etc. » Il insiste sur la production
locale, « la vraie richesse du pays ». H se méfie du commerce et
surtout des commerçants qui n'ont pas toujours en vue l'intérêt
général. Il a une solution miracle pour que Tahiti soit prospère :
prendre l'argent là où il est ». Ce tract nous montre un candidat
soutenu, non seulement par son comité, mais également par les
Volontaires ». Le tract s'achève par : « Vive Tahiti - Vive la
France ». Sous le nom du candidat, il
y a la mention : « candidat
un «
«
«
Social-Chrétien
».
Société des
Études
Océaniennes
�35
La fin du tract fait clairement allusion
critiques
anti-français et
pourtant, Pouvana'a répète son
aux
adressées à Pouvana'a. Il est accusé d'être
communiste. Constamment
attachement à la France et à l'Union
«Monsieur
Pouvana'a
française.
est-il
n'est-il
point
Le Courrier des E.F.O. est
souvent soulevée au cours de la campagne. Ce bi-hebdomadaire
est publié avec la bienveillance de l'Administration. Malgré les
dénégations du candidat, l'éditorialiste insiste et fait allusion à
une réunion tenue à Raiatea au cours de laquelle Pouvana'a aurait
communiste ?
dit
»
La
question posée
ou
par
:
«
Je
ne
suis pas communiste... Mais je dois dire que si
j'étais élu député, je siégerai à l'Assemblée nationale auprès des
amis de Monsieur Davio
».
Or, Etienne Davio est communiste. L'éditorialiste
se
fait
perfide : « la déclaration de Monsieur
désagréable, et gêner des votants qui iront
supposer que si Monsieur Pouvana'a est élu, Tahiti
soupçonneux... et
Pouvana'a peut être
d'un coup
sera communisé ! C'est être
on
n'est jamais
un
hâtif, à notre avis. Mais enfin,
trop prudent...»
Pouvana'a utilise alors
la mise
peu
son
droit de
réponse et fait publier
point suivante :
Je soussigné, Pouvana'a a Oopa, déclare demeurer dans
la voie du christianisme. Je me présente à mes électeurs en tant
que Tahitien, soucieux de leurs intérêts et en tant que chrétien.
Je démens et affirme pour mensongères toutes paroles
qui aient pu m'être attribuées, et assurant que je suis communiste,
du côté communiste, ou que je siégerais avec eux si j'étais élu.
Devant mon Dieu, sur ma foi et sur mon honneur, je fais
le serment de demeurer indépendant. Je m'affilierai à un parti
seulement après en avoir référé à mes électeurs.
Je jure, devant Dieu, de ne jamais adhérer, de ne jamais
professer, de ne jamais soutenir, la doctrine communiste....»
au
«
«
«
«
Société des
Études
Océaniennes
�36
Cette mise
continue
au
point reste insuffisante et le soupçon
longtemps.
La campagne électorale est difficile pour Pouvana'a.
adversaires développent des thèmes trop proches des siens
Ses
: la
liberté d'enseignement, la défense des libertés, l'extension des
pouvoirs de l'Assemblée représentative, la revalorisation de la
langue tahitienne. Le « Comité Pouvana'a » est obligé de critiquer
sévèrement le pasteur Vernier qui n'avait pas ménagé son
candidat. Charles Vernier,
s'il était élu,
ne
serait que
« un
paravent
prestige religieux ne servirait qu'à couvrir les plus
besognes et les combines les plus frauduleuses ». Le comité
doit aussi expliquer le choix de Pouvana'a à la candidature :
Si l'on en vient à ses capacités intellectuelles,
évidemment, on pourrait trouver mieux... Est-ce que la politique
serait l'apanage d'une classe unique de gens instruits et tout
puissants...? Il est irréprochable, toute sa vie est un exemple de
[...] et
son
basses
«
bonté, de travail et de sagesse...
Beaucoup s'étonnent de la violence de ses arguments.
Pourquoi de la timidité ? Son programme n'est-il pas celui des
«
forts ?»
Les amis de Pouvana'a ont tout à craindre
des moyens
utilisés par leurs adversaires : « glisser la pièce », «
boire », « transport gratuit jusqu'aux urnes ». Mais
confiants
initiales
car
les Tahitiens
«
n'en conservent pas
payer
ils sont
moins leurs idées
».
Effectivement, le 22 octobre 1949, les résultats sont les suivants :
Inscrits
20 770
Votants
15 786
Suffrages exprimés
15 688
Pouvana'a
a
Oopa
9 828 voix
Charles Vernier
4 680 voix
Emile Vernaudon
1 180 voix.
Société des
Études
Océaniennes
à
ELU
�37
«
le
L'élection du leader
populaire est accueillie avec stupeur par
gouvernement et l'opposition conservatrice alliée à la
mafia
»,
écrit Noël Ilari.
L'Eglise catholique semble gênée par l'élection de
Monseigneur Mazé attend quelques mois pour
réagir officiellement. Après avoir rappelé quelques principes
fondamentaux, l'évêque adjure les catholiques tahitiens en ces
Pouvana'a.
termes
:
Que nos fidèles se rappellent ces principes au moment
de voter pour un candidat. Qu'ils se gardent des loups qui se
couvrent de la toison des brebis ; qu'ils se gardent des slogans
de parti, de préjugés, des sentiments de haine ainsi que des
«
hommes
qui ne se soucient aucunement d'eux, ni de la religion
qu'ils professent.
Tout le monde sait comment les catholiques, en divers
pays, ont été amenés à voter pour des communistes qui ne
cherchent qu'à nous perdre en faisant appel à la haine des
«
classes et
aux
laissent pas
sont
revendications démesurées. Que nos fidèles ne se
tromper par les promesses extravagantes qui ne
guère tenues...».
Le gouverneur,
agacement. Quant au
de son côté, dissimule mal son
président Millaud et à plusieurs
membres de l'Assemblée, ils ne cachent pas leur déception,
voire leur amertume. Le président trouve le suffrage universel
injuste. Les rapports se tendent vite entre l'Assemblée et
Pouvana'a. Le 9 décembre, les conseillers entendent les plaintes
contre les agissements du député qui serait allé de district en
district critiquer l'Assemblée. Il aurait dit aux populations
qu'elles pourraient obtenir tout ce qu'elles désireraient grâce à
la « possession d'une carte permanente Pouvana'a ». Et Marcel
Tixier, maire d'Uturoa, tient ce propos désabusé :
à Raiatea, il a été fait des promesses à la population,
impossibles à tenir, et celle-ci le croit tout de même. »
«
Société des
Études
Océaniennes
�38
le député ne se presse pas d'aller à Paris
mandat. Il fait la tournée des districts et des îles, et ne
Il est vrai que
remplir son
quitte la Polynésie que le 16 décembre 1950.
Entre temps, Pouvana'a et ses amis ont profité du succès
électoral pour
transformer le
«
Comité Pouvana'a
» en
parti
politique.
III / LE PREMIER GRAND PARTI DES E.F.O. : LE R.D.P.T.
III.l./ Du
«
Comité Pouvana'a
» au
R.D.P.T.
congrès constitutif du
Démocratique des Populations Tahitiennes
(R.D.P.T.). A cette occasion le nouveau parti expose et adopte un
projet politique. Celui-ci part d'une constatation : les principes de la
République sont violés à Tahiti. Le système colonial perdure. Le
pays est tombé entre « les griffes d'une poignée de profiteurs »
(Compagnie française des phosphates, groupe des exportateurs...),
lesquels, d'ailleurs, peuvent très bien être des autochtones, et qui
spolient la propriété tahitienne. A l'exploitation économique,
répondent des « conditions sanitaires et sociales à l'état primaire ».
S'ajoute à cela un système colonial au sens d'absence de liberté : le
droit de pétition n'existe pas, l'Administration contrôle tout.
Système colonial aussi au sens raciste du terme : « les inégalités
raciales et sociales subsistent, tant dans la répartition des charges
que du point de vue salaires et traitements ».
Le 17 novembre 1949
se
tient le
Rassemblement
Le document fait état des
-
donner
aux
-
-
-
-
-
-
propositions du R.D.RT. :
davantage de pouvoirs à l'Assemblée représentative et
Conseils de districts,
océaniser les cadres par
le développement de l'enseignement,
développer les libertés,
appliquer les lois sociales métropolitaines sur le Territoire,
réviser la fiscalité et réduire les « sur profits »,
créer des coopératives,
enseigner la langue tahitienne.
Société des
Études
Océaniennes
.
�39
La lecture de
ce
de la
lettre, montre
Nous
verrons
projet politique, si
une
on
le prend
au
pied
orientation nettement socialiste.
c'est une façon trop formelle de considérer
programme. Mais c'est bien ainsi qu'ont prétendu le lire
les adversaires du parti.
que
ce
Des sections sont créées
Tous les archipels
pouvoir faire connaître publiquement leurs
revendications », écrit Pierre Dilhan dans son historique du
parti.
partout.
«
vont ainsi
Grâce
tableaux dressés par
Ar Grand, on connaît
dirigeants des sections. Te Aratai les recense également
dans la partie du bulletin en langue tahitienne. La quasitotalité des dirigeants dans les districts et les îles sont
qualifiés d'« exploitants agricoles ». Si cette donnée confirme
l'enracinement populaire du parti, cela ne permet pas
d'établir une véritable sociologie tant l'expression peut
recouvrir des situations diverses. Notons simplement,
comme Ar Grand,
que les « intellectuels », les fonctionnaires,
sont écartés des fonctions dirigeantes.
aux
les
Le 23 avril
réellement le
1950,
congrès organise
un nouveau
parti, dont voici les principaux dirigeants
Président
Pouvana'a
:
Vice-présidents
a
:
Oopa
Anthelme Buillard
:
Henri Auméran
Secrétaire
Jean-Baptiste Céran-Jérusalémy
:
Secrétaires
adjoints
:
Christian Bodin
Tutea Uraarii
Jean Alexandre
Trésorier
:
Trésorier
adjoint
Assesseurs
:
Félix Gibson
Jacques Tauraa
:
Henri Nimau
Jean-Pierre Micheli
Société des
Études
Océaniennes
�40
De
adoptés définitivement. Les
s'organiser en syndicats et coopératives (comme
on le trouve dans les statuts des partis de gauche métropolitains).
Pour déjouer les critiques qui, déjà, ne manquent pas de se
développer, le congrès précise :
nouveaux
statuts sont
militants doivent
Nous
réunis
française, mais pour la défendre ».
«
ne sommes
pas
pour
combattre la présence
D'après le bulletin Te Aratai, à cette date, le R.D.P.T. a déjà
plus de cinq mille adhérents. Les progrès
semblent rapides. Dès la fin de l'année, il y aurait déjà cent
sections et huit mille deux cents adhérents. D'après Ar. Grand, en
1951, il y aurait cent vingt-et-une sections et douze mille
adhérents. Or, le 2 septembre 1951, lors des élections législatives,
Pouvana'a a Oopa obtient précisément 12 096 voix. Il y aurait
donc un phénomène extraordinaire. Tous les électeurs d'un parti
seraient membres de celui-ci. La comparaison avec la vie politique
métropolitaine où les partis ont des effectifs squelettiques (à
l'exception du P.C.F.) pourrait laisser sceptique l'observateur
inexpérimenté. Essayons d'expliquer cette étonnante situation.
soixante sections et
Une
du R.D.P.T.
première remarque : le phénomène constaté à propos
se reproduit quarante ans après avec le Tahoeraa. En
1991, le nombre d'adhérents recensés
17901
1991,
aux
îles-du-Vent est de
d'après le récapitulatif mis à jour le 24 juillet. Or, le 17 mars
élections territoriales, la liste emmenée par Gaston
aux
Flosse recueille 17 780 voix.
Une deuxième remarque : la vie politique, à Tahiti, c'est la
vie sociale tout court. Si un chef de famille adhère à un parti, il
entraîne derrière lui
famille
proche ou sa famille au sens large
qu'on lui donne en Polynésie. Puisque tel chef de famille soutient
untel, il n'y a pas à se poser de question, il faut le suivre. La
réussite sociale du groupe dépend de ce système de relations. Il
n'est
sa
guère possible de rester en dehors.
Société des
Études
Océaniennes
�41
Le
témoignage du président de la section de Tautira,
Ar. Grand, le montre bien. C'est le père de famille
qui est chargé de récupérer les cotisations parmi ses enfants
recueilli par
adultes.
Les réunions dans
lesquelles on élit le bureau des
général chaque année - telles que les décrit Ar.
Grand, reflètent le système de relations propre à des territoires
comme Tahiti. Il s'agit
de véritables réunions de familles du
lieu avec prière inaugurale d'un diacre ou d'un ancien. Le
bureau est composé de façon à tenir compte du nécessaire
équilibre entre les diverses confessions religieuses et les
groupes familiaux. Dans les réunions habituelles des sections,
les jeunes gens n'ont pas la parole. Parler est le privilège des
chefs de famille. Ceux-ci ne cherchent pas à convaincre mais à
prononcer le « plus beau discours », c'est-à-dire celui où l'on
aura amené les versets
bibliques les plus appropriés. Les sujets
abordés ne concernent ni une quelconque idéologie et
rarement les problèmes politiques proprement dits. On reste
dans l'ordre des préoccupations concrètes : les prix, les
emplois, l'approvisionnement en eau, la scolarité et l'état
sanitaire. L'encadrement de la population n'est pas seulement
religieux, il est aussi le fait du parti. « Dans les sections, écrit
sections
-
en
Grand, le rôle du Président et de l'assesseur est
essentiel, ces deux personnages sont chargés de l'organisation
encore
Ar.
politique à la base et rien ne leur échappe sur les mouvements
de la population dans leur district ou leur quartier. Ils
connaissent parfaitement les liens familiaux qui unissent les
hommes et les femmes de leur communauté
».
développement du parti montre bien cette structure
particulière de la vie politique locale. La « publicité » se
fait par les réunions publiques, par les parents et amis, par les
pasteurs. De Pouvana'a, on parle donc à toutes les occasions
de la vie sociale. Pouvana'a répond à une attente.
Le
très
Société des
Études
Océaniennes
�42
plupart des habitants possèdent une (ou des) carte (s)
parti (s). Tous les témoins de cette époque nous ont confirmé
Timportance sociale des appartenances politiques, que ce soit en
ce qui concerne le R.D.P.T. ou les forces politiques adverses. Pour
Nedo Salmon, par exemple, avec une carte de TU.D.S.R, on avait
accès à Tétude de Maître Hoppenstedt ou plus tard de Maître
Bambridge pour régler les problèmes de terre. Les employeurs
proches du parti déposaient des offres de travail qu'on pouvait
alors proposer à ceux qui venaient à Tétude. Nedo Salmon utilise
l'expression de « service social » pour qualifier l'activité politique
La
de
des deux avocats cités. Dans
intitulé
un
article du bulletin du R.P.F.,
les
passions politiques à Tahiti », l'éditorialiste critique
vigoureusement les mœurs du Territoire à tous les niveaux. Si les
élus sont peu actifs, c'est qu'ils sont « à l'image de leurs
électeurs ». Les responsables des partis remplacent « le travail par
l'agitation et l'agitation par la parole...» On les voit « se renseigner
discrètement pour savoir si, au parti adverse, le coup de main ne
serait pas plus efficace... auquel cas...!» L'électeur n'est par
épargné par la critique : il « va franchement frapper à plusieurs
portes à la fois... une carte du parti est un placement avantageux
qui doit « rendre » à brève échéance ». Le système fait donc que
l'élu n'est pas considéré du point de vue général, mais en raison
directe des avantages que Ton obtient...».
«
«
le succès du
l'extraordinaire convivialité qui a existé entre les
dirigeants du parti et la masse des Tahitiens. Enfin « l'autochtone
a
quelqu'un à qui raconter ses petits et gros mécomptes... et il
Pierre
Dilhan, plus nuancé, a expliqué
R.D.P.T. par
adore cela
que
».
Et Pierre Dilhan montre la différence entre l'accueil
le Tahitien reçoit
R.D.P.T. Le
«
Bureau
au « Bureau des Affaires Tahitiennes » et au
deux défauts : l'interlocuteur est toujours
» a
cet air méprisant et distrait
Une toute autre attitude, au R.D.P.T.,
trop pressé et parle au Tahitien
de l'homme
supérieur
plaît aux Tahitiens :
».
Société des
« avec
Études
Océaniennes
�43
...les autochtones ont pu
raconter tout à loisir leurs petits
problèmes, soit à leur chef de section, soit au député lui-même... on
a commencé à les
guider et à les conseiller, même si leurs entrevues
sont restées sans suite et même si les conseils n'ont pas toujours
été
sont
ravis...
judicieux, ils en
Enfin quelqu'un semble les prendre
pour quantité non négligeable... On les écoute ! »
«
Pierre Dilhan montre que
grâce aux publications (le bulletin
parti, Te Aratai paraît assez régulièrement en français et en reo
maohî), aux sections, les habitants ont « une vue plus claire de leurs
du
droits
».
La réussite de Pouvana'a
considéré par
tient, d'une part au fait qu'il a été
les Tahitiens comme l'un des leurs, d'autre part à sa
capacité de persuasion qu'il pourrait résoudre les problèmes. La
réussite s'explique aussi par la liaison établie entre le parti et les
syndicats nouvellement créés.
Il est vraisemblable que ce sont des métropolitains expatriés,
sympathisants communistes, qui ont créé des syndicats adhérents à
la C.G.T. A la fois pour les contrecarrer et pour suivre les vœux du
Saint-Office, Monseigneur Mazé invite les catholiques à
l'engagement syndical. Cela rejoint les préoccupations d'Alexis
Bernast, un ingénieur métropolitain, chassé de Wallis pendant la
guerre pour activités pro-vichystes et venu s'établir à Tahiti. Frantz
Vanizette a aussi le souci de créer des syndicats. Ces deux hommes
sont plutôt hostiles au R.D.P.T. mais ils vont néanmoins militer au
sein de sections syndicales de la C.F.T.C. avec des membres du parti
de Pouvana'a. C'est l'un d'eux, Christian Bodin, qui préside à partir
de décembre 1951,1'« Union territoriale des syndicats chrétiens de
Tahiti », dont Jean-Baptiste Céran-Jérusalémy est aussi le secrétaire.
Les congrès du R.D.P.T. ne cessent de répéter que les travailleurs
doivent rejoindre les organisations syndicales. A l'inverse, dans son
rapport d'activité de 1953, Christian Bodin écrit : « à ma
connaissance, il n'y a guère que le R.D.P.T. parmi tous les partis
locaux, qui nous ait donné des garanties formelles en faveur de la
promotion ouvrière et la libération des travailleurs ».
Société des
Études
Océaniennes
�44
III.2./ Un parti dominant, mais
Plusieurs
problèmes
des faiblesses notoires
se posent quant
à la cohésion du parti
et à sa cohérence.
S'agit-il d'un parti démocratique ?
après la Deuxième guerre mondiale que les
peuvent participer à la vie politique locale et nationale. Il
n'y a pas de tradition politique et les premiers Tahitiens qui veulent
fonder des partis cherchent tout naturellement des modèles en
métropole, sans pour autant adopter totalement organisation et
idéologie des formations françaises. C'est un membre communiste
de l'Assemblée de l'Union française, G. Lachenal, qui a inspiré à
Jean-Baptiste Céran-Jérusalémy une organisation calquée sur le
parti communiste français. Localement, on en a retenu les sections
politiques, un organigramme, la liaison avec les syndicats et les
coopératives. A lire certaines critiques, on pourrait même penser à
un « centralisme démocratique ». Noël Ilari a ainsi dépeint le
fonctionnement des organes dirigeants :
C'est seulement
Tahitiens
Un Comité directeur achève... de
prendre des décisions qui
présentées à l'Assemblée générale. En fait, ces décisions sont
pensées par Céran-Jérusalémy aidé de Florisson, rédigées par
Céran-Jérusalémy et présentées par quelques membres, toujours les
«
seront
mêmes, faisant fonction de rapporteurs. Céran-Jérusalémy frappe
sur la table, la discussion est close, le projet toujours adopté, sans
éclat de voix. Ici, si l'on veut se donner de l'importance, il y a lieu de
surveiller
sa
tonalité
d'expression ».
Mais Noël Ilari lui-même
parle plutôt d'« autoritarisme »
de « centralisme démocratique ». Ses démêlés avec JeanBaptiste Céran-Jérusalémy et Jean Florisson expliquent sans doute
ce
regard sévère. Mais il est vrai que la personnalité de Jean-Baptiste
Céran-Jérusalémy a suscité bien des oppositions et même des
scissions au sein du parti, à partir de 1953.
que
Société des
Études Océaniennes
�45
Si
l'organisation du R.D.P.T. rappelle le P.C.F., mais aussi la
S.F.I.O.,
réalité elle reste familière aux Tahitiens. La majorité des
adhérents ne sont pas dépaysés par ce parti où « les responsables
sont choisis par la base et non
imposés par l'appareil du parti ».
L'organisation est en effet proche du système presbytéro-synodal
qui est celui de l'Eglise évangélique. Pour autant, le R.D.P.T. s'est
attaché des militants venus de tous les horizons religieux.
en
Enfin, il ne faudrait pas penser que le R.D.P.T. a été
un parti
machine parfaite. En 1958, Jean Florisson
déplore que le R.D.P.T. ne soit même pas en possession de ses
propres statuts. Déjà nous avons noté la différence entre adhérents
et cotisants. Très rapidement, note Pierre Dilhan, « les plus
pauvres ne pourront ou ne voudront plus verser de cotisations ».
On retrouve ce problème dans tous les partis polynésiens. La
cotisation n'est pas dans les traditions, sauf sur le plan religieux.
Faut-il croire les adversaires du R.D.P.T. quand ils
l'accusent d'être un « parti communiste déguisé » ?
Nous avons montré par cet historique du parti que cette
accusation est peu crédible. De plus, un article de René-Raphaël
Lagarde sur le docteur Florisson montre une fois pour toute
l'inanité des accusations portées contre le R.D.P.T. soupçonné
organisé
comme une
d'introduire le communisme à Tahiti. Autour de Pouvana'a, nous
entourage très divers qui est composé aussi de
métropolitains, anciens militants d'extrême droite, de vichystes.
Populisme de Pouvana'a et populisme d'extrême droite se
rejoignent sans se confondre. Oublié le temps où Pouvana'a
voulait chasser les anti-gaullistes des E.F.O...
C'est là, précisément, qu'est l'une des faiblesses
fondamentales du R.D.P.T. : son absence d'idéologie et de ligne
politique. Ainsi, Pouvana'a, dirigeant d'un parti qui lutte contre le
colonialisme, contre le capitalisme (de nombreux articles de Te
Aratai stigmatisent les « affairistes », les « milliardaires ») qui
soutient les syndicats, s'apparente à la Chambre des députés au
trouvons
«
un
Parti paysan »
de Paul Antier, classé très à droite sur l'échiquier
Société des
Études
Océaniennes
�46
politique. On
avec
verra, en 1953, ce parti plébiscité par les électeurs
des thèmes favorables à l'autonomie, voire à l'indépendance,
réclamer la
départementalisation. En 1958, il suffit d'une
l'idée d'un impôt
majeur depuis la
création du parti.
Le flottement entre plusieurs lignes politiques explique
les
aussi
rivalités internes, celles qui nuisent tant au parti en 1953
manifestation pour que Pouvana'a abandonne
sur le revenu,
qui était pourtant un objectif
d'abord,
en
1958 ensuite.
Le R.D.P.T.,
finalement, est avant tout
parti tahitien qui
correspond bien aux mentalités locales. C'est la situation du
moment qui justifie les actes et les paroles. Si la situation change,
on
agit et parle autrement, sans que la contradiction avec ce qui
précède fasse souci. Parti tahitien encore, le R.D.P.T. se fait le
défenseur du peuple tahitien, en répétant sans cesse : « gardez vos
lagons, vos terres et vos droits ». Il se proclame d'ailleurs « le parti
du peuple, tout aussi bien celui des ouvriers que celui des
paysans ». Cette défense prime toute autre considération. De ce
fait, on ne saura jamais si le R.D.P.T. était seulement autonomiste
ou
indépendantiste. Ce n'était sans doute pas sa véritable
préoccupation, mais c'est cette ambiguïté qui a donné des armes à
ses adversaires.
Jean-Baptiste Céran-Jérusalémy a senti le
problème quand il déclare : « c'est bien parce qu'on peut donner
au mot
"indépendance" les sens les plus divers que la masse
tahitienne est souvent désorientée ». On a souvent relevé que le
mot " tiamaraa " signifie aussi bien indépendance qu'autonomie. Le
mot indépendance est davantage chargé
d'affectivité (au sens
propre, le mot " tiamaraa " signifie " debout et propre ") que de
juridisme.
C'est Franck Richmond
qui résume le mieux ce qu'ont été
les revendications du R.D.P.T.
l'Union
un
:«
dans tous les Territoires de
française s'élève une sorte de nationalisme. Chez
pas très méchant ».
mouvement n'est
Société des
Études
Océaniennes
nous, ce
�47
Ainsi le R.D.P.T.
largement contribué à éveiller les
nolitique. Mais ses leaders, et Pouvana'a en
particulier, n'étaient pas prêts à gouverner. Les deux
expériences de 1953 et 1958 le prouvent.
a
Tahitiens à la vie
Pendant
dizaine
d'années, il a été porteur des
espérances de tous ceux qui ne comprenaient pas pourquoi
un Tahitien était souvent
étranger sur sa propre terre. A cet
une
égard, le R.D.P.T. fait partie du patrimoine polynésien.
Jean-Marc REGNAULT
NOTES
De Curton E., Tahiti 40, Publication de la Société des
Océanistes, n° 31, Paris, 1973
(voir Annexe 21 du livre).
Le 1er septembre 1940, par 5564 voix contre 18, les habitants des îles-du-Vent se
rallient à de Gaulle au cours d'un référendum qui s'est tenu dans des conditions
-
discutables.
-
-
-
De Curton
E., op. cit., p. 102.
E., op. cit., p. 134.
De Gaulle C., Mémoires de guerre, Paris, Pion, édition de 1989
De Curton
en un
seul volume,
p.196.
De Curton E., op.
cit., photo de l'annexe 56.
Coppenrath G., « L'évolution politique de la Polynésie française depuis la
première guerre mondiale », J.S.O., tome XV, n° 15, 1959, p.237 à 265. De Curton
confirme : « les quelques difficultés rencontrées... furent toujours le fait
d'Européens et jamais de Tahitiens ». (op. cit., p. 135).
De Curton E., op. cit., p. 135.
Joseph Lehartel, maire délégué de Pueu. (entretien du 21 mai 1993).
Document produit par Ar. Grand dans sa thèse de doctorat de 3ème cycle,
soutenue en 1981, Pouvana'a a Oopa et nationalisme à Tahiti.
Mémorial Polynésien, Vol. VI, p. 432.
Ilari N., Secrets tahitiens, Journal d'un popa'a farani (1934-1963), Paris, Nouvelles
Editions Debresse, p. 228-229.
Alfred Poroi parle liai aussi de « mouvement séditieux », in Mémorial Polynésien,
vol. VI, p. 92.
D'après Pouvana'a dans le tract cité de 1948.
-
-
-
-
-
-
-
-
-
Société des
Études
Océaniennes
�48
un rapport cité par Ar. Grand, op. cit.
Le 17 février 1942, des troupes américaines
D'après
-
débarquent à Bora-Bora. Il s'agit
les Américains d'empêcher les Japonais de dominer le Pacifique. En réalité,
quand ils quittent l'île, le 2 juin 1946, la base de Bora-Bora n'aura pas joué un
grand rôle dans la lutte contre les Japonais. Mais pendant quatre ans, la
population locale a bénéficié des retombées de la présence américaine.
Correspondance des gouverneurs », lettre n° 552/CAB, du 10 septembre 1949.
Correspondance des gouverneurs », lettre n° 797/S.G. du 29 décembre 1949,
qui cite le rapport de Lassalle-Séré. Voir aussi Archives de l'Outre-mer, Affaires
économiques, 106.
Lextreyt M., « Il y a trente ans : la loi-cadre Defferre (1956) », in B.S.E.O., n° 237,
décembre 1986, p. 24 à 40.
-
pour
«
-
«
-
-
Les
-
Débats, n° 90, 2 au 9 novembre 1959.
J., La France d'Outre-mer, 1815-1962, Paris, Masson, 1992, p. 204.
Binoche
-
Du 30
janvier au 8 février 1944, le général de Gaulle réunit des personnalités des
françaises dont le but est de répondre aux critiques américaines contre le
colonialisme. Le retentissement a été grand, alors qu'en réalité les travaux de la
conférence n'ont pas préparé une véritable décolonisation.
Voir Gille B., Toullelan P.-Y., Le mariage franco tahitien, Papeete, Editions
Polymages-Scoop, 1992, p. 114 à 116.
Ilari N., op. cit., p. 210.
Statuts de l'association déposés au Service des Affaires Administratives de
Papeete.
-Mémorial Polynésien, vol. VI, p. 218.
Mémorial Polynésien, vol VI, p. 219.
Les 29 et 30 mars 1947 éclate une insurrection à Madagascar qui fait de
nombreuses victimes. La répression est alors très rude. Plusieurs milliers de
Malgaches sont tués.
Intervention du député Maurice Viollette. Débats parlementaires, Assemblée
nationale, séance du 8 mai 1947, p. 1512
Voir le récit des événements in Encyclopédie de la Polynésie, vol VII, p. 45.
Reproduit in Ilari N., op. cit., p. 230-231.
Bulletin de presse des E.F.O., n° 36, 5 juin 1946.
D'après le témoignage de Jean-Baptiste Céran-Jérusalémy.
Te Aratai, n° 13,31 janvier 1959.
-
Colonies
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
Te
-
Aratai, n° 5,15 octobre 1949.
E.F.O., du 26 octobre 1949.
Le Courrier des
-
Mémorial
-
-
Mémorial
Polynésien,, vol. VI, p. 257.
Polynésien,, vol VI, p. 259.
Le Courrier des
-
-
-
E.F.O., 12 octobre 1949.
E.F.O., 19 octobre 1949.
lettre circulaire rédigée en tahitien, daté du 1er septembre 1949,
Le Courrier des
Dans
une
Charles Vernier
accuse
Pouvana'a d'être
«
(n°5, 15 octobre 1949). Le bulletin du
l'unisson, capitaliste et pasteur crie (sic)
ligoté
» par
les communistes. Te Aratai,
Comité Pouvana'a » réplique : « à
au communisme ». (Te Aratai,, n°4, 22
«
septembre 1949).
Société des
Études
Océaniennes
�49
-
-
-
-
-
-
-
Te
Te
Aratai,, n°5,15 octobre 1949.
Aratai,, n°5/15 octobre 1949.
Débats
parlementaires - Assemblée nationale, 1949, p.6685.
Ilari
N., op. cit.
Le Semeur, 7 septembre 1950.
Procès-verbal de l'assemblée représentative, séance du 9 décembre 1949.
Te Aratai,, n°7,1er décembre 1949.
Te
Aratai,, n° 14, 7 février 1959.
Ar., op. cit., p. 145 et suivantes.
Te Aratai,, n° 17,29 avril 1950.
Te Aratai,, n° 32,16 décembre 1950.
Te Aratai,, n° 57 du 16 février 1952, se contente de compter «
plus de sept mille
cotisants », faisant sans doute une distinction entre adhérents et cotisants.
-
-
Grand
-
-
-
Dans
sa
thèse Ar. Grand donne
un
tableau de l'évolution des adhérents
section de 1950 à 1958 (voir page 161 et suivantes) en utilisant les chiffres des
de cartes. On aboutit alors à une grande irrégularité suivant les années.
Prenons un exemple :
par
ventes
Année
UTUROA
Ensemble de l'île de RAIATEA
1950
31
450
1951
120
535
1952
0
90
1953
132
543
1954
112
430
1955
80
416
1956
25
263
1957
60
271
1958
77
368
Ces chiffres erratiques ne sont pas critiqués par Ar. Grand, ce qui est
dommage. Notre propre expérience (recherches non publiées sur la Fédération du
Nord de la S.F.I.O.) nous a appris qu'on ne pouvait nullement se fier aux archives
des partis en ce qui concerne le nombre d'adhérents, non pas parce qu'il y aurait
volonté de truquer, ce qui arrive pourtant, mais parce qu'il faut tenir compte des
erreurs, des négligences, des scissions provisoires, de la conjoncture de l'emploi,
des tiraillements entre la direction du parti et les sections ou les fédérations.
On notera simplement que quelques années semblent marquer une plus
grande mobilisation : 1951, 1953, 1958. En 1951, c'est la réélection de Pouvana'a à
la députation. Début 1953, le R.D.P.T. emporte les élections territoriales. En 1958,
Pouvana'a est vice-président du Conseil de gouvernement.
-
Entretien
avec
Marcel Tuihani, chef de cabinet du Président Gaston Flosse et
membre du conseil
politique du Tahoeraa Huiraatira.
Société des
Études
Océaniennes
�50
-
Grand
Ar., op. cit., p. 169. Le président de section dit encore : « ce paiement est
sur
plusieurs semaines car la plupart des membres sont ouvriers et ne
effectué
peuvent payer en une seule fois
».
Citation extraite de la thèse d'Ar.
Grand, op. cit., p. 169.
emprunté également ce qui précède.
U.D.S.R. = Union Démocratique et Socialiste de la Résistance. Parti fondé en
métropole par René Pleven et François Mitterrand à la Libération. Alfred Poroi
crée une section locale du parti en 1950. C'est cette section qui est « l'ancêtre » du
-
Nous lui
avons
-
Tahoeraa Huiraatira.
-
Nedo
Salmon, entretiens radiodiffusés avec Mme Michèle de Chazeaux
avril, 9 et 16 mai, 13 juin 1992.
:
émissions des 11
R.P.F.
Rassemblement du
Peuple Français. Parti politique fondé par le général
Papeete en août
1950 par Walter Grand et Franck Richmond.
Te Ara O Oteania, n° 28,16 septembre 1955.
-
=
de Gaulle
en
avril 1947. Une section locale du R.P.F. est créée à
-
-
-
-
Te
Aratai, n° 14, 7 février 1959.
Te Aratai, n° 14,7 février 1959.
Te Aratai, n°
15, 14 février 1959. Notons qu'en 1952, le bulletin est tiré à 1600
exemplaires.
Encyclopédie de la Polynésie, vol IX,
Le Semeur, janvier 1950.
Te Aratai,, n°7, juillet 1953.
Ilari N., op. cit., p. 254.
Grand Ar., op. cit..
-
p.
20.
-
-
-
-
Te Aratai,, n°
15, 14 févrierl959. En 1952, le montant de la cotisation annuelle
1952).
s'élève à 50 francs (Te Aratai,, n°58,29 février
To Tatou Aveia, n°l, 26 novembre 1949.
-
-
Te
-
Par deux
Aratai,, février 1953.
fois, le R.D.P.T. largement vainqueur des élections perd rapidement le
contrôle de l'assemblée territoriale en 1953 et du gouvernement en 1958.
Te Aratai, n° 69,16 août 1952.
Te Aratai, n° 69,16 août 1952.
Te Aratai, n° 55,25 juin 1960.
Procès-verbal de l'Assemblée territoriale, séance du 16 avril 1956. Notons qu'à
cette date F. Richmond est momentanément allié au R.D.P.T.
Jusqu'en 1955, il en
-
-
-
-
avait été l'adversaire. Il le redevient
en
Société des
1958.
Études
Océaniennes
�51
L'ETHNOARCHEOLOGIE
:
POUR QUE
LE PRESENT ECLAIRE LE PASSE
Les recherches archéologiques, au plein sens du terme,
c'est-à-dire
le
à la
fouille, sont fort
Polynésie française, les premières ayant été
pratiquées par R. Suggs aux Marquises à la fin des années
cinquante (Suggs : 1961). Permettant d'accéder à une certaine
récentes
avec
recours
en
connaissance des sociétés
périodes les plus reculées,
l'archéologie a totalement renouvelé le savoir sur le passé
des Polynésiens. Ainsi, au fil de ses découvertes, a-t-elle
repoussé au delà de notre ère l'ancienneté du premier
peuplement de la Polynésie orientale. De même, la typologie
comparée a autorisé, à titre d'hypothèse de travail,
l'élaboration de plusieurs modèles concernant le processus
de colonisation des différents archipels et la définition, pour
chacun d'eux, des séquences culturelles rendant compte des
évolutions particulières (Sinoto : 1970, Kirch : 1986, Conte :
1992). Pourtant, eu égard aux nouvelles exigences qu'ont fait
naître, à travers le monde comme en Polynésie, le
développement de la discipline elle-même et l'accroissement
des connaissances, les données sur lesquelles s'appuient les
raisonnements des archéologues ont montré leurs limites
intrinsèques. En effet, l'archéologue ne se donne plus
aujourd'hui comme objectif prioritaire l'établissement de
repères chronologiques ; il souhaite reconstituer les modes de
aux
vies du groupe qu'il étudie, pour un moment donné comme
sur la
longue durée, sur un site ou à une échelle plus ample.
Pour ce faire, il aspire à restituer autant les techniques
d'acquisition et de traitement des ressources alimentaires ou
autres, que les formes prises par l'organisation des sociétés
humaines concernées, leurs croyances, leurs rituels, etc.
Société des
Études
Océaniennes
�52
Il
dire
qu'à partir des sources archéologiques,
à savoir les traces laissées dans le sol par les activités
va sans
humaines,
on
saisit mieux les bases matérielles d'une société
que ses productions spirituelles : une danse, une prière
laissent notablement moins de traces que la cuisson des
aliments
la construction d'une maison. Pour autant, la
reconstitution des activités économiques ne se révèle pas une
ou
tâche aisée.
Pour
pallier les lacunes inhérentes aux sources
archéologiques, des chercheurs américains, dont Binford fut
le chef de file, regroupés dans un courant de pensée baptisé
New Archaeology », (Binford : 1968, Gould : 1980) tentèrent
de renouveler les perspectives et les approches de la
discipline. Ils aboutirent à la définition et à la mise en œuvre,
parfois de manière contestable et outrancière, de démarches
que l'on désigne sous le terme d'ethnoarchéologie.
Le principe de base de l'ethnoarchéologie consiste à
procéder à des enquêtes ethnographiques sur des
populations actuelles pour y recueillir des données
susceptibles de résoudre des problèmes archéologiques. Une
telle démarche trouve un terrain de prédilection dans des
régions où, comme en Polynésie, demeurent présents, ne
serait-ce que dans les mémoires, certains aspects de la culture
pré-européenne.
«
une dizaine d'années, une telle approche a été mise à
contribution pour l'étude des activités de subsistance des
Depuis
anciens
Polynésiens, activités dont on retrouve des vestiges
qui ont mieux survécu que les autres traits
culturels aux changements intervenus depuis l'arrivée des
Européens.
en
fouille et
Pour illustrer la démarche
ethnoarchéologique, on
présentera ici son utilisation pour l'étude de la pêche
ancienne en Polynésie française (Conte : 1988).
Société des
Études
Océaniennes
�53
La
pêche, est-il besoin de le rappeler, fut toujours et
une activité centrale des
Polynésiens. Rien
d'étonnant à cela pour des populations que leur
environnement écologique contraint de vivre en quasisymbiose avec le milieu marin dont elles tirent une part
parfois essentielle de leur alimentation.
demeure
Les données
archéologiques relatives à la pêche sont
pour l'essentiel constituées par les restes osseux et coquilliers
des proies consommées et par les vestiges des engins de
pêche (hameçons, en nacre pour la plupart, pierres de lest
pour les filets, harpons, etc.). On peut, après détermination
des vestiges osseux, dresser l'inventaire des ressources
marines exploitées par les anciens occupants d'un site ; mais
pour utile qu'elle soit, cette indication ne saurait être
suffisante. L'univers intellectuel des hommes du passé étant
le plus souvent inaccessible à l'archéologue, ce dernier
souhaitera, de manière plus prosaïque, obtenir quelques
informations sur les techniques de capture qu'ils
employaient, sur l'organisation des activités, la distribution
des produits, etc. Or même ces informations, minimales
quand il s'agit de reconstituer la vie d'un groupe, il ne peut y
accéder grâce aux seuls vestiges dont il dispose : tout le
matériel confectionné en végétal ayant disparu, ne restent
que les hameçons dont il est bien incapable de dire qu'elles
espèces ils servaient à prendre...
A la
période du contact avec les Européens, les
ethno-historiques viennent s'ajouter à celles fournies
par l'archéologie. Mais les navigateurs et les missionnaires
s'attachent surtout à décrire les méthodes les plus
spectaculaires (pêche au thon, à la bonite, etc.) et leurs
informations, malgré leur indéniable intérêt, sont
difficilement utilisables pour interpréter le matériel
archéologique ancien.
sources
Société des
Études
Océaniennes
�54
La démarche
ethnoarchéologique offre la possibilité
les seules sources
archéologiques et ethno-historiques. Son postulat de départ
réside dans l'idée qu'il est possible de mieux comprendre la
pêche ancienne des Polynésiens par l'étude des pratiques
actuelles ou la reconstition, grâce à l'enquête orale, de celles
depuis peu disparues. Elle s'applique avec une certaine
sécurité car, en raison de la faible ancienneté de l'occupation
humaine de ces îles, les pêcheurs d'aujourd'hui évoluent
dans des milieux écologiques très ressemblants, si ce n'est
identiques, à ceux des occupants des sites archéologiques les
plus anciens et y recherchent les même proies. En outre, la
place conservée par la pêche dans la vie quotidienne des
Polynésiens et la transmission du savoir qui en assure la
d'aller
au
delà des limites circonscrites par
pérennité, établissent en la matière une certaine continuité
culturelle entre le passé et le présent qui rend la démarche
fructueuse.
L'enquête ethnographique se donne donc pour objectif
l'information, la plus détaillée possible, sur le
milieu naturel et les poissons et surtout sur la manière dont
de rassembler
deux
paramètres conditionnent le choix des procédés de
pêche, des stratégies de capture, etc. Dans un deuxième
temps, ces données doivent être réutilisées pour
l'interprétation des vestiges archéologiques.
ces
Des études
ethnographiques furent donc entreprises
plusieurs îles représentatives des différents
archipels et choisies pour leur isolement. En ces lieux,
pensait-on, plus grandes étaient les chances d'observer ou de
reconstituer par l'enquête orale auprès des personnes âgées,
des pêches ressemblant aux anciennes méthodes et donc
porteuses de l'information la plus aisément réutilisable. On
put ainsi étudier et même filmer de vraies survivances de
techniques pré-europénnes : fabrication d'un hameçon en
en
1980-81 dans
Société des
Études
Océaniennes
�55
et d'une
ligne
(Pipturus argenteus) à Maupiti, par
exemple. Mais ces observations, quoique précieuses, ne
fournissaient que des données ponctuelles ne pouvant servir
à élaborer des modèles généralisables. En outre, ces
techniques exceptées, il fallut se rendre à l'évidence qu'en
raison de l'introduction massive d'engins de pêche
importés,
l'information recueillie, même sur le milieu et les
poissons,
n'était qu'indirectement exploitable dans une perspective
ethnoarchéologique.
nacre
en roa
La collaboration établie
en
1981
avec
l'association
culturelle Tamariki Te Puka Maruia, qui regroupe les habitants
des atolls de Napuka et Tepoto, aux Tuamotu, devait au
terme de plusieurs années d'étude aboutir à la collecte de
données d'une richesse
jusque là insoupçonnée.
Pour diverses raisons
qui tiennent notamment à leur
économique de leurs
richesses naturelles, ces atolls, évangélisés depuis à peine un
siècle, sont restés plus tardivement que la majorité de ceux
qui constituent l'archipel des Tuamotu, en dehors des
profonds changements socio-économiques qui ont affecté les
îles de l'actuelle Polynésie française. Ainsi, certaines
pratiques, disparues depuis une ou deux générations ailleurs
aux Tuamotu, sont encore en usage à Napuka et
Tepoto. C'est
dire l'intérêt et l'urgence qu'il y avait, même hors de la
isolement de Tahiti et
au
faible intérêt
finalité
particulière de l'utilisation d'un tel corpus par
l'archéologie, à décrire par le détail ces dernières survivances
d'activités traditionnelles menacées de profonds
bouleversements, si ce n'est de disparition, et d'enregistrer
des connaissances que seuls détiennent encore quelques
anciens dont plusieurs sont depuis décédés. Loin d'être
l'exclusive du chercheur, cette préoccupation conservatoire
fut
une
attente des
habitants de
ces
îles, motivant leur
collaboration entière et bénévole.
Société des
Études
Océaniennes
�56
L'enquête orale auprès des vieux de Napuka et
Tepoto, la reconstitution par eux d'activités de nos jours
délaissées mais qu'ils pratiquèrent dans leur jeunesse, la
prise en compte de connaissances héritées de leurs parents et
grands-parents, fournissent la description de plus d'une
centaine de pêche et une somme considérable d'informations
sur
les
connaissances
traditionnelles
l'environnement naturel, les
fonctionnement des engins
concernant
comportement animaux, le
de pêche, les préparations
culinaires, l'organisation des activités de pêche, les rituels,
etc.
Ce
recueil, dont il n'y a pas d'équivalent en Polynésie,
justifie par lui-même ; c'est aussi un outil précieux pour
développer une démarche ethnoarchéologique qui peut
opérer à plusieurs niveaux.
se
On
ainsi estimer que la description
ethnographique des rapports qu'entretiennent les habitants
de Napuka et Tepoto avec leur environnement marin est
globalement pertinente pour les périodes antérieures de
plusieurs siècles à celle envisagée dans l'étude accomplie qui
couvre un
champ historique ne s'étendant guère au delà du
peut
19ème siècle. Sans pour autant affirmer que
par l'ethnographie est identique à une
l'image fournie
réalité depuis
quelques siècles révolue, on peut penser qu'elle en constitue
une
approximation acceptable. En effet, les méthodes de
pêche n'ont connu que de très lents changements après les
contacts pourtant fort déstabilisateurs avec les Européens, ce
qui, révélant une forte structuration du milieu technique,
atteste son ancienneté.
En
poursuivant le raisonnement, il apparaît qu'en
Napuka et Tepoto, le modèle de
l'exploitation des ressources marines mis en évidence dans
ces îles
peut servir à la connaissance de cette activité dans
dehors du cadre restreint de
Société des
Études
Océaniennes
�57
l'ensemble de
l'archipel des Tuamotu, même
périodes reculées et ce pour plusieurs raisons.
pour
les
La
première tient à ce que tous les atolls des Tuamotu
présentent un milieu naturel offrant, plus ou moins
abondantes, les mêmes ressources et opposant aux hommes
les mêmes contraintes. Partout la
pêche était l'activité
principale de subsistance, quoique certaines îles aient
davantage que d'autres développé la culture vivrière en fosse
(Chazine : 1985).
En outre,
confrontées à des conditions écologiques
globalement semblables, les différentes communautés
insulaires présentaient, jusqu'au début du siècle une
homogénéité culturelle certaine, assortie de quelques
variantes locales. Cette unité
se
traduisait concrètement par
l'emploi des mêmes instruments de pêche et l'existence d'un
grand nombre de techniques, croyances, prescriptions
rituelles communes à tout l'archipel (Seurat : 1905, Caillot :
1932, Emory : 1947,1975, Danielsson : 1956).
A considérer
l'exploitation des ressources marines, on
remarque que les variations principales envisageables selon
les îles (importance respective des procédés mis en œuvre,
place occupée par les produits des différents biotopes, etc.)
sont pour l'essentiel fonction de quelques données de base
comme l'étendue, la profondeur et la richesse du
lagon,
existence d'une passe, par exemple.
Moyennant de nécessaires réajustements
de
ces
variations
observé à
Napuka
traditionnelle des
Tuamotu et
ce
fonction
qui a été
décrire l'exploitation
secondaires, l'essentiel de
sera
réutilisable
ressources
même pour
pour
marines sur les 76 atolls des
des temps anciens.
Société des
en
ce
Études
Océaniennes
�58
Certes, pour la connaissance des activités de
subsistance
premières périodes d'occupation des atolls,
l'enquête ethnographique ne peut totalement se substituer
aux fouilles
archéologiques. Mais ces dernières, fort peu
nombreuses à ce jour, sont difficiles à mener sur des atolls
plusieurs fois ravagés par les cyclones. Or, du moins pour
l'exploitation du milieu marin, l'information ethnographique
permet de combler cette lacune dans la documentation
archéologique. Lorsque, à l'avenir, celle-ci sera plus
importante, elle pourra d'ailleurs être interprétée aux
Tuamotu d'une manière sans conteste plus pertinente
qu'ailleurs en trouvant appui sur la documentation
ethnographique existante.
Ainsi
aux
donc, à
premier stade, le présent éclaire le
passé pour la simple raison que, d'une certaine manière ce
dernier est toujours vivace, ne serait-ce
que dans la mémoire
de quelques vieux. Mais cet accès au passé
d'un phénomène
par ses survivances, même si se trouvent ainsi accessibles les
croyances, les interdits, les cérémonies, toutes choses dont on
a dit
qu'elles demeurent d'ordinaire hors de portée de
l'archéologue, ne saurait être le seul accomplissement d'une
démarche
un
ethnoarchéologique.
Un deuxième niveau
peut être atteint, tout aussi
important, quoiqu'il n'autorise qu'une connaissance bien
plus parcellaire de la réalité passée. Il s'agit de l'emploi de
l'information ethnologique de Napuka et Tepoto pour
l'interprétation de vestiges archéologiques, même très
anciens, étrangers à l'archipel des Tuamotu.
A titre
d'hypothèse, imaginons l'utilisation de cette
information pour reconstituer les rapports qu'entretenaient
avec le milieu marin les anciens
occupants d'un site des îles
Sous-le-Vent, par exemple.
Société des
Études
Océaniennes
�59
On l'a
dit, divers témoins matériels peuvent être mis à
il s'agit, d'une part, des restes
ichtyologiques et
coquilliers et, d'autre part, des vestiges du matériel de pêche
ayant survécu aux destructions physico-chimiques dont les plus
fréquents sont les hameçons en nacre.
contribution
:
Puisque le milieu écologique d'aujourd'hui est
comparable à celui que connurent les anciens habitants du site,
des enquêtes pourront être menées auprès des pêcheurs actuels
de la
zone
afin de rassembler
une
information
sur
les conditions
de
pêche. Toutefois, l'expérience prouve que, concernant
l'adaptation technique à ces facteurs naturels, les changements
intervenus dans les engins et dans les stratégies de
pêche font que
l'information recueillie s'avérera trop fragmentaire pour
permettre à elle seule de préciser les techniques qui jadis furent
employées.
C'est à
niveau dans
l'interprétation des vestiges
archéologiques que la contribution de l'étude réalisée à Napuka
et Tepoto peut trouver son intérêt majeur. En effet, l'une des
indications fournie par les sources ethno-historiques,
que
confirment autant qu'elles le peuvent les données archéologiques
et qui correspond aux
observations faites à Napuka, est que les
Polynésiens n'utilisaient pour la capture des poissons que trois
procédés principaux (hameçon, piège, foëne), d'autres étant
adaptés à des proies au comportement singulier (poulpes, tortues,
langouste, etc.). Ces procédés se structurent en techniques de
pêche, parfois assorties de variantes. Le choix du procédé, mais
aussi, pour un même procédé, l'adoption de telle ou telle
technique, s'élabore en fonction de deux séries de facteurs.
La première est liée aux caractères des proies recherchées :
leur taille (par exemple, pour pouvoir être atteintes à la foëne ou
pour la résistance des matériaux), leur nombre, leur
comportement (agressivité, rythmes biologiques, etc.) ainsi que
des caractères morphologiques particuliers (dents coupantes, etc.)
ce
Société des
Études Océaniennes
�60
La
deuxième
série
de
facteurs
qui modèlent
l'application d'un procédé en technique opérationnelle est
liée aux conditions de pêche, souvent il est vrai elles-mêmes
dépendantes du comportement animal, c'est-à-dire de la
proie visée : ainsi, c'est l'habitat du poisson qui détermine les
zones à
exploiter, donc par exemple, la profondeur de pêche
et confronte l'homme à des conditions
déterminées. Un
procédé technique, visant une même proie au comportement
changeant, peut, selon le moment, se concrétiser dans des
techniques différentes. Par là même, les proies qui présentent
un
comportement monotone sont accessibles par un nombre
de procédés restreint, voire par une unique
technique,
comme
l'est d'ordinaire la bonite.
Ainsi
donc, pour capturer une proie donnée, les choix
techniques ne sont pas infinis puisque circonscrits par des
facteurs contraignants ; ils peuvent même être fort limités
quand sont visés des poissons dont les caractères
morphologiques et les manières d'être imposent à l'homme
des contraintes rigoureuses et impératives.
Or, l'étude de Napuka et Tepoto fournit, pour plus d'une
centaine de proies, un éventail de techniques de capture
qui
sont autant de points
d'équilibre entre les deux séries de
facteurs mentionnés ci-dessus ; dans tous les cas, en raison
de la permanence des comportements animaux et des
contraintes techniques, autant dans l'espace que dans le
temps, les méthodes analysées sur ces atolls constituent une
base de données sur laquelle peuvent s'appuyer des
hypothèses pertinentes.
Aussi, à partir de l'identification des restes
ichtyologiques retrouvés en fouille, on peut, en connaissance
des astreintes que dicte le milieu en un lieu
particulier,
formuler des hypothèses probables sur les techniques qui
furent employées pour la capture des espèces concernées.
Société des
Études
Océaniennes
�61
Ainsi, partout et de tout temps, les perroquets viennent
manger sur le récif et les procédés adaptés à leur capture
seront la foëne ou le
piégeage, d'une part parce que dans de
(faible profondeur de l'eau, poisson en banc,
etc.) ces procédés sont les mieux adaptés et, d'autre part,
puisqu'il est attesté que ces poissons, une espèce exceptée, ne
mangent que rarement à l'hameçon.
Au delà, déterminer avec quelque précision
l'application concrète qu'eurent ces procédés en techniques
particulières demande d'intégrer au raisonnement l'ensemble
des paramètres qui influent sur l'élaboration d'une technique
telles conditions
et il est évident
plus les conditions écologiques et
considérée s'apparentent à celles de
Napuka et Tepoto, plus fortes sont les probabilités pour que
les techniques qui y furent jadis employées leur ressemblent.
Toujours à propos de la restitution des techniques à
partir des vestiges de faune, l'information recueillie à Napuka
et Tepoto permet aussi de reconstituer les procédés employés
pour pêcher des espèces qui ne figurent pas parmi les proies
des pêcheurs de ces atolls. On a dit qu'il a été possible de
mettre en évidence les rapports d'adaptation mutuelle existant
entre les conditions de pêche, les caractéristiques et le
comportement des proies et les aptitudes des grands procédés
techniques (hameçon, foëne, piège). Aussi, l'information sur le
milieu naturel réunie grâce aux pêcheurs de l'endroit fournira
culturelles de la
toutes les données
hypothèses
sur
que
zone
nécessaires pour permettre de formuler des
les procédés techniques autrefois employés,
Ainsi, par exemple, la capture d'une proie de belle
taille, dont on sait qu'elle fréquente les profondeurs au niveau
du tombant du récif, a posé aux hommes un certain nombre
de
problèmes que nous sommes en mesure à présent de cerner
lesquels nous pouvons imaginer avec une certaine
pertinence les solutions qui y furent apportées.
et pour
Société des
Études
Océaniennes
�62
Après
avoir
évoqué comment la démarche
ethnoarchéologique pouvait renseigner sur les activités des
hommes à partir des vestiges
osseux découverts en fouille, il
reste brièvement à
signaler en quoi elle est aussi précieuse
pour l'interprétation fonctionnelle du matériel de pêche
retrouvé, essentiellement des hameçons en nacre. Il a été
possible d'étudier à Napuka et Tepoto des types d'hameçons
non influencés
par les engins importés et on sait donc à
présent à quelles conditions de pêche répondent les
différentes catégories d'hameçons
archéologiques.
Ainsi, si l'on
trouve
gros hameçon de type indirect,
hameçon dont la pointe forme un angle en
direction de la
hampe, on peut penser qu'il a servi à une
technique de pêche de fond, avec une ligne à main et un lest,
au tombant du
récif, là où se rencontrent des proies assez
importantes pour nécessiter l'usage d'un engin robuste. On
pourra ajouter que pour s'y rendre le pêcheur dut être en
pirogue et supposer, en admettant que comme à Napuka et
Tepoto un interdit empêchait les femmes d'aller au large en
pirogue (ce que suggèrent les sources ethno-historiques), que
c'est un homme
qui usait de cet hameçon. On possède en
outre une idée approximative des
proies recherchées puisque
le nombre d'espèces de belle taille rencontrées en ces
lieux
est
relativement limité et qu'elles appartiennent
principalement aux familles des Carangidés, des Scombridés,
des Lutjanidés et des Serranidés. Les mêmes
déductions
peuvent être tirées de l'analyse des autres types d'hameçons
c'est-à-dire
un
un
archéologiquement connus.
A travers
montrer
ces
quelques exemples,
on aura
les
essayé de
aspects techno-économiques de
l'exploitation du milieu marin, auxquels il faudrait intégrer
le traitement des
proies après leur capture, leurs
préparations culinaires, etc., peuvent être mieux connus
que
Société des
Études
Océaniennes
�63
grâce à
une démarche ethnoarchéologique. Cependant, les
différences culturelles qui existaient entre les entités
géographiques qui composent l'actuelle Polynésie Française,
rendent peu transposables directement les données relatives
à la dimension sociale de cette exploitation. Certes, les
sources
ethnographiques
nous
indiquent qu'aux îles de la
Société, par exemple, comme à Napuka, des prescriptions
concernaient la consommation de certaines
proies telles les
que des tabous régissaient nombre de
comportements sociaux, certains sous-tendus par une
idéologie du sang » dont nous avons décelé la présence
dans la mentalité des Napuka. Disons qu'il s'agit là
d'indications qui peuvent éventuellement éclairer certains
aspects de la vie sociale et spirituelle des hommes dont nous
retrouvons les traces archéologiques dans la mesure où ils
partagent le même substrat culturel avec ceux, plus récents,
dont les pratiques ont été analysées.
tortues ;
«
La démarche
ethnoarchéologique, qui en dehors de la
pêche a été adoptée à ce jour pour étudier la culture en fosses
aux Tuamotu (Chazine : 1985) et les techniques de cuisson
sur l'ensemble de la Polynésie (Conte : 1986, Ghasarian :
1986), pourrait être mise à contribution de manière efficace
pour d'autres thèmes intéressant le passé des Polynésiens
comme
l'horticulture
sur
les îles hautes, la chasse, etc. Sa
implique le chercheur dans le présent des
posant à l'ethnologue du passé
qu'il devient la difficile et passionnante question de l'intérêt
de son travail pour les hommes d'aujourd'hui et de demain.
mise
en œuvre
communautés insulaires,
Eric CONTE
Société des
Études
Océaniennes
�64
Références citées
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Société des
Études
Océaniennes
�65
VALEURS SOCIO ECONOMIQUES
DU MILIEU CORALLIEN RECIFAL
ET DE SES RESSOURCES
ILE DE MOOREA,
ARCHIPEL DE LA SOCIETE
gestion rationnelle de l'environnement naturel et de ses
est indispensable au développement à la fois durable et
harmonieux de l'être humain ainsi qu'à la satisfaction de ses besoins
présents et futurs. Le système économique occidental et les procédures de
prise de décision exigent des évaluations sociales et économiques des
fonctions des éléments du milieu naturel qui constituent cet
environnement naturel. Tel est notre objectif concernant l'écosystème
corallien de Moorea, île océanique en voie de développement (Aubanel,
1993b).
La
ressources
Société des
Études
Océaniennes
�66
1
-
PRESENTATION DU
SUJET ET DES METHODES DE
RECHERCHE
La
et
Polynésie française est un pays jeune dont l'économie,
voie de conséquence la structure sociale, ont subi un
par
bouleversement
considérable
les
dans
années
60,
principalement
avec
l'implantation
du
Centre
d'Expérimentations du Pacifique. Comprendre la situation
actuelle exige la connaissance du passé, de façon à appréhender
sa tendance évolutive,
qu'il s'agisse du milieu naturel ou du
milieu humain (culturel, social et économique). Les données à
cet égard sont peu nombreuses et difficiles d'accès. Le statut de
colonie puis de territoire d'Outre-mer français, récemment
territoire autonome de la Polynésie française n'a guère
facilité
l'accumulation suivie de données puisque les responsables
métropolitains séjournaient de 3 à 6 ans sans quelquefois
rencontrer ni leur prédécesseur ni leur successeur. On
peut dire
que la nécessité de recueillir des données de façon régulière et
cohérente n'a été ressentie que récemment et que le Territoire
court » après ses archives et son histoire. Dans ce contexte, il
nous a fallu rassembler des données la
plupart du temps
éparses et non répertoriées et remonter dans un passé dont
quelques fragments avaient été sauvegardés grâce à l'intérêt
d'une personne ou à la stabilité d'un organisme. De plus, la
plupart des données concernent soit la Polynésie française dans
son ensemble, soit l'archipel de la Société (îles du Vent et îles
Sous-le-Vent qui regroupent 9 îles hautes et 5 atolls), soit les îles
«
du Vent
(Tahiti et Moorea), mais rarement l'île de Moorea seule,
excepté pour la recherche scientifique qui commence dans les
années soixante dix. Le nombre des publications, dont plus de
200 concernent le système corallien de Moorea, témoigne
d'une
bonne connaissance du milieu. Les résultats des recherches
bibliographiques ont été complétées
terrain et
par
auprès de professionnels
des enquêtes sur le
les pêcheurs
comme
lagonaires.
Société des
Études
Océaniennes
�67
2
-
PRESENTATION DE MOOREA
L'île de Moorea, située
à 25 km de Tahiti, est
un
volcan
de 134 km2, né d'un point chaud. Elle bénéficie d'un climat
de type tropical humide aux saisons relativement bien
marquées. Le linéaire de côte est de 70 km. Elle est entourée
d'un récif barrière entrecoupé de 12 passes. Le lagon, d'une
superficie de 49 km2, a une largeur qui varie de 500 à 1.500
mètres. Un chenal parallèle à la côte facilite la circulation des
embarcations.
corallien, l'île est
succession concentrique d'unités
géomorphologiques et de communautés vivantes distinctes.
Le sol issu de roches basaltiques est poreux et favorise la
formation de réserves d'eau. La plaine littorale (altitude
inférieure à 20 mètres), dont la surface est d'environ 23 km2,
est étroite. Le complexe récifo-lagonaire comprend de la
plage à l'océan : une zone frangeante, un chenal, une zone
barrière, une zone frontale émergente à marée basse et qui
fait face à la houle océanique et une pente corallienne
Qu'il s'agisse du domaine terrestre ou
caractérisée par une
externe.
phénomènes naturels dont les impacts ont eu des
conséquences non négligeables sur le milieu corallien de
Moorea, allant dans le sens d'un appauvrissement du
peuplement corallien qui est à la base de l'écosystème, sont
au nombre de trois : a) la prolifération de l'étoile de mer
épineuse, la taramea, qui se nourrit des parties vivantes des
coraux. Ce phénomène est signalé à Moorea en 1974-76 puis
en 1982-83 (Faure, 1989). b) les cyclones dont l'action
mécanique a pu détruire, en 1991 par exemple, jusqu'à 35 %
du peuplement corallien en certaines localités de la pente
externe. A l'intérieur du lagon les fortes vagues ont cassé les
colonies d'acropores parasol fragilisées par la bioérosion. Les
cyclones qui ont dévasté la Polynésie eurent lieu en 1878,
Les
Société des
Études
Océaniennes
�68
1903, 1905, 1906, 1982-83 et 1991. c) les eaux anormalement
chaudes
qui semblent être la
blanchissement des
coraux.
cause essentielle du
Ainsi en 1991, de mars à
septembre, 51 % des colonies ont blanchi et 17 % sont mortes.
Des blanchissements moins important que celui de 1991 ont
été reportés en 1983, 1984 et 1987. Les activités anthropiques
entraînent des dégradations qui se cumulent aux
précédentes, nous les traiterons plus loin.
Des hommes venant du sud-est
asiatique ont peuplé la
Polynésie par vagues successives. Les premiers peuplements
humains pour les îles de la Société se situent aux alentours
du IX ème siècle, en provenance des Marquises. Les premiers
Européens débarquent à Moorea en juin 1769. Possession
française depuis 1842, la Polynésie française jouit d'un statut
d'autonomie interne depuis 1984, et le gouvernement local
détermine les axes de développement économique.
Aujourd'hui l'île de Moorea compte 10.000 personnes contre
2.000
en
1946. La différence entre le taux de croissance de
Moorea de
due à
un
4,5 % et celui de la Polynésie française de 2,6 % est
solde
migratoire positif.
PRESSIONS ET CONSEQUENCES DES ACTIVITES
HUMAINES SUR LE RIVAGE ET L'ECOSYSTEME
3
-
CORALLIEN
La
population résidant dans l'île est irrégulièrement
répartie sur les trois façades : 47 % au nord, 35 % à l'est et
18
«
% à l'ouest. En dehors des deux concentrations
urbaines
habitants
de Afareaitu et de
Paopao (1.864 et 2.413
1988) le reste de la population se répartit tout
»
en
autour de l'île avec des valeurs de
172, 128 et 94 habitants
km linéaire de
rivage sur les façades précitées. La quasi
population réside dans la zone littorale,
la cocoteraie qui ne représente que 23 km? soit
totalité de la
dominée par
au
Société des
Études
Océaniennes
�69
seulement 17 % de la
superficie de l'île. Les touristes, 100.000
par an, équivalent à 1.000 résidents plein temps, sont dans les
12 hôtels à 920 unités hôtelières, presque exclusivement
répartis sur la façade nord.
Parmi les 2.763 personnes actives, 91 % travaillent sur
l'île dont 3/4 sont salariés alors que les autres sont à leur
compte. Les activités humaines se répartissent
respectivement en. 16, 19 et 65 % pour les secteurs primaire,
secondaire et tertiaire. A l'exception d'une usine de jus
d'ananas, on notera l'absence d'industries à Moorea.
Les activités humaines
affectent la ligne de rivage et
l'écosystème corallien proprement dit.
La ligne de rivage de l'île de Moorea s'est modifiée au
fil des années en fonction de la pression exercée par la
population locale et les activités socio-économiques qui lui
sont associées, mais aussi suite à une coutume ancestrale
encore vivace qui considère que le milieu lagonaire est
privatisable. Il ressort que 67 % du linéaire de côte sont
naturels alors que 33 % sont artificiels. Parmi les premiers les
plages de sable blanc représentent 33 %, les zones sablovaseuses 20 %, les roches calcaires ou basaltiques 1 %. Parmi
les rivages artificiels les murets (32 %), mis en place pour
protéger la route en bordure de lagon ou les surfaces
remblayées du récif frangeant, sont les plus importants alors
que les quais, darses, wharfs (7) et pontons (31) représentent
moins de 1 % de la ligne de rivage.
Les conséquences des activités humaines sur le lagon
et les récifs ont entraîne une dégradation progressive du
peuplement de coraux scléractiniaires au bénéfice des macro
algues et de certains groupes comme les échinodermes. Ceci
en raison, très vraisemblablement, d'un enrichissement du
lagon en nutriments (eaux usées domestiques et engrais
agricoles) très favorables aux algues et conjointement à des
perturbations naturelles accentuant la mortalité des coraux.
*
*
Société des
Études
Océaniennes
�70
*
Les
lagonaires dégradées et sensibles ainsi que
ligne de rivage est anthropisée se situent toutes
zones
celles où la
dans des secteurs où les activités humaines ont été et
demeurent
importantes : développement hôtelier et
touristique, équipements collectifs ou aménagement
individuel, extractions de matériaux coralliens
en zone
frangeante.
Entre 1955 et 1986,
l'île de Moorea
a vu son
littoral et
rivage modifié par 20 hectares de remblais sur le lagon et
3 hectares de rivage érodé, soit 0,4 et 0,06 % du complexe
lagon-récif, essentiellement sur les côtes nord et est.
son
4
-
FONCTIONS ET VALEURS
SOCIO-ECONOMIQUES
DES RECIFS CORALLIENS DE MOOREA
Une
approche intégrée nous est proposée par De Groot
(1991, 1992) qui donne une classification des fonctions d'un
milieu naturel réparties en 4 groupes. Le travail qu'il publie
en 1991 concerne
plus particulièrement les zones côtières, qui
nous intéressent en tout
premier lieu, alors que l'ouvrage
qu'il signe en 1992 est de portée plus générale.
Les quatre groupes de fonctions, énumérées dans le
tableau 1, sont les suivantes : a) les fonctions de contrôle des
équilibres naturels et de leurs caractéristiques essentielles ou
particulières, b) les fonctions d'utilisation de l'espace, c) les
fonctions de production grâce auxquelles l'homme retire des
ressources
vivantes et inertes des milieux et
d'information
d) les fonctions
qui concernent les aspects culturels, éducatifs,
médiatiques et scientifiques des milieux concernés. Comme
le souligne De Groot il est possible d'établir pour la plupart
des 18 fonctions, réparties en 4 catégories dans le tableau 1,
une valeur socio
économique et, parfois, une valeur
monétaire. Mais pour certaines fonctions un tel souhait
d'expression de valeur socio économique est impossible. Ceci
Société des
Études
Océaniennes
�71
particulièrement vrai pour les fonctions de contrôle qui
quantifiables, surtout à l'échelle locale ou
régionale. Le problème est moins ardu pour les fonctions
d'utilisation et de production qui s'intègrent plus aisément
dans l'économie du pays et dans les schémas de prise de
décision. Quant à la quatrième catégorie, relevant de
l'information, elle fait appel à des considérations humaines
dans lesquelles les aspects temporels (passé et futur) tiennent
une place prépondérante,
ce qui ne facilite ni leur
quantification ni, à fortiori une estimation monétaire.
De Groot (1991) précise que l'évaluation systématique
de tous les bénéfices des écosystèmes naturels protégés ou
non peut fournir des perspectives étonnantes si la valeur
écologique, socio-économique et monétaire est considérée
dans sa totalité. Cette évaluation systématique de toutes les
fonctions d'un écosystème peut ainsi contribuer à mieux
apprécier l'importance d'un milieu et en assurer une
meilleure gestion dans la perspective d'un développement
est
sont souvent non
durable.
1
-
3
Fonctions de contrôle
Composition chimique océan Climatologie
-
-
Protection des côtes,
-
atmosphère
-
2
-
Ressources
4
Maintien de la biodiversité
-
-
Fonctions d'utilisation
-
-
-
Aquaculture
Sources d'énergie
-
Récréation et tourisme
-
Protection de la nature
Tableau 1
:
Les fonctions
production
génétiques et médicinales
Agrégats
-
-
Stockage et recyclage
Nurseries et migrations
-
Fonctions de
Pêche
-
-
érosion et sédimentation
-
Souvenirs, ornements, curios
-
Fonctions d'information
Esthétique
Historique
-
Culturelle
-
Educationnelle
des écosystèmes marins et côtiers
(adapté de De Groot, 1991)
Société des
Études
Océaniennes
�72
tenté
approche exhaustive des évaluations
économiques, et parfois monétaires, des relations
de hêtre humain avec le milieu corallien de Moorea. Cette approche
Nous
en
avons
une
termes socio
concerne non
seulement les activités actuelles, souvent sur une
base annuelle récente, mais également une approche de l'évolution
des valeurs socio économiques et monétaires au cours des trois
dernières décennies. En la circonstance notre démarche est double.
Il
en premier lieu de faire ressortir l'importance du passé
explicatif de la situation présente dans son contexte
culturel, social et économique. Il s'agit, en second lieu de mesurer
la prise en compte dans le temps et ce qu'a jusqu'alors coûté ces
relations privilégiées de l'homme avec le milieu lagonaire et récifal
dans cette île océanique tropicale en développement.
Au cours de cette démarche nous avons pu quantifier socio
économiquement et/ou monétairement quelques fonctions relevées
par De Groot. Mais toutes n'ont pas été considérées car certaines
n'ont encore fait l'objet ni de réflexion scientifique, ni de
considération à l'échelle économique, ni a fortiori de prise en
compte lors des décisions et choix politiques.
Nous passerons en revue les différentes fonctions relevées
dans la classification proposée par De Groot, en précisant leur
valeur socio-économique.
s'agit,
comme
4.1
-
4.1.1
Les fonctions de contrôle
-
Composition chimique océan atmosphère
Cette fonction fait intervenir les relations entre les
littorales
eaux
qui nous intéressent et l'atmosphère par les échanges
les grands cycles de la matière. Il n'y a pas lieu de
développer cet aspect ici sauf pour rappeler que, bien évidemment,
Moorea, par la petite surface de son récif (49 km2), subira et ne peut
en rien modifier ces relations océan
atmosphère qui concernent
l'ensemble de l'écosystème corallien (700.000 km2) de la planète.
gazeux et
Société des
Études
Océaniennes
�73
4.1.2
-
Climatologie
important de signaler à ce niveau que le milieu que
appartient à une île suffisamment petite (134 km2
de terre émergée, 49 km? de lagon, 70 km de côte) pour subir,
sans
pouvoir les modifier, les influences de l'hydroclimat océanique
parce que leur volume est trop faible pour induire autre chose que
l'accentuation des contrastes dans un même système » (Doumenge
1984). De plus l'éparpillement des îles polynésiennes est tel que là
aussi l'élément terre n'a globalement aucune influence sur
Il est
nous
étudions
«
l'interface air-océan.
une
L'écosystème corallien de Moorea est trop étroit pour avoir
sur le climat de l'île, tout au moins sur les
influence
précipitations, le vent, l'ensoleillement. L'influence de la grande
barrière de corail sur le climat des zones côtières de cette région
de l'Australie, n'aurait pas été étudiée mais il semble (Pichon,
com.
pers.) qu'elle puisse être considérée comme négligeable car il
s'agit d'un écosystème, certes vaste, mais également très ouvert.
Au niveau socio-économique ceci n'est pas quantifiable.
4.1.3
-
Protection des
Ce rôle est
côtes, érosion et sédimentation
majeur pour l'ensemble de l'île. L'écosystème
protège la plaine littorale et donc la quasi totalité des
qui y sont concentrées. Si le récif disparaissait
toutes les activités humaine, actuellement à plus de 85 % sur la
zone littorale, devraient être déplacées en altitude en s'adaptant à
cette nouvelle situation : constructions plus onéreuse à réaliser,
nouvelles cultures à développer, et l'activité liée au lagon
(activités récréatives, transport lagonaire, pêche lagonaire sans
embarcation ou avec les filets placés au niveau des passes)
disparaîtrait. Sur la côte est de l'île de Tahiti, l'absence de récif
barrière émergé donne un aperçu de ce que serait une île haute
sans lagon.
récifal
activités humaines
Société des
Études Océaniennes
�74
La
protection de la plaine littorale est assurée par la
partie vivante et morte du récif. Cette fonction peut être
remplacée par du béton. Le seul ouvrage réalisé sur une île
haute en Polynésie française est la digue de Motu-Uta à
Papeete sur Lîle de Tahiti. Il s'agit d'un mur en béton d'une
hauteur d'environ 5 mètres et d'une largeur variant entre 6 et
2 mètres construit sur un récif émergé. Les premiers travaux
ont débuté dans les années soixante et ont été réalisés en
quatre fois. Si cette digue devait être construite aujourd'hui,
coût serait de 800 millions CFP le kilomètre.
son
Tahiti le coût de construction de la
Faratea, d'une hauteur hors
Toujours à
digue semi-submergée de
eau
de 0,5
m, sur un
récif
immergé
sous 4 et 20 m a été évalué entre 3 et 4 milliards de
francs CFP le kilomètre. Le projet a d'ailleurs été abandonné.
Une étude réalisée
aux
construction et de mise
protéger
un
Maldives
en
1989, évalue le coût de la
place de tétraèdres en béton, pour
plan d'eau de la houle, à 12,5 millions de dollars
en
U. S le
kilomètre, soit environ 1,25 milliard CFP.
Ainsi, le coût du remplacement des récifs coralliens de
Moorea par une structure inerte serait, si l'on se réfère à
différentes techniques et situations, de 0,8 à 1 milliard CFP le
kilomètre, soit environ 70 milliards pour protéger
artificiellement le littoral de toute l'île de Moorea.
4.1.4
-
Stockage et recyclage
Il
s'agit ici des matières organiques, des nutriments et
non
organiques dus aux activités humaines. Tous
éléments tournent dans des cycles en milieu terrestre
des déchets
ces
comme en
milieu marin côtier
avec
des interrelations. Cette
fonction fait
appel à la notion d'épurateur qu'un milieu peut
jouer pour les matières provenant d'un autre milieu. Tel est le
cas des matières
organiques terrigènes qui sont recyclées
dans la zone des estuaires Cette notion fait appel aussi aux
capacités de charge d'un milieu, comme le milieu corallien,
Société des
Études
Océaniennes
�75
face
activités
anthropiques. Nous aborderons ces
questions avec les pollutions terrigènes, les pollutions par les
produits chimiques (pesticides et engrais), les pollutions par
les eaux usées domestiques et industrielles, traitées ou non
par les stations d'épuration ou par fosses septiques, les
pollutions par rejets de déchets solides etc.
aux
*
Les
apports terrigènes : Ils ne sont conséquents que
dans les deux baies.
Demougeot (1989) indique que les
d'Opunohu, étudiées lors d'une
prospection le 11 juillet 1989, en saison sèche, n'affichent
aucun indice
d'apport terrigène important : les matières en
suspension sont toujours inférieures à 5 mg/1. London et
Tucker (1992) donnent pour ces deux rivières des apports
sédimentaires en saison sèche de 5,7 et 1,5 kg par jour, et de
60 et 61 kg par jour en période orageuse. Aucune étude
n'établit le tonnage de ces apports terrigènes à Tannée mais
rivières de Cook et
l'estimation que nous pouvons faire pour une année normale,
c'est-à-dire sans précipitations exceptionnelles, serait de 1 à 2
tonnes
en
saison sèche et de 5 à 10 tonnes
en
saison des
Adjeroud (1992) sur les
peuplements benthiques de la baie d'Opunohu montrent une
répartition en trois zones selon qu'il s'agisse de l'entrée, de la
partie intermédiaire ou du fond de la baie. On note une
pluies. Les recherches réalisées
par
diminution du recouvrement corallien et de la richesse
spécifique de presque tous les taxa de l'entrée vers le fond de
quinzaine d'espèces seulement sont ubiquistes et
se retrouvent sur
presque tous les récifs frangeants de la baie.
Cette situation s'explique par les arrivées d'eaux douces
accompagnées d'apports terrigènes très importants de façons
destructives en raison de précipitations inhabituelles dans un
bassin versant ou les activités agricoles se sont bien
développées depuis une trentaine d'années.
la baie. Une
Société des
Études
Océaniennes
�76
*
Les
apports chimiques : Collet (1987) indique que pour
tonnage des pesticides utilisés pour l'ensemble de la
Polynésie et d'environ 40 tonnes, mais ne donne
malheureusement pas d'informations sur les quantités
importées et utilisées à Moorea. D'après Galzin et al. (1989a)
5 tonnes de produits
pesticides auraient été utilisés à
Moorea ; il s'agit de produits et non de matières actives. Une
1986 le
autre information
nous
pers.). Instaurée
vient du Domaine
d'Opunohu (Hahe,
1966, l'utilisation des pesticides a
été de l'ordre de 10 tonnes par an vers 1972-74, de
près de 5
tonnes annuellement entre 1985 et 1989 ; elle est
stoppée
depuis 1990. Le service de l'économie rurale, section de
com.
Moorea
(Pierrot,
en
com.
pers.), estime qu'actuellement le
sur l'île
tonnage des pesticides utilisés par le secteur agricole
été de l'ordre de 5 tonnes et de l'ordre de 7 à 8 tonnes au
cours des années
précédentes. On constatera que les
estimations des différents auteurs que nous venons de
mentionner et qui suivent des analyses très différentes sont à
a
peu près concordantes
pesticides.
aux
environs de 6 tonnes par an de
Les
produits herbicides sont toxiques pour le
phytoplancton (Ramade, 1989). Concernant les insecticides, il
faut distinguer : a) les organochlorés (chlorane, aldrine,
dieldrine, lindane et autrefois le fameux D.D.T.) qui sont des
composés stables (forte rémanance), insolubles et qui
s'accumulent dans les organismes, b) les organophosphorés
plus sélectifs et moins dangereux. Une recherche semblable à
celle réalisée par le LESE (Caries, 1990) dans le cadre du
réseau territorial d'observation devra être
entreprise
Moorea et plus particulièrement au niveau des 2 baies.
Galzin et al.
utilisés
environ
à
(1989a) donnent les quantités d'engrais
moyenne et par an selon le type de culture soit
230 tonnes d'engrais. Dans le domaine
d'Opunohu
en
Société des
Études
Océaniennes
�77
l'utilisation des
été de l'ordre de 30 tonnes par an
1985 et 1990, date
où leur emploi a été suspendu. Pour l'ensemble du secteur
agricole de l'île, les quantités d'engrais employés
actuellement (1992) sont d'environ 40 tonnes ; elles ont été
plus importantes vers les années 1990 avec un tonnage de
l'ordre de 60 à 80 tonnes. On constatera que les estimations
précédentes sont très différentes entre 70 et 230 tonnes
d'engrais par an sur les cultures de Moorea.
Les engrais utilisés à Moorea sont du type NPK-12-1217. Les répercussions sur le milieu corallien de
l'enrichissement des eaux lagonaires en nitrates, par
lessivage, ne peuvent être négligées et seront évoquées plus
loin au paragraphe « nutriments ».
entre 1966 et
*
engrais
a
1984, puis de 10 tonnes entre
Les déchets solides
:
hôtelière de l'île de Moorea
Si l'on
se
réfère à la
(914 chambres),
au
capacité
taux moyen
remplissage (51 %) et à la durée de séjour (3 jours),
produit une quantité de déchets
solides de 800 kg par jour auxquels il faut ajouter environ 8
tonnes produites par une population de 10.000 personnes
(Fath-Chavanne, 1989). La quantité totale d'ordures
ménagères à traiter serait donc de 9 tonnes par jour soit 3.000
de
environ 800 touristes ont
tonnes par an.
Jusqu'en 1992 la commune de Moorea a déposé ses
ménagères sur un terrain vague de la pointe Temae
(section de commune de Teavaro), en bordure de route. En
1990 la municipalité a installé un incinérateur (marque 3B)
dont le coût global est estimé à 115 millions CFP pour une
capacité de traitement d'une tonne d'ordures par heure.
L'installation a été cofinancée à 30 % par la commune et 70 %
par le SITOM (Syndicat Intercommunal pour le Traitement
des Ordures Ménagères). Le coût d'entretien du four est de
l'ordre de 500.000 CFP par an si l'on inclut les prévisions
pour grosses réparations.
ordures
Société des
Études
Océaniennes
�78
En l'absence de bascule
permettant une
mesure
pondérale des ordures ménagères, le SITOM a estimé à 9.360
ménagères collectées.
Un point important est à
signaler. La commune ne
collecte pas les déchets verts mais surtout les bennes ne
circulent pas sur les voies de pénétration. De nombreux
déchets aboutissent dans les rivières et ruisseaux puis, lors de
fortes pluies, dans le lagon.
m3 et 2.800 tonnes les ordures
*
Le traitement et le
rejet des eaux usées : L'île de
possède ni réseau d'assainissement public ni usine
de traitement des eaux usées L Chaque particulier et
chaque
collectivité (artisan, industriel, hôtelier) doit donc prendre à
sa
charge, la collecte, le traitement et l'évacuation des eaux
Moorea
ne
usées dans le milieu naturel.
Les seules stations
dont les
eaux
d'épuration construites à Moorea et
rejetées au lagon sont celles
usées traitées sont
des hôtels suivants
:
Club Méditerranée, Moorea Beach Club
(ex Climat de France), Moorea Beachcomber Park-Royal et
(ex Ibis). Il s'agit de stations d'épuration de
Baie de Cook
petites dimensions entretenues
dont c'est
une
activité
annexe.
par un personnel non
Du fait d'une grande
qualifié,
dilution
des effluents à traiter, les teneur en B.D.O.5 à la sortie des
stations d'épuration sont peu élevées contrairement aux
M.E.S. constituées en majeure partie de boues activées.
Le coût de cet assainissement collectif
a
été évalué entre
260.000 et 370.000 FCP par unité hôtelière, avec un émissaire
standard de 500 mètres linéaires, prix 1990 Le coût de
construction d'une chambre étant
compris entre 13 et 31
millions l'assainissement s'échelonne entre 1 et 2 % de
l'investissement.
1 Cette situation est
sur
de
l'assainissement
générale à la Polynésie française. La première étude
été réalisée par la SETIL en 1961, pour la commune
a
Papeete. Le coût du réseau d'assainissement des
l'époque de 142.000.000 CFP soit 5.200 CFP/habitant.
Société des
Études
Océaniennes
eaux
usées était à
�79
Le coût d'entretien de la station
d'épuration est facturé par le
FCP par an soit 2.000 à
constructeur 2 entre 800.000 et 1.000.000
qui correspond à trois visites par
deux ouvriers, déplacement
compris. Il s'agit en fait de l'entretien électromécanique des
pompes aérateurs, surpresseurs etc. et du nettoyage du
prétraitement (dégrillage et dégraissage). Nous avons évalué le
coût du fonctionnement entre 13.000 et 18.000 CFP par unité
3.000 F. CP/unité
hôtelière,
ce
semaine d'une heure chacune par
hôtelière et par an.
Si tous les hôtels étaient
équipés d'un assainissement
type existant, l'assainissement des eaux usées liées au
serait de (260.000 + 370.000/2) x 922 =290.430.000 CFP
collectif du
tourisme
soit
près de 300 millions CFP.
Les conséquences sur le lagon de ces rejets d'eaux usées
traitées ont été étudiées par observation des peuplements
coralliens à
proximité des émissaires de rejets dans le lagon en
juillet 1991. Le rejet se situe dans la zone où le courant est le plus
fort et entraîne l'eau douce vers la passe. Mais nous avons constaté
à 2 reprises que les canalisations étaient mais entretenues, cassées
et que le rejet ne se faisait plus à l'endroit prévu à l'origine mais
plus près de la plage. La présence d'algues telles que Boodlea et
Acanthophora spécifiera peuvent laisser à penser que le milieu s'est
enrichi
en
nutriments.
L'assainissement individuel par fosse septique permet de
traiter les eaux vannes provenant des cabinets d'aisance des
l'unique solution utilisée à l'heure
logements. Son prix de revient est d'environ
350.000 CFP par maison puisque l'on considère qu'à Moorea le
logement abrite une famille de 5 personnes au recensement de
1988 et que la capacité de la fosse standard est de 2 à 8 personnes.
maisons d'habitation. Il reste
actuelle
au
niveau des
2 La société
qui soumissionne pour la construction d'une station
doit
présenter à son client potentiel, à la demande du service
d'épuration
d'hygiène et de salubrité publique, un projet de contrat d'entretien
renouvelable par tacite reconduction.
Société des
Études
Océaniennes
�80
Il y
avait, en 1988, 2.101 logements dont 1.868 résidences
principales et 233 résidences secondaires. En 1990 le nombre de
résidences est d'environ 2.270. L'investissement
correspondant
à
l'assainissement
peut être évalué à 2.270 x
350.000
=
794.500.000 CFP soit environ 800 millions CFP
en
supposant que tous les logements soient équipés d'un
assainissement individuel répondant aux recommandations du
service d'hygiène et de salubrité publique ce qui n'est
pas le cas
puisque le service de l'urbanisme estime à environ 3,4 % les
maisons
Il
sans eau ou sans
W.C.
construit annuellement et
se
de résidences à Moorea
annuel pour
millions CFP.
en
moyenne une centaine
qui représente un investissement
l'assainissement individuel de l'ordre de 35
ce
Aucune donnée n'est actuellement
qualité des
disponible
sur
la
de la nappe phréatique de Moorea. Nous
n'avons pas d'autres moyens que de considérer la concentration
humaine
eaux
en zone
littorale pour
apprécier l'importance d'une
pollution du lagon. La concentration est plus forte
sur la côte nord de
l'île, plus forte dans les village, mais ceci se
situent pour la plupart dans les baies ou dans des rentrants de
la côte où il n'est guère
possible de déceler une pollution. En
effet, dans cette zone, les peuplements coralliens sont influencés
en
premier lieu par les apports d'eaux douces et de sédiments.
Ailleurs, comme à Papetoai ou Maharepa, il n'a pas été constaté
de pollution particulière
qui pourrait être due aux apports
d'eaux souterraines de la
nappe phréatique au lagon.
éventuelle
*
Nutriments
Nous n'avons malheureusement pas de
données fiables sur les variations de concentration des sels
nutritifs depuis une quarantaine d'années dans les eaux
:
lagonaires et côtières de Moorea. On
eu
augmentation
en
notera que,
y a
raison d'apports terrestres, les
concentrations restent faibles
secteurs
même s'il
comparativement à d'autres
lagonaires du Pacifique. Si aucune augmentation ne
Société des
Études
Océaniennes
�81
peut être mise en évidence à Moorea, ce n'est pas pour autant
lieu. Un tel enrichissement en sels nutritifs
suite de l'utilisation des engrais et aussi du
rejet des eaux usées domestiques. Même les stations
d'épuration rejettent des eaux qui contiennent en moyenne 8
mg de phosphate par litre à la suite de la minéralisation des
matières organiques (Ramade, 1989). Les conséquences d'une
augmentation des concentrations en sels nutritifs sont
l'eutrophisation et le développement des populations algales.
C'est bien ce que les chercheurs ont constaté lors d'études
comparatives entre 1971 et 1980, avec l'extension de répartition
et l'augmentation d'abondance d'algues brunes
Turbinaria et Sargassum - (Payri, 1982- Nairn, 1982).
qu'elle n'ait
pas eu
est inéluctable par
-
4.1.5
-
Nurseries et
migrations
Il
s'agit ici d'analyser le rôle du milieu corallien pour des
organismes qui n'y passent pas la totalité de leur vie adulte
mais qui y séjournent temporairement soit pour la
reproduction, soit pour s'alimenter à certaines époques, soit
pour d'autres raisons.
Aucun lieu de ponte de tortues marines (Chelonia mydas)
n'est
connu
à Moorea et les individus adultes sont peu
fréquemment observés dans le lagon,
sur
les
un peu
moins rarement
pentes externes.
Pour les thons
Lehodey (1990) note que leur contenu
stomacal est composé de crustacés, de céphalopodes et de
poissons et que les proportions entre ces trois types d'aliments
varient en fonction des espèces et des lieux de pêche (large, trou
à thon, dispositifs à concentration de poissons). Les poissons
trouvés dans les contenus stomacaux appartiennent
essentiellement « à des espèces inféodées plus ou moins strictement
au
récif corallien ». Au début de l'année 1993, un millier de
bonites ont été pêchées au filet, dans le lagon au nord-est de
Moorea, à la pointe Tootea.
Société des
Études
Océaniennes
�82
Cette
pêche miraculeuse 2 2.000 à 3.000 poissons, serait
de navigation » des bonites. Les récifs
coralliens, pour ces animaux grégaires ingurgitant environ 10
à 15 % du poids de leur
corps par jour, sont synonymes de
nourriture. Les espèces inféodées aux récifs
représentent
entre 70 et 90 % de leur nourriture
(Ugolini, com. pers.).
Ainsi, bien que la question n'ait pas été clairement tranchée,
il semble bien
que les récifs, ceux de Moorea comme les
autres, tiennent une place importante dans l'existence même
des stocks de thonidae, du moins de certaines
espèces.
Les deux baies profondes de Cook et
Opunohu apparaissent
comme un lieu de
repos et de jeux où les dauphins se mettent
à l'abri de la houle et des
prédateurs visibles sur les fonds de
sable blanc puisque
quand ils dorment les dauphins
n'utilisent pas leur sonar mais seulement un oeil en
alternance. Les dauphins sortent dans l'océan pour se nourrir
en
longeant tout d'abord le récif barrière puis en plongeant à
due à
200
une « erreur
300 mètres pour trouver
Il existe une dizaine
d'espèces
ou
leur nourriture (Poole, 1991).
de dauphins présentes toute
l'année autour de Moorea. On rencontre
quelquefois dans les
baies 5 à 10 baleines à bosse. Dès
que l'on s'éloigne d'une
quarantaine de mètres du récif, le nombre d'espèces devient
beaucoup plus important
Dans les
rivières, on trouve des anguilles dont le lieu de
reproduction dans l'océan n'a pas encore été localisé, mais il
semblerait qu'il puisse exister une aire de
ponte à l'est nordest des Tuamotu (130° et 135° ouest et 15 et 20°
sud)
caractérisée par des températures élevées (16-18 °C) et des
salinités importantes ( > 36,5 %o) à une
profondeurs de 300
mètres
(Marquet, 1988).
2 Cette
information
a
été relatée dans
un
quotidien de Tahiti "La
Dépêche" du 1er février 1993.
Société des
Études
Océaniennes
�83
Une
espèce de canard, le canard à sourcils, Anas superciliosa,
au lac Temae. C'est la même espèce que l'on
retrouve à Port-Phaëton et d'une façon générale aux îles du vent,
près des points saumâtres.
Toutes ces fonctions du complexe récif lagon intéressant
des organismes qui vivent habituellement ailleurs et dont
certains sont des ressources économiques, ne sont pas
actuellement quantifiables sur le plan socio économique.
vit à Moorea
4.1.6
-
Maintien de la biodiversité
La notion de biodiversité
comprend 3 aspects principaux :
a) la diversité spécifique, b) la diversité génétique, c) la diversité
des habitats et des communautés.
La diversité
spécifique ou richesse du nombre d'espèces du
connue et souvent citée en exemple
d'une biodiversité maximale avec les forêts tropicales humides.
Ce très grand nombre d'espèces qui vivent dans les récifs
milieu corallien est bien
coralliens est très certainement due à l'ancienneté et à la
au fil des millions d'années dans un
conditions environnementales relativement stables. Il
pérennité de cet écosystème
milieu
aux
faut toutefois
appréciation de richesse spécifique
géographiques concernées. Le milieu
corallien de Moorea compte environ 2.000 espèces dont, 100
coraux, 600 mollusques, 30 échinodermes, 50 crustacés, 500
poissons (Salvat, com. per.), et environ une dizaine de
mammifères marins pour ne citer que les principaux groupes de
vertébrés et d'invertébrés de taille supérieure au centimètre. Ces
chiffres peuvent être multipliés par deux ou trois au maximum
pour certains groupes seulement si l'on prend en compte
l'ensemble de la Polynésie française. La faune marine
polynésienne appartient à la province biogéographique indo¬
pacifique qui voit des milliers d'espèces réparties sur les littoraux
des côtes est africaines à l'île de Pâques en passant par le sud-est
asiatique, l'Australie et la Nouvelle Calédonie.
en
nuancer
fonction des
cette
zones
Société des
Études
Océaniennes
�84
La richesse
espèces du milieu corallien polynésien est
des raisons biogéographiques (Salvat, 1967). Aux
Philippines le nombre d'espèces est 3 à 5 fois plus important,
quel que soit le groupe zoologique ou botanique considéré. Le
diversité spécifique de Moorea est donc toute relative en
poissons comme en invertébrés, comparativement à la Grande
Barrière d'Australie ou la Mer Rouge.
L'endémisme concerne des espèces qui n'existent que dans
une zone limitée. Ainsi en est-il de certaines
espèces de
coquillages qui n'existent qu'aux Marquises. Dans les récifs
coralliens de Moorea n'existe aucune
espèce animale ou végétale
qui n'existe pas dans les autres îles de la Société. L'endémisme
marin y est donc nul. H en va tout autrement du milieu terrestre.
L'endémisme d'espèces marines existe au niveau de la Polynésie
française, espèces qui ne vivent que là, mais en petit pourcentage.
La diversité génétique concerne la variabilité au sein d'un
groupe ou d'une espèce, et c'est à cette dernière que nous
limiterons notre commentaire. La métapopulation correspond à
une
espèce qui est largement répartie dans différentes zones
comme par
exemple le poisson perroquet. Mais les différents
stocks de cette espèce, ceux de Tahiti, de Rangiroa et de Moorea
peuvent être isolés les uns des autres. Si tel est le cas, s'il n'y a
aucun
échange entre ces populations, l'une d'elles peut
disparaître à jamais en cas de pollution ou d'élimination du stock
par prélèvement. Si tel n'est pas le cas, s'il y a des échanges entre
les populations, un stock disparu peut être renouvelé. Ces
questions qui appréhendent terriblement les problèmes de
gestion des espèces sont au cœur de recherches scientifiques
actuelles (Planes, 1992). Les espèces sont elles isolées
génétiquement ou non ? Les techniques modernes
d'investigations permettent d'appréhender et de quantifier cet
isolement génétique entre deux populations d'une même espèce
dans deux îles différentes. Les résultats sont encore trop
partiels
pour que l'on puisse généraliser (Planes, 1992) mais on peut
en
faible pour
Société des
Études
Océaniennes
�85
être, plusieurs espèces de poissons coralliens
(pour ne parler que d'eux) vivent en auto-recrutement dans
chaque île. Le nombre de larves venant d'autres lieux serait
limité. On conçoit les conséquences à en tirer pour la gestion des
penser que, peut
stocks.
Polynésie française.
pratiquement inexistants à
l'exception de quelques baies et l'écosystème lagonaire et récifal
de Moorea est très « océanique » du fait de son exiguïté. Les
mangroves sont totalement absentes et les quelques centaines de
palétuviers issus de l'introduction de cet arbre (Rhizophora) il y a
une quarantaine
d'années à Moorea (Cavaloc, 1987) n'ont pas
La diversité des habitats est faible en
En effet les milieux saumâtres sont
donné lieu à la constitution de forêts littorales comme
elles
Nouvelle Calédonie ou à
Madagascar. Les herbiers marins sont très clairsemés, rares et de
faibles étendues, comparativement à ces mêmes régions. Si cette
diversité est faible à l'échelle de la Polynésie et donc de Moorea,
il faut toutefois souligner l'originalité des deux baies de la façade
nord de l'île car rares sont les baies et les habitats marins qui s'y
rattachent, en Polynésie.
existent naturellement
aux
Fiji,
en
fin de
compte, faible pour les récifs de Moorea comme pour le reste de
la Polynésie. Nous n'avions pas encore eu l'occasion de
l'évoquer. Cela n'est pas quantifiable socio économiquement
mais implique deux considérations pour la gestion du milieu et
de ses ressources : a) la biodiversité doit être d'autant plus
maintenue qu'elle est faible, c'est comme un capital réduit qu'il
faut préserver et ne pas gaspiller, b) cette faible biodiversité a
sans doute pour conséquence
une plus grande fragilité de
l'écosystème face aux agressions naturelles et anthropiques mais
Cette biodiversité
avec ses
trois aspects est
rien n'est moins certain et des recherches doivent
à cet
donc,
en
être entreprises
égard (Salvat, com. pers.). Les recommandations pour
gestion de ce milieu doivent intégrer cette caractéristique.
Société des
Études Océaniennes
la
�86
4.2
Les fonctions d'utilisation
-
4.2.1
-
Aquaculture
A Moorea il y a
13 bassins d'élevages de crevettes,
l'eau du lagon, situés dans la basse vallée
d'Opunohu et dont l'E.V.A.A.M. vient de louer les
installations à un privé. Il n'existe pas d'autre bassin à terre
car leur implantation est difficile compte tenu de l'étroitesse
de la bande littorale. Il n'existe pas d'aquaculture en milieu
alimentés par
naturel.
4.2.2
-
Sources
d'énergie
Il n'existe pas de captage d'énergie à
d'eaux lagonaires et océaniques à Moorea.
partir des masses
Mais il existe des
possibilités au niveau des passes et chenaux. L'IFREMER a
étudié un projet ETM (Energie Thermique des Mer) en 1983 à
Papeete auquel aucune suite n'a été donnée pour l'instant. Le
système reposait sur l'utilisation de la différence de
température entre deux couches d'eau de l'océan, l'une
profonde et froide (inférieure à 4°C), l'autre en surface et
chaude (supérieure à 26°C).
4.2.3
-
Récréation et tourisme
En
93.000 touristes dont 40 %
d'Europe. Le pourcentage des
considérablement diminué depuis 1988
1990, Moorea
a reçu
venant des Etats-Unis et 32 %
visiteurs américains
a
mais la
par
fréquentation des lignes en direction de la Polynésie
des compagnies « charter » semble vouloir modifier cet
état de fait. Selon toutes les études de marché menées
sur
la
région, le paysage, la mer et les sites conservés à l'état naturel
constituent les
principales satisfactions ressenties par les
visiteurs.
Laurans
la
(1992) a cherché à établir en terme de « valeur »
place du milieu naturel lagonaire et récifal dans l'industrie
Société des
Études
Océaniennes
�87
touristique. L'auteur note que le milieu qu'il étudie n'est
qu'un élément du milieu naturel de Moorea, difficilement
isolable. Deux types de résultats sont obtenus : des résultats
du lagon
qualitatifs » c'est-à-dire précisant l'importance
dans l'attraction des hôtels (ils sont tous construits en
«
lagon et quelques fois les pieds dans l'eau), dans
pratiquées par leurs clients, etc. et des résultats
quantitatifs » permettant de compléter et d'actualiser les
données du service du tourisme et en première étape de
décrire en les chiffrants les retombées économiques de
l'activité hôtelière. Le ratio retenu exprime la contribution du
lagon à l'activité hôtelière et le pourcentage de clients qui
pratiquent souvent une activité exploitant les caractéristiques
de son écosystème. En retenant alors le pourcentage le plus
élevé parmi le total des activités de ce type, et en multipliant
le pourcentage correspondant à chaque hôtel par son nombre
de nuitées annuelles, puis en calculant le pourcentage sur le
total, il obtient une estimation de 77 % en rappelant que plus
l'établissement est petit, plus le pourcentage est élevé.
bordure du
les activités
«
En conclusion,
le ratio représentant la part du lagon
de l'île que les
dans l'ensemble des ressources naturelles
touristes
de
-
ce
pratiquent est de 77 %. Le chiffrage par
application
ratio donne les résultats suivants :
concernant les
retombées directes, les nuitées liées au lagon
représentent 280.000 de francs CFP, le chiffre d'affaire lié au
lagon représente 3 milliards de francs CFP quant aux revenus
salariaux dus au lagon ils représentent 924 millions de francs
CFP. Les emplois liés au lagon sont évalués à 490.
concernant les retombées indirectes, les retombées
-
au lagon à travers l'hôtellerie peuvent être
façon suivante : achats (nourritures boissons)
lmillion CFP, fournitures extérieures 0,6 million CFP,
amortissements 0,3 million CFP et redevances 67.000 CFP.
économiques liées
ventilées de la
Société des
Études
Océaniennes
�88
Même si des efforts
importants doivent être réalisés
pour développer des activités touristiques terrestres, le lagon
reste l'élément majeur de l'environnement pour
lequel le
touriste se déplace. Les bungalows sur l'eau sont donc, aux
dire des hôteliers, un élément indispensable à l'hôtel à cause
de son taux de remplissage et de son prix de location. Celui ci
varie considérablement d'une île à l'autre, selon sa réputation
et aussi selon la qualité de l'hôtel. Les 76 bungalows sur
lagon de Moorea représentent un coût de construction 1992
de l'ordre de 456 millions CFP. Ils rapportent au Territoire
une redevance annuelle liée à
l'occupation du domaine
public maritime de 3 millions CFP. Ils sont loués avec un
facteur multiplicateur de 1,1 en moyenne par rapport aux
autres bungalows. Ils « occultent » une surface lagonaire de
l'ordre de 2.300 m2 (30 m2 x 76 bungalows).
4.2.4
-
Protection de la nature
Plusieurs motivations
peuvent conduire à la création de
protégées lagonaires : l'intérêt scientifique d'une part
et l'intérêt économique d'autre part.
La mise en place de zones protégées part de l'analyse de
zones
la diversité du milieu. En
qui concerne l'écosystème
peut mettre en évidence une certaine
homogénéité de l'écosystème corallien tout autour de l'île de
Moorea, avec la succession de zones concentriques du rivage
à l'océan, qui se trouve presque partout et ne permet pas de
dégager une originalité d'un secteur de l'île par rapport aux
autres. Il y a bien sur des différences secondaires, surtout
selon la façade considérée ; elles devront toutefois être prise
en considération s'il convient de
protéger certaines zones ou
de prescrire à certaines d'entre elles des utilisations spéciales.
Au plan scientifique, la radiale de Tiahura au nordouest de Moorea, assez
représentative de la succession des
communautés lagonaires et récifales, a un intérêt certain
corallien
ce
on
Société des
Études
Océaniennes
�89
puisque cette radiale de près de 1 km de long est étudiée
depuis 1971 par divers scientifiques et que plus de 20 thèses
et 200 publications scientifiques en traitent. Cet effort de
recherche a déjà été évalué en termes d'activités chercheurs et
budgétaire. Il s'est concrétisé au cours des 20 dernières
années par la réalisation de 60 études environnementales
concernant le milieu lagonaire récifal dont 25 % se situent à
Moorea. Le montant de ces
études est d'environ 138 millions
(francs constants 1989) et représentent 0,07%o
0,20%o de la F.B.C.F 4. (Aubanel et Salvat 1990).
CFP
et
du P.I.B 3.
première réserve a été créée en 1993 dans le secteur
(Tiahura). Elle couvre 150 hectares et
concerne essentiellement la pente externe de Tiahura et une
partie de la zone barrière entre la passe Taotoi et l'îlot
Tiahura. C'est une concession maritime pour recherche
scientifique demandée par l'Antenne EPHE auprès du
Ministre de la Mer. La circulation en surface demeurera libre
Un
nord ouest de l'île
les activités subaquatiques dans cette zone sont
aux scientifiques qui y entretiennent différents
appareils de mesure et procèdent à des observations
fréquentes et de surveillance d'une année sur l'autre.
alors que
réservées
économique de zones qui seraient protégées
pour les hôtels en général et ceux possédant des
L'intérêt
est évident
bungalows sur l'eau en particulier, mais il est également
important pour les autres exploitants du lagon, comme ceux
qui proposent les activités nautiques liées à la présence de
coraux
poissons etc. comme la plongée sous-marine, les
promenades en bateau à fond de verre.
3 P.I.B.
:
Produit Intérieur Brut
Capital Fixe est la somme des
équipements et stocks de tous les agents économiques. Elle correspond
4 F.B.C.F.
aux
:
La Fonction Brute de
investissements.
Société des
Études Océaniennes
�90
Si
n'est actuellement
protégée ni réservée à
usage particulier à Moorea, cette notion s'impose de plus en
plus et constitue une des pièces maîtresses du Plan de Gestion
des Espaces Maritimes (PGEM) de Moorea en cours d'étude et
d'élaboration. Vu le nombre d'activités utilisant le lagon dont
certaines sont conflictuelles par rapport à d'autres, les pêcheurs
ont également besoin d'un classement pour assurer la pérennité
des ressources qu'ils exploitent. Il est clair que la petitesse du
complexe laguno-récifal de Moorea ne permet pas, surtout avec
croissance et développement, que toutes les activités puissent se
faire partout. Un zonage des activités autorisées et interdites est
une
impérieuse nécessité à moyen terme.
aucune zone
un
Faute de
actuellement
protégées, il n'est pas
possible d'en évaluer l'intérêt économique. Mais cet intérêt
futur nous a permis d'aborder cette question des zones
protégées ou à usage réservé, que nous n'avions pas encore
traité. Il est à noter que cette fonction de protection de la nature
se
regroupe avec d'autres fonctions.
4.3
-
4.3.1
zones
Les fonctions de
-
production
Pêche
La
pêche lagonaire à Moorea (Aubanel, 1993a) concerne
poissons mais aussi un certain nombre
d'invertébrés tels que les mollusques, les crustacés et les
échinodermes péchés dans l'écosystème corallien du récif
frangeant à la pente externe. Les moyens utilisés sont le fusil
harpon, le filet et la ligne ou dandinette. Ces méthodes sont
relativement sélectives pour la pêche du poisson et
conservatrices pour les habitats coralliens et le reste de la faune,
car aucun
moyen destructeur tels les poisons, les explosifs etc.
ne sont
employés à Moorea comme c'est le cas dans d'autres
régions du monde. Il n'y a donc pas destruction ou dégradation
du milieu par les pêcheurs alors que c'est le cas d'autres
essentiellement les
Société des
Études
Océaniennes
�91
particulier sur les littoraux urbanisés ou
d'exploitation de matériaux coralliens.
L'absence d'un statut précis du pêcheur, l'importance du
lagon dans la vie des habitants de l'île de Moorea et de ceux de
la Polynésie en général, rend un recensement des pêcheurs
lagonaires très difficile sinon impossible. En effet une personne
qui perd ou attend un emploi peut devenir pêcheur. Il y a
également celui qui va pêcher « quand l'émission télévisée ne me
plaît pas ». Les pêcheurs lagonaires de Moorea sont estimés à
une cinquantaine dont une trentaine pèchent et vendent
régulièrement. Une quinzaine d'entre eux considèrent que la
pêche est leur activité économique principale. Ces nombres sont
à rapporter au nombre d'habitants de Moorea, 8.800, dont 2.763
actifs. Le secteur primaire compte 442 actifs dont 15 soit 3,4 %
ont pour activité économique principale la pêche. Le secteur
secondaire compte 515 actifs et le tertiaire 1806.
activités humaines
dans les
en
zones
poisson en tui (filoche) sur le
particulièrement le dimanche entre 5h
matin, s'adresse presqu'exclusivement aux
La commercialisation du
bord de la route et tout
30' et 7h du
habitants de Moorea. Les habitudes sociales et culturelles
pas changé dans ce
n'existe pas de troc.
n'ont
domaine et restent traditionnelles et il
obtenu sur le tonnage des
poissons lagonaires péchés annuellement à Moorea donnent
entre 33 et 66 tonnes, soit 7 à 13 kg/ha/an. La quantité de
poissons péchés risque d'être sous estimée du fait qu'il n'existe
pas de criée et qu'une partie, difficile à évaluer, est vendue soit
sur commande, soit hors des points de vente en bord de route,
soit expédiée à Tahiti au moyen d'une camionnette qui sillonne
un
quartier. Il est important de noter que le pêcheur lagonaire
ne
capture qu'une trentaine d'espèces dont 5 représentent 65 %
en
poids des poissons péchés. Des études de dynamique de
population de ces espèces dominantes sont indispensables pour
pouvoir évaluer leur sous ou sur exploitation.
Les résultats que nous avons
Société des
Études Océaniennes
�92
Les
revenus
dus à la
pêche lagonaire représentent entre
16 et 33 millions CFP par an auxquels on
peut ajouter
l'autoconsommation évaluée entre 2 et ^ tonnes. Le revenu
d'un pêcheur lagonaire vivant à Moorea est compris
par mois, ce qui équivaut au
S.M.I.G. mensuel qui était en 1992 de 81.892 CFP.
En dehors des poissons
proprement lagonaires, les
polynésiens pèchent, depuis le début du siècle, des ature au
moyen de grandes sennes à petites mailles. Il s'agit d'une
pêche artisanale, saisonnière et collective. Parce qu'elle est
pratiquée dans le lagon au fond des baies, nous avons inclus
cette pêche dans notre étude.
A Moorea, la
pêche aux ature débute en septembre pour
se terminer en
juillet, mais la production principale se situe
en mars. Il
y a quatre propriétaires de filets sur la côte nord
de l'île où sont situées les deux
plus grandes baies de
Moorea, la baie de Cook et la baie d'Opunohu. Sur la côte est,
il y a deux
propriétaires de filets de moindre importance vue
la configuration des baies.
Pendant la saison, le pêcheur de ature
pêche 6 jours par
semaine. Chaque
propriétaire de filet embauche entre 10 et 30
moyen
entre 70.000 et 100.000 CFP
manœuvres.
Ce sont, soit des membres de
personnes qui n'ont pas d'emploi fixe.
Un filet de 100 mètres de
long est
sa
famille, soit des
évalué à 160.000.FCP
c'est-à-dire sans les plombs, les flotteurs etc... et à
200.000.CFP tout équipé. Sa durée de vie est
importante, une
«
nu »
vingtaine d'années environ sinon plus. En dehors du filet le
propriétaire possède une ou deux pirogues équipées d'un
moteur de 9,9 cv. L'aide
qui est accordée au pêcheur déclaré
correspond à 50 % du coût de l'investissement avec un
plafond de 500.000.CFP. Quant au carburant, il lui est
remboursé 3 CFP/litre de carburant acheté.
Société des
Études
Océaniennes
�93
considérerons que la quantité de
pêchée est de 28 tonnes, ce qui représente
un revenu annuel de 14 millions. Si nous considérons qu'au
cours d'une saison « normale » le propriétaire d'un filet
pêche environ 7.000 tui soit 7 tonnes qu'il vend 500 CFP/kg,
que les frais représentent 20 % et qu'il distribue en salaire
En moyenne nous
ature annuellement
50 % de
ses
environ 1,4
bénéfices, une saison « normale » lui rapporte
million par an. Ces chiffres nous ont été
communiqués
4.3.2
-
par
Ressources
Il
les propriétaires eux-mêmes.
génétiques et médicinales
s'agit de la présence dans l'écosystème d'espèces ou
aquaculture et dans le domaine
pharmacodynamique actuelle ou future. Dans ce contexte les
espèces endémiques, que l'on pourrait trouver à Moorea et
qui n'existeraient pas ailleurs, pourraient être de première
importance. Malheureusement le milieu corallien de Moorea
ne contient aucune espèce endémique à l'île.
Bien que l'exploitation des espèces marines en vue
d'obtenir des substances utilisées en pharmacopée soit
relativement récente, quelque produits marins ont été utilisés
en médecine traditionnelle depuis fort longtemps. De
récentes recherches ont conduit à la découverte de composés
intéressants provenant d'animaux marins, produits qui
possèdent des propriétés anticancérigènes, antimicrobienes,
antivirales, cardioactives et neurophysiologiques. Nombre de
ces substances ont des structures chimiques qui ne
ressemblent à aucune de celles des espèces terrestres. Depuis
15 ans des milliers d'espèces vivantes ont été étudiées,
de variétés intéressantes
notamment dans les
en
récifs coralliens de Nouvelle-Calédonie
(ORSTOM, CNRS et Rhône-Poulenc) et un programme
intitulé
«
biologique » existe à
zoologiques comme les éponges
Substances marines d'intérêt
Nouméa. Certains groupes
ont été bien prospectés.
Société des
Études
Océaniennes
�94
La faible diversité
babsence
spécifique des récifs de Moorea et
d'espèces endémiques ne met pas cette île en bonne
place compétitive quant à la recherche de nouvelles
substances d'intérêt
pharmacologique. Un programme
EPHE-INSERM
(Recherche Médicale, Ministère de la Santé)
existe néanmoins à Moorea
organismes ont été récoltés
au
titre
duquel quelques
extraction et repérage de
molécules intéressantes (Cyanophycées, holothuries,
scléractiniares...) ; les études chimiques sont en cours.
Soulignons que l'intérêt de ces recherches, si une molécule
particulière est découverte, n'entraînera pas comme autrefois
des collectes massives des
organismes concernés sur le
terrain, ce qui à l'époque pouvait être une ressource
économique. En effet, la molécule repérée et sa structure
identifiée
4.3.3
-
sera
le
pour
plus souvent synthétisée. •
Agrégats
La seule
vivante
qui soit extraite du
lagonaire est le matériau corallien appelé
communément « soupe de corail » arraché au milieu
frangeant du lagon au moyen d'une drague. L'exploitation de
ressource non
milieu
cette ressource s'est essentiellement déroulée dans les années
soixante et soixante dix.
Sur l'ensemble de l'île de Moorea 18 sites d'extraction
de matériaux coralliens ont été recensés. Parmi ces
extractions, seules 4 ont été réalisées dans le but
un
chenal et 1 pour un
d'aménager
aménagement portuaire. Tous les
autres correspondent à des extractions
pour l'aménagement
des routes et des voies de
pénétration (Porcher et Gabrie,
1987). La soupe de corail est un matériau inerte idéal pour la
construction des routes car il ne réagit pas aux infiltrations de
l'eau et, à la longue, se
compacte bien.
La redevance due
pour l'extraction de matériaux inertes
dans l'espace littoral
immergé varie en fonction de la période
Société des
Études
Océaniennes
�95
envisagée, de la situation géographique (dans les autres
archipels les prix sont plus bas) et de la qualité de
l'exploitant. Ainsi, en 1990, à Moorea, le montant de la
redevance, pour un mètre cube de matériau extrait, est de 400
francs pour un privé, de 300 CFP pour les collectivités locales
et gratuite pour l'administration territoriale, cela après avoir
stagné à 20 francs CP jusqu'en 1980 et à 60 francs CP jusqu'en
1990.
Le montant total des redevances d'extractions à Moorea
le Territoire peut être évaluée à 89 millions pour
période de 18 ans comprise entre 1968 et 1987.
Le prix de vente ou d'achat de cette ressource pose
problème car s'agissant de ressource extraite du lagon, bien
public, elle n'a jamais eu de valeur propre. Pour les
extractions réalisées avant 1968, le service de l'équipement
perçue par
une
n'a versé
aucune
redevance
au
Territoire. Le coût d'extraction
de corail en milieu lagonaire correspond donc
uniquement à la location d'une drague (personnel compris).
Il peut être estimé entre 100 et 125 francs CFP le m3, déposé
en bordure du rivage (prix 1990), c'est-à-dire hors
transport.
Si Ton suppose que le site d'extraction était exclusivement
choisi en fonction de la localisation des travaux à terre, ce qui
fut le cas pendant de nombreuses années, le coût des
de la soupe
matériaux coralliens nécessaires à la construction des routes à
Moorea
peut être estimé à 68 millions de
francs CFP (francs
1990).
Depuis 1987, le matériau corallien extrait du lagon,
prélèvement, a été remplacé par un sable corallien
extrait en pied de colline, sous la cocoteraie. Le prix de vente
de cette soupe de corail terrestre est de 1.600 CFP le m3 (hors
transport), prix que nous pouvons rapprocher du précédent :
100
125 CFP. La soupe de corail extraite à terre revient à
l'achat 13 fois plus cher que celle qui était extraite dans le
lagon.
interdit de
-
Société des
Études Océaniennes
�96
Si les routes de Moorea avait été construites
matériau terrestre, le coût de la matière
avec ce
première aurait été de
1,08 milliard CFP contre 68 millions CFP suite à l'utilisation
d'un matériau corallien de
qualité identique sinon meilleure.
puisqu'elle représente plus
d'un milliard, ce qui s'est fait au détriment de la
qualité de
l'écosystème corallien.
Salvat (1987) note
que l'extraction de matériaux
coralliens est l'une des causes premières de
dégradation des
La différence de coût est énorme
récifs du monde entier. Le site d'extraction devient un
véritable désert impropre à toute colonisation
par des
organismes benthiques compte tenu des sédiments
extrêmement fins et thixotropes qui y séjournent. Les matières
organiques s'accumulent dans un milieu réducteur et induit
des sédiments nauséabonds. La moindre
agitation de l'eau
remet en
suspension des quantités de fines qui vont
endommager les coraux avoisinant la zone d'extraction. La
mise en place d'écrans protecteurs
lors des récentes extractions
ainsi que le reprofilage de la zone sont autant d'amélioration.
Aucune somme d'argent n'a
jamais été dépensée pour
réduire les inconvénients des anciennes zones d'extractions en
milieu lagonaire ni à fortiori
pour les restaurer. A titre
d'exception on notera qu'un programme de recherche a été
mis en place pour la restauration de sites
dégradés et que
méthodes et techniques sont maîtrisées (Jardin,
1992) mais
suivi
aucun
4.3.4
-
ne
semble
envisagé.
Souvenirs, ornements, curios
Il
s'agit des matériaux inertes
ou
vivant retirés du lagon
de Moorea et alimentant le marché des souvenirs
pour
touristes. S'il est des régions où cette ressource est
importante
conséquences de son exploitation catastrophiques
(Philippines, îles de l'Océan Indien), ce n'est pas le cas à
et les
Moorea.
Société des
Études
Océaniennes
�97
4.4
-
Les fonctions d'information
Les fonctions
se
rattachant
aux
valeurs esthétique et
application dans
organisées par les
culturelle des récifs coralliens sont mises en
l'éducation lors des sorties terrain
enseignants du primaire et du secondaire à Moorea, ainsi que
par les concours de dessin ou de rédaction mis en place aussi
bien à Moorea que dans d'autres îles. Cet effort est
accompagné et soutenu par une plus grande sensibilité à
l'écologie et à l'environnement qui se matérialise par les
actions médiatiques et aussi, dans une certaine mesure, par la
prise en compte politique des problèmes environnementaux.
Si l'on peut dire que les récifs présentent une valeur
culturelle certaine pour les Polynésiens, on ne peut pas dire
qu'il s'y rattache une valeur historique, du moins à Moorea,
comme c'est le cas pour les marae ou certains lieux
légendaires terrestres. Il n'y a pas, par exemple, d'épave
immergée historique comme c'est le cas dans certains pays.
A la fonction culturelle se rattache toute l'inspiration
artistique que représente le milieu naturel considéré. Cet
aspect est important dans le domaine de la peinture mais
aussi, par exemple, du cinéma. Nombreux sont les peintres
qui se sont inspirés des paysages lagonaires de Moorea,
depuis ceux qui étaient à bord des bateaux de Cook et de
Bougainville aux plus récents (Ravello...). Le film sur les
Révoltés du Bounty a été tourné à Moorea. On peut également
mesurer l'importance du milieu naturel insulaire de Moorea
et de son système corallien par les livres et brochures
touristiques en vente. Au sein de la Polynésie française,
Moorea tient, après Tahiti, la seconde ou la troisième place,
en concurrence avec Bora Bora. Quelques livres traitent
exclusivement de Moorea mais tous ceux qui se consacrent
par l'image à la Polynésie comportent toujours des vues
aériennes des récifs de Moorea avec leurs magnifiques
couleurs.
Société des
Études
Océaniennes
�98
C'est aussi le
lagon, évocateur de la beauté des
paysages ensoleillés de Moorea, qui est repris dans de
nombreuses brochures publicitaires à l'intention des
touristes.
La valeur
scientifique des récifs de Moorea qui sont
scientifique internationale à la
suite du Congrès sur les Récifs organisé en 1985 et
par suite
des très nombreuses recherches qui
s'y déroulent depuis 30
ans, font maintenant partie du capital intellectuel et du
connus
de la communauté
rayonnement du Territoire.
5
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS AU
NIVEAU DE LA PLANIFICATION ET DE LA POLITIQUE
À MENER
-
La
population de Moorea est estimée à environ 10.000
démographique de l'île étant due
pour une large part au solde migratoire (1,9 %) l'estimation
de la population en 2020 est délicate. Nous retiendrons une
valeur moyenne de 19.000 habitants. Quant aux
projections
de développement
économique, elles misent essentiellement
sur le tourisme avec un doublement de la
capacité hôtelière.
Dans cette perspective c'est la façade nord de l'île, sur
laquelle sont déjà concentrés la presque totalité des hôtels et
45 % de la population
qui sera concerné.
La pression sur la ligne
de rivage va augmenter ainsi
que la charge polluante arrivant au lagon. Ces projections
sont au delà de la
capacité de charge des récifs et du lagon,
déjà mal en point en 1993. Les conséquences sur les
communautés vivantes de l'écosystème corallien
risquent
d'être catastrophiques. Les ressources actuellement
prélevées, c'est-à-dire essentiellement la pêche, seront très
habitants. La croissance
fortement réduites.
Société des
Études
Océaniennes
�99
pression anthropique et de ses conséquences
lagonaire et récitai de Moorea, et dans le souci
d'aboutir à une gestion intégrée et durable, il nous parait
qu'un certain nombre d'efforts particuliers doivent être fait sur
des points concrets. Nous les présenterons sous la forme
d'objectifs et de moyens pour y parvenir.
Au
5.1
vu
de la
le milieu
sur
-
Limitation de l'utilisation des
Objectif
:
pentes
Limiter les apports terrigènes dans le lagon de
Moorea.
Moyens : Etablir la carte des pentes des sols cultivables, tout
particulièrement dans le bassin versant de la caldeira centrale
et des deux baies d'Opunohu et de Cook.
d'agriculture susceptibles d'être
développés en fonction de la qualité des sols et de leur pente.
Déterminer la pente maximale au delà de laquelle, pour
chaque type d'agriculture, il ne peut y avoir exploitation.
Réglementer les méthodes et techniques agricoles.
Déterminer les
types
Résultats attendus
aux
activités
:
Diminution des apports
anthropiques
lagon.
au
terrigènes dûs
niveau des embouchures de
rivières et dans le
5.2
-
Le conservatoire du
littoral
Objectif : Assurer la protection définitive des espaces
fragiles ou menacés.
naturels
Conservatoire du littoral » au
l'enregistrement. En dehors
des terrains que cette cellule pourrait acheter, des parties du
lagon pourraient lui être affectées et pour lesquelles ne
pourrait être accordée aucune concession maritime à charge de
remblai ou non. La cellule serait chargée de contrôler
l'existence d'un passage public au droit des propriétés
Moyens : Réactiver la cellule
«
sein du service des domaines et de
remblayées.
Société des
Études
Océaniennes
�100
Résultats attendus
littoral
:
Coordonner les actions de
qu'il soit terrestre
ou
protection du
marin. Stopper la privatisation
du littoral
5.3
-
Stabilisation
rigoureuse de la ligne de rivage
Objectif : Stabiliser dans
ligne de rivage.
Moyens
Adopter
sa
position et
sa nature
l'actuelle
politique volontariste interdisant les
a) par une campagne d'information sur les effets
néfastes de la disparition des zones frangeantes naturelles, b)
par une application systématique de la réglementation
interdisant sans étude préalable la modification de la
ligne de
rivage c) par une application systématique des peines de
simple police et que puisse être révisée leur montant pour
l'instant fixées en référence à
l'homologation métropoleterritoire datant de 1985 d)
par l'augmentation de la
redevance de façon à la rendre dissuasive, attribuer les fonds
ainsi récoltés au conservatoire du littoral
pour la protection
:
une
remblais
des espaces
naturels.
Résultats attendus
Blocage de l'anthropisation de la ligne de
rivage qui est actuellement de 33 % à Moorea.
5.4
-
Etude
Objectif
:
:
prospective d'un réseau d'assainissement
Disposer des connaissances nécessaires à
avant projet de réseau d'assainissement
l'élaboration d'un
des
usées du littoral nord de l'île.
eaux
Moyens
:
En s'appuyant sur les expériences réalisées dans
puisque le réseau d'assainissement de
toujours pas vu le jour et que les études s'enlisent,
d'autres îles tropicales
Tahiti n'a
il conviendrait de rassembler les éléments nécessaires à
la
réalisation d'un avant projet : étendue du réseau de collecte
des
eaux
la station
usées, situation niveau de traitement
et
d'épuration, mode d'évacuation et lieu
Société des
Études
Océaniennes
capacité de
rejet.
de
�101
préservation du milieu corallien à
démographique et
touristique, exige la
moins pour la façade nord de Moorea, d'un
Résultats attendus
:
La
l'horizon 2.000, avec la poussée
éventuellement le développement
réalisation,
au
assainissement collectif. Vu les coûts d'une
les différentes
sources
telle réalisation et
place, il est
de financement à mettre en
opportun de se préoccuper
dès à présent de cet
assainissement.
5.5
-
Compléter les connaissances scientifiques.
Objectif : Les programmes de recherche scientifique n'ont pas
toujours apporté les résultats qui sont indispensables, à un
moment donné, à la résolution de problèmes de gestion.
Autrement dit la connaissance scientifique n'est pas toujours
présente
en amont.
connaissances.
L'objectif serait ici, d'obtenir ces
Moyens : Lancer des appels d'offre précis, et commander des
études extrêmement ciblées compte tenu de la nécessité de
indispensables à la gestion. Nos recherches
quelques insuffisances de connaissances qui
pourraient être établies par les organismes de recherche
territoriaux ou métropolitains ou des bureaux d'études
environnementales, implantés à Moorea ou à Tahiti :
1 régime hydrodynamique des rivières de Moorea, débits et
charges particulaires (pouvoir apprécier les apports
terrigènes au lagon et les contrôler au fur et à mesure du
développement de l'île, afin d'établir leur conséquence sur
connaissances
révèlent
-
les formations coralliennes).
hydrodynamique des eaux lagonaires et océaniques
temporelle en fonction des
divers régimes de houle et de vent (connaissance
indispensable pour la dispersion des eaux usées rejetées et
l'indispensable nécessité dans un avenir proche d'un réseau
général d'assainissement et de points de rejet)
2
-
côtières dont leur variabilité
Société des
Études
Océaniennes
�102
3
diverses actions à réaliser
qui sont évoquées dans d'autres
paragraphes : études de dynamique de populations d'espèces
de poissons pêchées dans le lagon par les habitants de
Moorea
et
conséquences et risques pour l'homme des
activités sous marines nommées « shark
feeding »
(alimentation de requins).
-
-
-
Résultats attendus
5.6
-
:
Aide à la
Surveillance du milieu
gestion de l'espace littoral.
lagonaire et récifal
Objectif
: Etablir le bilan de santé des communautés
coralliennes et renseigner les autorités sur les changements
d'une année sur l'autre suite aux phénomènes naturels et aux
conséquences des activités anthropiques.
Moyens : Il s'agit de mettre en place tout autour de Moorea
l'équivalent du Réseau Territorial d'Observation Lagonaire
qui existe sous l'égide de la Délégation à l'Environnement
pour Tahiti, ou d'étendre celui ci à Moorea. Une dizaine de
localités convenablement sélectionnées en fonction des
mêmes critères qui ont
prévalu pour la mise en place du
réseau de Tahiti, pourrait se
répartir tout autour de Moorea et
tout
spécialement sur la côte nord. Un tel réseau devra
comporter des analyses de sels nutritifs pour lesquels peu
d'informations fiables sont disponibles et qu'on accusent
d'avoir entraîné des proliférations
d'algues dans le lagon à la
suite de dégradation du peuplement corallien.
Une solution, à étudier et peut être plus
avantageuse
financièrement pourrait être de contracter le Centre de
Recherches Insulaires et Observatoire de l'Environnement
d'Opunohu, EPHE, ex Antenne Museum EPHE, et/ou La
Gump Research Station de la baie de Cook, Antenne de
l'Université de Berkeley, pour réaliser cette surveillance
qui
doit être
au
moins annuelle.
Société des
Études
Océaniennes
�103
Résultats attendus
:
Informations des élus et des autorités sur
lagons et récifs et sur les changements.
surveillance du milieu naturel à
l'échelle insulaire. Mise en évidence et connaissance des
causes des changements observés.
l'état de santé des
S'acheminer
5.7
-
vers une
Gestion rationnelle de la
pêche lagonaire
Objectif : Assurer la pérennité des stocks d'espèces
dans le lagon.
pêchées
: Faire réaliser diverses études telles que
évaluation des stocks, recrutement et potentiel de pêche
Moyens
:
1)
des
espèces actuellement récoltées dans le lagon dans la cadre de
la pêche artisanale, 2) justification des mailles des filets
utilisés pour que
la pêche soit la plus sélective possible.
Résultats attendus
sous
:
estimation des surexploitations ou
des
exploitations de chaque espèce importante,
minimales
restrictions de
connaissances pour établir si nécessaire les tailles
de pêche des poissons et pour déterminer des
périodes de pêche en cours d'année.
5.8
-
Restauration des zones coralliennes
dégradées
Objectif : Restaurer par des reprofilages physiques et par
transplantation de colonies coralliennes les anciennes zones
d'extraction de soupe de corail.
: Les anciennes zones d'extraction corallienne étant
localisées, il conviendrait de procéder à des restaurations
Moyens
expérimentales sur 2 ou 3 d'entre elles avant de généraliser
les procédures aux autres zones. Une étude expérimentale est
en cours
depuis 1992 au Beachcomber-Park Royal. Des
enseignements peuvent en être tirés qui permettraient de
mieux aborder
un
second chantier
Société des
Études
expérimental.
Océaniennes
�104
Résultats attendus
Elimination des anciennes soupes
de
écologiques néfastes perdurent dans le
lagon et qui constituent par ailleurs une pollution esthétique
préjudiciable au tourisme.
:
corail dont les effets
Annie AUBANEL
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Société des Etudes Océaniennes
165-184.
�106
Hiconia calvescens
1.
Inflorescence
antérieure
étoilée
(X
(X
position
du
filet
base
antdiéres
DC.
terminale
et
cicatrice
de
la
phase
florale
2.
Bouton floral
recouvert d'une
pubescence
3.
Pétale à nervation palmée
(X
4.
1/3).
13).
13).
Fleur
épanouie
(X 13).
5.
Coupe longitudinale d'une fleur épanouie
(X
13). 6. Coupe transversale de l'ovaire
(X 13). 7. Etamines porées
au
stade
bourgeon floral
(a)
et
fleur
épanouie
des
dans
les
(X 33).
d'un tégument coriace
(b) .
Noter
la
deux cas et la présence de
glandes a la
8. Baie noire (X 10). 9. Graines
pourvues
(X 65).
Dessin Andreas Cettloff
Société des
Études
Océaniennes
�107
HISTOIRE DE L'INTRODUCTION
ET DE L'INVASION
DE MICONIA CALVESCENS A TAHITI
«
Au gré
des ambitions humaines, les plantes voguent d'un continent à l'autre, d'une
imperturbables de toutes les aventures et de tous les exils ».
(R. Koenig)
île à l'autre, compagnes
Déclarée « espèce nuisible en Polynésie Française » par arrêté territorial
1990, Miconia calvescens est la peste végétale la plus
importante à Tahiti par l'étendue de sa répartition et de ses
conséquences sur la flore indigène et le milieu naturel. L'histoire de
l'introduction et de l'extension à Tahiti de cette plante ornementale de la
famille des mélastomatacées reste partielle sinon méconnue et le plus
souvent de auditu. Elle constitue pourtant l'illustration typique du
déplacement volontaire d'espèces végétales hors de Taire d'origine et de
leurs introductions aux conséquences parfois bénéfiques... souvent
en mars
désastreuses.
I / LA DECOUVERTE AU
Le contexte
A
MEXIQUE
historique
partir de la seconde moitié du XVIIIème et tout au long du XIXème
siècle, les grandes expéditions
scientifiques
se
multiplient sous l'impulsion
des académies et des souverains. Des voyageurs naturalistes partent explorer
les Amériques, l'Asie et TOcéanie pour y faire l'inventaire de toutes les
ressources
«
exotiques
avec
naturelles. La découverte et l'introduction
»,
en
Europe de plantes
à des fins alimentaires, médicales ou ornementales, s'accélèrent
les mouvements humains.
de
altilis
allemand Alexander
Alors que, en 1788, le capitaine William Bligh, ancien compagnon
James Cook, est chargé de ramener de Tahiti des plants d'Artocarpus
«l'arbre à pain » à bord du sloop H. M. S. Bounty, le baron
accompagné du botaniste français Aimé Bonpland partent
floristique de l'Amérique espagnole. Entre 1799 et 1804, ils
explorent le Venezuela, Cuba, la Colombie, l'Equateur, le Pérou, le Mexique
et collectent plus
de 60 000 échantillons de plantes. Ils publient en 1816 la
première Monographie des Mélastomatacées qui décrit et dépeint plus de 150
espèces de Melastoma et de Mice: a.
Von Humboldt
faire l'inventaire
Société des
Études
Océaniennes
�108
Des
mystérieuses ruines de Palenque
...
Ce sont les
Belges Auguste B. Ghiesbrecht (1808-1888) et Jean-Jules
(1817-1898) qui firent connaître Miconia calvescens à l'Europe
entière. Le premier, grand voyageur
zoologiste et naturaliste, découvrit la
plante dans la province mexicaine du Chiapas près de Palenque (cf. Carte
1) lors de sa deuxième expédition au Mexique qui commença en février
1850 (Ghiesbrecht, 1849). Il
l'envoya à J. J. Linden, botaniste et directeur
du Jardin Royal de
Zoologie et d'Horticulture à Bruxelles entre 1852 et
1861. Ils avaient déjà
prospecté et herborisé ensemble de 1838 à 1840, en
compagnie du dessinateur Nicholas Funck (1816-1896) dans « les régions
élevées de l'Etat voisin de Chiapas » :
Veracruz, Tabasco et le Yucatan
(Linden & Planchon, 1867).
J. J. Linden baptise la plante Cyanophyllum magnificum, en raison de
ses grandes feuilles à revers
pourpre, et l'expose en 1857 à Londres, à
l'Exposition de la Société d'Horticulture de Paris et au Festival Horticole
Linden
de Berlin. C'est d'ailleurs
« Berliner
Allgemeine
au
Professeur Dr. K. Koch, rédacteur du
Gartenzeitung », à qui l'on doit la première
l'exemplaire de l'exposition avait quelques pieds de hauteur et
possédait des feuilles opposées, courtement pétiolées de 16 pouces de longueur sur
7-Ifl pouces de largeur. Celles-ci étaient longuement lancéolées et
parcourues
description
par
3
: «
nervures
parallèles reliées par des
nervures latérales distantes entre elles
d'un demi-pouce ; entre ces dernières se
trouvent
de
nombreuses
lignes
transversales. Le bord était finement
cilié et la
face supérieure d'un magnifique vert velouté,
sur
lequel ressortait vivement la blancheur de la
nervure médiane, et le vert très clair des
latérales. La face inférieure
présentait, au contraire, de la manière
la plus splendide cette couleur bleurouge que les Anglais désignent
généralement sous le nom de
pourpre, mais que je nommerai,
pour la distinguer du véritable
pourpre foncé, pourpre bleuâtre »
(traduit de l'allemand). Il n'est
pas surprenant de voir comme
nervures
,
1
,
.
I
premier dessin de Cyerropta,!/™
paru dans la
«
première
i/tluit I to tnidiiM" lipnndrni- natnrril».
Revue Horticole, Journal d'Horticulture
Études
de
...
IdltG
plclIltG Gn pot (cf. FigurG 1).
Pratique » de 1859 (page 359).
Société des
illustration
Océaniennes
�109
présence de « ce joyau du règne végétal [...] dans les forêts humides
qui environnent les mystérieuses ruines de Palenque » (Linden,
1958) dans la région mexicaine du Chiapas est confirmée un siècle plus
tard par plusieurs récoltes de botanistes contemporains (cf. Carte 1) : D.
E. Breedlove la retrouve en 1982 à 25 km au Sud de Palenque, en forêt
tropicale humide près des ruines de Bonampak dans la Municipalité
d'Ocosingo, en forêt montagnarde humide jusqu'à 1170 m d'altitude dans
la Municipalité de La Trinitaria ; E. Martinez la collecte en 1986 dans la
Municipalité d'Ocosingo sur le chemin de Palenque ; H. Hernandez et C.
Gonzales la récoltent en 1985 près de Santa Maria Cb;malapa dans l'état
voisin d'Oaxaca et décrivent cette plante plus connue sous le nom
vemaculaire de « jeepe ... arbolito 8 m de alto, flores color crema, aromatica,
envés de la hoja color morado ».
La
et sombres
Carte 1
:
lieux de récolte de Miconia calvescens à feuilles bicolores
au
Mexique
(d'après échantillons d'herbiers).
•
=
première découverte (vers 1850)
O
=
récoltes de 1982-1986
Société des
Études
Océaniennes
�110
...
aux
jardins botaniques du monde entier
En raison de la coloration et de la
grandeur de ses feuilles, le succès
en Europe est immédiat : « Parmi
les introductions nouvelles, aucune ne provoqua autant l'attention et l'intérêt
des connaisseurs, que les 9 plantes envoyées par le directeur Linden de Bruxelles
[...]. Toutes, cependant étaient surpassées par la Mélastomatacée à grande
feuilles, le Cyanophyllum magnificum » (Koch, 1857). « Cette noble plante,
exposée par nous dans le courant de l'année dernière, à Londres, à Paris et à
Berlin, a été l'objet de l'admiration générale » (Linden, 1858). « Elle excita
partout l'admiration des amateurs des merveilles du règne végétal [...] et forma
un des
premiers joyaux de l'Exposition de la Société d'Horticulture de Paris »
(Groenland, 1859) ; « un de ces végétaux devant lesquels les plus indifférents
s'arrêtent émerveillés, la plante a un port superbe, rehaussé par les dimensions
considérables de ses feuilles » (Linden & Rodigas, 1894) ; "One of the best
and most striking of all conservatory foliage subject"
(Bailey 1900).
de cette
plante dans le monde horticole
Pendant
plusieurs années, des pieds de Cyanophyllum magnificum,
magnifica par J. Triana (1871) puis identifié comme
étant Miconia calvescens De Candolle par
J. J. Wurdack (1971), furent
cultivés dans les serres chaudes et humides du Jardin Botanique National
de Belgique. Ces arbres fleurirent et fructifièrent et les nombreuses
plantules obtenues furent distribuées dans d'autres jardins botaniques
d'Europe (Wurdack, op. cit.). M. calvescens est, en effet, signalé en culture
au Jardin
Botanique National de Belgique jusqu'en 1907 (F. Billiet, comm.
pers.), au Royal Botanic Garden d'Edinburgh jusqu'en 1969 (J. D. Main,
comm.
pers.) et dans le catalogue du Botanisher Garten Miinchen en 1963
(A. Kress, comm. pers.).
renommé Miconia
Il est
également cultivé aux quatre coins du globe : en Indonésie au
Bogor Botanical Garden entre 1950-60, en Algérie au Jardin d'Essai du
Hamma en 1952, au Zaïre au Jardin Botanique de Kisantu en 1972, et en
Jamaïque au Castleton Garden, où la plante s'est naturalisée (Wurdack,
op. cit.). Des graines en provenance de Chiapas ont été plantées au
Fairchild Tropical Garden de Miami aux Etats-Unis en 1967 et une
bouture a été envoyée en 1971 au United States National Arboretum de
Washington (C. Hubbuch, comm. pers.). M. calvescens a été également
introduit en 1888 au Royal Botanic Garden de Peradenyia au Sri Lanka en
provenance du Mexique (A. H. M. Jayasuriya, comm. pers.).
Société des
Études
Océaniennes
�Ill
II /
L'INTRODUCTION A TAHITI
Au parc
Motu Ovini de Tahiti
L'introduction de M. calvescens à
Tahiti est l'œuvre de Harrison
de physique au
s'est retiré à Tahiti
en 1919 (cf. Figure 2). Il constitua, par l'achat de terres successif, un
domaine de 137 hectares au lieudit Motu Ovini dans le district de Papeari
qui devint par la suite jardin botanique (Barrau, 1964).
Willard Smith (1872-1947), ancien professeur
Massachusetts Institute of Technology de Boston qui
passionné d'horticulture tropicale effectua de nombreux
Malaisie, à Singapour, Bornéo et Java ainsi qu'à la Jamaïque, à
Cuba, à Trinidad, au Panama et à Ceylan (actuel Sri Lanka) entre 1921 et
1938. Il correspond avec de nombreux spécialistes des jardins tropicaux
d'Amérique et du Sud-Est Asiatique comme W. R. Lindsay, directeur du
Canal Zone Experiments Gardens, E. D. Merrill, directeur de l'Arnold
Arboretum de Harvard ou J. H. Parsons, directeur du Royal Botanic
Gardens de Paradenyia à Ceylan
(actuel Sri Lanka). Il est également en
Ce
voyages en
avec
Museum
of
le
Comparative Zoology at Harvard
College et l'Institute for Biological
Research in the Tropics de Cuba
(Barrau & O'Reilly, 1972).
contact
Figure 2
:
Sir Harrison Willard SMITH,
fondateur du
Jardin Botanique de Papeari et
introducteur du Miconia calvescens à
Tahiti
Société des
En 1936, le jardin botanique
comptait déjà « près de 250 espèces
botaniques nouvelles : plantes alimentaires
destinées à améliorer le régime des
indigènes, bois de menuiserie, bambous
à fleurs
ou
géants,
plantes
d'ornementation » (O'Reilly et Teissier,
1975). On doit notamment à H. W.
Smith l'introduction d'une variété de
pamplemousse, le Citrus grandis
Osbeck (Rutacées), qu'il récolta au
Sarawak (Bornéo) et qui est devenue
actuellement une des plantes vivrières
et commerciales les plus importantes
en Polynésie Française (Maclet et
Barrau, 1959).
Études
Océaniennes
�112
Parmi les
plantes ornementales introduites par H. W.. Smith, citons
benghalensis L. (Moracées), le banyan des Indes, Ravelana
madagascariensis J. F. Gmel. (Musaceés), 1'« arbre du voyageur » de
Madagascar, Dendrocalamus giganteus Munro (Graminées), un bambou
géant originaire du Sud-Est Asiatique ou encore Medinilla magnified
Lindl., une Mélastomatacée des Philippines aux grandes inflorescences
roses et
pendantes.
Comme on peut encore le lire sur l'étiquette d'herbier écrite de sa
propre main, H. W. Smith introduisit des graines de Miconia magnified en
avril 1937, en provenance de
Peradenyia au Sri-Lanka. £,es graines
germées ont été mises en pot en octobre 1957 «potted and set out in October
Ficus
1937
».
Sur le
plateau de Taravao
M. calvescens aurait été introduit simultanément dans la Station de
Recherche
Agricole située sur le plateau de Taravao (presqu'île de Tahiti Iti) par Jean Boubée, collaborateur et ami de H. W. Smith.
Cet ingénieur agronome, arrivé au Service local de l'Agriculture
(actuel Service de l'Economie Rurale) en 1934, aurait tenté d'en exploiter le
bois, notamment comme piquets de clôture.
III / L'INVASION A TAHITI
Une
phase de latence
Jusque dans les années 50, la plante n'est signalée qu'à l'intérieur du
Jardin Botanique : d'abord par G. M. Baas Becking, en juillet 1950, sous le
nom
de Miconia
flammea. Cette confusion taxonomique s'explique
par la
face inférieure des feuilles de cette espèce ; puis par
dans une annexe de son ouvrage « La Végétation des
lies de la Société », intitulée « Liste des espèces étrangères du parc particulier
de Motu Ovini de Papeari ».
Une étude approfondie décrivant l'organisation du district de
Papeari au cours des années 1967 et 1968 ne mentionne pas la présence de
M. calvescens dans la végétation environnante du domaine Motu Ovini.
Pourtant elle souligne que « certains arbres introduits récemment, les
Caecropia, forment des peuplements qui prolifèrent avec vigueur » et note
l'envahissement de certaines cocoteraies non entretenues par Pisidium guajava,
Lantana camara, Mimosa pudica » (Ravault, 1980).
M. Guérin, directeur du Jardin
Botanique de Papeari jusqu'en 1989,
se souvient de l'existence d'un
grand arbre reproducteur à son arrivée en
1974, qu'il a fait couper (Guérin M., comm. pers.).
coloration rouge de la
H. R. Papy en 1951-54
«
Société des
Études
Océaniennes
�113
Une extension
Ce sont des
rapide
scientifiques de passage en Polynésie Française qui, dans
les premiers à s'inquiéter de la prolifération de M.
les années 1970, sont
calvescens à Tahiti.
Fosberg, botaniste au National Museum of Natural History du
Washington, exprime ses premières inquiétudes
lors d'un séjour à Tahiti en 1971 ; J. Raynal, sous-directeur du Laboratoire de
Phanérogamie du Museum National d'Histoire Naturelle, rédige un rapport
sur les introductions d'espèces étrangères à Tahiti en 1973 et lance un
avertissement prémonitoire : « je n'hésite pas à qualifier ce Miconia d'ennemi n°l
de la végétation tahitienne ». M. calvescens a envahi alors le haut de la Station de
F. R.
Smithsonian Institution of
il est à craindre que d'ici peu d'années la presqu'île entière soit
bois de Miconia ». L'espèce a été également signalée aux
environs du Belvédère (Fare Rau Ape) près de Papeete.
Taravao et
«
couverte de ces
A. Martin signale M. calvescens dans le fond de la vallée de
Papenoo dans un rapport ethnobotanique du CNRS : « une mention spéciale
doit être faite à Miconia magnifica, Mélastomatacée aux belles feuilles décoratives
vertes et rouges qui présente un caractère nettement envahissant ».
En 1974, M.
la
même
La
les
année,
botanistes F. R.
Sachet,
Fosberg et M.H.
mission à Tahiti,
en
constatent son
extension
rapide
dans les vallées humides
:
M.
apparaît être le
principal danger pour la flore
déjà menacée de Tahiti («It
appears to be the major threat to the
already endangered flora of Tahiti »).
calvescens
photographie de la
prolifération de Miconia sur le
plateau de Taravao » fait, en 1975,
la première page du bulletin
Une
«
trimestriel de l'Association pour
la Protection de la Nature en
Polynésie Française « la Ora te
Natura »,
Te Natura o
Figure 3
:
première page du bulletin
Polynesia
»
de l'Association de Protection de la Nature
de
«
3).
Polynésie Française paru en 1975 (N°2).
Société des
Études
consacré aux pestes
animales et
Océaniennes
végétales (cf. Figure
�114
En
1979, B. Le Vot, professeur de Sciences naturelles au Lycée P.
que « l'ennemi public n°l de toutes les autres espèces végétales »,
a envahi la totalité de la
presqu'île de Tahiti (communes de Taiarapu Ouest et
Est), le Sud de l'île (communes de Vaihiria, Papeari, Hitiaa) et pénètre dans la
Gauguin, signale
caldeira
: « de la zone côtière
jusqu'au col d'Urufau, Miconia magnifica se
multiplie activement et devient prédominant ». On trouve maintenant « des
couverts monospécifiques de Taravao à la Vaitepiha, la
principale vallée de TahitiIti » (Raynal, 1979).
En 1982, lors d'une
expédition au Lac Vaihiria, J. Florence, botaniste au
souligne que « l'existence de Miconia est
particulièrement frappante sur les bords du lac où il a déjà envahi les forêts à
Cyathea-Pandanus [...] conférant à ce paysage un aspect de désert biologique ».
Centre ORSTOM de Tahiti,
Selon lui,
«
Miconia représente un danger que les autorités mesurent mal
naturel ». Les vents violents et les pluies
pour la sauvegarde du patrimoine
diluviennes lors de la période
cyclonique exceptionnelle de 1982-83 (6
perturbations cycloniques) auraient jouer un rôle imp jrtant pour l'extension
de M. calvescens (Birnbaum 1989), plus en supprimant le couvert
végétal (ce
qui a permis une croissance et une reproduction accélérée des individus déjà
présents en sous-bois), qu'en créant de nouvelles zones à coloniser lors de la
chute d'arbres et des glissements de terrain (J. Florence, comm. pers.).
Société des
Études
Océaniennes
�115
génération humaine, M. calvescens a recouvert les deux
(cf. Carte 2). Il faudra néanmoins
attendre 1988 pour qu'un programme de recherche sur cette plante
envahissante soit engagé au Centre ORSTOM de Tahiti, à la demande du
En moins d'une
tiers de l'île de Tahiti soit environ 85 000 ha
Ministère Territorial de l'Environnement et de la Recherche...
IV / NOUVELLES INTRODUCTIONS
ET NOUVELLES
MENACES
L'extension de M. calvescens à Tahiti à
partir des deux foyers
d'invasion, Papeari et Taravao, s'est effectuée par dissémination naturelle
(oiseaux, vent ou cours d'eau). Excepté peut-être pour Moorea, située à
vingt kilomètres à vol d'oiseau de Tahiti, les introductions dans
Pacifique sont essentiellement d'origine humaine.
Introduit plusieurs fois à Raiatea (Iles Sous-le-Vent), d'abord en
1955 comme plante ornementale dans la vallée de Uturaerae, puis dans
les années 70 dans la vallée de Tetooroa et en 1981 à Faaroa par le
transport de terre « contaminée » en provenance de Tahiti, M. calvescens
recouvrait en 1992 environ 242 ha. Avec plus de 100 000 pieds détruits,
les opérations d'arrachage manuel qui se sont déroulée en 1992 et 1993
avec la collaboration de l'Armée et des scolaires de l'île ont permis
d'arrêter la progression de cette peste végétale (Meyer, sous presse).
moins de
les autres îles du
M. calvescens
a
été
également introduit dans l'archipel des Hawai'i
dans les années 1970, par l'intermédiaire de l'industrie horticole très
« florissante »
(Gagne & al., 1992). Encore récemment cultivé dans de
jardins botaniques, au « Helani Garden » et au « Ali'i Garden »
près de Hana sur l'île de Maui, dans les nombreuses plant nurseries de
Hilo sur l'île de Hawai'i, et au « Lyon's Arboretum » de Oahu, M.
calvescens a été proposé sur la « Noxious Weed List » établie par le
nombreux
Département d'Agriculture de l'Etat de Hawai'i (Higa, 1983), au même
titre que deux autres mélastomatacées envahissantes, Clidemia hirta et
Melastoma malabathricum. Comme en Polynésie française, toute entrée ou
tout commerce de plantes de cette famille est désormais interdits.
Cependant d'autres introductions continuent d'être signalées.
Sur
l'île de la Grenade (Petites Antilles), un artiste passionné d'horticulture a
introduit M. calvescens vers 1970 dans la région de St-George, au pied du
Grand Etang Forest Reserve » (P. Cazin-Bourguigon, comm. pers.). En
Nouvelle-Calédonie, une petite population croît dans un jardin botanique
privé situé sur les pentes du Mont Koghi dominant la vallée de la Yahoué
près de Nouméa (R. Lavoix, comm. pers.).
«
Société des
Études
Océaniennes
�116
Ainsi M. calvescens constitue
un cas d'invasion
biologique en milieu
spectaculaire, considéré comme unique par de
nombreux scientifiques et spécialistes des invasions
(communications
personnelles de L.L. Loope, R. H. Groves, H. R. Herren, R. Petocz).
L'histoire de son introduction et de son extension n'est
pas sans rappeler
celle de la jacinthe d'eau Eichhornia
crassipes. Introduite pour la première
fois en 1884 en Louisiane, en
provenance du fleuve Orénoque en
Amazonie, cette plante aux grappes de fleurs violettes et jaunes a
maintenant envahi la majorité des cours d'eau des
régions tropicales et
subtropicales. Elle constitue un véritable fléau, obstruant les rivières et les
insulaire terrestre
canaux
d'irrigation.
L'invasion par M. calvescens met en évidence, d'une part, la
fragilité
écosystèmes insulaires face aux perturbations externes d'origine
humaine, notamment les introductions volontaires (ou involontaire)
d'espèces animales et végétales, et, d'autre part, la nécessité sinon
l'urgence de protéger et de conserver la flore polynésienne riche et
originale (plus de 1000 espèces indigènes dont 50 % d'endémiques,
Florence, 1987).
Malgré les nombreuses études effectuées afin de caractériser
l'envahisseur-type («the ideal weed » selon Baker, 1965), il est difficile de
prévoir si une espèce sera envahissante ou pas. Miconia calvescens semble,
par exemple, s'être naturalisé au Sri-Lanka sans perturber la végétation
naturelle (Dassanayake &
Fosberg, 1987). De plus, l'existence d'une phase
de latence («the lag time » selon Ewel,
1986) entre le moment de
l'introduction et le moment où la
plante est perçue comme un problème,
et qui peut durer
plusieurs dizaines d'années, retarde toute action
immédiate voire même préventive.
Si M. calvescens a été déclaré « hors-la-loi » aux îles Hawai'i
(poster
Wanted locations of Miconia » publié en 1988) et en
Polynésie Française
(dépliant « Halte au Miconia » paru fin 1993), il fait encore les beaux jours
de l'industrie horticole dans le reste du monde.
Aujourd'hui encore, on
peut trouver M. calvescens (ou sous le nom horticole de M. magnifica), « the
showy velvet-tree in tropical Southern Mexico », dans la liste des plantes
ornementales de la dernière édition de « TROPICA, color
cyclopedia of
exotic plants and trees » et de « EXOTICA,
pictorial cyclopedia of exotic
plants » (Graf A. B., Roehrs Inc. Publisher, 1993), les deux bibles des
amateurs de plantes
exotiques...
des
«
Jean-Yves MEYER
Société des
Études
Océaniennes
�117
REMERCIEMENTS
Ce travail essentiellement bibliographique a
été d'abord commencé
"Conservatoire et Jardins Botaniques de Nancy" et au
Museum National d'Histoire Naturelle de Paris, puis à Tahiti au Centre
ORSTOM de Tahiti et au Jardin Botanique de Papeari. Il est ensuite le
fruit d'une correspondance fournie avec les établissements scientifiques
en
France,
au
jardins botaniques du monde entier, entre 1992 et 1994.
Je tiens vivement à remercier, pour leur aide précieuse et leur
grande amabilité, Olga Allaume (bibliothécaire du Centre ORSTOM de
Tahiti), Robert M. Burkhart (exploratory entomologist, « Hawai'i
Department of Agriculture »), Patrick Cazin-Bourguignon (ingénieur
agronome à la Mission Agricole de St-George, Grenade), Jacques Florence
(botaniste au Centre ORSTOM de Tahiti), Hina Gerbier (directrice du
Jardin Botanique de Papeari, Tahiti), Michel Guérin (Délégation à
l'Environnement, Tahiti), Dr. Hans R. Herren (director of the
International Institute of Tropical Agriculture, Bénin) ; Dr Lloyd L. Loope
(Haleakala National Park, Maui, Hawaii), Dr. Ronald Petocz (consultant
parks planner and ecologist, Philippines), Mme Raynal (Laboratoire de
Phanérogamie du M. N. H. N., Paris) et Mr. Pierre Valck (conservateur du
"Conservatoire et Jardins Botaniques de Nancy").
Mes remerciements vont à ceux qui se sont donné la peine de
répondre à mes lettres et ont ainsi contribué aux investigations sur M.
calvescens : Dr. Frank Almeda (California Academy of Science, EtatsUnis), Mme. F. Billiet (assistant au Jardin Botanique National de
Belgique), Dr. Okky S. Dharmaputra (Southeast Asian Regional Centre
for Tropical Biology, Bogor, Indonésie), Ole Hamann (director of the
Botanic Garden University of Copenhagen, Pays-Bas), Charles Hubbuch
(director of the Fairchild Tropical Garden, Miami, Etats-Unis), Dr. A.H.M.
Jayasuriya (National Herbarium of Peradeniya, Sri Lanka), Dr. A. Kress
(Botanisher Garten Miinchen-Nymphenburg, Allemagne), Mr. Raymond
Lavoix (Nouvelle-Calédonie), Dr. Beat E. Leuenberger (Botanischer
Garten und Botanisches Museum Berlin-Dahlem, Allemagne), John D.
Main (curator of the Royal Botanic Garden Edinburgh, Royaume-Uni),
Maru Garcia Pena (Herbario Nacional de Mexico, Mexique), Dr. Victoria
Sosa (Instituto de Ecologia, Mexique), Dr. Ir. Suhirham (director of the
Botanic Gardens of Bogor, Indonésie), Roy Vickery (curator of Flowering
Plants of The Natural History Museum of London, Royaume-Uni) et Dr.
John J. Wurdack (Smithsonian Institution of Washington, Etats-Unis).
et les
Société des Etudes Océaniennes
�118
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Planche 2.
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of Agriculture, Division of Plant
Industry, Plant Pest Control Branch : 4 pages.
Statut de Miconia calvescens à Raiatea : origine,
répartition, abondance, extension et lutte. Actes des Illèmes Journées de la
Recherche en Polynésie.
MEYER J.- Y., sous presse.
Société des
Études Océaniennes
�120
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Société des
Études
Océaniennes
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Société des
Études Océaniennes
�H1VA OA EN 1922
PROMENADE TOURISTIQUE
AVEC MONSIEUR LE BRONNEC
À VOIR
:
(1) Pointe Kaledo
(2) Fontaine aux eaux bouillonnantes
(3) Chez Lacharne 'philosophe'
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Dublin Core
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Bulletin de la Société des Études Océaniennes (BSEO)
Description
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La Société des Études Océaniennes (SEO) est la plus ancienne société savante du Pays. Depuis 1917, elle publie plusieurs fois par an un bulletin "s’intéressant à l’étude de toutes les questions se rattachant à l’anthropologie, l’ethnographie, la philosophie, les sciences naturelles, l’archéologie, l’histoire, aux institutions, mœurs, coutumes et traditions de la Polynésie, en particulier du Pacifique Oriental" (article 1 des statuts de la SEO). La version numérique du BSEO dispose de son ISSN : 2605-8375.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
2605-8375
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Établissement
Université de la Polynésie Française
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 263-264
Description
An account of the resource
Articles
- Recrutement sud-américain en Océanie orientale en 1862-1863 par Corinne Raybaud 2
- Hiva-Oa en 1922, promenade touristique avec Monsieur Le Bronnec par Michel Bailleul 19
- La naissance du "rassemblement démocratique des populations tahitiennes" (le R.D.P.T.) par Jean-Marc Regnault 24
- L'ethnoarchéologie : pour que le présent éclaire le passé par Eric Conte 51
- Valeurs socio économiques du milieu corallien récifal et de ses ressources : Ile de Moorea, archipel de la Société par Annie Aubal 65
- Histoire de l'introduction et de l'invasion de Miconia Calvescens à Tahiti par Jean-Yves Meyer 107
Source
A related resource from which the described resource is derived
Société des Études Océaniennes (SEO)
Publisher
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Société des Études Océaniennes (SEO)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1994
Date de numérisation : 2017
Relation
A related resource
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Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
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Language
A language of the resource
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Type
The nature or genre of the resource
Imprimé
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
PFP 3 (Fonds polynésien)