-
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Text
BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N° 261-262
TOME XXIII-N° 1-2
MARS
.
-
JUIN 1994
Société des Etudes Océaniennes
�Société des Etudes Océaniennes
Fondée le 1er janvier
1917
Service des Archives Territoriales
Vallée de
B JP. 110
Tipaerui
Papeete
Polynésie Française
TéL 4196 03
Banque Westpac : 012022 T 21
—
CCP : 834-85-08 Papeete
CONSEIL D'ADMINISTRATION
t M. Paul MOORTGAT
Président
t Me Eric
Vice-Président
LEQUERRE
Secrétaire
Mlle Jeanine LAGUESSE
M.
Trésorier
Raymond PIETRI
ASSESSEURS
M. Yvonnic ALLAIN
M. Robert KOENIG
Mme Flora DEVATINE
M. Roland SUE
MEMBRE D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
Société des
Études
Océaniennes
�BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES
ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N° 261-262 TOME XXIII
-
N° 1-2
MARS-JUIN 1994
SOMMAIRE
-TE-ARA-PO
De la voix
aux
'OROHENA
-
le mont
apporta au
-
-
2
4
LE PI'I
De la coutume du
-
Winston Pukoki
phallique
textes par
ou
Pi'i et des modifications
qu'elle
vocabulaire tahitien par E. Ahnne
14
Quelques commentaires
par Marau Taaroa i Tahiti
18
Le Pi'i, commentaires d'aujourd'hui
par Louise Peltzer
28
Les hymnologies protestantes de Tahiti et des hauts
plateaux malgaches par Raymond Mesplé
36
La crise des concepts légaux à Tahiti 1819-1838
par William Tagupa
82
Contribution à l'histoire du droit du travail en Polynésie
française par Laure Ginesty
95
■Société des
Études
Océaniennes
�2
De la voix
Un
textes de
Te-ara-pô :
regard de l'oraliturel tahitienne
nouveau
aux
Depuis la création de Radio Club Océanien (R.C.O.)2 en avril 1934, la radio est
un
moyen de communication, renforçant
dans les îles les plus retirées la vie communautaire^
par rapport à Tahiti.
A cette époque où Ton ne
comptait parfois qu'un seul poste récepteur pour
l'ensemble de l'île ou du
village, les gens se réunissaient autour du poste à l'heure des
émissions en langue tahitienne.
Lorsque l'émission en langue française reprenait, on
éteignait le poste pour commenter les dernières nouvelles ou les légendes racontées par Tedevenue à travers la Deuxième Guerre Mondiale
ara-pô4 et poursuivre la veillée tard dans la
et des
légendes,
soirée à
se raconter
d'autres histoires, des contes
simplement à parler de la journée de travail dans les plantations.
Plus tard, lorsque la station de Radio-Tahiti devint alors vers la fin des années
1950 partie intégrante de la Radio et Télévision
Française (O.R.T.F.), l'introduction de la
télévision (en noir et blanc) en
Polynésie fut accélérée et elle fut mise en service en 1965
Quel est alors l'impact de la radio en matière de transmission de la tradition ?
Monsieur Pouira Te-Auna, dit
Te-ara-pô, était le premier à avoir compris que les
ondes de Radio-Tahiti étaient le seul
moyen de faire partager ses connaissances et ses
ou tout
.
"recherches"
avec son
fameux
"Oceania"^,
c'est-à-dire les habitants des E.F.O,
en
animant
dès 1957
chaque lundi à partir de 18h30 une émission hebdomadaire d'un quart d'heure
environ durant sept années consécutives. Il
agrémentait parfois ses légendes et ses histoires
de 'utë (forme de chant traditionnel) de son
improvisation ou de pehe composé et interprété
généralement par des amis musiciens et lui-même, ou encore de pàta'uta'u (poème scandé).
1 Nous avions créé
ce terme et
parlé d'oraliiure
en
travail de recherche.
Le recueil d'un
l'oralité appelée
grand nombre de matériels
1982 et l'avons consigné par écrit en 1988 dans
un
de transcriptions ne constitue pas une littérature de
"littérature orale", même si on parle de "textes oraux". Devant le paradoxe entre Toralité
et l'écriture qui
persiste, le terme de "littérature orale" ne nous convenait pas pour désigner l'ensemble
des transcriptions des contenus verbaux.
Qui dit littérature dit existence d'écrivains, d'hommes de lettres
ou
d'oeuvres littéraires (ce
qui n'est pas encore le cas pour les langues polynésiennes) ; qui dit orale dit
existence d'une communication fondée sur l'oralité (bien
qu'il existe plusieurs normes graphiques dont
une officielle) avec des
orateurs, des récitants, des conteurs, des
ou
désigne "toute forme scripturalisée relevant de l'oral". Ainsi, les
textes de
référence,
comme
les
textes
qui
se trouvent
d'autres ouvrages, font partie de l'oraliture.
2Le bon fonctionnement de Radio Club Océanien
généalogistes. Le terme d'"oraliture"
"textes oraux" immuables devenant des
dans "Tahiti
aux
qui a émis sa
abouti à la création de Radio Tahiti à la fin de Tannée 1950.
temps anciens" de T. Henry et dans
première émission le 11 avril 1934
3 Ce
a
qu'il faut souligner aussi, c'est le formidable réseau d'information qui s'est créé sur certaines îles. Il
parfois, lorsqu'un message est adressé à une personne qui était absente au moment de la diffusion
de la nouvelle, qu'on
se chargeait volontiers de la lui transmettre. Le destinataire n'avait aucune raison de
douter de la nouvelle
qu'on lui apportait puisqu'elle lui était répétée plusieurs fois de suite, par différents
arrive
amis
ou voisins.
4 Il semblerait
que
3
Te-ara-pô ait commencé ses émissions vers 1957 sur Radio Tahiti.
Te-ara-pô saluait toujours son public avec sa formule immuable " la Ora na e Oteania. Te aroha
Société des
Études
Océaniennes
ia rahi'.
�3
Plus de trente
des
ses
légendes racontées
"textes"^ transcrits
ana-vaha-rau
:
ans se
par
et
écoulés entre la première diffusion des histoires et
les ondes de Radio Tahiti et la publication d'un de
le Département des Traditions Orales du Centre Te-
sont ainsi
Te-ara-pô
sur
corrigés^ par
Orohena.
En 1986,
Dany Carlson et Heipua Bordes créèrent l'émission Puhihau (Nouveau
rediffusant sur les ondes de R.F.O. les mêmes sujets diffusés une vingtaine
d'années auparavant, en "faisant interroger" Te-ara-pô par deux jeunes gens (Mario
Brothers et Martine Teururai), symbole d'une jeunesse en quête de nourriture culturelle. Les
textes gardaient leur secret, car tout le monde considère que le contenu était "sacré" et que
souffle)
en
le texte est immuable.
Il a fallu attendre la fin de l'année 1993 pour qu'un vent nouveau vienne souffler
organismes et services dépendant du Ministère de la Culture et de l'Environnement
et pour que les textes soient accessibles au public grâce à la Société des Études Océaniennes
qui m'a confié une double responsabilité : celle de normaliser le texte tahitien avec la
graphie officielle et d'adapter les "textes de Te-ara-pô" en langue française. Nous remercions
le Département des Traditions Orales du C. P. S. H.
dans les
Le texte tahitien
qui nous a été confié est subdivisé en plusieurs parties
peut-être parce qu'il présente une succession d'informations
éparses. Après l'écoute de la cassette d'enregistrement, nous y avons porté quelques
corrections et supprimé les titres intérieurs. Nous avons normalisé le texte avec la graphie
officielle, la même qui est utilisée pour la norme graphique des autres langues du Pacifique.
reconnaissables à leur titre,
nos lecteurs, notamment bilingues, que certains passages du
gardent encore leur mystère du fait que certains mots nous échappent à
mauvaise qualité de la bande sonore et de l'absence des "lexèmes scripturalisés "
Nous avertissons
texte
cause
en
tahitien
de la
dans les dictionnaires.
Le texte en français que nous présentons n'est pas une traduction mais une
adaptation qui relève d'une création : un autre regard du texte. En partant des informations
et des images récurrentes du texte en tahitien de Te-ara-pô et en écoutant sa cassette, nous
avons écrit le texte français en respectant les idées et en utilisant quasiment un même
registre de langue. Nos lecteurs ne doivent pas chercher à comparer les deux textes : chacun
d'eux a son propre style. L'un relève du caractère oral où la répétition de certains passages
est une forme de mémorisation, et l'autre qui relève du caractère écrit, où la répétition8 est à
éviter.
Nous
nous sommes
demandé à
un
moment de notre travail comment les
auditeurs de Radio Tahiti et les autorités
diffusion du texte Orohena
religieuses polynésiennes ont-elles réagi après la
le 18 février 1963, à 18h30 alors que l'Église Evangélique n'avait
acquis son autonomie? L'avaient-ils écouté parce Te-ara-pô était devenu, depuis,
renommée ou tout simplement qu'on aimait écouter avec plaisir les histoires,
les légendes ou certaines étymologies des toponymes ou des patronymes?
pas encore
un
conteur de
Winston PUKOKI
dit Paraurahi A Fiu 'Ore
8 La "Collection
Te-ara-pô" du Centre Te-ana-vaha-rau couvre imparfaitement les émissions
juin 1962 à juillet 1964.
s'agit d'écarter les confusions et les contresens de certains passages lors du décodage de l'oral vers
radiodiffusées de
^ Il
l'écrit.
8 Afin d'éviter la
répétition, certains
passages en
français ont été supprimés par rapport au texte en
tahitien.
.Société des Études Océaniennes
�OROHENA
Te mou'a
'Orohena e 2237 metera i te teitei.
roa a'e o Tahiti-Nui-Màre'are'a-I-Te-Vai-Uri-Rau,
ra o
Te mou'a teitei
te mou'a i
-
parauhia ë
'O te hena
E atua
te atua
ra o
'Orotau
te tama'i
no
Tamaiti
o
:
na
Ta'aroa-Atua
e
'o Hina,
Tei fa'atorehia e te anuanua
I ni'a i te mou'a ra,
'O Mou'a Rahi i
Tei
Porapora,
parauhia i teie nei
'O Pahi'a-Î-Te-Rima-O-Marama-Toa
Te'urïi haehae, 'e 'o Fenua-'Ura.
No hea teie i'oa i te roa'ara'a mai i teie mou'a ?
E
rua
tu'ura'a
reo
-
i roto i teie nei parau :
'Orohena, te hena
Teie ta te parau tuatapapa
-1 te tau "âuiui ra,
i fa'a'ite
'Aore
a
te
moa
'Aore
a
te
pua'a i 'u'uru,
'Aore
a
te 'urïi
'Oro.
o
:
i 'ci'aoa,
"àoa,
'Ua tupu te tïruvi i Tahiti nei,
Nô te riri o te atua ra 'o Tuara'a-Tai
I
man
tona io rôuru i te matau hïi'a
A te ta'ata
ra o
'Ataratua.
'Ua fa'a'ite nei taua atua
ra
iâ 'Ataratua 'e
'Ua fa'aineine te ta'ata nei i tana vahine
ato'a e nehenehe 'ia rave.
e
e
te
mau mea
1 Uri?
Société des
Études
Océaniennes
tïruvi 'oia i te fenua.
mau
tamari'i
e
te
�5
'OROHENA
ou
Elevé
La
sur ses
le mont
phallique
2237 mètres d'altitude, 'Orofena est
plus haute montagne de
Tahiti-Nui-Màre'are'a-I-Te-Vai-Uri-Rau, que
La verge (hena) du
Dieu de la guerre,
-
dieu 'Orotau (abréviation : 'Oro),
Fils du dieu Ta'aroa et de la déesse
Voici
Aux
ce
que
l'on disait être
l'histoire nous rapporte
Hinah
:
temps anciens,
alors que
les coqs ne chantaient pas encore,
les cochons ne grognaient pas encore et
que les chiens n'aboyaient pas encore,
Un déluge frappa l'île de Tahiti
Après que le dieu Tuaraa-tai se fâcha
lorsque ses cheveux s'étaient pris à l'hameçon
que
du nommé 'Ataratua
qu'il lui avait dit qu'il provoquera
et
L'homme,
ce
'ùri haehae,
femme et les enfants
se
déluge
sur
l'île.
préparèrent, emportèrent
qu'ils pouvaient,
1 Les traditions
Mou'a Rahi à
sa
un
rapportent que la déesse Hina est descendue d'un arc-en-ciel sur le Mont
Porapora
l'on appelle aujourd'hui Pâhi'a-l-Te-Rima-O-Marama-Toa, Te
que
'e 'o Fenua-'Ura
.Société des
Études Océaniennes
�6
'Ua haere râtou i te tara
mûri mai i taua tïruvi
ra
o
'la tae a'era ràtou i te tara
râtou. 'O te fare
fare
te mou'a
te mou'a ra 'o
o
ra
'o Pito-Hiti, tei riro ho'i i
Pito-Hiti, te pito
taua mou'a ra,
Tahiti2.
'ua ha'a i te fare nô
'ape mâtâmua i ha'ahia e te 'ôpuhi ato'a, 'oia ho'i te
'ôpuhi tei nohohia e te mau 'aere.
rau
'E 'ia ru'i a'era, e vero rahi tei
fcnua i te 'iriâtai. 'Ua nïnâhia te fenua
tupu, e ua, e po, ha'eha'a atu nâ te
te ua,
e
'e 'ua vai
maoro
mai te reira
te huru.
E tau mahana ri'i i mûri
puta ato'a mai te hihi
mai, 'ua ha'amata te vai i te tïpapa. 'Ua
te râ.
o
Të 'ite nei 'o 'Atarataua 'e tâna
ra
vahine i taua tara
nâ roto i te vai nïnâ 'e tô râua mana'ora'a ra,
atua ra o
'Oro.
'o te hena ia
ra
o
te atua ra o
o te
te ara'a
'Orotau tâ râua i 'ite atu i te terera'a.
Terâ râ, i te reira tau, 'aore tô te atua e
-
i te terera'a
te tara ia
Tâpa'o fa'a'ite iâ râua ë, të fàtata nei te fenua i
fa'ahou. Te tara
E
o
parauhia ë
:
E tara.
parauhia râ ë
:
-E hena.
Nô te mea,
e mea
huru 'à'ano ato'a te
tara mai te huru i te hena
E
'aore
ra
mea
pâpù teie atua o 'Oro ë, e i'a 'oia. Mai te 'aurepe
mai te iheraha. 'E 'ua
parau râua i te hena o 'Oro :
-
o
te
pahïra.
ato'a
ra,
E 'Orohcna.
2 Te
pito Tahiti serait, selon l'interprétation de Te-ara-pô concernant le mont PitoHiti, le centre, le nombril de Tahiti. En fait, même si le mont
occupe une position
centrale de l'île, le sens
étymologique a été donné dans le texte: une forme
phallique (pito) sortie de l'eau (hitï).
Société des
Études
Océaniennes
�7
et
se
rendirent
sommet d'un mont
au
le mont Pito-Hiti
:
la bite
qui devint après ce déluge
d'amarrage (pito) qui se lève (hiti).
Une fois arrivés, ils construisirent un
abri,
le
premier du genre, avec des feuilles de 'opuhi
où siège le firmament.
Le soir venu, une grande rafale souffla.
Il pleuvait, il faisait nuit, l'île était sous
Recouverte par
le niveau de la mer
les eaux de pluie et ce pendant plusieurs nuits.
Quelques jours plus tard, l'eau commença à se retirer.
Les rayons de soleil réapparurent.
Ataratua et
sa
femme virent
ce
sommet
des eaux,
remonter du fond
pensant qu'il s'agissait de la partie
cachée de l'épine dorsale du
poisson du dieu 'Oro.
En
fait, l'île allait s'élever de
C'est donc la
On
nouveau.
pine du dieu 'Orotau en érection qu'ils avaient vue.
n'employait pas pour les dieux
le terme "dard "ou
"pine",
mais
de "membrure", parce que le phallus avait une envergure comme
le mât et les vergues d'une embarcation.
Il est certain que ce
dieu 'Oro soit un poisson
Comme le
'aurepe, ou comme le ihe raha.
Et ils ont décidé que la verge de 'Oro
s'appellera désormais 'Orohena.
Société des
Études Océaniennes
�8
'Araua'e iho, 'ïnaha e mou'a taua tara ra, tâ râua e 'ite nei 'e 'ua
topa raua i te i'oa
:
-
'O 'Orohena, te hena o 'Oro.
E tau mahana i mûri fa'ahou
taua tara o 'Oro ra,
të tere iho
ra.
-
tei
pehepehehia ë
mai, të 'ite atu ra raua i te tahi pae
'Ua parau raua i te reira ë :
'O 'Orotere ...te reira mou'a
:
-
Te homou'a
o
Tahiti ë
Ma'iri a!era i 'Orotere.
'Orotere i te
ua
tere
E ua, e po,
Ha'eha'a na te fenua
i te 'iriatai
O to'u 'ai'a ë.
'Ua riro te mou'a
tatou 'ài'a. 'Ua roa'a iàna
'Orohena, 'ei mou'a teitei roa a'e nô to
2237 metera. 'Ua riro ho'i 'oia 'ei mou'a
ra o
e
fa'atcniteni nô tô tatou 'ai'a nei.
E
rave
rahi te
mau
'Orohena i roto i ta ratou
Mâhina 'e 'o Puna'auia.
mata'eina'a tei tu'u i teie nei mou'a
mau reo
himene
fa'ateniteni, mai ià
o
Papeno'o,
E tara 'àivi 'afaro noa tô 'Orohena na te
pae i
i te haere,
tù'ati atu ai i te 'aivi e haere ti'a i Pito-Hiti, ë haere roa atu ai i 'Orohena.
'Aore atu tôna e arati'a fa'ahou 'e tae atu ai i 'Orohena.
'Àhonu
'Ua tàmatahia
te fa'a i
Papeno'o, e mea fatata 'ia haere.
tàmatara'a, mai ïa Ti'piti tâne, i te matahiti 1883.
E tae roa mai i te matahiti
1954, 'a tahi ra 'o 'Orohena 'a hahihia ai e
'âvae ta'ata. I ta te
papa'a paraura'a ra :
E
na
rave rau
-
'Aore
a
i ta'ahihia
Société des
e
te 'avae ta'ata.
Études
Océaniennes
te
i
�9
Quelques jours plus tard, ils virent sur l'autre versant cette pine
de 'Oro bouger. On l'appela alors :
le mont 'Orotere,
Qui, dans
un
autre chant, était:
'Orotere dans les
"
Il
de
'Orohena est la
sur
de
pluie montantes.
pleut, il fait nuit,
l'île est
avec ses
eaux
mon
sous
le niveau de
mer
pays.
plus haute montagne de notre pays,
qui ne tarit pas d'éloge
2237 mètres d'altitude,
notre pays.
Bon nombre de districts la chantent
dans leurs fa'ateniteni,
comme ceux
'Orohena
a
de
Papenoo, de Mâhina et de Punaauia.
des crêtes
escarpées
partant de Ahonu, passant par la crête menant au Pito-hiti
jusqu'à 'Orohena. Il n'y a plus de sentier qui mène vers 'Orohena.
en
Celui
qui passe par la vallée de la Papenoo est le plus court
pour y accéder. Il y eut plusieurs tentatives comme celle de
Monsieur Tipiti en 1883.
Mais ce n'est qu'en 1954, pour la première fois, que 'Orohena a
été foulé par les hommes,
comme disaient les Blancs (Européens),
Société des
Études Océaniennes
�10
I roto i te parau a te
-E pare
E
mà'ohi
marae no
'Oro,
E horohorora'a
'E te
'la tae
:
ha'apiira'a ïa,
no
te
taha'a
mau
pi'i inato.
i te 'ava'e
ra
i reira te
Tetepa 1954,
'itea-pâpii- ra'a- hia ë,
purera'a atua to ni'a i 'Orohena.
i 'apato'erau, tei reira te
ra
Tapu-Ata-I-Te-Ra'i, tei parauhia ë :
e marae
E
rua
hàtara i 'Orohena; te tara i te
pae
marae
No Teahiohio.
-
Te tara i
'apato'a, tei reira te
ora
'o Purehau
:
No Tetiita'ata.
-
Të
marae ra
nei à i
Ha'apape te hua'ai
a
teie nei tau 'aito,
'o Teahiohio 'e 'o Tetuta'ata.
E
rave rau reo
o
te 'ài'a
himene tei fa'ateniteni i teie nei mou'a, fa'ateniteni
:
E
hatara i 'Orohena,
rua
'Orohena ho'i te mou'a
Nô ta 'u ari'i ra.
Mou'a
'Ua
ïa 'o
'Orohena,
tapo'ihia e te ata,
ra
Puhihau
'la vai
mai te mata'i Maoa'e.
noa
mai 'Orohena ë,
To'u mou'a iti e.
E mou'a teitei 'o 'Orohena,
noa
Taura'a
Të 'a'à
I te
o na
ra
mo'ora 'ura.
nei mo'ora
piha tahua i rôpii.
Të hina'aro nei
I te vahine nô
'Ua
parauhia 'o 'Orohena
-
E taura'a nô
na
o
'Orohena
'Orofenua.
:
mo'ora 'ura
Société des
ra.
Études
Océaniennes
�11
et
sur ses
sur
se
a découvert
hauteurs des marae:
l'on
que
le
pic du nord,
Tapu-i-te-ra'i que l'on dit
trouve le marae
être celui de Teahiohio;
sur
le
pic du sud, se trouve le marae Purehau,
Tetuta'ata^.
celui de
Selon les traditions orales des Mà'ohi,
une forteresse,
de 'Oro, c'est un lieu d'escalade pour
"escaladeurs de falaises".
Voici encore un autre chant d'éloge qui
c'est
un
c'est le
refuge,
marae
dit
les tahu'a et des
:
Il y a
deux pics à 'Orohena:
'Orohena, montagne
de mon roi;
'Orohena, montagne
recouverte de nuages
balayés par le vent maoa'e.
Que 'Orohena soit toujours
Ma chère montagne !
'Orohena, montagne majestueuse,
perchoir des deux canards aux plumes rouges.
Les deux canards cancanent
au
fond du cratère.
'Orohena désire
une
femme
originaire de la terre de 'Oro.
'Orohena,
perchoir des deux canards aux plumes rouges
2 Les descendants des
guerriers Teahiohio et Tetuata'a vivent encore à Ha'apape
Société des
Études
Océaniennes
(Mahina)
�12
'E të mana'o nei
au
ë 'o Teahiohio
'o Tetuta'ata taua
e
'aore râ, teie ra'au fa'ahiahia e tupu nei i ni'a ia
maire ato'a te huru, tei parauhia ë o te 'uramea.
'ura ra, e
Tei tua
-
ra
na
mo'orâ
'Orohena, mai te
ho'i to 'u hi'ora'a mai,
'Ua
fa'ati'a 'oe i te hena o te ferma.
Tapu-Ata-I-te-Ra'i ë, e Ra'a-Toa ë,
Tô 'u fenua ë, të vai mai ra,
'E te piri o to 'u fenua iti.
I roto i te ho'ë parau pa'ari nô Tahiti, 'ua fa'arirohia
Ei 'omore tuiro'o no te atua ra
'o 'Orohena
-
'O Ta'aroa-Ma-I-Tii-I-Te-Ra'i
Tei
amoamo
'O
'Orohena-l-Tapu-Ata-I-Te-Ra'i
i tana
Tei tahirihirihia
e
te
Tei tiiramaramahia
Tei noho i ni'a i te
'E te
'E teie ho'i te
one
te atua
one
Ra'a
parau ra :
ra
Tapu-Ata-I-Te-Ra'i
Tei amoamohia
e
te atua
Tei tahirihirihia
ra
'E te mata'i
To'erau
ra o
Tei tiiramaramahia
ra
ra e
uri
pehe i fa'a'una mai i taua
I 'Orohena i
'Aue
to'erau,
e
tea.
Patia toro tea to 'u mou'a
-
'ômore
ra
e
ra
'o Ta'aroa
Ra'a
ho'i 'Orohena ë!
'Aue tô 'u mou'a iti ë!
'Aue tô 'u 'ai'a iti ë!
'E teie te
-
piri
no
'Orohena
'O vai
na
'aito tuiro'o i tehe i te
:
Tei roto i to 'outou vaha, te
mea o
pàhonora'a
o
'Orohena ?
teie nei piri.
Mauruuru to 'Oteania. Te aroha 'ia rahi.'Ia
ora na e
Te-Ara-Po
Société des Etudes Océaniennes
'Oteania !
,18/02/1963
:
�13
qui sont Teahiohio et Tetuta'ata et là où pousse encore une plante
appréciée comme le maire
que l'on appelle le 'uramea.
Vu du
grand large,
érigé la verge de l'île.
Ô Tapu-ata-i-te-ra'i et Raa-toa!
Mon pays, toi qui te dresses,
mon cher pays est pavé d'énigmes.
tu
as
'Orohena,
Célèbre lance brandie
3
par
le dieu
Taaroa-mà-i-tu-i-te-ra 'i.
'Orohena-i-tapu-ata-i-te-ra'i
bercée par le toerau,
embrasée par le dieu
Ra'a
qui reflète sur la terre rouge
Et le sable blanc..
Ô 'Orohena!
Ô ma chère montagne!
Ô mon cher pays!
Voici
l'énigme de 'Orohena :
Qui sont les deux guerriers
célèbres qui ont hypcrcisé le machin
de 'Orohena ?
réponse de cette énigme se cache à l'intérieur de vos
Que l'amour soit aussi vaste que Mer-ci: l'Océanie!
La
bouches.
Winston PUKOKI
Adaptation libre à partir du texte en tahitien et de
3 'Orohena avait
la cassette originale
également comme attribut "la lance qui se profile dans le blanc
Société des
Études Océaniennes
lointain"
�14
De la coutume du Pi'i
et des modifications
au
qu'elle apporta
vocabulaire tahitien
n
Jl est bien connu que, chez beaucoup de peuples, certains noms,
désignant la divinité ou les puissants du jour étaient
sacrés et que le vulgaire n'avait point le droit de les
employer ni même de les prononcer. C'est ainsi que les Juifs, par crainte
autant que par respect, ne prononçaient jamais le nom de Jehovah. Mais
chez aucun peuple peut-être, cette coutume n'a sévi aussi généralement
et aussi rigoureusement que chez les Polynésiens de nos archipels.
certains vocables
considérés
comme
Le missionnaire Orsmond,
qui vivait à Tahiti et à Moorea, au
siècle, et qui avait fait de la langue tahitienne
une étude méthodique et approfondie,
nous a laissé des notes très
intéressantes touchant cette coutume qu'il appelle le pi'i. Voici en quoi
commencement du XIXème
pi'i. Les noms des rois, des chefs ou des notables de quelque
importance étaient sacrés. Ils ne devaient point être imités, encore moins
appliqués à quelque personne ou à quelque objet. Même les syllabes
composant ces noms devenaient sacrées et ne pouvaient plus être
employées par le vulgaire.
consistait le
Or, comme à de fréquentes occasions et sous les prétextes les plus
futiles, les puissants du jour changeaient de nom, il s'ensuivait qu'une
quantité de mots usuels devenaient inutilisables.Et, bien que les
communications fussent alors peu fréquentes entre les différentes îles,
dès qu'un personnage royal changeait de nom, il paraît que la nouvelle
s'en répandait avec une rapidité extraordinaire de district en district et
d'île
en
île. De là
sans
doute le
nom
de
pi'i qui signifie
:
"crier,
proclamer".
C'est qu'on ne plaisantait pas en ce temps-là avec ceux qui
violaient la défense et commettaient un lapsus linguae. La mort seule
pareil forfait ; d'où le dicton tahitien : Te taata i hape i te
tona ioa. Tera te auraa o te ohure ura, e tabu ia = Celui qui
fait une faute en parlant (après le pi'i) sera appelé "anus rouge", c'est-àdire qu'il devient une victime pour les dieux.
pouvait punir
reo
ra, o
ohure
un
ura
(*) Article paru en février 1926 dans le Bulletin n° 11 de la Société des
Société des
Études
Océaniennes
Études Océaniennes.
�15
C'est surtout à
l'époque de Pornare 1er que la coutume du pi'i
honneur, mais elle déclina quand le roi embrassa le
christianisme ; du moins les transgressions de cette loi n'avaient plus
des
conséquences aussi graves.
semble avoir été
en
Au
temps où écrivait Orsmond, c'est-à-dire vers 1837, bien que la
pi'i ne fût plus rigoureusement observée, les effets s'en
faisaient encore sentir : nombre de mots avaient été modifiés, défigurés
ou
détournés de leur signification primitive. Le nom des rois était encore
universellement respecté et considéré comme sacré. C'est ainsi que, les
missionnaires ayant construit à Moorea une goélette,
le bruit avait couru
qu'elle portait le nom de Pomare. Le jour où ce bateau devait être lancé, les
indigènes se rassemblèrent par centaines armés de haches pour le mettre
en
pièces et on fut obligé de changer son nom.
coutume du
Orsmond cite
le fait suivant
vaisseau espagnol, en
les Tuamotu où il allait chercher des perles, relâcha à Papeete.
Espérant avoir plus de succès auprès des indigènes, ses armateurs l'avaient
baptisé "Pomare". Ce nom était inscrit à la poupe et figurait également sur
toute la vaisselle et l'argenterie du bord. On eut
beaucoup de peine à
empêcher les Tahitiens de saisir et de mettre en pièces ce bateau qui
s'enfuit aux Tuamotu où d'ailleurs il ne reçut pas meilleur accueil, les
habitants de ces îles ayant toujours été de chauds partisans du roi Pomare.
route
encore
: un
pour
Orsmond
noté de nombreux
exemples de mots altérés ou
primitif par la coutume du pi'i. Citons-en quelquesuns : chacun connaît l'origine du nom de Pomare
rapportée par Ellis dans
ses
"Polynesian Researches". Le roi Otu ou Tu, ayant toussé pendant la
détournés de leur
a
sens
nuit, voulut commémorer ce remarquable événement et prit le nom de
Pomare, des deux mots Po signifiant la nuit et Mare la toux.
Immédiatement
ces deux vocables devinrent interdits aux
profanes et on
remplaça po par rui ou arui et mare par hota. Mais la syllabe Tu, qui figure
dans quantité de mots tahitiens avait déjà occasionné des changements
considérables et n'en restait pas moins sacrée:
Tu,
Tu tua,
Tutua,
Tutau,
se
tenir debout, était devenu
puce
un battoir
pour
l'ancre
Tia
Tiatia
une
le tapa
Titia
Tiatau
cadavre
Tupapau,
un
Tutae,
excrément
Tiatae
Ho tu tu,
colique
Hotiatia
Aratu,
un
chemin
Aratia
Aturufare,
un
poteau
Atiafare
Société des
Tiapapau
Études
Océaniennes
�16
Certains
passaient par plusieurs métamorphoses
pofai, récolter devint pafai lorsque Pomare accapara la
particule po. Mais le même Pomare ayant également pris le nom de
Pataue, pafai fut obligé de se muer en ato. Pour la même raison le mot pa
qui désignait une barrière, devint alors aua. Noho, qui signifiait s'asseoir,
devint parahi à cause du chef Noho de Oropaa ; puis parahi lui-même
successives
:
ainsi,
devint irahi à
cause
mots
de Patane.
En outre la
royauté avait certains mots qui lui appartenaient
en
propre :
Tamahine
était la fille du roi,
la fille du commun du
Potii,
Mat,
peuple ;
désignait la mort du roi,
Pohe,
la mort du vilain ;
était la tête du roi mort,
Rai
Upoo,
pour le vulgaire;
était le nom de la
Anuanua
pirogue royale,
pirogue du pêcheur;
le chien du roi, ou le phoque;
la
Vaa,
Humi,
Uri,
le chien de tout le monde.
Les rois des îles et même de simples chefs s'arrogeaient
également le droit de pi'i. En voici quelques exemples :
Le district de Matavai
prit le nom de Haapape, à cause du roi Vaitua, le
qui fit changer en pape le mot vai, qui désignait l'eau.
Uru, fruit de l'arbre à pain, devint maiore, à cause de Uruarii.
Hara = crime devint hape, à cause de Maihara, de Huahine.
Nia = dessus est devenu nua, à cause de Mimiarii,
qui était la sœur de
même
Vairaatoa.
Ha
=
quatre devint maha, à
Ae
=
monter devint
cause
paiuma, à
de Maivarua.
cause
de Te-arii-ae-tua.
Rere = voler devint maue, à cause de Te-Arii-rere
Vahi = séparer devint
ohapa, à cause de Te-vahi-tua-i-patea.
Maramarama = lumière devint meremereme, à cause du chef Marama.
Heiva
spectacle fut changé en upaupa, à cause de Ariiheiva.
Toa, arbre de fer, est devenu aito, à cause de Vairaatoa.
Vaho = en dehors est devenu
rapae, à cause de Te-arii-na-vaho-roa-i-tetau tua-mai-i-te-rai.
-
Société des
Études
Océaniennes
�17
Lorsque, à cent ans de distance, nous recherchons les traces que
pi'i a laissées dans le langage tahitien actuel, nous constatons que le
plus grand nombre de mots affectés par le pi'i ont repris leur acception
primitive ; d'autres ont conservé les deux formes ; pour un petit nombre
enfin, le pi'i a fait loi et la forme primitive est presque complètement
oubliée aujourd'hui.
le
C'est ainsi que, pour le mot Pomare dont nous citions l'origine,
l'ancien mot po est actuellement d'un usage courant pour désigner la nuit,
tandis que rui qui l'avait remplacé ne s'emploie guère que dans le
langage poétique. Mare, au contraire, est à peu près inconnu des
indigènes qui ont adopté le nouveau mot hota pour désigner la toux.
Tu, se tenir debout, a presque partout
les mots tutua, tutau, tutae, tupapau et
forme
été remplacé par tia, et cependant
beaucoup d'autres ont repris leur
primitive.
Pape, qui avait été imposé par le pi'i, est aujourd'hui beaucoup plus
employé que vai pour désigner l'eau.
Mimi, urine, est assez rare à Tahiti où on le remplace généralement par
omaha, mais il est encore d'un usage fréquent à Tubuai, Raivavae et aux
Iles Marquises.
De même, mate, la mort, qu'on n'entend presque jamais à Tahiti,
se retrouve dans plusieurs îles telles que les Australes, les Marquises et
jusqu'à Rarotonga.
En somme, pour le tahitien comme pour beaucoup d'autres
langues plus riches et plus perfectionnées, il semble bien difficile de
déterminer les causes de la disparition ou de la renaissance de certains
mots et de fixer aucune règle précise en la matière. L'usage qui est le
souverain maître du langage obéit, comme la mode, à des lois qui le plus
souvent échappent à notre observation. Le vieil Horace ne disait-il pas
déjà :
"Multa renascentur, queejam cecidere, cadent que
Quae nunc sunt in honore, vocabula, si volet usus,
Quem penes arbitrium est et jus et norma loquendi."
Et nous ne saurions mieux conclure cette étude que par la
piquante remarque que fait le vénérable Orsmond en déplorant le
désarroi que le pi'i apporte dans la langue tahitienne : "Pride and
irregularity go hand in hand among rude barbarians, as well as among the
polished citizen."
Edouard AHNNE
■Société des Etudes Océaniennes
�18
Quelques commentaires
<*>
J'ai lu, dans le n° Il du Bulletin des Etudes Océaniennes,
signé de Monsieur Ahnne qui
a
choses
que
un
article
frappé mon attention parce qu'il contient des
l'on m'a enseigné dès mon enfance. Le milieu
où j'ai été élevée m'a, par privilège, mis souvent en contact avec des assemblées
de femmes et d'hommes distingués par leur haute culture tahitienne.
en
contradiction
avec ce
Avant tout, je tiens à déclarer que je ne voudrais en quoi que ce soit
blesser la mémoire du Rd. Orsmond qui n'a laissé que de bons souvenirs comme
missionnaire dans ces îles. Si je discute certaines interprétations rapportées dans
l'article pi'i c'est pour rétablir la vérité historique.
Il
faut admettre qu'il existe des
nuances
de la langue tahitienne qui
peuvent échapper à la compréhension d'un étranger de cette époque et même de
l'époque actuelle.
L'article
question traite d'une coutume qu'il appelle pi'i qui
les noms des Rois, des Chefs et des Notables étaient
sacrés et qu'ils ne devaient point être imités, encore moins appliqués à
quelque personne ou quelque objet que ce soit. Même les syllabes
composant ces noms devenaient sacrées et ne pouvaient plus être
employées par le vulgaire. Or, comme à de fréquentes occasions et sous
les prétextes les plus futiles, les
puissants du jour changeaient de nom, il
s'ensuivait qu'une quantité de mots devenaient inutilisables et
consistait
en ce
en
que
entraînaient des modifications dans le vocabulaire tahitien.
Monsieur Ahnne dit qu'on ne plaisantait pas en ce temps-là avec
qui violaient la défense et commettaient un lapsus linguae. La mort
seule pouvait punir un pareil "forfait", d'où le dicton tahitien : "Te taata i
hape i te reo ra, o te ohureura ia tona ioa; tera te auraa o te ohureura, e tapu ia."
Ce qui veut dire : Celui
qui fait une faute (d'après le Pi'i) sera appelé
"Anus Rouge", c'est-à-dire
qu'il devient une victime pour les dieux; et
l'article continue de nous dire
que c'est surtout à l'époque de Pomare 1er
que la coutume Pi'i semble avoir été en honneur, mais qu'elle déclina
quand le roi embrassa le christianisme. En terminant il nous cite quelques
noms altérés
par la coutume du Pi'i.
ceux
(*) Article paru en août
Océaniennes "Notes et
1927 dans le Bulletin n° 20 de la Société des Etudes
synthèse sur le Pi'i, Attributs royaux, etc, etc, par Mme
Marau Taaroa SALMON
Société des
Études
Océaniennes
�19
historique et traditionnelle : Tahiti, comme
grands et petits, avait ses lois, ses institutions et ses
Or voici la vérité
d'autres pays,
particularités.
parfois sévères et sans fondement. Elles
but la protection et la conservation de la propriété
privée et des titres nobiliaires. Il ne faut pas non plus imaginer que
changer un nom ou modifier un mot se faisait à la légère. Ces questions
étaient proposées et discutées dans le conseil de la famille royale, lequel
examinait l'opportunité de la mesure. Cette question était ensuite
transmise à un Conseil suprême composé de trois membres, savoir : le
roi, le arii, du hiva (la garde royale) qui était un prince, chef d'armée, etc.,
le tahua ou le grand prêtre qui portait le nom de Teao (la lumière). Ce
conseil rejetait la mesure ou l'homologuait.
Ces lois semblaient
avaient,
en
fait, pour
homologuée, était ensuite consacrée
l'effet de cette cérémonie, une loi qui
Cette décision, si elle était
sur
le
et
mara
devenait, par
s'imposait à tous. On voit ainsi quel formalisme rigoureux
cette institution et la réglementait.
présidait à
l'article appelle pi 'i est en réalité une véritable
peut pas être représentée en tahitien par le mot pi'i, mais
plus exactement par les expressions anciennes : Mairiraa ioa, Toparaa ioa,
Unuhiraa ioa. Elle consiste à attribuer exclusivement un nom ou à en
La coutume que
institution et
ne
supprimer un et devrait, à mon sens, se traduire plus exactement en
français par l'expression : "Attribution sacrée d'un nom", ou mieux
"Consécration du nom". Elle avait lieu sur le marae. Cependant que le
mot pi'i est, en réalité, employé pour interpeler quelqu'un avec l'idée de
faire venir à soi la personne
interpelée.
dire proclamer, ni crier dans le sens où
l'indiquer M. Ahnne. Il est, sans doute, exact que ces
consécrations ou attributions sacrées étaient proclamées par des
messagers qui portaient ces consécrations de noms à la connaissance de la
population. Il est vrai encore que ces proclamations donnaient le
caractère exécutoire à ces règles. Mais ce n'est pas le mot pi'i qui peut
traduire, non plus, ce fait de la proclamation qui correspondait en
quelque sorte, par ce moyen de publicité, à ce que l'on désigne en français
sous
l'expression plus juridique de promulgation.
Pi'i
ne
veut donc pas
semble
expression rapprochée plus idoine en tahitien
traduire cette formalité de la proclamation, il faudrait dire parau
proclamation, ou ua porohia, il a été proclamé.
Si l'on cherche une
pour
poro,
■
Société des
Études
Océaniennes
�20
et
ceux
Je ferai remarquer que, d'après nos traditions, les noms des rois
de huiarii (les princes) étaient sacrés, mais non pas ceux des
notables
qui ne faisaient pas partie du cadre des princes dont les noms
jouissaient de ce privilège supérieur. M. Ahnne, d'autre part, nous
parle de l'anus rouge et d'un lapsus linguae. Qu'entend-il par là ?
seuls
Il
l'explique pas ; or le supplice de l'anus rouge, s'il s'agit
vulgaire empalement, a été pratiqué à peu près dans tous les pays du
monde et nous pourrions le traduire par Ohure popou oaha et matafuia. Ce
supplice était réservé spécialement aux vaincus de guerre et non, comme
on
pourrait le comprendre, d'après l'article pi'i, à titre de châtiment
ordinaire, s'appliquant à toutes sortes de cas.
ne nous
du
La punition infligée pour un lapsus linguae, tel que je comprends
le mot, était le supplice appelé le hoi-pu, qui consistait dans l'obligation de
réciter exactement un certain nombre de fois, sans se tromper, cent fois ou
plus, les noms consacrés. Si on faisait une faute dans la récitation du
hoi-pu, le délinquant était puni par l'enlèvement d'un œil ou des deux.
Les yeux de la victime étaient offerts au arii dont le nom avait été injurié
par l'emploi des syllabes prohibées.
C'est de
supplice que vient le nom de Aimata qui veut dire
l'œil. On trouve encore devant le marae de Nuuroa une
grande table de pierre dans laquelle sont alignés les trous du hoi-pu.
ce
droit de manger
Il n'est pas exact, non
l'indique l'article pi'i,
particulièrement en
dans toute sa force,
de nombreuses années avant l'accession des Pomare à la suprématie
politique de Tahiti. Elle s'est également perpétuée jusqu'au
commencement du règne
de celui des Pomare que la chronologie
historique nous désigne sous le nom de Pomare III, mais qui n'était, en
réalité, que le deuxième de la dynastie royale, comme nous allons le voir.
La suppression de l'institution des noms consacrés n'est
point le résultat
plus, de dire,
comme
que cette institution des noms consacrés a été plus
honneur du temps de Pomare premier. Elle existait,
de la conversion d'un des Pomare, mais bien celui de l'influence des
missionnaires
qui, profitant du jeune âge de Pomare, deuxième de la
dynastie, classé sous le nom de Pomare III et qui était un enfant débile et
malade, s'immiscèrent dans les affaires publiques.
Les missionnaires
ne se sont
pas rendus compte d'ailleurs que la
lois comportait de graves conséquences parce qu'elle
entraînait, avec l'expropriation des titres, celle des biens.
suppression de
ces
Cette institution n'existe
et, toute question de
plus aujourd'hui qu'à l'état de souvenir
préséance mise à part, eu égard à l'évolution des
Société des
Études
Océaniennes
�21
mœurs,
il est permis de la regretter, au moins au seul point de vue de la
reconstitution de l'arbre
généalogique des ancêtres. Elle permettait, en
la généalogie des grandes familles qui se perd
de plus en plus et qui est cependant fort importante, encore aujourd'hui,
pour l'application des règles de dévolution successorale, lorsqu'il s'agit de
remonter à l'origine de propriété des biens.
effet, de suivre,
A
l'histoire,
un
ce
sur
le
autre
marae,
point de vue et pour ceux qui connaissent bien
une erreur de croire que celui que l'on
serait commettre
désigne communément sous le nom de Poniare 1er fut le premier roi de la
dynastie des Pomare. Il n'en fut que la souche. En réalité, fils de Teu, il
était chef de Pare et de Arue. Il se faisait aussi appeler Vairaatoa ou Tu.
Mais l'ère de la dynastie royale ne s'ouvrit qu'après la bataille du Fei-pi en
mai 1815 dans la personne de son fils, Tu (même nom que lui), qu'on
appela Pomare II, mais qui fut le premier roi de la dynastie. Choisi par les
missionnaires protestants et les matelots du Bounty qui, grâce à l'emploi
des armes à feu dont ils disposaient, remportèrent une victoire facile après
le meurtre de Opuhara'a, grand chef de Tahiti et du paganisme, il accepta
d'être baptisé. Il régna de 1815 à 1821, soit six années. Encore ne fut-il pas
reconnu par l'île tout entière de Tahiti, ce qui prouve bien qu'il n'était pas
en situation de
changer les lois.
Quant à estimer, bien que chrétien, que ce fut lui qui aurait
une capitulation quelconque de ses prérogatives royales ou
princières, c'est bien peu connaître son caractère. Jaloux de son autorité
jusqu'à la brutalité, il n'aurait pas, au lendemain de son accession au
pouvoir suprême, inauguré sa victoire par la suppression de cette
prérogative si spéciale et si élevée de la consécration des noms.
consenti
Comme preuve
irréfutable de ce qui nous est rapporté sur ce
prince et de son attachement à ses prérogatives royales, citons l'anecdote
suivante : en effet, il essaya, malgré le christianisme et son baptême, de se
faire
consacrer
roi (Arii Nui) sur le marae de Maraetaata Atehuru et de
ceindre le maroura, ce qui, du point de vue
de consécration pour être roi dans ces îles.
marae
païen, était la seule cérémonie
Comme il ne possédait pas un
de cette distinction dans le district de Arue dont il était le chef, il
exprima le désir de monter sur celui de Atehuru (Maraetaata) à Paea,
devenu sacré à cause de l'image du dieu Oro qui y avait été déposée. Mais
il fut repoussé par les gardiens qui lui dirent : "Votre nouveau rang même
ne vous donne pas place sur ce marae, ni droit au maroura. Furieux, Tu leur
répondit : Sachez que, dès aujourd'hui, je m'appelle "Tunui-e-aa-ite-unu-ma-terai" (Le Grand Consacré qui se mesure aux dieux du sommet des cieux) et
il donna immédiatement l'ordre de transporter à Tautira l'image de Oro.
•
Société des
Études
Océaniennes
�22
Au
sujet du changement de nom de Tu, fils de Teu, en celui de
qui porta le premier ce nom, ce changement a eu lieu non pas
comme il est dit dans l'article
pi 7 pour commémorer une nuit où Tu avait
beaucoup toussé, fait banal, mais bien pour commémorer un événement
plus important, la mort de son fils préféré Teriinavahoroa dit "Teina iti",
mort phtisique et emporté en une nuit dans un accès de toux. C'est pour
des raisons analogues que ce même Tu prit premièrement le nom de
Vairaatoa pour commémorer la mort de sa fille appelée aussi
"Teriinavahoroa", morte pendant une inondation où Ton fut obligé de
transporter le corps de cette Princesse sur un pied de toa. C'est pour cette
raison encore que le mot toa est devenu aito, comme po est devenu mi et
Pomare
mare
=hota, à
cause
Nous
du
venons
nom
de Pomare.
de voir comment il fallait, à notre sens, entendre
l'exclusive dont étaient
frappés les noms consacrés pour l'appellation des
grands chefs et que Ton a, à tort, selon nous, dénommée
coutume du pi'i. Nous avons mis également à contribution notre
connaissance des choses d'autrefois au sujet de Tordre des Pomare dans
l'échelle de la dynastie et au sujet de la très petite influence qu'exerça, en
fait, le christianisme au début de l'accession au pouvoir des premiers
Pomare relativement à la renonciation aux prérogatives jalousement
gardées des grandes familles.
rois et des
Un peu de philologie complétera cette documentation prise aux
mêmes de l'histoire et en fera comprendre la portée. Si
sources
d'aventure il m'arrive de toucher à des questions qui pourraient paraître
entachées d'un certain personnalisme, c'est qu'autrefois la famille à
laquelle j'appartiens fut notoire dans l'île. C'est parce que cette famille a
ses racines
profondes dans le passé de Tahiti et que, en faisant preuve de
trop d'humilité, je trahirais, par là même, la cause historique que je
soutiens.
L'article intitulé pi'i nous donne une liste de mots altérés, ou
détournés de leur sens primitif, par la coutume dite pi'i. Il nous fait
remarquer que le mot Tu, quoique figurant dans quantité de mots
tahitiens, avait déjà occasionné des changements considérables et n'en
restait pas
moins sacré. Ces mots sont
Société des
:
Études
Océaniennes
�23
se
Tu tua,
une
Tu tua,
un
Tiatia
Titia
le tapa
Tiatau
cadavre
Tiapapau
Tupapau,
un
Tutae,
Hotutu,
Aratu,
excrément
Tiatae
colique
Hotiatia
un
chemin
Aratia
Aturufare,
un
poteau
Atiafare
Le mot Tu,
mana,
debout, était devenu Tia
puce
battoir pour
l'ancre
Tutau,
Tu, et
tenir
Tu,
pris dans le sens d'un nom royal, reste invariablement
traduit par dignité supérieure. Il a été remplacé par les mots tura,
teitei. Lorsque le mot Tu est pris dans le sens d'un attribut royal et
se
placé devant le
hia. Consacré
nom d'un marae royal, il se traduit par consacré, haamoa le marae (e tu i marae). Le mot Tu est très souvent
sur
par la lettre I qui se traduit également par consacré. Teriinui-oTahiti-e -tu-i-Tahiti-Marae se traduit : Teriinui-o-Tahiti consacré sur le
remplacé
marae
de Tahiti.
Lorsque le mot I prend la place de Tu, on dit Teriinui-oqui se traduit: Teriinui-o-
Tahiti I Tahiti (la lettre I sous-entendue) Tu
Tahiti de Tahiti.
Le mot tia, que l'article nous donne pour avoir pris la place de tu,
traduit par : se tenir debout, dans une position physique verticale. Il est
variable lorsqu'il est substantif , tiaraa, et veut dire alors : position,
se
situation.
Exemple : tiaraa tura ; tiaraa mana.
j'avoue ne pas connaître de synonyme; tû-tû-a
signifiant la planche pour aplatir l'écorce servant d'étoffe. Le battoir se
traduit par iê. Le mot titia, que l'article donne pour le remplacer, à ma
connaissance se traduit par passoire. Tutau ou tiatau se dit de deux
façons. Tupapau et tiapapau de la même manière. Tutae ou tiatae est un mot
vulgaire pour exprimer excrément; dans la meilleure classe de la société,
on dit
repo ou haumiti. Aturu fare se traduit: gros poteau, soutien d'une
maison. Atiafare, palissade de maison, de bambou, ou de petites branches
Pour le mot tu tua,
de burau.
Tous
ces noms
n'ont rien à faire
avec
le mot Tu, étant des mots
beaucoup d'autres du même genre. Je tiens à relever le
dans la liste ci-dessus comme un mot altéré et
traduit par le mot "colique". Hotutu doit se traduire : "un rejeton
consacré". Le mot hotiatia, que l'article lui donne pour le remplacer, nous
est connu sans le h et se traduit : "se lever avec agitation, se tenir en éveil,
être aux aguets". Otiatia est l'action de se lever subitement et non le fait
composés
mot
comme
hotutu, qui figure
•
Société des
Études
Océaniennes
�24
d'éprouver des maux d'entrailles qui se traduisent par "mamae opu,
opu". La provenance du nom de hotutu est du marae royal de
Farepua et s'écrit hotutu e tu i Farepua. Ce mot ne pouvait donc pas être
altéré. Parmi certains noms que l'article nous cite comme ayant passé par
plusieurs métamorphoses se trouve le mot pa, comme ayant été changé en
Pafai e Ato à cause de Pomare. D'après nos citations historiques, il est dit :
No Pa Arii-i-Ahurai e parauhia e e Aua. Pour Pa Arii de Ahurai, ce mot
même
taviri
deviendra Aua.
M. Orsmond, en outre, nous cite certains mots
qui appartenaient
propre à la royauté et d'autres au commun des mortels. Il dit :
Tamahine était la fille du roi - Potii, la fille du commun du peuple ;
en
Mate
désignait la mort du roi - Pohe, la mort du vilain ;
Upoo, pour le vulgaire ;
Anuanua était le nom de la pirogue royale - Vaa, la pirogue du pêcheur ;
Hutni, le chien du roi, ou le phoque - Uri, le chien de tout le monde ;
Tamahine s'appliquait spécialement aux filles de la famille royale et non à
Rai était la tête du roi mort
-
la fille d'un roi seulement.
Mate
désignait la mort d'un membre de la famille royale et non pas d'un
roi seul.
Rai, pris dans le sens
naissance, tel le marae,
d'une tête royale, était
en
Le mot upoo désigne une tête royale. Ce
famille royale. - Pepenu pour le peuple.
Anuanua est
indication de
sa
haute
mot appartient, en effet, à une
que ne pouvaient porter qu'une pirogue royale,
pirogue d'apparat, dont Cook nous a laissé des gravures.
Ouure, était le nom de la pirogue du peuple.
ou
-
des
une
tahitien : haut comme le ciel.
un
noms
Vaa-oa
Le mot Anuanua donné par l'article pi 'i comme étant le nom de la
pirogue royale exige des détails plus précis : Anuanua était le nom du
Vaa-oa, pirogue royale de cérémonie spéciale aux Arii Nui de Vaiari
seulement, qui portaient les noms de Teriinui-o-Tahiti et de Marautaaroa
qui, par droit d'aînesse, prenaient leur place sur les papa (une plaque de
pierre), siège sacré des marae de Farepua et du marae Tahiti à Vaiari. Le
Vaa-oa Matâtua est une pirogue royale de cérémonie spéciale aux Arii nui
de Papara seulement, qui portent les noms de Terii rere i Outu rau e tu ite
rai Arorua, qui prenaient leur place
sur le papa des marae de Tooarai et de
Taputuarai.
Société des
Études
Océaniennes
�25
pirogue royale de cérémonie spéciale au Arii
qui porte le nom de Tetua-nuiqui prenait sa place sur le papa du marae du nom de
Le Vaa-oa Manuatere est
une
nui de Temaroura dit Punaauia seulement,
e-marua-ite-rai
Punaauia.
pirogue royale de cérémonie spéciale aux
qui portaient le nom de Teriivaetua et de Tepauarii- i- Ahurai
seulement et qui prenaient leur place sur le papa du marae Ahurai et du
Le Vaa-oa Taitiui est
une
Arii nui
marae
Tefana de Faaa.
Puoi-maa-fenua est une pirogue royale de cérémonie
Arii nui qui porte le nom de Terii-o-Marama-ite-tauo-o-te-rai-oseulement, qui prenait sa place sur le papa du marae Tefana et du
Le Vaa-oa
spéciale
Eimeo
marae
au
Nuurua à Moorea.
Ces
Tels
pirogues faisaient partie des attributs sacrés de ces Arii nui.
encore :
Maroura
l'écharpe royale rouge
Heiura
la
couronne
le
sceptre
Te tootoo
Te
raau
(omore)
la lance
Te turua
le coussin
Te tahiri
l'éventail
Te umete
une
Tehoe
la
Te ahuahu
espèce de grande écuelle en bois de tamanu
pagaie
l'écope
Te
le bol
aua
le filet
Te upea
(allégorique)
signification des attributs sera donnée ailleurs.
nous dit, en outre, que les rois des autres îles et même
les simples chefs s'arrogeaient également le droit de pi'i. En voici
quelques exemples :
Le district de Matavai prit le nom de Haapape, à cause du roi Vaitua, le
même qui fit changer en pape le mot vai, qui désignait l'eau.
Uru, fruit de l'arbre à pain, devint maiore, à cause de Uruarii.
Vaho, en dehors, est devenu rapae, à cause de Te-Arii-na-vaho-roa-i-teLa
L'article
tautua-mai-i-te-rai.
Vairaatoa n'avait pas
de sœur mais des cousins.
qui se traduit par crime, ne
traduit par faute (légère).
Hara,
■Société des
doit pas être confondu avec hape, qui se
Études
Océaniennes
�26
Ha, nombre quatre, a
été changé
en
maha
pour
Teriihahamaiatua,
un nom
de la famille Pomare.
Uru est le fruit de l'arbre à
arii. Il s'écrit de la même
ûrû,
forêt
une
ou un
Teaharii-i-Nuutere
pain, Teuruarii se traduit: une assemblée de
façon mais se prononce autrement. 'Uru, le fruit ;
rassemblement de arii.
traduit
quoi, quel arii ? le nom de Te-aha fut
Pomare pour marquer sa colère contre celui-ci
qu'il accusait de l'avoir trahi au bénéfice de Vehiatua. Il chercha à le faire
se
:
donné à Teriifaatau par
tuer, mais Teriifaatau réussit à se cacher dans un trou de mahi à Faâa.
Pomare furieux, ne lui pardonna jamais et, dès son accession au trône, il
,
confisqua les biens de Teriifaatau en lui faisant dire : "Tu t'appelleras
désormais Teahatu pour te faire rappeler que je suis seul roi à Nuutere.
Nuutere est un marae de Mataoae à Vairao où Teriifaatau avait une place
par sa mère qui était de ce marae.
Ce n'est pas maramarama, la lumière, qui a subi une transformation, mais
bien plutôt marama, la lune, qui est devenu avae à cause de Marama de
Eimeo. On
en
"No te Arii
o
trouve
l'explication dans la citation historique :
o Eimeo e
parauhia te Marama e: e Avae.
tana tamahine otahi e parauhia te Manihinihi e: e
Marama-ote-tauo-o-te-rai
No Ariimanihinihi
Manehenehe."
"La lune deviendra Avae pour Marama de Eimeo.
Ariimanihinihi, le mot Indolente deviendra Manehenehe.
Les
des rois et
sa
fille
que M. Orsmond nous cite
de Tahiti et de Eimeo. Sauf
quatre d'entre eux avec lesquels nous avons également des rapports, en
raison de liens de famille, aucun de ces noms ne peut être traité comme
nom de
simples chefs. A propos de cette liste de noms, je considère
comme un droit
légitime de discuter l'exactitude de leur origine et de
mettre les choses au point. Car ils
appartiennent à la famille dont je suis
descendante directe par mes grand-père et mère: Teriirere-i-Outurau-maTooarai, grande cheffesse des huit Teva, Ariioehau-i-Eimeo-e-Tahiti
appelée Princesse de la Paix, dite Ariitaimai, ma mère, a refusé de
reprendre la couronne de ses ancêtres par un sentiment de sacrifice à
l'amitié et à la parole donnée à son
grand-père Tati, dit le Grand.
A titre de mise au
point, qu'il me soit permis de préciser l'origine
historique de ces noms, à commencer par celle de ma propre famille:
Le nom de Vaitua donné
par l'article est, en réalité, Teriivaetua-i-Ahurai,
marae
royal du district de Tefana que l'on appelle aujourd'hui Faâa.
Teriiaeetua est, en réalité, Teriiaeetua-i-Nuurua, un des marae
royaux de
Eimeo appelé aujourd'hui Moorea.
comme
noms
étant
ceux
simples chefs
Pour
des îles sont purement
Société des
Études
Océaniennes
�27
Teriirere est, en réalité,
Terii-i-outurau-i-Tooarai,
un
des
marae royaux
de
marae royaux
de
Papara.
Tevahitua est, en réalité, Tevahitua i Patea, un
des
Teoropaa appelé aujourd'hui Paea.
Marama est
Maraetefano,
en
un
réalité Terii-o-Marama-ite-tauo-ite-rai
des
marae
royaux
o
Eimeo i
de Eimeo.
Teriinavahoroa-ite-tautua-o-te-rai-Matahihae est
un
des
marae
royaux
de
Hui-e-Taiarapu appelé aujourd'hui Tautira.
Les
noms
Maihara,
provenant des autres îles sont :
en réalité Maihara-i-Matairea, un des marae royaux de
appelé aujourd'hui Huahine.
Toerauroa
Tenania,
en
réalité Tenaniatua-i-Matairea, un des marae royaux de
Huahine.
Maivarua,
Vavau
en
réalité, Teriimaevarua-i-Farerua, un des marae royaux de
appelé aujourd'hui Borabora (Faanui).
Teuruarii, un nom appartenant
Farehani-iti-e-Anau, Borabora.
à
une
branche cadette du
marae
royal de
Au
sujet des noms Mihiarii, Ariiheivarau, Vairaatoa, ce sont sans
topahia, c'est-à-dire consacrés par l'institution appelée par
l'auteur de l'article coutume du pi'i. Mais s'ils ne peuvent avoir comme
origine un marae royal, qui lui seul constitue un titre régulier, ils n'en
restent pas moins des noms royaux puisque tous les trois appartiennent à
la famille Pomare de qui ces noms proviennent. Ils sont donc aussi
royaux que le nom de Pomare.
doute des
noms
Pour finir,
révérend Orsmond
"Pride and
je relève la soi-disant piquante remarque que fait le
en fin de l'article pi'i :
irregularity go hand to hand...": en ce qui nous concerne, cette
remarque est dans son acception inopportune, car l'institution n'a jamais
eu comme raison d'être la vanité ou l'orgueil. C'était, tout simplement,
règles du protocole imposée par la loi pour marquer la séparation
supérieure avec une classe inférieure de la société,
pour rétablir une hiérarchie sociale distinctive entre les Hniarii et le
peuple. C'était une marque rigoureuse du respect dû à un rang distingué
par l'histoire et les traditions, qui voulait que les Arii fussent les
descendants des dieux et qui tient à l'état politique de la société tahitienne
en ce temps. Que les Tahitiens fussent fiers de leur rang et jaloux de le
conserver, ceci est une autre question. La vanité, dans le sens futile où
l'auteur, le révérend, l'entend, n'a rien à faire dans la circonstance.
une
des
radicale d'une classe
•Société des
Études
Océaniennes
�28
Le
jugement du révérend Orsmond est erroné par la raison
qu'une des règles dans l'instruction des arii interdit la vulgaire vanité qui
était considérée comme une faute grave ne pouvant appartenir qu'à un
manahune,
une
des dernières classes de la société.
Il est dit dans l'ordre de
teoteo te
au
i te manahune
=
ces
instructions: Eiaha
Garde-toi du
oe
ia harahia i te
aau
péché d'un intestin vaniteux d'un
manahune.
J'ai lu quelque part une interprétation de ce genre où un étranger
l'esprit étroit, pour faire sentir à Mahine, un arii de Huahine, que son
peuple était au même niveau que lui, l'avait forcé après son baptême de
s'asseoir parmi son peuple. Cet étranger ne connaissait pas les règlements
mêmes qui présidaient à la guerre et qui voulaient que la personne, le
corps et tout ce qui touchait un personnage de haute lignée ne puissent
être souillés par un contact quelconque, car selon ces prescriptions :
à
E Arii te toto i
topa, e mate moa.
E Arii ra, e Arii ihoa ia.
Lorsque le sang est royal, même déchu, il est encore sacré.
Un Arii reste toujours un Arii
Marautaaroa i Tahiti
Le
Pl'l, commentaires d'aujourd'hui
La Société des Etudes Océaniennes
de février 1926
un
Edouard Ahnne à
intéressant article
sur
publia dans son Bulletin n°ll
la coutume du pi'i rédigé par
partir des observations et des notes du missionnaire
Orsmond.
Dans
un
des Bulletins suivants (BSEO n°20 d'août 1927),
Maràuta'aroa i Tahiti faisait part de ses réflexions sur l'article de M.
Ahnne, sous le titre "Quelques commentaires", titre particulièrement
modeste, bien dans la tradition polynésienne, si Ton songe qu'outre sa
longueur, il replace avec beaucoup de maestria la coutume du pi'i dans sa
dimension culturelle
avec une
richesse d'observation et de détails propres
à déclencher l'enthousiasme des
Merci donc
passionnés de culture polynésienne.
ces deux articles d'avoir,
par leurs
connaissances, éclairé cette étrange coutume polynésienne qu'il est
convenu
aux
auteurs de
d'appeler pi'i.
Société des
Études
Océaniennes
�29
Soixante-dix
ans
après, les progrès en linguistique peuvent-ils
apporter un nouvel éclairage propre à approfondir ce que nous savons
désormais sur le pi'i ? Telle est la question ingénue qui, un beau jour de
1993, a traversé l'esprit du bureau actuel de la S.E.O. !
Ce
recherches
de
nos
sera aux
lecteurs d'en
linguistiques
juger. Ce dont je suis sûre c'est que les
ne pourront
jamais remplacer l'immense culture
anciens, dont l'article de Madame Marauta'aroa est un bon
exemple.
me livrer à quelques considérations d'ordre général sur
je voudrais apporter ma modeste contribution en
complétant, par quelques remarques, les commentaires de Marauta'aroa.
Avant de
cette coutume,
très aisé de comprendre en quoi la coutume du pi'i
pouvait avoir une influence sur la protection et la conservation de la
propriété privée et des titres nobiliaires si l'on oublie que l'on se trouve
dans une société à tradition orale et que Ton ne fait pas l'effort de
raisonner sur le long terme (plusieurs générations). Le pi'i pouvait, en
effet, servir de protection pour éviter l'intrusion involontaire ou
volontaire d'un élément étranger dans une généalogie.
Il n'est pas
prévalu il y a
quelques dizaines d'années (vers 1950) lorsque les prénoms tahitiens sont
redevenus à la mode dans le grand public, mais plus encore sans doute
pour les noms de mariage. A partir de quelques protestations, un
consensus s'est opéré pour recommander de ne choisir les noms qu'à
l'intérieur de sa propre famille.
C'est
une
démarche similaire, me semble-t-il,
qui
a
Sans entrer dans la controverse sur l'exactitude de
l'appellation
je voudrais ajouter, aux différentes significations
données au mot pi'i par Marau, le sens d'être instruit que Ton retrouve
dans le terme ha'api'i "instruire", celui également d'adhérer, de se
cramponner que suggère le terme pi'imato "grimpeur", ainsi que le sens
d'appeler que Ton trouve dans l'expression i'oa pi'i et qui s'oppose à i'oa
topa, l'un signifiant surnom, l'autre nom: patronyme ou vrai nom. Si donc
le pi'i, dans le sens de tapu linguistique, a disparu, il perdure dans le sens
d'appeler, à travers les surnoms et les noms de mariage, coutume
toujours très vivace jusqu'à aujourd'hui.
de cette coutume,
Marauta'aroa a,
sans
doute, raison de rappeler que la
suppression de cette coutume est d'origine missionnaire et non pas du
fait de Pomare. Elle est, en tout cas, plus qualifiée que moi pour le dire. Je
voudrais simplement signaler à ce sujet un point d'histoire quand, pour
illustrer son propos d'une preuve irréfutable, elle nous conte "l'anecdote"
Société des
Études
Océaniennes
�30
de l'enlèvement par Pomare de l'effigie de 'Oro du marne Maraeta'ata
Atahuru pour la transporter sur celui de Taputapuatea de Tautira afin
se faire consacrer ari'i rahi malgré le christianisme et son baptême.
de
de
Je voudrais simplement signaler que, si ce fait historique est tout
déroulé, sauf erreur de ma part, au mois de mars 1802
à fait exact, il s'est
après l'assemblée des chefs réunis par Rua à Atahuru. Mais à cette date,
Pomare n'est ni chrétien ni baptisé. Il s'agirait donc d'un événement, en
tout point similaire à celui de 1802, qui se serait déroulé après 1819 (date
de son baptême) et avant 1821 (date de sa mort). Rien pourtant dans les
Annales n'indique qu'un tel événement se soit produit, du moins à ma
connaissance, pendant cette période.
Il
paraît important de nuancer la théorie qui consiste à dire
le pi'i pouvait frapper un mot ou tous les mots comprenant la syllabe
frappée du pi'i. La longue liste des mots proposés par Orsmond
contenant tu et altérés par le pi'i me semble propice pour illustrer mon
me
que
propos.
La plupart des mots tahitiens, tu en particulier, sont
polysémiques et le pi'i n'affecte qu'un seul sème; ainsi dans le cas de tu,
celui qui signifie "droit, se tenir debout, représentant de", et tous les mots
entrant dans cette catégorie seront donc frappés du pi'i et, dans le cas de
tu, par exemple, remplacé par ti'a. A l'inverse, tous les mots, bien que
comprenant la racine ou la syllabe tu, mais ayant un autre sème, ne seront
pas affectés, comme tura "être respecté", turu "supporter", tupa "crabe de
terre", turi "genou; être sourd", rutu "frapper", motu "détaché, coupé;
île", hitu "sept", fatu "propriétaire...", hotu "produire...", tutu "secouer",....
C'est ainsi que, dans la liste proposée par Orsmond, trois mots
entrent dans cette dernière catégorie et sont donc erronés, comme le signale
avec justesse Marauta'aroa. Il
s'agit de tutu'a "puce, plaie", tutua "battoir à
tapa" et hotutu "colique", n s'ensuit que les mots correspondants indiqués
par erreur ont un sens différent. Ainsi tiatia "petites pièces de bois assurant
la liaison entre le balancier d'une pirogue ama et les traverses'iato, titi'a
"tamiser, filtrer" et hoti'ati'a "commencer à se lever plusieurs fois (avec
hésitation)".
Le corollaire de cette
règle implique que le nombre de mots
pi'i, est plus important que ne le
laisserait supposer la liste proposée. La liste est assez longue; par égard
pour le lecteur, signalons néanmoins: upo'otu = upo'oti'a "vaincre,
vainqueur", tufa = ti'afa "être à sec (récif)", tufati = ti'afati "plier les
vêtements", tuvaru = ti'avaru "exiler, bannir", tupuna = ti'apuna "ancêtre",
fetu =feti'a "étoile", ainsi que tuhou, tuhu, turei, turepu, turuhe, etc..
comprenant le sème tu, affecté par le
Société des
Études
Océaniennes
�31
Pour certains de
ces
mots, les deux formes se sont
conservées
dans le vocabulaire courant et sont devenus des synonymes comme
tuvaru
aratu / arati'a; pour d'autres, au contraire, c'est la
le pi'i qui a disparu au profit de la forme originelle
progressivement dans le langage courant comme tutae / *ti'atae
/ ti'avaru
ou
forme altérée par
revenue
ou
tu'ou / *ti'a'ou, etc...
Certains mots, par
suite de pi'i successifs, pouvaient passer par
plusieurs métamorphoses, comme le remarque Orsmond, par exemple le
mot pofa'i qui devint pafa'i puis 'ato. Cet exemple n'est que partiellement
juste. Pofa'i n'est pas devenu pafa'i à cause de Pomare; l'interdit mis sur po
ne concerne
que le sème nuit qui a été remplacé par ru'i suivant la règle
indiquée précédemment, alors que po dans pofa'i n'est
a le sens de "faire l'action en tournant" et qu'il est en
variante dialectale avec pa dans pafa'i.
La deuxième transformation, en revanche, est exacte: pafa'i est
devenu 'ato ainsi que parahi est devenu 'irahi, à cause de Pa tane qui n'est
autre que Pomare, et pa est devenu 'aua "enclos, palissade"; mais tous les
termes contenant pa ne sont pas pour autant affectés par le pi'i,
conformément à ce que nous avons déjà indiqué pour tu...
On remarquera, au sujet de cet exemple, que les outils utilisés
pour la création de nouveaux termes affectés par le pi'i ne sont pas
toujours identiques. Si, dans un cas, le préfixe a été modifié, dans le
second, il s'agit de la création par synonymie, termes ayant des
signifiants différents mais dont les signifiés sont proches: pa = 'aua
"enclos, palissade", pafa'i = 'ato "cueillir".
que nous avons
qu'un préfixe qui
La transformation de noho est
juste et a subi également des
métamorphoses: noho = parahi "loger, demeurer, être assis", à cause de
Nohoari'i (première transformation); ce dernier deviendra 'irahi du fait de
Pa tane (deuxième métamorphose). De même que tufa devenu ti'afa et
plus tard ti'amaha, du fait des différents pi'i mis d'abord sur tu, puis sur
fa; mais le terme to'ofa "chef supérieur immédiatement après le ari'i", lui,
n'a pas subi de transformation.
Au sujet de la pirogue royale Anuanua, on peut ajouter aux
commentaires très intéressants de Marauta'aroa le fait que ce nom était
réservé uniquement à la pirogue contenant l'image de 'Oro, rappelant
ainsi qu'il avait emprunté l'arc-en-ciel pour venir chercher sa femme à
Porapora. Chaque Dieu avait d'ailleurs un nom particulier pour désigner
sa pirogue: Vai-tu-huhua pour la pirogue de Tumu Nui, Te'apori pour le
dieu Ru
,
Hohoio, celle de Hiro, etc....
Société des
Études
Océaniennes
�32
sujet de vai transformé en pape, seul le sème liquide a été
le pi'i; les autres homonymes, qui veulent dire "identité,
existence, exister", n'ont pas été altérés. Actuellement, les deux termes vai
et pape sont utilisés indifféremment pour désigner l'eau.
En ce qui concerne 'uru qui, à la suite d'un pi'i, devint maiore, ceci
à cause de 'Uruari'i comme l'indique Marau, on peut ajouter que ce roi,
du nom de Mahuru, originaire d'un district de Ra'iatea, prit le nom de
'Uruari'i, émerveillé que ce fruit seul ait pu sauver la population de la
famine qui sévissait dans le pays pendant le règne de Nohoari'i de Opoa.
Rappelons que, lorsqu'un ari'i prenait un nouveau nom, celui-ci
se
rajoutait à l'ancien.
Maiore serait probablement ma'i'ore, qui signifie "maladiedisparaître", et le nouveau terme créé est un mot composé sur le modèle
d'un syntagme et qui marque un événement important qui a eu lieu.
'Uruari'i ayant une influence modeste, à sa mort le pi'i sur 'uru cessa et le
Au
concerné par
maiore redevint 'uru.
A titre d'anecdote,
beaucoup de jeunes gens d'aujourd'hui
pensent que maiore est le nom popa'a de 'uru. Si maiore, pour désigner le
fruit de l'arbre à pain, est tombé en désuétude aujourd'hui, il s'est
conservé néanmoins comme prénom dans les familles royales des îlesSous-Le-Vent.
Marau
'Uruari'i
avec
précise, dans
Teuruari'i,
son article, qu'il ne faut pas confondre
autre roi des îles-Sous-Le-Vent, la
un
prononciation étant différente. Cette remarque est pertinente, car le terme
désignant le fruit 'uru est précédé d'une glottale qui est un phonème
consonantique et le second, voulant dire "assemblée", n'en a pas. Si à
l'oral il n'y a pas de confusion possible, à l'écrit, en l'absence de la
transcription de ce phonème, l'ambiguïté subsiste.
Orsmond indique que hara, qui signifie "crime", a été remplacé
par hape à cause de Ma'ihara de Huahine. Marau nuance le sens de ces
deux termes, l'un signifiant effectivement crime ou faute grave, hape étant
utilisé pour une faute légère.
Ajoutons que Ma'ihara est le nom donné à la fille de Ta'aroari'i,
fils unique de Mahine, un des derniers ari'i de Huahine, afin de
commémorer les circonstances tragiques de la mort de son fils.
Ta'aroari'i, en effet, ayant enfreint les lois édictées par les missionnaires
interdisant les danses traditionnelles, fut condamné à courir pieds nus sur
le récif. Cette punition occasionna une
phtisie qui entraîna sa mort; il
avait 18 ans environ. Son
épouse Matafainu'u, enceinte, donna naissance,
trois mois plus tard, à une fille Ma'ihara, en souvenir des circonstances
douloureuses de la disparition de son père.
Société des
Études
Océaniennes
�33
indiquée par Marau de protection du patrimoine,
pouvons ajouter celle de respect du sacré (nom des ari'i) et aussi
de fonction mnémotechnique des événements importants touchant
A la fonction
nous
celle
la communauté
ou
la famille du ari'i (mort du fils et de la fille de Pomare,
famine, mort de Ta'aroari'i, etc.).
de Marama de 'Aimeo, Marau a raison de corriger
qui s'était glissée dans le texte d'Orsmond. De la même manière
que Marama est devenu 'ava'e, ra, le soleil, est devenu mahana, à cause du
ari'i Tera. Le procédé de création du terme ma-hana est le même que celui
utilisé pour ma-rama, c'est-à-dire le préfixe ma- (valeur de résultatif ou
avec) associé à la racine rama qui signifie 'lumière ou éclairer" et ma-hana,
le préfixe ma- plus la racine hana qui signifie chaleur. Le signifié
"lumière" dans 'ava'e n'existe plus et s'est substitué à celui de diviser
(division du temps).
A propos
l'erreur
procédés utilisés pour la création des nouveaux termes
le pi'i sont peu nombreux:
la synonymie: pafa'i = 'ato "cueillir", noho = parahi "demeurer,
rester", pa = 'aua "enclos, palissade", tu = ti'a "droit, debout,
représentant", 'a'e = pa'i'uma "grimper, monter", tere = arane'e, rere =
ma'ue "voler", heiva = 'upa'upa "musique...", hopoi = 'afa'i "(ap)porter", etc;
la néologie: vai = pape "eau"....;
la métathèse: to'a = 'aito "guerrier; bois de fer";
la synthématique, c'est-à-dire la composition et la dérivation.
Les synthèmes créés par composition peuvent être des
syntagmes: ma'i'ore, maladie-négation (disparaître), 'ava'e = ava 'e
"division différente" (lune), des composés de détermination où les
morphèmes de la détermination ont disparu: Vaira'a-toa = vaira'a i ni'a i te
to'a "installation sur le to'a", Po-mare = po no te mare "nuit de toux", arane'e
(voyager) = ara i te ne'e "chemin pour se promener", etc.
Les dérivés sont peu nombreux; on trouve quelques mots formés
par affixation: pa-rahi = 'i-rahi "s'asseoir", ra = ma-hana "avec, contenant
Les
frappés
par
-
-
-
-
chaleur"...
Les
exemples cités par Marau et ceux que nous avons évoqués
illustrent que la
l'initiative des
coutume du pi'i, loin d'être un
événement banal laissé à
puissants de l'époque, comme le laisserait suggérer
l'anecdote erronée de la toux de Pomare, était au contraire une
véritable
institution, nécessitant une procédure rigoureuse, légitimée de plus par la
consécration sur le marae. Rappelons que le tahu'a Teao (la lumière), cité
par
Marau, représentait la plus haute autorité spirituelle de cette
Société des
Études
Océaniennes
époque.
�34
Malgré cela, lorsqu'un pi'i était proclamé, quelle était l'étendue
puisqu'aussi bien nous savons qu'avant la dynastie des
Pomare il n'y avait pas de pouvoir centralisé à Tahiti? Quant aux îles,
chacune, pour les plus importantes, avait sa propre famille huiari'i, en
principe indépendante concernant l'exercice du pouvoir, mais
indépendance relative en ce qui concerne le lignage, toutes les grandes
familles, à des degrés divers, étant alliées. Ce fut d'ailleurs le coup de
maître de Itia de favoriser le mariage de son fils avec la fille de Tamatoa
et de bénéficier ainsi de l'appui des guerriers des îles-Sous-Le-Vent qui
firent ainsi basculer l'issue de la bataille de Fe'i-pi.
Indépendance encore plus relative voire inexistante sous l'aspect
religieux. L'étendue d'un pi'i recouvrait donc la zone d'influence du roi
qui l'avait proclamé, zone étendue ou au contraire fort restreinte et le pi'i
pouvait ne pas durer au-delà de celui qui l'avait proclamé. Le mot
d'origine retrouvait sa fonction initiale et la langue s'enrichissait d'un
véritable synonyme. A l'inverse, si le pi'i durait assez longtemps, le
nouveau mot avait une chance de
perdurer et l'ancien disparaissait ou
était seulement connu sous ses autres signifiés, par exemple *mimi et
de
son
'omaha,
influence
ce
dernier étant seul utilisé.
Mais des
du
nom
questions restent en suspens. Qu'en est-il par exemple
des arbres: miro
=
'amae "bois de rose", 'ati
=
tamanu, 'autera'a
=
'auari'i "badamier", purau =
fau "bourao", pua = hau'ou, etc. ? Ont-ils été
l'objet d'un pi'i ou plus vraisemblablement portaient-ils ces noms
lorsqu'ils étaient sacrés? Et que dire du nom des îles dont la mémoire
conserve pour chacune d'elles deux,
trois, voire quatre noms différents?
Si certains changements nous sont connus, qu'en est-il des autres? Pi'i,
difficilement concevable, ou conquêtes guerrières, plus vraisemblables,
Marau hélas n'est plus là pour nous répondre!
Les noms de certains districts, en revanche, ont bien été frappés
par le pi'i, exemple: Turei = Ti'arei, Mehetu = Meheti'a, Teturoa =
Teti'aroa, Vai'ete = Pape'ete, Ha'avai = Ha'apape, Vai'uriri = Pape'uriri,
Vaiari
Papeari, Fa'ena = Maha'ena, Ha'arua = Ha'apiti, etc.
=
Si
quelle époque cette coutume du pi'i a disparu
Pomare III, comme
le signale Marau), on peut se poser
la question: à quelle époque elle est
apparue? Son origine se perd-elle dans la nuit des temps comme la
plupart des rites et coutumes d'une communauté? J'émets l'hypothèse
qu'elle ne remonte pas au-delà du 14 ème siècle (dernière migration) avec
comme
argument que le pi'i semble avoir été inconnu des Maori; en effet,
quelques exemples du vocabulaire montrent que nos cousins de
Teaotearoa (Nouvelle-Zélande) ont gardé dans leur lexique la
nous savons vers
(aux alentours des années 1820 à l'avènement du petit
Société des
Études
Océaniennes
�35
signification d'origine des termes: tu n'est pas devenu ti'a, de même que
noho avec le sens de " s'asseoir" n'est pas devenu parahi comme à Tahiti;
vai "eau", tatari "attendre", moe "dormir" sont restés avec leurs formes et
leurs signifiés originels.
Mais cet argument n'est pas suffisant pour se prononcer avec
certitude; les Maori pouvaient, en effet, très bien connaître cette coutume
à leur départ des îles-Sous-Le-Vent sans pour autant que leur
organisation sociale se soit révélée propice à sa mise en pratique.
On voit donc que, par le biais d'une étude comparative avec les
autres langues polynésiennes, il serait possible d'identifier des termes
susceptibles d'avoir été frappés par le pi'i, principalement en ce qui
concerne le vocabulaire du fond polynésien.
l'usage quotidien d'aujourd'hui, les trois situations peuvent
l'utilisation des deux formes, originelle et altérée, d'un
frappé du pi'i:
la forme originelle est seule conservée (parahi / *irahi ancienne
Dans
se
rencontrer dans
mot
-
forme),
-
-
la forme altérée est seule conservée (*mare /
hota),
les deux formes sont conservées et deviennent de vrais
synonymes
(vai / pape).
les noms des ari'i, qui ne sont
jamais altérés par le pi'i, et il en est de même de l'ensemble de la liturgie,
dires sacrés accompagnant les rites, récits mythologiques, etc. La coutume
du pi'i ne serait-elle pas aussi une tentative de créer un langage
ésotérique réservé aux seuls initiés: ari'i et tahu'a?
Une dernière remarque concerne
Chez un peuple qui avait porté au plus haut niveau le sens de la
parole, l'amour du beau parler, la puissance créatrice des noms, quel
paradoxe que cette intervention sur le vocabulaire! Mais, justement me
semble-t-il...
Pour témoigner,
quel monument fabuleux serait, pour l'éternité, à l'abri des intempéries,
des cyclones, des raz de marées ou des tremblements de terre?
-
-
quelle institution pourrait, sans faillir, résister aux
à
bouleversements
révolutions, transcender le temps et survivre
plus d'un siècle de domination?
sociaux,
aux
Pour
guerres ou aux
ma
part, je n'en connais qu'une: la langue.
Louise Peltzer
Société des
Études Océaniennes
�36
LES HYMNOLOGIES PROTESTANTES
DE TAHITI
ET
DES HAUTS PLATEAUX MALGACHES
INTRODUCTION
La richesse des chants cultuels interprétés lors de l'of ice dominical
temples protestants tahitiens et malgaches a de quoi
surprendre le popaa et le vazaha. Il découvre là des polyphonies
somptueuses proches de sa propre sensibilité. S'il n'en saisit pas les
paroles, il y retrouve des timbres, des rythmes, des harmonies qui n'ont
rien d'exotique et qui se rapprochent souvent des chants luthériens et
anglicans. Ces chants sont des hymnes et cantiques, des psaumes, des
anthems, chants de louange, d'invocation, d'adoration des assemblées
dans les
protestantes.
de l'office :
interprétés par des groupes plus réduits tranchent
résolument avec les premiers déjà mentionnés. A Tahiti, des "mélodies
autochtones, chantées à trois et même à quatre parties, sont d'un effet
extrêmement puissant, à cause de leur rythme impeccable, de leur
tonalité en mineur, de leur point d'orgue final interminable et aussi de
Mais le familier
peut faire place à l'étrange au cours
certains chants
leurs accords
imprévus et bien polynésiens.(...) On dirait le mouvement et
puissants qui s'abattent en tonnerre sur le récif et
courent en un
long murmure sur la grève" (Vernier, 1948, p.197). A
Madagascar, la retenue cède la place à l'engagement ; les yeux pétillent,
les corps trépignent, les voix deviennent nasillardes, les rythmes incisifs.
Un soliste se détache de temps en temps, augmentant de cette façon le
tapage joyeux des choristes.
le bruit des rouleaux
Société des
Études
Océaniennes
�37
l'étrange résument l'histoire de l'hymnologie
l'hymnologie malgache. C'est en 1797 que des
missionnaires d'une société de Londres débarquent à Tahiti pour
évangéliser l'archipel. C'est en 1820 que certains de leurs collègues, issus
de la même société missionnaire, s'implantent à Antananarivo, sur les
Hautes Terres malgaches ; bien qu'ils ne soient pas les seuls à avoir
évangélisé ces deux zones, les églises protestantes d'aujourd'hui leur sont
largement redevables de leur aspect cultuel.
Pourquoi rapprocher ces deux points précis de la planète ? Parce
que, si l'implantation de la religion chrétienne s'est faite avec des
similitudes tout à fait étonnantes, l'histoire du développement du
christianisme présente elle aussi de nombreux points communs; elle
s'insère dans un cadre plus large, continuellement présent, celui de la
culture, ou plus exactement celui de la confrontation de cultures. Il est
possible de distinguer quatre phases bien délimitées historiquement dans
cette
confrontation: une première phase où deux cultures
fondamentalement différentes se côtoient sans s'inter-pénétrer ; une
deuxième phase où la culture étrangère devient dominante, où les
structures anciennes disparaissent, où une société bascule en bloc dans
d'autres références culturelles ; une troisième phase, mouvement de
balancier, réaction à la deuxième, recherchant le "paradis perdu" d'un
monde antérieur ; une quatrième enfin où l'évolution des mentalités, la
complexification des réseaux d'échange, un certain équilibre retrouvé,
permettent des évolutions intégrant des éléments multiples.
Dans le domaine musical, les quatre phases ci-dessus esquissées
ont conduit les Malgaches et les Tahitiens à des adoptions, à des créations
et à des syncrétismes tout à fait étonnants et ceci aussi bien dans le
domaine religieux que dans le domaine profane. Pourquoi les hymnes
missionnaires anglais, si différents des cultures autochtones, sont-ils
adoptés sans modification notable dès la deuxième phase de
confrontation des cultures ? Dans quel contexte et pour quelles raisons
naissent et se développent des genres nouveaux tout à fait originaux, les
himene tarava de Tahiti, qui sont des chants polyphoniques complexes, et
les hira gasy malgaches, spectacles profanes totaux associant discours,
chants et danses ? Comment expliquer enfin les syncrétisme religieux
saisissants que sont les himene ruau tahitiens et les zafindraony malgaches?
L'étude de ce panorama musical replacé dans son contexte nous permetelle de retrouver certains aspects fondamentaux de chaque culture? En
d'autres termes, une musique totalement étrangère implantée dans un
milieu précis peut-elle véhiculer de génération en génération les
caractéristiques propres à ce milieu et, au-delà, ses valeurs fondamentales?
Le familier et
tahitienne et de
Société des
Études
Océaniennes
�38
LA PHASE DE
CONFRONTATION
Trois
lieux, trois cultures
1. Les fondements
A la fin
du XVIIIème siècle,
l'Europe connaît une deuxième
période expansionniste, avec deux nations-phares: l'Angleterre et la
France. Les mobiles de cet impérialisme sont multiples : exporter la
civilisation européenne, amasser des richesses, accroître sa puissance,
évangéliser et convertir les nations païennes, vérifier des hypothèses
scientifiques. Malgré les nombreuses expéditions qui ont sillonné le
Pacifique depuis la première traversée de Magellan, les Européens sont
bien loin d'avoir recensé toutes le terres émergées ; ils ne savent même
pas les contours et dimensions de ce continent austral qui doit
contrebalancer logiquement le poids des terres de l'hémisphère Nord.
C'est la dimension scientifique qui prime à la fin de ce siècle. Les
grandes traversées sont toujours entreprises avec des naturalistes qui
recensent la faune et la flore, des astrologues qui observent le ciel, des
cartographes qui répertorient les terres, des "ethnologues" qui étudient
les moeurs et coutumes des peuples rencontrés. Mais les découvreurs ne
s'implantent pas dans les terres qu'ils découvrent. Ils n'y font que de
brefs passages. C'est le cas pour Tahiti, découverte par Wallis en 1767, qui
ne sert que d'escale à Bougainville, à Cook, à Bligh.
La colonisation des nouvelles terres peut résulter d'une volonté
politique ; un Gouverneur est alors envoyé à poste fixe ; souvent un
comptoir est fondé. Elle peut résulter aussi d'une volonté religieuse. Les
deux sont parfois associées.
Les missions protestantes ont été peu nombreuses jusqu'à la fin
du XVIÏIème siècle. Mais
sous
l'influence du Réveil (mouvement fondé
1730 par H. Harris et G. Whitefield) et d'un contexte favorable (second
souffle de la colonisation européenne, progrès de l'art naval, mythe du
en
"bon
sauvage", révolution industrielle entraînant de la richesse et donc
se développe en Angleterre un fort courant religieux
du mécénat)
missionnaire. De nombreuses sociétés des missions sont créées à
l'initiative de groupes protestants privés, souvent évangéliques (1792 :
Mission Baptiste de Londres; 1795 : Société des Missions de Londres,
future LMS ; 1799 : Société des Missions de l'Eglise ou CMS).
Tahiti et Madagascar vont être tour à tour évangélisées par les
missionnaires envoyés par la LMS. Les hommes emportent dans leurs
bagages
une
Bible, fondement de la foi, des livres religieux, des livres de
Société des
Études
Océaniennes
�39
psaumes (chants sacrés des Hébreux de l'Ancien Testament),
hymnes, cantiques (chants de louange, d'invocation et d'adoration), des
anthems (compositions religieuses propres à l'Eglise Anglicane).
chants
:
2. La "Nouvelle
Cythère"
"Otahiti" n'est connue que depuis 1767 par les Européens, depuis
découverte par Wallis. L'île a été ensuite visitée par Bougainville qui
lui donne le surnom de "Nouvelle Cythère"; Cook qui y passe lors de ses
sa
1769, 1772 et 1776, Bonechea (1772) qui y dépose les
premiers missionnaires catholiques, Bligh (1788) dont une partie de
l'équipage se mutinera. Les contacts sont à la fois très brefs (échec de la
mission de Bonechea) et épisodiques.
Tahiti est au centre du triangle polynésien. Les distances sont
énormes d'un archipel à un autre, mais l'unité ethnique et culturelle des
îles du Pacifique ne fait aucun doute. Les îles-de-la-Société, peu éloignées
l'une de l'autre, sont très homogènes et ont joué un rôle important dans
les traditions religieuses des archipels les plus proches.
Du fait de son isolement, la civilisation tahitienne est une
civilisation préservée ; nous la connaissons par les témoignages et récits
de Bougainville, J. Morrison, T. Henry, E. de Bovis, W. Ellis, etc.
Tahiti et les îles-de-la-Société ont une population dense.
L'écriture y est inconnue, mais la langue se rattache aux langues
parlées en Asie du Sud-Est.
La société est strictement hiérarchisée : les ari'i détiennent le
trois voyages en
-
-
-
pouvoir politique (ari'i de l'île, ari'i de district), les ra'atira (chefs,
propriétaires fonciers) sont leurs vassaux. Les gens du peuple sont les
manahune (avec terre, sans terre et marginaux, prisonniers). Le pouvoir
politique s'appuie sur le pouvoir religieux.
Le clergé lui aussi est très hiérarchisé, avec à sa tête le tahua nui
ou grand-prêtre ; celui-ci est secondé par les tahua pure (prêtres
inférieurs), orero (orateurs), opu nui (serviteurs du marae), tiri (porteurs de
l'image du dieu), haerepo (récitants), taura (personnes inspirées), rauti
(conteurs). La religion est une religion polythéiste, avec de nombreuses
divinités (Tane, Tu, Ro'o, Taaroa, Oro, Hiro, Hau, Tipa, etc.). Certaines
cérémonies s'accompagnent de sacrifices humains. Les lieux de culte sont
les marae (marae familiaux et marae royaux).
Il existe, au moment de l'arrivée des Européens, dans les îles-dela-Société, une société parallèle ayant une fonction précise, celle d'animer
-
-
les fêtes, les
arioi.
Société des
Études
Océaniennes
�40
-
La vie
quotidienne comporte un certain nombre de rites de
passage : naissance, circoncision, tatouage, mariage.
de cueillette et de pêche, les Tahitiens s'adonnent au
artisanat
A côté des activités
sport, pratiquent un
développé et organisent de nombreuses fêtes avec danses et
chants.
musique est un témoin privilégié de la cohérence d'une société
valeurs. Malheureusement pour nous, les navigateurs sont
La
et de ses
rarement des musiciens et les
descriptions musicales sont très sommaires.
musique étant liée à des fonctions, on la trouve dans les cérémonies
religieuses, dans les tâches collectives, dans les spectacles et fêtes (arioi).
Les mélodies incantatoires, les généalogies sont vraisemblablement
réservées à des spécialistes (orero).
La
Les instruments décrits sont
conques, flûtes nasales (vivo), arc
l'instrument le plus utilisé.
nombre
en
assez
réduits
:
tambours,
musical. La voix reste, sans doute,
Les danses et divertissements
occupent une place importante
accompagnées par des tambours.
Le récit de voyage de Bougainville connaît un immense succès,
qui a, sans aucun doute, influencé les Directeurs de la LMS. Tahiti
deviendra leur première terre de mission.
dans la vie de la société. Elles sont
3. De l'Ancove à l'Ymerne.
Madagascar s'inscrit dans un cadre géographique bien
mini-continent de l'Océan Indien. Si les côtes sont répertoriées
différent,
depuis le
XVIème siècle par les Européens, le centre de l'île demeure inconnu
jusqu'à la fin du XVIIIème siècle (fièvres, forêt, montagne). La zone est
appelée Ancove, "pays des Hova". A cause de leur situation
géographique, les Hautes Terres ne subissent que très indirectement
l'influence européenne jusqu'à cette époque.
Le premier Européen qui visite Tananarive est Mayeur, en 1777.
Il est accueilli par Andrianamboatsimarofy, qui va être peu après vaincu
par Ramboasalama, le souverain d'Ambohimanga. Ce dernier va
s'attacher à réunifier, agrandir, pacifier le pays et va prendre le nom de
Andrianampoinimerina.
L'histoire des rois merina est connue par le recueil des traditions
orales du R.P. Callet ; depuis des siècles, les Hautes Terres ont été
partagées entre des roitelets dont le souci principal était de guerroyer afin
d'étendre leur influence.
rayon
Le pays est peuplé. On a dénombré 16000 sites fortifiés dans
de cent kilomètres autour de Tananarive.
Société des
Études
Océaniennes
un
�41
La langue est d'origine austronésienne (cf. Otto Dahl). C'est une
langue agglutinante, où quantité de mots dérivent d'un même radical.
Les accents toniques sont très marqué. Le discours (kabary) est un art très
apprécié dans cette civilisation orale ; les seuls écrits avant le XIXème
siècle sont des textes médico-magiques arabes (sorabe).
La société est très hiérarchisée. Le pouvoir politique et religieux
est détenu par un roi ou une reine. Les ordres nobiliaires sont les
Andriana (nobles des familles régnantes, ou groupes anoblis en bloc ayant
rendu service à la royauté). La deuxième classe est constituée des Mainty
(Manisotra, Manendy, Tsiarondahy) ; puis viennent les Folovohitra, roturiers,
soutien traditionnel de la dynastie. Les Hova appartiennent à cette
catégorie. La dernière classe, hors société, est hétérogène ; elle comprend
les Andevo, esclaves ou sujets privés sans tombeaux, les Zazahova, citoyens
à l'origine libres qui de façon interne ont été réduits en esclavage (cf. J.P.
Domenichini).
croit
Il n'existe par d'organisation religieuse véritable ; le Malgache
être suprême Zanahary, créateur et régisseur de l'univers. Les
en un
Zanahary sont les
qui ont accédé à ce statut parce
qu'ils étaient prédestinés à l'être de leur vivant (rois et reines), soit par les
intermédiaires entre la communauté des vivants et
Ancêtres (razana),
c'est-à-dire tous
ceux
(famadihana). On communique avec les ancêtres dans
possession (tromba et bilo).
La communauté malgache est très superstitieuse : le destin de
l'individu est tiré des événements qui accompagnent sa naissance, il y a
des jours fady, les amulettes protègent des mauvais esprits, les idoles
royales sont vénérées, les devins (mpisikidy) sont consultés avant chaque
secondes funérailles
les cérémonies de
décision
importante, etc.
s'accompagnent de sacrifices d'animaux, généralement
Les rites
sacrifices de boeufs.
principales sont la construction de fortifications dans
périodes troublées, l'élevage des boeufs, la riziculture.
La musique occupe une place mal connue dans la société
malgache d'avant les Européens ; elle est, sans doute, liée aux structures
de la société (souverain, religion, vie familiale) et aux travaux quotidiens
(cf. Camo). Des chanteuses royales (mpiantsa) entourent le souverain.
L'instrument caractéristique des hauts plateaux est le valiha,
instrument que l'on retrouve en Indonésie. Peut-être était-il confié à une
caste de musiciens. D'autres instruments sont décrits par les premiers
Européens : kipantsona (cymbales), sodina (flûte), amponga (tambour),
lamako (mâchoire de boeuf), faray (hochet en bambou), lokanga voatavo
Les activités
les
(cithare
sur
calebasse), etc.
'Société des
Études
Océaniennes
�42
L'Imerina, Tahiti et l'Europe sont trois
lieux qui s'ignorent
jusqu'à la fin du XVIIIème siècle ; chacun d'eux est caractérisé
par des langues, des populations, des organisations politiques et
religieuses, des coutumes différentes. Au début du XIXème siècle,
l'Europe y transplante des hommes. Comment ?
totalement
Les
Tahiti
a
implantations missionnaires
été choisi
comme
premier lieu d'implantation
par
la LMS
pour plusieurs raisons :
le climat est sain,
-
les
-
la
-
1.
indigènes sont accueillants,
langue semble facile à maîtriser.
L'implantation à Tahiti
Dix-huit missionnaires
anglo-saxons, dont quatre accompagnés
épouses et de trois enfants, débarquent à Tahiti le 5 mars 1797.
Quatre d'entre eux sont des pasteurs (Cover, Jefferson, Eyre et Lewis), les
autres sont des artisans. Le premier accueil des autorités politiques et
religieuses (Pomare I, Tu, le grand-prêtre Haamanemane) est chaleureux.
Un vaste hangar est mis à leur disposition à la pointe Vénus.
Les problèmes ne vont cependant pas tarder à survenir :
désillusions ; le monde polynésien n'est pas le monde idyllique décrit
par Bougainville (infanticides, dépravation des Arioi, scènes d'ivresse,
de leurs
-
guerres continuelles) ;
affaire Lewis ; ce missionnaire rompt son contrat avec
-
la LMS
pour
épouser une indigène. Il est assassiné peu après en 1799 ;
affaire du Nautilus ; en mars 1798, Jefferson
s'oppose à la livraison de
poudre à Pomare par le capitaine du Nautilus. Il est molesté, ainsi que
trois de ses collègues.
Les problèmes d'insécurité entraînent le départ de onze
-
missionnaires
en 1798. Restent Jefferson, Nott, Harris, Broomhall,
Bicknell, Lewis, M. et Mme Eyre. Après une première tentative de
renflouement de la mission qui échoue (le Duff
est arraisonné en mer par
les Français), neuf nouveaux missionnaires
débarquent du Royal Admirai
en
1801.
Les guerres sont
Pomare et les Teva. Battu
fréquentes entre les deux clans dominants: les
en
1807, Pomare II s'exile à Moorea
LMS abandonne Tahiti. Seul Nott suit le arii dans
Société des
Études
sa
Océaniennes
retraite.
; en
1808, la
�43
En 1811, sept missionnaires reviendront, mais ce n'est qu'en 1815,
après la bataille de Fei-Pi, que la réinstallation à Tahiti même sera
possible. Pomare II reçoit le baptême en 1819. L'évangélisation va alors
aller très vite, mais il aura fallu vingt ans pour réussir une mission
considérée
2.
comme
facile!
L'implantation sur les Hautes Terres malgaches
vingt-huit missionnaires LMS s'établissent en Afrique
S'impose d'emblée à leur tête le Hollandais Vanderkemp, brillant
intellectuel qui présente aux Directeurs de la LMS différents projets pour
évangéliser Madagascar. Engagés en Inde (1804-1807) et en Chine (1807),
ces derniers ne répondent pas favorablement.
Dans un contexte politique favorable (traité anglo-merina de
1817), deux missionnaires LMS débarquent à Tamatave le 18 août 1818.
Ces débuts s'avèrent tragiques et éphémères. La famille de Jones est
En
1798,
du Sud.
décimée et Bevan meurt des fièvres.
implantation va être tentée en 1820 par Jones sur
Quelques mois après, il est rejoint par D. Griffiths,
quelques autres missionnaires (Brooks, Canham, Chick, Jeffreys
Une deuxième
les Hauts-Plateaux.
puis par
et
Rowlands).
beaucoup plus favorable qu'à Tahiti :
langue est connue. Sous l'impulsion de Robin et de Hastie, elle
Le contexte est
-
la
commence
à être transcrite en caractères latins ;
1er a constitué des marches, zones-tampon,
font loin de l'Imerina ;
les dirigeants montrent une grande tolérance dans le domaine religieux,
et ne mettent pas d'entrave au prosélytisme.
Cependant, une volte-face brutale va se produire sous le règne de
Ranavalona 1er. A partir de 1835, tous les missionnaires vont abandonner
leur poste et ce jusqu'à la mort de la Reine, en 1861.
Les missions se réimplantent alors à Tananarive ; les progrès de
l'évangélisation vont s'accélérer de manière exponentielle à partir de
1869. Il aura fallu près d'un demi-siècle pour évangéliser effectivement le
le pays est pacifié ; Radama
et les expéditions militaires se
-
-
pays
merina !
3. Les hommes et
leurs idées
L'expansion missionnaire protestante est liée au mouvement du
au XVIIIème siècle en Angleterre. Ce mouvement relativise les
distinctions ecclésiastiques, sexuelles, raciales, sociales. Il favorise les
échanges entre sensibilités différentes ; les anglicans, les
Réveil né
'Société des
Études
Océaniennes
�44
congrégationalistes, presbytériens, baptistes, etc., sont appelés à travailler
ensemble. Il prône un certain puritanisme dans les moeurs, rejetant jeux,
danses, boissons alcoolisées. Le Réveil propose en quelque sorte une
culture idéelle.
milieux populaires, colportent ces
chercher à bâtir ailleurs des sociétés de type
Les hommes choisis, issus de
idéaux ; ils vont
théocratique, calquées sur une civilisation anglaise idéalisée.
Deux types de missionnaires sont envoyés dans les mers du Sud :
des pasteurs et des artisans. Souvent ces deux fonctions sont réunies chez
une même
personne et ce sont de véritables hommes-orchestre qui
assument une quantité de rôles : artisan, maçon, médecin, linguiste,
imprimeur, instituteur, pasteur, prédicateur, conseiller politique, etc. Ils
sont jeunes, pleins de fougue, mais mal préparés à la mission qui les
attend.
grande importance aux modes d'expression
développés par le Réveil : prêche, chant, magazine religieux; leur
première tâche va donc être de se familiariser avec la langue, de la
transcrire et la fixer par l'écriture.
Tous accordent
de
une
On peut noter de très grandes similitudes
et de Madagascar, malgré les
Tahiti
entre les implantations
contextes culturels,
géographiques, ethniques différents. Ceci provient, sans doute, du fait
que les missionnaires sont tous issus de la même source, la LMS.
Des civilisations
sans
En 1797 à
Tahiti,
en
qui se côtoient
s'inter-pénétrer
1820
sur
les Hautes Terres malgaches, du
fait
présence permanente d'Européens, les civilisations vont être
confrontées l'une à l'autre. Malgré la supériorité apparente de la
civilisation européenne et le désir des missionnaires de l'implanter au
plus vite dans les lieux à convertir, on a noté un grand décalage dans le
temps entre le début de la mission et l'implantation effective de la
nouvelle religion. Quelles sont les causes de cet immobilisme apparent ?
de la
1. Les difficultés
d'implantation
Ces difficultés sont
multiples :
le rapport numérique joue en défaveur des Européens. Les
sociétés à évangéliser sont peuplées. Les missionnaires (artisans et
-
pasteurs) sont
en
très petit nombre. Ce nombre se réduit à un seul
Société des
Études Océaniennes
�45
homme à certaines
périodes (Nott reste seul aux côtés de Pomare II en
1808, Jones est seul pour commencer
l'évangélisation des Hautes Terres).
partir du kabary de 1835, les missionnaires quitteront progressivement
Antananarivo (Cameron et Chick en 1835, Freeman, Johns et Baker en
1836, Canham en 1837);
les missionnaires maîtrisent mal la langue du pays. Quelques
mutins parlent sommairement le tahitien. La maîtrise de cette langue est
retardée par sa transcription et la découverte des règles grammaticales ; le
reo maohi s'avère difficile à transcrire. Un premier dictionnaire tahitienanglais est achevé en 1805 ; à cette époque, les premiers missionnaires
n'ont pas encore prêché dans la langue du pays. C'est Henry Nott qui
sera le premier à débroussailler et à fixer la langue.
A
-
malgache lui aussi n'est pas encore écrit en caractères latins, mais la
langue orale est correctement maîtrisée par les Européens. Les
transcriptions phonétiques de Robin et Hastie seront complétées et
Le
perfectionnées par les missionnaires. En 1825, Jeffreys achève une
grammaire manuscrite:
les sociétés malgaches et tahitiennes sont très structurées, ce qui
les rend imperméables aux influences étrangères tant que les dirigeants
-
maintiennent les structures anciennes;
continuelles que se livrent les arii ne permettent pas
l'évangélisation de l'île. L'insécurité ne facilite pas la communication;
les contacts épisodiques des navires européens avec les
indigènes ne facilitent pas leur tâche. Ces derniers sont loin de présenter
les valeurs que voudraient faire adopter les missionnaires.
-
les guerres
-
effet un découragement rapide
envoyés à Tahiti. Mal préparés à leur mission, sousestimant les difficultés et les dangers, la plupart se font rapatrier. Quand
ils restent, ils sont extrêmement critiques envers les peuples. Les danses
sont toujours décrites comme diaboliques, lascives; ils jugent les
indigènes paresseux, etc.
Chacun vivant dans son monde, les rencontres de civilisation
sont difficiles entre missionnaires et indigènes, avec cependant un
décalage moins grand à Madagascar qu'à Tahiti.
Ces différentes causes ont pour
des missionnaires
où la civilisation européenne
polynésiens et malgaches.
Mais il y a cependant des domaines
à pénétrer dans les mondes
commence
Société des
Études
Océaniennes
�46
2. Les
premières failles.
dirigeants tahitiens et malgaches ne sont pas insensibles à
apports européens : accéder à la technologie européenne, c'est
renforcer sa puissance et donc avoir la supériorité vis-à-vis des
Les
certains
a besoin de la puissance de feu des
Européens pour vaincre les Teva, Radama 1er pour étendre ses rizières
jusqu'à la mer.
adversaires internes. Pomare
Ils sont attirés par les signes extérieurs d'autorité : chevaux,
costumes, fanfares... (des musiciens du roi seront renvoyés en formation à
l'île Maurice). Ils envient certaines formes d'organisation (organisation
militaire) qui favorisent l'obéissance et la discipline. Ils vont très vite être
attirés par l'écriture qui permet de garder des traces beaucoup plus
précises des événements.
Le peuple est, lui aussi, demandeur d'objets manufacturés en
Europe ; les haches sont bien supérieures aux herminettes, les tissus aux
tapa, les clous aux cordes pour les ligatures, etc. Les indigènes se
procurent ces objets lors des contacts épisodiques avec les marins.
Les missionnaires ne peuvent et ne veulent répondre à tous les
besoins. Certaines demandes sont, par contre, porteuses d'espoir :
l'enseignement par exemple permet d'introduire des idées nouvelles, de
proposer d'autres types de société. Certains souverains sentent poindre le
danger (cf. Ranavalona 1er).
L'intrusion de la civilisation
européenne ne se fait pas de front ;
coin dans des domaines limités, précis. Dans
l'ensemble, la civilisation d'origine et la civilisation extérieure se côtoient
beaucoup plus qu'elles ne s'inter-pénètrent.
l'Europe pénètre
Conclusion
en
Tant que
les structures anciennes demeurent en place, — et
dépend des dirigeants dans des sociétés très hiérarchisées, — il ne
peut y avoir implantation de culture étrangère. Si quelques domaines
:
cela
semblent être retenus, ils sont
en
nombre limité.
A Tahiti et à
Madagascar, les périodes où les cultures se côtoient
: respectivement 1815 et 1861.
L'acceptation par les dirigeants de la civilisation européenne va avoir
pour conséquence un effondrement des valeurs traditionnelles et une
acculturation intense dans beaucoup de domaines.
ont une fin
brutale, facile à dater
Société des
Études
Océaniennes
�47
LA PHASE D'ACCULTURATION
être définie comme l'adopOon d'un
accompagnée de la
disparition de traits fondamentaux de la culture d'origine.
On a vu, que pendant plusieurs décennies, les cultures
tahitiennes et malgaches côtoient ta culture européenne. Si les pays
d'accueil adoptent quelques éléments des cultures étrangères, ils
continuent à garder leurs traits fondamentaux.
Cependant, dans les sociétés où pouvoirs politique et religieux
sont détenus par les mêmes personnes, le basculement peut se produire
très vite. Les parallèles établis entre l'évolution de Tahiti et l'évolution de
Madagascar vont le prouver.
L'acculturation peut
ensemble de traits d'une culture dominante,
Des sociétés
1. Le
fragiles
prosélytisme touche les dirigeants
rétrospective historique montre un effort constant
d'évangélisation tourné vers les dirigeants politiques et religieux. Tu a été
l'interlocuteur de Cook ; c'est lui qui accueille les missionnaires ; ces
derniers suivent Pomare II dans son exil à Moorea, continuent à
l'instruire et à l'influencer. Ils forment son jeune fils. En même temps,
leur prosélytisme est dirigé vers un des grands prêtres du marae puisque
Patii se convertira l'un des premiers publiquement à la religion nouvelle,
La
en
1815.
pénétration missionnaire a été plus facile à Madagascar:
a toujours montré de l'intérêt à certaines initiatives
européennes (ouvertures d'écoles, technologies nouvelles, etc.) et une
neutralité bienveillante vis-à-vis des actions d'évangélisation. Cette
attitude est adoptée dans les débuts du règne par Ranavalona 1er qui va
même jusqu'à autoriser les baptêmes en 1831. Inquiète par la progression
rapide des missionnaires européens, par les idées nouvelles qui se
propagent, la Reine met un coup de frein brutal à leur action en 1835.
Privés de leur appui essentiel, Jones et ses collègues abandonnent le
La
Radama 1er
à Madagascar qu'avec
alors sera de faire ratifier
la liberté des cultes (traité signé par Rasoherina en 1865) et d'instruire
dans la religion chrétienne celle qui lui succédera: Ramoma, la future
terrain. La LMS ne pourra se réimplanter
l'avènement de Radama II en 1861; et leur souci
Ranavalona II.
Société des
Études Océaniennes
�48
Le souci des missionnaires est de
toujours présenter la civilisation
européenne comme un tout cohérent, dont les éléments essentiels
(politiques, technologiques, religieux) sont indissociables. Les dirigeants
et les peuples sont surtout attirés par les technologies nouvelles ; les
missionnaires s'efforcent de convaincre, en en étant convaincus eux-
mêmes, que l'Occident est en avance dans tous les domaines sur les
peuples considérés par eux comme des Barbares. Devenir civilisé, c'est
adopter les techniques, la religion, les coutumes, les modes de pensée de
l'Europe.
Les souverains sont plus ou moins conscients du danger de
déstabilisation de la société qui résulte de cette approche. Le pouvoir
politique ne peut avoir le caractère absolutiste qu'il a toujours eu dans les
sociétés très hiérarchisées, la société de classes ne peut que disparaître
sous la
pression des slogans égalitaires.
2. Une christianisation massive et
ses
conséquences
religion nouvelle va
peuple. Cette conversion est
effective avec Pomare II dès 1813, date à laquelle il déclare renoncer aux
idoles et atua. C'est cette même année que sera fondée l'Ecole biblique de
Eimeo et inauguré le premier temple chrétien. Deux autres faits auront,
peu après, un très grand retentissement : la conversion publique de Patii,
grand-prêtre du marae de Papetoai, et l'attitude révolutionnaire de
Pomare après sa victoire de Fei-Pi. L'évangélisation va faire alors de très
rapides progrès à Tahiti et s'étendre à l'ensemble des îles-de-la-Société:
Huahine, Raiatea, Bora-Bora, Maupiti. Les meilleurs élèves de l'Ecole
biblique de Papetoai sont mobilisés. Le point culminant de l'action
missionnaire est le baptême du arii incontesté de Tahiti, en 1919.
Le même phénomène de conversions de la population dans son
ensemble va se produire à Madagascar avec l'avènement sur le trône de
Ranavalona II en 1868, puis son baptême l'année suivante. C'est l'époque
des rebik'ondry, des "moutons de Panurge", décrite par F. Raison.
Les conséquences de la massification sont immédiates sur
l'organisation des sociétés :
de nouveaux équilibres sont trouvés dans la société ; la femme
devient l'égale de l'homme ; il semble qu'il y ait même des inversions
touchant certaines classes : les hova secondent le pouvoir royal et passent,
de ce fait, au-dessus des mainty;
des reconversions se produisent : les musiciens traditionnels
deviennent chanteurs du temple, le rôle de chef de chorale devient envié,
La conversion des souverains à la
immédiatement entraîner la
masse
du
-
-
Société des
Études Océaniennes
�49
ainsi que ceux de pasteurs, prêcheurs, évangélistes.
Mais ces nouveaux équilibres ne sont pas
révolutionnaires. Le
pouvoir traditionnel n'est pas atteint, du moins en apparence.
-
3. L'extension des missions
européennes
progrès des missions sont accueillis avec enthousiasme par
va entraîner un mouvement d'amplification
d'évangélisation par l'envoi de renforts, par l'implantation de
nouvelles et par le désir de christianiser des zones plus
Les
les sociétés de mission. Cela
de l'effort
missions
étendues.
Huit missionnaires LMS sont engagés pour Tahiti et les îles-de-la
-Société entre 1816 et 1821 (Barff, Bourne, Ellis et Orsmond en 1816, Gyles
1817, Armitage, Blossom et Th. Jones en
y a parmi eux des pasteurs et des artisans.
en
A
1821). Comme dans le passé, il
Madagascar, de nombreux missionnaires LMS s'implantent à
la réouverture du pays ; vingt-et-un noms apparaissent dans les registres
entre les années 1860 et 1870. Cette période voit aussi l'implantation de
catholique en 1862, SPG et
1864, NMS en 1866, FFMA en 1868. Les missions protestantes
collaborent et évitent de se concurrencer. La conséquence de cette
nombreuses sociétés missionnaires
CMS
:
Mission
en
politique est
une
extension du terrain d'évangélisation, en pays betsileo
notamment.
Les sociétés très hiérarchisées, dans
lesquelles pouvoir politique
pouvoir religieux sont détenus par les mêmes personnes, s'avèrent être
des sociétés fragiles. La culture étrangère peut s'y implanter très
rapidement lorsque les verrous sont levés par les dirigeants. Le pouvoir
est toujours officiellement détenu par les autochtones, mais ceux-ci se
réfèrent à des sources étrangères au pays.
et
Les missionnaires au
pouvoir
toujours accordé une importante
primordiale à l'apprentissage de la langue, à l'écriture, à l'instruction. Ces
priorités vont se révéler vite indispensables au développement des
pays,et vont leur permettre de consolider leur emprise sur le pouvoir
politique en place.
Les missionnaires ont
Société des
Études
Océaniennes
�50
1. L'écriture et
l'imprimerie
malgaches sont, à l'arrivée des
L'écriture est pour
les missionnaires un
associent quelques
personnes à leurs travaux de déchiffrement puis de codage, en
particulier, pour Tahiti, Pomare II. Ainsi les dirigeants sont très tôt
sensibilisés à cet aspect fondamental de la civilisation européenne.
Les missionnaires s'attellent prioritairement à une grande tâche :
celle de la traduction de la Bible (1818, Evangile de Luc ; 1819, Evangile
de Jean et Actes des Apôtres, Petits Prophètes, Pentateuque ; 1825,
Evangile de Marc ; 1829, traduction intégrale du Nouveau Testament ;
1835, traduction intégrale de l'Ancien Testament).
Dès que la langue est maîtrisée et que le besoin s'en fait sentir
pour toucher un grand nombre de personnes, les missionnaires réclament
une
presse et la font venir d'Angleterre. C'est Ellis qui apporte la
première presse en Polynésie, en 1817, et l'installe à Afareiatu (Moorea).
Le premier livre de lecture tahitien commence à être imprimé peu après.
A partir de 1818, les Evangiles sont imprimés un à un ; l'impression totale
Les civilisations tahitiennes et
ou essentiellement orales.
moyen de fixer la langue ; ils
Européens, exclusivement
du
nouveau
1836,
Testament
sera
faite
en
1829 et celle de l'Ancien Testament
Angleterre.
imprimés parallèlement des abécédaires destinés aux
écoliers, des abrégés des Evangiles, des catéchismes, des recueils
hymnologiques (1818-1827), le code des lois civiles (1819).
A Madagascar, après la période de l'apprentissage de la langue et
des manuscrits, arrive en 1827 une presse apportée par Hovenden. La
mort de l'imprimeur n'empêche pas Cameron de sortir rapidement les
premiers textes imprimés: les Dix commandements (!) et l'Evangile de
Luc. Suivront un Catéchisme, un livret d'hymnes (1828), le Nouveau
Testament (1830), la Bible entière et un dictionnaire anglais-malgache et
malgache-anglais (1835). Sous Ranavolana 1er, les impressions sont
réalisées en Angleterre. Elles reprendront à Tananarive à la
réimplantation des missions.
L'écrit joue un rôle très important dans l'Evangélisation. Il
constitue un moyen efficace de prêcher et d'instruire. Les textes imprimés
en priorité sont: la Bible, le catéchisme et les
cantiques. La parole de Dieu
est pour tout protestant la
source première de connaissance, le catéchisme
a un rôle
pédagogique et prosélytique, le chant manifeste la joie de la vie
en
en
Sont
chrétienne.
Les missionnaires
ne se
l'élargissent au domaine civil
domaine religieux ; ils
les Codes de Loi entre autres.
cantonnent pas au
pour
Société des
Études
Océaniennes
�51
Tahiti et
Madagascar basculent ainsi d'une civilisation orale à
civilisation écrite ; les référents essentiels ne sont plus les mêmes, les
"mémoires" du peuple ne sont plus confiées aux spécialistes
traditionnels. Les détenteurs de l'écrit sont les détenteurs du pouvoir.
une
La
compréhension et la diffusion de l'écrit vont se faire par le
canal des écoles missionnaires.
2. Le
développement des écoles et de l'instruction
Les missionnaires de la LMS ouvrent aussi
rapidement
que
une école, cela répond à un double objectif: se former et former.
Ainsi ils apprennent plus rapidement la langue, la consolident, la
possible
perfectionnent et ils évangélisent et sensibilisent à la religion nouvelle par
le même canal.
Les grosses
difficultés matérielles rencontrées
en
Polynésie par
pionniers expliquent une ouverture d'école relativement tardive ; ce
n'est qu'en 1813 qu'est fondée à Papetoai (Moorea) la première école
biblique ; elle inscrit à ses débuts une quarantaine d'élèves. Seront
les
fondées ensuite 1'"Académie des Mers du Sud" (Orsmond 1821), à
Afareiatu (Moorea), et à
Tahiti même l'école de Paofai dans laquelle
enseigne le jeune Pritchard.
Sur les Hautes Terres de
Madagascar, seulement deux mois après
arrivée, Jones ouvre une école à Andohalo qu'il destine aux enfants
andriana ; une école pour les enfants d'origine populaire est ouverte
son
quelques mois plus tard par Griffiths. L'effort d'instruction s'amplifiera
après la parenthèse du règne de Ranavalona 1er (un "maître d'école" fait
partie des missionnaires envoyés par la LMS en 1861, une Ecole Normale
est ouverte
en
en
1862).
Si les écoles missionnaires n'atteignent leur plein développement
Polynésie qu'après quelques années de fonctionnement, elles
succès à Madagascar dès leur fondation.
lire en imerina en 1825, trente mille élèves
ont été formés au départ de la LMS en 1835.
L'école est un puissant moyen d'instruction, donc d'acculturation
puisque ce ne sont plus les traditions orales qui y sont enseignées, mais
les modes de pensée, la culture, les valeurs, la religion des Européens. A
travers ce canal, la suprématie de l'Europe peut s'affirmer. L'exemple de
Madagascar illustre parfaitement la puissance de l'enseignement ; les
écrits des premiers missionnaires vont être pieusement gardés et seront
retrouvés intacts 35 ans après, à la réouverture du pays.
contre un vif
Quatre mille personnes savent
connaissent par
Société des
Études Océaniennes
�52
3. La construction
d'édifices
pouvoir des missionnaires se traduit aussi matériellement par
temples témoignent de l'appui
inconditionnel des dirigeants.
Le premier temple protestant est ouvert à Papetoai (Moorea) en
1813, en même temps que l'ouverture de l'Ecole biblique. Les visées
expansionnistes de la religion chrétienne sont parfaitement visibles avec
l'inauguration en 1819 de la grande chapelle royale de Arue (200 mètres
de long sur 16 de large, 133 fenêtres, 29 portes, 3 chaires !). Ce bâtiment
pouvait contenir plus de 6000 personnes. Il ne reste plus rien aujourd'hui
de cette construction, ainsi que des nombreux temples en bois élevés au
long du XIXème siècle.
C'est en 1831 qu'est fondée à Madagascar la première église LMS,
à Ambatonakanga. Si les édifices en bois sont encore construits par la
deuxième génération missionnaire (1865, Mahamasima ; 1866,
Ambohimitsimbina), ils sont relayés de plus en plus par les édifices en
pierre. Sont érigés sur les lieux mêmes où ont été exécutés les premiers
martyrs quatre temples mémoriaux (1867, Ambatonakonga ; 1868,
Ambohipotzy ; 1870, Faravohitra ; 1874, Ampamarinana).
Les édifices qui se dressent sont un symbole très fort de
l'implantation de la nouvelle religion et de sa solidité et un signe de la
puissance des missionnaires.
Le
la construction d'édifices. Les
4. Le
remplacement des structures anciennes
Ce
qui fait la force véritable des missionnaires est qu'ils ont des
de toutes celles qui s'effondrent ;
structures à proposer en remplacement
et les bouleversements touchent tous
les domaines de la société,
économique, politique, religieux.
Le domaine économique a été le premier domaine où l'intrusion
de l'Europe s'est réalisée, même pendant la période de côtoiement des
cultures. Ce domaine n'est pas réservé aux missionnaires LMS ; certaines
techniques européennes sont introduites par des hommes sans aucun lien
avec les missions
religieuses, hommes qui, à Madagascar, auront
l'autorisation de continuer à oeuvrer au développement du pays.
Laborde est de ceux-là.
Au contact des
Européens, beaucoup d'objets nouveaux se
instruments de musique,
des tissus à base d'écorce,
techniques de pêche, assemblage des pirogues, etc. Les confréries
spécialisées périclitent.
généralisent
: objets en fer, vêtements, armes,
etc. Certains métiers disparaissent : fabrication
Société des
Études Océaniennes
�53
Dans le domaine social, la société dans son ensemble a tendance à
s'uniformiser, les avantages conférés à certaines catégories d'individus
n'ayant plus lieu d'être reconduits. Le mot manahune n'est plus employé ;
le peuple est désormais appelé hui ra'atira. Les missionnaires prônent un
certain puritanisme des moeurs, condamnant danses, alcool, débauche.
monogamie se substitue à la polygamie. L'infanticide disparaît.
Mais c'est encore dans le domaine religieux que la coupure avec
les anciennes organisations est la plus nette. Les marae ont été
abandonnés et sont maintenant remplacés par les temples ; les idoles ont
été détruites, la sorcellerie remplacée par la prière, les fêtes païennes
abandonnées. Le dimanche devient le jour du Seigneur, le calendrier
chrétien est adopté. L'Eglise protestante est très hiérarchisée (pasteur
européen, pasteurs, diacres et catéchistes indigènes, chrétiens confirmés,
membres de l'Eglise, reste des fidèles).
Ainsi, forts de leur influence, les missionnaires proposent et
mettent en place des structures de remplacement, dans tous les domaines
de l'organisation de la société. Il y a alors une sorte d'inversion du
pouvoir ; les missionnaires, peu nombreux et totalement dépendants des
pouvoirs politiques en place, acquièrent une position prépondérante et
deviennent les véritables détenteurs du pouvoir. Toute la population est
touchée ; cela provoque une acculturation extrêmenent rapide. Dans ce
La
contexte, comment la
pénétration de la musique européenne se fait-elle ?
L'apport hymnologique
place importante dans les modes d'expression
privilégiées par le Réveil. Tous les missionnaires emportent dans leurs
bagages des Bibles, mais aussi les recueils de chants en usage à leur
époque en Angleterre. L'un de ces recueils est vraisemblablement Y Union
Harmonist. Aucune référence des livres d'hymnes anglais utilisés
n'apparaît à Tahiti et il faut attendre 1879 pour Madagascar.
Le chant tient
1. Les textes
une
hymnologiques
emportés ont pour auteurs des écrivains européens,
anglais le plus souvent. La première tâche est de traduire les textes
d'origine, ou de les adapter, puisque pour les protestants le culte utilise
dans tout son déroulement la langue vernaculaire. D'abord manuscrits,
les textes sont imprimés sous forme de feuillets séparés, puis ensuite
reliés en livrets. La première impression d'hymnes tahitiens est faite à
Les textes
Société des
Études Océaniennes
�54
Huahine
en
1818, la deuxième à Tahiti
en
1827. Cette dernière comporte
deux cent trente-six textes anonymes ; seules les paroles sont indiquées.
Le premier volume d'hymnes malgaches est tiré à huit cents exemplaires
élargies
et 1835.
Pendant le règne de Ranavalona 1er et même au-delà, l'Angleterre
prendra le relais (1849,1853,1864).
La métrique, c'est-à-dire le nombre et la longueur des vers, est le
plus souvent indiquée dans les éditions successives (CM=Common
Meter, LM=Long Meter, SM=Short Meter, etc.). C'est une tradition dans
le psaultier britannique et cela sert, sans doute, à faciliter une adaptation
rigoureuse du texte à la musique originale. Les monnayages pour adapter
un nombre de
syllabes déterminé à un dessin rythmique préexistant sont
en
1828 ; il comporte soixante-quinze cantiques. Des rééditions
des tirages beaucoup plus importants auront lieu en 1831
avec
très
rares.
toujours en lien étroit avec les sujets bibliques ; ce
adaptations de l'Ancien ou du Nouveau Testament, des
principes de vie chrétienne, des louanges à Dieu, etc. Les problèmes de
l'adaptation textuelle aux référents anglais sont de plusieurs ordres :
les langues indigènes sont plus ou moins concises que l'anglais
et une idée, parfois une traduction en nombre de mots et de syllabes,
beaucoup plus développée que la langue de référence;
problème de la rime;
problème de l'accentuation des mots. Ce problème est très
important à Madagascar, car la langue est construite sur les
Les textes sont
sont des
-
-
-
accentuations.
problèmes ont été mal maîtrisés à Madagascar par les
première génération (cf. Richardson et Hewlett).
Le renouvellement du répertoire est toujours fait dans le même
esprit, le texte anglais servant de base. Examiné sous son aspect textuel,
l'apport hymnologique est en rupture complète avec les connaissances et
les traditions indigènes et même, dans certains cas, les "déculturalise" de
leur propre langue orale.
Tous
ces
missionnaires de la
2. Des
musiques européennes
Les chants issus de la Réforme
respectent les principes édictés par
rythmes simples de façon à pouvoir être chantés par
toute l'assemblée, harmonisation à quatre voix pour les chorales exercées
dans un style "note contre note", accompagnement facultatif
d'harmonium ou d'orgue, formes simples (couplet/refrain ou format
strophique). Les compositeurs sont très variés ; beaucoup sont des
compositeurs de la Réforme, d'autres ont marqué de leur empreinte la
Luther
:
mélodies et
Société des
Études
Océaniennes
�55
composition musicale (Haydn, Mozart, etc.). Les compositeurs ne sont
presque jamais les auteurs des paroles.
repris, sans aucune modification, à Tahiti et à
Madagascar. Toutes les musiques et harmonisations sont européennes ;
bien que certains pasteurs aient eu des compétences musicales, ils n'ont
jamais créé des musiques nouvelles. Toutes les mélodies sont identifeées
par un mot-clef, qui est parfois indiqué dans les recueils malgaches ou
tahitiens. Ceci est aussi une tradition des psaultiers anglais. C'est, pour
les recueils les plus anciens, la seule référence à la musique d'origine,
puisque ne sont notés sur les livres d'hymnes que les textes des chants.
La dimension polyphonique est-elle introduite par les premiers
missionnaires ? Vraisemblablement, mais aucun témoignage ne permet
de l'affirmer. Cependant, cet aspect est retenu par la notation introduite à
partir des années 1870 dans les livres d'hymnes malgaches. Ce n'est pas
une notation sur portée.
Tout ceci est
3. La notation des
hymnes en "tonic sol-fa"
d'écriture et de lecture simplifiée a été mis au point
par l'Anglais James Curwen, baptisé système "tonic sol-fa". De façon à en
rendre plus facile l'exécution vocale, tous les textes sont transposés dans
les tonalités majeure de do ou mineure de la, de façon à éviter au
Un moyen
maximum les altérations. La référence à
la hauteur du diapason est
indiquée par une lettre majuscule (KeyA = do placé à la hauteur du la du
diapason). Les notes ne sont plus écrites dans la portée, mais transcrites
phonétiquement (d pour do, r pour ré, t pour ti, si anglais, etc.).
Les valeurs rythmiques utilisées s'inscrivent toutes dans six
mesures de base (2/4, 3/4, 4/4, 6/8, 9/8 et 12/8). Les barres de mesure
sont conservées ; elles précèdent toujours les temps forts. Les temps
faibles sont précédés du signe
Une valeur qui se prolonge est suivie
du signe
Un silence est marqué par un espace, l'écriture respectant
strictement dans la notation la longueur des notes et des silences.
changements courts de tonalité se font par l'emploi de notes
de, sib = ta), les changements longs par un changement de
clé (KeyE... KeyB, D'f, la petite note appartient à l'ancienne clé, la grosse à
la nouvelle). Les changements sont faits à la place la plus commode et
non de façon harmonique.
Le missionnaire Richardson introduit le système "tonic sol-fa" à
Les
altérées (do
=
Madagascar en 1870. Avec Toy, il en sera le grand propagateur.
le système "tonic sol-fa" n'ait jamais été introduit à Tahiti).
que
Société des
Études
Océaniennes
(Il semble
�56
premier recueil écrit en sol-fa est de Pool (1873). Le livre
d'hymne édité en 1875 par la LMS paraîtra sous deux formes: l'une
traditionnelle, textes seulement, l'autre avec notation des hymnes en solfa. Le système est encore en usage dans les temples protestants
malgaches.
La notation en "tonic sol-fa" est parfaitement adaptée à
l'hymnologie protestante ; elle permet un apprentissage rapide.
Cependant, elle ne permet pas d'intégrer d'autres types de musique. Là
aussi l'écrit est un élément d'acculturation extrêmement efficace.
Le
4. Des instruments nouveaux
quels instruments disposaient les missionnaires à leur arrivée
Madagascar ? Nous n'avons pas de témoignage précis dans
ce domaine. On sait qu'ils marquaient beaucoup de réserve envers les
instruments profanes comme le violon.
De
à Tahiti et à
l'aspect purement vocal ait été favorisé à Tahiti
puisque encore aujourd'hui la grande majorité des chants du temple sont
chantés a capella.
Il semble que
été introduits à
premières installations missionnaires ; Radama I,
attiré par les fanfares occidentales, avait envoyé certains de ses musiciens
se former à l'île Maurice. Jones lui-même aurait introduit la flûte
traversière en 1818 et Keturah Jeffreys aurait donné des leçons de piano
aux alentours de 1824 (cf. Belrose Huygues, 1980). Rason signale que
Laborde et le père Finaz auraient fait don du premier piano à Radama II.
Sibree signale en 1873 que de nombreux harmoniums existent dans le
pays et que les indigènes ont même commencé à en fabriquer. Le premier
Beaucoup d'instruments européens ont
Tananarive dès les
été installé dans le temple du Palais.
L'aspect instrumental est un puissant levier d'acculturation; avec
leurs notes tempérées, les claviers forment rapidement l'oreille à des
gammes précises.
orgue a
place importante dans le culte des
L'expression musicale étrangère, pourtant en tous points
différente des expressions autochtones, est intégrée au temple aussi bien
à Tahiti qu'à Madagascar, avec les formes d'expression qui lui sont
propres. Il n'y a pas de mélange. C'est donc un facteur d'acculturation, de
la même importance que bien d'autres aspects.
Le chant
tient
une
missionnaires.
Société des
Études Océaniennes
�57
période qui suit le côtoiement des cultures est un temps
puisqu'il y a, dans tous les domaines, une substitution
d'une culture étrangère à la culture d'origine. L'un des éléments
essentiels de l'acculturation est l'écrit qui, dans le domaine musical, se
fait de plus en plus précis.
Différentes phases sont à distinguer, qui rendent cette deuxième
période plus délicate à dater que la première :
une phase d'imprégnation, qui ne touche que les dirigeants et
quelques indigènes. Les missionnaires essaient de prouver que tous les
aspects de la civilisation européenne sont liés et donc indissociables;
une phase d'extension : elle commence en 1815 à Tahiti, en 1865
à Madagascar. A la conversion officielle des détenteurs du pouvoir, la
population se convertit en masse. En quelques années, un basculement
total se produit. Les structures anciennes disparaissent et sont remplacées
par de nouveaux réseaux. Les missionnaires s'avèrent être les véritables
Conclusion
:
La
d'acculturation
-
-
détenteurs du
pouvoir;
phase de consolidation : le temps qui passe amène d'autres
générations, ce qui accélère encore la coupure avec la civilisation
première.
Les missionnaires, même s'ils jouent un rôle prépondérant dans
l'adoption de la culture européenne, ne sont pas les seuls à détruire les
vestiges du passé ; les indigènes sont aussi en contact avec des marins de
-
une
des colons, des
plus nombreux.
passage,
en
conseillers politiques, des commerçants de plus
L'uniformisation des sociétés, leur
basculement inconditionnel
l'Europe vont entraîner, cependant, des phénomènes de retours en
arrière. Quels sont ces phénomènes et quelles conséquences auront-ils
dans le domaine musical?
vers
LA PHASE DE
CREATION
fige la production orale et est donc un élément-clé dans
des différences entre l'écrit, émanation
directe de la culture étrangère, et l'interprétation orale sur le terrain.
Richardson, puis Hewlett, à Madagascar, s'en inquiètent.
De plus, quelques années ou quelques décennies après la phase
d'adoption de la culture étrangère, se produisent des mouvements de
rejet plus ou moins violents. Tous ces mouvements cherchent à intégrer la
culture autochtone ; ils se présentent donc comme des retours en arrière.
L'écrit
l'acculturation. Or, il demeure
perceptibles dans la vie quotidienne,
l'ampleur des mouvements décrits ci-dessous.
Certaines réactions sont
aucune
n'a
Société des
Études
Océaniennes
mais
�58
Les réactions
1. Les mamaia de Tahiti
Le mouvement des mamaia
prend naissance en 1826 à Tahiti. Il
représente une tentative d'unification entre l'ancienne religion
polynésienne et la religion chrétienne. De la première, il garde l'aspect
matérialiste en festif : danses, tatouages, beuveries, orgies. De la seconde,
il recherche une légitimité (croyance en Jésus-Christ et en l'inspiration
divine) et conserve certains aspects cultuels : prières collectives, lecture
de la Bible.
Ce mouvement est fondé par Teao, diacre
Punaauia, et par Hue. Profitant de la jeunesse de la
de l'Eglise de
Reine et de la
protection de certains chefs, les mamaia font de nombreux adeptes. Les
missionnaires réagissent vigoureusement, aidés par quelques chefs, dont
Tati, Hitoti, Upaparu, Utami, Paofai. Des combats se produisent dans la
presqu'île en 1832, mais le mouvement ne s'éteindra réellement qu'en
1834.
2. Les réactions à
Madagascar
A
Madagascar, les réactions se produisent de façon plus
sporadique ; certaines sont en rupture totale avec le christianisme,
d'autres ont un aspect plus syncrétique ; mais toutes puisent leur source
dans un passé pré-européen.
a.
La construction des tombeaux
Entre les années 1870 et 1880, la construction
prend
des tombeaux
ampleur inaccoutumée. La construction d'un tombeau met en
valeur une lignée, est une preuve de réussite sociale par les dépenses
qu'elle occasionne. En soi, ce mouvement n'est pas incompatible avec les
valeurs chrétiennes et constitue peut-être une tentative de syncrétisme,
comme
peuvent en témoigner les musiques qui accompagnent les
une
cérémonies.
Les cérémonies elles-mêmes ont
un
caractère
beaucoup plus
païen et peuvent contredire les valeurs essentielles du christianisme,
l'ancêtre devenant le protecteur privilégié. Une des conséquences de la
construction des tombeaux est la
secondes funérailles
généralisation des famadihana, ou
parfois ignorées, parfois tolérées, par les
missionnaires.
Société des
Études
Océaniennes
�59
b. Les
tnenamaso
et les
ramanenjana
sont les
de jeunesse de Radama II.
accumulent très vite sur eux,
après l'accession du roi au pouvoir, les motifs de mécontentement.
Radama II ne pourra les sauver d'un massacre collectif en 1863 ; peu
après, se développent des phénomènes de possession: les ramanenjana. La
possédée, généralement une jeune fille ou une jeune femme, rentre en
Les
menamaso
compagnons
Insouciants, débauchés, provocateurs, ils
transes et se met à
danser
sur
les tombeaux.
ramanenjana réapparaissent à partir de 1872, dans les
campagnes, à l'époque de la moisson du riz. Beaucoup de Malgaches
voient dans ces possessions une intervention indirecte de Ranavalona 1er;
ils représentent une réaction à l'autorité missionnaire et un retour à
Les
certaines formes de croyances
c.
héritées d'un passé pré-européen.
La dissidence tranozozoro
produit plus tard, dans un contexte
politique qui a largement évolué. La guerre franco-merina a été déclarée
en 1894 ; elle s'est achevée par un traité de protectorat signé par la Reine,
le 1er octobre 1895. Très peu de temps après, le missionnaire anglais
d'Arivonimamo est assassiné, ainsi que sa famille. L'insurrection gagne
plusieurs zones. Les insurgés qui se dénomment les menalamba, "ceux à la
toge rouge", puisent leurs forces dans des valeurs traditionnelles, felana,
ody, sampy.
Cette dissidence
se
Il faudra l'intervention
énergique de Galliéni (exécution de hauts
dignitaires, déportation de la Reine), pour mater
derniers résistants
3. Causes et
se
rendent en 1897 et
en
l'insurrection. Les
1898.
conséquences de ces réactions
A Tahiti comme à
Madagascar, les réactions se produisent
quelques années après la période des conversions massives.
Les
causes en
sont diverses :
peut être dû à la localisation ; il demeure toujours un
décalage entre les mentalités urbaines, plus sensibilisées au "progrès", et
les mentalités rurales, plus enracinées dans les traditions. Moins
densément évangélisées, les campagnes s'acculturent beaucoup moins
cela
-
vite;
disparition des structures anciennes a bouleversé un
équilibre dans lequel une certaine partie de la population avait des
privilèges. La disparition de ces privilèges s'accompagne d'un certain
-
la
mécon ten temen t;
Société des
Études
Océaniennes
�60
il y a encore un grand décalage entre la culture
la culture autochtone ; l'instruction, certes, se généralise,
-
encore
à
ses
débuts et la formation des
nouveaux
missionnaire et
mais elle en est
évangélistes demeure
très sommaire;
la cause la
plus importante demeure, cependant, la prise de
pouvoir des étrangers, accompagné de l'affaiblissement du
pouvoir des autorités autochtones, et d'une crise économique qui affaiblit
le pays. Les lois strictes qui régissent maintenant la vie de la société sont
souvent perçues comme des contraintes sans aucun fondement. Le pays
s'appauvrit quand les pays européens exigent dos compensations pour
-
conscience du
les torts subis.
Ces mouvements profitent aussi des divisions et rivalités qui
apparaissent chez les étrangers : pouvoir politique et pouvoir religieux
sont loin de toujours s'épauler, la société européenne idéalisée
prônée par
les missionnaires est bien souvent contredite par les contacts épisodiques
des marins de passage, les missionnaires sont eux-mêmes parfois divisés.
Dans
réactions
un
contexte fondamentalement
différent, chacune des
peut aboutir à ce qui est pourtant recherché : l'équilibre qui
Européens. Il ne peut y avoir au mieux qu'un
syncrétisme, c'est-à-dire une réinvention de culture. Dans chacun des
mouvements, la musique tient une place importante ; mais dans ce
domaine aussi, les formes, les mélodies, les instrumentations anciennes
ne sont
plus connues, elles sont réinventées. Deux genres syncrétiques
parfaitement originaux le prouvent, ce sont les himene tarava tahitiens et
ne
existait avant l'arrivée des
les hira gasy
malgaches.
Les himene tarava
1. Définition du genre
et description
Les himene tarava sont des chants
polyphoniques comportant de
grand nombre d'exécutants, hommes et
femmes, sans accompagnement instrumental. Le timbre des voix est
nasillard ; l'intensité est toujours fortissimo, sans nuances. Les chanteurs
sont assis en demi-cercles
concentriques, les femmes devant, les hommes
derrière. Ils sont dirigés par un chef de choeur (ra'atira himene) qui
exécute des pantomimes plus qu'il ne bat la mesure. De temps en temps,
un ou
plusieurs chanteurs se lèvent et imitent le ra'atira.
La musique du chant n'est jamais notée sur portée. Elle se
transmet par tradition orale. Le texte est en tahitien. Il
peut être profane
ou
religieux sans que les caractéristiques musicales changent.
6 à 8 voix,
interprétés
par un
Société des
Études
Océaniennes
�61
musical est répandu dans toutes les îles-de-la-Société.
caractéristiques permettent de préciser la provenance d'un
Ce genre
Certaines
himene tarava.
2. Les voix du
himene tarava
polyphonie naît de la superposition de strates sonores ayant
fonction, son timbre, son nombre d'exécutants. La fonction
prime sur la notion de tessiture.
Le fondement du chant est donné par les ha'u, voix d'hommes
qui ont un espèce de bourdon en bouche fermée, alternant parfois avec
des effets gutturaux et des battements de mains. Les voix marquent un
appui pulsatoire. Les mains des chanteurs sont en cornet devant le
visage. Le groupe des ha'u comporte généralement une quinzaine
La
chacune
sa
-
d'exécutants.
La deuxième strate est
-
constituée par l'ensemble des voix qui
comprend une voix d'hommes et deux ou trois de
homorythmie. La fin de chaque strophe est marquée par un
long point d'orgue.
La voix d'hommes est appelée maru tamau. Ce pupitre a un
ostinato qui s'étend sur une ou deux mesures; les voix sont pleines,
chantent dans le médium. La mélodie peut se casser sur la quatrième
pulsation de chaque mesure et le vers être amputé en conséquence de
quelques syllabes. Le groupe est aussi nombreux que celui des ha'u.
La première voix de femmes est le fa'a-'ara'ara'. Ce pupitre a un
ostinato étalé sur deux mesures. L'ambitus des voix est plus large que
pour les autres pupitres. Une des femmes du groupe entonne seule le
début de chaque strophe.
La deuxième voix de femmes est le para'u para'u. A l'exception
du premier vers de chaque strophe, ce pupitre a l'intégralité du texte. Il
reproduit, étalé sur une ou deux mesures, un ostinato mélodique
d'ambitus réduit, souvent à l'unisson avec 1 e fa'a-'ara'ara'.
La troisième voix de femmes est le huti. C'est un pupitre fourni
disent le texte. Elle
femmes,
en
*
*
*
*
qui produit lui aussi un ostinato mélodique étalé sur
première partie de Yostinato est en homophonie avec
deuxième est une note tenue, ou une
deux mesures. La
le para'u para'u, la
vocalise. L'ambitus de la voix est
resserré.
-
perepere.
La troisième strate se compose
Ils enrichissent le
des solistes: tahape, maru teitei et
chant rythmiquement, mélodiquement,
harmoniquement. Ils renforcent le volume sonore et diversifient la palette
des timbres. Ils étendent la tessiture. Ils interviennent en improvisant.
Société des
Études
Océaniennes
�62
*
Le
tahape est "celui qui ne chante pas en même temps".
Cette
tirés du texte et
a des motifs en imitation, combine des éléments
des vocalises. Cette voix est généralement confiée à deux femmes.
voix
qui
*
Le
maru
teitei
se
présente comme un relais entre deux voix de
large, la voix à la limite du crié. Les maru
femmes. L'ambitus est assez
teitei sont
en
complémentarité
ou en
homorythmie avec les voix de la
deuxième strate.
sont des voix très aiguës, dont le timbre est presque
métallique. Les solistes, en petit nombre, hommes ou femmes, produisent
des arabesques qui sont souvent de simples vocalises. Le rythme est libre.
*
3.
Les perepere
L'aspect textuel
Le moule musical est
les textes
identique pour les textes profanes et pour
religieux.
profanes sont des légendes, des textes faisant l'éloge
du district. Ils sont très recherchés, écrits dans une langue
parfois archaïque, toujours poétique, avec souvent un double sens des
paroles. La ou les premières strophes sont consacrées aux remerciements
Les textes
du pays,
et
aux
salutations des autorités.
religieux sont des citations de l'Ancien ou du
commentaires de textes sacrés, des anecdotes à
caractère religieux (arrivée des Evangiles à Tahiti...).
Le texte se présente sous forme strophique. Le nombre de vers
peut varier d'une strophe à l'autre. La rime n'est pas systématiquement
Les textes
Nouveau Testament, des
recherchée.
4.
Caractéristiques musicales
a.
Aspect rythmique
L'appui pulsatoire est très marqué, dans une carrure à 4/4 très
rigide, qui ne s'assouplit qu'en fin de strophe (rallentando et points
d'orgue). La fourchette des tempi est très resserrée et se situe autour de
noire = 106 pulsations/minute.
Les rythmes sont nerveux et incisifs, souvent syncopés. Les
monnayages sont utilisés pour adapter les paroles au cadre de la mesure.
Les voix de la deuxième strate sont en homorythmie. La
polyrythmie naît des improvisations des solistes.
b.
Aspect mélodique
Les himene tarava ont
adopté les degrés stabilisés de la musique
occidentale.
Société des
Études
Océaniennes
�63
(tonique) est toujours très marquée (notepivot, tenues, unissons). Les échelles sont souvent détectives, avec une
prédominance des échelles pentatoniques anhémitoniques. Elles
s'enrichissent dans les registres aigus.
L'ambitus des voix est relativement resserré, sauf pour les voix
La note fondamentale
solistes.
c.
Aspect polyphonique
polyphonie résulte d'une combinaison de procédés, les uns
plurilinéaires (bourdon, parallélisme, homophonie), les autres
proprement polyphoniques (ostinato, imitation, contrepoint mélodique):
bourdon : les ha'u font un bourdon dans le grave, les maru tamau
les
et
para'u para'u ont des bourdons fleuris, sur la dominante et sur la
La
*
tonique;
parallélisme : les parallélismes de quarte sont fréquents entre les
femmes de la deuxième strate. Les voix de
femmes sont souvent parallèles à la tierce;
^homophonie : c'est la caractéristique essentielle de la deuxième
*
voix d'hommes et les voix de
strate;
*
ostinato
clefs" étalées
la
:
première et la deuxième strates ont des "cellules-
sur une ou
deux mesures;
introduit par
les voix solistes.
""contrepoint mélodique : réalisé systématiquement par les
et, occasionnellement, par les autres solistes.
*
imitation
:
Aucun des
cet élément est
procédés polyphoniques énumérés n'est utilisé de
façon systématique dans
constructions
tahape
l'ensemble du chant. Les tarava sont des
polyphoniques qui se renouvellent sans cesse.
d. La forme
La forme est la structure
qui engendre la durée dans les
longueur de chaque strophe.
interne de l'oeuvre. C'est la répétition
himene tarava, ainsi que le nombre et la
Chaque strophe, délimitée par l'entrée du faa'ara'ara et par le
point d'orgue final, est bissée ; très souvent, le dernier vers ou les deux
derniers sont aussi répétés.
Dans les tarava des îles-Sous-Le-Vent, il y a parfois plusieurs
parties,
se
distinguant par des changements
de tempi et/ou des styles
contraires.
Société des
Études
Océaniennes
�64
e.
Caractéristiques diverses
Les tarava sont des chants
aucune nuance.
qui sont interprétés à pleine voix, sans
Les variations d'intensité résultent du nombre de
chanteurs mobilisés. Les perepere attendent
avant de produire leurs guirlandes sonores.
Les timbres sont
plus
ou
notamment un certain climax
moins nasillards, selon l'origine
géographique du chant.
Il
peut y avoir des mélanges de style, les himene tarava débutant
introduction ruau (chants polyphoniques aux caractéristiques
polyphoniques plus simples), ou rappelant les tuki (chants des îles Cook).
par une
5.Rétrospective historique du genre
Plusieurs éléments devraient
nous
permettre de situer l'origine
du chant, soit avant l'arrivée des Européens, soit après (la terminologie et
les éléments textuels, l'examen des témoignages, l'analyse des éléments
musicaux).
terminologie est, en partie, européenne ; le terme péhe était
jadis utilisé pour désigner le chant (himene est l'adaptation du mot
"hymn", tarava = qui s'étend).
Les textes sont créés de nos jours ; môme s'ils reprennent des
expressions archaïques, ils ne peuvent être pris en compte pour ancrer le
genre dans un passé pré-européen. Les textes religieux sont acculturés.
Les témoignages sont de natures diverses : enregistrements,
La
notations musicales et écrits:
les
-
ne permettent pas de remonter très loin ;
début du siècle, mais les moyens techniques ne
enregistrements
certains ont été faits
au
permettaient pas la prise de son de grands groupes;
les partitions sont en très petit nombre ou très incomplètes. La
plus ancienne est celle de Tiersot, relevée lors de l'exposition universelle
de 1889. Il y manque beaucoup d'éléments;
les descriptions littéraires sont celles qui nous permettent de
remonter le plus loin dans le temps ; elles prouvent une remarquable
-
-
stabilité du genre.
Plusieurs éléments musicaux sont à considérer (les instruments,
les échelles utilisées, les effets vocaux, les
etc.)
équilibres
sonores,
la forme,
:
-
certains de
ces
éléments sont incontestablement dus à
l'apport
de
l'Europe (gammes aux degrés stabilisés) ;
d'autres peuvent appartenir aux deux cultures (chant
forme, appuis sur tonique et dominante) ;
-
Société des
Études
Océaniennes
a
capella,
�65
spécifiques à la culture d'origine (timbres de
construction polyphonique).
Le genre s'enracine donc dans un passé traditionnel, mais il a été
aussi influencé par l'apport européen ; on peut donc situer son éclosion à
l'époque traitée dans ce chapitre.
d'autres enfin sont
-
voix, effets gutturaux,
Les hira gasy
1. Définition du genre
de Madagascar
et description
est un spectacle populaire qui se déroule en plein air ;
rivales au moins évoluent alternativement devant des
spectateurs et présentent selon un ordre prédéterminé, des chants, des
danses, des musiques et des discours.
Un numéro comprend :
un
prélude (introduction sasin-tehaka, présentation de la troupe),
rehaussé par les violons;
un premier kahary "hevitra ifanakalozana" (thème général de la séance);
un chant principal "renin-kira" (ou renihira);
un deuxième kabary;
un chant subsidiaire "zana-kira", plus court;
Le hira gasy
deux troupes
.
.
.
.
.
.
.
des danses;
un troisième
groupe
groupe
deux
kabary "fanarana" (aboutissement, aux
allures de sermon).
Chaque troupe comporte une vingtaine de personnes, avec un
d'hommes et de femmes à la fois chanteurs et danseurs, un
de musiciens (tambour langoraony, grosse caisse amponga be,
trois violons lokanga, quelquefois des clairons, des clarinettes ou
ou
des accordéons), un
chef de troupe.
est l'orateur. Il est debout au centre de la scène ;
les discours avec emphase, avec des gestes amples. Les
musiciens sont assis au centre de la scène. Les chanteurs sont à la
périphérie, dans la direction des quatre points cardinaux ; ils tournent
d'un quart de cercle à chaque strophe.
Les danseuses portent de longues robes amples aux couleurs
voyantes, des bijoux et un lamba ; les danseurs portent des jaquettes
ornées de galons, un chapeau de paille, un lamba.
Le chef de troupe
il
prononce
Société des
Études
Océaniennes
�66
2.
L'aspect textuel
Le texte est
présent dans les discours et dans les chants.
Les discours doivent être convaincants. Ils sont émaillés de
proverbes malgaches. Les thèmes sont tirés de sujets divers: la douceur
du pays, la sagesse des ancêtres, le respect des lois, les grâces de la
jeunesse, etc... Ils se rapprochent souvent du sermon de pasteur (honneur
de la vertu, laideur du péché). Les chefs de troupe sont les héritiers
directs des traditions propres à toutes les langues orales.
Aspect textuel des chants (à étudier).
3.
L'aspect musical
Il existe
style musical propre au hira gasy, fait de rythmes, de
sonores, d'improvisations qui n'appartiennent qu'à
ce
genre. Les musiques ne sont jamais écrites. Il y a, à certains moments
du spectacle, des analogies frappantes avec les chants du temple.
un
mélodies, de couleurs
a.
la
L'aspect rythmique
(A étudier en parallèle avec l'article Des temps et des rythmes dans
musique malgache, de J. A. Rafaralahy, 1977).
Certains rythmes sont communs aux chants malgaches et aux
chants occidentaux, d'autres sont spécifiques à Madagascar et ne peuvent
être notés en utilisant les carrures européennes.
Dans
ces
derniers, l'unité de temps est extrêmement courte
(double croche). Le
rythme résulte des multiples combinatoires possibles
résultant des accentuations, binaires ou ternaires, dans un cadre de
12/16. Ces rythmes correspondent
petit tambour langoraoany.
mesure
à
aux coups
de baguettes du
Se superpose à cette rythmique une mesure dynamique, de même
longueur (12/16), caractérisée par la régularité de quatre accentuations
rythmiques ternaires. La mesure dynamique est donnée par la grosse
caisse ou les battements de mains. Il y a donc toujours une combinatoire
entre deux mesures
b.
(double mesure).
L'aspect mélodique
Différents
styles.
Incorporés dans la romance, réutilisation de cantiques
missionnaires, avec d'autres paroles.
Mélodies caractéristiques.
Société des
Études
Océaniennes
�67
c.
L'aspect instrumental
Il y a présence d'instruments traditionnels (petits et gros
tambours) et d'instruments européens (grosse caisse, violons, clairons,
clarinettes, accordéons).
caisse, des violons et des instruments à
typique des suites musicales réservées aux officiers de onze
honneurs et plus (cf. F. Raison).
Les violons sont joués à la façon asiatique, la caisse de résonance
posée sur la poitrine et non sous le menton.
Le tambour a un rôle prédominant. Les instruments à vent
improvisent sur des mélodies caractéristiques.
L'association de la grosse
vent est
L'aspect harmonique
d.
qu'il y ait trois (ou quatre) parties vocales pour le chant,
homorythmie, mais aussi avec des passages, des transitions
Il semble
souvent en
confiées
aux
Le
e.
voix d'hommes.
rapport entre chanteurs et
instrumentalistes est à étudier.
L'aspect formel
Au-delà de la forme
interne de
intangible du spectacle, étudier la forme
chaque partie, voir comment s'agencent
les parties strictement
instrumentales et le discours.
f. Eléments divers
-
-
-
-
Les intensités
Les timbres
Les
mélanges de style
Part de liberté et
d'imposé.
4. La danse
La
troupe se compose ordinairement d'un quadrille de quatre ou
ouvrent la danse, avec des pas d'abord lents et
six danseurs. Les hommes
solennels
qui se précipitent. Les danseurs
cabrioles, des acrobaties.
font ensuite des figures
savantes, des
Les femmes,
dans le jeu
de souplesse. Les mouvements de
toujours en fin de danse.
qui jusque-là battaient des mains, entrent
des gestes qui ont plus de grâce et
mains agitées en ailes d'oiseaux arrivent
avec
Société des
Études
Océaniennes
�68
5.
Rétrospective historique
Les
spectacles des hira gasy sont encore très en vogue de nos
jours. De nombreuses troupes se succèdent tous les dimanches à Isotry
(Tananarive).
Le genre a
été décrit à plusieurs époques (Raison, 1990 — Althabe
Rahanivoson, 1964 — Ramanantsoa, 1951 — Deschamps, 1947 — Rason,
1933
Camo, 1931 — Haile - P.Caussèque, 1887). Plus ou moins
détaillées, ces descriptions ne font apparaître que des évolutions
-
—
mineures. On trouve les
descriptions les plus anciennes dans le
Madagascar Times d'août et de septembre 1886.
D'après F. Raison, le genre serait apparu sur les Hautes Terres à
l'époque de l'extension du christianisme. Son développement serait lié à
la structure sociale et à la vie des chorales. A partir du lohavolana
(réunions de prière missionnaire) qui permet de maintenir les structures
festives ancestrales en intégrant la paroisse, le hira gasy sort du temple
pour migrer vers les veillées funéraires et les famadihana.
Certains éléments du hira gasy sont empruntés à l'Europe : la
plupart des instruments, certaines harmonisations, les costumes et
décorations, les attitudes des chanteurs, etc.
D'autres sont tirés d'un contexte totalement différent
danses, certaines mélodies, les improvisations
:
les
instrumentales, la tenue
des violons, les rythmes les plus fréquents, etc.
En fait, le genre présente des formes de syncrétisme qui
très fortement dans la période des conversions massives. Ici
l'ancrent
aussi, le
contact entre les cultures
création
européenne et autochtone débouche sur une
parfaitement originale, à mi-chemin entre le profane et le sacré.
Conclusion. On peut constater des parallèles étonnants entre Madagascar
des cultures puis la domination de la culture
et Tahiti. Le côtoiement
étrangère ont
conséquence des réactions nationalistes. Ces
qu'une existence éphémère, les anciennes structures
ayant été balayées lors de la deuxième période. Les retours en arrière se
sont avérés
impossibles.
réactions n'ont
eu pour
eu
La confusion entre pouvoir civil et pouvoir religieux a
dans certains domaines, une confusion entre le profane et
confusion que les missionnaires ont essayé de réguler par
entraîné,
le sacré,
les aires
géographiques attribuées à l'un et à l'autre: le sacré au temple, le profane
hors du temple. Si dans le temple les formes musicales acculturées
perdurent, hors du temple par contre naissent des genres musicaux
syncrétiques parfaitement originaux, qui sont de véritables créations.
Société des
Études
Océaniennes
�69
témoignent de la perméabilité des civilisations
malgaches, mais aussi de leur personnalité propre ; les
caractéristiques originelles ne sont pas étouffées, elles demeurent et
participent à l'enrichissement du genre (élaboration polyphonique à
Tahiti, mélange des genres à Madagascar). Les créations nouvelles
présentent une très grande stabilité entre leur origine et notre époque.
Ces créations
tahitiennes et
LA PHASE D'INCULTURATION
phase représente une adaptation aux nouvelles
apportées par l'étranger. Cette adaptation se fait plus en réaction
qu'en osmose, le Tahitien comme le Malgache affirmant leurs spécificités.
C'est vraisemblablement en partie à cause de cet aspect revendicatif que les
genres qui naissent ne peuvent être acceptés au temple par les
missionnaires européens.
Deuxième et troisième phases se complètent, un équilibre est
trouvé dans le domaine musical : les chants étrangers pour louer Dieu au
temple, les caractéristiques autochtones hors du temple. Les lieux non
contrôlés par les missionnaires ont joué le rôle de soupapes de sécurité.
Malgaches et Tahitiens vont-ils se contenter des règles trouvées, ou faire
La troisième
données
encore
évoluer les données de base ?
Les contextes social,
d'évoluer, d'autres
économique, culturel continuent eux
équilibres sont trouvés.
Les nouveaux
équilibres
partir des années 1850 à Tahiti, des années 1890 à Madagascar,
politique évolue fortement. Les puissances européennes sont
beaucoup plus présentes dans le domaine civil et donc se substituent au
pouvoir des missionnaires ; ces derniers sont de plus en plus relégués à
leur seul rôle prosélytique.
A
le contexte
1. La
séparation de l'Eglise et de l'Etat
Les luttes
France à Tahiti.
inter-églises vont être à l'origine de l'intervention de la
L'expulsion des Pères catholiques Caret et Laval
provoque une réaction de la France qui instaure le Protectorat en
Le raidissement de Pomare IV aboutit à la guerre
1842.
franco-
qui va durer de 1844 à 1846. Les conséquences sociales,
économiques, politiques seront importantes ; l'Eglise protestante sera, elle
aussi, terriblement affaiblie puisque les pasteurs LMS abandonneront
tahitienne,
Tahiti.
Société des
Études Océaniennes
�70
L'Assemblée
législative tahitienne regroupant les grands chefs
la France, un moyen de contrer le pouvoir royal ; celui-ci est peu
à peu dépossédé de ses prérogatives, les lois françaises remplaçant les
coutumes polynésiennes. En 1880, Pomare V finit par céder ses Etats à la
est, pour
France. En 1888, les îles-Sous-Le-Vent sont annexées.
A
Madagascar, on note une intervention de plus en plus grande
sous le règne de Ranavola III. Une guerre franco-merina
éclate en 1883, le Protectorat est institué en 1885. Ses conséquences
économiques catastrophiques pour le pays engendrent mécontentement
de la France
et insécurité. La France intervient à
nouveau
militairement
en
1894,
s'empare de Tananarive et annexe Madagascar. Après Laroche, destitué
parce que considéré comme trop mou, Gallieni prend une série de
mesures radicales contre les autorités
politiques du pays.
A la fin du XIXème siècle, tous les pouvoirs politiques sont
désormais, à Tahiti comme à Madagascar, entre les mains du représentant
de la France et de lui seul. Les missions sont reléguées à leur rôle
prosélytique.
2. Les nouvelles données missionnaires
Parallèlement à la montée d'un pouvoir politique fort détenu par
puissance étrangère, la Mission tahitienne subit de nombreux
réajustements.
une
A
partir du traité conclu entre Pomare IV et la France en 1839, le
pendant la guerre
catholicisme s'installe officiellement à Tahiti. En 1844,
franco-tahitienne, les missionnaires LMS décident d'abandonner le pays.
Seul reste Orsmond.
De retour
en 1847, ils subissent des mesures répressives de
la part
législative, qui leur impose un seul ministre par district et
une nomination du
pasteur par les notables du district. Plutôt que de
ratifier cette Eglise d'Etat, les missionnaires anglais préfèrent partir en
de l'Assemblée
1852. Howe seul reste à
son
poste.
En 1862,
sollicitée, la Société des Missions Evangéliques de Paris
accepte de prendre en main l'Eglise tahitienne. Arbousset, son premier
agent, arrive en 1863. Le rejoindront Ch. Viénot (1866), F. Vernier (1867),
P. Brun (1870), Pomaret (1883). Le trait d'union entre la SME et la LMS est
assuré par Howe, par
définitivement en 1886.
Morris, puis
par
Green. La LMS
se
retire
En 1884, les protestants obtiennent, enfin, une reconnaissance
un statut de fonctionnement à travers le Conseil
supérieur des
officielle et
Eglises tahitiennes, institué par décret gouvernemental.
Société des
Études
Océaniennes
�71
A
Madagascar, les différentes missions protestantes, qui se sont
réimplantées à l'ouverture du pays, collaborent dans un esprit
œcuménique, en avance sur les grandes évolutions ultérieures. Là aussi,
le grand souci est d'organiser, d'où les isan-enimbolana, assemblées
semestrielles des Eglises, qui se mettent en place à partir de 1868.
Si le nombre des missionnaires européens s'est stabilisé et,
somme toute, demeure très faible, le clergé autochtone se développe, lui,
d'une façon exponentielle (551 pasteurs pour l'Imerina en 1880, 933 en
1890, 1664 en 1900, 2005 en 1909). Parallèlement, les prêcheurs et
évangélistes autochtones sont encore plus nombreux. Tous sont formés
dans les écoles missionnaires.
place d'un clergé indigène de plus en plus fourni et la
stagnation des arrivées européennes ont, sans aucun doute, entraîné dans le
secteur religieux un affaiblissement progressif de l'influence missionnaire
étrangère.
La mise
3. Le
en
développement de l'instruction
européenne ne passe plus par les hommes ; mais elle
maintenant par l'instruction, qui a été le premier moteur de
l'évangélisation et de son développement. Catholiques comme
protestants ouvrent des écoles pour instruire en masse.
L'influence
passe
La mission
la LMS. Arbousset
évangélique qui s'implante à Tahiti prend le relais de
ouvre une école protestante française en 1863. Son
gendre Atger en prend la direction Tannée suivante. Charles Viénot,
jeune instituteur missionnaire, déploie une activité débordante dans le
secteur de l'éducation.
progrès sont spectaculaires à Madagascar. Un diagramme,
review of missionnary work in
Madagascar, montre la progression des élèves formés par la LMS depuis
son rétablissement en 1863. A partir de 1869, la courbe croît
régulièrement jusqu'à atteindre cent mille élèves instruits pour la seule
année 1886. A partir de 1897, le relais est assuré par la Société
missionnaire de Paris et, en 1907, un arrêté du gouvernement exige la
fermeture d'une grande partie des écoles de la mission. Les circuits
laïques se mettent en place.
Les statistiques missionnaires nous renseignent aussi sur le
nombre de personnes, enfants et adultes, capables de lire à l'issue de leur
formation. Les chiffres se passent de tout commentaire : 1880 = 27.217
adultes, 1890 = 43.109 adultes, 1910 = 119.749 adultes.
Les
inséré dans le tome IV de Ten years
Société des
Études Océaniennes
�72
période de temps très courte, un demi-siècle, une
population est instruite, adultes et enfants,
garçons et filles. Par le biais de l'écrit, la culture européenne peut se
répandre d'une façon très rapide.
C'est ce contexte qui a favorisé l'éclosion de deux genres
musicaux nouveaux, dans lesquels les aspects européens et autochtones
s'équilibrent parfaitement, et tous deux reliés fortement à la religion. Ils
traduisent un changement de mentalité dû à une formation fortement
européanisée, mais aussi une prise en main autochtone qui ne se fait plus
en opposition, mais en réinjectant dans les
circuits officiels des
caractéristiques propres à la culture autochtone ; il y a alors inculturation.
Ainsi,
masse
en une
considérable de la
Les himene
1.Définition du genre
ruau
tahitiens
et description
Il y a
Ils font
de grandes similitudes entre les himene tarava et les himene
appel au même effectif, chorales mixtes nombreuses. Le
texte est toujours en reo maohi et aborde des sujets profanes ou religieux,
sans
que les caractéristiques musicales soient modifiées. Ils sont chantés a
capella et dirigés de la même façon par un raatira himene.
La polyphonie, cependant, est beaucoup moins complexe ; les
himene ruau ne comportent que de trois à cinq voix. Le tempo est lent ou
modéré, alors qu'il est toujours assez rapide dans le tarava. La polyphonie
est exécutée dans un style note contre note, ce qui rend les paroles
parfaitement intelligibles.
Il n'y a jamais de notation sur portée. Les mélodies se réfèrent à
ruau.
des modèles traditionnels.
Dans
un
spectacle profane, les chanteurs sont disposés en demi-
cercle et assis à même le sol, comme dans le himene tarava. La même
chorale interprète souvent tour à tour les deux genres. Au temple, les
chanteurs sont assis
sur
les chaises, comme pour
les autres types de
chants.
Ce
type de chant est répandu dans tout archipel
des îles-de-la-
Société.
2.
L'aspect textuel
Les textes peuvent être profanes ou religieux, comme dans les
himene tarava. Ils abordent les mêmes thèmes et possèdent les mêmes
caractéristiques.
Le texte
se
présente sous forme strophique.
Société des
Études
Océaniennes
�73
3. Les voix
Les voix
se
en deux groupes très inégaux : le choeur
du choeur ont l'intégralité du texte et évoluent en
répartissent
et les solistes. Les voix
homorythmie; les voix solistes peuvent introduire des improvisations.
Le chœur
a.
fa'a'ara'ara : ce sont les premières voix de femmes. Elles ont
registre de mezzo-soprano. Une femme du groupe est chargée
d'entonner le début de chaque strophe;
les na raro : ce sont les deuxièmes voix de femmes. Elles
évoluent souvent en parallèle avec les fa'a'ara'ara, dans un registre plus
les
-
un
-
grave;
les
maru
tamau
souvent à l'octave
grave
-
: ce
sont des voix d'hommes. Cette voix
double
la partie des fa' a'ara'ara.
b. Les solistes
-
le
maru
teitei
:
voix soliste d'homme (ténor) et/ou de femme
(soprano). Le soliste reste, en général, en homorythmie avec le choeur;
le perepere : c'est une voix aiguë d'un emploi assez rare. C'est la
seule voix qui puisse avoir un caractère improvisé.
-
4.
Aspects musicaux
a.
Aspect rythmique
caractérisent par un tempo lent ou modéré,
marqués en fin de strophes.
Les valeurs longues prédominent : croches, noires. La fin du vers
est marquée par une tenue et de longs point d'orgue terminent chaque
strophe. L'élément "silence" est soigneusement évité.
Le rythme a un aspect prosodique, à la manière du chant
grégorien, d'où la difficulté de transcrire le chant dans une carrure
Les himene
avec
ruau se
des ralentissements
mesurée.
Les voix du choeur sont en
résulter des
b.
homorythmie
;
la polyrythmie peut
improvisations du perepere.
Aspect mélodique
peut se noter avec
Le chant
les degrés stabilisés des échelles
européennes. Il n'y a pas de modulation et le seul mode utilisé est le
mode majeur et les échelles sont hexatoniques et diatoniques.
Les mélodies sont traditionnelles. C'est le chef de choeur qui les
apprend aux choristes. L'ambitus le plus large est celui des fa'a'ara'ara. Il
dépasse fréquemment l'octave.
Société des
Études
Océaniennes
�74
c.
Aspect polyphonique
Les voix de femmes sont souvent à la tierce
ou
à la sixte l'une par
rapport à l'autre. La voix d'homme double souvent à l'octave grave la
voix dq fa'a'ara'ara. Les hommes ont, à la fin de chaque strophe, une tenue
de dominante caractéristique, avant de rejoindre les autres voix sur le
point d'orgue de tonique.
Des
sont
tuilages se produisent au début de chacune des strophes ; ils
superposition du point d'orgue de tonique et de l'entrée de
soliste prise dans le groupe des fa'a'ara'ara.
dus à la
la voix
La
polyphonie peut être enrichie
par
l'ajout des solistes,
maru
teitei et/ou perepere.
d.
Aspect formel
La forme est commandée par
la structure strophique du texte. Ici
aussi, les répétitions engendrent la longueur.
e.
Eléments divers
Les voix ont
Il
n'y a
interprété forte.
5.
un
pas
timbre nasillard.
de variation d'intensités. Le chant est toujours
Rétrospective du
genre
Ruau
signifie vieux. Himene ruau peut donc se traduire
"chant de personnes âgées" ou par "vieux chant". Le
terme n'apparaît pas dans les dimensions du XIXème siècle
pour
distinguer un chant particulier.
indifféremment par
Les
descriptions littéraires du
genre sont en
exemples
relativement récents.
très petit nombre
(Vernier).
Les
sonores sont tous
Ce genre musical a, par ses
cultuelle. Du temple, il a émigré
caractéristiques propres, une origine
à l'extérieur, sans doute lors des
compétitions de chorales, ou lors des veilleés. Il représente une synthèse
parfaitement équilibrée entre la Polynésie et l'Europe.
Société des
Études
Océaniennes
�75
Les
zafindraony malgaches
1. Définition du genre
et description
Certains moments du culte
ménagent des espaces de liberté à la
temple. On entend alors soit des chants modernes, soit des
chants caractéristiques moins habituels ; l'engagement des choristes est
plus grand, les voix deviennent plus rauques, les rythmes se
complexifient, des voix solistes émergent ici où là... Ce sont des
zafindraony.
chorale du
Les
zafindraony sont des chants qui ont pour base un texte
religieux. La mélodie est une composition autochtone ou une mélodie
tirée du recueil de cantiques ; le rythme est spécifiquement malgache ; la
polyphonie est à trois ou quatre voix. Il y a toujours un accompagnement
instrumental, réalisé généralement à l'orgue.
musique des zafindraony n'est jamais transcrite dans toutes ses
caractéristiques. Ce genre a un équivalent profane, interprété lors des
fêtes de famille, lors des circoncisions, des famadihana, des veillées
La
mortuaires
2.
:
le sôva.
L'aspect textuel
Le texte du zafindraony est toujours religieux ; il parle de la
Création, de la naissance du Christ, d'un miracle de Jésus, etc.
Certains textes du recueil de cantiques peuvent être chantés en
zafindraony.
3. Les
aspects musicaux
a.
L'aspect rythmique
rythme malgache n'est jamais carré, ce qui rend délicate sa
transcription en valeurs européennes. En prenant pour base une valeur
très courte, on obtient des combinaisons d'accentuations complexes, dues
à la présence d'une double mesure (cf. hira gasy). Ces accentuations, liées
à la prosodie, sont très faciles à réaliser par les Malgaches.
Le
D'après un informateur, le rythme à 3/4 est celui qui se prête le
en zafindraony. Les voix sont généralement en
homorythmie, sauf une voix soliste appelée mpiventy (voix de ténor
généralement). Cette voix, parfois en décalage avec le choeur, ajoute des
paroles sous les notes tenues, ou précède de quelques pulsations l'entrée
d'une nouvelle strophe.
mieux à la transformation
Société des
Études
Océaniennes
�76
b.
L'aspect mélodique
La mélodie de base est
Ramboatiana),
une
composition originale (cf. chants de
mélodie déjà écrite. Dans ce cas, le Malgache ajoute
de passage et des broderies. Il utilise aussi des ports de voix,
des notes
ou une
des effets de sirène.
La
justesse semble être une notion peu importante dans ce type de
chant.
Le
mpiventy
strophes.
c.
a une
certaine part d'improvisation. Il entonne chacune des
L'aspect instrumental
"L'instrument est la
privilégié est l'harmonium
ou
cinquième voix du chant". L'instrument
l'orgue, mais on peut avoir aussi une flûte
à bec, un harmonica, un mélodica, etc.
Une mélodie instrumentale caractéristique
introduit le chant
changement de ton, l'instrument
est chargé de la transition, qu'il
remplit avec des accords modulants
Le mode d'apprentissage traditionnel de l'harmonium est
original
; l'instrumentiste défait sa ceinture sur laquelle sont portées les notes du
clavier. Le soufflet de l'instrument sert d'appui au temps fort.
(influence du théâtre). Quand il y a un
d.
L'aspect harmonique
Le chant est interprété à trois ou à quatre voix. A troix voix, les
parties d'alto et de ténor se confondent. Les ténors sont parfois dédoublés
à la tierce.
Les basses ont
une
partie importante. C'est à cette voix que sont
souvent confiées les transitions.
Les harmonies sont souvent
simplifiées
par rapport
à la musique
notée. Les trois accords de base restent l'accord de tonique,
celui de sousdominante et celui de dominante. Les modulations sont évitées (La m. est
remplacé
par Fa M.) ; ceci serait dû au valiha et à sa gamme diatonique.
La tierce de l'accord se retrouve souvent à l'alto ou au ténor.
e.
Eléments divers
On chante fort, sans nuance ; les
syllabes sont attaquées et
renforcées par un coup de
glotte.
Le timbre est nasillard.
4.
Rétrospective du genre
La
terminologie ne nous apprend pas grand'chose ; zafindraony
signifie "métissé" ; si l'on décompose le mot, on obtient "petit fils de
Raony" (prince betsileo?).
Société des
Études
Océaniennes
�77
Le genre
semble
se
généraliser depuis
peu
dans les temples
protestants, au moins dans la région de Tananarive (il semble beaucoup
plus fréquemment répandu en pays betsileo). Son introduction est due
aux chorales
qui interviennent avec des chants spécifiques au moment de
la
quête.
Ceci semble
phénomène récent, explicable par les évolutions
catholiques après Vatican II. Le genre est
présent à l'extérieur du temple, avec les mêmes caractéristiques
musicales, mais des paroles profanes.
un
de mentalité et les ouvertures
Faut-il voir,
dans les descriptions de Richardson, les premiers
C'est
zafindraony?
peu probable, car le genre actuel présente des
caractéristiques malgaches et européennes équilibrées.
Himene ruau et zafindraony sont des créations à part entière, mais
font
qui se
dans la continuité et non dans l'opposition. Ces deux genres
musicaux nous permettent de cerner ce qui fait la spécificité musicale des
Tahitiens et des Malgaches.
Les
spécificités musicales
Malgaches
des Tahitiens et des
Chaque culture peut se définir par un certain nombre de traits
originaux. Dans le domaine musical, certains traits sont communs à
Madagascar et à Tahiti, d'autres sont spécifiques à chacune de ces deux
régions.
L'analyse des caractéristiques réintroduites dans les formes
étrangères, mises en parallèle avec les caractéristiques propres aux
créations autochtones (himene tarava et hira gasy), permet de définir les
originalités musicales de chaque culture.
1. Des traditions
mélodiques
Les créations
ou
rythmiques
malgaches et tahitiennes s'inscrivent dans la
tradition orale.
S'il n'y a pas de support écrit,
tradition. A Tahiti, c'est la mélodie
il
y a
création en continuité avec la
qui est traditionnelle, puisque le
se contente de suivre la prosodie en valeurs longues des hymnes
missionnaires ; à Madagascar, c'est le rythme qui est traditionnel. Il n'est
rythme
jamais noté, mais c'est lui qui donne la saveur gasy au chant.
Société des
Études
Océaniennes
�78
2. Le
mélange des
genres
On note des interférences constantes dans
genre donné entre
profane. Les himene ruau tahitiens ont des caractéristiques
musicales identiques, que le texte de base fasse l'éloge du pays, ou qu'il
soit une prière à Dieu.
un
le sacré et le
Si les missionnaires n'avaient pas été, au départ, très attentifs à
faire la différence entre chant propre ou impropre à louer Dieu, on ne
trouverait
doute
plus depuis longtemps au temple de cantiques
style européen. L'inculturation qui découle de
l'évolution des mentalités rapproche à nouveau, sans les distinguer
vraiment si ce n'est par le texte, les chants sacrés et les chants profanes.
sans
harmonisés dans le
3. Le timbre et l'intensité des voix
Les missionnaires
sont
plaints souvent du manque de rigueur
dû, comme ils l'ont pensé parfois, à une
configuration génétique particulière. Pour un Malgache ou un Tahitien, la
beauté d'une voix ne réside pas, en premier lieu, dans la justesse
mélodique, dans la rondeur du son, dans l'homogénéité du timbre dans
tous les registres, etc.
dans
ce
se
domaine ; ce n'est pas
Il semble que le timbre nasillard soit recherché dans les
d'ensemble ; le son acquiert par ce procédé une portée et une
musiques
puissance
qui est travaillée par d'autres moyens en Europe. Pourquoi la puissance ?
Parce qu'avant d'être des chants du temple, les manifestations chorales
sont des manifestations de plein air. C'est aussi la raison
pour laquelle les
variations d'intensité ne sont pas prises en compte.
Par contre, tout élément qui enrichit la palette sonore est lui
recherché ; il peut être confié à un soliste, une voix de perepere ou une voix
de mpiventy, ou à un groupe : mugissements des ha'u, effets de glotte.
4.
L'improvisation
L'une des
plus grandes difficultés à laquelle se heurte l'ethnomusicologue quand il souhaite garder, pour analyse, une trace écrite de
ce qu'il a entendu, est le fait
que toute création orale est en soi une
récréation, qu'elle est donc unique. Ceci est dû, en partie, aux
improvisations confiées à certaines voix ou à certains instruments.
L'improvisation enrichit tous les aspects de la musique : aspect
mélodique, aspect rythmique, aspect harmonique.
Société des
Études
Océaniennes
�79
5. Le
rapport voix/ instrument
Les
Malgaches et les Tahitiens sont de grands imitateurs. Des
frappante qu'il y a entre les effets
vocaux des ha'u et les pahu, entre les mélodies du perepere et la flûte nasale
des Tahitiens. De fait, les timbres vocaux rappellent souvent les timbres
observateurs ont noté la ressemblance
instrumentaux.
Pourquoi les Tahitiens ont-ils, jusqu'à une époque récente,
temple, alors que les Malgaches ont toujours
instrument au moins d'accompagnement ?
évacué tout instrument du
un
L'évolution des sociétés, les changements de mentalité,
progressif de l'influence des missionnaires étrangers ont
permis aux Tahitiens et aux Malgaches de réinjecter, dans le temple, des
traits spécifiques de leur background musical. Cela ne se fait pas par
substitution ; les genres apportés par les missionnaires demeurent. Cela
se fait par ajout, des
genres nouveaux étant inventés.
Conclusion
:
l'effacement
La multiplication des chorales au XXème siècle a favorisé, à la
fois, la conservation du patrimoine et l'évolution vers des formes
nouvelles. A Tahiti, on chante la plupart du temps ,dans les temples, par
groupes ethniques, par chorale et non par auditoire. Chaque groupe a
donc le souci de se distinguer par des mélodies ou des caractéristiques
qui lui appartiennent en propre. A Madagascar, la chorale fait partie d'un
système d'organisation de la paroisse. Elle participe régulièrement à la
vie du temple, mais aussi participe à des galas évangéliques regroupant
différentes paroisses. Là aussi, la compétition est un facteur d'évolution.
CONCLUSION
La culture européenne s'est implantée à Tahiti comme à
Madagascar en quatre phases :
phase de confrontation, où deux cultures fondamentalement
côtoient sans s'inter-pénétrer. A cause des rapports
numériques, à cause surtout des structures économique, politique, religieuse
qui perdurent, il y a maintien pour l'essentiel des caractéristiques de chaque
société. Il y a bien quelques fissures, dans le domaine technologique surtout,
mais ces fissures ne remettent pas en cause l'équilibre global. Cette première
phase s'étend de l'arrivée des missionnaires LMS en 1797 jusqu'à 1815 à
Tahiti, de l'implantation d'hommes de la même Société missionnaire en 1820
jusqu'en 1865 sur les Hautes Terres malgaches;
-
une
différentes
se
Société des
Études Océaniennes
�80
phase d'acculturation, où la culture étrangère devient
maintenant convaincus de la supériorité
les valeurs. La masse de la population est
entraînée dans ce mouvement de bascule,
qui s'accompagne de la
disparition très rapide d'une grande part des structures anciennes. Les
missionnaires, jusqu'alors dépendants des pouvoirs autochtones,
deviennent les véritables détenteurs du
pouvoir. Leur influence s'étend
bien au-delà du seul prosélytisme. Cette
phase va durer jusqu'aux
alentours de 1850, à Tahiti, et pratiquement
jusqu'à la fin du siècle, à
Madagascar;
une
-
dominante. Les dirigeants sont
de l'Europe, en adoptent toutes
phase de création ; assez rapidement naissent, se
développent, puis finissent par être étouffés, des mouvements dissidents
une
-
qui militent pour
un
un retour aux coutumes anciennes. En fait, le retour à
état antérieur s'avère impossible, parce
que les structures des sociétés
pré-européennes ont été gommées. Il y a donc de véritables inventions,
plus ou moins syncrétiques, mais qui se font en opposition avec l'autorité
missionnaire. Cette phase se produit en
tuilage avec la deuxième phase et
recouvre pour l'essentiel la même
période;
une
phase d'inculturation ; les missionnaires étrangers ont vu
leur influence stoppée dans le domaine
politique par l'intervention de la
France et par les relais pris par les autochtones eux-mêmes dans le
domaine religieux. En parallèle, sous l'effet de
l'enseignement qui touche
maintenant toute la société, les mentalités évoluent, les réseaux
d'échange
se
complexifient. Cette complexification fait que chaque peuple a
tendance à rechercher ses racines
propres et donc à réinjecter, dans les
circuits existants, des caractéristiques
spécifiques. Il y a aussi création de
-
culture, mais cette fois
en osmose.
La
musique religieuse a constitué, dans ce travail, un élément
privilégié d'observation. Propre à l'Europe puisque liée à des fonctions
spécifiques, elle a accompagné les quatres phases décrites ci-dessus:
dans la première phase, la
musique missionnaire côtoie, sans
l'influencer, les musiques indigènes. Le fossé entre les deux est trop
profond pour pouvoir être comblé, mais surtout, chaque expression
-
musicale est reliée à
une
structure très
précise;
dans la deuxième
phase, les musiques autochtones disparaissent
en même
temps que s'effondrent les structures des sociétés anciennes. Les
hymnes missionnaires sont adoptés avec toutes leurs caractéristiques,
sans modification;
-
Société des
Études
Océaniennes
�81
dans la troisième
phase, naissent, hors du temple, deux genres
parfaitement originaux: les himene tarava à Tahiti et les hira gasy à
Madagascar. Bien qu'en opposition avec l'apport missionnaire, tous deux
sont des genres syncrétiques, dans lesquels les éléments propres aux
-
cultures autochtones sont dominants;
-
dans la
quatrième phase, les créations se font
en osmose avec
les
genres musicaux habituels. Les caractéristiques européennes et
autochtones s'équilibrent. Dégagés de tout aspect polémique, les himene
tahitiens et les
ruau
zafindraony malgaches retrouvent
un
droit de cité
au
temple même.
Les
musiques entendues à Tahiti et à Madagascar à notre époque
témoignages vivants de l'évolution qui s'est produite pendant
deux siècles. Que les hymnes missionnaires aient perduré jusqu'à notre
époque, cela n'a rien d'extraordinaire en soi ; les missionnaires ont
toujours veillé à une expression codifiée de la foi, améliorant, grâce à
l'écriture et à la notation simplifiée, les techniques de l'apprentissage et
de la transmission fidèle. Mais il peut paraître étonnant, par contre, que
des genres musicaux ne se servant pas de l'écrit, comme les himene tarava,
les himene ruau, les hira gasy, les zafindraony, puissent perdurer sans
modifications notables, comme cela semble le cas quand Ton fait une
rétrospective historique. Cela est dû à plusieurs raisons :
le chant est une forme d'expression appréciée traditionnel-lement
par les Tahitiens et par les Malgaches;
sont les
-
-
le chant
a un
aspect communautaire, valorisé dans
les structures
anciennes;
-
l'un des traits fondamentaux des cultures anciennes est
trait n'a pas
Toralité;
ce
disparu;
malgré leurs efforts, les missionnaires n'ont pu gommer les limites
profane. Les autochtones ont toujours
conservé, hors du temple, des manifestations musicales qui
correspondaient à leurs aspirations.
-
floues existant entre le sacré et le
C'est à travers les créations des troisième et
Ton
peut déterminer
quatrième phases
que
le don musical propre à chaque peuple. La
confrontation de cultures dans le domaine musical ne conduit pas
à des
stéréotypes, mais enrichit le patrimoine des "musiques du monde".
Raymond MESPLE
Société des
Études
Océaniennes
�82
LES CRISES
DES CONCEPTS LEGAUX
A TAHITI
1819-1838 «
Peu de temps après que le Roi Pomare ait déclaré s'être converti au
christianisme, la Société Missionnaire auxiliaire de Tahiti fut fondée
le 18 mai 1818 dans le but d'affermir la christianisation de
dépendances et de soutenir financièrement les efforts
missionnaire de Londres (LMS) partout dans le monde.
A la même
ses
de la Société
époque, les membres de la LMS pensèrent qu'il était à
de lois soit promulguée,
préceptes "contenus dans la
la fois opportun et indispensable
qu'une série
avec l'aide et l'accord de Pomare, reflétant les
parole de Dieu et les coutumes... des nations civilisées "(1).
John Davies et Henri Nott, tous deux anciens membres de la
Mission, s'entretinrent les mois suivants avec Pomare des détails de ce
projet de code.
Bien que
les missionnaires aient insisté sur le fait qu'ils "avaient
soigneusement de s'ingérer dans... les affaires civiles et politiques", leurs
propres intérêts spirituels et les demandes des Tahitiens eux-mêmes les
amenèrent à assumer un rôle plus actif dans les affaires
temporelles des
évité
îles (2).
L'influence missionnaire dans l'élaboration de ce nouveau code
fut considérablement
plus profonde que les missionnaires eux-mêmes
voulaient bien l'admettre, mais il
apparaît également que Pomare était
plus désireux de transformer son royaume en une imitation
polynésienne de la Grande-Bretagne, dans le but de resserrer les liens
commerciaux et
politiques entre ces deux pouvoirs éloignés (3).
lui-même des
(*): L'article original est paru en anglais, sous
Hawaian Journal of History, 1974, Vol. 8,
pp.
le titre lœgal concepts and crises in Tahiti, 1819-1938, dans le
111-120. Mr. William Tagupa, historien et universitaire,
enseignant à l'université de Hawaï, a publié, entre autres, de nombreux travaux sur la Polynésie
française. Voir, par exemple, son Politics in French Polynesia 1945-1975, New Zealand Institute of.
International Affairs,
Wellington, 1976.
Société des
Études
Océaniennes
�83
D'un autre côté, Pomare était fort peu
disposé à abandonner une
son pouvoir aux chefs qui lui étaient subordonnés, notamment
l'aristocratie frondeuse des Hui ra'atira, ou à leur permettre de participer
de manière significative à la création des nouvelles lois.
partie de
Au contraire,
les missionnaires souhaitaient vivement la
participation des chefs de district dans le gouvernement des îles, afin de
pouvoir mieux contrôler les activités des paroisses des districts.
Finalement, un compromis amiable intervint entre le roi et les chefs, bien
que l'hégémonie de Pomare ne fût en aucune manière modifiée au profit
des chefs de district (Arii) (4).
Les missionnaires insistaient pour que
les pouvoirs civils et
religieux soient séparés dans le cadre de la nouvelle monarchie, bien qu'il
fût hors de doute que l'administration politique serait fondée sur des
principes chrétiens. Ils étaient convaincus que l'histoire de la
christianisation prouvait "le grand et sérieux mal" (5) auquel aboutissait
la confusion des pouvoirs ecclésiastiques et temporels. Les efforts ne
furent pas ménagés pour préserver l'autonomie politique des paroisses
des districts du pouvoir autocratique de Pomare (6).
Les missionnaires avaient
gouvernement dirigé par
pieux et vertueux qui répandraient les principes chrétiens
par la vertu de leur exemple (7).
Le Code Pomare de 1819 fut présenté au peuple de l'île un an
plus tard, lors de l'anniversaire de la fondation de la Société missionnaire
auxiliaire. Dans ce qui apparaît avoir été un vague cérémonial
d'allégeance, Tati, Utami, Arahu et Veve, les chefs les plus importants de
Tahiti et Mo'orea, reconnurent la promulgation formelle du Code par
en vue un
des hommes
Pomare (8).
Le Code lui-même était
introduisait
simple et succinct; cependant, il
plusieurs concepts administratifs importants.
Les articles XVI, XVII et XVIII énuméraient les districts
(mataeina'a) et les sous-districts (mataeina'a i huna) ainsi que leurs juges
respectifs (ha'ava) et les procédures judiciaires obligatoires. Les juges
parmi la plus haute noblesse hui iato'ai et s'être
montrés des chrétiens vertueux. Les tribunaux se trouvaient répartis entre
les principales divisions territoriales de Tahiti et Moorea. Te-Fana et TeOropaa possédaient, tous les deux, trois tribunaux. Teva-i-Uta en avait
quatre comme Teva-i-Tai, tandis que Teporionu'u et l'île de Mo'orea en
étaient pourvus de huit chacun.
devaient être nommés
Société des
Études
Océaniennes
�84
La
procédure judiciaire (ha'apa'o rua i ha'ava) prévoyait un
(feia rii) et un défendeur (feia hamani ino). Il était interdit au
premier d'agir directement contre l'accusé et lui était fait obligation de
soumettre le litige (hapa) au
procès judiciaire. Les deux parties en litige
pouvaient citer des témoins (feia ite) pour témoigner devant le juge du
lieu où l'infraction avait été commise et ce magistrat décidait, seul, du
jugement (9). Les autres articles du Code visaient presqu'exclusivement le
comportement moral:
demandeur
I.
Le Meurtre
II.
III.
Le Vol Ceia), concernant principalement
Les cochons errants (ia tomo ra te
IV.
Les
V.
Les
VI.
(taparahi), punissable de mort.
le cheptel.
pua'a).
objets volés Ceia tao'a).
objets trouvés (tao'a mo'e).
Les relations commerciales (te
ho'o), dans le but de protéger la
marchandise.
Vil.
VIII.
L'inobservation du Sabbat (te ha'apa'o
La rébellion et la sédition ('aitama'i).
IX.
La
X.
Les femmes abandonnées (vahine ma'iri tahito).
L'adultère masculin et féminin (te hara vahine e te hara tane).
L'abandon des conjoints (tefa'aru'e tane e tefa'aru'e vahine).
XI.
XII.
'ore ra i te Sabati).
bigamie masculine (vahine toopiti hoe tane).
XIII.
Le défaut d'entretien de
XIV.
Le
sa
femme (te
rave ore
te ma'a
na
te
vahine).
mariage (fa'aipoipo) (10).
Il est clair que les articles ci-dessus visaient à remédier à ce
qui
était perçu comme une pléthore de violence morale dans la société
tahitienne, violence qui en fin de compte aurait porté préjudice à la fibre
éthique de la nouvelle société chrétienne. Les missionnaires, assez
préoccupés par l'influence persistante de la fameuse société des arioi,
étaient déterminés à éradiquer entièrement cette influence. Le
mariage fut
institué formellement, chaque union maritale étant dûment enregistrée
dans un registre matrimonial (buka
fa'aipoipo). Ils institutionnalisèrent
également la monarchie dans le cadre de la nouvelle loi et rendirent
passibles de la peine de mort la rébellion et autres actes séditieux. L'idée
autocratique était considérée comme compatible avec
les principes missionnaires en
vigueur et reçut leur soutien tacite quoique
pas nécessairement enthousiaste (11).
d'une monarchie
Société des
Études
Océaniennes
�85
Les missions des îles-Sous-Le-Vent suivirent bientôt
l'exemple de
approuvèrent des lois et
règlements confectionnés d'après ceux des îles-du-Vent. Charles Barff et
William Ellis remplirent le rôle de conseillers
juridiques et le Code,
intitulé E Ture na Huahine (Lois pour Huahine), fut présenté en assemblée
publique.
Tahiti et Moorea. En 1822, les chefs de Huahine
Les
règlements du Code de Huahine contenaient beaucoup de
reprises de celui de Pomare, bien qu'il fût plus précis en
définissant les sanctions (utu'a) applicables aux infractions. Comme le
clauses
Code Pomare, les Lois de Huahine institutionnalisèrent la monarchie de
l'île, mais fournirent en plus au gouvernement des moyens légaux de
subvenir à ses besoins, grâce à l'instauration d'impôts collectifs et
individuels
(12).
Ce
système judiciaire était beaucoup plus
bureaucratique: les juges étaient nommés par le grand chef (arii nui) ou
ses
gouverneurs (hui tavana); des registres de jugements étaient tenus et
les magistrats étaient rémunérés directement par le roi, bien que toutes
les ressources provenant des amendes soient directement remises au
trésorier royal. Le procès devant un jury fut instauré, les jurés étant
individuellement choisis, le défendeur les soumettant à des questions
minutieuses. L'exécution des sanctions prononcées par les tribunaux était
assurée par les messagers de la cour (feia v'ea) qui remplissaient aussi les
fonctions d'huissiers audienciers. Le Code de Huahine, comme d'ailleurs
le Code Tamatoa de Raiatea (1820), définit plus précisément les relations
les districts et le gouvernement central. La souveraineté de ce
entre
dernier y
était affirmée, mais l'autonomie des paroisses de district était
protégée dans le fonctionnement du système judiciaire et l'application du
Code de lois. Le système des tribunaux fonctionnait bien ouvertement, du
moins en présence de visiteurs étrangers. Le capitaine Frédéric Beechey
fut favorablement impressionné par la dignité des débats du tribunal:
Le Tribunal était constitué de bancs
arbres,
sabre
placés
en
rangées successives
sous
les
les prisonniers devant, sous la surveillance d'officiers tenant
clair, portant la veste des volontaires et le maro... Les magistrats
avec
au
sont nommés
pour juger les
tribunal ouvert. Les policiers
pour
affaires et ils menèrent les débats dans un
sont en alerte continuellement, jour et nuit,
prévenir les manquements et supprimer les distractions du peuple,
que, par une vision erronée de la
une vie d'austère privation (13).
Société des
religon, ils veulent contraindre à
Études
Océaniennes
mener
�86
En
dépit des rapports optimistes rédigés
les missionnaires et
le fonctionnement du
système légal dépendait, dans une large mesure, des penchants
arbitraires des arii plutôt que d'une philosophie d'impartiale justice.
L'atmosphère morale du système légal était inévitablement favorisée ou
minée en fonction de l'exemple moral donné par le ou les chefs
principaux (14). Les preuves disponibles indiquent que de nombreux
juges outrepassaient leurs pouvoirs d'arbitres impartiaux et étaient
parfois excessifs dans leurs fonctions, au point d'être souvent en conflit
avec leurs
guides missionnaires, ainsi que J. M. Orsmond le reconnaissait
par
les visiteurs occasionnels, il était évident que
volontiers.
...
plus
Le
...
juge-chef s'est mêlé d'une affaire qui ne le concernait pas... et en
il a violé la loi en bannissant l'homme qui aurait dû être condamné
à des travaux (15).
Dans
l'un de
ses
un
autre cas,
Alexandre Simpson était intervenu au nom de
employés de maison accusé de
ne pas
participer
au
culte
public.
J'allais au tribunal observer leurs débats; après une grande discussion
pour savoir quelle loi devait frapper les coupables, le juge, se débattant
dans un grand dilemme, demanda quel était notre usage en Angleterre,
lorsque des personnes se trouvent ainsi devant un vide législatif ? Je
répondis que .... aucune n'étant violée, l'accusé devait être naturellement
mis en liberté. "Les parties devant vous n'ont commis aucune
infraction aux lois du pays, bien que leur conduite soit hautement
répréhensible aux yeux de Dieu..." Je me plaignis au juge de sa
conduite envers mon employé... Il me répondit alors que si je parlais de
cette façon il ne leur servirait à rien de-juger les gens pour cette infraction
et "demain
vous
trouverez
une
chapelle vide" (16).
Le traitement des accusés dépassait souvent ce qui était
acceptable. L'application de certaines lois s'avérait excessive et produisait
souvent un résultat contraire aux
objectifs de la mission.
Vous pouvez
voir des personnes infirmes, aveugles et grabataires rampant
écouter l'Evangile. Certains qui ne peuvent marcher, se
postérieur; je leur dis:... où allez-vous ? Au lieu de
prière, répondent-ils, car les juges et les chefs disent qu'ils confisqueront
toute notre terre si nous n'y allons
pas... A Taiarapu, la terre avait été
pour aller à l'école
traînent sur leur
Société des
Études
Océaniennes
�87
effectivement confisquée... Dès que j'entendis parler de ce fait, j'envoyais
deux diacres leur faire de rigoureux reproches et leur ôter leurs fonctions.
Ils vinrent officiellement restituer les terres et l'abus fut pardonné (17).
Des révisions ultérieures furent
apportées aux lois pendant le
règne de Pomare III, surtout pour répondre aux besoins de
simplification de la bureaucratie judiciaire et du renforcement des aspects
les plus faibles des lois initiales (18).
bref
Un tribunal
d'appel nommé Toohitu (les sept) fut créé
par
le Code
révisé de 1824:
suprême est composée de sept juges, dont deux sont résidents de
juges sont aussi des fonctionnaires exécutifs
(gouverneurs) et presque tous sont des chefs. Cette double fonction confère
une grande influence
et leur pouvoir est suffisant... et en même temps sert
de frein à tout empiétement sur les prérogatives du souverain. Les
pouvoirs de la Cour s'étendent même aux cas d'empêchement de l'autorité
royale. Le mode de jugement, que l'affaire soit civile ou pénale, fait appel à
un
jury, composé de six personnes. Chacun a le droit d'être jugé par ses
pairs (19).
La
cour
l'île de Eimeo (Mo'orea). Les
Les Toohitu furent nommés par le Arii nui et confirmés par la
législature qui venait d'être créée, sans aucun doute avec l'approbation
officieuse des missionnaires (20).
beaucoup de confiance dans les qualités de dirigeant
la minorité de Pomare III, puis de son
La LMS mit
des Toohitu, surtout à cause de
successeur Pomare IV, qui les
plaçait
sous
l'influence dominante du
régent Ariipaea et d'autres membres de la cour (21). Cette situation
crise durant le règne de la jeune souveraine.
Ariipaea et la cour royale vivaient une existence libertine et se livraient à
des pratiques considérées par beaucoup comme discutables. La confiance
des missionnaires envers la jeune reine diminua fortement.
délicate provoqua une
Pomare n'a
aucun
des éminents dons naturels nécessaires pour
ne faisant montre d'aucun talent au-delà de la
médiocrité, d'aucune connaissance acquise au-delà des simples rudiments
de lecture et d'écriture; gouvernée beaucoup plus par ses sens et son
gouverner un
peuple...
égoïsme que par sa raison, elle est, ainsi que cela est prévisible de la part
quelqu'un exerçant une autorité dans de telles circonstances,
despotique, souvent vindicative et cruelle. Les chefs sont ses laquais, les
gens du peuple ses esclaves (22).
de
Société des
Études
Océaniennes
�88
Les Toohitu
charnelle
s'opposèrent finalement à la reine à propos de sa vie
déréglée:
Les juges suprêmes, par l'intermédiaire de leur porte-parole Paofai,
s'adressèrent à la reine pour savoir si elle était décidée à rejeter les lois...
Les juges firent des reproches à sa mère et à sa tante qu'ils accusaient
le mauvais chemin... On
signala que, si les juges
suprêmes avaient mis la reine en jugement,... elles auraient fait arrêter ces
juges et les aurait ligotés. Les juges étaient unis et déterminés, disposant
d'une grande influence dans leurs districts (23).
d'entraîner la reine
sur
un long séjour aux îles-Sous-Le-Vent, Pomare retourna à
le milieu de l'année 1831, en compagnie de Tamatoa de
Après
Tahiti
vers
prestigieux. Les chefs des
persuadé de rétablir le rite traditionnel
d'allégeance du ahu oto (étoffe offerte comme présent aux parents en
deuil) à la grande consternation des Toohitu et des missionnaires (24). Les
juges protestèrent contre la réapparition de l'ancienne coutume et
essayèrent de persuader Pomare de renoncer à ses exigences. L'intensité
de la crise parvint à son paroxysme quand les deux parties se préparèrent
à un conflit armé. La Reine, percevant le danger, se réfugia sur l'îlot de
Motu Uta, dans le port de Papeete. Utami, l'un des Toohitu, chercha
courageusement à obtenir une audience de Pomare et "exhorta la Reine à
Raiatea, Mahine de Huahine et d'autres chefs
îles-Sous-Le-Vent l'avaient
considérer
sa
situation et solliciter
son
accord" (25). Elle refusa toutes les
conseillers rebelles. Sur ce,
plusieurs personnes du parti de la reine, "les jugea, les
privant de leurs postes de gouverneur et les éloigna dans d'autres districts" (26).
concessions,
sans
doute
sous
la pression de ses
Utami arrêta
Paradoxalement, les actions de Utami contribuèrent à réduire les
tensions, bien que la crise elle-même demeurât entière. Une heureuse
coïncidence fit
qu'un navire britannique, le HMS Cornet, arriva à Papeete
quelques habitants de l'île Pitcairn. La
présence de ce vaisseau ayant fait naître une crainte perceptible chez
Pomare, elle écrivit de ce fait à Charles Barff et à John Williams afin de
leur demander d'intervenir en sa faveur auprès des gouverneurs pour
dans le but de réinstaller à Tahiti
obtenir
une
issue favorable. Barff et Williams furent tous deux d'accord, à
la condition que
la "Reine s'engage à rétablir les lois, promette de les faire
pleinement appliquer et accède à leur demande au sujet du ahu oto qui avait
provoqué la divergence ci-dessus" (27). Les officiers de la Comète
collaborèrent à la réconciliation, quoiqu'il fût évident que certaines
concessions non précisées explicitement furent faites par les Toohitu dans
cet accord.
Société des
Études Océaniennes
�89
Ni les missionnaires, ni
moralité de la reine et de
sa
les Toohitu ne réussirent à réformer la
bien qu'ils fussent résignés en
cour,
apparence à accepter la distinction entre son comportement personnel et
ses actes officiels en sa qualité de arii nui régnante (28). Bien que n'étant
toujours eux-mêmes unanimes sur toutes les questions politiques et
légales, les Toohitu s'employèrent à maintenir leur cohésion pour les
questions importantes. La détermination des juges suprêmes à cet égard
pas
étouffa toute tentative des autres arii de ressusciter les modèles
traditionnels de
gouvernement considérés comme incompatibles avec la
nouvelle société chrétienne.
Les débuts du
règne de la reine Pomare virent une augmentation
avec l'étranger ainsi que du nombre des
des relations commerciales
étrangers (ta'ata popa'a ou ta'ata mata'ita'i). En dehors des
plupart des résidents étrangers étaient d'anciens marins,
pratiquant un actif commerce des alcools.
résidents
missionnaires, la
De temps en temps, ces hommes viennent à terre, avec l'accord du chef
du lieu, mais plus souvent sans que celui-ci en soit informé et demeurent
cachés jusqu'au départ de leur navire; quelquefois, ils sont
par
débarqués
capitaines des navires, en violation du désaccord fermement manifesté
par les chefs. Dans la plupart des cas, ces derniers constatent rapidement
que la conduite et l'exemple de cette catégorie d'individus est si
lamentable et pernicieuse qu'elle menace la paix de la communauté et rend
leur départ immédiat nécessaire. Mais les chefs n'ont pas le pouvoir de
rendre effective une telle mesure. On les menace fréquemment de leur tirer
dessus... s'ils persistent dans leur tentative de renvoyer les odieux
les
personnages en
question de leurs rivages (29).
Il devint bientôt évident
qu'une réglementation était nécessaire
toujours
pour contrôler l'influence perturbatrice due à ces visiteurs pas
bienvenus. Le corps législatif tahitien adopta une série de règlements
portuaires modifiant le Code de 1824. C'était, sans aucun
première tentative non dissimulée de placer la population
croissante dans les limites légales du royaume.
doute, la
étrangère
L'adoption des lois sur la prohibition de l'alcool à Tahiti
produisit une autre crise légale, cette fois entre le royaume et sa
population étrangère. La LMS, grandement influencée par les
missionnaires américains en visite, avait fait adopter les lois anti¬
alcooliques dans le but de remédier à l'anarchie
l'affaiblissement de l'esprit évangélique (30).
Société des
Études
Océaniennes
grandissante et à
�90
les membres de la LMS aient fortement désapprouvé
l'usage abusif des liqueurs, ils s'étaient eux-mêmes lancés dans la
distillation d'alcool pour améliorer leurs faibles revenus. Ils étaient
cependant convaincus, en définitive, que le temps était venu pour une
réglementation plus catégorique du commerce de l'alcool. Le 3 mars 1835,
fut adoptée une loi interdisant l'usage et le commerce de l'alcool, sauf
dans un but médical (31). Les résidents américains et européens
décidèrent de ne pas respecter la nouvelle loi, en dépit des efforts des
autorités tahitiennes pour la faire appliquer.
Bien que
application de cette loi, les personnes chargées de la rendre effective
barriques et bouteilles
d'alcool, mais leurs propriétaires étrangers s'y opposèrent, leur déniant le
droit d'attenter à la propriété privée. Les autorités tahitiennes
n'insistèrent pas, car on leur dit que le prochain navire de guerre qui
arriverait se vengerait certainement d'elles si elles s'ingéraient dans la
propriété privée (32).
En
avaient désiré détruire le contenu des diverses
La réaction de la communauté
circulaire de
étrangère fut bruyante et une
protestation fut affichée dans le secteur du port (33).
Des preuves sérieuses donnent à penser que les lois prohibant
l'alcool furent appliquées d'une façon arbitraire si ce n'est illégale. Alors
faisaient l'objet de fouilles, parfois d'une
les missionnaires, selon certains résidents
étrangers, continuaient de détenir des provisions d'alcool en violation de
que les navires de passage
manière fort peu courtoise,
la loi (34).
anti-alcooliques ne réussirent pas non plus à contrôler le
illicite de l'alcool. De nombreux chefs des îles-Sous-Le-Vent
Les lois
commerce
fabriquer des bières locales en défiant leurs propres lois
problèmes avec
la communauté étrangère demeurèrent essentiellement une
préoccupation locale. Mais la situation changea radicalement en 1836, à
l'arrivée du navire Elisa, transportant de Mangareva deux prêtres
catholiques romains: Louis-Jacques Laval et François d'Assise Caret. Le
consul des Etats Unis d'Amérique, J. A. Moerenhout, offrit aux deux
prêtres son hospitalité et sa protection. Le consul-missionnaire
britannique George Pritchard protesta contre le débarquement des deux
prêtres et chercha à obtenir leur expulsion des îles. Il essaya d'obtenir
dans son entreprise le soutien du Ministère des affaires étrangères de
Londres et reçut de son ministre, Lord Palmerston, la réponse suivante:
continuaient de
et
l'avis de leurs associés missionnaires. Avant 1836, les
Société des
Études Océaniennes
�91
"Chaque gouvernement a le droit de refuser
l'autorisation de résider dans ses possessions, si
à tous étrangers
la présence de ces
étrangers est jugée préjudiciable à l'Etat. Mais si une telle raison fait
défaut pour exiger le départ des étrangers, il est contraire aux règles de
l'hospitalité internationale de les forcer à quitter un pays dans lequel ils
souhaitent établir leur résidence, pourvu
pays
qu'ils
ne
violent
pas
les lois du
(35).
persuader la reine de prendre
d'expulsion; cependant, Moerenhout contesta l'utilisation de
tels pouvoirs discrétionnaires, affirmant que la reine n'avait aucun droit
d'appliquer de telles lois et que les Tahitiens "n'étaient pas encore en état de
légiférer pour réglementer les relations commerciales avec les puissances
étrangères ou même de comprendre les relations douanières entre les pays" (36).
Il fit une demande pressante tendant à influencer la reine et l'amener à
abroger son arrêté. Le consul américain présenta une protestation écrite
des deux prêtres selon lesquels "... il était injuste de les expulser de cette
façon, que la loi... était... irrégulière et contraire aux droits de l'homme..." (37).
Moerenhout plaida, en outre, que le paiement des droits de
débarquement entraînait l'acceptation de facto des prêtres dans le
royaume (38). Pritchard rejeta l'argument de Moerenhout et soutint le
droit souverain du royaume polynésien d'adopter et d'appliquer chacune
de ses lois dans ses possessions.
Pritchard n'eut
un
aucune
difficulté à
arrêté
fin décembre,
L'arrivée du navire de guerre britannique HSM Acteon,
fournit une occasion inattendue de régler le contentieux d'une
habituelle dans le
manière si
Pacifique. Une réunion eut lieu, au cours de laquelle
le
commandant du navire, le capitaine Lord Edward Russell, servit de
médiateur. Russell rendit un avis en faveur de la reine, faisant valoir que,
si les
prêtres restaient sur l'île, "rien
d'autre que l'anarchie et la confusion s'y
installeraient inévitablement..." (39). Les
prêtres furent forcés de quitter l'île
Malgré la victoire diplomatique ainsi remportée par
qui jubilait, le perdant fut en définitive le royaume de Pomare,
les Tahitiens étant inconscients des torts politiques et religieux de
Pritchard dans ses relations avec la communauté étrangère. Ces
circonstances conduiront de façon désastreuse à un affrontement que ni
les Tahitiens, ni les missionnaires ne réussiront à éviter
le mois suivant.
Pritchard
Société des
Études
Océaniennes
�92
légale établie avec l'aide des missionnaires fut
multitude de problèmes, tant internes qu'externes. Les
L'infrastructure
confrontée à
une
problèmes internes furent caractérisés par un conflit entre une monarchie
arbitraire, portée à considérer les lois comme un instrument
d'assujettissement et une noblesse déterminée à préserver le peu de
pouvoir politique qui lui était laissé. L'influence médiatrice des
missionnaires tendait à favoriser les chefs qui, dans l'opinion des
missionnaires, soutenaient l'autonomie des districts et la séparation de
l'église et de l'Etat. Les prérogatives royales furent affirmées, mais la
licence royale fut contrecarrée. Bien que la crise fût sérieuse, elle ne sapa
point les relations entre les arii nui et les hui ra'atira, qui tous deux
réussirent à bien survivre pendant le 19 ème siècle.
L'administration réelle de la
justice ne fut ni impartiale ni
indulgente. Les gens du peuple étaient peu disposés à poursuivre les
nobles pour chaque violation de la loi et les juges de district jugeaient
quelquefois de manière excessive. Les étrangers étaient rarement
sanctionnés de la même manière que
les indigènes tahitiens. On ne tenait
compte du concept d'égalité totale
principalement parce que l'objet fondamental des Codes
manifestement
pas
aucun
devant la loi,
de Loi n'était
humain.
Le problème le plus complexe rencontré fut celui du traitement
étrangers, principalement parce que ceux-ci, y compris les
la justice, mais bien plus la réglementation du comportement
des
missionnaires, ne se considéraient pas comme des sujets
comme des
prolongements extra-territoriaux de leurs
Les tribunaux locaux ne pouvaient évidemment réussir à
du royaume,
mère-patries.
appliquer les
lois du pays dans de telles conditions. Bien que le comportement des
étrangers à Tahiti fût rarement approuvé par leurs pays d'origine, la
communauté diplomatique étrangère soutint toujours leurs droits de
citoyenneté et de propriété dans tous lesdomaines. Ni la notion d'égalité
politique, ni le concept de justice n'étaient réciproques.
mais
William TAGUPA
Traduction de
l'anglais
(*): Nous remercions Hinano Win et Joël Hoiore qui ont bien
Société des
par
Philippe LECHAT (*)
voulu relire notre traduction.
Études Océaniennes
,
�93
NOTES
: William Ellis, Polynesian Researches (A la recherche de la Polynésie d'autrefois),
Rutland, Vermont, Tokyo, 1969, p. 137.
(2) : Les frères aux Directeurs, South Seas Letters (Lettres des mers du Sud), (ci-après
SSL).
(3) : Pomare à LMS, 1er janvier 1807, Société des Etudes Océaniennes, Papeete;
Pomare au Roi, 9 décembre 1801, Historical records of Australia (Archives
(1)
historiques d'Australie), séries 1, V, 334.
(4) : Ellis, Polynesian Researches, p. 13; J. Montgomery (ed.) Journal of voyages and
Travels by the Rev. Daniel Tyerman and George Bennett esq. deputed from the London
Missionary Society to visit the various stations in the South Seas Islands, China, India, etc...
between the years 1821 and 1829 (Journal des voyages des Rev. Daniel Tyerman et
George Bennett, envoyés par la LMS visiter les diverses missions des Mers du Sud,
de Chine, d'Inde, etc... entre 1821 et 1829), Vol. 2 (London 1832), p. 54. La
répugnance de Pomare dans cette affaire était sans aucun doute motivée par les
expériences du passé, quand des raatira influents réussirent à fomenter des
rebellions portant atteinte à son hégémonie.
(5) : Les frères aux Directeurs, 2 juillet 1817, SSL.
(6) : Crook à Burder, 5 juin 1821; Platt aux Directeurs,17 mai 1821, SSL.
(7) : Conseils et Instructions pour le Règlement de la Mission, 1796; Crook aux
Directeurs, 9 mai 1827, SSL.
(8) : Les frères aux Directeurs,18 mai 1819, SSL.
(9) : L.J. BOUGE, Première législation tahitienne; le Code Pomare de 1819, Journal de la
Société des Océanistes; Vlll (1952),16.
(10) : Ibid.
(11) : Journal de Davies,
Sud) (ci-après SSJ).
entrée, octobre 1817, South Seas Journal
(12) : Ellis, A la recherche de la Polynésie d'autrefois, pp.177-192.
(13) : Frédéric Beechey, Narrative of a voyage to the Pacific
(Journal des Mers du
and Beering's Strait to
expeditions performed in the I IMS Blossom under the command of
Captain F.W. Beechey, R. N., in the years 1825-1828 (Récit d'un voyage vers le Pacifique
et le détroit de Behring pour coopérer avec les expeditions polaires, effectué sur le
HMS Blossom, commandé par le Capitaine F. W. Beechey, Marine Royale, pendant
les années 1825-1828), Vol. 1 (London 1831), pp. 270-294.
cooperate with the Polar
(14) : Crook à Orme, 14 mai 1829, SSL.
(15) : Journal d'Orsmond,12 février 1825,
(16) : Simpson à Ellis, 10 novembre 1840,
SSJ.
SSL.
(17) : Orsmond à Ellis, 5 octobre 1836, SSL.
(18) : Ellis, A la recherche de la Polynésie d'autrefois, p. 166.
(19): Ibid.
(20) : Charles Wilkes, Narrative of the United States, exploring
Expedition during the
l'expédition américaine d'exploration pendant les années
1838-1842), Vol. 2 (Philadelphia 1845), pp. 17-18.
(21) : Montgomery (éd.), Journal, p. 210; Otto von Kotzbue, A new voyage round the
World in the years 1823,24,25 and 26 (Nouveau voyage autour de la terre pendant les
years
1838-1842 (Récit de
Société des
Études
Océaniennes
�94
1823,24,25 et 26), Vol.1 (London,1967), p. 163.
Stevens à LMS, 5 juillet 1841, SSL; Voir aussi le journal de
années
(22)
:
Crook, entrée, 8
septembre 1828, SSJ; Darling à Arundel,18 novembre 1829, SSL.
(23) : Journal de Crook, entrée,12 janvier 1829, SSJ.
Barff à LMS, 4 avril 1831. La cérémonie du Ahu oto était
une présentation abon¬
produits et de vêtements aux arii signifiant une reconnaissance
d'allégeance. Les missionnaires pensaient que la cérémonie était lascive et source de
gaspillage et elle avait été interdite dans le Code de 1824.
(25) : Darling à la LMS, 28 avril 1831, SSL.
(24)
:
dante de
(26) : Ibid.
(27) : Barff à la LMS, 4 avril 1831, SSL.
(28) : L'action entreprise par les Toohitu dans ce domaine peut avoir été poli¬
tiquement motivée par leur propre intérêt plus que par des principes moraux. Le
"divorce" de Pomare d'un chef de Tahaa et son "mariage subséquent avec un simple
cuisinier" mettait en péril le statut des principaux arii qui craignaient que le nouvel
amour
de la reine
exclusivement
aux
puisse bientôt demander à jouir des privilèges réservés
juillet 1829; Darling à Arundel, 4 janvier
chefs. Orsmond à Orme,
1833, SSL.
(29) : Ellis à Palmerston, 24 novembre 1837 (Foreign Office, 58/15, BPRO).
(30) : Ellis, A la recherche de la Polynésie d'Autrefois, pp. 207-208.
(31) : Nott à Ellis, 11 mai 1835, SSL. Une loi identique fut adoptée en mars à
Huahine. Barff à Ellis, 24 juin 1835, SSL. La désastreuse guerre de Raiatea-Tahaa de
1832
persuada les missionnaires que le commerce de l'alcool était en grande partie
responsable du déclin de la moralité publique aux îles Sous-Le-Vent. Les sociétés
anti-alcooliques furent alors instituées à travers toutes les îles de la Société.
(32) : Robert Fitzroy, Proceedings of the Second Expedition, 1831-1836 (Vol. Il of
Narrative of the surveying Voyage of the HMS Adventure and Beagle) (Compte-rendu de
la deuxième expédition 1831-1836, Vol. Il du Récit du voyage d'exploration des
HMS Adventure et Beagle) (London, 1839), p. 540.
(33) : La Circulaire dit: "Anglais et Américains, combien de temps encore vous
soumettrez-vous au... joug
des tyrans, au fouet des missionnaires et au diabolique
système païen de pillage de votre propriété, vous traînant devant un tribunal
faussement intitulé Cour de justice, et la façon mercantile de vous voler sous le
masque de leurs lois mesquines et arbitraires",11 avril 1837, Archives du Consulat
britannique de Tahiti, Collection, 1827-1842 (Mitchell Library).
(34): Blacker au Secrétaire d'Etat, 15 janvier 1838, U.S.D.S., Dépêches; Armitage à
Arundel, 16 mai 1833, SSL.
:
Palmerston à Pritchard (F.O. 58/14 BPRO).
:
Moerenhout à
Forsyte, 24 décembre 1836, U.S.D.S. : Moerenhout, 22 décembre 1836
(Ms. Société des Etudes Océaniennes, Papeete). "Remarques de Pritchard luimême", nd, (Ms. Société des Etudes Océaniennes). Ibid.
(35) : Palmerston à Pritchard (F.O. 58/14 BRPO).
(36) : Morenhout à Forsyte, 24 décembre 1836, U.S.D.S.
(37) : Morenhout, 22 décembre 1836 (Ms. Société des Etudes Océaniennes, Papeete)
(38) : " Remarques de Pritchard lui-même ", nd, (Ms. Société des Etudes Océanien¬
nes,
Papeete).
(39) Ibid.
Société des
Études
Océaniennes
�95
CONTRIBUTION A L'HISTOIRE
DU DROIT DU TRAVAIL
EN POLYNESIE FRANÇAISE
Si le Code du travail des ter itoires d'outre-mer, promulgué en 1952 et
l'ensemble de ses textes d'application ont connu une large publicité,
la lecture du Bulletin Officiel des Etablissements français d'Océanie et
Journal Officiel des Etablissements français d'Océanie, depuis leurs
premiers numéros, nous montre que le Législateur et les autorités
administratives ont manifesté un souci de réglementer le travail en
Polynésie française sous des formes variées.
ensuite du
économique qui se transforme, l'ensemble
marqué par l'évolution des idées sur la question sociale
et les événements politiques de la Métropole avec quelques retards
parfois.
Reflet d'une situation
de
ces
textes est
Le droit du travail
applicable dans les Etablissements français
à 1952 est le reflet de strates
la notion de travail est
étrangère à Tahiti et aux îles qui l'entourent, nous verrons qu'il n'en est
rien. La publication de textes nombreux, animés de préoccupations
variées souvent protectrices à l'égard du travailleur, qu'il soit venu
d'ailleurs ou originaire des îles de Polynésie, indépendant ou salarié,
d'Océanie pour la période de 1842
successives. Les mauvaises langues estiment que
nous
montre
combien les autorités
du moment ont entendu limiter
certains abus.
Société des
Études
Océaniennes
�96
LE CODE TAHITIEN
PREVOIT UNE PRESTATION DE TRAVAIL EN
DIFFERENCE DE LANGUE ET DE CULTURE.
TENANT COMPTE D'UNE
premières rencontres avec l'homme blanc, navigateur,
après une longue traversée, se sont assez vite
assorties de relation de travail. Les baleiniers, qui apparaissent à la fin du
XVIIIème siècle dans la région, ont besoin de réparer leurs navires et de
personnel de remplacement. Le B.O.E.F.O. de 1842 publie le Code tahitien
dont la Loi IV est consacrée aux ventes et aux achats : "Pour tout travail que
des étrangers veulent faire exécuter par des Tahitiens, qu'une loyale convention
soit faite entre celui qui doit faire le travail et celui qui la demande ; qu'ils
s'accordent bien sur la nature de l'objet à donner en échange : soit en argent, soit
en étoffe, soit tout autre. Lorsque la parole de convention pour le travail et toute
chose convenue avec un Tahitien d'autre part sera conclue, que cette convention
soit exécutée, qu'elle ne soit point rompue ni altérée. Si une des parties ne
l'exécute point fidèlement, de quelque part que vienne l'infraction, elle sera jugée
et condamnée à payer 20 dollars, dont 10 pour la partie qui tient ses engagements,
5 pour la Reine et 5 pour le Gouverneur. Si la partie qui fait la convention avec
celle qui la rompt désire que celle-ci ne soit point mise en jugement et condamnée
à l'amende, qu'il en soit ainsi ; mais dans ce cas, le travail devra être exécuté".
Les
arrivant dans les îles
Ce texte est, à notre connaissance, le premier texte officiel
traite des relations de travail. Il est assez caractéristique : la situation
qui
qui
est décrite est celle d'un donneur d'ouvrage étranger et d'un travailleur
tahitien. Le législateur a entendu souhaiter une bonne exécution de la
convention conclue. Il envisage le paiement delà prestation en retour sous
diverses formes, reflet d'une
économie
encore
fondée
sur
l'échange
:
argent, étoffe ou autre. Que ce texte apparaisse dans une partie consacrée
aux ventes et aux échanges montre bien que, comme dans le droit français,
la prestation de travail ne s'affranchit que peu à peu du droit civil en
général, même si le droit du travail contemporain en porte encore des
marques. La prestation de travail est, à cette époque, une marchandise
parmi d'autres, que l'on vend ou achète. La relation
longtemps régie par le contrat de louage du Code civil.
de travail sera
qui reproduit aussi le Code
ÉO, marque déjà une certaine évolution. L'article 2 nous indique :
"Tout travail exécuté par les Tahitiens pour le compte d'Européens et
réciproquement sera précédé d'une convention écrite en français et en taïtien, signé
par l'interprète juré du gouvernement. Si l'une des parties n'exécute pas fidèlement
la convention, elle sera tenue de comparaître devant le Tribunal mixte pour être
jugée; et si elle est condamnée, voici quelle sera sa peine : 75 francs pour la partie
L'édition du B.O.E.F.O. de 1848,
tahitien
Société des
Études
Océaniennes
�97
qui tient ses engagements seront donnés à titre de dommages et intérêts et 25 francs
d'amende envers le gouvernement protecteur. Le travail devra, en outre, être
continué ou des indemnités en cas de rupture seront fixées par le juge... "
"Si la convention a eu lieu entre deux indigènes, ils seront justiciables devant le
juge du district et, dans ce cas, l'amende de 25 francs sera répartie entre le
gouvernement protecteur, le chef et les imiroa du district où le travail doit être
exécuté".
qui pouvait être simplement verbale en 1844,
obligatoirement écrite dans l'édition de 1848 et doit être rédigée
dans les deux langues. Dans le droit du travail contemporain, cette
possibilité de traduction existe toujours pour un salarié qui peut
demander la traduction de son contrat de travail dans une des langues
La convention
devient
polynésiennes, ou dans une autre langue s'il est étranger
(2).
dispositions contenues dans la convention
passée est maintenant puni d'une amende fixée en francs et non plus en
dollars. Dans le système judiciaire de l'époque, les tribunaux compétents
pour ce type de litige sont différents selon qu'il s'agit d'une prestation
conclue entre un Tahitien et un Européen ou de deux Tahitiens. La Loi
n°XVIII de ce même Code tahitien (3) prévoit déjà une obligation scolaire
Le
non-respect des
jusqu'à quatorze ans, a contrario le travail est donc possible à
partir de cet âge, alors qu'en Europe, à la même époque, des jeunes
enfants composaient la main-d'œuvre bon marché des manufactures
des enfants
(4).
27 et 28 mai 1850 de la Cour des Toohitu (5),
République, dans son discours, fait l'éloge du travail
Lors des séances des
le commissaire de la
qui doit concourir à la prospérité des Tahitiens à l'issue d'une
technique et d'un apprentissage approprié :
..."Employez votre ascendant moral sur le peuple pour l'éclairer sur ses véritables
intérêts, développez chez lui le goût du travail : c'est le moyen le plus sûr de le
bien fait,
formation
moraliser,
en
lui assurant des
richesses qui rendent la vie plus douce et
plus
agréable. Outre l'agriculture qui mérite les premiers soins, si vous voulez tirer de
la fécondité du sol de Taïti toutes les richesses qu'il renferme, vous aurez à
stimuler les goûts des travaux de charpentage, de menuiserie, de boulangerie...
L'inexpérience des Tahitiens dans les métiers fait passer dans les mains
d'étrangers presque tout l'argent du pays...La Reine et le Commissaire de la
République sont d'accord pour faire initier la jeunesse taïtienne à tous ces travaux
utiles, afin de vous affranchir de recourir à des mains étrangères chèrement
payées, quand vous voulez édifier de belles cases, construire des embarcations
solides, fabriquer des outils d'agriculture... Par ce que vous venez d'entendre,
vous pouvez juger des intentions paternelles du Commissaire de la République.
Société des
Études
Océaniennes
�98
du monde, l'apprentissage des métiers est chèrement payé à
qui enseigne par celui qui apprend ; à Taïti, ce sera le contraire, les apprentis
seront logés, vêtus et payés par les maîtres : éclairez donc les gens de vos districts,
faites-leur comprendre les avantages de la proposition du Commissaire de la
République, faites en sorte que l'officier qui va être chargé d'aller recruter des
jeunes ouvriers soit partout bien accueilli et qu'il y ait empressement à s'enrôler.
Vous êtes tous des hommes sages, la plupart d'entre vous ont une grande
expérience, vos conseils et vos exhortations auront donc une salutaire influence
sur le peuple".
Près d'un siècle et demi plus tard, les termes utilisés ne sont plus
les mêmes, mais les préoccupations demeurent : former une maind'œuvre qualifiée sur le Territoire pour répondre aux besoins de son
économie. Les actions en faveur de l'apprentissage sont régulièrement
renouvelées en direction des jeunes et des employeurs susceptibles de les
accueillir dans leurs entreprises.
Dans tous les pays
celui
publication du décret du 27 avril 1848 (6) sur l'abolition de
l'esclavage n'aura pas de conséquences particulières en Polynésie.
Les relations décrites, réglementées par le Code tahitien et certains
textes légèrement postérieurs pour d'autres îles et archipels qui n'étaient
pas soumis à ce Code comme les Tuamotu (7) sonf; relatives à des
situations entre particuliers. L'Etat n'intervient pas encore. Cela ne saurait
La
tarder.
APPARITION DE L'ETAT,
UN PARTENAIRE SOCIAL AUX ROLES
MULTIPLES
apparaît comme employeur et fournisseur de
Polynésie française.
Dès 1850, l'Etat
main-d'œuvre
en
qu'employeur précise dans le B.O.E.F.O. certaines
prérogatives comme les horaires. Par décision du 26 août 1857 (8)
portant réglementation sur les horaires de travail, on apprend que la
journée de travail est de 7h 30 par jour, du 1er avril au 1er septembre et de
8h par jour du 1er septembre au 1er avril. La journée commence à 6h 30 et
se termine à 17h, avec une longue coupure pour
le déjeuner. La journée
continue n'a pas encore ses adeptes... L'employeur rappelle aussi la
nécessité de veiller au respect de ces horaires qui doivent être effectifs.
L'Etat met en garde les débitants et restaurateurs qui reçoivent pendant
les heures de travail les militaires ou marins employés sur les chantiers ou
dans les ateliers du gouvernement. Souhaitant mettre un terme à certains
abus, il interdit pendant les heures de travail de recevoir les militaires et
L'Etat
de
en
tant
ses
Société des
Études
Océaniennes
�99
marins dans les restaurants et
débits de boisson. La contravention est
punie d'une amende de 25 à 100 francs. La récidive peut même entraîner
le retrait de la patente du débitant. Boire ou travailler... il faut choisir; on
ne se désaltère pas en public pendant les heures de travail (9).
Les conditions de paiement des salaires donnent lieu à des textes
nombreux dans l'esprit de veiller à la régularité des opérations de
paiement des salaires aux ouvriers, en présence de témoins au-dessus de
tout
soupçon
(10).
(H), les ouvriers militaires peuvent
pendant leurs jours de repos ou avec
Avec l'arrêté du 12 août 1850
aller travailler chez les résidents
après la fermeture des chantiers l'après-midi.
emplois (ouvrier militaire travaillant aussi chez les
rendu possible. L'Etat fixe même le prix des journées :
en 1853
pour les surveillants: 13 F par jour,
pour les ouvriers de profession: 7,5 F par jour,
pour les manœuvres: 4 F par jour.
autorisation
deux
-
Le cumul des
résidents) est
-
-
Ils seront
régulièrement révisés.
répondre aux difficultés de trouver une maincompétente. L'ordre du 4 mai 1853, modifiant l'article 15
19 mai 1851 relatif au prix des journées des ouvriers du
Cette situation doit
d'œuvre locale
de l'arrêté du
gouvernement mis à la
disposition des particuliers
(12), décrit la situation
laquelle elle correspond :
"Quand le commerce ne pourra pas fournir les ouvriers nécessaires pour réparer
les navires, le Gouvernement du Protectorat mettra ses ouvriers à la disposition
des armateurs, consignataires et capitaines ou patrons."
Les détenus sont, eux aussi, amenés à travailler pour le compte de
particuliers ou celui de l'Etat : le texte nous précise que les travaux les plus
pénibles sont réservés aux condamnés aux travaux forcés
Le recours à une main-d'œuvre locale a dû être insuffisant, malgré
l'utilisation des détenus et des ouvriers de l'Etat pour des tâches
ponctuelles, on a dû assez vite recourir à une main-d'œuvre extérieure à la
Polynésie.
à
(13).
Société des
Études
Océaniennes
�100
TRANSFORMENT EN RELATION
L'INTRODUCTION DE SALARIES
LES RELATIONS DE TRAVAIL SE
DE MAIN-D'ŒUVRE AVEC
ETRANGERS
partir de 1857, apparaît une réglementation sur l'introduction
d'immigrants. Les relations de travail se transforment. Ce n'est plus
l'employeur qui est étranger à la Polynésie, mais le travailleur qui est
A
introduit
en
Polynésie à l'occasion de son travail.
(14) réglemente les conditions d'introduction des
étrangers en général. Dans le préambule, le Gouverneur décrit
la situation à laquelle sont confrontés les îles de la Société pour motiver
ces dispositions :
"Considérant que la cherté de la main-d'œuvre dans les îles de Tahiti et de
Moorea, due en grande partie au peu de population de ces îles, s'oppose à la mise
en culture du sol et nuit à la prospérité de ce pays ;
Vu la nécessité d'encourager l'immigration des travailleurs..."
L'arrêté de 1857
travailleurs
La durée du contrat est fixée à
cinq ans maximum, renouvelable.
L'âge minimum du travailleur est fixé à quinze ans. Le contrat peut être
rédigé soit en langue tahitienne, soit dans la langue du pays de l'engagé,
mais dans ce cas, il devra toujours être accompagné d'une traduction en
français, en anglais ou en espagnol. Les litiges sont portés devant le juge
de paix. Si le travailleur refuse de travailler, on peut lui demander des
dommages-intérêts, il est condamné à un travail public jusqu'à ce qu'il
consente à nouveau
à travailler chez
son
patron.
gouvernement, nous dit le texte, ne prend en aucun cas à sa
charge ni les frais de rapatriement, ni les frais médicaux qui sont en
principe à la charge du patron. Le Directeur des affaires européennes
enregistre et appose son visa sur lés contrats. Cette procédure sera
destinée à perdurer, puisqu'elle subsiste encore de nos jours. Longtemps
assurée par le Service de l'Inspection du travail, c'est maintenant l'Agence
pour l'emploi et la formation professionnelle qui enregistre et appose son
visa sur les contrats de travail des salariés étrangers.
Le
Le texte de 1857 est complété en 1862 ; cette année-là, le B.O.E.F.O.
publie un contrat d'engagement de travail pour les immigrants océaniens
(15). Le but est de pouvoir recruter une main-d'œuvre qui manque à
effectuer les travaux agricoles. Les engagements contractés
le rapatriement de l'engagé se faisant aux frais de la
Colonie. Le salarié est payé au mois, au cours duquel il doit travailler 26
jours (on peut donc en déduire qu'il bénéficie d'un jour de repos
Tahiti pour
sont de deux ans,
Société des
Études Océaniennes
�101
hebdomadaire) à raison de 10 heures par
jour: de 6 heures à 18 heures,
de deux heures en milieu de journée. Son salaire est fixé
mois; les heures effectuées en plus ne sont pas susceptibles de
majoration de salaire. L'engagé est logé, nourri dans l'établissement, avec
une ration de 250g de viande ou de poisson par jour et 2kg de racines ou
fruits alimentaires (patates, maiore, fei, etc). Cette obligation de nourriture
peut se substituer au paiement d'une indemnité de 0,40 F par jour.
S'il est malade, l'engagiste est tenu de lui donner les soins
nécessaires, sauf si la maladie a été contractée en dehors du travail. Si
l'engagé s'absente pour un motif non légitime, l'engagiste est en droit de
lui retenir sur son salaire le montant de la journée d'absence qui est
doublée à titre de dommages-intérêts.
avec une
coupure
à 20 F par
compte de l'engagé et des registres relève du
européennes de l'administration du Gouverneur,
qui effectue des missions qui sont de nos jours dévolues à l'Inspection du
travail dans le domaine du contrôle du paiement des salaires, des
Le contrôle du
Directeur des affaires
retenues, des avantages en
nature.
premiers textes marquent la transformation des
parle désormais de travailleurs et de
patron, de journée de travail, de salaires, avantages en nature, frais
médicaux, et de rapatriement.
Ces deux
relations de travail à Tahiti. On
1864, année de l'arrivée des
travailleurs chinois de la plantation
du
de Atimaono, voit aussi la publication au B.O.E.F.O. des décrets
Prince-Président sur les immigrants dans les colonies françaises ainsi que
(16)
et le décret du 27 mars 1852
l'immigration des cultivateurs ou ouvriers aux colonies (17).
Ces deux décrets sont complétés par l'arrêté-type sur la répartition des
immigrants à leur arrivée et le régime de protection dans les Antilles.
Contrairement aux textes précédents, qui régissaient la question de
l'introduction de la main-d'œuvre, ces décrets ont vocation à s'appliquer
aux mouvements d'immigration vers l'île de la Réunion, les Antilles et la
Guyane, puis à l'ensemble des colonies françaises. Les préoccupations
contenues dans le préambule sont assez révélatrices de la mentalité de
l'époque mêlant à la fois la volonté d'avoir une main-d'œuvre suffisante,
et que celle-ci ne cause pas de trouble à l'ordre public dans un monde
les
engagements et la police du travail
concernant
rural isolé
:
qu'il est utile d'encourager l'immigration des travailleurs dans les
garanties de cette immigration ;
Considérant que, depuis l'abolition de l'esclavage, l'expérience a fait connaître la
nécessité de régler, dans un mutuel intérêt, les rapports des propriétaires avec les
"Considérant
colonies et d'établir les conditions et les
Société des
Études
Océaniennes
�102
plus précise et plus efficace leurs
obligations réciproques ;
Considérant que la police rurale, la répression du vagabondage aux colonies
réclament, dans l'intérêt de l'ordre et du travail, diverses mesures conciliables
cultivateurs et de déterminer d'une manière
avec
la liberté..."
décalage, entre la rédaction du texte en 1852 et son
en Polynésie en 1864, confirme bien qu'il est mis en place
pour répondre à une situation nouvelle : l'introduction des Chinois sur la
plantation Stewart. Comme dans d'autres cas, l'introduction dans les
Etablissements français de l'Océanie, puis en Polynésie française d'un
texte juridique est souvent une question d'opportunité.
Le
introduction
Lorsqu'une situation nouvelle se présente, on introduit alors le
prévu pour cette situation donnée par le Ministère des Colonies.
C'est une réglementation assez complète qui précise les conditions et le
déroulement des différentes étapes du processus d'immigration : le départ
de la terre d'origine, le voyage en mer, l'arrivée dans la colonie pour le
travail, le déroulement et les conditions de travail, la fin du contrat et les
texte
conditions de renouvellement du contrat ou le retour vers
la terre
d'origine de l'immigrant.
départ de l'immigrant de sa terre d'origine doit être entouré de
publicité et d'explication auprès des intéressés sur les clauses
contenues dans le contrat et de la situation qui les attend. Cette décision
doit être prise de son plein gré.
Le
mesures
de
réglementées
pour l'espace minimum dont ils doivent disposer à bord du bateau, les
modalités de couchage et d'entretien, l'approvisionnement qui doit être
embarqué sur le bateau par passager et par jour prévisible de traversée
(viande salée 200 g, ou poisson salé, 750 g de biscuit ou 1 kg de riz, 120 g
de légumes secs et 3 litres d'eau). L'état du navire fait l'objet d'un contrôle
tous les quatre mois. Il doit être équipé de chaloupe et canots de
Les conditions de
transport des émigrants sont aussi
sauvetage.
l'immigrant pour le travail est source de revenus
la colonie d'accueil puisque, à cette occasion, elle perçoit un droit
d'enregistrement sur l'engagement de l'immigrant et ensuite un droit
proportionnel sur le montant de son salaire. Ces droits sont à la charge du
patron. A leur arrivée on vérifie l'identité des passagers et on procède à
L'arrivée de
pour
l'examen de leur état de santé.
répartition et le placement des ouvriers entre les employeurs
d'immigration composé de fonctionnaires, d'un
propriétaire terrien et d'un négociant. L'engagement de l'ouvrier fait
La
est le fait du comité
Société des
Études Océaniennes
�103
l'objet d'un contrat écrit déclaré et enregistré avec des obligations
réciproques déterminées par la réglementation. A l'égard de l'ouvrier et
de
sa
famille, le patron
prend l'engagement de les nourrir, de leur
procurer les instruments nécessaires au travail, de leur prodiguer des
soins médicaux et des médicaments en cas de maladie. Le texte va même
jusqu'à prévoir dans quelles conditions les ouvriers doivent être vêtus par
leur employeur. On travaille 9h 30 par jour, 6 jours par semaine, mais le
dimanche peut être consacré aux travaux d'entretien des animaux et des
services courants. De tels horaires ne laissent guère le temps de goûter à la
douceur de vivre en Polynésie. L'ouvrier doit être en possession d'un
peut pas justifier d'un
profession, il est alors poursuivi pour vagabondage avec
la répression qui s'y rattache. Le non-respect des obligations prévues au
contrat est passible d'amende de police, du ressort du juge de paix.
Les conditions de vie de l'immigrant font l'objet d'un contrôle par
le Commissaire à l'immigration, chargé de faire le tour des exploitations
pour veiller au respect des engagements pris dans les contrats de travail.
Les intérêts de l'immigrant sont défendus par un "syndicat" composé du
Procureur impérial, d'un avocat et d'un conseiller municipal désigné par
le Gouverneur et assisté d'un interprète. Le Syndicat a, seul, qualité pour
livret de travail. Dans le
métier
ester
ou
en
cas
contraire, et s'il
ne
d'une
justice dans l'intérêt des immigrants, mais il peut aussi poursuivre
d'office, devant les tribunaux, la résiliation des engagements lorsque les
conditions légales de salubrité et d'hygiène et celles sous lesquelles
l'engagement a été contracté ne sont pas observées à l'égard des
immigrants. Pendant les cinq premières années de son séjour, l'immigrant
bénéficie de droit, sans avoir à produire de justificatif, de l'assistance
judiciaire.
contrat, on encourage l'immigrant à le renouveler
prime s'il est réengagé. Dans le cas contraire, il est
rapatrié, lui et sa famille aux frais du trésor public ou de la colonie.
Certaines de ces dispositions sont reprises dans des textes postérieurs (18).
L'esprit général de ce texte restera en vigueur jusqu'en 1920.
A l'issue de
en
lui versant
son
une
liées, qui
marqueront longtemps les relations entre employeur et salarié. Certains des
Travail et voyage
sont deux notions étroitement
récits décrivant la vie et les conditions de travail des Chinois
de Atimaono ont fait état de
pratiques assez éloignées des descriptions
de la
assez polémique. Les conditions
aussi été abondamment décrites dans 2 ouvrages: celui de
réglementation
vie ont
de la plantation
09^ de manière parfois
Coppenrath, Les Chinois de Tahiti, de l'aversion à l'assimilation 1865-1966
et dans Histoire et portrait de la communauté chinoise de Tahiti (21).
Société des
Études Océaniennes
de
G.
(20),
�104
(23) font, pour leur part,
état, à travers deux arrêtés de déportation, d'éléments perturbateurs de la
plantation vers Anaa dans un atelier de discipline, puis aux Marquises
dans les terres Stewart. Tout ne devait pas aller pour le mieux dans le
Les B.O.E.F.O. de 1869
(22)
et de 1870
meilleur des mondes.
UN APPORT D'ORIGINE METROPOLITAINE
AUX EFFETS PARFOIS INCERTAINS
réglementation parcellaire est complétée de manière
ponctuelle par l'introduction dans les E.F.O. de textes à portée générale
d'origine métropolitaine. L'intervalle entre la publication au J.O.R.F. et le
J.O.E.F.O. est quelquefois très important, mais quand les nécessités s'en
font sentir, il peut être assez rapide.
Certains textes touchent parfois de manière assez marginale le
Cette
monde du travail à travers
:
protection des enfants employés dans
professions ambulantes" du 7 décembre 1874 publiée au J.O.E.F.O. de
1909 (24) ; la "Loi sur la répression des violences, voies de fait, actes de
cruautés commis envers les enfants" du 18 avril 1898, publiée au J.O.E.F.O.
les enfants
-
avec
la "Loi relative à la
les
de 1909
(25);
la femme mariée
-
la "Loi relative
avec
au
libre salaire de la femme mariée
époux aux charges du ménage" du 15 juillet 1907,
publiée au J.O.E.F.O. de 1910 (26).
D'autres de ces textes affecteront plus directement le monde du
et à la contribution
travail
:
les lundis de
-
en
des
1887
Pâques et de Pentecôte sont déclarés des jours fériés légaux
(27);
syndicats professionnels est rendue possible en 1905 alors
la Loi avait été votée le 21 mars 1884 à Paris. Les syndicats de salariés
Polynésie ne commenceront à se développer qu'à partir du second
la création des
-
que
de
conflit mondial
(28);
lequel peuvent s'opérer les saisies-arrêts sur salaire est
précisé (29). On limite le montant de la portion saisissable pour un salaire
à 1/10 jusqu'à 2.000 F de revenu annuel. Cela préfigure la réglementation
contemporaine dans cette matière qui prévoit une progressivité par
tranche. L'employeur ne peut opérer de lui-même de compensation à son
profit entre un salaire qu'il doit à un salarié et des sommes dont celui-ci
pourrait lui être redevable. La saisie-arrêt doit faire l'objet d'une
procédure judiciaire donnant toute garantie, tant pour le salarié que pour
ses créanciers et génère une publicité à l'égard des tiers.
-
le cadre dans
Société des
Études
Océaniennes
�105
Certaines
professions bénéficient aussi de la réglementation du
particulière, protectrice pour le salarié, mise en place en
Métropole: elle vise les marins qui jouent un rôle important dans les
liaisons entre les E.F.O. et la Métropole. Ceux-ci peuvent bénéficier des
prestations de la Caisse de prévoyance sociale des marins (30/ 31 )f d'une
durée de travail de huit heures par jour sur les navires affectés à la
circulation maritime pour les navires ayant leur port d'attache en
Métropole (32), et de certaines conditions de sécurité et d'hygiène à bord
des navires de commerce, de pêche et de plaisance (33).
travail,
A côté des marins et très curieusement, les textes
relatifs
aux
voyageurs-représentants-placiers dont le statut est très particulier, à la
limite du monde des salariés et des travailleurs indépendants, sont
introduits, très rapidement après leur promulgation en Métropole, en
Océanie (34, 35). Ce statut particulier n'a, à notre connaissance, pas connu
le succès rencontré en Métropole. De nos jours encore, les fonctions
commerciales dans les entreprises, ne sont pas exercées par des V. R. P. en
Polynésie. Le statut, jugé peut-être trop protecteur par les employeurs
susceptibles d'y recourir, s'est révélé peu adapté aux pratiques
commerciales de la Polynésie.
UNE REGLEMENTATION
SPECIFIQUE PARCELLAIRE
épars produits par le Ministère des
métropolitaine, une réglementation
spécifique, propre aux E.F.O., demeure dans deux secteurs particuliers,
caractéristique de l'environnement maritime et des migrations nécessaires
pour répondre aux besoins d'emplois dans les îles de Polynésie.
Parallèlement à
Colonies
La
ou
ces
textes
l'administration
nacre :
pêche des huîtres à nacre constituant une des ressources les
plus importantes des E.F.O. à partir du XIXème siècle, les pouvoirs publics
ont assez vite entendu en réglementer l'exploitation. Dans un souci de
préservation des gisements, cette activité est interdite aux étrangers en
1890 (36). Le Gouverneur peut, en Conseil privé, réglementer les contrats
La
d'engagement entre les patrons et les plongeurs (37). Malgré ses bonnes
intentions exprimées dans la séance du conseil d'administration des E.F.O.
et retranscrites dans le J.O.E.F.O. du 12 novembre 1903 (38), cette
possibilité sera encore sans effet en 1903. Les limitations de la durée des
plongées à nu ou en scaphandre ne sont pas animées par le souci de
préserver la santé des plongeurs, pourtant bien mise à contribution par ce
Société des
Études
Océaniennes
�106
type de travail, mais celui de préserver
les gisements nacriers
(39, 40). a
partir de 1927, on commence à se préoccuper de l'état de santé des
plongeurs, en imposant par exemple aux propriétaires de cotres d'être
munis d'installations à bord
permettant aux plongeurs de se reposer à
les obligeant à avoir les médicaments
l'équipage (41). En 1932, on impose aux
armateurs et transporteurs de rapatrier les plongeurs de nacre amenés à
travailler aux Tuamotu. Un système de consignation est mis en place (42).
l'abri des
intempéries et
nécessaires
aux
L'immigration
A
en
soins de
:
partir de 1920 (43), la réglementation sur l'introduction des
étrangers se précise et se transforme.
travailleurs
gestion administrative de l'immigration est confiée au
général de la colonie, qui prend le titre de Commissaire à
l'immigration.
La
Secrétaire
L'introduction des
immigrants reste soumise à l'autorisation du
syndics, mis en place dans le cadre de la réglementation
antérieure, voient leurs droits et prérogatives plus étendus pour leurs
Gouverneur. Les
missions de contrôle des établissements, où cette
main-d'œuvre est
employée, à travers la visite des lieux de travail, des logements, la
vérification des salaires versés, la tenue des documents et la nourriture
distribuée. Ces missions sont celles des inspecteurs du travail qui
apparaîtront après le second conflit mondial dans les E.F.O.. Toutefois, les
syndics perdent leur monopole de représentation de l'immigrant en justice
qu'ils détenaient jusque-là. L'immigrant, désormais, "peut" se faire
représenter par le syndic dans les opérations en justice qu'il peut engager.
C'est la fin de l'assistance systématique.
d'immigrant n'est pas générale, elle ne vise que les
d'origine océanienne, africaine ou asiatique. Les travailleurs
d'origine européenne ne sont pas soumis à ces dispositions.
La notion
travailleurs
Les enfants, nés de ces immigrants dans la colonie, sont eux aussi
comme des immigrants; ils peuvent choisir, à l'âge de 21 ans, de
considérés
sujets français, à l'égal des indigènes, selon les termes de ce
l'âge de 12 ans, ils doivent signer un contrat d'engagement de
cinq ans et commencer à travailler, à moins qu'ils ne fréquentent l'école
française. Dans le cas où ils travaillent, on essaye de les placer dans les
mêmes lieux que leurs parents.
devenir des
texte. Dès
A leur débarquement à Tahiti, les immigrants sont mis en isolement
pendant cinq jours au moins. Les immigrants reçoivent alors un matricule et
Société des
Études
Océaniennes
�107
une
les
carte
d'identité
engagistes,
avec
qui leur sert de passeport intérieur. Ils sont répartis entre
la préoccupation de ne pas séparer les membres d'une
même famille.
première fois, le texte en ce qui concerne la durée du travail,
indique qu'il faut se référer à la réglementation locale. L'assimilation de
traitement des salariés étrangers et nationaux, la disparition des spécificités en
fonction de la nationalité du salarié ne seront accomplies qu'en 1991, en
laissant toutefois subsister, à l'égard du salarié étranger, l'obligation pour
l'employeur d'établir un contrat écrit et la prise en charge du billet aller-etretour du salarié. Le travail n'est pas dû le dimanche ni les jours de fêtes
légales locales ainsi que les jours de fêtes du pays d'origine. En l'absence de
congés payés, ces quelques jours de repos dans l'année permettent peut-être
de découvrir un monde des loisirs en Polynésie. La vie reste encore marquée
par le travail puisque, les jours de fêtes et les dimanches, on peut demander
Pour la
au
salarié de faire des travaux d'entretien des animaux ou de service
habituelle, à condition que cela ne dure pas
de la vie
plus de trois heures et que ce soit
terminé à neuf heures du matin.
Les heures
supplémentaires effectuées sont maintenant rémunérées
que telles. Des salaires minimum sont fixés: ils vont de 60 F par mois,
pour un homme âgé de plus de seize ans après trois ans, à 25 F pour une fille
en
tant
âgée de douze à quatorze ans pendant les trois premières années. Dans
presque tous les cas, on constate une inégalité des salaires féminins et
masculins. L'aspiration à l'égalité n'est pas encore passée par là.
Les cas de retenues sur salaires sont limitativement énumérés dans
un souci de
garantir au salarié le versement entre ses mains d'un salaire
effectif.
l'employeur sont modifiées,
de pain ou 80 g de riz, 100 g de viande ou poisson, 100 g de
légumes secs, 10 g de légumes verts et 20 g de sel. En cas d'impossibilité, ces
rations peuvent être remplacées par des légumes, racines et denrées locales.
On précise aussi les quantités de vêtements et couvertures qui sont fournies.
Dans les régions australes, nous dit le texte, les vêtements fournis doivent être
Les rations alimentaires fournies par
avec
en
700 g
laine.
immigrant doit bénéficier de soins
charge de l'engagiste qui, si l'état de santé le justifie, doit
l'envoyer, à ses frais, à l'hôpital. Les obligations de l'engagiste vont jusqu'à
devoir assumer son inhumation. Toutefois, précise le rédacteur de ce texte, si
la maladie du salarié résulte de son inconduite, l'employeur n'est pas dans
l'obligation d'assurer tous les maux... Une infirmerie doit être installée dans
l'établissement s'il y a plus de trente salariés étrangers.
S'il est malade, le salarié
médicaux à la
Société des
Études Océaniennes
�108
Les absences
les cas,
d'une
déclaré
en
justifiées sont punies. Le salarié peut-être, selon
état de désertion ou de vagabondage et faire l'objet
non
répression pénale.
A l'issue de
contrat, il peut choisir de prolonger celui-ci ou
rapatrié. S'il choisit de rester dans la colonie, il peut, selon les cas,
avec ou sans contrat d'engagement, obtenir un permis de séjour qui, après
cinq années, devient irrévocable. Il se trouve, ainsi que sa famille, dans la
même situation qu'un sujet français : c'est le début de l'intégration.
son
d'être
au contraire, il souhaite rentrer dans son pays d'origine et ne
continuer à travailler chez son patron dans l'attente du bateau,
au
dépôt et il est employé dans la journée aux travaux publics.
Si,
veut pas
on le met
Des textes postérieurs apporteront quelques retouches à ce
dispositif. Pour limiter, semble-t-il, certains abus, on réprime, plus
sévèrement, le salarié qui, après avoir demandé le versement d'un acompte
en nourriture ou sur son salaire, ou sa prime
d'engagement, le dissipe et se
refuse à effectuer le travail pour lequel il a été engagé (44).
Pour parer aux
problèmes éventuels d'insolvabilité des immigrants
d'origine asiatique, un arrêté (45) les oblige à faire partie d'une congrégation
reconnue par le Gouverneur.
Le chef de la congrégation est responsable
pécuniairement, de manière solidaire avec l'ensemble de ses membres, du
paiement de tous les frais et taxes qui doivent être payés à l'Administration.
Le refus d'adhérer à une congrégation est un motif d'expulsion pur et
simple. Lorsque la congrégation refuse d'admettre un membre parmi elle,
celui-ci est assigné à résidence et placé sous la surveillance de la police.
L'immigration indochinoise est encouragée. Les travailleurs
prime de 500 F s'ils souscrivent à
réengagement auprès du service local (46).
annamites bénéficient du versement d'une
un
La ration alimentaire journalière, qui doit leur être fournie, se
distingue de la ration prévue pour les immigrants en général :
pain 250 g
riz
sec 500
g
viande fraîche
ou
salée,
poisson salé 200 g
poisson frais 400 g
légumes verts 300 g, ou à défaut légumes secs 150 g
ou
ou
sel 20 g
thé 5 g
graisse 20 g
sucre
40 g.
Société des
Études
Océaniennes
�109
Les rations sont
plus riches; le thé, la graisse et le sucre ont fait
apparition. Le texte prévoit même qu'il faut donner, de préférence,
des aliments frais lorsqu'ils sont disponibles, plutôt que des aliments secs
ou des conserves. L'eau
pour les ablutions doit être filtrée ou distillée (47).
leur
Les travailleurs
étrangers, dans l'esprit de l'Administration,
risque potentiel de troubles (48). Dans la ville de Papeete, il
est interdit aux travailleurs étrangers de circuler ou de se trouver dans un
établissement public de la ville, tel que restaurant ou cinéma, après vingt
et une heures. Toutefois, les employeurs peuvent accorder aux travailleurs
l'autorisation de se rendre, une fois par semaine, à une représentation
cinématographique : l'invention des frères Lumière est une distraction
appréciée en Polynésie, la compréhension de la langue de Molière n'est
pas indispensable.
constituent
un
APPARITION D'UN DROIT AUTONOME
POUR LA MAIN-D'ŒUVRE LOCALE
Un droit autonome du travail
qui s'éloigne des principes du droit
s'esquisser, indépendant de l'immigration, qui fixe les
conditions d'engagement industriel et agricole autres que ceux soumis au
régime de l'immigration, avec l'arrêté du 24 mars 1924 (49). H préfigure, dans
son
esprit, le Code du travail d'Outre-Mer de 1952.
civil
commence
à
Prévoyant la possibilité de conclure des contrats de travail, tant sous
qu'écrite, il rend obligatoire, à l'issue du contrat, la délivrance
d'un certificat par l'employeur. Lorsque le contrat est établi par écrit, il doit
contenir un certain nombre de mentions obligatoires quant à la qualité de
l'employeur, du salarié, la nature du travail à accomplir et le montant du
salaire qui doit être versé en retour, les droits aux soins médicaux pour le
salarié et sa famille, les éventuelles conditions de rapatriement. Les contrats
de travail, rédigés normalement en langue française, peuvent être traduits
dans la langue du salarié. En toute hypothèse, un exemplaire doit être déposé
chez l'administrateur qui le conserve dans ses archives. L'engagement ne
peut avoir pour effet de séparer des familles sans leur consentement.
forme verbale
au
même titre que
La durée du travail est limitée à neuf heures par
jour, mais des
Le salarié doit être détenteur d'un livret de travail
les travailleurs
étrangers.
heures
supplémentaires peuvent être effectuées.
que le
par lui
système général de protection sociale, le texte prévoit
salarié malade doit être soigné aux frais de son employeur et nourri
pendant les soixante premiers jours d'arrêt pour maladie.
En l'absence de
Société des
Études
Océaniennes
�110
Si le salarié décède à
service, l'employeur est même dans
l'obligation
sépulture "convenable", nous dit le texte, sur un terrain
spécial affecté à cet usage. La femme enceinte, pour sa part, a droit à un
repos payé un mois avant son accouchement et un mois après. Pendant les
deux mois qui suivent, elle n'est astreinte qu'à des travaux légers.
d'assurer
son
une
La
obligatoire
présence d'un médecin ou, à défaut, d'un infirmier est
exploitation comportant plus de trente salariés.
sur toute
Le contrôle des
dispositions contenues dans ce texte est du ressort
agent spécial, qui peuvent se faire assister d'un
médecin. Lors de leurs visites de ces exploitations, ils peuvent se faire
présenter les registres et documents relatifs au personnel. C'est l'ancêtre
direct de l'inspecteur du travail qui fera apparition à partir de 1944.
de l'administrateur
ou
LES DEUX CONFLITS MONDIAUX ONT EUX AUSSI
MARQUE DE
LEUR EMPREINTE LE DROIT DU TRAVAIL EN POLYNESIE
Un décret
est
en
1918
(50) prévoit que les femmes salariées, dont le mari
mobilisé, doivent pouvoir bénéficier d'un droit à congé dont la durée doit
être
égale à celle de la permission de leur mari. Quelques mois plus tard,
publie une Loi ayant
pour objet de garantir aux mobilisés la reprise de leur contrat de travail (51).
Ce texte prévoit la réintégration du salarié mobilisé, dans l'entreprise où il
travaillait auparavant, avec un emploi et un salaire identique ou équivalent.
Le retour du guerrier, dont on souhaite la réintégration au sein de la société,
autorise la rupture de plein droit du contrat de travail du salarié recruté pour
son remplacement
pendant son absence. Un texte identique, mais assorti cette
fois de sanctions pénales à Rencontre de l'employeur récalcitrant, sera
promulgué en 1939 (52).
l'armistice de Rethondes étant intervenu, le J.O.E.F.O.
Pour répondre aux besoins de production des besoins de la guerre, la
réglementation de la durée du travail est assouplie. Le décret du 12
septembre 1939 (53) prévoit la possibilité de travailler soixante heures par
semaine et dix heures par jour. Pour les établissements de l'Etat et les
entreprises travaillant dans l'intérêt de la défense nationale ou pour un
service public, la durée du travail peut être portée à soixante-douze heures
par semaine après autorisation de l'inspecteur du travail ou des
fonctionnaires
en
tenant lieu.
Le travail des femmes et des enfants reste toutefois limité à
cinquante- quatre heures par semaine et neuf heures par jour. De tels horaires
ne laissent
guère de temps pour contempler le lagon ou de goûter aux
charmes de la musique nocturne d'établissements bien connus de Papeete!
Société des
Études
Océaniennes
�Ill
janvier 1923 et 18 juillet 1927 (54) envisagent le
professionnel de ceux qui ont été atteints par le conflit
dans leur intégrité physique : les invalides de guerre, ou les
Les lois des 30
reclassement
mondial
membres des familles dans le besoin du fait du décès du chef de famille
:
les
et les
orphelins de guerre. Ces deux textes sont intéressants par la
préoccupation constante du législateur (probablement non dépourvue
d'arrière-pensées électorales) d'intégrer dans la collectivité de travail un
handicapé invalide de guerre. Ce sont les deux premiers textes qui, dans les
E.F.O., abordent la question du handicap sur le lieu de travail ; dans leur
esprit, ils sont sur bien des points à l'origine des textes contemporains sur
les handicapés dans le milieu de travail, tant en Métropole que dans la
Polynésie française d'aujourd'hui. L'évaluation du handicap est le fait d'un
médecin. En fonction de l'importance de son handicap, l'invalide de guerre
est classé dans une catégorie qui va de A à E. Il bénéficie d'un accès à des
emplois réservés, dans l'administration de l'Etat et des collectivités
publiques et d'une priorité pour l'exploitation d'un bureau de tabac. Les
entreprises privées sont aussi sollicitées, puisqu'elles sont aussi soumises à
l'obligation de réserver un certain nombre d'emplois à ces invalides dès
qu'elles cherchent à obtenir une concession, un monopole ou une
subvention de l'Etat. Ce dispositif sera complété par le décret du 16 mai
1931(55).
veuves
La
période postérieure au second conflit mondial voit la mise en
place de dispositions en matière de droit du travail plus précises, qui
tiennent compte d'un contexte social dont les acteurs sont sensibles à
l'évolution du pouvoir d'achat et aux problèmes d'emploi. Les textes mis en
place à partir de 1946 sont animés par un souci de concertation entre les
employeurs et les salariés appelés à devenir de plus en plus nombreux dans
les îles de la Polynésie d'après-guerre. La plupart des dispositions
contenues dans ces textes seront reprises dans le Code du travail de 1952.
Certains textes seront même conservés dans le dispositif des textes
d'application du Code de 1952.
ayant disparu, la
promulgue, le 30 mai
1947, la Loi sur la journée de huit heures datant du 23 avril 1919 (56). Elle
fixe à quarante huit-heures la durée du travail par semaine, tout en
permettant, par la négociation entre les organisations patronales et
ouvrières, des aménagements ou des dérogations.
Les nécessités de
production pendant la
guerre
durée du travail est donc réduite. Le Gouverneur
journée du premier mai devient un jour férié chômé, payé au
salarié (57). C'est encore, de nos jours, le seul jour férié qui bénéficie de ce
traitement de faveur dans la réglementation du travail.
La
Société des
Études
Océaniennes
�112
L'APPARITION DE L'INSPECTION DU TRAVAIL
Si des missions de
l'inspection du travail (contrôle des conditions de
compétences de certains services du
Gouverneur, il n'existait pas, jusqu'à la fin du second conflit mondial, de corps
d'inspecteurs du travail pour l'Outre-Mer, alors que en Métropole, sa mise en
place remonte à 1874, dans un cadre départemental et 1892 pour la forme que
nous lui connaissons actuellement.
L'inspection du travail d'Outre-Mer est, à
l'origine, étroitement liée aux administrateurs de la France d'Outre-Mer. Le
corps est créé par décret du 17 août 1944 (58). fl sera modifié à plusieurs
reprises (59).
vie et travail des salariés) relevaient des
Pendant
période transitoire, le corps des inspecteurs du travail
d'inspecteurs du travail métropolitains et
d'administrateurs de la France d'Outre-Mer. Dans les E.F.O., les premiers
inspecteurs du travail sont des administrateurs : Jean Lalanne, Albert Ziegler.
Le desserrement de ces liens se fera progressivement au moyen d'un
recrutement externe sur concours. La disparition par extinction des inspecteurs
du travail d'Outre-Mer, la conservation des missions de l'inspection du travail
dans le giron des prérogatives de l'Etat, au cours de la période postérieure à
1952, généraliseront le recours à des inspecteurs du travail issus du corps
métropolitain interministériel des inspecteurs du travail.
une
d'Outre-Mer est alimenté
Les
inspecteurs du travail sont mis à la disposition du chef du
Territoire. Ils ont pour mission, selon le texte, "en général de veiller à l'élévation
des conditions matérielles et morales des travailleurs" et sont chargés "du contrôle de
l'application des dispositions légales et réglementaires relatives au travail".
Comme
Métropole, ils ont des prérogatives assez larges puisqu'ils
peuvent pénétrer, de jour comme de nuit, dans les entreprises dont ils sont
chargés d'assurer le contrôle et peuvent se faire présenter tous registres ou
en
documents dont la tenue est
prescrite
par
la réglementation du travail. Ils
peuvent se faire assister par des médecins ou techniciens.
Ayant, par leurs fonctions, connaissance de la vie des entreprises dans
leurs moindres détails, ils prêtent serment de ne pas révéler les secrets de
fabrication et, en général, les procédés d'exploitation dont ils pourraient
prendre connaissance dans l'exercice de leurs fonctions.
S'ils doivent s'efforcer, par
des conseils et recommandations,
coopération permanente entre les dirigeants des entreprises et
les travailleurs, ils peuvent néanmoins constater les infractions par des procèsverbaux qui font foi jusqu'à preuve du contraire.
L'apparition d'une inspection du travail préfigure aussi l'esprit du
d'instituer
une
Code du travail d'Outre-mer de 1952.
Société des
Études
Océaniennes
�113
La mise
en
place d'institutions paritaires
La
présence d'un inspecteur du travail permet la mise en place
paritaires, composées de représentants des salariés et des
employeurs, au sein desquelles l'inspecteur du travail joue un rôle
d'arbitre, quand il est amené à les présider, et de conseil à caractère
juridique et technique compte tenu de ses compétences en matière sociale.
La mise en place d'une politique de concertation des partenaires sociaux
aura des
applications dans des domaines variés.
d'institutions
En matière
d'emploi, l'institution du Bureau central de la mainde Papeete (60) est chargée, pour le compte des
entreprises employant des dockers, d'organiser et de contrôler l'embauche
sur le
port. Composé de représentants de la Chambre de commerce,
d'employeurs, de salariés en général, de responsables d'entreprises de
manutention, d'armateurs et des syndicats de dockers, il est présidé par
l'officier de port; l'inspecteur du travail, pour sa part, est présent en tant
que conseiller technique. Le Bureau ne se substitue pas aux employeurs.
Les relations de travail entre le salarié-docker et l'employeur restent régies
par un contrat de louage de service, dont la dénomination même montre
combien il est encore fortement teinté par les dispositions du Code civil.
d'œuvre dans le port
La
procédure de fixation des salaires minima relève maintenant
paritaire.
d'un mécanisme
(61) prévoit la mise en place d'un salaire
applicable aux salariés, fixé par arrêté du Chef du Territoire
après avis d'une commission paritaire des salaires présidée par le Chef du
Territoire, composée de l'inspecteur du travail et, en nombre égal, de
représentants des salariés et des employeurs.
Le décret du 23 août 1946
minimum
Cette commission est mise
place quelques mois plus tard, en
(62), présidée par le Procureur de la République qui représente
le Gouverneur. Les membres de la commission paritaire sont issus de
familles installées sur le Territoire puisqu'on y relève notamment la
présence de T.W. Bambridge, Yvan Chabana, Pierre Hallais, André
Jacquemin, André Juventin, Yves Martin, Raymond Meunier, Henri
Millaud pour les employeurs, Max Bernière, Raymond Hérault, Emile
Lecaill, Jean Malardé, Henri Nimau, Aimé Pambrun, Temarii Teai, Justin
mars
en
1948
Rapidement consultée, le Gouverneur fixe le 5 avril 1948 (63) un
les travailleurs non spécialisés, c'est-à-dire les
manœuvres, âgés de plus de dix-huit ans et travaillant dans la Commune
de Papeete, les districts de Faaa, Pirae, à 115 FCP par jour. Le salaire
Villierme.
salaire minimum pour
Société des
Études
Océaniennes
�114
minimum passe
à 126,50 FCP le 1er juillet 1951, le coût de la vie. ayant
augmenté de 10,79 %. Des abattements sont prévus :
pour les travailleurs ayant un handicap physique reconnu,
pour les travailleurs travaillant en dehors de cette zone géographique :
à Arue et Punaauia, dans l'agglomération de Taravao, la
-
-
.
de Uturoa, l'abattement est de 10%;
dans les autres districts de Tahiti et à Moorea, l'abattement
commune
.
est de
.
20%;
dans les districts et autres
archipels des îles-Sous-Le-Vent,
l'abattement est de 30%.
Le
non-respect de ces dispositions est assorti de sanctions pénales à
l'employeur récalcitrant qui, par ailleurs, est tenu d'afficher,
dans ses locaux de travail, le montant de ce salaire minimum.
l'encontre de
Pour
permettre un réajustement des salaires, un indice officiel du
place, avec l'arrêté du 21 juillet 1948 (64). Le
"panier de la ménagère" de référence est essentiellement alimentaire,
puisque l'alimentation est dotée du coefficient 50, les autres postes de
dépense étant affectés d'un coefficient de 10 à 15 : habillement et frais
divers, entretien et frais généraux, logement, épargne. L'indice général de
base 100 est celui du 1er avril 1948, il est ensuite susceptible de révision
trimestrielle après consultation des organisations syndicales patronales et
ouvrières qui peuvent émettre des observations. Le principe de
consultation est toujours en vigueur à l'heure actuelle.
coût de la vie est mis
en
En complément de cette mise en place d'un mécanisme de fixation
paritaire des salaires qui atténue largement le principe du salaire fixé
d'accord entre les parties, c'est-à-dire le salarié pris individuellement et
l'employeur, puisque le principe de l'existence d'un salaire minimum est
qu'il en limite le montant inférieur, une politique de concertation
préalable à la mise en place de nouvelles dispositions de cette
réglementation du travail est instaurée.
Un
organisme consultatif du travail, dénommé Conseil du travail
(65) est mis en place. Les motivations sont assez
explicites: le Code du travail d'Outre-Mer, annoncé à la Conférence de
Brazzaville et toujours attendu, fixera les principes généraux du droit du
travail. Les textes d'application nécessaires devront
répondre aux
exigences des conditions et particularités locales. Le Conseil du travail et
de la main-d'œuvre,
composé de membres qui à l'origine font aussi partie
de la commission paritaire des salaires, a
pour mission, à travers les avis
éclairés qu'ils émettent, de participer à la mise en œuvre des nouvelles
dispositions dans le domaine du travail et de l'emploi entre les partenaires
et de la main-d'œuvre
Société des
Études
Océaniennes
�115
sociaux. On
peut penser que, consultés au préalable, les partenaires
en
respecter les règles. L'autorité morale
sociaux seront conduits à mieux
du Conseil du travail et de la main-d'œuvre est
assez étendue
puisque
procédures de conciliation ayant échoué, à
jouer un rôle d'arbitre dans les revendications qui opposent les syndicats
des travailleurs des quais aux entreprises de manutention (66).
celui-ci est amené, les autres
Cette
politique de concertation des partenaires sociaux n'est pas
particulière à la Polynésie française. En Métropole, dans cette période
d'après-guerre, elle marque fortement la vie économique par les
négociations des conventions collectives. Elle continue à marquer, pour
une large part,
les relations de travail et constituera, au cours de la période
postérieure à la promulgation du Code du travail d'Outre-Mer (67), un des
piliers nécessaire à la genèse et au respect du nouvel édifice juridique
construit. Mais ceci est une autre histoire... (68).
Arrivé
terme de
plus de cent années de réglementation des
employeurs et salariés en Polynésie française, on ne peut
que constater que les deux parties à un contrat de louage de service, qui
n'avait pas encore reçu la qualification de contrat de travail, sont
devenues, au fil des années, des cocontractants d'un type particulier
puisqu'on parle d'employeur et de salariés, ces derniers ayant tout intérêt
à faire valoir cette qualité dans la défense de leurs intérêts.
au
relations entre
Laure GINESTY
REFERENCES
(1):B.0.E.F.0.1848, p. 49.
(2) : articles 4 et 5 de la Loi 86-845 du 17 juillet 1986 sur les principes généraux du droit
en Polynésie Française, J.O.P.F. du 10
septembre 1986, p. 1138.
(3 : B.O.E.F.0.1848, p. 69.
(4) : voir les descriptions du Docteur Villermé dans son célèbre rapport à l'Académie
du travail
des Sciences morales et
politiques Tableau de l'état physique et moral des ouvriers employés
manufactures de coton, de laine et de soie, Paris 1840
(5) -.B.O.E.F.O.1850, pp. 49-51.
(6) -.B.O.E.F.O.1848, p. 167.
(7) : arrêté n° 23 du 3 mai 1849 régularisant les transactions qui ont eu lieu aux îles
Paumotu entre les indigènes et les Européens, B.O.E.F.O. 1849, p. 201 ; arrêté n° 40 du
15 octobre 1851 portant règlement sur les contrats entre les indigènes et les Européens,
B.O.E.F.O. 1849, p. 253.
dans les
Société des
Études
Océaniennes
�116
(8) : B.O.E.F.0.1857, p. 202.
(9) : arrêté n° 201 du 15 novembre 1866
au sujet des contraventions
qu'encourent les
qui reçoivent pendant les heures de travail les militaires ou
les chantiers ou dans les établissements du gouvernement,
débitants et restaurateurs
marins
employés
sur
B.O.E.F.0.1866, p. 197.
(10) : ordre du 20 février 1857 portant que les ouvriers civils employés dans les divers
ateliers de la colonie seront payés par jour et non plus au mois, B.O.E.F.O.1857, p. 141
;
arrêté du 13
mars
1858 n° 27 fixant le mode de
paiement des ouvriers employés dans
les directions de l'Etablissement ; circulaire du Ministre de la Marine et des colonies
du 24 juillet 1863, 2° direction 4° bureau prescrivant de faire
chaque mois
payer
les
entrepreneurs et ouvriers par le service du génie, B.O.E.F.O. 1863, p. 233 ; circulaire n°
268 du Ministre de la Marine et des colonies du 14 août 1863 4° direction 2° bureau,
B.O.E.F.0.1863, p. 247 ; rapport adressé le 13 novembre 1865 par l'Ordonnateur à M. le
Commandant commissaire impérial au sujet du paiement des salaires des ouvriers
civils employés dans les Directions des travaux, B.O.E.F.0.1865, p. 115 arrêté n°
;
80 du
6 avril 1866 portant modification de l'arrêté du 14 novembre 1865, relatif au
paiement
des salaires des ouvriers civils, B.O.E.F.0.1866,
p. 93.
(11) : n° 17, B.O.E.F.0.1850.
(12): B.O.E.F.0.1853, p. 49.
(13)
:
arrêté n° 16 du 23 décembre 1848
répartition des
concernant
le travail des détenus et la
qui en proviennent, B.O.E.F.0.1848, p. 146.
(14) : 23 mars 1857 au sujet des engagements de travail passés entre les patrons et les
travailleurs étrangers, B.O.E.F.O.1857, p. 148.
(15) : B.O.E.F.O. 9 juin 1862, p. 254.
(16) -.B.O.E.F.0.1864, p. 51.
(17): B.O.E.F.0.1864, p. 57.
(18) : notamment l'arrêté du 2 mai 1883, B.O.E.F.O. 1883, p. 178 concernant le service
de
sommes
l'immigration.
(19) : Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes 1947, p. 324,361 ; 1948, p. 529.
(20) : Publication de la Société des Océanistes, n° 21, Musée de l'homme, Paris, 1967.
(21) : Association Wen Fa, J. M. Dallet, édition Christian Gleizal.
(22) : p. 63 & 128.
(23): p. 115.
(24) : J.O.E.F.O. 8 avril 1909, p. 97.
(25) : J.O.E.F.0.8 avril 1909, p. 97.
(26) : J.O.E.F.0.1910, p. 209.
(27) : arrêté promulguant dans la Colonie le décret du 25 septembre 1886 rendant
applicable aux colonies la Loi du 8 mars 1886 qui déclare jours fériés légaux les Lundis
de Pâques et de Pentecôte, B.O.E.F.O. 1887,
p. 85.
(28) : arrêté du 28 février 1905 promulguant dans la Colonie la Loi du 21 mars 1884
relative à la création des syndicats
professionnels, f.O.E.F.0.1905, p. 209.
(29) : arrêté du 17 janvier 1912 promulguant dans la colonie la Loi du 12 janvier 1895
relative à la saisie-arrêt sur les salaires et
petits traitements, J.O.E.F.O. 25 janvier 1912,
p. 39.
(30) : décret rendant applicable à certaines colonies la Loi du 18 janvier relative à la
Caisse de prévoyance sociale des marins, J.O.E.F.O. 1918,
p. 693.
Société des
Études
Océaniennes
�117
17 juin 1938 relatif à la réorganisation et à
régime d'assurance des marins, /.O.E.F.O. du 15 août 1939, p. 320.
(32) : arrêté promulguant dans la Colonie le décret du 5 septembre 1922 portant
application de la Loi du 2 août 1919 fixant à 8 heures par jour la durée du travail sur
les navires affectés à la circulation maritime pour les navires ayant leur port d'attache
en
Métropole, f.O.E.F.O. 1923, p. 61.
(33) : arrêté promulguant dans la Colonie le décret du 31 août 1921 portant
modification du décret du 21 septembre 1908 sur la sécurité de la navigation maritime
et l'hygiène à
bord des navires de commerce, de pêche et de plaisance, J.O.E.F.0.1922,
p. 31.
(34) : arrêté promulguant dans la Colonie la Loi du 8 octobre 1919 et le décret du 29
novembre 1919 relatif à l'établissement d'une carte d'identité professionnelle à l'usage
des voyageurs et représentants de commerce, /.O.E.F.O. 16 mars 1920, p. 122.
(35) : arrêté rendant applicable dans la Colonie le décret du 24 novembre 1927 pour
l'application de la Loi du 2 août 1927, modifiant la Loi du 8 octobre 1919 relative à la
carte d'identité professionnelle à l'usage des voyageurs et représentants de commerce,
/.O.E.F.0.1928, p. 134.
(36) : article 1° du décret du 31 mai 1890 promulgué par arrêté du 22 août 1890,
J.O.E.F.0.1890, p. 189.
(37) : article 16 du décret précité.
(38) : p. 307.
(39) : arrêté portant promulgation du décret du 21 janvier 1904 réglementant la pêche
des huîtres nacrières et perlières dans les E.F.O., ].O.E.F.O. 1904, p. 145.
(40) : arrêté du 19 juillet 1924 concernant l'ouverture de l'île de Marutea Sud à la
plonge des huîtres nacrières pour la saison 1924, f.O.E.F.O. 1924, p. 239.
(41) : article 4 de l'arrêté du 11 mai 1927 réglementant la plonge des huîtres nacrières et
perlières avec usage facultatif du scaphandre dans l'archipel des Tuamotu, /.O.E.F.O.
1927, p. 198.
(42) : arrêté n° 604 S.G. du 9 juillet 1932 relatif aux conditions de rapatriement des
plongeurs de nacres,/.O.E.F.O. 1932, p. 403.
(43) : arrêté du 19 avril 1920 promulguant dans la Colonie le décret du 24 février 1920
réglementant l'immigration dans les Etablissements français d'Océanie, f.O.E.F.O. 1er
mai 1920, p. 169.
(44) : décret tendant à réprimer les détournements ou les dissipations d'avances de
salaires, primes d'engagement ou frais de transport commis par les indigènes et
assimilés en Indochine, dans les Etablissements français de l'Inde, en Afrique
occidentale française, dans les territoires sous mandat français du Togo et du
Cameroun, à Madagascar, à la côte française des Somalie, en Nouvelle-Calédonie, dans
les Etablissements français d'Océanie et en Guyane du 2 juin 1932, /.O.E.F.O. 1er août
1932, p. 394.
(45) : n° 547 S.G. du 31 juillet 1931, ].O.E.F.O. 16 août 1931, p. 317.
(46) : décision n° 324 du 15 mai 1930 allouant à chaque réengagé indochinois soumis au
régime de l'immigration et employé par le service local une prime de réengagement de
cinq cents francs, J.O.E.F.O. 16 mai 1930, p. 213.
(47) : arrêté n° 209 du 20 mars 1930 fixant et unifiant le régime alimentaire des
travailleurs indochinois introduits dans la Colonie, f.O.E.F.O. 1er avril 1930, p. 149.
(31)
:
arrêté du 28 juillet 1939, décret du
l'unification du
Société des
Études
Océaniennes
�118
(48)
:
arrêté du 11 août 1925 réglementant la circulation à Papeete des travailleurs
au régime de l'immigration,
J.O.E.F.O. du 16 août 1925, p. 230.
soumis
(49) : J.O.E.F.0.1er avril 1924.
(50) : décret du 13 mars 1918 rendant applicable la Loi du
1918, p. 753.
(51) -.J.O.E.F.O. 1919, p. 29.
(52) : décret du 21 avril 1939, J.O.E.F.O. 1939, p. 265.
(53)-.J.O.E.F.O. 1939, p. 618.
(54) : J.O.E.F.O. 1er février 1927, p. 69 et suivantes.
(55) : J.O.E.F.O. 16 avril 1932, p. 203.
(56) : J.O.E.F.O. 1947, p. 240.
(57) : Loi n° 47-778 du 30 avril 1947, J.O.EJ.O. 1947, p. 376,
746 du 29 avril 1948, J.O.E.F.O. 1948, p. 266.
(58) : J.O.E.F.O. 15 octobre 1944, p. 34.
(59) : décret 46-875 du 29 avril 1946, J.O.E.F.O. 1946, p. 328 ;
15 février 1918, J.O.E.F.O.
complété
par
la Loi n°48-
décret 48-185 du 31
janvier 1948, J.O.E.F.O. 1948, p. 289 ;
1948, J.O.E.F.O. 1948, p. 437 ;
décret 48-1054 du 28 juin 1948, J.O.E.F.O. 1948, p. 408 ;
décret 48-1513 du 28 septembre 1948, J.O.E.F.O. 1948, p. 446, rectificatif J.O.E.F.O. 1949,
décret 48-1252 du 6 août
p.
10;
décret 49-77 du 19
janvier 1949, J.O.E.F.O. 1949, p. 139 ;
arrêté ministériel n° 505IGT du 21 décembre 1948, J.O.E.F.O.
arrêté ministériel du 6 avril 1950, J.O.E.F.O. 1950, p. 388 ;
1949, p. 156;
arrêté ministériel du 10
juillet 1950, J.O.E.F.O. 1950, p. 593 ;
mars 1949, tendant à organiser le travail de manutention dans
le port de Papeete, J.O.E.F.O. 1947, p. 71.
(61) : n° 46-1868 publiée au J.O.E.F.O. 1947, p. 71.
(62) : décision n° 346 IT du 10 mars 1948, J.O.E.F.O. 1948, p. 99.
(63) : arrêté 474 IT du 5 avril 1948, J.O.E.F.O. 1948, p. 126.
(64) : arrêté 943-AE, J.O.E.F.O. 1948, p. 292.
(65) : arrêté n° 1075 IT du 13 septembre 1947, J.O.E.F.O. 1947, p. 411.
(60) : décret 49-471 du 28
: décision n° 543 IT du 21 avril 1951 déférant, devant le Conseil du travail et de la
main-d'œuvre, les revendications formulées par les syndicats des travailleurs des
(66)
quais, J.O.E.F.O. 1951, p. 169.
(67)
:
Loi n° 52-1322 du 15 décembre 1952 instituant
un
code du travail dans les
territoires et territoires associés relevant du Ministère de la France
d'Outre-Mer,
J.O.E.F.O. 1953, p. 19, promulgué par arrêté n° 106 A. A. du 24 janvier 1953.
(68)
: une
nouvelle
réglementation du travail
en
Polynésie française, évolution d'une
société, Bulletin de la Société des études océaniennes, juin-décembre 1991, n° 254-255, du
même auteur.
Société des
Études
Océaniennes
�119
PAPE'ETE DE
JADIS ET NAGUERES
Notice relative à la «1ère
partie: A L'ABORDAGE DU VILLAGE DE PAPE'ETE»
Au B.S.E.O. N° 256-257 (2ème suite,.
12 § 33), un abrégé biographique
Répertoire Tahitiens (Patrick O'Reilly Raoul Teissier, Société des
Océanistes, 2ème édition, Paris 1975) indique que «Jacques Rouffio (1797-1872),
natif de Montauban,... meurt sans descendance locale à Papeete (avril 1872)».
Ledit répertoire biographique de la Polynésie Française dit en réalité: Jacques
Rouffio, marin et armateur, originaire de Montauban, ... meurt à Papeete, le 19
avril 1872, sans laisser de descendance directe dans le pays (p. 498). La notice
consacrée à Louis Martin (p. 374), né le 2 février 1843 à La Cotinière, Saint-Pierre
d'Oléron en Charente-Inférieure, indique qu'il est propriétaire dans le quartier
Farii-Mata à Papeete et que, de son union le 11 novembre 1871 avec une jeune, fille
d'origine chilienne, Eloisa Ruffio (1854-1905) — l'état civil portera tour à tour
Rupfier, Rupfur, Rufo — appelée aussi Carmen Sepulveda, du nom de sa mère —
sont issus six enfants: Louise 1872-1892 (épse Marius Vallier), Marguerite 18741970 (épse Johan Muth), Paul 1876-1936 (époux d'Eva Salm), Héloïse 1877-1968
(épse Henri de Weiss puis Henri Ducos), Emile 1879-1959 (époux d'Anne-Marie
Papineau puis Dora Gooding) et Rose 1882-1972 (épse Constant Deflesselle).
Enfin, la notice consacrée à Constant Deflesselle (p. 141), né le 8 février 1872 en
Amiens, indique que cet officier, venu s'installer à Tahiti en 1900, était capitaine
au
long cours, très compétent en botanique, sera un long et actif président de la
Chambre d'Agriculture, fonde et dirige le syndicat agricole et ranime le Syndicat
d'Initiative; propriétaire à Mahina, il épouse en 1909 Rose Martin 1882-1972,
union dont naît un fils Guy (1909).
C'est précisément ce dernier, de sa résidence côté Fariimata, qui déclare
que Jacques Rouffio sus-nommé est son arrière-grand-père, décédé à Papeete le 19
avril 1872 à l'âge de 77 ans comme indiqué sur sa tombe au cimetière de l'Uranie;
né du côté de Nantes, il a eu une fille: Eloisa, d'origine chilienne, décédée le 17
octobre 1903 à Papeete (à l'âge d'environ 50 ans, née Eloisa Rupfur dite
Sepulveda, fille de Santiago Rupfur et de Carmen Sepulveda défunts, épouse de
Louis Alexis Martin suivant l'acte de décès dressé par le maire Hégésippe
Langomazino et témoigné par les déclarants, tous deux fils de la défunte,
domiciliés à Mamao: Paul Martin (27 ans) et Emile Martin (22 ans), tous deux
employés de commerce. L'acte de décès de Louis Alexis Martin, veuf, négociant
âgé de 67 ans, a été dressé par le Maire François Cardella sur la déclaration le 2
novembre 1910 de: Johann Jacob Muth (52 ans), comptable et beau-fils du défunt,
et Emile Martin (30 ans), armateur et
propriétaire de la gazoline «Suzanne» et fils
extrait du
du défunt.
Prochainement: «2ème
partie: AU TEMPS DES MAIRES
DES CENT
PREMIERES ANNEES DE LA COMMUNE DE PAPE'ETE (1890-1990)».
V.R. PIETRI
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langue tahitienne,
par Tepano Jaussen (7ème édition)
Etat de la société tahitienne à l'arrivée
1.200 FCP
des Européens, par E. de Bovis
Journal de James Morrison,
second maître à bord de la Bounty
1.000 FCP
,
traduit par B. Jaunez
Alexandre Salmon et sa femme Ariitaimai,
1.500 FCP
par Ernest Salmon
Les cyclones en Polynésie
1.500 FCP
(1878-1906), par
Chefs et notables des Etablissements
1.000 FCP
française
Raoul Teissier
d'Océanie
au
français
temps du Protectorat
Raoul Teissier
français en Polynésie orientale,
par P.-Y. Toullelan
Les Etablissements français d'Océanie
1.000 FCP
en 1885 (numéro spécial 1885-1985)
Moruroa, aperçu historique 1767-1964,
1.500 FCP
par Christian Beslu
Généalogies commentées des arii
des îles de la Société, par Mai arii
Choix de textes des dix premiers Bulletins
1.000 FCP
(1842-1880),
par
Colons
1.000 FCP
1.000 FCP
de la Société des Etudes océaniennes
(mars 1917
-
1.000 FCP
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La Société des Études Océaniennes (SEO) est la plus ancienne société savante du Pays. Depuis 1917, elle publie plusieurs fois par an un bulletin "s’intéressant à l’étude de toutes les questions se rattachant à l’anthropologie, l’ethnographie, la philosophie, les sciences naturelles, l’archéologie, l’histoire, aux institutions, mœurs, coutumes et traditions de la Polynésie, en particulier du Pacifique Oriental" (article 1 des statuts de la SEO). La version numérique du BSEO dispose de son ISSN : 2605-8375.
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Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 261-262
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Articles
-Te-ara-po : De la voix aux textes par Winston Pukoki 2
- 'Orohena ou le mont phallique 4
LE PI'I
- De la coutume du Pi'i et des modifications qu'elle apporta au vocabulaire tahitien par E. Ahnne 14
- Quelques commentaires par Marau Taaroa i Tahiti 18
- Le Pi'i, commentaires d'aujourd'hui par Louise Peltzer 28
- Les hymnologies protestantes de Tahiti et des hauts plateaux malgaches par Raymond Mesplé 36
- La crise des concepts légaux à Tahiti 1819-1838 par William Tagupa 82
- Contribution à l'histoire du droit du travail en Polynésie française par Laure Ginesty 95
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1994
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