-
https://anaite.upf.pf/files/original/83bca12f08f228a98cb41911b0f0ebc3.pdf
8b2222ad24a08209f57c86779baf5d47
PDF Text
Text
BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCEKNIENNES
#
N
TOME XX
—
244
N° 9 /
Société des
Études
Septembre 1988
Océaniennes
�Société des
Études Océaniennes
Fondée
ORSTOM
-
en
1917.
Arue
-
Tahiti.
Polynésie Française.
B.P. 110
-
Tél. 43.98.87
Banque Indosuez 012022 T 21
—
C.C.P. 834-85-08 PAPEETE
CONSEIL D'ADMINISTRATION
Président
M. Paul MOORTGAT
Me Eric LEQUERRE
Vice-Président
Mlle Jeanine LAGUESSE
M.
Secrétaire
Trésorier
Raymond PIETRI
assesseurs
M. Yvonnic ALLAIN
M. Robert KOEN1G
Mme Flora DEVATINE
M. Roland SUE
MEMBRES D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
R.P. O'REILLY
Société des
Études
Océaniennes
�BULLETIN
DE LA SOCIÉTÉ
DES
ÉTUDES OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
N° 244
-
TOME XX
-
N° 9 SEPTEMBRE 1988
SOMMAIRE
R. P. Patrick
Tahiti
ou
O'Reilly
:
P. Moortgat
le tiers monde
sous
1
l'empire du mythe
:
Ph. Draperi
Dépopulation et reprise démographique
îles Marquises : F. Sodter
3
10
aux
L'implantation de l'église catholique dans l'île de Tahiti,
1836-1914
:
P. Y. Toullelan
Commentaires
27
astronomiques
:
P. Paoli
57
Comptes rendus
Lambert-Rieu-Tchong
Tahaa
:
-
Vestiges archéologiques de surface
: Fouilles archéologiques
et restauration du site VAI-I. Vallée de la Vaihiria
76
Christino-Vargas-Rieu
77
Rocher Isabelle : Contribution à la connaissance de
du tabac en Polynésie Française
Variabilité spatiale et temporelle
communauté des macrophytes des récifs coralliens de Moorea
Payri Claude Elisabeth
de la
l'usage
I. Ineich-Ch. P. Blanc : Le
de Polynésie Française
G.H. Perrault
:
79
80
Les fourmis de Tahiti
:
78
peuplement herpétologique
J. Florence : Endémisme et évolution de la flore
de la Polynésie Française
Père F. Zewen
77
:
Introduction à la langue des îles
Société des
Études
80
Marquises
Océaniennes
81
��R. P. PATRICK O'REILLY
Depuis peu, la calligraphie du "Padre" donnait bien quelques
inquiétudes à ses correspondants locaux, mais le souvenir de celui
qui gambadait 10 ou 15 ans derrière son âge, qui avait présenté une
variété de gymkana Vespa acrobatique, lors de son dernier passage
à Tahiti, leur empêchait de croire en la gravité de son mal. Une
funeste dépêche de l'AFP a brutalement imposé la triste nouvelle :
le premier des Océanistes français venait de disparaître.
Les nombreux visiteurs du 104, de la rue de Vaugirard, n'ont
pas oublié le petit bureau du 4ème étage, purgatoire d'intellectuel,
saturé de livres et de dossiers, d'où s'exhalaient les deux vertus les
plus
rares de l'esprit :
blement le maître des
ferveur et fidélité, et où travaillait inlassa¬
lieux, avec une souriante application.
Il nous laisse une œuvre impressionnante, presque déroutante
par son ampleur et sa variété. Ethnologue, historien, il ajoute à ses
qualités de polygraphe des dons de reporter, et pouvait faire suivre
un
gros travail de bibliothèque, d'une étude rafraîchissante sur les
Tifaifai, ou sur les incertitudes des premiers affranchissements de
la voie postale maritime.
Fort éloigné des études qui se bornent à esquisser une clause
de verbalisme universitaire, il se montre soumis au réel, soucieux
de la quête du détail, servi par un style de grande aisance, limpide
sans recherche du terme savant et, dans sa correspondance relevé
d'une pointe d'humour à la première occasion.
Si, de nos jours, tout travail sur l'Océanie suppose une
consultation des bibliographies P. O'R, la sienne propre est
confondante et nous offre plus de 500 références : ouvrages,
analyses, comptes rendus, notes. Il aura cherché à nous faire
connaître l'Océanie sous tous ses aspects : ethnologie, histoire,
Société des
Études
Océaniennes
�2
littérature, arts, sans négliger de mettre à la disposition du public
francophone, les indispensables travaux de base : Ellis, Orsmond,
Teuira Henry. Une thèse nous donnera bien un jour, répertoire et
analyse de l'ensemble de cette œuvre aux mille facettes.
La Société des Océanistes fut le grand bénéficiaire de son
inlassable activité. Il l'a animée, il a créé son Journal, assuré les
publications qui l'ont hissée à un niveau international.
Toujours bienveillant à l'égard de notre Société, où il comptait
de nombreux amis, il nous donnait volontiers un compte rendu
d'ouvrage, et nous avait offert la collection "Brochures Ropiteau".
L'activité intellectuelle pure ne lui suffisait pas, et il sera le
créateur du Musée Gauguin, avec la Fondation Singer-Polignac, et
assumera une large
participation dans la réalisation du Musée de
Tahiti et des Iles.
La simple évocation de son incroyable activité et de l'intérêt
affectueux porté à cette région du monde et à ses habitants, me
dispensent de l'éloge funèbre traditionnel, qu'il ne souhaitait
d'ailleurs pas. Nous respectons ce souhait, et le déplorons, car nous
aurions pû en toute sincérité, contredire le moraliste qui prétend
que l'éloge funèbre est l'une des formes les plus usuelles du
mensonge.
Il
garder jusqu'au bout cette fraîcheur d'esprit et de cœur,
préparant à rejoindre tout naturellement cette jeunesse éternelle
de l'Amour, qui le comble à présent.
a su
le
Paul Moortgat
Société des
Études
Océaniennes
�3
TAHITI
OU LE TIERS MONDE
SOUS L'EMPIRE DU MYTHE
I/ Toi y en a être bon sauvage !
Tahiti est un des principaux archétypes de l'imaginaire
occidental. L'Ile, par excellence, ce haut lieu de l'exotisme a émergé
dans la pensée européenne voilà 200 ans (I). Il aura fallu quelques
relations de voyages à succès (Bougainville), quelques chimères
philosophiques (Diderot)
pour faire naître un mythe, pour créer
Depuis nous avons condamné les Polynésiens à
jouer ce rôle, celui du bon et beau sauvage dans une nature
généreuse.
une
belle image (2).
L'Europe du XVIIL siècle était en crises politique et
religieuse. Afin de penser ce monde nouveau en gestation, des
philosophes, comme Rousseau notamment, posent théoriquement
(ce que beaucoup aujourd'hui encore ne comprennent pas)
l'existence passée d'un "bon sauvage". Ainsi ils espèrent définir un
écart et dénoncer les méfaits d'une société monarchique, qu'ils
jugent corrompue. Cette idée d'un homme naturellement bon,
vivant dans un Eden, sur une île (3) fait son chemin chez les
intellectuels de l'époque.
Lorsque Bougainville, Cook (4) et bien d'autres arrivent en
Polynésie, ils sont fascinés par la nature et le vécu apparents des
(f) Dans l'histoire des mythes où le temps est toujours incertain, Tahiti offre cette
originalité d'être parfaitement repérable.
(2) Bien d'autres personnes ont entretenu et propagé cette vision : les aventuriers, les
écrivains et nous tous qui, par exemple, écrivons en Europe sur des enveloppes hautes en
couleurs.
(3) Depuis la plus haute antiquité l'imaginaire occidental flirte avec une île (le XVIIIe siècle
n'est qu'une étape, Iles bienheureuses, Iles fortunées, Nouvelle-Cythère...).
(4) Ces grands navigateurs avaient une solide éducation, riches des "latinités" ils étaient
souvent de véritables savants. Ex : Bougainville et les mathématiques.
Société des
Études
Océaniennes
�4
point d'être plus ou moins convaincus d'avoir
paradis terrestre : l'endroit où vit le bon sauvage.
Dans ce contexte, on voit que la Polynésie a été pensée avant même
que d'être découverte. Son essence a précédé son existence. De fait
le mythe polynésien ne dit rien des Polynésiens, au contraire, il ne
cesse de nous murmurer les désirs et les fantasmes de l'Occident.
En découvrant et colonisant les îles du Pacifique, les Européens
n'ont pas fait autre chose que de parler d'eux-mêmes dans un
narcissisme ludique où l'art joue un grand rôle. Tous ces compterendu de voyages, ces livres d'ethnologie sur le Grand Océan,
toutes ces créations artistiques (5), nous renseignent plus sur
l'inconscient occidental que sur l'être océanien. Le maintien de ces
territoires sous l'empire du mythe, permet également à ces sociétés
de plus en plus égoistes et dures d'avoir un espace merveilleux vers
lequel elles peuvent toujours s'évader ne serait-ce qu'en Rêve (6).
La Polynésie en tant qu'idée, est à la fois le passé rêvé et l'avenir
espéré de l'Europe. Mais cet avant et cet après, ignorent toujours le
présent.
indigènes,
au
découvert le
Ainsi,
vous
l'avez compris, un mythe est à la fois aliénation et
réconfort. Négatif, car il ne dit jamais les choses comme elles sont
mais comme on voudrait qu'elles soient. Il masque une réalité,
mieux, il la pervertit. Le mythe polynésien est la forme achevée du
colonialisme occidental. C'est la plus grande ombre qui ait jamais
été jetée sur ce pays de soleil. Mais un discours mythique rassure
aussi. Il explique les aspects mystérieux du réel, dépasse les
contfadictions. Grâce à lui,
nous savons la place que nous devons
tenir. La tienne, Polynésien, est claire : moitié nu, souriant, tu
danses et tu chantes pour l'éternité dans la bonté de la nature. Le
rôle d'un saltimbanque. Les Polynésiens depuis 200 ans sont tous
devenus des ARIOI, pour nous divertir d'un monde que nous
avons
créé, propagé et qui ne nous plaît pas !
II/ Toi
que
y en a
être méchant alors ?
Voilà, le tableau est brossé comme une carte postale de celles
l'on vend ici, retouchée et trompeuse (7). Les Polynésiens ont
(5) Si l'œuvre de Gauguin, seule, semble échapper à ce nombrilisme, c'est précisément parce
qu'elle nous dévoile quelque chose de l'âme polynésienne.
(6) En fait peu de gens en Europe connaissent avec précision la position géographique de la
Polynésie. C'est vraiment une utopie !
(7) Souvent ces cartes postales dites de Tahiti ne sont que des photographies d'un atoll des
Tuamotu, beau mais peu accueillant (pas d'eau, terres pauvres, moustiques, requins ...)
sur lequel rêve l'occidental.
Société des
Études
Océaniennes
�5
rapidement endossés leurs nouveaux habits de lumière (8). Du
moment qu'ils acceptent et font vivre cette image, la mère
patrie
leur donne ce qu'ils veulent (moyens de consommation, argent,
statuts de toutes sortes ...) mais qu'ils ne s'avisent pas de toucher au
mythe !
Pourtant, la décennie 1980 - 1990 marque, selon nous, l'agonie
de ce mythe, avec l'année 1987 comme déchirure. Cette image
mettra sûrement encore quelque temps à se ternir, elle qui était
l'une des dernières figures de l'exotisme triomphant du XIXe siècle,
que le XXe siècle technologique a tué. Le Français par exemple,
enfin revenu de cet ailleurs idéalisé qui n'est rien d'autre qu'un ici,
transportera son désir d'évasion sur le Poitou du XIIIe siècle ou sur
la guerre des étoiles.
Déjà en 1983 les cyclones avaient arraché les fleurs sous
lesquelles un peuple amnésique et muet, cachait pudiquement sa
misère. Car derrière le mythe respire un peuple, bien sûr. Un pays
qui a comme tous les pays ses difficultés, ses aspirations, en fait, un
territoire du Tiers
Monde pour être précis. Une contrée riche de
ses pauvres, une misère morale
profonde, une économie inexis¬
tante, une natalité galopante, et une classe politique indigente.
Sociologiquement cela ne fait aucun doute, les Polynésiens
viennent bien d'Amérique du sud voire d'Afrique !. Une popu¬
lation qui refoule depuis deux siècles. D'abord une conscience
oublieuse de sa culture (9), ensuite une âme culpabilisée par
l'action tumultueuse des Eglises, enfin une conscience malheureuse
de ne pouvoir assumer vraiment la modernité, le langage et les
objets de l'Occident (10). Un être sans définition, pathétique,
irradié de fatalisme et souvent bercé par l'alcool
même la
sexualité de nombreux jeunes Polynésiens d'aujourd'hui est
synonyme de misère.
Avec les grèves hôtelières de octobre 1983, l'orage atmosphé¬
rique devient social. Mais en 1987 avec FAAITE et la "nuit du 23
octobre" le processus de destruction du mythe va avoir un retentis¬
-
...
sement
Les
histoire
coup
mondial.
Polynésiens
l'on maintenait dans un espace sans
en proposent les mythes, sont tout à
rentrés dans l'Histoire. Celle de la violence des hommes
comme
seuls
que
nous
(8) De mémoire d'ethnologue on a rarement vu un peuple se défaire aussi vite lui-même de
sa propre culture.
(9) La civilisation polynésienne a été recueillie et enfermée dans les livres par les Blancs, qui
d'une certaine manière, contrôlent ainsi le retour maohi actuel.
( 10) Nous n'avons pas cessé de séduire par des objets. Hier quelques colifichets et breloques
aujourd'hui vidéos et voitures
...
Société des
Études
Océaniennes
�6
ordinaires et non plus celle de l'uchronie béate des demi-dieux. Ce
peuple poussé dans le mythe par une violence insidieuse sera peutêtre obligé d'en sortir par la violence directe. C'est pourquoi nous
devons bien mesurer nos réponses à cet homme qui enfin prend la
parole, même si elle est d'abord un cri, lui que l'on "fait chanter"
depuis si longtemps. Ne faut-il pas briser l'icône, l'illusion dans
l'esprit des Occidentaux et des Polynésiens pour voir apparaître
finalement un peuple, avec son génie, ses faiblesses et son irrem¬
plaçable différence ?
FAAITE a marqué la saturation du sentiment religieux et la
"nuit du 23 octobre" celle du monde économique et de son
injustice. Ces deux événements ont fait le tour du monde
médiatique et on peut imaginer que, tels un cancer de l'âme, ils ont
entamé l'image idyllique sédimentée dans l'esprit européen depuis
deux cents
ans.
III/ Désarroi
De toutes
nous
tous y a !
images d'Epinal qui brûlent, l'important c'est la
représentation que se font les Polynésiens d'eux-mêmes.
Le mythe est comme une maladie récidivante, parce que
surtout il nous flatte. Bien des Polynésiens ont pris leur rôle au
sérieux. La structure mythique est un filtre coloré qui se glisse
inconsciemment entre le réel et nous. Chacune de nos représen¬
tations est déformée (11). Par exemple, les responsables locaux
sont encore sous l'emprise du mythe lorsqu'ils proposent le
tourisme comme richesse principale de ce pays. Ainsi la réalisation
de l'être polynésien, passe en cette fin de siècle, par la compré¬
hension de la pensée mythique, de sa génèse et de son
ces
fonctionnement.
Sortir du mythe du "bon sauvage" ne veut pas dire rentrer
une vision utopique d'un autre passé.
Un retour à la culture
Maohi perdue, paraît en ces temps, tout aussi néfaste que
dans
l'acceptation
Nous
du modèle occidental. Mais qui peut dire ce que
Polynésiens pour affronter le IIIe millénaire ?
repue
doivent faire les
sommes
nous-mêmes Occidentaux dans
un
état de crise.
L'idéologie de progrès qui se développe depuis le XVIIe siècle nous
échappe par sa complexité. La science a fait de nous des dieux
avant que nous soyons dignes d'être des hommes. Nous sentons
tous confusemment la crise, l'espèce en danger, mais nous sommes
incapables d'en faire une analyse exhaustive. En fait, nous
(11) Etudier l'épistémologie devrait être le passe-temps favori des élus locaux.
Société des
Études
Océaniennes
�7
souffrons
nous aussi culturellement mais non point au niveau d'un
d'un savoir évanoui, mais au contraire à la manière d'une
saturation, d'un accouchement d'une forme par une autre (12). A
ce titre et à bien d'autres, nous n'avons pas de leçons à donner aux
Polynésiens, à moins d'un réflexe colonial. D'ailleurs notre rapport
à cet autre reste problématique voire ambigu. Si la plupart du
temps nous sommes enfin sortis d'un ethnocentrisme conquérant, il
n'en reste pas moins décelable dans notre perception contem¬
poraine de l'Autre, une bonne dose de culpabilité et d'exotisme.
manque,
Soit nous avons confusément honte de l'action ethnocide de
l'Occident dont nous sommes malgré tout les fils et encore les bras,
soit l'Autre est idéalisé dans sa propre culture. Dans les deux cas le
piège tendu est celui de la démagogie. Parce que nous avons hier
trop brisé, nous voulons aujourd'hui donner sans compter, nous
flattons et singeons cet Autre. Comme dans une sorte d'expiation
culturelle, après l'avoir dévalué nous le surévaluons, lui faisant
croire à la maîtrise de la culture occidentale (13) et à la vertu totale
de la sienne. De fait, n'ayant pas encore recouvré sa mémoire d'une
part et, de l'autre, ne pouvant toujours pas digérer notre
civilisation (nous-mêmes avons quelques difficultés d'ailleurs !) le
Polynésien, grand marin, navigue à l'estime sur un océan de savoirs
emmêlés (14).
Un être fragilisé donc, auquel nous pouvons simplement
rappeler, comme à nous-mêmes, quelques idées modernes.
La linguistique nous a permis de comprendre qu'une autre
civilisation s'appréhende d'autant mieux que l'on possède bien sa
propre culture. Les Polynésiens doivent non pas faire renaître,
mais revivre de l'intérieur (15) le monde maohi occulté et cela passe
essentiellement par la possession de la langue. Ne pas parler
tahitien, c'est ne plus penser tahitien et donc ne plus être tahitien.
Ce vocable enfin enseigné à l'école, fait la preuve que les choses ont
changé ou du moins qu'elles vont évoluer. Faire taire la parole de
(12) Toutes les fins de siècle sont mal vécues, alors quand il s'agit d'un millénaire ! (voir
millénarisme).
(13) Une des formes les plus vicieuses de cette manière de faire : la distribution généreuse
diplômes. Dans ce contexte, l'Université du Pacifique n'a pas été faite pour les
Polynésiens mais pour le rayonnement de la France dans la région, ce qui n'est pas la
des
même chose !
(14) Voir A. Babadzan. Naissance d'une tradition. Documents ORSTOM n° 154
le
Paris
syncrétisme dans les Iles. En matière d'affrontement des
cultures, on parle toujours de la destruction de la civilisation Maohi, mais on
développe moins, les transformations parfois radicales de la culture occidentale dans le
Pacifique.
(15) Le HEIVA MAUPITI nous propose un mois de fêtes, c'est sympathique mais ce retour
vers le passé doit être également synonyme de travail. Autant de festivités, est bien la
preuve que ces sociétés vivent le reste du temps dans la non félicité.
1982.
Belle étude
sur
Société des
Études
Océaniennes
�8
l'Autre, c'est l'acte premier du colonialisme, la lui rendre c'est
l'inviter à la libération, fût-elle surveillée. Le Polynésien doit
reprendre la parole et aujourd'hui l'écriture. Parler c'est non
seulement
se guérir de mille
Maîtrise du monde et de soi, voilà ce que
offrent les mots. Si au début était le Verbe (les Dieux sont
s'emparer du pouvoir mais également
et une erreurs et terreurs.
nous
toujours de subtils bavards) espérons qu'en Polynésie les hommes
auront le dernier mot (16) !
Après avoir ouvert la bouche, il s'agit enfin et aussi, pour ce
peuple, d'ouvrir les yeux sur les mirages exportés de l'Occident.
Être critique vis-à-vis de certains usages de l'Autre ne signifie pas
pour autant tomber dans un manichéisme torride. Redevenir riche
de sa propre culture perdue, ne veut pas dire s'appauvrir dans le
refus des autres civilisations. En matière de cultures, depuis le
temps que l'homme métastase la planète, si l'une d'entre elles était
meilleure que les autres, cela se saurait ! Se saisir du meilleur d'une
culture et rejeter les aspects négatifs, est tout à fait possible. Mais
ce sont toujours les plus mauvais réflexes qui apparaissent, à
l'image d'une langue étrangère que l'on aborde souvent par ses
mots les plus laids. Dans cette idée de la recherche d'un mode de
vie plus adapté au Pacifique d'un refus de la consommation sans
âme, les "élites" (17) polynésiennes doivent jouer un grand rôle.
Or il est parfois douloureux de constater une démission de ces
intelligences qui, en fait, se vautrent dans l'avoir et le pouvoir
faciles d'un système sans générosité, qu'elles perpétuent.
Se réapproprier une Histoire, relativiser un présent, voilà
quelques chemins possibles pour stabiliser un Être, après bien des
errances. Un supplément d'être pour faire face à ce qui reste le plus
difficile
:
l'avenir.
La modernité
nous bouscule sans distinction. Ceux qui vivent
plusieurs cultures ne sont-ils pas les mieux adaptés
pour aborder les changements rapides de demain ? D'une certaine
manière nous sommes tous des Polynésiens. L'idéologie scienti¬
fique nous a propulsés trop vite dans un univers inconnu où
alternent le fascinant et l'effrayant.
Également amnésiques (18) nous cherchons un "bien" être,
parfois même dans un retour furieux du Moyen-Age.
à cheval
sur
(16) La Polynésie est en fait une théocratie masquée. Chaque événement grave fait la
preuve, si besoin était, que seules les Eglises peuvent réellement favoriser une solution
politique.
(17) Surtout
ne pas lire élitisme. 11 s'agit simplement de ceux qui ont eu la chance de
poursuivre des études, de voyager, d'avoir le temps de réfléchir un peu
(18) Les jeunes générations métropolitaines par exemple, que savent-elles de leur passé,
même le plus récent comme celui du début du siècle ?
...
Société des
Études
Océaniennes
�9
Nous
qui donnions volontiers des leçons de vie, nous
pourrions bientôt en recevoir des Polynésiens. Ces îles découvertes
au XVIIIe siècle par des hommes certains "d'avoir raison" sont
susceptibles deux cents ans plus tard, de nous proposer une "raison
d'être". Voici poindre un nouveau statut pour la Polynésie : non
point atelier du Pacifique pour quelques individus essoufflés, mais
véritable laboratoire d'ontologie, afin de nous préparer au seuil
incertain du IIIe millénaire. A moins bien sûr, que nous ne soyons
encore
sous
l'empire du mythe ?
Philippe Draperi
Société des
Études
Océaniennes
�10
DÉPOPULATION
ET REPRISE
DÉMOGRAPHIQUE
AUX ILES
Une
revue
MARQUISES
des
sources
L'histoire démographique de l'archipel des Marquises a déjà
l'objet de nombreux écrits, en particulier à la fin du XIXe alors
que la disparition du peuple marquisien semblait inéluctable (1).
Plus récemment, des démographes comme C. Valenziani (2) ou
R. Clairin (3) ont consacré aux Iles Marquises un chapitre spécial
dans leurs études sur la population de la Polynésie française.
Cet intérêt vient de l'intensité de la dépopulation qu'ont
connue les îles Marquises ainsi que de la date tardive à laquelle
s'est produite la reprise démographique. R.C. Schmitt (4) avait
attiré, il y a une dizaine d'années, l'attention sur la façon dont les
premières estimations des populations de la Polynésie, déjà d'une
exactitude douteuse, avaient été incorrectement citées ou inter¬
prétées par des auteurs plus récents. On peut constater un
phénomène du même ordre en ce qui concerne les dénombrements
fait
et les recensements menés au cours
Iles
du XIXe et du XXe siècle
aux
Marquises. La prudence des auteurs de cette époque,
conscients des difficultés à réunir des données sur la population et
de leur imprécision, est souvent oubliée par ceux qui reprennent
leurs chiffres. Il est ainsi nécessaire de revenir aux données
originales. C'est ce
présent article tout
efforcés de faire dans le
présentant quelques données restées inédites.
Nous essaierons de retracer l'évolution de la population de
chacune des îles Marquises à partir de la période des contacts avec
les Européens, dans les années 1790. En effet, les deux premiers
navigateurs européens à reconnaître cet archipel, Mendana en 1595
et Cook en 1774 ne visitèrent que le groupe Sud-Est et n'y
séjournèrent que quelques jours dans une seule île, Tahuata. C'est
que nous nous sommes
en
Société des
Études
Océaniennes
�11
1791 que le groupe Nord-Ouest fut découvert presque
simultanément par l'américain Ingraham et le français Marchand.
en
A
partir de ces années, les îles Marquises commencèrent à être
fréquentées, en particulier par les baleiniers dont l'activité se
développe dans le Pacifique Sud et qui trouvent aux Marquises
ravitaillement et délassement. Ils y laissent également des
déserteurs dont certains ne partiront qu'après de longues années.
LA FIN DU XVIIIe
SIÈCLE
En 1797 eut lieu la
première tentative d'évangélisation menée
par les protestants anglais venus en Océanie sur le Duff. Un seul
d'entre eux, William Pascoe Crook, resta aux Marquises et y vécut
plus d'un
an et demi à Tahuata et à Nuku Hiva, recueillant de
nombreuses informations. Un manuscrit, transcrit il y a quelques
années par Sheahan, et qui semble être un
Crook lui-même, indique, entre autre, pour
abrégé d'un texte de
chaque île habitée, le
nombre de guerriers. Pour Ua Huka, après avoir annoncé un
effectif de 800 guerriers, l'auteur ajoute que cette île "a donc proba¬
blement une population de 3 000 personnes en incluant les en¬
fants" (5). Il s'agit, bien sûr, d'évaluations sommaires puisque les
effectifs de guerriers sont exprimés en centaines ou en milliers et
que le détail n'est pas donné pour les différentes tribus. Une autre
source d'imprécision vient du rapport entre le nombre de guerriers
et celui de la population totale. Le coefficient multiplicateur que
Crook propose pour Ua Huka est de 3.75 et donnerait une popula¬
tion de 90 750 habitants pour l'ensemble des Marquises à la fin du
XVIIIe. Ce coefficient de 3.75 peut être considéré comme moyen
par rapport à d'autres, proposés par divers auteurs de la fin du
XVIIIe et du début du XIXe siècle. Le tableau 1 présente certains
de
ces
Tableau 1
Date
:
coefficients (tableau I).
Proportion de guerriers dans la population
Lieu
Proportion de
guerriers
Coefficient
Auteur
1774
Tahiti
0.333
3.00
Cook
1774
Tahiti
0.250
4.00
G. Forster
3.00
Morrison
1789
Tahiti
0.333
1797
Ua Huka
0.266
3.75
Crook
1804
Nuku Hiva
0.327
3.05
Roberts
1844
Nuku Hiva
0.200
5.00
Collet
1844
Nuku Hiva
0.125
8.00
Collet
1848
Nuku Hiva
0.333
3.00
Fournier
1854
Nuku Hiva
0.250
4.00
Levêques
Sources
:
Commentaire
multiplicateur
idée généralement admise
opinion de l auteur
(1844-vol. 1 :281-2S2): Morrison (1966 : 141)
( :CLXV): Roberts in Schmitt ( 1979): Collet ( ANSOM, Fds Océanie A30(5)):
Fournier, Levêques (ANSOM. Fds Océanie A43(12)).
Cook. G. Forster in Vincendon-Dumoulin et Desgraz
Crook in Sheahan
Société des
Études
Océaniennes
�12
Le coefficient utilisé par
Crook n'est d'ailleurs pas très éloigné
proposé par J.-L. Rallu (6) pour Tahiti à la fin du XVIIIe :
3.25, qui est celui d'une population stationnaire où l'espérance de
de celui
vie féminine à la naissance est de 30
de ces coefficients, on obtient pour
totale
ans.
En retenant l'un
ou
l'autre
les Marquises une population
comprise entre 78 650 et 90 750 personnes (tableau 2).
Tableau 2: La population à la fin du XVIIIème Siècle
1797-1799
Nombre de
Population
Population
guerriers
totale
totale
coefficient multiplicateur
3,75
3,25
19500
NUKU HIVA
6000
22500
UA POU
1200
4500
3900
UA HUKA
SOO
3000
2600
32500
7S650
HIVA OA
10000
TAHUATA
1200
FATU HIVA
5000
37500
4500
18750
MARQUISES
24200
90750
3900
16250
LES ANNÉES 1830-1840
Il faut attendre la fin des années 1830 pour disposer à nouveau
d'une estimation de l'ensemble de l'archipel. Elle nous est donnée
par le missionnaire Thomson (7) qui, dans son manuscrit
"Description and History of the Marquesas" écrit en 1841, donne
l'effectif de la population des îles habitées des Marquises à partir
d'informations recueillies tant par son collègue de la LMS
Stallworthy qui résida à Tahuata d'octobre 1834 à décembre 1841
et visita les îles du groupe Sud-Est, que par les missionnaires de
l'American Board qui séjournèrent à Nuku Hiva du 10 août 1833
au 16 avril 1834. Selon Thomson la population
des Marquises
aurait été, au cours des années 1830, de 19 300 personnes
Société des
Études
Océaniennes
�13
(tableau 3), chiffre que l'auteur arrondit, dans
son texte, à 20 000.
Tableau 3
:
une autre
partie de
la population
dans les années 1830
1834-39
NUKU HIVA
6000
UA POU
1800
UA HUKA
1000
HIVA OA
6500
TAHUATA
1000
FATU HIVA
3000
MARQUISES
19300
Source
:
Thomson, The
Marquesas Islands
Une évaluation très souvent citée pour la même période est
celle attribuée au contre-amiral Dupetit-Thouars pour 1842, lors
de la
prise de possession de l'archipel des Marquises par la France.
du contre-amiral au Ministre de la marine et des
colonies, daté du 18 juin 1842, n'indique la population que de deux
En fait le rapport
îles ; 1 500 à 1 800 à Fatu Hiva "assure-t-on" déclare le contre-
amiral, et 600 à 700
de
onze
de
pour Tahuata "qui encore en 1838 contenait
à douze cents habitants". En réalité, cette évaluation
Dupetit-Thouars est une réestimation de Vincendon-Dumoulin et
Desgraz à partir des informations fournies par Dupetit-Thouars
dans son ouvrage intitulé "Voyage autour du monde sur la frégate
Vénus" publié en 1840, qui relate son passage aux Marquises en
1838, et dans son rapport au Ministre de juin 1842. Cette réesti¬
mation est publiée par Vincendon-Dumoulin et Desgraz dans le
livre "Iles Marquises ou Nouka-Hiva" paru à Paris en 1843. Dans
un tableau de la population île par île, et c'est ce tableau qui est
généralement cité comme émanant de Dupetit-Thouars, les deux
Société des
Études
Océaniennes
�14
retiennent pour la plupart des îles l'estimation la plus basse
donnée par l'amiral. L'effectif de 6 500 pour Ua Pou avancé en
1838 est ramené à 6 000 sans explication et les auteurs proposent
auteurs
pour Nuku Hiva leur propre évaluation, 8 000 habitants. DupetitThouars avait proposé en 1838 une population de 4 000 à 5 000
Nuku Hiva, chiffre que Vincendon-Dumoulin et
Desgraz transforment pour 1842 en 5 000 à 6 000 puis en 6 000 tout
en estimant que "d'après l'aspect de
la baie de Taiohae, il est un peu
trop faible", et le fixant à 8 000 dans le tableau page 196.
Après avoir présenté ce tableau, les auteurs reviennent sur les
chiffres présentés pour Ua Pou et Ua Huka et indiquent que leur
"opinion individuelle" serait de réduire à quinze cents le nombre
fixe pour chacune d'elles. Le tableau 4 reprend les différents
éléments précédemment exposés et qui ont servi à VincendonDumoulin et Desgraz pour présenter l'évaluation de la population
généralement attribuée à Dupetit-Thouars.
personnes pour
Tableau 4
:
La population vers
1842
1842
1842
4000 à 5000
8000
8000
2000 à 3000
2000
1500
2000 à 3000
2000
1500
6000
6000
Date
1838
NUKU HIVA
UA POU
UA HUKA
HIVA OA
6500
TAHUATA
1000 à 1100
FATU HIVA
2000 à 3000
MARQUISES
20000 i 250000
Source
Du Petit-Thouars
Voyage
autour du
monde
1
sur
1842
1838
la
1100 à 1200
700 à 800
700
700
1500 à 1800
1500
1500
20200
19200
Du Petit-Thouars
Du Petit-Thouars
Vincendon-Dumoulin
Vincendon-Dumoulin
rapport du
rapport du
Desgraz
lies Marquises
Iles Marquises
18
juin 1842
18 juin 1842
1843
régate La Vénus
1840
et
p.196
p.326
et
Desgraz
1843
p.196
et I97
Ces évaluations doivent être
comparées à celle de Thomson
la même période ; elles aboutissent à des
totaux voisins pour l'archipel : 19 300 pour Thomson, respective¬
ment 20 200 et 19 200 pour Vincendon-Dumoulin et Desgraz. Cette
proximité des résultats globaux recouvre en fait une différence
sensible dans le poids respectif des deux groupes : alors que
Thomson attribue au groupe Nord-Ouest 45.6 % de la population
Vincendon-Dumoulin et Desgraz arrivent aux pourcentages de
59.4 à 57.3 en particulier par leur réestimation de la population de
Nuku Hiva. Il semble préférable de retenir l'évaluation avancée par
Thomson. Le chiffre de 8 000 personnes avancé par VincendonDumoulin et Desgraz semble en effet bien élevé par rapport à
qui porte
en gros sur
d'autres évaluations faites dans les années suivantes. Si Collet dans
le "relevé de la population de Nouka Hiva,
d'après le nombre
Société des Etudes Océaniennes
�15
d'hommes que chaque baie peut mettre sous les armes", tableau
annexe à son article paru dans le numéro de mars 1844 de la Revue
Coloniale, trouve une population de 9 400 habitants pour Nuku
Hiva, c'est qu'il a utilisé un coefficient multiplicateur de 5. En
reprenant le coefficient proposé par Rallu, on obtiendrait 6 110
habitants. Les éditeurs ont d'ailleurs publié avec ce relevé de la
population, une note disant que : "M. le contre-amiral DupetitThouars considère toutes ces évaluations comme exagérées et
n'estime pas la population de Nouka Hiva à plus de 6 000 indi¬
vidus". Il faut cependant noter que Collet considère lui, que
l'estimation de la population de Nuku Hiva est insuffisante et que
c'est par huit et non par trois qu'il faut multiplier le nombre des
guerriers. Dans
son rapport au Ministre de la Marine (8) daté du
1er août 1844, Collet reprend ce chiffre de 9 400 habitants pour
Nuku Hiva et donne "d'après les renseignements les plus précis que
vieillards" un effectif
des Marquises ainsi
2 000, Ua Huka : 800,
j'ai
pu me procurer auprès des prêtres et des
total de 23 700 individus pour l'ensemble
: Nuku Hiva : 9 400, Ua Pou :
Hiva Oa : 10 000, Tahuata : 700 et Fatu Hiva : 800. Fournier (9),
l'officier chargé du recensement de 1848, qui devait être réalisé en
même temps que celui de Tahiti et de Moorea, échoue dans sa
tentative de recenser toutes les îles Marquises. Il est vrai qu'il ne
réparti
peut guère s'éloigner de la baie de Taiohae à Nuku Hiva où les
troupes sont confinées. Les missionnaires lui fournissent une
estimation pour Ua Pou et Tahuata, respectivement 2 200 et 700
habitants. Pour Nuku Hiva, Fournier, après avoir fait le tour de
l'île sur le vapeur "le Gassendi" et avoir demandé aux chefs de
chaque baie le nombre de leurs guerriers, aboutit à une population
de 4 870 personnes, estimant que les guerriers constituaient le tiers
de la population. Ses successeurs à la tête de l'établissement de
Taiohae confirmeront cette baisse de la population de Nuku Hiva ;
en 1853 Page l'estime à 3 235 (10), en 1854 Levèque (11) ne trouve
plus que 3 150 habitants.
LES
ANNÉES 1850
L'évaluation générale
suivante est celle de Jouan en 1856 (12).
particulier des
Marquises à Taiohae du 21 janvier 1855 au 12 novembre 1856
après un premier séjour de mai 1853 à juillet 1854. Après avoir fait
des recherches auprès des missionnaires et des résidents étrangers
les mieux informés et d'après ce qu'il a pu "démêler des
renseignements fournis par les naturels, il croit pouvoir établir
Elle est très souvent citée. Jouan a été Commandant
Société des
Études
Océaniennes
�16
comme il suit la répartition des habitants dans les différentes îles"
(tableau 5), aboutissant à un total de 11 900 personnes pour
l'ensemble des Marquises (Jouan p. 26). Ces valeurs ne sont pas
absolues puisque dans d'autres parties de son article Jouan préfère
présenter des intervalles ; ainsi 1 000 à 1 200 pour Ua Pou au lieu
de 1 100, 300 à 400 pour Ua Huka, 500 à 600 pour Tahuata et 1 000
à 1 200 pour Fatu Hiva. Dans un article ultérieur écrit en 1890 sur
la dépopulation aux îles Marquises (13) Jouan pense d'ailleurs que
"son total de 1856 est trop fort et que peut-être serait-il préférable
de le ramener à 10 000". Un document de 1858, qui semble être
resté inédit, montre une répartition différente de la population
entre les îles, même si son total, 11 684, est proche de celui de
Jouan. Il s'agit d'un "tableau de la situation religieuse des îles
Marquises" établit le 1er novembre 1858 par le gouverneur Saisset
et conservé aux Archives Nationales Section Outre-Mer (14). Ce
tableau indique pour chaque île le nombre de catholiques ou de
catéchumènes, celui des protestants et celui des payens. Les
effectifs des missionnaires n'ont pas été pris en compte ici.
Tableau 5
:
La population en 1856 et 1858
1856
1856
1858
2700
2700
2690
2150
1100
1000 à 1200
1200
1480
UA HUKA
300
300 à 400
400
400
5500
Date
1856
NUKU HIVA
UA POU
HIVA 0A
6000
6000
6000
TAHUATA
600
600
500 à 600
700
FATU HIVA
1200
1000 à 1200
1000
1454
MARQUISES
11900
Source
LES
11684
JOUAN
JOUAN
JOUAN
Tableau de la
Archipel des
Iles Marquises
Archipel des
lies Marquises
Archipel des
Iles Marquises
situation religieuse
1858
1858
1858
p.36
PP.8-9
pp.78-108
des lies
Marquises
ANSOM H2
(106)
ANNÉES 1870
Il faudra attendre 1872 pour disposer d'une nouvelle
estimation de population pour l'ensemble des Marquises, celle du
Résident, Eyriaud des Vergnes (15). Entre temps Nuku Hiva et Ua
Pou auront vécu
un
drame
démographique
Société des
Études
comme peu
Océaniennes
d'îles de la
�17
Polynésie française en ont connu si ce n'est Rapa à la même
époque. Un navire, le Diamant, rapatriant des Polynésiens, dont
des Marquisiens, enlevés par les Péruviens, arrive à Nuku Hiva en
1863 et y débarque ses passagers atteints de variole. L'épidémie se
répand rapidement à Nuku Hiva et à Ua Pou. Il y eut environ
960 morts à Nuku Hiva soit la moitié de la population, et 600 à Ua
Pou soit les deux tiers de la population en six mois. Ua Huka et le
groupe Sud-Est ne furent heureusement pas touchés. Le dénom¬
brement de 1872 (tableau 6) réalisé par Eyriaud des Vergnes pose
un certain nombre de
problèmes, le premier étant celui de la
population de Ua Huka : 19 habitants. Il ne peut s'agir d'une erreur
de typographie puisque le total est cohérent. Jouan, en 1890 (16),
suggère que ce chiffre est dû à une migration de courte durée vers
les îlots habituellement inhabités de Eiao et Hatutu pour la pêche
ou pour tout autre motif. Rollin
(17), lui, corrige le chiffre sans
explication et le ramène à 190. Nuku Hiva pose également des
problèmes avec une population qui paraît singulièrement élevée :
1 560 habitants alors que l'épidémie de variole l'avait ramenée à
998 en mars 1864 (18). Il en est de même pour Ua Pou. Un autre
dénombrement, moins connu mené en 1875 par le Résident
Eggiman, semble plus fiable que le précédent avancé par Eyriaud
des Vergnes. Me Arthur (19) cite le rapport daté du 26 janvier
1875, conservé
aux
Archives Nationales Section Outre-Mer. Il
existe par ailleurs aux Archives Territoriales de Polynésie une série
de six tableaux intitulés "Recensement de la population à l'époque
du 1er janvier 1875" concernant les six îles habitées des Marquises
et dont les résultats diffèrent légèrement de ceux du rapport du
26 janvier, mais qui donnent des renseignements précieux sur la
façon dont la collecte a été réalisée. Ces tableaux distinguent les
différents groupes ethniques : Marquisiens, Océaniens, Chinois,
Européens et assimilés (le tableau 7 présente les résultats de ce
recensement). Les annotations portées dans la colonne observa¬
tion, témoignent de la difficulté à mener un recensement en ce
troisième quart du XIXe siècle aux Marquises. Pour quatre îles, Ua
Huka, Tahuata, Fatu Hiva, et surtout Hiva Oa, où règne une
insurrection, Eggiman nous dit "qu'il n'est pas encore possible de
procéder à un recensement complet et détaillé. Ce travail sera à
entreprendre aussitôt que notre autorité fort contestée par les
naturels sera bien assurée aux Marquises", et en attendant il a
recours aux missionnaires pour fixer un effectif global des
Marquisiens, pour ces îles. Par contre à Ua Pou et à Nuku Hiva,
les tableaux fournissent pour les Marquisiens comme pour les
autres groupes ethniques le nombre d'enfants en dessous de 14 ans
par sexe et la situation matrimoniale des plus de 14 ans.
Société des
Études
Océaniennes
�Tableau 6
La population en 1872
:
Date
1872
1872
NUKU HIVA
1560
1560
UA POU
900
900
UA HUKA
19
190
HIVA OA
3015
3045
TAHUATA
301
301
FATU HIVA
250
250 (?)
MARQUISES
6045
6246
Source
Eyriaud des
Vergnes
L'Archipel des
Iles Marquises
1877 p. 37
Eyriaud des
Vergnes
Tableau 7
:
La population en
cité par
Rollin 1927
1875
1-1-1875
1-1-1875
1-1-1875
Marquisiens
Population totale
Population totale
NUKU HIVA
948
1064
1045
UA POU
290
302
302
UA HUKA
250
254
254
Date
HIVA OA
3510
3551
3547
TAHUATA
459
463
463
FATU HIVA
400
401
401
MARQUISES
5857
6035
6012
Source
Recensement de
Recensement de
Eggiman
Rapport sur la
_
1er
population
la
population
à l'époque du
la
situation...
à l'époque du
1
janvier 1875
Archives territoriales
er
ANSOM A103 (20)
janvier 1875
Archives territoriales
Les missionnaires et
Observation
les fonctionnaires sont
exclus pour
Nuku Hiva
et Hiva Oa.
Société des
Études
Océaniennes
�19
LA FIN DU XIXe
SIÈCLE
En
1882, Clavel, médecin sur le Hugon (navire réalisant
pendant six mois des travaux hydrographiques aux Marquises)
visite toutes les îles et la plupart des baies. Nous sommes deux ans
après la pacification du groupe Sud-Est et l'administration civile se
met en place. Aussi, "grâce à l'obligeant concours des fonction¬
naires" Clavel peut faire le recensement de la population indigène
qu'il classe par sexe (20).
Tableau 8
:
La population
marquisienne
en
1882
Date
début 1882
NUKU HIVA
980
UA POU
376
UA HUKA
189
HIVA OA
2161
TAHUATA
520
FATU HIVA
639
MARQUISES
4865
Source
Clavel
La
aux
dépopulation
îles Marquises
1884
Sept ans plus tard, Marestang, le chef de service médical des
Marquises nous donne de même la population indigène par sexe
(21) pour 1889. Un "tableau détaillé de la population de l'archipel
des Marquises pendant l'année 1890" retrouvé au Service des
Archives Territoriales nous fournit la population de chacune des
dix circonscriptions au 31 décembre 1889 et au 31 décembre 1890 ;
et pour cette dernière date, le détail par statut matrimonial et pour
Société des
Études
Océaniennes
�20
les
célibataires,
ceux en
dessous et ceux
en
dessus de 14
ans.
Il
ne
s'agit probablement pas des résultats d'un recensement mais plutôt
d'une tabulation après remise à jour de la matricule établie lors de
la mise en place de l'état civil.
Tableau 9
:
La population en
Date
1889-1890
1889
31-12-1889
31-12-1890
Indigènes
Population
Population
totale
totale
NUKU HIVA
777
862
750
UA POU
353
346
378
UA HUKA
172
170
180
HIVA OA
2112
2470
2186
TAHUATA
443
450
FATU HIVA
615
631
445
577
MARQUISES
4472
4929
4516
Source
Marestang
1892
tableau détaillé
tableau détaillé
de la
de la
population
population
Archives
Archives
territoriales
territoriales
p.360
Il est nécessaire de tenir compte
de l'avertissement de Tautain
(1898) à propos de ces chiffres de population donnés au 31
décembre de chaque année. Si les naissances et les décès sont bien
enregistrés, les migrations le sont beaucoup moins et les risques de
double
enregistrement sont nombreux.
LE RECENSEMENT DU 30 JUIN 1897
Il
s'agit d'un des premiers vrais recensements réalisés aux
Marquises. Le tableau résumé publié dans l'annuaire des E.F.O.
pour 1898 page 190, ne distingue pas les différentes îles et indique
Société des
Études Océaniennes
�21
population totale de 4 279 personnes pour l'archipel. D'autres
publiées ou manuscrites nous donnent le détail par île et
même par vallée. Ces sources, qui sont au nombre de quatre, ne
une
sources,
sont pas
—
toutes cohérentes entre elles
:
Von den Steinen
(22), dans son ouvrage sur l'art marquisien,
population en 1882 et en 1897, vallée par vallée. Il y
comprend les étrangers, dont il indique les effectifs, mais exclut
les 84 personnes constituant la population comptée à part
(troupe, prisonniers, pensionnaires et religieux).
Un fascicule manuscrit intitulé : "Iles Marquises. Recensement
de la population année 1897 - Récapitulation" est conservé au
donne la
—
Service des Archives Territoriales.
—
—
Les listes mêmes du recensement de 1897 pour
conservées par ce même service.
les Marquises
Un tableau intitulé
: "Recensement de la population des E.F.O.
30 juin 1897", conservé aux Archives Nationales Section
Outre-Mer sous la cote A 146.
au
Tableau 10
•
ta population en 189"
Dale
30 join
1897
30 join
1897
Population
Population
30
juin 1897
totale
totale
Population
municipale
NUKU HIVA
699
694
642
30 join
1897
30
join 1897
Population
Population
totale
totale
699
L'A POU
307
309
306
UA HUKA
355
173
353
HIVA OA
2093
2136
2026
2043
307
179
179
TAHUATA
356
436
353
356
FATU HIVA
519
525
515
519
MAtQUISES
4279
4273
4195
Source
Iles Marquises
Recensement de
Recensement
Recensement de
la
population
la
population
in
-
des E.F.O.
-
von
manuscrit
ANSOM
Service des
A146 (20)
den Steinen
1969
manuscript
Recapitulation
4103
Iles Marquises
Recensement de
la
population
-
liste nominative
Notre tableau
corrigé
par
exclusion des
déportés des ISLV
Service des
Archives
territoriales
Archives
territoriales
Observation
Les
déportés des
ISLV à Ua Huka
Les déportés des
Les déportés des
ISLV à Ua Huka
ISLV à Ua Huka
sont inclus.
sont
exclus
sont
inclus.
mais le total pour
La population
Marquises est
voisin du précédent.
comptée à part est
les
Les déportés des
ISLV à Ua Huka
ont
notre
été exclus de
dépouillement.
exclue.
Le premier problème est celui de la présence à Ua Huka,
depuis le début de l'année 1897, de déportés : rebelles des îles Sousle-Vent et en particulier de Raiatea, accompagnés de leur famille.
Ils ne retourneront aux îles Sous-le-Vent qu'en 1900. Deux
sources, Von don Steinen et la récapitulation des Archives Territo-
Société des
Études
Océaniennes
�22
arrivent tous
population totale de 4 279 personnes pour les
Marquises (1). Le manuscrit conservé aux Archives Nationales ne
compte pas ces déportés à Ua Huka, mais il arrive à un chiffre,
4 273 habitants. En effet, les effectifs de deux îles du groupe SudEst, Hiva Oa et surtout Tahuata, sont plus élevés que ceux des
sources précédentes. Nous n'avons pas pu trouver d'explication à
ces différences. Il nous a paru préférable de tenir compte des deux
premières sources von den Steinen et la récapitulation, tout en les
corrigeant de la présence des déportés et de leur famille, 176 per¬
sonnes, que nous avons dénombrés sur la liste nominative de
riales, intègrent les déportés à la population globale et
deux à
une
Ua Huka.
LA
PREMIÈRE MOITIÉ DU XXe SIÈCLE
période est importante pour les îles Marquises puisque
la dépopulation s'arrête et que les premiers
signes de reprise démographique s'annoncent. Une série de
recensement a lieu entre 1902 et 1941 à des intervalles plus ou
moins réguliers. A partir de 1921 ces recensements sont quin¬
quennaux. Nous ne retiendrons ici que les recensements pour
lesquels on dispose de données île par île (tableau 11).
Cette
c'est à
Tableau 11
:
ce
moment que
La population pendant la 1ère
Date
moitié du XXéme Siècle
39/6/1982
29/12/1911
1/7/1921
1/7/1931
3/5/1936
Population
Population
Population
Population
Population
totale
totale
totale
totale
totale
NUKU HIVA
682
552
646
272
262
528
306
671
UA POU
370
460
UA HUKA
184
186
173
130
126
HIVA OA
1658
1406
914
692
737
253
TAHUATA
332
369
258
230
FATU HIVA
434
349
221
189
181
MARQUISES
3562
3124
24RR
2282
2483
Source
Valenziani
Annuaire des E.F.O.
Valenziani
Valenziani
Valenziani
1940 p. 179
1940 p. 179
1940 p.179
1940 p. 179
pour
-
1914
p.35-36
De tous ces recensements n'étaient en général publiés qu'un ou
deux tableaux où seules les données globales pour l'archipel des
Marquises apparaissaient. C'est grâce aux longues recherches
faites par C. Valenziani à la fin des années 1930 dans les archives
du gouvernement que certains dossiers ont pu être retrouvés et
dépouillés afin de connaître la population de chaque île.
"Malheureusement beaucoup de dossiers avaient disparu ou
étaient incomplets" (23). Nous avons pu retrouver dans la notice
Société des
Études
Océaniennes
�23
géographique de l'annuaire des E.F.O. pour 1914, pages 35 et 36,
une série d'effectifs de
population pour chaque île. Ceux de Nuku
Hiva et d'Hiva Oa sont identiques à ceux que Valenziani avait pu
retrouver pour 1 911 et les autres permettent de combler la lacune
de son information. Le total obtenu pour les Marquises : 3 124 est
très peu différent du total officiel du recensement de 1911 : 3 116.
LA SITUATION ACTUELLE
Avec le recensement de 1946 s'amorce l'ère des recensements
modernes pour
lesquels sont publiés de très nombreux tableaux
statistiques croisant les diverses variables (tableau 12).
Tableau 12
:
La
population actuelle
Date
Join-1946
18/9/1951
9/11/1962
Population
Population
Population
totale
NUKU HIVA
1967
Population
8/2/1971
29/4/1977
15/18/1983
Population
Population
Population
totale
totale
totale
totale
totale
totale
737
808
1235
1349
1491
1484
1797
UA POU
684
730
1232
1414
1590
1563
1791
UA HUKA
190
219
348
359
358
350
476
HIVA OA
836
884
1086
1092
1115
1159
1522
TAHUATA
305
329
525
565
610
477
555
FATU HIVA
224
289
412
459
429
386
407
MARQUISES
2976
3259
4838
5238
5593
5419
6548
Source
Bulletin mensuel
Bulletin mensuel
INSEE
Dénombrement
Service du
INSEE-FIDES
INSEE
de Statistique
de Statistique
Service des
plan
d Outre Mer
d Outre Mer
Affaires
Administratives
Le tableau 12
qui présente cette série de recensement témoigne
reprise démographique dans toutes les îles
après la seconde guerre mondiale, même si certaines en profitent
mieux que d'autres. Dans les années 1970 on observe néanmoins
une stagnation de la population des grandes îles et un déclin plus
de l'accélération de la
accentué à Tahuata et à Fatu Hiva. Ce recul dans la croissance
démographique est dû
au mouvement migratoire vers Tahiti qui
des années 1960 avec l'installation du CEP
et les mutations de l'économie de la Polynésie française. A la fin de
la dernière décennie, ces migrations diminuent ou tout au moins
s'est accentué
sont
vers
un
au cours
des migrations en sens inverse de Tahiti
Marquises. Entre 1977 et 1983 les îles Marquises ont connu
contrebalancées par
les
taux
d'accroissement très voisin de celui de l'ensemble du
territoire.
Le recensement qui va être réalisé cette année permettra de
savoir si ce renversement des tendances migratoires se confirme.
François SODTER
ORS TOM
Société des
Études
Océaniennes
-
Tahiti
�24
NOTES
:
titre : "La dépopulation aux îles
Marquises" respectivement de Clavel (1884), Jouan (1890) et Marestang(1892) ainsi que
l'article de Tautain (1898) intitulé "Etude sur la dépopulation de l'archipel des
Marquises".
Valenziani, 1940.
Clairin, 1972.
Schmitt, 1979.
Crook, 1799, p. CLXV.
Rallu, 1986, p. 80.
Thomson, 1980, pp. 7-8.
Rapport adressé au Ministre de la Marine et des Colonies par le Capitaine de frégate
Collet, 1er août 1844. ANSOM, Fonds Océanie, A 30 (5).
Lettre d'A. Fournier, Capitaine de vaisseau, Commandant particulier aux Marquises,
au Ministre de la Marine et des Colonies, 10 janvier 1848. ANSOM, Fonds Océanie,
(1) On peut ainsi citer trois articles portant le même
(2)
(3)
(4)
(5)
(6)
(7)
(8)
(9)
A 43 (12).
(10) Lettre de Page, Chef de division, Commissaire de la République près les îles de la
Société, au Ministre de la Marine et des Colonies, 10 février 1853. ANSOM, Fonds
Océanie, A 43 (12).
(11) Capitaine de frégate Levêque, ex-Commandant du poste de Taiohae ; Quelques notes
sur Nouka-Hiva et son état au 26 juin 1854. ANSOM, Fonds Océanie, A 43 (12).
(12) Jouan, 1858.
(13) Jouan, 1890, p. 195.
(14) Tableau de la situation religieuse des lies Marquises. Saisset, Gouverneur,
1er novembre 1858. ANSOM, Fonds Océanie H 2 (106).
(15) Eyriaud des Vergnes, 1877.
195-196.
64.
(18) Messager de Taïti, Papeete, 19 mars 1864,
(19) Me Arthur, 1968, pp. 289-290.
(16) Jouan, 1890,
pp.
(17) Rollin, 1929,
p.
(20) Clavel, 1884.
(21) Marestang, 1892, p. 360.
(22) Steinen (von den), 1969,
(23) Valenziani, 1940, p. 180.
pp.
p.
50.
13-14.
BIBLIOGRAPHIE
(R.) - 1972 - La population de la Polynésie
Paris, n° 4-5, juillet-octobre 1972, pp. 703-727.
CLAIRIN
française. Population,
(C.) - 1884 - La dépopulation aux îles Marquises. Bulletin de la Société
d'anthropologie de Paris, 3e série, t. 7, pp. 490-500.
CLAVEL
CROOK (W.P.) - 1799 - (An account of the Marquesas islands
visit of the Rev. W.P. CROOK to those islands, June 27,
dealing with the
1797 to Jan. 8,
1799) in : G.M. Sheahan, Marquesan source material. L'auteur, Quincy,
Mass., ronéo., pp. CXIV-CLXXXIII.
- 1840 - Voyage autour du monde sur la frégate la
pendant les années 1836-1839. Gide, Paris, vol. 2.
DUPETIT-THOUARS (A.)
Vénus
Société des
Études
Océaniennes
�25
EYRIAUD DES VERGNES
Berger-Levrault, Paris, 98
JOUAN
(H.)
-
1858
-
(P.-E.)
-
1877
-
L'archipel des lies Marquises.
p.
Archipel des Marquises. Paris, impr. de P. Dupont, 1858,
110 p.
JOUAN
(H.) - 1890 - La dépopulation
impr. Le Maout, 1890, 24 p.
aux
Iles Marquises (Océanie). Cherbourg,
Me ARTHUR
(N.) - 1968 - Island Population of the Pacific. Australian National
University Press, Canberra, University of Hawaii Press, Honolulu, 381 p.
MARESTANG
(M.) - 1892 - La dépopulation aux Iles Marquises. Revue
Scientifique, Paris, 3e série, t. 23, 18 mars 1892, pp. 360-366.
MORRISON
RALLU
(J.)
(J.-L.)
1966
-
Journal de James Morrison. S.E.O., Papeete, 201 p.
1986 - Les terribles crises démographiques en Polynésie
Encyclopédie de la Polynésie. C. Gleizal / Multipress, Tahiti,
6, chap. 5, pp. 80-81.
Orientale in
vol.
-
:
RECENSEMENTS
1946
Résultats du recensement dans les territoires d'Outre-Mer. Etablissements
-
Français d'Océanie.
1ère
partie : Population Océanienne. Bulletin mensuel de statistique d'Outre-Mer,
Supplément série "Statistique" n° 11, INSEE, Paris, 1950.
2ème partie : Français d'origine métropolitaine et étrangers. Bulletin mensuel de
statistique d'Outre-Mer, Supplément série "Statistique" n° 12, INSEE, P'aris,
•1950.
1951
- Résultats du recensement de 1951 - Territoires d'Outre-Mer, 4ème
partie :
Océanie. Bulletin mensuel de statistique d'Outre-Mer, INSEE, Paris, 1954.
1956
République Française, Territoire de la Polynésie française, recensement
général de la population (décembre 1956). Service de statistique chargé des
relations et de la coopération avec les Etats d'Outre-Mer, Paris, 1960.
1962
Résultats statistiques du recensement général de la population de la
Polynésie française effectué le 9 novembre 1962. INSEE, Paris, 2 vol.
1967
Résultats du dénombrement de la population effectué
française, Service des affaires administratives, ronéo.
1971
-
-
-
-
en
1967. Polynésie
Polynésie française, recensement du 8 février 1971, données individuelles.
plan, statistique.
Service du
1977
Résultats du recensement de la population
29 avril 1977, INSEE, FIDES, Paris.
1983
Résultats du Recensement de la Population dans les Territoires d'OutreMer, Polynésie française, 15 octobre 1983. INSEE, Paris, avril 1984.
de la Polynésie française,
-
ROLLIN (L.) - 1929 - Les
maritimes et coloniales,
Iles Marquises. Société d'éditions géographiques,
Paris, 333 p.
SCHMITT
(R.C.) - 1979 - La transcription incorrecte des estimations de
population de Polynésie Centrale. BSEO, Papeete n° 207, t. XVII, n° 8,
pp. 477-484.
Société des
Études
Océaniennes
�26
(K. von den) - 1969 - Die Marquesaner und ihre Kunst ; Band 1,
Tatauierung. Hacker art books, New York, 199 p.
STEINEN
TAUTAIN
(L.F.) - 1898 - Etude
Anthropologie, Paris, t. 9,
sur
pp.
la dépopulation de l'archipel des Marquises.
298-317, 418-436.
- 1980 - The Marquesas islands - their Description and Early
History by Reverend Robert Thomson (1816-1851). Edité par Robert D.
Craig, The Institute for Polynesian Studies, Laie, 1980, 83 p.
THOMSON (R.)
VALENZIANI
(C.)
-
Renaissance démographique en Océanie française.
lo Studio dei Problemi della Popolazione, Rome,
Comitato Italiano per
216 p.
(C.A.) et DESGRAZ (C.L.F.)
Nouka-Hiva. A. Bertrand, Paris, 363 p.
V1NCENDON-DUMOULIN
Marquises
ou
VINCENDON-DUMOULIN
A. Bertrand,
(C.A.) et DESGRAZ (C.L.F.)
Paris, 2 vol.
Société des Etudes Océaniennes
-
-
1844
1843
-
-
lies
Iles Tafti,
�27
L'IMPLANTATION
L'ÉGLISE CATHOLIQUE
DE
DANS L'ILE DE TAHITI 1836-1914
Lorsqu'ils évoquent l'histoire de l'implantation du catholi¬
cisme en Polynésie Orientale, les historiens s'intéressent tout
d'abord à la conversion spectaculaire de l'archipel mangarévien.
L'œuvre accomplie aux Marquises par les missionnaires catho¬
liques, dans des circonstances particulièrement difficiles, a été
également relatée dans de nombreux documents. L'épopée des
Tuamotu, bien que moins connue, a cependant fait l'objet de
plusieurs publications, tant les conditions de vie des prêtres chargés
de cet archipel furent exceptionnelles.
Dans ces archipels, où le catholicisme est largement majori¬
taire, il est normal que l'on se soit soucié d'étudier l'une des
composantes essentielles de la vie sociale.
Il
en va
la Société
différemment pour les autres groupes d'îles, que ce soit
les Australes. On objectera qu'aux îles Sous-le-Vent,
Tubuai (archipel regroupant les îles situées autour de
ou
comme aux
Tubuai), seules de petites minorités catholiques ont vu le jour. L'île
présente un profil identique, bien que déjà différent : le
dynamisme de certaines paroisses catholiques y est remarquable.
de Moorea
En
qui concerne Tahiti, la situation est toute autre. Si les
catholiques, sont minoritaires, ils n'en constituent pas moins de
40% de la population (1). Par le nombre, c'est la première
communauté catholique de toute la Polynésie Française. C'est
dans cette île que réside l'archevêque de Papeete ; c'est là que l'on
trouve la plupart des écoles et collèges confessionnels.
1
-
ce
Ravault F. (ss la direction), "Vivre en
Française", vol. 8,
comme
catholique
p.
Polynésie", in "Encyclopédie de la Polynésie
72 "39 à 42 % de la population totale des îles du Vent se considère
en
1986".
Société des
Études
Océaniennes
�28
Autant de raisons
qui nous ont semblé suffisantes
les premiers missionnaires catholiques
accomplie, jetant les bases des paroisses actuelles.
retracer l'œuvre que
pour
y ont
Tahiti, bastion de la L.M.S.
Il est difficile de donner aujourd'hui une idée de l'impact
extraordinaire qu'eurent en Europe la publication des journaux de
voyage des premiers Européens ayant débarqué à Tahiti, au
XVIIIème siècle. Mais si les philosophes, à la suite de Diderot,
s'enflamment pour les insulaires des Mers du sud et leur (prétendu)
mode de vie, le même engouement, la même curiosité, pour des
motifs diamétralement opposés, se manifestent à Paris comme à
sein des Églises. Il faut convertir ces peuples. Des
se créent : la London Missionary Society
(L.M.S.) envoie, dès 1796, un navire, le Duff et 18 missionnaires,
qui, à partir de 1815, christianisent l'île et en font un bastion du
protestantisme, qui leur permet de rayonner dans les archipels
Londres,
au
sociétés missionnaires
environnants.
On peut
être surpris, en cette époque de rivalité religieuse très
âpre, de l'absence de réaction à cette implantation réussie du
protestantisme. De fait, après la première tentative espagnole des
Franciscains, à Tautira, aucun missionnaire catholique ne se
présente à Tahiti. L'Espagne, définitivement absente du Pacifique,
après son expulsion d'Amérique Latine, n'est plus capable de jouer
aucun rôle. Or en France, sous le coup des mesures révolution¬
naires de 1792, l'Église catholique est complètement désorganisée.
C'est
en
pleine tourmente anti-religieuse qu'un jeune prêtre, le
Coudrin, fonde pourtant la congrégation des Sacrés Cœurs de
Jésus et deAlarie (dits de Picpus, ou SSCC), approuvée en 1817
par Rome, soit deux ans après la Restauration. Cette société
se veut missionnaire et demande à la Papauté un terrain de
mission. En 1825, le pape Léon XII offre l'archipel d'Hawai'i, où
les premiers missionnaires arrivent en 1827. Trente ans se sont
P.
donc écoulés
depuis l'installation de la L.M.S. à Tahiti (2).
Or l'organisation ecclésiastique de cette partie du monde va
connaître de nombreuses difficultés et ce n'est qu'en 1830 qu'est
créée une Préfecture Apostolique de l'Océanie Orientale, confiée à
Mgr Rouchouze, SSCC. Celui-ci n'oublie pas que les îles Sandwich
2
-
Voir
the
sur
l'implantation du catholicisme
roman
en
catholic Church in Oceania",
Océanie
:
Wiltgen R.M., "The Founding of
1825-1850, Australia National University
Press, 1979, 610 p. A lire aussi du P. P. Hodée, "Tahiti, 1834-1984",
Paul, 1983, 702 p.
Ed. St
Société des Etudes Océaniennes
Paris-Frihourg,
�29
(Hawai'i) constituent l'essentiel de sa mission. Mais en 1831, ses
sont expulsés de l'archipel, sous l'action des
protestants américains.
missionnaires
Où envoyer la seconde équipe picpucienne qui
débarque à
Valparaiso ? D'elle même, celle-ci va fixer les deux grandes
orientations futures : la Polynésie Orientale avec les Gambier et
l'Amérique du sud occidentale. Donnée essentielle pour l'évangélisation de la Polynésie : la Congrégation est, par ses propres
membres, détournée de son but premier, puisque l'Amérique
Latine nécessite l'envoi de nombreux sujets et exige de lourds
sacrifices financiers. Les résultats sont à la hauteur : les Picpuciens
s'implantent au Chili, au Pérou. Mais les îles manquent dès lors de
personnel. C'est là une constante de l'implantation picpucienne en
Polynésie.
L'Océanie orientale demeure
malgré tout l'objectif essentiel,
puisque c'est cette région qui est confiée aux Sacrés-Cœurs par
Rome. Ceux-ci remplissent leur mission : en 1834, les P. Caret et
Laval sont à pied d'oeuvre dans le petit archipel des Gambier (3).
Le vif succès qu'ils rencontrent (en 1838, Mangareva est considérée
comme convertie) est un
encouragement pour Mgr Rouchouze à
poursuivre son action en direction des autres îles polynésiennes.
Premiers essais
En 1835, le frère Colomban Murphy est donc envoyé à Tahiti,
mission exploratoire. Il tombe immédiatement sous le coup
d'une mesure d'expulsion, selon la loi interdisant aux Étrangers de
se fixer dans l'île. En fait, les représentants de la L.M.S. se servent
d'un arrêté destiné aux bagnards et autres "beachcombers"
indésirables. Murphy quitte l'île, non sans noter que l'on "peut y
en
être reçu
terres
d'une autre manière, c'est lorsqu'un chef vous donne des
bâtir une maison". Cette information ne sera pas
pour
perdue.
Dès 1836, deuxième tentative plus sérieuse : celle des P. Caret
Tautira fait bon accueil aux deux religieux. Le consul
et Laval.
Moerenhout les
reçoit. Mais le 12 décembre 1836, arrêtés par
mutoi, les prêtres sont à leur tour expulsés, sans violence et
sans ménagement ! (4)
7
...
3
-
4
-
Voir R. P. Laval, "Mémoires pour servir à l'histoire de Mangareva, ère chrétienne",
introduction de C.W. Newbury et R. P. O'Reilly, Soc. des Océanistes, n° XV, 1968,
672 p.
ces événements se trouve dans Jore, "L'Océan Pacifique au
de la Restauration et de la Monarchie de Juillet", tome II, 1959. Voir aussi
Faivre, "L'Expansion française dans le Pacifique, 1800-1842", Ed. Latines, 1953.
La meilleure relation de
temps
J.P.
Société des
Études
Océaniennes
�30
On note dans les mois
(année 1837) qui suivent, le passage de
prêtres. C'est tout d'abord, une seconde tentative
d'implantation des P. Caret et Maigret, vouée à l'échec. Puis
viennent le frère Murphy (juillet), le frère Bondu (août),
Mgr Pompallier et ses missionnaires maristes, et deux picpuciens
Maigret et Murphy (septembre) et enfin le P. Short (décembre).
nombreux
Ceci
ne
débouche
sur
aucune
action.
Pourquoi
ces passages
successifs ?
Il est manifeste
qu'en
ces
années de rivalité forcenée entre les
missions protestantes et catholiques, l'affrontement est de règle. Il
est alors tout bonnement inconcevable pour Mgr Rouchouze
d'abandonner ne serait-ce qu'une infime partie de son vicariat entre
les mains "des hérétiques" comme il nomme les protestants. Qu'il y
politique de bravade à l'égard de la L.M.S. n'est pas du tout
impossible. Mais peut-être aussi ne faut-il voir là que pragmatisme.
On oublie en effet que les liaisons maritimes en Océanie en
cette première moitié du XIXème siècle sont particulièrement
aléatoires ! Comment établir des liaisons régulières entre
Valparaiso et Mangareva, liaisons vitales pour la mission ? Cela ne
se peut qu'en passant par le seul point d'escale régulièrement
fréquenté : Tahiti. Tahiti seule est desservie, non par des lignes
régulières (!), mais par toutes sortes d'embarcations qui permettent
de rejoindre soit l'Amérique, soit Hawai'i, où les missionnaires
catholiques, et surtout l'évêque, ont à se rendre fréquemment. La
disparition en mer du préfet apostolique Bachelot (1837) oblige
plus que jamais Mgr Rouchouze à se déplacer souvent. L'implan¬
tation aux îles Marquises, qu'il décide en 1838, exige aussi des
moyens de communication. Comment joindre cette nouvelle
position ? Il faut, pour des raisons purement pratiques disposer
d'une escale à Tahiti. Ceci est vital pour l'organisation de la
préfecture apostolique. Le 3 janvier 1841, alors qu'il part pour
l'Europe, l'évêque n'a pas clairement exprimé quelle politique il a
choisie. On peut seulement affirmer qu'il n'aurait jamais accepté de
renoncer à Tahiti, pour des raisons de principe, ou de commodité.
Or des événements graves se sont produits au cours des années
1838-1839. Expulsés de Tahiti par le gouvernement local, les
missionnaires français demandent réparation à leur gouvernement.
Avec les délais que l'époque implique, le gouvernement de LouisPhilippe envoie Dupetit-Thouars réclamer, pour tous les citoyens
français, la libre circulation des personnes dans le royaume des
Pomare. Le 29 août 1838, Dupetit-Thouars exige et obtient
réparation, dont notamment 2 000 piastres pour "servir à
indemniser Mrs Laval et Caret du dommage que la conduite tenue
ait
Société ties
Études
Océaniennes
�31
leur
occasionné". Un traité
est signé qui autorise tous
profession à aller et venir
librement dans
s'y établir et à commercer.
L'arrivée de Dumont d'Urville et de ses deux navires à Papeete
accentue encore la pression française (5). Cependant,
lorsque le
commandant Cécile, sur l'Héroine, arrive en novembre, le culte
catholique demeure interdit. N'ayant pas reçu d'instructions,
envers eux
les
a
Français, quelle
que soit leur
tout le royaume, à
Cécile n'intervient pas.
Par contre, le commandant
l'Artémise, est
ceci rentre "dans la
volonté de faire cesser les vexations dont sont l'objet des Français,
inspirées par des influences étrangères". Cette intervention
débouche sur le traité du 22 avril 1839 : cette fois, les Picpuciens
envoyé à Tahiti
ont
pour
Laplace,
exiger la liberté de culte
sur
:
la voie libre.
La "Monarchie de Juillet ne marchande pas son aide aux
missions". Surtout la Marine française qui s'empare de cette
querelle religieuse
pour la transformer en rivalité franco-anglaise.
Sans nul doute, les commandants français étaient ravis de battre en
brèche l'autorité des pasteurs de la L.M.S., ne doutant pas, de plus,
que "leurs missionnaires"
service de leur politique.
Ce
mettraient leur autorité morale future au
qui
frappe immédiatement, c'est la passivité de
: il n'entreprend aucune action après la signature
des traités ! En fait, il faut rappeler que la même intervention
musclée à rouvert les Hawai'i, ce qui permet aux Picpuciens de
reprendre pied dans l'archipel. Ayant lancé la mission des
Marquises, devant assurer à cette époque une forte présence à
Mangareva, où de vastes projets de construction sont en cours, il se
trouve tout simplement que l'évêque est dépourvu de sujets. C'est
d'ailleurs ce qui le détermine à entreprendre à cette date un vaste
voyage en Europe, dont on sait qu'il ne reviendra pas, disparais¬
sant en mer lors du voyage de retour, avec plus de 30 mission¬
naires picpuciens !
Mgr Rouchouze
La
politique d'implantation du P. Caret
C'est au P. Caret, provincial, de prendre, en l'absence de son
supérieur, des décisions lourdes de responsabilité. Mais Caret a
alors juridiction sur les seules Marquises, le P. Liausu ayant chargé
des Gambier et Hawai'i étant placé sous la direction du P. Maigret.
Ce n'est donc qu'à contrecœur que ce prêtre va être amené à
prendre des décisions pour lesquelles il n'a pas vraiment autorité.
5
-
Couturau C., "Dumont
d'Urville
Société des
et
la Polynésie", B.S.E.O. n° 242, 1988, p. 9/34.
Études
Océaniennes
�32
Marquises, l'implantation marque le pas. Le petit noyau
baptisés à Ua Pou doit être abandonné. C'est là que les
P. Caret et Fournier assistent au pillage de tous leurs biens. Or,
Nuku Hiva vient d'être abandonnée "provisoirement". Il ne reste
que le seul poste de Tahuata, tenu par les P. Borgella et Baudichon.
Il faut bien se résigner : c'est un échec.
Alors qu'il séjourne encore à Ua Pou, le P. Caret reçoit le
P. Colomban Murphy qui le presse d'intervenir à Tahiti, "disant
qu'il avait la connaissance certaine que l'on voulait nous fermer la
porte de cette île" (6). Seul capable de s'exprimer en marquisien, le
P. Caret ne peut se résoudre à y laisser le P. Fournier qui de plus
"s'y déplaît à mort".
On imagine dans quel embarras est plongé ce missionnaire !
Finalement, il décide d'envoyer le P. Chausson, nommé supérieur,
accompagné du P. Murphy et du Fr. Nil Laval. Caret écrit à son
supérieur : "je puis vous assurer qu'il m'en coûta beaucoup
d'envoyer ces deux pères seuls sans les accompagner, les
connaissant l'un et l'autre. Aussi depuis leur départ, je ne cessai
d'être inquiet sur le résultat de leur apparition à Tahiti" (7). Le
P. Guilmard, malade, accompagne les missionnaires, le 9 août
AuX
de 7
1841. Les craintes du P. Caret semble
se
confirmer dans la
mesure
où les hommes
envoyés se montrent maladroits. Ils réclament haut
terrain que la reine Pomare Vahine IV a promis au
commandant Laplace de donner aux religieux. Ils rendent
fort
et
un
de leurs déboires le consul de France, J.A.
(8). Considéré comme leur meilleur allié, les
missionnaires ne tardent pas à se brouiller avec lui. En fait le
consul s'est engagé dans de subtiles tractations avec certains grands
chefs en vue d'établir le protectorat de la France sur le royaume des
Pomare. Il ne voit donc pas d'un bon œil ces missionnaires,
d'autant qu'il semble s'être engagé auprès des Tahitiens à ce "qu'il
ne viendrait pas de missionnaires catholiques à Tahiti de
longtemps" (9). Bref les missionnaires compliquent par leurs
revendications intempestives, une situation déjà confuse.
responsable
Moerenhout
Le 22 novembre
1841, le P. Murphy (accompagné du Fr.
Laval, malade) part pour Valparaiso y rencontrer le capitaine de
vaisseau Buglet. Le supérieur du Chili, le P. Doumer, juge
6
-
Propos rapportés par le R. P. Cools, dans sa publication annotée du "Journal en
éphémérides du R. P. Fournier", Ar. Rome.
7
-
8
-
R.
Voir Jore,
P.
-vol. Il,
9
-
Sur la vie
et
Caret, Lettre à Mgr Bonamie, 4/1 /1842, Ar. Rome,
p.
59/7.
264.
l'œuvre de J.A. Moerenhout, voir la thèse de P. de Deckker (1983)
Bruxelles.
Société des Etudes Océaniennes
-
�33
sévèrement
ce voyage coûteux et
peu réfléchi. De plus, il écrit en
"La mission de Tahiti est bien à plaindre : les deux
pauvres prêtres, Murphy et Chausson, sont bien calomniés. Le
consul de France dans le Chili m'engageait à retirer ces deux ecclé¬
France
:
siastiques de Tahiti
dans de
d'être
avec
pour ne pas compromettre et engager la France
embarras. On accuse le premier de nos pères
et d'avoir une mauvaise tenue dans ses rapports
nouveaux
ivrogne
Indigènes... Divers capitaines... regardent
incapables d'occuper ce poste" (10).
un
les
comme
nos
pères
L'arrivée du P. Caret à Tahiti, le 31 décembre 1841, avec le
Fournier, tous deux contraints de fuir Ua Pou, modifie les
données. Homme de grande valeur, Caret va cependant se heurter
immédiatement à Moerenhout sur lequel il tient des propos très
durs : "Cet agent consulaire qui nous avait autrefois protégé, le
P. Laval et moi, est aujourd'hui notre plus
grand ennemi à Tahiti et
est entièrement vendu aux ministres
anglais. On assure qu'il a
promis à Mr Pritchard qu'il ne souffrirait que les missionnaires
s'établissent ici avant son retour. On ajoute que la société (de
Londres) lui a promis une somme considérable en cas qu'il tienne
parole" (11). Le P. Caret s'engage aux côtés de certains colons
français, dont Lucas, pour écrire des pétitions contre le consul de
France. Il demeure étranger à ce qui se trame alors, ou s'en
désintéresse, ne pensant qu'aux besoins de sa mission : l'octroi d'un
terrain. De son côté le P. Fournier écrit dans son journal : "L'on
nous met sous les yeux
quelques lettres de l'agent français qui
prouvent qu'il est l'ennemi le plus acharné qu'"aient ici notre
religion et tous les Français" (12). Le divorce est donc total entre
P.
les missionnaires et le consul.
La situation du P. Caret est pour
le moins délicate. Ne
de terrain, les missionnaires doivent en louer un : pas
moins de 12 piastres par mois, ce qui écorne douloureusement leur
maigre budget. Le découragement submerge peu à peu le
supérieur. De Mangareva, les nouvelles ne sont pas réconfor¬
tantes : "Le P. Laval et le P. Liausu ont quelquefois peine à
s'accorder". Il lui faudrait se rendre sur place. Mais il ne peut
trouvant pas
laisser
confrères seuls à Tahiti
"Le P. Saturnin
(Fournier)
soupire toujours après son départ pour France. Il ne travaille
même pas à apprendre la langue, convaincu d'avance qu'il ne
réussira pas. Le P. Armand (Chausson) a toujours le caractère
ses
:
10
-
R.
P.
Doumer
11
-
R.
P.
Caret, 4/1/1842, Ar. Rome, 59/7.
12
-
R.
P.
Fournier, in "Journal", Op. Cit., 3/1/1842.
(futur évêque)
au
Société des
T.R.P. Bonamie, 28/11 /1841, Ar. Rome, 114/2.
Études
Océaniennes
�34
extrêment enfant et convient peu
abondent" (13).
Le
P.
dans
une
île où les étrangers
pourtant à mieux comprendre les
enjeux politiques : "Il est probable que Tahiti va être colonisée par
les Français ou les Anglais, alors la mission n'en deviendra que
plus difficile et plus infructueuse, mais d'une importance majeure à
cause de sa
position centrale de l'Océanie. Est-ce la France qui va
l'emporter ? Quant à moi, je ne le crois pas encore, ni ne le désire
non plus, quoi qu'il soit plus agréable de voir Tahiti gouvernée par
les lois françaises que par l'arbitraire".
Caret
commence
Le retour du P. Murphy de Valparaiso, le 22 avril 1842, en
possession de tous les documents attestant le droit des mission¬
naires à revendiquer une terre, redonne quelque espoir. Encore ne
s'agit-il que du terrain promis par la reine Pomare, car en ce qui
la terre achetée à
concerne
un
Irlandais, W. Archibald, le 26
septembre 1841 (en fait une location de 99 ans), à Fafateiore, les
religieux ne parviennent pas à faire respecter l'acte établi. Le
passage du commandant du Bouzet, le 4 mai 1842, permet enfin de
débloquer ces précieux terrains : le 28 mai, la reine fait don
publiquement de la terre Tuareva, afin "d'y construire une maison
de prière, conformément à la promesse préalablement faite au
capitaine Laplace" (14).
Cette
période porte déjà en elle les dissenssions qui ne vont pas
d'éclater entre les autorités françaises et la mission
catholique. Mais ce qui domine encore est l'aide manifeste et
éclatante que les officiers français apportent aux Picpuciens. Les
démêlés avec le consul sont cependant déjà la preuve que les
intérêts des uns ne concordent pas forcément avec ceux des autres.
manquer
Premiers contacts
Tous
démêlés
juridiques n'empêchent pas les religieux
d'accomplir en partie leur œuvre de mission. Dès les premiers
jours, ils essayent d'établir des liens avec la population tahitienne.
Il se trouve alors qu'à Tahiti sévit une terrible épidémie : "A notre
arrivée à Tahiti, au mois d'août 1841, la petite vérole apportée de
Valparaiso par le "Don Quichotte" régnait dans ce pays et avait
déjà enlevé quelques personnes. L'épidémie progressant, le nombre
des victimes croissait aussi, si bien que dans un espace de deux
lieues, 220 personnes succombèrent. En cette conjoncture, un
13
-
R.
14
-
Cité in
P.
ces
Caret, 8/1/1842, idem.
"Journal du
R.
P.
Fournier", p.
90, déclaration de Pomare Vahine IV,
28/5/1842.
Société des
Études
Océaniennes
�35
conseil fut tenu entre nous et quelques personnes charitables afin
de venir au secours de ces malheureux. Il fut décidé que l'un des
prêtres irait à une demi-lieue du port soigner les malades que l'on
pourrait rassembler dans une cabane destinée à servir d'hôpital. Le
choix tomba sur le P. Armand. On commença à envoyer à l'hôpital
les secours de première nécessité : du pain, du riz, du vin,...". Le
père désigné raconte : "Rendu à l'endroit désiré, je trouvai les
malades hors de leur case dans de mauvaises huttes faites à la hâte,
sans aucun secours, exposés à toutes les
intempéries de l'air,
abandonnés par leurs parents eux-mêmes, au moins pour la
plupart. Je ne puis d'abord réunir que quelques malades dans mon
hôpital. Les autres se trouvaient sur le point de mourir ou trop
éloignés... Je suivais autant que possible les conseils des médecins
et comme j'avais appris à vacciner, j'exerçais mon art sur plusieurs
naturels qui n'étaient pas encore atteints de l'épidémie, mais
plusieurs ne voulurent pas consentir parce que, disaient-ils, depuis
que Notre Seigneur a répandu son sang, il n'est plus permis de
verser le sang humain. Tout en soignant le corps, on juge bien que
je pensais à l'âme. Trois personnes seulement, une femme et deux
hommes, manifestèrent le désir de mourir papistes : ce fut leur
expression" (15).
Comme en bien d'autres missions, la médecine est donc à
Tahiti un moyen essentiel d'établir le contact. Encore faut-il des
conditions exceptionnelles. Si on lit attentivement le journal du P.
Saturnin Fournier, on se rend bien compte de l'isolement des trois
missionnaires catholiques au cours du premier semestre 1842. Les
activités sont réduites à la messe dominicale où se rendent "bon
nombre de catholiques", à savoir le noyau européen. Le
P. Chausson fait le catéchisme à quelques enfants étrangers. Un
Français, J. Lefèvre, marié à une Tahitienne, présente sa fille pour
baptême. Cette enfant, baptisée le 20 janvier 1842, est la
première de toute l'île à recevoir ce sacrement (16). Sa mère
le
demande à être instruite elle aussi. Le P. Chausson ouvre
finalement une petite école, où "quelques enfants de parents
chiliens et espagnols viennent, quoique non régulièrement". Le
mois de janvier s'écoule ainsi. "Les ministres ont publié aujour¬
d'hui (le 22) un pamphlet contre nous" continue le P. Fournier qui
entreprend la construction d'un buffet en planches pour ramasser
la batterie de cuisine (17). Il poursuit ses travaux par "une espèce
de secrétaire ou nécessaire pour mettre en ordre tous les papiers du
15
-
In
"Picpuciens
16
-
R.
P.
17
-
Idem,
en
Polynésie", vol. I,
p.
17/18, Archevêché de Papeete.
Fournier, p. 31.
en
date du 18/1/1842 et du 22/1/1842.
Société des
Études
Océaniennes
�36
provinciàlat". Ce n'est qu'en mars que le contact semble s'établir
plus facilement avec la population tahitienne : "Six hommes et une
femme viennent faire des questions sur la religion. Ils restent près
de 3 heures. Ils disent qu'ils ne trouvent rien de mauvais en notre
doctrine" (12 mars). Deux semaines plus tard, "deux hommes de la
peuplade de Papara viennent se faire instruire. Ils disent vouloir
sanctifier le dimanche le même jour que nous". Le P. Caret semble
plein d'espoir : "Nous croyons que le peuple d'ici n'attend que la
liberté de conscience pour devenir catholique, liberté qui ne sera
obtenue que par le gouvernement français"... qu'il semble donc
appeler de ses vœux. Sa position a donc évolué, pas son antipathie
pour le consul ! En attendant, la poignée d'Européens catholiques,
les équipages des navires, surtout les baleiniers, forment l'essentiel
du maigre troupeau. En avril, le P. Murphy ramène de son voyage
"trois fervents néophytes de Gambier" qui se joignent aux deux de
Ua Pou : ce sont semble-t-il les seuls Polynésiens catholiques de
l'île à cette date. Il est vrai que lors d'une visite à une Tahitienne,
"cette pauvre femme et sa famille, qui toujours nous avait bien
reçu, a dit au père : "Vous ne pouvez plus venir chez moi. Les juges
faire une visite domiciliaire et m'ont menacée de me
citer au tribunal et de me chasser de ma terre, parce que vous me
visitez" (18).
sont venus me
La communauté
catholique demeure donc étrangère. Elle
symbolise plus particulièrement la France, avec cette messe du 1er
mai célébrée en l'honneur du roi (Saint Philippe) et à laquelle une
quarantaine de Français assistent. Le 3 ce sont les obsèques d'un
sous-lieutenant d'un baleinier français : "La croix a été portée
ostensiblement dans l'hérétique Tahiti par un jeune chrétien des
Gambier. Un chrétien de Ua Pou portait le bénitier". Le 30, c'est
l'enterrement en grande pompe de Mr de Laubrière : il y a "grande
cérémonie militaire et catholique". Il s'agit de l'un des officiers de
Dupetit-Thouars. Le P. Fournier écrit : "Ainsi, c'est en ce beau
mois de Marie que deux fois la croix a été promenée au milieu
d'une population hérétique... et c'est le dernier jour de ce beau mois
que la croix paraît élevée sur cette terre jusqu'ici si ingrate de
Tahiti" (19). Tellement ingrate que le missionnaire obtient enfin
son
départ, en juin : "J'ai donné obédience, écrit le supérieur Caret,
pour France. Parce qu'il lui est impossible d'apprendre les langues
d'Océanie et que cette impossibilité est un vrai supplice pour lui,
influe sur son moral et sur son physique" (20).
18
-
Idem,
en
date du 3014/1842.
19
-
Idem,
en
date du 30/5/1842.
20
-
R.
Caret, Lettre du 7/6/1842, 59/7.
P.
Société des
Études
Océaniennes
�37
Ce
départ limite à trois le nombre de missionnaires, qui ne
plus bientôt que deux : le P. Colomban est aussi renvoyé de la
mission, son mauvais caractère étant une source d'ennuis. On sait
le peu de valeur du P. Chausson dans les circonstances
particu¬
lières de cette époque. Le P. Caret se sent donc bien seul. Pourtant
il parvient à s'implanter dans l'île : sur la terre de
Papeete, il fait
construire une maison à étage, en briques séchées, de 60
pieds de
long et 30 de large, le tout pour plus de 1 000 piastres (21). Une
petite chapelle d'une trentaine de places est aussi élevée, en
planches (d'une valeur de 120 piastres). De plus le P. Chausson,
adopté par un Tahitien nommé Te Fanaupo, de Papeuriri
(Mataiea) peut se rendre de ce fait acquéreur d'un terrain (nommé
Mairipehe). Mais un événement va bouleverser le cours de la
mission : les missionnaires assistent le 9 septembre 1842
à la
proclamation du protectorat français sur le royaume des Pômare.
sont
Le P. Caret et le protectorat
Les missionnaires vont
français
pouvoir
se
féliciter de l'attitude du
contre-amiral Dupetit-Thouars lors de son passage à Tahiti : celuici ne vient-il pas tous les dimanches à la messe ? Une aide matérielle
succinte est accordée. Cependant le contre-amiral montre à
plusieurs reprises son agacement envers les religieux. Il a tenu de
plus-à rassénérer les pasteurs anglais de la L.M.S. : "Rassurez les
peuples que vous dirigez, Messieurs, personne ne sera forcé dans
ses opinions ou ses
pratiques religieuses ; la liberté de conscience
est un bien précieux que nous ne voulons
pas seulement pour vous
mais pour nous tous" (23 septembre 1842). Agissant de son propre
chef, Dupetit-Thouars craint par dessus tout les complications
avec la population
polynésienne, qu'il ne serait être question de
s'aliéner en ce temps de tractations délicates ! Sous le gouverne¬
ment provisoire, dirigé par Moerenhout, aucun progrès sensible
n'est à noter, semble-t-il, pour la mission catholique. C'est une
période bien difficile pour le P. Caret qui commence à s'inquiéter
d'être laissé sans nouvelles par sa congrégation et surtout son
vicaire apostolique. "Je n'ai pas reçu une lettre de votre paternité
depuis mars 1841 quoique j'ai écrit à peu près tous les mois", se
plaint-il (22). La situation matérielle s'aggrave. Les habits sont usés
jusqu'à la corde. Il n'y a plus de vin de messe, ni de cire. Il se voit
contraint de tirer des traites, à fort intérêt sur le supérieur général
de la congrégation, ce qui lui est strictement interdit !
21
-
R.
P.
Caret, 8/1/1842.
22
-
R.
P.
Caret, 10/10/1843.
Société des
Études
Océaniennes
�38
Le retour de
Dupetit-Thouars, accompagné du premier
gouverneur des îles Marquises, commissaire du roi auprès de la
reine Pomare Vahine IV, l'inquiète beaucoup : "Je ne sais si
Mr Bruat sera favorable ou non à la cause catholique. La plupart
ses officiers supérieurs ont de singuliers raisonnements sur la
manière dont la religion doit s'établir à Tahiti. L'amiral DupetitThouars m'a dit que le gouvernement français est effrayé du conflit
des deux cultes" (23). Quelques jours plus tard, il précise :
de
"Quoique Tahiti soit colonie française (ce qui est faux), le
gouvernement ne fera rien pour nous... à cause qu'il y a deux cultes
dans l'île et que le gouvernement ne veut pas payer deux cultes. Les
Blancs ne seront jamais bien fervents, pour ne pas dire la plupart
impies" (24).
Il
n'y
a
donc
aucun
triomphalisme. Au contraire, le découra¬
gement est extrême : la nouvelle de la perte du Saint-Joseph, le
navire de Mgr Rouchouze, est parvenue le 10 octobre. Un seul
frère est arrivé en renfort du Chili : le fr. Pratoursi. Secondés par le
fr. Soulié, venu de Mangareva, ces deux Picpuciens, aidés de
néophytes, achèvent
par leurs propres moyens les travaux de
construction en cours. Il faut reconnaître qu'ils bénéficient de l'aide
de la Marine. Ainsi le commandant Mallet prête-t-il des ouvriers,
offre-t-il quelques matériaux. La protection de Mme Bruat, "une
dame bien pieuse", est aussi assurée. C'est la maison de la reine
Pomare Vahine IV qui semble servir de chapelle catholique le
dimanche, messe à laquelle assiste tout l'état-major de Bruat.
Rappelons que les soeurs de Cluny débarquent le 16 mars 1844 à
Tahiti, comme infirmières au petit hôpital de Papeete, puis comme
enseignantes de l'État. C'est un renfort précieux.
Et pourtant
Bruat a cependant gardé de trop se compro¬
l'opposition au protectorat français n'a cessé de se
développer. La reine est partie aux îles Sous-le-Vent, refusant la
présence française, ce qui a entraîné sa déchéance. De tous les
côtés, des menaces se font jour. Il n'est pas question, dans ces
conditions, de heurter de plein fouet une population majoritai¬
rement protestante, déjà hostile. Le gouverneur cantonne donc les
missionnaires à Papeete, leur interdisant de prêcher dans les
districts, de crainte que la population n'y voit une provocation. Et
pourtant, il est déjà trop tard : le 21 mars 1844, des coups de feu
sont tirés sur le fort de Taravao : la guerre franco-tahitienne éclate.
Elle va durer deux années : elle ne prend fin que le 17 décembre
mettre
:
23
-
R.
P.
Caret, 9/1111843.
24
-
R.
P.
Caret, 21/11/1843.
Société des
Études
Océaniennes
�39
1846. Les
conséquences de
ce
conflit
sur
la situation religieuse de
l'île seront graves.
En
juin 1844, le pasteur Th. Me Kean est tué par balle. Sa
jamais élucidée. Mais par réaction, les insurgés s'en
prennent à la mission catholique. Le 30 juin, "vers le soir, le feu fut
mis à notre maison. L'incendie dura jusqu'au matin. La petite
chapelle et le reste furent brûlés le jour suivant". Caret rapporte :
"notre maison qui nous avait coûté si cher a été consumé par les
flammes, avec tout ce que nous possédions... Nous n'avons rien pu
sauver... Jamais dénuement n'a été plus grand que le
notre... Je
regrette surtout les travaux faits sur la langue de Tahiti et des
Marquises : le catéchisme que nous avions composé pour les
Marquises, entièrement prêt à mettre sous presse, un dictionnaire
en langue tahitienne très avancé"
(25).
mort ne sera
Le P. Caret est alors
toujours sans instructions. 11 a dépensé de
(Caret parle de 50 000 francs), qui ont été
englouties dans les flammes. Tous ses travaux ont été détruits. Il ne
se remettra jamais de ce choc : miné
par une affection pulmonaire,
totalement découragé, il quitte Tahiti pour Bordeaux sur le
"Jules" ; il ne va que jusqu'à Mangareva, où il meurt à 42 ans, le
fortes
sommes sans
aval
26 novembre 1844.
La responsabilité de la mission incombe désormais au
Baudichon, nommé en 1843, préfet apostolique des Marquises.
Pour l'évangélisation de cet archipel, il reçoit deux missionnaires
en 1843 et un en 1844. L'annexion du
groupe par la France rend
désormais possible un travail en profondeur : priorité est donc
donnée aux Marquises. Ainsi le fr. M. Darque raconte : "Nous
faisons route pour les Marquises. C'est là que nous allons aborder
et que je resterai probablement. J'étais destiné pour aller à Tahiti.
Mais Mgr dit qu'il n'y a rien à faire, parce qu'ils sont en guerre
contre les Français... Il ne reste plus qu'un père avec un frère pour
visiter l'hôpital" (26). La règle picpucienne ne permet pas alors à un
missionnaire d'être seul, d'où la présence du frère convers,
Pratoursi. Mais le prêtre laissé ne fait que fonction d'aumonier !
Tahiti est bien abandonnée, durant toute la guerre : "On ne pouvait
pénétrer dans la plus grande partie de l'île sans s'exposer à périr.
Quant à la partie qui reconnaissait l'autorité française, la présence
des étrangers enlevait toute possibilité d'y faire du bien ; sur
P.
25
-
R.
26
-
In R. P. Cools A.
P.
plus
Caret, 7/7/1844.
annexes, p.
(1978), in "Vie de Martin Darque, frère sscc, dacty., Rome, 100 p.
10. Cite un extrait de la correspondance 62/1/11, Ar. Rome.
Société des
Études
Océaniennes
�40
2 000 Français, on en voyait
assister à la messe" (27).
à peine quelques
uns
le dimanche
Nommé vicaire apostolique le 29 mars 1845, Mgr Baudichon
prendre sous sa responsabilité l'ensemble des îles polynésiennes,
à l'exception des Hawai'i. Il va recevoir sa nomination à
Valparaiso et accueille les 22 missionnaires picpuciens envoyés par
Paris. Ceux-ci sont répartis entre le Chili, Hawai'i, les Mar¬
quises (4) et Tahiti... qui reçoit un religieux : le P. Mouret (arrivé le
5 février 1846) qui rejoint alors le P. Chausson. On le voit : Tahiti
n'est pas dans les préoccupations de Mgr Baudichon. Ajoutons que
les deux missionnaires ne jouissent pas d'une excellente réputation.
Il est avéré tout d'abord "que les deux pères furent vite très mal
d'accord" (28). Mgr Dordillon note : "le P. Mouret s'est très mal
va
conduit dans notre maison de Tahiti". Il en est retiré dès le 5 février
1847 (il quitte la congrégation en 1853). On sait que le P. Chausson
n'est pas très entreprenant : lui aussi s'en ira bien vite (1848).
Au sortir de cette longue épreuve qu'est la guerre francotahitienne, la mission catholique n'a aucune assise à Tahiti. Un
prêtre se contente de faire office d'aumonier. Une communauté de
sœurs travaille à l'hôpital. Mais il n'y a pas œuvre missionnaire.
D'ailleurs, Guizot a fait interdire aux Picpuciens de prêcher dans
l'île de Tahiti. L'occupation militaire de Tahiti par Bruat et ses
troupes n'a aucunement permis aux missionnaires catholiques de
s'implanter dans l'île. Ils ont perdu au contraire, du fait de la
guerre, tous leurs biens. Tahiti n'intéresse plus les missionnaires
des Sacrés-Cœurs
en
ces
années 1846-47.
Ce
qui s'avère pour eux positif, c'est la décision des pasteurs
anglais de la L.M.S. de quitter l'île de Tahiti, décision prise le
2 juillet 1844, du fait "de l'hostilité trop ouverte de la part des
autorités françaises et la volonté de celles-ci d'anéantir leur œuvre"
(Vernier, 1985, p. 67). Pour l'historien de l'Église Évangélique de
Polynésie, "la propagande catholique romaine et l'esprit colonial
dominateur pouvaient se donner libre cours" (ibidem, p. 67). C'est
aller vite en besogne. Sans nul doute, par amalgame, les militaires
français, suite à l'affaire Pritchard (qui rappelons-le n'était plus
alors membre de la L.M.S.), en sont arrivés à soupçonner tous les
missionnaires protestants d'activités subversives. Ce qui était
absolument faux. Mais en aucun cas à cette époque, Bruat et ses
officiers ne souhaitent les évincer parce que protestants, mais bien
parce qu'ils sont anglais et à leurs yeux, peu fiables. Dans tous les
cas, la mission catholique, plongée dans le plus total des
27
-
"Les
28
-
In "Vie de Martin
Picpuciens
en
Polynésie", Op. Cit., vol. I,
p.
19.
Darque...", Correspondance Op. Cit.
Société des
Études
Océaniennes
�41
délabrements, n'est absolument pas en mesure d'occuper le terrain.
C'est alors que l'on fait appel, en cette année 1847, au P. Heurtel.
La mission du P. Heurtel
C'est
1839 que
le P. Heurtel découvre l'Océanie. Il est
envoyé aux îles Marquises, poste qu'il occupe jusqu'en 1840, date à
laquelle il reçoit obédience pour les Hawai'i. Durant 7 années, il
évangélise dans cet archipel, avec un succès certain. Il est alors
décider de le nommer à Tahiti. Le frère Pratoursi se réjouit de
l'arrivée de ce religieux : "Je crois que le Bon Dieu dans sa
miséricorde a mis pour gouverner cette mission un prêtre selon son
cœur" (29). Par contre, le P. Heurtel n'est guère satisfait de son
compagnon, le P. Chausson : "Le père Armand ne dit la messe que
le dimanche, n'assiste à aucun exercice religieux, passe ses journées
et beaucoup de ses nuits avec les officiers, aussi célèbres pour leur
ivrognerie que par leur tenue... Le P. Armand est nuisible à
Tahiti" (30). On comprend que la mission n'avait jusqu'alors guère
progressé.
en
Le P. Heurtel entreprend tout d'abord certains travaux : il
faut doter la mission d'une nouvelle base. Tout est à reconstruire.
Le frère Pratoursi finit une petite maison comprenant trois chambrettes. Une étroite chapelle de 19,5 m de long sur 5,85 m de large
terminée. Tout cela est bati
est
sur
le Broom,
la grande
avenue
de
Papeete.
Surtout le
religieux donne une grande animation à la petite
Papeete. Outre les 6 sœurs, il peut compter sur
l'aide efficace d'un petit noyau de fidèles européens : il s'agit en
l'occurence d'une vingtaine de jeunes filles créoles ou demies. Des
marins, des soldats apportent aussi leur bonne volonté. En rempla¬
cement du fr. Pratoursi arrive des Marquises le fr. Darque, un
excellent religieux, qui va être un auxiliaire précieux pour le prêtre.
Celui-ci, homme de contact, parvient à se faire accepter par le
gouverneur Lavaud qui se montre à son égard "prévenant et
aimable", mais qui ne le laisse toujours pas prêcher dans l'île. Le
Picpucien explique "l'embargo que Mr le gouverneur mit sur notre
pauvre mission parce qu'il croyait que j'allais tirer l'épée avec les
missionnaires protestants et leur susciter des affaires. Aujourd'hui,
il me permet d'établir des missionnaires dans les différents points
de l'île" (31).
communauté de
29
-
F.
Pratoursi, Lettre du 19/12/1847, 62/2, Ar. Rome.
30
-
R.
P.
Heurtel, Lettre du 28/11 /1847, 59/3, Ar. Rome.
31
-
R.
P.
Heurtel, 14/10/1847 ; ïdem.
Société des
Études
Océaniennes
�42
Tout irait pour le mieux si la mission disposait ... de mission¬
naires. Or le P. Heurtel est seul. De plus, c'est un malade. Lorsque
le P. Lecornu débarque à Papeete, en route pour les Marquises, il
constate
:
"le
Père Ernest n'est pas mourant,
mais
son
état
m'inquiète" (32). Il demeure donc dans l'île quelques mois. Le seul
renfort, mais combien précieux, est l'installation par la Société de
l'Océanie d'un comptoir à Papeete, tenu par Mr Touchard. Cette
compagnie a pour but l'aide des missions du Pacifique, mariste et
picpucienne. Les missionnaires disposent désormais d'un secours
économique substantiel.
Lorsque l'on voit la liste des hôtes du P. Heurtel au cours de
cette année 1848, on comprend l'importance du poste
stratégique
qu'il occupe. Ce n'est qu'un défilé de missionnaires, en route vers
les Marquises, les Tonga et même la Chine !
Mais ce qui importe le plus au P. Heurtel, c'est la bonne
marche de sa mission. Or, celle-ci n'avance pas. Ce religieux, "à la
pauvre santé de poitrinaire déjà avancé", doit avant tout se charger
du poste d'aumonier de la Marine et de l'hôpital. En septembre
1848, arrive des Marquises Mgr Baudichon. C'est un homme
découragé et semble-t-il quelque peu aigri qui séjourne quelques
mois auprès du P. Heurtel. Les Marquises sont une terre ingrate.
De plus, en novembre 1848, le vicaire apostolique
apprend que son
vicariat est divisé
en
deux
:
Tahiti
et ses
îles sont confiées à
un
nouvel
évêque. Mgr Baudichon ne conserve que les Marquises : le
28 janvier 1849, le vicaire apostolique s'embarque pour Brest. Il ne
reviendra plus en Polynésie. Ce sont donc encore des mois de
perdus, où aucune impulsion n'est donnée. Au total, c'est près
d'une décennie entière que la mission catholique a laissé ainsi
échapper.
La nomination d'un nouvel
évêque, Mgr Tepano Jaussen,
semble enfin sonner l'époque
d'une ère nouvelle. Surtout, le vicaire apostolique, qui arrive en
mars 1849 à Tahiti, est
accompagné de trois solides missionnaires.
(Borgella, Blanc et Fouque). L'équipe est encore étoffée du
P. Castan, puis du P. Hébert. Mgr Jaussen a droit de la part de
l'administration coloniale à un poste d'instituteur à Haapape, où il
va s'installer. Les autres
religieux forment deux équipes distinctes.
A Papeete, le P. Heurtel initie le P. Fouque à la langue. A Mataiea,
le P. Borgella (ancien des
Marquises) s'installe sur la terre
Mairipehe. Avec les P. Blanc et Borgella, il établit véritablement le
premier contact avec la population tahitienne. Les recommanda-
jeune professeur de collège de 32
32
-
R.
P.
ans,
Lecornu, Lettre du 21/3/1848, 48/23, Ar. Rome.
Société des
Études Océaniennes
�43
tions du gouverneur Lavaud valent aux missionnaires un approvi¬
sionnement en taro et uru de la part du chef de Papeuriri. Le
gouverneur soutient alors ouvertement la mission catholique :
désireux de voir les Tahitiens parler français, il autorise tous les
prêtres à ouvrir des écoles, "à condition que durant la classe même,
nous
ne
parlions pas de religion", remarque l'un d'eux.
Mgr Jaussen note pour sa part : "Il m'a procuré une école, a fondé
sur des bases assez étendues celle de Mairipehe.
Il se convainquait
tous les jours de plus en plus de cette idée que les cœurs des
Tahitiens ne seront français qu'en devenant catholiques" (33). C'est
Lavaud qui reconnait la nécessité de créer deux postes pour le
service spirituel de Papeete, rétribué 2 000 francs chaque, ainsi que
de doter la Marine d'un aumônier.
Un
litige
au sujet de terres avec l'évêque d'Axiéri éloigne le
de la mission. Page est d'ailleurs réprimandé par son
ministre qui a alors à cœur d'apporter "un très sérieux point
d'appui" à la mission catholique. Lorsque Lavaud quitte la colonie,
il est regretté de tous les missionnaires. Mais le nouveau
gouverneur Bonard poursuit son action, en menant une politique
gouverneur
ouvertement
hostile
aux
derniers missionnaires protestants anglais
ils sont au nombre de 7. Désormais
demeurés dans l'île. En 1851,
les pasteurs ne peuvent plus
prêcher d'un district à l'autre, sans
de district
à élire le
pasteur (il arriva qu'un prêtre SSCC fut élu). En 1853, seuls Howes
et Darling restent encore les représentants officiels de la L.M.S.
dans les îles du Vent. Les pasteurs Orsmond et Simpson, toujours
présents ne représentaient plus qu'eux mêmes (34).
La situation s'est donc beaucoup améliorée : grâce aux écoles,
les religieux montrent qu'ils ne sont ni ignorants, "ni mangeurs
d'enfants", comme la rumeur le prétendait ! Par contre, les
conversions se font toujours attendre. Ainsi note Heurtel, "les
Pères à Mairipehe consument leur temps et leur zèle à faire l'école à
quelques enfants sans aucune réussite. Ils n'ont aucun prosé¬
lyte" (35). Mais il convient : "(L'enseignement) est le seul moyen
que nous avons dû prendre pour nous introduire auprès des
Tahitiens et ne pas heurter de front les missionnaires protes¬
tants" (36).
autorisation écrite. En 1852, une loi rend les paroisses
autonomes, la population tout entière étant appelée
P.
Heurtel, 31/7/1850, idem.
33
-
R.
34
-
Voir l'étude de C. W.
Newbury, "L'administration de l'Océanie française de 1849 à
1866", in RFHOM, tome 46, n° 63/65, I960, p. 97-154.
35
-
R.
36
-
Idem, 14/11/1849.
P.
Heurtel, 31/7/1850, idem.
Société des
Études
Océaniennes
�44
En
attendant, force est de convenir que le succès n'est pas au
Mgr Jaussen est persuadé qu'"humainement parlant,
Tahiti offre peu d'espoir". Mais l'essentiel en fait pour le jeune
évêque n'est pas là. Ces diverses fonctions exercées à Tahiti ne sont
pour lui que provisoires. Il s'agit de permettre à ses religieux de se
familiariser avec la langue, les mœurs du pays, avant de les lancer
vers une grande aventure
: l'évangélisation des Tuamotu. Dès
l'année de son arrivée, l'évêque détache deux de ses missionnaires,
Laval et Fouque, pour les envoyer à Faaite. Le P. Blanc passe alors
aux Gambier, le P. Castan à Hawai'i. C'est certainement déçu que
le P. Heurtel s'éteint, voyant Tahiti, une fois encore passée au
second plan des préoccupations de la mission catholique. Tous les
renforts qui arrivent vont directement rejoindre le P. Fouque,
supérieur des Tuamotu, après un court stage à Tahiti (les
P. Hébert, Pépin, Montiton, Loubat). L'action des Mormons dans
"l'Archipel Dangereux" peut expliquer ce choix de Mgr Jaussen.
Celui-ci n'ayant pas les renforts suffisants décline alors la
proposition du gouverneur Bonard d'envoyer en 1850 deux prêtres
rendez-vous.
,
à Bora Bora
(37).
mission, dans l'île de Tahiti, repose donc tout entière sur
les épaules de l'évêque, surchargé de taches diverses, en dépla¬
cements continuels. Nommé aumônier de la Marine depuis 1851, il
peut disposer des navires de guerre pour ses déplacements. En
1850, il ne fait pas moins de quatre tournées aux Tuamotu. Quant
au P.
Borgella, à Mataiea, il "ne réussit pas, n'est capable de rien
faire" (sic) estime son supérieur. De fait, une poignée de néophytés
sont baptisés. Seules encore une fois les écoles tenues par l'évêque
et son missionnaire, plus celle des Sœurs de Cluny, permettent
d'établir un contact avec la population. En ce domaine,
Mgr Jaussen se félicite : "tout cela fait du bien aux Papistes. On
recevrait facilement dans chaque district un maître d'école de ma
main. De là à devenir missionnaire, il n'y a qu'un pas" (38).
Lorsque le P. Laval revient de Faaite à Mangareva, le
P. Blanc est enfin de retour à Tahiti (1853). Il va y demeurer seul ;
son vicaire
apostolique est en route pour la France : ses démêlés
avec le nouveau gouverneur Pages (débarqué à Tahiti en
septembre
1852) sont tels qu'il désire en référer à Paris, où il part plaider son
dossier. (Déjà, il s'est opposé au gouverneur Bonard lorsque celuici a autorisé (arrêté du 31.7.1850) la vente d'alcool dans le
protectorat). Il emmène avec lui le P. Borgella, peu apte pour le
La
travail missionnaire. Toute la mission est alors
37
-
38
-
sous
"Picpuciens
en Polynésie", Op. Cit., vol. II, p. 3.
Mgr Jaussen, cité in "Picpuciens en Polynésie", vol. II,
Société des
Études
Océaniennes
p.
19.
l'autorité du
�45
P.
Fouque totalement accaparé par sa mission des Tuamotu, à tel
que l'administration coloniale lui retire le titre de curé de
Papeete pour cause d'absentéisme. Le P. Blanc maintient l'école
gratuite de Papeete, qui accueille quelque 80 enfants, dont les
enfants de la reine Pomare Vahine IV. Il baptise une poignée
d'Européens : pour l'année 1854, quinze baptêmes ont lieu, délivrés
dans la seule Papeete. Depuis 1849, date de l'arrivée de
Mgr Jaussen, les Picpuciens n'ont baptisé que 73 personnes, dont
deux seulement portent des noms polynésiens (39).
point
Le P. Blanc estime
cependant acquérir "un peu de relief sur la
population". En 1854, Mgr Jaussen est de retour : il a rencontré
une large compréhension dans les ministères et sait
qu'il dispose de
solides appuis. La mission est en paix pour six années. En 1855, le
P. Dordillon est élevé au rang de vicaire apostolique : désormais,
Mgr Jaussen n'a plus à s'occuper que de son propre vicariat. La
mission catholique trouve enfin ses limites et sa structure.
Le
temps des défricheurs
Avec
Mgr Jaussen débarque
novembre 1854
en
un
jeune
missionnaire plein de zèle. Il s'agit du P. Collette, qui, avec le
P. Blanc, va désormais sillonner les différents districts de Tahiti
pendant plus de quarante ans. Un autre nouveau venu, le
P. Lafarge va par contre abandonner dès 1855, ce qui montre
encore une fois la difficulté de la tache qui attend les Picpuciens.
Trois frères convers ont aussi débarqué : mais c'est à Anaa qu'ils
sont vite envoyés pour construire les premières églises de pierre.
Une équipe missionnaire
prospection !
a
enfin
reçu
Tahiti
comme terre
de
Tandis que le P. Collette (aidé dans un premier temps du
Lafarge) s'avère faire merveille à Papeouriri où il compte près de
200 néophytes en 1857, où une église de pierre est en cours de
construction, l'évêque a lui aussi lancé un important chantier : il
s'agit de la cathédrale de Papeete. Sous la conduite du fr.
Guilhermier, une cinquantaine de Mangaréviens débarquent à
Tahiti. Le P. Montiton (détaché des Tuamotu pendant plusieurs
mois à Tahiti) raconte l'impact de ces tailleurs de pierre sur la
population tahitienne : "Leur tenue sidérait Popa'a et Tahitiens :
les Tahitiens surtout, tout ébahis de l'étrangeté du spectacle n'en
revenaient pas de voir des gens de leur couleur tous habillés de
P.
39
-
Registres de baptêmes, Archevêché de Papeete.
Société des
Études
Océaniennes
�46
blouses et de pantalons comme les
débrouillant comme eux" (40). Logés
Popa'a, travaillant et se
loin de la ville, à Atiue
(Punaauia), les Mangaréviens "mènent une vie simple, avec leurs
chants-récits, les pieux entretiens, leurs mœurs simples et patriar¬
cales de leur pays". Le dimanche, ils sont vêtus de chapeau de
paille, de redingote de drap ou de toiles fines, de pantalon noir ou
blanc, avec des souliers cirés". Le P. Blanc estime que c'est à eux
que l'on doit les baptêmes effectués dans ce district : "Ils ont bien
travaillé, même à la conversion. Les gens du pays ont généralement
plus de confiance en eux qu'en nous parce qu'ils sont de la même
couleur, des mêmes mœurs et usages, et qu'ils ne sont pas prévenus
contre eux" (41). Mgr Jaussen envoie alors le P. Montiton
s'installer à Punaauia. Celui-ci écrit que les succès dépassent alors
toutes les espérances : "Jamais encore en mission, je n'avais été si
heureux... C'est assurément l'endroit où le travail fut le plus facile
et la peine plus légère" (42). Un jeune Hollandais,
pas encore
ordonné prêtre, le fr. Schouten est envoyé prendre la succession du
P. Montiton. Il sait maintenir et développer la petite communauté
catholique à tel point que Punaauia se dote d'une église de pierre,
la seconde de Tahiti.
Ainsi Mataiea (Papeouriri),
Punaauia (Atiue) et Papeete où
l'évêque achète en 1855 un grand domaine, connu sous le nom de
vajlée de la Mission, sont les trois points d'appui de la mission
catholique. En 1859, le P. Laval écrit que "la mission était alors en
pleine voie de prospérité" et le P. Blanc note avec satisfaction :
"Nous dirigeâmes alors nos efforts sur Tahiti" (43). La cheville
ouvrière de cette mission est sans conteste le P. Collette. Ce jeune
Normand, doté d'une vitalité extraordinaire, ne se contente pas de
sa paroisse de Mataiea : on le voit
parcourir Pueu (1857)
Hitiaa/Faaone (1856) : il administre le baptême à près de 300 per¬
sonnes entre 1855 et 1860. Le P. Blanc
poursuit la même politique
d'implantation à Paea (1858) .et Papara (1855) : les résultats qu'il
obtient, plus modestes, n'en constituent pas moins une percée
appréciable, après plus de 20 ans d'insuccès. Les religieux de Tahiti
reçoivent fréquemment l'appui d'un Picpucien des Tuamotu : après
le P. Montiton, le P. Fouque fait un long
séjour à Tautira (1858)
où il crée un petit noyau de fidèles d'une vingtaine de membres.
Paradoxalement, alors que la mission catholique progresse
sur le terrain, ses
rapports avec l'administration ne cessent de se
40
-
41
-
42
-
43
-
R.
P.
R.
P.
R.
P.
Montiton, Lettre du 29/12/1857, Ar. Rome, 73/3.
Blanc, Lettre du 17/2/1857, Ar. Rome, 60/2.
R. P. Montiton, idem.
Blanc, Lettre du 9/6/1860, Ar. Rome, 60/2.
Société des
Études
Océaniennes
�47
détériorer,
point
Mgr Jaussen entreprend un nouveau
correspondances
sentiment "d'être
persécutés" par une administration qui ne cesse de freiner leur
implantation. En 1871, Mgr Jaussen relate ainsi les événements :
"Mr de la Richerie fit une loi pour forcer les catholiques à travailler
aux temples protestants sans réciprocité, et une autre pour nous
priver d'écoles et les donner toutes aux Ministres protestants. En
vertu de la première loi, les catholiques de deux districts furent
condamnés à la prison et aux travaux publics pour des mois
entiers. Il ne cessa de nous faire une guerre de chicane par écrit, de
nous abaisser aux yeux des indigènes. Nous nous ressentons encore
de ces menées, et c'est lui seul qui est cause que la majorité des
Tahitiens n'est pas encore catholique" (44). Le vicaire apostolique
fait ici allusion à la loi du 18 mars 1860 qui organise "un culte
national protestant". Si l'Église évangélique est privée de ses
pasteurs anglais, cet arrêté prévoit en effet que les tribunaux seront
formés de protestants, que les temples devront être construits et
entretenus par toute la population : des catholiques ayant refusé,
ils sont emprisonnés. L'affaire fait du bruit.
au
que
voyage en France. L'affaire est d'importance : les
de différents missionnaires montrent qu'ils ont le
Les travaux de la construction de la cathédrale de
Papeete
bloqués par l'administration, qui va bientôt ordonner de raser
ce qui a déjà été construit ! On en est à un tel degré de tension que
le P. Fouque écrit : "Il faut profiter de l'occasion pour nous retirer
ailleurs et demander à la Propagande d'envoyer à Tahiti des
missionnaires auxquels l'administration sera moins défavo¬
rable" (45). Ce sentiment est tout à fait partagé par l'évêque.
sont
C'est que la mission catholique souffre depuis son origine de
n'avoir aucun existence officielle : seuls un curé et un vicaire dont
l'action s'étend sur la ville de Papeete et sa banlieue... sont chargés
de pourvoir aux besoins spirituels de la garnison et de la flotte,
ainsi qu'au service religieux de l'hôpital et de la prison. Mais les
desservants des districts n'ont aucune existence
Tuamotu et à Mangareva, l'administration se
légale. Si aux
félicite de leur
présence française
présence dans la mesure où ils maintiennent une
qu'elle n'a pas, elle, les moyens de fournir, il en va différemment à
Tahiti.
Le
nouveau
ministre de la Marine,
embarrassé par cette
44
-
45
-
organisation, ni
Chasseloup-Laubat est fort
ni autorisée, et de
reconnue,
Mgr Jaussen, Rapport au Très Révérend Père, Supérieur Général de la Congrégation,
25/3/1871, Ar. Rome, 57/2.
R. P. Fouque, Lettre du 18/1/1861, Ar. Rome, 73/6.
Société des
Études
Océaniennes
�48
surcroît peuplée d'étrangers. Dans les années 1860, en effet, des
prêtres allemands (Frizten, Burgerman, Eich) viennent rejoindre le
P. Schouten, tandis que des Flamands s'implantent aux Tuamotu !
En ces temps de nationalisme ombrageux, cette présence est
considérée par bien des officiers comme une véritable provocation.
Or, sur proposition de l'administration coloniale, où semble-til, des protestants occupent des postes importants, la Société des
Missions Évangéliques de Paris est invitée à envoyer quelques uns
de ses pasteurs à Tahiti. En 1863, le premier d'entre eux,
Arbousset, fait son apparition. Il est suivi de toute une équipe
dynamique et entreprenante (Atger, Viénot, Vernier, Brun) qui va
entreprendre une œuvre de regénération de l'Église protestante qui
portera vite ses fruits. Face à ces pasteurs français au nationalisme
de bon aloi, comment la mission catholique, peuplée d'étrangers,
reconnaissant pour seule autorité celle du pape à Rome, ne
paraitrait-elle pas suspecte ? Ce qui est vrai sous le II Empire va
l'être encore bien davantage après 1870 et la proclamation de la
République : Mgr Jaussen peut écrire qu'il faut envisager "un
remède prompt et radical : abandonner le pays". Il écrit au
supérieur de la Congrégation : "Retirez nous. Pressez le gouverne¬
ment de s'adresser à une société séculière ou
régulière dont il puisse
être content... Pressez Rome de donner Tahiti à d'autres missions...
Je vous engage, je vous supplie de plaider, d'agir dans le sens d'un
abandon
cette
complet dans l'intérêt de notre société" (46). C'est dire si
décennie 60 est mal vécue par les Picpuciens !
Cela n'empêche pas que sur le terrain, de nouveaux progrès
enregistrés. Les Picpuciens peuvent compter, outre les sœurs
Cluny, sur l'aide des Frères de l'Instruction Chrétienne, que le
gouvernement français vient d'envoyer en 1860, comme institu¬
teurs publics. Ces Frères de Plôermel vont jouer un rôle, difficile à
saisir, mais très important dans l'implantation du catholicisme
sont
de
dans l'île de Tahiti.
Dans le même temps, les Picpuciens s'organisent avec plus
d'efficacité : comme curé de Papeete, arrive le vieux P. Clouet (il
âgé de 64 ans). Ce religieux convient tout à fait à ce poste qui
communauté
européenne. L'infatigable
s'implanter à Faaa (1865), essaime à Faaone
(1867) et fait même de fructueuses apparitions à Haapape. C'est
encore lui qui, le
premier, baptise dans le district de Papaoa (Arue)
en 1867. Un nouveau
missionnaire, le P. Orvain Ortaire se montre
aussi entreprenant. Il a la charge de Papara-Papeuriri et de Hitiaa.
est
dessert
la
surtout
P. Collette parvient à
46
-
Mgr Jaussen, Rapport Op. Cit.
Société des
Études
Océaniennes
�49
Il maintient
présence à Tautira, seul poste tenu dans la
presqu'île. Pendant ce temps, le P. Schouten s'enracine à
une
Punaauia.
Quatre nouveaux religieux viennent renforcer cette première
équipe : les P. Fort, Lemoing, Burgerman et surtout Eich.
Mgr Jaussen peut alors diriger son effort vers la côte est de Tahiti,
où la pénétration est pratiquement nulle. C'est là qu'est envoyé le
P. Eich, bientôt détaché pour l'île de Moorea. Bastion du
protestantisme, l'île sœur n'a pas encore reçu de visite de misionnaires catholiques. Elle reçoit enfin une équipe de religieux
étrangers (Eich, Schouten et Frizten). Ils érigent une chapelle en
1873 et une église est en cours de construction.
La décennie 1870 s'ouvre dans l'optimisme : 13 missionnaires
sont envoyés dans le vicariat de Papeete. Tous certes ne demeurent
pas dans l'île. Mais les moyens en prêtres sont enfin suffisants. Les
résultats ne se font pas attendre. Au cours des années 1870-79, le
nombre de baptêmes croît de façon spectaculaire. Outre Papeete
(plus de 300 sacrements), Mataiea (206), Arue (145), Faaa (127) et
Punaauia (108) sont les centres actifs du catholicisme. Le
P. Martin (futur vicaire apostolique des Marquises) parvient à de
remarquables résultats à Arue, ainsi que le P. Collette à Faaa. Le
P. Delpuech à Papeete, le P. Levêque (qui entreprend la
conversion des travailleurs Arorai) sont de très bons missionnaires.
Dans le reste de l'île, les progrès sont bien moins apparents :
c'est au P. Béchu qu'échoit Papeari (23 baptêmes en dix ans),
district à partir duquel le prêtre rayonne (sans grand succès) dans
la presqu'île. La côte est demeure fermée, en dépit des efforts
entrepris : 49 baptêmes à Hitiaa, mais 12 à Papenoo, sur une durée
de dix ans !
La géographie
du catholicisme actuel à Tahiti est pratique¬
laquelle l'île est définitivement
du Directeur de l'Intérieur de
déjà en place en 1880, date à
annexée à la France. Un rapport
ment
l'administration coloniale estime
en
1881 à 1300 le nombre de
catholiques à Tahiti. Il les décompte de la façon suivante : 835 Eu¬
ropéens (!) de Papeete, 200 soldats et 300 indigènes. Un second
rapport estime, lui, à 683 les catholiques français de Tahiti
(Européens et Tahitiens confondus) auxquels il convient d'ajouter
27 religieux, 38 fonctionnaires et 87 catholiques étrangers (47). La
population océanienne étant cette année là estimée à 8 793 per¬
sonnes (pour Tahiti et Moorea), on voit que l'implantation du
catholicisme aux îles du Vent demeure très fragile.
47
-
Rapport du Directeur de l'Intérieur au Ministre
cultes à Tahiti", Fonds Océanie, 106 D,
Société des
de la Marine : "Organisation de deux
H 24, Paris, Archives d'Outre Mer.
Études
Océaniennes
�50
Difficultés
majeures
Ces
progrès ont pu être réalisés
grâce aux terribles
événements qui ont eu lieu en France depuis 1870. L'insurrection
de la Commune a par exemple coûté cher à la
congrégation :
quatre de ses membres ont été exécutés par les communards, la
maison mère a été entièrement pillée. L'un des survivants de ce
...
désastre, le P. Duval, est d'ailleurs envoyé à
contribuer à l'instauration d'un état d'esprit très
situation en France : le P. Collette peut écrire
Tahiti, où il va
pessimiste sur la
à son supérieur
général, en 1881 : "Je suis très peiné de vous savoir à Picpus : on va
vous trouver assassiné dans votre lit"
(48).
A court terme, cette situation est
bénéfique, puisque c'est par
biais que des renforts importants sont adressés à Papeete. Mais
il s'agit souvent, parmi ces recrues, de
prêtres peu destinés aux
missions, et qui sont de plus très découragés parce qu'ils viennent
de vivre. La politique anti-congrégationniste de la Illème
ce
République fait craindre le pire, alors que Tahiti est désormais
française. Le supérieur, le P. Collette s'interroge : "Que va-ton faire de nous ? Où allons-nous aller si nous sommes
renvoyés ?
On nous annonce que toutes les congrégations non autorisées sont
supprimées. Jugez de notre peine. Une foule d'idées nous passe par
la tête" (49).
Mgr Jaussen est-il alors l'homme de la situation ? C'est un
religieux âgé et fatigué qui, dès 1874, a proposé sa démission. Les
nouveaux missionnaires qu'il a reçus ne l'enchantent
guère. Il est
vrai qu'un certain nombre d'"affaires" éclatent au cours de ces
années si difficiles. C'est tout d'abord le P. Ortaire
qui fait l'objet
de rumeurs, sans doute infondées, mais
qui doit être envoyé au
Chili. Les P. Kupper et Caresmel sont aussi soumis à des insinua¬
tions, ce qui conduit les supérieurs à les éloigner. L'évêque peut
terre
écrire
en
contées
1882
:
"Le bruit
a
été
grand
sur ces
histoires. On les
a
pire" (50). La réputation des Picpuciens sort ébranlée,
alors que seules des imprudences ont été commises, aux dires des
supérieurs. Mais, alors que depuis un demi-siècle la congrégation
n'a donné prise à aucune
critique, tous ces démêlés successifs font
jaser dans une île où la majorité de la population est hostile aux
religieux : la communauté européenne, très anticléricale, colporte
allègrement tous les ragots possibles, repris par une population
polynésienne largement protestante.
au
48
-
R.
P.
Collette, Lettre du 10/5/1881, Ar. Rome, 59/3.
49
-
R.
P.
Collette, Lettre du 12/1/1881, Ar. Rome, 59/3.
50
-
Mgr Jaussen, Lettre du 11/5/1882, Ar. Rome, 57/2.
Société des
Études
Océaniennes
�51
Cette situation n'a été rendue
possible qu'à partir du moment
moins ambiguë. Cet
religieux, à côté du
vicaire général, de tous les Picpuciens de la colonie (Marquises
mises à part). C'est un homme très populaire : curé de Papeete,
aumônier de la Marine et de l'hôpital, il est proche des hauts
fonctionnaires, avec qui il entretient de bonnes relations. Mais par
contre, il n'a pas su, comme supérieur, donner satisfaction. Son
autorité tourne au despotisme : les missionnaires s'éloignent de lui.
Dans le même temps, il s'oppose à Mgr Jaussen aussi bien sur la
politique d'achat de terres que sur la nomination des religieux. La
rupture devient totale : le P. Collette décide de ne plus mettre les
pieds à l'évêché. Il ne ménage plus ses critiques contre la mission,
qui sont répercutées dans toute la colonie, et qui ont d'autant plus
de poids qu'elles émanent d'un religieux !
où le P. Collette
une attitude pour le
excellent missionnaire est devenu le supérieur
Cette affaire
a
adopté
peut tomber plus mal. Mgr Jaussen n'entend
plus lutter : il "attend désormais par chaque courrier le nom de
(son) coadjuteur et remplaçant" (51). La majorité des mission¬
naires souffre de cette rivalité au plus haut niveau et sont
totalement découragés. D'autant que la plupart s'attendent à ce
que la congrégation soit expulsée. Il est évident que l'action dans
les paroisses s'en ressent.
ne
C'est alors que débarque Mgr Verdier. Le second vicaire
apostolique de Papeete a 48 ans lorsqu'il arrive, en 1883, à Tahiti.
Ce n'est pas un missionnaire : aumônier de collège, supérieur au
Pérou, il ne connaît rien à la mission. Homme d'une extrême
rigueur, décrit comme "un saint" par la plupart de ses religieux, il
va surtout faire montre de raideur et d'intransigeance. Au moins,
remet-il de l'ordre à l'intérieur de la mission. Il est plus que temps.
Le nouvel évêque s'aperçoit vite de l'ampleur de la crise.
Comme Mgr Jaussen, il se heurte à l'opposition du P. Collette,
vieillard de 67 ans en 1883, que personne ne peut convaincre de
rentrer dans le rang. Mgr Verdier doit avoir recours aux moyens
extrêmes ("suspension de dire la sainte messe") pour qu'enfin le
vieux missionnaire s'incline, déchargé de son titre de supérieur
(confié au P. Martin, puis au P. Eich), et de celui de curé de
Papeete (confié au P. Delpuech). Sans nul doute, cette affaire
Collette a porté un grand préjudice à la mission catholique. En la
divisant, en semant la discorde en son sein, le P. Collette a porté un
tort grave, au point que les supérieurs refusent d'envoyer de
nouveaux religieux !!!
51
-
Mgr Jaussen, Idem, Lettre du 10/2/1885.
Société des Etudes Océaniennes
�52
Et c'est bien là que
réside le second problème du jeune
"la pénurie de sujets". Elle est telle que Mgr Verdier
propose à Paris que Ton nous décharge entièrement de tout le
vicariat de Tahiti" (1885) (52). Cette année là, l'évêque peut
compter sur 8 prêtres pour Tahiti-Moorea, dont un infirme (le
P. Blanc) et trois bien maladifs.
évêque
:
Le P. Martin dresse le tableau suivant de la mission pour
l'année 1886. Le P. Delpuech, très actif, mène bien Punaauia,
tandis que Paea "est nul à peu près : il n'y a que 4 ou 5 pauvres
catholiques". A Papara et à Mataiea, le P. Willemsen "fait le bien".
Ces districts ont un nombre important de fidèles. A Papeari, le
P. Béchu "a peu de chose" : l'insuccès ne date pas d'hier. Dans
la
presqu'île, aucune implantation réelle n'est en vue : ainsi Pueu n'a
aucun catholique. Seul à Tautira, le P.
Schouten, bien âgé,
maintient un petit noyau. Papenoo et Haapape sont des "districts
bien obstinés" : à peine quinze communions
pascales en tout. A
Arue, le P. Martin a quelques succès. Seule Faaa donne réellement
satisfaction (53).
Il n'y a donc pas lieu de se réjouir, bien au contraire. Il faut
toute l'obstination du P. Eich pour ne
pas se décourager. Le
missionnaire allemand, devenu supérieur après le départ du
P. Martin pour les Marquises (1888), va donner alors sa véritable
dimension, celle d'un animateur sans pareil. C'est lui, sans nul
doute, qui va parvenir, dans des conditions catastrophiques
(séquelles de l'affaire Collette, hostilité de l'administration, lois
anti-congrégationnistes en France, où les Picpuciens ne peuvent
plus enseigner) à insuffler un nouveau départ. Pourtant le
personnel fait toujours défaut : les maigres renforts sont enovyés
par Mgr Verdier vers les Cook (les P. Castanié, Fort, Kerdal) où il
s'agit de créer une base de repli, au cas où les décrets d'expulsion
seraient publiés à Tahiti !
Au moins le P. Eich peut-il compter sur le P. Maurel (futur
supérieur), missionnaire infatigable, mais qui va surtout prospecter
aux îles Sous-le-Vent, et sur le P. Tourvieille. Ce
dernier, tout
d'abord chargé de la côte est, va enfin réussir à créer la paroisse de
la presqu'île, celle de Taravao, où l'installation de nombreuses
familles européennes permet la constitution d'un solide noyau de
fidèles. Ailleurs, il faut compter sur un quarteron de vieux misionnaires âgés et souffrants, peu aptes au service actif : les
P. Willemsen ("usé jusqu'à la corde"), Collette, Béchu (qui donne
52
-
53
-
Mgr Verdier, Lettre du 14/7/1885, Ar. Rome, 58/2.
R. P.
Martin, supérieur de la mission de Tahiti, Rapport
au
1886, Ar. Rome, 47/2.
Société des
Études
Océaniennes
supérieur général, 11/5:
�53
des
signes de fragilité mentale). Le P. Delpuech est en proie au
découragement : il quitte la congrégation en 1898 (pour rentrer au
monastère de la Trappe). Les recrues, déjà fort rares, sont victimes
du climat et des courses perpétuelles : le P. Daniels meurt au bout
de 3 années de mission, le P. Durand meurt à 29 ans de phtisie
galopante, après un an de mission.
Il faut également se passer des services du P. Tourvieille,
"faussement accusé, mais chansonné de district en district... Fut-il
réellement coupable, ce que la personne enceinte a déclaré faux, le
mal fait à la religion dans ces parages ne serait pas plus grand".
Victime d'accusations mensongères, le P. Tourvieille doit quitter
son
poste... (54).
Mgr Verdier est alors un homme de 65 ans (1900), bien
malade, qu'il faut songer à remplacer. Il a su, pendant plus de.vingt
ans, avec un personnel des plus réduits, au milieu d'attaques
incessantes, dans un climat très hostile et une incertitude totale,
maintenir les Picpuciens à Tahiti (et dans le même temps,
implanter le catholicisme aux îles Sous-le-Vent et aux Cook). C'est
déjà beaucoup.
Une ère nouvelle
.C'est à son successeur, Mgr Hermel, que va revenir
recueillir les fruits d'un tel labeur. En 1903 le jeune P.
Hermel arrive à
ment
interdite
en
la joie de
Athanase
Tahiti, l'année où la congrégation est définitive¬
France. La maison mère est fermée. On envoie
en
catastrophe les Picpuciens dans toutes les maisons étrangères et
surtout en terres de mission. C'est ainsi que Tahiti reçoit en 1903,
5 religieux, 1 en 1904, 5 en 1905 et 5 en 1906. 9 autres sont encore
envoyés avant 1912. Soit un total de 25 prêtres en 9 ans, du jamais
vu ! Le nouveau supérieur, le P. Maurel peut écrire qu'"il y a plus
de missionnaires que de postes à remplir". Pas moins de 12 prêtres
sont
désormais à demeure dans la seule île de Tahiti.
Professeur
au
grand séminaire de Rouen, le P. Hermel
personnifie bien la nouvelle équipe qui se constitue. Il s'agit d'un
personnel mieux formé, d'une haute spiritualité, ce qui n'a pas
toujours été le cas jusqu'alors. Cette équipe est de plus fort jeune :
elle est à l'image de kon nouvel évêque, Mgr Hermel, évêque à
32 ans ! secondé par le P. Maurel, d'une efficacité remarquable,
homme de terrain, mais d'une intransigeance redoutée : les
Picpuciens ont entre leurs mains désormais tous les moyens de
54
-
Correspondance de Mgr Verdier, année 1900, Ar. Rome, 58/3.
Société des
Études
Océaniennes
�54
consolider le patient
leurs devanciers.
Ceux-ci ont
travail entrepris depuis plus de 60
accompli
un
ans par
rude labeur, mais n'ont pas connu un
à la veille de la première
succès à la hauteur de leur engagement :
guerre mondiale, l'île de Tahiti demeure très majoritairement
protestante. A aucun moment, tout au long de ces années, le
catholicisme n'a menacé de supplanter le protestantisme. A leur
actif, les Picpuciens ont quand même la création de paroisses dans
l'île, l'établissement de noyaux très vivants, essentiellement
constitués dans la zone urbaine et les districts limitrophes. Ce
succès très mitigé a dépendu de quatre éléments.
Quelle a été tout d'abord l'attitude de la population tahitienne ? A aucun moment, celle-ci n'a semblé renoncer au
protestantisme. Elle est toujours demeurée fidèle à la foi prônée
par la London Missionary Society. Les prêtres ne sous-estiment
d'ailleurs pas cet attachement, même s'ils sont amenés à le
condamner. Si pressions il y a eu, celles-ci sont demeurées tout à
fait inefficaces. En fait, les missionnaires
catholiques formeront
surtout leurs premiers noyaux de
néophytes à partir des nouveaux
venus qui se fixeront dans l'île. Il est certain
que la communauté
française donne par exemple un grand nombre de fidèles, bien que
le sentiment qui domine chez les colons soit un très fort anticléri¬
calisme. C'est surtout parmi les descendants de ces colons, ceux
que l'on nomme les Demis, que l'Église catholique va recruter. Il ne
faut pas non plus oublier les migrations iliennes
qui conduisent un
nombre croissant, dès le XIXème siècle, de
Pomotus, de Marquisiens et de Mangaréviens à venir s'installer aux îles du Vent. Or
tous ces archipels à nette domination
catholique. Le rôle joué par
les Pascuans (55) a été également très
important : tous sont
de fervents catholiques. Enfin, ne
négligeons pas les communautés
arorai (Micronésiens des îles Gilbert venus travailler sous contrat
dans les plantations, évangélisés par le P. Latuin
Lévêque, et dont
un nombre
important se fixe à Tahiti) et chinoise (à laquelle
s'intéresse très tôt le P. Privât Delpuech). Le
métissage étant
particulièrement fort dans l'île, le catholicisme dépasse bientôt
toute
rapidement
ces
seules communautés.
Le deuxième
Églises
On
ne
anglais
point important est la résistance opposée par les
protestantes de Polynésie à cette pénétration catholique.
saurait nier que le départ des missionnaires
protestants
en
1853
même coup
55
-
Voir à
ce
a été un rude coup porté à cette
Église, et qu'il a du
avantagé les Picpuciens dans leur mission. Cependant,
sujet l'étude de Anguita P., "La migration rapanui
1871-1920". Mémoire de Maîtrise, 1986,
dacty., 237 p.
Société des
Études
Océaniennes
vers
Tahiti et Mangareva,
�55
plusieurs remarques sont à formuler. La première est que l'absence
de pasteurs européens n'a duré que dix ans. Et encore faut-il
que le pasteur J. Orsmond supervise l'Église protestante
créée par le Protectorat et que le pasteur W. Howe demeure à la
tête de la paroisse protestante indépendante de Béthel. A. Simpson
rappeler
demeure lui à Moorea. Cela est certes insuffisant pour
encadrer la
jeune Église tahitienne, mais peut empêcher son effondre¬
ment. Surtout, les pasteurs français arrivent dès 1863. A partir de
cette date, les Picpuciens ont en face d'eux des pasteurs très actifs,
brillants et cultivés. Plusieurs correspondances montrent que
certains prêtres éprouvent un sentiment d'infériorité devant leurs
rivaux quant à la formation reçue. De toutes les façons, les
missionnaires catholiques se sentent submergés par le nombre de
pasteurs, de laïcs, de diacres, surtout si l'on prend en considération
toute
l'arrivée massive de Mormons et de Sanitos à la fin du siècle.
De toute
évidence, les Picpuciens n'ont disposé que de
quelques années. Leur très petit nombre ne leur a pas permis de
tirer profit des faiblesses de l'Église protestante pendant le court
laps de temps pendant lequel "leurs adversaires" étaient
désorganisés.
Le troisième élément est sans conteste l'attitude de l'adminis¬
tration coloniale. Il serait faux de voir en elle un fidèle soutien à la
mission catholique. Très versatile, cette administration, où les
hommes
qui la dirigent, n'ont de cesse d'avoir des rapports
avec le vicaire apostolique et ses missionnaires. Certes,
dans un premier temps, les officiers de Marine se montrent tout à
fait disposés à apporter leur aide à leurs concitoyens, d'autant
qu'ils perçoivent les pasteurs anglais comme les grands respon¬
sables des affrontements de 1844-47 et de la perte des îles Sous-leVent. Mais une lutte d'influence, de prestige et aussi de pouvoir
s'établit rapidement. En outre, les administrateurs civils qui
succèdent aux Marins se montrent beaucoup plus réservés à l'égard
d'une mission, dont le caractère "étranger" les froisse au plus haut
point. L'anticléricalisme qui sévit en France ne peut manquer
d'avoir ses retombées dans les colonies. Mais le manque de
personnel (pour la Santé, l'Enseignement) fait que l'on n'ose se
priver de ces fidèles auxiliaires en ces domaines. On peut toutefois
affirmer que l'administration, passées les années 1850, ne fait plus
rien pour favoriser à Tahiti le catholicisme, bien au contraire.
Enfin, la mission doit compter avec ses propres faiblesses.
Elles sont évidentes. C'est avant tout la pauvreté en personnel. De
2 prêtres en 1850, l'évêque voit ses effectifs passer à 3 en 1860, 6 de
1870 à 1900, et 10 en 1910. Ces ecclésiastiques peuvent s'appuyer
conflictuels
Société des
Études
Océaniennes
�56
sur 7 frères convers, auxiliaires
précieux. Donc l'effort a été
essentiellement supporté par ... 6 prêtres ! C'est peu. D'autant
que
les renforts sont pendant longtemps inexistants, ce qui fait
que la
même équipe demeure de longues années en place. La
moyenne
d'âge s'en ressent : pour les seuls prêtres, elle passe de 36 ans (1870)
à 50 ans (1890). On pourra objecter que le vicaire
apostolique a
disposés de renforts, mais il a préféré destiner ceux-ci vers
archipels (essentiellement les Tuamotu).
On peut en fait s'interroger sur la véritable
politique menée
par la mission catholique de Papeete. Tout laisse supposer que
pour la majorité des supérieurs religieux picpuciens, en raison de
toutes les difficultés évoquées précédemment, Tahiti n'a
jamais été
un but en soi. Certes, il ne
s'agissait pas d'abandonner à leurs
concurrents l'île principale, mais d'autres priorités se dessinaient.
Le manque de religieux obligeait à des choix. Ils furent
toujours
souvent
d'autres
effectués
au
détriment de Tahiti.
Pierre-Yves TOULLELAN
NOTES
L'essentiel de
nos
sources
provient du fonds d'archives de la Congrégation des Sacrés-
Cœurs de Jésus et de Marie, entreposées à Rome. Qu'il me soit ici permis de remercier le
P. P. Hodée qui a bien voulu mettre à ma disposition les milliers de
photocopies qu'il a
entreposé à l'archevêché de Papeete. Ces archives seront codifiées dans le présent article
Ar. Rome.
Société des
Études
Océaniennes
:
�57
COMMENTAIRES
ASTRONOMIQUES
La seconde édition du livre de M.
Graindorge "Le Ciel de Tahiti et
paraître. Elle consacre à l'astronomie
polynésienne la part essentielle du texte, une soixantaine de pages
contre une vingtaine dans l'édition précédente. C'est donc par là que
des
mers
du Sud" vient de
je commencerai
mon
commentaire.
LE CIEL POLYNÉSIEN (p.
134 et suivantes de l'ouvrage)
"Cette
partie du livre se présente comme un lexique astronymique
français-océanien. Les rares explications sont de nature mythologique ou
ethnographique. Le lecteur moyen, qui n'est pas nécessairement rompu à
dialectes du Pacifique aurait espéré une traduction mot-à-mot
seule évocatrice d'image ; dans son introduction l'auteur faisait naître cet
tous les
espoir en écrivant : "Ne vaut-il pas mieux entendre la musique des mots
en poète plutôt qu'en
exégète ?" Il s'en est tenu à la sèche équivalence des
définitions.
La
présentation du système solaire semble parfois entâchée
d'anachronisme. Ainsi la Terre est comprise dans la liste des planètes.
C'est une évidence pour nous depuis Copernic, mais pas nécessairement
pour les hommes du néolithique
une boule dans l'espace sidéral.
qui ignoraient probablement qu'elle fût
Uranus, découverte aux instruments par Herschel en 1781, était
paraît-il connue des Hawaiens sous le nom de "heleekela". L'auteur
indique pourtant (70 pages auparavant) qu'Uranus est à peine visible à
l'œil nu, comme un simple point. Sa révolution sidérale dure 84 ans. Pour
percevoir son très lent déplacement sur le fond étoilé il faut l'observer
plusieurs semaines de suite. Quelle raison à pareille assiduité de la part
des Hawaiens ?
L'auteur fait état d'Antarès comme
connaissance
ne
peut
venir
que
Société des
"étoile double" (p. 110). Cette
d'un catalogue d'étoiles, la duplicité
Études
Océaniennes
�58
d'Antarès n'étant perceptible qu'aux
conditions d'observation.
instruments, et dans d'excellentes
La définition du "Sac à Charbon"
(p. 144) aurait mérité quelque
s'agit non pas d'une constellation mais d'un nuage
galactique qui cache les étoiles plus lointaines et empiète partiellement sur
commentaire.
Il
la Croix du Sud.
Il est surprenant que
les Polynésiens se soient préoccupés d'une petite
partie du ciel, vide et de contour indécis. Les noms tahitiens et paumotu
proposés semblent être des noms de poissons : oiri, fai, kokiri, totara,
urua. N'y aurait-il pas confusion avec la Croix du Sud
elle-même, qui
présente véritablement une forme de poisson ?
Enfin, une dernière remarque qui souligne l'intérêt de la traduction
mot-à-mot. Deux étoiles de 1ère grandeur portent le même nom de "ana
roto" : Régulus et l'Epi (figure 1 de mon commentaire).
Séparées par un
arc de 54°, elles ne
peuvent, en aucune manière, être confondues. Dans le
prolongement de l'arc Régulus-L'Epi, l'étoile Antarès s'appelle "ana
mûri". Dans le prolongement inverse se trouve l'étoile Aldébaran,
appelée
"ana mua" dans la
1ère édition du livre.
L'arc qui va d'Aldébaran à Antarès, en passant par
Régulus et l'EPi
couvre à peu près un demi-cercle
(170° exactement) et coïncide
sensiblement avec l'écliptique : les 4 étoiles nommées sont les seules étoiles
de
1ère grandeur occultées par le la Lune. On
peut conclure que les
Polynésiens, ayant remarqué ce phénomène relativement fréquent,
auraient associé ces 4 étoiles sous la dénomination commune de "ana". Ils
auraient donc connu une moitié de l'écliptique qu'ils auraient balisée
par
ses 2 bornes extrêmes "ana mua"
(la première) et "ana mûri" (la dernière),
respectivement Aldébaran et Antarès, les 2 repères intérieurs étant les
"ana roto" (dedans) respectivement Régulus et l'Epi.
La figure 1 montre que l'arc
Régulus-L'Epi contient le point "gamma
prime" point de l'équinoxe d'automne. Quand la Pleine Lune est voisine
du point automnal, le Soleil à
l'opposé est voisin du point vernal : c'est le
début du Printemps.
Les dates actuelles où le Soleil vient en opposition avec
Régulus et
l'Epi sont respectivement le 19 Février et le 13 Avril. Les 54 jours qui
séparent ces 2 dates contiennent au moins une Pleine Lune et jamais plus
de deux.
Ainsi le début du Printemps peut être
la Pleine Lune entre les 2 "ana roto".
déterminé
par
l'observation de
Hipparque, le plus grand astronome de l'Antiquité (Ile siècle avant
J.C.) ne procédait pas autrement pour rattacher le Soleil aux étoiles : il
profitait d'une éclipse de Lune (opposition exacte Soleil-Lune). La
position d'une étoile par rapport à la Lune éclipsée donnait facilement la
référence solaire. C'est d'ailleurs ainsi
qu'il découvrit la précession des
équinoxes. (Observation de l'étoile "L'Epi", déjà citée).
La place de choix des Pleiades dans l'astronomie
populaire tient
Société des
Études
Océaniennes
�Société des
Études
Océaniennes
�60
simplement au fait qu'elles constituent, après le Soleil et la Lune, le seul
objet céleste, identifiable par n'importe qui, et assez petit pour fournir un
repère suffisamment précis. Les astronomes confirmés n'en avaient nul
besoin.
En terminant
ce
commentaire de l'astronomie
polynésienne
présentée
cerner
par ce livre on peut regretter que l'auteur ne se soit pas attaché à
la notion de pôle qui conditionne celle de latitude. En tahitien
"poro" est manifestement d'origine européenne, donc récente. 11 aurait été
utile de savoir si les Polynésiens ignoraient le pôle, ou si
tout simplement
ils n'ont pas été interrogés sur le sujet.
L'astronome français l'abbé Louis de Lacaille avait, dès 1752 dressé
la cartographie du ciel austral, au Cap de
Bonne Espérance. Les noms
souvent baroques qu'il donna à 14 nouvelles constellations
(toujours en
usage) sont tirés des instruments de son atelier d'optique. Il détermina la
position de 10 000 étoiles de l'hémisphère Sud.
Cela explique sans doute qu'en possession des observations de
Lacaille les premiers découvreurs se soient désintéressés de l'astronomie
polynésienne, dont ils n'avaient rien à attendre pour leurs calculs de
navigation. Leur curiosité s'est surtout portée sur la connaissance des
terres voisines encore non
répertoriées.
LE CALENDRIER LUNAIRE
POLYNÉSIEN
C'est, de loin, la partie du livre la plus difficile à lire. Important
compilation ethnographique et linguistique, son contenu
astronomique est incertain, noyé dans trop d'incidentes relatives aux
légendes ou aux langues du Pacifique.
travail de
Les
—
—
—
—
—
questions essentielles
ne sont pas posées :
polynésien servait-il à la chronologie ?
Réponse certainement négative : la tradition orale n'est pas datée.
Était-il calculable vers le passé comme vers l'avenir ?
Réponse encore probablement négative : c'était un calendrier observé
jour après jour, en dépit du mot de "comput" que l'auteur lui
applique.
Le calendrier
Les
jours ont-ils des
les nuits ? Ils
indiqués.
de la lunaison étant de 29, 53 jours les mois
devaient compter alternativement 29 et 30 nuits. Quelle était la nuit à
supprimer ? "mutu" la 30ème ?
Dans la mesure où les Polynésiens rattachent le
rythme vital des
poissons à celui des phases lunaires une variation de 1 / 30e sur un
cycle biologique, non liée à la température demanderait à être vérifiée.
Enfin l'année polynésienne comptait-elle
12 ou 13 mois lunaires ?
L'auteur n'en admet que 12. Il pense concilier cette
option avec l'année
des saisons en écrivant (p. 110) : "on
peut en déduire que les obsernoms comme
La durée moyenne
Société des
Études
Océaniennes
ne
sont pas
�61
vateurs
font coïncider le lever d'une étoile
avec
le début de
son
mois
correspondant". Si le début d'un mois est déterminé par un
phénomène stellaire il ne coïncide plus forcément avec la Nouvelle
Lune. Le mois n'est plus lunaire.
lunaire
Si les Polynésiens se souciaient de l'année
nécessairement compter 12 ou 13 mois lunaires
des saisons ils devaient
(eux-mêmes de 29 et 30
jours alternativement).
Enfin on voit reparaître l'axiome de M. Graindorge. D'après un
poème d'Hésiode (Ville av. J.C.) "dans la Grèce antique le lever des
Pleiades en Avril indiquait qu'il fallait aiguiser la faucille
quand à la
même époque, aux antipodes, les matarii (Pleiades) disparaissent i raro".
L'ordre de succession Pleïades-Soleil ne tient qu'au sens de la
rotation terrestre, qui est le même dans les 2 hémisphères.
...
première critique (B.S.E.O. N° 236 - Sept. 1986) j'avais
réfutation logique à ce prétendu axiome de l'inversion des
aspects célestes selon l'hémisphère de l'observateur.
En voici une autre, par l'absurde (qui convient littéralement au
sujet) : si les constellations s'inversent systématiquement d'un hémisphère
à l'autre, le basculement doit se produire instantanément au passage de
l'équateur. Spectacle grandiose, et renouvelé par un petit pas au Nord ou
un petit pas au Sud !
Dans
apporté
ma
une
LES CALENDRIERS
quelques 700 mots (page 91 de
livre) au calendrier romain dont l'emploi, sous sa forme chrétienne
grégorienne, est aujourd'hui quasi-universel. Confus et lacunaire, erroné
de surcroît, cet article ne peut être clairement discuté qu'après
rétablissement des faits arithmétiques et historiques qui marquent
Sous
ce
titre M. Graindorge consacre
son
l'évolution du calendrier.
Le but d'un calendrier
solaire, tel que le nôtre, est de ramener
les
calendrier, ou année civile,
compte nécessairement un nombre entier de jours ; l'année tropique, ou
année des saisons, se mesure par un nombre fractionnaire. L'accord de
l'année civile avec l'année tropique ne peut se faire qu'en moyenne, par
approximations successives consistant en l'addition ou en la soustraction
d'un jour à des intervalles convenables.
L'histoire de notre calendrier actuel, est résumée dans le tableau
"CALENDRIER GRÉGORIEN".
mêmes saisons
La
aux
mêmes dates. L'année du
première ligne expose la solution
fractionnaire adoptée par les
réformateurs successifs du calendrier : l'empereur
romain Jules César et le
fractions de cette première ligne
constituent l'argumentation verticale du tableau. La colonne de gauche
donne en argumentation horizontale la chronologie des modifications,
pape
Grégoire XIII. Les nombres et
parfois brièvement commentées.
Société des
Études Océaniennes
�62
Ce tableau montre que :
L'année civile julienne est plus longue que l'année tropique de 3/4 de
jour par siècle (environ). Le calendrier julien retarde sur les saisons
(les saisons commencent de plus en plus tôt dans le calendrier).
—
L'année civile
—
10 000
jour
ans.
en
grégorienne excède l'année tropique de 3 jours en
grégorien retarde donc sur les saisons d'un
Le calendrier
3 000
ans,
environ.
Cette estimation est purement théorique : elle suppose constantes
la
durée de l'année tropique, et celle du jour qui est l'unité fondamentale
du calendrier. En réalité la durée de l'année
tropique diminue sous
l'action des perturbations planétaires, et la durée du
jour augmente
par le freinage des marées (la force des marées étant d'origine extra¬
terrestre). La durée de l'année civile, immuablement comptée en jours
plus longs, augmente également, et accroît le retard du calendrier.
RÈGLE DU CALENDRIER GRÉGORIEN
A l'année commune de 365 jours on ajoute tous les
quatre ans un
jour complémentaire, dit "bissexte", qui prend rang au 29 Février.
L'année de 366 jours ainsi formée est dite "bissextile".
Sont bissextiles les années dont le millésime
—
est
divisible par 4.
Demeurent communes les années séculaires dont le millésime n'est
pas
divisible par 400.
—
(Ainsi
:
1900 est restée
L'an 2000
sera
commune
bissextile
en
malgré
raison de
sa
sa
divisibilité
par
4.
divisibilité par 400).
ADOPTION DU CALENDRIER GRÉGORIEN
A Rome le lendemain du Jeudi 4 Octobre 1582 fut le Vendredi 15
Octobre (notation symbolique : Vendredi 5/15 Octobre
4
Octobre, Sainte Thérèse d'Avila fut
cette
1582). Morte le
enterrée le lendemain 15 Octobre de
année-là.
En France le
Décembre 1582.
changement de quantième-s'effectua le 10 / 20
Pour des raisons de particularisme national, traditionnel
ou religieux
d'autres pays se refusèrent longtemps à ce changement.
L'Angleterre et la
Suède protestantes ne s'alignèrent
1918,
qu'en 1752. La Russie orthodoxe
une
en
fois devenue URSS.
Chez d'autres nations non chrétiennes
l'adoption du calendrier
grégorien à usage civil marqua une volonté d'ouverture au monde
moderne : Japon (1873), Chine
(1912), Turquie (1924). Noter que la fête
chinoise du "Double-Dix" s'énonce
grégorien, le 10 Octobre.
ou
et se
célèbre dans le calendrier
Enfin dans bien des pays d'Asie,
d'Afrique et d'Amérique l'usage civil
religieux du grégorien est un legs de la colonisation européenne ou
chrétienne.
Société des
Études
Océaniennes
�63
CALENDRIER GRÉGORIEN
Année
Année civile moyenne
tropique
365j 5h 48m 46s
-
365,2422
365
=
+
1
3
400
CALENDRIER JULIEN
(Jules César, 45 av. J-C.)
(Astronome Sosigène d'Alexandrie)
Année
commune
Correction bissextile
tous
les 4
:
+ 1
jour (bissexte)
ans
Etablissement des mois
dans leurs durées actuelles.
(Août dédié plus tard à Auguste,
successeur de Jules César)
Début de l'année le 1er Janvier.
L'équinoxe observé
le 25 Mars 45
av.
par
Sosigène tombe
J-C.
Repos dominical
(décret de Constantin 1er, 321 ap. J-C)
Le cycle hebdomadaire s'était superposé
au calendrier romain dès le siècle précédent.
CONCILE DE NICÉE
(325 ap. J-C.)
Les Pâques chrétiennes sont fixées au
"premier Dimanche après la première
Pleine Lune survenant au plus tôt
le 21 Mars".
Equinoxe observé le 21 Mars 325.
ÈRE CHRÉTIENNE
(Denys le Petit, 532)
Le 1er Janvier de l'an 1 du Christ est
le
1er Janvier 754 de Rome.
Denys le Petit établit les règles
pascal julien.
du comput
CALENDRIER GRÉGORIEN
astronome
(Grégoire XIII,
Clavius)
Equinoxe observé le II Mars 1582 (Julien)
Pâques fête printanière, déterminée par référence
au 21 Mars, retarde et dérive vers l'été.
Correction du numérotage des jours (+ 10) :
Le Vendredi 5 Octobre 1582 (Julien) devient
Le Vendredi 15 Octobre 1582 (Grégorien)
Equinoxe observé le 21 Mars 1583, conforme
aux
saisons du Concile de Nicée.
Maintien de la conformité future par correction anti¬
bissextile : suppression de 3 bissextes en 400 ans ..
Excès résiduel non corrigé : 3 jours en 10 000 ans .
Modification grégorienne du comput
Société des
pascal.
Études
Océaniennes
—
idéale
3
10 000
�64
CYCLE GRÉGORIEN
Le
15 Octobre
1982
a marqué le
quadricentenaire du calendrier
Vendredi, comme le 15 Octobre 1582. Le Jeudi 14
Octobre 1982 n'a, sous sa forme abrégée de "Jeudi 14 Octobre 82", aucun
antécédent grégorien identique. Dès son lendemain toutes les dates
abrégées présentent une ambiguïté de 400 ans. Le calendrier de 1988 est le
même que celui de 1588.
grégorien. Ce fut
DATE DE
un
PAQUES
Le Christ est ressuscité au jour d'une Pâque juive, qui tomba un
Dimanche. Dans le calendrier de Moïse la Pâque est une fête fixe,
célébrée le 15 du mois de Nissan. Ce mois contient ou suit l'équinoxe de
Printemps. Le 15 du mois lunaire survient
un jour ou
deux après la Pleine
Lune.
Les
premiers chrétiens, nécessairement juifs, célébrèrent la
jour de "la Pâque".
En 325, les évêques réunis au premier concile de la chrétienté à Nicée
(Asie Mineure) décidèrent de donner à la fête de la Résurrection une
définition chronologique adaptée au calendrier romain, qui avait
supplanté le calendrier juif dans le monde chrétien.
Résurrection dans le calendrier de leur peuple, le
Ne pouvant
de
restituer
en
date romaine
une
date de Pâque juive privée
millésime ils recoururent aux repères solaire et lunaire la
caractérisant. Ils ajoutèrent la condition du Dimanche. D'où la définition
donnée dans le tableau.
son
En liant la date de
Pâques au 21 Mars, jour d'équinoxe en 325, les
évêques du concile pensaient édicter une règle perpétuelle, persuadés que
l'équinoxe reviendrait toujours au 21 Mars. Nous savons leur erreur,
l'année julienne étant un peu plus longue que l'année tropique. Quand en
1582, à raison de 3 jours pour 400 ans, le 21 Mars retarda de 10 jours sur
l'équinoxe, le pape Grégoire XIII décida la réforme qui porte son nom.
La date des
Pâques chrétiennes retrouva
sa
conformité biblique.
REMARQUES
La date des Pâques chrétiennes résulte d'un calcul luni-solaire parce
qu'elle est liée à celle de la Pâque juive, elle-même définie en mois et en
jour du mois dans le calendrier juif luni-solaire. Elle est donc mobile dans
le calendrier chrétien purement solaire.
En revanche un événement daté dans le Nouveau Testament
par le
seul rang du mois dans le calendrier civil
juif ne peut être situé que par
référence solaire, l'année juive commençant sensiblement à l'équinoxe
d'automne. La date correspondante est alors fixe dans le calendrier
chrétien. Ainsi, selon Luc (1.26), c'est "au 6ème mois" que l'ange Gabriel
à Marie son Immaculée Conception. Le 6ème mois contient
l'équinoxe de Printemps, observé par Sosigène le 25 Mars, une
annonça
Société des
Études
Océaniennes
�65
quarantaine d'années avant le Christ. C'est précisément au 25 Mars que
les chrétiens ont fixé l'Annonciation. Neuf mois plus tard, jour pour jour,
le 25 Décembre naissait le Christ. Au "huitième jour" (Lévitique 12.3),
soit le 1er Janvier, il était circoncis. Ainsi l'ère chrétienne commence non
pas au jour de la naissance du Christ mais à celui de sa Circoncision.
Enfin, un fait chronologique aussi remarquable par son évidence que
l'oubli où on le tient : le Christ est ressuscité un Dimanche 15 Nissan
(jour de la Pâque juive qui tomba par hasard un Dimanche). Il mourut
sur la Croix le Vendredi précédent, "Vendredi 13 Nissan".
par
Dans le calendrier chrétien
de Pleine Lune
Il y a
julien le 13 Avril 1313 a été un Vendredi,
pascale du comput, et par suite un Vendredi Saint.
faisceau de coïncidences qui pourrait donner de la
une explication tout autre que celle
généralement admise.
là
un
malédiction du Vendredi 13
ANALYSE DU TEXTE DE M. GRAINDORGE
une
L'article ne donne qu'un seul renseignement général utile au lecteur :
année sur 4 est bissextile. Le critère de divisibilité par 4 n'est pas
évoqué. Le cas particulier des années séculaires, objet de la réforme
grégorienne, est passé sous silence. Bref, les seules règles d'intérêt pratique
et d'application facile qui expliquent le fonctionnement du calendrier ne
figurent pas dans cet ouvrage de vulgarisation.
La romanité antique ou pontificale du
soin attentif : M. Graindorge ne cite pas
calendrier est effacée avec un
Jules César ; ainsi selon lui
Sosigène aurait, de sa propre initiative créé, et par sa propre autorité
imposé, un calendrier dont le qualificatif de "julien" ne s'expliquerait pas.
Le lecteur ignorera jusqu'à la fin de l'article que notre calendrier nous
vient des Romains : l'étymologie latine des 4 derniers mois de l'année est
indiquée sans commentaire historique.
L'explication du bissexte par "le 26 Février" est superficielle et
inexacte. Les Romains comptaient les jours dans le sens chronologique
inverse du nôtre : le "sextus" était le 6e jour avant le 1er Mars (ils disaient
le VI des calendes de Mars"), correspondant à notre 24 Février (en
comptant 1 pour le 1er Mars, 2 pour le 28
prenait place entre le 23 et le 24 Février.
Février
...
etc). Le "bisextus"
Graindorge donne au décalage du calendrier julien sur les saisons
jours par siècle". Il est 8 fois moindre : 3/4 de jour par
siècle, ce qui correspond d'ailleurs à la correction grégorienne ultérieure
(suppression de 3 bissextes en 400 ans).
M.
la valeur de "6
L'auteur n'a manifestement
tique,
aucune vérification arithmé¬
recopier des sources manuscrites que
bon sens fait en effet apercevoir que,
procédé à
se contentant sans doute de
l'on aimerait connaître. Le simple
16 siècles s'étant écoulés entre la réforme julienne et la grégorienne, le
décalage correspondant aurait atteint 6 x 16 = 96 jours. L'équinoxe de
printemps, observé le 25 Mars par Sosigène en 45 avant notre ère, serait
Société des
Études Océaniennes
�66
survenu
le 19 Décembre
en
1581. Noël
au
printemps voilà qui aurait laissé
dans les annales !
trace
M.
Graindorge donne de la réforme grégorienne
qu'elle ne peut être résumée. La voici :
brève
une
description si
"C'est en 1582, à l'époque du pape Grégoire XIII que l'année a été
recalée pour correspondre à nouveau avec les saisons et la durée de
l'année fixée à 365, 242 jours, le calendrier prit le nom de grégorien".
Nulle mention de la valeur du "recalage" (+ 10 quantièmes) ni de la
correction antibissextile (- 3 bissextes en 400 ans). Il manque la quatrième
décimale à la durée de l'année grégorienne qui est de 365,2425 jours
(simple détail, qui empêche le lecteur de vérifier la cohérence avec la suite,
on le verra). Nulle allusion non
plus à la date de Pâques ni au concile de
Nicée.
Quant à Grégoire X111 il n'est que le contemporain auguste, passif et
qui n'a ni ordonnateur ni artisan.
décoratif d'un calendrier
L'auteur enchaîne aussitôt
:
"Aujourd'hui l'année encore plus précise est de 365j 5h 48m 46s. Il
encore un décalage de
1 jour en 33 siècles ..."
subsiste
Si l'auteur avait voulu être clair vis-à-vis des lecteurs débutants
son livre il aurait écrit :
auxquels il destine
"Avec la précision des mesures actuelles la durée de l'année des
saisons est de 365j 5h 48m 46s. Il subsiste encore avec l'année
grégorienne
un décalage de 1 jour en 33 siècles ..."
Que
le lecteur candide de la formulation proposée par
simplement que la réforme grégorienne a été suivie d'une
réforme "encore plus précise" donnant naissance au "calendrier
pensera
l'auteur ? Tout
autre
occidental" annoncé en début d'article en ces mots : "L'histoire du
calendrier occidental... le plus utilisé dans le monde
malgré ses nombreux
défauts".
Le
procédé utilisé par l'auteur contient tous les ingrédients du tour de
emploi soudain de la notation en jours, heures, minutes et
secondes alors que deux lignes
auparavant l'année grégorienne est donnée
en jours et fraction décimale de
jour.
Amputation de l'année grégorienne de sa 4e décimale : le lecteur
attentif qui surmonte le premier barrage de la notation trouve entre les
2 valeurs proposées un
décalage de 1 jour en 50 siècles au lieu des 33
indiqués. Il est inévitablement conduit à penser que la 2e valeur est celle
d'une nouvelle année civile et non
pas celle (bien réelle) de l'année des
passe-passe :
saisons.
L'auteur le maintient dans cette erreur en ne donnant
pas la règle
grégorienne de bissextilité. S'il l'avait donnée, voyant qu'il n'en existe pas
d'autre le lecteur aurait compris
que "grégorien" et "occidental" désignent
le même calendrier. Apparemment M.
Graindorge ne souhaitait pas ce
constat.
Société des
Études
Océaniennes
�67
Nous voici parvenus au
premier tiers de l'article, premier tiers
consacré
(on a vu avec quels silences et quelles erreurs) à la description
historique et arithmétique du calendrier. Tout le reste est consacré à la
critique.
L'auteur
prend soudain conscience de "L'arbitraire" du calendrier, et
historiques et bibliques dont il s'est montré si
de l'utilité des références
avare
jusque-là.
Pourtant, l'arbitraire du calendrier n'est une révélation pour
personne sauf pour lui ; le calendrier est fait par et pour des hommes, en
fonction des cycles qui les intéressent : cycle diurne pour tous les hommes,
cycle lunaire
ou
solaire selon les habitudes de chacun.
L'auteur s'en
prend successivement à l'origine de l'ère chrétienne : le
plusieurs années avant notre ère. Cela est connu et ne
dérange personne. La date de Noël est incertaine, chacun s'en doute et
Christ
cela
ne
est
né
concerne
nullement le calendrier.
Dans le domaine des conventions il omet de faire la seule remarque
logique et drôle : la fin du 2e millénaire et le début du 3e seront fêtés (les
jeunes et les optimistes s'y préparent) au soir du 31 Décembre 1999. C'est
une erreur : le 1er siècle a commencé au 1er Janvier de l'an 1, le 2e siècle
au
1er Janvier 101
etc
le 20ème au 1er Janvier 1901. Le 21ème
devrait commencer au 1er Janvier 2001. Pour mesurer les siècles nous
utilisons une règle commençant à 1 et finissant à 101. Nous nous y
refuserions s'il s'agissait de longueurs.
...
...
Insensible
conventions les plus clairement évidentes
aux
M. Graindorge, au nom d'une vérité astronomique qui l'obsède, en
décrète une nouvelle dont l'arbitraire lui échappe : "Le véritable début de
l'année astronomique commence au mois de Mars quand le Soleil passe
l'Equateur et
marque
le début du Printemps, mais les rois en ont décidé
autrement."
Passons sur ce "début
qui commence" : Deux affirmations
mieux qu'une pour exprimer une intense conviction.
...
valent
Pourquoi l'équinoxe de printemps serait-il plus naturellement
l'un quelconque des Solstices ? Je
véritable que celui d'automne ou que
crois inutile de discuter plus avant.
J'ajouterai simplement que, les jours et les années commençant à
heure, il serait parfaitement oiseux de calculer l'heure d'un équinoxe à la
seconde près pour n'en tenir compte qu'à 24 h près. De plus, si l'équinoxe
survient au voisinage de 0 h unè minime erreur due à la théorie ou aux
moyens de calcul entraîne une différence d'un jour entier sur le début de
l'année. Belles discussions d'experts en perspective !
0
Enfin M. Graindorge, pour couronner son oeuvre, ne craint pas de
s'immoler sur l'autel de la Contradiction. Parlant du calendrier
républicain : "... les politiciens qui l'avaient créé n'étaient pas des
scientifiques". L'auteur ignore sans aucun doute que l'année républicaine,
comblant ses vœux, commençait à l'EQUINOXE D'AUTOMNE, en
Société des
Études
Océaniennes
�68
commémoration de la proclamation de la
22
République qui eut lieu le
Septembre 1792.
Le calendrier
républicain fut abandonné après 12 ans seulement d'un
qui ne fut jamais populaire : Il détruisait radicalement la référence
passé historique comme familial. Chacun de nous conserve en héritage
anniversaires qui lui sont chers.
usage
au
les
Cet
exemple devrait alimenter la réflexion des ratiocineurs tentés de
le fait M. Graindorge en bouquet final : "Quand verronsnous des hommes sérieux
proposer au monde un calendrier universel,
logique et bien construit ?"
s'écrier
comme
CARTES ET DESSINS
La deuxième édition reprend sans en changer le
principe les cartes de
première, dont j'avais déjà signalé les défauts (Bulletin n° 236, de
septembre 1986).
la
La carte que
j'ai fournie en figure n° 1 de mon actuel commentaire (à
du ciel polynésien) montre les restrictions et les exagérations de la
projection adoptée par l'auteur : champ horizontal de 130° (au lieu de
180), champ vertical de 99° (au lieu de 90 ; l'observateur est censé regarder
au-delà du zénith, en se penchant en
arrière). L'exagération verticale vient
du choix arbitraire de la "voûte céleste" dont l'auteur ne
pourrait pas dire
lui-même dans quel plan il la place. De même pour la troncature du
champ horizontal : les points Est et Ouest, rejetés à l'infini, ne peuvent pas
être représentés. L'auteur
supprime donc ces détails gênants.
Les cartes de la 1ère édition présentaient les étoiles en noir sur fond
de ciel blanc. Les contours géométriques
caractéristiques des constella¬
tions ne sont pas tracés sur les cartes elles-mêmes. Ils sont fournis, une
seule fois, par des schémas sur une feuille séparée qui n'est
pas toujours
propos
vis-à-vis de la carte.
Sur fond de ciel blanc le lecteur,
pouvait, une fois pour toutes, tracer
constellations, palliant ainsi la lacune laissée par l'auteur.
Cela n'est plus possible avec l'édition actuelle, en ciel noir, tirage
négatif de la première. En ajoutant que toutes les constellations ou étoiles
remarquables ne sont pas nécessairement nommées sur les cartes, on
comprend qu'à chaque consultation de l'ouvrage le lecteur devra d'abord
rechercher le schéma d'une constellation éventuellement
anonyme, puis
passer du schéma à la carte, et enfin de la carte au ciel, ou réciproque¬
ment. Finalement, seul le schéma
présente un intérêt véritable !
Ceci étant dit, ces cartes célestes ont un très bel aspect de
carte
postale, qui pourrait être encore amélioré en supprimant le peu
d'indications écrites qu'elles portent. Elles fourmillent d'un grand nombre
de petites étoiles non
identifiées, placées avec un soin scrupuleux, qui ne
servent qu'à accroître la confusion de l'ensemble.
le contour des
L'horizon
est
joliment décoré de
Société des
Études
paysages
typiques polynésiens
Océaniennes
ou
�Société des
Études
Océaniennes
69
�x
£
2
M
\ui
70
PmallÏLF
r(UJpiûu£_
Études
ÉflUAttUR
Tioftàul
Société des
Océaniennes
�71
calédoniens. Cet agrément cependant a un revers : plusieurs de ces vues
sont trop bien connues, et leur vérité géographique
dément la vérité
astronomique du ciel environnant (Moorea,
une
carte
face
au
Nord
comme
on
par exemple, représentée sur
la voit de Faaa face à l'Ouest).
Telles sont les remarques que me
suggèrent les cartes.
dessins qui illustrent les textes d'astronomie générale, leur
l'objet déclaré du livre : initier les lecteurs des
latitudes tropicales australes aux aspects célestes rapportés à leur horizon.
Quant
aux
nature ne s'accorde pas avec
De tous les cercles imaginaires que l'on trace sur la sphère céleste
(méridiens, parallèles, équateur, écliptique, horizon) seul l'horizon est
susceptible d'une définition concrète accessible à tous. C'est le seul,
cependant, que M. Graindorge n'utilise pas ; il omet de citer les
coordonnées qui s'y rapportent : la hauteur et l'azimut ; il passe sous
silence le "mouvement apparent diurne" cause évidente de la variation de
ces coordonnées entre le lever, la culmination et le coucher. Quand à deux
reprises, pages 9 et 67, il dessine la sphère céleste, c'est toujours "en
tenue de cérémonie", l'axe polaire bien vertical. Jamais il ne la place en
situation banale de "sphère locale" avec l'axe incliné sur l'horizon. Mani¬
festement, la technique de cette perspective sphérique ne lui est pas
familière (d'où, en particulier, ses erreurs cartographiques).
Je reproduis en figure 2 le dessin par lequel
variations saisonnières de la hauteur du soleil. (11
latitude de Tetiaroa, le passage zénithal du Soleil
déclinaison est d'environ 20°S...)
On
—
—
note
immédiatement les anomalies
il tente d'expliquer les
place Tahiti par 17°S,
le 23 Janvier quand sa
perspectives suivantes
:
L'échelle des distances terrestres et sidérales n'est pas respectée.
L'altitude du Soleil serait d'environ 2 500 km au lieu de quelques
150 millions !
Les
trajectoires diurnes du Soleil sont figurées comme des arcs-en-ciel,
un plan vertical, alors que ce plan devrait être incliné de 17°,
dans
valeur de la latitude.
projeté verticalement sur les
doit, mais non pas dans le Méridien de Tahiti,
comme il se devrait. (Projections que j'ai marquées d'un point
d'interrogation sur la figure 2).
Cette distorsion n'alerte ni l'auteur, ni le dessinateur (pourtant
professeur de dessin !)
—
Le Soleil
tropiques
—
aux
culminations solsticiales est
comme
il
se
trajectoire du Soleil zénithal pour Tahiti n'est pas indiquée (bien
le phénomène soit cité en légende avec ses dates). Pourquoi ? Tout
simplement parce que cette trajectoire, dans un plan supposé vertical,
ferait, pense l'auteur, lever le Soleil à l'Est. Mais ce serait l'équinoxe
(21 Mars ou 22 Septembre). Cruel dilemme !
La
que
: il ne trace ni la trajectoire zénithale, ni l'équinoxiale. Je donne
figure 2.1. La représentation correcte des phénomènes sous tous leurs
aspects ; il suffit de ramener les dimensions de Tahiti et de la Terre entière
Solution
en
Société des
Études
Océaniennes
�72
PROJECTION
ST^REOûRAPHiaUE
SOR.
LE
PREMiER
f Meridians
=
VERTICAL
:
S"
h
ou
0
,
Am
20
£qu (dis tan ce. j
20
(Les pieds des verticaux -sont pointes de 5 en 5°
4U£
les
dans
hautturj
Face
3SS/P<^P
Société des
Études
Océaniennes
le. 4"" vertûiaO
au
pôle élevé
o/od
np otpj
�K.I&EL
"
MALM
d'jprâs J. BOULLAÎItE.
d'Orion
indice une latitude, de 67'Sud ( Antàrclujut)
pâràllûctiaLLt mesuré sur dessin : 2? = 15*
L'attitude
Anàla
Société des
Études
Océaniennes
�74
Figure 4.1
onioN
f
dans l'Est
Polynesia
,
8 CâLcu-U
par
=
par
20° de. Latitude. Sud.
example )
69°
Société des Etudes Océaniennes
�75
à l'échellè des distances
cohérence
astronomiques : un point infime. Pour la
figure 2 j'ai pris 17°S pour latitude de Tahiti. Les dates
zénithaux sont calculées pour la latitude 17°30'S (Pointe
avec
des passages
la
Vénus).
La
représentation en "sphère locale" fait apparaître l'inclinaison
trajectoires diurnes. On admet trop souvent, par simplification
abusive, que les astres se lèvent et se couchent verticalement sur l'horizon
tropical. Cela n'est strictement vrai qu'à l'équateur.
réelle des
Je donne
en
figure 3 le
canevas
stéréographique du ciel à la latitude
20°N (Ile Hawaii, Sandwich) ou 20°S (Atiu, Cook). C'est celui qui m'a
servi à établir la carte de la figure 1. Le diamètre vertical est le méridien
local, le diamètre horizontal représente l'horizon. Le plan de figure est le
vertical).
vertical Est-Ouest (ou 1er
L'équateur,
horaire. Ce
trait, est marqué 00 en déclinaison, et en
montre, face au Nord ou face au Sud
en gros
canevas
retournement) et dans leur
diurnes des corps célestes.
totalité (visibles
ou
angle
(par
invisibles) les trajectoires
Quand une trajectoire coupe le cercle de contour son
retrouve, par retournement zénith pour nadir.
Cette projection est "conforme" : elle conserve
complément
se
les angles. En
particulier, les trajectoires diurnes sur la sphère céleste coupent réellement
l'horizon sous l'angle indiqué par le canevas.
Enfin, pour terminer sur une note moins austère, une anecdote qui
s'apparente au "Jeu des erreurs". L'ouvrage de M. Graindorge reproduit
en dernière page un beau dessin de Boullaire, extrait de "la légende de
Maui" (par E. Dodd). Je le reproduis à mon tour, partiellement, en
figure 4.
Maui contemple la constellation d'Orion, basse sur l'horizon et
quasi-verticale. Sachant qu'Orion chevauche l'équateur et que son axe est
pratiquement un méridien céleste, on devine au premier coup d'oeil que le
pôle Sud est haut dans le ciel.
très exactement, et d'après carte, cette
voir à Tahiti ainsi disposée. Il m'était donc
facile de reconstituer l'échelle angulaire du dessin et de calculer la lati¬
tude : 67°S, dans l'Antarctique !
Boullaire a reproduit
constellation qu'il n'a pas pu
La figure 4.1 donne Orion à son
de la nuit en début Septembre).
A
lever,
vu
de Tahiti (deuxième partie
Tahiti, Orion n'apparaît dans l'attitude indiquée par Boullaire qu'à
méridien.
Dodd avaient-ils fait cette
71° de hauteur peu avant son passage au
Messieurs
Graindorge et
remarque
?
Jean Paoli (*)
(*) Mon précédent article (Bulletin n° 236) avait été, par erreur, attribué à P. PAOLI.
Société des
Études
Océaniennes
�76
COMPTE-RENDU
LAMBERT
-
RIEU
-
TCHONG
Tahaa - Vestiges archéologiques de surface.
Dép. Archéologie. Punaauia. 1987, 158 p., ill., cartes.
Taha'a, qui partage avec Raiatea, le même lagon, a une superficie de
population d'environ 3 400 habitants. La plaine côtière,
ne permet
pas d'aménager sur de grandes surfaces des
complexes d'habitat. En outre de nombreuses zones sont marécageuses et
par conséquent peu hospitalières.
88 km2, et une
souvent étroite
Un très lent mouvement d'enfoncement
(appelé subsidence) affecte
siècle. L'objectif de la mission était de réviser
les anciennes descriptions et inventaires, et d'effectuer une
cartographie
précise de l'ensemble des structures archéologiques présentes aujourd'hui.
39 sites regroupant 134 structures ont été inventoriés. Tous les marae
inventoriés sont du type "Iles-sous-le-Vent". L'ahu est de forme rectan¬
gulaire, fait le plus souvent de dalles de corail ou de grès de plage, posées
sur le chant ; les
plus imposantes atteignent une hauteur de 2,30 m, un
poids de plusieurs tonnes, demandant une technique et un savoir-faire
d'extraction et de mise en place particuliers.
Le plus grand nombre des marae
recensés, correspond à ceux
construits sur des avancées artificielles dans le lagon et dont les limites de
l'île à raison de 10
leurs
cours
cms
par
sont rarement
décelables.
Société des
Études
Océaniennes
�77
CHRISTINO
-
VARGAS
-
RIEU
Fouilles archéologiques et
Vallée de la Vaihiria
-
restauration du site VAI-I.
1987, 96 p., ill.
La vallée de la Vaihiria est située dans le district de
Mataiea, sur la
Tahiti, entre Pamati et Terua-Mo'o. 3 sites ont été localisés et
ce rapport ne concerne que Vai-I.
13 terrasses ont été mises à jour,
comportant sept soubassements de maisons rectangulaires. 3 cistes, un
marae principal et deux marae secondaires. Le site présente une grande
zone, où les habitations se regroupent, et deux autres zones destinées à
d'autres activités. Quatre sépultures sont contenues dans une aire
d'environ 6 m2. Les ossements étaient dans un état de dégradation avancé.
Le corps reposait sur sa face dorsale, jambes pliées.
côte SE de
7
grands fours à fond pavé, onze foyers, onze fosses, 206 trous de
chant, sont soigneusement
poteau, un alignement de pierres posées sur
étudiés.
ROCHER Isabelle
Contribution
à
la connaissance de
Polynésie Française.
1988. Thèse Faculté de Médecine.
l'usage du tabac en
Paris-Sud.
De par les documents que l'auteur a rassemblés d'une part et les
apports personnels du terrain et de la réflexion dont elle les complète
d'autre part, il s'agit là, sans aucun doute, du premier ensemble cohérent
porté à notre connaissance sur l'usage du tabac en Polynésie.
adhésion gourmande, familiale et conviviale,
souligné en notant le rôle des femmes et de
l'oralité. C'était hier et dans le même temps, le boom des 6e et 7e
décennies, avec les modifications quantitatives et qualitatives induites,
portait la consommation générale à des sommets internationaux.
Le bicentenaire de cette
à la fumée de tabac est bien
Chez les adolescents, deux grandes enquêtes comparatives à 5 ans
d'intervalle ont plutôt permis de fixer un "moins" par rapport à l'Europe,
mais l'on méditera l'échec de toute recherche complémentaire en milieu
non scolarisé...
Chez les adultes, on a
confirmé un "plus" et des caractéristiques
ethniques bien particulières.
On
presque
pouvait alors situer Tahiti et ses îles dans le Pacifique et insister
"hors normes" sur les marqueurs précoces mis en relief chez des
Société des
Études Océaniennes
�78
mineurs, mais le rôle quotidien des modèles classiques parents,
enseignants et Service de Santé fut soumis à enquête. On risque d'être
surpris par certains constats très récents...
Depuis 1979 néanmoins et à l'initiative de l'Institut Malardé
rapidement suivi par la Direction de la Santé Publique et d'autres
autorités ou responsables, il s'est passé bien des choses en
Polynésie. On
voit dans le texte de curieux errements et avatars
qui n'ont pas empêché le
Territoire de mener, en définitive, une lutte
antitabagique aujourd'hui très
avancée à certains égards et globalement efficace en ce
qui concerne la
consommation. L'avenir sanitaire du fumeur et la menace
précise du
cancer bronchique restent de toute
façon une préoccupation majeure dans
l'avancée lucide
-
"Santé 2000"
-
vers
le 3e millénaire.
PAYRI Claude Elisabeth
Variabilité spatiale et temporelle de la communauté des
macrophytes des récifs coralliens de Moorea (Polynésie
Française). Contribution des algues
l'écosystème récital.
au
métabolisme du
carbone de
1987
-
Thèse Académie des Sciences de
Montpellier. 285
p.,
bibl., fig., pl.
Cette étude réalisée à Moorea montre
que la communauté des
macrophytes n'est pas répartie de façon homogène sur les récifs. Sur la
coupe type, "Radiale de Tiahura", (N.O. de Moorea) les 206
espèces
d'algues recensées en plongée dans les 27 stations contiguës de 40 m de
large, s'organisent en 4 peuplements sous l'Influence d'un grand gradient
spatial, perpendiculaire à la côte. De même la répartition des 226 espèces
inventoriées sur l'ensemble des récifs de l'île montre une nette
opposition
entre les peuplements des
lagons nord et ceux des lagons sud, ouest et est.
Les résultats acquis pour la macroflore ne sont
pas en contradiction avec
ceux obtenus
pour d'autres groupes faunistiques, notamment.
L'étude en dynamique des populations de 2
espèces calcifiantes
(Halimeda Incrassata f. ovata et Hydroliton reinboldii) donne une
première évaluation de la contribution de ces organismes à la sédimentogénèse et à l'accroissement du squelette récifal calcaire.
Enfin, nous avons évalué, in situ, la production organique et la
calcification de 30 espèces de macrophytes. 7
espèces en particulier ont été
étudiées au cours de 14 nyethémères répartis
sur 11 mois entre 1984 et
1985. Il ressort de cette étude que les algues récifales ont des
productions
primaires et en carbonates importantes. On note des variabilités inter- et
infraspécifiques, ainsi
que
saisonnières.
Société des
Études
Océaniennes
�79
Nous
avons
suivi conjointement
l'évolution nycthémérale et
saisonnière de la productivité et de la calcification du récif sur trois zones
différentes. Les deux processus décrivent une variation spatio-tempo¬
total, les bilans annuels sont franchement positifs et confirment
l'autotrophie du récif et l'accroissement vertical du squelette calcaire.
relle ; au
comparaison entre les deux types de bilans annuels obtenus pour
macrophytes, pour le récif, montre que les algues ont un rôle
important dans le fonctionnement du récif en produisant 3,6 kg C m-2
an-i et 4,8 kg CaCÛ3 m-2 an-i. Les bilans de production en carbone du
récif de Tiahura sont comparables à ceux publiés pour le même type de
La
les
milieu récifal.
I. INEICH - Ch. P. BLANC
Le peuplement herpétologique de Polynésie Française.
Adaptation et aléas - Bul. Soc. Zoologique de France, p. 381-400, N°3-4,
1987.
L'herpétaufaune terrestre de Polynésie Française, comprend au
espèces, toutes à très large distribution Pacifique, voire IndoPacifique. Quoique la Polynésie Française soit située au milieu de l'Océan
Pacifique, entre l'Australie et le continent sud-américain, toutes les
affinités de son peuplement herpétologique se localisent à l'ouest, au
niveau des Philippines et de la Nouvelle-Guinée, ceci malgré l'orientation
est-ouest des vents dominants, les alizés.
moins huit
prospectés en Polynésie Française, possèdent tous la
spécifique, indépendamment de leurs couvertures
végétale, altitude, surface et distance à la terre exondée la plus proche.
Les îles et atolls
même diversité
importantes aptitudes à la dispersion et à l'indigénisation de ces
série d'adaptations positives :
l'habitus, résistance à la dessiccation et aux embruns, accumulation de
réserves adipeuses, pontes communes et adhésives, acyclie dans la
reproduction, incubation prolongée, parthénogénèse, stockage des
spermatozoïdes chez les femelles, sociabilité, vie littorale et
anthropophilie.
Les
lézards semblent directement liés à une
Les aspects aléatoires et non aléatoires dans la mise en place d'un tel
peuplement d'extrême insularité sont discutés, parallèlement aux
caractéristiques écologiques et évolutives de ses populations.
Société des
Études Océaniennes
�80
G.H. PERRAULT
Les fourmis de Tahiti.
In Bull. Soc.
Zoologique de France,
p.
429-442, N° 3-4, 1987.
40 espèces sont maintenant connues de Tahiti. Environ 15
espèces
très communes et la plupart sont
anthropophiles. La faune des
fourmis est pantropicale et principalement due au commerce maritime.
La dispersion des
espèces se fait surtout au niveau de la mer et dans les
basses vallées au dessous de 600 mètres. La
dispersion en altitude semble
être favorisée par les activités humaines mais celles-ci sont très limitées.
sont
Un
petit nombre d'espèces sporadiques se trouve en altitude où il ne
aucun endémisme, contrairement à ce
qui se passe chez les
Coléoptères.
semble exister
Par comparaison avec les travaux antérieurs
faune des fourmis évolue très lentement.
on
peut dire que la
La faune des fourmis de Tahiti
représente la moitié de la faune de
Polynésie, et les 2/3 des espèces indo-australiennes vagabondes. Il ne
s'agit donc pas d'une faune originale. La distinction entre espèces
vagabondes et indo-australiennes est du reste un peu formelle dans la
mesure où les activités humaines ont
probablement une grande responsa¬
bilité dans la dispersion des unes comme des autres. Il
y a d'ailleurs
coïncidence entre les zones habitées par
l'homme et celles que fréquente la
presque totalité des fourmis tahitiennes. Les embarcations des
Poly¬
nésiens migrateurs convenaient bien mieux aux fourmis
que les modernes
vaisseaux en métal qui pourtant véhiculent, de
temps à autre, des espèces
vagabondes.
J. FLORENCE
Endémisme et évolution de la flore de la Polynésie
Française.
In Bulletin de la société
zoologique de France, Tome 112, N°3-4, Paris 1987.
La Polynésie Française, située dans le Sud Est du
Pacifique,
comprend cinq archipels, qui montrent, sur quelques 120 îles volcaniques
et atolls couvrant environ 3 500
km2, une grande diversité physiographique et écologique, et partant, une richesse floristique et un
endémisme contrastés. Ainsi, s'opposent les Tuamotu, formés d'îles
coralliennes, qui comptent moins de 80 plantes vasculaires pour un
endémisme de 3 % aux îles hautes des autres
archipels. La Société compte
le plus grand nombre
d'espèces, environ 625, et les Marquises possèdent
Société des
Études
Océaniennes
�81
l'endémisme le
plus élevé, 47 % de la flore vasculaire, 60 % des
Angiospermes.
Les affinités floristiques des archipels soulignent la réalité d'un bloc
Australes-Gambier-Société-Tuamotu et l'isolement des Marquises et de
l'île de
Rapa. De même, les deux principaux archipels, Marquises et
Société, présentent de nombreux genres en spéciation, contrastant avec
les autres archipels, où l'ensemble de l'endémisme se confie à des genres
mono- ou ditypiques. Enfin, la dition se caractérise par une radiation
adaptative peu marquée et un petit nombre de genres endémiques.
Père
François ZEWEN.
Introduction à la
langue des îles Marquises. (Le parler de
Nukuhiva).
Ed. Haere Po
-
Papeete 1987, 170 p., ill., cartes.
Le sous-titre "Le
parler de Nukuhiva" n'est pas superflu, car l'auteur
le confirme : la différence entre le parler du sud et du nord, et même
entre celui d'îles voisines n'est pas un mythe. Il a opté pour le parler de
Nukuhiva, tout simplement parce qu'il y a vécu la plus grande partie de
nous
son
temps, et que Taiohae, est le centre
Texte
Cette "Introduction" constitue
littérature linguistique de Polynésie,
de
administratif des Marquises.
clair, aré, illustré des desseins humoristiques de l'auteur.
une
contribution' importante à la
dominée
par
le célèbre dictionnaire
Msgr. Dordillon.
Société des
Études
Océaniennes
�'
'
.
■
■
Société des
Études
Océaniennes
�Le Bulletin
Le Bureau de la Société accepte l'impression de tous les articles
qui paraissent dans le Bulletin mais cela n'implique pas qu'il
épouse les théories qui y sont exposées, ou qu'il fait sien les
commentaires et assertions des divers auteurs qui, seuls, en
prennent toute la responsabilité.
Aux lecteurs de former leur appréciation.
Le Bulletin
ne
fait pas de publicité.
La Rédaction.
Les articles publiés, dans le Bulletin, exceptés ceux dont l'auteur
réservé ses droits, peuvent être traduits et
reproduits, à la
condition expresse que l'origine et l'auteur en seront mentionnés.
a
Toutes communications relatives au Bulletin, au Musée ou à la
être adressées au Président. Boîte 110, Papeete,
Tahiti.
Société, doivent
Pour tout achat de Bulletins, échange
s'adresser
Le
au
ou donation de livres,
siège de la société, ORSTOM, B.P. 110 Papeete.
Bulletin, est envoyé gratuitement à tous
Cotisation annuelle des membres-résidents
résidant en pays français
Cotisation
pour
les moins de vingt
ans
ses
ou
2 500 F CFP
et les
étudiants
Cotisation annuelle
membres.
/ 500 F CFP
-
pays
étranger
Société des
Études
20 dollars US
Océaniennes
��
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Bulletin de la Société des Études Océaniennes (BSEO)
Description
An account of the resource
La Société des Études Océaniennes (SEO) est la plus ancienne société savante du Pays. Depuis 1917, elle publie plusieurs fois par an un bulletin "s’intéressant à l’étude de toutes les questions se rattachant à l’anthropologie, l’ethnographie, la philosophie, les sciences naturelles, l’archéologie, l’histoire, aux institutions, mœurs, coutumes et traditions de la Polynésie, en particulier du Pacifique Oriental" (article 1 des statuts de la SEO). La version numérique du BSEO dispose de son ISSN : 2605-8375.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
2605-8375
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Établissement
Université de la Polynésie Française
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 244
Description
An account of the resource
Articles
- R. P. Patrick O'Reilly : P. Moortgat 1
- Tahiti ou le tiers monde sous l'empire du mythe : Ph. Draperi 3
- Dépopulation et reprise démographique aux îles Marquises : F. Sodter 10
- L'implantation de l'église catholique dans l'île de Tahiti, 1836-1914 : P. Y. Toullelan 27
- Commentaires astronomiques : P. Paoli 57
Comptes rendus
- Lambert-Rieu-Tchong : Tahaa - Vestiges archéologiques de surface 76
- Christino-Vargas-Rieu : Fouilles archéologiques et restauration du site VAI-I. Vallée de la Vaihiria 77
- Rocher Isabelle : Contribution à la connaissance de l'usage du tabac en Polynésie Française 77
- Payri Claude Elisabeth : Variabilité spatiale et temporelle de la communauté des macrophytes des récifs coralliens de Moorea 78
- I. Ineich-Ch. P. Blanc : Le peuplement herpétologique de Polynésie Française 79
- G.H. Perrault : Les fourmis de Tahiti 80
- J. Florence : Endémisme et évolution de la flore de la Polynésie Française 80
- Père F. Zewen : Introduction à la langue des îles Marquises 81
Source
A related resource from which the described resource is derived
Société des Études Océaniennes (SEO)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Société des Études Océaniennes (SEO)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1988
Date de numérisation : 2017
Relation
A related resource
http://www.sudoc.fr/039537501
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
1 volume au format PDF (88 vues)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Les copies numériques des bulletins diffusées en ligne sur Ana’ite s’inscrivent dans la politique de l’Open Data. Elles sont placées sous licence Creative Commons BY-NC. L’UPF et la SEO autorisent l’exploitation de l’œuvre ainsi que la création d’œuvres dérivées à condition qu’il ne s’agisse pas d’une utilisation commerciale.
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
Imprimé
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
PFP 3 (Fonds polynésien)