-
https://anaite.upf.pf/files/original/2b8a8aa3d60a26ec68d093551ac1fdf6.pdf
c9e8b0c5ec00a698d3cf0129ba29e692
PDF Text
Text
BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCEKNIENNES
A
f
N° 241
TOME XX
—
N° 6 / Décembre 1987
Société des
Études
Océaniennes
�Société des
Études Océaniennes
Fondée
ORSTOM
-
en
1917.
Arue
-
Tahiti.
Polynésie Française.
B.P. 110
-
Tél. 43.98.87
Banque Indosuez 012022 T 21
—
C.C.P. 834-85-08 PAPEETE
CONSEIL D'ADMINISTRATION
M. Paul MOORTGAT
Président
Me Eric LEQUERRE
Mlle Jeanine LAGUESSE
M. Raymond PIETRI
Vice-Président
Secrétaire
Trésorier
assesseurs
M. Yvonnic ALLAIN
Mme Flora DEVATINE
M. Robert KOEN1G
M. Roland SUE
MEMBRES D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
R.P. O'REILLY
Société des
Études
Océaniennes
�BULLETIN
DE LA SOCIÉTÉ
DES
ÉTUDES OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
N° 241
TOME XX
-
N° 6
-
DÉCEMBRE 1987
SOMMAIRE
Le
1
journal de Maximo Rodriguez
Réflexions
le capitaine Cook :
par
: R. Langdon
population tahitienne
C. Valenziani
l'estimation de la
sur
13
19
31
38
Les
Le
pirogues à voiles : D. Charnay
cas du /k/ en marquisien : D.T. Tryon
Etude d'une
pêcherie artisanale
:
B. Caillart
-
E. Morize
envisager l'exploitation de certaines populations d'anguilles
Polynésie Française : N. Le Belle, G. Marquet, M. Fontaine
Peut-on
en
51
Notes de lecture
Mon clocher de
Mangareva
Comptes-rendus
-
:
G. Soulié
P.M.
61
61
La poésie d'expression française en Océanie
P.
O'Reilly
P.
Huguenin : Raiatea la sacrée
:
57
:
62
Motu Haka O Te Henua Enana
J. Pérès : Historique des institutions
de Taïti à la Polynésie Française
politiques :
P. De Deckker & P. Lagayette : Etats
du Pacifique, schémas d'évolution
et pouvoirs dans les territoires français
:
coral reefs
facts and recommendations
S. Salvat
:
Human
J-F. Baré
:
Tahiti, les Temps et les Pouvoirs
W.A. Poort
:
on
:
La vie et l'oeuvre de A-H. Gouwe
P.M. Niaussat
M.
impacts
:
Le
lagon et l'atoll de Clipperton
Approche sanitaire aux îles Marquises
Les cancers en Polynésie Française
Crocquet-Rostand
H. de Solminihac
:
:
Paoaafaite : Petite construction navale
Polynésie Française
The art of Oceania. A bibliography
62
62
63
64
64
65
66
66
G. Blanchet, G. Borel, J.
et
pêche artisanale
L. & F. Hanson
P.
O'Reilly
:
:
en
Les codes de la danse à l'île Wallis
Société des
Études
Océaniennes
68
69
70
��1
LE JOURNAL
DE MAXIMO RODRIGUEZ
Le journal de Maximo Rodriguez est le compte-rendu d'un
jeune marin espagnol qui, en 1774-75, passa près d'un an à Tahiti
en tant qu'interprète auprès de deux prêtres franciscains. Ces
prêtres, frère Geronimo Clota et frère Narciso Gonzalez, avaient
été chargés d'essayer de convertir les Tahitiens au christianisme.
Un quatrième espagnol, Francisco Perez, simple matelot, faisait,
auprès des missionnaires, office de cuisinier et d'homme à tout
faire. La mission fut un pitoyable échec. Les prêtres étaient
beaucoup trop timorés et bornés pour se lier avec les Tahitiens qui
ne tardèrent pas à les mépriser. Par contre Rodriguez, se mêlant
volontiers aux Tahitiens, avait gagné leur amitié et circulait
librement dans l'île. Ayant appris la langue avec trois Tahitiens qui
avaient été emmenés à Lima en 1773, il s'exprimait couramment
avec eux
peut-être plus couramment qu'aucun Européen de
l'époque.
C'est ainsi qu'il fut à même d'apprendre des choses ignorées
jusqu'alors des visiteurs précédents. Le vice-roi du Pérou ayant
bien spécifié à Rodriguez d'avoir à tenir un journal, celui-ci
s'acquit avec conscience de sa tâche, et il en résulta un compterendu bien informé de la vie à Tahiti, et celà sept ou huit ans
seulement après que Samuel Wallis ait annoncé au monde
occidental l'existence de cette île. Il ne faut pas, toutefois,
considérer ce journal comme un document ethnographique de haut
niveau. Rodriguez, était âgé de 24 ans à l'époque du journal ;
n'était pas très instruit et sa perception de la vie tahitienne était
obscurcie par cette bigoterie commune aux Espagnols de l'époque.
-
Nous devons néanmoins lui être reconnaissants de nous avoir laissé
la
première description détaillée de Tahiti, à une époque ou aucun
étranger ne venait troubler la vie quotidienne de cette île.
navire
Société des
Études
Océaniennes
�2
La mission franciscaine à Tahiti fut une des
conséquences de
l'intérêt que portaient l'Angleterre et la France aux océans
Pacifique et de l'Atlantique australe à la fin de la guerre de Sept
Cette guerre qui vit l'Angleterre et la Prusse aux
prises avec la
plupart des autres nations européennes, prit fin en 1763, et
consacra l'Angleterre comme leader incontesté des
entreprises
coloniales outre-mer. Ses adversaires n'étaient pas
cependant tous
d'accord pour laisser libre cours à ses tendances
expansionnistes.
Un de ces adversaires était Louis Antoine de
Bougainville, un
noble français qui pensait (à juste titre) que
l'Angleterre ne
tarderait pas à ouvrir le Pacifique au commerce. Il
pensait en outre
que l'Angleterre mettrait à exécution le projet de l'amiral anglais
Lord Anson, consistant à établir dans les îles
Falkland*,
inhabitées, un comptoir qui fournirait des vivres frais aux navires
anglais se rendant dans le Pacifique. Pour prévenir une telle
installation, Bougainville emmena à ses frais des colons Acadiens
et les installa dans les îles
Falkland, revendiquant cet archipel au
ans.
nom
du roi de France ; l'installation
se
fit à Port Louis dans l'Est
eut lieu
de
l'archipel, près de l'actuel Port Stanley. Cet événement
en
Février 1764.
En Juin de cette même année, une expédition
anglaise sous le
commandement du Commodore John Byron appareilla pour les
îles Falkland. N'ayant pas eu connaissance de l'installation des
Acadiens, il prit possession des îles au nom de la couronne
britannique à Port Egmont, dans l'Ouest de l'archipel. Il fit voile
ensuite en direction du Pacifique,
ayant reçu, entre autres, des
instructions pour rechercher le continent austral. Entre
temps, la
nouvelle de l'opération de
Bougainville s'était répandue et bien
qu'alliée à la France, l'Espagne vit d'un mauvais œil cette
occupation française à proximité de ses colonies d'Amérique du
Sud. Il en résulta que la France finit
par accepter que Port Louis
soit occupé par une force
espagnole, à condition que Bougainville
soit remboursé de ses frais.
Toutefois, l'Angleterre ne participait
pas à cet accord et, bien avant sa conclusion, une seconde
*
Le
nom anglais, îles
Falkland, est quelque peu plus ancien que le nom français îles
Malouines, ou que son équivalent espagnol islas Malvinas. Le nom anglais remonte à la
découverte, en 1689, par le Capitaine John Strong, du détroit qui sépare les deux îles
principales de l'archipel. Strong le nomma détroit de Falkland en l'honneur d'un lord
anglais. Douze ans plus tard, à la suite d'un voyage dans l'Atlantique
Sud, l'astronome
anglais Halley publia une carte de la région et donna le nom d'îles Falkland à tout
l'archipel. Jusqu'à cette date, ces îles n'avaient aucun nom bien établi. Par la suite, le nom
donné par Halley a été en
usage dans le monde de langue anglaise.
Le nom anglais de Malouines date de
1716 lorsque Amédée François Frezier l'utilisa dans
son livre, Relation du
Voyage de la Mer du Sud... Ce nom commémore les voyages à ces
îles de marins français
originaires de Saint Malo à la fin du 17ème siècle. Le nom espagnol
Malvinas était, à l'origine, Maluinas.
Société des
Études
Océaniennes
�3
expédition anglaise sous le commandement du capitaine John
McBride, appareillait pour les Falkland avec instructions d'y créer
un établissement à Port
Egmont, qu'il atteignit en Janvier 1766.
Bien qu'averti de la présence de colons, d'une autre nation, il ne
découvrit les Acadiens qu'en Décembre de la même année. De part
et d'autre on
à coexister
affirma
son
droit à la souveraineté, tout en continuant
paisiblement jusqu'au règlement de
ce
problème
en
Europe.
Entre temps,
Byron était rentré en Angleterre sans avoir rien
d'important dans le Pacifique. Son navire, HMS
Dolphin, fut immédiatement réarmé pour poursuivre encore une
fois les recherches du continent austral. C'est le Capitaine Samuel
Wallis qui en eut le commandement. Quittant l'Angleterre en Août
1766, il découvrait Tahiti dix mois plus tard. Lorsque cette
nouvelle parvint en Angleterre, l'Amirauté anglaise décida que
Tahiti serait l'endroit idéal pour une expédition, commandée par le
Lieutenant James Cook, qui serait chargée d'y observer le transit
découvert
de Vénus.
Une version incorrecte de la découverte de
Wallis,
Français, Jean François de
Surville, à monter une expédition en direction du Pacifique. A
Calcutta, toutefois, on avait tendance à confondre Tahiti avec la
Terre de Davis, île qui aurait été découverte au dix-septième siècle
par un Capitaine anglais et Surville pensait que cette Terre
pourrait offrir d'excellentes perspectives pour une exploitation
commerciale. De son côté, Cook, arrivé à Tahiti en Avril 1769, y
fit, comme prévu, ses observations astronomiques. Surville, quant
à lui, ne put trouver ni Tahiti ni la Terre de Davis et se trouva en
Avril 1770 en détresse sur la côte du Pérou. Surville s'étant noyé,
les officiels espagnols découvrirent à bord des marchandises qu'ils
prirent pour de la contrebande, avec des documents indiquant
parvenue
à Calcutta,
amena un
l'intention de Surville de s'installer
sur
la Terre de Davis.
Les
Espagnols, déjà inquiets de l'installation des Anglais aux
Falkland et des deux voyages du Dolphin dans le Pacifique, ne
tardèrent pas à entrer en action. Le 10 Octobre 1770, deux frégates,
la San Lorenzo et la Santa Rosalia, appareillèrent du port
Péruvien de Callao à la recherche de la Terre de Davis et pour voir
si des étrangers y étaient vraiment installés. L'expédition était
commandée par le Capitaine Felipe Gonzalez. Dans son équipage
se trouvait Rodriguez, alors âgé de 20 ans. Rodriguez, proba¬
blement né à Lima, faisait partie de l'infanterie de marine depuis
1767. Ses services antérieurs comprenaient un voyage sur le
Peruano qui transporta les Jésuites de Callao à Cadix après leur
expulsion du Pérou, un temps avec l'armée de terre à Carthagène
en Espagne, et un voyage de retour sur YAstuto.
Société des
Études
Océaniennes
�4
Muni de cartes
françaises et hollandaises, Gonzalez, en
quittant le Pérou fit route dans le Sud-Ouest jusqu'au 27ème
parallèle et ensuite fit route à l'Ouest. Après un voyage de 5 se¬
maines, il aperçut une île dénudée qu'il appela San Carlos, mais
constata peu de temps après qu'il
s'agissait de l'île de Pâques
découverte en 1722 par le navigateur hollandais Roggeveen.
Gonzalez y resta 6 jours, prenant officiellement possession de l'île
au nom de la couronne
espagnole après s'être assuré qu'aucun
étranger ne s'y trouvait. La population semblait être d'environ 900
à 1
100 habitants.
Après avoir recherché, une fois de plus, la Terre de Davis, il
au Pérou. Lorsque le
rapport de son expédition
parvint à Madrid, le vice-roi du Pérou, Manuel de Amat, reçut
l'ordre d'envoyer une deuxième expédition à l'île de
Pâques, pour
s'attirer les bonnes grâces des habitants et, peut-être les convertir
au christianisme
pour en faire éventuellement des alliés. Toutefois,
et avant que le vice-roi n'ait pu mettre
son projet à exécution, Cook
était rentré de son voyage dans le
Pacifique, et on apprit bientôt
que lui aussi avait été à Tahiti. Les ambitions précises de
l'Angleterre sur cette île, déclenchèrent de nouvelles instructions au
vice-roi d'avoir à envoyer non seulement une
expédition à l'île de
Pâques, mais une autre en direction de Tahiti pour voir ce que les
Anglais y faisaient, si toutefois ils y faisaient quelque chose.
Le 26 Septembre 1772 ; la frégate de 22 canons Aguila
appareilla de Callao sous le commandement du capitaine Domingo
de Boenechea. Rodriguez, une fois encore, faisait
partie de
l'équipage. Se trouvaient également à bord 2 prêtres, destinés à être
missionnaires à l'île de Pâques. On avait laissé à Boenechea le
choix de se rendre en premier soit à l'île de
Pâques soit à Tahiti ; il
choisit de se rendre à Tahiti qu'il
atteignit au début de Novembre.
s'en retourna
Son navire heurta
un
récif de corail avant de trouver
un
bon
mouillage à Vaiurua,
péninsule de Taiarapu, et
les dégâts subis l'empêchèrent par la suite de se rendre à l'île de
Pâques. Il n'eut toutefois aucune difficulté à suivre les instructions
reçues : celles-ci consistaient à faire un examen complet de l'île
pour s'assurer qu'aucun étranger ne s'y trouvait, et ensuite ramener
4 ou 5 jeunes Tahitiens
intelligents à qui on apprendrait l'espagnol
ainsi que les rudiments de la foi
catholique.
sur
la côte Est de la
Boenechea rentra en Amérique du Sud en Mai 1773. 3 jeunes
Tahitiens qui l'avaient accompagné de leur plein gré - un
quatrième
Valparaiso - furent présentés au vice-roi et installés dans
son palais à Lima.
Là, ils furent habillés et confiés aux soins de
plusieurs instructeurs, car le vice-roi souhaitait les voir rentrer chez
mourut
à
Société des
Études
Océaniennes
�5
"conscients des bienfaits de la civilisation". Rodriguez fut un
des instruments du projet du vice-roi. Ayant la réputation de très
eux :
bien s'entendre avec les Tahitiens, Boenechea et ses officiers le
recommandèrent comme instructeur. Avant de l'engager, le viceroi testa plusieurs fois ses capacités en langue tahitienne. Dès lors,
Rodriguez se mit à travailler avec les Tahitiens pendant près d'une
année, collaborant à l'établissement d'un vocabulaire d'environ
1 200 mots. C'était, sans aucun doute, la liste la plus complète de
mots tahitiens qui existât à l'époque. En Janvier 1775, le vice-roi
envoya cette liste en Espagne, pensant qu'elle aurait une utilité
politique, : "étant de surcroît nouvelle et curieuse en soi".
Entre temps,
Boenechea repartait le 20 Septembre 1774 sur
YAguila accompagné de la gabare Jupiter, pour une seconde
mission à Tahiti. Son but était triple : établir des relations d'amitié
avec les Tahitiens ; explorer l'île d'une manière plus complète ; y
installer une plaque ou une inscription en témoignage de sa
découverte et de sa prise de possession par les émissaires de
l'Espagne. Deux frères franciscains, Geonimo Clota et Narciso
Gonzalez, qui faisaient partie de l'expédition, devaient être
installés à Tahiti comme missionnaires. Rodriguez devait servir
d'interprète, ainsi que deux des trois Tahitiens -le troisième étant
mort- qui avaient été logés chez le vice-roi. Dans un message
adressé à Madrid, le vice-roi déclarait que les Tahitiens allaient être
rapatriés, : "bien informés, instruits et reconnaissants des bons
traitements dont ils ont fait l'objet". Il ajoutait :
"Par leur attitude et leur conduite et la manière dont ils
comportés ici,
seront d'un grand
sont
seulement
en
se
des raisons de penser qu'ils
secours aux missionnaires, non
on a
les amenant à
une
connaissance de la
langue, maintenant qu'ils utilisent passablement l'Es¬
pagnol, mais aussi en d'autres occasions similaires dans
lesquelles ils ont fait preuve d'une raisonnable compé¬
tence".
Les deux navires
espagnols arrivèrent à Tahiti vers la fin de
Vaitepiha à Taiarapu. Les
chefs locaux ayant témoigné de leur "inexprimable satisfaction" à
voir s'installer chez eux les missionnaires et leur interprète, les
Espagnols se mirent en devoir de monter pour ces derniers une
maison préfabriquée amenée de Lima. Ils érigèrent également une
croix de grande taille indiquant le "droit incontestable" du roi
d'Espagne sur "toutes les îles adjacentes à ses possessions".
Novembre et mouillèrent dans la baie de
Société des
Études
Océaniennes
�6
VAguila et le Jupiter se dirigèrent ensuite sur Raiatea, mais en
moins de 15 jours ils étaient de retour, par suite d'une maladie
subite et grave de Boenechea, qui mourut le 26 Janvier 1775.
Pendant l'absence des 2 navires, les 2 prêtres n'avaient
pas pris un
bon départ. Les Tahitiens n'avaient
pas mis longtemps à
s'apercevoir de leur pusillanimité et les accablaient de railleries et
de moqueries ; ils les traitaient de "vieux imbéciles...
mollusques...
voleurs". Les Tahitiens les avaient également
effrayés en faisant
brusquement irruption dans leur maison pour l'examiner. De plus,
les 2 jeunes Tahitiens avaient déserté la mission
pour aller
retrouver leurs familles. Il en résultait
que les Frères étaient dans
l'obligation de faire leur propre cuisine, de porter des tonnelets
d'eau, et autres basses besognes "indignes de leur condition". Ils se
plaignirent auprès du nouveau commandant Thomas Gayangos,
lui demandant de leur laisser 2 marins comme
domestiques.
Gayangos finit par leur en laisser un seul, Francisco Perez.
Après le départ de VAguila
et du Jupiter pour le Pérou, les
leurs 2 compagnons furent, ainsi
que le mentionna
Rodriguez plus tard, livrés à eux-mêmes sans autre protection,
"que celle de Dieu et de leur propre comportement". Les mission¬
naires ne firent pas de convertis. Cela n'est
pas surprenant car il
serait difficile d'imaginer 2
ecclésiastiques plus mal équipés pour
gagner la confiance d'une communauté polynésienne. En
plus
d'être timorés et peu expansifs, ils étaient
missionnaires
et
sectaires, étroits d'esprit,
quittaient rarement leur maison, ne
faisant aucun effort pour apprendre
le tahitien. Perez envenima
encore la situation
par son indiscipline, créant des histoires avec les
Tahitiens. Rodriguez relata plus tard, "la
régularité sans faille" des
problèmes domestiques et les soupçons des prêtres sur ce qu'il
pouvait écrire à leur sujet dans son journal. Il réussissait, toutefois
à échapper de
temps à autre à l'atmosphère désagréable de la
grincheux
et
moroses.
maison de la mission
Il
Ils
en
parcourant l'île
avec ses
amis tahitiens.
dire que lorsque VAguila revint le 3 Décembre 1775
à Tahiti avec du ravitaillement
pour la
va sans
mission, les prêtres
supplièrent le Commandant de les ramener au Pérou. "Nous
sommes laissés sans
protection, risquant de perdre nos vies à tout
instant", déclarèrent-ils ; "Le bon Seigneur ne nous commande pas
seulement de ne pas disposer de nos
vies, mais aussi de ne pas nous
exposer à les perdre". Leurs arguments furent loin de convaincre le
Commandant. Il accéda cependant à leur
requête, et, dans l'espace
d'une semaine, ils étaient en haute
mer, en route pour Lima avec
leurs deux compagnons. La mission
espagnole à Tahiti ne fut
jamais rétablie.
Société des
Études
Océaniennes
�7
Il semble que Rodriguez se soit marié dès son retour à Lima. Il
fut affecté à la garde du vice-roi, comme hallebardier de la
Compagnie des Archers. Le vice-roi Amat, responsable des 4 expé¬
ditions espagnoles dans le Pacifique, étant sur le point de céder son
poste à son successeur, les fortunes de Rodriguez souffrirent de la
période incertaine qui s'ensuivit. Il constata tout d'abord que sa
"maigre solde" d'hallebardier était insuffisante pour faire vivre sa
famille ; pour l'augmenter, il fut obligé de faire des affaires.
Deuxièmement, plusieurs documents rédigés sur son séjour à
Tahiti ne reçurent pas, de la part de l'administration, l'attention
qu'ils méritaient et se perdirent. Ces documents comprenaient un
vocabulaire tahitien et un exposé des "usages, coutumes et rites"
des Tahitiens, que Rodriguez appelle un "extracto"*. De plus, une
collection d'objets ouvrés ramenée de Tahiti par Rodriguez, fut
dispersée. Le plus précieux d'entre eux était une magnifique vasque
taillée dans la dolérite et provenant de l'île de Maupiti. C'était le
grand chef Tu qui l'avait donné à Rodriguez en présent pour le roi
d'Espagne. Cette vasque avait échoué dans la cuisine de Jaime
Palmer, ancien maître d'hôtel de Amat, et servait à laver la
vaisselle.
En
1784, à la suite de certaines réformes militaires, Rodriguez
perdit son poste dans la Compagnie de Archers. A la même
époque, des amis lui apprirent qu'il avait acquis une certaine
notoriété, ayant été mentionné dans le récit de Cook sur son
troisième voyage dans le Pacifique. En 1777, Cook avait séjourné
plusieurs semaines à Tahiti, recueillant bon nombre d'informations
sur la mission franciscaine ; il
apprit, en particulier que Rodriguez
s'était rendu très populaire auprès des Tahitiens qui l'appelaient
Mateema (Maximo). Cook poursuivait :
"Il
(Mateema) semble avoir été quelqu'un qui avait étudié
langue, ou tout au moins la parlait assez pour se faire
comprendre ; il s'était efforcé, avec enthousiasme, de
convaincre les insulaires de la grandeur de la nation
espagnole. Il alla jusqu'à les assurer que nous n'existions
plus en tant que nation, que Pretane n'était qu'une petite
île entièrement détruite par les Espagnols ; quant à moi,
ils m'avaient rencontré en mer et, en quelques bordées,
m'avaient envoyé par le fond avec tout mon équipage, ce
qui rendait ma visite présente tout à fait inattendue. C'est
ce que cet Espagnol essaya de leur faire croire, avec
d'autres mensonges. Si, dans cette expédition, le seul but
leur
*
Annexe.
Société des
Études
Océaniennes
�8
des
Espagnols était de dénigrer les Anglais, ils auraient
mieux fait de garder leurs navires chez eux, car mon
retour à Tahiti était la meilleure réfutation de tout ce
qu'avait raconté Mateema
Quant aux prêtres, ils ne bougeaient pas de leur maison à
Oheitepeha (Vaitepiha) ; Mateema, lui, allait çà et là,
...
visitant l'île dans toute
Rodriguez fut blessé
par
étendue".
son
les remarques de Cook
sur son
comportement et prépara une réponse, affirmant que "ce qui s'était
vraiment passé" était consigné dans son journal (probablement à la
date du 18 Février 1775). En outre, considérant
que "plusieurs
personnes à la Cour" avaient du lire la relation de Cook alors que
tout le monde
ignorait son journal, il en remit une copie au
nouveau vice-roi Teodoro de Croix,
pour être transmis au Roi. Ce
texte était
précédé de
réponse à Cook. Dans une supplique en
profita pour essayer de faire reconnaître ce
qu'il avait fait à Tahiti. Il signala qu'il n'avait jamais reçu la
moindre récompense ou rémunération de ses services, avec
l'espoir
qu'ils ne continueraient pas à être ainsi ignorés. Il signala aussi que
annexe,
Rodriguez
sa
en
la remarquable vasque ramenée de Tahiti à l'intention du roi
traînait dans la cuisine d'un particulier. Cette
vasque, précisait-il,
était dans l'estime des indigènes "une des choses les
plus précieuses
qui fut" ; son acquisition et son enlèvement de Tahiti lui avait causé
beaucoup d'anxiété. Les insulaires, en effet, ne s'en étaient séparés
qu'après de pressantes instances, et seulement après avoir
expressément stipulé qu'elle devait être remise entre les mains du
monarque espagnol.
La supplique de
Rodriguez ainsi que les documents qui
l'accompagnaient firent bonne impression au vice-roi. Il se fit
apporter la vasque, et l'envoya en Espagne, en suggérant de
l'exposer dans la galerie d'Histoire Naturelle, ou tout autre lieu
convenable, en tant que "spécimen du travail d'un peuple qui ne
connaissait pas le fer et n'avait aucun outil convenant à la taille
d'une telle pièce. "Le vice-roi
envoya également le journal de
Rodriguez
en
Espagne,
en
précisant
relation était passée pratiquement
curieuse et importante". Le vice-roi
que jusqu'à présent cette
inaperçue, bien que "fort
poursuivait :
"Ce don Maximo se rendit à Tahiti en tant qu'interprète,
étant versé dans la langue de ces indigènes. Se trouvant
parmi
ingénuité, sa sagacité et sa prudence lui
profonde affection et c'est surtout grâce à
circonstances que son travail put être assuré en toute
eux, son
valurent leur
ces
Société des
Études
Océaniennes
�9
sécurité,
car
les pères missionnaires ainsi que celui qui
leur servait de
domestique, avaient donné à ces hérétiques
de bonnes raisons pour s'attirer leur désaffection, pour ne
pas dire leur hostilité. C'est ainsi que notre nation ne put
recueillir les lauriers qu'auraient dû lui assurer quatre de
sujets pendant neuf mois dans un pays inconnu,
peuplé de barbares et d'infidèles, tandis que Rodriguez
gagnait la bienveillance de tous...
Ces mérites insignes et ces services rendus me paraissent
mériter à don Maximo les joies de la faveur du roi, et
c'est pourquoi, sa profession étant celle des armes, je le
considère digne de recevoir le grade et la paye d'un souslieutenant de l'Armée, ou toute autre récompense, selon
le bon plaisir de sa Majesté".
ses
La haute recommandation du vice-roi en faveur de Rodriguez
fut reçue avec sympathie à Madrid. Le 30 Septembre 1788, le
Secrétaire d'Etat pour les Indes, donna l'ordre de nommer
Rodriguez au grade de sous-lieutenant d'infanterie avec paye
entière, "en reconnaissance du mérite dont il a fait preuve dans l'île
de Tahiti". Par contre, rien ne fut fait pour faire connaître son
journal au reste du monde, et quelque temps après son arrivée à
Madrid, il fut détaché de la communication du vice-roi et égaré. Il
ne fut jamais retrouvé.
La première fois que l'on entendit parler - hors d'Espagne - du
manuscrit de Rodriguez, fut en 1823 lorsqu'un navigateur
irlandais, le Capitaine Peter Dillon, relâcha à Callao, venant de
Sydney. Ayant appris l'existence à Lima d'une vieille femme dont
le défunt mari avait été à Tahiti dans les années 1770, il la
rechercha et avec une certaine difficulté la persuada de lui donner
(ou de lui vendre) une copie du Journal. 3 ans plus tard, à
l'occasion d'un voyage au Bengale, Dillon publia dans la Calcutta
Gazette un sommaire de son contenu. Il pensait que le journal
n'ajoutait rien à ce que l'on savait déjà sur Tahiti et ses habitants.
Toutefois, par certains côtés, cela constituait un curieux commen¬
taire au récit du dernier voyage de Cook, et, d'après Cook lui-
jetait une certaine lumière sur un sujet "qu'il n'était pas à
comprendre". Pour Dillon, Rodriguez était loin d'être un
homme de science et bien qu'observateur intelligent, il manquait de
profondeur.
Après la mort de Dillon, en 1842 à Dublin, sa fille Martha fit
don du manuscrit de Rodriguez au Irish College. Il y resta pendant
plus de cent ans jusqu'à sa découverte par feu le Professeur J.W.
Davidson, biographe de Dillon. Entre temps une autre copie du
même
même de
Société des
Études
Océaniennes
�10
journal avait fait surface. En 1835, lorsque HMS Beagle relâcha à
Callao au cours de son fameux voyage autour du monde, son
commandant, le Capitaine Robert FitzRoy reçut une copie du
journal alors qu'il se trouvait à Lima. Les donateurs étaient la fille
de Rodriguez et un homme de lettres local, José Manuel Tirado.
2 ans plus tard, après le retour du Beagle en Angleterre,
FitzRoy
présenta le manuscrit à la Royal Geographical Society à Londres.
C'est là, qu'en 1908, un savant anglais, Bolton Glanville
Corney, le
découvrit, plusieurs années après s'être embarqué dans des
recherches sur les expéditions espagnoles dans le Pacifique pour les
années 1770. Corney traduisit en anglais le journal,
qui constitua le
troisième volume de son ouvrage intitulé Recherche et Occupation
de Tahiti par les émissaires de l'Espagne au cours des années 17721776 Hakluyt Society, Londres 1913-19. Dans une introduction au
journal, Corney indiquait que la copie de FitzRoy comprenait 189
feuillets de 20 cm x 14,5 cm. Dans son ensemble, l'écriture était
"claire et bonne" mais la qualité de l'encre n'était pas uniforme et
25 pages étaient si fanées qu'une bonne lumière du
jour était
nécessaire pour les lire. Corney poursuivait : "La copie a été écrite
par
est
2 sinon 3 personnes différentes. Elle ne porte pas de date. Elle
signée "Maximo Rodriguez" d'une écriture assez semblable au
texte".
Une traduction
française, assez libre et basée sur la version
anglaise de Corney, fut publiée dans les numéros 28 à 34 du
Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes,
réimprimée séparément
en
1928-29. Elle fut
1930. Ainsi qu'il a été indiqué plus haut,
cette traduction a été faite de l'original en
espagnol, ou plus
précisément d'un microfilm du manuscrit de la Royal Geographical
Society de Londres. Il n'existe, à ce jour, aucune édition espagnole
du journal. Quoi qu'il en soit, il reste aux savants à
comparer les
manuscrits de Dublin et de Londres, au cas où il existerait des
en
différences substantielles.
En
conclusion, il est intéressant de signaler qu'il existe, depuis
plusieurs années, au Musée de Tahiti et des Iles, à Punaauia, une
reproduction de la remarquable vasque de pierre que Rodriguez
apporta à Lima en 1775, à l'intention du roi d'Espagne. Sa
présence au Musée est due à toute une série d'événements qui
eurent lieu à partir de 1912
lorsque Corney, mentionné plus haut,
découvrit la vasque originale au "Museo Archeologico Nacional"
de Madrid. A cette
époque, toute trace de son histoire et de son
pays d'origine avait été perdue depuis plus d'un siècle. 64 ans plus
tard, Mr. O.P. Gabites, ancien ambassadeur de Nouvelle-Zélande
en France et en
Espagne, retrouva la vasque dans le "Museo
Etnologico & Antropologico" et entama des négociations pour
Société des
Études
Océaniennes
�11
pourvoir l'envoyer, à titre temporaire en Nouvelle-Zélande, aux
fins d'exposition. Son successeur Mr. J.G. McArthur, poursuivit
les négociations en présentant ses lettres de créance d'ambassadeur
bons offices pour
exhibée à la
Auckland City Art Gallery, dans une exposition intitulée : "Les
deux mondes d'Omai". Pendant ce temps, l'auteur de cette
introduction s'était rendu à Raiatea, et ignorant que la vasque se
trouvait en Nouvelle-Zélande, en avait parlé à Mr. Charles
Brotherson d'Uturoa. Ce dernier, qui entendait pour la première
fois parler de la vasque, se rendit plus tard à Auckland et la vit au
City Art Gallery. S'étant renseigné, il apprit que des reproductions
étaient en cours de fabrication pour deux musées de NouvelleZélande ; il demanda alors si on pouvait lui en faire une, destinée à
Tahiti dont la vasque était originaire. Sa demande fut agréée et
c'est ainsi qu'environ 200 ans après que Rodriguez se fut approprié
la vasque pour le roi d'Espagne, une reproduction de celle-ci
en
Espagne
au
roi Juan Carlos. Le Roi usa de
ses
permettre le voyage de la vasque et, en 1977, elle fut
revint à Tahiti.
vasque comme étant "magnifiquement
bloc de dolérite noire, dure et à grain fin ; elle
Corney décrivit la
taillée" dans
un
provenait (comme l'indique Rodriguez dans son journal à la date
du 14 Juin 1775) de l'île de Maurua, appelée maintenant Maupiti.
La vasque est de forme plus ou moins ovale, à peu près ronde à une
de ses extrémités, l'autre extrémité se terminant par un léger
rebord aplati, faisant verseur ; elle est supportée par 4 pieds
robustes. Son poids est si bien distribué qu'une légère pression de
2 doigts sous l'extrémité arrondie suffit à la faire basculer,
permettant ainsi à un liquide de s'écouler. La vasque a 116,8 cm de
long et 56,5 cm dans sa plus grande largeur. Sa hauteur, pieds
compris, est de 27,9 cm et les pieds seuls ont 11,4 cm. Sa plus
grande profondeur est de 10,2 cm, la plus grande épaisseur du fond
est de
7,6
cm.
Cette vasque est la seule connue de son espèce. Il est toutefois
question de 2 objets semblables dans les premières relations sur les
îles de la Société. L'un est une vasque plus petite que Joseph Banks
vit à Opoa, Raiatea, en 1769. L'autre est un tabouret de pierre,
concave, décrit par Rodriguez dans son journal à la date du 1er
Février 1775. La vasque existante ne manque pas de provoquer
l'étonnement de tous ceux qui la contemplent. Corney en dit ceci :
"Lorsque nous considérons, pour autant que l'on sache,
que les sculpteurs de Maurua n'avaient pas le moindre
outil de métal, utilisant probablement des erminettes
d'obsidienne et des râpes en roche éruptive, le travail et
Société des
Études
Océaniennes
�12
l'habileté
déployés dans la taille de
ce
matériau
ne peut
manquer de provoquer notre étonnement et notre
admiration. Nous sommes, en effet, amenés à penser que
des
pièces de fer
de cuivre, récupérées de l'épave d'un
Porapora, ont pu être façonnées
il est également possible que des ciseaux
prêts à l'usage aient pu tomber dans les
ou
navire inconnu échoué à
pour ce travail ;
ou des couteaux
mains des Tahitiens"
...
La vraisemblance de cette possibilité s'est accrue par la
découverte de 4 canons anciens sur le récif de l'atoll d'Amanu, dans
l'archipel des Tuamotu. La récupération de 2 de ces canons amena
l'auteur de ces lignes à publier un livre, La Caravelle Perdue (The
Lost Caravel, Pacific Publications, Sydney, 1975). Dans ce livre,
l'auteur émet l'opinion que les canons appartenaient à la caravelle
espagnole San Lesmes qui disparut au cours d'un voyage entre le
détroit de Magellan et les Indes orientales, en 1526. La caravelle se
serait échouée à Amanu et son équipage aurait réussi à la renflouer
en jetant les 4 canons par dessus bord. Ils auraient alors
repris leur
voyage dans l'Ouest jusqu'à Opoa, Raiatea, ou plusieurs d'entre
eux se seraient installés. Il n'est
peut-être pas sans signification que
ce soit à Opoa que Joseph Banks
ait vu, en 1769, une vasque
semblable à celle que Rodriguez s'était procuré pour le roi
d'Espagne.
Article
par
original traduit
B. Jaunez
Société des
Robert Langdon
Études
Océaniennes
�13
RÉFLEXIONS SUR L'ESTIMATION
DE LA POPULATION TAHITIENNE
PAR LE CAPITAINE COOK
La
sagacité de C. Valenziani, démographe italien aujourd'hui
disparu, qui comptait nombre d'amis à Tahiti nous incite à vous
livrer son analyse critique de l'estimation de la population de
Tahiti par le capitaine Cook.
Parmi les pionniers du Pacifique, James Cook est le seul qui
ait tenté d'évaluer la population tahitienne. Lui, il cite des chiffres.
Et voilà le désastre. Parce qu'entre ses chiffres et les résultats de la
première investigation, tant soit peu complète, effectuée vingt cinq
ans plus tard à peine, la divergence est énorme. Tellement énorme
que le monde en fut frappé de stupeur.
Pensez : une population qui tombe de 200.000 à 20.000
habitants en l'espace d'une génération... N'est-ce pas effroyable ?
Et cette disparition n'est-elle pas directement imputable aux
blancs ? A leurs horribles maladies, à leur rapacité, à leur vice ?
Aurait-elle, même, été possible sans une volonté délibérée de
destruction ?
Ainsi
toutes les
race
sur
naquit une légende, sentimentale et tenace comme
légendes. Celle de l'hécatombe, de l'anéantissement de la
les impitoyables ombres blanches qui s'étaient abattues
par
coin de Paradis.
ce
Entendons nous. Je n'ai aucunement l'intention de glorifier
l'œuvre des Européens en Océanie, ni de soutenir qu'aujourd'hui
les îles sont plus peuplées et heureuses qu'il y a cent cinquante ans,
ni même de nier qu'il y ait eu un déclin brutal après la découverte.
Carlo Valenziani - Renaissance démographique en Océanie Française.
Comitato Italiano per le studio dei problemi délia populazione. Roma -
Société des
Études
Océaniennes
Segreteria del
MCMXL.
�14
Parce
qu'on ne peut pas nier ce qui est évident. Mais je voudrais
rétablir la vraisemblance, rendre aux choses leurs justes propor¬
tions et leur véritable importance.
Sur le déclin tout le monde est d'accord. Il est incontestable
qu'après l'arrivée des blancs la population indigène diminua dans
des proportions plus que considérables. Mais là où l'accord
n'existe plus c'est sur les proportions elles mêmes. Il est clair en
effet que pour fixer celles-ci il aurait fallu avoir une base de départ.
Autrement dit connaître le nombre des habitants au début. Et ce
nombre nous ne le connaissons pas parce que personne peut
sérieux les évaluations du capitaine Cook.
Voyons d'ailleurs ce que disait le grand navigateur. Il y a dans
les comptes rendus de ses voyages, deux allusions, ou plutôt, deux
tentatives pour déterminer la densité de la population tahitienne.
Et ces deux tentatives ont ceci de remarquable qu'elles aboutissent
prendre
au
à des résultats différents.
Pour la première, Cook s'en rapporte à une affirmation de
Tupia le grand prêtre tahitien, son ami et guide en même temps. Et
il écrit
:
«
l'ensemble de l'île, selon les calculs faits par Tupia, qui certainement s'y
connaît, pourrait fournir 6 780 combattants. Chiffre dont il sera aisé de déduire le
...
nombre total d'habitants
...
»
(1).
Aisé, mais pas tellement au fond, car comment établir le
rapport entre les combattants et l'ensemble de la population ? Quel
critère adopter ? Ce rapport peut être en effet 'assez élastique
suivant que l'on considère comme combattants, seulement les
hommes dans la force de l'âge et dans la plénitude de leurs moyens
physiques, ou bien aussi les adolescents, les vieux, les estropiés,
borgnes et culs-de-jatte.
Dans le premier cas - et en calculant que la force armée
représentait à peu près un douzième du total - Tahiti aurait eu
quatre vingt mille habitants environ. A l'époque actuelle, où on ne
parle plus dans nos pays que de guerre totale, ce coefficient de 1/12
peut paraître un peu bas. Il es-t à remarquer cependant que chez
une population
primitive, où il n'existe pas de services auxiliaires
ni de troupe territoriale, l'appellation
de combattant s'applique
seulement à ceux capables de combattre effectivement. C'est-à-dire
à des hommes disposant de toute leur force, donc à un pourcentage
relativement restreint de la population.
(1) Cook's first
voyage.
Vol. II,
page
Société des
185.
Études
Océaniennes
�15
Deuxième cas. Si on admet au contraire que Tupia, pour
éblouir peut être son illustre ami, avait inclus dans son compte les
vieillards et les jeunes, il faudrait évidemment augmenter ce
coefficient et le porter à un dixième, voire même, à un huitième. Et
dans ce cas on trouverait que la population tahitienne se trouvait
comprise, à cette époque, entre 55.000 et 67.000 habitants.
Or tous ces chiffres sont vraisemblables et acceptables, eu
égard à la superficie de l'île et à ses ressources. On peut, en effet,
très bien imaginer Tahiti occupée par une population triple,
quadruple ou, même, cinq fois supérieure à l'actuelle. Soyons donc
généreux et acceptons l'estimation la plus large. D'autant plus que
l'on ne voit pas pourquoi Tupia aurait exagéré la force armée de
son pays, attendu que les rapports des Tahitiens avec les Anglais
étaient excellents. Vantardise naturelle chez un indigène, on
pourrait objecter. Peut être, mais acceptons quand même le chiffre
supérieur d'autant plus qu'il ne semble pas choquer le bon sens et la
vraisemblance.
Les conclusions auxquelles Cook aboutit dans sa deuxième
tentative d'évaluation, appellent par contre les plus expresses
réserves. Ces conclusions d'ailleurs, je le répète, donnent des
résultats entièrement différents des précédents et partent aussi
d'une base entièrement différente. Ici Cook ne s'abrite plus derrière
l'expérience et les renseignements donnés par un chef averti et
intelligent. C'est sur des constatations personnelles qu'il se fonde,
et sur des inductions entièrement personnelles aussi. En outre le
procédé de proportionnalité qu'il applique dans son raisonnement
est plus que discutable.
Qu'on en juge.
Le point de départ dans son argumentation se trouve dans le
fait que quatre districts étaient en mesure d'équiper 210 pirogues de
guerre, capable chacune de quarante hommes. On voit déjà la
conclusion que va en tirer Cook :
nous supposons - dit-il - que chacun des 43 districts équipe le même
pirogues que celui de Tettaha, nous trouvons que toute l'île peut
équiper 1 720 pirogues de guerre et réunir 68 000 hommes, à quarante hommes
par pirogue. Or comme ce chiffre ne peut correspondre à plus de un tiers du total,
enfants compris, toute l'île ne peut avoir moins de 204 000 habitants ... » (2).
«
...
Si
nombre de
Ici deux remarques fondamentales. D'abord sur la forme du
raisonnement qui est de toute évidence arbitraire. Car si un district
avait un certain nombre de pirogues il ne s'ensuit nullement que
(2) Cook's second
voyage.
Vol. I,
page
Société des
349.
Études
Océaniennes
�16
chaque district pouvait en mobiliser autant. Et si 210 pirogues
étaient' capables chacune de 40 hommes, encore une fois, il ne
s'ensuit nullement que toutes les pirogues pouvaient porter le
même équipage. Il est donc impossible d'appliquer la proportion¬
nalité dans ce cas.
Deuxième objection : le coefficient de 1/3 appliqué par Cook.
Coefficient absolument fantaisiste car jamais, dans aucun pays et à
époque, la force armée et réellement combattante n'a pu
représenter un pourcentage aussi élevée de la population. Suivant
le même rapport la France devrait pouvoir mobiliser presque
quinze millions de combattants de première ligne ! On se demande
dans ces conditions qui, parmi la population mâle, resterait en
arrière. A la vérité on a un peu l'impression que Cook avait choisi
le coefficient de 1/3 pour obtenir un résultat tant soit peu
vraisemblable. Car si on appliquait comme il serait normal au
chiffre de 68 000 combattants le coefficient de 1/12 ou même de
1/10, on obtiendrait une population d'environ 700 000 personnes.
Et cela fera sourire tous ceux qui connaissent un peu l'île.
aucune
Voici la conclusion de Cook
:
chiffre (de 204 000) à première vue dépassait tout ce que je pouvais
quand je réfléchis aux multitudes qui apparaissaient partout où nous
allions, j'en viens à conclure qu'il n'était pas trop exagéré et, même, qu'il ne l'était
pas du tout ...» (3).
«
...
ce
croire. Mais
Ces estimes de la population tahitienne font penser un peu à
celles des manifestants dans les cortèges politiques. Suivant que
l'on est pour ou contre, le nombre varie de un à dix. Non pas qu'il y
ait le moindre
intérêt, politique ou autre, à faire paraître la
population des îles ce qu'elle n'était pas. Et loin de moi l'idée que
Cook ait pu être influencé de quelque manière que ce soit dans ses
évaluations. Mais il est de fait qu'il n'y a rien de plus difficile à
évaluer qu'une masse mouvante de personnes. Qui ne s'y est pas
essayé d'ailleurs ? Et qui n'a pas éprouvé de déconvenue en
constatant la facilité avec laquelle on se trompe ? Cook était
visiblement impressionné par les multitudes qui l'accueillaient et le
suivaient partout lorsqu'il débarquait. Et c'est probablement cette
impression qui l'a fait revenir sur la première estime et lui a fait
porter le chiffre des combattants de 6 800 à 68 000 environ.
On pourrait objecter que Tupia parlait de "combattants" et
Cook d'hommes
occupant les pirogues de guerre. Ce qui n'est pas
tout à fait la même chose, car il
pouvait y avoir, comme pagayeurs,
(3) Voire note n° 2.
Société des
Études
Océaniennes
�17
des vieillards
qui auraient été exclus par Tupia de la force armée et
L'objection est exacte et pourrait rapprocher quelque
peu les résultats des deux évaluations. Mais aucun argument ni
aucune objection pourra jamais les faire coïncider.
combattante.
Résumons.
Tupia, Tahitien de caste supérieure, personnage
intelligent et influent donne par les seuls combattants le chiffre de
6 780. Cook connaissant peu le pays et pas du tout la langue, donne
celui de 68 000 pour les occupants des pirogues de guerre. Chiffre
qui, à la vérité, pouvait comprendre des hommes âgés et des
adolescents en qualité de pagayeurs.
Appliquons le coefficient 10, qui semble le plus normal. Selon
Tupia nous avons 70 000 habitants, selon Cook 700 000 environ.
Appliquons l'autre tout à fait arbitraire de 3, dans le premier cas
nous aurons 20 000 habitants
population à peu près équivalente à
-
l'actuelle
-
dans le deuxième cas, 200 000.
Chacun est libre
surtout chacun est
d'interpréter ces chiffres comme il veut et
libre de choisir entre les uns et les autres. Pour
part je n'hésite pas à déclarer que je m'en tiens plutôt à celui
fourni par Tupia. Et cela non seulement parce qu'il connaissait
effectivement le pays, mais aussi parce que le sien était vraisem¬
blable.
ma
Admettons, par pure hypothèse, l'argumentation de Cook.
C'est-à-dire le nombre de pirogues, d'hommes et enfin l'absurde
coefficient 3. Je crois - et beaucoup seront sans doute de mon avis que Tahiti pouvait difficilement contenir et nourrir une population
de plus de 200 000 habitants. Même en y adjoignant les vallées et en
mieux, quelle pouvait être la surface
très larges et fixons-là au quart de
l'ensemble, soit 250 km2. Cela aurait fait en admettant le chiffre de
Cook, une densité bien supérieure à huit cents habitants au km2. Et
si par hasard on acceptait le nombre de combattants cité par le
grand navigateur et on lui appliquait, comme il serait raisonnable,
le coefficient 10, on aurait une densité relative d'environ 2 700
mettant les choses
au
habitable et cultivable ? Soyons
habitants
au
km2.
Il existe dans le monde des terres qui connaissent une situation
comparable, et sur lesquelles vivent coude à coude des multitudes
faméliques. Avec des prodiges d'habileté, un labeur incessant et
une persévérance que rien de décourage, on peut les forcer à
produire assez de riz pour que cette foule ne périsse pas de faim.
Mais ces terres est-il besoin d'ajouter ne sont pas en Océanie et ne
sont pas peuplées par des Polynésiens. Gens aimables et charmants
Société des
Études
Océaniennes
�18
s'il
en
est, mais
qui, certes, n'aiment
surtout se tuer sans arrêt. On
pas se tuer à la tâche, et
aurait vraiment mauvaise grâce à les
blâmer pour cela. D'autant plus que c'est précisément
celà qu'ils sont charmants et que nous les aimons.
à
cause
de
C. Valenziani
Société des
Études
Océaniennes
�19
LES PIROGUES A VOILES
Ancêtres des multicoques modernes et du hobbie cat,
"inventé" après un séjour polynésien par l'Américain Alter Hobbie,
les grandes pirogues doubles admirées par Wallis, Bougainville et
Cook cédèrent le pas à des
des voyages océaniques.
pirogues plus légères marquant la fin
Venu remplacer la deuxième coque, le balancier signait en
quelque sorte la sédentarisation des Polynésiens. Dans les lagons,
bancs de sable et pâtés de corail imposant des embarcations à
faible tirant d'eau, la pirogue à balancier constituait en effet le
meilleur compromis.
C'est
au
début de
L'apport de matériaux
Mais aussi bien
aux
ce
siècle que
la pirogue
cousue a
disparu.
nouveaux a permi d'affiner la construction.
îles de la Société que dans l'archipel des
Tuamotu, le gréement et l'architecture sont restés à peu de choses
près identiques à ceux du passé. Et ce qu'écrivait Morison
constructions d'hier est encore valable : Ils n'ont
d'autres règles de construction que celle de l'œil et ignorent l'usage
du cordeau, et cependant certaines pirogues semblent avoir été
concernant les
dessinées par
autant de précision que si elles avaient été
des charpentiers qualifiés...
A
sa
construites
avec
chaque île
pirogue
Dans les îles hautes et boisées de la
U est creusée dans
un
tronc de
Société des
Société, la coque ronde, en
bois dur, rehaussée par un plat
Études
Océaniennes
bord
�20
planches clouées dans l'épaisseur du bordé. Etroite, elle est peu
légèrement tonturée. L'avant est taillé comme une lame
et les formes plus galbées de l'arrière laissent filer l'eau sans créer
de remous. Pontée sur l'avant jusqu'au pied du mât, la coque n'est
que renforcée par un banc à mi-longueur et par une grosse traverse
avant qui, soutenant le balancier sur bâbord, déborde largement
sur tribord. Elle forme ainsi un espar plat sur lequel peut prendre
place un équipier afin de soulager le balancier amarré à l'arrière
par une perche recourbée souple qui lui confère une grande
mobilité et lui permet de continuellement jouer par rapport à la
coque dont il est séparé d'environ deux mètres.
en
élancée et
Court, emplanté au fond de la pirogue devant la traverse
principale, et légèrement penché en avant, le mât est pourvu d'une
voile livarde, à la surface impressionnante. L'étrambrai dans lequel
le mât joue librement reçoit le pied de la livarde. Souvent en filin, le
gréement dormant est amarré par de simples noeuds aux traverses
et à l'étrave. La voile en coton est enverguée sur la borne liée au
mât par un erseau. Une drisse semi-dormante permet un étarquage
correct. Assemblage, ligatures et gréement dormant sont tous en
bourre de
coco tressée. Très résistante, cette corde se relâche en
séchant et rétrécit à l'eau. Ainsi, au repos, les pièces de bois ne
forcent pas. La grande originalité de cette pirogue des îles de la
Société (Tahiti et les îles Sous-le-Vent), est qu'elle possède une
de malet aussi longue que la coque, recevant un filin capelé
livarde. Avec l'écoute, cette manœuvre fait en
quelque sorte office de pataras. Si elle vient à casser, le mât tombe.
De même il est nécessaire de l'embarquer aux allures portantes.
queue
au
sommet de la
La pirogue est dépourvue de gouvernail. Placé à la poupe, le
barreur la dirige avec une volumineuse pagaie à poignée, dont le
manche court et lisse s'évase en une pale oblongue qui sert
également de dérive d'appoint. Les virements de bord sont pénibles
et longs. Ils marquent souvent une attente bout au vent qui laisse
reculer la pirogue jusqu'à ce que les équipiers se déplaçant sur la
traverse (les haubans - trois ou quatre de chaque côté répartis sur
toute sa longueur - font office de main courante) parviennent à
faire virer. Parfois le barreur vient porter sa pagaie sur l'avant pour
accélérer le mouvement. Revenu à la poupe, il se contente ensuite
de la changer de bord. Il gouverne des deux mains. Eu égard au
gréement archaïque qui interdit de bien progresser au près, les
allures idéales sont celles du largue. Cependant, la pirogue
surtoilée
tendance à enfourner de l'avant. Elle est aussi vite
a
submergée
en
haute
mer et
devient nettement ingouvernable par
gros temps.
Société des
Études
Océaniennes
�21
Charles Claude Antig
Taiti, Papara. Indiens venant de Morea 1846 pencil & wash drawing (in his
Sketchbook)
NK 10376/9
In the Rex Nan Kivell Collection, National Library of Australia.
Société des Etudes Océaniennes
�22
C'est avec ce modèle de pirogue taillée, qu'un matin d'avril
1908, en escale aux îles Sous-le-Vent sur le Snark, Jack London et
sa femme, effectuèrent,
par le lagon, une mémorable traversée de
l'île de Raiatea à celle de Tahaa... Nous descendîmes dans la
pirogue, Jack en pyjama, et moi en costume de bain (car j'étais sûre
qu'avec une telle immense voile à livarde nous allions chavirer),
Charmian London. Dès le début, nous constatâmes que
Tehei manoeuvrait merveilleusement sa pirogue. A
chaque
virement de bord, le balancier sortait de l'eau, faisant un
raconte
contrepoids
que
Jack renfonçait
dehors du côté du
vent.
Assise
en se
sur
penchant le plus possible en
petit banc fixé entre les
un
parois, j'étais absolument trempée. Nous ressemblions à des
enfants en escapade. Mon mal de tête s'était envolé. Cette joyeuse
aventure
était la
plus belle
que nous ayons encore eue.
A côté de
sa sœur des îles Sous-le-Vent,
royale mais
prisonnière de ses qualités traditionnelles, la pirogue des Tuamotu,
légère, simple et efficace fait figure de pirogue sportive. Il en va de
son lieu d'origine. A
plus de 200 milles nautiques de Tahiti, vaste
paysage de ciel et d'eau sanglé de soleil, l'archipel des Tuamotu
compte une centaine d'îles plates comme des assiettes : les atolls.
Là, rien que corail, sable, cocotiers et quelques rares arbres et
arbustes. D'où une architecture et une conception pour les
pirogues nécessaires très différentes de celles des îles hautes,
richement boisées. Autrefois elles étaient faites de petites planches
cousues les unes aux autres. Pas de coque
creusée, mais une quille
relevée à l'avant et à l'arrière, sur laquelle, fixées par ligature et les
unes au bout des autres, les
planches constituaient la coque. Les
grandes pirogues nécessitant plusieurs hauteurs de planches.
Une évolution naturelle
Comme dans les autres archipels de Polynésie, ces pirogues
étaient doubles ou à balancier. Et ce n'est
que sous l'influence
européenne que l'on construisit, toujours selon les mêmes
principes, des embarcations plus larges, en forme de baleinière,
dont la carcasse était consolidée par une série de couples. Le
balancier avait disparu et on naviguait à la voile d'une île à l'autre,
un très lourd aviron de
queue servant de gouvernail.
Mais à partir des années 30, l'apport plus prononcé des
techniques occidentales bouleverse à nouveau les données. Tandis
que la baleinière à voiles se change en côtre permettant d'ache¬
miner le coprah jusqu'à Tahiti, la
pirogue à balancier fait peau
neuve. Grâce aux planches
de sapin californien, puis au contre-
Société des
Études
Océaniennes
�23
plaqué, elle est désormais mille fois plus fine et élancée que son
cousu. En outre, bien
que subsistant encore dans la
"région" d'Apatiki, la voile latine cède la place à un gréement
aurique, voile et foc. Néanmoins, en dépit de cette européanisation,
l'ensemble demeure tout à fait caractéristique de l'ingéniosité du
Paumotu. Cette pirogue qui n'a guère changé jusqu'à nos
jours est
bien l'instrument idéal sur son terrain d'action : le
lagon. A fond
plat, pour garantir - eu égard aux pâtés de corail à fleur d'eau - un
faible tirant d'eau, la coque légèrement tonturée est un fuseau à
bouchain vif. Les bordés sont constitués d'une seule pièce de
contre-plaqué, suffisamment longue (en moyenne de 18 à 22 pieds)
pour aller de l'avant à l'arrière. Le maître-bau est d'envifon 45 cm.
La quille supporte à la proue une forte
pièce de bois qui constitue
l'étrave. Même chose pour la poupe. L'ensemble est maintenu à
l'aide de chevilles collées. Il n'y a pas de
couple et la coque est mise
en forme sur l'étrave et
l'étambot, le fond, et le barrot du maîtrebau qui supporte la traverse principale. Pontée à l'avant
jusqu'au
mât et à l'arrière jusqu'au passage de la petite traverse, elle aussi
ancêtre
raidie par un banc, et renforcée à hauteur du maître-bau.
Beau et
compliqué
Souvent orné d'une guibre décorative, l'avant de la
pirogue
soutient un bout dehors léger. Sur tribord, la
grande traverse ne
déborde que d'un mètre, afin d'assurer au mât,
cinquantaine de centimètres
placé
en
une
avant, une tenue latérale correcte.
Mobile, il est soutenu par une épontille prenant appui sur le plat
bord. Epontille qui peut elle-même être déplacée d'un
coup de pied
pour changer en cours de route la position du mât, maintenu par
un couple de haubans latéraux
(frappé sur la grande traverse), et
sur l'avant
par un double était portant également le foc. Passé à
travers le bout dehors, l'étai principal fait aussi office de sousbarbe. Enfin, particularité qui a son importance : il n'y a pas de
bastaque. Le mât est retenu sur l'arrière uniquement par la grandvoile et son plan d'écoute. Nous l'avons dit, le gréement est
aurique. Sur la bôme souple, une fourche semblable à celle du pic
fait office de vit de mulet. Sur l'étrier
d'emplanture, une retenue
capelée permet d'étarquer la grand-voile dont l'écoute fait dormant
sur un arceau fixé à l'étambot,
par lequel passe l'aviron de queue.
Sur la pirogue paumotu, le barreur est assis en dehors de la
coque, à l'extrémité du "taumi". Il s'agit d'une sorte de planche de
rappel, souple, mobile, d'environ 2 m de long, qui, bloquée sous la
traverse avant, prend appui sur le banc. Tout le
poids est ainsi
reporté au centre de gravité, à l'endroit du mât. Débordant du
Société des
Études
Océaniennes
�24
Société des
Études
Océaniennes
�25
côté
au vent, le "taumi" est
plus ou moins rapproché de la pirogue,
gré du barreur, qui le déplace à chaque virement de bord.
Parfois, lorsque la brise est trop légère pour nécessiter une position
de rappel, il est tout bonnement laissé au fond de la
pirogue, le
barreur s'assayant sur le plat-bord.
au
Le balancier est aussi
long que la coque. Fixé à la traverse
baguettes et fers croisés interposés, et directement lié à
celle de l'arrière, le flotteur est principalement
chargé de river la
pirogue sur l'eau. Il est installé de telle manière que la coque vide
penche plutôt de son côté, afin qu'une fois chargée et enfoncée
avant par
dans l'eau elle soit horizontale.
Et,
comme
toujours
sur
les pirogues polynésiennes,
ce
balancier est placé au vent, en l'occurrence à tribord. C'est-à-dire,
en fonction des vents dominants
(alizés du nord-est à sud-est), sur
le côté opposé où la pirogue a une tendance naturelle à verser. Le
vent
rencontrant, en effet, une plus grande résistance à faire
basculer la pirogue en soulevant le balancier, qu'en l'obligeant
à
s'enfoncer sous l'eau quand il agit du côté opposé. Lorsque le vent
est très fort, l'équipier
peut ainsi monter sur le balancier pour
augmenter son poids et l'empêcher de trop se soulever. Alors que
s'il était placé sous le vent de la
pirogue, l'opération se révélerait
impossible et il ne ferait que s'enfoncer davantage.
Mais pour autant il n'assure pas vraiment la stabilité. Il
diminue surtout le tirant d'eau, et par la même occasion rend la
pirogue plus rapide. Du moins aux allures portantes, compte tenu
aussi de la surface de la grand-voile, souvent quatre
fois supérieure
à celle du foc.
Il existe
une deuxième sorte de
pirogue paumotu. Alors que
lagon sont ouvertes, les "haveke" qui effectuent des
traversées inter-îles sont entièrement pontées, ce qui les protège de
la houle. De construction plus massive, leur
guibre n'en est que
plus marquée et la tonture inexistante. Le taumi est remplacé de
chaque bord par un solide cabrion soutenu par la traverse avant et
une traverse spéciale sur l'arrière. A la
place de l'aviron de queue,
une barre franche rend la
pirogue plus douce à barrer sur une
longue distance. Mais ce safran que le barreur peut maintenir du
pied est beaucoup moins efficace que l'aviron dans les virements de
les "vaa" de
bord.
Aujourd'hui ces pirogues ne glissent plus sur les lagons des îles
de la Société et des atolls des Tuamotu. Le culte
démocratique de
la "moto-godille" (moteur en tahitien) a irrémédiablement entraîné
leur
disparition. Du côté de Bora-Bora, ne subsistent plus que
quelques exemplaires taillés, réservés à la promenade des "touristes
Société des
Études
Océaniennes
�26
de banane" (Simenon). Mais pour combien de temps encore ? Car
le bateau à fond de verre, la planche à voile, ou le
hobbie-cat,
exercent une attraction bien plus grande. Même chose aux
Tuamotu où pourtant la plupart des atolls sont placés perpendi¬
culairement au vent dominant. Alors qu'il y a vingt ans à peine
certains lagons, comme celui de Kaukura, par exemple, voyaient se
lever chaque jour plus d'une centaine de voiles, le moteur les a
désormais remplacées. Seulement l'essence coûte cher, très cher, du
côté de ces côtes désertiques, pauvres et isolées. Les
subrécargues
des goélettes mensuelles ne font pas de cadeau. Le liquide précieux
est
échangé
au décilitre près contre sa valeur en sacs de coprah. Si
coprah ne sert qu'à payer l'essence... et l'essence à faire
Jusqu'au jour où, pour une raison ou pour une autre, la
production se fait insuffisante...
bien que le
le coprah !
Société des
Études
Océaniennes
�27
Bernard Moitessier, dans son petit atoll d'Ahé a ainsi tenté de
ranimer l'équilibre perdu. Il a donné ses vieilles voiles, aidé à en
coudre d'autres, même à partir de bâches. Deux ou trois Paumotu
s'y sont mis. Mais ils n'ont plus de pirogue. C'est sur une lourde
barque que leur mât se dresse sans conviction pour tenir un bout de
voiles
sans
âme.
Alors c'est à Tahiti même, l'île reine de la Polynésie, capitale
béton, de la politique et du nucléaire, que l'on retrouve les
"rescapés" de cet effondrement exemplaire. Près du port de
Papeete, elles sont une trentaine de ces pirogues à voiles paumotu,
alignées sur la grève de la plage de Paofai, devant laquelle Alain
du
Gerbaut venait autrefois mouiller son Firecrest. Elles appar¬
tiennent à quelques passionnés qui, chaque samedi ou jours fériés,
régatent
le lagon. Autour de Hiti Richmond, dernier grand
pirogues à voile paumotu, de Jean Tapu, ancien
champion du monde de chasse sous-marine et du populaire
entraîneur de boxe Teamo Bellais, ils se sont réunis en association.
C'est avec eux que j'ai appris à barrer la pirogue que j'avais acheté
sans avoir jamais
auparavant touché uné écoute de ma vie. Et c'est
à eux, bien naturellement, que je me permets, au passage, de dédier
sur
constructeur de
cet
article.
Pour
un
kilo de
sucre
Pour la
course hebdomadaire, primée de sacs de riz ou de
le triangle olympique n'a pas cours. Le tracé qui varie
suivant la direction du vent, est surtout délimité par la côte, le récif
et les pâtés de corail à fleur d'eau. Chaque barreur tire au sort un
numéro. Le premier se place donc au vent du second, et ainsi de
suite. Le départ est donné de la plage. Au signal, les pirogues
alignées, tenues bout au vent, s'arrachent du rivage comme la
flèche s'élance de l'arc. Car généralement le premier bord est soit
un beau travers, soit un grand largue. Et en quelques secondes c'est
à un ballet d'ailes blanches qu'il est donné au spectateur d'assister
sucre,
cîans le bleu du ciel et du
C'est aussi
lagon qui parfois
véritable ballet
se
confondent.
chaque pirogue. Tandis que
assis à l'extrémité de son "taumi" s'écarte ou se
rapproche de la coque (où ses pieds reposent) et joue avec son
aviron, l'équipier se promène sur la traverse ou sur le balancier.
un
sur
le barreur,
Nul part ailleurs que sur ces
l'élément liquide.
Par vent
fort, la
frêles pirogues
manœuvre est
tout l'art du barreur est de
diriger
Société des
Études
en est
aussi près de
spectaculaire. Bâbord amures,
sa pirogue en maintenant le
Océaniennes
�28
\
■
J-£-
balancier hors de l'eau... sans chavirer. Il surveille donc attentive¬
ment à la fois le flotteur et son cap, une main sur l'aviron, l'autre
sur l'écoute de grand-voile. De son côté,
l'équipier se porte sur le
balancier et décolle avec lui pour voir, avec un peu de recul (!) la
pirogue tailler
sa route d'écume. Au virement vent debout, deux
choix s'offrent à lui :
—
Soit repasser sur la traverse
glissante en s'accrochant aux
qui n'est pas évident et nécessite la promptitude et
l'adresse de l'équilibriste...
Soit tout simplement se jeter à l'eau et remonter en vitesse par
haubans,
—
l'avant,
ce
en
ayant servi dans l'intervalle d'ancre flottante, ou
nageante...
A moins que quelque chose ne
peu fréquents. Sans doute
lâche, le chavirage tribord
suis-je un des rares, à mes
débuts, à l'avoir expérimenté ! Qui plus est, par gros temps
amures est
Société des
Études
Océaniennes
�29
("qu'allai-je donc faire dans cette galère !..."), en e^u profonde,
près des brisants à l'assaut des récifs, et pas très loin non plus d'une
sympathique colonie de requins... Fort heureusement, la fois
suivante, quand j'ai sensi (!) c'était dans de meilleures conditions...
Je n'ai pas eu à dériver pendant une demi-heure accroché à la
pirogue entre deux eaux. Un généreux plaisancier à moteur nous a
tiré, Armelle et moi, à pieds sec. La pirogue aussi. Même qu'en
raclant le fond elle s'est démâtée toute seule, et que le bout dehors
n'a jamais reparu. C'est ainsi que j'ai fait mes premiers pas de
piroguier. Dans l'eau. Mais par la suite, après l'avoir tant de fois
arraché, j'ai moi aussi levé mon balancier durant les courses... et
gagné mes kilos de sucre à l'arrivée !
De même, j'ai appris à "bien" chavirer et à remettre ma
pirogue à flot. Pour cela, il suffit de monter sur le balancier et de
l'enfoncer de toutes ses forces. Le vent se prenant dans la voilure, la
pirogue se redresse. Ne reste plus alors qu'à évacuer à grands coups
de pagaie l'eau de la coque.
Les vitesses atteintes dépendent de pas mal de facteurs. Au
grand largue quatre noeuds au-dessus de la vitesse de l'alizé (dont la
moyenne varie entre 12 et 18 km/h) ne sont pas rares. Le prés est
plus laborieux : 5 à 6 nœuds dans les meilleures conditions. Tout
l'art est alors de connaître les courants contraires au vent et de s'en
servir pour corriger la dérive. Et si le vent dépasse 30 nœuds, il est
préférable de
des ris ou des
qui diminue considéra¬
blement le rendement de la grand-voile - on risque à tout instant de
chavirer ou de casser. Car dès que la houle dépasse un mètre de
creux, les liaisons du balancier travaillent à la limite et la pirogue
embarque beaucoup d'eau.
ne pas mettre
à l'eau. Même
tours de rouleau suivant les voiles
La dernière
J'aurai
autre
-
en prenant
ce
course
une
pirogue à voile pour mon lagon de Punaauia, pas
chose !
C'était un samedi de course, gorgé de soleil. Bien que résidant
Tahiti, Alain Colas venait pour la première fois d'assister - l'île de
Moorea en toile de fond à un départ de pirogues à voiles. Un petit
tour sur la mienne et la découverte se changea en révélation.
Adhérant aussitôt à notre club, Alain devait les jours suivants
prendre une sérieuse option sur une grande pirogue bleue,
précisément sa couleur. Mais deux semaines plus tard, il partait
pour la route du Rhum. Avec lui, la pirogue à voile a peut-être
perdu, outre un ami sincère et passionné, la chance d'un appui
à
-
Société des
Études
Océaniennes
�30
considérable pour sa
renaissance. Car la moyenne d'âge des
piroguiers est de 35-40 ans et, malgré tous leurs efforts, les jeunes
Polynésiens préfèrent aujourd'hui une forme à la pratique et à
l'entretien.
Alors, tout doucement, la pirogue à voile disparaît avec ses
derniers initiés. Et la grande tradition comme un malade incurable,
finit de s'emplir de nuit et de silence. Parce que toujours la mer
retire ce qu'elle a amené.
Dominique CHARNAY
Société des
Études
Océaniennes
�31
LE CAS DU /K/ EN MARQUISIEN :
UN DÉVELOPPEMENT INATTENDU
Une particularité remarquée dans la phonologie du marquisien lors d'une mission effectuée récemment dans cet archipel nous
montre à quel point il est difficile de reconstituer les étapes
successives du changement des langues à tradition orale, comme le
sont la plupart des langues du Pacifique et du Sud-Est Asiatique.
La
particularité qui nous intéresse ici est la suivante : les /r/ et
/1/ des autres langues polynésiennes deviennent presque sans
exception des occlusives glottales /?/ en marquisien ; dans un
deuxième temps une telle occlusive glottale ou coup de glotte
devient souvent /k/. Ce changement phonologique plutôt
inhabituel, qui s'est produit depuis au moins deux cents ans en
marquisien, exige une explication. C'est cette explication qui est lé
sujet de cette communication.
Le marquisien est
six îles habitées qui se
parlé aux Marquises. Cet archipel compte
divisent en deux groupes, celui du NordOuest, comprenant Nuku Hiva, 'Ua Pou et 'Ua Huka, et celui du
Sud-Est, comprenant Hiva 'Oa, Tahuata et Fatuiva (voir carte 1).
En 1904, Mgr. Dordillon remarque que ces deux groupes d'îles
correspondaient à deux divisions dialectales :
Marquises de même que l'archipel se divise en deux
l'un Sud-Est, et l'autre Nord-Ouest, de même la
langue se divise en deux dialectes bien distincts, mais non
pas tellement qu'on ne puisse se comprendre d'un groupe
à l'autre". (Dordillon 1904 : 4).
"Aux
groupes,
Les deux zones dialectales ainsi définies se caractérisent par
certains changements phonologiques, parmi lesquels figure
l'emploi du /k/ dans le vocabulaire du Nord-Ouest, auquel
Société des
Études
Océaniennes
�32
correspond l'emploi de l'occlusive glottale /?/ au Sud-Est. On
entend, par exemple Nuku Hiva, 'Ua Pou et 'Ua Huka upoko, mais
Hiva 'Oa, Tahuata et Fatuiva upo?o, 'tête' ; Nuku Hiva, 'Ua Pou et
'Ua Huka kutu, mais Hiva 'Oa, Tahuata et Fatuiva '?utu, 'pou'.
Dans le cas des exemples cités ci-dessus, le /k/ et l'occlusive
glottale /?/ qui lui correspond proviennent du *k proto¬
polynésien, c'est-à-dire d'un /k/ originel. Pour mieux apprécier la
discussion qui suit, il est opportun à ce point de considérer le
tableau des correspondances phonologiques entre le système
proto-polynésien originel et le marquisien actuel. Le tableau se
présente ainsi :
PPN
*p
*t
*
PNP
*p
M
PCE
*p
NUI
*
*h
*
w
*1 -*r
s
*#
*w
*1
M
*h
*#
*v
*
#
h
h
#
V
?
k
#
h
h
#
V
?,r
n
n,g
#
h
h
#
V
?
m
n
n
#
h,f
h
#
V
?,r,k
?,k
m
n
n
#
h,f h
#
V
?,r,k
?,k
m
n
n
#
h.f h
#
V
?,r,k
*m
*n
*k
*
*n
*
m
*t
*k
*m
*n
p
t,n
k,?
m
n
UAP
p
t,n
k,?
m
UHU
p
t,n
k.?
HOA
p
t
TAH
p
FAT
p
?
M
*s
?
M
*
*#
k
n
m
?,k
t
t
k
*0
r
r
r
: PPN = Proto-Polynésien ; PNP = Proto-Polynésien
Nucléaire ; PCE = Proto-Polynésien Oriental ; NUK = Nuku
Hiva ; UAP = 'Ua Pou ; UHU - 'Ua Huka ; HOA = Hiva 'Oa ;
TAH = Tahuata ; FAT = Fatuiva].
[Nota
Bien que le correspondant phonologique du *k proto¬
polynésien soit normalement / k/ au Nord-Ouest des Marquises
mais /?/ au Sud-Est, le tableau présenté ci-dessus démontre, inter
alia, que tel n'est pas toujours le cas. Le réflexe de *k peut être / k/
dans toutes les îles des Marquises dans le cas de certains lexèmes,
sans conditionnement
phonologique apparent. Nous avons, par
Société des
Études
Océaniennes
�33
exemple, NUK, UAP, UHU, HOA, TAH, FAT ki?i, [PPN *kiki]
'peau' ; NUK, UAP, UHU, HOA, TAH, FAT aka [PPN *aka\,
'racine' ; NUK, UAP, UHU, HOA, TAH, FAT ?aakau [PPN
*raqakau\, 'arbre'. En même temps il faut signaler l'existence de
nombreux
cas de doublets dans le même idiolecte. Le même
locuteur emploiera indifféremment une forme en ou sans /k/.
Nous remarquons, par exemple hakahana/ha?ahana, "faire
travailler, faire faire un travail". Cette alternance est souvent
attribuée à l'influence du tahitien, puisqu'en tahitien le *t du Proto-
Polynésien > /?/ dans tous les environnements phonologiques.
toujours le cas, pourtant, comme l'a démontré le
présent auteur (Tryon 1987:675), puisqu'il s'est avéré que très
souvent la forme en question en marquisien ne correspond pas au
même étymon en tahitien. Ce qui semble se produire, plutôt, c'est
le remplacement graduel du /k/ par /?/, le changement progressif
étant plus avancé dans les îles du Sud-Est que dans celles du NordOuest de l'archipel.
Ce qu'il convient de retenir de la discussion présentée cidessus, c'est l'existence de formes alternantes en /k/ et en /?/ en
marquisien et que ces formes proviennent ou d'un changement
phonologique régulier ou bien qu'elles résultent parfois de
l'influence de la langue tahitienne.
L'occlusive glottale /?/ en marquisien, pourtant, provient
aussi d'une source qui est tout autre que celles que nous venons
d'énumérer, à savoir les *1 et *r du Proto-Polynésien, fusionnés en
*1 en Proto-Polynésien Nucléaire et en *r en Proto-Polynésien
Oriental. Nous avons, par exemple des formes telles que : PPN
*lani > NUK, UAP ?aki, UHU, HOA, TAH, FAT ?ani, 'ciel' ;
PPN *fale> NUK, UAP, UHU ha?e, HOA, TAH, FAT fa?e,
'maison, habitation' ; PPN *luqa > NUK, UAP, UHU, HOA,
FAT, FAT ?ua, 'vomir' ; PPN *roto> NUK, UAP, UHU, HOA,
Tel n'est pas
TAH, FAT 'oto vai, 'lac, mare' ; PPN *rama> NUK, UAP,
UHU, HOA, TAH, FAT ?ama, 'torche, lumière' ; PPN *fara>
NUK, UAP, UHU ha?a, HOA, TAH, FAT fa?a, 'pandanus'.
En
plus, et c'est le phénomène qui nous intéresse le plus dans
communication, il s'est produit un changement phonologique
inattendu, ceci dans le dialecte du Sud-Est de l'archipel, si on peut
ainsi caractériser le parler de Hiva 'Oa, Tahuata et Fatuiva. De
changement est le suivant : l'occlusive glottale (coup de glotte)
provenant du *1 et *r proto-polynésiens est remplacée par / k/,
vraisemblablement par analogie avec l'alternance entre /k/ et /?/
dont nous avons déjà discuté plus haut. Ce phénomène, qui
s'applique à un grand nombre de lexèmes, peut être qualifié du
cette
Société des
Études
Océaniennes
�34
'hypercorrection'. Ce même phénomène n'est pas inconnu
en Océanie. Lichtenberk (1983:17-21), par exemple, le
remarque en manam, langue austronésienne parlée dans l'île
Manam au Nord de la Papouasie Nouvelle-Guinée. Parmi les
exemples relevés du marquisien contemporain de Hiva 'Oa,
Tahuata et Fatuiva, symbolisé ici par MQS, on remarque :
terme
ailleurs
MQS iko
MQS kaa
MQS kia
PPN *il_o 'larve'
PPN *laa 'voile'
PPN
*li(s,h)a 'lente'
PPN *lo 'fourmi'
MQS ko
PPN *loa
MQS
'long'
MQN. i?o, 'ver,larve'
koa
'holothurie' MQS koki
PPN
*loli
PPN
*qura 'crustace'
MQS
PPN *refu 'cendres'
PPN *suli
[MQN
=
MQN
u?a,'langouste'
MQS kehu ahi MQN ?ehu ahi,'cendres'
MQN hu?i,'bourgeon'
MQS huki
uki
MQN u?i,'gouvernail'
MQS
'bourgeon'
'gouverner'
PPN *uli
uka
MQN..?aa, 'voile'
MQN..?ia, 'lente'
MQN. ?o, 'fourmi'
MQN. ?oa, 'long'
MQN. ?o?i,'holothurie'
îles du Nord-Ouest,
Nuku
Hiva, 'Ua Pou et 'Ua Huka].
Il convient aussi d'observer que deux formes supplémentaires
figurent dans la liste de noms de poissons relevés par Lavondès et
Randall (1978) qui servent à illustrer le développement du *l/*r
proto-polynésien
en
/k/
en
MQS, notamment
:
PPN *matulau 'mulet'
PPN *lai
MQS tukau
MQS pakaikai
'esp.de poisson'
MQN maatu?au 'mulet'
MQN pa?ai?ai 'espece de
poisson'
Le remplacement d'un /1/ ou d'un /r/ originel par /k/ au
Sud-Est des îles Marquises n'est pas limité aux seuls lexèmes pour
lesquels existent des formes reconstituées proto-polynésiennes.
Considérons, par exemple, MQS pukehua, correspondant au
hawaiien pulelehua et au mangarévien purerehue, 'papillon' ; MQS
kahikahi, MQN ?ahi?ahi, correspondant au tahitien rahirahi,
'mince'. [Le premier exemple est particulièrement significatif
puisqu'il démontre que le changement des réflexes du *1 et du *r
Société des
Études
Océaniennes
�35
proto-polynésiens en /k/ est postérieur à la séparation du
mangarévien et du hawaiien de la langue marquisienne].
l'alternance entre /?/ et /k/, provenant du
*l/*r proto-polynésien, fut assez répandue partout aux Marquises
même au moment des premiers contacts missionnaires. Crook
(1798), par exemple, cite deux formes, ko et ?o [PPN *lo] pour
désigner 'fourmi'. De même, dans les dictionnaires de Dordillon
(1904, 1931, 1932) de nombreux exemples d'une alternance
générale entre /?/ et /k/, provenant des *1 et *r proto-polynésiens
se font remarquer. D'après le témoignage de ces ouvrages, cette
alternance n'était pas limitée aux îles du Sud-Est des Marquises.
Du dictionnaire de 1904, par exemple, on relève les alternances
Il semblerait que
suivantes
:
PPN
*firi,'tresser'
PPN
*Laahui,'interdire'
PPN
PPN
*Lapu,'brasser'
*Lipo,'tourbillon'
MQS fi?i,fiki,'border une
natte, s'entrelacer
MQN ?ahui,kahui MQS kahui,'défendre'
MQN kapu
MQS ?apu,kapu,'écoper'
MQN kipo
MQS ?ipo,kipo,'vase pour
MQN hi?i,hiki
servir le kava'
Il faut signaler, d'ailleurs que la plupart des données qui
constituent la base des dictionnaires de Dordillon furent recueillies
entre 1853 et 1888, l'année de son décès, ses lexiques étant des
publications posthumes.
L'alternance en question, donc, semble remonter loin, au
moins au dix-huitième siècle. Elle semble avoir été répandue
partout aux Marquises au dix-neuvième siècle et même plus
récemment, puisque certains Marquisiens âgés affirment avoir
entendu uka [PPN *qura], 'langouste' dans les vallées de Ho'oumi
et Taipivai à Nuku Hiva pendant leur jeunesse. Aujourd'hui cette
Société des
Études
Océaniennes
�36
forme est
systématiquement remplacée
par
u?a
au
Nord-Ouest de
l'archipel.
Pour
conclure, l'alternance
en
/k/ semble l'avoir remporté
dans le dialecte du Sud-Est des Marquises, alors qu'au Nord-Ouest
l'occlusive glottale /?/ correspond normalement aux *l/*r
originels du proto-polynésien. Ce développement n'est peut-être
pas tout à fait inattendu, puisqu'il existe toujours des cas au NordOuest, surtout à 'Ua Pou et à Nuku Hiva, ou les *l/*r sont
conservés comme /r/. A 'Ua Pou, par exemple, on a rere 's'enfuir'
[PPN *lele 'voler']. De même, il existe des variantes en /r/ et /?/
dans le dialecte du Nord-Ouest, telles, par exemple,
pohore/poho?e, 's'écorcher', et tara/ ta?a, 'espèce d'oiseau (sterne)'.
Ce conservatisme linguistique, absent dans le cas du dialecte plutôt
innovateur du Sud-Est de l'archipel, contribue à expliquer
pourquoi le développement / r/ > /k/ ne s'est pas imposé au
Nord-Ouest, puisque l'évolution des *l/*r du Proto-Polynésien en
/?/ y reste inachevée.
D.T. Tryon
Université Nationale Australienne
BIBLIOGRAPHIE
Biggs, B., Walsh, D.S. & J. Waqa
Proto-Polynesian Reconstructions with English to Proto-Polynesian Finder
List ; Working Papers in Linguistics, Anthropology Dept ; University of
Auckland. [1970]
Crook, W.P.
An essay toward a dictionary and grammar of the lesser-Australian language,
according to the dialect used at the Marquesas, ms. [ca. 1798]
Dordillon, I-R.
Grammaire
et
Belin Frères.
dictionnaire de la
langue des îles Marquises. Paris : Imprimerie
[1904]
Dordillon, I-R.
Grammaire et dictionnaire de la
Français
;
Paris
;
langue des îles Marquises
;
Marquisien-
Institut d'Ethnologie. [1931]
Dordillon, I-R.
Dictionnaire de la langue des îles
Institut
Marquises
;
Français-Marquisien ; Paris
d'Ethnologie. [1932]
Société des
Études
Océaniennes
;
�37
Lavondès, H & J.E. Randall
Les
noms
14:79-112.
de
poissons marquisiens
[1978]
;
Journal de la Société des Océanistes
Lichtenberk, F.
Manam Grammar ; Oceanic Linguistics Special
Honolulu ; University of Hawaii Press. [1983]
Publication N° 18
;
Tryon, D.T.
The Marquesan dialects : a first approach ; in D.C. Laycock & Werner
Winter, eds, A world of language : papers presented to Professor S.A. Wurm
on his 65th birthday ; Canberra ; Pacific
Linguistics, C-100:669-681. [1987]
1
138'
140°
Q
î. de Sable
Hatutu
Eiao^j
-8°
ILES
8°"
MARQUISES
^Motu Iti
Nuku Hiva
^Ua Huka
C_j(l. Washington)
(1.Marchand)
Ua Pou
•
Fatu Huku
Hiva Oa
(Santa
-10°
ChrtXa)^
QMohotani (Motane)
lQ,_
Fatu Hiva
LAl.Magdalena)
50
0
Kilometres
140'
138'
-
Société des Etudes Océaniennes
'
�38
ÉTUDE D'UNE PÊCHERIE ARTISANALE
DE POLYNÉSIE FRANÇAISE :
L'EXEMPLE DE TIKEHAU
(ARCHIPEL DES TUAMOTU)
INTRODUCTION
Depuis 1982 l'ORSTOM* a mis en place un programme de
recherche (Atoll) sur les écosystèmes lagonaires polynésiens. Au
sein de programme, l'opération HALIAT vise plus particulière¬
ment la dynamique des populations des espèces
ichtyologiques
exploitées.
L'atoll de Tikehau
se
trouve à
environ 180 milles marins de
Papeete, dans la partie Nord-Ouest de l'archipel des Tuamotu
(Figure 1). C'est un atoll ouvert par une passe de quatre mètres de
profondeur située dans l'Ouest de l'île. Comme dans la quasi
totalité des Tuamotu, la ressource principale est le coprah, mais
profitant de la proximité relative de Tahiti, Tikehau est également
un centre de
production de poissons. Le principal engin de capture
est le piège fixe ou parc à poissons.
D'après les témoignages
recueillis par Blanchet et al., (1985), la pêche commerciale aurait
pris naissance au début des années 60. Depuis cette date, la
pêcherie a subi de fortes modifications dictées par les évolutions du
marché du poisson et des moyens matériels. La concentration de la
population polynésienne à Tahiti, l'accroissement général du
niveau de vie et le développement du tourisme font que la demande
a augmenté dans des
proportions importantes. L'introduction de
nouveaux matériaux tels
que le grillage, a permis de multiplier la
*
ORSTOM
:
Institut Français de Recherche
Scientifique
Coopération.
Société des
Études
Océaniennes
pour
le Développement
en
�39
construction des parcs et de les
comme les passes d'atoll.
installer dans des
zones
difficiles
Actuellement, la production de la pêcherie de Tikehau tourne
200 tonnes, soit environ 18% du tonnage des Tuamotu.
Seul l'atoll de Kaukura pêche davantage en exportant des
quantités doubles sur Tahiti.
autour de
Eiao
-•
'Motu One
Hatu Iti.
..
.Ua Huka
NukuHiva»
Ua Pou*
Tahuata
#Fatu Huku
^.Hiva Oa
»
.
Mohotani
'
Fatu
Hiva'
Motu Nao
%
4
"
Manihi
4a
MTCHIPft
ILES
SOUS
ûf
„
'■A
„
.
Sq Makatea. Kaukurao-
\ah£«
Maupihaa"
T
Malaiva,
Rangiroa
Takapoto
Tikehau*'
tyP* Apataki
,
VENT
LE
Tupai
.Motu-One
0 H
„Takaioa
Ahaj o
V
Raiatea
CJ
oTetiaroa
/
Tikeà
-Aratiki
^^af
Ov
au*
*
^/angatau
Takume^
Kauehj
Taenga fARafoia
oRaraka
Taenga
Faailac>TJÏ'ake-Mhîr-'»
•MiiivjviL—;, "run
oF
ûNihiru
f* "Takahina
Fakaravav>
Tahanea^0Tepoto|StoM
J?
Motutunga
J*Marutea(N)
Anaa
_
^
.7
Tekokota
""■J1"
Reitofu
ILES
,
.
a
Jauere
"Hikueru
.
^Marokau
Nengonengo*»
Manuhangi
^Tatakoto
o
/•
^Amanu
^H«
Ravahere I
Akiaki
o
Paraoa
^
»
Vahitahi
^
Nukutavake
Vairaatea
•Pinaki
Ahunui *
Anuanuraro
Anuanurunga •
■
#Tureii
Nukulcpipi
Tenararo
,
Matu'«vavao
Moruroa
r
.
<
•Fan^a"U,,
tRurulu
*
_
Vahanga---7"a"i"gM,rutIl|s|
Tematangi
'Maria
ILES GAMBIER
Rimatara
Tropique du Capricorne
Temu."
Tubuai
(p J-C J. ORSTOM TAHITI. 025/03-86.
Fig. 1
1
-
:
Carte de la Polynésie Française.
LES PARCS A POISSONS
Au début du
siècle, les parcs à poissons étaient constitués de
fait de blocs de coraux empilés sur une hauteur maximale
d'un mètre. Quelques poteaux de bois venaient parfois renforcer
l'ouvrage. Du fait même de leurs architectures, leurs emplois se
murs
Société des
Études
Océaniennes
�40
limitaient à des zones peu
tionnellement les parcs à
profondes. Ainsi, on retrouvait tradi¬
poissons dans les Hoa (chenaux peu
profonds qui séparent les îlots - Motu - de la couronne récifale), à
proximité du rivage près des villages et à côté des passes. A cette
époque, le commerce du poisson n'était pas organisé et la
production ne servait qu'à des fins d'auto-consommation.
Dans les années soixante, un nouveau procédé de fabrication
des pièges à partir de grillage est apparu, et correspond à ce que
l'on peut voir de nos jours. Le grillage employé est de type
"poulailler". Il est maintenu par des piquets en bois (en général
Kahaia) ou des tiges de fer. Dans un premier temps on plante dans
le corail, à l'aide de barre à mine, les poteaux suivant la forme du
parc désirée puis on y attache le grillage à l'aide de fil de fer ou de
cuivre. Le travail se fait le plus souvent avec un matériel de plongée
libre mais si le parc est construit en eaux profondes, il est
nécessaire de s'équiper de bouteilles de plongée ou de narguilé. Ce
dernier appareil est constitué d'un petit compresseur flottant à la
surface et capable d'envoyer de l'air comprimé à deux personnes
jusqu'à dix mètres de profondeur. La figure 2 montre la physio¬
nomie classique d'un parc à poissons telle que l'on peut en voir
dans les Tuamotu. Deux grands bras en forme d'entonnoir, les
rauroa aboutissent dans une première chambre en forme de cœur,
le aua. Cette partie communique avec le tipua, chambre secondaire
qui ferme hermétiquement. Le piégeage du poisson se déroule de la
façon suivante : guidé par les bras collecteurs, le poisson rentre
dans le aua et ultérieurement dans le tipua. La forme du aua fait
que le poisson ne peut en trouver la sortie.
A partir de ce schéma type, il existe de nombreuses variantes
concernant la longueur des rauroa, la forme du aua et le nombre de
tipua.
Tipua 2
Fig. 2
:
Un piège type des Tuamotu.
Société des
Études
Océaniennes
�41
Le grillage d'un parc à
huit mois. Passé ce délai,
poissons a une durée de vie d'environ
il est trop oxydé et n'importe quel
poisson à la mâchoire assez puissante peut le déchirer et ainsi
ouvrir un passage pour que les captures s'échappent. Les pièges
situés dans des zones à fort courant sont à la merci des mauvaises
conditions météorologiques. Une mer trop forte suffit pour
détruire ces édifices. Cela arrive notamment au cœur de l'hiver
Austral en raison des dépressions très actives entre les 50° et 40°
parallèle Sud et aux mois de Décembre-Janvier lors des systèmes
cycloniques qui affectent la zone de convergence du Pacifique Sud.
Le coût moyen d'un parc est d'environ 300 000 F.CFP mais
selon qu'il se trouve en eaux profondes et donc nécessitant
beaucoup de matériaux ou en bord de récif, son coût s'étale de
100 000 F.CFP à 1 000 000 F.CFP. L'achat du grillage est subven¬
tionné à hauteur de 50% par le territoire sous réserve que le dossier
soit agréé par l'EVAAM (1).
Au mois de juillet 1984, Blanchet et al., (1985) recensait 22
parcs à poissons à Tikehau dont 9 localisés à la passe. Il semble
qu'actuellement, ce chiffre soit moindre. La figure 3 montre la
disposition des parcs de la principale pêcherie, située au voisinage
Tuheiava. On y remarque un grand parc situé dans la
partie médiane de la passe par quatre mètres de fonds et possédant
deux ouvertures l'une vers l'océan et l'autre vers le lagon. Cinq
autres parcs composent la principale pêcherie, tous situés sur des
fonds moins importants que le grand parc (deux mètres environ).
Deux sont ouverts vers le lagon et trois vers l'océan.
Un engin de pêche annexe est utilisé quand les conditions
courantométriques dans la passe sont bonnes (i.e. courants
faibles). Il s'agit d'un filet mobile de 300 mètres de long sur cinq
mètres de hauteur. Il est tendu en travers de la passe et relie les
rauroa du grand parc et du parc le plus sud (parc orare) (cf. figure
3). Ainsi, le poisson qui tenterait de sortir ou d'entrer dans le lagon
serait guidé vers l'un des deux parcs.
de la passe
2
-
LA
PÊCHE
Tikehau est familiale. La
depuis trois générations. Le
propriétaire des parcs est aidé par un nombre variable de
travailleurs. Quand le travail est abondant, on peut avoir jusqu'à
sept personnes employées à temps plein. En "routine", l'exploita¬
tion tourne avec cinq travailleurs.
La principale exploitation de
succession s'est faite de père en fils
(1) EVAAM
Établissement
pour
la Valorisation des Activités Aquacoles et
Société des
Études
Océaniennes
Maritimes.
�42
J filet amovible
k
paie hou, izAvice avec uni
/'• d'ouveAtnie
{tAii
nglandi)
A pane, en ieivéee avec ieni
d'ouveAtuAe
Fig. 3
:
Disposition des parcs au voisinage de la passe.
d'un pêcheur est variable. En gros, elle
jours dans les parcs pour chasser les
poissons prisonniers du aua vers le tipua qui sert de vivier, et
débarrasser le parc de tous les grands prédateurs qui s'y introdui¬
sent et peuvent causer des dommages au grillage, aux captures et
aux hommes. Ainsi les requins (mao), murènes (puhi), barracudas
(hono) et balistes (oiri) sont tués à l'aide d'un harpon (patia) et jetés
hors du piège.
La tâche quotidienne
consiste à aller tous les
A
ce
quotidien, s'ajoutent la réparation, la construction
l'entretien des moyens logistiques à terre.
travail
des parcs et
pêche proprement dite a lieu les jours de passage des
goélettes inter-insulaires. Le poisson prisonnier dans les tipua est
chargé à l'aide d'une senne dans les embarcations (kau). On peut
charger dans un bateau jusqu'à une tonne et demi de poissons. Le
chargement est ensuite ramené à terre où il est conditionné en
La
Société des
Études
Océaniennes
�43
paquets. Cela consiste à enfiler sur une ficelle un nombre variable
de poissons, la ficelle passant par les ouïes et ressortant par la
bouche. Un paquet de poissons pèse environ trois kilos et demi.
Cette opération est assez longue malgré la dextérité impression¬
nante des hommes. Il faut noter
participe
:
qu'à ce stade, beaucoup de monde
les voisins, les femmes et même parfois les enfants.
Une fois la mise
paquets terminée, le poisson est amené à la
goélette et disposé dans de grandes glacières sur de la glace pilée.
Le poisson peut se conserver ainsi cinq jours. Le processus se
répète jusqu'à ce que les parcs soient vides, ou la capacité de la
goélette atteinte (trois à quatre mille paquets selon les espèces). En
pleine saison, quatre à six bateaux sont nécessaires alors qu'un seul
suffit
en
en
basse saison.
Durant cette dernière saison, lorsque les parcs ne produisant
pas assez, il est pratiqué des pêches d'appoint à la ligne ou au fusil
mais seulement les jours où la goélette est présente, car il n'existe
pas
de moyens de conservation à terre.
Tikehau est un atoll relativement bien desservi, et les touchées
goélette y sont nombreuses. Le "Rairoa Nui" vient de façon
quasi hebdomadaire le principal partenaire de la pêcherie. D'autres
goélettes comme la "St Xavier Mari Stella" ou le "Manava II"
passent de façon plus épisodique et ne prennent que des quantités
limitées de poissons.
de
Le
prix d'achat du poisson est de 180 F.CFP le paquet de vete,
petit surmulet en général peu apprécié, et de 210 F.CFP (2) le
paquet de poisson dit "Assorti". Il se révend sur le marché de
Papeete environ à 1 500 F.CFP le paquet soit un rapport
achat/vente de 14% nécessaire à couvrir les frais de l'armateur.
En 1984, il a été tenté une expérience de commercialisation
par voie aérienne du poisson de l'atoll. La motivation de cet essai
était de fournir au marché de Papeete un poisson frais et plus
fréquemment que les goélettes. Un manque de compréhension
entre les pêcheurs et le propriétaire de l'avion a fait qu'après un
trimestre, l'opération a échouée.
Un marché secondaire existe sur l'atoll. C'est un marché
interne qui est établit entre les habitants du village et les pêcheurs
de la passe. Lés villageois communiquent par talkie walkie leurs
besoins qui leur sont envoyés à la fin de la semaine. Le prix de
vente du
paquet de poisson est alors de 250 F.CFP. Les quantités
ainsi vendues sont de l'ordre de trente paquets par semaine.
(2) 240 F.CFP
au
01/01/87.
Société des
Études
Océaniennes
�44
3
LA PRODUCTION
-
La production
qualitative d'un parc à poissons dépend
emplacement. Un parc situé en bord de plage,
loin des passes ou des hoa capturera
plus de petits poissons
herbivores et peu de grands poissons piscivores
comparativement
aux parcs situés
dans les passes. La production quantitative est très
liée à la saison et au cycle lunaire. Nous allons étudier
plus parti¬
culièrement la production de la pêcherie, décrite aux
paragraphes
précédents, en 1985.
beaucoup de
son
On recense une trentaine
d'espèces dans les parcs. Le tableau I
indique la composition qualitative et quantitative des captures en
1985. On remarque que la pêcherie est relativement
spécifique
puisque les trois plus importantes espèces (Taea, Tatihi et Oeo
uturoa) totalisent 44,1% des captures en poids, les cinq premières
(les trois précédentes plus or are et toau) 60,1% et les dix premières
82,9%. .Douze espèces rentrent de façon négligeable dans la
production, ne représentant chacune que moins d'un pour cent des
146 477 kgs débarqués (soit 43 724
paquets).
La production varie dans le
temps. La figure 4 nous montre les
variations de l'abondance des poissons dans les
parcs. On mesure
cette abondance par la
capture par unité d'effort (c.p.u.e.). La
c.p.u.e. est le rapport de la quantité effectivement pêchée
par le
nombre de jours nécessaire à sa
capture. On remarque que la
c.p.u.e.
(kg/jour)
600.
500.
400.
/
0.
jt
Fig. 4
:
'
F»
1
Évolution
M*
'
Al
'
M'
de la c.p.u.e.
1
jl
au cours
Société des
Études
T
n
S
de l'année 1985.
Océaniennes
'
*5
1
Hi
'
*D
lils
�45
atteint ses valeurs les plus élevées durant les mois de
Février, Novembre et Décembre. Le maximum enregistré est de
579 kg/jour. Les valeurs minimales sont obtenues entre Mars et
Septembre. En conclusion, il se dégage deux grandes périodes de
pêche dans l'année :
c.p.u.e.
—
—
La "basse saison" qui coïncide avec l'hiver Austral,
La "pleine saison", de Novembre à Février soit l'été Austral.
Nom
|
|
|
|
|
|
|
|
I
|
|
|
|
|
|
|
|
|
j
|
|
!
|
|
|
|
|
|
|
| Nombre
Nom
tahitien
scientifique
1
1
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Taea
Tatihi
Oeo uturoa
Orare
Toau
Vete
Paaihere
Raoa
Parai
Ioio
Paaihere
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Roe roe
Tiaene
Manea
Iihi
Kukina
Ope ru
Uhu
Kopa
Urne
Hapuu
Mu
Pati
Uruati
Rai
Vete
Ahore
Anae
j
Selar crumenophtalmus
1
1
1
I
I
I
4
o 00
Lutjanus fulvus
j
3
959
Muloïdichthys flavolineatum
|
I
3
2
238
Assorti
j
j
1
1
Acanthurus xanthopterus
|
Albula vulpes
j
1
1
Caranx sp.
Elagatis bipinnulatus
|
I
I
I
I
I
I
I
I
I
I
I
I
I
I
I
I
I
|
1
000
Lutjanus gibbus
Naso brevirostris
Lethrinus miniatus
Caranx melampygus
Upeneus vittatus
Sphyraena forsteri
Scarus gibbus
Myripristis sp.
Scarus ghobban
Decapterus pinnulatus
Scarus sp.
Priacanthus cruentatus
Naso lituratus
Epinephelus microdon
Monotaxis grandoculis
Chanos chanos
Caranx ignobilis
Scomberoïdes lysan
Mulloïdichthys auriflamma
Kuhlia marginata
Crenimugil crenilabis
TOTAL
1
Tableau I
:
|
|
1
de
paquets
8
j
j
j
086
5 891
4 663
total
898
j
19,0
|
19 942
|
13,6
j
j
27
16 00 Ld
887
|
8,1
580
j
7,9
|
|
9
r- CN
6,5
j
|
6 268
286
j
4 489
229
|
4
615
3
696
3
"3- 00 P»
766
747
648
559
556
335
264
93
81
50
43
31
|
|
j
j
j
j
j
j
j
j
|
|
I
2 680
2 756
2 268
|
j
j
j
j
4,3
2,5
j
j
j
2,4
|
2,1
j
j
3,1
3,2
1
1
.5
I
I
1
,4
j
1 .3
I
1 .9
118
946
|
1
189
j
j
j
0,8
|
0,3
630
325
371
175
150
108
10
|
35
84
35
146 447
j
j
j
|
|
j
j
|
0,4
Composition qualitative et quantitative des captures
(Source : CAILLART, MORIZE (1986) ).
Études
Océaniennes
en
j
j
0,1
|
|
|
|
0,1
j
0,1
|
|
|
|
|
0,2
0,1
0,0
0,0
0,0
99,9
J
Société des
,8
1
10
r- CM
j
j
I
|
5.7
2
45
10
i
|
|
3 080
j
j
j
24
,5
11
791
j
j
11
11
8 295
056
|
|
ï Poids
(kg)
j
j
340
880
43
|
|
Poids
1985.
�46
Sous ce grand cycle annuel, il existe un deuxième cycle qui
correspond à la durée du mois lunaire. En effet, on note que la
quantité de poisson pêchée est plus importante quand on se situe
de la nouvelle lune à son premier quartier.
Le déterminisme de
périodes d'abondance est sans doute
phénomène de la reproduction. On observe que les poissons
capturés sont le plus souvent sexuellement matures. Il y aurait
donc des phénomènes migratoires qu'il reste cependant à préciser.
On retrouve ces phénomènes d'une année sur l'autre et ce
depuis
que la pêcherie existe, selon le témoignage des pêcheurs. Ce
phénomène semble être général à l'archipel des Tuamotu et sans
lié
ces
au
doute
aux
Une
poissons
îles Sous-le-Vent.
analyse plus fine des captures consiste à
famille et par niveau trophique.
regrouper
les
par
La famille des Lutjariidae est la plus représentée avec 27% des
captures, suivi des Carangidae (19,7%) des Acanthuridae (17%) et
des Lethrinidae
(11,6%).
Une classification par niveau
trophique nous a semblé
intéressante. Pour ceci, on a distingué quatre grandes catégories de
régimes alimentaires
—
—
—
—
:
Le régime
lement de
"gros carnivore" où le poisson se nourrit essentiel¬
poissons de toutes tailles.
Le régime "petit carnivore" où le poisson consomme principa¬
lement les crustacés, mollusques et petits poissons de quelques
centimètres de long.
Le régime "invertébré" qui regroupe les espèces recherchant les
invertébrés benthiques, soit de l'endofaune sédimentaire, soit
de la faune sessile des massifs coralliens.
Le régime "herbivore-planctonophage" dans lequel on compte
les poissons soit broutant le tapis algual, soit se nourrissant de
plancton, soit les deux.
Une
cinquième catégorie "divers" rassemble les régimes
aux critères cités précédemment.
ne
répondant pas
Des analyses de contenus stomacaux nous ont permis de
dresser le tableau II qui indique le régime des
principales espèces
pêchées.
Société des
Études
Océaniennes
�47
Régime
Espèce
Gros
□eo
carnivore
Paaihere
Proportion
uturoa
Roeroe
Tiaene
| Petit
23,6 %
|
26,9 %
|
17,4 %
|
%
|
15,1 %
|
Taea
carnivore
Toau
Uete
Invertébré
Ioio
Raoa
Eufu
Herbivore
1 planctono-
Tatihi
Parai
Divers
Tableau II
:
17
Urne
phage
/
Régime alimentaire des principales espèces pêchées
et proportion dans les captures.
Société des
Études
Océaniennes
�48
On remarque que
50,5% des captures est composé de poissons
supérieurs de la chaîne trophique. Le fait que
les poissons piscivores soient les plus péchés indique que ces
derniers sont probablement assez grégaires. Cela leur fait
emprunter passes et hoa pour la recherche de nourriture et ils sont
à ce moment là interceptés par les pièges.
Au niveau de la production totale, la pêcherie de Tikehau a
subi en dix ans de fortes variations. Le tableau III donne depuis
1975 la production totale ainsi que le pourcentage qu'elle
représente par rapport à la production de l'archipel des Tuamotu.
occupant les niveaux
Production
Année
Tikehau
%
|
(T.)
Production|
Tuamotu
I
|
|
1975
340
1976
384
|
|
|
|
1977
253
1970
277
79/9
196
1980
153
•
•
•
•
■
■
■
~
|
|
35
|
|
|
|
2D
28
19
18
15
|
|
|
|
|
|
I
m
m
|
1983
140
|
15
|
|
|
1984
240
|
2D
1985
178
|
17
|
|
I
Tableau III
: Évolution de la
production de poissons
(Source : Service de la pêche)
Société des
Études
Océaniennes
�49
On remarque une
forte décroissance des quantités pêchées. Il
cependant relativiser cette baisse. Dans les années 1975, de
nombreuses goélettes inter-insulaires venaient acheter le poisson.
Par ailleurs, il y avait de nombreux parcs à poissons tout autour de
l'atoll car une grande partie de la population s'intéressait plus à la
pêche qu'au coprah. La situation a petit à petit évolué et à partir de
1980, le système actuel s'est mis en place à savoir une goélette
unique vient régulièrement et le nombre de parcs à poissons est
inférieur à dix. Il ne faut donc pas conclure hâtivement à une
raréfaction de la ressource bien qu'elle puisse exister. Un autre
phénomène rentre probablement enjeu, c'est la connaissance par le
poisson de l'engin de pêche. Habitué à voir ses semblables capturés
et éventuellement émettre des signes de détresse, le poisson peut
maintenant se méfier et s'écarter des structures en grillage qu'il
rencontre. Ce phénomène est également ressenti pour la pêche au
fusil sous-marin. Un plongeur qui ira dans l'eau les mains vides,
verra le poisson s'approcher plus facilement de lui que si il tenait
faut
un
bâton
ou
une
arme.
L'étude que poursuit l'ORSTOM permettra,
sur le degré d'exploitation du stock
de statuer
Tikehau et de proposer,
si il
y a
à moyen terme
halieutique de
lieu, des aménagements.
CONCLUSION
pêcherie décrite dans cet article constitue un modèle assez
représentatif de ce qu'est la pêche dans les Tuamotu. Les grandes
lignes se retrouvent assez souvent, c'est-à-dire un engin de pêche
qui est le parc à poissons, une concentration de ces pièges aux
alentours des passes et des hoa, des exploitations familiales. Les
principales espèces pêchées à Tikehau peuvent varier d'un atoll à
La
l'autre.
Les
sources
de variations d'un atoll à l'autre
du nombre et de la
répartition des
parcs
proviennent aussi
à poissons et de la desserte
goélettes inter-insulaires. Ainsi l'atoll de Kaukura a un
important de pièges répartis tout autour de l'atoll. Les
exploitants y sont nombreux. Cela se ressent au niveau de la
production totale puisque annuellement, plus de 300 tonnes sont
exportés vers Papeete. Les atolls d'Apataki et de Arutua ont quant
à eux un système d'exploitation qui ressemble beaucoup à celui de
par les
nombre
Tikehau.
B.
Caillart, E. Morize
orstom
Société des
Études
Océaniennes
�50
BIBLIOGRAPHIE
BLANCHET
(G.), CAILLAUD (L.), PAOAAFAITE (J.) - 1985 - Les pièges à
poissons de Tikehau. ORSTOM Tahiti, Notes et Doc. Oceanogr., 25 : 116 p.
CAILLART (B.), MORIZE (E.)
1985
-
-
1986
La production de la pêcherie de l'atoll en
Tikehau, III, ORSTOM Tahiti,
45-71.
-
in contribution à l'étude de l'atoll de
Notes et Doc.
Oceanogr., 30
Société des
:
Études
Océaniennes
�51
PEUT-ON ENVISAGER L'EXPLOITATION
DE CERTAINES POPULATIONS
D'ANGUILLES DE POLYNÉSIE ?
Dans plusieurs îles françaises de Polynésie et de Mélanésie
liées à la France, on constate que les populations d'Anguilles sont
exploitées. Ce fait tient sans doute à l'existence d'anciennes
légendes liant étroitement l'Anguille soit aux ancêtres de la
population humaine actuelle, soit à la genèse du végétal le plus
précieux dans l'économie de ces îles : le cocotier (5). Ces croyances
font que ce poisson jouit souvent d'une considération toute
particulière parmi les divers éléments de la faune pisciaire. C'est
ainsi qu'à Nauru, comptant 12 clans, le plus puissant d'entre eux et
le plus prestigieux porte le nom d'Eawit, mot
qui signifie
"anguille" (10). Cette sous-exploitation associée à une pêche
intensive des chevrettes (Macrobrachium) n'est pas sans influence
sur le rendement de celle-ci,
puisque ces chevrettes constituent des
proies appréciées des Anguilles. Face à cette situation, il faut
rappeler que le rendement des pêcheries d'Anguilles a nettement
baissé depuis plusieurs années en Europe et tout particulièrement
en France, probablement essentiellement
par suite de pêche
abusive des civelles ou piballes. Il en résulte que la France importe
des Anguilles adultes - surtout pour la fumaison - de pays aussi
éloignés que l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Il paraîtrait
rationnel de favoriser la capture et l'importation en France
métropolitaine des Anguilles de ces territoires français d'OutreMer, démarche qui aurait le double avantage de diminuer nos
sorties de devises de la zone franc et de protéger les stocks de
chevrettes. Mais auparavant, il est essentiel de connaître la valeur
alimentaire de ces Anguilles et c'est pourquoi nous rapportons
dans les tableaux 1 et 2 certains résultats biochimiques obtenus sur
la chair de deux espèces d'Anguilles de Tahiti et Moorea, Anguilla
marmorata et Anguilla obscur a parmi les trois étudiées récemment
sous
Société des
Études
Océaniennes
�52
par l'un de nous (6). Anguilla mégastoma, la troisième espèce est
d'accès plus difficile que les deux espèces
précitées. Son biotope
consiste en des cours d'eau à pente rapide, en amont des cascades.
On en trouve aussi au lac Vaihiria
(altitude : 470 mètres).
représentants de ces deux espèces étaient capturés dans
leur biotope habituel, les premières en aval des
cascades, les
secondes dans des eaux stagnantes,
plus ou moins saumâtres.
Leurs rapports gonado-somatiques étaient très faibles, inférieurs à
Les
0,1. Ces valeurs confirment les observations faites sur la robe de ces
Anguilles à savoir qu'il s'agit d'Anguilles jaunes, c'est-à-dire avec
toutes les réserves qui doivent être faites
quand on compare des
espèces aussi différentes - d'Anguilles qui, en Europe, n'auraient
point encore effectué leur préparation à la migration catadrome
vers
la
mer.
Seul le muscle a été analysé puisque c'est la
partie essentiel¬
lement consommée de l'Anguille. L'ensemble des muscles
prélevés
entre les nageoires pectorales et l'anus était conservé congelé
jusqu'aux dosages.
Nous avons surtout utilisé, pour la
comparaison avec nos
résultats rapportés dans les tableaux 1 et 2, les travaux de Boucher
Firly (1), Callamand (2), Me Cance (7), Me Cance et
Widdowson's (8), Watts et Merrill (12) sur les
Anguilles euro¬
péennes. En dépit des variations très importantes observées au sein
d'une même population la conclusion générale
qui se dégage de ces
diverses études sur l'Anguille européenne est une
plus forte teneur
lipides du muscle chez les Anguilles argentées que chez les
Anguilles jaunes. Du fait qu'on ne trouve que très rarement des
Anguilles argentées dans les eaux de Tahiti et jusqu'à présent
aucune Anguilla marmorata, et
qu'elles n'ont donc point été
comprises dans ces dosages, les comparaisons seront faites avec les
Anguilles jaunes européennes.
Chez les Anguilles polynésiennes, la moyenne des teneurs en
eau du tissu musculaire
(humidité) est nettement plus élevée que
celle des Anguilles
européennes (tableau 1), 77,8% en moyenne
pour les Anguilles polynésiennes contre 73% (2) ou 71,3% (7) pour
les Anguilles européennes. Il est
probable que cette plus grande
teneur en eau est en rapport
avec une teneur en lipides relativement
faible comme nous le verrons plus loin. Elle
peut être liée aussi au
comportement moins actif, aux réactions à la capture moins
rapides des Anguilles polynésiennes. En effet chez l'Anguille
européenne si au début de la migration reproductrice (sortie des
étangs, nage vers les grands fleuves allant à la mer) le compor¬
tement est très actif, il devient
beaucoup plus passif au cours de
en
Société des
Études
Océaniennes
�53
l'avalaison et cet état correspond à une augmentation de la teneur
du tissu musculaire et à une déminéralisation. Le fait que
en eau
phénomènes biochimiques ainsi que le comportement relati¬
passif régressent quand les Anguilles sont transférées en
eau salée conforte cette hypothèse d'une corrélation entre ces
critères biochimiques et le comportement (3 - 4).
Les teneurs en lipides des muscles des Anguilles jaunes
européennes sont très variables, mais dans aucun travail nous
n'avons trouvé sur des Anguilles jaunes des valeurs aussi faibles de
teneurs en lipides que sur les polynésiennes. Sur les échantillons
polynésiens la moyenne est de 2,9 g/100 g (tableau 1) alors que
chez les Anguilles européennes, la teneur en lipides peut varier de 5
à 24 g selon Boucher Firly (1) et qu'elle est en moyenne de 11 g
selon Me Cance et Widdowsons (8). Les teneurs en Fer sont du
même ordre de grandeur.
ces
vement
La teneur du muscle
en
différentes vitamines chez les
Anguilles polynésiennes est donnée dans le tableau 2. Les teneurs
en vitamine Bi sont comparables à celles de l'Anguille euro¬
péenne ; celles en riboflavine, légèrement inférieures, ce qui ne
présente pas un grave inconvénient étant donné que cette vitamine
est l'une des plus largement répandues dans la nature et donc dans
des aliments très variés.
Les teneurs
en acide nicotinique (vitamine PP) sont du même
grandeur. Les teneurs en vitamine C sont plus élevées que
chez les Anguilles européennes où certains auteurs ne trouvent que
des traces. Les teneurs en vitamine A atteignent des valeurs
supérieures à celles mentionnées par Me Cance (7) et ceci est
important étant donné le rôle joué par cette vitamine dans la vision
et dans la conservation de l'intégralité des tissus épithéliaux.
Rappelons enfin qu'un rôle anti-néoplasique de la vitamine A a été
récemment suggéré et s'appuie sur de nombreux arguments (9).
Nous n'avons pas trouvé de données sur la teneur en vita¬
mine E du muscle de l'Anguille européenne, mais celles obtenues
sur l'Anguille polynésienne - exception faite de
celle de YAnguilla
marmorata de 470 g, qui est très inférieure aux trois autres valeurs
et dont l'échantillon a pu subir des pertes au cours de la
congélation - sont supérieures à celles mentionnées dans la chair
d'autres espèces de poissons (Hareng, Flétan). Ces quelques
données font de la chair des Anguilles polynésiennes un aliment
ordre de
intéressant.
Nous
avons
vu
eaux
De
nous avons
plus
qu'on trouve très peu d'Anguilles argentées
Anguilla marmorata (3).
constaté que les Anguilles argentées de Tahiti
de Tahiti et jusqu'ici aucune
dans les
Société des
Études
Océaniennes
�54
se nourrissent, différence essentielle avec les
Anguilles argentées
européennes. Il est donc probable que les Anguilles de Tahiti
partent pour la migration reproductrice avec des réserves énergé¬
tiques lipidiques bien moindres que les Anguilles européennes.
Cette différence peut correspondre à deux explications. Dans leur
phase de désentarité et de croissance les Anguilles tahitiennes
mangent toute l'année de façon sensiblement égale alors que les
Anguilles européennes présentent des fluctuations considérables
du volume de nourriture ingérée et, en hiver, époque pendant
laquelle elles mangent très peu ou pas du tout, elles ont besoin de
leurs réserves lipidiques pour survivre. Par ailleurs l'aire de ponte
des Anguilles polynésiennes est probablement beaucoup
plus
proche de l'aire trophique que ne l'est celle des Anguilles euro¬
péennes, ce qui exige des réserves lipidiques moindres pour couvrir
les dépenses énergétiques de la migration reproductrice. A
l'appui
de cette hypothèse, notons que l'Anguille américaine Anguilla
rostrata jaune, dont l'aire de frai est beaucoup plus
proche de l'aire
d'engraissement que dans le cas de l'Anguille européenne, présente
des teneurs en lipides du même ordre de grandeur
que les Anguilles
polynésiennes (11). De plus les Anguilles polynésiennes peuvent
peut-être continuer à s'alimenter au moins au début de leur
migration puisque les Anguilles argentées de Tahiti se comportent
ainsi en eau douce. On peut se demander, étant donné la rareté des
captures d'Anguilles argentées et tout spécialement d'Anguilla
marmorata pour laquelle aucun individu en cette condition n'a été
signalé, si les Anguilles de Tahiti n'entreprennent pas leur
migration à l'état d'Anguille jaune et peut-être pourraient-elles
trouver dans une
alimentation marine la
source
de réserves
énergétiques nécessaire à la migration et à la reproduction.
Ces premières données tout à fait fragmentaires (*) doivent
inciter à poursuivre dans la voie biochimique la comparaison des
Anguilles polynésiennes et des Anguilles atlantiques mais toujours
en notant très
soigneusement tous les caractères permettant de
préciser les stades considérés et homologues des Anguilles nées
dans ces deux océans.
L'abondance des Anguilles polynésiennes, le fait que les
individus de plusieurs kilogrammes soient courants, ainsi que leur
qualité alimentaire permettent d'envisager favorablement le
développement d'une nouvelle ressource économique pour les îles.
(*) Nous remercions très vivement les laboratoires suivants (Laboratoire municipal de
l'Institut de Recherches
sur l'alimentation humaine et animale de Bordeaux Laboratoire IBTA Société Produits Roche), grâce
auxquels ont pu être effectués les
dosages rapportés dans le tableau.
Société des
Études
Océaniennes
�55
de
Polynésie française : l'exploitation des populations d'Anguilles,
d'entreprendre cette exploitation avec
prudence et de suivre rigoureusement l'évolution des stocks.
à condition toutefois
Nadine Le belle, Gérard Marquet
et Maurice fontaine
Laboratoire de Physiologie générale et comparée du Muséum
national d'Histoire naturelle ; Laboratoire d'Endocrinologie
comparée associé
au
C.N.R.S., 7
rue
Cuvier, 75231 Paris.
Centre de l'environnement E.P.H.E., Muséum national d'Histoire
naturelle
-
Moorea, Polynésie française.
BIBLIOGRAPHIE
(1) BOUCHER FIRLY S., 1935.- Recherches biochimiques sur les Téléostéens
Apodes.- Annales Institut Océanographique, t. XV, p. 217-327.
(2) CALLAMAND O., 1943.- L'Anguille européenne (Anguilla anguilla L.) : les
bases physiologiques de sa migration.- Annales Institut Océanographique,
t. XXI : 361-440, pl. I.
(3) FONTAINE M. et CALLAMAND O., 1941.- Sur certains facteurs des
migrations de l'Anguille.- Bull. Soc. Zool., t. 66 : 68-76.
(4) FONTAINE M., 1975.- Physiological mechanisms in the migration of marine
and amphihaline fish.- Adv. Mar. Biol., 13 : 241-355.
(5) MALARDE J., 1936.- Origine du cocotier
océaniennes,
t.
V, n° 58
:
aux
Tuamotu.- Bull. Soc. Etudes
671-673.
(6) MARQUET G., 1986,- Les Anguilles de Tahiti : des travaux de J. Schmidt
(1927) aux acquisitions récentes.- Bull. Soc. Etudes océaniennes, t. 19 (n° 12) :
23-39.
(7) MC CANCE R.A., 1944,- The chemistry of growth and the food value of the
common Eel (Anguilla anguilla L.).- Biochem. J., 38 : 474-480.
(8) MC CANCE R.A. et WIDDOWSON'S E.M., 1978,- The composition of
foods.- Fourth revised and extended edition of M. R. C. Special Report n° 297,
Southgate. Elsevier, North Holland : 418 p.
(9) MUNNICH A., OGIER H., SAUDUBRAY J.M., 1987,- Les vitamines.
Aspects métaboliques, génétiques, nutritionnels et thérapeutiques.- 428 p.
Masson, Paris.
(10) PETIT SKINNER S., 1982,- Pêcheurs de Nauru.- Ed. Lanore, 425
p.
(11) OTWELL W.S. & RICKARDS W., 1981-1982.- Cultured and wild
american eels Anguilla rostrata : fat content and fatty acid composition Aquaculture, 26 : 67-76.
(12) WATTS B.K. et MERRIL A.L., 1963.- Composition of foods.- Agriculture
Handbook n° 8 Consumer & Food Economies Research Div.- Agriculture
USA Dpt of Agriculture - Washington, 190 p.
Research Service
-
-
Société des
Études
Océaniennes
�1Tab:leau
Valeur
Valeur
calorique
énergtique
Protides
Matières
Poids
Fer
gmg/10
Magnésium gmg/10
/100
kilojules g
Calcium mgg/10
en
en
/100
kilocaries g
22
28
23
0,62 0,48
25
20
0,57 0,37
25
26
98
131
410 548
31
92
347 385
83
0,70 1,20
2,90 6,80
gg/10 19,10 20,30 17,90 17,50
Lipdes gg/10
x
6,25)
(N
Vitamine
Vitamine
Vitamine
Vitamine
1,20 1,10
1,10 1,00
minérales gg/10
1
Vitamine
g
675
79,10 77,40 78,20 74,80
1
000g
Humidté gg/10
de
g
610
Vitamine
l'Anguile
126g
Espèce
0*
E
**
A
**
C
*
PP
*
B2
*
B1
-
-
&
acéte
mgg/10 D1 tocphérol
en
de
UI
en
ascorbique
par
100g
(Acide mgg/10
nicot que)
(Thiamne) gmg/10
(Riboflavne) gmg/10
(Acide mgg/10
Espèce
l
marot
Anguila
0,53 0,51
0,52
273
0,44 0,48 0,46
0,46
1,15 1,17
1,16
3410 3710
3560
1,70 1,56
1,63
0,69 0,70
0,70
2621 3495 3221
3112
1,18 1,20
1,19
1,00 0,98
0,99
5496 5480
5459
2,26 2,45
2,35
aobscur
Anguila
293 290 237
g
470
0,10
3,1
0,10
3,0
0,20
2,8
0,21
0,18
3,4
1
1g26
675
g
0,21
312g
0,26
000g
1
0,16
g
610
*
**
Dosages Dosage
LlaebpeforcatutériselIepfacturés
ffD*T(r'PAaNonlGyçUhIéLsiEte), DTr('AaPNonGlyçUhIéListEe), MldlRh''IBdAuenuoicmsasriecentrtpax.BTAPSOOCDCÉUHTE.
T2ableau
TEN:UR
CCODMHMPIUMSSQITCULNEE
V
M
I
T
A
U
M
S
N
C
E
L
S
E
D
marot aobscur
Anguila Anguila
�57
NOTES DE LECTURE
DELBOS Jean-Paul
Mon clocher de Mangareva.
Gilbert SOULIÉ, frère bâtisseur en Océanie.
(1800-1863) - ronéo, cartes, ill., 215 p.
J-P. Delbos nous livre ce journal du frère Soulié, autodidacte
étonnant : boulanger devenu maçon, sculpteur, bâtisseur. De ce travail
nous avons pris des notes d'allure
journalistique. Nous n'avons pas retenu
les passages qui traitent de la vie propre de la Mission, les démêlés avec les
commerçants français etc ; ces aspects nous sont largement connus par les
textes du Père Laval et de ses confrères, extrêmement prolixes, grâce
auxquels l'évangélisation des Gambiers peut
se raconter presque au jour
le jour.
9 mai 1835
mettre nos
nez
-
Quel accueil. C'est la fête. En signe d'amitié, il
en
nous
faut
contact et les frotter l'un contre l'autre...
Les hommes des Gambiers
paraissent grands et même gigan¬
tesques, à côté de M.M. Caret et Laval dont la petite taille se remarque
encore davantage. Leur peau
durcie est couleur de cuivre et leur chevelure
est noire. Certains ont le front haut, mais le nez épaté. Ils portent une
longue barbe comme les sapeurs. Les femmes ont le visage et les traits
fins, les dents très blanches, mais leur corps n'est pas très bien
proportionné. On ne voit ni sourds, ni muets, ni aveugles. Le seul défaut
physique des Mangaréviens est d'avoir les pieds tors ou rentrés en dedans.
Société des
nous
Études
Océaniennes
�58
Le tatouage ne leur va pas mal : les étranges figures de couleur
blanche, rouge ou noire dont ces hommes bigarrent leur peau de la tête
aux pieds, jointes à leur longue barbe et à une chevelure flottante, leur
donnent un air martial... Il y a des fruits connus de tout le monde ici : le
ioi semblable à nos cerises, le keika, espèce de pomme rouge de grosseur
moyenne, le nono que l'on prendrait pour une grosse fraise, Vara en
grappe dont le noyau ressemble assez à la châtaigne.
Pour
nos
constructions,
se pose
le problème de la pierre
: nous
portons notre choix sur la pierre punga, blanche comme neige et en
général tendre. Elle forme des gisements dans l'eau et se détache aisément
du sable sur lequel elle repose. Il en est de toutes les longueurs et de toutes
les dimensions jusqu'à 3 mètres, 50 de long, sur 2 mètres de large et 60 cm
d'épaisseur. Nos besoins sont énormes. Les pieds dans l'eau, la tête au
soleil brûlant, j'ai sorti un à un ces blocs faits de détritus de coquillages.
J'en ai taillé par dizaines, soucieux de montrer aux indigènes l'intérêt de
travail. Je constate par ailleurs que peu à peu les hommes cherchent à
imiter et donc je m'applique à leur enseigner une technique que je
viens seulement d'apprendre.
ce
nous
Les
jeudi et vendredi saints de 1835, les maisons du démon furent
aux pieds ; les dieux furent jetés
au feu. A
Mangareva pendant la destruction des lieux et symboles sacrés, j'ai vu de
mes yeux, Mgrs. Rouchouze sauver du bûcher et de l'acharnement des
insulaires, plusieurs têtes d'idoles sculptées dans le bois, qu'il a l'intention
d'envoyer à Paris et à Rome. Car, explique-t-il ce sera un argument
démonstratif contre ceux qui prétendent que le peuple des îles Gambier
renversées et foulées
n'a
aucune
Le
connaissance de la divinité.
11
mai, une journée qui marquera l'histoire chrétienne de
: l'ancien grand prêtre des idoles, reçoit le baptême avec 150
autres personnes. C'est l'homme le plus grand de tout l'archipel
(2 mètres), robuste, un peu gros même au visage régulier couvert d'une
longue barbe. En signe de conversion, il fait couper sa longue chevelure.
Mangareva
Il y a deux ans que je suis
commencer, joue un rôle dans
arrivé, et l'agriculture du jardinage pour
l'alimentation, bien que les espoirs que
nous avions fondés sur le blé soient déçus :
l'épi ne parvient pas à mûrir ;
de même pour la vigne qui donne des feuilles mais point de fruits.
M. Dumont d'Urville demande des détails
trous de
une
sur
la
façon de remplir les
C'est vrai que l'opération est étonnante : quand ils ont formé
couche de fruits à pain broyés, les indigènes descendent dans le trou
ma.
bien tasser avec les pieds, avant de couvrir cette première épaisseur
d'un lit de feuilles sèches. Ils établissent de même une seconde couche,
pour
puis
une
troisième ; jusqu'à
recouvrent alors
avec
des
ce que
le réservoir soit entièrement comblé. Ils
terre et enfin délimitent la place
le tout d'une couche de
piquets.
Le tatouage
était largement répandu. Détail curieux, si tout le corps
était tatoué, jusqu'aux lèvres et aux
paupières, le pied ne devait pas
seul le roi avait quelques points sur
le dessus du pied.
Société des
Études
Océaniennes
l'être
;
�59
Règle générale
la souffrance est très vive au niveau des éminences
Marquisiens deux régions (analogues) sont
particulièrement redoutées du patient : les faces dorsales de la main et du
pied ; ici la souffrance est quelque fois intolérable, surtout au niveau des
doigts et des orteils, ce qui explique que le tatouage de ces parties reste
souvent inachevé "Locard Traité de criminalistique - Lyon 1932 - N.d.R.
osseuses,
:
et de l'avis des
-
On peut encore
voir de beaux tatouages chez les vieillards, aussi frais
qu'au premier jour mais chez les jeunes cette pratique assez cruelle
n'existe plus.
Le
16 février
1844, la demande de protectorat du roi Gregorio
Maputéoa est acceptée par le capitaine de vaisseau Pénaud. Les Pères
représenteront les intérêts de la France. "Cet acte politique ne fait pas
l'unanimité parmi nous ; j'ai entendu Honoré Laval dire que les
missionnaires ont grand tort de servir le gouvernement et nous sommes en
général de son avis. Tout le monde n'est pas satisfait de la décision ; nous
entendons des Mangaréviens proclamer "Je ne suis pas Français". Que
dire de Katuoto qui, monté à bord de la frégate, a asséné un coup de
bâton sur la tête de Cyprien Liausu} croyant avoir affaire au capitaine
Pénaud, au cri de "je t'apprendrai moi, à venir prendre la terre de mon
roi".
Gilbert Soulié passe quelques mois à Tahiti "J'ai vu de près, ce 30
juin 1844, les effets de la fureur guerrière des hommes : l'incendie de la
mission catholique. Le feu est mis vers 4 heures du soir et dure jusqu'au
matin. La chapelle et le reste sont brûlés le jour suivant. Les vases et les
linges sacrés, les livres du P. Caret, son catéchisme en mangarévien, ses
travaux sur la langue de Tahiti, tout est pillé et livré aux flammes. Nous
ne sauvons rien, si ce n'est nos habits. Le P. Caret a bien raison quand il
dit "nous étions bien pauvres quand nous sommes arrivés aux Gambier,
mais cette pauvreté n'était pas comparable à notre détresse présente.
Certes M. Bruat
nous
vient
en
aide.
L'archipel est durement éprouvé par la propagation de la dysenterie
aiguë, et lorsque les Pères font le bilan, nous mesurons l'ampleur du
fléau : 80 morts à Mangareva en 1845 au lieu de 15 à 20 en moyenne, les
autres années, pour une population d'environ 1 600 personnes. A Aukéna
qui n'a que 120 habitants, et où Mgrs. Rouchouze n'avait enterré qu'un
seul adulte en 5 ans, Honoré Laval en a porté 15 en terre. A Akamaru,
22 décès
sur
280 habitants.
En 1846 l'épidémie continue. Encouragés par les capitaines des
navires de passage, les jeunes commencent à vouloir quitter l'archipel. Il
est de plus en plus difficile de les empêcher de partir, sans la permission
la loi les oblige à demander à l'autorité royale. On apprend ainsi,
quand un navire est parti, qu'il emporte quelqu'un de telle île ou baie.
que
en
qu'il en passe aujourd'hui (en 1860), autant
2 ans. Pour les jeunes qui volent des
complotent pour quitter l'archipel (les tentatives ne se
Des bateaux, je peux dire
mois qu'autrefois en
un
embarcations et
Société des
Études
Océaniennes
�60
comptent plus) il faut aussi trouver un moyen de les garder dans les îles
petites collectivités ne se vident pas totalement de leurs
l'épidémie ne s'arrête pas : dans le mois de décembre
1861, en l'espace de 15 jours, 7 embarcations ont failli être volées ; au
mois d'août ; c'est un groupe de 11 jeunes, qui s'enfuit en dérobant
pour que nos
forces vives. Mais
l'embarcation du Père Laval.
Société des
Études
Océaniennes
�61
COMPTE-RENDU
pm.
P. O'REILLY
La
poésie d'expression française en Océanie.
In Lettres et Cultures de
langue française, 15 rue Lapérouse. Paris 75016.
L'auteur espère surtout que ce petit travail permettra de faire surgir
d'autres noms qui trouveront place dans une future publication. Une
quarantaine d'auteurs sont cités (Calédonie et Tahiti) ; les poèmes sont
précédés d'une brève note biographique.
P. HUGUENIN
Raiatea la Sacrée.
la Société des Etudes Océaniennes et Haere Po No Tahiti
Papeete 1987 ; 259 p., ill., photos, dessins.
Réédition par
Un livre classique
Maintenant disponible,
-
devenu rare et qui exigeait une réédition.
il se doit de figurer dans toute bibliothèque
océanienne, si humble soit-elle.
Le texte
fraîcheur
et
se lit toujours agréablement et les aquarelles ont conservé
légèreté.
Société des
Études
Océaniennes
�62
Motu Haka O Te Henua Enana.
Ua Pou îles Marquises.
Hakahau
-
-
Bulletin N° 1 de cette association qui vient de naître aux îles
Marquises et qui cherche à informer les populations marquisiennes de
tout ce qui concerne leur
langue, leur patrimoine culturel et leur milieu
naturel, physique et humain. Préfacé par Mgr Le Cléac'h, ce premier
bulletin nous livre des pages d'histoire
marquisienne, des poèmes
contemporains, des légendes... Nous lui souhaitons longue vie.
Jean PERES
Historique des Institutions politiques : de Taïti à la Polynésie
Française.
Papeete 1947
-
Secrétariat Général du Gouvernement
-
ronéo, 45 p.
L'auteur distingue les six périodes correspondant aux évolutions les
plus significatives de l'organisation politique et administrative, conçue
dans le cadre du droit public de la métropole.
1842-1885 : du protectorat à la colonie ; 1885-1945 : de la colonie au
territoire d'outremer ; 1945-1957 : des Etablissements français de
l'Océanie à la Polynésie Française ; 1957-1977 : de l'autonomie de
compétence à l'autonomie de gestion ; 1977-1984 : de l'autonomie de
gestion à l'autonomie interne
;
1984
l'autonomie interne.
:
P. DE DECKKER et P. LAGAYETTE
(éd.)
Etats et pouvoirs dans les territoires
schémas d'évolution.
Paris, l'Harmattan, 1987, 184 p.
français du Pacifique,
Cet ouvrage réunit des textes, certains excellents, sur la NouvelleCalédonie, la Polynésie Française, Wallis et Futuna, et le Vanuatu.
L'ensemble de ces textes est issu de* deux journées d'études organisées à
l'Université Paris VII (Jussieu) en mai 1985 par P. De Deckker et
P. Lagayette et dont le thème
majeur portait sur la notion de l'Etat et du
pouvoir dans ces quatre entités. Certains auteurs ont très bien dégagé les
lignes d'évolution de la pratique du pouvoir et celles, parallèles, de
l'établissement des structures étatiques. Elles permettent ainsi de mieux
cerner les
comportements socio-politiques des populations locales au
travers du
champ historique concerné, ainsi que les positions de
l'administration
française. Deux thèmes intéressent l'aire polynésienne
Société des
Études
Océaniennes
:
�63
—
la construction du
premier état tahitien moderne
par
Claude
Robineau tandis que Jean-François Baré s'attache à établir la
perception de l'Angleterre dans la mythologie historique poly¬
—
nésienne ;
une mise en
pour
En
parallèle du politique et du religieux par Pierre Vérin
Rurutu et de Jean-Claude Roux pour Wallis et Futuna.
qui concerne l'aire mélanésienne, Alain Saussol, dans un
article, analyse les ruptures économiques et sociales de la
Nouvelle-Calédonie coloniale alors que Jean-Pierre Doumenge, d'une
façon tout aussi approfondie, étudie l'administration française et le
monde mélanésien de 1853 à nos jours. Jean Guiart, Jean-Louis Rallu et
Peter Crowe traitent, l'un, de la réalité du pouvoir en Nouvelle-Calédonie
et au Vanuatu, l'autre des effets du déclin
démographique sur le pouvoir à
ce
brillant
Maleluka et le troisième de l'idée de souveraineté à Santo
avant
l'indépendance.
Le Pr. Colin
articulé, livre
ses
Newbury, dans
réflexions
sur
un
essai de synthèse extrêmement bien
les domaines historiques à privilégier dans
l'avenir. On
ne pourrait mieux terminer ce petit
ouvrage, intéressant à
plus d'un titre, dont l'introduction avait été rédigée par Georges Lemoine,
alors Secrétaire d'Etat
aux
DOM-TOM.
Un ouvrage
intérêt
aux
de référence, dont la lecture, pour tous ceux qui portent
Territoires français d'Outre-Mer, reste indispensable.
B. SALVAT
Human
Paris
impacts on coral reefs : facts and recommendations.
1987.
Edité
Malacologie, 55,
par
rue de
l'auteur, Laboratoire de Biologie Marine et de
Buffon, 253 p., ill., tab., biblio.
18 articles en langue anglaise (résumés et recommandations en
français) traitent des impacts des activités humaines sur les récifs
coralliens : récolte des coraux et coquillages, effets biologiques des pêches
intensives, dynamitage des récifs, les rejets d'eaux usées, les effets des
hydrocarbures pétroliers sur les coraux, les effets des centrales
énergétiques, la pollution par les métaux lourds, la radioactivité dans
l'écosystème corallien, les effets d'un tir nucléaire sur le milieu corallien,
les dragages et les effets de construction sur le littoral corallien, les
activités récréatives et leurs impacts en milieu corallien, les introductions
d'espèces étrangères, les invasions d'acanthaster Plance, la ciguatera.
L'énoncé des chapitres démontre l'étendue, la variété et la gravité des
maux qui atteignent ou guettent les coraux.
L'ouvrage intéressera au premier chef les décideurs et les conseillers
scientifiques et les amoureux de la mer seront sensibles au réalisme des
phénomènes étudiés.
Société des
Études
Océaniennes
�64
BARÉ Jean-François
Tahiti, les Temps et les pouvoirs (Pour une anthropologie
historique du Tahiti, post-européen).
Orstom 1987, 540 p., bibl., ill., cartes.
La
complexité et les paradoxes du Tahiti actuel, les transformations
répétées et souvent brutales subies par la communauté maohi, pourraient
décourager toute recherche historique un tant soit peu extensive. C'est
sans doute
pour cette raison que voici encore quelques années, l'histoire
de la communauté tahitienne
et
lacunaire
confondait
se
avec une masse
désordonnée
d'historiographie.
Pourtant on y
de la colonisation
parlait beaucoup d'histoire, des missionnaires anglais,
française.
Ce livre s'emploie d'abord à renouer ces fils, à combler ces lacunes.
Utilisant les méthodes conjointes de l'anthropologie et de l'histoire,
brassant de nombreux documents inédits, alternant l'analyse et le récit, il
veut d'abord rendre compte d'un trajet, celui suivi dans le temps par la
communauté maohi de la fin du XVIIIe siècle jusqu'à nos jours : des
conversions au protestantisme de la période missionnaire, le "pouvoir
anglais", de celui-ci à l'intervention militaire française, de cette
intervention aux rébellions du XIXe siècle, aux raisons de leurs échecs,
enfin à la colonisation française. Il en émerge une histoire bien différente
des stéréotypes en vigueur, plus complexe mais peut-être plus vraisem¬
blable, où le malentendu constitue parfois la loi de la communication.
Ce livre s'attache à
processus historiques
de l'Occident.
une lecture aussi rigoureuse que possible des
de rencontre des sociétés polynésiennes et de celles
W.A. POORT
Palette du Pacifique : la vie et l'œuvre de A-H. Gouwe.
1987, 150 p., dessins, ill., bibl. ; chez l'auteur : Pacific Publicaties, I,
Marsstraat-5081 Th. Hilvarenbeek
Un
supplément,
l'essentiel de
ce
-
Hollande.
langue française, permet de prendre connaissance de
travail original.
en
Cette monographie consacrée à une figure importante dans le monde
artistique de Tahiti d'avant 1960, écrite avec beaucoup de sympathie par
un de ses
compatriotes, retrace la vie de Gouwe en Polynésie, où il
débarque en 1927, à l'âge de 52 ans. Il avait déjà effectué une carrière
honorable de peintre en Hollande et s'était familiarisé avec les
pays de
lumière de la Méditerranée. Il
séjournera dans de nombreux endroits de
Polynésie, mais réservera son affection pour les îles Sous-le-Vent.
Tous les aspects
de la vie quotidienne et du paysage l'inspirent et il
Société des
Études
Océaniennes
�65
exécute un grand nombre d'aquarelles. Ses rares expositions à Papeete
obtiennent un grand succès et de nombreuses toiles se trouvent encore à
Tahiti. Loin d'être satisfait par cet aspect de son œuvre, il demeure
subjugué
par
l'art abstrait et reste
sous
l'influence de Mondriaan.
"L'abstrait pur donne expression à une inspiration qui vient de
l'intérieur" écrit-il & nombre de ses lettres traduisent son obsession de
cette nouvelle
expression picturale.
Gouwe était estimé de la
population (de toute origine) qui lui portait
beaucoup de sympathie. L'auteur le présente comme un homme "avec une
conscience de responsabilité et une notion éthique fortement développées.
Bref, un contemplatif et consciencieux".
Pierre-Marie NIAUSSAT
Le lagon et l'atoll de Clipperton.
Académie des Sciences d'Outre-Mer. Paris 1986, 189 p.,
bibl., index, ill.
Clipperton au long des siècles est évoquée depuis l'hypothétique
découverte de Magellan jusqu'au nom de Clipperton, second du corsaire
naturaliste Dampier, accusé de mutinerie et qui vers 1704, y aurait été
débarqué. Il existe plusieurs versions des faits et aujourd'hui la question
reste posée : Clipperton a-t-il connu l'îlot qui porte son nom ? L'auteur
esquisse seulement l'aspect historique de l'îlot, avec la dramatique
aventure de la garnison mexicaine, les visites successives et les litiges
diplomatiques.
Cette monographie qui n'est qu'une première approche dans la
connaissance de cet atoll et de son lagon, étudie successivement la
bathymétrie, les salinités et chlorinités en fonction des profondeurs, la
planctonologie, la flore, la faune et la climatologie.
flore bactérienne, la
L'importance scientifique d'un tel biotope est évidente : "milieu de
microbiologique et planctonomogique, isolé en plein climat
équatorial, disposant d'un capital en matières organiques inépuisable,
biocénose curieuse, parce qu'à la fois limitée en nombre d'espèces et
refermée sur elle-même, important point émergeant d'une chaine
volcanique océanique et zone géodynamique encore mal connue, point
d'observations météorologiques de choix, croisement des routes de
migrations de nombreux oiseaux et poissons, frontière faunistique entre
les provinces panaméennes et indo-pacifiques... C'est une "clef' de la
biogéographie marine.
culture"
L'auteur conclut sagement "en
travaux
matière de recherche, même des
incomplets, parfois même, erronés, ont de l'intérêt : ils servent de
"locomotive" à des recherches ultérieures".
Société des
Études
Océaniennes
�66
Magali CROCQUET-ROSTAND
Approche sanitaire
Thèse
aux îles Marquises.
Médecine, Fac. de Marseille. 1986, 115 p., cartes, tab., ill., bibl.
L'archipel représente 4% de la population totale de la Polynésie
Française.
-
-
Depuis 1984 les structures médicales ont été étoffées :
hôpital médico-chirurgical à Taïoahe, avec 3 médecins et un
chirurgien-dentiste.
1 hôpital médical à Atuana, 1 centre médical à Hakahau, chacun avec
un médecin et un chirurgien-dentiste. 6 infirmeries
et 2 postes de
secours répartis dans les groupes Nord et Sud. Les postes d'infirmiers
sont difficiles à pourvoir.
1
Même si elle s'oriente vers la prévention, l'activité médicale est
essentiellement curative. L'accès encore difficile des nombreuses vallées
marquisiennes complique singulièrement la mise en pratique d'une bonne
prévention, qui ne pourra se faire que par la mise en place des agents
communautaires de santé. Il y a donc un retard par rapport aux îles de la
Société et par conséquent toutes les endémies étudiées gardent aux
Marquises des taux de prévalence supérieures aux moyennes territoriales.
La population, jeune, à l'histoire démographique surprenante, continue
de s'accroître régulièrement. Dans cette évolution qui semble se faire sans
encombre, un point capital reste sombre : la mortalité infantile.
On observe des
pathologies
non
spécifiques,
comme
les infections
cutanées, toujours fréquentes dans un climat chaud et humide, et les
pathologies de surcharge, obésité diabète et l'H.T.A. qui atteignent la
population polynésienne massivement et précocément. La pathologie
bactérienne est, encore de nos jours, marquée par la tuberculose,
inquiétante par ses formes cliniques et le jeune âge des victimes. La lèpre,
inquiétant du
la Polynésie
Française, les Marquises totalisent les plus hauts taux de prévalence du
R.A.A. Quant à la pathologie virale, elle est peu spécifique, à l'exception
de la dengue qui reste rare et limitée à Nuku Hiva.
à première vue d'endémie faible, garde elle aussi, un côté
fait de ses formes cliniques lépromateuses. De toute
La pathologie d'intoxication,
d'une accalmie sensible.
représentée
par
la ciguatera, bénéficie
H. DE SOLMINIHAC
Les cancers
en
Polynésie Française.
Thèse Médecine. Université de Rennes 1987. 150 p.,
Négligeons quelques
menus
Société des
détails irritants
Études
:
Océaniennes
tab., bibl.
la publication de la
�67
carte des liaisons aériennes
au
départ de Tahiti, datant de 1974 ; l'antienne
l'alimentation traditionnelle en usage en 1960, alors que nous avons
montré dans une étude de 1955, combien celle-ci était déjà submergée par
l'alimentation moderne ; le phénomène a pris de l'ampleur mais il était
sur
largement amorcé ; des références un peu défraîchies, l'année 1976 pour la
consommation en France des produits de la mer..., et remercions l'auteur
de nous fournir le premier- travail d'ensemble consacré au cancer en
Polynésie Française.
Ce travail effectué en 1986, ne disposait probablement pas des
chiffres de 1985, et concerne donc l'année 1984.
Avant 1980, les données sont partielles, et font l'objet d'analyses
sporadiques et disparates entre elles. Il existe dorénavant un fichier Santé
Publique et un fichier de l'Institut Malardé, qui regroupe les lames et les
comptes rendus anatomopathologiques, et l'auteur propose un perfec¬
tionnement du système par la création d'un registre territorial du cancer
s'alimentant des fichiers précédents et débouchant sur la participation au
fichier international de la Commission du Pacifique Sud.
Dans le domaine sanitaire, la Polynésie Française, possède deux
contrastes en raison de l'émiettement géographique, de l'éparpillement et
du déséquilibre démographique : le premier est la surmédicalisation de
Tahiti, opposés aux moyens modestes des îles isolées et éloignées ; le
deuxième est la coexistence de deux types de sociétés. C'est ainsi que l'on
peut rencontrer un tableau caractéristique des pays en voie de
développement (mortalité infantile élevée, diarrhées infectieuses
infantiles, manque d'hygiène, malnutrition) coexistant avec une
morbidité typique des pays développés (obésité, maladies cardiovasculaires, diathèses de surcharge, cancers, accidents de la route,
diabète, alcoolisme, tabagisme, pathologie psycho-sociale).
Pour l'ensemble de la
population, le taux de décès du cancer est du
celui observé en France.
Pour le sexe masculin, les tumeurs de l'appareil respiratoire
représentent 40,6% des causes de décès par tumeur chez l'homme, puis
viennent le tube digestif 12,5%, l'appareil digestif 12,5%, les tumeurs
même ordre de
grandeur
que
O.R.L. 9,5%.
Pour le sexe féminin, les tumeurs de l'appareil génital et du sein
représentent 38,7% des causes de décès par tumeur chez la femme, puis
l'appareil digestif 14,2% et l'appareil respiratoire 12,2%.
C'est
l'usage excessif du tabac chez l'homme qui est responsable du
l'appareil respiratoire. L'alcool est un facteur
important de risque de cancer. Associé au tabac, il potentialise les risques
plutôt qu'il ne les additionne.
taux élevé des tumeurs de
Pour l'année 1985, le personnel du service territorial de la Santé
Publique est composé de 123 médecins, 7 pharmaciens, 25 chirurgiensdentistes, auquel se rajoute le personnel du secteur privé : 91 médecins,
26 pharmaciens, 47 chirurgiens-dentistes. L'encadrement sanitaire
Société des
Études
Océaniennes
�68
militaire comprend une trentaine de médecins militaires, dont
vingtaine travaillent à l'hôpital Jean Prince.
une
Un chapitre est consacré aux effets des retombées d'explosions
nucléaires sur l'homme. Les effets tissulaires tardifs, dont le principal est
l'induction de cancers, sont connus depuis longtemps. L'appréciation de
l'importance de
effets pour une dose donnée relève de 3 sources
enquêtes épidémiologiques chez l'homme sur les sujets
irradiés dans un but thérapeutique ou de diagnostic, sur les survivants
d'Hiroshima, sur les sujets exposés professionnellement ; s'y ajoutent les
expériences animales et les études in vitro.
d'information
:
ces
les
Les effets immédiats de la radioactivité, après les expérimentations
nucléaires, n'ont probablement pas touché la population du territoire, et
aucune publication
digne de foi ne fait allusion à ce type d'accidents
précoces. De même, en raison de la faiblesse des effectifs, et de la
cohérence des résultats avec ceux de la France, il n'est pas possible
d'attribuer à une quelconque irradiation les cas de cancers d'organes les
plus sensibles, comme la thyroïde et le système hématopoïétique.
G. BLANCHET, G. BOREL, J. PAOAAFAITE
Petite construction navale et pêche artisanale en
Polynésie
Française.
Orstom 1987. Notes et documents N° 34, 83 p., bibl., tab.
une
La construction navale comme la pêche reste en
Polynésie française
activité à dominante artisanale. Seules une demi-douzaine d'entre¬
prises
aux
activités diversifiées, atteignent
une
dimension semi-
industrielle. Une centaine de personnes, au total, sont à la tête d'une
activité commerciale de construction navale et la production annuelle
s'élève à un millier d'unités destinés à la pêche, au transport ou à la
plaisance. La moitié consiste en petites embarcations en bois ou en
contre-plaqué, surtout des pirogues, que fabriquent en zone rurale des
constructeurs individuels qui n'exercent cette activité qu'à titre
secondaire. L'autre moitié est produite par un petit nombre de
professionnels dans des chantiers plus importants, localisés en milieu
urbain : les plus anciens travaillent le bois ou le
contre-plaqué en
produisant des bonitiers, des speedboats et des poti marara, les plus
récents expérimentent sur de petits canots de lagon de nouveaux
matériaux comme le polyester et l'aluminium.
Depuis la fin des années 50, les responsables administratifs essaient
de promouvoir un navire
expérimental puissant, susceptible de déboucher
sur une activité
industrielle, mais les essais s'avèrent peu concluants, qu'il
s'agisse dans les années 70 de bateaux orientés vers la pêche à la longue
ligne, ou à l'appât vivant, et dans les années 80 du super bonitier. L'échec
de celui-ci est moins dû à des facteurs
techniques qu'à des facteurs
Société des
Études
Océaniennes
�69
humains, et surtout à la pesanteur administrative
d'entreprise dans la conduite de l'opération.
et manque
d'esprit
Sans aucun appui extérieur un nouveau bateau est
apparu sur le
devant de la scène locale. Initialement conçu
pour la pêche au
poisson
volant, il s'est peu à peu adapté aux besoins d'une pêche polyvalente
pratiquée à l'extérieur du lagon. Il concurrence à présent le bonitier avec
une capacité de prise
analogue, un coût de production dix fois moins
élevé et des frais de fonctionnement réduits. Des illustrations auraient été
très appréciées.
HANSON Louise et F. Allan
The Art of Oceania. A bibliography.
References publications in Art History. G.K Hall & Co, 70 Lincoln Street,
Boston, Massachusetts. USA. 1984.
XVIII -f- 539 pages. Une illustration en noir et blanc. Trois index.
Allan et Louise Hanson sont bien connus en
Polynésie, à la suite du
long séjour qu'ils ont fait dans l'île de Rapa, de décembre 1963 à
novembre 1964. Après Rapa, une île polynésienne hier et aujourd'hui
(publication de la Société des Océanistes, N° 33, Paris, 1973), Allan
Hanson, professeur d'Anthropologie à l'Université du Kansas, s'est
associé à sa femme pour publier Counterpoint in Maori Culture
(Routledge & Kegan Paul, Londres, Boston, Melbourne et Henley,
1983) : c'est une vision neuve sur les sociétés anciennes de la NouvelleZélande qui a eu pour résultat une étude générale des structures
symboliques de la culture traditionnelle maori.
Louise Hanson qui est chercheur au Musée
d'Anthropologie de
l'Université du Kansas est avant tout une bibliothécaire professionnelle,
spécialisée dans les bibliographies. Elle était donc particulièrement
qualifiée pour préparer une des rares bibliographies thématiques sur le
Pacifique. Cet énorme travail consacré à l'Art de l'Océanie intéresse tout
particulièrement la Polynésie Française puisque 229 titres la concernent
directement (îles Marquises : 100 ; îles de la Société : 92 ; îles Gambier : 5 ;
Tuamotu : 5 ; Australes : 27). C'est probablement aux relations suivies
que A. et L. Hanson continuent d'entretenir avec le territoire que nous
devons de voir cités autant d'ouvrages en langue française.
La bibliographie montre que l'art polynésien est connu surtout à
travers les objets mobiliers (sculptures, ornements, etc...) et nettement
moins par l'architecture et les pétroglyphes, bien que de nombreux titres
s'appliquent en fait à l'ensemble des expressions artistiques visuelles... La
musique, la danse, la littérature orale ne sont pas concernées, sinon par la
création d'objets esthétiques qui leur sont associés.
La
-
une
bibliographie
a
été organisée
section regroupant les ouvrages
en six sections :
généraux sur l'art océanien (cross-
region),
Société des
Études
Océaniennes
�70
-
-
quatre sections consacrées
aux grandes aires culturelles du Pacifique :
Polynésie, Micronésie, Mélanésie, Australie,
une dernière section
présentant une liste de catalogues de ventes aux
enchères qui ont eu lieu, surtout après 1960, chez Christie's, Sotheby, à
l'Hôtel Drouot, etc... (402 titres).
A l'intérieur des grandes sections, les auteurs sont classés
par ordre
alphabétique et chaque titre porte un numéro d'ordre (un seul par titre).
Les numéros se suivent du début à la fin de l'ouvrage qui est très agréable
à consulter. Trois index, par auteurs, par titres et
par matières en
facilitent encore l'usage. La section "Polynésie" comprend 1 737 titres.
Pour savoir ce qui a été publié sur l'art des îles Marquises, par exemple, il
faut se référer à l'index des matières où on trouvera une classification par
formes d'art ou types d'objets (bambou, sculptures, vêtements, ivoire,
ornements, etc...). A part les îles de la Société avec Tahiti, seules les îles
Australes ont droit à une répartition géographique à l'intérieur de
l'archipel (Raivavae, Rurutu, Tubuai),
ce qui n'est nullement la faute de
Hanson, mais montre le retard pris dans l'étude des particu¬
larismes insulaires en ce qui concerne l'art des îles
Marquises. Chaque
titre est commenté dans une courte notice qui résume le contenu du texte.
A. et L.
Cet ouvrage important qui, espérons-le, aura une suite, avec des
compléments et des mises à jour, devrait rendre de grands services à un
large public : les étudiants et les chercheurs qui se spécialisent dans l'étude
des arts non occidentaux, mais aussi les conservateurs de musées, les
animateurs de centres culturels, les responsables des métiers d'art et de la
culture, les enseignants, les artisans, les collectionneurs et enfin, tous ceux
qui s'intéressent de près ou de loin aux arts océaniens ont maintenant un
précieux outil de travail dans lequel ils trouveront de nombreux
renseignements. Plus récente, peut-être plus facile à utiliser, cette biblio¬
graphie vient compléter avantageusement celle de P. O'Reilly et
E. Reitman qui n'en reste pas moins irremplaçable.
Anne Lavondès
MAYER Raymond
Les codes de la danse à l'île Wallis
(Uvea).
Université de Paris. Thèse présentée en vue de l'obtention du Doctorat
d'Etat ès Lettres et Sciences Humaines. Tome 1. Identification. 468
p.,
illustr.
et
h.-t., tabl., bibliogr., phonogr., iconogr., filmogr., vidéogr., muséogr.
index, 23 cm. Tome 2. Corpus. 723 p., illustr. h.-t., tabl. 23 cm.
Le lundi 26
cette
septembre 1987, Raymond Mayer soutenait
en
Sorbonne
thèse de doctorat d'Etat ès Lettres et Sciences Humaines. L'auteur,
âgé de 40
ans, a séjourné plusieurs fois à Wallis en 1969-71 et en 1982 et en
maîtrise parfaitement la langue.
Cette thèse qui poursuit l'analyse sectorielle de la tradition orale de
Société des
Études
Océaniennes
�71
l'île
polynésienne de Wallis (Uvea) engagée dans une précédente thèse.
important corpus de paroles de danses
Elle propose la lecture d'un
rassemblé de 1969 à 1982.
Le tome 1 propose de constituer le domaine de la danse en domaine
plénier de la recherche anthropologique en lui appliquant la méthodo¬
logie qui a prévalu dans l'analyse du domaine de la parenté, c'est-à-dire
celle qui a reconnu un certain nombre de dimensions constitutives à la
fois autonomes et interdépendantes. Les réductions classiques de la danse
à des gestes ou à des valeurs symboliques sont rendues caduques par le
déploiement systématique d'une série de codes élémentaires organisés en
réseau.
Sont ainsi identifiés dans le cadre chorégraphique concret de l'île
un code des
circonstances, des codes génériques, des codes
Wallis
textuels, des codes musicaux, des codes gestuels, un code des parures, des
codes socio-politiques et des codes socio-économiques. L'absence d'un
principe supérieur hiérarchisant les divers codes élémentaires de la danse
wallisienne conduit à retenir l'hypothèse d'un
fonctionnement général en
réseau, le réseau chorégraphique interne étant lié à des réseaux externes
du tissu social wallisien et plus largement inter-insulaire de l'Océanie
centrale.
Le tome 2 fournit des éléments de la tradition chorégraphique de l'île
Wallis (Uvea) et de la zone environnante du XVIIème siècle au XXème
siècle. Une cinquantaine de descriptions, autant de transcriptions
musicales et d'illustrations et un total de 216 textes de danses de l'île
Wallis -dont une recension intégrale des danses de l'année 1982- viennent
documenter la base de données d'un réseau chorégraphique relié à
nombre de réseaux de la même aire culturelle.
Un membre du
Bartok de Wallis !
jury
a
déclaré
que
Raymond Mayer était le Bela
Patrick O'REILLY
Société des
Études
Océaniennes
�.
'
■
Société des
Études Océaniennes
��#
Société des Etudes Océaniennes
�Le Bulletin
Le Bureau de la Société accepte
l'impression de tous les articles
qui paraissent dans le Bulletin mais cela n'implique pas qu'il
épouse les théories qui y sont exposées, ou qu'il fait sien les
commentaires et assertions des divers auteurs
qui, seuls,
en
prennent toute la responsabilité.
Aux lecteurs de former leur
Le Bulletin
ne
fait pas
appréciation.
de publicité.
La Rédaction.
Les articles publiés, dans le Bulletin, exceptés ceux dont l'auteur
réservé ses droits, peuvent être traduits et reproduits, à la
condition expresse que l'origine et l'auteur en seront mentionnés.
a
Toutes communications relatives
Société, doivent être adressées
au
au Bulletin, au Musée ou à la
Président. Boîte 110, Papeete,
Tahiti.
Pour tout achat de
s'adresser
au
Bulletins, échange ou donation de livres,
siège de la société, ORSTOM, B.P. 110 Papeete.
Le Bulletin, est envoyé gratuitement à tous
Cotisation annuelle des membres-résidents
résidant
en
Cotisation
pays
pour
ses
membres.
ou
français
2 500 F CFP
les moins de vingt
ans et
les
étudiants
/ 500 F CFP
Cotisation annuelle
-
pays
étranger
Société des
Études
20 dollars US
Océaniennes
�.
COMPOSITION ET IMPRESSION
POLYTRAM
Boite postale 5390 Pirae- Rue Tihoni Tefaatau, Pirae TAHITI
POLYNÉSIE FRANÇAISE
*
,
Société des Etudes Océaniennes
�
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Bulletin de la Société des Études Océaniennes (BSEO)
Description
An account of the resource
La Société des Études Océaniennes (SEO) est la plus ancienne société savante du Pays. Depuis 1917, elle publie plusieurs fois par an un bulletin "s’intéressant à l’étude de toutes les questions se rattachant à l’anthropologie, l’ethnographie, la philosophie, les sciences naturelles, l’archéologie, l’histoire, aux institutions, mœurs, coutumes et traditions de la Polynésie, en particulier du Pacifique Oriental" (article 1 des statuts de la SEO). La version numérique du BSEO dispose de son ISSN : 2605-8375.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
2605-8375
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Établissement
Université de la Polynésie Française
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 241
Description
An account of the resource
Articles
- Le journal de Maximo Rodriguez : R. Langdon 1
- Réflexions sur l'estimation de la population tahitienne par le capitaine Cook : C. Valenziani 13
- Les pirogues à voiles : D. Charnay 19
- Le cas du /k/ en marquisien : D.T. Tryon 31
- Etude d'une pêcherie artisanale : B. Caillart - E. Morize 38
- Peut-on envisager l'exploitation de certaines populations d'anguilles en Polynésie Française : N. Le Belle, G. Marquet, M. Fontaine 51
Notes de lecture
- Mon clocher de Mangareva : G. Soulié : 57
Comptes-rendus - P.M.
- P. O'Reilly : La poésie d'expression française en Océanie 61
- P. Huguenin : Raiatea la sacrée 61
- Motu Haka O Te Henua Enana 62
- J. Pérès : Historique des institutions politiques : de Taïti à la Polynésie Française : 62
- P. De Deckker & P. Lagayette : Etats et pouvoirs dans les territoires français du Pacifique, schémas d'évolution 62
- S. Salvat : Human impacts on coral reefs : facts and recommendations 63
- F. Baré : Tahiti, les Temps et les Pouvoirs 64
- W.A. Poort : La vie et l'oeuvre de A-H. Gouwe 64
- P.M. Niaussat : Le lagon et l'atoll de Clipperton 65
- M. Crocquet-Rostand : Approche sanitaire aux îles Marquises 66
- H. de Solminihac : Les cancers en Polynésie Française 66
- G. Blanchet, G. Borel, J. Paoaafaite : Petite construction navale et pêche artisanale en Polynésie Française 68
- L. & F. Hanson : The art of Oceania. A bibliography 69
- P. O'Reilly : Les codes de la danse à l'île Wallis 70
Source
A related resource from which the described resource is derived
Société des Études Océaniennes (SEO)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Société des Études Océaniennes (SEO)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1987
Date de numérisation : 2017
Relation
A related resource
http://www.sudoc.fr/039537501
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
1 volume au format PDF (80 vues)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Les copies numériques des bulletins diffusées en ligne sur Ana’ite s’inscrivent dans la politique de l’Open Data. Elles sont placées sous licence Creative Commons BY-NC. L’UPF et la SEO autorisent l’exploitation de l’œuvre ainsi que la création d’œuvres dérivées à condition qu’il ne s’agisse pas d’une utilisation commerciale.
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
Imprimé
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
PFP 3 (Fonds polynésien)