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Text
BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCEKNIENNES
N° 234
TOME XIX
—
Société des
N° 11 / Mars 1986
Études
Océaniennes
�Société des
Études Océaniennes
Fondée
ORSTOM
-
1917.
en
Arue
-
Tahiti.
Polynésie Française.
B.P. 110
-
Tél. 43.98.87
Banque Indosuez 012022 T 21
—
C.C.P. 834-85-08 PAPEETE
CONSEIL D'ADMINISTRATION
M. Paul MOORTGAT
Me Eric
Président
LEQUERRE
Vice-Président
Mlle Jeanine LAGUESSE
M. Raymond PIETRI
Secrétaire
Trésorier
assesseurs
M. Yvonnic ALLAIN
M. Robert KOEN1G
Mme Flora DEVATINE
M. Roland SUE
MEMBRES D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
R.P. O'REILLY
Société des
Études
Océaniennes
�BULLETIN
DE LA SOCIÉTÉ
DES
ÉTUDES OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
N° 234
-
TOME XIX
-
N° 11
MARS 1986
SOMMAIRE
La mort du
La
jeune roi des Gambiers
:
P. Laval
production artistique de l'île de Pâques : P. O'Reilly
Polynésie d'Autrefois
:
L'art de bien mourir : E. Vigneron
1
13
19
Une lettre de Pomare V
30
Poissons récifaux et
32
pêche polynésiënne : R. Galzin
Compte-rendu
fi. Saura
42
La communauté chinoise de P.F
:
R. Rossile : Le kava aux îles Wallis et Futuna
43
Le Bassin Pacifique
45
M-S. Villar
:
A. Lavondès : Culture & Identité nationale en P.F
M.-A. Cadousteau
:
Les
prénoms tahitiens
M.-A. Cadousteau et Anisson du Peyron :
Initiation à la langue tahitienne
P. Couraud :
Origines & transformation de l'agriculture en P.F
E.
Recherche sur l'histoire des attitudes devant la mort en P.F
Vigneron
J.L. Rallu
E. Stahn
:
:
:
La population de
Guide du
Nlle-Calédonie
Pacifique
46
47
47
51
53
53
54
Approche du tapa océanien
Société des
46
Études
Océaniennes
�'
■
.....
.
-
Société des
Études Océaniennes
�Cher Collègue,
Le
propriétaire du bâtiment qui abritait notre
Société
ayant repris ses locaux, nous avons été obligés de quitter, non
sans regrets, cette rue Bréa-Lagarde, où nous étions depuis
près de trente ans.
Nous avons
provisoirement trouvé refuge dans les locaux
où notre bibliothèque sera ouverte dans
de l'ORSTOM à Arue,
quelque temps ; celle de l'ORSTOM reste bien
disposition.
entendu à notre
La Société et sa bibliothèque trouveront un havre
définitif dans le bâtiment des Archives, qui doit être construit
à Tipaerui.
Une convention
sauvegarde notre liberté qui reste entière
la vie de la Société ne
tribulations si elles perturbent
devraient pas l'altérer.
et ces
Gardons confiance et n'oublions pas que la façon la plus
efficace de manifester son attachement â la Société reste,
avec le règlement de la cotisation, le recrutement de
nouveaux
adhérents.
Croyez en mes sentiments
dévoués et cordiaux.
Le Président
RENSEIGNEMENTS PRATIQUES
B.P. 110
Papeete
ORSTOM - ARUE - Tél. 43.98.87
HEURES D'OUVERTURE :
7 h - 12 h • 13 h 30 - 17 h
Société des
Études
Océaniennes
�.
-
goppa
pas
gjnpas
optHuiouuos
�1
LA MORT DU
JEUNE ROI DES
GAMBIER
destinée aux directeurs de la Propagation de la Foi, cette
été publiée par les Annales de cette société.
Si l'écriture du P. Laval est d'une calligraphie harmonieuse, elle est
dans bien des cas illisible et a nécessité un décryptage. Seuls, deux mots
finalement, nous ont échappé, mais ne sont d'aucune gêne pour la
compréhension du texte.
Cette lettre présente en outre un intérêt philatélique ; elle porte en
effet deux cachets postaux excessivement rares du petit port de Pauillac
sur la Gironde, port d'embarquement des missionnaires français pour
l'Océanie, qui attendaient là, parfois assez longtemps, que le vent et la
mer deviennent favorables à l'appareillage.
Bien que
lettre n'a pas
Elle
figurait sur un catalogue
1985) et
(vente Boule-Sanary - 5 juin
de "ventes sur offres philatéliques"
appartient maintenant à la collection
Battesti.
C. Beslu
Le RP. Hodée,
familier de cette période, a
bien voulu préfacer cette
lettre inédite.
1857 se situe à l'époque charnière de l'histoire
Toute la population a été convertie. Le roi
Gregorio Maputeoa à l'instar de Pomare II, a promulgé un code
inspiré de la Bible et des valeurs chrétiennes. Comme l'écrit le P.
Le mois de juin
de Mangareva.
devant "un peuple adolescent". L'enfance
décès du roi converti. Son héritier est
enfant de 10 ans. Les Gambier sont en pleine prospérité. Marins
commerçants y viennent facilement, et certains veulent s'y
Laval,
nous
heureuse
un
et
se
sommes
termine avec le
installer à demeure. Le responsable
RP. Chrysostome Liuosu, qui avait
doté d'une grande sagesse vient de
s'ouvre, pleine de promesses sur
Société des
Études
de la Mission catholique, le
la confiance de tous et était
mourir. Une nouvelle étape
tous les plans et porteuse
Océaniennes
�2
d'incertitudes. Le P. Laval s'en rend compte. Mais
cette situation nouvelle, de brillant second qu'il était,
confronté à
il deviendra
conception de
Supérieur de Mission, prisonnier de sa
"gouvernement patriarchal" de type paternaliste.
Cette lettre fort intéressante, est un remarquable témoignage
d'époque. Elle fait sentir la complexité de l'accompagnement de
toute adolescence, surtout collective. Le passage de l'enfance
à
l'état adulte, surtout lorsqu'il doit être réalisé par le "Père"
fondateur n'est pas aisé. Si on ne peut qu'admirer Honoré Laval,
pionnier de la Mission aux Gambier et aux Tuamotu, on ne peut
qu'être interrogé par la manière dont il se situera comme chef de la
Mission, après la disparition des fondateurs -le vieux roi Gragorio,
les RR.PP. Caret et Liausu, Mgr. Rouchouze- face à une situation
nouvelle et en évolution rapide, qui aboutira le 29 juin 1880 pour
Tahiti, le 29 février 1881 pour les Gambier, à l'annexion de ces
archipels par la France. Le Code français remplacera le Code
mangarévien en 1887.
un
Evitons tout anachronisme dans la
compréhension de cette
fait à la place du P. Laval ;
désormais seul, héritier d'un magnifique passé et affronté à
l'expansion coloniale de la seconde moitié du 19ème siècle ?
Accueillons ce document comme un témoignage sincère et très
typique de l'époque. Il nous permet de mieux mesurer et situer la
vitesse et la profondeur des mutations de société, qui ont affecté les
archipels polynésiens.
lettre de 1857.
Qu'aurions
nous
P. Hodée
Société des
Études
Océaniennes
�3
A Messieurs les directeurs de la
propagation de la foi
Mangareva (Gambier)
ce
26 juin
1857
Messieurs,
Excusez si
ma
main tremble
pour la 2ème fois un grand
mission. Le 20 de ce mois, à
en vous
traçant ces
lignes, mais
vide vient de s'opérer dans notre
9 h du soir à peu près, Grégoire
Maputeoa, Roi de Magareva a succombé à sa maladie
pulmonique dont il était atteint.
(Si celui-là n'est pas un saint, je ne sais pas qui pourra le
devenir surtout parmi les rois !)* - C'était bien le plus éclairé et le
plus fervent de nos néophytes ; c'était le père de famille et le chef le
plus capable de maintenir l'ordre parmi les siens et dans tout
l'archipel. Rarement il exigeait le tribut quand la saison avait été
peu favorable pour les plongeurs et fermiers ou lorsqu'ils avaient
des travaux à faire exécuter dans leur dépendance respective. Il
était doux et sévère à propos et le peuple l'estimait et l'aimait
autant à cause de ses vertus personnelles qu'à cause de l'antiquité
de sa noblesse
33 rois ses aïeux, tous des titres à la souveraineté
des îles de Magareva ; et, si son peuple aujourd'hui n'était pas
véritablement chrétien il eut été déclaré dieu à sa mort. Je dis plus ;
ce titre lui aurait été infailliblement donné même de son vivant. Ce
dieu devenu doux et humble de cœur à la suite de Jésus-Christ
avait tant de respect pour les pères en Notre Seigneur, qu'il les
consultait toujours dans le mouvement des affaires, en déférait
toujours à leurs avis, aurait voulu leur céder toujours la place
d'honneur dans le conseil et partout ailleurs et se tenant toujours
debout devant eux, le chapeau à la main, quand il en rencontrait
un sur le passage, ou quand il avait à lui parler pour quoi que ce
fut. Ceux qui ont eu des affaires commerciales à traiter avec lui
savent combien il était jaloux de tenir sa parole. Mr Yver, agent de
la Maison Le-Quellec et Bordes, pourra certifier que sa parole
valait mieux pour le négociant que tous les écrits et un autre
commerçant de Tahiti que je m'abstiendrai de nommer aujour¬
d'hui, mais qui s'est gratuitement constitué notre ennemi, n'osera
Stanislas
-
*
phrase rayée
sur
l'original.
Société des
Études Océaniennes
�4
plus sans doute persister dans les machinations déloyales, quand
il aura appris par son propre capitaine, que le roi papiste des
Gambier, pour ne point manquer à sa conscience, remettait
formellement 130 piastres du tonneau de nacre, parce qu'il avait
déjà conclu pour 100 $ avec un autre seulement de vive voix !
Grégoire Stanislas Maputeoa a donc été véritablement un saint
devant les hommes, espérons aussi qu'il l'est également devant
Dieu.
Je le
croyais hors de tout danger depuis surtout que le
régime
de Mr de la Tour de Clamouze, attaché à la mission, avait obtenu
du mieux chez lui, mais mon canot n'était pas plutôt sous voile
aller où m'appelait le St. ministère, qu'une crise à même
déclara presque subitement à la suite du repas qu'on
servir, un peu trop copieusement, malgré l'avis
contraire de Mr de la Tour et de moi. Sa fille aînée, religieuse, ne
lui cacha point qu'il était en danger. Marie-Endoxie la reine lui
demanda s'il ne souhaitait pas qu'on allât me chercher pour lui
administrer l'extrême onction et le St. viatique. Il ne faut pas, dit-il,
déranger le Père. Je vais demain (dimanche) communier à l'église.
Mais, répliqua la bonne reine, il ne faudrait pas s'exposer à mourir
Tu ne sais donc pas, lui dit-il, qu'une bonne
sans sacrements.
confession vaut mieux qu'une extrême onction reçue en mauvais
état ! Hé bien je sors de me confesser et je n'ai rien, absolument rien
qui me pèse sur la conscience à moins que tu te rappelles quelque
chose, toi. Non répondit la Reine, je n'ai rien de présent à la
mémoire, Eh bien sois donc tranquille alors, d'ailleurs le père m'a
promis de ne pas se faire attendre.
pour
apparence, se
venait de lui
-
Cependant le mal augmenta. Mr de la Tour arriva ainsi que
Européens résidents dans les îles. L'eau
froide à la figure et les pierres chaudes aux pieds le font revenir de
son long évanouissement. Le malade éprouva du mieux mais ce ne
fut pas pour longtemps. La crise alla si loin que la moutarde aux
pieds ne lui faisait plus rien. Alors on accourut me chercher, j'étais
à l'île Aukena, j'allais me mettre au lit. Le Roi se meurt me criat'on de dehors, père vient vite ! Nous partîmes sur le champ malgré
les ténèbres et la pluie. Mais hélas ! notre canot arrivé à deux
encablures du parc du Roi, des cris isolés, poussés à tue-tête nous
font présager une mauvaise nouvelle. De la Rumière accourt et
nous dit : Le Roi vient de rendre le dernier soupir !! je me hâtais
néanmoins de courir au plus vite au lit de Grégoire ; je fends la
foule qui s'empresse de me faire place et sans condition, je
prononce les paroles sacramentelles d'absolution dans le cas ou
l'âme serait encore là et qu'elle en aurait besoin. Mais le bon
Mr Yver et tous les autres
Société des
Études
Océaniennes
�5
Grégoire n'était plus probablement qu'un cadavre ! La foule
pleurait, poussait des cris. Je fis réciter le chapelet pour tempérer
cette scène et venir en aide au défunt qui devait être actuellement
devant le tribunal de Dieu. Le canon- fut tiré pour signaler cette
mort à toute la population de la grande et des petites îles puis je
donnais le plan d'une chapelle ardente. L'appartement du milieu
tout tapissé de tentures noires ; un lit de parade fut dressé au milieu
de la salle et le corps du Roi y fut déposé entouré de 10 cierges,
revêtu de son uniforme de capitaine de frégate, ceint de son épée
donnée par Louis-Philippe, ayant sur son cœur le scapulaire du
mont Carmel avec un crucifix et à ses pieds le chapeau à
l'orientale que lui avait envoyé Grégoire XVI, de glorieuse
mémoire.
La mort du Roi au temps du paganisme était toujours une
occasion de scènes épouvantables ; on poussait des cris divers,
c'était plutôt des hurlements, on s'arrachait les cheveux, on se
mordait les bras, on dépavait les places publiques et le devant des
maisons et on se battait au sérieux. Les sens se portaient à ces excès
et c'était principalement les chefs parce que chez eux la superstition
exigeait des victimes. Les autres faisaient tout ce bruit pour
supprimer leur douleur, feinte ou réelle. D'autres, espérant de
pêcher dans l'eau trouble, se battaient dans l'espoir d'avoir des
terres. La haine invétérée des anciens partis, toujours nombreux
dans ces îles finissaient par en venir aux mains et les vaincus se
trouvaient mangés par les vainqueurs. A la mort de Teikotoara,
père de Grégoire, son grand-père Temateoa eut assez d'autorité et
d'amour pour son peuple pour arrêter les orgies et les malheurs.
Cependant il fallut encore que Tuteoa la reine (mère de Grégoire
Stanislas Maputeoa) qui venait de recevoir un pavé dans le dos,
menaça dans sa colère de les jeter dans le feu allumé si le calme ne
devait pas bientôt renaître. L'amour et le respect qu'ont sans doute
ces populations pour leurs Chefs feront prendre en considération la
menace de la reine et l'on cessa de se battre. "Voilà votre nouveau
Roi, s'écria Temateoa en montrant du geste le fils du défunt, qu'un
requin venait de couper en deux à la pêche du poisson, et cessez de
vous tuer pour le père afin de vivre pour le fils". (?)
J'ai dû le lendemain, dans un
discours à l'église, rappeler à nos
mais les Chefs après les offices
paroisse sont venus me protester qu'il n'y avait plus rien à
craindre aujourd'hui de ces scènes d'autrefois. C'est qu'en effet ce
peuple est essentiellement chrétien. Aussi pendant les 3 nuits et les
3 jours que durèrent les funérailles de Grégorio, tout s'est-il passé
selon la douceur et la piété chrétienne. En sorte que le bonheur qui
chrétiens
ce
beau mot de Temateoa,
de la
Société des
Études
Océaniennes
�6
règne à Magareva depuis, tout à l'heure, 23 ans, n'a point été le
moindre du monde interrompu.
Dès le soir du décès, sitôt toutes les populations de la grande
île accourues, on commence un exercice tout aussi pieux que
touchant. Chacune des peuplades à tour de rôle vinrent passer une
demi heure, une heure, devant le corps exposé de l'auguste défunt.
Ils pleuraient et priaient alternativement, on finit même par y mêler
quelques chants de l'Eglise et des cantiques en langue vulgaire.
Mais c'est surtout leurs lamentations à la façon des Egyptiens et
des Hébreux que l'on retrouve à la Nouvelle-Zélande, aux
Sandwich, aux Paumotus et chez tous les autres Océaniens et que
nous ne prohibons pas ; tant il faut que je fasse ici une courte
description. On dirait les descendants d'Abraham autour de la
dépouille mortelle de Jacob et de Joseph sous les palmiers et les
aloes de l'Egypte et du désert, on dirait les lamentations du tendre
Jérémie ou l'harmonie plaintiste de Taire quand Jésus-Christ
Notre Seigneur s'approche pour en ressusciter la jeune fille.
le mourant a expiré et même quelquefois
là, les parents et les amis et surtout les
lorsque la
serviteurs
(quand le moribond appartient à la classe aisée), commencent sur
le ton de la psalmodie à déclamer des paroles tendres qui se
trouvent à chaque période entrecoupées de gémissements ou de cris
prolongés, qui baissent de ton d'abord et qui remontent ensuite à la
note où la seconde période va commencer. Alors tous ceux des
pleureurs qui n'ont point encore débuté, partent comme d'un
Sitôt que
vie est
encore
commun
accord et d'accords tous différents.
Ils déclament en
pleurant des paroles analogues aux premières. L'homme est ordi¬
nairement debout pour pleurer la tête penchée en avant et les bras
pendants. Ils gesticulent lentement au-dessus du cadavre. La
femme, elle, est accroupie le plus souvent, surtout si le cadavre gît
sur la terre. Bientôt, à l'aide de ses deux mains, ses cheveux sont
épars sur toute la figure. Ses bras gesticulent en avant et se
précipitent sur l'objet regretté puis, relevant la tête aux yeux
baignés de pleurs et les mains apposées sur la poitrine du défunt,
elle continue par des impromptus de plus en plus touchants de
déclamation de la douleur. De toute part on éclate en sanglots, un
torrent de larmes inonde les visages et les narines ont dépassé les
bornes de la bienséance. Cette confusion du début se trouve encore
de temps en temps couverte de cris des parâtres. Les cheveux des
pères d'abord se dressent en présence de cette symphonie
lugubre. Mais cependant vous ne pouvez guère à la
fin, pour quiconque comprend le sens des paroles, vous défendre
de pleurer avec la foule et c'est surtout quand l'ensemble des
discordante et
Société des
Études Océaniennes
�7
s'adoucir et tomber à l'unisson. Alors vous
plus facilement distinguer les paroles d'une épouse qui dit à
son mari : Hélas ! je reste et toi tu pars ! e te ipo, e te ipo avaroa kae
ka au kavore io nei ! Ces anciennes disposent assez le cœur au
sentiment de la tristesse. Une mère qui dit à son enfant : ô mon fils,
je ne te reverrai plus toi que je voyais jadis aller sur le bord de la
mer, Oh ! ombre de l'hisbiscus, hélas je ne te reverrai plus ! vous
arrache des larmes. Un père qui dit à sa fille : où es-tu ma fille ? Ma
fille où es-tu ? Je te cherche et je ne te retrouve plus ! je t'appelle et
tu ne me réponds pas ! Vous accable de douleur. Au début donc
cela est d'abord supréportable. J'en ai même vu qui riait de la
dissonance des lamentations mais peu à peu vous versez des larmes
avec la famille éplorée. Il faut le dire pourtant, il en est sur le
nombre des pleureuses qui ne se lamentent et ne versent des pleurs
que parce que l'étiquette et leur position les y obligent et j'étais
étonné de leur facilité à répondre des larmes en pareil cas.
lamentations finit par
pouvez
aux Paumotus sont plus gros¬
touchantes ; leurs récits saccadés sur
marchant avec ensemble ne m'ont
jamais sensibilisé. C'est peut-être aussi parce que je ne pouvais pas
en saisir le sens ; toutefois trois ou quatre mots répétés pendant des
quarts d'heure entiers et cette manière de s'entrelacer les uns sur les
autres et de ne faire plus qu'un amas de corps rives en marmottant
tous ensemble, ne me paraissent guère répondre à la dignité de
Les lamentations
funéraires
sières et par conséquent moins
un ton peu varié et quoique
manière de faire un rond en s'agenouillant, de
la tête au centre de ce rond en
répétant les mêmes mots à satiété ne me paraît pas plus digne,
même en y supposant une allégorie. Cependant on voit bien que
toutes ces lamentations nous indiquent un même peuple.
Autrefois les funérailles duraient 7 à 8 jours et quelque fois 15
jours, avant que le cadavre en putréfaction ne les rebutât. Après
les pleurs venaient les chants censés religieux appelés haskaraimaru, puis les chants licencieux (kapa) et les danses (tirau) ; le
démon de l'impureté régnait ; oublions tous ces jours là ; c'était du
paganisme tout pur. Aujourd'hui que ce peuple est chrétien, rien
du passé n'a lieu que ces lamentations, parce qu'elles ne renferment
rien de mauvais assurément. Tout le reste se passe comme un rituel
et nous n'attendons guère que 24 h pour confier le cadavre à la
l'homme. Cette autre
s'entrelacer les bras et de plonger
terre.
Mais, je l'ai déjà dit, les funérailles de Grégoire durèrent 3
jours ; ce fut pour obtempérer aux désirs de la famille
souhaitait vivement cette distinction. Pendant ce temps là, deux
fois le corps du défunt a été porté à l'église où un service solennel à
qui
Société des
Études
Océaniennes
�8
chaque fois a été célébré avec pompe pour le repos de son âme ; le
corps était déposé sur un beau catafalque tout tapissé de noir et de
larmes blanches et sur le cercueil étaient tous les insignes que nous
avons déjà vus étalés dans la chapelle ardente. Un dais de couleur
noire surmontait le tout, et aux quatre angles pendaient 4 pavillons
tricolores et pleureurs. Le maître autel était aussi tapissé de
tentures noires et des larmes blanches semées ça et là semblaient
supplier notre Seigneur immolé d'éteindre, autour du Roi décédé,
les feux du purgatoire. Les bancs de la famille royale étaient aussi
en
deuil.
Ce ne fut que le jour du second service qu'eut lieu la cérémonie
de l'enterrement. Le son de la cloche et du canon, les militaires
indigènes sous les armes, le défilé de toute la population des quatre
îles qui précédait et suivait le cortège, le corps du Roi porté par
tous les Chefs et suivi de sa famille. Le fils du Roi qui ouvrait la
marche du cortège et Marie-Endoxie la reine qui le suivait avec ses
trois filles et un autre petit garçon, tout cela donnait à la cérémonie
l'aspect d'un enterrement de première classe.
L'usage ici est
que
la famille baise le cercueil au moment de le
les amis le font aussi cette fois-ci, il était à présumer
que toute la population voudrait payer à leur bon Roi ce tribut de
leur amour et de leur hommage. Pour éviter la confusion, cette
cérémonie touchante eut lieu, sur mon avis, à la chapelle ardente. Il
n'y eut au cimetière à porter le cercueil que la famille royale, le
notable du pays et les Chefs des 4 îles. Il en fut de même pour l'eau
mettre en terre,
bénite jetée
à la suite de celle du prêtre. Ce qui me toucha vivement,
fut la plus jeune des filles du Roi défunt,
âgée de 4 à 5 ans, qui n'avait point assisté au baisement du cercueil,
fut passée de mains en mains par dessus toute la foule pour venir
au moins jeter de l'eau bénite
sur son père aidée de la main
tremblante de la mère éplorée.
Grégoire Stanislas Maputeoa a été enterré dans la chapelle, au
pied de l'autel, en attendant que le caveau de la famille soit achevé.
Pendant qu'on comblait la fosse, les seuls admis dans la chapelle
pleuraient tout haut le bon Roi. Puis, je fis commencer le chapelet
par toute la population pour éviter peut-être une scène trop
douloureuse. Le défilé de toute la population s'en retourna comme
il était venu et le son de la cloche qui se faisait encore entendre
semblait être le dernier adieu de l'Eglise à Grégorio.
Quelques heures après, c.a.d vers les 3 heures de l'après midi,
on procédait à une cérémonie d'un autre genre. Pendant que toute
la population des 4 îles était là, sur l'avis donné des missionnaires,
tout le monde vint faire au nouveau Roi sa soumission. Joseph.
dans cette circonstance, ce
Société des
Études Océaniennes
�9
Grégorio n'est âgé que de dix ans et c'est Marie-Endoxie la
reine, aidée des oncles de Grégorio que l'opinion publique, fixée
par le discours que j'avais prononcé le dimanche à l'église, a choisie
fils de
pour
régente.
La reine Blanche Gambier méritait bien cette marque
de
avait de la dignité, quand tout le
monde, petits et grands, vinrent baiser, selon l'ancien usage, les
pieds et les genoux de son fils et les siens ! Suivant la place que
chacun occupe dans la société Magarévienne, les uns baisèrent les
pieds, les autres les genoux ou la main. La famille royale seule a le
privilège d'embrasser le Roi au nez. Nous autres, le père Armand et
moi et tous les Français résidents l'embrassâmes à la joue et nous
saluâmes respectueusement la Régente.
confiance. Aussi, comme elle
quelques discours de prononcés dans cette circons¬
frappa le plus, ce fut celui de Petero
Mapumahaga chef de l'île de Taravai. Il venait de recevoir en
propre une terre de Grégorio et la mort de ce bon Roi l'avait singu¬
lièrement affecté. Il s'avance à la tête des siens et faisant allusion à
ces deux circonstances il s'écria : Joseph mon Roi, nous voici tous,
Taravai et moi, et nous venons pour te protester que nous te serons
fidèle. Joseph, naguère j'avais faim et aujourd'hui je ne suis plus
dans le besoin. Hier j'avais froid et aujourd'hui j'ai chaud devant
toi. Mon Roi, n'imite pas tes ancêtres qui étaient assez cruels pour
oser manger des hommes. Imite ton regretté père et tout le peuple
est à toi. A ces mots... Petero se jette à genoux et embrasse ceux du
petit Roi qui écoutait ces discours et considérait cette cérémonie en
souriant. Sa petite épée à chainon doré et son cordon bleu passé
par dessus ses habits de deuil en faisait un joli petit enfant !
pauvre enfant, Roi si jeune ! que le bon Dieu le bénisse ! c'est ce
que demanda la peuplade de Taku dans un morceau de poésie
magarévienne composé la nuit précédente en l'honneur du patron
du jeune Roi et du jeune Roi lui-même. Ce peuple de Taku (district
privilégié de Grégorio) après avoir crié par trois fois : vive Joseph !
vive le nouveau Roi ! sont allé donner dehors le branle à une piki
connue de Marie ; je n'en avais entendu de si beau. C'était un
tonnerre de voix accompagné de sauts et de gesticulations divers
qui éclatait de toute part devant la porte et sous les croisées du
Il y eut
tance.
Mais celui qui me
nouveau
Roi !
On avait apporté le tribut d'honneur à Joseph et la régente en
congédiant toute la population, en fit présent à tous ceux qui se
trouvaient les plus près de sa personne. Cette fête n'empêcha pas de
hisser encore, en signe de deuil, le pavillon à demi mât et ce ne fut
que le lendemain à midi, qu'au son de 21 coups de canon, on le
Société des
Études
Océaniennes
�10
hissa pour
signaler l'avènement du petit Joseph à la royauté de
Magareva. Ce jour là, grâce entière fut accordée à tous les
condamnés par la justice, tant les étrangers que les indigènes, et en
leur accordant la liberté, la régente, dans le petit mot de correction
verbale qu'elle adressait à chacun, mis tant de noblesse et de
fermeté, qu'elle fit l'admiration des Européens eux-mêmes témoins
de cette scène
importante.
Tels sont, Messieurs, les changements qui viennent de s'opérer
dans notre Mission ; mais vous pouvez remarquer aussi par ces
détails que cette Mission de Notre Dame de Paix,
déjà âgée de 23
continue d'être toujours sur un assez bon pied. La base a été si
bien posée par les efforts de feu Mgr de Nilopolis et quatre ou
cinq
de ses prêtres, que son adolescence répond encore,
pour ainsi dire,
à la ferveur des premières années, malgré tout ce
qu'a pu faire la
malice des méchants pour neutraliser et détruire chez elle tout
corps. Dieu avait opéré par sa grâce. Si vous exceptez, Messieurs,
une vingtaine de
jeunes gens, qui ont de la peine à passer pour les
pâques, parce que les navires qu'ils n'ont que trop été obligés de
fréquenter, les ont faits boire dans la coupe empoissonée du monde
libertin, tout le reste de notre Mission se soumet à la pure morale
de l'Evangile et porte des fruits qui
indiquent assez que cet arbre est
de la classe de ceux que Notre Seigneur Jésus-Christ
appelle arbor
bona (Matt. 7). Les Prêtres qui les dirigent sont encore tout
pour
eux, aussi se plaisent-ils à leur donner le doux nom de Père e
ans,
motua
! et leur obéissent-ils
avec
une
soumission toute filiale.
Donc, des Messieurs appartenants à des Sociétés ennemies de la
religion, ont grand tort de venir dire que nous sommes des Tyrans.
Des tyrans ne verraient point la
porte de leur enclos assiégée à
toute heure, de jour et de nuit,
pour demander du secours, des
consolations, un appui et des conseils. Des tyrans ne se verraient
point reçus à bras ouverts en abordant dans ces 4 îles, ou toutes les
fois qu'ils iraient visiter les
peuplades et chaque particulier dans
leur maison. Singuliers tyrans
que ces hommes de Dieu dont on
envie tant les bénédictions ! Je l'ai
déjà dit dans d'autres de mes
lettres, nous ne pouvons pas faire un pas que nous ne soyions
entourés de tout âge et de tout sexe,
qui s'agenouillent au beau
milieu de la voie publique, et sans vingt humains
pour demander de
les bénir au nom du tout
puissant. Non, Messieurs, le Missionnaire
des Gambier n'est pas un
tyran. La preuve encore c'est que notre
code est bien au-dessus de celui de la France et de Tahiti. Même
pour ce qui est des amendes et des punitions, chez nous c'est
d'abord la réprimande éternelle
qui préside. Si elle ne suffit pas, on
vous condamne au
piquet, comme dans un
grande
vous en avez pour
Société des
collège. Si la peine est
huit jours de prison. Vous êtes
Études
Océaniennes
�11
condamnés à
un travail légal pour
un mois et même deux s'il y a
relaps, où si des raisons majeures exigent le maximum de la peine ;
mais voilà toute notre pénitencerie séculière à Gambier. La loi
ecclésiastique met aussi, pour un temps, hors de l'église celui qui
n'a pas fait ses pâques à la pentecôte, ou qui s'obstinerait à attenter
aux mœurs publics. Cette loi
sage est nécessaire pour un peuple
nouveau. Mais est-ce bien là une
tyrannie ? Cette mesure douce et
paternelle, que, dans nos paradis colonisés, l'on a taxée d'inquisi¬
tion, atteint-elle seulement la rigueur des lois tahitiennes ? Elle est
beaucoup moins sévère et les résultats sont infiniment meilleurs.
Voilà donc, Messieurs les directéurs de la propagation de la foi,
comme la tyrannie s'exerce à
Magareva. Gouvernement patriar¬
chal, répression paternelle, et si des mesures plus conformes à la
civilisation actuelle sont obligées d'être prises, ce sont toujours les
plus douces auxquelles ont recours et la prudence temporelle, et la
juridiction spirituelle. Mais pourquoi tant insister là-dessus ;
puisqu'il est certain que nous avons pour nous les cœurs de toute la
population ?
Mais voici : C'est parce que nous avons pour nous tous les
de nos chers néophytes, qu'une certaine sorte d'hommes s'est
cœurs
gratuitement déclarée notre ennemie, et, qu'ayant échoué dans les
efforts qu'elle a fait pour nous aliéner les cœurs, cette classe
d'hommes cherche maintenant à nous intenter des procès aussi
injustes
que possibles. Ces procès sont perdants ; parce que ces
Messieurs sentent que l'autorité de Napoléon III est pour nous.
Mais qu'a dit Mr Faucher et que pense son agent Mr Labbé ? Ils
attendent peut-être un changement de gouvernement, ou du moins
de magistrats plus selon leurs vues, pour revenir à la charge. En
attendant, Mr J. Labbé, qui se trouve sous le coup de sept
accusations graves et signalées à l'autorité française par Sa Mté
Grégorio et le délégué du gouvernement français le RV père
Cyprien Liausu mort en France l'année dernière, se trouve
actuellement décoré du titre
déjugé à Tahiti, conjointement avec
plusieurs autres, anglais de nation, qui se sont également constitués
ennemis de la religion catholique en Océanie. Mais, que voulezvous, Sa Majesté Napoléon III ne connaît pas tout, et nous autres
pauvres Missionnaires de Jésus-Christ, nous sommes obligés d'être
souvent les victimes de la manœuvre invétérée de ces hommes
à bras longs car on nous a dit que Mr Faucher avait été décoré de
la croix d'honneur et qu'il avait été l'intime ami du Ministre
assez
Meckau !!
(*).
(*) Ministre de la Marine et des Colonies.
Société des
Études
Océaniennes
�12
Messieurs, maintenant que je viens de vous faire connaître en
nos consolations et nos peines, permettez moi,
dans le cas où cette lettre serait rendue publique dans vos annales,
de vous recommander la prudence pour ce qui est des personnalités
ci-incluses. Ce serait peut-être allumer d'autres persécutions que de
vouloir faire tout connaître à vos généraux associés. Toute vérité
n'est pas toujours bonne à dire ; mais je m'en rapporte à votre
haute sagesse et j'ai l'honneur d'être, avec la reconnaissance que
mérite tout ce que vous avez fait pour nos Missions, Messieurs les
directeurs de la propagation de la foi.
quelques mots et
Votre très humble
et tout
dévoué serviteur
P. Hon. Laval
Et supr.
Société des
Études
provic. apost.
de la Mission Gambier.
Océaniennes
�13
LA PRODUCTION
DE L'ILE DE
ARTISTIQUE
PAQUES
L'histoire de la production artistique de l'île de Pâques, depuis
siècle est un cas qui mériterait de devenir classique dans les
annales de la curiosité océanienne.
un
Les
Pascuans, avant les Européens, exécutaient ces hautes et
mystérieuses statues de pierre auxquelles Aku Aku, l'ouvrage
récent de Thor Heyerdhal, vient de redonner un regain de
popularité internationale. D'autres artisans sculptaient le bois :
reimiro, pectoraux d'un dessin très pur ; Va, bâtons de danse
tenant de la pagaie et de la massue ; poissons lézards ou oiseaux
anthropomorphes, et surtout des moaï-miro, les pièces les plus
spectaculaires et plus caractéristiques de la sculpture pascuane, ces
personnages décharnés dont Mme de Balman me demandait
l'expertise et qui sont non seulement les chefs d'oeuvre de l'art
pascuan, mais encore les témoins d'une technique, d'une virtuosité
sans pareille, surtout si l'on songe que ces gens travaillaient avec
des outils d'obsidienne, dans un bois noueux et difficile, le seul que
leur accordât la pauvre végétation de leur île.
C'est Cook qui apporta en Europe, à la fin du XVIIIe siècle,
les premières sculptures sur bois de l'île de Pâques. La perfection
de cet art stupéfia tout le monde. Le Tahitien que Cook ramenait,
en acheta
pour en donner chez lui, tellement ces statues lui
paraissaient supérieures à celles de Tahiti. Après Cook, Lisiansky
çn 1804 en ramena encore quelques-unes et chaque navire qui
passera dans l'île en fera une chasse.
Quand tout ce qui était ancien fut parti, les artisans se mirent à
exécuter des statuettes pour répondre aux demandes des voya¬
geurs.
Mais il avait suffi de deux générations
Société des
Études
Océaniennes
pour que
la main
se
�14
perde : la foi n'y était plus et surtout il fallait faire vite. On bâcle
plus ou moins bien des reproductions n'ayant plus avec les pièces
anciennes qu'un vague air de famille. La facture générale s'est
relâchée. Les pièces ramenées par exemple par Pierre Loti en 1871
lors du voyage sur la Flore à l'île de Pâques, sont déjà très
différentes des figurines anciennes ; à côté de pièces anciennes de
belle venue, se sont glissées des statuettes d'un style décadent. Déjà
la collection formée par Mgr Jaussen vers 1870 et conservée au
Musée missionnaire des Pères de Picpus à Rome, si elle est riche en
tablettes Mgr Jaussen en est le découvreur - ne comporte que des
pièces d'un art dégénéré. Aussi bien une razzia de négriers
péruviens à la recherche de main-d'œuvre pour les mines de sel des
îles Chinchas a-t-il autour des années 60 du siècle fait disparaître
la plupart des "experts". La chaîne de la tradition est complè¬
-
tement rompue.
Dans la seconde moitié du XIXe
siècle, les sculpteurs
donc à fabriquer des statuettes, en pierre ou en
présentant plus guère aucune des caractéristiques de l'art
pascuans se mettent
bois,
ne
ancien... On travaille
avec
des outils de métal dans des bois souvent
ou d'importation pour la vente, et on sait par expérience que
aussi grossières qu'elles soient, ces œuvres seront achetées par les
visiteurs pour peu qu'on les présente avec une aura de légende et
des histoires qui les rendent mystérieuses.
polis
Par
une
ailleurs,
on a vu
véritable fabrication
des blancs, installés dans l'île, se livrer à
en série. En 1878, après l'assassinat de
Dutrou-Bornier, marin français, mi-forban, mi-éleveur qui avait
installé une station de mouton à l'île de Pâques, un frère de la
future reine Marau, Alexandre Salmon vint s'installer sur l'île pour
y diriger la station qu'il avait rachetée à la succession de DutrouBornier. Salmon voit combien les navires
qui passent sont friands
de curiosités. Vincent Pons, un charpentier français, résidant dans
l'île depuis 1880, a raconté comment Salmon avec le sens qui lui
conférerait ses ascendances israélites, organisa le marché. Il
excitait les artisans, achetait toute la production locale. Il
concentrait chez lui, dans une grande armoire fermant à clef, tout
le stock de curios chacun portant au cou une étiquette avec le prix
marqué et se chargeait de la revendre lors du passage des étrangers.
C'est chez Salmon que
Weissner et Geiscler en 1882, et quatre
plus tard W.T. Thompson, officier payeur à bord d'un navire
américain, achetèrent les importantes collections pascuanes dont
l'une aboutit au Musée d'ethnographie de Berlin et l'autre à celui
de Washington.
ans
Société des
Études Océaniennes
�15
Lorsqu'en 1888, le Chili prit possession de l'île de Pâques,
Salmon ayant vendu ses droits, se retira à Tahiti, il emmena avec
lui une cargaison de "curiosités" qui s'écouleront peu à peu sur le
marché local.
11 n'est pas impossible que ce marché local ait été lui aussi
déjà approvisionné et d'une manière quasi officielle par les
découvreurs des tablettes eux-mêmes.
On le sait, c'est Mgr Tepano Jaussen, le vicaire apostolique de
Tahiti, qui le premier signala au monde savant l'intérêt des "bois
parlants" de l'île de Pâques, recueillis sur place par le missionnaire
picpucien Roussel et ouvrit le dossier de cette écriture, demeurée
jusqu'à nos jours mystérieuse et qui excite toujours la perspicacité
des linguistes. Le nombre des tablettes authentiques est fort
restreint ; moins de trente, certainement. Or j'ai été fort surpris de
découvrir qu'on en fabriquait dès 1877 à Tahiti, et sous les yeux
même du bon évêque. Les apprentis de l'école professionnelle de
Papeete, que dirigeait un certain père Colette exposent en effet
cette année là, lors d'une distribution de prix des objets fabriqués
par leurs soins. "Objets de menuiserie... pierres de taille, divers
tissus, nacres des Gambier et
des écritures hiéroglyphiques
provenant de l'île de Pâques..." Mgr Jaussen présidait la
cérémonie, après avoir félicité les jeunes artisans, et donné des
explications sur les objets exposés, il entretint les assistants des
écritures de l'île de Pâques qui figuraient dans l'exposition. "On y
voyait aussi des fac-similés de l'ancienne écriture. Cette reproduc¬
tion est due à l'abbé Lacombe, diacre, qui est venu de France
partager nos travaux et à l'abbé Tryphon, prêtre marquisien.
"Je livre ce texte révélateur aux quelques spécialistes tablettes
de l'île de Pâques. On a donc exécuté à Papeete, dès 1877, sous les
yeux de Mgr Jaussen et avec son approbation, des fac-similés, des
...
tablettes.
Il serait curieux de
savoir
ce que
tablettes et
Rivet avait fait analyser
sont devenues ces
si la fameuse tablette dont le docteur Paul
le bois et qui s'était révélée être gravée
dans un bois d'origine
européen, du frêne, je crois, provenant d'une rame, ne serait pas,
tout simplement, une des tablettes fac-similé exécuté par le père
Tryphon à Tahiti en 1877. Elle aurait ainsi de sérieuses raisons
d'avoir été gravée, sur la pelle de quelque rame endommagée
traînant alors sous le hangar des apprentis du père Colette.
Le hasard voulut que l'un des gérants de la
explotadora de la Isla de Pascua, qui après quelques
devenue
Compania
années était
certain Henry P. Edmunds pour¬
propriétaire de l'île, un
était
suivit le même trafic. Edmunds
Société des
Études
encore en
Océaniennes
vie
en
1957 à Tahiti
�16
j'eus l'occasion d'aller le visiter dans un bungalow de la côte
finissait ces jours, à moitié aveugle et assez seul. Des
curios de l'île de Pâques, de la plus basse exécution, rebut
d'un
et
ouest où il
demi-siècle de commerce, traînaient ici
Edmunds,
là
ou
sur
les
meubles.
Anglais ayant d'abord travaillé en Argentine, me
raconte qu'il avait passé à l'île de
Pâques les trente premières
années du siècle avec la charge de 40.000 moutons et
qu'il avait eu
trois enfants. Edmunds,
personnellement d'abord, puis par
l'intermédiaire de cette femme qui était une
Polynésienne racée et
intelligente, avait été le pourvoyeur en objets de l'île de Pâques de
plusieurs collectionneurs. C'est lui, sans doute qui, en 1905, avait
approvisionné W. Knoche dont la collection est actuellement
conservée au Chili. C'est lui qui reçut Mrs
Routledgeen 1915. C'est
lui qui avait fourni au
Capitaine W. Fuller, bien connu à Londres
pour les richesses artistiques de l'Océanie rassemblées par ses soins,
quelques unes de ses plus belles pièces pascuanes. Je me souvenais
en effet avoir vu chez le
capitaine Fuller quelques sculptures qui
m'avaient paru assez exceptionnelles des
"planches" d'un type tout
à fait aberrant, ayant une
vague apparence de poisson ou d'animal
"planches" de 50 ou 60 centimètres de longueur et portant gravées
comme fonds décoratifs, des motifs
typiquement pascuans ; têtes
d'oiseaux, poissons, rci-miru, personnage, pièce portant des trous
de suspension qui permettrait de
penser qu'elles avaient pû être
portées au cou dans les cérémonies aux ahu comme l'étaient les
figurines anciennes, pièces uniques et étranges, à mon sens
décadentes, mais non sans attaches intéressantes avec le style
ancien. Edmunds se souvenait avoir
envoyé ces objets et bien
d'autres il me parla de costumes cérémoniels au
capitaine Fuller,
passionné par tout ce qui touchait à l'art du Pacifique. Comme je
lui posais la question de la
provenance de ces objets et que
j'essayais de lui faire préciser comment il avait encore pu découvrir
des reliques de l'ancienne civilisation dans une île
qui, lors de son
arrivée, avait depuis plus d'un demi siècle perdu tous ses artistes et
dont vingt missions
scientifiques avaient passé au peigne fin toutes
les possibilités à cet égard,
d'aveugle Edmunds devint tout à fait
sourd et ne voulut plus
songer qu'à ses whisky vespéraux qui
semblaient l'intéresser beaucoup plus
que les curiosités de l'île de
Pâques.
un
-
-
En 1914-1915, une
Anglaise, Mrs Routledge, passe seize mois
dans l'île. Elle nous raconte
qu'une dizaine de sculpteurs dont les
nommés Kapiera et Ka-Haha,
sculptent sans arrêt. Elle rapporte à
leur sujet une anecdote
qui en dit long sur leur mentalité : "Un
certain jour, l'un de ces artisans n'a-t-il
pas l'audace de venir me
proposer une statuette" qu'il déclara "très vieille".
"Bigre, déclara
Société des
Études
Océaniennes
�17
Mrs
Routledge, elle
me semble avoir grandi bien rapidement, ta
l'ai vu, encore enfant, alors qu'on la
sculptait au village,
il y a quelques semaines"... "Ah, déclara le
possesseur désap¬
pointé... Elle est quand même très jolie et antique - muy antiqua statue. Je
et je la garde pour les bateaux de
passage dont les capitaines sont
de foutus imbéciles !" Mrs Routledge a rapporté ailleurs
que lors
de son départ, elle fera jeter dans un trou un certain nombre de
"souvenirs"
qu'on lui avait remis
de
séjour, ne voulant
qui lui paraissaient
de valeur artistique
que d'intérêt ethnographique. Il est plus que probable que ces
curios n'auront pas été perdus pour tout le monde et
que les
astucieux pascuans, fort habiles en affaires, en auront fait un
jour
"l'invention" spectaculaire au profit de quelque visiteur.
Vingt ans plus tard, l'expédition Franco-Belge, avec Alfred
Métraux et Henri Lavachery visite l'île de Pâques. Ce dernier nous
apprend qu'en 1934 "la production des statues en bois était en fait
la seule industrie de l'île ; elles servaient de monnaie
d'échange
selon le principe polynésien des
échanges-cadeaux, avec les rares
au cours
son
pas s'encombrer de pièces de bois ou de pierre
d'une facture vraiment trop pauvre sans plus
visiteurs".
Henry Lavachery
nouveau
était
remarque
justement
que, vers
1925,
un
fait
influencer le style de la statuaire. Mrs
et Mac Millan Brown ayant publié les récits de leurs
venu
Routledge
séjours dans l'île
en avaient fait envoyer un exemplaire de leurs
livres à leur informateur principal, Juan Tepano. L'île de
Pâques
retrouve alors sa sculpture ancienne au travers des
pièces du British
Museum dont ces exemplaires contenaient des reproductions. Elles
vont à nouveau influencer les fabricants locaux et leur
permettre de
"recopier" avec fidélité des pièces classiques. Juan Tepano,
dépositaire de ces publications, faisait payer un peso chilien le droit
de regarder les illustrations des ouvrages qu'il conservait
précieusement. "Les sculpteurs que nous avons connus en 1934
produisaient à nouveau des figurines d'hommes émaciés, des reimiro (hausse-col) des tahonga (noix de coco artificielles ornées de
têtes d'oiseaux) et des ua (canne à tête de Janus) reproduits d'après
les images des livres", nous apprend Lavachery.
A cette époque "le maître sculpteur était ce même Juan
Tepano devenu l'informateur de la mission franco-belge. A l'en
croire, son inspiration était d'origine surnaturelle".
On en arrive ainsi à des pièces de pure
des séries monstrueuses et de la plus haute
invention personnelle à
fantaisie dont les corps
contorsionnés, les jambes raccourcies à l'extrême ou jointes
directement à la tête et fantastiquement écartées, les têtes doubles,
Société des
Études
Océaniennes
�18
cous démesurés, les yeux figurés par des pastilles de verre dont
les taxidermistes ornent leurs toutous empaillés, n'ont plus aucun
les
rapport avec
la sculpture pascuane classique.
Productions
dans une
pièces de
comparaison. Stephen Chauvet s'insurge avec raison : "Si l'on tient
à garder aux mots leur valeur et aux objets d'art leur intérêt ; si l'on
veut éviter que les collections et les musées ne deviennent de plus en
plus encombrées de pièces fausses, il est indispensable et juste, de
cesser de regarder comme faisant partie de l'art de l'île de Pâques
décadentes et purement mercantiles, indignes d'entrer
honnête série de sculpture pascuanne, sinon au titre de
toutes
les
pièces de la période décadente".
P.
Société des
Études
Océaniennes
O'Reilly
�19
Polynésie d'Autrefois
L'ART DE BIEN MOURIR
Polynésiens s'attendaient à mourir. Au cours de
s'il leur arrivait de l'oublier, des signes lisibles par
tous ou par les tahua venaient leur rappeler que la mort était
proche et qu'elle allait frapper. 11 n'était pas besoin de disposer
d'un savoir médical pour s'en persuader.
Le 14 décembre 1774 à Tautira dans la presqu'île de
Tahiti, le navigateur espagnol Maximo Rodriguez pénétrant dans
une maison y trouva rassemblées quelques personnes. Elles
pleuraient et lui expliquèrent que la femme qui était là, étendue,
malade, allait mourir. Rien ne paraissait dans l'état de l'alitée
devoir en témoigner. Ses proches ressentaient la présence de la
mort, la voyaient. La malade elle-même en était persuadée qui
déclara à Maximo Rodriguez souffrir "par tout le corps". Douleur
non définie, non localisée et pour cela d'autant plus présage d'une
mort prochaine. Selon Rodriguez, il semble qu'elle souffrait de
troubles ménopausiques (1). Il n'empêche, cela était suffisamment
ressenti pour savoir qu'il fallait mourir.
Plus tard aux îles Marquises à Nuku Hiva, Max Rodriguez
rapporte l'histoire d'une jeune fille, Taha (2). Elle était jeune, belle
et gaie. Un jour Taha devint triste, et entra dans une attitude
prostrée, ne quittant plus sa maison. Elle n'était pas malade
pourtant ou ne le semblait pas à ses proches. Elle se sentait lasse,
Très tôt les
leur vie terrestre,
volonté sur l'espoir de pouvoir goûter aux
qui poussaient en avant du pae-pae. Elle ne savait pas
reportant toute sa
papayes
"Bonnes feuilles" extraites d'un ouvrage
éditions ORSTOM.
"Forts comme la mort" devant paraître aux
(1) Rodriguez, 1930
(2) Radiguet, 1859.
Société des
Études
Océaniennes
�20
qu'elle était malade, elle savait qu'elle allait mourir. Cela se
passait longtemps, 8 à 10 mois, avant qu'un médecin, "le docteur
V. du navire stationnaire" ne diagnostiquât une tuberculose
pulmonaire.
Au demeurant point n'était besoin de ressentir une douleur,
d'en reconnaître le siège, ou de voir un proche souffrir pour attester
que la mort était là, toute proche. Un savoir empirique la désignait
à des hommes et des femmes, tous jeunes parfois. Et si cela n'était
ou ne suffisait pas le monde était empli de signes pour rappeler
alors
l'inéluctable.
On sait peu de choses du savoir populaire dans la Polynésie
d'autrefois. T. Henry rapporte un certain nombre de lectures de
signes. Les éléments, leur agencement, leur évolution étaient autant
de messages envoyés aux hommes par ceux qui les dirigeaient. Ils
jouaient un grand rôle dans la vie de tous les jours et chacun était
capable de les lire. Ici encore c'est l'individu lui-même qui était juge
s'il n'était en rien souverain de sa destinée. Tous ces signes, essen¬
tiellement localisés dans le ciel, dans l'atmosphère et dans l'espace
cosmique, avaient peu à voir avec une quelconque météorologie
populaire.
Le ciel sans cesse changeant ne manquait pas de signes
pourtant. Mais ils étaient pour l'essentiel annonciateurs de guerre
et de maladies, de malheurs prochains et non du temps qu'il allait
faire.
Les couleurs surtout parlaient : des nuages rouges à Tahiti ne
laissaient rien prévoir de bon. Il en était de même pour une flamme
s'élevant d'un feu de tiairi (A/eurites moluccana) qui était blanche
au lieu d'être rouge (3).
façon générale toute modification de l'ordre habituel -un
indiquait la proximité d'un trouble -un autre désordre-.
Ainsi "un grand nuage isolé annonçait la mort d'un grand chef'.
Les phénomènes plus exceptionnels laissaient présager de plus
graves troubles encore où le monde du pô intervenait directement
dans le aô des vivants. Une comète, un météore témoignaient de la
présence effective dans le monde sensible d'un dieu ou d'un esprit
De
désordre-
mauvais.
Mais bien d'autres présages, sensibles dans la vie de tous les
jours et pas seulement dans des événements exceptionnels,
rappelaient la proximité de la mort. Ainsi selon T. Henry
"lorsqu'un grillon chantait dans une pirogue au moment où celle-ci
franchissait la passe pour gagner la haute mer, cela signifiait qu'un
(3) Henry, p. 233, 1928.
Société des
Études Océaniennes
�21
naufrage allait avoir lieu, et les voyageurs
remettaient leur
expédition à plus tard. Le bris d'un outil même annonçait que la
maladie allait frapper dans la maison".
Et quand les sensations ou les indications de l'environnement
ne suffisaient pas, des êtres de l'au-delà se présentaient aux
malades. Les voir signifiait qu'il fallait maintenant mourir. Aux
îles Marquises, c'était une vieille femme, la vahine haë qui sans
mots et sans gestes, commandait de mourir. La visite du ou des
vahine haë ne se répétait que pour marquer l'heure de la mort.
Ailleurs, à Tahiti, l'être surnaturel peut prendre l'aspect d'un
animal. Xavier Caillet, Lieutenant de Vaisseau en retraite et ancien
directeur des Affaires Indigènes, rapporte dans une lettre
manuscrite, la mort de Mano Vahine (4), cheffesse du district de
Tautira en août 1862. Assez tardivement donc, mais la permanence
du fait bien au-delà de la christianisation, montre combien était
enracinée au cœur des individus la divination. A la fin du mois
d'août 1862, Mano Vahine s'apprêtait à sortir d'une passe pour
rejoindre en pirogue son district de Tautira après un séjour chez la
Reine Pomare IV. Elle fût effrayée par un requin et s'en revint à
terre. Voulant sortir à nouveau, elle en fût empêchée par les assauts
répétés du requin. Troublée, elle s'en retourna "persuadée que ce
requin était celui de son ancêtre Fenuapeho" et qu'il lui annonçait
sa fin prochaine, pour aller mourir au milieu des siens. De fait,
rapporte Caillet, elle mourut brutalement très peu de temps après.
Mors certa ici aussi et à laquelle il convenait, pour en réussir le
moment, de se préparer. La mort venait des dieux, on pouvait
l'attendre.
bien
individuel
de gens
lors
Mourir était un acte important -comme il convenait de
venir au monde- mais plus grave encore. C'était un acte
mais si capital qu'il requérait la participation de beaucoup
et de choses. Un processus long et complexe s'ouvrait dès
qu'on savait qu'on
allait mourir.
La mort était d'autant
plus redoutable que nous avons vu
qu'elle pouvait surgir brutalement, par vagues massives, n'importe
où, loin de chez soi. Il convenait d'être armé pour faire face à la
mort et surtout pour bien réussir ce redoutable et unique passage.
11 convenait d'abord de se préparer à l'avance pour ne pas être
surpris. Ce qui était gênant, ce n'était pas tant de mourir ce qui
était accepté^que d'être surpris par la mort sans avoir eu le temps de
se préparer. En 1842, rapporte M. Radiguet, un Marquisien fût
(4) Caillet, 1891.
Société des
Études
Océaniennes
�22
condamné à être fussillé. Le jugement
Pakoko. Il semble surtout préoccupé de
prononcé est accepté par
l'heure de sa mort et de la
manière dont il sera exécuté. A l'heure de sa mort, il a eu le temps
de se préparer et accepte tout à fait cette mort qui pourtant lui est
donnée. S'il avait eu le temps de se préparer, le mourant voyait
s'approcher la mort avec un réel courage, sans crainte : il avait eu le
temps d'apprendre ce qu'il conviendrait de faire le moment venu.
Ici encore, comme depuis des millénaires "les voies d'accès vers un
futur meilleur au-delà de la mort sont la récompense d'une
connaissance" (5).
Chacun devait apprendre à mourir mais, le moment venu, les
proches étaient là
pour aider au passage. Et sans doute pas pour
masquer au mourant la réalité de sa mort prochaine. Radiguet
rapporte que "ceux qui l'environnent, loin de lui donner le change
état, lui répètent qu'il va bientôt mourir...". Et ceux-là qui
entourent le mourant, qui sont-ils ? Les
proches d'abord et cela
sur son
marque bien le caractère intime, individuel, accepté d'une mort qui
s'en remet pas -ou pas seulement- à des professionnels de la
ne
Bougainville en 1768 le remarque "Dans les maladies un peu
les proches parents se rassemblent chez le malade. Ils y
mangent et y couchent tant que le danger subsiste ; chacun le
soigne et le veille à son tour" (6).
Taha, la jeune fille de Radiguet est très préoccupée de
mort.
graves, tous
l'absence de sa famille dans son attente de la mort. "Les
canaques
m'ont portée jusqu'ici... ils ont voulu attendre... mais
est
venu
revenir
je n'avais plus
avec
ma
En certains
famille pouvait
peur
quand le jouide rester seule... bientôt ils vont
famille..." (7).
cas
-dans
ceux
au
moins des mourants dont la
s'apparenter au groupe : les chefs- le cercle des
assistants s'élargissait considérablement allant
jusqu'à intéresser
des foules nombreuses venant parfois de fort loin. C'était le cas aux
îles
Marquises, ce l'était aussi dans le Tahiti de la fin du XVIIle
siècle. A Tautira, en 1775, la lente agonie d'un chef Vehiatua attire
proches -déjà nombreux- auxquels se joignent successivement
sujets du district de Tautira puis ceux de districts éloignés de
plusieurs dizaines de kilomètres. Papeari-Hitiaa (8). La mort alors
intéressait tant de gens que les prêtres
participaient aussi à ce rite
d'accompagnement. Il ne semble pas que ce soit là un cas général
ses
ses
(5) Chaunu, 1976,
p.
55.
(6) Bougainville, 1771, p. 168.
(7) Radiguet, 1859, p. 189.
(8) Rodriguez, 1930, p. 113-114.
Société des
Études
Océaniennes
�23
mais plutôt un usage réservé aux hommes ou femmes importants.
Quoiqu'il en soit, la mort du chef Vehiatua -la seule pour laquelle
l'information soit sûre- est accompagnée de très nombreux prêtres.
Ceux-ci sont à sa maison, ou plus souvent occupés à s'assurer du
bon déroulement du passage à leurs marae. Là, ils sont plus
proches du monde de l'au-delà, plus efficaces qu'au cœur du
monde des vivants, dans ces lieux qui appartiennent déjà au pô.
Henry rapporte cependant "qu'en cas de maladie mortelle, le prêtre
-tahua- restait auprès du malade jusqu'à la fin" (9).
Ils étaient là pour accompagner le mourant, pour l'aider à
mourir. Peut-être aussi le presque mort participait déjà au monde
des morts, pas tout à fait ancêtre encore mais déjà autre que vivant.
Un tel statut conféré
au
mourant -un statut
intermédiaire
témoigne bien que le processus importait plus que le moment-.
Il n'empêche, le moment venait et l'assistance ne suffisait pas à
assurer le bon déroulement du
passage. Il convenait que les
instruments en soient prêts. C'est une pirogue que les Polynésiens
empruntaient dans leurs déplacements sur terre, c'est dans une
pirogue que morts ils accomplissaient leur dernier voyage. Plus que
la toilette qui ailleurs, en d'autres temps, fût l'instrument le plus
important, c'était ici la pirogue qui était indispensable. Les
mourants avaient peur qu'elle ne fût pas prête à temps et insistaient
pour l'avoir sous leurs yeux. Radiguet atteste que "ceux qui
environnent le mourant... préparent d'avance sous ses yeux le
"pahaa", la pirogue".
Eyriaud des Vergnes le confirme : "Lorsqu'un indigène sent
qu'il va mourir, il en prend philosophiquement son parti et fait
faire son cercueil qu'il veut voir avant de mourir" et plus loin :
"Pendant les épidémies de dysenterie, presque toutes les familles
avaient leurs pirogues préparées d'avance en cas d'accident" (10).
Le Père Mathias dans ses "Lettres sur les îles Marquises" en dit
autant :
"Dès
vivant,
prépare pour chacun, et sous ses yeux, en
vieux, le cercueil qui doit conserver ses
restes. C'est une superbe auge en bois, d'une seule pièce, et
refermée avec un couvercle également d'une seule pièce et fermant
hermétiquement. Est-elle achevée, on la dépose à la vue de tout le
monde, dans un des coins de la cabane, et si vous demandez ce que
c'est, on vous dira : C'est la bière de telle personne qui est présente,
toujours la plus âgée ou la plus malade... et personne ne paraît plus
son
on
commençant par les plus
(9) Henry, 1928,
p.
296.
(10) Eyriaud des Vergnes, 1877.
Société des
Études
Océaniennes
�24
la plus simple et la plus ordinaire... En effet,
mais il n'y a guère à s'y préparer aussi
je crois, que les trappistes et les sauvages des
ému que de la chose
elle est ordinaire ;
froidement,
Marquises".
Et Taha, la
jeune fille de Radiguet :
meïet de
pirogue... je ne sais combien de temps j'ai encore à
vivre, mais je veux avoir là ma pirogue" (11).
C'était là l'instrument central du passage et la fréquence avec
laquelle le fait est attesté en témoigne largement. Il y en avait
d'autres sur lesquels on ne sait presque rien. Les tambours
toutefois en étaient un -nous y reviendrons-. Le 10 mai 1775, lors
de l'agonie du chef Vehiatua, M. Rodriguez ne note "aucun
incident sauf le bruit des tambours toute la nuit".
"... tu
creuser
vas
aller chez Motua et lui dire de couper un
une
Ainsi préparé à la mort, entouré, comme porté vers elle le
abordait le dernier moment. C'est l'individu qui en était
mourant
l'ordonnateur, mais déjà sa mort
seraient demain ses funérailles.
lui échappait préfigurant ce que
Pour l'heure, pas encore tout à fait mort, le mourant présidait
dernière cérémonie. Tendus vers le dernier instant tout et tous
s'ordonnaient autour de ce corps que la vie allait quitter. Dans
cette tension extrême les forces mises en oeuvre pour accompagner
à
sa
opéraient un repli au plus proche du mourant pour
cérémonie du dernier instant. La maison en était le cercle
dont le mourant était le centre. Allongé ou adossé et jambes
le mourant
cette
abandonné. Le 6 août 1775, quand
agonise chez lui à Tautira, un autre chef vient chercher
Maximo Rodriguez et le presse de venir se joindre à la cérémonie.
C'est la nuit, confusion et agitation régnent, et pour parvenir
auprès de Vehiatua, Maximo Rodriguez se heurte aux femmes "qui
s'empilent les unes sur les autres" (12). La mère du mourant est là
qui le tient embrassé et l'enveloppe.
Ailleurs aux îles Marquises on s'agite aussi autour du
mourant, on lui "bouche le nez, les oreilles", on lui "serre les
lèvres", "en même temps on lui tire les cheveux et on lui gratte la
tête" (13). Le même vit une autre fois... "deux jeunes gens, de
chaque côté du lit, les bras entrelacés, et embrassant le défunt,
pleurer, hurler cinq ou six heures pire que des femmes" (14). Le
étendues, le mourant n'était pas
Vehiatua
(11) Radiguet, 1859, p. 191.
(12) Rodriguez, 1930, p. 118.
(13) Delmas, p. 113.
(14) Delmas, p. 114.
Société des
Études
Océaniennes
�25
lui-même se préoccupe d'être assisté dans ses
derniers moments. A Mangareva en 1868, une jeune
mourant
l'absence de sa famille, déclare au Père
tu sois là quand mon âme ira à Dieu".
agonisante
veux
que
en
tous
fille
Laval : "je
Henry (15), les embrassades, le contact
suffisent pas : "Lorsque le malade était à toute
extrémité,le prêtre qui se trouvait à son chevet lui attachait à tous
les doigts un uraiaeiae (amulette de plumes 'ura) pour éloigner les
mauvais esprits, et, prenant plusieurs fougères maire (Polypodium
pustulatum) il en faisait une sorte de chapeau conique appelé faremaire (maison de fougère maire) et le plaçait au-dessus de la tête du
malade pour lui donner de l'ombre. De cette façon l'âme pouvait
en sortant du crâne rentrer dans le fare-maire ce qui était dit-on, sa
manière habituelle de sortir. "Quoiqu'il en soit du caractère
incongru des interprétations de T. Henry, cela au moins marque
l'importance du contact physique des vivants et des presque-morts,
dont il importait de recueillir le principe de vie. T. Henry rapporte
que "lorsqu'un savant était prêt de mourir et voulait transmettre
ses connaissances à son fils, même si celui-ci était très jeune, il lui
disait : mon fils, reste près de moi et reçois mon dernier souffle
dans ta bouche pour que ma connaissance passe en toi. Et au
moment de mourir le fils appliquait ses lèvres sur celles de son père
et aspirait son dernier soupir" (16).
Le cercle de l'agonie s'étendait au-delà de celui du contact
physique avec le mourant. Il s'élargissait en un diminuando
émotionnel, masqué peut-être par un crescendo sonore.
A Tahiti rapporte
physique
ne
après le cercle de ceux qui agissaient au
cercle intermédiaire se pressait. C'étaient
des femmes surtout. "Pendant ce temps, les vieilles femmes et aussi
les autres, quand elles n'en peuvent plus, crient encore" (17). C'est
"par-dessus le tout, un tumulte et des cris indescriptibles" (18), et
pour le Père Mathias "un concert de voix, de hurlements, de
pleurs, qui s'élève de la maison ; on se presse, on s'étouffe autour
Immédiatement
contact du mourant, un
du pauvre
moribond qu'on achève de
faire mourir, en l'étouffant
tumulte et par
les parties du
lui-même, je ne dis pas trop ; car à force de cris et de
les frictions vigoureuses qu'on lui fait sur toutes
(15) Henry, 1928, p. 297.
(16) Cette relation a
principale de son film
Les Immémoriaux.
inspiré à Henri Hiro la scène
inspiré du célèbre roman de Segalen :
( 17) Delmas, p. 114.
(18) Rodriguez, 1930, p. 118.
Société des
Études
Océaniennes
produit par A2 et
�26
corps, et qui feraient mal même à une personne bien portante, on
l'aide à mourir ; ce n'est pas assez, car,
par je ne sais quelle
superstition, on tâche de l'étouffer réellement, en lui bouchant
toute issue à la respiration, et c'est le
plus proche parent, souvent
l'époux
ou l'épouse, qui commet cette espèce d'homicide" (19).
"On l'aide à mourir" en manifestant la présence du
groupe à
ses côtés et, par le bruit
que l'on fait à cristalliser toute l'attention
de la communauté sur ce passage vers
le pô. Pour autant on aurait
tort d'interpréter qu'il
y avait là la volonté d'instaurer un rempart celui des vivants- entre le presque
mort et le pô. Ces gestes, ces
bruits n'avaient pas pour but de retenir le mourant mais bien de lui
faciliter le passage en manifestant
auprès des dieux que les vivants
savaient bien que la vie sur terre n'était
qu'un pont entre la
naissance et la mort. On disait des agonisants
qu'ils attendaient
l'heure de la naissance -tiai poï- et, "on
croyait que les personnes
mouraient à l'heure du jour ou de la nuit où ils étaient nés"
Au
(20).
géographie volontaire, à l'heure de mourir
mourant. Il agissait encore en
exprimant ses dernières
Henry rapporte qu'elles étaient toujours fidèlement
cœur
de cette
demeurait le
volontés. T.
exécutées. Il convenait bien sûr de transmettre un ultime
message
que les vivants recueillaient à la bouche même du mourant. C'était
aussi pour s'assurer que la suite du
voyage serait convenablement
organisée par les vivants. A sa manière, romancée peut-être,
sensible sans doute, Radiguet le fait dire à Taha.
"-
Si, en effet tu mourais demain, où faudrait-il mettre ta
pirogue ? Parmi les arbres, suivant la coutume de ton pays, ou dans
la terre, comme on le fait pour
les Français ? demanda Teapo.
Au milieu du petit bois de la baie
d'Akapehi, répondit Taha.
Puis, après quelques minutes de réflexion :
Non, Teapo, je veux être mise au fond d'un trou dans le
moraï des français, parce qu'aussitôt
que vous aurez quitté le pays,
-
-
les canaques renverseront les moraïs de
vos femmes, s'ils les
bois, et jetteront les ossements à la mer, tandis
que peut-être ils n'iront pas les chercher sous terre" (21).
Et au tout dernier moment, elle
exige d'être placée dans sa
pirogue où elle attend en dormant la mort qui ne tarde pas. Ce que
dit Taha exprime sur le mode sensible ce
qui est rapporté par de
nombreux observateurs,
que le mourant attend la mort, calmement
trouvent dans les
(19) Père Muthias,
p.
115.
(20) Henry, 1928, p. 297.
(21) Radiguet, 1859, p. 198.
Société des
Études
Océaniennes
�27
(Henry à Tahiti, Caillot
Tuamotu, Laval
aux Gambier, les
Eyriaud des Vergnes ou
îles Marquises). Autour de lui le tumulte et le
aux
Pères missionnaires Delmas, Mathias et
Radiguet
aux
fait la manifestation de la cohésion et de la
croyance
s'amplifient et s'ils viennent à s'assourdir un instant, de
vacarme -en
du groupe-
fatigue ou de trop attendre "alors les cantatrices gourmandes les
jeunes femmes qui ne pleurent pas... pour reprendre aussitôt de
plus belle".
Ainsi préparée, l'heure arrivait où l'on mourait et il convient
s'interroger sur la définition de la mort clinique chez les
Polynésiens d'autrefois.
de
MORT
CLINIQUE
DEUX MOTS ÉTRANGERS
;
Se souvenir que la mort est intimement vécue comme un
passage est capital pour aborder cette question. On objectera que
c'est le cas dans l'Occident chrétien. Bien sûr mais sans doute
pas
aussi pleinement et intensément vécu. Sinon comment
expliquer
l'angoisse persistante d'être enterré vif qui "au XVIIle siècle et dans
la première moitié du XIXe siècle... a atteint... un
point d'acuité
paroxystique" (22), tandis qu'étaient mises en question les
tranquilles certitudes de la mort chrétienne. En Polynésie, à Tahiti
ou aux îles
Marquises n'existe aucune trace d'une telle crainte. Et
pourtant cet instant à partir duquel on n'est plus vivant, il
importait de le déterminer. Justement parce que le passage n'était
pas achevé et que pour le réussir, les vivants devaient maintenant
l'organiser.
11
importait donc qu'il fût défini et correctement défini. Ici
par ailleurs, mais pas pour les mêmes raisons. La définition
clinique de la mort n'a jamais été simple. En gros, même lorsqu'on
a dans l'Europe Moderne accepté comme
critère l'arrêt du cœur,
on a toujours
éprouvé le besoin d'y ajouter l'arrêt de la respiration,
la révulsion des yeux, le refroidissement... Et que dire d'aujour¬
d'hui où les débats les plus scientifiques se poursuivent sur le
thème. Les Polynésiens d'autrefois ne dérogeaient pas à cette règle.
Ce n'était pas un signe simple, univoque qui définissait la mort,
c'était une conjonction, un faisceau de signes.
Le plus remarquable et cela éclaire singulièrement sur la
différence de sens entre les deux mots français et polynésien était
qu'être mort se définissait par l'incapacité physique à adopter des
attitudes de vivant. Ce n'était pas la mort totale, médicale que nous
nous connaissons, c'était une mort plus purement physiologique.
comme
(22) Chaunu, 1976,
p.
39. Et
sans
doute au-delà du milieu du XIXe siècle jusqu'à
Société des
Études
Océaniennes
nos jours.
�28
Le but n'était pas tant de définir cliniquement une mort que
s'attacher à situer le mort dans le cours de son passage.
de
Dire
qu'il n'était plus vivant semble avoir résulté d'abord
efficace si l'on songe
l'absence de moyens
respiration était le
premier signe. C'est avec le dernier souffle que le mourant
manifestait une dernière fois sa présence au sein du monde des
vivants (Cf. ci-dessus) (23) ; c'est en bouchant la bouche du
mourant qu'on empêchait la vie de le quitter (24). Cette pratique
n'a pas manqué de surprendre un grand nombre d'observateurs qui
concluent souvent à la mort par asphyxie. Cela ne pouvait être.
Comprimer la bouche d'un mourant pouvait le retenir en vie peutêtre, sans doute pas le faire mourir ; c'étaient les dieux qui en
décidaient, comme ils avaient décidé de la maladie. Et il ne pouvait
donc exister de lien mécanique entre étouffer de fait un mourant et
le faire mourir. Au vrai, les observateurs de la première moitié du
d'une constatation simple, peut-être la seule
au bruit qui entourait le
corps gisant et à
d'auscultation performants. L'arrêt de la
XIXe siècle arrivaient tout imbus des nouvelles connaissances de la
prophylaxie, mot tout neuf alors (1793) (25). Fiers de cela, ils
pouvaient voir de semblables dispositions en Polynésie.
ne
De fait donc, ne
plus respirer, si cela ne pouvait causer la
signe qu'on n'était plus vivant. C'était le
premier signe. Il y en avait d'autres qui montraient à tous que le
corps qui était là ne pouvait plus agir comme un vivant. Lors de la
mort d'un chef marquisien à Nuku Hiva, Niehitu,
Radiguet assista
mort, était en tout les
à
une
cas
telle détermination de la mort
"... la
veuve se
leva et vint
se
:
placer devant le
corps ;
trois
ou
quatre jeunes filles l'environnèrent, et toutes, les bras tendus, les
mains frémissantes, se mirent à sauter en cadence, puis, ayant
essayé différentes attitudes qu'elles s'efforçaient de rendre lascives,
elles se penchèrent sur le cadavre. "Il n'a pas bougé... Il ne
bouge
pas... Hélas ! Hélas ! il n'est plus de ce monde !" dirent-elles. Cette
épreuve, où des séductions appréciées naguère ne purent triompher
de l'insensibilité de Niehitu, détermina chez la veuve une violente
crise de désespoir" (26).
La reconnaissance que la vie n'était plus là -absence de
respiration ou impossibilité d'agir en vivant-... (voire en bon
vivant !) était le fait des proches, parents ou enfants. Dire
qu'il était
(23) Henry, 1928.
(24) Delmas, 1927, p. 113.
(25) Dictionnaire Robert.
(26) Radiguet, 1859, p. 210.
Société des
Études
Océaniennes
�29
pouvait
domaine
mort, qu'il avait rejoint lepô en quittant le monde du aô ne
être que de la responsabilité de ceux qui avaient accès au
des dieux, les prêtres. Et comme la mort était passage,
cette
dépassait le court instant de la mort
détermination était étalée,
clinique qui à ce point de vue ne signifiait pas grand chose. Il
s'agissait alors de divination plus que de détermination mais cette
distinction n'avait pas le sens que nous lui accordons.
Devant le corps mort
commençait alors
une
longue séance
était
par les prêtres. Cette cérémonie du hauti-raa tupapau
minutieusement codifiée, parenthèse savante entre deux temps
présidée
manifestations collectives
de
:
prêtres demandaient d'abord à l'esprit de réintégrer le
puis après avoir demandé au corps de se réveiller (j'aaara
"Les
corps ;
tupapau) et ne voyant aucun signe de vie,
ils disaient "Ua unuhi te
atua" (l'esprit a été extrait par les dieux). Cette annonce
était suivie par une explosion de douleur parmi les parents et les
amis rassemblés..." (27). Au même moment, cela est rapporté par
de Bovis, Moerenhout, Henry, un prêtre, le tahu'a tutera se
te
varua e
en pirogue scrutant les airs pour
défunt. Son aspect révélait les causes de la
conditions du voyage.
déplaçait
y
observer l'âme du
mort et partant, les
Marquises, des tau'a spécialisés dits pae'a, des
plus souvent (28), habités des dieux, devinaient en
interrogeant le dieu sur les causes de la mort. Handy rencontra une
Aux îles
femmes
de
ces
le
praticiennes à Nuku Hiva au début des années 20 de notre
siècle.
présence de tous, marquait l'entrée
phase du passage. Alors les manifestations des
prenaient plus de relief encore. Ils étaient, maintenant, les
principaux d'un drame noué depuis longtemps.
La mort dite, reconnue, en
d'une nouvelle
vivants
acteurs
E. Vigneron
(27) Henry, 1928,
(28) Handy, 1925,
p.
p.
297.
265.
Société des
Études Océaniennes
�30
Pora-Pora, 6 février 1858
POMARE V
AU COMMANDANT COMMISSAIRE
IMPÉRIAL P.J.
Salut à vous,
Je
vous
fais connaître les affaires
le 29 décembre dernier. La discorde
qui sont
survenues
à Apora
lieu, et voici pourquoi cet
homme a saisi les maiorés, et a donné des coups à la femme du
propriétaire. Alors ceux qui ont eu les maiorés saisis, et la femme
a eu
battue sont allés trouver les Toohitus pour
faire juger les personnes
qui ont commis ce délit. Les Toohitus se sont réunis et ils sont
envoyé des constables, pour chercher les accusés afin qu'ils soient
amenés devant eux pour être jugés ; mais ceux-ci n'ont pas voulu
venir et les Toohitus ont renvoyé d'autres messagers mais ils ne
sont pas venus et la nuit est arrivée.
Le lendemain, les Toohitus se sont réunis de nouveau, et ils
dépêché d'eux d'entre eux pour aller chercher les accusés, mais
ceux-ci ne sont pas venus, alors les Toohitus sont allés tous, avec
les constables, pour les saisir et ils ont réussi à en saisir deux.
Quand ceux qui sont restés ont commencé la guerre, ont pris des
fusils, et construit un fort, et quand tout a été prêt, ils ont attendu
les Toohitus qui apportaient la loi pour faire juger les rebelles, dans
ont
le but de tirer dessus.
Le lendemain, le Roi a fait réunir les chefs des Toohitus, et
celui des raatiras, et alors le Roi a fait connaître sa parole, laquelle
parlait
pour
guerre,
il
ne
la paix, que son désir était qu'il ne voulait pas de
voulait pas qu'il y ait du monde de tué, et tout le
Société des
Études
Océaniennes
�31
consenti. Alors le Roi m'a demandé à moi, et àTamatoa,
avec chacun de nous pour porter ces paroles de paix
aux insurgés. Les quatre personnes désignées sont allées portant
des étoffes et quand ils sont arrivés devant les insurgés, ils leur ont
déclaré que le Roi leur pardonnait entièrement, et qu'il n'y aurait
rien après. Les insurgés ont répondu qu'ils consentaient mais qu'il
fallait attendre un peu, qu'ils avaient aussi à entendre l'avis des
autres de leur parti, et qu'alors ils donneraient une réponse
monde
a
deux hommes
positive, après ils ont demandé
que les Toohitus Faretahua et Ta
soient mis à bas et cassés de leurs fonctions de Toohitu ; mais les
messagers ont
répondu,
nous
n'avons rien à dire à
propos
de cela,
pour vous apporter les paroles de paix
seulement. On est fâché contre Faretahua et Ta parce que ce sont
nous
sommes
venus
qui veillent sur la loi, pour empêcher les gens de faire désordre,
qu'ils rendent compte au Roi de tout ce qui arrive. Le lendemain
de cela, les insurgés se sont tous réunis dans le fort qu'ils avaient
construit ; le Roi leur a envoyé un messager pour leur dire de venir,
eux
et
ils ont consenti en disant oui nous voulons bien aller avec vous,
mais nous allons porter nos armes avec nous ; les envoyés leur ont
ils ont consenti
Roi, qui leur a
donné un pardon entier leur promettant d'oublier toutes choses qui
pouvaient vexer, et de continuer à obéir à la loi et à l'Evangile, ce
qu'ils ont tous promis, ensuite ils sont venus saluer le Roi,
La guerre étant terminée comme cela, tout le monde est rentré chez
eux. Nous avons entendu dire beaucoup de choses, mais n'étant
pas sûr, je ne peux pas vous les faire connaître.
Nous sommes prêts à partir pour Raiatea, une fois là
j'attendrais que le bateau à vapeur soit arrivé à Tahiti, alors je vous
écrirai pour qu'on m'envoie prendre.
Ma fille me cause beaucoup d'inquiétude, parce qu'il arrive si
ne devaient pas porter leurs armes,
arrivés devant le Roi, ils se sont livrés au
répondu qu'ils
et étant
îles, c'est une des causes pour laquelle
je reste ici si longtemps. Voilà toute la parole, salut à vous.
souvent des
affaires dans
ces
Société des
Études
Océaniennes
�32
POISSONS RÉCIFAUX
ET
PÊCHE POLYNÉSIENNE
Sur les 25 000 espèces de poissons recensés de
par le monde,
loin de 2 200 espèces de poissons de coraux sont actuellement
inventoriés sur les récifs coralliens des Philippines, 1 700 en
Papouasie Nouvelle-Guinée, 1 500 en Australie, 1 000 en NouvelleCalédonie, 800 en Polynésie française et 250 dans le Golfe de
pas
Californie.
Ces 800
espèces de poissons
Polynésie française ne se
les archipels, toutes les îles
l'archipel des Marquises au Nord
et l'île de
Rapa au Sud, possèdent une faune endémique très
importante. De plus, les espèces qui colonisent un récif, ne sont pas
toutes visibles au même moment du
jour ou de la nuit, du mois, des
saisons, de l'année.
en
trouvent pas toutes présentes dans tous
ou tous les récifs. Par
exemple,
Cette variabilité du peuplement
ichtyologique, à la fois dans
l'espace et dans le temps, est bien connue du pêcheur polynésien
qui ne sort pas pêcher n'importe quelle espèce, à n'importe quel
endroit, à n'importe quel moment. Dans ce travail, nous allons
constater que la connaissance
empirique des Polynésiens peut très
souvent trouver des éléments
d'explications dans la biologie,
l'écologie ou le comportement des poissons récifaux.
/.
DISTRIBUTION VERTICALE DES POISSONS
Les poissons occupent la totalité de
l'espace représenté par
l'édifice récifal lui-même et par la masse d'eau environnante. Ils
vivent aussi bien dans les sédiments ou le réseau
qu'autour des formations construites
Société des
Études
ou
Océaniennes
en
cavitaire,
eau. La
pleine
�33
classification proposée
(Fig. 1), si elle permet une bonne
représentation de la distribution verticale des poissons sur le récif,
reste malgré tout
schématique car de nombreuses interactions
peuvent avoir lieu. Une même espèce peut passer d'une catégorie à
une autre, au cours de son
développement, de son cycle de
reproduction, d'un cycle temporel. Il est certain que les Polynésiens
connaissent cette répartition verticale des poissons. La
preuve ?
Demandez à un pêcheur s'il utilise la même
technique de pêche
(ligne avec ou sans plomb, avec ou sans plume, etc.), le même type
d'hameçon, la même longueur de crin pour pêcher les Avaava,
Atiatia, Apai, Patui, Paati, Paaihere, Mao.
DISTRIBUTION HORIZONTALE DES POISSONS
II.
Afin d'occuper au mieux tout l'espace qui leur est proposé et
malgré leur mobilité apparente, la plupart des poissons vivent dans
une zone bien précise du récif où ils colonisent un habitat bien
déterminé. La recherche d'une importante couverture en corail
vivant, est prépondérante dans cette colonisation de l'espace.
D'autres facteurs peuvent également intervenir comme la hauteur
de la colonne d'eau, les conditions hydrodynamiques, la topo¬
graphie du substrat, la diversité des habitats, le nombre d'abris
disponibles, la dégradation du milieu, etc.
Sur les récifs Nord-Ouest de Moorea, nous avons étudié la
distribution horizontale des poissons sur une distance de 1 020 m à
partir du rivage dont
: 250 m de récif frangeant, 100 m de
de récif barrière et 180 m de pente externe. Les 280
chenal,
espèces
de poissons inventoriés se sont organisées afin d'occuper l'espace
en quatre peuplements
principaux que nous définirons ainsi :
• le
peuplement du récif frangeant sableux
•
le peuplement lagonaire :
du récif frangeant interne
490
m
-
-
-
-
•
le
•
le
du chenal
du récif barrière à
du récif barrière à
zones
sableuses
pâtés dispersés
peuplement du front récifal
peuplement de la pente externe.
Les 280 espèces inventoriées
La richesse spécifique est la plus
appartiennent à 46 familles.
importante pour les Labridae
(Mara, Papae, Poou), les Pomacentridae (Atoti), les Chaetodontidae (Paraharaha), les Acanthuridae (Maito, Maroa, Manini,
Meha, Havari, Oturi, Parai, Tiamu, Api, Peretiti, Iriaeo, Urne), les
Apogonidae (Upaparu) et les Scaridae. En ce qui concerne les
espèces ubiquistes, seul l'Acanthuridae Ctenochaetus striatus
Société des
Études
Océaniennes
�34
ESPECES VIVANT EN RAPPORT AVEC LES
1/ Vivant dans
le
sédiment
â) ayant
b)
2/ Vivant à la surface du
sédiment
terrier
sans
a) posés
sur
s'enfouir
b) nageant
SEDIMENTS
(Oopu,...)
(Ophichthidae, Trichonotidae,'.
terrier
un
)
le fond ou pouvant légèrement
(Patii, Mooanae,...)
au-dessus
du
fond
(Vete, Atiatia,
Maene, Oeo,...)
ESPECES VIVANT EN RAPPORT AVEC LES FORMATIONS
3/ Vivant à l'intérieur
cavités
des
du
récif
a) cryptofaune
b) utilisant
sensu
les
CORALLIENNES
(Oiro,...)
stricto
cavités
comme
(Roi,
abris
temporaires
Nohu tarao, Nohu pua, Tataraihau,
Tarao,
Upaparu, Puhi, Iihi, Apai, Araoe, Mata,...)
4/ Vivant à la surface
a) posés
du récif
avec
sur
b) associés
5/ Nageant autour du récif
des
formations
construites récifales
ou
a)
le fond
ou
restant
en
étroit rapport
(Atoti, Patui, Mooanae,...)
à des invertébrés
(Atoti,...)
lui
à
proximité des formations
(Poou, Paraharaha, Pahora, Maito,
Atoti, Oiri, Huehue,...)
b) s'éloignant à plus de 2 ou 3 m du récif
restant
coralliennes
(Atoti, Paraharaha,...)
c) espèces nectobenthiques à grand rayon
(Urio, Toau, Parahirahi, Paparu,...)
ESPECES VIVANT TOUJOURS EN PLEINE EAU
a) vivant sous la surface
6/ Espèces périrécifales
b) occupant
toute
la
Ono, Tapete,...)
7/ Espèces pélagiques
Figure 1
—
*)
(Au, Aavere,...)
d'eau
(Paaihere,
colonne
(Raira, Toheveri, Nehu,...)
Distribution verticale des poissons
Société des
Études
sur
le
d'action
récif.
Océaniennes
�35
(Maito) occupe l'ensemble des stations étudiées alors que 5 autres
espèces apparaissent dans chacun des 7 groupes de stations :
Pseudupeneus multifasciatus (Atiatia), Chaetodon vagabundus
(Paraharaha), Stegastes nigricans (Atoti), Stethojulis interrupta
(Poou) et Acanthurus triostegus (Manini).
Le nombre d'espèces présentes dans les
peuplements augmente
progressivement de la plage (54 espèces) vers le chenal (121), puis
du chenal
récifal
vers
la pente externe. 11 est maximal
(160) et presque aussi élevé
sur
au niveau du front
la pente externe (156).
Si l'on se limite aux quatre
peuplements, nous arrivons à isoler
espèces caractéristiques des récifs étudiés. Les deux espèces
Stethojulis bandanensis (Poou) et Amblygobius decussatus (Atoti)
sont caractéristiques du récif
frangeant. L'Acanthuridae Acan¬
thurus nigricauda (Oturi), l'Ostraciontidae Ostracion cubicus
(Momoa afata), et le Tetraodontidae Canthigaster va/entini
(Huehue) ne se trouvent que dans le lagon. Les 5 espèces
Platybelone argala ( Auau), Crenimugil crenilabis (Tehu),
Kyphosus vaigiensis (Nanue), Cirripectes variolosus et Acanthurus
guttatus (Api) sont caractéristiques du front récifal alors que 19
espèces caractérisent la pente externe.
29
sont
Seules 5 familles, parmi celles comprenant plus de une
espèce,
restreintes à un habitat particulier. Les Belonidae, Kuhlidae
(Patia), Kyphosidae (Nannue) et Tripterygidae sont restreintes au
front récifal, alors que les Mugilidae sont circonscrits au récif
frangeant. D'autres familles montrent aussi une localisation
particulière sur la radiale. C'est ainsi que les Synodontidae
(Mooanae), Serranidae (Roi, Tarao), Lethrinidae (Maene, Oeo),
Pomacanthidae (Paraharaha), Siganidae (Marava), Ostraciontidae
(Momoa) et Tetraodontidae (Huehue) sont répartis partout sur la
radiale, sauf sur les zones frangeantes près de la plage, alors que les
Bothidae (Patii) ne colonisent pas la pente externe. Les Cirrhitidae
(Patui) et Sphyraenidae sont restreints au front récifal et à la pente
externe. Enfin les Aulostomidae (Tupou) ne se trouvent que dans
le lagon alors que les Blenniidae occupent le front récifal.
Parmi les familles bien représentées en nombre d'espèces, les
Muraenidae (Puhi) sont présents partout sauf dans la partie
sableuse du récif barrière. Les Holocentridae (Araoe, Iihi,
Apai)
colonisent les différentes zones du récif à l'exception du chenal
alors que
les Serranidae (Roi, Tarao) sont également absents de la
frangeante littorale. Si les Apogonidae (Upaparu), Chaetodontidae (Paraharaha), Pomacentridae (Atoti), Labridae,
Acanthuridae, Scaridae se répartissent sur toute la radiale,
certaines espèces à l'intérieur de chaque famille sont bien localisées.
zone
Société des
Études
Océaniennes
�36
exemple si les Paraharaha (Chaetodon citrinellus, Chaetodon
trifascialis, Chaetodon trifasciatus) et le Paraharaha ave (Heniochus acuminatus) ne se trouvent pas sur les pentes externes, en
revanche, seuls les Paraharaha (Chaetodon lunula, Chaetodon
citrinellus et Chaetodon vagabundus) colonisent la zone fran¬
geante littorale, ces derniers étant les seuls Chaetodons présents
dans le chenal. Chez les Pomacentridae (Atoti) Amphiprion
chrysopterus, Chromis iomelas et Chromis xanthura ne se trouvent
que sur les pentes externes. Pour les Labridae 7 espèces colonisent
la plage et le chenal, alors que 10 espèces sont absentes de la pente
externe. Les seuls Scaridae présents sur les zones frangeantes
littorales sont des formes juvéniles, alors que les adultes occupent
régulièrement les autres zones. C'est peut être chez les Acanthuridae que l'on trouve les distributions les plus tranchées.
Acanthurus nigricauda (Oturi) ne se trouve que dans le lagon,
Acanthurus aliala (Maito aero uouo), Acanthurus pyroferus
(Maito uteute), Naso wlamingi (Karava) se limitent à la pente
externe alors que Acanthurus guttatus (Api) se circonscrit au front
récifal. Dans cette famille, nous observons la seule espèce présente
dans toutes les stations, le Maito (Ctenochaetus striatus). Une
connaissance approfondie des exigences écologiques et trophiques
des espèces permettrait, peut être, d'expliquer les distributions
particulières de celles-ci.
Par
Cette distribution horizontale est parfaitement connue des
Polynésiens. En effet, elle a conduit ceux-ci à adapter des méthodes
de pêche différentes suivant les lieux prospectés du récif. Ils
utilisent ainsi les éperviers pour pêcher les Vete et Uma des bords
de plage, des lignes, des filets ou des Patia pour pêcher sur les récifs
frangeants les Iihi, Parai, Roi, Tarao, Puhi qui foisonnent, alors
que les récifs barrières peuvent être péchés par des moyens de
pêche beaucoup plus diversifiés (canne à pêche, filet, fusil, nasses,
etc...).
III.
DISTRIBUTION TEMPORELLE DES POISSONS
La notion de variation temporelle des peuplements de
poissons des récifs coralliens a surtout été étudiée selon l'alter¬
nance jour-nuit. Les seuls travaux s'intéressant à une échelle de
temps beaucoup plus importante ne concernent guère que l'étude
des problèmes particuliers comme le recrutement dans les récifs
naturels, le peuplement d'un récif artificiel, ou l'évolution dans le
temps des poissons à l'intérieur d'une seule famille.
Société des Etudes Océaniennes
�37
A/ Etude du cycle journalier
Les 80 espèces de poissons échantillonnés pendant 24 heures
trois peuplements : diurne, nocturne et
crépusculaire (Fig. 2). Nous constatons que la limite entre les deux
systèmes (diurne et nocturne) est beaucoup plus brutale en ce qui
concerne le nombre d'individus, puisque le changement s'opère à
l'intérieur d'une heure de temps entre 17 h et 18 h pour le
crépuscule et entre 5 et 6 h pour l'aurore, qu'en ce qui concerne le
nombre d'espèces (transition en deux heures). Ceci voudrait dire
que le remplacement du peuplement diurne par le peuplement
nocturne se ferait beaucoup plus souplement que la succession des
populations (dominance de quelques espèces). Ceci peut s'expli¬
quer par l'apparition des poissons carnivores nocturnes. Les
poissons zooplanctonophages (consommateurs de plancton
animal) nocturnes (Upaparu, Iihi) sortent immédiatement de leur
abri dès le soleil couché, afin de profiter au maximum de la
migration verticale du zooplancton, qui est plus importante le soir
que le matin. Nous notons le même comportement pour les carcinophages (consommateurs de crustacés) nocturnes (Apai, Araoe)
qui profitent de la migration crépusculaire des petits crabes qui
sortent des algues ou des coraux.
Si nous nous intéressons aux 8 espèces les plus abondantes de
cette étude, nous pouvons établir 3 cycles différents d'évolution au
peuvent se regrouper en
cours
du
nycthémère
:
*Les espèces Sargocentron microstoma (Araoe) et Apogon snyderi
(Upaparu) qui sont abondantes en début de nuit (de 18 à 21 h) afin
de
profiter
et de la
au
sortie
maximum de la migration verticale du zooplancton
crépusculaire de la faune carcinologique.
**Les espèces diurnes qui sont abondantes en début et en fin de
journée : Acanthurus triostegus (Manini), Scaruspsittacus (Paati)
et Mulloides flavolineatus (Vete). De jour, ces trois espèces vivent
en bancs qui présentent des domaines vitaux relativement
importants sur les récifs. Il faut voir en plongée, quel peut être le
comportement inquiet et agressif des espèces territoriales
(Stegastes "Atoti", Ctenochaetus "Maito"), lorsqu'elles voient
arriver un tel banc à même régime alimentaire, qui peut com¬
prendre jusqu'à 200 individus. Au crépuscule, ces espèces vivent
isolées à la recherche d'un abri pour la nuit, ou d'autres congénères
pour former le banc au petit matin. L'importance de ces trois
espèces, en début et en fin de journée, tient au fait que la probabi¬
lité de les observer est plus importante lorsqu'elles sont solitaires
que groupées en bancs.
Société des
Études
Océaniennes
�38
FIGURE
2
-
Evolution
nycthémérale de l'abondance et de
ichtyologiques du récif
les peuplements
Nord-Ouest de Moorea.
pour
la
richesse
barrière
spécifique
du
secteur
***Les espèces diurnes dont la répartition est relativement
homogène toute la journée : Ctenochaetus striatus (Maito),
Acanthurus nigrofuscus (Maaua) et Mulloides
vanicolensis
(Tauo). Les deux premières espèces sont beaucoup plus sédentaires
que la troisième. Leur répartition est homogène parce
que la taille
du transect étudié est
supérieure à celle de leur territoire. Pour le
Tauo qui est aussi une espèce
grégaire, soit la densité de population
générale est plus forte que pour le Vete (donc probabilité de
rencontre supérieure, avec le même
comportement), soit ce poisson
possède un comportement différent, avec un territoire vital
beaucoup plus petit.
Ce moment
crucial, à l'aurore et au crépuscule où s'opère le
changement de peuplement entre les espèces nocturnes et diurnes,
est parfaitement exploité
par les pêcheurs polynésiens. En effet,
pour pêcher certaines espèces (Iihi, Tarao, Roi, etc.) le moment le
plus propice est cette heure crépusculaire. Aussi nous observons au
lever du jour et à la tombée de la nuit, dans tous les
lagons poly¬
nésiens, un nombre très important de pirogues avec à leur bord un
Société des
Études
Océaniennes
�39
ou deux
pêcheurs péchant au crin, ancrées sur les massifs
coralliens. D'autre part, avec l'explosion de la vente des
phares
sous-marins fonctionnant sur batterie, les pêcheurs se livrent
maintenant, inconsciemment, à un véritable carnage des espèces
posées sur le fond, au repos pour la nuit.
B/ Etude du cycle mensuel
Nous avons programmé cette étude afin de vérifier si le cycle
lunaire avait une influence sur le peuplement des poissons du récif
barrière. La construction de ce programme de recherche a été
décidée à la suite d'une réflexion de notre ami pêcheur polynésien
Joseph Tamati : "Pourquoi vas-tu au lagon aujourd'hui, tu n'auras
pas de poissons". Les pêcheurs polynésiens suivent toujours de très
près le calendrier lunaire et ils connaissent parfaitement les jours
où il y aura du poisson et les jours sans.
Nous avons vérifié que l'abondance des poissons passe par un
maximum entre le dernier quartier et la nouvelle lune et par un
minimum entre le premier quartier et la pleine lune. Il nous faut
noter la grande similitude qui existe entre ce résultat obtenu et le
calendrier tahitien, quant au période de présence ou d'absence de
poissons dans le lagon (Fig. 3).
Nous pensons que
relié au facteur
ment
régulation de
ces
l'abondance du peuplement proie, directe¬
lumière, doit être l'un des facteurs de
évolutions lunaires et nycthémérale.
Les variations saisonnières font apparaître trois
d'évolution des différents peuplements. En général ces
périodes
périodes
correspondent, à la saison des pluies, à la saison sèche et à une
saison intermédiaire. Il est curieux de constater que ces périodes
sont d'autant plus tranchées que l'on passe du récif frangeant, au
récif barrière et à la pente externe. Pour le récif frangeant, ces
variations saisonnières sont dues à des variations pratiquement
synchrones de l'ensemble des populations. Pour la pente externe,
la variabilité globale est due essentiellement à de fortes variations
de quelques espèces seulement, qui sont pour la plupart des
zooplanctonophages. Cette variabilité temporelle peut également
s'expliquer par des flux migratoires trophiques ou de reproduction
entre le récif frangeant et le récif barrière. Il faut en effet savoir,
Société des
Études
Océaniennes
�40
Numér*
©
•
•
•
Tireo
Hirohiti
*
3
H oit»
+
4
Hami
+
5
Erotomi
6
Efaaotihami
7
Oraoratahi
8
Efaaotioraora
9
Tamataa
-
•
-
•
~
•
•
~
+
•
•
—
•
•
•
•
•
•
3
-
#
ft
•
c
c
o
ami
Ua hiti ta ava'a... ata i'a toa
Lune dévoilée... poisson
étalement
Ua rahi rii a ta ata nai
Lune souriante, te montre mieux. FoUeonntux
Ta itaahia mai
ra
Elle grandit. Poissonneux
0
roto tona
faarahiraa o'na iho
Elle grandit par le dedans. Poissonneux.
Langoustes
Fararairaa tarava i na tara ra
Lts deux cornes sont au diamètre. Poissonneux
Afaraa ava'a...
a po ia ora
te Quartier... pas de poisson
E po toarau
Nuit de
vent
du nord. Pas de poisson
Ua hiti ta to'au, taaa ta i'a
Rapu
G
12
Maharu
O
Nuit
13
Hua
O
Nuit de frai. Poissonneux
Maitu
Hotu
o
17
Turu
Q
o
18
Raauhoe
19
Raauroto
20
Raaufaaoti
21
o
o
o
3
Oreoretahipiti
+
22
Erotooreore
+
23
Efaaotiorepiti
•
—
24
Etahitaaroa
•
+
25
Erototaaroa
26
Ehaaotitaaroa
+
27
Tans
+
28
Roonui
(Tuhara)
Lune éclairant poisson au couchant
11
Marai
—
Ava'a api
Huna
14
maoao
Nouvelle Lune
10
16
-
•
•
ima
15
-
•
•
ami
—
-
Haamaramaramaraa
Lune
—
9
*
A va#
po
•
•
1
2
—
•
•
e ta mau
Nom des nuits
*
.
FIGURE
l'oa
Quan lit mt
Ua huna ta i'a
Le poisson
reste
invisible
Ua rapu te amari e te i'a lit» tahi tau
Ponte (a certaines époques) Pas de
poisson
noa)
E po i'a ore
non
poissonneuse
Ua horo te
i'a,
taeatu ai
Atiraa ava'e (ua horo te Ature)
Pleine Lune Iles femelles
fuient)
Po tano no te tanu i te maa
Excellente nuit pour planter Poissonneux
Ata i taahi i te ava'a, e
Ombre
Poissons
te
i'a
orbe
diminue.
Pas
de
poisson
tupa. Maoa
ete
crabes voisinent
et
E po poto, haere
Nuit
topai
comprimante,
Ua turu
courte.
Les
raa note
revenants
heva
rôdent
Ua pute mai te huero
Les
semences germent.
Pas de poisson
Ua hi'o mai te ohi api
Les germes
sortent
de
terre
Pas de poisson
Ohoparaa ava'e (po faatopa i'a)
Dernier Quartier /nuit
sans
poissons)
Ua puha mai te i'a
•
•
#
•
•
•
Le poisson
remonte
des profondeurs
E po i'a rahi roa
Nuit
extrêmement poissonneuse
E rui mo'a, faataahia no te atua
Nuit divine et sacrée. Pas de poisson
Manaonaoraa ia Taaroa
Pensée spéciale
Ua haere
au
atua
dieu Taaroa. Poissonneux
e te manao
ia Taaroa
ra
Pensée fuyant Taaroa. Pas de poisson
E po manuia i te mau maa rau
Nuit fructueuse en
beaucoup de choses /poissonneux)
Motu t» po (roomauri ma ta ao tirao ta
ahiahi)
Null cassée f/usqu'au
lendemain). Poissonneux
Calendrier lunaire tahitien indiquant
favorables pour aller à la pêche.
Présence
(+) ou absence de poissons
calendrier tahitien.
les jours
selon
Tracé de l'harmonique
les variations
le
d'ordre 1, représentant
journalières de l'abondance des
poissons
sur
les
Société des
récifs
Études
Nord
de
Océaniennes
MOOREA.
�41
beaucoup d'espèces du lagon, des récifs et du large, une
partie de leur vie doit obligatoirement se dérouler près des zones
frangeantes sableuses.
que pour
René Galzin
Centre de /'Environnement de Moorea, Antenne du Museum
et de l'EPHE en Polynésie française,
B.P. 1013 MOOREA
BIBLIOGRAPHIE
GALZIN R., 1985 - Ecologie des poissons tropicaux de Polynésie
ès Sciences, Montpellier : 195 p., 45 fig., 49 tabl.
française. Thèse
HARMEL1N-VIVIEN M., 1979
Ichtyofaune des récifs coralliens de Tuléar
Ecologie et relations trophiques.
Sciences, Marseille : 281 p., 35 fig., 171 tabl.
(Madagascar)
Thèse ès
:
RANDALL J., 1985
-
Fishes.
In G. RICHARD "Fauna and
Flora, a first compendium of French
Polynesia sea-dwellers". Proc..5th. Intern. Coral Reef Symp., Tahiti, Vol. 1 :
462-481.
Société des Etudes Océaniennes
�42
COMPTE-RENDU
SAURA Bruno
La communauté chinoise de
Polynésie Française
proche historique d'une minorité culturelle.
Mémoire de l'Institut d'Etudes
annexes,
:
Ap¬
Politiques d'Aix-En-Provence, 1985, 337
p.,
bibl.
Si l'on excepte l'ouvrage de G. Coppenrath "Les Chinois de Tahiti"
livre documentaire de l'association WEN FA,-paru en I979, aucune
étude détaillée n'avait été entreprise au sujet de la minorité chinoise en
et le
Polynésie Française, depuis près de vingt ans.
L'auteur s'est efforcé, à partir de documents anciens figurant au
Service des Archives Territoriales de Papeete, de retracer l'évolution
historique de l'implantation chinoise en Océanie Française, ainsi que de
l'organisation de cette minorité en communauté structurée ; en outre, il a
voulu faire le bilan des transformations internes
communauté
survenues au
sein de
cette
depuis les deux dernières décennies.
11 distingue dans son travail trois grandes
périodes chronologiques,
qui sont autant de phases dynamiques correspondant à un moment de
l'évolution sociale de
cette
minorité chinoise.
Ainsi, la première période allant de 1865 à 1929, celle de l'installa¬
tion, se caractérise à la fois par l'arrivée progressive d'immigrants
asiatiques, et par la marginalité de cette population, qui pose aux
autorités françaises des problèmes liés à la sécurité, la salubrité, la
délinquance ou au trafic de l'opium qu'elle ne tarde pas à organiser.
Sur le plan économique, c'est une
période de mutation puisque les
coolies chinois
se transforment
rapidement en petits' négociants
prospères, et bientôt indispensables à la colonie... ce qui ne manque pas
de susciter la jalousie et la haine des colons installés dans les E.F.O.
A
partir des années 1930, la communauté chinoise, définitivement
implantée à Tahiti et dans les îles, va multiplier ses structures internes et
Société des
Études
Océaniennes
�43
manifester
un
grand dynamisme dans la promotion d'associations
préserver sa culture ancestrale.
et
d'écoles visant à
La
période allant de 1930 à 1964
est
également celle de la lutte
pour
l'obtention de la nationalité française, en dépit d'une grande influence des
problèmes purement chinois au sein de cette communauté.
Enfin, l'année 1964 marque le début d'une
reconnaissance de la Chine Populaire par la
mouvement
ère nouvelle, puisque la
métropole précipite le
d'acquisition de la nationalité française, déjà ébauché.
A
ce phénomène s'ajoute le
processus d'occidentalisation accrue de la
Polynésie Française, lié au développement d'infrastructures touristiques,
à l'arrivée du C.E.P. et à la multiplication des
échanges avec l'extérieur.
A la
phase d'installation (1865 - 1929), et à celle de structuration
1964), succède donc la phase d'intégration ( 1964 à nos jours), mais
l'auteur estime qu'il s'agit d'une intégration à une nouvelle
Polynésie :
l'intégration juridique se fait par l'obtention de la nationalité française,
l'intégration économique se poursuit dans le cadre de circuits de
distribution liés au modernisme, l'intégration culturelle s'effectuant
par
rapport aux valeurs occidentales, et non aux valeurs locales (mà'ohi).
Singulièrement, on assiste à un renouveau culturel chinois, depuis 1974,
qui prouve que l'assimilation à l'occident n'est pas totale.
Quant à la volonté de nombreux membres influents de la minorité
chinoise d'affirmer l'existence d'une identité polynésienne pluriethnique
et pluri-culturelle, elle est
analysée ici comme une manœuvre visant à
faire oublier que français, demis et chinois sont unis dans leur croyance en
l'occidentalisation (moyen du développement économique du territoire),
tout autant que dans leur distanciation accrue vis-à-vis du monde mà'ohi.
( 1929
-
La fin de
ce
travail déborde donc le cadre de la minorité chinoise
ouvrir le champ à la discussion et à la réflexion
culturels de la Polynésie Française.
pour
sur
les problèmes
ROSSILLE Richard
Le Kava aux îles Wallis et Futuna : usage symbolique
cérémonial des origines à nos jours.
Université de Toulouse, VIII, 268 p., ill., portr., cartes, 29 cm.
Disons le d'abord
et
tout de suite, pour ceux qui pourraient ignorer le
qu'il s'agit là d'une plante - Piper methysticum, une
espèce de poivrier, commune aux îles Marquises, aux Havaii et aux îles
Wallis et Futuna avec laquelle on fabrique une boisson excitante. Nous
sommes en présence d'une thèse de doctorat. Curieusement l'auteur, un
toulousain, n'a jamais mis les pieds dans ces deux petites îles, découvertes
par l'anglais Wallis en 1767 et converties au christianisme par Mgr P.
Bataillon et son compagnon le Père Chanel qui y sera martyrisé. La
sens
du terme Kava,
-
Société des
Études
Océaniennes
�44
France
exerce son
Richard Rossille
protectorat sur ces îles depuis une centaine d'années.
connaît donc son sujet que par la littérature et les
ne
nombreux auteurs -il
donne la liste- consultés
ou interrogés par
lui.
le soin mis à son information et l'esprit
critique qu'il possède, au regard qu'il porte sur ses sources, l'absence de
connaissance directe ne nuit en rien à la parfaite présentation de cette
Finalement
on
en
constate que, vu
étude.
La
cérémonie, décrite par les hollandais Le Maire et Schouten, loijs
d'exploration commerciale en 1616 signalée également
par Cook, Mariner Martin et Dumont d'Urville s'est, dans ses grandes
lignes, perpétuée telle quelle jusqu'à la fin du siècle dernier.
de leur voyage
,
Retranchée dans
ces
politique et économique
Mission de Wallis
et
îles
F'utuna
pénétration commerciale
minuscules, bénéficiant de l'isolement
grandes terres voisines, la
par rapport aux
ou
a
eu
raison de toutes les tentatives de
administrative.
Mgr Bataillon en 35 ans de pouvoir presqu'absolu a laissé sur les îles
indélébile. C'était un homme de tête. Le Père Chanel, qui
était curieusement son supérieur hiérarchique étant provicaire
aposto¬
lique, était lui un homme de cœur, toujours prêt à secourir son prochain.
11 ne devra sa mort, en février 1841 qu'au fait
que Niuliki vit d'un mauvais
œil son fils se préparer au baptême.
une
marque
Aux temps
paiens la cérémonie du Kava était la réunion d'un groupe
et recueilli pour offrir à leur dieu une coupe élevée à
bout de bras. La racine de Kava est plus ou moins grosse. Elle pèse en
moyenne de 1 à 2 kgs ; mais peut attendre 10 kgs et plus. 11 faut deux à
trois ans pour récolter le pied. En se desséchant, elle perd 55% d'eau,
devient légère et prend une coloration jaunâtre.
silencieux, attentif
Le Kava était utilisé
symboliquement dans la religion ancienne. 11
mastiqué par des jeunes filles encore vierges ; coutume
tombée en désuétude aujourd'hui. On prêtait serment par le Kava, comme
on jure par l'Évangile.
Le Kava jouait un rôle dans l'intronisation d'un
nouveau roi à Wallis : les
places occupées par les participants étant le
signe du rang tenu dans la hiérarchie sociale.
Préparé dans une coupe en bois, munie de quatre pieds, le breuvage
était ensuite filtré avec une étoupe de fau, sorte de "faubert" utilisé pour
décanter le breuvage en séparant les parcelles de la racine du liquide.
L'opérateur faisait tournoyer le faubert au-dessus de sa tête en le claquant
pour bien évacuer toutes les parcelles de Kava ; des gouttelettes de liquide
était
souvent
tombaient sur les assistants, seul moment de détente au cours de la
cérémonie. Le Kava est alors à point. On bat des mains. Il est prêt pour la
distribution. Il a une apparence jaune-verdâtre, un peu
trouble,ressemble
l'expression de Mrg Bataillon "à l'eau d'un torrent troublée par une
abondante pluie". Le maître de cérémonie, au nom du roi, dans un silence
général répartit les coupes -des demies noix de coco brunies au feu- à tous
les assistants selon l'ordre de préséance des convives. Le tout dans une
langue et des gestes cérémonials : il faut renvoyer la coupe vidée en la
selon
Société des
Études
Océaniennes
�45
faisant tournoyer sur elle même... le chef,
qui fait office de maître de
excellente mémoire, sans quoi il y aura des
récriminations à la fin de l'opération et il lui faudra présenter des excuses.
La distribution dure fort longtemps, et paraîtra "interminable" aux
Européens qui y assistent au cours du XIXe siècle. Les coupes utilisées
pour le Kava prennent une "patine d'un reflet argenté". Le goût de la
boisson diffère selon les interlocuteurs : "goût poivré"..., "fort amer"...,
cérémonie, doit avoir
une
"sensation de douce chaleur"...
"je préfère le Kava au thé anglais"...,
"fade, jus de réglisse astringent, légèrement anesthésique aux mu¬
queuses", "saveur légèrement amère et épicée", "du bois de réglisse, avec
un arrière goût du poivre", "sciure du bois parfumée"...
On voit que les
avis sont discordants.
L'usage modéré du Kava semble avoir un effet tonique sur l'appareil
digestif ; l'ingestion d'une coupe de Kava donne de l'appétit avant le repas
et aide à la digestion après manger. Son abus amène un état marqué de
moindre résistance.
Le Kava était utilisé pour la guérison de certaines maladies locales ou
introduites par les Européens : blennorragie, rhumatisme, bronchite.
D'où un certain commerce. En 1880 une maison allemande en expédie
30.000 livres en 18 mois.
L'auteur donne
en
terminant
en 1961
l'image d'une très remarquable pierre à
Kava découverte à Wallis
mètres, elle
destinés à
a
; haute d'un mètre, d'un diamètre de 2
des cupules servant de bol à Kava, et des emplacements
aiguiser les pierres de hache.
Patrick
O'Reilly
M-S. VILLAR
"Le Bassin
Pacifique, la Polynésie et le Port Autonome de
Papeete".
Réalités, Avenir et Développement. -Mémoire de 3ème cycle-, 78 p., bibl.,
tabl. (Disponible au Centre "Transport et Distribution" - CNRS, 27 rue Paul
Bert.
92204 Ivry/Seine).
-
analyse l'activité maritime interinsulaire et internationale de
Polynésie, pour ensuite déboucher sur un concept plus large : celui du
Bassin du Pacifique, pris comme un ensemble économique en expansion.
En se basant sur des données économiques et géographiques, mais princi¬
palement géopolitiques, l'auteur fait état des divers scénarios pouvant
donner au Territoire, un rôle prééminent en matière d'économie des
transports et de distribution.
L'auteur
la
La clé de cet
-
essor
maritime est constitué de deux éléments
:
effort
diplomatique : la Polynésie doit continuer à se "situer" par
rapport à ses voisins océaniens, et par rapport au projet de commu¬
un
nauté de Nakasone ;
-
un
effort
l'O.M.I.
juridique : la participation du Territoire aux travaux de
(organisation maritime internationale) apporterait à sa
Société des
Études
Océaniennes
�46
politique maritime, une crédibilité économique et technique supérieure.
L'atout maritime du Territoire est ici analysé comme le secteur
essentiel, le secteur sous-tendant tous les autres secteurs de l'activité
économique. L'auteur conclut que la Polynésie ne pourrait économi¬
quement se situer par rapport à ses voisins du Pacifique, si elle n'assied
pas sa prééminence économique sur des bases maritimes.
Anne
LAVONDÈS
Culture et identité nationale en Polynésie.
Cah. ORSTOM, ser. Sci. Hum, vol. XXI, n° 1 - 1985, pp.
137-150.
A l'unité culturelle de chaque archipel de la Polynésie orientale, s'op¬
posait un système politique qui privilégiait la diversité et la division des
pouvoirs, en tendant à exclure la formation d'une nation par un ou
plusieurs groupes. Ce n'est qu'après l'arrivée des Européens, et à cause des
changements profonds subis par les sociétés polynésiennes, qu'un Etat a
pu se constituer aux îles de la Société, dans la première moitié du XIXe
siècle. L'identité individuelle, culturelle, nationale des Polynésiens s'est
construite par référence au regard des autres, les étrangers, en s'adaptant,
parfois dramatiquement, aux mutations provoquées par les événements
historiques. Pendant 2 siècles, les Occidentaux ont été les dépositaires et
les gardiens d'une partie du patrimoine culturel des Polynésiens, avec tout
ce que cette mission conservatoire comportait comme lacunes, erreurs et
incompréhensions dans le recueil et la transmission des connaissances.
Mais dès que la Polynésie Française a pu acquérir un statut d'autonomie
interne après plus d'un siècle de colonisation, la culture est devenue le
premier domaine d'activités géré par des élus locaux. Actuellement, les
Polynésiens recherchent ce qu'est véritablement leur culture et comment
concilier leurs divers héritages culturels.
Mai-Arii CADOUSTEAU
Les
prénoms tahitiens
Illustrations G. Renard.
22
-
-
Puta i'oa Tahiti.
Les Editions du Pacifique. Papeete
1985, 88 p.,
cm.
Fort
agréable présentation d'un petit
dictionnaire de prénoms
tahitiens.
passé il n'existait pas de nom patronymique et le nom donné
prenait une importance capitale, car il permettait à son
porteur de faire reconnaître ses titres de propriété ; dans les familles de
chefs, il était suivi du nom du marae. Il est, sinon néfaste, du moins de
mauvais ton de choisir un nom historique, qui reste la propriété des
familles aristocratiques. Beaucoup de prénoms peuvent être attribués
aussi bien à un garçon qu'à une fille.
Moe : Te-moe-o-te-ra-uri : le sommeil du soleil assombri (m, ou 0Dans le
à la naissance
Moana
:
prince voyageant en mer la nuit :
Arii-tere-moana-i-te-po
(m)
Société des
Études
Océaniennes
�47
Mai-Arii CADOUSTEAU & Anisson DU PEYRON
Initiation à la langue tahitienne.
Editions du Pacifique, Papeete 1985, 105 p., 20 cms.
La présente méthode se propose d'apprendre la construction de la
phrase tahitienne au néophyte, tout en lui faisant acquérir un vocabulaire
de base (35 pages).
où
Ouvrage élémentaire qui rendra bien service aux débutants, à l'heure
l'enseignement du tahitien se développe.
Philippe COURAUD
Origines et transformations de l'Agriculture en Polynésie
Française. Analyse économique du secteur agricole.
Thèse de Docteur Ingénieur en Agro-économie soutenue le 10 décembre
1985 à l'Institut National Agronomique, Paris-Grignon. 220 p., ill. de
Igor Hossein.
Cette thèse, qui débouche sur un diagnostic de l'agriculture en
Polynésie Française étudie successivement le système agraire dans le
contexte général historique, économique et social du Territoire. L'étude
des transformations du secteur agricole au fur et à mesure de l'évolution
économique, observée à partir du système originel pré-européen, est
utilisée pour comprendre la logique du fonctionnement et de la
reproduction des systèmes de production agricoles en relation avec leur
environnement.
origines de l'agriculture polynésienne se situent en Asie du Sudle centre primaire d'origine du domaine Malayo-Océanien.
L'évolution des espèces cultivées et des techniques de culture qui se
déroule durant tout le processus migratoire en relation avec le système
socio-culturel polynésien originel permet, vers la fin du XVIlIème
siècle, le fonctionnement d'une société dont les caractéristiques
Les
Est dans
essentielles sont
:
population élevée de l'ordre de 80 à 100 habitants par
supportée par la pêche et une agriculture au niveau de
productivité calorique, par unité de surface, comparable à celui des
systèmes céréaliens d'aujourd'hui pour une part d'agriculteurs évaluée à
20
25 % de la population active sur île haute.
•
une
densité de
kilomètre carré
-
un système social comportant une large gamme de statuts fortement
hiérarchisés qui se réflète dans le prélèvement et l'utilisation de la force de
travail et des surplus vivriers importants produits par la collectivité en vue
d'accroître le prestige du chef qui s'exprime simultanément par les
•
grandes réalisations collectives (fêtes, marae,
gement, guerres) et par la redistribution des
travaux collectifs ou lors des pénuries.
Société des
pirogues, travaux d'aména¬
surplus effectuée lors de ces
Études Océaniennes
�48
un régime foncier
qui constitue la base de l'organisation sociale,
puisque c'est l'affirmation et la reconnaissance du droit d'un individu à
contrôler le surplus produit par un territoire qui
permet d'exercer un
véritable pouvoir sur sa population. Ce droit essentiel est
garanti par
l'appartenance à un lignage aristocratique capable par sa généalogie, de
justifier sa position sociale dominante au sein de la collectivité. Les règles
de transmission des droits fonciers d'une génération à l'autre
visent à
préserver ou à augmenter par une alliance matrimoniale le pouvoir du
groupe familial en en confiant l'exercice à un unique représentant.
L'intérêt des lignées résidentes du
groupe familial est prioritaire sur celui
•
de l'individu.
Ainsi, le pouvoir
religieux, qui institue
classes aristocratiques,
du prélèvement, et de
et le statut social sont
légitimés
par
le système
la primauté des branches aînées constituées en
et sont médiatisés par le contrôle de la production,
la redistribution des surplus.
A partir de la fin du XVlllème siècle, l'ouverture du
système
capitalise mondial et les modifications de la propriété foncière qui lui sont
liés vont influer en profondeur sur la société et son économie.
Quatre éléments sont déterminants de l'évolution constatée :
•
le souci permanent
de l'administration coloniale de mettre en place une
agro-exportatrice en favorisant les transferts fonciers au profit
des colons Européens.
•
l'enregistrement obligatoire des droits de propriété tels qu'ils existaient
au milieu du XIXème
siècle, après trois générations d'exercice du pouvoir
par la famille Pomare, dans un territoire vidé des quatre cinquième de sa
population suite aux épidémies et aux troubles sociaux et politiques
provoquées par l'arrivée des Européens ; ce processus reproduit, dans le
cadre juridique du Code Civil, la structure de la
propriété coutumière
composée de grandes unités foncières contrôlées par la classe aristocra¬
tique dirigeante, et de petites parcelles exploitées par le reste de la
population, pour satisfaire ses besoins vivriers.
• la
présence d'un groupe de personnes désirant asseoir son statut social
par un pouvoir économique fondé sur l'exploitation d'importants
domaines fonciers ; ce groupe d'origine
européenne ou américaine se
métisse généralement à la génération suivante, de
préférence avec les
éléments féminins des familles de l'aristocratie
polynésienne, qui trouve là
un moyen de
reproduire son statut social dans un nouveau système de
économie
valeurs.
la
monétarisation croissante de l'économie, qui incite une
partie des
propriétaires polynésiens à la commercialisation de leurs droits fonciers.
•
Vers les années 1930, la structure foncière et
composée de grandes
propriétés essentiellement européennes et "demis" réalisées par des
transferts à caractère commercial et de
propriétés polynésiennes tradi¬
tionnelles collectives exercées par les
groupes familiaux. Le maintien de la
propriété collective du sol dans le cadre du code civil constitue une forme
de résistance culturelle à la monétarisation de la société ;
ainsi la primauté
Société des
Études
Océaniennes
�49
du groupe
familial
sur
l'individu
se
situe dans le prolongement de la
lignagère de la société polynésienne pré-européenne.
Au niveau économique, c'est à la fin du XIXème siècle
que se met en
place une agriculture commerciale tournée vers les marchés d'expor¬
structure
tation.
Sur les grands domaines, ces cultures commerciales
répondent à une
stratégie d'accumulation du capital menée au profit d'une bourgeoisie
terrienne en cours de constitution. Sur les petites
exploitations poly¬
nésiennes constituées au sein des unités foncières indivises, ces cultures
visent à satisfaire les besoins monétaires minimum dans le cadre d'une
agriculture de subsistance. Environ 45 000 ha de cocotiers sont implantés
entre 1890 et 1930. Les exportations
de vanille oscillent jusqu'au début
des années 60 autour de 150 tonnes par an et
égalent;les bonnes années,les
revenus procurés par le coprah. La
production de café, qui constitue un
complément du coprah lorsque les cours sont à la baisse à partir de 1936,
reste secondaire par rapport aux deux autres
principales spéculations.
Comme à la période pré-européenne, statut social et
pouvoir
économique proviennent du contrôle des surplus tirés de l'exploitation
d'un domaine foncier. Toutefois, celui-ci a lieu désormais dans le cadre du
système capitaliste mondial qui institue les rapports monétaires comme
élément déterminant des rapports sociaux. Mais la persistance
de la
propriété foncière, polynésienne et demie, supportant une agriculture qui
constitue alors l'essentiel des ressources économiques du Territoire
permet la reproduction des comportements culturels dans l'écosystème et
préserve l'identité du tissu social polynésien.
A partir du début des années 1960, la
Polynésie Française vit sous
l'influence de la rente économique résultant de son rôle stratégique au
sein du système de défense nucléaire français. L'appel considérable de
main-d'œuvre locale et la hausse importante des salaires qui en résulte,
provoque le déclin des activités agricoles traditionnelles tandis que se
développe un marché local de produits frais à haut niveau de prix vers
lequel s'oriente une partie des producteurs. A partir de 1967, il devient
nécessaire de soutenir le prix du coprah, principale production des
archipels, afin de permettre le maintien d'une activité rémunératrice.
Aujourd'hui cette aide concerne encore près de 60 % des exploitations,
soit 2 200 environ, dont 95 % sont situés au dehors des Iles du Vent.
En
1957, les exportations agricoles représentaient 48 % des
devises du Territoire contre à peine plus de 1 % aujourd'hui.
ressources en
En
1962, 14 350 actifs étaient recensés dans le secteur de l'agriculture
pêche et de la forêt contre 8 043 en 1983 (7 500 en 1977). Enfin, en
1984 l'agriculture ne représente plus que 4 % du produit intérieur brut
contre 40 % en 1960.
de la
La recherche d'une
indépendance économique plus grande vis-à-vis
métropole exige, parmi d'autres priorités, qu'une politique de
développement agricole soit activement menée. Il semble qu'aujourd'hui,
de
la
Société des
Études
Océaniennes
�50
les conditions
économiques soient réunies pour la réussite de cette
politique. Au-delà des aspects purement techniques liés à la recherche des
marchés accessibles et à la mise en place des filières correspondantes; les
actions entreprises doivent s'adresser aux exploitations agricoles
traditionnelles qui représentent environ 85 % du total des exploitations et,
pour ce faire il est nécessaire de bien comprendre la logique du fonction¬
nement économique de ces exploitations.
Elles sont caractérisées par :
•
•
l'absence de tout
capital d'exploitation ;
l'exploitation d'une terre familiale indivise
familiale
•
la
par
la main-d'œuvre
;
présence d'une
ou
deux cultures de rentes et de cultures vivrières
autoconsommées ;
•
l'existence de
revenus
monétaires
d'origine
non
agricole
au
sein du
ménage.
Leur fonctionnement typique répond globalement à une logique
d'entretien qui vise à satisfaire les besoins monétaires minimum avec le
minimum de travail. Mais, plus l'exploitation est proche de Tahiti, plus
les modèles de consommation sont dépendants du système économique
mondial et plus les besoins monétaires sont élevés. C'est l'augmentation
du niveau des besoins monétaires devant être satisfaits par l'activité
agricole qui aboutit progressivement soit au changement d'activité, si
l'environnement économique le permet, soit à un fonctionnement dominé
par la logique marchande. L'activité agricole s'oriente alors vers la
rémunération des deux principaux facteurs limitants, terre et capital.
Toute politique agricole menée par le territoire doit permettre l'évolution
de ces exploitations et leur maintien dans le paysage économique au
moindre coût pour la collectivité (mesures spécifiques d'aide à l'investis¬
sement, mesures visant à faciliter l'accès aux circuits de commercialisa¬
tion, et à plus long terme, aménagement de l'indivision).
Par rapport à cette nécessité à caractère social rencontrée très
fréquemment en matière de politique agricole, la Polynésie Française
dispose de deux atouts importants : d'une part, la persistance du système
vivrier traditionnel sur île haute peu coûteux en main-d'œuvre et très
productif qui permet de conserver un degré d'autosubsistance sur l'exploi¬
tation, donc d'éviter les situations de crise profonde, et d'autre part, la
présence d'un marché local à haut niveau de prix dont il faut actuellement
profiter pour réaliser les adaptations nécessaires.
Mais un des problèmes majeurs du développement agricole, pour les
années à venir concerne la mise en place d'un nouveau régime foncier qui
permette simultanément de préserver la propriété foncière de type
familial, garante de la reproduction de l'identité sociale polynésienne sur
plusieurs générations, et d'exploiter les ressources foncières dans une
économie dominée par le système capitaliste mondial.
Société des
Études
Océaniennes
�51
A la
phase de déclin enregistré, durant ces 25 dernières années doit
une phase de développement fondée sur la
conquête de
nouveaux
marchés et l'adaptation des structures de production aux
réalités économiques de la Polynésie Française. Ceci nécessite un soutien
public important au secteur agricole durant encore de nombreuses années
qui lui permettra en retour de participer à moyen terme à la satisfaction
de l'objectif d'indépendance économique.
succéder
VIGNERON E.
Recherches
sur
l'histoire des attitudes devant la mort
en
Polynésie Française.
These 3eme
cycle
-
Toulouse 1985. Ecole des Hautes Etudes
en
Sciences
Sociales. 600 p., roneo.
La
particularité et le relief des attitudes devant la mort en PF, n'ont
manqué de surprendre les voyageurs qui se succédèrent dans les Mers
du Sud, depuis la fin du 18ème siècle, avant même qu'ils ne soient frappés
par le massacre démographique subi par les archipels de Polynésie
Orientale. L'histoire des hommes devant la mort suscite depuis une
dizaine d'années, un intérêt évident, qui va bien au delà d'un simple
engouement passager - particulièrement en Europe.
pas
Autour de la mort.
Lors de la découverte de la
Polynésie par les Européens, la mort
place de premier plan dans la production écrite. Cette
dernière est pour l'essentiel, le fait de marins et militaires, habitués à
côtoyer la mort qui ne les surprend pas. Ces auteurs observent, dessinent,
consignent. L'importance de la mort dans leurs récits est l'expression
d'une réalité qui s'impose à eux : la mort est au cœur de la société
polynésienne, de même que l'amour, qui seul sera plus tard retenu,
exploité, développé au delà de toute réalité. La mort, elle, sera oubliée
dans la création du mythe. Mais sous ce vernis, sous cette tradition qui
n'est qu'un décor rapidement monté au I9ème siècle, la présence
occupe une
obsédante de la
siècle, est
mort refait
vite surface. La deuxième moitié du I9ème
la mort, dans la littérature, une rémission. L'effacement de
la mort, se trouve remis en question par l'ampleur du drame démo¬
graphique : la Polynésie se meurt, et les auteurs se penchent à son chevet.
Plus tard, alors que la reprise démographique est amorcée, la mort
demeure un thème d'élection. Il traduit plus, alors, l'angoisse des auteurs
que la réalité. Tardivement les Européens partent à la recherche d'une
mort que dans le même temps, ils entreprennent d'exclure de leur
territoire. Ce n'est qu'au cours des années 50, que la mort s'efface quand
la Polynésie bascule dans le monde contemporain.
pour
L'auteur définit à
grands traits les données de base du modèle
préeuropéen de la mort. On en retire l'impression d'une grande diversité :
variété des causes de la mortalité, disparité des conditions des vivants et
Société des
Études
Océaniennes
�52
inégalités très fortes dans l'au-delà. L'auteur souligne la richesse des
eschatologies et des cosmogonies pré-chrétiennes, en particulier à l'aide
d'une carte de l'imaginaire tahitien, qui retrace la migration des âmes
dans l'archipel de la Société.
Après cette longue étude ethno-historique, l'auteur tente de suivre les
attitudes des vivants devant la mort, à l'aube du 19ème siècle, procédant
par
en
touches successives,
conclusion, les
tableau impressionniste, où dit-il
sein de ce qu'il nomme les trois
temps, l'espace, la société.
pour
creux sont
ordres de la mort
:
le
dresser
un
nombreux
au
La troisième
partie de cette thèse relate les fouilles archéologiques
aux Marquises. Ce chapitre "archéologie de la mort"
est le plus important. 11 présente les sépultures qu'il a mises à jour et les
compare avec les rares autres sites de la même période. 11 montre que le
plus ancien système de la mort est celui d'un temps où la mort était étroi¬
tement cantonnée dans le temps (sépultures primaires), l'espace
(cimetières à l'écart du domaine des vivants) et la société (hommes,
femmes, enfants reposent côte à côte). Les rites sont variés et peu fixés.
La fouille extensive conduite au Marae Ta'ata (Paea) a permis la
découverte de sept sépultures exceptionnelles par leur aspect, la
disposition des ossements et leur emplacement.
effectuées à Tahiti &
La
fouille
et l'observation de sites funéraires de la période des
témoigne du choc culturel subi par les Polynésiens et permet
d'assister à des mutations profondes du système de la mort au sein des
trois ordres du temps, de l'espace et de la société. Une fouille à Ua-Pou,
aux Marquises, a permis d'observer des sépultures du 19ème siècle, qui
témoignent de résistances évidentes à l'introduction de nouvelles façons
de mourir et de se comporter devant la mort.
contacts
Les résistances observées à la
période des contacts, l'émergence d'un
le donnaient déjà à penser les sites de la
période classique suggèrent à l'auteur que les vivants tentent par tous tes
moyens de contrôler la mort en la faisant proche & familière.
rituel nouveau, autant que
En reprenant le point de vue des démographes et de ceux qui
affirment que tes attitudes des vivants devant la mort sont d'abord
idéologiques et imposées, l'auteur étudie les changements survenus à
l'arrivée des Européens. A l'aide de graphiques, de cartes d'épidémies, il
montre ce que fut objectivement la mort. Certaines années, la mort en
quelques mois enlève plus de la moitié de la population d'une île. 11 étudie
ensuite les réactions des vivants et montrent que si ceux-ci "baissent
parfois les bras", ils accueillent cependant le christianisme comme une
aide nouvelle dans leur lutte
contre
la mort. C'est là
une
vision très
personnelle de l'auteur qui assure de la réalité de la foi chrétienne en
même temps que d'un éclectisme, plus que d'un syncrétisme, des attitudes
devant la mort.
et
11 montre enfin qu'en dépit du jeu convergent des autorités coloniales
religieuses des missionnaires chrétiens qui visent tout uniment à
Société des
Études
Océaniennes
�53
telle qu'elle se manifeste en Europe à la fin du 19ème
siècle, les Polynésiens parviennent à maintenir le contact avec les morts.
L'observation des rites funéraires contemporains indique bien, qu'en
faisant la mort proche et familière, les Polynésiens l'ont rendue et sont
parvenus aujourd'hui, à la rendre moins terrible que la mort des
Européens évacuée de nos gestes, sinon totalement de nos pensées.
dérober la mort,
L'auteur
des
sources
a
large champ de connaissances, utilisant
expression écrite variée selon qu'il s'agit
fouilles, de démographie ou de tableau historique.
travaillé dans
de toute nature et
de relations de
un
une
Jean-Louis RALLU
La
population de Nile Calédonie, in "Population".
N° 4/5 1985.
Trois groupes sont en présence, les Européens, les Mélaniens, qui
représentent chacun environ 40% du total, et les autres groupes ethniques,
indonésiens, tahitiens, wallisiens etc, qui forment les 20% restants.
tions
L'auteur montre que la dynamique démographique de ces popula¬
est très différente. Les fluctuations de la natalité, des migrations et
celles de
l'évolution
l'enregistrement statistique ne permettent pas de prévoir
prochaine de la démographie, dont dépend cependant l'avenir
politique.
Le premier recensement de la population originaire eut lieu en 1887,
& l'état-civil institué tardivement, dans les années 1930, alors qu'il existait
à Tahiti depuis 1852, et aux Marquises depuis 1882.
De 1946 à 1983, la population de la Nile Calédonie a plus que
doublé, passant de 68 400 à 149 400 habitants.
Plus de
98% des Néo-Calédoniens, âgés de 10-29 ans parlent, lisent et
écrivent le français. Les Mélanésiens sont assez bien
instituteurs et professeurs des collèges (31% pour
représentés parmi les
les hommes, et 21%
les femmes) ainsi que dans les professions intermédiaires de la
publique et aussi de la santé et du travail, bien que ces
propositions soient nettement inférieures à la proportion de Mélanésiens
dans la population totale.
pour
fonction
Eberhard Stahn
-
Sudsee
Polynesien-Melanesien-Mikronesien, ein Reisefuhrer mit
Landeskunde Mai's Reisefuhrer Verlag, Frankfurt-am-
Main-RFA. 1984.
Le guide "Pacifique" des éditions Mai est à la fois un guide
touristique et un ouvrage sur la région. L'auteur qui a longtemps séjourné
Société des
Études Océaniennes
�54
à
Fidji et beaucoup voyagé dans le Pacifique, s'efforce dans ces 24
portraits de pays de séparer la fiction de la réalité en donnant de
précieuses informations objectives.
Il
garde
pondération soigneuse lorsqu'il examine les conflits de
capitales, et l'évolution rapide que connaissent
jeunes nations.
une
civilisation dans les
aujourd'hui
ces
Approche du tapa océanien.
Musée des
Oct.
Tapisseries - Aix
1985, 80 p., ill., bibl.
en
Provence.
Catalogue de l'exposition
-
La
technique du tapa, ou feutre végétal est pratiquée en Amérique
sud, en Afrique centrale, en Indonésie et en Océanie.
En Mélanésie, la fabrication
appelée plutôt "écorce battue" est
l'affaire des hommes. En Polynésie, elle est celle des femmes
; c'est la
célébrité de la production de cette dernière
région, qui a fait prévaloir, le
mot tapa pour désigner cette
technique. Un inventaire des espèces
végétales pour fabriquer, décorer et parfumer le tapa, précède les
chapitres consacrés au tapa en Mélanésie, aux îles Fidji, à Hawaï, Tonga,
Tahiti et ses archipels.
centrale et du
La conservation du tapa reste un domaine
peu exploré par les spécia¬
listes, tant le matériau déroute par son originalité : si ce sont bien des
fibres cellulosiques pouvant se présenter en
grande surface, ce n'est pour
autant ni du
papier ni du textile. On connait assez bien le papyrus
égyptien de préparation presque similaire, mais la diversité des
fabrications de tapa ne permettent pas un
simple transfert des techniques
de conservation du papyrus
vers les écorces battues d'Océanie.
Société des
Études
Océaniennes
�Société des Études Océaniennes
��Le Bulletin
Le Bureau de la Société accepte l'impression de tous les articles
qui paraissent dans le Bulletin mais cela n'implique pas qu'il
épouse les théories qui y sont exposées, ou qu'il, fait sien les
commentaires et assertions des divers auteurs qui, seuls, er
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-
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■
■
■
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An account of the resource
La Société des Études Océaniennes (SEO) est la plus ancienne société savante du Pays. Depuis 1917, elle publie plusieurs fois par an un bulletin "s’intéressant à l’étude de toutes les questions se rattachant à l’anthropologie, l’ethnographie, la philosophie, les sciences naturelles, l’archéologie, l’histoire, aux institutions, mœurs, coutumes et traditions de la Polynésie, en particulier du Pacifique Oriental" (article 1 des statuts de la SEO). La version numérique du BSEO dispose de son ISSN : 2605-8375.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
2605-8375
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Établissement
Université de la Polynésie Française
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 234
Description
An account of the resource
Articles
- La mort du jeune roi des Gambiers : P. Laval 1
- La production artistique de l'île de Pâques : P. O'Reilly 13
- Polynésie d'Autrefois : L'art de bien mourir : E. Vigneron 19
- Une lettre de Pomare V 30
- Poissons récifaux et pêche polynésiënne : R. Galzin 32
Compte-rendu
- B. Saura : La communauté chinoise de Polynésie française 42
- R. Rossile : Le kava aux îles Wallis et Futuna 43
- M-S. Villar : Le Bassin Pacifique 45
- A. Lavondès : Culture & Identité nationale en Polynésie française 46
- M.-A. Cadousteau : Les prénoms tahitiens 46
- M.-A. Cadousteau et Anisson du Peyron : Initiation à la langue tahitienne 47
- P. Couraud : Origines & transformation de l'agriculture en Polynésie française 47
- E. Vigneron : Recherche sur l'histoire des attitudes devant la mort en Polynésie française 51
- J.L. Rallu : La population de Nlle-Calédonie 53
- E. Stahn : Guide du Pacifique 53
- Approche du tapa océanien 54
Source
A related resource from which the described resource is derived
Société des Études Océaniennes (SEO)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Société des Études Océaniennes (SEO)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1986
Date de numérisation : 2017
Relation
A related resource
http://www.sudoc.fr/039537501
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
1 volume au format PDF (64 vues)
Rights
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Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
Imprimé
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
PFP 3 (Fonds polynésien)