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BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCENNIENNES
¥
N° 208
TOME XVII
—
N° 9/SEPTEMBRE 1979
Société des
Études
Océaniennes
�Société des études océaniennes
Ancien musée de
Papeete, Rue Lagarde, Papeete, Tahiti.
Polynésie Française.
B. P. 110
B.I.S.
:
21-120-22 T
—
Tél. 2 00 64.
-
C.C.P. 34-85 PAPEETE
CONSEIL D'ADMINISTRATION
M. Paul MOORTGAT
Président
M. Yves MALARDE
Vice-Président
Mlle Janine LAGUESSE
Secrétaire
M.
Trésorier
Raymond PIETRI
assesseurs
Me
Rudolph BAMBRIDGE
Me Jean SOLARI
M. Henri BOUVIER
M. Roland SUE
Mme F. DEVATINE
M. Temarii TEAI
Dr. Gérard LAURENS
M. Maco TEVANE
Me Eric
LEQUERRE
MEMBRES D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
R.P. O'REILLY
M.
Georges BAILLY
M. Raoul TEISSIER
Pour être Membre de la Société
Société des
se
faire présenter
par un
membre titulaire.
Études Océaniennes
�%
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DES ÉTUDES OCÉANIENNES
(Polynésie Orientale)
TOME XVII
—
N° 9/n° 208 Septembre 1979
SOMMAIRE
Articles
H. LAVONDÈS
P. O'REILLY
Tahiti du fond de soi
491
Un marin dessinateur :
Félix Marant-Boissauveur
508
Documents
ethnologiques tahitiens
de
recueillis en 1849 par le capitaine
vaisseau Lavaud
524
Comptes rendus
Niel GUNSON
Jean FRÉHEL
Ch. LanGEVIN-Duval
The Changing Pacific - Essays
Honour of H.E. Maude
Mers du Sud
-
in
Poèmes
Traditions et changements culturels
chez les femmes tahitiennes
Société des
Études
Océaniennes
529
531
532
�-
'
Société des
Études
Océaniennes
�491
Tahiti du fond de soi*
"Il n'y a pas de vrai sens d'un texte. Un texte est comme un
appareil dont chacun peut se servir à sa guise et selon ses
moyens. Il n'est pas certain que le constructeur en use mieux
qu'un autre1".
Il serait tentant pour un ethnologue qui doit parler des
Immémoriaux de prendre à la lettre cette affirmation de Valéry
et de s'en autoriser pour ignorer Segalen et ne considérer que son
œuvre. Mais ce serait se condamner à taire l'essentiel. Car si,
on espère le montrer, les Immémoriaux peuvent, aux
d'un ethnologue, faire figure d'œuvre essentielle, ayant à la
fois un caractère miraculeux et rédempteur, c'est avant tout dans
la mesure où, dans cet ouvrage, on voit s'établir une communica¬
tion vraie entre une civilisation sans écriture et une personne.
comme
yeux
à travers les
l'ethnologue, c'est
cette idée que c'est au fond de soi qu'il faut chercher l'autre, que
c'est là, et là seulement, qu'on peut espérer le rejoindre. Au fond
de ces "mystérieuses cavernes du profond de l'humain2", en ce
lieu où "face à face avec la profondeur, l'homme, front penché, se
C'est aussi parce que
le meilleur du
message que,
Immémoriaux, Victor Segalen communique à
recueille2".
Pour situer l'importance et l'originalité du message que Victor
Segalen transmet à tous ceux que concerne la Polynésie, je
partirai d'un fait qui me paraît très significatif. Lors de sa
création il y a quelques années, la toute nouvelle Académie
Tahitienne, fondée à Papeete pour la défense et l'illustration des
langues et des civilisations de la Polynésie française, inscrivait à
son
*
programme une
Texte d'une conférence
traduction en tahitien des Immémoriaux. Ce
prononcée au Musée Guimet en
novembre 1978,
au cours
d'un
la commémoration du centenaire de la naissance de Victor Segalen. Les douze
communications faites au colloque seront publiées, aux éditions de "L'Asiathèque" sous le
titre Regard Espaces Signes Victor Segalen.
colloque
pour
Société des
Études
Océaniennes
�492
projet, par ailleurs singulier, ce projet significatif des pathéti¬
ques efforts que doivent faire les Polynésiens d'aujourd'hui pour
se redécouvrir une identité culturelle, n'est-il pas un éclatant
hommage rendu à Segalen ? N'aurait-il pas comblé de joie celui
qui projetait d'écrire "le Maître du jouir" ? C'est en effet une
instance tahitienne qui se propose de faire de Victor Segalen luimême le pédagogue le plus apte à aider des Polynésiens à renouer
les fils qui les rattachent à leur passé culturel. Un tel choix
n'implique-t-il pas que le regard porté par Segalen sur la culture
tahitienne ait quelque chose d'unique et d'irremplaçable ?
Toujours dans le dessein de situer la portée du message de
Segalen, je voudrais encore faire état d'une expérience, person¬
nelle cette fois. J'ai lu deux fois les Immémoriaux. Une première
fois
au
moment de rentrer
en
contact
avec
les civilisations
polynésiennes. De cette première lecture, je garde le souvenir
d'un vil plaisir littéraire mais aussi celui d'une réaction bien
hâtive : l'ouvrage de Segalen, ayant été entièrement élaboré à
partir de matériaux de seconde main, n'avait rien à m'apprendre
sur Tahiti que je ne puisse trouver mieux dans les sources
primaires. Ma deuxième lecture des Immémoriaux eut lieu une
dizaine d'années après, alors que je rédigeais un long travail
universitaire sur la mythologie marquisienne. Pendant cette
période, tout en résidant effectivement en France, je vivais par
l'imaginaire aux Marquises. Et, dans la mesure où je me
familiarisais davantage avec cette civilisation polynésienne, où
je devenais plus perméable à ses valeurs, j'avais l'impression
d'apprendre quelque chose d'important sur moi-même, de
communiquer mieux à travers ses valeurs avec mes propres
valeurs. Par ailleurs, cette expérience singulière que je vivais, je
savais que la finalité scientifique de l'ouvrage auquel je
travaillais m'interdisais de la communiquer autrement que de
manière allusive : en avant-propos, dans les citations d'exergue,
entre les lignes, n'importe où pourvu que ce soit hors du texte4.
Or je constatais, en relisant les Immémoriaux, que cette
expérience de la découverte de soi par le canal de la découverte de
l'autre, Victor Segalen l'avait vécue à Tahiti et qu'il avait su
créer un instrument littéraire d'une originalité sans précédent (et
restée, je crois, sans continuateur) pour tenter de communiquer
cette expérience à des lecteurs. Pour un ethnologue, donc,
l'ouvrage de Segalen apporte quelque chose d'essentiel. D'abord
il est porté à respecter la qualité de l'information présente dans
les Immémoriaux. Victor Segalen y donne une vision globale des
civilisations polynésiennes qui non seulement, à quelques détails
près, est, à ses yeux d'érudit, recevable dans son ensemble mais
qui aussi frappe par sa vérité, son exceptionnelle richesse de
détails, sa profondeur. Ensuite, loin d'être réduite à une épure
sans vie, loin de ressembler à ces manières de planches
Société des
Études
Océaniennes
�493
d'anatomie que leur choix scientifique contraint les ethnologues
à produire, cette vision globale est restituée par Segalen avec
toutes les dimensions, toutes les richesses du vécu. Par là
Segalen donne une réponse à ce qui n'est et ne peut être chez
l'ethnologue qu'aspiration nostalgique : comment aborder avec
humanité une civilisation exotique, la comprendre en profondeur
et donner des résultats de cette quête à la fois affective et
intellectuelle, une expression qui ne soit pas destructrice. En
réussissant là où l'ethnologue, s'il s'en tient à sa démarche
scientifique, ne peut qu'échouer, Victor Segalen rachète l'ethno¬
logie de sa tare originelle. Le choix de l'Académie Tahitienne de
faire traduire les Immémoriaux de préférence à tel ou tel des
ouvrages "sérieux" produits par les ethnologues est à cet égard
significatif.
Enfin et surtout, Victor Segalen a su percevoir que la cohérence
de la civilisation tahitienne était assurée par un ensemble de
valeurs originales, élaborées par elle et à elle sous-jacentes. Bien
loin de se dérober devant le problème des valeurs d'une civilisa¬
tion et du jugement de valeur porté sur une civilisation (problème
qu'au
de l'objectivité scientifique, l'ethnologue met d'emblée
parenthèses), Victor Segalen l'a placé au centre de son
ouvrage. En se montrant concerné, lui Européen du début du
XIXème siècle, par ces valeurs polynésiennes, élaborées par une
civilisation sans écriture, il en fait apparaître la portée univer¬
selle. Comment Segalen a-t-il procédé pour rassembler l'impres¬
sionnante documentation à partir de laquelle il a construit les
Immémoriaux, quelles valeurs a-t-il reconnues au cœur de la
civilisation tahitienne, telles sont les questions auxquelles nous
allons tenter d'apporter des réponses qui resteront, par la force
des choses, très partielles.
nom
entre
Un
problème malaisé à résoudre est celui de savoir quelle est la
part de l'information livresque et celle de l'information directe,
vivante, "de terrain", dans la vaste documentation rassemblée
par Segalen. On sait qu'il a séjourné à Tahiti et dans les îles de
janvier 1903 à septembre 1904. On sait aussi5 qu'au cours de son
Tahiti il se lia d'amitié avec Léon Lejeal, professeur
Collège de France et au Museum d'Histoire Naturelle, qui le
pressa vivement de mettre à profit son séjour en Polynésie pour y
conduire des recherches d'ethnographie. Léon Lejeal proposa
même à Segalen de le mettre en relation avec divers ethno¬
graphes, parmi lesquels le grand ethnographe allemand Karl
von den Steinen qui, de son séjour de six mois aux Marquises en
1897-1898, tira d'admirables publications. Segalen put même
entrevoir le spectacle "navrant" des collections polynésiennes
entreposées dans les tiroirs des réserves du Museum de New
York. Au tout début de sa carrière, ce médecin de la marine de
vingt quatre ans eut donc l'occasion d'entreprendre une carrière
voyage vers
au
�494
scientifique parallèle à sa carrière médicale et d'entendre l'appel
de l'ethnographie. Que fut pour lui Tahiti ? Y fut-il ethnographe ?
principaux documents publiés dont nous disposons pour
répondre à ces questions sont le Journal des Iles, contemporain
du séjour de Segalen en Polynésie, et des indications figurant
dans sa correspondance, dont certaines sont beaucoup plus
tardives. Considéré isolément, le Journal des Iles est décevant.
La vision de la Polynésie qui transparaît dans ces quelques
quarante cinq pages ne diffère pas fondamentalement de celle
que pourrait avoir tout officier de marine sensible, curieux et
surtout prodigieusement doué pour la littérature. Ce sont les
combien classiques "tours de l'île", la traditionnelle description
de la pêche au caillou, de charmants croquis de paysages, des
impressions furtives lors des escales dans les archipels visités
au cours des tournées de La Durance. De ce journal, les hommes
sont étrangement absents. Les Polynésiens, que Segalen ne peut
pas ne pas avoir vus, sont là, certes, mais réduits à l'état de
silhouettes, même le "fidèle Tioka", le Marquisien ami de
Gauguin, se voit dépeint par la seule mention de cette fidélité. A
s'en tenir au Journal, on peut douter que Segalen ait noué des
relations suivies avec des Polynésiens. Une exception pourtant
pour l'amicale connivence avec laquelle est présenté ce groupe de
Polynésiens participant à l'une de ces "bringues" au cours
desquelles officiers de marine et Polynésiens communient avec
une sincérité, je le sais, très réelle :
Les
là le très jeune Tanahoa, bon garçon qui réclame des
"parfums" et offre sa parente en échange, puis Atu, ladite
parente, grande, douce, de bons yeux bons ; et Hina (la
Lunaire), un peu rousse et plus sauvage, puis Rereao, plus grêle
et plus vive ; puis enfin Terii Rarani, qui complique ses danses de
pas nouveaux, incités par l'alcool, qui reste surtout belle de ligne,
pas nouveaux, incités par l'alcool, qui reste surtout belle de
ligne, et qui, surtout, a la discrétion de disparaître avant
"Il y a
l'inévitable affalement...
L'instituteur intègre, homme de mœurs puritaines et pieux, qui
chante au temple, ne doit guère en dormir, dans son fare tout
proche !...6"
Si l'ami des îles se laisse prendre au charme de ces impressions
fugitives notées au jour le jour par l'incomparable artiste,
l'ethnologue, lui, ne peut être que déçu : il n'est quasiment rien,
dans le Journal qui mérite d'être reporté sur ses fiches. Pourtant
il devait y avoir beaucoup à recueillir en Polynésie à cette époque.
Songeons à la moisson récoltée aux Marquises par von den
Steinen, quelques années à peine avant la venue de Segalen.
Mais il serait injuste de juger Segalen ethnographe uniquement
à partir de ce qui est un journal, non un rapport de recherche.
Notons encore que le Journal des Iles est pratiquement muet sur
Société des
Études
Océaniennes
�495
les activités de Segalen pendant les onze mois qu'il passa à
Tahiti même7. Quant au séjour dans les archipels au cours des
tournées de la Durance, ils furent bien trop brefs pour Que
Segalen, fort absorbé par ses tâches médicales et très inexpéri¬
en matière d'ethnologie, puisse espérer y recueillir une
documentation ethnographique de valeur.
menté
Plusieurs mentions dans le Journal montrent qu'il tenta
pourtant de le faire à plusieurs reprises. Au
aux Tuamotu, par exemple, il écrit :
"Je
persiste
noms
perquisitions
de lunaisons".
en mes
propres,
;
cours
d'une tournée
identifications d'étoiles, de
Il demande également à Ariipaea Salmon, dit le "Gros Paea",
qui pilota la Durance, de le conduire "dans les dédales de sa
généalogie". Il déclare avoir débrouillé le réseau "après deux
nuits de copiage et quatre heures de pourparlers8". Mais les
documents que Segalen a ainsi recueillis ne sont pas parvenus
jusqu'à nous9. C'est aux Marquises que l'on peut le mieux se
rendre compte de la nature du travail ethnographique effectué
par Segalen, car il semble que, exceptionnellement, ses notes
d'enquête aient été directement incorporées au Journal. On voit
Segalen, aidé du pasteur Vernier qui faisait fonction d'interprète,
interroger une vieille Marquisienne qui lui communique un récit
mythique concernant le peuplement des huit îles principales de
l'archipel et une longue généalogie de soixante et onze généra¬
tions10
:
"Tout cela débité, avec, comme repère, l'incessante manipula¬
tion d'une tresse de fibres de nappe d'où s'échappent des
efflorescences qui sont des modes de souvenir, et compliquée de
nœuds qui rappellent et évoquent les noms ou les diets
récités11".
Ce passage est
particulièrement intéressant car on a là un cas
contestable où une scène vécue, à l'exclusion de toute source
écrite, a directement été utilisée pour la rédaction des Immémo¬
riaux. Amalgamant des traits empruntés à plusieurs cultures
polynésiennes différentes, Victor Segalen met dans les mains de
l'apprenti haèré-po tahitien121'aide-mémoire généalogique qu'il a
vu utilisé aux Marquises et lui donne un nom, "origine-du-verbe",
qui est la traduction du terme marquisien tootetekao qu'il a
recueilli. Par ailleurs, l'admiration de Segalen, si sensible dans le
Journal13, pour les chants et les danses des Polynésiens est
encore une chose vécue qui trouvera sa contrepartie dans
certains passages des Immémoriaux.
peu
Si le Journal des Iles n'est pas en lui-même une source
d'information ethnographique, il est en revanche un document
essentiel pour comprendre certains aspects de la genèse des
Société des
Études
Océaniennes
�496
voit Segalen accumuler tout un monde
d'impressions visuelles et d'expériences qui lui permettront de
restituer comme une réalité vécue les données arides que lui
apportaient ses lectures. On y voit également s'y manifester
quelques-uns des thèmes majeurs sous-jacents aux Immémo¬
riaux. Tout d'abord, une haine féroce pour le christianisme,
comme en témoigne ce peu amène dialogue avec un missionnaire
rencontré à Mangareva :
Immémoriaux. On y
croise le R. P. Vincent Ferrier ; la démarche
oblique, l'œil faux, les mains dissimulées d'un geste ecclésias¬
tique, dans les manches, ce déplaisant émule du P. Laval
m'interpelle : "Vous cherchez toujours le dernier païen ?" —
"Oui, et je regrette de ne pouvoir le ressusciter14".
"Au retour, je
C'est encore la haine du christianisme, triomphant dans la
théocratie des Iles Wallis, qui explique le dépit, singulier de la
part d'un médecin, qu'inspire à Segalen la démographie prospère
de cet archipel :
"Exceptionnel ! Inattendu. Un peut dépitant même. Les
meurent pas, ici ; la population augmente15".
gens
ne
C'est ensuite la rage de voir les Polynésiens se faire les complices
des Européens, renoncer à défendre leur propre civilisation et
accepter de s'avilir, qu'expriment ces propos chargés de mépris
sur le comportement des Marquisiens :
"Recherche habituelle du Passé et
comme
habituellement
enquête infructueuse. Ils comptent leur vie d'autrefois par le
nom
des successifs résidents
:
"Commandant Untel"...
ignorent pis que jamais leur âge, et ont tout vendu de leur
pacotille guerrière et religieuse d'autrefois16".
Enfin on voit déjà à l'œuvre, dans le Journal des Iles, la belle
intelligence de Segalen, scrutatrice, exigente, lucide, qu'il
s'interroge sur les causes de la dépopulation des archipels17 ou
sur les moyens de navigation des anciens polynésiens. Sur ce
dernier point, il fait une remarque tout à fait pertinente sur un
problème qui a longtemps tracassé des chercheurs qui se sont
penchés sur les mystères des migrations polynésiennes. Il
remarque en effet :
"Ils avaient de fortes embarcations, remontant très peu au
vent
sans
doute, mais susceptibles, dans les brises d'ouest, de
faire de longs parcours17".
C'est
effet par l'existence
de ces "brises d'ouest", peu
doute, mais pouvant souffler plusieurs jours de
suite à certaines saisons de l'année, que l'on explique aujourd'hui
que le peuplement de la Polynésie ait pu se faire d'ouest en est,
en
fréquentes
sans
contre la direction des alizés dominants.
Société des
Études
Océaniennes
�497
du séjour à Tahiti dont il
le Journal des Iles. Peutêtre parce qu'il s'agit d'une expérience que Victor Segalen est
précisément en train de vivre trop intensément pour pouvoir en
prendre pleinement conscience. Ce n'est que beaucoup plus tard,
lorsque le temps écoulé la fera remonter, transfigurée par le
souvenir, que Segalen fera part de cette expérience dans une
lettre adressée à son ami Henry Manceron. C'est un très beau
passage qu'il nous faut citer entièrement :
"Je t'ai dit avoir été heureux sous les Tropiques. C'est
violemment vrai. Pendant deux ans en Polynésie, j'ai mal
dormi de joie. J'ai eu des réveils à pleurer d'ivresse du jour qui
montait. Les dieux-du-jouir savent seuls combien ce réveil est
annonciateur du jour et révélateur du bonheur continu que ne
révèle pas le jour. J'ai senti de l'allégresse couler dans mes
muscles. J'ai pensé avec jouissance ; j'ai découvert Nietzsche ;
je tenais mon œuvre ; j'étais libre, convalescent et sensuellement assez bien entraîné. J'avais de petits départs, de petits
déchirements, de grandes retrouvées fondantes. Toute l'île
venait à moi comme une femme. Et j'avais précisément, de la
femme, là-bas, des dons que les pays complets ne donnent
Mais il est une expérience essentielle
n'est point directement question dans
plus18".
Cette joie, cet élan, cette allégresse, cet hymne à la vie du
convalescent à peine sorti d'une typhoïde, de l'homme jeune
fraîchement libéré d'une éducation rigoriste19, tout cet essentiel
n'est pas directement exprimé dans le Journal des Iles, mais je
l'y entends, néanmoins, obstinément répété. C'est un chant
grave et profond qu'entend longtemps retentir dans sa tête
quiconque a quitté Tahiti après y avoir quelque temps vécu : c'est
"l'éternel compagnon de route",20
"l'incessant récif',21
"la plainte incessante du récif tout proche",22
"le récif qui hurle",23
le récif qui pilonne :
"la houle" qui est le souffle de la mer abyssale".24
Cette voix du récif, ce symbole des forces cosmiques issues des
abîmes du monde et des profondeurs du cœur des hommes, nous
l'entendrons dans toutes les œuvres que Victor Segalen a
consacrées à Tahiti25.
Nous l'entendons dans Voix mortes, Musique maori, travail que
Segalen a dédié à Claude Debussy. C'est le
"mugissement coupé de silences du récif qui déferle
blement",26
inlassa¬
qui accompagne les manifestations musicales des anciens
Polynésiens, élément de "la participation du chœur, de l'assem-
Société des Études Océaniennes
�498
blée,
au
rythme des choses environnantes et amies". Et
nous
entendons encore le récif mêler sa voix au chant des prêtres,
basse chiffrée qui fait accompagnement au roman-poème, dès la
première
pages
des Immémoriaux
:
"de chacune des terrasses divines, de chaque maraè bâti sur le
cercle du rivage, s'élève dans l'obscur un murmure monotone,
qui, mêlé à la voix houleuse du récif, entoure l'île d'une ceinture
de prière27".
Cet accord, cette consonnance de la voix des hommes et de la
voix du monde pour une commune œuvre
de vie, c'est là "le
Germe28, l'idée créatrice initiale des Immémoriaux, germe que
Segalen perçoit plus ou moins consciemment à la racine de son
moi profond, au plus secret de sa "structure spirituelle"29 et qu'il
découvre à la fondation du système de valeurs qui structure la
civilisation tahitienne. Ce thème de la voix du récif, apparu en
prélude dès l'ouverture des Immémoriaux, retentit tout au long
de l'œuvre30. Nous l'entendons deux fois dans
un
contexte où il
particulièrement significatif, dans le chapitre des Maîtres-dujouir, un des plus beaux, à mon goût, de l'ouvrage, au moment où,
pour la première fois, se trouvent confrontés le christianisme et
une expression particulièrement élaborée des religions
polyné¬
siennes, celle qui, à Tahiti regroupe les activités extrêmement
variées et spectaculaires de la confrérie des 'arioi.
est
"Sur le rivage sans écho se dispersaient pauvrement les sons
de leur himéné domptés par d'autres sonorités saintes,
majestueuses et fortes : voix du vent dans les branches
sifflantes ; voix du récif hurlant au large31".
Cette dissonnance entre les piètres chants religieux des
missionnaires protestants et les "sonorités saintes" fait
contraste avec la consonnance qui éclate en fin de chapitre,
lorsque les membres de la confrérie des 'arioi,
leur île, clament leur joie :
se
préparant à
regagner
"La clameur immense couvrit toute la mer, mangea la voix
du récif, s'épandit sur la place houleuse, se gonfla de beaux
adieux retentissants, emplit tout le dessous du ciel, et, se ruant
"La clameur immense couvrit toute la mer, mangea la voix
du récif, s'épandit sur la plage houleuse, se gonfla de beaux
adieux retentissants, emplit tout le dessous du ciel, et, se ruant
par les brèches
ventre de l'île.
—
des vallées, vit retentir et tonner jusqu'au
L'île s'éjouit en ses entrailles vertes32".
Dans le premier passage, le chant du monde s'oppose aux
manifestations religieuses indigentes des chrétiens blêmes, en
les couvrant, les domptant de sa majesté. Au contraire, dans le
final de ce beau chapitre, la clameur des hommes "mange" la
�499
voix du récif (le choix du verbe manger suggère une consomma¬
tion communielle du cosmos et renvoie discrètement à la Sainte
Cène qui vient d'être célébrée par les protestants). Une fusion
mystique de l'homme et du cosmos s'instaure à travers la
complicité des métaphores organiques.
Cet unisson de l'homme et du cosmos, unisson qui n'est pas
statique, mais qui est mouvement, déroulement d'une force, telle
est la grande valeur dont Segalen voit l'illustration, la perma¬
nente célébration dans les civilisations polynésiennes. Le génie
ethnologique de Segalen est d'avoir perçu cela, car cela est vrai.
Mais cette perception n'a pas été le produit de quelque révélation
subite, elle fut celui d'une longue ascèse, d'un gigantesque travail
de documentation livresque, au cours duquel les choses lues, les
choses vues, les impressions vécues ont fusionné dans une
totalité vivante, et les appels venus du moi profond de l'auteur
ont rejoint les valeurs de cohérence d'une civilisation exotique.
Cette conscience et cette intensité dans l'effort documentaire,
c'est là où Victor Segalen se montre très proche de l'ethnologue
pour qui aussi la compréhension d'une culture autre passe par les
chemins austères de la connaissance et ne peut être acquise
qu'au terme d'un long effort, sur le terrain, dans les bibliothèques
et dans le silence de son cabinet de travail. Mais lorsqu'on en
vient à l'originalité essentielle des Immémoriaux, à ce courant
d'osmose par lequel les eaux vives du moi profond, inconnu parce
que réprimé, pénètrent une civilisation qui leur est poreuse et qui
se fait l'instrument de la ré-éducation de ce moi, lorsqu'on en
pouvoir de l'artiste de traduire cette expérience dans
littéraire "digne de la densité des mots"33, c'est arrivé
sur ce terrain que l'on s'aperçoit que Victor Segalen, partant de
la démarche ethnologique, la dépasse et l'accomplit en la
transfigurant.
vient à
ce
une œuvre
De ce que la compréhension d'une culture exotique implique
l'accumulation d'une immense somme de connaissances, il n'est
une phrase des Immémoriaux qui ne témoigne.
Les références ethnographiques qui figurent à la suite de la
réédition de l'ouvrage chez Pion et qui reprennent les notes
pas une page, pas
par Segalen en marge de son manuscrit donnent une
idée de l'effort documentaire accompli par Segalen, mais une idée
seulement. Pour avoir une idée complète de l'érudition qui est à
l'arrière plan des Immémoriaux, il faudrait reprendre l'ouvrage
rédigées
page
après page et rechercher chaque fois où, dans
sur Tahiti déjà disponible à son époque,
littérature
l'immense
Segalen
a
telle information. Cette démarche serait instructive
et éclairante. Elle permettait de mieux saisir le processus de
création littéraire à l'œuvre dans les Immémoriaux. Il serait
possible de distinguer, notamment, les textes poétiques tahitiens
que Segalen reproduit tels qu'ils figurent dans ses sources de
puisé telle
ou
Société des
Études
Océaniennes
�500
ceux
qu'il remanie,
ou
qu'il reconstitue à partir de matériaux
d'une autre nature. On pourrait s'assurer, par exemple que le
chant des 'arioi de la page 57, où il est question de la descendance
de la truie Orotetefa, est la transposition d'un passage du mythe
de fondation de la confrérie des 'arioi rapporté par Moerenhout34.
L'effort de documentation de Segalen est d'autant plus
méritoire que les deux plus importants ouvrages écrits sur Tahiti,
les seuls qui permettent d'arriver aisément à des vues synthé¬
tiques sur la culture tahitienne, n'ont été publiés que postérieu¬
rement à la rédaction des Immémoriaux. Teuira Henry était
précisément à Honolulu
en
train de travailler à la rédaction de
Ancient Tahiti au moment où Segalen séjournait en Polynésie. Il
est donc peu probable qu'il ait pu avoir connaissance de ses
travaux et des manuscrits d'Orsmond, le grand-père de Teuira, la
majeure pour la connaissance de ses travaux et des
majeure pour la connaissance de la civilisation ancienne
des Iles de la Société. Quelques fragments de ces manuscrits
n'auraient-ils pu néanmoins arriver entre ses mains pendant son
séjour ? Il serait prématuré de l'exclure. L'ouvrage de Teuira
Henry lui-même ne fut publié qu'en 1928, longtemps après la
mort de son auteur, par les soins du Bishop Museum35. La seule
synthèse véritablement ethnographique sur Tahiti, l'admirable
ouvrage de Douglas Oliver36, est encore beaucoup plus tardive.
Mais c'est peut-être cette absence d'ouvrage de synthèse qui
stimula les facultés créatrices de Segalen, qui fit que la vision
globale de Tahiti qui est la sienne eut besoin, pour être recréée, de
la puissance de son imagination qui sut raccorder entre eux les
fragments épars que lui apportaient ses sources.
source
source
regard de l'immense érudition de Segalen, les quelques
ethnographiques que peut relever le spécialiste au cours
d'une lecture rapide des Immémoriaux sont soit minimes, soit
d'une certaine manière justifiées. Peu importe en effet que
Segalen s'obstine à faire fonctionner les luminaires tahitiens
avec des "noix" de nono, un vilain fruit aqueux, au lieu des noix
du ti'a'iri, dit aussi tutu'i, qui produit la noix de bancoul. Partout
ailleurs, l'usage étendu que fait Segalen des noms vernaculaires
montre la connaissance approfondie qu'il a des choses et des
institutions de Tahiti. Sans doute ne connait-il pas vraiment le
tahitien, mais il sait les mots courants que sont amené à utiliser
les Européens de Tahiti et il connait également, grâce à ses
lectures, un grand nombre d'expressions et de termes tahitiens
relatifs aux institutions disparues. Pour ce qui est de la tendance
de Segalen d'intégrer dans la culture tahitienne des traits ou des
institutions qui n'y sont pas attestées, un exemple en a déjà été
donné à propos de la tresse "origine du verbe". Plusieurs autres
pourraient être proposés. Citons en passant les fréquentes
allusions à la coutume de l'échange de noms (notamment page
En
erreurs
�501
133). l'institution est marquisienne et le terme inoa qui la désigne
n'est pas un mot tahitien, mais un mot marquisien, emprunté au
dialecte du groupe sud-est, pour être précis. De tels amalgames,
peu
fréquents
en
fait, sont des licences dont
on
aurait tort de
vouloir faire grief à un artiste. D'autant plus qu'elles découlent
d'une vérité concernant les différents groupes polynésiens que
a magnifiquement perçue : de nombreux traits communs
profonde unité dans le choix des valeurs maîtresses
caractérisent les ethnies du rameau polynésien, si homogène par
comparaison avec d'autres rameaux qui se sont détachés du
tronc austronésien à travers l'immense aire Indo-Pacifique.
Segalen
et
une
Mais l'immense érudition acquise par
Segalen en vue de
les Immémoriaux n'est pas une fin en soi. Son rôle est
celui d'une servante pour la réalisation des véritables desseins de
l'écrivain. Elle fournit les moyens qui lui permettent d'évoquer
avec la précision du détail vrai certaines scènes de la vie
quotidienne à Tahiti, de concevoir quels pouvaient être les
contenus mentaux, les pensées secrètes et jusqu'au monologue
intérieur de ses habitants, de peindre, enfin, avec fidélité
certaines scènes historiques. C'est aussi une érudition sélective,
mise au service de l'élaboration d'une vision synthétique de la
civilisation tahitienne et de ses valeurs, à travers leurs manifes¬
composer
tations dans différents domaines de la culture et des comporte¬
ments des Polynésiens.
de Segalen, il
deux épures
parallèles. L'une correspondrait à l'analyse implicite de la
culture tahitienne opérée par Victor Segalen et sous-jacente aux
Immémoriaux. L'autre correspondrait à la propre analyse de
cette même culture par l'ethnologue lui-même. Ce serait bien sûr
une entreprise considérable qu'il est hors de question d'entre¬
prendre ici. On se contentera d'esquisser faiblement ce qu'elle
pourrait être.
Pour évaluer la portée ethnologique de l'ouvrage
faudrait que l'ethnologue trace et confronte
Cette valeur attribuée par la civilisation tahitienne aux forces
cosmiques, assimilées aux forces de la génération et de la vie,
Victor Segalen la trouve, superbement affirmée, dans les
admirables chants de création des Polynésiens. Ces chants de
création indirectement évoqués dès l'ouverture des Immémo¬
riaux avec la mention des "parlers originels" :
"où s'enferment, assurent les maîtres, l'éclosion des mondes,
la naissance des étoiles, le façonnage des vivants, les ruts et les
nombreux labeurs des dieux Maori37".
Un très bel extrait de ces chants de création est directement cité
dans le chapitre central "le parler ancien" :
Il était. Son nom Taèroa.
Il se tenait dans l'immensité.
"
Société des
Études
Océaniennes
�502
Point de terre. Point de ciel.
Point de mer. Point d'hommes38".
on songe combien maigre était l'information sur ces
chants disponibles à son époque et combien ce peu a la puissance
de l'émouvoir, on imagine quel aurait été l'enthousiasme de
Quand
Segalen s'il avait pu connaître la splendeur des textes de Tahiti
aux temps anciens39.
L'œuvre des hommes poursuit l'œuvre divine. L'homme est une
portion du cosmos. Comme lui, il est traversé par des courants
d'énergie créatrice dont les manifestations les plus évidentes se
situent au niveau de la vie sexuelle, garante de la succession des
générations. Par la connaissance de sa généalogie, l'homme
établit une continuité entre lui-même et les forces qui sont à
l'origine de la création. La tresse "origine-du-verbe" est du reste
la représentation symbolique de cette continuité. Car (mais cela,
probablement, Segalen ne le savait pas) la partie supérieure de la
tresse, appelée to'o (en marquisien : racine tubéreuse) figure le
monde et en récapitule la création, tandis que les cordelettes à
nœuds qui s'y rattachent servent à la récitation de la généalogie
des hommes et symbolisent la succession des générations depuis
l'acte créateur initial40. Plus le lien généalogique d'un homme
avec les origines est direct, meilleure est sa communication avec
les forces créatrices. Plus sont élevés son rang et son pouvoir.
Cette vision dynamique de l'ordre cosmique est donc aussi la
garante de l'ordre social et situe chacun à sa place, Yari'i comme
le manant.
Il existe à Tahiti une institution tout à fait originale
fonction de rendre un culte aux forces cosmiques,
qui a pour
celles qui
gouvernent la marche des astres et des saisons, font alterner
l'abondance et la disette et rendent les femmes grasses et
fécondes. Cette institution, c'est la confrérie religieuse des 'arioi.
Leurs activités spectaculaires, avec toutes ces couleurs, ces
banderoles,
ces
tambours et
ces
flûtes, déclenchent une libération
collective des forces de la joie. Le religieux le plus grave y cotoie
le comique le plus débridé. Les jeux sportifs y alternent avec les
jeux de l'amour. Et ces actes d'amour accomplis en public, dont
la seule pensée paralysait la plume des missionnaires, ne sont
que les actes rituels d'un culte rendu à la vie.
En liaison
avec
les valeurs qu'exalte la vision du monde qui lui
est propre, la société tahitienne a su élaborer tout un art de vivre,
infiniment séduisant pour tous ceux que n'inhibe pas le
rigorisme religieux, à
les premiers navigateurs,
des jours et des jours
passés en mer, jusqu'à ces générations d'officiers de marine qui
se sont succédées à Tahiti. Cet art de vivre, à l'origine, a une
dimension religieuse qui ennoblit les gestes les plus humbles de
commencer par
heureux d'aborder à l'île des délices après
�503
la vie quotidienne, le geste de l'artisan qui taille ses herminettes,
celui du pêcheur qui laisse filer sa ligne, confiant en la faveur de
ses dieux. Elle ennoblit surtout les fonctions organiques du
de
qu'humilie tant le christianisme,
de son corps, et
quand il le nourrit, se hausse à la stature des dieux im¬
corps,
ce corps
"Car tout homme, quand surgit le désir
menses41" ;
Malgré le triomphe de l'évangélisation, épaulée
par
la
colonisation qui vint à sa suite, les valeurs de civilisation propres
à Tahiti n'ont pu être complètement éradiquées. Elles sont
visiblement à l'œuvre dans l'hérésie de la Mamaia42, un
mouvement
religieux syncrétique à signification politique, qui
associe certains éléments de la foi chrétienne à des traits
empruntés à la religion des 'arioi, notamment la valorisation de
la vie sexuelle. Les chrétiens restés dans l'orthodoxie eux-mêmes
n'ont pas cessé d'être marqués par la vision du monde ancienne.
Il n'est que de voir comment se comporte Térii, le héros du livre
devenu diacre : il prostitue sa fille Erena pour un paquet de clous
destinés à la construction du temple. Quant à Erena elle-même,
prompte à l'amour mais bien décidée à en ignorer les tourments,
elle est la digne ancêtre de ces Tahitiens qu'a pu connaître
Segalen dans les cercles européens qu'il fréquentait à Tahiti.
Ce qui précède n'est que la très rudimentaire esquisse du
schéma par lequel l'ethnologue pourrait rendre compte, en usant
du langage ordinaire, de la manière dont Segalen a compris les
civilisations polynésiennes. Quant à l'épure de la culture
tahitienne qu'il tracerait lui-même pour son propre compte, elle
ne s'écarterait pas fondamentalement de ce schéma. Et c'est là
des justifications de l'hommage que tout ethnologue se
Segalen. L'épure de l'ethnologue
s'enrichirait, on l'espère, en cours de route, de tout ce que peuvent
apporter la soif de savoir, le souci d'objectivité, la volonté de
comprendre qui font la dignité de sa discipline. Dans le souci de
prolonger les vues historiques de Segalen, il montrerait une
certaine persistance de la vision du monde ancienne chez les
Tahitiens d'aujourd'hui. Il trouverait par exemple la trace de
cette persistance dans cet article d'un quotidien de Tahiti où
deux enfants du pays expliquent qu'elles collectent les traditions
orales survivant dans leur île "pour que les enfants sachent que
les paroles de la terre sont toujours vivantes43". Il envisagerait
aussi avec plus de détachement que Segalen l'histoire de la
christianisation de l'île. Lisant par exemple dans Ellis, comme
l'a pu faire Segalen, certaines évocations de l'ardeur avec
laquelle les Tahitiens ont accueilli certaines innovations
apportées par les chrétiens blêmes, il serait peut-être amené à se
demander si cet évident appétit des Tahitiens d'entrer dans les
temps modernes n'était pas encore une manifestation de leur
qu'est
une
doit de rendre à Victor
Société des
Études
Océaniennes
�504
passion de vivre. Donnons
sant de
ces
un
exemple particulièrement saisis¬
manifestations d'enthousiasme, à propos d'une forge
installée par les missionnaires débarqués
du Duff :
"Cependant ils étaient ravis de voir la facilité avec laquelle
une barre de fer était ainsi convertie en haches, en herminettes, en harpons ou en hameçons. Pomare, entrant un jour
dans la forge, après avoir observé quelques minutes le travail
du forgeron, fut tellement saisi par ce qu'il voyait, qu'il prit
l'homme dans ses bras et sans tenir compte de la crasse et de la
sueur qui le couvraient, l'embrassa cordialement et le salua,
selon la coutume du pays, par un frottement de nez à nez44".
A propos des institutions anciennes de Tahiti, l'ethnologue se
poserait aussi certaines questions que Segalen ne paraît pas
s'être posées. Il se demanderait, par exemple, comment il peut se
faire que la confrérie des 'arioi, qui a pour vocation d'exalter la
vie et la fécondité, fasse une obligation à ses membres de
pratiquer l'infanticide. Peut-être l'ethnologue parviendrait-il à
résoudre ce problème en pourchassant les "mythèmes" dans les
mythes et dans les rites propres à la confrérie et en montrant
qu'à une logique des termes, il convient de substituer, pour
l'analyse, une logique des relations. Son épure se ferait alors
terriblement abstraite. Elle deviendrait alors un de ces exercices
intellectuels qu'aucun souffle venu du cosmos ne vient aimer,
une de ces planches d'anatomie que les ethnographiés en veulent
tant
aux
ethnologues de s'entêter à produire exclusivement. Car
elles ressemblent à des œuvres de mort. Mais fort heureusement,
les Tahitiens ont la possibilité de se tourner vers l'œuvre d'un
Segalen. Et ils
en
usent.
Segalen réussit là où l'ethnologie, lorsqu'elle est réduite à
qu'elle-même, échoue. Il ne se contente pas d'affirmer,
comme le font
hors-texte
les ethnologues, "l'irremplaçable
valeur du monde de l'Autre45". Cette valeur, il la fait connaître
n'être
—
—
"le terrain" et à travers le monde en édifiant une œuvre
littéraire qui en est l'illustration éclatante. Une œuvre où les
valeurs d'une civilisation autre ont fait croître l'arbre issu du
sur
fond de lui. L'enseignement que nous
que, pour établir avec une
civilisation exotique une communication vraie, il ne suffit pas de
vouloir tout donner comme l'ont fait les missionnaires, ni non
plus de vouloir tout comprendre, comme cherchent à le faire les
ethnologues, il faut aussi et surtout savoir recevoir.
"germe" qui était
au
apporte les Immémoriaux est peut-être
�505
1.
Valéry, 1946,
2.
Segalen,
3.
Segalen, Stèles, 1970,
p.
30.
Équipée, 1970,
p.
p.
367.
42.
4. Jeanne Favret (1977, p. 41) a excellement posé ce problème. "Or l'ethnographie, comme
je l'ai apprise et même enseignée, ne peut se désigner comme science qu'à la condition
d'effacer la trace de ce que fut le travail sur le terrain : à la fois un apprentissage, au cours
duquel un étranger se fait enseigner à décoder un système symbolique jusqu'ici inconnu de
lui ; et un long dialogue entre cet étranger et son hôte, c'est-à-dire un procès d'interlocution. Il
est convenu (c'est même une règle de ce genre de littérature) que ces deux éléments ne peuvent
être évoqués qu'hors-texte : soit à l'occasion d'un autre ouvrage, relevant d'un genre distinct
(journal intime ou voyage philosophique) et qui ne prétend pas à la même scientificité
précisément parce qu'il choisit de témoigner de cette trace ; soit dans un mémoire
scientifique, mais seulement à titre d'"Avant-propos". Le texte scientifique proprement dit
est consacré aux résultats du décodage opéré par l'ethnographe".
5. Joly-Segalen, in Journal des Iles, p. 7, 8, 10 ; Segalen, Journal des Iles, 1978, pp. 24-25 ;
Bouillier, 1961, p. 56, 58.
6. Segalen, Journal des Iles, 1978, p. 74.
7. Pendant
bâtonnets
13.
14.
son
ne
séjour
Océanie, Segalen
aussi environ trois mois en NouvelleMélanésiens, à la culture pourtant si
attachante, qui eux, au moins, n'étaient pas des "immémoriaux". Il faut voir là un effet du
statut particulier des cultures polynésiennes aux yeux de l'honnête homme de la fin du
XIXème siècle, fascinantes parce que participant à la fois de la civilisation et de la
sauvagerie.
8. Segalen, Journal des Iles, 1978, p. 83.
9. Je remercie Madame Annie Joly-Segalen d'avoir bien voulu me confirmer que de tels
documents ne figuraient pas parmi les manuscrits laissés par son père. Outre cette enquête
aux Tuamotu, il faut mentionner la "chasse aux vieilles choses" menée par Segalen à
Mangareva. Dans le Journal des Iles (p. 81), il déclare avoir recueilli le récit d'une expédition
guerrière des Mangaréviens à l'Ile de Pâques (sans doute une légende d'élaboration récente ;
cf. Buck, 1938). C'est probablement une version de la légende recueillie quelques années plus
tard par Caillot (1914, pp. 143-237).
10. Il est possible qu'il s'agisse en fait de deux vieilles, une qui transmet le récit de
peuplement de l'archipel, l'autre Aumia, qui récite la généalogie. Le récit concernant le
peuplement des îles est incontestablement intéressant pour l'ethnologue. En effet, outre les
huit îles constituant l'archipel, trois autres îles (mythiques ?) sont citées dont deux, Ahitake
et Aonuku ('A'onuku ?) figurent dans des chants religieux anciens, hélas presqu'impossibles
à traduire, consignés dans un manuscrit unique conservé dans les archives de la Mission
catholique à Taiohae.
11. Segalen, Journal des Iles, 1978, pp. 66-68.
12. Segalen, Les Immémoriaux, 1972, p. 12. En fait l'amalgame effectué par Segalen est
ethnologiquement peu choquant. La présence d'aide-mémoire est attestée dans différents
archipels polynésiens (Steinen, 1928, II, p. 63 ; Métraux, 1971, p. 405). A Tahiti même, Oliver
(1974, p. 85) mentionne l'usage d'un dispositif mnémotechnique consistant en "un paquet de
Calédonie. Il
en
dit pratiquement pas
ou une
un
passa
mot de
ces
feuille de cocotier".
Segalen, Journal des Iles, 1978,
Ibid., p. 80.
p.
46, 73-74.
15.
Ibid.,
p.
16.
Ibid.,
p.
17.
Ibid.,
p.
18.
Segalen, 1962, Lettres à Henry Manceron, p. 250.
Sur ces détails biographiques, cf. Bouillier, 1961, pp. 17-33, 56.
19.
55.
59.
58.
Segalen, 1978, Journal des Iles,
Ibid., p. 73.
22. Ibid., p. 76.
20.
p.
50.
21.
23.
24.
Ibid.,
Ibid.,
p.
78.
85.
compris, d'une manière indirecte et
Henry Manceron", 1962, p. 247.
p.
25. Y
26.
27.
sur un
mode
comme
pacifié dans les "Lettres à
Segalen, "Voix mortes, musique maori", in Segalen et Debussy,
Segalen, Les Immémoriaux, 1972, p. 9.
Société des
Études
Océaniennes
p.
178.
�506
28. "Le Germe" est
emprunté à "Maïeutique",
un
très beau texte inédit dans lequel Segalen
30.
conception de la création littéraire (in Bouillier, 1961, p. 396).
Notamment, Immémoriaux, 1972, p. 9, 18, 55, 63, 101, 111, 120, 125.
31.
Ibid.,
exprime
sa
p.
101.
32. Ibid., p. 111.
34.
Segalen, in Bouillier, 1961, p. 396.
Moerenhout, 1837, pp. 485-489.
35.
Henry, 1928.
36.
Oliver, 1974.
33.
Segalen, Immémoriaux, 1972, p. 9.
Segalen, Ibid., p. 122. Les six premiers versets de ce chant religieux reprennent, avec
quelques retouches à finalité littéraire, le texte de Moerenhout (1837,1, p. 419). Nous n'avons
37.
38.
pas eu
le loisir de rechercher la (ou les ?) sources
39.
Henry, 1968.
40.
Steinen, 1928,
41.
42.
pp. 63-66.
Segalen, Immémoriaux, 1972, p. 43.
Cf. dans les Immémoriaux le chapitre "les Hérétiques" (pp. 201-224).
43. Les
44.
des versets suivants.
Nouvelles, jeudi 2 novembre 1978.
Ellis, 1972,
pp.
260-261.
Bouillier, 1961, p. 380.
Remerciements : je remercie Madame Annie Joly-Segalen et
de m'avoir fourni des copies de manuscrits de Segalen et
45.
bouillier, Henry (1961) : Victor
Madame Êliane Formentelli
d'articles peu accessibles.
Segalen, Mercure de France, Paris.
: Ethnology of Mangareva, Bishop Museum
Honolulu.
BUCK, Peter H. (1938)
Bulletin n° 157,
Ellis, William (1972) : A la recherche de la Polynésie d'autrefois,
traduction française, Publication de la Société des Océanistes, n° 25,
Musée de l'Homme, Paris.
FAVRET-SAADA, Jeanne (1977) : Les mots, la mort,
dans le Bocage, NRF, Paris.
les sorts. La sorcellerie
Bishop Museum Bulletin, n° 48,
anciens, traduction française de
l'ouvrage précédent par B. Jaunez, Publications de la Société des
Océanistes, n° 1, Musée de l'Homme, Paris.
henry, Teuira, (1928) : Ancient Tahiti,
Honolulu. (1968) Tahiti aux temps
joly-segalen, Annie (1978)
des Iles.
:
Introduction, in Segalen, Victor, Journal
Metraux, Alfred (1971) : Ethnology of Easter
Bulletin n° 160, Honolulu.
Island, Bishop Museum
Moerenhout, J. A. (1837) : Voyage aux îles du grand
tion de l'édition princeps, Maisonneuve, Paris.
segalen, Victor (1962) : Lettres à Henry
Océan, reproduc¬
Manceron, Mercure de France,
241-271. (1970) Stèles, Peintures, Équipée, Pion, Paris. (1972)
Les Immémoriaux, 10 X 18, Paris. (1978) Journal des Iles, Éditions du
Pacifique, Papeete.
juin,
pp.
Société des
Études
Océaniennes
�507
STEINEN, Karl
Reimer
von den (1925-1928) : Die Marquesaner und ihre Kunst, D.
(Ernst Vohsen) Berlin, 2 vol. + atlas pi.
: Au sujet du "cimetière marin", in Cohen, G., Essai
d'explication du cimetière marin, NRF, Paris.
VALÉRY, Paul (1946)
Henri Lavondès
Société des
Études
Océaniennes
�508
Félix
MARANT-BOISSAUVEUR
Un marin dessinateur dans le Pacifique
dans les années quarante du siècle dernier.
SYDNEY. 1977. Le dernier
jour de travail en bibliothèque après
Australie. Les recherches en cours
sont achevées et il me restait encore quelques heures à passer dans la
ville. Il faisait beau. Les parcs à Sydney sont attirants et curieuses les
fontaines qu'on y découvre.
Mais tant pis pour la promenade. On n'est pas tous les jours
l'hôte d'une des plus belles bibliothèques océaniennes du monde. Il faut
tout tenter pour essayer d'en mettre au jour les trésors et savoir résister
aux sirènes... D'un doigt sans enthousiasme, mais volontairement
curieux, je me mets donc à feuilleter un très important fichier
concernant les navires sur lesquels la bibliothèque possédait une
documentation : journaux de bord, récits de naufrages ou illustrations.
Ainsi ai-je été attiré par le nom de l'Héroïne. Quelques baleinier
français sans doute, égaré dans ces parages parmi des kyrielles de
bateaux anglo-saxons, pensais-je. Mais non. Une lecture plus poussée
de la fiche, rédigée en anglais, me montre qu'il s'agit du « Voyage of the
french corvette "l'Héroïne" during the years 1844-1849, commanded by
Captain Le Cointe ». L'œuvre est importante. Il s'agit d'un manuscrit en
trois volumes, achetés 120 livres australiennes, le 14 juillet 1915, chez
Angus et Robertson, la grande librairie de Sydney. Les volumes sont
reliés en maroquin tabac. L'étui qui les contient porte la signature de
Rivière and Son, comme relieur. C'est un travail très soigné.
La prise était de taille. L'après-midi me parut très courte pour en
faire rapidement le tour.
De retour en France, grâce à l'obligeance et à la science du
Capitaine de Vaisseau Duval, chef du service historique de la Marine,
de M. Michel Galzan, chef des archives du Morbihan et de M. Job
Jaffre, érudit breton, je n'eus pas de peine à retrouver l'identité de
Marant-Boissauveur et à établir sa notice bibliographique.
un
séjour de quelques semaines
en
Guillaume Julien Casimir Félix Marant-Boissauveur est né à
Lorient le 15 avril 1821 où son père, âgé de vingt-cinq ans, était alors
commissaire de la marine. On est d'une famille de marins. Il est souvent
Société des
Études
Océaniennes
�509
437
-
Régent Paraïta. Aquarelle.
Société des
Études
Océaniennes
�510
question, dans les fastes de la marine pendant la Révolution, d'un
Capitaine de Vaisseau Boissauveur, qui prend sa retraite comme ViceAmiral en 1814. Par ailleurs, les Le Marant sont originaires de Plourin,
près de Morlaix. La famille figure dans les montres du xive et du
xve siècles. Les branches les plus connues sont celles de Kerdaniel et de
Coat Salver, dont on a fait Bois-Sauveur.
Félix suit la carrière paternelle. Il entre dans la marine, à Nantes,
le 26 août 1839. Il a dix-huit ans et occupe un poste d'écrivain. Après
dix-huit mois de service il passe au port de Brest où il est nommé
comissaire de deuxième classe le 21 décembre 1841. Deux
ans
et demi
plus tard, versé dans toutes les astuces de la comptabilité deniers et de la
gérance des stocks de l'intendance maritime, il embarque suri 'Héroïne,
le 6 juin 1844. Il servira à bord de cette corvette, « à la mer, et guerre »,
jusqu'au 31 décembre 1847.
Comme tous les gens instruits de son époque, et comme tous les
marins, Marant-Boissauveur dessine. Un officier exécute aisément des
profils de côtes et sait montrer, à toutes les allures, un navire sous voiles
c'est le b a ba de son métier. Il manie donc aisément le crayon, d'où
la perpétuelle tentation de conserver des souvenirs de ses voyages en
des carnets d'esquisses dont très nombreux sont ceux qui sont parvenus
dans les bibliothèques et les dépôts d'art, ou traînent dans les greniers
d'habitations de province. La photographie n'existe pas. La main
humaine doit faire effort afin de conserver ce que l'œil a découvert et
voudrait posséder d'une manière durable.
Le manuscrit concernant le récit du voyage de MarantBoissauveur n'est pas de premier jet, tenu quotidiennement à jour.
C'est une « reprise » de notes originelles que nous ne possédons pas. Il
n'est daté que mensuellement.
On quitte le goulet de Brest, le 17 octobre 1844, remorqué par le
Phoque.
A Monterey, en juillet 1845, notre homme va repeindre pour
M. Gasquet un tableau sur lequel étaient les armes de France,
—
couronnées des mots
« Consulat Général de France ».
En août, à Oahou, Honolulu, il assiste à une messe destinée à
demander à Dieu sa protection « sur les baleiniers et les missionnaires ».
Après avoir salué Moorea, premier passage à Tahiti en septembre. Il y
visite Bruat qui lui dit : « Je vois jeune homme, que vous voulez goûter
de la navigation. C'est un métier bien dur. » Il donne une intéressante
description de Papeete, alors simple petite bourgade au bord de la mer :
« Il se
passera quelque temps avant que les indigènes imbus des idées
anglaises nous voient d'un bon œil; mais avec de la douceur, on ne
tardera pas à se les concilier et à s'attacher des hommes aussi
affables... »
Au début d'octobre, il fait escale à
Tutuila, aux îles Samoa, et
après douze jours de mer, il arrive, toujours dans le même mois, à
Wallis. Il est accueilli par un certain Simonet, déserteur de l'Astrolabe,
qui devient son guide auprès de l'évèque d'Enos, Mgr Bataillon et de
Thungala, chef influent. L'île est divisée en deux partis. Un catholique
Société des
Études
Océaniennes
�511
baptisé, Lavelua, «énorme majesté... espèce d'éléphant à face
humaine » (Julien Lafferière, 1843) « homme de la plus grande nullité »,
et Thungala, son cousin, « très capable », qui tente, lui, de parvenir au
pouvoir au dépens du chef Poy, frère du roi. Poy était parti pour Tonga
en 1840. Revenu à Wallis deux ans plus tard, il y fait «le culte de
Tonga», le culte protestant. En fait, il s'agissait uniquement de
remplacer le dimanche par le samedi.
Marant-Boissauveur constate avec surprise la marche à la
Mission de Wallis d'une petite imprimerie. « Ils procèdent eux-mêmes à
l'impression des livres qui servent à leur éducation». L'église,
« construite
en cocotiers, est assez grande et ornée de toutes les
richesses de l'île, avec des nattes curieusement travaillées et plusieurs
grands tableaux religieux ».
A Wallis, notre voyageur a l'occasion d'assister aux exercices
militaires de la « Compagnie de débarquement » locale ainsi qu'à des
fêtes. Ainsi s'assied-il à un kava d'honneur, très impressionné par la
solennité du cérémonial observé à cette occasion. Il note l'importance
du formalisme local : « On place chacun à son rang et l'on sait,
exactement, ce qu'il faut distribuer de nourriture à chaque participant ».
Le lendemain c'est un combat fictif, « avec les armes terribles qui
leur sont en usage», qui est au programme. On dîne ce jour là chez
l'évèque. « Il y a là des chefs de l'archipel de Bougainville, fatigués du
joug des ministres protestants». Le repas est rendu, le lendemain, à
bord de l'Héroïne. Pendant le temps du séjour, les charpentiers de la
corvette s'empressent à la réparation de la goélette de l'évèque d'Enos.
On est un peu surpris de constater que Marant-Boissauveur note
que 1'« église de Wallis, ainsi que le village principal, est entourée d'une
forte palissade en cocotiers et de fossés assez profonds, pour rendre à
l'extérieur toute communication difficile; des espèces de ponts-levis
sont établis de distance en distance. Les naturels d'Uvea
conseils et
fortifications
un
des
missionnaires
doivent
aux
de grandes
». Et, de fait nous trouverons dans les dessins du voyageur
croquis nous montrant l'importance et l'organisation de ce système
aux
travaux
ce
genre
de défense.
Le 18 octobre, on quittait Wallis pour les îles Mulgraves. Le
31 décembre, VHéroïne est en vue de Puebo, sur la côte est de NouvelleCalédonie. On visite Monseigneur Douarre au début de janvier, à
Balade. Il y a un peu plus de deux ans que le jeune évèque auvergnat
s'est installé sur la Grande Terre, et sa situation n'est guère brillante. Le
commandant de l'Héroïne s'en va alors ériger un monument à Huon de
Kermadec, le commandant de l'Espérance, une des deux frégates de
d'Entrecasteaux, décédé à son bord, dans les parages, en 1793, et qu'on
avait alors enterré secrètement par crainte d'une exhumation par les
cru, curieux et cannibales. L'îlot Bouguione est depuis lors
devenu un des lieux de pèlerinage de la marine française dans le
indigènes du
Pacifique.
Trois
ou
quatre morts à bord... incidents de mer ou scorbut; une
tempête, et la corvette
gagne
Société des
Tahiti où elle arrive le 22 février 1846.
Études
Océaniennes
�512
426
-
Lieutenant de Vaisseau
Société des
Lejeune blessé à Punauia. Crayon.
Études
Océaniennes
�513
On mouille en face du magasin des subsistances. Il y a cent sept
malades à bord. On espérait pouvoir faire reposer l'équipage et soigner
les hommes sur cadres. Il n'en est pas question. On tombe sur une
Tahiti est en état d'insurrection »... L'Héroïne
la défense. Les hommes s'en vont aider à la
construction d'un rempart autour de la redoute. Et, d'une plume
animée, Marant-Boissauveur de nous décrire une « alerte ». Un mois il
va ainsi au jour le jour vivre l'histoire de Tahiti, et se présenter comme
«
guerre opiniâtre », car «
doit aussitôt participer à
le
témoin
oculaire
des
différents
événements
de
cette
brillante
expédition. Cependant, en mai, lassé sans doute par la monotonie de la
campagne, il se contentera d'en rapporter quelques traits saillants.
«Nous étions venus à Tahiti pour nous reposer et nous rétablir. Nous
n'avions trouvé que les fatigues d'un état de guerre persistant et une
nourriture bien peu propre à nous rendre la santé ». Il quitte l'île le
21 octobre 1846 et, par Valparaiso (14-15 décembre 1846), Callao
(15 janvier 1847) et la Californie (juin 1847), il regagne la France où les
qui n'est rien moins que
républicain.
événements de 1848 attendent le voyageur
Il y a beaucoup de diversité dans la technique de dessin
qu'emploie Marant-Boissauveur. Le plus souvent il utilise le crayon.
Intéressé seulement par les îles d'appartenance française, je n'ai
vraiment étudié que les œuvres concernant Wallis, la NouvelleCalédonie et Tahiti, laissant pratiquement tomber tout ce qui pouvait
concerner
Hawaii et la Nouvelle-Zélande. Parmi les études de lui que
eu entre les mains, la majorité des dessins sont des crayons, 28; j'ai
noté 19 aquarelles; en outre, 4 pièces qui sont un mélange de crayon et
de gouache, 3 huiles sur papier, 1 à la plume et enfin une litho. Selon un
inventaire-classement officiel dressé par la Dixon Library : la bibliothè¬
j'ai
que de Sydney posséderait : 41 crayons, 21 aquarelles, 1 fusain, 2 huiles
et 1 gravure. Ajoutons que sur ces œuvres un dessin seulement est
signé, 15 sont datés, et 25 portent une légende.
Certains de ses crayons ont une grande précision, surtout dans
les paysages et quand il peut prendre son temps. Le « village de Wallis »
barricades est de toute évidence d'une exacte minutie. Et sa
des côtes de Papeete, montrant, de la mer, «le Blockhaus, ancien
avec ses
vue
camp de l'Uranie et cimetière de Papeiti, dessiné alors que l'Héroïne
tient ce coin de l'île sous le feu de ses canons, » est d'un tracé exact où se
lisent aisément les diverses lignes des collines, les silhouettes très vraies
des différents bâtiments militaires : blockhaus, casernements, fortifica¬
tions, tranchées, tours de guet... Il a tendance à allonger les stipes des
cocotiers qui prennent avec lui un aspect hawaiien, mais nous ne le
chicanerons pas là-dessus. Marant-Boissauveur sait voir et dessiner un
bananier, un arbre à pain, un pandanus; nous avons de lui quelques
relevés de tatouages tahitiens, masculins ou féminins : ils sont fort
précis et constituent d'excellents documents ethnographiques. Il se sent
Société des
Études
Océaniennes
�514
1*
438
-
Soldat canaque
Société des
">«.
des troupes de Paraïta. Crayon
Études
Océaniennes
�515
peut-être moins à l'aise avec les scènes d'action, mais quand il peut faire
asseoir son modèle et a tout son temps avec lui, il montre une certaine
habileté dans le maniement du crayon.
Comme tous les dessinateurs de
son temps, il est du reste plus
faire » que par la ressemblance profonde du
personnage qu'il a devant lui. Les beautés tahitiennes qui le séduisent et
dont il se propose de nous conserver l'image gardent toutes, malgré
leurs tresses ou leurs longues chevelures déployées, malgré leurs fleurs
et leurs colliers, quelque chose d'européen. Leurs bandeaux par trop
plaqués, leur teint clair, leurs cous graciles ne sont en rien ceux d'une
polynésienne. Peut-être, après tout, les «voyait-il» comme cela.
Gauguin, Boullaire et Heyman sont maintenant passés par là qui ont su
découvrir la femme tahitienne dans son abstraction, qui ont vu la femme
tahitienne dans ses différenciations raciales, sa spécificité d'attitude,
l'attache si caractéristique de ses membres, la structure de ses cuisses,
ses pieds qui ventousent le sol. Les tatouages des mains tahitiennes que
Marant-Boissauveur nous présente sont clairement reproduits, mais les
mains elles-mêmes, fines, avec des ongles effilés, sont des mains
strictement occidentales. Ne le lui reprochons pas trop. Charles Giraud,
un peintre français de renom venu officiellement à Tahiti à la même
époque tombera lui aussi dans la même faute. Ses tahitiennes, lorsqu'il
leur fait danser la upa-upa, sont des filles du Boulevard en train de
danser la gigue ou le cancan, non des tahitiennes.
Il est du reste peut-être plus heureux avec les hommes en
costume. Assis dans son fauteuil, sa tabatière dans la main droite, le
Régent Paraita a une noble allure sous le pinceau de MarantBoissauveur. Il l'a vu de trois-quart, presque de profil. Sa tête puissante
et racée, ses cheveux frisottants, des favoris, un bel habit bleu de roi au
col brodé d'or, font penser à certain portrait de Stendhal en costume de
consul. A travers une petite lucarne ouverte dans la cloison de la case en
planche, on distingue le drapeau du protectorat qui flotte au vent. La
préoccupé
mise
en
par
le
«
scène est excellente.
qu'il a tracée — sabre en main et
du «Lt de Vaisseau Lejeune, blessé
La silhouette
dans la ceinture
—
révolver glissé
le 29 mai 1846
combat de Punaauia, à côté du Commandant de Bréa, qui lui fut tué
au cours de l'action », est elle aussi amusante. On y voit ce que pouvait
être le costume d'un marsouin en campagne coloniale aux premiers
au
temps de la présence
comme
en
française. Et les deux hommes qui figurent,
second plan animent encore cette pochade.
remarque, au
également à la lithographie. On
procédé, des sujets hawaiiens ou
chiliens, qui ont la particularité d'avoir été tirés à Papeete. Nous
trouvons en effet des lithos 22 x 30, des croquis de voyage qui portent :
«Lythog. de Taiti». Marant-Boissauveur, lithographe novice, n'a pas
signé et daté sa pierre à l'envers, comme il l'aurait du faire pour voir ses
initiales figurer dans le bon sens sur la planche tirée. Pour tenter de
Marant-Boissauveur s'est exercé
connaît de lui 4 dessins obtenus par ce
Société des
Études
Océaniennes
�516
422
-
Jeune
femme assise. Crayon
�517
racheter
bévue
qui donne une sorte de gribouillis cabalistique sur son
a rajouté de sa main, au crayon : « Félix MarantBoissauveur. delineavit d'après nature (1846) Lythographie. »
Telle fut la carrière et telle fut l'œuvre de Félix Marantsa
épreuve, il
Boissauveur, marin breton qui parcourut le Pacifique aux dernières
heures de la marine à voile et laissa de son périple des souvenirs qui
mériteraient mieux que cet articulet. Le micro-film de son œuvre a été
déposé aux Archives de la France d'Outre-Mer. Il permettrait à un
chercheur de pousser plus avant cette étude et à un mécène amateur de
livres curieux de publier peut-être quelque jour les cinquante dessins ou
croquis exécutés voici cent quarante ans dans le Pacifique par MarantBoissauveur, dessinateur occasionnel.
Patrick O'Reilly
Société des
Études
Océaniennes
�/
'l
518
\W
436
-
Société des
tv«-v*
Mere y.
Crayon
Études
Océaniennes
�519
Dessins
de Félix Marant-Boissauveur
concernant
l'Océanie
•
•
0
0
française
Les numéros des pages correspondent à ceux du manuscrit conservé à Sydney.
Les numéros des clichés correspondent à ceux placés en bas et à droite du microfilm.
Les numéros qui suivent les légendes correspondent à ceux portés sur les dessins originaux
de l'auteur.
Les références OR. correspondent aux clichés conservés dans la photothèque O'Reilly.
WALLIS
Page 10
-
Cliché 396
Église de la mission
Page 11
Le Pali
Wallis. n° 211, (OR.78.16.!).
volcanique. Hawaii.
Page 12 - Cliché 400
Femme allaitant;
Page 13
aux
-
image de la Vierge; collier. n° 213, (OR.
Cliché 401
Végétation près de l'ancien cratère. n° 214,
Page 14
-
-
(OR.78.16.3).
Cliché 402
a) Polynésien. n° 215.
b) Pandanus aux Wallis. n° 216,
Page 15
78.16.2).
(OR.78.17.1).
Cliché 404
Sculpture. n° 217, (OR. 78.17.2) sans doute un objet sculpté provenant
de la Colombie britannique. Égaré là par hasard.
Page 16
-
Cliché 406
a) Femme et enfant. n° 218.
b) Végétation. n° 219, (OR.
Page 17 - Cliché 408
Une des femmes
n°
du grand chef payen Tontaguella [Toungahalla],
(OR.78.14.1).
220,
Page 18
78.11.2).
-
Cliché 409
a) Le lac de Bain dans le cratère. n° 221.
b) Iles Wallis. n° 222, (OR.78.14.2).
Page 19 - Cliché 412
Danse de guerre.
n° 223,
(OR.78.10.2).
Société des
Études
Océaniennes
�520
Page 20
a)
b)
c)
d)
Cliché 413
-
Porteuse de kava et lépreuse. n° 224.
Chef Tongalla, Ministre. n° 225.
Le Roi. n° 226. La velua.
Costume de guerre. n° 227, (OR.78.10.3).
Page 21 - Cliché 414
Un village d'une
île
(OR.78.15.1).
du Pacifique
avec
des barricades.
n°
229,
TAHITI
Page 22
-
Cliché 416
Wàini, femme de Nouka Hiva. Femme assise, cheveux longs, poitrine
nue. Huile? 26,5 x 21.
(OR.78.15.3).
Page 23 - Cliché 417
A Tahiti, chez le peintre du gouvernement Charles Giraud. Deux vahinés
dans un hamac, une palette accrochée au mur. Aquarelle, 21,5 x 30.
(OR.78.12.1).
Page 24
-
Cliché 418
a) Un village d'une île du Pacifique. n° 238. 6 x 10.
b) Homme des Marquises émigré. Homme tatoué assis. Aquarelle
18,5 x 18,5.
(OR.78.12.2).
Page 25 - Cliché 419
Case au bord de la
pirogue,
mer.
Mooréa
Deux
dans
le
femmes,
fond.
un
n°
(OR.78.12.3).
enfant, deux cocotiers, une
Crayon, 18,5 x 29.
239.
Page 26 - Cliché 420
Vue d'une côte avec des cocotiers. Sûrement Tahiti. n° 240.
21 x 33. (OR.78.13.1).
Page 21
-
Crayon
Cliché 421
Mooréa, vue de Tahiti. Semble pouvoir faire un panorama avec la vue
précédente. Daté du 11 juillet 1846. Crayon, 12,8 x 32. (OR.78.13.2).
Page 28 - Cliché 422
Jeune femme assise. Robe
21,5 x 17. (OR.78.13.3).
mission, deux tresses,
un
chapeau. Crayon,
Page 29 - Cliché 423
Vallée de Punaruu
et camp retranché ennemi. Tahiti. 1846. n° 243.
Crayon, 24 x 32. (OR.78.18.1).
Page 30 - Cliché 424
Le Diadème, au fond
(OR.78.18.2).
de la vallée de Punaauia. Aquarelle, 16,5 x 19,8.
Cliché 425
Double de 424.
Société des
Études
Océaniennes
�433 et 434 - Tatouages de la jambe
mains de son épouse. Aquarelle.
Société des
du chef Parima et de la cuisse et des
Études
Océaniennes
�522
Page 31
-
Cliché 426
Officier de l'expédition Punaauia. Lt de vaisseau Lejeune, blessé à côté
du Cdt de Bréa, qui fut tué au siège de Punaauia. n° 246. Crayon.
(OR.78.2.1).
Page 32 - Cliché 427
Rue à Tahiti, août 1848. Lisses blanches, cocotiers, une tahitienne.
Crayon, 23 x 19. (OR.78.2.2).
Page 33
-
Cliché 428
«Upa
23
x
upa». D'après un
32. (OR.78.2.3).
Page 34
-
dessin
connu
de Giraud. n° 247. Crayon,
Cliché 429
a) Portrait de Maretta Rahi. Buste de femme étendue sur un oreiller.
b) Portrait de femme. 10 mai 1846. n° 249. Crayon, 21,5 x 17.
(OR.78.3.1).
Page 35
-
Cliché 431
a) Vue de côte. Aquarelle, 8 x 12.
b) Femme aux seins nus assise en tailleur les mains croisées
cuisses. n° 251. Crayon, 24 x 17,5. (OR.78.3.2).
entre les
Page 36 - Cliché 433
Mains de femmes de Tahiti. « La main de droite est paticulièrement
celle de Parima Vahine, femme du grand chef Parima». Dessinées le
12 octobre 1846. n° 252. Aquarelle, 19,5 x 29,5. (OR.78.4.1).
Page 31 - Cliché 434
Jambe de Parima tane et Cuisse de Parima vahine. n° 253.
29,5 x 22.
Aquarelle,
(OR.78.4.2).
Page 38 - Cliché 435
Vahine. Faaromai surnommée Memorenei. Taiti. Juin 1846. Torse de
femme, habillée d'une robe décolletée bateau. n° 254. Crayon,
28,5 x 20,5 (OR.78.5.1).
Page 39 - Cliché 436
Mere y. Buste de femme vue de trois-quarts, les cheveux tombant sur les
épaules, avec une petite couronne sur la tête et une fleur à l'oreille
gauche. n° 256. Crayon, 29 x 23. (OR.78.5.2).
Page 40
-
Cliché 437
Régent Paraïta. Vice-Roi de Tahiti sous le Protectorat de la France. Il est
assis dans un fauteuil, le drapeau du Protectorat flottant à travers la
fenêtre de sa case. Aquarelle, 26,5 x 20. (OR.78.5.3).
Page 41 - Cliché 438
Soldat canaque des troupes de Paraïta. En chemise, il tient un fusil à
baïonnette entre ses cuisses tatouées. n° 258. Crayon, 32 x 21,5.
(OR.78.6.1).
Page 42 - Cliché 439
Blockaus. Ancien camp dit de
n° 259. Aquarelle, 23,5 x 32.
Société des
l'Uranie et cimetière de Papeiti (sic).
Études
Océaniennes
�523
- Cliché 440
Zélandais émigré à Tahiti dans le district
dernière attaque du camp de l'Uranie
25 x 21. (OR.78).
Page 43
■ Cliché 441
Haanoa, canaque de
de Punauia tué dans la récente
(juin 1846). n° 260. Crayon,
Page 44
chemise
Vaitahu aux Iles Marquises. Visage tatoué,
blanches. n° 261. Dessin à la plume
à rayures roses et
aquarellé, 27 x 19. (OR.78.8.1).
Page 45 - Cliché 442
La « upa upa » à Tahiti. Anciens costumes. Jeunes femmes
tutu et le buste nu. n° 263. Plume, 25 x 16. (OR.78.8.2).
Page 46 - Cliché 443
Ma maison d'habitation à terre. Estuaire d'une
bords sont reliés par une passerelle. Maisons
n° 264. Crayon, 21 x 31. (OR.78.8.3).
dansant en
petite rivière dont les
à droite et à gauche.
Page 47 - Cliché 444
Un homme des Marquises
émigré à Tahiti. Juin 1846. Gros plan d'un
visage tatoué. n° 265. Huile sur papier, 26 x 21,5 (OR.78.8. ).
NOUVELLE-CALÉDONIE
Page 48
-
Cliché 446
a) Un chef cannibale en Calédonie avec le trophée.
b) Une hutte en Nouvelle Calédonie. (OR.78.9.3).
Page 49 - Cliché 447
Case de grand chef
à la Nouvelle Calédonie.
(OR.78.9.4).
Cliché 448
Illisible
Page 50
-
Cliché 449
a) et b) Femmes calédoniennes avec des jupettes et un
Aquarelles. (OR.78.9.7).
Page 51 - Cliché 450
Femme assise à côté d'une hutte.
Page 52
-
(OR.78.9.8).
Cliché 452
a) Calédonien tenant une lance.
b) Homme d'une colonie de Tonga émigré à la
c) Jeune Calédonien. (OR.78.9.10).
Page 53
-
enfant.
Cliché 454
Indigènes Hébrides. Ceinture cache-sexe en
Société des
Études
Nouvelle-Calédonie.
tissu. (OR.78.9.11).
Océaniennes
�524
Documents
recueillis
ethnologiques tahitiens
en
1849 par
Encouragements
le Capitaine de Vaisseau Lavaud
aux
Indigènes qui vont
au
Noms de certaines nuits et de certains
combat
jours
1. Certaines nuits et certains jours prenaient les noms Po et Ao.
Les personnes, nées en ces jours et ces nuits, étaient toujours
regardées comme devant être braves et intrépides. Sous ces
mêmes noms de nuits, les guerres étaient exposées (mises sur le
tapis)
faisait les préparatifs pour commencer une attaque,
rallier les différents chefs de districts, en leur
envoyant des personnes ou des messagers particuliers pour
encourager et exciter à la guerre.
; on
comme
pour
Chants
2. Allons
au
combat. Les premiers rangs sont déjà réunis et ont
commencé l'action. Renversons, détruisons-les (ennemis) et
saisissons leurs propriétés. Qu'en cette nuit de Hiro les guerriers
cohabitent avec leurs femmes et les enfants qui en naîtront
seront braves.
S'ils naissaient
lâches,
ou
en
la nuit de Horoiti, ils seraient une troupe
ruhi (homme
mou,
de
efféminé).
3. Si la mère est comme la fente dans un rocher, un grand
lézard sera en elle ; si elle est comme l'entrée d'une rade (d'une
baie), ce sera un requin (1) ; si la mère est bavarde,
un voleur, et alors un grand guerrier.
(1) Mao-a-vai. ava, dans le texte, signifie
rades, des baies.
une
fils
sera
espèce de requin qui se tient généralement à
l'entrée des
Société des
son
Études
Océaniennes
�525
Si la femme ou mère est active, son fils sera aussi un voleur (2) ;
si elle est tranquille (3), son fils sera un homme excellent et un
bon guerrier (4) ; si la mère a une très faible voix, son fils sera le
premier dans le combat. Si la mère est constamment couchée (5),
son fils sera un lâche et le premier à fuir du combat.
(Ce qui précède paraît donner le détail exact des habitudes ou
mœurs de leurs femmes).
4.
Lorsque les guerriers sont réunis à Uporu
(champ de bataille
de Huahine), qu'ils montent sur la colline Paarea, qu'ils aillent
tous à Tuaiva, les premiers, les seconds et les derniers rangs,
ainsi que les rameurs de pirogues.
5. Les guerriers sont réunis.
découvrent l'ennemi, l'action a
Allons ! que les premiers rangs
commencé, le combat doit aller ;
les guerriers saisissent leur
l'ennemi).
que
proie et prennent les terres (de
6. Que les guerriers se sanglent (1) et qu'ils ne pensent qu'au
combat ! Tuhaa Tane (le chef de l'ennemi) viendrait-il à se sauver
sur les montagnes de Faatauvavau, il les trouverait encore trop
basses ; et si
c'était sur les montagnes de Aaura, ils les trouverait
toujours.
7. Les premiers rangs les poursuivront-ils seuls ? Non ! Nous
tous les poursuivrons et prendrons leur lieu de refuge. Lorsque
nous ferons cette prise, Tuhaa devra se sauver dans les nuages.
Qu'il court, pour sa sauvegarde, à la résidence de Ruatapa (un
dieu) et qu'il le supplie de le protéger. Ce dieu lui répondra :
"Cessez vos prières, ma protection vous est accordée".
assez
élevées, mais nous l'y poursuivrons
8. (Les prêtres informent
Le chef de l'ennemi s'est
le peuple)
échappé,
:
nous sommes
sûrs d'avoir
la guerre. Nous avons marché sur une pierre glissante
devons de nouveau nous préparer à combattre.
encore
nous
et
chef de l'ennemi s'est sauvé, lui dit :
9. Levez-vous ! Préparez-vous de nouveau pour la guerre,
montrez-vous braves, mettez promptement en état vos pirogues,
lancez-les à la mer et allez au combat, jusqu'à Tumaitai Rofai (un
Ruatapa, près duquel le
lieu de Huahine).
Taiuri et Taimea sont de braves
maisons sur la mer (détermination
guerriers. Établissons nos
à combattre), soyons tous
unis, les guerriers seront notre soutien, allons ! Hiro sera avec
(2) Aiharuma, dans le texte :
sans se
celui qui entre secrètement et de nuit dans la maison et dérobe
découvrir.
(3) Ruhi veut dire aussi doux, mou, efféminé.
(4) Poiheretue, dans le texte (brave).
(5) Otaha-moe-a-po : Ota est un oiseau particulier ; amoe apo,
(1) Les Indiens se serrent
qui dort la nuit.
le ventre pour empêcher les-douleurs
Société des
Études
de la faim.
Océaniennes
�526
nous
et
nous
fera réussir. Les guerriers sont inquiets. Ils ne
aucun retard ; préparons-nous donc et le
notre entreprise, que les chefs et les guerriers
peuvent souffrir
couronnera
succès
soient
tous unis pour la cause
Il y a peu de guerriers,
!
quelques-uns se sont en allés et nous ont
laissés ; attendons un peu et réunissons plus d'hommes, afin
d'être sûrs de la victoire. Qu'ils aillent de suite chercher plus de
monde et qu'ils reviennent promptement ! Qu'ils ramènent le roi
(Tuna) avec eux, et nous, restons où nous sommes jusqu'à ce que
le renfort arrive !
arrivés. Étendons donc le
de se déployer comme un
filet). Partons pour le combat, remportons la victoire. Ils ne
tiendront pas devant nous. Que les premiers rangs se conduisent
vaillamment, qu'ils soutiennent le combat !
10. Les guerriers sont maintenant
filet (manière de dire aux guerriers
11. Les guerriers sont prêts ! Que les poltrons sortent de la
route, qu'ils n'entravent pas la marche ! Les guerriers ont
commencé leur marché. Qu'on ne laisse pas ceux qui ont peur se
placer aux premiers rangs ! Allons maintenant et frappons les
guerriers sur le champ de bataille.
Si vous vous rencontrez avec les poltrons (Pipiro et Mamea) (on
compare les poltrons ou lâches à une sorte d'anguille — Pipiro et
Mamea
qui est très lente à mordre à l'hameçon ; les braves,
d'un autre côté, sont comparés à une autre espèce d'anguille —
Avaha
qui se jette de suite sur l'appât qui lui est offert),
laissez-les aller. Si vous vous rencontrez avec les braves guerriers
(Avaha), frappez-les, car ils sont les seuls avec lesquels vous
puissiez vous battre.
—
—
12. Levez-vous, levez-vous et allez au combat ! Guerriers, que
ferons-nous ? Commençons, unissons-nous et marchons au
combat ! Que les Feenui (1) aillent embrassant toutes les
divisions de l'armée ; mais que les Auahi Rauuru (lâches) et les
Marara Tuae Haa (2), ceux qui ont peur, s'en aillent, car ils sont
inutiles et propres à rien.
13. Que le premier rang commence l'attaque ; que le second se
baisse et que les autres les soutiennent ; qu'ils résistent avec
vigueur et
ne
soient
pas
repoussés (Heuea) !
Qu'ils soient tous pris dans le filet ! Détruisez-les entière¬
ment, brûlez leurs maisons, ne laissez rien debout. Que toute
notre armée unisse ses rangs en renversant et en détruisant les
14.
ennemis !
(1) Feenui : braves (type du guerrier).
(2) Aari Rauuru veut dire feu provenant de la feuille du fruit à pain, qui, mise en
combustion, s'éteint de suite (il exprime ici le mot lâche). Marara Tuae Haa est un poisson
particulier qui fuit toujours — il veut dire ici celui qui a peur.
Société des
Études
Océaniennes
�527
15. Dieux et Rois, étendez le filet ; chefs, développez le vôtre et
enveloppez-les, c'est-à-dire détruisez l'ennemi. O Tane (chef de
l'ennemi), vous serez pris dans le filet et détruit. Nous sommes
forts, nous sommes puissants. Rien ne nous intimidera. Nous
combattrons et
nous
vaicrons.
Voyez les guerriers hardis : Aruriri, Arurara, Aruturainua et
Tearunui Faharai Maau, rien ne les arrête : imitons-les et faisons
comme eux. Ils sont comme la dure coquille qui se trouve sur le
récif ; les vagues ne peuvent la rompre, ni l'arracher de sa place.
16. Mais que ceux qui ont peur mangent du porc coriace, la
banane Huaroto (1) et boivent de l'eau salée, afin de devenir
braves. Qu'ils ne craignent rien et agissent comme s'ils étaient
dans un accès de jalousie.
17. Guerriers, maintenons-nous, n'ayez aucune crainte,
chassez tout signe de peur ou de timidité. Qu'ils (les guerriers)
fassent comme le poisson Ahuru, qui demeure ferme dans le
rocher, en regardant autour de lui en même temps.
18. Le motif de la guerre est que la trompette sacrée (Pu) et le
tambour consacrés à Tane ont été pris par les deux femmes
Puupuu et Hinano. Les femmes de Uturoa sont
hommes (ou ont agi comme des hommes).
devenues des
19. Les Huahinéens (désignés dans le texte par Marama)
attaquent et annihilent leurs ennemis, ils sont braves et
inaccessibles à la peur. Ils sont comme le fort Purau des
montagnes ; ils ne cèdent jamais dans l'attaque.
coquille pourrie et n'aiment
ils sont lâches et ne peuvent rien faire.
Les Tahaniens (Tahaa, île située près de Raiatea) sont comme
les Uuerori (espèce de coquille autrefois en usage pour couper les
feuilles de Pandanus qui servent à faire les nattes) : ils battent
Les Raiatéens ressemblent à une
qu'à dormir
;
les Raiatéens et les taillent en pièces.
Les Boraboriens sont braves : ils savent conduire sans bruit
leurs pirogues et surprendre l'ennemi.
Les Mauruaniens (Maurua : habitants de l'île de ce nom, qui
est située près de Borabora) sont tranquilles et ne se battent pas.
20. Guerriers, quel parti prendre ? où commencerons-nous le
combat ? Attaquons le fort et renversons les ennemis, allons ! que
nos chefs et les meilleurs guerriers nous conduisent et montrons
tous notre bravoure. Soyons paparia hoai (2), hovahaiti (3),
Généralement, son fruit ne sort pas, comme
l'arbre, mais au milieu.
(2) Paparia hoai : homme qui, par son visage, excitait à la guerre.
(3) Rehouahaiti : homme qui, par son chuchotement, excitait à la guerre.
(1) Huaroto
:
espèce de bananier.
autres, au haut de
celui des
�528
putiitaaie (4), mataamoamo (5), oputaitetete (6),
taono (1), puraumataura (2), nohotiraha o atea (3).
uruama-
21. Les guerriers sont réunis à Uporu (lieu des assemblées
publiques à Huahine). L'ennemi est le Borabora. La guerre a été
fomentée par Puapuaino, Faatoroaha et Taneteroa (4), ils sont
allés au milieu de leurs guerriers pour les encourager à combattre.
Les guerriers demandent à ces trois qui ont été désignés : où ils
doivent aller combattre ? Ils leur répondent : à Mivaroa (endroit
situé à Huahine).
Deux chefs : Manitua et Manirua sont placés à la tête de leurs
forces ; ils sont nommés ensemble avec leurs frères pour les aider.
Ils ont aussi avec eux leur dieu de la guerre : Tauroa Ure Raorao.
22. A la tête du parti de Huahine, les deux guerriers sont :
Nauri et Inamea, qui se sont levés et ont ceint le maro (ceinture)
Puherinuihaamataua, lié autour de leurs reins la ceinture rouge
Manavataia (5), pris leur Omore Ruaipaoa (massue ou cassetête), ils ont rappelé les traditions de leur montagne sacrée (6),
dansé sur le Tahua Temapua (7), regardé la pointe Toerauroa (8),
se sont en même temps baignés dans la rivière Vaitatae (9), ornés
de la fleur Puai Hanou, ils ont préparé leurs pirogues et fixé les
balanciers.
pirogues, ô roi, soient solides et fortes, afin que vous ne
surpris par les grands vents Maraipupua (11). Les
guerriers sont forts et farouches ; ils viennent par la route de la
pointe Toerauroa. Ne faisons pas attention à l'ennemi, mais
Que
vos
soyez pas
combattons-le !
Nous, les guerriers Nauri et Inamea,
n'avons aucune crainte d'eux. Ils
notre colère ne peut être apaisée.
ne
sommes
peuvent
Ils viennent
nous
pour
braves et
vaincre et
saisir nos
homme qui, par la manière d'arranger sa chevelure, excitait à la guerre.
: homme qui, par le clignotement des yeux, excitait à la guerre.
(6) Oputaitetete : homme qui, par la manière de mettre sa ceinture, excitait à la guerre.
(4) Putiitaare
:
(5) Mataamoamo
(1) Uruamataono : homme que l'on comparait à
(2) Puraumataura : homme qui, par la forme de
un
poisson brave.
vêtement, excitait également à la
son
guerre.
(3)
(4)
(5)
(6)
Nohotiraha o atea : caractère des guerriers, par la manière de s'asseoir.
Pupuaino, Faatoroaha et Taneteroa : noms de trois fameux guerriers.
Manavataia : nommée ainsi parce que les hommes qui la portaient étaient sans peur.
Chaque grand personnage avait une montagne à laquelle se rattachaient des traditions
concernant ses exploits et ses titres de gloire, qu'il évoquait pour s'exciter à combattre : on
disait alors : appeler sa montagne.
(7) Tahua : c'était l'endroit où avait lieu les assemblées publiques, conseils, discussions...
(8) Toerauroa : on pense que c'était la pointe de l'île où était le siège du Gouvernement.
(9) Vaitatae : les guerriers avaient coutume de se baigner avant le combat, afin de se rendre
plus dispos. Vaitatae était une rivière sacrée à Huahine.
(10) Allusion à l'ennemi.
Société des
Études
Océaniennes
�529
montagnes sacrées Puira et Mouatapu (1) ; ce ne sont pas les
arbres qui sont sur des montagnes ou ces montagnes mêmes
qu'ils cherchent, qu'ils veulent, mais ce sont les chefs.
(1) Puira et Mouatapu
:
deux montagnes sacrées à Huahine.
Comptes rendus
GUNSON, Niel, éd. The Changing Pacific. Essays in Honour of H.E.
Maude. Oxford University press, Melbourne. 1978. XIV-351 p., ill.
h.-t., (port), cartes sur
les plats, bibliographies, index et tables, 22 cm.
Harry Maude est une des personnalités historiques les plus mar¬
quantes du Pacifique. Jeune homme, il mène à Cambridge des études
difficiles. Mais de R.L. Stevenson à Herman Melville et de Malinowski à
Haddon, il a dévoré tout ce qui traite du Pacifique. Et il découvre
annuellement les derniers livres parus sur le sujet dans les pages finales
de Stewart, Handbook of the Pacific. Reçu à Londres, dans le cadre des
fonctionnaires du Colonial Service, il choisit le Pacifique. Il quitte
l'Angleterre en septembre 1929 pour se voir, à 23 ans, affecté aux îles
Gilbert. Il commence là une carrière administrative et à l'honneur
d'ajouter à la couronne d'Angleterre, les 1200 habitants des îles Phœnix.
A son poste il va devenir le spécialiste des îles Gilbert. Il s'intéresse aux
problèmes de l'enfance et de l'adoption, signe de savants rapports sur
l'évolution de la population, l'organisation des coopératives, le problème
des terres, les droits de l'Angleterre sur ces territoires... De temps à
autre, il quitte son île pour des missions spéciales. Au cours de la
seconde guerre
mondiale, le voilà à Pitcairn, l'île des mutins
de la
Bounty. Il va donner à l'île une constitution et a l'heureuse idée d'y
ouvrir un bureau de poste qui, dans la suite, apportera au pays une
source
même
régulière de revenus par l'émission de timbres poste. Il s'y trouve
bloqué et y passera, malgré lui, presqu'un an, aucun navire ne
se montrer en ces parages, dans la crainte de quelque
corsaire allemands. L'état de guerre ne l'empêche néanmoins pas de
circuler : il visite Bora-Bora, alors base américaine, Aitutaki, Rarotonga,
consentant à
Tahiti, Suua et Tonga où il est
l'hôte de la reine Salote. Il conseille à la
souveraine d'"indigéniser" l'administration locale en formant
fonctionnaires susceptibles de remplacer les cadres européens.
des
La
achevée, on le trouve en Angleterre et aux États-Unis où il va
de ses îles. A cette époque, il sera, un temps, à Suva
attaché au Haut-Commissaire anglais du Pacifique. Il fera partie, en
1946, de la Commission du Pacifique Sud et participera à ses travaux. Il
y travaille beaucoup en faveur des îles Gilbert. Ce n'est pas assez de
chercher des terres à la population croissante des îles, mais il tient aussi
guerre
discuter des statuts
Société des
Études
Océaniennes
�530
gilbertiens le commerce local, jusqu'alors
les Australiens et les Japonais. Le Self Governement, pour
Maud, n'est rien si la population n'est pas maîtresse de tous les éléments
qui constituent la vie économique. Ayant quitté la Commission du
Pacifique Sud en 1955, il s'intéresse à Louis Becke, le grand romancier
du Pacifique et à Robert Louis Stevensons, écrivain-navigateur. Il vit
ensuite en Australie et fonde là Le South Pacific Literature Bureau qui
publie un nombre important de livres, brochures et rapports. Il sera
l'animateur du Journal of Pacific History et possède également un pied
en Nouvelle-Zélande à la Polynesian Society. En 1957, il est nommé à
l'Université de Canberra en Australie. Il y deviendra professeur au plus
haut degré en 1963. Quitte l'université dix ans plus tard et travaille alors
pour l'UNESCO, signant des articles et rédigeant des bibliographies. Sa
bibliothèque, riche de plus de 10.000 ouvrages concernant le Pacifique,
passera à l'université d'Adélaïde. Il devait prendre sa retraite en 1976,
mais quand on s'appelle Harry Maude il ne saurait être question de
à mettre entre les mains des
tenu par
"retraite"...
On trouve la signature d'H. Maude dans les publications les plus
diverses, principalement dans des comptes rendus d'ouvrages traitant
du Pacifique. Et, ce qui n'est pas pour déplaire à un amateur de livres,
bibliographies. Il préface celle
Catalogue des
1973, le Source
Materials related to Research in the Pacific Area, à la National Library
of Australia. Mon maître Marcel Mauss, dans les années 20 de ce siècle,
m'avait éveillé à l'intérêt présenté par les jeux de ficelles et les chants ou
comptines qui les accompagnent souvent. Et je dois conserver, quelque
part, un calpin rempli de ces jeux recueillis à Bougainville, avec les
chants et des photographies leur faisant suite. H. Maude et sa femme se
sont beaucoup intéressés à ces jeux, aux îles Gilbert, bien sûr, mais
aussi, grâce à de bénévoles collaborateurs en Nouvelle-Guinée, aux
Tuamotu, à Nautu et aux Salomon. Les jeux de ficelle du Pacifique
reconnaîtront en Maud leur patron et leur protecteur.
avec un
œil particulièrement attentif aux
d'Ida Lesson en 1954, et, quelques années plus tard, le
Thèses universitaires concernant le Pacifique et enfin, en
H.E. Maude.
biographie, p. 1-21, que je viens de résumer. Elle est
signée de Robert Langdon, le savant et courtois directeur de la Research
School of Pacific Studies à l'université nationale de Canberra. Une
exhaustive bibliographie des écrits de Maude lui fait suite, p. 22-31.
L'ouvrage se poursuit par un certain nombre d'articles écrits spéciale¬
Un volume d'"Essays" a donc été récemment consacré à
Il s'ouvre par une
en vue de cet hommage, concernant The Changing Pacific. Ils sont
signés d'un quarteron des plus notables spécialistes de l'Océanie.
ment
Il est difficile de résumer un semblable travail. Puisque ce compterendu est destiné à une publication française, disons qu'on y trouvera
article de Greg Dening traitant des explosions de violence dans
l'ancienne civilisation marquisienne et une contribution de Douglas
un
Oliver, concernant la propriété à Tahiti autrefois et aujourd'hui droits
de propriété, règles de transmission, domaines administratifs.
P. O'Reilly
Société des Études Océaniennes
�531
FRÉHEL, Jean, Mers du
Sud. Poèmes, préface
Paris, Tour Montparnasse,
de Charles le Quintrec.
Maison de la Bretagne, 1979. 64 p.,
21 cm.
que les
qui, des
Polynésie et
Jean Fréhel est un nom de plume qui cache un breton
nécessités de l'existence ont contraint de vivre à Paris et
"balcons de Montparnasse", rêve à ses escales à Tahiti, en
aux Marquises. Et en vers de surplus ! Son ami et
"Ses vers sont sans surprise, mais avec de la lumière au bout.
préfacier le confesse :
On sent
fréquenté Leconte de Lisle davantage que Rimbaud, et Sully
sérieusement que Laustréamont. Cela nous vaut un
livre sage, des images presque d'Épinal. Mais cela, pour les sédentaires
que nous sommes, évoque des paradis, des îles heureuses, des incitations
au voyage".
qu'il
a
Prudhomme plus
Jean Fréhel a fait le tour de l'île, en
"J'ai saisi ma petite reine
Et le roi n'était pas mon cousin".
pédalant
:
a été touché par la Toussaint à Arue, il a assisté, en chrétien, à
l'inauguration de Maria No Te Hau, il a connu la saison des pluies dans
la presqu'île, une passade à Moorea... Il a même noté ses impressions du
Il
"Tiurai" :
"J'ai vu inaugurer les baraques foraines
Ou les bonimenteurs parlaient à perdre haleine :
Restaurants ambulants offrant de petits plats,
Marchands de berlingots et de barbe à papa,
Manèges, Tirs et Jeux, beaucoup de loteries,
Une foule compacte et des filles jolies
Montaient dans les autos, grimpaient dans les
Des rangs de piroguiers
Couronnés de fruits verts,
...
nacelles !...
à carure d'athlète
des porteurs d'arbalètes,
en pareo menés par Madeleine
Qui marchait à l'avant, comme une vieille
Danseurs
Un
petit livre en vers
qui amusera les amis de
reine..."
Tahiti.
Philippe VlEL
Société des
Études
Océaniennes
�532
Langevin-Duval, Christine, Traditions et Changements culturels
chez les femmes tahitiennes, thèse pour le doctorat de troisième
cycle présentée le 17 mars 1979 à l'École des Hautes Études en Scien¬
ces
Sociales à Paris.
L'avancement des recherches et l'abondante bibliographie disponible
aujourd'hui sur le Polynésie Orientale, et notamment sur l'île de Tahiti,
ont permis à des chercheurs, comme le Professeur Oliver et son
équipe,
de faire le point sur l'importance et la profondeur des
changements
socio-culturels intervenus dans la société polynésienne, fortement
ébranlée par le choc avec la civilisation occidentale et deux siècles
d'occupation européenne.
Tahiti a été l'une des premières îles à subir ce contact culturel et,
ayant été choisie par les événements historiques comme point de départ
de la diffusion culturelle européenne, l'île est
devenue, du moins à
première vue, le territoire le moins typiquement "polynésien" en
Polynésie. A partir de 1767 en effet, Tahiti se trouva être le principal
mouillage des navires européens qui suivirent bientôt ceux de Wallis et
de Cook. Puis, peu à peu, entrèrent par le port de
Papeete choisi comme
capitale par les Européens, les éléments d'un nouvel ordre, d'abord
religieux, puis économique et social. Tahiti, avec son phare Papeete, est
ainsi devenu le centre d'un
nouveau
mode de vie.
Le choix de la femme tahitienne comme point de départ d'une étude
des transformations culturelles, notamment des plus récentes, a été
motivé par deux raisons. La première est que l'on s'aperçoit tout de
suite,
à l'arrivée à Tahiti, que la littérature idéaliste qui a décrit les
Tahitiennes et les a auréolées d'une légende de sensualité et de facilité,
tenace encore dans l'esprit de nombreux Européens, n'a rien à voir avec
la réalité et ne représente - et encore assez mal - qu'une catégorie de
jeunes femmes
que l'on rencontre dans les groupes de danse ou aux
abords des hôtels internationaux. Les vraies tahitiennes vivent
différemment et sont d'un autre intérêt.
En outre, il nous
a
semblé
que
les femmes tahitiennes étaient
certains
sur
plans, à la fois plus "adaptables" et plus "adaptées" que les
hommes à la civilisation occidentale qui envahit Tahiti (par exemple,
elles possèdent généralement une meilleure connaissance du Français),
mais qu'en revanche elles se posaient, plus que les
hommes, en
"conservatrices" de l'héritage polynésien, dans la mesure bien entendu
où elles ne le renient pas totalement en suivant des étrangers,
grâce, en
partie, à leurs activités dans le cadre du fare familial. Les hommes
paraissent plus absents, tant physiquement que moralement de la
maisonnée, car étant aujourd'hui pour la plupart accaparés par des
emplois salariés, auxquels ils se sont d'ailleurs mal adaptés, ils ont été
coupés de leurs anciennes traditions masculines et ne les transmettent
plus.
Société des
Études
Océaniennes
�533
porté davantage sur les femmes de la classe ma'ohi,
catégorie sociale, économique et culturelle, les
modèles anciens de conduite et de pensée restent plus discernables que
Notre recherche
car
a
à travers cette
dans le groupe
"demi" qui
a
tendance à vouloir souligner la similitude
celui des Européens, plutôt qu'à en dégager les
particularités, lesquelles sont perceptibles ne serait-ce que par
l'observation directe en milieu ma'ohi. Il s'agit dans cette étude
seulement de présenter quelques types féminins que nous pensons se
rapprocher d'un type ma'ohi plus général, sans bien sûr qu'il soit le seul
envisageable pour cette catégorie. Il est d'ailleurs impossible de dessiner
de
son
mode de vie
avec
portrait valable dans tous les cas, puisqu'on s'aperçoit qu'à
socio-culturel, les informations recueillies se
contredisent souvent, cela en raison de la multiplicité des attitudes,
surtout dans une société aussi mélangée sur le plan ethnique et aussi
mouvante que la société tahitienne où tous les critères de différenciation
sont pertinents, qu'ils soient d'ordre géographique, familial, social,
économique ou religieux.
un
l'intérieur du même groupe
fait, l'étude du changement culturel à travers les femmes
nous a conduit, en partant d'un certain nombre de
biographies, à l'élaboration d'une chronique de leur vie quotidienne.
Au long de l'enquête, nous avons essayé de dégager des types
d'existence féminine caractéristiques selon la génération et le milieu
social, et de comparer le mode de vie de ces femmes avec les coutumes
anciennes observées par les auteurs du XIXème siècle, afin d'en
dégager, lorsque cela est pertinent, les modèles de comportement
traditionnels qui peuvent encore sous-tendre les comportements actuels.
En
tahitiennes
Qu'en résulte-t-il ?
On s'aperçoit que l'homme tahitien a en effet perdu ce qui lui conférait
statut, notamment son rôle exclusif d'approvisionneur de la
son
de prestige puisqu'il n'est plus fondé
les seules
maîtres ; de plus ce rôle se trouve aujourd'hui largement partagé par les
femmes. L'homme s'est trouvé peu à peu privé de ses sources de
prestige (pêche, rôle religieux, etc...), extérieures de la maisonnée, mais
qui lui conféraient l'autorité à l'intérieur de celle-ci.
maisonnée qui a cessé
sur une
d'être
source
connaissance traditionnelle dont les hommes étaient
Pour les femmes, les choses se sont passées autrement. Elles n'avaient
souvent, dans la société ancienne, qu'un statut modeste, mais elles
étaient souveraines dans la maisonnée qui était leur "ancrage" et leur
dont
pressions
religieux.
Les femmes ont pu ainsi, mieux que les hommes, garder leur équilibre et
grâce à leur base sécurisante de la maisonnée, leur domaine de toujours,
source
de prestige. Or
l'enceinte du fare et les structures familiales
elles se posaient en gardiennes, étaient moins vulnérables aux
nouvelles que les domaines extérieures masculins, politique ou
su affronter
nouvelle société tout
modèles familiaux.
elles ont
heurt les exigences et les problèmes de la
continuant à transmettre à leurs filles les
sans
en
Société des
Études
Océaniennes
�534
Cependant aujourd'hui, la maisonnée qui apparaissait comme atelier
culturelle, a tendance à se disloquer en raison de la
recherche des emplois salariés. La famille se disperce géographiquement ce qui entraîne la chute de l'autorité parentale et le ralâchement
des liens de parenté. De plus la génération actuelle des jeunes
de reproduction
compromet fortement la continuité de la famille et des activités
traditionnelles polynésiennes en se désintéressant des techniques
anciennes et
cessant dans la mesure où elle le
peut, de résider dans
vivre dans les unités résidentielles plus
réduites fondées non plus sur les produits de subsistance et la solidarité
familiale mais sur les salaires. La pêche devient plus un passe-temps
qu'une activité de rapport. Autre facteur déterminant de changement :
la plupart des jeunes filles tahitiennes des districts ou des îles rêvent
aujourd'hui de s'unir à des Européens afin d'accéder rapidement aux
biens de consommation devenus indispensables. Les familles encore peu
métissées le deviennent de plus en plus. Aussi peut-on douter que
la
génération de l'après C.E.P. ne continue à transmettre la culture
polynésienne à ses enfants, faute de l'avoir assimilée et retenue.
en
l'enceinte familiale
pour
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Études
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Bulletin de la Société des Études Océaniennes (BSEO)
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La Société des Études Océaniennes (SEO) est la plus ancienne société savante du Pays. Depuis 1917, elle publie plusieurs fois par an un bulletin "s’intéressant à l’étude de toutes les questions se rattachant à l’anthropologie, l’ethnographie, la philosophie, les sciences naturelles, l’archéologie, l’histoire, aux institutions, mœurs, coutumes et traditions de la Polynésie, en particulier du Pacifique Oriental" (article 1 des statuts de la SEO). La version numérique du BSEO dispose de son ISSN : 2605-8375.
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2605-8375
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Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 208
Description
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Articles
- H. Lavondès - Tahiti du fond de soi 491
- P. O'Reilly - Un marin dessinateur : Félix Marant-Boissauveur 508
- Documents ethnologiques tahitiens recueillis en 1849 par le capitaine de vaisseau Lavaud 524
Comptes rendus
- Niel Gunson, The Changing Pacific - Essays in Honour of H.E. Maude 529
- Jean Fréhel, Mers du Sud - Poèmes 531
- Ch. Langevin-Duval, Traditions et changements culturels chez les femmes tahitiennes 532
Source
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Date
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1979
Date de numérisation : 2017
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