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Text
BULLETIN
de la Société
des Etudes Océaniennes
POLYNÉSIE ORIENTALE
TOME
XV
N96
-
JUIN
1972
N^179
�CONSEIL d'ADMINISTRATION
Mr. Henri JACQUIER
Mr. Yves MALARDÉ
Melle Janine LAGUESSE
Mr. Paul MOORGAT
Président
Vice-Président
Secrétaire
Trésorier
ASSESSEURS
Mr.
Adolphe AGNIERAY
Me Rudolph BAMBRIDGE
Mr. Eric LEQUERRÉ
Mr. Pierre JOURDAIN
Me Jean SOLARI
Mr. Raoulx TESSIER
Mr. Temarii TEAI
Mr. Maco TEVANE
MEMBRES
Mr Bertrand
D'HONNEUR
JAUNEZ
Révérant Pere Patrick O'REILLY
Pour être reçu Membre de la Société
membre titulaire.
un
se
faire
présenter
par
Bibliothèque.
Le Conseil d'Administration informe ses membres
qu'ils
peuvent emporter & domicile certains livres de la Bibliothèque
en signant une reconnaissance de dette atf cas où
ils ne ren¬
draient pas le livre emprunte à la date fixée. Les autres
peu¬
être consultés dans la Salle de lecture du Musée.
vent
La
Bibliothèque
et la
membres de la Société
le Dimanche.
salle de lecture sont ouvertes aux
les jours, de 14 à 17 heures, sauf
tous
Musée.
Le Musée est
à 17 heures.
ouvert tous
les
jours, sauf le dimanche de 14
�BULLETIN DE LA SOCIETE DES
ETUDES OCEANIENNES
POLYNESIE ORIENTALE
TOME XV 406
-
JUIN 1972
No. 179
SOMMAIRE
Les
par
Dr.
mémoires
de
Marau
Taaroa
-
la Princesse Ariimanihinihi
Bengt Danielson.
ETHNOSCIENCE
-
Des
nono
et
Discours
Takau
prononcés
Pomare
des hommes par
et
Henri
Lavondès et Gaston Pichon.
ARCHEOLOGIE
-
Les
marae
de
Tureia
par
Souhailé.
Société des
Études
Océaniennes
Pierre
�La Reine Marau Taaroa
vers
la fin de
sa
vie
136
Société des
Études
Océaniennes
�LES MEMOIRES DE MARAU
TAAROA
A
l'occasion de la
publication par la Société des Océanistes-
des Mémoires de la Reine MARAU TAAROA,
la Fondation SingerPolignac et VAssociation des Amis du Musée Gauguin ont organisé
à Papeari de Novembre 1971 à Février 1972 une exposition évo¬
quant l'époque de la dernière Reine de Tahiti.
Dans
la
soirée
sont
l'inauguration
Monsieur
le
du
Samedi
plus de deux cents
Musée Gauguin pour assister à
de cette exposition placée sous la présidence de
personnes se
rassemblées
Gouverneur
de
et
6
Novembre,
au
Madame
Pierre
ANGELI.
Invitée
d'honneur, la fille de la Reine Marau, la Princesse Ariimanihinihi
Takau Pomare, à laquelle nous devons la présentation et la tra¬
duction
des Mémoires
par toute
de sa mère, fut chaleureusement applaudie
l'assistance, visiblement touchée par tant de grace et de
majesté.
Pour la
première fois
patio central
Polynésie, le Musée Gauguin présen¬
spectacle audio-visuel, évoquant le
Tahiti découvert par le Capitaine COOK. Réuni autour du podium,
le public écouta le Docteur Bengt DANIELSON, puis la Princesse
TAKAU, qui prirent tour d tour la parole. La Société des Etudes
Océaniennes tenait à publier ces deux discours qui marquèrent une
tait dans
le
en
un
soirée inoubliable consacrée
au
Tahiti ancien.
Discours prononcés pendant la soirée
Musée Gauguin, le 6 novembre 1972
au
par
la Princesse Ariimanihinihi Takau Pomare
et Dr. Bengt Danielsor
Les amis, la famille, vous tous quiêtesvenus
rée d'inauguration, soyez les bienvenus.
à
cette soi¬
particulièrement reconnaissante au Révérend Pè¬
O'Reilly, à la Société des Océanistes, à l'Association des
Je suis
re
Atais du Musée Gauguin,
à la Fondation Singer-Polignac, ain¬
qu'à leurs éminents collaborateurs, M. le Professeur Danielsson, M. Dessirier, le décorateur qui a si bien habillé
les Mémoires*et qui est venu toutexprèsde Paris pour orga¬
si
niser cette
exposition, M. Gilles Artur, conservateur du Mu¬
sée Gauguin, qui nous accueillent si magnifiquement dans ce
Musée construit sur un terrain où vécurent mes ancêtres.
137
Société des
Études
Océaniennes
�Société des
Études
Océaniennes
�ici à Vaiari, ce lieu prédestiné, qui donna
à l'histoire de Tahiti, et dont la souche, Tetunae,ve¬
nu de la nuit des temps, issu des dieux Taaroa et Tane, dota
son pays de ses lois fondamentales, basées sur l'honneur,
le
respect, l'hospitalité, qui furent les caractéristiques de son
peuple.
Par quelle étrange coincidence sommes-nous ici, ce soir,
pour la présentation des Mémoires de ma Mère, descendante
directe de Tetunae, dernière Reine de Tahiti, Marautaaroa i
Tahiti, te ra o Farepua e tu i Vaiari, rejeton de Taaroa, so¬
leil de Farepua qui se pose sur Vaiari, ces Mémoires qui re¬
Nous
sommes
naissance
de Tahiti, appelée autrefois Hiti nui et Hiti
iti, le nom de Tahiti lui ayant été donné par Tetuane pour la
consécration de son petit-fils sur le Marae i Tahiti, élevé pour
lui à Vaiari, où il reçut le titre de Terii nui o Tahiti, le grand
latent l'histoire
arii de Tahiti.
N'est-ce pas troublant de penser qu'après tant d'année s
d'oubli, c'est ici-même, à Vaiari, qu'est présenté cet ouvrage,
lequel, après un retour aux sources, fait revivre tout notre
passé, ses coutumes, ses traditions, pour les transmettre à
ces nouvelle s générations, afin qu'elle s reprennent le flambeau
et.que vivent à jamais les splendeurs d'antanet le respect du
Passé.
Teie mau hoa e te fetii o tei ruru mai i teie arui, ia ora
i te farerei raa, i nia i teie mahora o te Musée Gauguin,
tatou
mai i te puta "Mémoires" teipapaihia e tau
vahine, te arii vahine o Tahiti i moe aenei, oia hoi c
Arii-Maerehia, Marautaaroa i Tahiti Te-ra-o-Farepua, e tu
i Vaiari, e huaai na Tetunae, te arii nui matamua o Hiti nui e
0 Hiti iti, tona fenua o tana i topa i te ioa api o Tahiti, i nia i
te marae Tahiti tana i faaahu no tefaaariiraa i tona mootua o
tei farii poupou
metua
Terii nui
Tahiti.
o
Tetunae, te arii no te po mai, na te faatia o Taaroa e o Ta¬
ne, o tei hume i tona maro ura i nia i te marae i Farepua, i
ahuhia e te nuu atua o Vaiari.
Na Tetunae i haamau i te mau ture o to tatou fenua,no te
aratai i tona nunaa taata i nia i te ea o te faatura e te here
taeae.
E peu
faahiahia mau ta tatou e mataitai nei i teie po, mao¬
metua vahine i papai,
tumu o to tatou aia,ia
i teie mau ui api,ei aratai ia ratou i nia
te here taeae ia vai hanahana noa a, e ia
ri ra te mahiti raa mai teie puta o tatou
mai te tuapaparaa i te hononu o te parau
hoharahia mai i mua
o te faatura e
ora o Tahiti.
1 te ea
Teie te
omua raa o
E faateniteni ae
E Tahiti
teie puta
na vau
ia
"Te pii
o te
Aia".
oe
nui, e tau fenua ura e
Tahiti nui marearea i te mau
peho heeuri
Te raurau nei te otooto o te' manu
Tahiti, o oe te noho i nia i te one uri
Tei amo i tau omore i te fana a Oro
139
Société des Études Océaniennes
�I nia i te taputu ura o te rai
Tei ahu i te ahu puteatea o Taaroa e o Tane
Tei hei i tou hei i tafifihia i te ura mea
Tei turiahia i te hihi o Raa
Tahiti nui oe, te
huru
o tou
aia.
Votre Altesse,
Mesdames/Messieurs,
Beaucoup d'entre
quoi c'e st un popaa
vous se demandent certainement pour¬
comme moi qui prend la parole ici ce
soir, pour situer dans sa perspective historique ce beau li¬
Tahiti ancien qui vient de paraître.
bien, c'est tout simplement la princesse Takau ellemême qui me l'a demandé - ou plutôt commandé. Personnel¬
lement, je me plais à croire qu'elle s'est souvenue d'une étu¬
de, faite il y a une dizaine d années, par ma femme Marie Thérèse et moi, et publiée comme introduction d'un autre ou¬
vrage de mémoires, celles de la grand-mère de la Princesse,
Arii Taimai, également édité par les soins du Père
O'Reilly,
et faisant partie de la série de s
publications de la Société des
Océanisfes.
Quoi qu'il en soit, si l'on veut bien comprendre la place et
la signification des Mémoires de la Reine
Marau, dont sa fil¬
le, la princesse Takau, nous livre aujourd'hui une traduction
fidèle, il faut bien commencer par la grande cheffesse, née en
1821, morte en 1897, connue sous le nom d'Arii Taimai, et
mère de Marau.
vre
sur
Eh
Nous
savons tous
que
le système social
hiti, aux temps anciens, était
et
politique à Ta¬
exactement le contraire de ce
s'imaginaient
les premiers navigateurs, surtout ceux qui
étaient imprégnés par la philosophie naturiste de Rousseau. A
la place de bons sauvages, menant une vie merveilleusement
ç[ue
libre,
sans
lois,
sans
rois,
sans
prêtres
-
comme
le préten¬
dait le botaniste de Bougainville, le délirant Commer s on
il
y avait bel et bien à Tahiti une hiérarchie très stricte, avec
-
aristocratie héréditaire, respectée, et nourrie
par la mas¬
de roturiers et de domestiques.
Le seul domaine dans le¬
une
se
quel existait une certaine démocratie était celui de s sexes. En
effet, à l'intérieur de chaque classe, une femme pouvait être,
et était souvent, l'égale d un homme.
Au moment de la
découverte, parmi les dix-sejpt familles
ancienne et la plus puissante était celle à
laquelle Arii Taimai appartenait par son père. Le frère de
son arrière-grand-père avait été le célèbre
Amo, mari
de
la reine Purea qui reçut si chaleureusement,
pour ne pas di¬
re amoureusement, Wallis et Cook. Et son
grand-père n'était
autre que Tati le grand, chef
suprême de tous les clans Teva
pendant la première moitié du 19e siècle.
régnantes, la plus
140
:iét
�La fédération des Teva pouvait non seulement se vanter
d'être dirigée par les chefs les plus noble s et du rang le plus
élevé de toute l'île de Tahiti mais elle était aussi la plus puis¬
sante du point de vue militaire et politique. Elle englobait
toutes les chefferies de la presqu'île et delà côte sud et son
domaine, allant du Pari à 1 est jusqu'à Paparaà l'ouest, com¬
prenait certainement environ les trois quarts de la
population
Tahiti. En outre les deux districts d'Oropaa, c'est à dire
Mano tahi et Mano rua, actuellement Punaauia et Paea, étaient
d'habitude les alliés des Teva. Ce qjue les
enne¬
mies de Prionuu et Teaharoa, de la cote nord et de la côte est;
de
fédérations
pouvaient offrir comme contre-poids était par conséquent si
léger que la balance politique basculait toujour s de l'autre cô¬
té, en faveur des Teva et des Oropaa.
Aux titres et aux pouvoirs dont Arii Taimai avait hérités
du côté paternel, grâce à sesdroitsd'aînesse, s'ajoutaient ceux
qui lui venaient de sa mère Marama, qui était la fille de l'arii
le plus noble de Moorea. Si nous mesurons sa position et son
rang selon la méthode tahitienne traditionnelle, elle pouvait
prendre place sur plus de trente marae différents à Tahiti et
privilèges
Moorea, avec tout ce que cela comportait comme
et
dr ..us aux terres. Parmi tous sestitres, citons seulement ce¬
lui de Ter ii Nui
o
Ta h it i.
Finalement, Arii Taimai était aussi entrée dans la famille
Pomare, dès sa naissance. Ceci est un fait qui demande une
explication. A la base, se trouve le désir du chef ambitieux de
Pare-Arue, Pomare II, de s'allier à tout prix avec les chefs
des Teva. La méthode la plussûreetla moins dangereuse d'¬
étendre ses influences était par l'adoption, d'habitude propo¬
sée et convenue avant même la naissance de l'enfant qui cons¬
tituerait le lien et le gage d'une nouvelle alliance.
Ce fut précisément la faveur que Pomare II sollicita, en
1821, quand Marama attendait l'enfant que la postérité con¬
naît surtout sous le nom d'Arii Taimai. J utilise avec dessein
le mot "faveur" car, malgré ses conquête s militaire s et spi¬
rituelles récentes, grâce surtout à l'aide efficace des mission¬
anglais etdesmercenairespopaade toutes nationalités,
n'était toujours en 1821 qu'un chef de rang infé¬
rieur, dont l'autorité véritable se limitait à ses propres do¬
maines, les petits districts d'Arue et de Pare, ce dernier au¬
jourd'hui absorbé par la ville de Papeete.
Aussi, les chefs Teva hésitèrent-ils à accéder à la deman¬
de de Pomare II, mais le plus influent d'entre eux, Tati,com¬
prit qu'avec l'appui de tous ces Européens l'avenir apparte¬
nait aux Pomare. C'est pourquoi, quand la réponse fut enfin
donnée, elle était affirmative.
Pomare II mourut quelques mois plus tard, à l'âge d'envinaires
Pomare II
40 ans, "sa santé étant ruinée par l'usage immodéré des
boissons fortes", comme un chroniqueur de la Mission l'ex¬
•ron
ne libéra pas pour
Aussi, au moment de l'ac¬
couchement de Marama, Terito, la veuve principale de Poma¬
re II, emporta
la petite fille qui venait de naître . Cet accou¬
chement avait naturellement eu lieu, selon la coutume, sur le
primait si poliment. Ce
autant
décès prématuré
les Tevade leur engagement.
141
�plus sacré des Teva, le berceau de la lignée, le maPua, situé dans une magnifique vallée, tout près d'i¬
ci, dans le district de Papeari.
C'est ainsi qu'Arii Taimai fut élevée par la famille Pomare, à Papaoa, et considérée et traitée comme la soeur de la
future reine Pomare IV, qui avait huit ans de plus qu'elle.
Si j'utilise encore une fois le nom d'arii Taimai, c'est
exclusivement par souci de clarté, car son nom, ou plutôt son
titre usuel, était pendant sonenfance et sa jeunesse, Ariioehau,
"princesse de la paix". Ce nom était un symbole qui signifiait
la fin des hostilités et des guerres qui avaient ravagé Tahiti
et dont les deux camps ennemis avaient eu à leurs têtes les
màrae le
Fare
rae
chefs Pomare et les chefs Teva.
l'adoption ne signifie pas une
complète avec les véritables parents. Grâce a ce
fait, Ariioehau passait beaucoup detempsà Papara,ou elle etait rapidement devenue, avec son intelligence et son charme,
la favorite de son grand-père,Tati. C'est lui aussi qui, per¬
sonnellement, s'était chargé de lui enseigner tout ce qu'il con¬
Selon la coutume tahitienne,
coupure
naissait des traditions et des anciennes coutumes. Elle a éga¬
lement raconté à sa fille Marau, vers la fin de sa vie, com¬
elle
passionnait tellement pour
l'histoire de son pays,
fond des vallees avec les vieillards les
plus instruits afin de nepasêtre surprise par les missionnai¬
res, qui réprimaient toujours tout ce qui étaitetene, c'est-àment
qu'elle
se
se retirait au
dire paien.
qui manquait à son éducation était une con¬
plus approfondie des us et coutumesdespopaa dont
le nombre augmentait chaque année. Elle pénétra dans ce nou¬
veau monde, comme tant de Tahitiennes avant et après elle,
en épousant, au début de 1842, à l'âge de 21 ans, le commer¬
çant anglais, mais d'origine française, Alexandre Salmon. C'¬
est, du reste, à celui-ci que la reine Pomare conféra le titre
honorifique et entièrement inventé pour l'occasiond'AriiTai¬
mai, "prince venu d'au-delà de la mer."
Bien qu'elle n'apprit jamais ni l'anglais ni le français,Ma¬
La seule chose
naissance
dame Arii Taimai,
comme
trouva dans son mari non
on
l'appelait
seulement
un
souvent désormais,
conseiller et un com¬
fidèle, mais aussi l'intermédiaire parfait qui lui per¬
très vite de se sentir très à l'aise dans la société euro¬
péenne de Papeete, société qui comptait aprèsl'établissement
du protectorat, en 1843, un bon nombre de fonctionnaire fran¬
çais, civils et militaires.
Le premier gouverneur de Tahiti, Bruat, fut immédiate¬
ment si impressionné par la personnalité d'Arii Taimai et il
comprit si vite et si bien le rôle important qu'elle pourrait
jouer qu'il lui offrit la couronne de Tahiti, en 1846, quand la
reine Pomare, réfugiée auxïles-sous-le-Vent, refusait obsti¬
nément de revenir. Par loyauté envers sa soeur adoptive, Apagnon
mit
rii Taimai refusa
en termes
catégoriques
cette
consécration
que n'¬
suprême, à laquelle elle avait pourtant plus de droits
importe quel autre arii tahitien.
Par la
suite, et avec une*modestie admirable,elle se dé142
Société des
Études
Océaniennes
�à
voua
une
tâche
en
réalité beaucoup plus difficile que de gou¬
Tahiti : celle d'élever une famille de huit enfants. Après
la mort de son mari, en 1866, elle quitta Papeete, qu'elle n'a¬
verner
et s'installa avec sa famille à Pasur la propriété de ses ancêtres, en¬
tre le temple protestant et la rivière. Puisqu'elle était déjà
chef en titre du district de Papara, en s'y fixant elle assuma
vait
jamais beaucoup
para,
aimé,
à 36 kilomètres,
effectivement et
personnellementtouteslesresponsabilitésde
charge.
Heureusement, Hinarii, comme elle était toujour s appelée
par les siens, trouvait une aide et un soutien très actifsdans
la personne de son fils aîné, Tati. Si on l'a, au début, nommé
le petit Tati, pour le différencier de sonarrière-grand-père,
le grand Tati. cette épithète a vite disparu, surtout depuis qu'il
était arrivé a l'âge adulte et que son poids normal était de
112 kilos. Tous ceux qui l'ont connu sont d'accord pour dire
qu'il avait en même temps hérité de l'entrain et du don d'ora¬
teur de sa mère, ainsi que du sens commercial de son père.
sa
Voici le témoignage d'un écrivain contemporain, Jules
Desfontaines dans son récit intitulé Les îles enchantéesde la
: "Pour ma part, j'admire M. Tati sans restriction.
idées, d'une remarquable envergure, la noblesse de ses
sentiments, son âme généreuse, son caractère toujours gai,
toujours affable, sa bonne éducation, son tact, sa délicatesse
et surtout sa simplicité lui gagnent immédiatement tous le s
coeurs... Très affairé pourtant, car il cumule lesfonctions de
conseiller général, de chef de district, de négociant et enfin
de colon avec plantations exigeant beaucoup de bras, il ne de¬
vrait pas manquer de soucis, mais il comprend l'existence,
c'est un artiste qui sent profondément les enchantements de
son île et qui les savoure en fin gourmet... Les immenses
propriétés de M. Tati Salmon, à Tahiti et à Moorea, ont une
superficie totale de 4.000 hectares, comprenant : 23 hectares
de vanille, 12 de canne à sucre, 30de coton et de nombreuses
palmeraies. Il peut évaluer à 50.000 le nombre de ses coco¬
Polynésie
Ses
tiers."
Si je ne fais que mentionner lesnomsdes frères cadets de
Tati, Ariipaea et Narii, ce n'est pas parce qu'ils sont moins
sympathiques et intéressants, mais parce qu'ils passaient la
plus grande partie de leur temps en dehors de Papara et de
Ariipaea comme éleveur de 30.000 moutons à l'île de
Pâques et Narii comme capitaine de goélette. Il périt, du res¬
te, avec l'équipage de son bateau, pendant le cyclone de 1906.
Des
cintj filles d'Arii Taimai, deux se sont mariées jeunes
et installées à Papeete. Sur les trois qui restaient, Marau,
née en 1860, fut obligéeen 1875 - quand elle avait donc à pei¬
ne
15 ans
d'épouser, afin de renforcer la vieille alliance
entre les deux familles, le prince Ariiaue, le futur roi Pomare V. Comme nous le savons tous, Marau ne tarda pas
à re¬
venir à la maison maternelle et finit par demander le divorce.
A partir de ce moment, la véritable cour de Tahiti se trou¬
vait à Papara, où l'hospitalité magnifique et la vie animée et
gaie de la famille Salmon était vite devenue légendaire. Tous
les gouverneurs, juges et autres fonctionnaires, tous lesamiTahiti.
-
143
�et officiers de marine, s'arrêtaient au kilomètre 36, en
faisant le tour de l'île, ou même faisaient la route tout ex¬
raux
près. Tous les visiteurs étrangers : navigateurs, millionnai¬
res, présidents, princes, peintres et écrivains, suivaient cet
exemple et ils étaient toujours aussi émerveillés par le char¬
me et
frèreset soeurs Salmon qui avaient
études dans de très bonne s école s, en Europe ou
le savoir-vivre des
tous fait des
à Sydney.
faire une idée de ce qu'était la vie de
Nous pouvons
nous^
la famille Salmon grâce
à l'exposition de photos appartenant
princesse Takau, choisies parle Père O'Reilly, et sibien
présentées par M. Dessirier, qui fut, du reste, le décorateur
à la
de
musée.
ce
Parmi les visiteurs de la famille
Salmon
se
trouva, en
1884, le prince Oscar de Suède, frère cadet de notre vieux
roi Gustave V, connu surtout pour son amour du tennis et de
son pays ancestral, la France. Le prince Oscar était dans sa
jeunesse officier.dans la marine suédoise et, en 1883, il avait
déjà
assez de galons pour
être nommé second à bord de la
fregate Vanadis, quand celle-ci entreprit un voyage autour du
monde qui
devait durer deux ans.
Il y a une
trentaine
d'années, quand j'étais encore jeune
étudiant à l'Université d'Upsala, en Suède, je me suis beaucoup
intéressé aux collections ethnographiques, extrêmement im¬
portantes, rapportées par cette expédition. Pour mieux me
documenter sur ces objets,
j'ai naturellement lu aussi bien le
journal de bord que les journaux privés tenus par plusieurs
officiers, dont le prince Oscar. C'est ainsi que j'ai vu men¬
tionnés, pour la première fois, alors que j'étais dans une
grande salle austère de la Bibliothèque Nationale, assis de¬
fenêtre donnant sur un parc où une tempête de neige
secouait les arbres nus, des noms qui, par la suite, me sont
devenus très familiers : ceux d'Ariitaimai et de ses enfants,
vant une
Ari'ipaea, Nari'i, Tati.
prince Oscar contient un excellent récit de
fit l'état-major de la frégate à Papara, où ils
Marau Ta'aroa,
Le journal du
la visite que
furent reçus
d'une manière absolument
Teva-Salmon. Le point
ça
et
princière par le clan
culminant fut un tamaaraa qui commen¬
à six heures du soir et dura jusqu'à trois heures du
pendant lequel plusieurs groupes de danseurs et un
matin,
choeur
entretenaient les invités.
facilement que, le lendemain ma¬
tin, mes pauvres compatriotes ne pouvaient prêter qu'une oreille assez distraite aux réditations de vieilles légendes et
de contes que la vénérable cheffesse Arii Taimai leur fit et
qu'ils partirent tous sans avoir réalisé l'importance de cet¬
te source intarissable de renseignements precis sur la vieil¬
de cent personnes
On
comprend donc assez
le culture et l'histoire de
Tahiti.
s'en fut, du reste, qu'Arii Taimai n'emporte avec
elle dans la tombe tout ce qu'elle savait. Car ce n'est que par
pur hasard que se présenta enfin, quelques
avant sa
Peu
années
1897, l'homme instruit, fin, capable «^ap¬
précier à leur juste valeur ses connaissances et, en même
temps, suffisamment énergique pour parvenir à les sauver.
mort,
survenue en
144
Société des
Études
Océaniennes
�providentiel se nommait Henry Adams. Il ap¬
qu'on peut bien appeler l'aristocratie améri¬
naquit en 1838 dans une des plus anciennes famil¬
Cet homme
à
partenait
caine car il
ce
les de Boston qui, depuis des
à la richesse et à la puissance.
générations, était accoutumée
Songrand-pere maternel pos¬
de cette ville et, du
arrière
grand-père a vaient tous deux été présidents des Etat s-Unis, si bien qu'on
parlait dans sa famille de la Maisoji Blanche comme s'il s'a¬
gissait d'un hôtel particulier.
Son père avait un peu moins bien réussi, puisqu'à part le
fait d'être l'homme le plus riche de Boston, il n'était que sé¬
nateur et ambassadeur. Quant à Henry Adams lui-même, il
avait un caractère timide, délicat et même pessimiste et,bien
que la politique l'intéressa passionnément, il préféra devenir
professeur d'histoire à l'Université d'Harvard et se consa¬
crer uniquement à la recherche.
En 1890, il décide de faire un voyage dans les mers du
Sud et invite un de ses meilleur s amis, le peintre John La Far ge, à l'accompagner. Celui-ci est un artiste de talent, assez
connu à l'époque. On voitenluiun Puvis de Chavannes améri¬
sédait à sa mort la plus grosse fortune
côté paternel, son çrand-père et son
cain.
Le
5
sont tout
février 1891, les deux amis arrivent à Papeete. Ils
d'abord très déçus. Les adjectifs "triste", "mélan¬
colique", reviennent souvent dans leurs
premières lettres et
Henry Adams résume de cette" manière succinte ses
sions de la petite capitale : ""Papeete est un de ces
impresendroits
qui n'ont aucun autre défaut excepté celui d'être insupporta ble." Ils se décident vite à s'éloigner le plus possible de Pa¬
jusqu'au village de Tautira. Ne voulant pas laisser leur
goût d'exotisme influencer leur manière de vivre, ils enga¬
gent, avant leur départ de Papeete, un cuisinier français et
un domestique tahitien et emportent le s objets qu'ils jugent ab¬
solument indispensables : un fourneau, un service de vaissel¬
le, des couverts, des nappes, des lits, de s draps, des couver¬
tures, des chaises et une grande table. Avec leurs bagages
personnels, tout cela remplit une charrette, si bien qu'ils sont
obligés d'en prendre une autre pour eux-mêmes,
Comme guide de ce véritable "safari" aux contrées sau¬
vages de là presqu'île, Tati Salmon leur donne un de ses ne¬
veux. A mi-chemin, iis s'arrêtent naturellement àPapara, où
ils sont reçus avec l'hospitalité légendaire des Salmon.
Après un séjour assez ennuyeux à Tautira, iis reviennent
avec le plus grand plaisir à
Papara. Cette fois, la reine Marau, qui a alors une trentaine d'années, se trouve dans sa fa¬
mille.^ Voici comment Adams la décrit : "Il se peut qu'elle
peete,
été belle une fois, mais ce n'est certainement pas sa beau¬
té qui attire les hommes maintenant. Ce qu'elle a, c'est un vi¬
ait
caractère et nettement intelligent, avec, en des¬
expression de témérité."
Adams, qui se plait toujours beaucoup en compagnie des
femmes, conquit'cette fois entièrement le coeur d'Arii Taimai par sa gentillesse, sa courtoisie et son intérêt sincère
pour l'histoire et la culture tahitienne
sage plein de
sous, une
145
Société des
Études
Océaniennes
�Après quelques jours, Henry Adams et La Farge retour¬
a Papeete, pensant y trouver un bateau
pour continuer
leur
voyage. Heureusement pour la postérité, il n'y a aucune
nent
possibilité de quitter l'île
avant au moins un mois, et peutplus. Nos amis s'installent donc au consulat des EtatsUnis, qui se trouve contigu de la maison de ville de la famille
Salmon. Leur visiteur le
plus fréquent est la reine Marau. qui,
à cette époque, habite surtout à Faaa.
Un jour, Henry Adams lui
suggère "pour la stimuler ou avoir un sujet de
conversation", comme il le dit franchement
lui-même, d'écrire ses mémoires et il lui déclare en plaisan¬
tant qu'il l'aidera volontiers dans cette
activité littéraire. A
son grand
étonnemënt, elle le prend tout à fait au sérieux et
arrive quelques jours plus
tard, en compagnie de sa mère,
prête à commencer à dicter au secrétaire
benévole.
Grâce à l'excellente habitude qu'on avait encore à cette
époque d'entretenir une abondante correspondance - ce que
Henry Adams faisait àvec beaucoup "de talent - nous pouvons
suivre en détaillàTgenèTse de cette
oeuvre. Le 13 mai 1891, il
raconte dans une lettre : "J'ai maintenant
commencé les mé¬
moires de Marau et fait la
première ébauche du chapitre d'¬
introduction, après avoir pris une quantité de notes sous sa
dictée." Mais, bientôt, le projet prend
une tournure toute dif¬
férente et des proportions insoupçonnées. Il n'est
plus ques¬
tion des mémoires de Marau mais de
l'histoire et des légen¬
des des Teva. Henry Adams constate : "Mon
intérêt a l'air
d'avoir capturé la vieille dame,
qui étonne ses enfants en me
racontant des choses
qu'elle ne leur aurait jamais raconté à
eux. Et, en même
temps qu'ils servent d'interprètes, ils at¬
trapent la maladie l'un après l'autre." Le 31 mai 1891,Adams
note : "Réellement, j'ai travaillé. J'ai
débrouillé deux siè¬
cles d'histoire familiale et
arrangé le tout très joliment. J'ai
récrit deux chapitres, faisant une étude très savante sur la
etre
généalogie tahitienne, entrecoupée
d'amour. "
Deux chapitres, ce n'est
ne
légendes
et
de chants
qu'un début. Mais Henry Adams
peut en faire plus car le bateau
faire ses bagages. Marau promet de
les envoyer a Washington, afin
miner
de
sera
bientôt là
et
il
faut
compléter les notes et de
qu'Henry Adams puisse y ter¬
l'ouvrage.
Huit mois plus tard, au début de février
1892, à son re¬
tour chez lui, après avoir bouclé le tour
du monde, il trouve
en effet une
épaisse
taires
enveloppe, contenant les
promises par la reine. Il
promesse et se remet
notes supplémen¬
s'empresse de remplir sa
au travail. Sur
cesentrefaits, Tati Sal¬
à Washington, en voyage d'affaires.
Henry Adams,
qui lui fait les honneurs de la capitale et le présente à se s
amis, entre autre à Théodore Roosevelt, profite du
séjour de
Tati pour lui demander des
renseignements complémentaires
pour les mémoires.
Henry Adams utilisait une méthode de travail excellente
mais assez coûteuse. Il faisait
toujours imprimer se s ouvra¬
ges en une première édition provisoire de six
exemplaires,
qu'il envoyait à des spécialistes pour leur demander leur amon
arrive
146
�imprimer une édition dé¬
les mémoires, ce qui prou¬
ve à quel point il prend cet ouvrage au sérieux. En hommage
k sa principale collaboratrice, il garde le titre primitif : Me■noirs of Marau Taaroa, Last Queen of Tahiti.
vis et leurs
finitive.
Il
critiques, avant de faire
en
fait de même pour
1893 mais Henry Atrès tard dans l'année
car ce n'est que le 16 janvier 1894 qu'il rapporte dans une
lettre à un ami que le travail est terminé. "J'ai fait imprimer
et envoyé à Marau un petit volume de ses Mémoire s, espérant
ainsi encourager la famille à fournir plus de notes, car j'ai
vraiment grand plaisir à écrire ces page s de l'histoire. Ente
faisant, je me suis aussi rendu compte pourquoi je hais l'his¬
toire américaine. Tahiti est entièrement littéraire. l'Améri¬
que n'a pas de conception littéraire. L'une est tout art. L'au¬
tre est toute commerciale. Toutes deux ont également fait
La date de l'impression indiquée est
dams ne dut en prendre livraison que
faillite. C'est leur seule
ressemblance."
édition provisoire de six exemplaires, on n'en
aujourd'hui que trois, dont deux se trouvent dans le
grand bâtiment d'archives, construit à Boston, spécialement
pour héberger les papiersde la famille Adams.Letroisième,
qui contient des notes et des corrections, probablement de la
main même de la reine Marau, faisait partie de la bibliothè¬
que du Père O'Reilly, dispersée il y a deux ans seulement. Le
De cette
connaît
l'acqué¬
Territoire a malheureusement manqué l'occasion de
il a été'acheté par la Mitchell Library de Sydney
rir et
la
pour
relativement modeste de 4.200 nouveaux francs.
Mais revenons à Henry Adams qui, après son long séjour
somme
été
même. Ce dont il
totale pour
dans le Pacifique, n'a plus jamais
le
souffre est un spleen fin-de-siècle et une aversion
société américaine matérialiste et commerciale dans la¬
quelle il vit. Il finit par se retirer en France où il se passion¬
ne de plus en plus pour le Moyen Age et ses cathédrales. En
dehors d'un ouvrage magnifique sur Lp Mont-Saint-Michel et
Chartres et de son autobiographie il ne publie qu'un autre li¬
vre et c'est l'édition définitive et élargie de l'histoire des Teva, imprimé en 20 exemplaires seulement, aux frais de l'au¬
teur, en 1901, à Paris, maistoujoursenanglais. Cette fois-ci
la
C'est
été pu¬
l'analy¬
des documents et dans l'effort cons¬
il change le titre et l'appelle Memoirs of Arii Taimai.
ce livre que la
traduction en français a
bliée en 1964 par la Société des Océanistes.
La valeur principale de cet ouvrage consiste dans
première
de
rigide, scientifique,
de voir l'histoire de Tahiti sous l'angle tahitien et non
comme une simple chronique de ce que des visiteurs étran¬
gers ont fait pendant leurs escales ou leurs séjours, toujours
se
tant
trop courts.
le véritable historien profession¬
qu'il était, Henry Adams a laissé de côté une grande quan¬
tité dedocumentsde caractère ethnographique, fournissant des
renseignements extrêmement précieux sur l'ancienne société
tahitienne. Il restait donc un travail important à faire, à savoir
de réunir tous ces documents et de les rendre accessibles à
Mais, en agissant comme
nel
147
�toutes
et
à
les personnes
son
qui s'intéressent
sérieusement à Tahiti
passé.
C'est enfin entre 1920 et 1922 que la reine Marau se met
travail, chez elle, à Papeete, dans son "bungalow royal",
comme on l'appelle souvent. La date est une indication des
circonstances qui avaient poussé la reine à mettre de l'ordre
dans ses papiers. Voici comment elle raconte elle-même ses
au
:
Ce fut après que l'épidémie de grippe espagnole eût
disparaître les derniers vieillards qui retenaient encore
quelque chose de nos antiques légendes et en voyant se lever
une nouvelle génération à laquelle personne ne serait plus ca¬
pable de rien transmettre, que je conçus le projet de fixer ce
qui pouvait être sauvegardé."
Puisqu'elle avait déjà traduit un grand nombre de ce s tex¬
tes en anglais pour Henry Adams, la reine Marau a rédigé le
livre entier en anglais, langue qu'elle possédait à la perfec¬
tion. Hélas, aucun éditeur n a jamais voulu publier un ouvra¬
ge aussi sérieux et, si vous me pardonnez une petite digres¬
motifs
fait
sion, il faut malheureusement constater que la situation ne
s'est pas beaucoup améliorée car ce que les éditeurs et le
public veulent actuellement sur Tahiti, ce ne sont pas des li¬
sérieux mais plutôt de s conte s de fée s sur le dernier pa¬
radis terrestre, avec quelques révélations sensationnelles
vres
sur son
passé mystérieux.
Que ce texte précieux de la reine Marau soit enfin, au¬
jourd'hui, accessible à tout te monde, nous le devons à la vo¬
lonté, à la ténacité et à la générosité de la princesse Takau
qui l'a traduit fidèlement en français, conservant toutes les
nuances de style et de la pensée du manuscrit original, im¬
possibles à comprendre et a rendre par une personne qui n'¬
est pas née arii.
Les mémoires de Marau Ta'aroa sont,
comme elle l'a voulu, un monument durable à la gloire de sa
mère.
à mon avis, de garder le
"mémoires" dans le titre, bien qu'un lecteur non averti
puisse s'imaginer avant d'ouvrir le livre qu'il s'agit d'un ré¬
La princesse Takau a eu raison,
mot
cit
auto-biographique. Il faut, en réalité, prendre le mot "mé¬
de l'ouvrage actuel, dans son sens primitif, plus
vaste, d'une transcription de ce qu'une personne a pu se re¬
mémorer concernant n'importe quel sujet.
moires"
Il existe aussi, cedi dit en passant, un manuscrit de sou¬
venirs personnels de Marau Ta'aroa dont nous attendons avec
impatience la parution
en
librairie.
Si j'ai parlé si longuement et brossé un tableau si complet,
c'est tout d'abord
>
parce
qu'il
est impossible de raconter
en
peu de mots
une^ histoire si compliquée et complexe que la
genèse de ces Mémoires. Ensuite, c'est parce que le but es¬
sentiel de cet exposé est évidemment de faire ressortir le
caractère unique de ces Mémoires, qui est de nous transpor¬
ter soudain, par un coup de bâton
magique, au moins 150 ans
en arrière. Car ce
que nous entendons à travers ces
trois
gardiennes des traditions : Arii Taimai, Marau et Takau, c'¬
est la voix du grand Tati qui, enfant, avait vu le
capitaine
148
Société des
Études Océanienne
�Cook, Tati qui, à deux tournants critique s de l'histoire de Ta¬
après la victoire défi¬
1843, quand le protec¬
torat français fut établi.
A ces deux occasions, grâce à Tati, la paix est vite re¬
venue
et des formes nouvelles d'existence, respectant les
intérêts de tous les groupes, anciens et nouveaux, tahitiens
hiti a joué un rôle décisif : en 1815,
nitive des forces missionnaires et, en
et
popaa, ont été trouvées.
C'est continuellement dans
rière-petite-fille
tenant
la
a
oeuvré
et
ce
son arrière-ar¬
que je cède main¬
sens que
c'est à elle
place et la parole, à la princesse Takau Arii Mani-
hinihi.
Bengt Danielsson
149
Société des
Études
Océaniennes
�[^lfnll^lfnll^inTlfnlrn1[n1tnirn]fnirnlf^lfn]I^JInllnT-
DES NONO
ET
DES HOMMES
Henri LAVONDES* et Gaston PICHON**
par
*
Ethnologue ORSTOM
-
Centre ORSTOM, BP. 529
-
Papeete
-
Tahiti
**
Entomologiste médical ORSTOM - Institut de Recherches Médi¬
cales "L. Malardé", BP. 30 - Papeete - Tahiti
Illustrations
:
(G.P.)
motifs
de
marquisiens, d'après
(1925) et W.C. HANDY (1938).
tatouages
K. VON DEN STEINEN
fTir^irTir^ir^irfiryirTir?irTifTirTi
150
Société des
Études
Océaniennes
�INTRODUCTION
Les
constituent l'une
nono
des particularités qui distinguent
Marquises des autres archipels du Pacifique. Il est ques¬
de ces minuscules insectes dans pratiquement toutes les
les Iles
tion
depuis celles de premiers navigateurs euro¬
récents articles du journaliste Georges DE
relations de voyages,
péens
jusqu'aux
CAUNES.
le profane, il s'agit de nuées de moucherons noirâtres
piqûres sont des plus désagréables. Un missionnaire de
Taiohae
écrivait, en 1873 "Des moustiques et des petits mou¬
cherons nommés non'o fourmillent à Nuku Hiva et Ua Pou. Ce sont
là des
angsues fort désagréables et dont il n'est pas facile de se
préserver, mais à la longue on finit par y faire un peu, moins d'at¬
tention... La piqûre des nono est venimeuse et peut même produire
Pour
dont les
personne anémiée et si elle se gratte
rend dangereuse la moindre égratignure pour
certaines personnes. La fumée de coco a la vertu de les chasser.
Les canaques pour s'en délivrer se frottent d'huile de coco où ils
viennent se coller en masse ; ils se frottent aussi avec les feuilles
de kokuu. Les piqûres de ces bestioles importunent beaucoup".
des accidents graves sur une
trop.
Le soleil ardent
Outre leur intérêt
purement
médical, ces minuscules insectes
problèmes intéressants dans des domaines divers :
ceux de la zoogéographie, de l'évolution et même dans celui de la
connaissance de quelques éléments culturels chez les anciens Marsoulèvent des
développer, après
quisiens. C'est ce dernier point que nous allons
avoir fourni de brèves notions sur la biologie et un
de cette
question.
151
Société des
Études
Océaniennes
bref historique
�BIOLOGIE
nono sont des insectes Diptères ap¬
Simuliidae, groupe voisin des Culicidae
(moustiques). Seule la femelle se nourrit de sang, dont elle a besoin
pour produire des oeufs. Elle a un aspect de petite mouche trapue
Pour
l'entomologiste, les
partenant à la famille des
à proximité des
d'eau, qui constituent leurs gîtes - larvaires (fig. 1). Les
larves se trouvent dans les zones de rapide des cours d'eau, où
les turbulences permettent une bonne oxygénation de l'eau. Ce sont
de petits verrriicules, fixés à un support par leur partie postérieure,
qui se tiennent arqués face au courant ; leur tête est munie d'éven¬
tails qui rabattent les fines particules en suspension'dans l'eau
vers l'orifice buccal. Après un certain nombre de mues, les larves
mûres pourvues de glandes sérici gènes, tissent un cocon de soie,
en forme de babouche, dans lequel elles vont se loger pour subir la
métamorphose nymphale. La nymphe reste immobile dans ce cocon.
Elle respire à l'aide d'une paire d'organes respiratoires filamen¬
teux, implantés dorso-latéralement sur le thorax. La forme, la dis¬
position et le nombre de ces filaments sont caractéristiques de
l'espèce. L'insecte adulte va ensuite se dégager de l'exuvie nym¬
phale.
et bossue.
Les Simulies sont surtout nombreuses
cours
a décrit
en
1903 le nono des Marquises pour la
fois,
et
l'a
au
médecin français E. BUISSON, alors
première
dédié
en poste à Taiohae, d'où
le nom spécifique de Simulium buissoni.
Il s'agit d'une espèce endémique que l'on ne retrouve nulle part
ROUBAUD
ailleurs.
152
Société des
Études
Océaniennes
�GEOGRAPHIE SOMMAIRE
L'archipel
centre
des Marquises se trouve presqu'exactement au
les latitudes 7o50' et 10o35'
de l'Océan Pacifique, entre
Sud et les
longitudes 138o25' et
140o50' Ouest. Avec Mangareva,
monde de
zoogéogra¬
escarpé et
Marquises constituent l'archipel le plus éloigné du
toute région continentale, d'où leur intérêt primordial en
phie. Ce sont des fies d'origine volcanique, au relief
austère. Il n'y a ni plaine côtière, ni lagon. Les pentes
vertes d'une végétation relativement dense.
les
153
Société des
Études
Océaniennes
sont cou¬
�Comme le montre la carte
répartis
deux
en
groupes
groupe
(fig. 2), il
y a
huit fies et deux flots,
trois groupes alignés du Nord Ouest
extrêmes étant situés à environ
au
Sud Est, les
du
cent kilomètres
central?
Groupe Sud (anciennement "au vent") : Hiva Oa, Tahuata, Fatu
Iva, Mohotani (inhabitée), Fatu Uku (flot).
Groupe Central (anciennement "sous le vent")
Pou, Ua Huka.
Groupe Nord
Toutes
:
Nuku Hiva, Ua
:
Eiao (inhabitée), Hatutu (flot).
ces
fies sont
volcaniques, et la plupart constituent le
sommet d'anciens volcans.
ILES
.
Motu
MARQUISES
One
/) H atutaa
Hinakura
^*.EIA0
Bc Clark
HatU Iti
BÇ Lawson
NUKU
HIVA
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Taiohae
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POU
Fatu
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Motu Nao
FATU
1140
1
139° W
154
Société des
Études
Océaniennes
�HISTORIQUE
plus anciennes données concernant les nono sont fournies
CROOK qui passa près de deux ans aux îles Marquises (de
1797 à 1799). Il rapporte qu' "aux îles sous le vent ils sont as¬
saillis par des essaims de moustiques, qui n'ont pas atteint la. partie
au vent de l'Archipel". Comme ROSEN (1954) l'a montré il s'agis¬
sait très certainement de simulies, car il n'y avait pas encore de
moustiques aux Marquises au cours du siècle dernier,(*) ce que
confirme ce passage du célèbre roman "Taipi" ("Typee" en An¬
glais) d'Herman MELVILLE :
Les
par
"Parmi
les
calamités qu'ont amenées les Euro¬
nombreuses
péens à certains des indigènes des mers du Sud, se trouve l'impor¬
tation accidentelle de cet ennemi de tout repos : le moustique (...)
piquent, bourdonnent et tournent d'un bout à l'autre d'année, et,
d'exaspérer incessamment les naturels, entravent les saints
travaux des missionnaires.
Ils
à force
Tai'pis sont cependant encore
Les
entièrement exempts de cet
mais sa place est malheureusement tenue, dans une
mesure, par la présence occasionnelle d'une espèce de
minuscule qui (...) est (...) cause d'intolérables désagré¬
hôte importun :
certaine
mouche
ments".
époque (1844) RADIGUET fait également allusion
particulier dans un passage où il décrit, avec autant
A la même
aux
de
nono,
en
précision que de poésie, un paysage
typique des Marquises :
-Ym"
(*) Ce
que
confirme la linguistique. En effet,
jusqu'à ces derniers
Tahiti n'hébergeait qu'une seule famille de "moucherons
piqueurs" : les moustiques. Il est probable que nono a pour équi¬
valent en Tahitien naonao, ces deux termes désignant les mou-,
cherons piqueurs autochtones. Les moucherons introduits ont été
désignés soit en empruntant la dénomination dans l'autre dia¬
lecte, soit en indiquant l'origine supposée. C'est ainsi qu'aux
Marquises, les moustiques sont appelés nono ki'a (nono chinois)
ou
plus rarement naonao, et d'autres moucherons apparus en
1914 nono purutia (nono prussiens), tandis que les moucherons
introduits en 1958 dans l'Archipel de la Société sont nommés
temps,
nono
ou
nono
oteraria (nono
australiens).
155
Société des
Études
Océaniennes
�"Au fond du ravin,
"et
s'en
va
"ruisseau tombe
cles
ses
chanson de cristal
Ailleurs, le
accrochant à tous les obsta¬
le ruisseau fredonne
sa
couchant les herbes longues et minces.
cascade et court
en
houppes d'écume. Sous les meïs, sous les ricins, sous
sous les noyers, sous une foule d'arbres dont le
"les hibiscus,
présenterait aucune image au lecteur, on suit
le pied des naturels a vaguement indiquée
"sur ce terrain inégal ; on traverse des rayons de soleil où tour"billonnent, comme une poussière dorée, des myriades de nonos
"(N.D.A. : Moustiques d'une extrême petitesse)".
"nom
polynésien
ne
"une voie tortueuse que
Le
témoignage le plus détaillé date de 1858, après que le natu¬
JOUAN ait séjourné pendant trois ans aux Marquises :
raliste H.
d'abord une douleur bien forte,
acclimaté, si on a le malheur de se gratter,
il survient de grosses cloches (sic) qui font enfler le membre, et
l'on n'a de soulagement que lorsqu'il se forme un véritable ulcère.
Si on peut prendre sur soi de ne pas envenimer les plaies en les
grattant, elles guérissent au bout d'un mois en prenant tout à fait
l'aspect de tâches syphilitiques".
"Leur
mais
piqûre
ne
lorsqu'on n'est
cause pas
pas
première visite d'un spécialiste fut effectuée en 1925 par
qui faisait partie d'une expédition scientifique :
"S. buissoni, le "nono" des Marquisiens, se trouve en nombre in¬
croyable dans la vallée de Taipi (Taipivai), à Nuku Hiva. C'est en
Janvier qu'elle pique le plus vicieusement, et peut couvrir toute la
peau exposée de masses noires, provoquant une irritation intolérable
et entraînant un fort gonflement des parties attaquées. Elle fré¬
quente les plages à l'embouchure de la vallée, et peut même sortir
en mer, attaquant les passagers des bateaux qui arrivent".
La
Miss CHEESMAN,
Société des
Études
Océaniennes
�LES DONNEES DU PROBLEME
enquête entomologique intensive aux Marquises fut organi¬
lé Bishop Museum en 1929 et 1930. Les exemplaires de
Simulies récoltés furent étudiés par EDWARDS, qui constata que
leur distribution et leur comportement présentaient un intérêt ex¬
Une
sée par
ceptionnel. ADAMSON (1939) résume les données du problème :
"On trouve Simulium buissoni Roubaud sur toutes les fies sauf
Mohotani, Fatu Uku et Hatutu
(absence de cours d'ëau permanents).
typique se trouve à Nuku Hiva, Ua Huka et Eiao et la
variété gallinum Edwards à Ua Pou, Hiva Oa, Tahuata et Fatu Iva.
S. buissoni est le célèbre nono, mentionné par Herman MELVILLE
La variété
et
beaucoup d'autres comme une véritable peste. A Taipivai (la
"Typee" de Melville) de Nuku Hiva, les Marquisiens font
vallée
fumigènes, et les piqûres leur produisent fréquemment des
plaies, de même qu'aux visiteurs étrangers. Les nono qui piquent
appartiennent à la variété typique et sont maintenant connus seule¬
ment à Nuku Hiva en grands nombres à presque toutes les altitudes,
et à Eiao où leur distribution est restreinte à cause du faible nom¬
bre de torrents durant les périodes sèches. Ils ne piquent pas à
Ua Huka, bien que la variété typique se trouva là ... La variété
gallinum n'a pas été observée en grands nombres ou piquant les
êtres humains, bien que l'on sache qu'elle attaque les poules à
Hiva Oa. A Ua Pou, où gallinum existe et où l'on n'a pas trouvé la
variété typique, les nono étaient un fléau il y a environ 50 ans. On
est sûr de ce fait grâce à des Marquisiens dignes de foi et à d'au¬
tres informateurs, dont James ALEXANDER (1895), qui écrit qu'un
des feux
missionnaire hawaiien et ses compagnons
"arrivèrent à Ua Pou, et
résidèrent d'abord à Hakahetau, mais les
Simulies (sand-flies)' é-
taient si nombreuses et
intolérables qu'ils durent se déplacer jus¬
qu'à la vallée voisine d'Aneau".
un tel problème est le rêve de tout natura¬
expliquer les différences frappantes de comporte¬
l'on constate d'une fie à l'autre chez les simulies de ce
Etudier et
liste.
résoudre
Comment
ment que
pe.tit archipel, alors que l'on a la certitude qu'il s'agit de popula¬
tions sinon identiques, du moins étroitement apparentées, pour ne
pas
dire uniancestrales ?
RESULTATS
a) Etude morphologique
La
fondies
figure 3 résume la situation actuelle. Deux enquêtes
nous ont permis d'éclaircir quelque peu ce problème.
157
Société des
Études
Océaniennes
appro¬
�La
récolte de nombreux
échantillons permit
tout d'abord de
relier les différences de comportement
à des différences morpholo¬
giques constantes et sûres, qui permettent de classer le groupe
buissoni
en
1er groupe :
trois sous-groupes, se
répartissant ainsi
correspond à S. buissoni
:
stricto, et n'habite que
probablement celle d'Eiao.
Attaque l'homme, les mammifères et les oiseaux.
sensu
l'île de Nuku Hiva et très
2è
groupe :
correspond à S. buissoni gallinum. Englobe les trois
fies du groupe Sud et Ua Pou. Strictement ornithophile.
3è
groupe :
nommée provisoirement S. buissoni uahukae, ne peuple
que l'île de Ua Huka. Strictement ornithophile.
Dans
chaque île,
on trouve un groupe
et un seul.
158
Société des
Études
Océaniennes
�b) Etude historique
La
répartition de ces groupes ne semble pas avoir été cons¬
probablement la restriction de la répartition des nono à
deux lies habitées, Nuku Hiva et Ua Pou, qui a fait penser à H.
tante.
C'est
JOUAN (1858), qu'il devait s'agir d'une espèce introduite,
fies étaient plus fréquentées que les autres :
car ces
"C'est (...) sans doute aux navires que les fies de Nuku Hiva
l'introduction du nono (sand-fly des Anglais)
et de Ua Pou doivent
qu'on ne trouve que là. Heureusement que ces insectes n'attaquent
que pendant le jour, sans quoi il n'y aurait pas de sommeil possi¬
ble. Au bord de l'eau, à l'ombre, au soleil, au vent, ces petites
mouches vous poursuivent et dévorent toutes les parties du corps
qui ne sont pas abritées par des vêtements (...). Les naturels des
autres fies, quand ils viennent à Nuku Hiva ou à Ua Pou, étant à
peine vêtus, sont encore plus tourmentés que nous par les nono".
Ce
témoignage, ainsi que beaucoup d'autres dont nous avons
quelques uns, prouve incontestablement que Ua Pou hébergeait
autrefois des simulies anthropophiles, probablement Simulium buissoni. Leur "disparition" daterait pour A DAMSON de 1890 environ.
Cependant, il existe à la mission de Taiohae une chronique très
détaillée des Marquises, qui va de 1880 à 1898 inclusivement. Il
n'y est pas question de la disparition des nono de Ua Pou, alors
qu'un tel phénomène n'aurait probablement pas manqué d'y être
décrit, d'autant qu'il pouvait provoquer, et qu'il provoqua effective¬
ment, la résurgence de vieilles superstitions. Nous avons effectué
en 1970 une enquête orale sur cette disparition auprès des person¬
nes âgées de Hakahau (Ua Pou), dont le doyen, MAIEUA KAHUNINEHE, avait 77 ans. Celui-ci se souvenait parfaitement de la pré¬
sence à Ua Pou des nono "Taipivai". Ils auraient disparu assez
brutalement, en moins d'un an, lorsqu'il était encore enfant. Trois
autres personnes interrogées, âgées alors de 60 à 63 ans, ne se
souviennent pas d'avoir vu des nono à Ua Pou, mais en ont entendu
cité
parler. La disparition de Ua Pdu de la forme anthropophile aurait
donc probablement eu lieu entre 1900 et 1905.
A la fin du XVIIIè siècle, CROOK signalait la présence de
"moustiques" dans tout le groupe sous-le-vent, qui englobait Ua
Huka. On peut accorder une certaine foi à ce témoignage, car son
auteur séjourna deux années aux Marquises.
Enfin, la légende d'Hatuanono que nous verrons en détail porte
des nono dans le groupe Sud et sur leur
brutale disparition.
sur
l'ancienne présence
159
Société des
Études
Océaniennes
�La carte de la
figure 4 reproduit ces différentes étapes. Comp¬
disposition des diverses fies, elle suggère une pro¬
gression dans le temps et de proche en proche du sud-est vers
te
tenu
de la
le nord-ouest
Evolution de la limite sud de l'aire de
répartition des simulies
pt
-
quant l'homme.
MÀMMjIMAÂAÀMAA.
WYWWWVWWWW"
160
Société des
Études
Océaniennes
�INTERPRETATION
L'hypothèse la plus simple
de données est la suivante
:
pour rendre compte de cet ensembl.e
la forme anthropophile, le nono, était
seule
présente autrefois dans toutes les îles des Marquises. A
préeuropéenne, une nouvelle forme est apparue (probablement
correspondant au groupe 2) dans une île du groupe Sud, se caracté¬
risant principalement par sa stricte ornithophilie. On peut admettre
que cette forme ressemblait fort à celle qui lui avait donné nais¬
sance, et cette équivalence écologique s'est traduite par la dispa¬
rition de la forme originelle du groupe Sud puisque par définition
deux populations écologiquement homologues ne peuvent coexister
dans le même biotope. La forme ornithophile, sans doute plus com¬
pétitive que la forme qui lui a donné naissance, a ensuite atteint
par bonds successifs les îles du groupe central, Ua Huka, puis IJa
Pou, entraînant à chaque fois la disparition de la forme anthropo¬
l'ère
phile plus archaïque. Il semble qu'elle se soit à nouveau diffé¬
renciée à Ua Huka, donnant naissance à une troisième forme.
On
conçoit l'intérêt qu'il
Si elle s'avérait exacte,
aurait à vérifier cette hypothèse.
y
il suffirait d'introduire la forme ornithophi¬
le. à Nuku Hiva pour
ses
nono.
réaliser
ce
débarrasser cette île du fléau que constituent
Après études complémentaires, nous envisageons de
type de lutte biologique
Signalons
que,
siens auraient tenté
"
...
certaines
les
nono
vallées,
d'après T'SERSTEVENS (1950) des Marquiune
contre-expérience
:
sévissent dans toute l'île (de Nuku Hiva), et
comme
celle de Taipi Vai et celle de Hakaui, en
indigènes,
jaloux dû bonheur des autres îles, qui ignorent ces bestioles, en
ont enfermé dans des bambous et sont allés les lâcher à Ua-Pou et
à Ua-Huka, mais il faut croire que les nono nuku-hiviens n'ont pu
supporter leur exil, loin de leur patrie, ou que leurs propagateurs
n'avaient attrapé que des mâles, car ils sont tous morts sans pos¬
sont
devenues inhabitables, au moins pour un Blanc. Les
térité".
L'échec de l'introduction des
nono
à Ua Pou et Ua Huka vient
l'appui de notre hypothès.e. Il semble que deux formes différentes
puissent vivre sympat.riquement, et que la forme ornithophile
soit compétitivement supérieure à la forme anthropophile.
à
ne
*■
LA LEGENDE DE FATUANONO
La première version que nous ayons çonnue et qui mentionnait
présence des nono dans le groupe Sud, fut racontée en 1970 par
Stanislas TAUPOTINI, Tavana de Taiohae.
la
161
Société des
Études
Océaniennes
�"Il y
avait autrefois beaucoup de nono à Hiva Oa. Un homme de
plus malin de tous, voulut se rendre à Nuku Hiva. Il
"cette fie, le
"s'appelait Hatuanono. Il prit tous les
"ferma dans
"un
une
nono de Hiva Oa et les encalebasse. Celle-ci put alors s'envoler "comme
avion", et Hatuanono s'y agrippa fortement. Il vola grâce à la
jusqu'à Nuku Hiva. Une fois arrivé, il relâcha les nono,
"calebasse
"peut-être
pour
les remercier".
Nous avons ensuite pris connaissance d'une version antérieure,
beaucoup plus élaborée, recueillie par HANDY (1930) en 1921 à
Hiva Oa.
162
Société des
Études
Océaniennes
�jLAAÀA "FATU-A-NONO" f] I1! ft S fi
''Le
père d'un chef était mort à Nuku Hiva.
hommes
"chercher des pierres pour construire un paepae
"(plateforme) mortuaire. Le chef d'Atuona lui dit
"d'aller prendre les pierres chez Vehine-Atua, une
"Le chef vint à Atuona avec cent quarante
"prêtresse. Quand il arriva, elle le salua
"ment ça va
:
"Com-
â Nuku Hiva ?".
répondit : "Je viens chercher des pierres
"pour la plateforme de mon père". Elle lui dit
"qu'il aurait des pierres s'il acceptait de la rame"ner avec lui à Nuku Hiva. Il hésita, lui disant
Il
"qu'il était tabou pour une femme de monter en
'
'pirogue. Elle insista, et la troupe du chef,
"clore la
Le
"nono
"de
pour
mari
:
l'endroit
"accompagna
de Vehine-Atua, un certain Fatu-amaître) prit toutes les simulies (nono)
et
sa
les
mit
dans
une
calebasse.
femme jusqu'au bord de la
ER
ER
|[R-
ER
ER
ER
aR
ER
ER
ER
discussion, accepta de la prendre.
(fatu
ER
mer,
ÊER"
âR-
Il
et
chef de Nuku Hiva, qui attendait avec ses
ËR
devez pas prendre cette
"femme dans vos pirogues. C'est tabou". Vehine"Atua fit rouler toutes les pierres le long du lit de
•la rivière jusqu'à la mer et les mit à l'intérieur
'des pirogues.
5R
"dit
au
"pirogues
"Vous
:
ne
ER'
ER
ER
'
Tout
le
monde
partit. Lorsqu'ils furent au
"large du cap ouest de Taipivai, appelé Tikapo, le
"chef dit à ses hommes : "A présent jetez Vehine"Atua et son bâton de prêtresse ainsi que Fatu-a"nono à
la
iR
iR
ER
aT-R
ERk
Ces
pierres pour la plateforme de
père sont tabou et ne doivent pas arriver
"mon
mer.
"dans
une pirogue qui transporte une femme". Ils
jetèrent à la mer. C'était à mi-chemin entre
"les
"Ua Pou et Nuku Hiva.
Une fois tombés à
mari
:
er
|(
l'eau, Vehine-Atua dit à
son
"Casse la calebasse". Toutes les Simulies
Er
ER
et la moitié partit à Nuku Hiva et
l'autre moitié à Ua Pou.
ER
le
iR
purent sortir,
Vehine-Atua
"bâton de
et
Fatu-a-nono
montèrent
sur
prêtresse qui les porta jusqu'au rivage,
il était doué d'un grand pouvoir'
"à Taipivai, car
'
'(mana).
MR
iR
iR
"Une
tempête terrifiante, avec tonnerre, éclairs
"et grand vent éclata, et les pirogues, avec tous
"les hommes et toutes les pierres, furent englou"ties".
163
Société des
Études
Océaniennes
ER
ER
�Il est
probable
que cette
légende
brutal, jugé comme inexplicable
disparition des nono de leur fie
certaine pour le naturaliste.
Se baser
légende
a pour origine ce phénomène
les anciens Marquisiens : la
et par cela elle est d'une utilité
par
;
étayer
hypothèse peut sem¬
particulier, une ex¬
trapolation nous semble vraisemblable. En effet, on constate que la
disparition des nono de Ua Pou, qui est un phénomène historique
incontestable, a donné de la même manière naissance à des légen¬
des, comme en témoigné l'article de CHURCH (1919) :
une
sur
pour
bler extrêmement hasardeux. Mais dans
ce
une
cas
UN MIRACLE MARQUISIEN
LA LEGENDE DES SIMULIES DE UA POU
"C'est dans l'île de Ua Pou
qu'un miracle récent est arrivé, il
cinquantaine d'années. Comme celle de Atiheu à Nuku
"Hiva, la vallée de Hakahetau était infestée par une mouche minus-
"y
a
une
"cule mais extrêmement
"se transformait
"permanence de
en
ce
pénible, dont la piqûre, si elle était grattée,
plaie ulcérée. Les indigènes souffraient en
fléau, mais ne pouvaient rien y faire.
une
Le roi de la
tribu, lorsqu'il fut près de mourir, appela auprès
quelques soldats qui lui restaient et leur annonça que,
"bien qu'il n'ait pas été capable de leur éviter la maladie et la
"misère pendant sa vie, à cause de la puissance supérieure des
"dieux des Blancs, il pourrait par sa mort faire reconnaître son
"pouvoir, et qu'il le prouverait en emportant avec lui tous les nono
"de lui les
"de Ua Pou.
Il
nuit même, et le lendemain, tous les nono a disparu ! Outre les Marquisiens, les navigateurs européens
"et les fonctionnaires français affirment qu'il y avait des 'nono
"à Ua Pou ; que le roi a dit qu'il les emporterait avec lui, et je
"sais qu'ils ne sont plus là aujourd'hui. Le témoin n'a plus>'rien à
"dire" .(*)
mourut cette
"vaient
(*) Version
que nous ont
racontée également MM. André TEIKITU-
TOUA et VARII, de Ua Pou et le R.P. EDOUARD, missionnaire
à Taiohae. Selon eux, le roi dont* il est question se nommait
KOUHOPAPA, et il commandait les vallées de Hakamoui
Hakahau, où des paepae lui sont attribués.
164
Société des
Études
Océaniennes
et
�EXAMEN DE LA LEGENDE DE FATUANONO
lecture attentive de
Une
la version la plus riche, celle de
parait dévoiler plusieurs thèmes mythologiques trou¬
le naturaliste, et permet d'émettre un certain nombre
d'hypothèses sur la manière dont un conte au texte aussi obscur a
pu être élaboré.
HANDY,
blants
nous
pour
effet, autour du noyau central (la disparition rapide des
Oa), qui subsiste presque seul dans la version de
Stanislas
on trouve un certain nombre de détails, apparemment
sans rapport avec le sujet essentiel.
En
de Hiva
nono
,
Voici le résumé de la
légende recueillie
par
HANDY
:
1) Le Chef de Nuku Hiva vient chercher à Atuona des pierres pour
construire un paepae mortuaire.
2) La femme de Fatuanono lui demande d'enfreindre un
l'emmenant à Nuku Hiva en pirogue.
tabou
en
3) Fatuanono met tous les nono dans une calebasse.
4) Vehine-Atua fait rouler les pierres dans le lit
met dans les pirogues.
5) On jette Fatuanono et sa femme
à la
de la rivière et les
mer.
6) Ils envoient les nono sur Nuku Hiva et Ua
Pou.
7) Ils déclenchent une tempête terrifiante.
l'analyse de ce contenu peut nous éclairer
génèse de ce conte. Un détail en particulier nous semble ca¬
ractéristique, qui n'apporte rien au déroulement de l'intrigue :
l'allusion au lit d'une rivière et le fait d'y faire rouler les pierres.
Nous pensons que
sur
la
En
effet, les rivières constituent les gîtes
simulies, et sont les endroits où l'on trouve
des jeunes stades de
le maximum d'adultes.
donc une logique certaine à inclure une rivière dans une his¬
les simulies. Quant aux pierres qui se trouvent dans ces
rivières et que Vehine-Atua fait rouler, elles peuvent constituer les
supports sur lesquels sont fixées les nymphes de simulies. Cer¬
taines pierres en comportent un très grand nombre, mais ces nym¬
phes immobiles et de couleur sombre, sont peu visibles sur le subs¬
trat basaltique, à tel point que ce type de support nous avait paru
négatif au cours de notre première enquête (PICHON, 1971). Les
Marquisiens utilisaient les galets de rivière pour le pavage super¬
ficiel de leur paepae, et il est possible qu'ils aient observé sur ces
pierres la sortie de simulies adultes, cette éclosion pouvant se pro¬
duire un à deux jours après que les nymphes sont extraites de leur
biotope.
Il y a
toire
sur
165
Société des Études Océaniennes
�Il
est
intéressant
de
contre, ils pensent que ces
qu'actuellement certains Marquiproviennent des rivières. Par
insectes naissent dans'les-pierres, par¬
ticulièrement
des
noter
siens refusent de croire que
n'avoir
pas
dans
celles
observé
ce
les
nono
anciens
Ils reconnaissent
paepae.
phénomène, mais
en
avoir entendu parler
autrefois.
La
des
destination
essentielle des pierres étant la construction
afin de rendre plausible une telle expédition pour
matériau aussi banal aux Marquises, il fallait que ce
paepae,
quérir
un
corresponde à
grand chef.
paepae
d'un
Nous
avons
vu
une
exigence prestigieuse, telle
comment
avec
une
certaine
faire les rapprochements successifs simulies
paepae.
Voyons
en
quoi
on
que
logique
rivière
la mort
on peut
pierres peut associer d'autres éléments de cette
-
-
légende à des observations zoologiques.
Il y a peu
pirogues, si
être
ce
à dire sur le tabou pour les femmes de monter sur les
n'est qu'il est universel en Polynésie. Mais peutexplique-t-il la déviation, assez géniale, représentée
ce
tabou
la version de Stanislas TAUPOTINI. En effet, même si les
suppositions sont beaucoup plus aléatoires dans une version aussi
tronquée, on conçoit que l'utilisation de la seule puissance des
nono enfermés dans une calebasse et
qui permettent à l'utilisateur
de voler, serait une solution élégante, et mythologiquement vrai¬
semblable, pour une femme de se rendre d'une fie à une autre sans
par
enfreindre de tabou.
HANDY, la moins tronquée, et dans celle
l'un de nous (H.L.) à Ua Pou, c'est une femme qui
est rendue responsable de l'introduction des nono. Selon une légen¬
de de l'Archipel des Cook, c'est également une femme, Veve, qui
introduisit les moustiques dans l'île de Mangaia (GILL, 1876). A
quoi attribuer cette particularité ? Dans les deux versions marquisiennes, l'assimilation pourrait être faite entre les nono et le poison,
qui est censé être un moyen typiquement féminin de vengeance (cf.
Dans la version de
recueillie par
également plus loin les deux vieilles femmes de l'histoire de Vakauhi). Mais cette hypothèse ne peut rendre compte de la légende
des fies Cook, où l'introduction des moustiques ne résulte pas
d'une vengeance, mais d'un accident. Si les anciens Polynésiens
ne pouvaient savoir
que, chez les moustiques comme chez les Si¬
mulies, seule la femelle pique, il est possible que cette coincidence
provienne de la généralisation d'une observation zoologique : en
effet, encore actuellement en Polynésie, les enfants savent que les
guêpes mâles (manu patia otane) sont inoffensives. Ils jouent fré¬
quemment avec ces guêpes mâles, un peu de la même manière que
les enfants européens avec les hannetons.
166
Société des
Études
Océaniennes
�Encore
plus universelle est l'assimilation de nuées d'insectes
divine. C'est le cas en particulier pour les simulies, qui ont donné lieu à de nombreuses légendes en Europe Cen¬
trale, où la tristement célèbre mouche de Goloubatz a depuis long¬
temps frappé l'imagination des villageois balkaniques. (BARANOV,
1935 ; ZIVKOVITCH, 1970). Les invasions d'insectes furent tou¬
à
une
vengeance
jours et partout considérées comme
un
fléau,
au sens
biblique.
C'est
pourquoi l'on pourrait être surpris par l'acharnement
puisque ce fléau semblant insuffisant, un autre
s'abat. C'est une violente tempête, avec tonnerre et éclairs. A
nouveau, il est possible de faire un rapprochement. En effet, encore
actuellement, les Marquisiens ont remarqué que les nono étaient
notoirement plus nuisants, voire insupportables, juste avant un
dans la vengeance,
Ils utilisent d'ailleurs ce phénomène pour des prévisions
météorologiques à court terme (en particulier ils mettent à l'abri
le coprah qui sèche à l'air libre). 11 était donc logique de faire
précéder une tempête par un lâcher de nono.
orage.
DISCUSSION
On pourrait taxer
d'"entomocentrisme" une telle interprétation
être difficile d'admettre que les Marquisiens aient été
doués d'une telle faculté d'observation à l'égard d'insectes aussi
petits. Mais il faut se souvenir que, comme tous les peuples "pri¬
mitifs", les anciens Marquisiens vivaient en contact étroit avec la
nature, et qu'ils connaissaient peut-être celle-ci à un point que
nous jugeons impensable
aujourd'hui. Déjà en 1897, et à propos
des Marquises, JOUAN avait été troublé par les notions d'histoire
naturelle que recelaient certaines légendes
car
il peut
En outre, en
raison de l'extrême pauvreté des Marquises en ce
qui concerne la faune vertébrée terrestre, de la même manière que
occupe une place prépondérante dans la science populaire
pas surprenant que
lapons (Myrderne Anderson), il n'est
les arthropodes (dont font partie les Insectes, avec les Araignées
et les "Cent-Pieds") aient fait l'objet d'une attention toute parti¬
culière.; aux Marquises ,ce qui explique leur fréquence dans les
motifs de tatouages Marquisiens, et l'utilisation inconsciente de
certaines de leurs caractéristiques biologiques dans la facture des
le
renne
des
légenâes.
Notons enfin que cette attention pour
les Arthropodes n'est pas
spéciale aux Marquises, ni aux nono. Nous ayons vu qu'aux îles
Cook, les moustiques sont également utilisés dans une légende
(GILL, 1876) d'où est tiré ce chant :
167
Société des
Études
Océaniennes
�"Kua topa te poe
"Kua
"Na
vare
tangi
paa
i te taringa : Tes ornements d'oreilles furent perdus
i Vaikaute
namu
i vavai
Alors que tu te baignais à Vaikaute
:Les moustiques bourdonnants les ont
:
fait éclater
"Kua kai te
namu
pou raua
: Hélas
:
! ils ont piqué à mort tes deux
enfants.
Les
Centipèdes ("Cent-pieds"),qui furent probablement disséminés
Pacifique par les premiers Polynésiens,(BUXTON & HOP¬
KINS, 1927) sont appelés "Long Dieu" (atualoa) aux'Samoa, et il
existait aux fies Cook une divinité Cent-pieds (GILL, 1876).
dans le
Encore
aujourd'hui, les légendes (même si elles ont perdu tou¬
signification pour les Marquisiens) permettent d'appréhender
quelques bribes des connaissances que les anciens avaient de leur
milieu. Dans le même ordre d'idées, la toponymie peut fournir des
indications au spécialiste : c'est ainsi qu'à Ua Huka un plateau
caillouteux, que seul un volcanologue peut identifier comme étant
un lac de lave très récent(de quelques centaines d'années)a pour
nom Tahoa-tiki-kau : "le trou où le tiki
nage"(R. BROUSSE, Comm.
pers.). Tout récemment, l'utilisation de mythes océaniens a per¬
mis à un géologue et à un archéologue de faire des découvertes im¬
portantes (GARANGER). Il est donc /précieux; de recueillir le plus
complètement possible ce patrimoine culturel, qui n'intéresse pas
le seul ethnologue.
te
des
L'acculturation a presqu'anéanti les notions bio-écologiques
Marquisiens actuels. Comment en serait-il autrement, alors que
JOUAN notait en 1897 : "Pendant que j'étais aux îles Marquises,
où j'ai passé trois années, il y a 40 ans, on n'y voyait plus guère
que quelques vieillards ayant conservé le souvenir de traditions
que les jeunes générations commençaient à regarder comme des ra¬
dotages : il n'y a pas qu'en Océanie que les choses se passent
ainsi !..."
G.
168
Société des
Études
Océaniennes
P.
�POINT DE VUE DU MYTHOGRAPHE
1
UNE VERSION DE UA POU
-
•
Un habitant
âgé de la vallée de Hohoi, Léon Teikimenava'oa
Te'ikitohe, dit Kokone
se
vieillard de Hakahetau
une
de Ua Pou à Nuku Hiva.
histoire.
souvenait avoir entendu raconter
par un
histoire concernant le transfert des
Lui-même
ne
nono
connaft pas vraiment cette
En
particulier, il ne'se souvient plus du nom des person¬
qui est considéré comme une lacune impardonnable de la
part d'un conteur. Il a seulement retenu la trame générale de quel¬
nages, ce
fragments et il
ques
fallu
a
une
certaine insistance
pour
qu'il
ac¬
cepte de mettre par écrit ces souvenirs.
Texte
Marquisien
1. 'Eia titahi tekao
te nono i mo'ehu mei
no
'Ua Pou.
titahi ha'atepei'u mei Hakamo'ui.
-
2. Kave
3. la he'e te
ha'atepei'u 'i te vi'i Nuku Hiva, 'ua tihe 'i Taioha'e, 'u 'avei me te
ha'atepei'u mei Taioha'e. - 4. 'Ua va'e 'aua te tekao no to 'aua
henua.
5. Ka'i'o te hoa 'i to ia henua. - 6. '0 te pakahio mei 'Ua
Pou, 'a 'e poha te 'eo. - 7. Te pakahio mei Taioha'e hakakite te nui
to ia mata'eina'a me te kanahau o te henua. - 8. 'U hua mai te paka¬
hio nei 'i 'Ua Pou, 'ua noho 'i Hakamo'ui me to ia ha'aha'a. - 9. Me
te pe'au 'i to ia mata'eina'a : 'a va'u "otou 'i te hue 'ehi". - 10.
'Ua hana te mata'eina'a i hua hana. - 11. Me te pe'au : "'a ha'api
me te nono, ia 'ava, me te kave'i Taioha'e". - 12. la tihe, 'ua to'o
to ia tau'enana 'i te hue, vahivahi io he ke'a ; me te hiki o te nono.
13. Me te rere mai 'i Taiohae
me te noho'i 'ei'a o te ha'ate¬
'ia 'i Taioha'e
na
-
-
-
,
pei'u. -14. 'O'inei tau po'o i ko aka.
ai
mau
ia
-
15. Te nui 'ia 'a'o'e i ko'aka
au.
Traduction
française
Pou. - 2.
transportés à Taiohae par une princesse de Hakamo'ui. 3. Partie pour faire le tour de Nuku Hiva, la princesse arriva à Taio¬
hae et rencontra une princesse de Taiohae. - 4. Toute deux passè¬
rent le temps à parler de leur pays. - 5. L'une d'elles s'épancha en
vantardises sur son propre pays. - 6. La vieille de Ua Pou ne des¬
serra pas les dents. - 7. La vieille de Taiohae fit étalage du grand
nombre de ses sujets et de l'agrément de son pays. Fini sur ce
sujet. - 8. Notre vieille retourna à Ua Pou et resta à Hakamo'ui
1. Voici
un
récit
sur
les
nono
qui ont émigré de Ua
Ils furent
avec
sa
rancune.
de coco".
-
-
9. Et elle dit à
ses
sujets : "Raclez une noix
10. Les sujets exécutèrent cette
tâche.
169
Société des
Études
Océaniennes
-
11. Elle dit
�:
"remplissez-la de nono et quand il y en aura assez, em¬
portez-la à Taiohae". - 12. A leur arrivée, ses gens prirent le réci¬
pient, le brisèrent sur une pierre ; les nono s'échappèrent. - 13.
encore
Ils filèrent à
Taioha'ei
14. Tels sont les
a
échappé à
2
-
et
demeurèrent là où était la princesse.
-
fragments dont je dispose. La plus grande partie
mémoire.
ma
VARIANTES ET VARIATIONS
Comme les trois versions
précédemment citées, ce récit se rat¬
qui avait peut-être constitué un domaine du folklore marquisien : un ensemble de légendes rendant compte de la distribution
des espèces animales dans les six îles de l'archipel
et des chan¬
tache à
ce
gements réels
l'heure
supposés, intervenus dans
ou
actuelle,
cette distribution. A
moins, un caractère de ce folklore est qu'il est
mal mémorisé. Les informateurs se souviennent d'avoir entendu un
au
récit relatif à tel
ou
tel animal, mais ils sont
incapables de le
rap¬
porter intégralement. De tels récits ont été cités par les informa¬
teurs au cours d'une enquête sur l'avifaune. C'est ainsi
qu'à propos
du
che
loriquet des Marquises (Vini ultramarina), une ravissante perru¬
bleue appelée pihiti que l'on ne trouvait qu'à Ua Pou(*)
,
certaines
personnes
se
souviennent avoir entendu raconter l'his¬
d'un arbre
toire
gigantesque situé à Hi va Oa qui s'est abattu en
l'archipel de ses branches. Sur la branche qui atteignit Ua
couvrant
Pou était
perché le pihiti. Un autre informateur a entendu raconter
plus complète de cette légende : sur chaque branche de
cet arbre merveilleux se trouvait perchée une
espèce particulière^).
Selon que tel rameau touchait telle fie, il était rendu
compte de la
distribution des espèces au sein de l'archipel. Il existait également*
une légende à
propos du fameux 'upe (Serresius galeatus), ce pigeon
à la chair délicieuse, d'une taille comparable à celle d'une
poule
une
version
que
l'on
C'est
mérite
qu'à la Terre Déserte dans l'île de Nuku Hiva.
espèce endémique, gravement menacée de disparition, qui
ne trouve
une
une
protection toute particulière. Son
nom
vernaculaire
a
des
correspondants
dans d'autres langues polynésiennes (rupe). Cet
oiseau est souvent lié à la légende de Maui
(LAVONDES, 1964) et
en dépit de sa diffusion
restreinte, son nom est connu dans toutes
les fies. On dit à Hiva Oa qu'une princesse de Vevau
partit à Nuku
en emmenant avec elle son
'upe ce qui fait que cet oiseau se
Hiva
trouva avoir
émigré à Nuku Hiva".
(*) Son introduction à Ua Huka date de la deuxième
(*)
guerre
mondiale.
Dans le manuscrit déposé par Samuel Elbert à la bibliothèque
du Bishop Museum figure une version quelque peu différente
de cette
légende.
170
Société des
Études
Océaniennes
�Pour
revenir
de Ua Pou,
comprend mieux main¬
(puisque ce qui précède
permet de le dater des environs de l'an 1900) a pu donner naissance
aussi rapidement à un récit légendaire. Il est venu s'inscrire natu¬
rellement dans un ensemble de récits du même genre qu'il a suffi
d'infléchir pour aboutir à la version en question. Car en matière de
mythe et légendes, il n'y a pas de création ex nihilo, mais
re¬
prise et
réarrangement incessant d'un matériel antérieur. C'est
au niveau
de ces opérations de remaniement, le plus souvent in¬
conscientes^*) que se manifestent la créativité et le talent d'un
conteur, d'une époque, d'une culture. C'est de cette manière aussi
que la légende peut faire place à l'histoire. Car l'événement histo¬
rique ne crée pas la légende, c'est la légende qui s'incorpore l'é¬
vénement. Il vient s'inscrire au sein d'une trame préexistante, faite
de types de récits, de motifs (dont les folkloristes de l'école fin¬
landaise ont établi des inventaires), de procédés stylistiques et
aussi de ces structures qu'ont révélées les travaux de Claude LéviStrauss^**). Les récits présentés ici, bien que d'importance mi¬
neure et parfois tronqués, suffiront cependant à donner une idée de
cette étrange alchimie par laquelle se recompose et se transmute
en
tenant comment
sans
un
aux
nono
on
événement aussi récent
la tradition orale.
cesse
Handy comme dans celle recueillie à Ua
motif qui apparaît fréquemment dans la tradition
orale marquisienne. Il s'agit dans les deux cas d'enfermer une
"nuisance" dans un récipient puis de la libérer à des fins de ven¬
geance. Nous retrouvons ces motifs dans l'histoire de Vakauhi,
suite de la légende de Taheta (LAVONDES 1966). Pour se venger
de son père, Vakauhi s'adresse à deux vieilles femmes qui enfer¬
ment dans un récipient des plantes aux senteurs particulièrement
fortes (LAVONDES, 1966, pp 94-96, 162, 204-206). Arrivées près
de la maison de Taheta, elles débouchent le récipient, et le parfum
Dans
Pou,
(**)
la version de
figure
un
liberté d'innovation et le degré de conscience varient
les cultures. Mais même dans les litté¬
ratures de l'occident contemporain, une oeuvre n'existe qu'en
La
selon les époques et
fonction
d'oeuvres antérieures et le
nouveau
roman
est
une
réponse à l'ancien.
(***) Pour les travaux de l'école finlandaise, on pourra se reporter
au répertoire général de Stith Thompson (1955-58) et pour ce
qui concerne la Polynésie à l'index établi par B. "Kirtley.
Lévi-Strauss illustre sa théorie structurale du mythe dans la
tétralogie des Mythologiques (1964-1971).
171
Société des
Études
Océaniennes
�libéré déclenche chez Taheta
tième entraîne
sa
mort
série d'éternuements dont le sep¬
une
(en vertu de la
croyance
attestée
en
Polyné¬
sie, que l'éternuement, expulsion brutale du souffle vital, est dan¬
gereux
et
culture
se
néfaste,
une
manifeste par
croyance dont la survivance dans notre
des formules propitiatoires du type "à vos
souhaits").
Dans
la version de Stanislas TAUPOTINI, le motif des
l'on enferme dans
nono
récipient se trouve associé à un autre :
celui du transport du héros à travers les airs à l'aide d'une chose
susceptible de voler. Il en découle corrélativement l'absence du
thème de la vengeance présent dans les deux autres versions. Ce
motif se retrouve dans l'histoire de Maui qui se fait avaler par un
pigeon 'upe. Il figure dans un développement de la légende de Kae
recueillie"!"Ua Pou (LAVONDES, 1964, 52-56). Le fils du héros se
que
un
rend à travers les airs de l'Ile de
son père dans celle de sa mère,
suspendant à la pierre qu'il vient de lancer avec sa fronde.
Malgré leurs divergences évidentes, ces trois versions puisent donc
à un fond commun des thèmes et des motifs largement représentés
en
se
dans la littérature orale marquisienne.
3
-
LA VERSION DE HANDY
La plus riche des trois versions est celle rapportée
par Handy.
C'est aussi la plus complexe (bien qu'il ne s'agisse encore que
d'un résumé), celle aussi qui pose le plus de problèmes, d'ordre
ethnographique tout d'abord. Comme cela
a
été souligné précédem¬
ment, le détail le plus intrigant est cette expédition, maritime pour
chercher des pierres, matériau commun s'il en est aux
Marquises. Il
est d'autant
plus difficilement explicable que nous manquons d'in¬
sur les coutumes funéraires des
anciens Marquisiens. De la description qu'en donne Hagdy (1923,
pp. 103-122) il ressort une masse confuse de rites et de pratiques
qui donne à penser qu'un ensemble d'opérations nombreuses et com¬
pliquées étaient nécessaires et que les variations étaient considé¬
rables, d'île en île et aussi selon le statut social du défunt. Pour
formations complètes et cohérentes
les personnages ayant rang de chefs (papa haka'iki), deux pratiques
paraissent avoir été régulières. Un premier trait de ces coutumes
funéraires était l'exposition du "corps
sur une plateforme appelée
tupapa'u où s'effectuaient des opérations de momification
partielle (ha'apa'a : faire mûrir). Ces plateformes étaient sembla¬
bles aux paepae d'habitation, mais de proportions différentes puis¬
que "leur hauteur était beaucoup plus grande en proportion de leur
longueur et de leur largeur que dans le cas des plateformes d'habi¬
tation" (Handy, 1923, p. 177). Elles étaient construites à l'aide de
taha
172
Société des
Études
Océaniennes
�blocs de pierres
polies par les cours d'eau. Nos sources ne per¬
de préciser si de telles plateformes étaient construites
spécialement à l'occasion des décès ou si une même plateforme
était affectée en permanence à cet usage dans le cadre des sanc¬
tuaires familiaux ou tribaux. Autre exigence caractéristique des
funérailles des personnages de rang : le sacrifice des victimes
humaines qui impliquait l'organisation d'expéditions guerrières le
plus souvent maritimes, pour enlever sur le territoire des tribus
ennemies les victimes en question. Peut-être cette double exigence
fournit-elle une direction où chercher l'explication de cette étrange
mettent pas
expédition à la recherche de pierres dont fait état la version de
Handy. Le cérémonial funéraire implique la recherche de pierres,
qui ont toutes chances de se trouver à proximité du site où sera
érigée la plateforme de momification, et la recherche de victimes
qui sont à prendre en dehors du groupe, au cours d'expéditions en
pirogues (vaka ta heaka). Il est possible que le détail intrigant de
la version de Handy soit le résultat de la fusion de ces deux opé¬
rations en une seule, les pierres étant un euphémisme désignant
les
victimes.(*).
Pour
d'être
en
fragile
accord
que
soit cette hypothèse, elle présente l'intérêt
caractère constant de la structure du récit
avec un
qui est le déboublement, à première vue
des.
C'est ainsi que,
alors
que
inutile, de certains épiso¬
le chef de Nuku Hiva présente
(*) L'un d'entre nous (G. P.) a recueilli de la bouche de Vari'i
Kaiha, un vieillard de la vallée de Hakama'i'i à Ua Pou, une
direction d'explication particulièrement intéressante. Selon lui,
lorsqu'un grand chef mourait, son paepae funéraire était cons¬
titué de pierres provenant de toutes les îles Marquises. Ce
témoignage permet de formuler l'hypothèse que les funérailles
étaient une occasion de réactualiser les connexions généalogi¬
ques
entre lignées apparentées
éloignées dans l'espace. Ces
pierres de différentes provenance auraient alors une significa¬
tion symbolique comparable au rite de la pierre de fondation des
marae tahitiens. On sait en effet qu'à Tahiti, "tout marae était
symbole d'un chafnon généalogique, et
enlevée à un marae plus
ancien, dite pierre de fondation" (Garanger, 1969, p. 15). Il faut
noter cependant que le témoignage de Vari'i est isolé tandis
que les chasses aux victimes pour les funérailles sont attestées
par de nombreuses sources.
considéré
comme
le
devait être construit autour d'une pierre
173
Société des
Études
Océaniennes
�d'abord
chef de Atuona, celui-ci le renvoie sans rai¬
une femme tau'a) Vehineatua. Celle-ci ne restera pas le seul protagoniste de l'histoire,
son personnage va se trouver encore doublé
par celui de son mari
Hatuanono dont la présence n'est pas indispensable au développe¬
ment de l'intrigue. Mais l'illustration la plus frappante de cette
structure de réduplication est effectivement apportée par le dénoue¬
ment. La vengeance de Hatuanono s'abat sous la forme d'une double
catastrophe : le lâcher des nono et la tempête qui détruit la pirogue.
La vengeance exercée par le moyen d'une tempête est un thème
sons
sa
requête
au
apparentes à la prêtresse(probablement
traditionnel.
Elle découle
peut-être d'une
puissance politique du chef à
La
pluie est
personne
de
son
qui associe la
la fertilité du sol.
croyance
influence
sur
emblème des chefs. Teuira, l'éclair, est un nom de
nono fait l'effet d'un complément
dérisoire et inutile. Certes il est fréquent que de
un
courant. Le lâcher des
vengeance
telles structures binaires soient
présentés dans les récits rapportés
la tradition orale, leur fournissant, sur un plan esthétique une
charpente rythmique, mettant en valeur, sur un plan philosophique,
les oppositions fondamentales à travers lesquelles l'homme
prend
conscience de l'univers qui l'entoure et le pense. Mais dans le cas
de cette légende le rendement de ce rythme binaire
que nous avons
cru y déceler semble bien faible,
pour ne pas dire négatif. Il ne
semble pas de nature à en enrichir le sens et, sur un plan esthéti¬
que, il n'apporte que complication et obscurité. Peut-être est-il
possible de trouver ailleurs la réduplication première qui, plusieurs
fois réitérée, est devenue un moule donnant sa forme à la
légende
par
toute entière.
Société des
Études
Océaniennes
�Au
l'intrigue nous trouvons l'infraction d'un tabou,
qui l'ont tolérée, le triomphe de celle qui l'a
Ce tabou, c'est l'interdiction pour les femmes de monter
centre de
le châtiment de
commise.
ceux
pirogue. A ce sujet, la tradition orale marquisienne apporte des
tabou est au centre de main:es intrigues, nous voyons cependant des femmes participer à des
îxpéditions guerrières,à des voyages de prestige d'île en île, à des
en
ionnées contradictoires. Alors que ce
d'immigration, sans qu'apparemment cela soulève le moinproblème. Mais il apparaît en revanche que les tabous concer¬
nant les femmes sont stricts au moins dans deux domaines. Le
/oyages
Ire
premier est centré autour de la pêche au large des côtes : non seu¬
lement les femmes ne pouvaient y participer, mais elles devaient
s'abstenir de toucher aux engins de pêche, en particulier aux fa¬
meux pa en nacre utilisés pour la pêche à la bonite. Dans un autre
domaine, il semble aussi que les femmes aient été exclues de
certaines parties des rites funèbres. C'est précisément en se réfé¬
rant à la destination funéraire de sa cargaison que le chef de Nuku
Hi va décide de
Fatuanono. Le
jeter à la mer la prêtresse Vehineatua et son mari
triomphe final de la prêtresse fait éclater la toute-
puissance de son mana qui lui a permis de défier les réticences du
chef de Nuku Hiva et d'enfreindre un tabou sans que les puissances
surnaturelles ne la châtient. Les récits sur la toute-puissance des
sur leurs exploits surnaturels et leurs vengeances terrifiantes
nombreux dans la tradition orale marquisienne. A l'origine de
tau'a,
sont
légende de Hatuanono dans la version qu'en a rapportée
Handy, il pourrait bien y avoir un récit de ce type. En effet, tout
ce qui concerne Hatuanono et les détestables insectes dont il est
le maître y fait figure de développement inutile et parasite, surajou¬
té à une histoire à l'intrigue de laquelle il ne contribue guère.
Cette dualité initiale aurait donné leur forme à d'autres épisodes
notre
sans
cependant qu'un résultat heureux sur le plan esthétique ait pu
Mais ce n'est peut-être pas là la seule contribution
être atteint.
pu apporter à la transformation de la matière
ruption d'un thème évoquant l'événement historique
qu'a
compétition vitale entre variétés de
Nous
avons
vu
en
légendaire l'ir¬
entraîné par la
Simulium buissoni.
effet que, pour
l'entomologiste, toute la ver¬
Handy apparaissait comme hautement suggestive. Elle
évoqua même pour lui si bien la biologie des nono que c'est après
avoir lu le texte de Handy qu'il a été amené à mieux examiner les
pierres des»-torrents pour y découvrir un type de gîte larvaire qui
avait échappé à ses investigations. En mythographe, nous venons
de tenter d'apporter, en nous référant au vaste corpus mythique et
légendaire dans lequel s'inscrit l'histoire de Hatuanono, une expli¬
cation purement interne de certaines, des particularités les plus dé¬
routantes de cette légende pleine d'énigmes (comme le sont du
sion
de
175
Société des Etudes Océaniennes
�reste toutes les
légendes dès qu'on prend la peine de les regarder
pencher sur les moindres détails). Mais les deux
démarches ne sont pas incompatibles. Si
parmi les détails évocateurs de la biologie des nono,
l'expédition maritime à la recherche
des pierres de rivière peut trouver un début
d'explication, si la
tempête orageuse finale peut apparaître comme une manifestation
de
près et de
se
traditionnelle du
mana des chefs, il n'en reste
pas moins que ce
détails qui ont été retenus pour cette
légende parmi un
grand nombre d'autres détails possibles. Ce qui fait que l'on peut
penser que de même que l'intrusion du thème des nono s'est
réper¬
cutée sur l'ensemble de la
légende lui donnant sa structure rédu¬
sont
ces
pliquée, de même il a pu contribuer, par la sélection de certains
détails, à lui donner ce qu'on pourrait appeler une "coloration à
nono".
Il est certain
en effet
que ce processus de transformation,
incessant, de ramification en versions divergentes
qui empiètent les unes sur les autres, se diversifient ou au contrai¬
re
fusionnent, est caractéristique de tout corpus légendaire ou
de remaniement
mythique transmis
la tradition orale
par
et implique un mécanisme
la connaissance globale que les
de leur biotope et la manière dont ils le
découpent,
d'associations qui met
hommes
ont
l'interprètent
et
en
cause
font servir
catégories à des fins proprement
ces
humaines.
Que le lecteur, peut-être lassé des divagations mythographiques
auxquelles ont donné lieu ces histoires de nono,
néan¬
permette
moins
d'en tirer une.sorte de morale. S'il
encore
légende peut parfois venir
le folkloriste
ne
interpréter des
si
peut
en
aide
au
apparaît
la
que
des lumières de celui-ci s'il veut
littéraires où la faune et la flore jouent un
se passer
oeuvres
que
naturaliste, il est certain
grand rôle.
H. L.
176
Société des
Études
Océaniennes
�REMERCIEMENTS
remercions les personnes dont la connaissance de la
polynésienne nous ont été très utiles : le R.P. Edouard
(Mission de Taiohae) et MM. Roland LEBOUCHER, François
Nous
culture
OLL1ER et Maco TEVANE.
Nous
dans
R.P.
remercions
travaux
nos
également les
de documentation
personnes
:
qui
nous ont
aidés
Madame Aurora Natua, et le
Jean (Mission de Taiohaë).
Enfin
nous
ne
saurions oublier ies informateurs
sans
qui
ce
effectué, et tout particulièrement MM. : An¬
dré TEIKITUTOUA, VARII (Ua Pou), Stanislas TAUPOTINI et
Emmanuel KOHOE (Nuku Hiva) et André TEIKI (Puamau, Hiva Oa).
travail n'aurait pu etre
ci
"El
U1AWL/U
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El
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[a/Y\S
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Ent. méd. Parasit.,
179
Société des
Reimer/Ernst
Études
Océaniennes
�LES MARAIS DE TUREIA
Si les vieilles pierres des archipels de la Société, des
Marquises et des Australes sortent peu à peu de l'ombre, il
en
est tout autre pour le vaste archipel des Tuamotu dont
chaque atoll détient sa propre originalité malgré de sembla¬
bles physiques.
L'homme
il est vrai, se façonne à sa terre. Le Paumotu,
à l'instar de son domaine entre mer et ciel, est tantôt de lu¬
mière et de bonté, tantôt austère et rude. Mais il semble bien
que sa personnalité peut-être sensiblement différente suivant
les lieux et les apports extérieurs des temps anciens. Son
art et ses ancestrales constructions ont-ils eux aussi variés
dans l'espace et le temps ? Sansdoute trop peu de renseigne¬
ments sont parvenus des atolls pour être totalementaffirmatif à cette question. Nous savons seulement qu'il existe par¬
fois des lieux où les sanctuaires abondent et des terres où la
pierre sacrée est venue timidement. Dans l'archipel de s Tua¬
motu, les atolls de Reao et Tureia sont l'expression même de
ses extrêmes.
,
Reao, seul à la porte Est de la Polynésie, semble perdu
toute terre. Pourtant, ce petit atoll étiré avec ses
quel¬
ques vingt cinq marae (I) (dont certains font quarante mètres
et détiennent de hautes enceintes) est à lui seul un vaste site
archéologique. Il est vrai que sa situation géographique sur
l'axe îles Marquises - îles Gambier n'est peut-être pas étran¬
gère à cette spectaculaire levée de pierres.
loin de
Au regard, Tureia fait figure de pauvreté. La
comparaison
peut-être faite ni sur le nombre de s marae, ni sur leur al¬
lure. En outre, seuls deux sanctuaires
peuvent nous livrer
ne
quelques miettes de leur passé, puisque deux antres semblent
été ruinés par le grand raz de marée du début de ce siè¬
avoir
cle. Donc les renseignements portent seulement sur
quatre
lieux sacrés. Ce chiffre semble définitif aux dires des insu-
(I) Ce chiffre n'est peut-être que provisoire, puisqu'il est résur les deux tiers de l'atoll actuellement sondé.
parti
180
Société des
Études Océaniennes
�après des recherches effectuées sur la totalité de
laires et
l'atoll. Néanmoins, les marae, par leur nature et leur cons¬
l. type qui existe en bien des points, de
truction, sont bien
Tongareva à Manga rêva- en passant par les îles sous-le-vent.
SITUATION
GEOGRAPHIQUE
DES MARAE
Tureia a sensiblement la forme d'un losange dont les deux
pointes extrêmes représentent le Nord et le Sud. Aujourd'hui
en totalité effacé, non loin de la pointe Nord Te one tea, le
marae du village Fakamaru était encore décrit dans les an¬
nées trente par un voyageur Anglais. Sur cet emplacement,
les cocotiers ont poussé et tout proche se sont éleves des han¬
gars
à coprah.
village actuel se situe toujours au Nord, entouré d'un
paysage assez âpre. A l'opposé, les rivages et 1 a terre ar¬
borent des beautés comme nous les concevons en ces lieux.
Entre ses deux pointes, en passant par l'Est, la végétation s'¬
étend sans discontinuer. En sens inverse, l'atoll est formé
d'une série de motu séparés de passes en majorité sèches ou
comblées. Sur le dernier de ces motu, au Sud-Ouest, se trou¬
ve le marae de Mata-riki. Comme tous ses frères, celui-ci
Le
à quelques pas du rivage, côté mer, au
ceinturé d eau.
est
Nord-Ouest de ce
brin de verdure
Il y a bien peu de choses à décrire sur Mata-riki : second
ruiné. Toutefois ses restes furent apparemment res¬
marae
pectés et nous pouvons y voir un large espace, vierge de vé¬
gétation, comprenant une aire propre de toute caillasse madréporique de douze mètres sur huit mètres environ et axée
d'Est en Ouest. Les seulesetmaigresempreintesde l'homme
sur ces lieux s'imagent par un mince chemindallé de dix mètrès, traversant en partie l'aire dégagée, et une pierre dres-'
_
sée de
centimètres à l'extrémité Ouest du sanctuaire.
trente
Tout en suivant le rivage de
riki pour nous diriger vers l'Est
tes nous
intéressant.
l'océan, nous laissons Mataà la découverte des deux si¬
au Sud-Est de l'atoll,
Ce lieu cache jalousement
son sanctuaire. Il est en effet difficile de le trouver en suivant
la lisière de la végétation, il est nécessaire d'y pénétrer car
Après trois kilomètres environ,
nous
ce
arrivons à
marae
le monde
Totara
una
una.
est aujourd'hui pratiquement cerne et
végétal.
dévoré
par
kilomètres nous mènent désormais àNakoko.
pierres dressées à proximité du rivage, et leurs abords
vierges de toute végétation, rendent particulièrement visible
ce marae et sa recherche aisée.
Deux autres
Les
181
Société des
Études
Océaniennes
�?**■
>
è
oiOe
1P2
Société des
Études
Océaniennes
i
èf).
�DESCRIPTION
DES
MARAE
Les marae de Nakoko et Totara una una sont peu sembla¬
bles, c'est ce qui frappe au premier contact. Cette différence
porte essentiellement sur les enceintes, inexistantes à Tota¬
ra una una, et le nombre de pierres dressées.
NAKOKO
Ce site
rae
cet
archéologique s'étend grossièrement sur mille mè¬
actuellement, trois ma¬
carrés. Nous y trouvons en fait,
tres
parfaitement orientés d'Est en Ouest. L'extrémité Est de
ensemble, édifié sur une légère pînte dont la base accueil¬
se situe à quarante mètres du ri¬
Le terrain est austère puisque couvert de
madréporique s noircies au soleil ; de même teinte,
différents éléments des marae s'y dissimulent et seules
hautes pierres dressées donnent du relief à ce tout.
le la
première végétation,
vage ou platier.
caillasses
les
les
côte à côte, ces trois marae ne se ressemblent
excepté leurs enceintes n'excédant pas une hauteur
centimètres. A l'écart des deux autres, le marae
Bien que
nullement,
de trente
Sud se différencie par ses six pierres dresséesaux extrémi¬
tés, ayant toutes un enclos de dalles formant une murette (I),
par un possible ahu qui se situait vraisemblablement non
l'extrémité, mais au trois quarts Est du marae. Ces pier¬
res dressées ont de plus une hauteur différente, et, à l'Est
comme à l'Ouest, la pierre centrale est dominante, ce qui
peut s'apparenter à une importance des divinités ou des an¬
cêtres. Par ailleurs, on note dansl'enceintedeuxtas de pier¬
res
circulaires face à deux pierres dressées et un mince
chemin dallé à proximité du marae, à l'Est, dont la longueur
correspond à la largeur de ce marae.
et
à
A
quelques pas de ce dernier, le s deux autres marae
s'as¬
semblent et se ressemblent. S'assemblent par une commune
enceinte. Se ressemblent par des ahu de même conception et
de fière allure. Ces ahu, ainsi que la moitié Ouest de ce s deux
aujourd'hui dissimulés sous des feuillages. Ils
particularité d'être encore en assez bon état
puisque leurs murettes et dallages sont existants, seule une
haute
pierre dressée, sur six, est désormais couchée.
marae,
ont
sont
l'heureuse
Le marae central
le
pierre
n'a rien de singulier, si ce
n'est
sa seu¬
dressée à l'extrémité Est.
(I) Le sol de deux de ces enclos,
fouillé. On y trouve en effet des
à l'Ouest, a visiblement été
excavations faites de longue
date.
Société des
Études
Océaniennes
�distingue tout 'de même de son voisin
avec enceintes de dalles, à côté de
l'ahu. Au centre nous trouvons une pierre dressée,solitaire,
qui peut avoir servi de dossier à l'officiant principal. Plus à
1 Est nous trouvons une autre pierre seule, mais avec un enLe
marae
Nord
par une pierre
se
dressée,
Photo
1, NAKOKO
l'ouest
Marae sud vu de
clos de dalles en partie ruiné. Le marae s'arrêtait-il à cette
pierre dressée ? Son enceinte Nord prend fin à la hauteur de
cette dernière. Par contre, à quatre mètres, nous constatons
encore deux pierres dressées (aujourd'hui couchées) qui
se
situent exactement à la hauteur du précédent marae.
Au-delà de ce marae c'est l'interrogation, car nous pou¬
y voir non pas la fin des investigations, mais une zon
dégagée dans le fouilli de blocaille. Cette zone est couverte
de très petits cailloux totalement noircis au soleil en surface
et blancs à l'opposé. Ils attestent donc la vieillesse de cette
surface qui, comme les antres, peut correspondre à un qua¬
trième marae totalement détruit. Il est vrai que dans le pro¬
longement de cette aire dégagée, mais à vingt mètres à l'Ouest,
nous voyons deux petites constructions perdue s à la limite de
la végétation. La première est constituée d'une pierre dressée
et d'une petite enceinte de dalles. Plus loin se
trouve un moin¬
dre enclos, sans pierre dressée, que de vieux Paumotu citent
comme étant une tombe ; sa position géographique,à l'Ouest,
oeut affirmer ces dires. Nulle enceinte ou trace s d'enceinte ne
vons
184
�sont visibles. Le retrait de ce lieu, et sa seule pierre dressée,
peut-il faire penser que nous sommes en présence d'un petit
marae de sorcier ou de guérisseur ?
Photo
2, NAKOKO
l'est
Marae sud vu de
Photo
3, NAKOKO
Marae sud.
Extrémité
est vue sur
185
le côte nord
�4, NAKOKO
Photo
Marae
Photo
central et nord Le sahu et leurs pierres
5, NAKOKO
Pierre dressée
dressées
à l'est du marae nord et vue d'ensemble
dressées à l'est
des autres nierres
18«
Société des
Études
Océaniennes
�Photo
6, NAKOKO
dressée (solitaire) au N-W,
Pierre
i«7
Société des Études Océaniennes
�REMARQUES
Les pierres dressées de ces marae sont toute s de formes
rectangulaires ou triangulaires.
il est bon de signaler au lieu nommé :
l'atoll, non loin des marae de Nakoko) trois
petites tombes perdues dans la végétation. Elles sont de mê¬
Outre
ces
marae,
(Est de
Te
nono
me
nature
que les
précédentes.
Par ailleurs, la pointe Kai-kaveu du Sud de l'atoll détient
particularité d'être sur un haut et large espace couvert de
débris madréporiques où il est impossible de circuler piedsnus.
Pour atteindre aisément le récif, les pêcheurs d'antan
ont donc été dans l'obligation de faire un chemin d'accès. Ce
chemin dallé, de deux cents mètres environ, prend naissance
la
à la lisière de la végétation et se termine en tombant du vas¬
te amas corallien, a deux pas du platier.il est actuellement
le chemin de pêcheurs le mieux conservé et le plus long.
Il est clair que la vie végétale gagne vite du terrain et ten¬
à ruiner davantage ces vestiges. Le dégagement de ces en¬
sembles serait le bienvenu, ainsi qu'une légère information
te
auprès de_s jeunes insulaires qui ne voient pastoujours la rai¬
son
de
conserver
ces
pierres, ne connaissant plus le
de leurs ancêtres. Les déclarations que me
seize ans imagent bien cet oubli.
Le
une
marae
Totara
una
una
bonne connaissance de la
passé
fit un garçon de
était pour lui inconnu malgré
totalité de l'atoll. Il est vrai
ouverts sur ce sujet, car ils
les adultes ne sont guère
craignent toujours les possibles vandales ou les fouineurs.
Il est donc nécessaire qu'ils vous connaissent pour parler du
peu de choses qu'ils savent et qui ne peut être pris pour pa¬
roles d'évangile. Ce garçon pensait que la destruction totale
de ces restes serait une bonne chose. Il revint très vite sur
ses dires, en lui affirmant que ces marae devaient renfer¬
mer des tombes, et jura même de ne jamais trop traîner sur
ces
lieux. La peur des "tupapau" est toujours vive, c'est
sans doute une bonne chose en ce domaine.
que
190
Société des Etudes Océaniennes
�U.4
Q
(^icrr-es
d^int Vraisemblablement appartenu
Construction
'■
terres
:
Dallage
:
Enceinte
ho.3
Hauteur
h A.O
Hauteur
»t
5
en pierres
des
des
plates.
bjocaille madré
de
au/
4w^ ahu.
murelfes
pon'^ue..
.
pierres dressées
ou
désormais couchées.
à^ànt vraisemblablement appartenu fluy
et
constructions
H 0.3
:
Hauteur
U d.O
:
Hauteur des
des
*<jyt
abu.
murettes.
pierres
dressées
ou
désormais couchées.
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�Le
Bulletin
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n'implique
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somme
ment
se
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fois pour toutes. (Article 24 du règle¬
Bulletins N° 17 et N° 29).
une
Intérieur.
.1°- Le Bulletin continuera à lui être adressé,
quand bien
même il cesserait d'être Membre résidant à Tahiti.
2°- Le Membre à vie n'a
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sa
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cotisation annuelle, c'est une dépense
souci de moins.
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conséquence
sont
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qui, résidant hors de .Tahiti, désirent
rece
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TOUS LES Jeunes Membres de la Société.
TOUS CEUX
qui, quittant Tahiti,
s y
intéressent quand
même
Imp. R. BRISSAUD
Société des Études Océaniennes
�
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Title
A name given to the resource
Bulletin de la Société des Études Océaniennes (BSEO)
Description
An account of the resource
La Société des Études Océaniennes (SEO) est la plus ancienne société savante du Pays. Depuis 1917, elle publie plusieurs fois par an un bulletin "s’intéressant à l’étude de toutes les questions se rattachant à l’anthropologie, l’ethnographie, la philosophie, les sciences naturelles, l’archéologie, l’histoire, aux institutions, mœurs, coutumes et traditions de la Polynésie, en particulier du Pacifique Oriental" (article 1 des statuts de la SEO). La version numérique du BSEO dispose de son ISSN : 2605-8375.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
2605-8375
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Établissement
Université de la Polynésie Française
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 179
Description
An account of the resource
Les mémoires de Marau Taaroa - Discours prononcés par la Princesse Ariimanihinihi Takau Pomare et Dr. Bengt Danielson 137
Ethnoscience - Des nono et des hommes par Henri Lavondès et Gaston Pichon 150
Archéologie - Les marae de Tureia par Pierre Souhailé 180
Source
A related resource from which the described resource is derived
Société des Études Océaniennes (SEO)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Société des Études Océaniennes (SEO)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1972
Date de numérisation : 2017
Relation
A related resource
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Format
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Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
Imprimé
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
PFP 3 (Fonds polynésien)